Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Examen, ouvert à la presse, et vote sur les projets de loi suivants :
- projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée (n° 12) (Mme Éléonore Caroit, rapporteure). 2
- projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, et de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux (n° 20) (M. Arnaud Le Gall, rapporteur) 15
Mercredi
20 juillet 2022
Séance de 9 h 30
Compte rendu n° 5
session extraordinaire de 2021-2022
Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président
— 1 —
La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur deux projets de loi.
La séance est ouverte à 9 h 30
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
• Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée (n° 12) (Mme Éléonore Caroit, rapporteure)
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le principe d’un traité de coopération bilatérale renforcée entre la France et l’Italie date de janvier 2018, sur l’idée du Président de la République française, M. Emmanuel Macron, et du président du Conseil italien d’alors, M. Paolo Gentiloni, désormais membre de la Commission européenne. Le texte qui vient concrétiser cette volonté a été signé au palais du Quirinal le 26 novembre 2021. Il est composé d’un préambule et de douze articles, qui déclinent une coopération plus étroite entre nos deux pays dans différents domaines.
Le traité du Quirinal s’inscrit dans la lignée du traité de l’Élysée de 1963, qui avait posé, dit-on, les jalons du couple franco-allemand et donné une base extrêmement solide à une coopération régulière entre les deux gouvernements et entre diverses associations de la société civile, ce qui a permis de résister pendant longtemps à un certain « froid » franco-allemand. L’avenir nous dira si le traité du Quirinal aura la même force d’entraînement et de stabilisation.
Le Parlement italien a fait le plus grand cas de ce traité à l’occasion des débats liés à sa ratification. De nombreuses auditions ont été menées par la Chambre des députés italienne et j’y ai moi-même été entendu, à l’invitation de mon homologue, M. Piero Fassino, le 10 mai 2022. J’ai trouvé, dans les contacts que j’ai eus avec les députés italiens, beaucoup d’attention et de sympathie ; je n’ai pas entendu de réticence réelle à l’égard de ce texte. Le processus de ratification en Italie s’est achevé le 5 juillet dernier : le Sénat s’est prononcé pour à une large majorité de 164 voix sur 190, la Chambre des députés par 352 voix sur 391.
En raison des échéances électorales en France, notre Parlement accuse un peu de retard sur son homologue transalpin mais nous allons nous efforcer de le combler au cours de cette session extraordinaire.
Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Le traité du Quirinal, signé à Rome le 26 novembre 2021, occupe une place à part parmi les multiples traités d’amitié que la France a conclus au cours de son histoire. Par son nom même – celui du siège de la présidence
italienne –, il fait écho au traité de l’Élysée, qui a posé, en 1963, les fondations du couple franco-allemand en promouvant une coopération bilatérale renforcée et un dialogue systématique. Si le contexte est aujourd’hui très différent, le traité du Quirinal vise lui aussi à sceller officiellement, dans un texte à portée générale, l’amitié profonde existant entre nos deux pays afin de renforcer leurs liens institutionnels et d’œuvrer au rapprochement de leurs sociétés civiles.
Le périmètre en sera très large. En matière économique, la France et l’Italie sont des partenaires commerciaux majeurs : avec un volume global d’échanges s’élevant, en 2019, à 82 milliards d’euros, la France est le deuxième client et le deuxième fournisseur de l’Italie, tandis que l’Italie est deuxième client et le troisième fournisseur de la France. S’agissant des relations culturelles, les échanges sont très riches entre nos deux pays. Ils s’appuient sur des institutions prestigieuses telles que la Villa Médicis ou encore un réseau culturel très dense. Enfin, l’Italie compte 100 000 résidents français sur son territoire et la France 400 000 résidents italiens. Les deux pays se révèlent ainsi être des partenaires importants au regard de l’intrication de leur histoire et de leur culture, ainsi que des valeurs qu’elles partagent.
La relation entre la France et l’Italie n’a toutefois pas été suffisamment structurée, ni même valorisée. Elle est, en outre, sujette à des fluctuations importantes au gré des événements politiques ou de l’intensité de l’alchimie entre les différents chefs d’État et de gouvernement. L’objet du traité est de créer un cadre global permettant de dépasser ces circonstances conjoncturelles.
Il ressort des auditions que j’ai menées que les relations entre la France et l’Italie sont éprouvées par un double paradoxe. D’un côté, nous avons des points de convergence très nombreux mais nous ne parvenons pas à les exploiter à leur juste valeur. Or lorsque la France et l’Italie agissent ensemble, elles obtiennent des résultats extraordinaires, tel le plan de relance européen défendu par les deux pays en 2020. D’un autre côté, du fait de notre proximité linguistique et culturelle, nous pensons intuitivement nous connaître, alors que nos deux pays sont, en réalité, assez différents, ce qui conduit parfois à des malentendus. Le traité du Quirinal vise à mieux structurer la relation bilatérale franco-italienne, à améliorer la connaissance mutuelle de ces deux pays et à offrir une matrice permettant de développer des projets concrets dans tous les domaines de coopération – affaires étrangères, sécurité, défense, politique migratoire, économie, enseignement, culture, coopération transfrontalière.
La structuration des relations institutionnelles a pour objectif de faire émerger une culture administrative commune et des habitudes de consultation systématique de sorte que se développe un « réflexe franco-italien », comme il existe un réflexe franco-allemand, tant aux niveaux politique et administratif qu’au niveau de la société civile. Un tel rapprochement est rendu possible par des mécanismes de consultation réguliers inscrits dans le traité pour chacun des secteurs concernés. Sont notamment prévues, au niveau gouvernemental, la relance du conseil franco-italien de défense et de sécurité, la création d’un forum de concertation économique, l’instauration d’un dialogue stratégique sur les transports ou encore la tenue de réunions bilatérales annuelles entre différents ministres. Au niveau administratif, ces formats comprennent des instances de concertation thématiques mais aussi des échanges entre fonctionnaires, des formations communes, etc.
Le traité du Quirinal, signé entre deux États fondateurs de l’Union européenne, s’inscrit résolument dans une approche européenne. Il apparaît clairement que leur coopération bilatérale favorisera l’approfondissement du projet européen par l’intégration plus forte des territoires et des sociétés civiles des deux pays. Les résultats engrangés pour l’Europe par le couple franco-allemand démontrent la pertinence d’une telle démarche. Renforcer les liens et la confiance entre les peuples de l’Union européenne ne peut que bénéficier à l’Europe tout entière : les États membres sont d’autant plus confiants dans le jeu communautaire que les relations bilatérales leur apparaissent fortes et fiables.
Le traité s’appuie sur quatre piliers : le rappel des valeurs partagées et d’une vision commune pour l’Europe ; la volonté de développer un réflexe franco-italien grâce à des mécanismes de consultation régulière au niveau politique et administratif ; la promotion des échanges dans tous les domaines au moyen de formations conjointes entre les fonctionnaires, de programmes d’échanges pour les jeunes ou encore du développement de résidences d’artistes ; l’ambition de faire de ce cadre pérenne une matrice à projets afin de permettre l’éclosion de programmes bilatéraux concrets.
La portée de ce traité dépendra naturellement de la volonté politique des acteurs et de son appropriation par l’ensemble des administrations concernées. Or il ressort des auditions que les relations entre les administrations française et italienne ont commencé à changer dès le début des discussions sur le traité : le réflexe franco-italien, appelé de leurs vœux par les différentes parties, semble d’ores et déjà engagé.
Enfin, j’appelle votre attention sur le rôle que nous, parlementaires, pourrions jouer pour permettre à ce traité de remplir ses objectifs. Dans son préambule, le texte reconnaît l’importance et la vitalité de la coopération entre les Parlements français et italien et souligne à juste titre l’intérêt de la diplomatie parlementaire. Échanger plus régulièrement avec nos homologues italiens pourrait se révéler bénéfique pour le renforcement de nos liens, pour l’amélioration de notre connaissance mutuelle, ainsi que pour la formation de positions convergentes. En ce sens, il serait opportun que notre commission se mobilise en faveur d’un affermissement de la coopération parlementaire instaurée en novembre 2021 entre l’Assemblée nationale française et la Chambre des députés italienne.
Pour conclure, l’avenir du traité dépendra de la régularité avec laquelle les parties s’investiront dans les mécanismes de consultation politique, les rencontres périodiques favorisant le règlement en amont d’éventuels malentendus. Il dépendra également de la qualité des échanges entre les sociétés civiles de nos deux pays, qui permettra de valoriser des parcours communs et de faire émerger des ambassadeurs de la relation franco-italienne, notamment au sein de la jeunesse. Il dépendra enfin d’une juste évaluation des priorités et des besoins, afin d’assurer une coopération efficace dans tous les domaines.
En Italie, le traité du Quirinal a été définitivement ratifié par le Parlement italien à la suite de votes très largement favorables tant à la Chambre des députés, le 25 mai 2022, qu’au Sénat, le 5 juillet. J’insiste sur l’intérêt que la coopération bilatérale renforcée présente pour nos deux pays mais aussi pour l’Europe dans son ensemble. Pour cette raison, je vous invite à voter sans réserve en faveur de l’approbation de ce traité.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. De même que l’Angleterre et les États-Unis sont deux pays séparés par une langue commune, nous avons le sentiment, en vous écoutant, que l’Italie et la France ont été trop longtemps séparées par une culture commune.
M. Hadrien Ghomi (RE). Avec ce projet de loi, nous formalisons le lien d’amitié ancien et privilégié existant entre la France et l’Italie. Nous gravons dans le marbre une coopération historique qui aurait mérité de faire l’objet d’un tel traité depuis longtemps – il n’en existait jusqu’à présent qu’avec l’Allemagne.
L’Italie est un allié stratégique pour notre pays, ne serait-ce que parce que nous partageons, sur plus de 500 kilomètres de frontière, des bassins de vie, d’emploi et de biodiversité. La Méditerranée est notre espace commun, où nous devons sans cesse coordonner nos efforts pour œuvrer en faveur de la prospérité et de la paix.
Nos coopérations culturelles, éducatives et scientifiques sont parmi les plus fécondes au monde. Le traité permettra de développer des liens économiques avec notre troisième partenaire commercial. La tenue d’un forum économique franco-italien, le 12 juillet dernier, a été l’occasion de rappeler l’importance de la coopération économique dans un contexte international complexe, aussi tendu qu’instable. L’épidémie de covid-19 et l’éclatement de la guerre en Ukraine nous ont rappelé que ce n’est qu’en travaillant étroitement avec nos alliés que nous pourrons surmonter les crises à venir. Tisser des complémentarités entre nos deux administrations afin de maintenir un dialogue politique fécond apparaît toujours plus essentiel.
Les députés du groupe Renaissance saluent le traité qui nous est présenté car il constitue une véritable pierre de touche pour notre lien avec la nation italienne, dont l’histoire est si étroitement liée à la nôtre. Nous voterons pour sa ratification, en lui souhaitant le même succès que le traité de l’Élysée.
M. Jérôme Buisson (RN). Ce projet de loi était sûrement une nécessité car, étrangement, il n’existait pas de traité renforçant la coopération bilatérale entre la France et l’Italie, comme cela peut être le cas avec d’autres pays. Les liens qui nous unissent ne datent pas seulement des balbutiements de la communauté européenne. La France et l’Italie n’ont pas attendu l’Europe pour entretenir des relations culturelles, économiques et politiques, de la Pax Romana aux racines chrétiennes communes, dont l’Italie est le berceau, et à la Renaissance, qui a fait beaucoup plus que n’importe quel traité.
Signé en 2021 par Mario Draghi, président du conseil d’un gouvernement technique issu d’une crise politique, cet accord bilatéral est fragile car il est conditionné dans tous les domaines à des dogmatismes européens, au point qu’on peut se demander s’il s’agit d’un accord bilatéral ou tripartite. Les valeurs sont partagées, certes, mais leur mise en pratique est parfois très éloignée entre la France et l’Italie.
À vouloir embrasser tous les sujets, ce traité reste finalement assez vague et général et il ne présente pas beaucoup de nouveautés.
L’article 1er, relatif aux affaires étrangères, promeut ainsi le développement durable, la paix et la défense du multilatéralisme sans qu’on sache où cela va mener. L’article 2, relatif à la sécurité et à la défense, enfonce, lui aussi, des portes ouvertes, en rappelant que les deux États se prêtent assistance en cas d’agression armée sur le territoire de l’OTAN. Je rappelle au passage que la France et l’Italie n’achètent pas les mêmes avions et que les deux pays ne sont pas d’accord sur les investissements de défense européens. L’article 3, relatif aux affaires européennes, entend favoriser le retour à la majorité qualifiée, ce qui, à mon sens, est une perte de souveraineté pour la France. L’article 4, relatif aux politiques migratoires, à la justice et aux affaires intérieures, élude le problème de fond. Alors que l’Italie est la porte d’entrée en Europe de l’immigration illégale, vous ne parlez que de libre circulation, de routes migratoires à institutionnaliser et d’asile. D’ailleurs, quand Matteo Salvini et Luigi Di Maio ont tenté de s’opposer à ces flux migratoires, en 2019, la France a condamné l’action du gouvernement italien.
Pour toutes ces raisons, ce traité ne nous paraît pas opportun.
M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). En matière d’environnement et de développement durable, il est regrettable qu’il faille se référer à l’étude d’impact et aux documents mis en ligne sur le site de l’Élysée pour pouvoir comprendre la portée d’un texte qui reste assez flou et s’en tient souvent à de bonnes intentions.
Le massif alpin, qui subit les effets du dérèglement climatique et qui connaît de graves difficultés économiques, n’est pas pris en compte dans ce texte, lequel manque aussi d’ambition pour la Méditerranée. En revanche, il y est souvent question des liaisons ferroviaires entre la France et l’Italie. Dans le massif de Belledonne, comme dans celui de la Chartreuse, les tracés retenus font fi de la législation française sur l’eau. En France, depuis 1964, plusieurs lois ont défini des périmètres de protection rapprochée et éloignée de l’eau à usage domestique, dans lesquels il est interdit de forer. Ce traité ne respecte pas les lois de la République.
J’appelle par ailleurs votre attention sur le fait que la ligne existante a été rénovée à hauteur de 1 milliard d’euros entre 2012 et 2018. Or, contrairement à ce qui est écrit dans l’étude d’impact, elle n’est pas saturée, puisqu’il n’y passe que 26 trains par jour, contre 150 au milieu des années 1980. Nous pourrions soulager les habitants de la vallée de l’Arve, du Val d’Aoste, du Val de Suse et de la Maurienne en faisant circuler davantage de trains sur la ligne existante. Nous pourrions ainsi réduire significativement le nombre de camions qui transitent entre nos deux pays : de 1,4 million, ils pourraient être ramenés à 1 million, voire à 800 000.
Je rappelle enfin que toute la haute administration française est hostile à ce projet, dont le coût a complètement dérapé, puisqu’il est passé de 3 milliards à 30 milliards depuis 1991. Je préférerais que nous renoncions à ce projet plutôt que de le mentionner trois fois dans le traité.
M. Meyer Habib (LR). Le groupe Les Républicains est très heureux de la concrétisation de ce traité, qui s’est fait dans les coulisses du sommet franco-italien de Lyon en 2017.
Permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée pour la regrettée Marielle de Sarnez, car je sais à quel point ce traité lui importait. Elle a été une immense présidente de la commission des affaires étrangères et je tenais à lui rendre hommage.
La ratification de ce traité est aussi un bonheur personnel. Même si je m’exprime souvent – et si l’on me voit d’abord – comme le député des Français d’Israël, je suis aussi le député des Français d’Italie. Ma grand-mère, Enrichetta, est née dans le ghetto de Venise et mon père, qui était italien, est devenu apatride pendant la guerre. C’est donc une joie pour moi que de voir se renforcer la relation franco-italienne, qui a longtemps été caractérisée par des échanges insuffisants entre nos administrations et nos gouvernements, au détriment des Français d’Italie.
Nos pays, qui sont des pays frères, vont désormais se coordonner sur nombre de sujets : environnement, développement durable, géopolitique, sécurité et défense, toutes questions essentielles à l’heure où l’Europe est déstabilisée par l’invasion russe et pour faire face à la nucléarisation iranienne – un sujet qui m’obsède.
Cet accord est un bonheur pour l’ensemble des Français d’Italie, qui sont nos vrais ambassadeurs. Je resterai mobilisé au côté de nos acteurs consulaires et je veux rendre hommage à notre ambassadeur, Christian Masset, qui a été un magnifique serviteur de l’État au cours des cinq dernières années. À présent, il va falloir accompagner le déploiement de ce traité, attendu de longue date.
Je veux, pour finir, appeler votre attention sur une question fiscale, qui obsède nos retraités. Il importe que l’administration italienne s’implique pour résoudre le problème de nos retraités, dont les arriérés peuvent atteindre des dizaines de milliers d’euros, du fait d’une très ancienne convention fiscale.
Mme Maud Gatel (DEM). L’ancienneté de leurs liens, leurs racines historiques communes et leur proximité géographique et culturelle ont forgé des liens forts entre la France et l’Italie, mais il a fallu attendre l’année dernière pour qu’un tel traité soit signé.
Il s’agit d’abord d’un traité d’amitié, une amitié ancienne et privilégiée, liée à la fois à l’histoire, au poids des échanges, mais aussi à une appréhension commune des enjeux auxquels l’Union européenne doit faire face : enjeux économiques, migratoires et environnementaux, notamment. Le projet de loi autorisant la ratification du traité du Quirinal propose d’instaurer une coopération bilatérale renforcée entre nos deux pays, assortie de mécanismes de concertation pour en assurer la mise en œuvre.
J’aimerais m’arrêter sur six propositions très concrètes de ce texte.
Il promeut : une politique étrangère ayant vocation à stabiliser et à préserver la mer Méditerranée occidentale et orientale et à améliorer la concertation de nos deux pays pour la défense de positions communes au sein de l’Union européenne et de l’OTAN ; une politique de défense qui prévoit une collaboration plus étroite dans les domaines opérationnels, notamment spatial et industriel, ainsi qu’une assistance mutuelle en cas d’agression sur le territoire de l’un d’entre eux ; une politique de sécurité, à travers la création d’une unité opérationnelle franco-italienne dont l’ambition est de mieux coordonner les actions contre les réseaux d’immigration clandestine, la criminalité, la corruption et la fraude ; une politique environnementale qui prévoit le développement de projets de mobilités décarbonées et la protection de la mer Méditerranée ; une politique agricole qui privilégie la qualité des produits, avec une protection accrue des appellations d’origine protégée (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) ; un volet sur l’éducation et la culture pour favoriser la mobilité des étudiants, notamment à travers le développement des filières Esabac, et des chercheurs et pour défendre la protection du patrimoine et le renforcement des échanges entre les industries culturelles.
L’enjeu est d’aller au-delà des liens interpersonnels pour nourrir et faire vivre ce traité. Il faut effectivement renforcer la diplomatie parlementaire. Il y a un an, à l’initiative du président de la commission des affaires étrangères, nous sommes allés à Rome rencontrer nos collègues italiens pour évoquer avec eux certains sujets, notamment la question migratoire, sur laquelle des convergences sont apparues. Enfin, il convient de faire valoir des positions communes et de réaffirmer notre ambition en faveur du renforcement de la coopération européenne.
À l’heure où l’Europe est mise à rude épreuve, le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) soutiendra la ratification du traité du Quirinal.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je veux dire à Alain David, député de la Gironde, combien nous sommes bouleversés par les événements dramatiques que traverse son département. Notre émotion est générale et notre solidarité, entière.
M. Alain David (SOC). Je vous remercie, Monsieur le président.
Je me réjouis qu’après la réunion de travail très éclairante que nous avons eue avec nos collègues de la Chambre des députés italienne en décembre 2021, en particulier avec mon ami le président Piero Fassino, ce texte ait été inscrit rapidement à l’ordre du jour de notre assemblée. C’est un nouveau signe fort de notre souci partagé de renforcer nos relations avec nos voisins transalpins.
Ce traité vient parachever les liens unissant la France et l’Italie, déjà très étroits, même si des incompréhensions avaient pu naître au cours des dernières années, sous l’influence du Mouvement 5 étoiles, allant même jusqu'à la brouille diplomatique. Sous la houlette de Marielle de Sarnez, une délégation de notre commission des affaires étrangères était allée, en pleine crise, rencontrer nos amis de la commission des affaires étrangères italienne. Cette initiative avait été particulièrement fructueuse.
Le traité d’amitié franco-italien de novembre 2021, qui a été conçu sur le modèle du traité d’amitié franco-allemand, est l’un des plus complets jamais conclus. Il surpasse même sur certains points, notamment par la feuille de route très complète qui l’accompagne, le degré de rapprochement et d’intégration atteint par la France et l’Allemagne, si ce n’est dans les projets concrets, du moins dans les positionnements politiques. Le groupe Socialistes et apparentés est particulièrement satisfait de l’article 1er, qui vise au renforcement de la coopération diplomatique, mentionne les enjeux euroméditerranéens, les relations avec le continent africain et la politique commerciale. Les questions de défense, développées à l’article 2, prennent également tout leur sens dans le contexte actuel, marqué par le retour de la guerre aux portes de l’Europe.
Nous avons aussi été sensibles aux sujets environnementaux, abordés dans l’article 6, même si, comme toujours en la matière, les bonnes intentions doivent s’accompagner d’actes concrets.
L’article 8, relatif à l’enseignement, à la formation, à la recherche et à l’innovation et l’article 9, relatif à la jeunesse et à la culture, constituent également des éléments prometteurs pour le renforcement de notre partenariat.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés votera favorablement pour ce texte, qui constitue un indéniable progrès.
M. Jean-François Portarrieu (HOR). Notre groupe est favorable à ce traité, qui consolidera les liens entre nos deux pays et qui permettra à nos représentants respectifs de parler, sur la scène européenne et internationale, d’une voix aux notes mieux accordées et, dès lors, plus influente.
Comme vous l’avez souligné à plusieurs reprises, les cultures française et italienne s’entremêlent depuis des siècles. Notre socle de valeurs est le même et nos modes de vie se ressemblent. Ce traité apparaît donc comme une évidence.
Trois points nous semblent particulièrement intéressants.
Dans le domaine de la défense, le renforcement de la coopération en matière de sécurité et de défense, la coopération judiciaire et le développement de l’industrie aérospatiale sont autant d’ambitions qui renforceront la France et l’Italie dans l’Union européenne. Si elle ne veut pas devenir une périphérie, l’Europe doit avoir les moyens de ses ambitions sur la scène internationale, et ce traité y contribue indiscutablement.
Dans le domaine numérique, l’un des grands enjeux actuels est indéniablement le défi technologique. En reconnaissant l’importance de leur coopération pour renforcer la souveraineté et la transition numérique européenne, les deux pays acceptent de le relever ensemble. Ils s’engagent à approfondir leur coopération dans des secteurs stratégiques comme celui de la cybersécurité, un sujet dont notre assemblée a été saisie en application d’un règlement européen pour lutter contre la diffusion de contenus terroristes en ligne.
Enfin, dans le domaine de la culture, la mise en place d’un service civique franco-italien, qui s’inscrit à la fois dans le cadre du service civique français et du service civil universel italien, constitue une initiative pertinente pour consolider nos convergences de vues et de valeurs.
Ce traité pose les premières bases de projets de coopération qui pourront être élargis. Il permettra à nos deux pays d’impulser des projets extensibles à d’autres membres de l’Union européenne. En cela, il est à la fois bilatéral et multi-européen.
Mme Sabrina Sebaihi (Écolo-NUPES). L’Italie est une République amie de la France ; elle en est même une forte et solide alliée. Nos deux pays, fondateurs de l’Union européenne, partagent la même vision d’une Europe unie, forte et riche de sa diversité.
Il est demandé à notre commission d’autoriser la ratification du traité liant nos deux nations, lequel a d’ores et déjà été signé par les deux chefs d’État le 26 novembre 2021. En tant qu’écologistes, nous sommes favorables à une intégration la plus poussée possible entre les États, parce que le fédéralisme est dans notre ADN. Plusieurs points de ce traité nous y encouragent, notamment la coopération dans le secteur éducatif, universitaire et culturel. Oui, il faut continuer à entretenir les liens entre nos deux nations. Oui, nous devons continuer à être de fidèles partenaires.
Cela étant, nous identifions au moins deux points noirs dans ce traité, à commencer par le grand projet de ligne TGV entre Lyon et Turin, qui nous pose un problème majeur. Certains de mes prédécesseurs sont allés jusqu’à le qualifier d’« EPR du ferroviaire », compte tenu de l’ampleur du retard – dix-huit ans – et des surcoûts engagés – 18 milliards d’euros. Or ce projet a été réintégré au traité, sans la moindre remise en question, alors même qu’il a un impact environnemental néfaste du côté italien, qu’il présente un faible rendement économique et qu’il suscite une opposition de part et d’autre de la frontière. Il n’est pas sérieux de maintenir ce projet en l’état. Quand aurons-nous un bilan de l’impact environnemental et économique de la ligne Lyon-Turin ?
Deuxièmement, nous n'approuvons pas le volet relatif à la coopération sécuritaire, particulièrement ce qui relève de la gestion de nos frontières. La frontière franco-italienne fait régulièrement la une de l’actualité à cause des drames humanitaires qui s’y déroulent, à cause de ces migrants qui marchent pieds nus sur l’autoroute à la frontière de Menton ou qui passent le col de Tende, l’hiver, sous la neige, à cause de ces militaires qui pointent leurs kalachnikovs sur les voitures, craignant de trouver des migrants dans leur coffre.
Un autre choix de coopération est possible : nous pourrions coopérer pour un accueil digne pour toutes et tous. Personne ne fuit son pays par choix et, au lieu de regarder ces personnes mourir sur les plages de la Méditerranée ou dans les montagnes du Mercantour, nous pourrions les accueillir et les aider, faire preuve d’humanité et de dignité. Oui à une coopération humaine, mais pas à celle qui enferme Cédric Herrou pour délit de solidarité dans la vallée de la Roya. J’en profite pour lui rendre hommage, ainsi qu’aux associations, à la Croix-Rouge et à tous les bénévoles qui s'engagent pour accueillir dignement, malgré le contexte, les migrants qui franchissent cette frontière.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine-NUPES voteront en faveur de la ratification de ce traité, car nous sommes pour tout ce qui valorise l’amitié entre les peuples.
J’ai toutefois quelques questions à vous poser, Madame la rapporteure.
La première concerne les projets de coopération au sein de l’Union européenne. S’ils sont utiles à l’échelle bilatérale, de tels rapprochements interrogent et peuvent faire craindre l’émergence d’une union à deux vitesses. Le fait que des États poids lourds comme la France, l’Italie et l’Allemagne se coordonnent en amont des décisions européennes par ce type d’accord, en vue d’influencer les débats, ne risque-t-il pas d’être mal perçu par les autres États membres ?
En matière de coopération spatiale, je m’interroge sur les détails de l’article 7. L’Italie est une puissance majeure de ce secteur et je tiens d’ailleurs à saluer Samantha Cristoforetti, la spationaute italienne qui est actuellement dans la station spatiale internationale. Saluons aussi le lancement réussi de la fusée Vega-C, qui a quitté la terre depuis notre base spatiale de Kourou, il y a cinq jours. L’Allemagne, l’Italie et la France sont les poids lourds européens du spatial. Mais, comme je l’ai rappelé avec mon collègue Pierre Cabaré dans notre rapport d’information sur l’espace, il va falloir renforcer notre coopération si nous voulons résister à la concurrence internationale, qui est très dure.
Savez-vous si des réunions franco-italiennes de coordination se tiendront sur les questions spatiales à l’approche du conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne, qui se tiendra à Paris en novembre ? D’autre part, la France et l’Italie sont désormais partenaires des accords Artemis, menés par les États-Unis pour retourner sur la lune. Ces accords sont ambigus, notamment sur le principe de non-appropriation des ressources lunaires. L’Italie et la France ont-elles prévu de coopérer pour défendre la vision européenne de non-appropriation des astres ?
Je reviens sur le drame des migrations à la frontière franco-italienne. Chaque jour, une centaine de migrants sont refoulés de manière illégale aux frontières italiennes. De nombreux rapports font état d’une maltraitance institutionnalisée, qu’il s’agisse de rétentions traumatisantes ou de refus purs et simples d’enregistrer les demandes d’asile. Savez-vous si cet accord aboutira à une réforme plus juste du droit d’asile et des procédures dites de Dublin ? N’y a-t-il pas urgence à inscrire le principe de non-refoulement dans ce traité de coopération ?
La police française refoule des humains qui fuient la guerre et la misère et elle les oblige à passer par des voies extrêmement dangereuses, notamment des cols montagneux, où beaucoup d’entre eux prennent des risques parfois mortels. Il est temps que l’humanité reprenne le dessus sur le sécuritaire. Pensez-vous que ce traité pourra enfin y contribuer ?
M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Le traité du Quirinal constitue un pas très important dans la voie de la coopération entre la France et l’Italie. Nous partageons beaucoup de choses avec l’Italie : la France y est le premier investisseur et le premier employeur étranger, et les deux États ont souvent une vision commune, qui les distingue de leurs partenaires du Nord de l’Europe, notamment sur les questions sociale et géopolitique – je pense par exemple à l’autonomie stratégique européenne. Ce traité est amené à s’inscrire dans la durée, ce qui est heureux.
Cela étant, je ressens une grande déception. L’article 10 incite, de manière générale, à la coopération transfrontalière entre les collectivités françaises et italiennes, en mettant l’accent sur les bassins de vie frontaliers terrestres. Le traité ne contient pas un mot sur le fait insulaire corse – bien que l’île se situe à proximité du golfe de Gênes – ou sarde. C’est un manquement imputable, à nos yeux, au péché originel de la technocratie et de la centralisation. Je le regrette fortement, compte tenu de l’importance de ce texte.
Je voudrais rappeler un certain nombre de faits. La Corse est distante de 11 kilomètres de Santa Teresa di Gallura et de 80 kilomètres de l’île d’Elbe. La région de la Gallura, en Sardaigne, abrite 100 000 locuteurs de langue corse. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’italien était la langue officielle en Corse, même lorsque le territoire est devenu républicain. Les élites insulaires accomplissaient, jusqu’au début du XXe siècle, leurs études à Padoue et à Pise. Enfin, rappelons que la garde du pape a été, huit siècles durant, une garde corse, puisque l’île faisait partie des États pontificaux.
Le traité manifeste la volonté de doter les collectivités frontalières de « compétences appropriées pour dynamiser les échanges et la coopération », et nous nous en réjouissons. Mais il est important de reconnaître que le développement économique, social et culturel de la Corse et de la Sardaigne passe par des échanges structurés affichés comme prioritaires.
Nous espérons que le traité du Quirinal fondera une vision enfin ambitieuse de la Méditerranée. En effet, s’il aborde un certain nombre de sujets tels que le réchauffement climatique, la pollution plastique, la question des migrants, la dimension culturelle, l’intégration européenne ou encore l’enjeu universitaire, on continue à manquer d’une vision méditerranéenne intégrée.
Mme Emmanuelle Ménard. Ce traité concrétise les liens unissant nos deux pays, mais suscite en moi quelques interrogations.
Au cours des années 1970 et 1980, dites « années de plomb », les attentats à la bombe, les enlèvements et les assassinats ont fait plus de 300 morts dans la péninsule italienne. Aucun lieu n’a été épargné : tous tremblaient dans les gares, les trains, les bâtiments publics. Qu’ils soient syndicalistes, journalistes, policiers, magistrats ou élus, tous étaient des cibles.
Certains des terroristes réfugiés en France font l’objet de demandes d’extradition répétées de la part de l’Italie. Dix militants d’extrême gauche, qui ont été condamnés dans leur pays pour terrorisme, ont été réclamés par l’Italie. Les familles des victimes n’ont rien oublié et réclament justice. La justice est demandée depuis quarante ans, mais est empêchée par la doctrine Mitterrand, qui permettait aux condamnés de trouver refuge en France à condition qu’ils aient pris leurs distances avec l’action violente. Cette doctrine est manifestement encore appliquée puisque la cour d’appel de Paris a émis, le 29 juin dernier, un avis défavorable à l’extradition des dix anciens militants d’extrême gauche.
C’est une véritable claque pour le gouvernement italien et une décision qui passe d’autant moins que le traité prévoit, en son article 4, que la France et l’Italie s’engagent à coopérer étroitement en matière judiciaire en vue de lutter contre la criminalité et le terrorisme. Le ministre français de la justice, lui-même, s’est interrogé : « Aurions-nous accepté qu’un des terroristes du Bataclan parte vivre quarante ans en Italie ? » La Bolivie, elle, s’est posé moins de questions lorsqu’elle a extradé M. Battisti en Italie, en 2019, à l’issue de sa longue cavale. J’espère vivement que le traité permettra de résoudre cette question.
M. Frédéric Petit. Par parallélisme avec l’Allemagne, je voudrais savoir si un accord est prévu entre les deux Parlements en vue de l’échange de collaborateurs et, dans la négative, si l’on pourrait lancer une initiative en ce sens. C’est un mécanisme qui fonctionne très bien avec le Bundestag. Il s’agit d’une mesure pouvant être instituée rapidement et qui relève de notre initiative. Par ailleurs, avez-vous des informations sur les coopérations régionales transfrontalières franco-italiennes ? Quel est leur statut actuel ? Où en est-on de l’autre côté de la frontière ? Avec l’Allemagne, nous sommes allés assez loin, grâce au traité d’Aix-la-Chapelle, qui a permis la création d’une nouvelle instance régionale commune.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ces questions techniques ne sont pas directement l’objet du traité, qui ne traite pas du détail des coopérations. C’est une enveloppe à remplir, la coopération sera ce que le traité produira.
Je ferai trois observations. En premier lieu, M. Christian Masset, notre ambassadeur en Italie, quittera prochainement son poste. M. Masset est un diplomate d’une extraordinaire qualité. Il a été la cheville ouvrière d’une relation de plus en plus étroite entre notre commission et la commission des affaires étrangères siégeant au Palais Montecitorio, enceinte de la Chambre des députés italiens. Il est de ces diplomates qui attachent de l’importance à la démocratie parlementaire et à l’intensification de la coopération entre les parlementaires comme instrument d’une confiance réciproque, sans cesse renforcée, entre nos deux pays. Je voudrais, au nom de vous tous, lui rendre un très solennel hommage.
En deuxième lieu, l’affaire des « terroristes » non extradés est extrêmement délicate. En effet, la décision de la justice contredit explicitement l’intention du Président de la République et du gouvernement français. Les socialistes m’ont souvent dit qu’on ne pouvait pas vraiment invoquer la doctrine Mitterrand, car François Mitterrand, même s’il n’a pas systématiquement mis en pratique cette réserve, en a toujours exclu les crimes de sang. Dans les faits, toutefois, les personnes en question n’ont pas été extradées. Le Président de la République et le garde des Sceaux ont dit, dans des termes extrêmement nets, leur réserve quant à cette décision de justice, ce qui a suscité des réactions compréhensibles au nom de la séparation des pouvoirs ou, pour le dire plus exactement, de la séparation des autorités.
Je me suis entretenu récemment de cette question avec l’ambassadrice d’Italie à Paris et le maire de Rome. Nos amis italiens ont bien compris que cette décision émanait, non du gouvernement ou du Parlement, mais de l’autorité judiciaire. Les juridictions françaises sont elles-mêmes séparées et divisées à ce sujet. Le parquet de la cour d’appel de Paris s’est en effet pourvu en cassation – proprio motu, me semble-t-il, sans avoir reçu aucune instruction de la Chancellerie.
On peut comprendre, par exemple, que la non-extradition de quelqu’un qui a assassiné un brigadier sous les yeux de son fils soit très choquante pour les Italiens. Cela aurait pu déclencher une crise mais celle-ci a été assez profondément désamorcée.
En troisième lieu, beaucoup d’entre vous ont souligné le lien entre le traité du Quirinal et la construction européenne, pour s’en alarmer ou s’en féliciter. Le franco-italien est, à mes yeux, le parent pauvre du narratif européen. Le couple que nous formons avec ce pays a joué, depuis le début de la construction européenne, un rôle absolument central, de même importance que le couple franco-allemand. L’intensité du conflit entre la France et l’Allemagne a toutefois donné à leur réconciliation un lustre particulier. Les Italiens ont recollé les morceaux de la construction européenne après l’échec de la communauté européenne de défense (CED). Ils ont jeté les bases de l’Acte unique européen et du marché intérieur, qui a débouché sur l’euro. Par ailleurs, c’est la politique de l’actuel président du conseil italien, alors président de la Banque centrale européenne (BCE), qui a assuré le sauvetage de l’euro. Le parallélisme entre le traité du Quirinal et le traité de l’Élysée permet de combler le déficit de narratif entre nos deux pays.
Mme Mireille Clapot. Madame la rapporteure, vous avez bien mis en évidence l’importance des relations bilatérales renforcées dans une perspective européenne, surtout après des incompréhensions mutuelles. J’espère que le traité facilitera la liaison ferroviaire Lyon-Turin, qui est un mode de transport écologique.
On a assez peu parlé des Balkans, de l’Algérie et de la Libye, pays dont il est pourtant question de manière sous-jacente dans le traité.
Nous devons nous préoccuper davantage de la cybersécurité, en particulier concernant les câbles sous-marins, particulièrement denses entre la France, l’Italie et l’Afrique du Nord. Le traité nous amènera-t-il à nous pencher sur ce point de vulnérabilité ?
Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Le débat atteste que nous avons tous conscience de la nécessité de renforcer la coopération entre nos deux pays.
Monsieur Acquaviva, le traité ne mentionne pas expressément la Corse mais l’évoque indirectement à l’article 10 et, surtout, dans le préambule, par la référence à la Méditerranée. Dans le préambule, les parties réaffirment « leur attachement commun à la Méditerranée, comme carrefour de civilisation et trait d’union entre les peuples d’Orient et d’Occident, d’Europe et d’Afrique ». Elles évoquent ensuite la nécessité de stabiliser à long terme le bassin méditerranéen et considèrent qu’il s’agit d’une priorité décisive, non seulement de la France et de l’Italie, mais, plus généralement, de l’Union européenne. On pense évidemment à la Corse, mais aussi aux questions migratoires.
Le traité établit une relation Nord-Sud forte au sein des pays fondateurs de l’Union européenne. En ce sens, Monsieur Lecoq, il ne me semble pas redondant. Au contraire, il est essentiel à la construction européenne et il faisait gravement défaut. Il n’existait pas de couple Nord-Sud aussi identifié que le couple franco-allemand, l’Italie n’étant pas toujours perçue comme un acteur fort, mais avant tout comme un pays du sud de l’Europe. C’est l’un des apports essentiels du traité que de multiplier les relations bilatérales en s’inscrivant dans une réelle volonté de construire l’Europe.
Certes, le traité du Quirinal est sans doute frustrant et peut être perçu comme une énumération de bonnes intentions, mais c’est le cas de tous les traités d’amitié. Celui-ci va tout de même au-delà de simples déclarations d’intention puisqu’il mentionne des projets existants et d’autres à venir.
Monsieur Buisson, l’article 4 affirme la volonté de lutter de manière commune contre l’immigration illégale. Il n’y est pas seulement question de droit d’asile mais aussi d’assistance technique et de formation des forces de l’ordre. Le traité fournit des éléments concrets de coopération dans divers domaines.
Monsieur Amard, dans le domaine de l’écologie, le traité ne répond certes pas à toutes les interrogations. Son article 10 et, surtout, sa feuille de route insistent sur la nécessité de développer l’ensemble du réseau ferroviaire et pas seulement la ligne Lyon-Turin. Il s’agit non pas d’apporter des réponses toutes faites mais de poser les jalons d’une coopération, en introduisant des nouveautés et en comblant certaines lacunes.
En particulier, le traité donnera lieu à la création d’un comité de coopération frontalière, qui manquait au territoire transfrontalier. Ce comité s’intéressera aux parties alpine comme méditerranéenne. En quelque sorte, le traité du Quirinal est un traité-cadre dans lequel les collectivités territoriales pourront dialoguer. Il apparaît ainsi qu’une phase d’ajustement sera nécessaire aux acteurs, les homologues directs italiens et français n’étant pas nécessairement les interlocuteurs idoines sur les questions que le traité entend résoudre.
Monsieur Lecoq, le traité prévoit effectivement un renforcement de notre coopération en matière spatiale. L’Italie est également partenaire des accords Artemis. Je reviendrai vers vous au sujet des débats éventuels en vue de la conférence de novembre prochain.
Madame Ménard, la décision de la cour d’appel de Paris a été rendue le 29 juin, alors que le traité était en cours d’examen devant le Sénat italien. Cela aurait pu donner naissance à une crise diplomatique majeure et éventuellement à un blocage du processus de ratification. Peut-être est-ce déjà un effet positif du traité, la perception par les Italiens de la volonté de la France de travailler avec eux et d’être considérés par elle comme un interlocuteur de poids, au même titre que l’Allemagne, a sans doute permis d’apaiser les choses.
Bref, le traité ne répond pas à toutes les interrogations sur tous les sujets brûlants que nous avons avec l’un de nos voisins les plus proches, mais il constitue un pas en direction d’une construction européenne renforcée.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Deux députés du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale demandent la parole. Je devrais la leur refuser mais puisque je l’ai accordée à Mme Mireille Clapot, dont la demande n’avait pas été transmise par erreur, je vais accepter celle de ces deux députés de l’opposition, dans un souci d’égalité. J’en profite cependant pour rappeler que la parole doit être demandée avant le début du débat.
Mme Nadège Abomangoli. Nos deux pays ont coopéré dans le Sahel. L’opération Takuba a pris fin en juillet. Quelle sera la suite ?
Pour ce qui concerne la Libye, les positions de nos deux pays divergent. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Enfin, le gouvernement italien négocie avec le gouvernement algérien pour augmenter les livraisons de gaz. Nous avions proposé de faire de même depuis le début de la crise en Ukraine. N’y a-t-il pas des initiatives à prendre, qui auraient pu faire l’objet de développements dans le traité ?
M. Louis Boyard. Au rythme où nous allons, je ne pense pas que nous atteindrons la neutralité carbone en 2050. Le non-respect de l’accord de Paris augmentera l’immigration puisque les personnes manqueront d’eau et de nourriture. Selon la Banque mondiale, l’Afrique subsaharienne pourrait enregistrer jusqu’à 86 millions de migrants climatiques internes.
Plutôt que de s’étendre sur le sujet de l’immigration illégale, ne serait-il pas préférable de poser la question de la lutte pour une immigration légale et de renforcer la coopération de la France et de l’Italie en ce sens ?
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ce traité est un outil de coopération entre la France et l’Italie et il ne saurait servir de prétexte à une revue générale, non dépourvue d’intérêt par ailleurs, de l’ensemble des contentieux ou des projets communs entre l’Italie et la France.
Article unique : Autorisation de la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, signé à Rome le 26 novembre 2021
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
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• Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, et de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux (n° 20) (M. Arnaud Le Gall, rapporteur).
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ces deux accords tendent à établir le cadre juridique indispensable à la création du centre Eurosystème au sein du pôle d’innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI). Ce centre franco-allemand sera basé à Paris et à Francfort.
Ces accords concernent un nombre restreint de personnels : quatre agents permanents sur le site parisien de la BRI, auxquels s’ajouteront une dizaine de personnes pour des projets spécifiques. Ils revêtent cependant une importance symbolique en ce qu’ils témoignent de l’attractivité retrouvée de la place de Paris.
Sous la précédente législature, nous avions adopté, dans cette commission, deux accords de siège importants, l’un relatif à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), en 2019, l’autre à l’Autorité bancaire européenne (ABE), en début d’année.
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. La BRI, créée dans les années 1930 pour répondre à l’absence de réglementation bancaire qui fut l’une des causes de la crise, demeure méconnue même si elle est la plus ancienne organisation financière internationale. Ses missions sont essentielles : elle est l’un des maillons de la coopération monétaire et financière internationale et elle aide les banques centrales à gérer leurs réserves de devises, ce qui lui vaut le surnom de « banque des banques centrales » – en tout cas de celles de soixante-trois pays qui représentent 95 % du PIB mondial.
En 2019, la BRI a créé un pôle d’innovation, le BISIH, composé de six centres – Londres, Hong Kong, Singapour, Stockholm, Toronto et Zürich – dirigés depuis le siège de la BRI, à Bâle, en Suisse. En 2020, elle a souhaité créer un septième centre, franco-allemand, pour représenter l’Eurosystème. Il sera divisé en deux sites, l’un à Paris, l’autre à Francfort.
La signature des deux accords était un préalable nécessaire à la naissance de ce site. Leur contenu est classique.
L’accord de siège définit les statuts, les privilèges et les immunités dont bénéficiera la BRI en France ainsi que son personnel et les personnes affiliées : inviolabilité des locaux, des documents et des données de la BRI ainsi que de ses communications officielles, exonération de droits de douane et d’impôts, privilèges, immunités et exemptions. Ce ne sont pas des avantages personnels, ils sont attachés au statut du travailleur international.
Le second accord définit le régime de protection sociale de quatre types de personnels : les membres de la BRI couverts par le régime de la banque, les membres de la BRI qui travaillent en France mais ne sont pas couverts par ce régime, les agents de la Banque de France mis à disposition de la BRI, les personnels des autres banques centrales membres de la BRI mis à disposition de celle-ci.
Ainsi, toutes les personnes qui travailleront pour le centre et leurs ayants droit seront couverts par un système de protection sociale, sans double affiliation. Cet accord est indispensable pour assurer les droits de ces travailleurs et de leurs familles.
Les conséquences de ces accords seront limitées aussi ne nous y opposerons-nous pas, même si nous ne partageons pas les principales préconisations de la BRI. Le nouveau centre ne devrait accueillir qu’une quinzaine de personnes à Paris, dont seulement quatre agents permanents, parmi lesquels deux viendront de la Banque de France et au moins un de la BRI.
Ces accords représentent une opportunité pour ceux qui considèrent que l’attractivité financière de la France aurait un effet mécaniquement positif pour notre économie. Nous le contestons puisqu’une grande part des actifs financiers ne sont pas investis dans l’économie productive mais dans des activités purement financières.
Ces accords s’inscrivent dans un système économique et financier injuste, insuffisamment régulé et destructeur des économies.
La mondialisation est un fait historique qui remonte à l’Antiquité et qui ne cesse de s’accélérer depuis cinq siècles. En nier la réalité serait aussi absurde que refuser d’admettre que la Terre tourne autour du soleil.
En revanche, la mondialisation néolibérale est un choix politique récent qui peut et doit être défait. Le système monétaire qui prévaut depuis les années 1970, après la liquidation du système de Bretton Woods, est profondément déstabilisateur. Il se caractérise par des taux de change flottants et la financiarisation des économies : déréglementation financière, liberté totale de circulation des capitaux, privatisation de l’émission monétaire, obligation des États d’emprunter sur les marchés etc.
Les crises financières suivies d’une crise économique n’ont cessé de se multiplier. Les conséquences sociales en furent dramatiques, sans parler de l’augmentation massive des dettes publiques et privées, sans renforcer pour autant les investissements nécessaires pour répondre aux nouveaux défis, comme la crise climatique.
Après la crise de 2008, qui n’est pas vraiment achevée, la déconnexion entre la sphère financière et la sphère productive s’est aggravée. En 2020, les actifs financiers mondiaux atteignaient les 200 trillions d’euros, soit 200 000 milliards. Pour la première fois, ils ont dépassé 300 % du PIB mondial. Il n’est pas anodin que la finance internationale se soit aussi bien portée alors que l’économie mondiale était à l’arrêt en raison de la pandémie. L’écart entre la richesse et la croissance économique n’a jamais été aussi élevé.
Or la BRI contribue à ce cadre néolibéral global. Certes, elle doit veiller à l’application des accords de Bâle III, qui ont timidement encadré certaines activités bancaires mais c’était un minimum et nous aurions souhaité qu’elle aille beaucoup plus loin. Plus récemment, la BRI a rappelé avec raison que les cryptomonnaies non adossées à une banque centrale étaient une impasse. Nous sommes d’accord : nous ne voulons pas que Facebook créé sa monnaie. On peut imaginer que l’antenne de Paris se saisira de ces sujets cruciaux.
Malheureusement, les solutions qu’elle préconise pour lutter contre l’inflation, qu’il s’agisse de la hausse des taux d’intérêt ou du refus d’augmenter les salaires, dont on nous dit que cela aggraverait l’inflation, sont marquées du sceau du néolibéralisme. Même l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou le Fonds monétaire international (FMI) ont proposé des mesures plus sociales, comme la revalorisation des salaires ou le blocage des prix. Le cycle actuel de l’inflation n’est pas le résultat d’une boucle prix-salaire mais d’une boucle pénurie-profits, les pénuries étant aggravées par des mécanismes spéculatifs.
Une autre mondialisation est possible. La charte de La Havane, issue d’une conférence générale de l’ONU mais rejetée par le Sénat des États-Unis, proposait d’organiser les échanges économiques internationaux à l’ONU autour d’objectifs politiques, économiques et sociaux qui tiendraient compte des intérêts du plus grand nombre : créer des emplois, limiter les déséquilibres commerciaux et monétaires en bannissant les guerres commerciales et monétaires. De même, une autre finance, plus régulée, était alors envisagée.
Le processus de Bâle ne suffit plus. Notre groupe propose de modifier les missions et les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), de lui permettre de prêter directement aux États, de la placer sous contrôle démocratique pour en faire un outil au service de l’intérêt général ainsi que des objectifs écologiques et sociaux que nous nous fixerions. Elle ne doit plus être cet organisme focalisé sur la seule stabilité monétaire, dont les méthodes de lutte contre l’inflation font fi des conséquences dévastatrices pour le plus grand nombre.
Ces propositions, loin d’être utopiques, répondent aux dynamiques de démondialisation et de fragmentation du système monétaire international apparues dès 2008 et qui se sont accentuées à la suite de la pandémie et de la guerre en Ukraine. De 2008 à 2020, l’activité internationale des banques a reculé d’un quart, voire de 40 % pour ce qui concerne les banques de la zone euro. Nous sommes loin, désormais, des fables sur la mondialisation heureuse. La mondialisation néolibérale est en sursis. Tant mieux mais cette crise appelle des solutions collectives, sinon elle s’achèvera dans une guerre commerciale de tous contre tous, dont les tensions qui en découleraient pourraient conduire à des guerres au sens strict. N’oublions pas les leçons de l’échec de la première mondialisation libérale, entre 1870 et 1914.
Notre groupe ne s’opposera pas à ce texte qui concerne un centre de petite taille très spécifique et qui permet de garantir une protection sociale aux travailleurs concernés.
Néanmoins, ne cédons pas à la tentation de voir dans ces accords des choix neutres et techniques. Nous souhaitons que se tiennent de nouveaux débats, plus larges, sur le modèle de l’organisation économique et financière internationale. Il n’y aura pas de progrès social, écologique et économique sans une transformation profonde des règles financières et commerciales internationales.
Mme Amélia Lakrafi (RE). La BRI est une institution peu connue mais elle joue un rôle important dans le domaine de la coopération monétaire et financière internationale. Elle est surnommée la banque des banques, car elle aide les banques centrales à gérer leurs réserves de devises et contribue à maintenir la stabilité financière internationale.
Elle s’est d’ailleurs donné pour mission de veiller aux conséquences des nouvelles technologies sur la finance internationale et l’action des banques centrales, par l’intermédiaire du pôle innovation, le BISIH. Cet organisme compte différentes implantations et l’accord permettra d’en ouvrir une dans la zone euro, à Paris et Francfort.
Cette implantation en France est le fruit de la politique d’attractivité menée par notre pays, en particulier notre majorité, depuis quelques années. Selon les derniers résultats du baromètre EY, la France est, en 2021, le pays le plus attractif d’Europe pour la troisième année consécutive. Pas moins de 1 222 projets d’investissement ont été recensés. Les sommets Choose France, voulus par le Président de la République, donnent d’excellents résultats, qui dépassent les seules entreprises. Plusieurs accords de sièges ont, en effet, été récemment signés avec des organisations internationales.
L’installation d’une antenne de la BRI à Paris renforce la place financière de notre pays en Europe. Jusqu’à présent, la BRI n’avait aucune activité en France. Notre pays a récemment signé des accords de siège avec l’AEMF et l’ABE. Le contexte est favorable à la place de Paris depuis le Brexit.
Enfin, je me réjouis que ces deux accords permettent d’ouvrir un centre d’innovation consacré aux nouvelles technologies et à leurs conséquences. L’influence de la France en sera renforcée. Son installation dans les locaux qui hébergent également le Lab Banque de France permettra de nouer des collaborations fructueuses. Il est important qu’en pleine compétition internationale, la France demeure un acteur de pointe dans le domaine des nouvelles technologies.
Je vous invite donc à adopter ce projet de loi.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je souligne l’exploit du rapporteur : il est passé d’un petit texte – qui concerne l’accès à la sécurité sociale française pour une poignée d’agents de la BRI – à un exposé digne des cours de sciences économiques et sociales qui m’ont été prodigués au lycée, où l’on m’imposait d’acheter Alternatives économiques. Je n’en étais pas un lecteur assidu.
Le groupe Les Républicains soutiendra ce texte technique, qui obtiendra sinon l’unanimité du moins une large majorité.
Il s’agit de renforcer l’attractivité de la France. La place financière de Paris devient de plus en plus importante, grâce à un ensemble de facteurs dont le Brexit. On ne peut que s’en réjouir.
Mme Sabine Thillaye (DEM). La BRI est l’une des plus anciennes institutions financières, puisqu’elle a été créée il y a plus de cent ans pour faciliter le règlement de réparations dues par l’Allemagne en application du traité de Versailles.
Depuis lors, la volonté d’accentuer la coopération monétaire et financière internationale s’est manifestée. Les missions de la BRI ont de ce fait évolué et elles portent désormais également sur la manière de faire face aux défis posés par l’accélération des évolutions technologiques et par les transformations des services bancaires et financiers. La BRI occupe une position centrale grâce aux différents centres d’innovation répartis dans le monde entier, afin d’analyser les grandes tendances technologiques et de proposer des solutions nouvelles.
Trois banques centrales étaient candidates pour l’implantation de tels centres dans l’Union européenne – la Banque de France, la Bundesbank et la BCE. Deux sites ont été retenus : Paris et Francfort. Il s’agit d’une avancée pour les relations franco-allemandes et pour l’Eurosystème.
Le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) votera en faveur de l’adoption de ce projet car la localisation à Paris d’un centre d’innovation constitue un atout majeur pour le rayonnement de la France, même si le nombre des personnes concernées est limité.
M. Alain David (SOC). Nous pouvons nous réjouir que la BRI ait choisi la France pour installer l’un de ses centres d’innovation.
Le texte qui nous est soumis comporte un accord de siège classique avec une institution internationale et ses articles n’appellent pas de commentaire particulier – ils visent à garantir le bon accomplissement des missions de l’institution et la sérénité de ses personnels.
Je m’étonne que la discussion de ce projet de loi en séance publique ne fasse pas l’objet de la procédure d’adoption simplifiée.
Cette discussion permet d’aborder plus largement la question de la coopération financière, notamment à l’échelle européenne. La crise sanitaire avait conduit en 2021 à faire évoluer significativement les dogmes financiers européens, avec la création des euro-obligations – longtemps refusée –, la mise entre parenthèses des contraintes du pacte de stabilité, l’activation du mécanisme européen de stabilité, le vaste plan de rachat des dettes souveraines ou le pacte vert pour l’Europe. On peut craindre que la forte inflation que connaissent la quasi-totalité des États membres de l’UE ne conduise les institutions financières à revoir cette approche.
Il serait utile que notre commission procède à des auditions au sujet de ces questions financières européennes et internationales, afin d’éclairer notre réflexion et nos prochains travaux.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le bureau de la commission pourra être appelé à examiner cette demande légitime.
S’agissant des modalités de débat, le groupe LFI-NUPES a fait opposition à la procédure d’examen simplifiée, ce qui explique pourquoi nous examinerons ce texte en séance publique selon la procédure normale.
M. Jean-François Portarrieu (HOR). Notre groupe approuve les deux accords dont la ratification est prévue par le projet de loi et il se félicite de l’installation d’un centre de la BRI à Paris.
Mme Sabrina Sebaihi (Écolo-NUPES). L’implantation de la BRI à Paris doit constituer une nouvelle étape pour l’innovation dans le domaine de la finance verte. Il faut impérativement et urgemment transformer notre modèle global, en le dirigeant vers des opérations financières qui favorisent la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, à court comme à long terme. Il y va de l’avenir de nos enfants et de la planète.
Le 4 juillet dernier, la BCE a annoncé le début d’un tournant environnemental avec l’introduction de critères verts pour une partie de ses opérations. Nous pouvons saluer cet acte politique fort, qui intervient dans le monde très conservateur des banques centrales. Il rompt avec une tradition d’inaction climatique puisque, jusqu’en 2019, 63 % des obligations d’entreprise achetées par la BCE venaient des secteurs économiques qui émettent le plus de gaz à effet de serre. Il existe un lien direct entre le climat et la stabilité des prix, laquelle est au cœur du mandat de l’Eurosystème. Les événements climatiques ont des effets très concrets sur les prix de l’énergie et de l’alimentation. Le cours du blé atteint actuellement des sommets historiques, en partie pour des raisons climatiques. Cette crise alimentaire est largement amplifiée par la stratégie de la Russie, qui consiste à prendre le monde entier en otage en affamant des États.
La question de la souveraineté énergétique et de notre dépendance aux énergies fossiles importées hors de l’Union européenne mêle les enjeux écologiques, sociaux et géopolitiques. Les banques centrales disposent de leviers d’action importants en la matière.
Jusqu’en mars dernier, la Banque centrale de la Fédération de Russie était membre de la BRI. Elle en a été suspendue dans le cadre des sanctions internationales. C’était absolument nécessaire. Grâce à ses exportations de gaz et de pétrole, Vladimir Poutine finance à hauteur de 700 millions de dollars par jour la guerre qu’il mène en Ukraine. L’économie et la finance sont le nerf de la guerre. Il faut saluer la décision du G7 d’interdire l’achat d’or russe. Tout ce qui peut contribuer à la fin du conflit doit être encouragé. Les banques centrales ont un rôle à jouer.
Le groupe Écologiste-NUPES encourage la transition écologique des banques centrales et les incite à accélérer ce processus autant que possible. Le temps est compté pour assurer un avenir aux générations futures.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je tiens à remercier notre collègue Arnaud Le Gall pour ce rapport très enrichissant. La mise en perspective intéressante qu’il a effectuée pourra être prolongée lors de l’examen du texte en séance publique. Ce débat permettra d’éclairer nos concitoyens sur le fonctionnement du système monétaire mondial et sur ses conséquences.
Mon groupe votera en faveur de la ratification de ces deux accords, qui permettront aux salariés de la BRI installés en France de disposer d’une couverture sociale.
Banque des banques centrales, la BRI a pour mission de fluidifier les paiements. Pour remplir sa mission, elle utilise les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. Ces DTS forment l’unité de compte du FMI. Leur valeur est constituée par un panier de devises – euro, dollar, yen, yuan et livre sterling – qui permet d’acheter d’autres devises en limitant les variations des taux de change.
Il faudra que nous nous penchions un jour de près sur ces DTS, car ils pourraient constituer un outil utile pour réduire les inégalités mondiales. Les DTS sont actuellement répartis en fonction de la participation de chaque État au FMI, ce qui avantage massivement les grandes puissances économiques. En 2021, sur les 650 milliards de dollars de DTS émis par le FMI, seulement 3 %, soit 21 milliards de dollars, étaient destinés aux pays à faible revenu – alors qu’ils sont presque tous situés en Afrique et qu’ils représentent 9 % de la population mondiale. Pourtant les pays riches ne se servent presque jamais des DTS dans la mesure où leur banque centrale leur offre les mêmes services. Justin Koné Katinan, ancien ministre du budget de la Côte d’Ivoire, a déclaré : « Une réforme des conditions d’émission des DTS qui favoriserait les critères de lutte contre la pauvreté pourrait aider l’Afrique à moins recourir à des emprunts à taux exorbitants, dont les remboursements condamnent définitivement le continent noir ». Avec le sénateur Pierre Laurent, nous avions sonné l’alarme et demandé une réforme en profondeur de ce système.
Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine-NUPES espèrent que le pôle d’innovation de la BRI, dont les centres devront notamment identifier et expérimenter de nouvelles technologies financières, sera capable d’émettre des avis défavorables sur l’émergence de certaines de ces technologies financières. En tant qu’institution hébergeant le comité de Bâle – à l’origine des accords qui visent à limiter les dérives de la finance –, la BRI pourrait lutter contre les évolutions du trading à haute fréquence ou contre la mise en place d’algorithmes agressifs sur les marchés financiers. Certains d’entre eux sont d’ailleurs pour partie responsable de crises, à commencer par celle des prix des matières premières qui condamne des milliards d’humains à la faim ou à la pauvreté. La dérégulation du marché mondial des matières premières est l’une des pires calamités pour le climat et le droit du travail.
Pour terminer, il apparaît très important de manœuvrer collectivement – peut-être, en donnant davantage de pouvoirs de régulation à la BRI, afin de limiter cette folie.
Je fais mienne la demande d’Arnaud Le Gall et celle d’Alain David pour que notre commission s’intéresse de très près à la finance mondiale et à ses conséquences sur l’environnement, le climat, la pauvreté et la paix.
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. Je prends avec humour les propos de M. Dumont, même s’il s’agit de choses très sérieuses. Je n’ai pas eu l’intention de faire un cours ; j’ai souhaité tenir un discours politique. Trop souvent, on insiste sur le caractère technique de dispositions pour occulter le fait qu’il s’agit en réalité de choix politiques. À force de saucissonner les sujets en mesures techniques supposées dépourvues d’importance, on en arrive à avaler des choses énormes.
Comment ne pas saisir les conséquences potentielles de flux financiers internationaux tellement déséquilibrés qu’ils représentent 300 % du PIB mondial ? Il est important de débattre de la réglementation de la finance internationale et du rôle que doit jouer la BRI. Il ne s’agit pas de remettre en question l’existence d’une institution centrale pour la réglementation interbancaire, et notamment pour la coordination des banques centrales. Il s’agit de dire qu’il y a de nombreuses manières d’assumer son rôle.
C’est une chose de lutter contre les cryptomonnaies non adossées à des banques centrales – ce à quoi nous sommes favorables – ou de se pencher sur les transactions à haute fréquence – qui constituent un énorme problème et qui n’ont pas été limitées, contrairement à ce que l’on entend souvent. C’en est une autre de considérer que, pour lutter contre l’inflation, il faut seulement augmenter les taux d’intérêt. Ce n’est pas un choix technique ; c’est un choix politique qui signifie des dizaines de millions de pauvres en plus en Europe.
Qu’il me soit donc permis de poser de telles questions, tout en ayant précisé au préalable qu’il n’y a pas lieu de s’opposer à ces accords, et particulièrement au second, qui permettra aux travailleurs concernés de bénéficier de la sécurité sociale.
La question de la dette n’est pas technique, elle non plus. On peut s’endetter pour investir face aux défis qui nous concernent tous, notamment dans la transition écologique – je partage les très bons objectifs que vous avez mentionnés, Madame Sebaihi –, mais ne nous mentons pas, les financements correspondants ne sont pas prévus. On peut, en sens inverse, faire de la dette un argument pour revenir à des politiques d’austérité. Certains dogmes ont en effet été suspendus durant la pandémie, parce qu’il n’y avait pas le choix. Mais ces modifications n’ont pas été inscrites dans le droit européen, ni dans les règles de fonctionnement de la BCE, et il est évident que l’on va en revenir à une politique d’austérité dans les années qui viennent, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne. Comment va-t-on répondre à l’explosion des prix et aux pénuries ?
En ce qui concerne l’indépendance énergétique, Mme Sebaihi a bien souligné le problème qui consiste à alimenter la machine de guerre de la Russie en lui achetant du gaz. L’effet des sanctions est tel sur son prix qu’à la fin de cette année la Russie aura une balance commerciale qui n’aura jamais été aussi bénéficiaire depuis des décennies. Les Russes importent en outre très peu, ce qui peut leur poser un problème. Je ne dis pas que les sanctions sont totalement inefficaces.
Il faut pouvoir ne plus être dépendant des importations de gaz russe, mais il ne faut pas remplacer une dépendance par une autre – par exemple vis-à-vis du gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis ou en étant obligé d’aller faire des génuflexions au Proche-Orient. Pour cela, il faut investir dans l’autonomie énergétique. C’est aussi simple que cela.
Derrière bien des accords que d’aucuns peuvent considérer comme purement techniques, on trouve en fait des enjeux très politiques.
Article 1er : Approbation de l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, signé à Bâle le 13 septembre 2021.
La commission adopte les articles 1er et 2 non modifiés.
Elle adopte l’ensemble du projet de loi sans modification.
La séance est levée à 11 h 30
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Carlos Martens Bilongo, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Louis Boyard, M. Jérôme Buisson, Mme Éléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Frédéric Falcon, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Barbara Pompili, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Sabine Thillaye, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, Mme Estelle Youssouffa
Excusés. - M. Moetai Brotherson, M. Sébastien Chenu, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Roland Lescure, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Gabriel Amard