Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 600 euros net (n° 328) (M. Alexis Corbière, rapporteur) 2
– Examen de la proposition de loi portant réintégration du personnel des établissements de santé et de secours non-vacciné grâce à un protocole sanitaire renforcé (n° 322) (Mme Caroline Fiat, rapporteure) 31
– Informations relatives à la commissions.....................46
– Présences en réunion.................................47
Mercredi
16 novembre 2022
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 20
session de 2022-2023
Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente
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La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission des affaires sociales examine la proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 600 euros net (n° 328) (M. Alexis Corbière, rapporteur).
M. Alexis Corbière, rapporteur. La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui vise à porter le salaire minimum mensuel à au moins 2 050 euros brut, soit environ 1 600 euros net. Ce montant est notre mot d’ordre, mais il ne faut pas oublier que la rémunération des salariés est constituée du salaire direct et du salaire indirect. Nous prévoyons une entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2023.
Cette proposition figurait dans le programme de notre candidat à l’élection présidentielle et dans celui de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). Plusieurs millions de nos concitoyens se sont donc exprimés en sa faveur. Il est grand temps de la mettre en œuvre.
L’augmentation du Smic n’est pas une nouveauté dans notre histoire sociale. Elle a eu lieu à plusieurs reprises, non sans résultat, quoiqu’en disent ses nombreux détracteurs, dont les arguments n’ont pas toujours évolué en un demi-siècle.
La première définition du salaire minimum national légal applicable à toutes les branches d’activité procède de la loi du 11 février 1950. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) constituait un garde-fou contre la pauvreté et préservait les salariés de toute exploitation là où le tissu syndical était faible ou inexistant. Les arguments opposés alors au SMIG sont repris aujourd’hui : il allait tuer l’économie et l’emploi, les petites entreprises allaient couler. Rien de tout cela ne s’est produit.
Cette conquête sociale acquise, l’écart entre le salaire moyen et le SMIG s’est creusé, en raison de son indexation sur les seuls prix. En 1968, les mobilisations populaires ont changé la donne. Les célèbres accords de Grenelle ont entériné une conquête sociale significative : la hausse de 35 % du SMIG, quelques mois après le refus du patronat de l’augmenter de 3 %. La loi du 2 janvier 1970 transforme le SMIG en salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), désormais revalorisé sur la base de l’évolution des prix mais aussi de la progression du salaire moyen des ouvriers.
En 1981, sous la présidence de François Mitterrand, le gouvernement Mauroy augmente le Smic de 10 %. Depuis lors, les « coups de pouce », comme il est d’usage de les appeler, n’ont plus été à l’ordre du jour, hormis une légère revalorisation de 2,2 % sous Lionel Jospin et une augmentation très minime, voire symbolique, lors du mandat de François Hollande.
Depuis plus de dix ans, le Smic stagne. Ne pas le revaloriser est une règle pour le Gouvernement comme pour ses prédécesseurs. Pourtant, la situation sociale du pays est assez alarmante : 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et 8 millions font la file pour l’aide alimentaire. Il y a 400 000 pauvres supplémentaires depuis 2017. Tous les indicateurs sociaux sont inquiétants. Les salaires réels ont baissé de 2 % en un an, et l’inflation a atteint le niveau historique de 6 %.
Plus globalement, le partage de la valeur souffre d’un déséquilibre, au détriment des revenus du travail, dont la part dans la valeur ajoutée a reculé dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle est passée de 66 % en moyenne dans les années 1980, à 61 % en 2010 pour remonter à 64 % en 2019. Cette répartition défavorable au travail et favorable au capital est exacerbée dans les grandes entreprises, où la part du travail est inférieure de 11 points à la moyenne nationale.
Face à l’urgence, le Gouvernement s’est contenté d’appliquer des recettes vues et revues, d’inspiration libérale, dont je considère qu’elles sont insuffisantes. La loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a été votée sans débat sur les salaires et les bas salaires. Sa grande mesure, annoncée en fanfare, est la prime de partage de la valeur, défiscalisée et laissée au bon vouloir des entreprises. Seuls 16 % des salariés en ont bénéficié, pour un montant moyen de 506 euros.
Lors de son examen, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a reconnu à demi-mot la nécessité d’aborder la question des salaires, en déclarant : « Toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires ». Un mois plus tard, il déclarait à propos du Smic : « Donner un coup de pouce, c’est donner un coup de canif au redressement de l’emploi ».
Pourquoi tant de fins de non-recevoir pour ce qui n’est qu’un coup de canif ?
Partons d’un constat : les mécanismes d’indexation du Smic ont atteint leurs limites. Certes, le taux du salaire minimum a progressé au cours des derniers mois, essentiellement sous l’effet de l’inflation. Toutefois, cette progression n’a pas empêché le décrochage du salaire minimum dû au renchérissement de la vie et à l’explosion des inégalités. Or le Gouvernement n’a pas accordé le moindre coup de pouce significatif au Smic, ce à quoi l’autorise pourtant le code du travail, pour assurer une rémunération digne du travail.
Il a été conseillé, dans sa démarche, par le groupe d’experts chargé de se prononcer, chaque année, sur l’évolution du Smic. Depuis sa création, ce groupe, composé d’économistes libéraux, vise un objectif simple : désindexer le Smic. Son dernier rapport recommande clairement de supprimer tout ou partie des mécanismes de revalorisation automatique du Smic. Il s’oppose systématiquement à toute revalorisation supplémentaire de son taux. Je pose la question de la légitimité de ce groupe d’experts, dont le mode de désignation pourrait faire l’objet d’un échange entre nous.
Ma proposition de loi vise l’augmentation du Smic de 22 %, qui aura de nombreux effets positifs, non seulement pour les 2 millions de salariés qui vivent au Smic, mais aussi pour les 30 % de salariés du privé et 20 % d’agents publics dont le salaire net est inférieur à 1 600 euros.
De plus, cette mesure est résolument féministe, car l’augmentation du Smic bénéficiera en premier lieu aux femmes, qui sont les premières à subir le temps partiel et les contrats courts. Elles représentent 60 % des 2 millions de salariés au Smic, mais seulement 45 % de l’emploi dans le secteur privé.
Cette mesure bénéficiera aussi aux salariés des secteurs où les conditions de travail sont difficiles, ce qui permettra d’en attirer, donc de résoudre leurs difficultés de recrutement, notamment dans l’hôtellerie, la restauration et le secteur sanitaire et social. Elle bénéficiera également aux petites entreprises auxquelles les grosses sous-traitent les tâches les moins bien rémunérés.
Cette pratique des grandes entreprises, qui sous-traitent les tâches d’entretien et de maintenance pour ne pas avoir à faire progresser les salaires, nous a été décrite par tous les acteurs que nous avons auditionnés. Elle explique la concentration des salariés au Smic dans les PME. Il est donc normal que ces salariés bénéficient d’augmentations de salaire partiellement prises en charge par les entreprises donneuses d’ordre.
Le Smic ne pénalise pas l’emploi, au contraire. Plus les revenus disponibles sont élevés, plus les carnets de commandes se remplissent pour la consommation populaire. De 1997 à 2022, le Smic a augmenté de 14 % et près de 2 millions d’emplois ont été créés, contre 3 millions au cours des dix années précédentes.
Par ailleurs, la plupart des emplois au Smic sont dans des secteurs dits abrités, c’est‑à‑dire non délocalisables, tels que l’aide à domicile et l’hôtellerie. Nous considérons donc que l’argument de la compétitivité ne tient pas.
Je souhaite que nous ayons un débat exempt des épouvantails habituellement utilisés pour discréditer la proposition que je formule. La hausse que nous proposons n’a rien de spectaculaire, comme le prouve l’exemple de nos voisins européens. En Allemagne, le montant du Smic horaire brut a dépassé celui de la France cette année. Au Royaume-Uni, après cinq ans d’augmentation du Smic, le nombre de créations d’emplois a battu un record. En Espagne, le salaire minimum a augmenté de 36 % depuis 2018, ce qui n’a ni déséquilibré la compétitivité ni pénalisé l’emploi.
Rehausser le niveau du Smic, c’est aussi revoir l’intégralité de la grille des salaires. La négociation salariale est bloquée. Trop souvent, les chefs d’entreprise refusent d’augmenter les salaires. Il est temps de revoir la hiérarchie des salaires, en impulsant une hausse générale par le biais d’une hausse du Smic.
Par ailleurs, plusieurs études ont démontré que la préférence des employeurs pour les primes au détriment des hausses de salaire vise à limiter leur contribution au financement de notre modèle social. Notre mesure doit être conjuguée à d’autres, notamment la limitation des écarts de salaire de un à vingt dans l’entreprise et l’indexation des salaires sur l’inflation.
J’en viens au financement de la proposition de loi. Celle-ci prévoit, pour couper court aux arguments selon lesquels son coût est excessif, des modalités de financement reposant sur la solidarité entre les grands groupes et les petites entreprises, lesquelles pourront absorber la hausse du Smic en limitant celle de leurs coûts de production, donc de leurs prix, grâce à un mécanisme redistributif. Par ailleurs, le coût de la mesure sera partiellement et temporairement pris en charge par l’État, grâce aux exonérations existantes.
Certes, les sommes en jeu sont importantes. La hausse du Smic proposée augmenterait de 10 à 20 milliards d’euros les dépenses des entreprises. J’invite cependant chacun à mettre ces chiffres en perspective, en les comparant aux dépenses consenties en faveur des entreprises. Ainsi, les exonérations de cotisations sociales coûtent 60 milliards par an. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, soutenue par certains de nos collègues, en coûtera dix. Sans parler de la baisse des impôts de production, depuis 2017, dont le Gouvernement se félicite.
Par ailleurs, des sources de revenus pour l’État ou pour une péréquation entre entreprises existent : les 46 milliards d’euros de dividendes et les 24 milliards de rachats d’actions du CAC40 en 2021, ou encore les profits records de 18,8 milliards pour Total et de 15 milliards pour la CMA CGM au premier semestre de cette année.
Faut-il rappeler que les dirigeants des quarante plus grandes entreprises françaises ont reçu en moyenne 6,5 millions d’euros en 2021, soit 465 fois le Smic ? Chaque année, 157 milliards d’euros d’aides publiques sont versés aux entreprises, sans la moindre contrepartie en matière de salaires ou d’impératifs sociaux et écologiques.
Tout cela soulève la question de la responsabilité des grands groupes dans la constitution de trappes à pauvreté au sein de secteurs entiers de sous-traitance et dans le maintien dans la pauvreté de millions de nos concitoyens. Le coût de cette responsabilité, qui est la leur, est pris en charge par l’État par le biais de mécanismes de solidarité, tels que la prime d’activité.
Celle-ci bénéficie certes à près de 5 millions de Français, qui en retirent en moyenne 180 euros par mois. Toutefois, je m’interroge sur le rôle de chacun : n’incombe-t-il pas aux entreprises de rémunérer convenablement leurs salariés ? Les mécanismes de solidarité nationale doivent-ils servir à compenser un déficit persistant du niveau des salaires, alors même que les entreprises qui en sont responsables contribuent de moins en moins à son financement ?
La prime d’activité offre la démonstration que ni les entreprises ni le salaire minimum n’assurent aux salariés une vie digne, ce qui rend l’aide publique indispensable. Les défenseurs de la prime d’activité sont-ils favorables à une économie administrée ? Voilà qui serait piquant ! Depuis 2017, on nous répète qu’il faut faire confiance au dialogue social. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci ne produit rien de significatif.
Certains amendements vont dans le sens du texte, ce dont je me réjouis, mais excluent du bénéfice de l’augmentation du Smic les salariés des branches dont les métiers peuvent être pénibles et qui connaissent des difficultés de recrutement, telles que l’hôtellerie et la restauration. J’avoue ne pas comprendre. Si ces amendements, déposés par des membres du groupe Renaissance, étaient adoptés, environ 13 millions de salariés bénéficieraient d’une augmentation, mais 1,9 million en seraient exclus.
Le groupe Rassemblement National adopte la même méthode. Ses membres refusent de voter la hausse du Smic, comme l’été dernier, lui préférant une nouvelle exonération de cotisations sur les augmentations de salaires. Outre l’appauvrissement de la sécurité sociale qu’elle entraîne, cette méthode ne fonctionne pas plus que les primes pour revaloriser le pouvoir d’achat.
Le salaire est composé d’une part directe et d’une part indirecte. Dire que la réduction des cotisations sociales équivaut à une hausse de salaire, c’est dire aux salariés « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure ». Cette méthode appauvrit de nombreux organismes sociaux, qui sont des conquêtes sociales des salariés. J’y suis radicalement opposé.
Nos débats permettront de préciser les démarches à accomplir pour adopter notre mesure. Je ne doute pas que nos échanges seront constructifs. Nous sommes attachés à la première étape de la réponse à la situation d’urgence sociale dans laquelle nous sommes : la revalorisation immédiate et uniforme du Smic dans les meilleurs délais.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Marc Ferracci (RE). Monsieur le rapporteur, notre groupe vous remercie de soulever cette question importante : comment accroître le revenu des Français qui travaillent ? Toutefois, la réponse que vous apportez ne nous semble pas la bonne, pour plusieurs raisons.
Premièrement, l’application de votre proposition de loi détruirait de nombreux emplois. Une augmentation du Smic associée à une hausse indifférenciée des salaires sera absorbée sans problème par les entreprises dont la productivité est bonne, pas par les autres. Les épouvantails que vous évoquez sont les nombreuses études démontrant que les effets sur l’emploi d’une hausse du Smic sont réels.
Il n’est pas souhaitable de traiter différemment les grandes et les petites entreprises, comme vous le proposez, en introduisant un mécanisme de compensation entre elles. Outre sa complexité, ce mécanisme subventionnerait sans raison des petites entreprises productives et détruirait de l’emploi dans des grandes entreprises qui le sont moins.
Les évaluations démontrent que la sensibilité de l’emploi au coût du travail au niveau du Smic est très forte. Une hausse du Smic de 10 % entraîne une contraction de l’emploi d’au moins 10 %, qui peut atteindre 25 %. Nous démontrerons, lors de l’examen de nos amendements, que la disposition proposée peut détruire de l’emploi dans certaines branches.
Deuxièmement, beaucoup a été fait et continuera d’être fait pour soutenir le pouvoir d’achat des personnes qui travaillent au Smic, notamment la prime d’activité.
Troisièmement, nous croyons au dialogue social. C’est en baissant le chômage que nous renforcerons le pouvoir de négociation des salariés, dans les entreprises et dans les branches.
C’est pourquoi nous ne voterons pas votre proposition de loi, qui apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Soucieux de faire vivre le débat sur cette question importante au sein de notre commission, nous avons déposé des amendements destinés à nourrir la discussion et non à être adoptés, en espérant que nos échanges éclaireront le débat public.
Mme Laure Lavalette (RN). La proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 600 euros net nous semble restrictive et pénalisante pour les classes moyennes, celles auxquelles on demande tout et on ne donne jamais rien. Une fois de plus, leur pouvoir d’achat stagnerait.
Contrairement à ce que nos collègues de la NUPES tentent de nous faire croire, l’augmentation du Smic n’est pas une mesure bénéfique pour tous. La brandir comme un totem ne fait pas de vous des justiciers de la cause sociale, chers collègues !
Contrairement à vous, nous nous soucions de tous les salaires, le Smic comme ceux qui sont juste au-dessus, qui sont les grands oubliés de votre programme. Il faut augmenter tous les salaires, sans pénaliser nos entreprises. Le premier frein à l’augmentation des salaires est le coût qu’elle représente pour les nombreuses TPE‑PME, qui offrent l’essentiel des emplois de notre pays et maillent notre tissu économique.
Monsieur Corbière, nous ne confondons pas salaire et prime. Si vous allez voir votre banquier, il ne tiendra pas compte des primes pour calculer votre taux d’endettement.
Nous proposons donc une exonération des cotisations patronales sur une augmentation de 10 % des salaires inférieurs ou égaux à trois fois le Smic. Une telle hausse bénéficierait aux salariés tout en étant supportable pour les entreprises. Ce serait du gagnant-gagnant.
Quant à l’article 2 visant à rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il est particulièrement injuste, ce qui n’a rien de surprenant venant de vous. Des ménages de la classe moyenne ont en effet été imposés à l’ISF en raison de la valorisation d’un patrimoine immobilier familial, notamment dans les grandes villes et les zones littorales. Nous sommes en revanche favorables à un impôt sur la fortune financière favorisant l’enracinement et évitant la spéculation.
Ce texte profondément défavorable aux classes moyennes et malhonnête n’aura pas un écho favorable dans nos rangs.
Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Tout a augmenté. Les prix flambent chaque jour à cause de l’inflation : la nourriture, l’essence, les vêtements, les loyers, les soins – la liste est longue.
Tout a augmenté et tout augmente encore chaque jour, sauf les salaires et sauf le Smic. Plus de 10 millions de pauvres vivent avec moins de 1 100 euros par mois ; plus de 1 million vivent avec moins de 920 euros par mois. La France est pourtant la sixième puissance mondiale et les super-profits n’ont jamais autant prospéré. Quelle honte !
Dès le mois de juillet dernier, nous avons proposé d’augmenter le Smic à 1 500 euros par mois et de l’indexer sur l’inflation. Le Gouvernement a dit non. Les macronistes ont voté contre, main dans la main avec Les Républicains et le Rassemblement National, qui joue la comédie du soi-disant ami du peuple à la télé et dans les journaux. Quelle honte !
Pourtant, les grèves se multiplient. Les grévistes réclament une augmentation des salaires. Chez Total, chez Geodis, dans les transports, chez Monoprix, dans le commerce, partout la colère monte ! Les salariés veulent leur part du « quoi qu’il en coûte ». Ils réclament le droit à une vie digne. Ils n’en peuvent plus de votre mépris et de votre blabla continu.
Cessez ce mépris insupportable ! Faire passer le Smic à 1 600 euros net n’est pas du luxe, c’est une urgence ! C’est une question de dignité humaine ! Augmentez le Smic à 1 600 euros ! Pensez aussi aux salariés !
Mme Isabelle Valentin (LR). Monsieur le rapporteur, nous considérons nous aussi que le travail doit payer plus. La lutte contre la précarité, la revalorisation des salaires et l’augmentation du pouvoir d’achat sont des sujets sur lesquels nous sommes tous pleinement actifs et engagés.
La présente proposition de loi prévoit une hausse de presque 300 euros du Smic net et l’instauration d’une caisse de péréquation pour soutenir les PME par un prélèvement sur les grandes entreprises. Une telle hausse du Smic serait inédite dans notre histoire. Elle ne pourrait pas être absorbée par le tissu économique, notamment dans ce contexte de crises qui se succèdent.
En raison du surcoût de l’énergie, nos entreprises sont fragilisées sur les marchés et perdent en compétitivité. Une telle hausse du Smic mettrait en danger le tissu des TPE et des PME, ce qui aurait un effet désastreux sur l’emploi. Il en résulterait inévitablement une hausse du chômage et des faillites d’entreprises. Le modèle social français n’existe que si les entreprises fonctionnent.
La question du salaire est cruciale. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Le travail doit payer mieux pour tous les salariés. Nous sommes attachés à la revalorisation des rémunérations et du pouvoir d’achat. Il existe des outils pour ce faire, grâce notamment à la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, sans menacer l’activité des entreprises ni l’emploi et compromettre la réalisation du plein emploi que nous souhaitons tous.
Par ailleurs, l’indexation automatique du Smic sur l’inflation est déjà engagée, grâce à des mesures économiques fondées sur des réalités permettant de réguler ce phénomène, afin que les entreprises continuent de produire et que l’emploi progresse.
La présente proposition de loi est très populiste, et surtout très dangereuse. L’effet produit serait contraire à celui qui est recherché, notamment pour les TPE et les TME, qui représentent 90 % des entreprises. Avec 3 milliards d’euros de dettes, les marges de manœuvre sont minces. Si nous sommes d’accord sur la nécessité de lutter contre la précarité, nous divergeons sur les moyens à employer.
Le groupe Les Républicains votera contre la proposition de loi.
M. Nicolas Turquois (Dem). Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi vise à augmenter le Smic de 22 %, à 1 600 euros nets. C’est une version actualisée du Smic à 1 500 euros de votre candidat malheureux à la présidentielle. Nous partageons vos constats sur la difficulté dans laquelle se trouvent nos concitoyens qui vivent avec le Smic. C’est bien notre seul point d’accord.
Cette augmentation brutale aura un tel impact psychologique sur les employeurs, en dépit des promesses de compensation, qu’elle aura rapidement un effet très fort sur l’emploi. Pour les investisseurs étrangers que nous avons su attirer au cours des dernières années, la sanction sera immédiate et sans retour. Votre proposition de loi sera d’abord la garantie d’une augmentation substantielle du chômage.
Par ailleurs, elle écrasera complètement l’échelle des salaires, ruinant en quelques instants les efforts des salariés pour progresser et ceux des employeurs pour rémunérer la compétence et la prise de responsabilité. Elle aura un effet désincitatif très fort.
Depuis cinq ans, nous menons une lutte de chaque instant contre le chômage, qui rend leur dignité à ceux qui retrouvent un travail et crée les conditions de l’augmentation des salaires, par la mise en compétition des employeurs pour recruter, comme chacun peut le constater dans de nombreux territoires. Il en résulte une augmentation structurelle, et non artificielle, des salaires.
Quant à la forme de votre rapport, elle est scandaleuse. Vous faites croire qu’il existe des augmentations magiques de salaires. Une telle décision doit reposer sur des travaux significatifs, argumentés et étayé. Où sont les estimations précises des prélèvements sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros ? Nul n’en sait rien. Comment prévoyez-vous sa mise en œuvre ? Par un décret en Conseil d’État, alors même que vous reprochez au Gouvernement de légiférer par ordonnances ! Concernant les fonctionnaires, où sont les chiffrages ? On ne trouve que de vagues correspondances entre le besoin et le rétablissement de l’ISF.
Ces approximations sont à l’image du travail mené sur cette proposition de loi, c’est‑à‑dire quasi nul. Vous avez procédé à deux auditions en tout et pour tout, ce qui est assez peu, il faut bien en convenir, pour justifier une décision aussi radicale, d’autant qu’elles ne figurent même pas dans votre rapport. J’ai voulu assister à l’une d’entre elles, mais elle n’était pas accessible par visioconférence.
Bref, nous n’approuvons pas le fond de la proposition de loi et nous en déplorons la forme. Tout cela n’est que mirage et illusion.
M. Gérard Leseul (SOC). Visiblement, notre pays, et certains de nos collègues en particulier, ont un problème avec la rémunération du travail. De trop nombreux Françaises et Français se lèvent tôt pour faire des métiers difficiles et pénibles, qui sont essentiels au fonctionnement de la société mais trop peu considérés et mal rémunérés.
Comment peut-on penser qu’un travailleur rémunéré au Smic, soit 1 329 euros nets par mois, dispose d’un pouvoir d’achat suffisant pour vivre décemment de son travail ? Supérieur au seuil de pauvreté d’à peine 200 euros, le salaire minimum n’est guère plus qu’un salaire de subsistance. Dans le contexte d’inflation galopante que nous connaissons, il y a urgence à revaloriser le Smic. La situation est intenable.
Les primes que l’on nous propose sont globalement inefficaces. Elles sont surtout versées aux salariés des grands groupes. Tant mieux pour eux ! Pour les travailleurs payés au Smic, rien n’est fait.
Le partage des richesses est de plus en plus inégalitaire, surtout dans les grandes entreprises. La déformation du partage de la valeur ajoutée a connu une forte inflexion en faveur du capital au cours des dernières années. Si la crise sanitaire a marqué un bref temps d’arrêt dans l’envolée des montants des dividendes distribués, la parenthèse est désormais refermée. 57 milliards d’euros de dividendes ont été versés en 2021, soit une hausse de 22 % par rapport à 2020.
Le montant du salaire minimum est insuffisant pour vivre décemment. Son rythme de croissance réelle a été divisé par dix entre 2000 et 2010. Il ne préserve pas les travailleurs qui le perçoivent de la précarité.
Les recommandations émises par le groupe d’experts chargé de se prononcer sur l’évolution du Smic sont indigentes à mes yeux. Depuis sa création en 2009, ces économistes libéraux remettent chaque année un rapport dont la conclusion est invariablement « Pas d’augmentation », assortie d’une demande d’abolition du mécanisme de revalorisation automatique. Nous proposons de revoir la composition de ce comité.
Nous défendrons de nombreux amendements à cette bonne proposition de loi, que nous voterons des deux mains.
M. François Gernigon (HOR). La proposition de loi visant à augmenter le Smic à 1 600 euros nets soulève la question des travailleurs précaires, et plus largement de la valeur travail. D’août 2021 à août 2022, le Smic a augmenté de 7,76 %. Augmenter le Smic de plus de 20 % n’est pas une bonne solution. Cela placerait les salariés rémunérés 2 050 euros bruts au niveau du Smic.
Il semble plus judicieux, notamment en cette période de pénurie de main-d’œuvre dans tous les métiers, de laisser les organisations professionnelles et les entreprises fixer elles‑mêmes les salaires en fonction de la formation et de l’implication de leurs salariés dans leur travail. À titre personnel, je me permets de formuler une suggestion : ne serait-il pas opportun de donner la possibilité aux salariés, notamment aux plus jeunes, de moduler leur temps de travail hebdomadaire au-delà de 35 heures, en assurant un gain de pouvoir d’achat grâce à l’augmentation du taux horaire de 15 % ?
Le groupe Horizons et apparentés ne soutiendra pas la proposition de loi.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). C’est au nom de Sébastien Peytavie que je présenterai la position de notre groupe.
Souvenez-vous des messes d’applaudissements depuis nos fenêtres, auxquelles nous avons toutes et tous participé au plus fort de la crise du coronavirus, pour faire honneur au personnel soignant : des aides à domicile aux hôtesses de caisse en passant par les assistantes maternelles, la pandémie a mis en lumière le manque de reconnaissance des travailleuses et des travailleurs de première ligne, des essentiels de l’ombre, et leur faible rémunération.
Ces métiers, majoritairement exercés par des femmes, dont certaines issues de l’immigration, sont parmi les plus dévalorisés et les plus précaires dans le monde du travail. Ils sont les premiers à pâtir de la crise du pouvoir d’achat. Si les secteurs du transport ou du service à la personne manquent cruellement de personnel, c’est bel et bien parce qu’ils proposent des salaires de misère pour des conditions de travail déplorables.
Il est grand temps, en pleine crise économique, de passer des symboliques applaudissements aux actes politiques de reconnaissance et de rémunération dignes des personnes qui prennent soin de nos enfants, de nos parents et de la société tout entière. Nos collègues de la droite de l’hémicycle se sont fait les chantres de la valeur travail. Fort bien ! Je les invite donc, notamment celles et ceux dont les groupes ont donné des ministres qui semblent à mille lieues, donc à trois Smic, de la réalité, à soutenir l’augmentation du Smic pour qu’enfin le travail paie dignement.
Cette valeur travail que vous brandissez paie 2,63 euros la course des chauffeurs Uber et 3,11 euros la garde d’enfants par une assistante maternelle, dans un pays dont les cinq citoyens les plus riches possèdent autant que les 40 % de citoyens les plus pauvres.
Chaque jour est une preuve supplémentaire que le capitalisme a fait du travail un instrument d’exploitation des plus vulnérables d’entre nous et de la planète. Selon 93 % des Français, le travail ne paie pas assez. La présente proposition de loi invite plus largement à sortir de la logique aliénante du vivre pour travailler. Nous la voterons.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). D’après une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), plus de 2 millions de Français étaient payés au Smic au 1er janvier 2021, soit 12 % des salariés du privé. En 2022, le cumul des revalorisations du Smic a atteint 5,65 %, ce qui n’en résorbe pas la faiblesse en ces temps d’augmentation des coûts. Il est bien en dessous du niveau permettant d’assurer un minimum décent à ses bénéficiaires. La pauvreté ressentie, ou le seuil de pauvreté subjectif moyen, est d’environ 1 300 euros net.
D’après une enquête réalisée en 2021 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, les Français jugent que le revenu minimal pour vivre devrait être de 1 719 euros net. C’est dire si avec 1 329 euros par mois, soit un Smic net, on ne vit pas bien ; on est de plus en plus souvent dans des situations d’impayés de loyer, en précarité énergétique ; on renonce à des soins, on rogne sur l’éducation des enfants ou les vacances.
Il est urgent que le Smic augmente de façon significative. Le travail doit être respecté et rémunéré. Or le sport favori du Gouvernement et du Medef consiste à prôner la « modération salariale » pour maintenir des dividendes prospères. Aucune prime ne peut répondre aux besoins. Les primes désocialisées contournent les salaires, asphyxient les négociations salariales et désespèrent les salariés de voir leur travail payé à sa juste valeur, protection sociale comprise.
Porter le Smic à 1 600 euros net, c’est répondre aux besoins avérés des salariés au Smic, dont beaucoup sont des femmes, pour vivre mieux et satisfaire leurs besoins fondamentaux – se loger, se soigner, s’alimenter, se cultiver. Cette mesure doit être associée à des mesures ciblées pour les TPE-PME. Elle devra obliger à des négociations dans les entreprises visant à augmenter les salaires de tous les salariés. Nous continuons de demander une grande conférence des salaires, le recours à l’échelle mobile des salaires et l’instauration d’un rapport maximum entre le revenu le plus bas et le revenu le plus haut dans l’entreprise.
Nous voterons la proposition de loi.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Didier Martin (RN). L’augmentation du Smic à 1 400, 1 500 ou 1 600 euros a été repoussée par une majorité de Français. Vous devez en prendre acte, monsieur le rapporteur. Certes, les TPE et les PME concentrent l’essentiel des emplois payés au Smic, mais y travailler avec 200, 300 ou 500 euros en plus par mois, cela compte. C’est aussi, pour le chef d’entreprise, une façon de fidéliser son personnel.
L’adoption de la proposition de loi supprimerait toute possibilité de modulation pour les PME. Or elles connaissent, dans la conjoncture actuelle, une augmentation considérable de leurs charges, notamment des dépenses d’énergie. Pour les boulangers, pour les traiteurs, pour les confiseurs, qui sont fortement sollicités en cette fin d’année, absorber une telle augmentation du Smic est impossible.
Les contours de la péréquation que vous proposez pour financer une forme de solidarité redistributive sont mal définis — entre 10 et 20 milliards d’euros, avez-vous dit. Les PME n’en voudront pas. Elles n’y croiront pas, et elles ne voudront pas augmenter leurs salariés avec de l’argent des grandes entreprises.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Au-delà de l’amélioration de la situation des salariés, la présente proposition de loi a un effet de clarification au sein de cette commission, dont aucun des membres n’imagine vivre avec 1 600 euros par mois. La dignité consiste à ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas que les autres nous fassent.
Les membres du groupe Renaissance disent : « Nous croyons au dialogue social ». Au sortir de la crise du covid, pendant laquelle le Président Macron s’était engagé à ne pas oublier « des femmes et des hommes que nos économies rémunèrent si mal », Élisabeth Borne, alors ministre du travail, avait dit : « Nous faisons confiance au dialogue social ». Déjà ! Quel en a été l’effet pour les agents d’entretien, les ouvriers de l’industrie agroalimentaire, les auxiliaires de vie sociale et les autres ? Nul.
Vous nous avez dit cet été : « Il n’y aura pas de hausse de salaire, mais il y aura des primes ». La prime Macron a été versée à 700 000 salariés, sur les dizaines de millions que compte le pays, pour un montant moyen de 710 euros, soit moins de 60 euros par mois. Soit nada.
L’effet de clarification vaut aussi pour le Rassemblement National, qui refuse de relever le Smic et d’indexer les salaires sur l’inflation. Et lorsque nous suggérons de rétablir l’ISF, c’est encore non, au motif qu’il ne faut pas toucher la classe moyenne ! À 1,3 million d’euros de patrimoine, c’est une étrange classe moyenne ! Quel ouvrier, quel employé a 1,3 million d’euros de patrimoine ?
M. Paul Christophe (HOR). Monsieur le rapporteur, j’aimerais vous poser une question permettant de compléter notre lecture de votre proposition de loi. Depuis plusieurs mois, nous travaillons pour endiguer les effets de l’inflation sur les ressources de nos concitoyens. Avez-vous modélisé, à défaut de les chiffrer, les effets qu’aurait la hausse du Smic que vous proposez en matière d’inflation ?
Je prends souvent l’exemple de mon boulanger, avec lequel je discute régulièrement. Ses charges de personnel représentent un peu plus de 50 % de ses coûts de production. Si la minoterie qui l’approvisionne augmente les salaires, il devra en outre la payer davantage. Il est donc probable que le prix de la baguette proposée à la vente augmente.
Mme Claire Guichard (RE). Le chiffre avancé par Mme Rousseau à propos des assistantes maternelles est faux. Elles travaillent en moyenne 195 heures par mois et gagnent 4,27 euros net par heure. En outre, les parents fournissent les repas et les couches. Nous sommes loin des 3,11 euros que vous avez avancés, madame Rousseau.
Je vous suggère de vérifier vos chiffres. Les miens m’ont été fournis par la présidente d’une association rassemblant plus de 500 assistantes maternelles. Ils sont bons.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Face à la pénurie d’emplois et aux démissions récurrentes dans certains secteurs – particulièrement celui du soin – deux stratégies sont possibles.
La première consiste à mettre le couteau sous la gorge des personnes au chômage, pour les obliger à accepter un emploi. C’est la réforme de l’assurance chômage que vous avez conçue. Elle est complétée par des exonérations massives de cotisations sociales qui créent une trappe à bas salaires. L’échelle des salaires est spécifique en France par rapport au reste de l’Europe, précisément parce que les employeurs ont intérêt à continuer à rémunérer les salariés au niveau du Smic.
La seconde stratégie aurait été d’améliorer les conditions de travail, d’augmenter les salaires et de diminuer les temps partiels subis. Cela aurait permis de faire progresser l’ensemble des salaires. Cette proposition de loi va dans ce sens et nous la soutiendrons fortement.
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Depuis soixante-dix ans, on explique que les hausses du Smic sont impossibles – jusqu’à ce qu’elles aient lieu sans qu’advienne l’hiver nucléaire annoncé.
Le Smic contribue-t-il à la baisse des inégalités ? La réponse est tout à fait positive. Depuis 1990, le Smic annuel à plein temps a augmenté plus vite que le salaire moyen ou médian – à l’exception d’une très légère baisse intervenue à partir de 2003 et ensuite compensée.
Le Smic protège-t-il de la pauvreté ? Oui également. La mise en place des 35 heures à partir de 1999 a entraîné une hausse fulgurante du Smic et la part des travailleurs pauvres a baissé de 4 points. Le Smic a rempli son rôle de protection des travailleurs et, grâce à lui, la France est l’un des rares pays en Europe qui parvient à maintenir le niveau des salaires par rapport aux gains de productivité. Lors des variations de conjoncture économique, cet amortisseur social permet en effet d’éviter le décrochage des salaires – comme celui qu’on a pu constater en Allemagne. Ce pays nous montre le chemin à suivre : alors qu’il battait des records en matière de bas salaires, le Smic y a été créé il y a moins de dix ans et il a depuis lors connu une hausse de 50 %.
Le Smic est-il défavorable à l’emploi non qualifié ? Non. Sur une période de trente ans, il n’y a aucun lien entre les évolutions du Smic et de l’emploi non qualifié. C’est même lorsque le coût relatif du Smic baisse le moins que l’emploi non qualifié augmente.
Cette proposition de loi est un très bon texte, qu’il faut adopter.
M. Sébastien Delogu (LFI - NUPES). Quand donc un député présent dans cette commission s’est-il cassé le dos la dernière fois après avoir, pendant toute une journée, creusé une route, fait le ménage dans des chambres d’hôtel ou conduit un camion, avant de rentrer chez lui en devant choisir entre le plein d’essence ou acheter à manger pour ses enfants ?
En France, huit millions de personnes sont contraintes de recourir à l’aide alimentaire, douze millions rencontrent des difficultés pour se chauffer et dix millions vivent en dessous du seuil de pauvreté. L’augmentation du Smic n’est pas une aumône, c’est une mesure minimale de décence.
Le Rassemblement National n’est pas favorable à l’augmentation du Smic. Pour notre part, nous la demandons pour tous les travailleurs qui en ont besoin.
M. Arthur Delaporte (SOC). Lors de la marche pour le climat à Caen le week-end dernier, j’ai pu échanger avec des grévistes de Domidom, que je soutiens depuis maintenant quatre semaines. Ces courageuses auxiliaires de vie à domicile étaient en première ligne pendant le covid mais n’ont pas touché la prime Ségur. Elles gagnent 11,07 euros de l’heure et n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois, surtout parce que la hausse des prix de l’énergie n’est pas compensée par celle de leurs indemnités kilométriques.
Des millions de Français vivent aussi cette réalité. Cette proposition de loi est juste : le travail doit payer.
Une réforme horrible de l’assurance chômage a été voté hier. Elle consiste à dire que les gens doivent retourner travailler. Mais à quel prix ? Les travailleurs au Smic payent actuellement pour aller travailler. Cette proposition de loi n’est qu’une étape vers la revalorisation des carrières les plus difficiles – particulièrement pour les femmes qui peinent à nourrir leur famille et à se loger. Nous la soutenons évidemment.
Mme Caroline Janvier (RE). Je suis lassée par les arguments que vous ne cessez d’employer, comme si vous étiez les seuls à incarner ceux qui travaillent et ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté. Vous ne connaissez pas nos parcours personnels. J’ai été aide à domicile, j’ai fait des ménages, j’ai connu les difficultés des salariés qui exercent ces métiers. Nous sommes beaucoup dans ce cas. Il faut cesser d’être caricatural.
Nous pensons que cette proposition de loi aboutirait à détruire des emplois. Nous ne souhaitons pas adopter votre démarche, qui relève d’une forme de charité – à la manière de la comtesse de Ségur qui donnerait un peu plus d’argent à des gens dont la situation est difficile.
C’est en défendant leur emploi et la possibilité de gagner dignement et mieux leur vie que nous apporterons des solutions concrètes. Il faut arrêter avec les histoires à la Cosette.
M. Jérôme Guedj (SOC). Lorsque l’un d’entre nous se fait le porte-voix d’une catégorie de la population, avec des exemples précis, on nous reproche de jouer les Cosette. Mais il ne s’agit pas d’avoir un argument d’autorité. Comme vous, nous sommes les dépositaires de la parole de nos concitoyens. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, nous explique à longueur d’interventions qu’il connaît l’hôpital. Mais nous le connaissons autant que lui, en tant qu’utilisateurs du service public hospitalier et grâce aux témoignages de nos concitoyens sur les difficultés qu’ils rencontrent. Les relayer n’est pas une attaque personnelle, c’est exercer notre rôle de parlementaires. Si nous ne le faisions pas, notre approche serait déshumanisée et éthéré.
Nous soutenons cette proposition de loi qui, par-delà l’augmentation du Smic, permet d’engager le beau débat sur l’utilité sociale des métiers rémunérés au salaire minimum. Nous aurons reconnu celle-ci et fait œuvre utile si nous revalorisons le Smic.
M. Philippe Vigier (Dem). Vous n’avez pas le monopole du cœur. Nous pouvons aussi avoir eu des parcours difficiles. J’ai travaillé le dimanche pour financer mes études. Ne faites pas constamment des leçons de morale à ceux qui savent ce qu’est l’ascenseur social. Nous sommes au contact de la population comme vous et nous rencontrons aussi des demandeurs d’emploi.
Monsieur Delaporte, vous avez étudié comme moi la question du Smic allemand avec attention, et vous savez très bien qu’il a dépassé le Smic français seulement depuis quelques mois. Dans le secteur agricole, les salaires en Allemagne ont pendant longtemps été inférieurs à 7 euros de l’heure. Reconnaissez que la France n’a pas toujours été le dernier wagon.
Qui n’a pas envie de donner davantage de pouvoir d’achat ? Mais il faut que cela soit possible.
Madame Rousseau, j’ai dit à la tribune de l’Assemblée que la revalorisation des rémunérations des soignants n’était qu’une première étape.
Regardons les chiffres : il y avait 10 % de chômage sous une autre majorité, il y en a 7,3 % aujourd’hui.
M. Thibault Bazin (LR). On voit bien quels sont les effets positifs apparents d’une augmentation du Smic. Mais dispose-t-on d’une évaluation de son impact négatif, notamment pour les entreprises qui n’ont pas beaucoup de marges de manœuvre car elles ne peuvent pas répercuter l’augmentation des coûts salariaux sur leurs prix ? N’y a-t-il pas un risque de suppressions d’emplois dans certains secteurs tendus ? La mesure proposée se retournerait contre les travailleurs.
Augmenter le Smic peut également avoir pour effet d’écraser les grilles salariales, au détriment des personnes méritantes qui sont par exemple devenues agents de maîtrise. Cette forme de nivellement reviendrait sur la promotion sociale au sein de l’entreprise.
M. le rapporteur. Peu habitué à cette commission, je suis tenté de dire : « Affaires sociales, tu perds ton sang-froid. » J’ai adopté un style modéré, mais des collègues me sautent à la gorge en me reprochant d’être populiste. Je l’assume : je préfère être populiste que populophobe.
J’ai bien compris que l’argument sur la méthode de travail était destiné à me flétrir, cher Nicolas Turquois. Si nous disposions du ministère du travail et du ministère des finances, nous pourrions procéder à des évaluations plus précises.
Notre démarche part en effet du présupposé qu’il y a un problème dans notre pays : cinq personnes possèdent autant que les 40 % les plus pauvres, et l’écart s’est creusé davantage depuis dix-neuf mois que durant les dix années qui ont précédé.
Il y a cinq ans, vous avez supprimé l’ISF. Le Président de la République avait alors déclaré qu’il reviendrait sur cette mesure si l’effet de ruissellement ne se produisait pas. Des études ont prouvé qu’il n’avait pas eu lieu. Au fond, et c’est tout à votre honneur, vous étiez aussi parti d’un présupposé idéologique pour déterminer une politique. Permettez que je le fasse également, en m’appuyant sur l’idée qu’il est temps de poser la question salariale. Je ne suis pas favorable à une économie totalement administrée, mais l’augmentation du Smic par la puissance publique va permettre de discuter de l’ensemble des grilles salariales. Vous dites qu’il faut faire confiance au dialogue social, mais quel bilan peut-on en tirer après ces cinq années durant lesquelles vous avez été au pouvoir ? Je n’ai pas le sentiment que le patronat ait ouvert des discussions sur les salaires à votre invitation.
Comment faire pour donner une impulsion à ces discussions ? Pour notre part, nous pensons qu’il faut une intervention politique, en se dotant d’outils de solidarité et de péréquation. Pourquoi les petits salaires sont-ils particulièrement concentrés dans les TPE et les PME ? Les grands groupes leurs délèguent nombre d’activités précisément parce qu’ils ne veulent pas augmenter les salaires. On ne doit pas être indifférent à ce phénomène. D’où l’idée de solidarité.
Nous pourrions aussi discuter de l’opportunité du maintien des exonérations Fillon. Les exonérations de charges salariales n’ont-elles pas créé des trappes à Smic dans beaucoup d’entreprises ?
Marc Ferracci met en avant les primes salariales. Dont acte. L’honneur d’un salarié, c’est que son travail lui assure une vie digne. Avec une prime, vous reconnaissez que le Smic ne permet pas d’avoir une telle vie et qu’il faut que la puissance publique intervienne. Vous dites : « primes ». Nous répondons : « salaires ». Nous avons eu ce débat en juillet dernier ; c’est un désaccord politique.
Mme Valentin a estimé qu’une telle augmentation du Smic ne s’était jamais produite. Ce n’est pas vrai : en 1968, le Smic a été augmenté de 35 % et l’économie française ne s’est pas effondrée. C’est plutôt un moment heureux, qui demeure dans la conscience sociale.
Mme Lavalette, au nom du Rassemblement National, juge qu’il faut baisser les cotisations patronales. Mais à quoi servent-elles? Elles alimentent les organismes de sécurité sociale, dont les caisses de retraite. Avec ces exonérations de cotisations, vous vous en prenez à des acquis sociaux du monde du travail. Le salarié récupèrera peut-être 150 euros à la fin du mois, mais vous affaiblissez tous les organismes qui assurent sa protection sociale. C’est une entourloupe, qui vise à ne pas modifier la rémunération du capital et du travail alors que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes. À moins que dans votre esprit ce soit encore une fois à la puissance publique d’intervenir. Vous seriez au fond partisans d’une économie étatisée, comme en Union soviétique. Dès qu’on discute des salaires, vous vous retrouvez avec nombre de collègues de Renaissance et des Républicains – de la même façon que vous nous reprochez de vouloir rétablir l’ISF.
M. Paul Christophe m’a interrogé au sujet de l’inflation. Personne ne sait comment les prix vont évoluer. Pourtant, cela n’a pas empêché le Gouvernement d’agir cet été. On vote souvent des mesures sans savoir parfaitement quels en seront les effets. Vous l’avez fait en supprimant l’ISF ou en mettant en place la prime d’activité. La mesure que nous proposons aura sans doute un effet inflationniste dans certains secteurs. Mais, d’une part, l’augmentation du pouvoir d’achat permettra à certains Français de mieux y faire face et, d’autre part, nous proposons un mécanisme de solidarité pour aider les TPE et PME.
Il est sain d’avoir cette discussion au sein de la commission des affaires sociales, à condition d’éviter les mots blessants lorsque nous avons des désaccords politiques.
Je remercie les collègues de La France insoumise, du Parti communiste français, d’Europe Écologie-Les Verts et du Parti socialiste qui soutiennent cette proposition de loi et qui ont déposé des amendements pour l’enrichir.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Rendons à César ce qui est à César : la prime d’activité a été instaurée durant le quinquennat de François Hollande – ce qui ne veut pas dire qu’il ne fallait pas le faire.
Article 1er : Fixation du montant mensuel minimal du Smic à 2 050 euros brut et garantie de la soutenabilité financière pour toutes les entreprises
Amendement AS19 de Mme Prisca Thevenot.
M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement a pour objet de reporter l’application de la mesure au 1er janvier 2028. Cela peut s’apparenter à un amendement de suppression, en tout cas pendant la durée de cette législature.
Il s’agit d’engager une réflexion sur la pertinence de fixer dans la loi le niveau du salaire minimum, en s’asseyant sur les mécanismes d’indexation et sur le dialogue social. Durant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon proposait de porter le Smic au minimum à 1 500 euros. On voit qu’en quelques mois ce montant a déjà évolué.
Contrairement à une idée fausse, le dialogue social fonctionne. On le voit avec les négociations qui ont abouti ces derniers mois dans certaines branches professionnelles à des augmentations supérieures à celles que vous proposez. Dans la branche des hôtels-cafés-restaurants, les salaires ont augmenté de 16 % à la fin de 2021 – et même de 30 % pour les métiers dont les niveaux de qualification sont les plus bas.
La dignité du travail a été évoquée. Il faut aussi penser à celle de ceux qui sont privés d’emploi. Le chômage, c’est la perte de l’estime de soi, mais aussi davantage de maladies et de dépressions. Les destructions d’emplois provoquées par votre proposition de loi produiront plus d’effets collatéraux de ce type.
M. le rapporteur. Vous avez-vous-même reconnu qu’il s’agissait en fait d’un amendement de suppression. L’augmentation du Smic serait reportée en 2028, soit après l’échéance de 2027.
On m’a reproché de manquer de précision, mais je ne comprends pas votre argument. Conserver une augmentation du Smic à 1 600 euros en 2028 revient à croire que l’inflation annuelle resterait limitée à 3,5 % d’ici à cette date. Or le rythme d’inflation actuel portera le Smic au-delà du montant de 1 600 euros par le simple fonctionnement du mécanisme d’indexation.
Cet amendement n’est pas pertinent et il repousse à plus tard une mesure qui est urgente.
Avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Ce débat est lié à des choix commis par le Gouvernement en 2019. C’est bel et bien sous le quinquennat d’Emmanuel Macron qu’a été supprimé l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Il calculait tous les ans le budget de référence nécessaire pour mener une vie digne. Dans son dernier rapport, il l’avait estimé à 1 908 euros par mois pour une personne vivant avec deux enfants. Avec cette proposition de loi, nous l’estimons à au moins 2 050 euros bruts par mois.
Vous proposez le report à 2028 de cette mesure. Mais cela signifie-t-il que vous vous engagez à augmenter le Smic de 3,5 % chaque année jusqu’à cette date ? Si tel est votre programme, je m’en félicite – même si c’est largement insuffisant.
M. Gérard Leseul (SOC). Je salue la cohérence de cet amendement dilatoire de la majorité.
Vous envisagez une inflation assez haute, mais elle ne se traduira pas mécaniquement par une augmentation du Smic, car cette dernière relève d’un comité d’experts dont la majorité épouse complètement la position doctrinale. Depuis 2009, il n’a pas varié : pas de coup de pouce pour le Smic. Il s’est même prononcé récemment contre les augmentations automatiques liées à l’inflation. Allez-vous jusque-là, en disant qu’une augmentation du Smic serait souhaitable mais qu’elle n’est pas réalisable ? Cela n’est pas raisonnable.
Le dialogue social au sein de la branche hôtels-cafés-restaurants a permis une augmentation de 16 % des salaires. Cette négociation a d’ailleurs eu lieu à peu près au moment où nous discutions ici même d’une augmentation du Smic à 1 500 euros, que la majorité repoussait avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui. Je souhaiterais qu’un véritable dialogue social soit organisé, y compris au sein du comité d’expert – où devraient siéger des représentants syndicaux.
M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement ne remet en rien en question les mécanismes d’indexation du Smic, à la fois sur les prix et sur les salaires – la France est le seul pays qui indexe son salaire minimum sur ces deux éléments. L’amendement ne revient pas non plus sur la possibilité pour le Gouvernement de donner un coup de pouce au Smic.
Il s’agit simplement de repousser à la prochaine législature l’application de la mesure proposée d’un Smic à 1 600 euros net, afin qu’un débat politique puisse avoir lieu.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS16 de Mme Michèle Peyron.
M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement d’appel est le premier d’une série qui visent à montrer de manière très documentée quels seraient les effets de l’augmentation du Smic sur l’emploi dans certaines branches professionnelles.
On a souvent tendance à écarter la question des effets sur l’emploi et à ne pas savoir les mesurer. Beaucoup d’études ont porté sur la sensibilité de l’emploi au niveau du Smic, et plus généralement du coût du travail.
Pour la branche hôtels-cafés-restaurants, les effets d’un Smic à 1 600 euros net sont plutôt massifs, y compris en retenant des hypothèses prudentes de sensibilité et sans intégrer la répercussion sur l’ensemble de l’échelle des salaires – alors qu’on sait que cet effet intervient sur les salaires allant jusqu’à deux Smic. Pour cette seule branche, 15 000 emplois seraient détruits, ce qui doit faire réfléchir.
M. le rapporteur. Reconnaissez que dans 75 % des branches, il n’y a pas eu de négociations sur les grilles de salaires, et donc pas de dialogue social.
L’exemple de la branche hôtels-cafés-restaurants est piquant, car il s’agit précisément de celle où a eu lieu la plus forte augmentation des salaires – 16 % ! C’est donc possible.
Sur quelles données vous appuyez-vous ? Sur une étude très partielle de l’Institut Montaigne, dont vous avez multiplié par deux les résultats ? L’exposé sommaire de l’amendement évoque plus de 22 000 emplois détruits. Tout cela n’est pas très rigoureux.
Et votre modèle ne prend pas en compte la caisse de péréquation inter-entreprises dont nous proposons la création. Je ne nie pas que l’augmentation du Smic aura un effet. Mais nous prévoyons que les entreprises qui ont particulièrement profité des politiques menées ces dernières années et de la conjoncture aident les petites entreprises – qui sont parfois leurs sous‑traitants – à augmenter les salaires.
J’ai bien compris que cet amendement vise à engager le débat. C’est la raison pour laquelle je n’insiste pas sur son caractère anticonstitutionnel : on ne peut pas exclure du dispositif telle ou telle branche.
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Jusqu’en novembre dernier, on nous expliquait qu’il était impossible d’augmenter les salaires dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Or, au terme d’un rapport de forces de quelques mois, les salariés de cette branche ont obtenu une rémunération minimum supérieure de 5 % au Smic et 16 % d’augmentation générale.
Votre amendement s’appuie sur une estimation faite sur un coin de table, qui méconnaît de nombreux paramètres du secteur. L’un deux est sa grande sensibilité au pouvoir d’achat des clients : en augmentant le Smic, on augmente directement la consommation. Par ailleurs, une bonne partie des rémunérations dans cette branche ne sont pas déclarées. L’augmentation du Smic est aussi un moyen de les régulariser.
D’un point de vue moral, pourquoi estimez-vous que les salariés de l’hôtellerie et de la restauration devraient être moins payés que les autres ? En quoi ont-ils démérité ? Ce secteur est l’un des plus accidentogènes. On y souffre beaucoup. Chaque année, 680 000 jours de travail y sont perdus en raison de l’organisation de l’activité productive. En dépit de tout cela, vous voulez que les salariés de ce secteur soient pénalisés. Je ne comprends pas ce que vous leur reprochez.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Environ 110 branches ont des minima conventionnels inférieurs au Smic, soit en effet 75 % des branches.
La loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat autorise le ministre du travail à procéder à la fusion administrative d’une branche qui ne garantirait pas de minima conventionnel à hauteur du Smic pour les salariés sans qualification. Il faut utiliser activement ce nouvel outil pour régler la question des minima conventionnels et, plus généralement, pour inciter les branches à négocier au sujet des grilles des salaires afin d’éviter leur tassement.
M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement a bien entendu pour objectif d’éclairer le sujet de l’emploi.
Je suis tout à fait d’accord avec M. Clouet lorsqu’il estime qu’il faut prendre en considération les spécificités du secteur de l’hôtellerie-restauration. Et en particulier le niveau de productivité et la difficulté pour les entreprises de répercuter les hausses du coût du travail sur leurs prix. C’est la raison pour laquelle nous avons retenu le bas de la fourchette des résultats obtenus sur la base de paramètres généraux.
Ces estimations des effets sur l’emploi n’ont pas été faites sur un coin de table ou par un institut comme l’Institut Montaigne. Il s’agit de travaux menés dans un cadre académique par des chercheurs qui se sont intéressés à la relation de causalité entre le coût du travail et l’emploi. Il faut respecter leur travail et les résultats de la littérature économique sur le sujet.
L’honnêteté me conduit d’ailleurs à dire que quelques études – très rares – concluent à un impact positif du Smic sur l’emploi, dans le cas très particulier où il permet de résoudre un défaut d’offre de travail. Telle n’est absolument pas la situation en France, où le salaire minimum est plus élevé que dans le reste de l’Union européenne et représente 62 % du salaire médian. C’est la raison pour laquelle les estimations présentées à l’occasion de cet amendement et des suivants sont malheureusement prudentes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS18 de Mme Michèle Peyron.
Mme Michèle Peyron (RE). Cet amendement vise à exempter la branche commerce de gros de la hausse du Smic à 1600 euros net.
Cette hausse se traduirait en effet par une augmentation d’environ 22 % du salaire net au premier échelon de la grille de cette branche. Au regard des effectifs de celle‑ci – 389 100 salariés en 2020 – et sans même tenir compte du rehaussement progressif des échelons suivants de la grille qu’engendrerait la hausse du Smic, cela se traduirait par une baisse de l’emploi comprise entre 8 600 et 12 900 emplois, même sous des hypothèses prudentes concernant le nombre de salariés au premier échelon de la branche et la sensibilité de l’emploi au coût du travail.
M. Gérard Leseul (SOC). Il serait utile de connaître les sources de cette proposition. Qui sont les chercheurs et quelles sont les études qu’ils ont réalisées ? Pourriez‑vous nous présenter celles-ci, afin de mieux comprendre d’où viennent les chiffres de pertes d’emploi que vous avancez.
Tout cela ne me semble pas très recevable.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS20 de M. Marc Ferracci.
M. Marc Ferracci (RE). Il s’agit d’appliquer les mêmes principes à la branche hospitalisation privée. En séance, nous aurons l’occasion d’expliquer ces estimations qui consistent à affecter aux salariés du premier échelon le résultat d’études existantes, selon l’hypothèse la plus prudente, pour en déduire l’incidence que pourrait avoir l’augmentation du salaire minimum.
M. le rapporteur. Il y a eu de nombreux débats sur l’hospitalisation privée, notamment après que des groupes ont été épinglés par des enquêtes journalistiques, et sur le business que cela représente – la mission d’information de ma collègue Caroline Fiat sur les Ehpad l’a montré. Il y a urgence à ce que, au minimum, les salaires de cette branche soient relevés. Nous en parlerons en effet dans l’hémicycle.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il y a une exigence morale à payer dignement toutes les personnes – aides-soignantes, auxiliaires de vie, etc. –, qui travaillent dans les Ehpad, les cliniques, les maternités : 1 600 euros sont un minimum. Il n’est pas question de demander la charité, d’évoquer Cosette ou la comtesse de Ségur, madame Janvier : il s’agit simplement de pouvoir vivre décemment de son métier.
Au-delà de la question morale, se pose celle de l’organisation de notre société : un travail aussi dévalorisé produit du chaos. Les gens quittent le monde du soin, où les contraintes, très fortes, réclament un engagement permanent. Ils y sont venus par vocation mais celle-ci s’est usée ; ils avaient du goût pour leur métier, mais ils l’ont perdu. Ils n’ont même pas la contrepartie de la fiche de paie.
Monsieur Ferracci, je suis stupéfait de voir que vous accepteriez d’augmenter le Smic à 1 600 euros, mais pas pour les soignants. On connaît le taux de profit des Ehpad, même si à l’heure actuelle Orpea dégringole en bourse. Le minimum est que tous ceux qui y participent, y compris les sous-traitants dans l’entretien et le ménage, bénéficient d’un salaire digne, d’au moins 1 600 euros.
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Il faut démonter l’argument selon lequel la hausse du Smic ferait perdre des emplois. Il y a une pénurie de soignants dans tous les établissements de santé, qui s’explique notamment par la rémunération. Si les salaires augmentent, ce seraient plutôt 5 000 à 7 550 employés qui reviendraient. C’est pourquoi nous voterons contre votre amendement.
M. Marc Ferracci (RE). Je ne doutais pas que l’amendement soulèverait un débat spécifique à cette branche. Nous avons eu ces discussions en commission et dans l’hémicycle : l’idée de revaloriser la rémunération de tous les salariés du secteur médico-social est partagée. Lors de la précédente législature, le Ségur de la santé a d’ailleurs opéré des changements importants.
L’amendement pose la question de l’outil que l’on utilise pour atteindre ce but. Les augmentations indifférenciées, qui ne sont pas négociées à l’intérieur de la branche, font courir le risque d’une destruction d’emplois : c’est alors l’offre de soins qui se dégradera.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS23 de Mme Nicole Dubré-Chirat.
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). L’amendement vise à exempter une autre branche, celle de la restauration rapide, de la hausse du Smic à 1 600 euros net. Cette hausse se traduirait en effet par une augmentation d’environ 28 % du salaire net au premier échelon de la grille. Eu égard aux effectifs de la branche – plus de 253 000 salariés en 2020 – et sans tenir compte du rehaussement progressif des échelons suivants de la grille qu’engendrerait la hausse du Smic, entre 7 100 et 10 650 emplois disparaîtraient, selon des hypothèses prudentes concernant le nombre de salariés au premier échelon de la branche, la sensibilité de l’emploi au coût du travail et le renchérissement des coûts de l’énergie.
M. le rapporteur. Même cause, mêmes effets. Je suis en désaccord total avec cette vision, en particulier pour des secteurs non délocalisables. Nous aurons le débat dans l’hémicycle.
Avis défavorable.
M. Arthur Delaporte (SOC). Je suis choqué par cette série d’amendements et je ne comprends pas que vous les ayez déposés.
Imaginez le dégoût envers la représentation nationale qu’éprouveront les salariés des métiers les plus difficiles, les plus précaires – la restauration, les métiers du soin – où l’on peine à trouver des bras, si on décide de les exclure de la revalorisation salariale. Je mets au défi mes collègues d’annoncer à des salariés de la restauration rapide qu’ils ne seront pas concernés par une augmentation du Smic, qui touchera tous les autres salariés. C’est un scandale absolu !
M. Gérard Leseul (SOC). Je dirai comme le rapporteur : même cause, mêmes effets. Ces amendements sont plus que surprenants : c’est de la provocation par l’absurde. Nous voterons contre.
M. Éric Alauzet (RE). M. Delaporte a très bien compris le sens de ces amendements, que Marc Ferracci a expliqué et sur lesquels nous comptons nous abstenir. Le but n’est pas qu’ils soient adoptés : il s’agit de montrer les incidences d’une telle mesure sur l’emploi. Avec les pertes d’emplois, votre proposition conduit à l’effet inverse, de celui recherché. A contrario, dans l’hôtellerie et la restauration, une offre importante et des recrutements avaient entraîné des augmentations de salaire.
Si on augmente le taux de chômage, on modifie le rapport de force entre les salariés et les employeurs. Mécaniquement, on affaiblit les négociations de branche, qui conduisent à l’augmentation des salaires.
M. Sébastien Delogu (LFI - NUPES). Je ne vous attaque pas personnellement : je ne remettrai jamais en cause les parcours de vie de quiconque. Puisque notre collègue revendique son parcours de vie, c’est qu’elle sait mieux que personne qu’il n’est pas souhaitable de vivre dans ces conditions.
Nous ne faisons pas de leçon de morale – ou alors, économique. M. Ferracci parle de mérite et de dignité, mais en réalité il propose soit une misère indigne, celle du chômage, soit la misère digne et méritante d’un Smic insuffisant. Pour aider les petites et les moyennes entreprises, taxez donc les ultrariches. Cela financera la hausse des salaires : par-là, on instaurera un mécanisme et une solidarité interentreprises où les plus grosses entreprises viendront en aide aux TPE et PME.
M. Marc Ferracci (RE). De nombreux jeunes ont besoin de travailler dans la restauration rapide, notamment pour payer leurs études. Limiter l’embauche dans ces secteurs aura des conséquences concrètes sur les jeunes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS24 de M. Marc Ferracci
M. Marc Ferracci (RE). Dans un souci de compromis, je retire cet amendement, qui se fonde sur la même pédagogie que les précédents.
L’amendement est retiré.
Amendements AS9 et AS10 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). Afin d’améliorer le dispositif de caisse de péréquation interentreprises, nous proposons trois seuils distincts de chiffre d’affaires – 500 millions, 750 millions et 1 000 millions d’euros – et de tenir compte du taux d’évolution du résultat imposable moyen de l’entreprise sur les trois derniers exercices comptables.
M. le rapporteur. Ces deux amendements enrichissent le texte. Je suis très favorable au premier, qui élargit le champ des entreprises soumises à cette solidarité et ajoute un barème.
Le second appelle l’attention sur la situation de l’entreprise : il est hors de question que le mécanisme de solidarité mette à bas l’activité d’une entreprise. J’y suis également favorable.
M. Marc Ferracci (RE). Les amendements soulignent la complexité d’un tel dispositif de péréquation. La logique de cette caisse n’est pas bonne : des effets de bord considérables persisteront, même si le premier amendement est adopté.
Surtout, les entreprises doivent être distinguées selon leur productivité, non leur taille. Pour de petites entreprises productives, le mécanisme de péréquation revient à subventionner des structures qui n’en ont pas besoin. Dans le cas de grandes entreprises dont le niveau de productivité et de valeur ajoutée est plus faible, il conduit à détruire d’autant plus d’emplois.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Ces amendements ouvrent un débat majeur pour notre pays et pour la gauche. Traditionnellement, nous pensons la répartition de la valeur ajoutée entre les salariés et le capital, à l’intérieur d’une même entreprise. Or il y a aujourd’hui un système à deux vitesses avec, d’un côté, les grands donneurs d’ordres, qui captent l’essentiel de la valeur ajoutée et vampirisent l’économie, et, de l’autre, les sous-traitants et sous-sous-traitants, qui partagent les miettes restantes avec leurs salariés. L’enjeu majeur est de ne pas faire de salariés à deux vitesses, où certains ont le droit à un treizième mois et, même si ce n’est pas le paradis, se portent mieux que les employés des sous-traitants.
On voit la nécessité de construire une telle caisse de péréquation ou sécurité sociale économique, qui doit réfléchir à la répartition de la valeur ajoutée pour toute la chaîne de production. La sécurité sociale n’a pas été pensée sans erreur du premier coup : des mutuelles, des fédérations, des caisses de solidarité se sont d’abord créées. Il faut ouvrir cette voie d’une sécurité sociale économique, sans croire que l’on en a déjà toutes les clés. Que le critère retenu soit le chiffre d’affaires, la taille, la valeur ajoutée ou le taux de profit de l’entreprise, il est nécessaire de penser un équilibre dans les relations entre les donneurs d’ordres et les sous‑traitants, s’agissant en particulier de la répartition de la valeur ajoutée.
M. Didier Martin (RE). Pensons à tout cela mais aussi aux PME. Avec votre système, un traiteur employant une vingtaine d’employés, dont le chiffre d’affaires atteint 1 million d’euros mais qui voit sa facture d’énergie passer de 50 000 à 150 000 ou 250 000 euros, devrait augmenter ses salariés payés au Smic et contribuer à la caisse de péréquation, pour des entreprises en plus grande difficulté. L’entreprise ne sera plus viable : vous l’assassinez avec une telle mesure ! Cela aura pour conséquence une perte d’emplois directs.
M. le rapporteur. Vous n’avez visiblement pas lu les amendements. Ils visent des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 millions.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis elle rejette l’article 1ernon modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS1 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). Il s’agit de réduire le montant des allégements de cotisations sociales accordées aux entreprises dont le salaire minimum conventionnel est inférieur au Smic. Un délai de six mois est prévu, afin qu’elles aient le temps de converger vers ce niveau. Cet amendement de bon sens vise à accélérer le dialogue social dans les entreprises.
M. le rapporteur. J’y suis favorable. Mme Panosyan-Bouvet a rappelé les mesures gouvernementales de fusion de branches. Le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’ont pas produit d’effets positifs, après cinq ans d’une certaine inactivité.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS26 et AS27 de M. Alexis Corbière et AS4 de M. Gérard Leseul (discussion commune).
M. le rapporteur. Mes deux amendements visent à supprimer les dispositions relatives au groupe d’experts sur le Smic, pour le redéfinir.
Chaque année, ce groupe d’économistes respectables, mais qui font partie d’une certaine école de pensée, produit un rapport disant toujours la même chose, qui vient plomber le débat. Cela conduit à se demander qui sont ces experts et par qui ils ont été nommés, et à interroger leur légitimité.
Il s’agit d’associer au groupe des partenaires sociaux – associer véritablement, pas seulement consulter –, en particulier des représentants des organisations syndicales, dont certaines ne répondent plus aux invitations, tant elles ont l’impression d’être méprisées et peu écoutées. Cela n’éclaire pas de manière objective les politiques publiques qui sont menées. Il faut tourner la page de cette aberration : un groupe d’experts qui n’expertise pas beaucoup mais qui répète.
M. Gérard Leseul (SOC). Mon amendement est issu des discussions avec les organisations syndicales que nous avons eues en décembre 2021, avant l’examen de ma proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance et à ouvrir une conférence nationale sur les salaires. Toutes ces organisations ont reproché au groupe d’experts de fonctionner en vase clos, selon une doctrine libérale, qui ne permettait pas le dialogue social national.
L’amendement vise à redynamiser le groupe, en y intégrant des personnalités extérieures à la communauté scientifique. Un sociologue en fait déjà partie depuis quelques années, mais il faut ouvrir le groupe aux représentants des syndicats, salariés et patronaux, ainsi qu’à la représentation nationale – députés et sénateurs –, ce que nous n’avions pas évoqué lors de l’examen de ma proposition de loi, en janvier 2022. Ainsi, les discussions du groupe seront sérieuses et ouvertes.
M. le rapporteur. Je soutiendrai l’amendement de M. Leseul, si les miens ne sont pas adoptés. Le groupe d’experts sur le Smic, dans sa configuration actuelle, doit cesser car il conduit à l’agacement quasi unanime des organisations syndicales. La première chose à faire pour ceux qui défendent le dialogue social est de ne pas enfermer ces représentants dans ce qui ressemble davantage à une boîte noire qu’à un groupe ouvert d’experts.
M. Nicolas Turquois (Dem). Il aurait été pertinent de rencontrer ces experts dans le cadre de la proposition de loi, afin de voir sur quelles bases ils s’appuient pour ne pas proposer les augmentations que vous appelez de vos vœux. Un travail parlementaire de qualité suppose d’auditionner les représentants des institutions en place depuis de longues années, avec des gouvernements de sensibilités différentes, avant de décréter la suppression de celles-ci. Votre démarche est très surprenante : je m’y oppose.
M. Marc Ferracci (RE). Il faudrait préciser quels membres du groupe d’experts vous étiquetez comme étant d’inspiration libérale car leurs recherches ne s’inscrivent pas nécessairement dans ce que vous avez probablement en tête pour décrire le libéralisme économique.
Un sociologue, M. Julien Damon, apporte en effet un regard différent au groupe, ce qui est une bonne chose.
S’agissant des amendements visant à accroître la participation des partenaires sociaux, le groupe d’experts sur le Smic rend son rapport à la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP), qui est composée de partenaires sociaux. Ceux-ci sont donc partie prenante de l’analyse, car ils sont chargés de formuler l’avis sur le niveau du Smic et sur l’opportunité du coup de pouce.
Nos amendements d’appel suivants sont plus ambitieux : nous proposons que les partenaires sociaux n’aient plus seulement un rôle consultatif mais qu’ils décident du niveau du salaire minimum.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). La décision concernant le niveau du salaire minimum n’est pas seulement technique : elle est politique. Plutôt que d’abroger le groupe d’experts, j’invite à étudier les mécanismes de décision que les grands pays industrialisés ont instaurés pour la revalorisation du salaire minimum pour en tirer les enseignements.
M. Philippe Vigier (Dem). Alexis Corbière, dont on connaît la rigueur, a certainement dû se renseigner sur les dispositifs des différents pays de l’Union européenne.
Peut-être pourra-t-il aussi indiquer si la constitution du groupe d’experts sur le Smic était radicalement modifiée à chaque alternance politique.
Enfin, il nous dira s’il suggère de faire évoluer la CNNCEFP car le Parlement pourrait apporter sa contribution.
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Dans la plupart des pays industrialisés, on consulte plutôt des syndicalistes que des économistes libéraux.
L’intérêt de réviser le périmètre et les compétences du groupe d’experts sur le Smic est d’obtenir des rapports qui ne soient pas des copier-coller d’une année sur l’autre. En particulier, l’expression « s’abstenir de tout "coup de pouce" au 1er janvier » et la phrase « une hausse du Smic au-delà des mécanismes de revalorisation automatique risquerait d’être préjudiciable à l’emploi des personnes les plus vulnérables » reviennent d’un rapport à l’autre, sans qu’aucune étude empirique plus récente que celle de 2013 ne soit citée.
Cela est d’autant plus dommage que des pays comme l’Espagne, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie ou la Nouvelle-Zélande pratiquent des hausses du Smic de plus de 10 % par an, sans que les catastrophes annoncées ne se réalisent.
M. le rapporteur. Il ne s'agit pas de prendre à partie une personne, que l’on considérerait comme indigne.
Les organisations de salariés disent toutes – j’ai une sensibilité particulière à leurs propos – qu’elles ne répondent plus à l’invitation du groupe d’experts sur le Smic. Regardons ce problème en face.
De la même façon, personne ne peut dire dans quelles conditions les membres du groupe sont nommés. Aucun débat public n’a lieu. Une redéfinition est nécessaire.
Dans les autres pays, des syndicalistes sont présents dans les instances comparables. Comme parlementaires, nous devons nous saisir de la question, ce qui pourrait renforcer notre rôle.
Sans être économiste de formation, je rappelle que l’économie est une science humaine, donc qu’il y a des débats. Or les membres du groupe d’experts ne reflètent pas les débats actuels du monde économique. C’est la raison pour laquelle les amendements sont pertinents, quelle que soit l’opinion que l’on a sur la proposition d’augmentation du Smic.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS7 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). L’amendement prévoit une indexation trimestrielle du Smic sur l’inflation. Avec davantage de réactivité, on évitera aux salariés au Smic d’assurer la trésorerie en attendant le rattrapage annuel proposé a posteriori par le groupe d’experts, au 1er janvier ou en août.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS15 de M. Marc Ferracci.
M. Marc Ferracci (RE). L’amendement vise à donner aux partenaires sociaux représentatifs à l’échelon interprofessionnel la capacité de décider du montant du Smic et de son évolution eu égard aux indicateurs pertinents, notamment le niveau des prix et l’évolution des salaires. Il s’agit non seulement de les consulter en amont mais de leur donner la responsabilité éminente de déterminer le Smic.
Quiconque valorise le dialogue social, comme le fait la quasi-totalité des groupes, doit considérer cette proposition, qui entend engager la discussion sur l’opportunité de substituer au mécanisme d’indexation existant un principe de dialogue social. Le groupe d’experts, qui ne comprend pas de syndicalistes en son sein, a lui-même proposé de donner cette responsabilité aux partenaires sociaux.
M. le rapporteur. Ce modèle social-démocrate signe la fin du Smic tel que nous le concevons. Je suis pour que la puissance publique ait la possibilité de fixer un salaire minimum – de ce point de vue, le modèle français est meilleur.
Votre amendement d’appel vise à engager la discussion, mais il ne traite pas de l’éventualité où les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord ou décident d’un salaire plus bas que le salaire minimum. La discussion théorique peut être intéressante, d’autant que ce modèle a fonctionné à un certain moment du capitalisme, au XXe siècle.
Aujourd’hui, il ne fonctionne plus, notamment en raison du caractère transnational et mondialisé de l’économie. Dans nombre de secteurs, le rapport de force entre le monde du travail et le patronat ne permet pas de créer quelque chose de vertueux.
M. Gérard Leseul (SOC). Je suis en désaccord avec l’amendement, qui substitue la négociation interne, le dialogue social, au mécanisme d’indexation sur l’inflation et à un éventuel coup de pouce qui n’a été donné que deux fois, de manière limitée.
C’est un modèle non pas social-démocrate mais social-libéral, qui est d’ailleurs préconisé par le groupe d’experts. C’est pourquoi il faut faire évoluer le groupe d’experts sur le Smic, sans quoi les conditions d’augmentation du Smic se dégraderont : il y aura de plus en plus de travailleurs pauvres et le travail sera toujours plus précaire. Cela n’est pas acceptable dans notre société démocrate.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS17 de M. Marc Ferracci.
M. Marc Ferracci (RE). Toujours dans un esprit de responsabilisation du dialogue social, cet amendement substitue au mécanisme actuel une négociation entre partenaires sociaux au niveau des branches. Ce modèle, qui fonctionne notamment aux Pays-Bas, prend comme référence pour l’indexation du Smic une moyenne, pondérée par la masse salariale, du salaire négocié au niveau des branches professionnelles.
La proposition de mon précédent amendement est profondément sociale-démocrate. Les pays scandinaves qui ont adopté ce modèle n’ont pas de salaire minimum interprofessionnel : ils font confiance au dialogue social et aux négociations qui se tiennent au niveau des branches. Les partenaires sociaux y sont bien plus responsabilisés.
Au sein de l’OCDE, de nombreux pays ont instauré d’autres systèmes que l’indexation du salaire minimum sur les prix. Mais la France est le seul pays qui ait à la fois une indexation sur les prix et sur les salaires. Le niveau de 62% du salaire médian qui pénalise l’emploi est la conséquence de ces mécanismes d’indexation indifférenciés, qui ne tiennent pas compte de la diversité des entreprises, de leurs difficultés ou de leurs capacités. Mon amendement vise à prolonger la discussion sur le fait de privilégier le dialogue social à l’indexation.
M. le rapporteur. C’est la destruction du Smic tel que nous le connaissons, en le faisant passer dans d’hypothétiques négociations. Le résultat dépend de la vitalité de la branche professionnelle dans laquelle les discussions sont menées. Selon l’idée que nous nous faisons du modèle social, cela nous fait perdre un outil significatif et utile.
Avis défavorable.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Dans la bouche de M. Ferracci, l’expression « social-démocrate » recouvre deux mensonges : ni « social », ni « démocrate », c’est « libéral-libéral » qu’il faut entendre. Votre amendement est une proposition de démanteler le Smic, qui ne sera plus indexé sur l’inflation mais négocié au niveau des branches.
Aujourd’hui, dans 146 branches, soit 70 % des branches, les salaires des premiers niveaux sont inférieurs au Smic : c’est un échec. Et, tel Ponce Pilate, vous vous lavez les mains ! Peu importe l’injustice totale du partage de la valeur entre le capital et le travail.
Dans le cœur de la crise sanitaire, le Président de la République disait pourtant qu’il nous faudrait nous « rappeler que notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Un rapport de la Dares, paru peu après, mettait en évidence que les salaires de près de 5 millions de travailleurs de la deuxième ligne étaient en dessous de la norme, dans dix‑sept professions – ouvriers de l’industrie agroalimentaire, travailleurs du bâtiment, caristes, auxiliaires de vie, agents d’entretien, etc. Pourtant, Mme Borne, ministre du travail de l’époque, déclarait : « Nous faisons le pari avec confiance que le dialogue social aboutira à quelque chose d’intéressant ». Traduisez : on s’en lave les mains. Le dialogue social n’a abouti à rien d’intéressant, ni pour les agents d’entretien, ni pour les ouvriers de l’industrie agroalimentaire. Selon vous, l’État, le politique ne doit pas intervenir pour rétablir de la justice entre le travail et le capital. Mais qu’il intervienne pour donner 160 milliards d’euros tous les ans aux entreprises ou pour dire aux citoyens de rester chez eux lors de la crise du covid ne vous pose pas de problème.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). Au nom de la social-démocratie ou du libéralisme, on ne peut pas jeter en pâture des branches entières, notamment dans les outre-mer.
En France, le Smic est indexé sur l’évolution des prix, non sur leur niveau. Si tel était le cas, il y aurait eu dans les outre-mer où la vie chère est avérée, un salaire minimum supérieur à celui de la métropole.
M. Marc Ferracci (RE). Monsieur Ruffin, je vois que vous reprenez le flambeau de la social-démocratie. Vous êtes cependant un social-démocrate assez étrange, pour qui le dialogue social ne fonctionne pas et n’amène rien, et les négociations dans les branches ou au niveau interprofessionnel n’ont aucun intérêt.
De même, je perds mes repères en écoutant mes collègues du groupe Socialistes et apparentés car il me semblait que le dialogue social était au cœur des principes de la social‑démocratie.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS5 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). Cet amendement, qui plaira à M. Ferracci, vise à redonner corps au dialogue social en organisant une grande conférence nationale sur les salaires avant l’ouverture de négociations salariales dans chaque branche en vue d’une revalorisation des grilles de salaires conventionnelles.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS8 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). Cet amendement tend à convoquer une réunion du groupe d’experts sur le Smic pour proposer au Gouvernement de donner un véritable coup de pouce, qui serait le premier depuis 2009.
M. le rapporteur. La modification proposée du groupe d’experts n’ayant pas été adoptée, nous ne gagnerions pas grand-chose à adopter cet amendement, que je soutiendrai toutefois en séance publique si nous pouvons faire adopter préalablement les dispositions nécessaires.
L’amendement est retiré.
Amendement AS6 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). Cet amendement important vise à instaurer un crédit d’impôt de 10 % pour permettre aux petites entreprises de financer l’augmentation du Smic. Les TPE et PME sont en effet les entreprises dans lesquelles les salariés rémunérés au Smic sont les plus nombreux, et toute augmentation du Smic a donc sur leur gestion une forte incidence. Le taux de ce crédit d’impôt a été fixé en tenant compte du coût pour les entreprises d’une augmentation de 15 % du Smic, estimé à plus de 4 milliards d’euros.
M. le rapporteur. Je ne cesse de m’opposer aux exonérations diverses et variées. Je propose donc le retrait de cet amendement. À défaut, avis défavorable.
M. Gérard Leseul (SOC). Par souci de cohérence, je retire l’amendement, mais je le déposerai à nouveau pour l’examen du texte en séance publique, car il est important que nous ayons cette discussion.
Je tiens aussi à souligner que le dispositif proposé n’est pas une exonération définitive qui plomberait les finances de l’État, mais une mesure prévue pour trois ans, afin de prendre en compte les difficultés que peuvent rencontrer de petites entreprises pour assumer cette augmentation du Smic. Il s’agit donc aussi d’un dispositif incitatif en vue d’une augmentation rapide du Smic qui profite aux travailleurs des TPE et PME. Nous pourrons y revenir en séance publique.
L’amendement est retiré.
Amendement AS21 de Mme Astrid Panosyan-Bouvet.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport destiné à comparer le salaire minimum dans chaque pays européen selon plusieurs critères pertinents : l’évolution au cours des cinq dernières années, le rapport au salaire médian, et donc au taux de pauvreté, le mécanisme de décision présidant à sa revalorisation et l’instance politique ou technique chargée de ce dossier.
M. le rapporteur. Ce rapport éclairera nos travaux. Avis favorable.
M. Gérard Leseul (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra activement cet amendement.
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Je rappelle que la charte sociale européenne énonce l’objectif de fixer le niveau des salaires minimums interprofessionnels de croissance à 68 % des salaires médians, et que la France se situe encore en deçà de cet objectif. J’en conclus que tous ceux, nombreux ici, qui se reconnaissent dans la construction européenne actuelle seront également favorables à cette hausse du Smic, et je m’en félicite.
La commission adopte l’amendement.
Article 2 : Compensation de la perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune
Amendement AS14 de M. Victor Catteau.
M. Victor Catteau (RN). Les classes moyennes subiraient injustement l’impact du rétablissement de l’ISF, que prévoit l’article 2, du simple fait de la valorisation de leur patrimoine immobilier, qui est souvent familial. Il apparaît donc nécessaire, non pas de rétablir l’ISF, mais d’instaurer plutôt un impôt sur la fortune financière, bien plus raisonnable car plus juste. En seraient exonérées la résidence principale des foyers fiscaux et les œuvres d’art acquises depuis plus de dix ans.
M. le rapporteur. Je vais punaiser au mur cet amendement et j’en ferai publicité ! Il est intéressant que le seul amendement proposé par le groupe Rassemblement National dans un débat sur l’augmentation du Smic ait pour objet de veiller à ce que les personnes qui ont du patrimoine ne soient pas touchées par cette mesure. De fait, les personnes que vise l’amendement ne sont pas les classes moyennes, mais des gens qui possèdent une fortune significative.
On voit que votre priorité n’est pas de rechercher une autre répartition des richesses au profit des gens modestes, qui ont de petits salaires. Il y a là une signature politique et je suis, évidemment, tout à fait défavorable à cet amendement.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il est en effet marquant que, dans un débat consacré au relèvement du salaire minimum, le seul amendement déposé par les députés du groupe Rassemblement National porte sur le non-rétablissement de l’ISF, au nom des classes moyennes. En retenant le seuil de 1,3 million d’euros de patrimoine, vous étendez assez haut la définition des classes moyennes !
Dans l’hémicycle, un député de ma région, M. Tanguy, du groupe Rassemblement National, s’était opposé pour les mêmes raisons au rétablissement de l’ISF, indiquant qu’il était en contact avec les classes moyennes de sa circonscription et invoquant notamment la situation des pêcheurs du Crotoy. En consultant les annonces immobilières, j’ai constaté qu’en baie de Somme, pour trouver un bien d’une valeur de 1,3 million d’euros, il fallait acheter un château : voilà les classes moyennes que vous défendez ! Je n’ai rien contre les châtelains, et les aristocrates appartiennent à la nation française, mais ce sont tout de même des classes moyennes très particulières.
Certes, il faut réinventer un impôt de solidarité sur la fortune, car celui qui existait précédemment avait le défaut de toucher les millionnaires, mais pas les milliardaires. Il faut aller chercher l’argent là où il est : dans la poche des milliardaires, mais ce n’est pas ce que vous proposez. Vous voulez, au contraire, protéger les plus hauts patrimoines de notre pays et ne déposez dans ce débat aucun amendement visant à permettre aux auxiliaires de vie, aux ouvriers de l’agroalimentaire ou aux travailleurs du bâtiment de vivre dignement de leur métier. Je n’ai pas entendu de votre part un seul mot pour demander que ces travailleurs de la deuxième ligne puissent vivre, se soigner, éduquer leurs enfants ou penser leur avenir. Vous n’intervenez que pour protéger les châtelains.
La commission rejette l’amendement.
Elle rejette ensuite l’article 2.
Puis elle rejette l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La commission des affaires sociales examine ensuite la proposition de loi portant réintégration du personnel des établissements de santé et de secours non-vacciné grâce à un protocole sanitaire renforcé (n° 322) (Mme Caroline Fiat, rapporteure).
Mme la présidente Fadila Khattabi. J’ai, comme il est de coutume, saisi M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de la recevabilité de certains amendements. Or j’ai constaté qu’il donnait un avis favorable à cette recevabilité, en contradiction avec les décisions prises en juillet dernier à propos d’amendements similaires par Mme Braun-Pivet, présidente de notre assemblée. Si j’avais suivi les avis du président de la commission des finances, ces amendements auraient été déclarés recevables en commission, mais irrecevables en séance publique, ce qui n’aurait pas eu de sens.
Aux termes de l’article 89, alinéa 2, du Règlement de notre assemblée, l’irrecevabilité en commission est appréciée par le président de la commission. Il me revenait donc de prendre mes responsabilités, et je suis certaine que chacun comprendra qu’il m’ait paru cohérent de suivre la position adoptée par la présidente de l’Assemblée nationale.
M. Yannick Neuder (LR). Madame la présidente, vous êtes dans votre bon droit et il ne m’appartient aucunement de contester votre décision, mais cette dernière suscite tout de même une interrogation de fond. En effet, dans le débat que nous allons engager sur la proposition de loi de Mme Fiat, notre groupe Les Républicains proposait d’aller plus loin et avait déposé des amendements tendant à supprimer l’obligation des tests auxquels les soignants devraient se soumettre en vue de leur réintégration.
Je souhaiterais savoir ce qui se cache derrière votre explication. En effet, l’irrecevabilité d’un amendement se fonde sur le fait que celui-ci créerait une charge ; or le dispositif proposé, qui supprime les tests, ne donne précisément pas lieu à la création de charges. Positifs ou négatifs aux tests, les soignants concernés appartiennent bien à des structures dans lesquelles leur poste est budgété – hôpitaux, Ehpad ou centres pour handicapés. S’opposer à leur réintégration sans tests revient donc – ce qui est inquiétant en un temps où nous manquons fortement de soignants dans toutes ces structures – à faire de l’économie budgétaire en contribuant au remboursement des déficits.
Face à la crise de la covid-19, nous désirons tous accompagner les soignants, maintenir les gestes barrières et favoriser les nouveaux rappels de vaccination. Nous ignorons si l’épidémie de bronchiolite qui se développe actuellement et dont nous ne connaissons pas l’étiologie recouvre des cas de covid chez des bébés qui n’ont pas encore été confrontés à ce virus, ou s’il s’agit d’un virus respiratoire qui profite d’un trou immunologique. En tout état de cause, nous avons besoin de soignants et je ne comprends pas le motif sur lequel se fonde l’irrecevabilité des amendements.
Si votre refus de réintégrer des soignants dans les hôpitaux répond à des raisons économiques, il faut l’assumer clairement. Nous avons besoin d’expertise médicale ou paramédicale et ne devrions pas nous priver de personnels qui, bien qu’ils ne soient pas vaccinés, pourraient effectuer des travaux de décharge sous forme, par exemple, de coordination ou de prise de rendez-vous. Ces personnels représentent certes un pourcentage négligeable sur la masse des soignants, et nous n’allons pas contredire ni travestir les chiffres, mais s’ils comptent pour l’épaisseur du trait dans de gros centres hospitaliers, ce n’est pas le cas dans des Ehpad, où l’absence de la seule infirmière de coordination peut provoquer d’importants préjudices, qu’il conviendrait de mesurer.
Madame la présidente, votre décision m’étonne, car nous avons jusqu’à présent bien travaillé avec vous. Vous auriez pu nous aider et je ne voudrais pas qu’en déclarant cette irrecevabilité vous soyez complice des économies qui se font sur le dos des soignants.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Je suis une présidente indépendante, je prends mes responsabilités et je ne cache rien. J’entends vos arguments, auxquels nous sommes toutes et tous sensibles, mais il m’a paru inutile de nous exprimer sur des amendements déjà déclarés irrecevables par Mme la présidente de l’Assemblée nationale, dont je ne fais qu’appliquer la décision. J’aurai toutefois à ce propos une discussion en tête-à-tête avec elle.
M. Yannick Neuder (LR). Merci pour cette déclaration, madame la présidente. Vous avez compris le sens de mes propos. Je vous prie de transmettre à la présidente de notre assemblée que cette mesure, qui pouvait s’expliquer en 2020, au plus fort de la contamination, doit sans doute être revue. La Haute Autorité de santé (HAS) a très clairement pris position sur la réintégration des personnels non soignants et il ne faut pas utiliser cette instance pour déguiser des décisions politiques. La présidente Braun-Pivet doit pouvoir accepter cette discussion sur laquelle, vous pouvez dès maintenant la prévenir, nous reviendrons lors de l’examen du texte dans l’hémicycle.
Mme la présidente Fadila Khattabi. C’est un vrai sujet et il y aura un débat.
Mme Monique Iborra (RE). Monsieur Neuder, pouvez-vous nous indiquer très précisément quelle est la décision de la HAS et pourquoi vous ne voulez pas l’aborder ?
Mme la présidente Fadila Khattabi. La meilleure manière de lancer le débat est d’entendre Mme la rapporteure présenter la proposition de loi.
Mme Caroline Fiat, rapporteure. La situation de notre système de santé et de secours est très préoccupante. Nos personnels sont, plus que jamais, au bord de la rupture et tous nos concitoyens pâtissent d’une situation catastrophique. Je tiens du reste à préciser que la proposition de loi qui vous est soumise concerne tous les personnels, des établissements de santé et de secours, et non pas seulement les soignants – bien malin qui parviendrait à faire fonctionner un établissement de santé sans personnel administratif ou technique, ou sans cuisiniers, par exemple !
Excessivement sollicités et trop peu nombreux, malgré le dévouement et le grand professionnalisme que nous leur connaissons, ils sont de plus en plus démunis et éprouvés après deux ans de crise sanitaire. Plus personne n’oserait nier aujourd’hui la pénurie de personnels dans les établissements de santé, à l’heure où des services entiers doivent fermer. En septembre dernier, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris faisait état de 18 % de lits fermés et d’un manque de 1 000 infirmières. Dans le même établissement, les taux de fermeture des blocs opératoires peuvent atteindre 40 % à 50 % sur certains sites.
Les personnels de ces établissements, dont l’engagement et les efforts sont si peu reconnus, portent à bout de bras notre système de santé. Les cas de troubles physiques et psychiques et d’épuisement professionnel se multiplient, et les nombreux départs aggravent progressivement la pénurie. Combien de temps tiendront-ils encore ?
Les services de secours, notamment les pompiers, rencontrent les mêmes difficultés. Mobilisés sans relâche face aux « mégafeux » qui ont touché la France, ils ont connu un été épuisant. Dans un contexte de dérèglement climatique, ils sont amenés à être toujours plus mobilisés. Plus de 66 000 hectares sont partis en fumée cette année à travers la France, touchant souvent le Sud-Ouest, mais désormais aussi la Bretagne ou les Vosges.
La situation est particulièrement dramatique outre-mer, où les appels à la réserve sanitaire se multiplient en même temps que les tensions sociales.
Les situations d’urgence sont de plus en plus nombreuses. À l’hôpital public, déjà en manque de ressources, vient s’ajouter l’actuelle épidémie de bronchiolite, qui sature les services d’urgences pédiatriques. Face à cette situation, le Gouvernement a, une fois encore, mis en place un plan d’urgence, le plan Orsan. L’été dernier, le Gouvernement recourait au mécanisme européen de protection civile pour faire appel au renfort de pompiers de quatre pays européens.
Nous le voyons : les pénuries de personnels entraînent mécaniquement une dégradation du service public, notre bien si précieux. Cette dégradation se traduit tôt ou tard par des drames auxquels nul ne saurait se résoudre. Dans la période actuelle, la moindre personne manquante peut désorganiser une équipe, entraîner une fermeture de lits supplémentaire et augmenter encore la charge de travail des personnels en place.
Dans ce contexte, les milliers de suspensions qui résultent de l’obligation vaccinale prévue par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire se montrent très pénalisantes.
Le nombre de suspendus est difficile à estimer. Ils seraient, selon les derniers chiffres publics, plus de 12 000. En tant que rapporteure, j’ai, bien sûr, fait des recherches. Mais même les cabinets ministériels ont peiné à me répondre précisément. En réalité, il ne s’agit pas que de chiffres, car un seul lit fermé, un seul personnel en moins peuvent avoir des conséquences dramatiques. Je peux en témoigner en tant qu’aide-soignante : lors d’une garde de nuit une ou un collègue supplémentaire peut tout changer pour la prise en charge d’un résident en Ehpad. Ainsi, qu’ils soient un ou plusieurs milliers, ces professionnels manquent cruellement à notre système de santé et de secours. Il serait irresponsable de renoncer à la moindre personne pouvant contribuer au fonctionnement du service public, dès lors qu’elle peut être réintégrée sans risque. Nous avons besoin de chaque paire de bras.
Malheureusement, la crise de confiance est profonde et l’incompréhension règne de part et d’autre, après plus d’un an de mise au ban de ces personnels, malgré leur souhait de prendre soin, qui est leur vocation. Les personnels suspendus peinent à comprendre le rejet persistant dont ils font l’objet, alors même que la plus grande partie des personnels vaccinés, dont je fais partie, n’est plus à jour sur le plan vaccinal et que l’on fait appel à des renforts étrangers qui échappent à toute obligation vaccinale.
Ma proposition de loi vise à sortir de cette situation par le haut, sans aucun dogmatisme. Elle prévoit de réintégrer ces personnels dans le cadre d’un protocole sanitaire strict. Elle se fonde sur une approche scientifique et s’inscrit dans une démarche de responsabilité. Ce faisant, elle entend soulager les services publics en limitant les pénuries, sachant que seul un effort budgétaire massif permettra de garantir durablement le bon fonctionnement de ces services. En ce sens, je sais bien que ma proposition de loi n’est pas une solution miracle, mais elle tente de trouver une transition acceptable.
Elle ne remet pas en cause l’obligation vaccinale, en un temps où l’épidémie persiste, mais elle prend acte du fait que la question de la réintégration des personnels suspendus se posera inévitablement. Elle vise ainsi à réconcilier et met en lumière la possibilité de retour de ces personnels sans risque épidémique, au moyen d’un protocole approuvé par les autorités sanitaires.
Le protocole que je propose, prévu à l’article 1er de ma proposition de loi, combine la présentation de tests négatifs et le port d’équipements de protection individuelle. En résumé, des tests virologiques seront effectués à chaque prise de poste pour garantir que le professionnel n’est pas porteur du virus, et le port d’un masque FFP2 sera systématique pour protéger le professionnel en cas de contact avec un malade.
Lors de son audition, la HAS a reconnu, devant plusieurs témoins, que ces mesures étaient de nature à protéger du risque épidémique. Il est fort dommage que l’explication de cette audition ait donné lieu à une polémique qui n’a pas lieu d’être. Chacune des personnes présentes a entendu la même chose que moi. Vous me connaissez assez pour savoir que je n’aurais jamais pu prendre à la légère un sujet qui me tient autant à cœur ni l’utiliser pour faire de la politique politicienne. En revanche, je ne comprends pas pourquoi la HAS, dans sa communication, a choisi d’occulter une partie des réponses qu’elle a faites lors de notre audition.
Je souligne également que ce protocole est tout à fait réaliste et ne rencontrera pas de difficultés particulières de mise en œuvre. C’est ce que nous a dit la Fédération hospitalière de France (FHF) elle-même, durant son audition, soulignant que tout était faisable et que les services avaient bien su s’adapter pendant toute la crise sanitaire. Qui plus est, la solution est évidemment temporaire.
Ma proposition ne vise donc pas, je le répète, à lever l’obligation vaccinale. Même si nous entrevoyons cette possibilité dans le futur, les autorités sanitaires nous indiquent que l’épidémie n’est pas stabilisée et qu’il est encore trop tôt pour cela.
Le protocole que je propose offre une porte de sortie aux personnels suspendus. Il leur permettra de rompre avec l’isolement auquel ils peuvent être sujets et de retourner faire le métier qu’ils aiment et pour lequel ils sont qualifiés. Il ne s’agit toutefois pas de faire comme si de rien n’était, puisque ce protocole est contraignant et implique un retour au travail sous conditions.
Pour que cette réintégration soit effective, l’article 2 de ma proposition de loi prévoit la gratuité des tests effectués et la disponibilité d’équipements de protection. La charge budgétaire qui en résulte sera cependant minime, étant donné le nombre de personnes visées.
Cette proposition de loi vise donc à sortir de cette crise et d’une situation d’hypocrisie dans laquelle la mise à l’écart des personnels non vaccinés n’est plus fondée, puisque nous savons désormais qu’ils peuvent être réintégrés sans risques. Finalement, la réintégration des personnels suspendus permettra de renouer avec la stratégie du « convaincre plutôt que contraindre », préconisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Je ne suis d’ailleurs pas la seule aujourd’hui à préconiser la réintégration, à en croire les nombreuses propositions déposées en ce sens à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le Président de la République a lui-même annoncé la réintégration à venir.
Mes chers collègues, je vous appelle à soutenir cette sortie par le haut de la crise actuelle. Dans l’attente d’un soutien d’ampleur à nos services publics, nous avons besoin de ces personnels. Chacun d’entre eux compte.
Mme la présidente Fadila Khattabi (RE). Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.
M. Éric Alauzet (RE). Le groupe Renaissance s’opposera vigoureusement à cette proposition de loi qui vise à réintégrer les soignants non vaccinés, contre l’avis de la HAS, de la FHF, de l’Académie de médecine, des patients et des soignants eux-mêmes – rien de moins !
Madame la rapporteure, votre proposition a été jugée complexe, risquée – contrairement à ce que vous venez d’affirmer – et incertaine. De plus, elle soulève des interrogations éthiques.
Elle est difficile à mettre en œuvre, car vous instaurez deux catégories de personnels, qui seront soumises à des règles différentes, ce qui générera des incompréhensions et des tensions internes. Vous n’avez pas pris en compte les risques de désorganisation du service.
Votre position est, par ailleurs, risquée, car les masques et les tests antigéniques quotidiens sont insuffisants pour protéger d’une contamination et rien ne nous assure que les personnes concernées – qui, par définition, ne sont pas les plus coopératives – auront un comportement irréprochable à chaque instant de la journée et se priveront des pauses cigarettes ou du repas avec les collègues, circonstances désormais bien identifiées comme à risque.
Enfin, votre proposition est contestable sur le plan éthique, car elle dédouane les personnels qui refusent de donner la priorité à la sécurité des patients et de leurs collègues. Aucune information n’est d’ailleurs prévue à l’intention des patients et résidents quant au statut du professionnel qui les prendrait en charge.
Finalement, votre proposition pourrait conduire au résultat inverse à celui qui en est attendu : des professionnels exclus qui ne répondent pas favorablement à ces nouvelles contraintes, limitant ainsi le nombre de personnes réintégrées, des soignants vaccinés susceptibles de quitter leur poste et d’exercer un droit de retrait et des usagers qui refusent d’être pris en charge par des personnes non vaccinées.
En déposant un amendement de suppression, nous souhaitons en rester à l’avis de la HAS, d’autant que les effectifs concernés sont trop faibles au regard des défis et des carences.
Mme Bénédicte Auzanot (RN). La proposition de loi de Mme Fiat est excellente en son principe, et nous en approuvons sans réserve le but. En effet, nous considérons depuis le début que l’exclusion des soignants non vaccinés est, au regard de la morale, une injustice et, du point de vue politique, un scandale d’État. Je me réjouis donc de constater que nous sommes proches d’y mettre un terme.
Les non-vaccinés ont été les boucs émissaires d’une politique gouvernementale où le mensonge le disputait à l’arrogance et au cynisme. On sait désormais qu’être vacciné n’empêche pas la transmission : on peut donc être triplement vacciné et attraper trois fois le covid. Être vacciné n’empêche pas davantage de transmettre le virus. C’est si vrai que la vaccination n’est plus obligatoire pour les Français, mais seulement recommandée pour les plus de 65 ans et les sujets dits « à risque ». Nos compatriotes sont d’ailleurs si peu convaincus de l’efficacité de ce vaccin que la campagne pour la cinquième injection ne rencontre pas un vif succès, de sorte que les millions de Français dont la vaccination remonte à plus de six mois ne sont plus couverts par sa très relative efficacité. Il n’y a donc pas de débat scientifique à avoir, et il est trop facile de continuer à se cacher derrière la HAS pour décider la réintégration.
Le Gouvernement refuse d’admettre qu’il a joué avec les peurs afin de mettre en place des mesures de coercition injustifiées et que, ce faisant, il a brisé des milliers de vies.
Nous voterons donc cette proposition de loi. Toutefois, si nous la soutenons, nous voulons aussi l’améliorer. Dans ce but, nous avions déposé une quinzaine d’amendements, dont certains ont été écartés pour des motifs qui nous semblent plus politiques que techniques. Nous en reparlerons donc dans l’hémicycle, le moment venu.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). S’il est désormais admis que, dans toute la France, l’application de la loi du 5 août 2021 a causé un tort considérable, ce phénomène se mesure au centuple dans les territoires dits d’outre-mer. Cette loi, a en effet, brutalement jeté à la rue des milliers de professionnels du soin et du secours, aggravant sensiblement les phénomènes de chômage endémique et de paupérisation, dans un contexte de vie chère. Il vous faut comprendre que les spécificités du marché du travail dans nos territoires rendent impossible toute réorientation professionnelle des personnels suspendus, à moins de les condamner à l’exil vers la France, qui amplifie la saignée démographique qui fait déjà tant de mal à nos territoires. Aux Antilles, notamment, le traumatisme laissé par le scandale du chlordécone est réactivé par l’obligation vaccinale et contribue objectivement à la faiblesse des taux de vaccination.
Désormais, dans nos territoires, on compte les morts et les blessés du fait des effets indésirables graves de la piqûre – laquelle, comme nous l’avons appris de la bouche même de la représentante de Pfizer devant des instances européennes médusées, n’a jamais été testée du point de vue de la contamination, ce qui fait s’écrouler l’argument fort sur lequel repose l’obligation vaccinale.
Désormais, dans nos territoires, on compte les morts de tous ceux qui n’ont plus accès aux soins et aux secours, faute de moyens humains en quantité et en qualité suffisante dans nos hôpitaux, nos Ehpad, nos établissements de santé et nos casernes de pompiers. Aujourd’hui, dans les territoires dits d’outre-mer, nous avons arrêté de compter les morts de toutes ces personnes laissées sans soins dans des hôpitaux embolisés, abandonnés par l’État depuis des décennies. Faut-il rappeler qu’il a fallu à l’État cinq semaines pour nous envoyer de l’oxygène et trois jours pour nous envoyer le GIGN ?
Alors, au nom de nos pères, de nos fils et des sains d’esprit qui demeurent encore dans cette assemblée, je vous exhorte tous à sortir des postures orgueilleuses de dirigeants hors‑sol incapables de remettre en cause la pertinence de leurs décisions.
Mme Josiane Corneloup (LR). Notre pays fait face à une pénurie sans précédent de personnels de santé. Faute de personnels disponibles, nous sommes confrontés à des déprogrammations d’interventions chirurgicales et à des fermetures de lits. De telles situations se comptent par milliers et plongent des malades et des familles entières dans la détresse. La loi du 5 août 2021 a donné l’ordre aux soignants d’avoir un schéma vaccinal complet avant le 15 octobre 2021, sous peine d’être suspendus, sans statut et sans revenus.
Depuis cette date, de nombreux soignants et pompiers français ont été suspendus parce qu’ils ont choisi d’exercer, comme tous les autres Français, leur libre choix à l’égard du vaccin. Des dizaines de milliers de héros du quotidien font ainsi cruellement défaut à notre hôpital déjà exsangue, ainsi qu’à notre chaîne de secours, déjà éprouvée par deux années de crise sanitaire.
La proposition de loi qui nous est soumise vise à réintégrer les personnels des établissements de santé et de secours non-vaccinés. C’est tout à fait essentiel, et cette proposition doit être examinée avec beaucoup d’attention. La suspension des personnels de santé devait être, par définition, temporaire, et aucunement définitive. Il est donc indispensable de supprimer le plus vite possible cette obligation vaccinale pour les soignants et de réhabiliter très rapidement ces milliers d’hommes et de femmes.
M. Philippe Vigier (Dem). Madame la rapporteure, je connais votre engagement sans faille pour les personnels soignants, en particulier dans les Ehpad, mais également à l’hôpital et dans les structures privées. Vous connaissez également le mien pour l’ensemble de ces professions. Je sais bien qu’à la suite des décisions que nous avons prises en 2021, 12 000 personnels n’exercent plus leur profession parce qu’ils ont fait le choix délibéré de refuser un schéma vaccinal. On peut certes toujours s’interroger sur la pertinence de ce dernier, mais je fais partie de ceux qui considèrent qu’il était indispensable, ne fût-ce que pour protéger ces personnels eux-mêmes.
Je ne reviendrai pas sur des moments que j’ai vécus personnellement, charnellement – vous savez très bien à quoi je fais référence. J’ai également, comme vous, exercé durant ces périodes. Je pense que les bonnes décisions ont été prises, même si je considère, comme vous et comme je l’ai dit à plusieurs reprises, que nous manquons de personnel et que se posent des problèmes de revalorisation – mais la question n’est pas là.
La question, c’est que la HAS a donné son avis, qui n’est pas favorable à la réintégration, et qu’elle sera saisie à nouveau, comme l’a annoncé le ministre Braun. Cette nouvelle saisine est nécessaire, ne serait-ce que pour voir s’il faut changer de doctrine. Quel signal enverrions-nous a toutes ces femmes et tous ces hommes qui travaillent dans les hôpitaux et dans les autres structures de santé et qui sont vaccinés, par exemple, contre l’hépatite B, si nous venions demain à leur expliquer qu’on peut, au nom de la liberté, refuser une vaccination ?
Il est indispensable de se protéger et de protéger les professionnels de santé, surtout au moment où ils sont si peu nombreux. Nous ne soutenons donc pas votre proposition de loi, même si nous en comprenons la pertinence, et nous nous rangerons à l’avis que rendra la HAS au début de l’année 2023.
M. Elie Califer (SOC). La question de la réintégration des non-vaccinés peut passionner. Elle divise les groupes sociaux, et même les groupes politiques. À ce titre, le groupe Socialistes et apparentés a voulu donner une totale liberté de vote à tous ses membres. C’est donc sans préjuger de la position de mon groupe que je m’exprime.
La loi du 5 août 2021 a donné au Gouvernement la faculté de suspendre certaines catégories professionnelles non vaccinées dans le but d’endiguer la crise sanitaire liée à la pandémie de la covid-19. L’application de cette obligation vaccinale a fortement perturbé le système hospitalier et la permanence des soins, particulièrement dans les outre-mer. Un an après, toutefois, il faut bien admettre que le contexte a changé : la France n’est plus en situation pandémique, l’état d’urgence sanitaire a pris fin le 31 juillet 2022 et la médecine maîtrise mieux les conséquences de la covid-19. Cette nouvelle situation sanitaire impose de mettre fin à la suspension, qu’il faudrait autrement considérer comme un outil punitif.
À cet égard, de nombreux États ont su se remettre en question. En Italie, par exemple, les médecins et infirmiers suspendus ont été réintégrés depuis peu. En Grèce, la suspension des soignants non vaccinés prendra fin le 31 décembre 2022 et le Gouvernement s’est dit, entre-temps, prêt à réfléchir à la réintégration du personnel administratif. Au Canada, la politique de la vaccination contre la covid-19 applicable à l’administration publique centrale a été suspendue le 20 juin 2022, tandis qu’en Espagne, le Gouvernement n’a jamais eu à adopter de telles mesures coercitives.
La position de la HAS est un avis, mais la littérature et les recherches scientifiques invitent tout de même à bien réfléchir à la pertinence politique du maintien de la suspension des personnels non vaccinés. La perte de l’efficacité du vaccin d’un côté et, de l’autre, la baisse de la vaccination mettent a priori vaccinés et non-vaccinés dans une situation comparable.
M. Thomas Mesnier (HOR). La crise du covid a fait réémerger le débat suranné de la confiance dans la science. Suranné, il aurait mieux fait de le rester, car ceux qui, par électoralisme, ont tenté d’escamoter les connaissances fondées sur la méthode scientifique portent la responsabilité des vies et de la santé de nos concitoyens touchés par le covid. Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui, contre l’avis scientifique actuel, apporte une non-solution à un problème pourtant sérieux. Je connais votre engagement, madame la rapporteure, mais en proposant de réintégrer les soignants non vaccinés contre le covid, vous commettez plusieurs erreurs.
D’abord, il semble que les réponses de la Fédération nationale des sapeurs‑pompiers, de la FHF et de la HAS, que vous avez auditionnées pour connaître les positions des parties prenantes et de l’autorité compétente sur la vaccination obligatoire des soignants contre le covid, ont été claires : la première s’est dite favorable au maintien de la vaccination obligatoire contre le covid au même titre que pour les autres vaccins obligatoires, la deuxième estime que revenir sur cette position reviendrait à accorder une prime à la désobéissance et la troisième a déclaré qu’elle n’entendait pas remettre en cause l’obligation vaccinale avec cette proposition de loi alors que l’épidémie n’est pas encore maîtrisée. Le ministre de la santé a donc indiqué qu’il avait saisi la HAS pour que celle-ci émette un avis. La sagesse, dont vous ne semblez pas dépositaire aujourd’hui, madame la rapporteure, nous commande d’attendre, avant d’agir, que cet avis soit rendu.
La proposition de loi prétexte un prétendu renforcement des effectifs de santé dans le contexte de tension que nous connaissons mais, en réalité, 1 % seulement des soignants suspendus le sont au motif de la non-vaccination contre le covid. Une telle mesure ne pallie en rien le manque de soignants et ne peut pas entrer en ligne de compte pour justifier la mise en place de cette proposition.
Enfin, vous évoquez un protocole sanitaire renforcé qui consiste, en fait, à réinstaurer le passe sanitaire que vous avez combattu voilà quelques mois. Cette mesure coûteuse serait un mauvais signal envoyé aux patients comme aux soignants.
Le groupe Horizons et apparentés se rangera toujours du côté de la science et votera contre cette proposition de loi.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). La réintégration des personnels suspendus est aujourd’hui une orientation partagée en Europe et, plus globalement, dans le monde. De fait, les suspensions et sanctions ont été très peu appliquées en Allemagne, tandis que des pays comme le Royaume-Uni ou la Belgique renonçaient à toute sanction. Le Québec avait préféré, pour sa part, en novembre 2021, renoncer à l’obligation vaccinale des soignants, au profit de tests fréquents pour les personnels non vaccinés. Le 2 novembre 2022, l’Italie a mis fin à l’obligation vaccinale des soignants, ouvrant la voie à la réintégration de près de 4 000 d’entre eux, comme le note le rapport.
En France, nos hôpitaux débordent et le manque de personnel est criant, a fortiori dans les outre-mer, où une proportion plus importante de soignantes et de soignants est concernée. Durant la crise du covid, certains personnels ont été réquisitionnés bien que porteurs du covid. Nous comprenons que les personnels de santé, parce qu’ils sont exposés à des personnes particulièrement fragiles et vulnérables, ont un devoir d’exemplarité, mais ce devoir pourrait précisément se matérialiser par l’acceptation de protocoles et de mesures de protection particuliers. Nous comprenons aussi la volonté de trouver une solution alternative pour réintégrer ces professionnels de santé suspendus depuis plus de quinze mois sans rémunération et privés d’exercer leur métier.
Nous entendons donc également les arguments contraires de celles et ceux d’entre nous qui défendent la protection des équipes hospitalières et des patients par l’obligation vaccinale des soignants, et pour qui le vaccin contre le covid s’ajoute à la liste des obligations vaccinales auxquelles est déjà soumis le personnel soignant hospitalier.
À titre personnel, je voterai pour cette proposition de loi, mais le groupe Écologiste - NUPES laissera à ses membres la liberté de vote.
M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Cette proposition de loi a le mérite de poser la question des personnels soignants suspendus de leurs fonctions dans le cadre de la mise en œuvre du passe sanitaire, puis du passe vaccinal. Notre groupe GDR-NUPES s’était opposé à ces passes, qui constituent un chantage infantilisant alors qu’il faudrait plutôt prendre à bras‑le‑corps le véritable problème d’un meilleur accès à la vaccination contre la covid.
La proposition de loi ne remet pas en cause l’obligation vaccinale, tenant compte de l’avis de la HAS, laquelle a en effet considéré, le 21 juillet dernier, que l’obligation vaccinale ne pouvait être levée au vu des indicateurs relatifs à l’évolution de la pandémie. Néanmoins, prenant acte de la situation catastrophique que représente le manque de soignants, la proposition de loi propose une alternative pour réintégrer dans leurs fonctions les soignants suspendus en contrepartie d’un protocole strict : tests de dépistage quotidiens, maintien des gestes barrières et port du masque FFP2.
La suspension du contrat de travail dans le cadre du passe sanitaire ou du passe vaccinal est une aberration en termes de droit du travail. Suspendre un contrat de travail ou y mettre un terme anticipé au motif que le salarié n’est pas en mesure de présenter une preuve de sa vaccination ou de sa non-contamination par la covid introduit la dimension du corps et d’un état de santé présumé dans les termes du contrat de travail subordonnant le salarié à l’employeur. Or, le code du travail dispose bien que seul un médecin du travail est habilité à faire valoir l’inaptitude temporaire ou définitive d’un salarié. L’employeur a alors l’obligation de prendre toutes les mesures objectives nécessaires et appropriées pour garantir aux salariés concernés la possibilité d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à sa qualification, de l’exercer ou d’y progresser. Les personnels suspendus, en revanche, n’ont plus aucun droit : ils ne perçoivent plus leurs salaires et, n’étant pas licenciés, ils ne peuvent pas faire valoir un droit à l’assurance chômage.
Une zone de non‑droit a été créé. Le minimum serait d’ouvrir une discussion avec les organisations syndicales pour y remédier, mais cette situation inédite doit cesser.
M. Olivier Serva (LIOT). Imaginez que, dans vos professions respectives, du jour au lendemain, vous soyez suspendus, sans salaire, avec des enfants à charge et un coût de la vie qui devient insupportable, a fortiori en outre-mer. Ce scénario catastrophe est la réalité pour plusieurs milliers de soignants, de professionnels médico-sociaux et de pompiers, qui frappent aujourd’hui aux portes de nos permanences, ne sachant plus à quel saint se vouer. Allons-nous continuer à les blâmer alors même que, voilà peu, nous les applaudissons à vingt heures et qu’il est admis que la vaccination ne protège pas nécessairement de la transmission du virus ?
L’Espagne, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Belgique n’ont jamais emprunté cette voie de rigorisme sanitaire. L’Italie, qui avait suspendu ses soignants non vaccinés, les réintègre aujourd’hui. Qu’attendons-nous pour le faire en France ?
Si le ministère de la santé affiche depuis plusieurs mois l’intention d’étudier l’hypothèse d’une réintégration, ce sont, en coulisse, des départs en retraite anticipée ou des reconversions professionnelles qui sont proposés. Or, en Guadeloupe, il est impossible de reconvertir des milliers de professionnels alors que 20 % de la population est au chômage. Et il ne suffit pas de traverser la rue, car nous sommes entourés d’eau...
Au moment même où ce mauvais plan est savamment orchestré en vue de jouer la montre, nos établissements de santé sont au bord du précipice, mais nous nous privons de ces professionnels. Nous éprouvons par ailleurs une grande reconnaissance envers les professionnels vaccinés, volontairement ou par dépit, qui tiennent les digues de notre système de santé.
Nous devons mettre immédiatement un terme à l’injustice que subissent plusieurs milliers de familles. C’est la raison pour laquelle le groupe LIOT soutiendra la proposition de loi de Mme Caroline Fiat et de son groupe, dont nous saluons le travail transpartisan.
Finissons-en avec les postures politiciennes, les orgueils et les egos. Pensons à l’intérêt général, à nos soignants, à notre personnel médico-social et à nos pompiers. Pensons à la santé des Français.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des députés.
Mme Justine Gruet (LR). En tant que députée du Jura, département dont la plus grande ville est Dole, ville natale de Louis Pasteur, je souligne que la société doit faire confiance à la science.
La réintégration des soignants créerait certes une injustice envers les personnes qui ont été vaccinées alors qu’elles n’en avaient pas nécessairement envie, mais une amnistie est nécessaire. En l’état actuel de l’épidémie, il faut en effet permettre à chacun de travailler.
Les tests de dépistage que la proposition de loi tend à imposer n’ont actuellement que peu d’intérêt, compte tenu du peu de différence qui existe entre un soignant vacciné sans rappel et une personne non vaccinée, et ne feraient qu’augmenter les dépenses d’assurance maladie. Je crois, en revanche, à l’importance des gestes barrières pour les personnes vaccinées comme non vaccinées et, surtout, à la responsabilisation de chacun en vue d’une protection renforcée pour les personnes à risque.
Quant à l’irrecevabilité de certains de nos amendements, relevée par M. Neuder, elle ne me semble pas justifié. Si Mme la présidente Braun-Pivet n’était pas favorable à nos amendements, j’auras préféré qu’ils soient discutés en commission et en séance plutôt que rejetés pour cause d’irrecevabilité.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Le débat aura lieu, mais il faut aussi que la loi soit bien faite et bien écrite.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Madame la rapporteure, votre proposition de loi peut paraître généreuse. Vous croyez à la rédemption et j’entends même parler d’amnistie, mais je suis un peu surpris, car la question qui se pose est de savoir si l’on croit ou non à la science, et au rôle de la HAS. Je suis un peu surpris, mais pas vraiment étonné, que des députés de la NUPES et du Rassemblement National se retrouvent contre la science.
Il est bon que le ministre demande un nouvel avis à la HAS, mais au nom de quelle expertise vous placez-vous au-dessus de cette dernière, même si c’est par générosité ou dans un souci de rédemption et d’amnistie ?
Soit on croit à la science, soit on n’y croit pas. Or, je crains que notre commission puisse, ce matin, s’opposer à la science. C’est très grave, et j’y vois un très grand recul pour notre pays.
M. Sébastien Delogu (LFI - NUPES). Je viens d’entendre, comme d’habitude, une énormité. Nous croyons bien évidemment à la science. Nous croyons aussi aux ministres... mais pas trop, car le Premier ministre Castex avait affirmé sur TF1 que les personnes vaccinées n’avaient plus de chances d’attraper la maladie, alors que nous savons toutes et tous que c’est faux.
La liberté de disposer de son corps devrait normalement s’imposer, et c’est ce que prônent chaque jour les soignants. Il faut des années pour connaître les effets d’un vaccin sur le corps, et vous savez très bien que le vaccin n’est plus efficace face aux variants.
Dans une situation catastrophique où des blocs opératoires et des services entiers ferment, nous soutiendrons la proposition de réintégration des soignants avec un protocole sanitaire strict, qui permettrait de pallier le problème que rencontre notre pays et de soulager enfin ces hommes et ces femmes qui n’ont plus aucun droit – ni chômage ni rien du tout.
M. Yannick Neuder (LR). Ne tombons pas dans la caricature qui opposerait ceux qui croient à la science et ceux qui n’y croient pas. Soyons pragmatiques : alors que de nombreux intervenants ont invoqué la protection des soignants et des patients, il arrive que, dans la réalité, compte tenu des problèmes d’effectifs, on demande de venir travailler à une infirmière ou une aide-soignante porteuse du covid mais présentant peu de symptômes. Vous nous parlez de risques, mais par qui préférez-vous être soignés : par une infirmière non vaccinée qui n’a pas le covid ou par une infirmière vaccinée qui l’a ? Voilà la difficulté du quotidien, et la question n’est pas de savoir si l’on croit ou non à la science. Il ne faut pas utiliser la HAS pour cacher des questions qui sont d’ordre politique, et non pas scientifique.
Puisque vous me l’avez demandé, je vous rappelle, chers collègues, que l’avis de la HAS porte sur l’obligation vaccinale des soignants, mais pas sur leur réintégration, qui n’est pas une question scientifique. La question scientifique, c’est la vaccination, et ce n’est pas dans le pays de Pasteur que nous allons la remettre en cause. Je suis pro-vaccination : n’essayez pas de m’embarquer dans un autre discours et ne faites pas dire à la HAS ce qu’elle n’est pas mandatée pour dire.
Toutefois, si la HAS est pour la vaccination, la réintégration des personnels non vaccinés n’est pas un choix scientifique. La science varierait-elle d’un côté à l’autre de la frontière ? De fait, dans la partie de la région Auvergne-Rhône-Alpes dont je suis élu, frontalière de la Suisse, les personnes qui habitent Annecy vont travailler tous les jours à Genève, où les autorités ont permis aux personnes non vaccinées de revenir travailler. N’incriminons donc pas la science : il s’agit ici d’une responsabilité politique.
Mme Monique Iborra (RE). Nous sommes au pied du mur et nous devrons trancher. Qu’on le veuille ou non, la science intervient ici. Il est erroné de présenter les soignants ayant refusé d’être vaccinés comme des victimes. Ils ont délibérément décidé de ne pas être vaccinés et il faut assumer les décisions que l’on prend.
Par ailleurs, certains collègues, parmi lesquels je n’inclus pas Mme Fiat, me semblent être partis à la chasse aux voix. Ce qui est grave, c’est qu’ils reprennent à leur compte des arguments complotistes, en citant des pays où le complotisme s’est bien moins développé qu’en France. La liberté de vote n’excuse pas tout.
M. Jean-François Rousset (RE). Les générations qui ont connu, avant la mise au point d’un vaccin, des maladies telles que la poliomyélite, qui engendrait des déformations et de multiples opérations, rendait la vie impossible et interdisait de se baigner l’été dans les rivières par crainte du virus, ne comprendraient rien à ce débat.
Le problème n’est pas de croire ou non en la science : la plupart des vaccins ont été découverts de façon empirique. Il suffit de se souvenir de l’histoire de la variole... L’histoire de la vaccination est une histoire magnifique. Comment imaginer que nous en débattions pour stigmatiser les uns ou les autres en raison d’une décision prise sur la base d’arguments relevant du complotisme ? Ma génération, qui a connu la poliomyélite sans vaccin, vous le dit : ne commettons pas cette erreur !
Mme Caroline Janvier (RE). J’abonde dans le sens de mes collègues qui ont évoqué le rapport à la science. Il s’agit ici de l’importance des vaccins dans notre dispositif de lutte contre l’épidémie de covid et de la façon dont ils sont efficaces et non dangereux. Certes, ils ont des effets secondaires, mais leurs bénéfices leur sont supérieurs, et ils sont moindres que les effets du covid.
Chacun a été en contact avec des associations qui versent dans le complotisme, confondant et amalgamant les sources d’information. J’ai entendu des gens dire qu’ils préféraient se fier à une vidéo YouTube qui fait l’objet d’un nombre de likes important plutôt qu’aux recommandations d’autorités scientifiques nationales, telles que la HAS, ou internationales, telles que l’OMS. Nous devons, à l’Assemblée nationale, remettre les pendules à l’heure, en disant clairement que nous préférons nous fier à ce que disent la science et les autorités plutôt qu’à tel ou tel Youtubeur.
Les professionnels de santé qui travaillent dans les hôpitaux font partie du système de soins. Des enseignants contestant les règles de conjugaison ou de grammaire n’auraient pas leur place dans un système d’éducation. De même, une infirmière disant à un patient que le vaccin est dangereux – elle le pense dès lors qu’elle refuse d’être vaccinée – n’a pas sa place dans le système de soins du pays de Pasteur.
M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Chers collègues du groupe Renaissance, je me réjouis de vous entendre louer la science. Je vous invite donc à écouter les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui appellent à agir plus rapidement contre le réchauffement climatique. Si vous faites à ce point confiance à la science, suivez les recommandations du rapport du GIEC !
J’ajouterai aux citations qui précèdent celle-ci : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». La science, c’est les rapports des scientifiques ; la conscience, c’est nous, la représentation nationale. Dire que nous n’avons ni à réfléchir ni à interroger notre conscience, qu’en somme nous n’avons pas notre mot à dire, c’est entrer dans un processus dangereux.
Qui ici dit qu’il ne croit pas à la science ? Qui ici tient des propos complotistes ? Personne ! Le débat est autre : les personnes suspendues au motif qu’elles ont refusé d’être vaccinées le sont depuis si longtemps qu’il ne sera pas finalement possible de les convaincre. La situation est intenable ! En outre, le protocole proposé par la rapporteure respecte toutes les recommandations scientifiques. Vous ne suivez plus la science ?
Par ailleurs, ayez conscience qu’il y a des gens derrière tout cela. En prononçant leur suspension, vous les avez enfermés dans la précarité. Ils attendent de savoir si vous allez changer leur vie.
Le groupe Horizons explique qu’il ne s’agit que de 1 % des personnels soignants. Nous ne sommes pas les législateurs d’un tableur Excel, mais d’un pays, qui a des réalités ! À l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, que j’ai visité, la réintégration d’une seule personne changerait énormément de choses pour le service concerné. Même si dans votre philosophie excellienne, cela vous semble dérisoire, sachez que j’ai, dans ma circonscription, un hôpital qui est preneur d’un soignant en plus.
Enfin, notre proposition recueille l’adhésion populaire : 74 % des Français sont favorables à la réintégration des pompiers non vaccinés et 72 % à celle des soignants non vaccinés.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Les décisions dont nous débattons ont été prises au cœur de la crise, à un moment où notre visibilité sur ce qui nous arrivait était faible, dans une forme d’urgence et de contrainte. Elles n’ont pas été partagées par tous et partout. Nous faisions partie de ceux qui contestaient le choix du passe vaccinal.
Nous avons plus de recul aujourd’hui. Certes, la crise n’est pas finie. Le virus circule encore et j’appelle à prendre les mesures nécessaires, dont la vaccination fait partie, pour s’en protéger. Toutefois, il n’est pas incongru de nous interroger à la lumière des résultats obtenus par les décisions précitées. Il me semble que nous pouvons tomber d’accord sur ce point.
Par ailleurs, la décision d’exclure les soignants non vaccinés a créé pour eux une situation de non‑droit, à tout le moins de hors‑droit. Le Gouvernement et l’administration ne peuvent l’ignorer. Ou bien les personnes concernées ont commis une faute, ce qui appelle des décisions d’une autre nature, ou bien elles n’en ont pas commis, et il faut également appliquer des décisions différentes de celles qui ont été prises.
On ne peut pas s’affranchir ainsi du droit du travail, ou a minima d’une négociation avec les représentants du personnel. On ne peut pas laisser le problème sous le tapis, dans cette zone grise. La discussion sur ces enjeux mérite d’être poursuivie.
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Heureusement que les experts, dont ceux de la HAS, éclairent nos décisions lorsque nous faisons la loi !
Madame la rapporteure, vous proposez une réintégration sous conditions, avec un protocole sanitaire contraignant et coûteux. Ancienne professionnelle de santé, je sais que lorsque l’on devient soignant on a des obligations – dont celle de se faire vacciner, aussi bien lors du recrutement que durant la vie professionnelle. On a aussi une éthique professionnelle, qui consiste à se protéger et à protéger les autres. Il y a enfin une responsabilité juridique si l’on contamine quelqu’un. La situation des personnels non vaccinés est compliquée, mais ils ont fait un choix – difficile peut-être – dont ils doivent assumer la responsabilité.
Les fermetures de lits ont de multiples causes. Réintégrer les soignants non vaccinés, dont le nombre est limité, ne permettrait malheureusement pas d’améliorer la situation.
Enfin, il faut s’interroger sur le message qu’on enverrait aux professionnels de santé qui ont accepté de se faire vacciner, parfois avec beaucoup de crainte. Je salue leur dévouement, leur courage et leur respect des règles.
Mme Fanta Berete (RE). Les personnes qui vont à l’hôpital sont fragiles. En 2018, j’ai été dans un service de réanimation et hospitalisée pendant quatre mois et j’ai gardé des séquelles au niveau des alvéoles pulmonaires. Ceux qui venaient me rendre visite alors portaient un masque FFP2. À chaque fois que je retourne à l’hôpital pour suivre mon traitement, je suis rassurée de savoir que toute l’équipe qui s’occupe de moi est vaccinée. Je crois à la science.
En période de crise sanitaire ou en temps de guerre, les autorités prennent des décisions. Nous avons suivi celles de la HAS et nous devons continuer à le faire.
Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Ce sujet est sensible et j’invite chacun à sortir de la caricature. J’ai été choquée par les propos de notre collègue Isaac-Sibille. Nous essayons tous de faire preuve de nuance et s’il y a des complotistes, il y a surtout beaucoup de gens qui ont peur. La santé relève de l’intime et soulève les questions de l’information et du consentement. Tout cela n’est pas si simple.
Nous discutons de la politique de santé publique et notre rôle est de faire des choix. Mais soyons exemplaires et respectueux des différences d’opinion, car ce sont celles de millions de Français. Il faut prendre garde de ne pas mépriser ceux qui ont peur.
La séance est levée à treize heures.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné M. Julien Dive rapporteur sur la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction de leurs seules vingt‑cinq meilleures années de revenus (n° 353).
Elle a par ailleurs désigné les rapporteurs d’application suivants :
– M. Sébastien Delogu sur la proposition de loi pour renforcer la prévention de la santé au travail (n° 3718),
– Mme Marie-Charlotte Garin sur la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle (n° 4000),
- M. Hadrien Clouet sur le projet de loi portant mesures d’urgences relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (n° 219).
Présences en réunion
Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Bénédicte Auzanot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. José Beaurain, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, M. Alexis Corbière, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Delogu, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, Mme Caroline Fiat, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Claire Guichard, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, M. Philippe Juvin, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Mesnier, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, M. Olivier Serva, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet, M. Stéphane Viry
Excusés. – M. Adrien Quatennens, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Prisca Thevenot
Assistaient également à la réunion. – M. Fabien Di Filippo, M. Frédéric Falcon, M. Emmanuel Fernandes, Mme Raquel Garrido, Mme Justine Gruet, M. Gérard Leseul, M. Damien Maudet, M. Thomas Portes