Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Audition, ouverte à la presse, de M. Shalva Papuashvili, président du Parlement géorgien, en compagnie d’une délégation de ce Parlement et de l’ambassadeur de Géorgie en France 2
Mercredi
7 juin 2023
Séance de 11 h 00
Compte rendu n° 58
session ordinaire de 2022-2023
Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président
— 1 —
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 11 h 05
La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Shalva Papuashvili, président du Parlement de Géorgie, en compagnie d’une délégation de ce Parlement et de l’ambassadeur de Géorgie en France.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avons le grand plaisir d’accueillir parmi nous, ce matin, M. Shalva Papuashvili, président du Parlement de Géorgie, accompagné de plusieurs représentants de commissions permanentes – notamment le président de celle en charge des affaires étrangères, M. Nikoloz Samkharadze – et de l’ambassadeur de Géorgie en France, M. Gocha Javakhishvili, que je salue tous chaleureusement.
Monsieur le président, vous avez rencontré ce matin Madame la présidente de l’Assemblée nationale et vous avez souhaité venir à la rencontre de notre commission, afin d’échanger sur la situation de votre pays. J’en suis heureux, d’autant que les enjeux et les défis qui concernent la Géorgie, territoire du Caucase limitrophe de la Turquie, de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Russie, sont majeurs aujourd’hui. Nous sommes conscients d’accueillir des amis, qui vivent en permanence des épreuves depuis de nombreuses années.
Même si l’on recense moins de 500 ressortissants français en Géorgie, la France entretient avec votre pays des relations amicales et très anciennes : pour mémoire, la République française a accueilli le gouvernement républicain géorgien en exil de 1918 à 1921, dans l’Essonne. Ces relations se matérialisent notamment par des visites officielles permanentes à tous les niveaux.
En février 2019, le président de la République française, M. Emmanuel Macron, et la présidente de Géorgie, Mme Salomé Zourabichvili – qui symbolise par sa personne un lien entre nos deux pays puisqu’elle a été ambassadrice de France à Tbilissi et qu’elle possède de la famille ici –, ont acté la mise en place d’un dialogue structuré bilatéral annuel. Dernièrement, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Mme Catherine Colonna, a effectué un déplacement dans votre pays et, aujourd’hui, vous nous faites l’honneur de votre présence à Paris.
J’indiquais tout à l’heure que votre pays fait face à des défis et des enjeux majeurs. Ils sont multiples mais deux retiennent plus particulièrement l’attention aujourd’hui.
Le premier concerne la situation intérieure de votre pays. Depuis le mois d’août 2008, l’intégrité territoriale de la Géorgie se trouve remise en cause par la Russie, dont les troupes occupent l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, qui ont été érigées en République autonomes et n’ont été reconnues comme telles que par la Russie. Certains voient dans ce scénario les prémices de la guerre en Ukraine qui est en cours. Cet épisode a évidemment durablement marqué la population géorgienne et instauré une méfiance très grande à l’égard des visées impérialistes du pouvoir russe actuel, dont la Géorgie veut absolument se prémunir sans pour autant disposer de capacités militaires suffisamment dissuasives. C’est pourquoi votre pays a fait le choix stratégique de vouloir se rapprocher de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), organisation à laquelle il apporte une contribution militaire sur divers théâtres d’opérations. Vous étiez par exemple la première puissance non-membre de l’OTAN à intervenir à ses côtés en Afghanistan.
Le second enjeu concerne les aspirations européennes de la Géorgie. Depuis la « révolution des roses » en 2003, votre pays cherche à ancrer son avenir dans le projet communautaire. La Géorgie est ainsi membre, depuis 2009, du Partenariat oriental et elle est régulièrement présentée comme l’un des Etats les plus avancés sur le chemin des réformes. Le 27 juin 2014, un accord d’association avec l’Union européenne (UE) a été signé, intégrant un accord de libre-échange complet et approfondi. Peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 22 mars 2022 précisément, vous avez sollicité la reconnaissance du statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. L’Ukraine et la Moldavie se sont vu reconnaître ce statut en juin 2022 mais la Géorgie a simplement fait l’objet d’une démarche d’ouverture sur une perspective européenne.
Je sais que cela n’a pas été très bien ressenti dans votre pays mais nous sommes très désireux de ne pas faire ce que les Américains ont réalisé avant 2008, c’est-à-dire vous encourager très fortement à prendre vos distances avec la Russie en vous exposant à des représailles de la part de ce pays. À l’époque, le vice-président Dick Cheney vous avait ainsi donné des conseils, dont les Etats-Unis n’étaient pas en mesure d’honorer les conséquences. Nous comprenons votre souci de vous rapprocher de l’OTAN et de rejoindre, le moment venu, l’Union européenne mais il était essentiel de ne pas pousser la Russie à l’activisme. Ce qu’il s’est passé depuis montre que notre souci était assez légitime, puisque les actions russes n’ont pas tardé à se manifester dans votre pays.
Le Conseil européen n’a pas pour autant fermé la porte à votre pays. Il s’est déclaré prêt à lui accorder le statut de candidat à l’adhésion une fois que les douze priorités énoncées dans l’avis de la Commission européenne auront été prises en compte. Cependant, les récents débats au sein de votre Parlement, en mars dernier, sur un projet de loi prévoyant d’obliger les organisations qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l’étranger à s’enregistrer en tant qu’« agents de l’étranger » ont jeté un grand trouble en Europe. Je comprends que vous vous soyez engagés sur cette voie, afin de donner des gages à la Russie. Mais comprenez que ceci est très fortement contraire à l’esprit qui nous rapproche et qui vous rapproche de l’Union européenne. Nous avons cependant constaté que, notamment à la suite de manifestations, vous avez suspendu ce projet et nous y sommes très attentifs. Nous espérons vivement que vous y renoncerez totalement.
Soyez assurés que vous avez ici des amis, des gens attachés à ce que la Géorgie conserve sa souveraineté et son indépendance, qu’elle recouvre par les moyens les moins violents possibles l’intégrité de son territoire. Nous sommes décidés à accompagner votre enracinement dans la communauté des démocraties occidentales et l’Union européenne. C’est à vous de nous dire ce que vous attendez de nous, ce que nous pouvons faire pour faire vous, et ce que vous voulez faire pour répondre aux attentes de l’Union européenne.
M. Shalva Papuashvili, président du Parlement géorgien. Je vous remercie et vous fais part de mon plaisir d’être avec vous aujourd’hui pour parler de nos relations bilatérales, ainsi que des évolutions dans la région et dans le monde. C’est un grand honneur d’être reçu aujourd’hui à l’Assemblée nationale française, l’un des lieux de naissance du parlementarisme moderne, pour parler de la relation riche, dynamique et multidimensionnelle entre la Géorgie et la République française.
Je tiens à rappeler l’assistance de principe généreuse que votre grand pays a apporté à la Géorgie depuis les premiers moments de notre indépendance. Votre soutien politique pour notre liberté et notre intégrité territoriale a été crucial, tout autant que l’assistance technique, économique et humanitaire. J’aimerais donc vous faire part de notre gratitude pour les programmes d’échanges universitaires qui ont aidé nos jeunes à étudier en France, afin de pouvoir conduire les réformes nécessaires qui ont transformé la Géorgie. Notre pays a accompli d’immenses progrès ces trente dernières années et travaille aujourd’hui pour devenir un membre de l’Union européenne. La coopération actuelle entre nos deux pays se fonde sur des valeurs européennes communes et sur le soutien pour un ordre international fondé sur les règles de droit.
Nous accueillons favorablement les dynamiques positives dans nos relations bilatérales, qui confirment le caractère stratégique du partenariat entre la Géorgie et la France, dépasse les politiques régionales et atteint des dimensions transnationales. Le soutien français pour la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Géorgie a été très utile pour maintenir la politique de non-reconnaissance des régions occupées en Géorgie dans le monde entier.
Nous vous remercions donc de votre engagement sans relâche. C’est encore plus important dans l’environnement sécuritaire actuel de la région de la mer noire. Nous apprécions aussi fortement le rôle substantiel que la France a joué dans le processus de transformation constitutionnel et socioéconomique de la Géorgie, puisque la France est l’un des plus grands donateurs internationaux de ces dernières années.
Je souhaite aussi souligner la question de la non-reconnaissance des territoires occupés, qui demeure cruciale à nos yeux. Malheureusement, quatre autres pays en plus de la Russie ont reconnu cette indépendance : le Nicaragua, le Venezuela, la Syrie et Nauru.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. De tels soutiens en disent long sur la légitimité de ces Républiques autoproclamées.
M. Shalva Papuashvili. Effectivement. Grâce au soutien de la France et de nombreux autres pays, nous pouvons garantir le maintien de cette politique de non-reconnaissance de l’autonomie de ces territoires. Récemment, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères de la France, Mme Colonna, a visité Tbilissi, ce qui a constitué un message fort de soutien politique à notre pays. Alors que nous avançons vers notre trajectoire européenne, nous avons été encouragés notamment par les annonces faites par votre ministre, qui a réaffirmé le fait que la France était prête à soutenir la Géorgie, afin qu’elle devienne un pays candidat à l’UE d’ici la fin de l’année. Nous espérons désormais un soutien encore plus affirmé de la part de nos amis Français lors de ce tournant de l’histoire de la Géorgie.
Nous vivons dans un monde de changements géopolitiques qui entraînent des turbulences politiques, économiques, militaires, sociales et environnementales. Pour la Géorgie, ce processus douloureux prend la forme d’une agression continue de la Russie en Ukraine ou de la résurgence de la confrontation militaire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Suite à l’invasion russe de l’Ukraine, l’architecture européenne de sécurité a été l’objet d’immenses pressions. À cet égard, nous comprenons parfaitement la souffrance et la douleur de l’Ukraine. La Géorgie a connu, elle aussi, l’agression de la Russie dans les années 1990 et encore en 2008. Cette agression a abouti à l’occupation de deux régions géorgiennes, l’Abkhazie et la région de Tskhinvali. Elle a également entraîné l’expulsion forcée de centaines de milliers de personnes de leurs villes ou de leurs villages.
Malheureusement, l’occupation russe et la violation des droits des populations locales se poursuit aujourd’hui de différentes manières : la « frontiérisation », le kidnapping de citoyens et l’annexion sournoise de ces territoires géorgiens, qui représentent près d’un cinquième de la surface totale de mon pays.
Malheureusement, au début des années 1990 et en 2008, malgré tous nos appels et nos avertissements, nous n’avons pas reçu de réponses suffisantes de l’Ouest. Certains pays européens – et l’UE encore aujourd’hui – refusent de qualifier les actions russes en Géorgie par leur nom – c’est-à-dire une occupation –, en dépit des nombreux jugements de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui ont reconnu que la Russie exerce un contrôle effectif sur ces territoires occupés.
Heureusement, nous observons aujourd’hui une réponse forte et unie de la part de l’Europe face aux actions agressives de la Russie. De notre côté, nous sommes solidaires de l’Ukraine, à la fois par les mots mais à travers des mesures politiques et diplomatiques solides. Je rappelle que ces mesures sont prises dans le contexte d’une présence militaire illégale de la Russie, à quelques kilomètres de notre capitale Tbilissi. La Géorgie est donc confrontée à un risque d’escalade militaire ; et pourtant nous ne sommes pas protégés par l’OTAN, ni par un quelconque parapluie sécuritaire. À l’aide de nos propres moyens, nous avons soutenu l’Ukraine dans son juste combat pour recouvrer son intégrité territoriale.
Dans cette situation géopolitique difficile, la Géorgie maintient fermement ses priorités en matière de politique étrangère. Tout d’abord, nous restons un partenaire fiable pour l’OTAN et l’UE en ce qui concerne les questions de sécurité internationale. À titre d’exemple, nous avons ainsi participé à des missions de maintien de la paix cruciales en Afghanistan mais aussi au Mali et en République centrafricaine, au côté de la France. Ensuite, notre politique vis-à-vis de la Russie se fonde sur une approche responsable, qui vise à réduire la menace d’une invasion russe directe et qui a été soutenue par la France et d’autres partenaires stratégiques.
La Géorgie demeure en outre un pilier important de la stabilité dans le Caucase du Sud, notamment en ayant joué le rôle de médiateur pour la paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Elle continue aussi de développer des partenariats mondiaux, afin d’obtenir la fin de l’occupation de son territoire par la Russie et la non-reconnaissance internationale de ses territoires occupés.
Enfin, la Géorgie est un allié de l’Europe en ce qui concerne les défis mondiaux comme le changement climatique et la lutte contre le terrorisme.
Chers collègues parlementaires, depuis plusieurs décennies, l’européanisation a été le moteur des politiques internes et étrangères de la Géorgie. Elle est aussi le moteur du programme de démocratisation de mon pays. De fait, la Géorgie s’inscrit aujourd’hui dans une perspective européenne, sur la route qui mène à l’adhésion à l’UE. Plus aucune question ne se pose quant au futur européen de la Géorgie, dont de nombreuses générations ont rêvé.
Nous avons été très rigoureux pour répondre aux douze priorités qui nous permettront d’atteindre le statut de pays candidat à l’Union européenne. Nous avons commencé à y travailler immédiatement après la parution de l’avis du Conseil européen, il y a près d’un an. Grâce à un processus interne de mise en œuvre très intensif, inclusif et transparent, multipartite, nous avons ainsi mis en œuvre près de 80 % des priorités listées par l’UE. Nous l’avons fait en coopération étroite avec les organisations de la société civile, avec nos partenaires dans l’Union et avec la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, ainsi que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Quelle que soit la personne ou l’entité qui évalue ces progrès aujourd’hui, il est indéniable que nous avons créé des bases solides et durables pour le futur européen de la Géorgie. Le 19 avril 2023, nous avions transmis à l’Union européenne notre premier rapport de contribution au paquet de la Commission sur l’élargissement, qui sera publié à l’automne 2023. Ce document présente le travail substantiel que nous avons réalisé cette dernière année et décrit les progrès accomplis dans de nombreux domaines, et notamment – de manière non exhaustive – s’agissant de la concurrence des marchés publics, des services financiers, du droit du travail, de l’Etat de droit, de la protection de la santé et des consommateurs, de la liberté des médias, de la politique sociale et l’emploi, de l’agriculture et de l’éducation.
Nous espérons que la performance de la Géorgie sera évaluée correctement et que les décisions seront prises selon le mérite de notre pays. Il est crucial de ne plus différencier la Géorgie des autres pays aspirant à rejoindre l’UE. Le rapport analytique de la Commission publié en janvier 2023 confirme les progrès remarquables que nous avons réalisés en matière de convergence juridique et institutionnelle avec l’UE, dans près de tous les secteurs. Ce rapport confirme également que la Géorgie a été leader parmi les aspirants à l’ouverture de négociations d’adhésion et qu’elle métrite donc d’obtenir ce statut de candidat, qu’elle méritait d’ailleurs déjà il y a un an. Malheureusement, nous n’avons pas été entendus à l’époque, ce qui a suscité une vive déception. Toutefois, nous avons refermé ce chapitre et nous regardons désormais vers le futur, en travaillant avec diligence et beaucoup d’espoir.
En conséquence, le peuple et le gouvernement géorgiens s’attendent à ce que le statut de candidat soit accordé à la Géorgie cette année. Nous espérons également que les négociations d’adhésion à l’Union européenne commenceront en même temps que celles concernant l’Ukraine et la Moldavie.
Accorder à la Géorgie ce statut de candidat dynamisera encore plus notre démocratie et offrira aussi un élan aux autres pays de la région, leur permettant de s’embarquer dans ce chemin de transformation démocratique.
Par ailleurs, la Géorgie n’est pas simplement bénéficiaire de l’aide européenne : elle contribue également aux causes de la sécurité européenne, notamment le soutien aux missions de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE en Afrique. J’ajoute que notre pays a fourni le plus grand nombre de personnels militaires par habitant dans les opérations de paix, notamment en Afghanistan,
Depuis le début de l’agression russe en Ukraine, la diversification des approvisionnements énergétiques européens est devenue un problème aigu. Aujourd’hui, la Géorgie est un élément essentiel du « corridor du milieu », qui pourrait être la route la plus courte et la plus sûre pour approvisionner l’Europe de manière alternative.
Le projet de câble électrique sous-marin en mer noire crée des opportunités de transit pour des énergies vertes et renouvelables entre l’UE et le Caucase du Sud. Il s’agit là d’un des efforts les plus récents pour promouvoir la diversification de cet approvisionnement énergétique. Nous sommes prêts à continuer de travailler avec l’Union européenne pour améliorer la connectivité dans la mer noire mais aussi pour ouvrir de nouvelles routes énergétiques, de transport de fret ou des nouvelles connexions numériques, qui se traduiront par une croissance économique durable et par une plus grande résilience du côté européen.
Pendant toutes ces années, la Géorgie a fait de son mieux pour devenir membre de l’Alliance atlantique et entrer dans l’UE, en dépit du danger réel des représailles russes. Bien que la Géorgie soit devenue interopérable avec l’OTAN, que nous ayons développé des institutions démocratiques qui répondent aux normes de l’Alliance et que nous ayons aussi codifié l’intégration européenne et euro-atlantique dans notre Constitution, la Géorgie a quand même été laissée de côté. Je rappelle d’ailleurs que les Etats de l’OTAN s’étaient pourtant engagés à en faire un membre de l’organisation, en avril 2008, lors du sommet de Bucarest.
Il est extrêmement important de voir des progrès tangibles dans la dimension politique de ce processus d’intégration. Nous comprenons qu’il est difficile d’obtenir de grandes avancées avant la fin de la guerre en Ukraine et la victoire ukrainienne. Toutefois, il est nécessaire de débuter des discussions sur la forme possible d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe.
En tant que pays en transition, la Géorgie affronte toujours des défis, alors que nous tentons de bâtir une société solide, résiliente et démocratique. Toutefois, nous sommes certains qu’avec l’appui de nos amis, en France et au-delà, nous pouvons surmonter ces obstacles et concrétiser notre vision d’un avenir prospère et pacifique. Il est temps que nos partenaires occidentaux viennent nous aider à sortir de cette impasse sécuritaire dans laquelle nous nous trouvons et de nous accorder l’accession que nous méritions à l’OTAN et à l’UE.
Depuis quinze ans, la balle est du côté de l’Ouest, de l’Union européenne et de l’OTAN. Le président Emmanuel Macron est un soutien fort de la cause européenne. Il est donc temps que l’UE investisse dans une paix à long terme, en prenant les mesures immédiates pour accorder le statut de candidat à la Géorgie cette année et en débutant les négociations d’adhésion.
Nos deux nations partagent des périodes d’histoire communes. Aujourd’hui, nous sommes unis dans notre poursuite d’un futur démocratique et européen. Que dieu bénisse cette relation entre la Géorgie et la France et que notre partenariat continue de se poursuivre et de prospérer pendant de longues générations.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie de votre déclaration très enthousiasmante, qui a été très fortement ressentie par nos collègues, comme en témoignent leurs applaudissements. Les orateurs des groupes politiques vont à présent s’exprimer et vous poser leurs questions.
M. Hadrien Ghomi (RE). Nous vous souhaitons la bienvenue à l’Assemblée nationale. Au nom de mon groupe, je vous remercie de votre présence au sein de notre commission, d’autant plus que nous avons conscience que la Géorgie et l’Europe dans son ensemble se trouvent à un tournant. À la suite du déclenchement par la Russie de la guerre en Ukraine, plusieurs pays, dont la Géorgie, ont manifesté clairement leur souhait de rejoindre l’Union européenne.
Ce désir d’Europe a également été exprimé par la population géorgienne. Croyez- bien que nous entendons et soutenons cette aspiration européenne que le peuple géorgien a choisi d’inscrire jusque dans sa Constitution. Le groupe Renaissance, qui a toujours défendu le projet européen, ne peut que se sentir solidaire des peuples comme le vôtre, qui aspirent à la liberté autant qu’à la sécurité collective. C’est pourquoi notre groupe n’a pu que regretter qu’un projet de loi sur les « agents de l’étranger » ait récemment risqué de faire obstacle à cette adhésion à l’UE, d’autant plus que nous connaissons les engagements exprimés par les institutions géorgiennes dans leur objectif d’intégration européenne.
Cette intégration représente pour nous la garantie d’une paix plus assurée et d’une plus grande prospérité. La Géorgie en connaît le prix, comme en témoigne l’occupation, depuis 2008, des provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, qui demeure encore aujourd’hui dans toutes les mémoires. À l’époque, l’UE et la France, qui en assurait la présidence, se sont tenues à vos côtés pour faire cesser ces attaques.
L’Union européenne a fait preuve de réactivité face à l’agression russe en Ukraine. Nous avons été unis, rapides et clairs. Très peu, à commencer par la Russie, s’attendaient à ce que l’UE puisse réagir de cette manière. Ainsi, nous répondrons présents pour vous soutenir dans la réalisation des priorités mises en avant par l’Union européenne dans la poursuite du processus d’adhésion. Alors que l’Union européenne doit se prononcer d’ici la fin de l’année sur le statut de candidat à l’adhésion de la Géorgie, comment envisagez-vous cette échéance ?
M. Shalva Papuashvili. Après la décision du mois de juin de l’année dernière, il existait un sentiment de frustration et de déception au sein du Parlement géorgien. Nous pensions en effet mériter ce statut de pays candidat, d’autant que l’évaluation de la Commission européenne était positive.
La Géorgie doit s’efforcer de faire mieux, mieux que les autres, et nous sommes en train de mettre en place des recommandations. Je vous ai précédemment indiqué que nous avons déjà respecté 80 % de objectifs fixés par l’Union européenne. Des étapes doivent encore être franchies mais le Parlement est responsable de la mise en place des douze recommandations. Nous disposons donc encore d’un mois avant la fin de la session parlementaire de printemps et nous souhaitons avoir tout finalisé d’ici la fin du mois de juin.
Si l’évaluation et la décision de la Commission européenne et du Conseil se fondent sur le mérite, la Géorgie devrait obtenir ce statut de candidat à l’adhésion. Cependant, nous savons qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question d’évaluation mais aussi d’une question de nature politique. Il est difficile d’exercer une influence sur de tels facteurs politiques, à plus forte raison quand vingt-sept pays doivent décider. Nous espérons néanmoins un soutien politique à notre candidature.
M. Alexis Jolly (RN). La situation politique en Géorgie est particulièrement instable. Les enjeux sous-jacents à la vie politique géorgienne dépassent largement le cadre national et s’inscrivent dans les grands bouleversements qui font l’actualité internationale. Les relations entre la Géorgie et la Russie sont tendues depuis longtemps. Ces tensions se sont aggravées avec les conflits en Ossétie du Sud, région séparatiste que revendique Moscou sur le modèle de la Crimée et du Donbass. Elle revêt pour les Russes une importance géostratégique majeure, des bases militaires y étant installées.
Ainsi, la Géorgie, qui a manifesté plusieurs fois son souhait d’intégrer l’UE et l’OTAN, se trouve évidemment dans une situation politique délicate. Prise entre deux pôles d’influence géopolitique majeurs, elle doit perpétuellement penser son destin en tenant compte de l’importante présence de son voisin russe, qui cherche à rétablir la zone d’influence qui était la sienne pendant la période soviétique.
L’actualité du pays est très riche : certains parlent même d’un second front en Géorgie, qui s’ouvrirait et s’inscrirait dans la même logique et avec les mêmes objectifs que la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine. De fait, la Géorgie et l’Ukraine partagent des caractéristiques communes : deux États voisins, anciennes Républiques soviétiques, des régions séparatistes pro-russes, une volonté d’adhésion à l’OTAN et à l’UE entravée par la présence russe sur le territoire national et d’incessants risques d’affrontements militaires.
Les actualités géorgiennes ont un lien plus ou moins direct avec cette crise politique, culturelle et civilisationnelle majeure qui se joue entre l’Occident et la Russie. Récemment, le Parlement géorgien a adopté un projet de loi visant à recenser les associations financées à plus de 20 % par des pays étrangers. Cette tentative a été perçue par une partie de la population comme une volonté de contrôler les associations pro-occidentales et a provoqué de nombreuses manifestations, notamment au sein de la jeunesse géorgienne. Ces manifestations ont permis le rejet de ce projet de loi, leur potentiel révolutionnaire devenant un danger pour le gouvernement et la majorité parlementaire. Ce retrait a été salué par les responsables européens et vivement critiqué par le Kremlin. Il existe donc, aujourd’hui, un regain de tensions en Géorgie, une extension des enjeux de la guerre en Ukraine et un accroissement du risque d’embrasement.
M. Shalva Papuashvili. Nous ne cherchons pas à trouver un équilibre entre la Russie et l’Occident : notre politique peut être qualifiée de « patience stratégique » depuis quinze ans. Elle ne vise pas la recherche d’un juste équilibre mais à éviter toute escalade et à faire cesser les interventions militaires à répétition de la Russie. Malheureusement, lorsque l’on observe la situation en Géorgie, rien n’a véritablement changé.
Nous connaissions la politique étrangère agressive de la Russie bien avant le 22 février 2022. En 2014, elle s’était déjà manifestée par l’annexion de la Crimée et encore avant, en 2008, par l’invasion de la Géorgie par la Russie.
La Géorgie fait également partie de l’alliance qui soutient l’Ukraine, de manière politique mais aussi à travers notre présence sur place. Notre situation est cependant unique au sein de cette alliance, dans la mesure où nous ne sommes pas couverts par le parapluie de sécurité de l’OTAN, ni par d’autres dispositifs. De plus, une base russe est située à 30 kilomètres de notre capitale et à 500 mètres de l’autoroute qui relie la Géorgie de l’Ouest et la Géorgie de l’Est.
En résumé, notre expérience – depuis trente ans – de trois guerres avec la Russie, directes ou indirectes, nous permet de connaître les menaces que fait planer ce pays. Nous nous efforçons d’éviter de tels risques et menaces.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Je n’évoquerai pas la question des droits humains, les rapports de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou ceux d’Amnesty international. En effet, ces questions sont souvent manipulées et les indignations sont sélectives. En Europe et même dans notre pays, nous ne respectons d’ailleurs pas toujours les droits humains.
En revanche, dans votre pays, il existe un réel débat concernant la situation géopolitique de la Géorgie. Vous êtes connu pour être un fervent partisan de l’intégration de la Géorgie à l’Union européenne et à l’OTAN. Dans le même temps, des forces politiques de votre pays s’accusent mutuellement de faire le jeu de Moscou. Votre propre formation politique a des positions parfois changeantes sur le sujet. Qu’en est-il vraiment ? Quel est le réel rapport de force ? Que pense la majorité du peuple géorgien ?
M. Shalva Papuashvili. Si vous le voulez bien, je laisse la parole à mon collègue Nikoloz Samkharadze, afin que vous puissiez entendre d’autres membres de notre délégation.
M. Nikoloz Samkharadze, président de la commission des affaires étrangères du Parlement de Géorgie. Le Parlement géorgien est composé de neuf partis, allant de la gauche à la droite ; l’ensemble du spectre politique est ainsi représenté. Il est donc naturel que différentes opinions, positions et évaluations y coexistent.
Cependant, nous sommes tous d’accord pour nous accorder sur l’orientation occidentale de la Géorgie, l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN. Ainsi, 85 % des Géorgiens sont favorables à l’adhésion à l’UE. Aujourd’hui, le terme « Russie » irrite tout le monde en Géorgie et accuser quelqu’un d’adopter une opinion favorable à la Russie revient à ternir son image. Par conséquent, chacun s’accuse d’être plus proche de la Russie que l’autre.
Cependant, je dois souligner qu’au cours des dernières années, nous n’avons jamais pris aucune mesure permettant de rapprocher la Géorgie de la Fédération de Russie. Comme le président Papuashvili l’a indiqué, nous nous trouvons dans une position unique, car la Géorgie est le seul pays au monde qui n’a pas de relations diplomatiques ni de traité de paix avec la Russie. Nous ne partageons qu’un accord de cessez-le-feu, qui avait été négocié en 2008, en partie par M. Nicolas Sarkozy, à l’époque président de la République française. Malheureusement, la Russie ne respecte pas cet accord.
Telle est la situation actuelle, tout le reste n’est que spéculation. J’ajoute que notre parti a inscrit dans la Constitution l’intégration dans l’OTAN et l’UE, alors qu’à l’époque aucun parti d’opposition ne soutenait cette inscription.
Mme Michèle Tabarot (LR). Je suis heureuse de notre échange sur la situation en Géorgie, magnifique pays que j’ai l’honneur et la chance de connaître. Ma commune abrite en effet une importante communauté géorgienne.
Aujourd’hui, je souhaite surtout vous assurer de notre soutien face à ce voisin dangereux qu’est la Russie. L’Occident n’a pas été au rendez-vous au moment où il aurait fallu être à vos côtés, sans réserve. Je suis convaincue que l’avenir de la Géorgie est avec nous, en Europe. De plus, en tant que membre de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je sais que vous êtes un partenaire solide de l’Alliance atlantique.
S’agissant de l’Union européenne, une nouvelle décision sera rendue en fin d’année et j’ai confiance dans la capacité de nos pays à avancer ensemble. Nous savons également que les relations avec la Russie constituent un enjeu majeur pour la sécurité de votre pays.
Dans ce contexte, la décision russe de rétablir les vols commerciaux avec Tbilissi et de lever son régime de visas nous interroge. La présidente de Géorgie a dénoncé ces actes comme des provocations. À votre niveau, j’ai vu que vous assumiez une politique de patience stratégique envers la Russie. Nous comprenons cette stratégie car il faut éviter tout dommage à votre pays. Mais ne craignez-vous pas que cela puisse venir troubler votre relation avec l’Occident ? Ces provocations de la Russie ne sont-elles pas une nouvelle étape de la déstabilisation visant à empêcher la Géorgie d’être maîtresse de son destin ?
M. Shalva Papuashvili. Après la guerre de 2008, nous avons mis en place cette politique de patience stratégique vis-à-vis de la Russie, soutenue par nos partenaires. En 2019, la Russie a interdit les vols à destination de notre pays. Dans le cadre de cette stratégie de patience, nous n’avons pas répondu à cette sanction, à l’époque. Il y a quelques semaines, la Russie a levé cette interdiction et nous sommes confrontés à une situation où le seul moyen de ne pas permettre les vols entre nos deux pays serait que nous sanctionnions à notre tour la Russie. Mais nous ne voulons pas le faire : notre première règle vise à ne pas susciter d’escalade, ni à prononcer de sanction. De fait, il a toujours été possible de rallier la Russie par avion depuis la Géorgie, notamment en passant par Erevan en Arménie.
Dès le début, nous avions annoncé que la Géorgie ne permettrait pas que les sanctions internationales contre la Russie soient contournées sur le territoire géorgien. Il n’existe pas de situation dans laquelle une personne ou une entreprise auraient pu éviter les sanctions contre la Russie grâce à la Géorgie. Simultanément, nous avons indiqué que nous n’allions pas imposer de sanction contre la Russie car les mesures de représailles pourraient encore plus endommager notre pays. Enfin, je précise que nous sommes un pays frontalier avec la Russie et la frontière n’est pas fermée. Les gens peuvent voyager en voiture d’un pays à l’autre.
M. Frédéric Zgainski (DEM). Au nom de mon groupe, je vous remercie de votre présence devant notre commission. Votre parti politique, le Rêve géorgien, a soutenu l’actuelle présidente de la Géorgie, qui se définit clairement comme pro-européenne. Elle l’a encore prouvé lors de son dernier déplacement à Bruxelles, en plaidant pour un rapprochement entre l’UE et votre pays. La population géorgienne semble d’ailleurs être largement en phase avec cette position.
Pouvez-vous nous présenter votre programme de réformes en réponse aux remarques de l’UE pour pouvoir vous inscrire sur la liste des pays candidats ? Charles Michel a lui-même indiqué que des progrès restaient à accomplir concernant la réforme de la justice, la liberté de la presse et de la société civile, la « désoligarchisation » et la dépolarisation de la vie politique : autant de sujets que vous ne nous avez pas encore présentés ce matin. Alors que votre pays est à un an d’élections importantes, ne devriez-vous pas accélérer ce programme de réformes ?
Je souhaite également aborder la réforme des institutions, que vous avez menée il y a quelques années. L’année prochaine sera marquée par la première élection de votre président par de grands électeurs, ce qui constitue un changement profond de système. Qu’attendez-vous de cette réforme en matière de fonctionnement de la démocratie ? Quels ont été les résultats de cette réforme ?
M. Shalva Papuashvili. Premièrement, tout est relatif. Quand vous parlez de notre pays et des progrès accomplis, il faut nous comparer avec d’autres pays candidats ou en cours de négociations d’adhésion. Dans le dernier rapport sur la perception de la corruption par Transparency international, la Géorgie est classée devant neuf pays membres de l’UE et devant tous les pays candidats. Cela en dit beaucoup sur nos institutions, notamment judiciaires. J’ajoute que la Géorgie est en première position mondiale en ce qui concerne l’indice de transparence budgétaire.
Ces éléments vous montrent à quel point les institutions fonctionnent. Si l’on compare la Géorgie avec d’autres pays candidats, des pays en cours de négociations d’adhésion, voire des Etats membres de l’UE, notre pays se trouve en bonne position. Ceci a été confirmée par l’évaluation de la Commission européenne, qui a classé la Géorgie devant l’Ukraine, la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine dans son rapport de 2022.
Ensuite, la polarisation est la nouvelle normalité dans le monde politique. La France n’en est pas forcément exempte. La polarisation fait désormais partie de la vie politique et du débat politique. De nombreux éléments contribuent à la nourrir, dont les réseaux sociaux par exemple. La Géorgie ne présente donc pas de situation particulière à cet égard. J’ajoute que la société géorgienne n’est pas polarisée, puisque 85 % de la population est favorable à l’intégration dans l’UE et l’OTAN. Ce soutien est parfois bien plus faible dans certains pays membres de l’UE. Plus globalement, la polarisation constitue plutôt un défi vis-à-vis de l’élite politique.
M. Nikoloz Samkharadze. S’agissant de la liberté des médias, un bon indicateur porte sur la liberté d’Internet. À cet égard, la Géorgie est située parmi les quinze premiers pays au monde dans ce domaine. En effet, la plupart de nos médias sont diffusés par Internet. Au-delà, nous avons 22 diffuseurs nationaux et plus de 100 diffuseurs régionaux, dans un pays dont la population est de 3,5 millions habitants. La liberté des médias est garantie ; le gouvernement n’y exerce pas d’influence.
Vous avez également évoqué l’élection du président. En 2017, la Géorgie a modifié sa Constitution et nous avons adopté un régime de République parlementaire. En Allemagne, le président de la République détient un pouvoir purement symbolique. Il est donc logique qu’un tel président soit élu par le Parlement. En Géorgie, les élections législatives auront lieu au mois d’octobre. Le nouveau Parlement et les nouvelles collectivités locales éliront le nouveau président.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Permettez-moi de revenir sur un point sur lequel il me semble que vous n’avez pas répondu. Deux éléments choquent en grande partie l’opinion publique à l’Ouest de l’Europe. Le premier a concerné la loi sur la qualification d’« agents de l’étranger » à l’égard d’associations ou d’organismes qui recevraient plus de 20 % de leur financement de l’étranger. Ceci est complètement contraire à l’esprit même de l’UE. Cette proposition a été suspendue, mais allez-vous l’abandonner ?
Le deuxième élément porte sur le sort de l’ancien président de la Géorgie. Je ne tiens pas à m’immiscer dans la mise en cause de M. Saakachvili, mais sachez que la révolution des roses est un événement qui compte pour nous. Nous y avons décelé un élan de transformation profonde de la Géorgie et cette période est associé au nom de l’ancien président Saakachvili. Ce dernier est revenu en Géorgie et il a indiqué qu’il arrêtait la vie publique. Ses conditions de détention sont très dures et l’ont conduit à mener une grève de la faim. Sa situation de santé est semble-t-il très affectée et elle nous importe. Ces deux exemples envoient des signaux assez profondément étrangers à la démarche de candidature de votre pays à l’adhésion à l’UE. Nous aimerions comprendre la cohérence de cet ensemble de faits.
M. Shalva Papuashvili. Je souhaite d’abord répondre à votre question concernant le projet de loi sur les organisations financées par l’étranger. Certaines organisations sont réglementées par la législation relative aux lobbys. J’ajoute que la Géorgie fait partie des pays les plus transparents en matière de financement des partis et de communication des revenus des élus. Vous pouvez ainsi consulter sur un site ma déclaration d’impôt, ainsi que les revenus de mon épouse. Le projet de loi avait été initié en raison de l’absence d’un cadre juridique imposant aux associations ou organisations de respecter un bon niveau de transparence. L’objectif consistait donc à y remédier.
Cependant, il est devenu impossible de discuter ce sujet parce que le projet de loi a été perçu comme un copié-collé de la législation russe sur les agents de l’étranger, en oubliant que les États-Unis disposent aussi depuis longtemps d’une législation spécifique, le Foreign Agents Registration Act (FARA). En réalité, notre projet de loi s’inspirait de l’outil législatif américain mais face à la réaction négative qu’il a suscitée, la discussion a été suspendue.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le texte a-t-il été abandonné ou reporté ?
M. Shalva Papuashvili. Il a été abandonné. Simultanément, le signe positif tient au fait que la société et les associations sont conscientes de la nécessité de la transparence, même si celle-ci n’a pas forcément besoin d’être consacrée par la loi.
Ensuite, vous avez évoqué la situation de M. Saakachvili. L’un des principes de base de l’État de droit est le suivant : chaque crime doit être puni. Or notre ex-président Saakachvili est l’auteur de plusieurs crimes. Deux des affaires ont déjà été jugées par des tribunaux géorgiens, tandis que trois autres sont encore en cours. Il n’existe pas de doute sur la culpabilité de M. Saakachvili dans les affaires qui ont déjà donné lieu à un verdict.
Un jugement de troisième instance l’avait condamné en 2018 mais, malgré tout, il était toujours libre de ses mouvements et pouvait se déplacer dans les pays de l’UE. En soi, cela n’était pas un bon message envoyé par le pouvoir judiciaire, qui aurait dû le remettre aux forces de l’ordre. Par la suite, il a décidé de revenir en Géorgie, un ou deux jours avant les dernières élections, pour organiser une révolution ou que sais-je d’autre. Heureusement, nos services de sécurité ont pu le retrouver et l’interpeller. Sa révolution n’a pas eu lieu et désormais, il est possible d’exécuter les jugements déjà prononcés.
Je précise également qu’il ne se trouve pas en milieu carcéral mais à l’hôpital. Il faisait une grève de la faim et avait formulé différentes accusations – torture, refus d’octroyer les soins nécessaires –, qui étaient injustifiées. Pourtant, des ambassadeurs de certains pays membres de l’UE ont quand même plaidé sa cause. En outre, il y a trois semaines, ses avocats ont demandé à la cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) la possibilité d’un transfert dans un autre pays pour traitement médical. Cependant, la cour de Strasbourg a estimé que tous les services médicaux nécessaires lui sont assurés en Géorgie, en milieu hospitalier.
Le plus grand soutien que l’Europe peut fournir à la Géorgie est de confirmer qu’une peine prononcée par des tribunaux judiciaires géorgiens doit être purgée et que chacun constate publiquement que tout auteur d’un crime doit être puni. Quant à la peine proprement dite, la CEDH a considéré que les conditions de détention ne devaient pas être mises en cause.
M. Nikoloz Samkharadze. Je ne sais pas si les membres de cotre commission savent que M. Saakachvili a dépensé un million de dollars pour s’assurer les services de lobbys aux États-Unis et publier des articles dans les plus grands journaux européens au sujet de sa situation à l’hôpital. Ces informations sont publiques et peuvent être consultées sur le site internet de la FARA aux États-Unis. Ces articles ont propagé une forme d’hystérie et de surenchère au sujet de son état de santé. En réalité, ces histoires sont erronées et nous sommes heureux de voir que la CEDH estime elle-aussi qu’aucune raison ne justifie sa libération de l’hôpital ou un transfert vers un autre pays.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous ne voulons pas nous ingérer dans les affaires géorgiennes. Simplement, soyez conscients qu’il est très difficile pour nous de comprendre que ceux qui ont contribué par le passé et ceux qui contribuent aujourd’hui à l’arrimage de la Géorgie à l’Europe et au monde libre se déchirent actuellement.
M. Alain David (SOC). Votre pays a longtemps fait figure d’exemple dans le Caucase en matière de réforme et de modernisation. Même si certains progrès restent indispensables, votre présidente a récemment entamé une tournée dans les capitales européennes, durant laquelle elle a affirmé sa volonté de renouer avec la famille européenne de la Géorgie. Pour ce faire, la Commission européenne a édicté l’an passé une douzaine de recommandations à mettre en œuvre pour que votre pays puisse obtenir le statut de candidat à l’adhésion.
La présidente Zourabichvili a également déclaré qu’accorder à la Géorgie le statut de candidat à l’UE permettrait de faire reconnaître la lutte incessante du peuple géorgien pour son identité européenne et de poursuivre sa quête de sauvegarde de la démocratie. Parallèlement à ce processus qui doit poursuivre son cours, votre pays pourrait d’ores et déjà jouer un rôle dans les différents conflits qui touchent ses voisins : je pense notamment à celui qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Est-ce possible ?
M. Nikoloz Samkharadze. Votre question est très pertinente. Il est difficile pour un pays de poursuivre ses réformes lorsqu’il est cerné par des conflits, au Nord comme au Sud. Heureusement, la Géorgie est le seul pays de la région qui bénéficie de la confiance et de la crédibilité des deux belligérants que vous avez évoqués. Nous avons donc un rôle important à jouer dans le processus de rapprochement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Il est important de noter que si la Géorgie peut avancer sur le chemin européen à travers le statut de candidat à l’UE, nous pourrons ultérieurement ouvrir la porte à l’Arménie, voire à l’Azerbaïdjan, qui pourront suivre la trace de notre pays. L’influence russe serait, de fait, moindre en Arménie et en Azerbaïdjan, ce qui entraînerait une situation politique complètement différente. Il est donc primordial que le statut de pays candidat à l’UE soit accordé à la Géorgie et que les négociations d’adhésion soient ouvertes. Il ne s’agit pas d’une question technique mais d’une question géopolitique.
M. Shalva Papuashvili. Je voudrais juste ajouter un commentaire. On peut estimer que la Géorgie a accompli des avancées dans le contexte européen.
Chaque personne humaine a son côté positif et son côté négatif. À ce titre, M. Saakachvili a réalisé des actions positives pour la Géorgie mais, simultanément, il est également l’auteur de crimes.
C’est à la justice de statuer, comme dans tout État de droit. Dans tout Etat de droit qui se respecte, la justice doit aussi déterminer les conditions d’exécution d’une peine : cela vaut pour M. Saakachvili comme pour tout justiciable.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je me permets de vous poser une question de Mme Emmanuelle Ménard concernant la situation humanitaire catastrophique dans le Haut-Karabagh. Estimez-vous le contexte critique ? Que pouvez-vous faire pour aider ?
M. Nikoloz Samkharadze. Nous suivons les développements de manière très attentive. Nous sommes en contact quotidien avec les deux pays belligérants. Cependant, la situation est difficile et des négociations sont en cours sur un éventuel traité de paix.
Depuis la phase violente de 2020, des problèmes demeurent à résoudre. Nous nous sommes engagés en faveur d’un processus de paix mais nous comprenons que la situation est loin d’être facile. Nous avons déjà entrepris plusieurs efforts de médiation et nous étions d’ailleurs les premiers à faire libérer des Arméniens détenus en Azerbaïdjan en échange de prisonniers au Haut-Karabagh. Nous avons également invité les ministres arméniens et azerbaïdjanais des affaires étrangères à Tbilissi, de même que les présidents des deux pays. Nous avons reçu une réponse positive de chacun d’entre eux et nous envisageons d’organiser cette réunion bientôt.
Nous sommes pleinement engagés auprès de nos voisins pour résoudre tous les problèmes en suspens, notamment les problèmes humanitaires. La paix et la stabilité dans le Caucase du Sud nous sont particulièrement chères.
M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). La Géorgie et son peuple aspirent à intégrer le camp des démocraties occidentales, l’Union européenne et l’OTAN. Vous avez par ailleurs compris que l’abrogation du projet de loi sur les agents étrangers nous tenait tous à cœur.
Votre pays est observateur de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) depuis longtemps. Au-delà de la promotion de la langue française, cette instance doit fournir l’occasion d’approfondir les liens entre la France et la Géorgie mais aussi entre l’UE et votre pays, d’autant plus que Tbilissi va accueillir la quarante-huitième session de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) en juillet prochain. Qu’en attendez-vous ? Comment cela peut-il s’articuler avec votre stratégie d’intégration à l’UE ?
M. Nikoloz Samkharadze. Nous sommes effectivement membres observateurs de l’OIF et nous allons devenir membres associés cette année. Nous accueillons la session de l’APF car nous souhaitons entretenir des relations plus étroites avec la France et les pays francophones, notamment la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, mais aussi bâtir des relations plus étroites avec des pays plus lointains, où la Géorgie ne dispose pas de représentation diplomatique. Les faire venir à Tbilissi nous permettra de leur monter la réalité sur le terrain. Comme le président Jean-Louis Bourlanges l’a indiqué, la Fédération de Russie tente de faire reconnaître l’indépendance des territoires occupés sur notre sol. À cet effet, les Russes sont particulièrement actifs dans plusieurs régions du monde, comme l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine. De notre côté, il est essentiel qu’aucun de ces pays ne reconnaissent l’indépendance de ces territoires occupés.
M. David Songulashvili, président de la section géorgienne à l’Assemblée parlementaire de la francophonie. En renforçant la francophonie en Géorgie, nous nous rapprochons de la France et nous renforçons la tradition démocratique qui nous unit à votre pays. Cela nous donne aussi l’opportunité d’accélérer le processus d’intégration à l’UE.
M. Gocha Javakhishvili, ambassadeur de Géorgie en France. Concernant la situation de la francophonie en Géorgie, la présence d’au moins trois membres francophones au sein de la délégation du Parlement géorgien aujourd’hui prouve l’importance que revêt la langue française pour notre pays. Vous avez rappelé que la présidente de la Géorgie est franco-géorgienne mais le premier ministre est également francophone, ayant été diplômé d’une université française. Il existe un vrai engouement pour la francophonie, la langue et la culture françaises en Géorgie. Enfin, la communauté géorgienne en France est l’une des familles francophones les plus dynamiques.
Je suis moi-même vice-président de la Renaissance française en Géorgie. Avec l’aide du Parlement et le soutien du gouvernement, nous sommes en train de renforcer l’enseignement du français sur tout le territoire géorgien. En lien avec l’OIF, nous avons mis en place des cours de langue française pour les hauts fonctionnaires et les diplomates géorgiens francophones. Nous sommes ravis d’accueillir la session de l’APF au mois de juillet et nous espérons aussi voir reconnaître à la Géorgie le statut de membre associé de l’OIF.
M. Shalva Papuashvili. Je souhaite revenir sur le projet de loi que vous avez évoqué à plusieurs reprises, afin de dissiper tout malentendu qui pourrait subsister.
La Géorgie est un pays ouvert, où l’on peut enregistrer une association en une seule journée. Il est également facile d’obtenir des financements de l’étranger. Or, par sa situation géopolitique, la Géorgie se trouve exposée. Vous avez ainsi mentionné les influences et le soft power russes. L’aspect économique n’est pas non plus négligeable, puisque la Géorgie fait partie du corridor central.
Le gouvernement et le Parlement géorgiens sont eux-mêmes largement ouverts. Ainsi, chaque citoyen peut venir au Parlement et assister aux sessions et réunions des commissions. Ils peuvent même y prendre la parole pour apporter leur contribution à la discussion, voire émettre des critiques sur les projets de loi. Nous sommes donc une société ouverte (« open society ») : l’influence des associations et des particuliers est assez notable.
Nous sommes très attachés à la transparence, qu’il s’agisse de celle du financement des partis ou des institutions publiques. En revanche, les associations ne bénéficient pas d’un tel cadre juridique ; ce n’est que sur une base volontaire qu’elles peuvent décider de publier leur rapport financier. Ainsi, la grande majorité des associations ne publient aucune information sur l’origine de leur financement.
Le projet de loi visait simplement à remédier à cette situation. En effet, ces associations peuvent être affiliées à des partis. Par exemple, les rapports sur les dernières élections ont montré que même les associations d’observateurs pouvaient être affiliées à des partis politiques, qui ne s’en privaient pas.
Il ne s’agissait donc pas de restreindre l’activité des associations mais de transposer en droit interne les dispositions d’une loi américaine. La seule obligation que nous envisagions d’adopter visait à ce que toutes les associations publient leur financement, et donc son origine. Mais comme la société civile a été très rapidement critique vis-à-vis de ce projet, le débat a finalement été totalement abandonné. Toutefois, nous observons que les mêmes débats ont lieu dans d’autres Parlements, en vue d’instaurer des systèmes comparables.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons à présent aux questions individuelles des membres de la commission.
Mme Mireille Clapot. Cette audition nous permet d’en apprendre beaucoup sur votre point de vue. Pouvez-vous développer la question de la connectivité numérique de la Géorgie ? Par ailleurs, l’Assemblée nationale française a récemment établi en son sein une commission d’enquête sur les ingérences étrangères, laquelle a mis en évidence les techniques employées par la Russie pour influencer des élus, en particulier ceux du Rassemblement national. Pensez-vous que les ingérences russes sont aussi prégnantes dans votre pays ?
M. Shalva Papuashvili. La connectivité fait partie des initiatives que nous menons. Nous voulons être au cœur de la route qui relie l’Europe à l’Asie, qu’il s’agisse du transport des marchandises ou de la connectivité Internet. Comme je l’ai indiqué précédemment, il existe un projet de câble électrique sous-marin en mer noire pour relier la Géorgie et la Roumanie, et au-delà l’UE. Ce câble permettra l’exportation d’énergie verte produite dans la région. Un câble sous-marin de fibre optique pour Internet sous la mer noire fait également partie de ce projet de connectivité.
Il existe trois itinéraires : le corridor Nord vers la Russie, le deuxième vers la Géorgie et un troisième vers le Sud. Le corridor Nord est fermé et le restera sans doute pendant un certain temps. Le corridor du Sud est lui-aussi confronté à certaines difficultés. Il reste donc le corridor du milieu, qui est le plus court et le moins onéreux pour relier l’Europe et l’Asie. Des négociations sont en cours avec l’Azerbaïdjan pour l’importation de ressources énergétiques. Ces différents éléments se conjuguent pour accroître l’intérêt de l’UE d’accueillir la Géorgie en son sein.
S’agissant de votre seconde question, la Géorgie a l’habitude des ingérences russes. La société géorgienne est sans doute moins sensible au soft power russe car elle le connaît depuis fort longtemps. Les Géorgiens ont déjà eu l’occasion d’éprouver les moyens utilisés par la Russie depuis deux cents ans. Parfois cette ingérence est visible, parfois elle est plus subtile, mais notre expérience nous montre qu’elle est toujours réelle.
Nos services de sécurité parviennent à détecter ces ingérences et s’efforcent de contrecarrer certaines menaces. Mais simultanément, la transparence des institutions publiques nous permet de révéler les intérêts financiers dès que possible. C’est la raison pour laquelle nous souhaitions obtenir plus de détails sur l’origine des financements des associations. Encore une fois, aucun cadre juridique n’impose à ce jour la communication de ces informations.
M. Nikoloz Samkharadze. Vous avez évoqué l’influence de la Russie auprès d’élus français. En Géorgie, une affaire a révélé qu’une élue recevait tous les six mois des financements en provenance du budget central de la Fédération de Russie. Ce financement était maquillé en versement de droits de propriété intellectuelle pour un parent éloigné. Nous savions pertinemment que cela était faux, puisque les Russes ne respectent jamais les contrats. Il était donc très curieux qu’une femme politique géorgienne touche un versement russe sur ces droits, qui remontaient aux années 1970 ou 1980.
M. Adrien Quatennens. Le président Bourlanges m’a un peu devancé mais je vais malgré tout poser la question que j’avais préparée. En mars dernier, le Parlement de Géorgie adoptait une loi qualifiant d’« agents de l’étranger » les particuliers, les associations, les organisations non-gouvernementales (ONG) et les médias recevant 20 % de leur financement de l’étranger. Le chef du parti majoritaire déclarait que cette loi aurait un effet préventif vis-à-vis de l’opposition radicale, un peu comme si en France le ministre de l’intérieur menaçait de supprimer les subventions de la Ligue des droits de l’Homme en raison de son opposition radicale…
Ces dispositions sont incompatibles avec le droit international, qui protège les libertés d’expression et d’association, notamment la convention européenne des droits de l’Homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont défilé pour en demander l’abandon, conduisant le 9 mars à un retrait temporaire. Compte tenu de la nécessité pour la Géorgie de respecter les droits de l’Homme si elle veut intégrer l’UE, pouvez-vous nous confirmer que ce projet de loi est bien définitivement abandonné ?
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois que notre hôte a déjà répondu à cette question mais je comprends parfaitement les raisons qui vous ont incité à la poser.
M. Shalva Papuashvili. Permettez-moi de répondre en m’exprimant au nom du Parlement. Le seul moyen d’empêcher l’adoption d’un projet de loi est de lui opposer une mesure constitutionnelle. Pour y parvenir, la Constitution impose ainsi de réunir une majorité des trois-quarts. Je vous ai dit à plusieurs reprises que le projet de loi était abandonné et je ne sais pas comment je pourrai mieux vous convaincre.
Je vous ai néanmoins expliqué le contexte de la discussion, en vous transmettant de manière franche toutes les informations. Ce sujet ne sera plus discuté. Cependant, nous allons voir si le Parlement européen traitera de ce sujet à son tour.
M. Jérôme Buisson. Les deux voisins de votre pays, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont une longue histoire conflictuelle. Celle-ci a débuté par les massacres arméno-tatars survenus à travers le Caucase de 1905 à 1907 et s’est renouvelée à travers le conflit du Haut-Karabagh de 1988 à 1994. Le dernier épisode guerrier en date concerna la seconde guerre du Haut-Karabagh de 2020, que tout le monde garde en mémoire.
En dépit du conflit historique entre ces deux voisins, votre pays entretient de bonnes relations avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Sur le plan économique et commercial, vous commercez activement avec ces deux voisins : une grande partie des produits arrivant en Arménie, pays enclavé sans accès à la mer, passent par votre territoire. De même, il existe de grandes minorités azéries et arméniennes en Géorgie, qui coexistent pacifiquement À titre d’exemple, 270 000 citoyens géorgiens sont azéris et près de 240 000 sont arméniens.
Je rappelle ici que le Rassemblement national a dénoncé et continue de dénoncer les actes belliqueux de l’Azerbaïdjan envers l’Arménie et les populations arméniennes dans le Haut-Karabakh. Au moment où des incidents éclatent entre les deux pays, il est toutefois fondamental que les pays frontaliers, ainsi que les grandes puissances jouent un rôle stabilisateur. Pensez-vous que la Géorgie peut-être un facteur de stabilité dans le Caucase du Sud ? De quelle manière peut-elle contribuer à l’atteinte d’une paix durable et juste pour les peuples arméniens et azéris ?
M. le président Jean-Louis Bourlanges. En politique, il vaut mieux se répéter que se contredire. Cette question vous a déjà été posée mais vous avez là l’occasion de développer votre réponse.
M. Nikoloz Samkharadze. La Géorgie est un facteur stabilisateur dans le Caucase du Sud et, comme vous l’avez dit à juste titre, notre pays entretient des rapports excellents avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La Géorgie est le seul pays, non seulement dans le Caucase du Sud, mais au-delà dans toute la région, ayant de telles relations, notamment économiques, avec ces deux pays. Pour l’Arménie, la Géorgie est effectivement essentielle en matière de transport des marchandises. Nous sommes par ailleurs un partenaire stratégique de l’Azerbaïdjan pour des projets structurels et énergétiques.
Les deux pays savent que la Géorgie ne recherche aucun autre intérêt. Nous recherchons uniquement la paix et la stabilité dans le Caucase du Sud. Ces pays font confiance au nôtre et comme vous l’avez souligné. De même, les minorités azéries et arméniennes sont bien représentées en Géorgie.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le président, je vous invite à présent à conclure cette audition.
M. Shalva Papuashvili. Je vous remercie de m’avoir offert la possibilité de m’entretenir avec les membres de votre commission. Notre discussion a été très dynamique et nous avons pu nouer un véritable échange. Je vous remercie également du soutien de l’Assemblée nationale et, au-delà, de celui de la France. Nous sommes persuadés que ce soutien sera constant sur le chemin de l’adhésion à l’Union européenne.
Je répète que nous cherchons d’abord à obtenir ce statut de pays candidat et nous espérons obtenir une réponse positive d’ici à la fin de l’année. Cette décision sera en grande partie déterminée par la France.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie beaucoup, Monsieur le président – ainsi que l’ensemble de votre délégation – d’être venu devant notre commission aujourd’hui. Vous avez répondu à nos questions de manière extrêmement franche ; vous nous avez fourni des éléments d’information tout à fait précieux. De plus, je suis très heureux d’avoir, à cette occasion, fait la connaissance de mon homologue, le président de la commission des affaires étrangères du Parlement de Géorgie. Je pense que nous aurons de nouvelles occasions, assez régulières, pour faire le point sur cette convergence que nous appelons tous de nos vœux, entre l’ensemble occidental, l’OTAN, l’Union européenne et la Géorgie. Il s’agit d’un processus de rapprochement et nous verrons de quelle manière la Commission européenne réagit à vos efforts.
En conclusion, je vous appellerai néanmoins à ne pas vous tromper : ne commettez pas l’erreur de croire que l’on rentre dans l’UE comme on rentre dans l’OTAN. L’OTAN est une alliance entre États souverains qui restent indépendants et peuvent en partir. Il n’en va pas de même de l’Union européenne et les Polonais sont en train de le découvrir. Le fonctionnement de l’UE est en effet beaucoup plus contraignant. Il ne s’agit pas d’un État fédéral car l’Union n’a pas, comme Abraham Lincoln l’évoquait dans le cadre de la guerre civile américaine, « la compétence de la compétence » ; je rappelle aussi que Lincoln avait dit aux États du Sud qu’ils n’avaient pas le droit de faire sécession. Au sein de l’UE, il est possible de faire sécession, comme l’a montré le Brexit.
Reste que le système communautaire lui-même présente un caractère fédéral : le Parlement européen est supranational ; un Conseil des ministres décide à la majorité qualifiée et ce, de plus en plus ; il existe également une Cour de justice de l’Union, ainsi qu’une banque centrale. Ces institutions sont contraignantes et le droit communautaire, par définition, s’impose au droit des États membres. Cette logique n’est pas toujours acceptée, y compris en France, où certains partis sont très réservés vis-à-vis des institutions européennes et de leur fonctionnement. Cependant, tel est le fondement juridique et politique de la communauté que la France a appelé de ses vœux, puisqu’en 1950, avec Jean Monnet et Robert Schumann, nous avons jeté les bases de cette organisation.
Il ne s’agit donc pas simplement de savoir si vous remplissez les conditions mais, beaucoup plus profondément, de savoir si ce type d’engagement vous agrée. Les pays qui firent jadis partie de l’Union soviétique sont en effet confrontés à une difficulté spécifique. En effet, la doctrine soviétique, celle de Brejnev, reposait sur la « souveraineté limitée ». Vous détestez cette doctrine et vous avez bien raison : la souveraineté limitée revenait à justifier l’ingérence dans tous les affaires de toutes les Républiques.
Dans l’Union européenne, la situation est différente : il s’agit d’une compétence partagée et librement consentie. Cependant, la supériorité du droit communautaire sur le droit national des États membres dans les domaines de compétence de l’Union constitue malgré tout une contrainte évidente. Pour des pays comme le vôtre, qui ont si fortement combattu pour leur souveraineté et leur indépendance, il y a là une révolution culturelle et un changement d’attitude qui constituent peut-être les éléments les plus importants et les plus difficiles pour réussir votre entrée dans l’Europe. Je l’ai dit de la même manière aux pays des Balkans occidental et je dois vous avouer que les Serbes, par exemple, ont du mal à l’admettre.
Cependant, il s’agit bien de la partie intégrante du système. Les Polonais l’avaient accepté en adhérant mais le remettent en cause aujourd’hui, en considérant que l’Union européenne est seulement la réunion de quelques États qui s’accordent pour agir ensemble. Mais ce n’est pas le cas : l’UE constitue une communauté bien plus ambitieuse et bien plus exigeante. Pendant vingt ans, j’ai été membre du Parlement européen. Le message que je viens de vous transmettre était central il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, tout le monde a tendance à l’oublier mais, à mes yeux, il s’agit du message fondamental.
Encore une fois, la véritable difficulté est de cet ordre, au-delà des autres efforts qui sont par ailleurs nécessaires. Vous avez réussi votre transition économique et vous avez bien décrit tous les progrès accomplis. Cependant, l’accord sur la nature du pacte avec l’Union européenne est bien plus compliqué qu’avec l’OTAN. En effet, la solidarité structurée autour de l’article 5 du traité de Washington est forte mais les États demeurent malgré tout souverains.
Telle est ma propre conclusion, que je formule à titre personnel et non au nom de la commission des affaires étrangères. Mais les amis sont d’abord des personnes et j’espère que nous considérons les uns et les autres comme des amis.
La séance est levée à 13 h 05
----------------
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Farida Amrani, Mme Clémentine Autain, Mme Véronique Besse, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Louis Boyard, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Arthur Delaporte, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Frédéric Falcon, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Sylvain Maillard, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Nathalie Oziol, M. Bertrand Pancher, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Michèle Tabarot, M. Aurélien Taché, Mme Laurence Vichnievsky, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - M. Carlos Martens Bilongo, M. Moetai Brotherson, Mme Eléonore Caroit, Mme Julie Delpech, M. Thibaut François, M. Meyer Habib, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, M. Tematai Le Gayic, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, M. Christopher Weissberg, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa