Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition conjointe avec la commission des affaires européennes de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la réforme des règles du Pacte de stabilité et de croissance, l’harmonisation fiscale et la politique industrielle européennes 2
– présences en réunion...........................25
Mardi
28 mars 2023
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 54
session ordinaire de 2022-2023
Co-Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
et de
M. Pierre-Alexandre Anglade,
Président de la commission des affaires européennes
— 1 —
La commission entend conjointement avec la commission des affaires européennes M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la réforme des règles du Pacte de stabilité et de croissance, l’harmonisation fiscale et la politique industrielle européennes.
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le président Pieyre-Alexandre Anglade et moi-même avons le plaisir d’animer cette audition conjointe de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, par la commission des finances et la commission des affaires européennes.
Monsieur le ministre, vous avez accepté de venir évoquer devant nos deux commissions les sujets d’intérêt européen qui nous concernent ; je vous en remercie.
Il s’agit, en tout premier lieu, de la question des règles du pacte de stabilité et de croissance (PSC), ainsi que de leur réforme. Ces règles ont été suspendues lors de la crise due à l’épidémie de covid-19, en mars 2020, et cette suspension dure encore. Néanmoins, la clause dérogatoire générale doit arriver à son terme fin 2023, et la question de l’évolution de règles à la fois rigides et guère adaptées à la situation économique des pays de la zone euro se pose avec une acuité particulière.
La Commission européenne a présenté, en novembre dernier, un projet de réforme du cadre de gouvernance, que je qualifierai de minimal, puisqu’il maintient les critères de dette et de déficit antérieurs, ainsi qu’une procédure de sanction pour déficit excessif, même s’il prévoit par ailleurs des plans de convergence individualisés pour chaque État. Ce projet de la Commission a fait l’objet d’un accord de principe lors du Conseil pour les affaires économiques et financières (Ecofin) du 14 mars et a été discuté lors du Conseil européen des 23 et 24 mars. Nous aimerions connaître le calendrier de mise en œuvre, ainsi que votre analyse de ses principales caractéristiques et de ce que la France peut en espérer.
L’harmonisation fiscale est une autre question majeure, renouvelée par le choix de l’Union européenne d’assurer une application effective du pilier 2 de la réforme Beps (Base Erosion Profit Shifting), engagée dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’objectif de ce pilier est d’assurer une imposition effective minimale des plus grandes entreprises – celles dont le chiffre d’affaires annuel est d’au moins 750 millions d’euros.
Une directive adoptée par le Conseil le 15 décembre 2022 doit être transposée par les États membres d’ici à la fin 2023. Nous serons particulièrement attentifs à ce que vous pourrez nous dire concernant la manière dont cette transposition peut être envisagée côté français, ainsi que les conséquences que l’on peut en espérer, que ce soit en matière de recettes fiscales ou de choix de localisation des grandes entreprises.
Enfin, la politique industrielle européenne, qui avait déjà fait l’objet d’une mise à jour en 2021 pour tenir compte du besoin de reprise économique en Europe, est renouvelée par les récentes propositions de la Commission relatives à un plan industriel du Pacte vert, déclinées en deux propositions de règlement – l’une, sur les matières premières critiques, l’autre, pour une industrie zéro émission nette –, ainsi qu’une proposition de révision du cadre des aides d’État. Il sera intéressant de savoir comment la France pourra s’inscrire dans cette perspective.
M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes. Je me joins au président Coquerel pour vous remercier, monsieur le ministre, de votre présence devant nos deux commissions.
Cette audition intervient à un moment important : le Conseil européen des 23 et 24 mars vient de définir les voies d’une réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA), cette loi qui, en réservant les aides nouvelles aux énergies renouvelables dont les équipements ont été produits aux États‑Unis ou aux véhicules assemblés en Amérique du Nord, crée un risque majeur de délocalisation des industries européennes vers le territoire américain.
Il convient de saluer la réponse européenne, aussi bien pour les mesures prises – relatives, notamment, à l’approvisionnement en matières premières critiques ou à la facilitation du déploiement de sites industriels spécialisés dans la production de technologies propres – que pour la rapidité avec laquelle elles ont été entérinées. En effet, le risque de voir nos industries d’avenir partir vers les États-Unis est réel. Il n’y aura pas d’avenir radieux pour notre économie, pour notre souveraineté et notre indépendance si nous ne gagnons pas la bataille de l’industrie décarbonée. À cet égard, il était extrêmement important que l’Union européenne élabore une réponse. Nous voyons se dessiner une véritable politique industrielle européenne. C’est un succès français, puisque nous défendions cette démarche à Bruxelles depuis de nombreux mois.
Cependant, l’idée d’un fonds de souveraineté européenne n’a pas été explicitement approuvée par les chefs d’État et de gouvernement. Elle reste malgré tout pertinente, puisqu’il existe près de 500 milliards d’euros de fonds européens divers qui ne sont pas utilisés et pourraient être affectés intelligemment. Cette idée a-t-elle des chances de se concrétiser ?
Nous devons également avancer en ce qui concerne la réforme du marché européen de l’énergie, indispensable pour découpler le prix de l’électricité de celui du gaz et lisser ainsi le prix de l’énergie. La Commission européenne a fait ses premières propositions. Nous aimerions entendre votre analyse et connaître la position de la France.
L’harmonisation fiscale est une autre question essentielle. Je salue une fois de plus l’accord trouvé en décembre dernier, qui permet d’introduire une imposition minimale de 15 %. Il définit des règles communes afin que l’impôt sur les sociétés soit prélevé dans le pays où l’activité économique produisant des bénéfices a été déployée. Cela empêchera les grandes multinationales de transférer leurs bénéfices vers des pays où la taxation est faible. C’est un levier important pour lutter contre l’optimisation fiscale et les paradis fiscaux. Il y va de la justice : quand une grande entreprise déploie une activité économique dans un État en vendant des services à ses citoyens, il est normal qu’elle apporte sa contribution. La question est de savoir à quelle échéance nous pouvons espérer l’application de l’accord en Europe. J’espère que cela se fera rapidement. Nous aimerions vous entendre sur ce point également.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Si je devais retracer l’histoire de la construction européenne depuis que nous avons la majorité, c’est-à-dire depuis six ans, je dirais que notre objectif, avec le Président de la République, a été de passer d’une Europe dépendante à une Europe souveraine. Sur tous les sujets que vous avez mentionnés – industriels, budgétaires, fiscaux –, nous avons voulu affirmer la souveraineté européenne en menant des politiques qui se sont concrétisées au cours des six dernières années alors qu’elles étaient hors de portée auparavant.
La première révolution en matière de souveraineté concerne le domaine industriel. Pendant des décennies, l’Europe a cru bon d’avoir une politique industrielle inexistante, consistant à se dire : « Allons chercher la production là où elle est la moins chère, puis assemblons ce que nous pouvons assembler sur notre territoire, quitte à ce que cela se traduise par des délocalisations massives. » Le meilleur exemple de cette politique a été la France, qui est l’un des pays développés ayant le plus délocalisé au cours des trois dernières décennies ; elle a abandonné des pans entiers de son industrie et détruit 2 millions d’emplois industriels. J’ai toujours considéré que c’était la faute économique la plus grave qui avait été commise contre la France et contre les Français depuis trente ans, et je n’ai cessé de me battre contre cette orientation.
Nous avons engagé une politique de reconquête industrielle, au niveau national comme au niveau européen. Avec mon homologue de l’époque, Peter Altmaier, nous avons mis en place, pour la première fois, une politique industrielle européenne, en publiant ensemble il y a quatre ans un manifeste pour l’industrie européenne. C’était la première fois que les ministres de l’économie français et allemand défendaient l’idée d’une politique industrielle européenne, là où auparavant la liberté la plus totale devait régner. Nous l’avons incarnée par des mesures très concrètes et radicalement nouvelles pour l’Europe. Je pense en particulier aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), qui constituent une révolution culturelle pour l’Europe. Cela consiste à dire que, pour développer de nouveaux secteurs industriels, il faut des aides d’État. Vous ne pouvez pas créer de nouveaux secteurs industriels, qui, par définition, ne sont pas rentables au début, si vous ne disposez pas d’un écosystème bénéficiant d’aides d’État qui leur permettent de se développer dans des conditions de concurrence comparables à celles de la Chine ou des États-Unis. Nous avons ainsi lancé des Piiec pour les semi-conducteurs, les batteries et l’hydrogène. Là où il n’y avait rien, nous avons mis quelque chose. Alors que pas une seule batterie électrique n’était produite sur le sol européen – elles étaient toutes produites en Asie, notamment en Chine –, nous allons ouvrir des usines qui en fabriquent, et la France sera l’un des grands pôles de production des batteries électriques en Europe.
Nous nous sommes battus également pour la réciprocité commerciale en instaurant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), car il ne sert à rien de décarboner le béton, l’acier ou l’aluminium si c’est pour réimporter à bas coût ces mêmes matériaux produits dans des conditions environnementales désastreuses.
Enfin, nous avons mis en place des règlements sectoriels, avec le Chips Act, qui permet de lancer et de soutenir la production de semi-conducteurs en Europe.
De ce point de vue, je considère que c’est une révolution idéologique qui a été menée, sous l’impulsion de la France, pour défendre une politique industrielle dans laquelle les États ont toute leur part. Je considère également que les décisions américaines, avec l’Inflation Reduction Act, nous rappellent que la partie n’est pas encore gagnée et qu’il faut redoubler d’efforts pour utiliser la décarbonation de l’économie comme un moyen de relocaliser notre production industrielle, notamment les chaînes de valeur les plus stratégiques.
À cet égard, nous nous sommes battus pour que, dans le Net Zero Industry Act, qui définit le nouveau cadre des aides d’État européennes, nous simplifiions encore les possibilités d’aide publique pour le développement des technologies industrielles de transition bas-carbone. Ce texte, émanant de la Commission européenne, est largement inspiré par les propositions françaises. Il prévoit notamment qu’au-delà des subventions, qui étaient possibles dans le cadre des Piiec, on pourra accorder des crédits d’impôt pour financer sur le long terme le développement d’industries vertes, dans le domaine de l’hydrogène ou d’autres technologies bas-carbone.
Nous nous sommes battus également pour que voie le jour le Critical Raw Materials Act, qui vise à encourager la production, la transformation et le recyclage en Europe de matières premières critiques, l’objectif étant de maîtriser l’intégralité d’une chaîne de valeur, du lithium jusqu’à la batterie lithium-ion – liquide aujourd’hui, solide demain –, sans oublier son recyclage et la production des anodes et des cathodes, qui exigent des technologies de pointe.
Nous devons, pour cela, mobiliser les financements nécessaires. C’est l’objectif de ce nouveau cadre temporaire ; c’est aussi celui de la création de l’Union des marchés de capitaux, que nous espérons aussi rapide que possible. Il est indispensable de rassembler des moyens de financement européens si nous voulons réussir la transition écologique, dont le coût est très élevé.
Enfin, toujours dans la perspective de développer l’industrie, nous devons renforcer notre politique commerciale. C’est l’objectif des instruments antidumping, notamment les mécanismes visant à assurer la réciprocité des marchés publics et le MACF.
La souveraineté budgétaire est un deuxième élément fondamental – en évoquant cet aspect, je répondrai à la question relative au pacte de stabilité et de croissance.
Faut-il des règles dans la zone euro ? La réponse est oui. Les règles actuelles sont-elles adaptées ? La réponse est non, pour deux raisons.
La première tient au fait que les niveaux de dette publique sont devenus tellement différents d’un État membre à l’autre qu’imposer la même règle et le même calendrier aux dix-neuf pays de la zone euro est tout simplement hors de portée. Or rien n’est pire que des règles totalement inapplicables – c’est un peu comme quand vous menacez vos enfants de les laisser sur le bord de la route : vous savez bien que vous ne le ferez pas. Prétendre ramener la dette de tous les États membres de la zone euro à 60 % de leur PIB n’a absolument aucun sens lorsque l’on sait qu’en 2021, le ratio atteignait 195 % en Grèce, soit cinq fois plus qu’au Danemark, contre deux fois plus en 2000. Il faut tenir compte du principe de réalité.
La seconde raison tient au fait que nous sommes confrontés à des besoins d’investissement dans deux domaines au moins qui s’imposent aux dix-neuf États membres de la zone euro : d’une part, nous devons garantir notre sécurité, ce qui suppose d’investir dans l’outil de défense, à un moment où il y a la guerre sur le territoire européen, et, d’autre part, nous devons opérer la transition écologique face à l’urgence climatique, ce qui implique d’investir massivement dans la décarbonation de l’économie.
S’il faut donc des règles garantissant l’unité de la zone euro, il doit s’agir de règles nouvelles, tenant compte à la fois de la réalité des niveaux d’endettement des pays et des besoins d’investissement.
C’est la raison pour laquelle nous avons défendu trois principes dans le cadre de la révision du pacte de stabilité et de croissance. La Commission précisera ses orientations le 26 avril, mais celles qui ont d’ores et déjà été adoptées par le Conseil Ecofin reflètent les propositions françaises.
Le premier principe est la différenciation des trajectoires budgétaires. Quand les niveaux de dette publique sont aussi différents d’un pays à l’autre, il vaut mieux partir du niveau d’endettement de chacun et élaborer des trajectoires différentes. Ce qui compte, c’est la tendance, beaucoup plus que la valeur absolue. Il vaut mieux qu’un État partant de 185 % arrive à 160 % ou 150 % au bout de trois ans plutôt que de décider que tout le monde doit être à 60 % à ce moment-là, ce qui est tout simplement hors de portée. Si un État s’inscrit dans une tendance de réduction de sa dette et de rétablissement de ses finances publiques, c’est une bonne chose et il faut qu’il avance dans cette direction.
Le deuxième principe clé est l’appropriation : il faut laisser à chaque État membre de la zone euro la liberté, l’indépendance politique de définir lui-même sa trajectoire budgétaire, en fonction de ce qu’il estime être ses priorités. C’est à lui de dire comment il peut parvenir à réduire sa dette publique. En ce qui concerne la France, notre stratégie est connue : stimuler la croissance de sorte qu’elle augmente plus vite que la dépense publique, ce qui suppose d’opérer des réformes de structure – par exemple celles de l’assurance chômage et des retraites.
Le troisième principe est la prise en compte des investissements et des réformes pour faire passer la période d’ajustement de quatre à sept ans. C’est une manière, d’une part, de reconnaître le courage des États qui poursuivent les réformes – comme nous le faisons –, et, d’autre part, d’inciter les États à faire la différence entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement : lorsqu’ils procèdent à des dépenses d’investissement, ayant notamment pour objet de décarboner leur économie, on doit leur accorder un peu plus de temps pour opérer l’ajustement budgétaire. Cela me paraît sain et même nécessaire, dès lors qu’il est indispensable d’investir dans les technologies bas-carbone.
Tels sont les trois principes sur lesquels nous sommes arrivés à un consensus, après de longues négociations, lors du Conseil Ecofin du 14 mars. La voie est désormais ouverte pour des travaux législatifs, qui devraient se conclure en 2023.
S’agissant de la France, les chiffres qui sont tombés ce matin sont encourageants, même s’ils ne sont pas suffisants : en 2022, le déficit a été de 4,7 %. Nous restons totalement déterminés à rétablir nos finances publiques : nos objectifs sont de revenir sous la barre des 3 % de déficit public en 2027 et d’engager la baisse la dette publique. Nous sommes convaincus que la France doit dépenser moins que ce qu’elle produit, sous peine de s’appauvrir. C’est une règle de bonne gestion. Notre fil directeur, dans le rétablissement des finances publiques, c’est produire plus que ce que nous redistribuons et dépensons. Les résultats obtenus montrent qu’il est possible de rétablir les finances publiques sans brutalité ni excès de rapidité, mais avec une détermination totale et une grande constance dans les décisions.
La souveraineté fiscale est un troisième élément fondamental. L’Europe doit maîtriser sa fiscalité. De ce point de vue, la France, au cours des six dernières années, a été le moteur de deux avancées majeures : la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés et la taxation des géants du numérique. Nous pouvons en être fiers.
S’agissant de la taxation des géants du numérique, nous avons livré le combat parfois collectivement, parfois seuls. La France a été le premier État en Europe, contre l’avis de M. Trump et en encourant les sanctions américaines, à se doter d’un tel mécanisme. À tous ceux qui disent que nous ne faisons pas preuve de justice fiscale, je rappelle que cette taxation rapportera 670 millions d’euros en 2023.
Nous avons également œuvré pour créer une imposition minimale des entreprises au niveau mondial – c’est le fameux pilier 2 –, qui a été reprise dans la directive adoptée le 15 décembre dernier. Les grands groupes multinationaux dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros seront assujettis à un niveau minimum effectif d’impôt de 15 % sur les revenus produits dans chacun des pays où ils opèrent. Je souhaite que la transcription de ce principe fasse l’objet d’un projet de loi de transposition avant la fin du deuxième trimestre 2023, et que ce texte recueille un accord aussi large que possible, car il nous permettra d’enregistrer au moins 1 milliard d’euros de recettes fiscales supplémentaires.
M. le président Éric Coquerel. Votre présentation suscite de ma part de nombreuses réflexions.
On est toujours dans un système que je caractériserai comme néolibéral – d’aucuns diraient de politique de l’offre ou encore de réduction des dépenses publiques – qui, à chaque crise, doit être mis entre parenthèses parce qu’il n’est pas capable d’y faire face, alors même qu’il en est pour partie responsable. C’est ce qui s’est passé durant la crise des subprimes et celle du covid. Après, on essaie de le remettre sur les rails, comme si ces parenthèses ne devaient pas servir de leçon, c’est-à-dire qu’elles ne démontraient pas que le système n’était ni adapté ni nécessaire pour réussir la construction européenne.
Une autre chose m’inquiète : on part de l’idée que les crises sont derrière nous. Or je ne le crois pas. Je ne sais pas si la prochaine crise sera financière et bancaire, mais les nouvelles récentes venant de la situation de la Deutsche Bank en Allemagne me font craindre une épidémie.
Vous dites qu’il faut des règles – d’accord. Vous dites que les règles actuelles ne sont pas adaptées – d’accord également. Là où le bât blesse, c’est que vous nous décrivez un retour à une politique que je qualifierai d’austérité – vous récuserez le terme, je le sais –, liée au pacte de stabilité et de croissance. De plus, j’ai l’impression que votre description est light par rapport à ce qui va nous arriver : sur le papier, le mécanisme est beaucoup moins souple et laisse une place plus réduite aux souverainetés nationales pour adapter cette politique.
J’ai retenu de votre présentation que les pays européens disposeraient, à partir de 2023, de quatre années pour ramener le déficit public à 3 % et la part de la dette rapportée au PIB à 60 %, et de trois années supplémentaires si des facteurs conjoncturels intervenaient. Quoi qu’il en soit, les États continueront à devoir atteindre ces objectifs. De plus, en contrepartie de ces « libéralités », les sanctions seront beaucoup plus strictes et systématiques. J’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce propos. Vous avez reconnu vous-même avec honnêteté que la plupart des pays européens étaient à des années-lumière des 60 %. De fait, près du tiers des pays de la zone euro affichent un ratio supérieur à 100 %, et la moyenne se situe autour de 95 %.
Pouvez-vous donc nous préciser la portée exacte de ces mécanismes de sanction rénovés et les conséquences concrètes qu’ils pourraient avoir pour la France à brève échéance ? Que nous demande-t-on en échange de cette souplesse ? En dix ans, la Commission a demandé huit fois à la France de réformer son système de retraites. Voilà qui permet de comprendre un peu mieux les raisons de la situation où nous sommes : la réforme en cours n’a pas grand-chose à voir avec l’équilibre du système, mais beaucoup avec les exigences de la Commission. Celle-ci a demandé 63 fois aux États européens de réduire les dépenses de santé et 139 fois de réformer leur système de retraite. Outre les sanctions, il y a donc les exigences. Comme vous le disiez – mais je ne le dis pas dans le même esprit –, la question n’est pas tant d’atteindre les 60 % que la tendance, c’est-à-dire les efforts que l’on demande, et qui sont toujours les mêmes, à savoir la réduction des dépenses publiques et de la dette.
À ce propos, je continue à m’interroger sur la politique qui a été menée s’agissant de la dette créée par le covid. Cette dette est spécifique ; elle a été rachetée par les banques centrales, ce qui veut dire qu’elle n’appartient pas au marché – elle est à nous. Je persiste donc à penser que, dès lors que nous ne faisions pas défaut sur les marchés, il aurait mieux valu annuler cette dette, comme ce fut le cas à certains moments exceptionnels de l’histoire, au lieu de se retrouver à traîner un fardeau imposant des politiques de baisse des dépenses publiques. Le fait que la Banque centrale européenne soit en train de revendre sur les marchés une part de ces dettes souveraines m’inquiète pour l’avenir, car cela nous place de nouveau entre leurs mains.
S’agissant de la souveraineté fiscale, elle me semble impliquer la lutte contre le moins-disant fiscal, qui appauvrit les États et se traduit par une augmentation des déficits. Tant qu’on ne caractérisera pas certains pays européens – je pense à l’Irlande, aux Pays-Bas, au Luxembourg et à Malte – comme des paradis fiscaux, j’ai du mal à comprendre comment nous allons régler le problème.
L’économiste Gabriel Zucman, que nous avons auditionné en commission des finances la semaine dernière, a souligné le risque que représente, pour la mise en œuvre du pilier 2, la clause de substance économique : elle pourrait conduire à ce que des entreprises délocalisent leur activité dans des pays qui conserveraient de faibles taux d’imposition pour échapper à l’imposition minimale. Ne faudrait-il pas limiter les effets de cette clause ?
Je suis heureux de vous entendre parler de relocalisation – ce n’est d’ailleurs pas la première fois que vous employez le mot –, mais je ne vois pas comment on pourra mener utilement une politique en ce sens dans un cadre européen caractérisé par le libre-échange généralisé et l’inégalité fiscale entre États, et quand, de surcroît, on continue à signer des accords de libre-échange avec tous les pays du monde. Sans protection, comment pourrons-nous redévelopper une industrie digne de ce nom ?
M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je me réjouis des résultats pour 2022 annoncés ce matin-même par l’Insee : à 4,7 % du PIB, le déficit public est en nette amélioration, alors qu’il s’était établi à 6,5 % en 2021 et que, selon les dernières prévisions, il était estimé à 5 %. Hors reprise de dette de SNCF Réseau, le déficit de l’État diminue de 5,5 milliards d’euros. La dette publique diminue et revient à 111,6 % du PIB, contre 112,9 % fin 2021 et 114,6 % fin 2020, sous l’effet de la forte progression du PIB. Pour rassurer le président Coquerel, ce résultat est dû, non pas à une diminution des dépenses publiques – elles ont encore augmenté de manière significative l’année dernière –, mais à la dynamique des recettes, conséquence directe de notre politique de l’offre orientée vers l’activité et l’emploi. Enfin, je rappelle que le taux de chômage est, fin 2022 ; à 7,2 %, ce qui est le deuxième meilleur résultat depuis quarante ans. Ces résultats, très encourageants, sont une bonne nouvelle pour notre pays et j’espère qu’ici tout le monde s’en réjouit...
S’agissant de la réforme du PSC, je salue la souplesse qui est offerte à l’ensemble des États. Quelle est la position de la France concernant la définition de l’agrégat des dépenses primaires nettes et les conditions dans lesquelles un État membre peut bénéficier d’un délai supplémentaire pour mettre en œuvre sa trajectoire ?
Comment va se matérialiser la « dette verte » ? Sera-t-elle isolée ? Ouvrira-t-elle droit à un délai supplémentaire ?
Quelles seront les conséquences pour la France de la sortie de la clause dérogatoire générale ? Nous suivons une trajectoire crédible pour revenir aux 3 % de déficit en 2027, mais qu’en est-il de l’endettement, puisque l’objectif de 60 % est évidemment inatteignable ?
Concernant l’IRA, considérez-vous que l’effort réalisé par notre pays – que je salue – est suffisant au regard de ce qu’ont fait les États-Unis ? Partagez-vous le point de vue de la Commission européenne, selon laquelle il est nécessaire de renforcer le budget de l’Union ?
Enfin, s’agissant de la fiscalité, je voudrais saluer le travail que la France a mené. Quels outils comptez-vous employer pour mettre en œuvre le pilier 2 en France ? La clause de substance économique, qui conduit à appliquer un taux local en cas d’activité réelle, vous paraît-elle une bonne chose ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Il me semble difficile de qualifier de néolibéral le projet politique européen, alors que l’Union a investi 750 milliards d’euros pour nous protéger face aux conséquences du covid et éviter une vague de faillites et de licenciements. Un projet qui se traduit par l’émission d’une dette commune – grâce, soit dit en passant, à l’impulsion de la France et du Président de la République – n’est pas un projet néolibéral. Si on avait suivi une logique néolibérale, on aurait laissé chaque État se débrouiller seul.
L’Europe a enfin accompli sa révolution copernicienne, même si cela arrive peut-être un peu tard et sous une forme un peu complexe – nous essayons de simplifier les choses. Elle a compris que les pouvoirs publics avaient un rôle à jouer dans l’économie, et que, à côté des règles de marché et de financement, l’économie devait servir un projet politique. Si l’on croit – ce qui est mon cas – que la décarbonation est la priorité absolue de l’économie européenne, il faut s’en donner les moyens et permettre l’octroi de subventions et d’aides d’État, ainsi que l’application d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, afin de protéger – je n’hésite pas à employer le mot – le développement des filières industrielles vertes sur le sol européen. C’est là un projet, non pas néolibéral, mais d’économie politique au sens le plus noble du terme. Je souhaite que, sur tous ces sujets, nous allions encore plus loin, et c’est l’objet du projet de loi « industrie verte » que j’espère vous présenter dans quelques semaines.
On ne peut pas davantage parler de politique d’austérité au sujet des règles adaptées du PSC dans un pays où les dépenses publiques représentent 58 % de la richesse nationale – ou alors, c’est une austérité coûteuse. À la vérité, c’est moins du libéralisme que de la libéralité. Si encore nos compatriotes en avaient pour leur argent et trouvaient que nos services publics fonctionnent remarquablement bien… Ce n’est pas le cas, et c’est pourquoi nous devons tous faire mieux avec une dépense publique plus raisonnable et plus efficace, qu’il me paraît souhaitable de ramener à un étiage de l’ordre de 54 % du PIB.
S’agissant des objectifs budgétaires, le critère qui sera maintenu comme mordant est celui des 3 %. Les 60 % restent inscrits dans le traité mais ne sont qu’un objectif et plus un critère mordant. La règle du vingtième, qui était totalement inadaptée, sera supprimée. Selon cette règle, les États membres de la zone euro devaient réduire chaque année d’un vingtième l’écart entre l’objectif cible de 60 % et leur niveau d’endettement public. Ainsi, la France, dont l’écart est de l’ordre de 55 points, aurait dû réduire de près de 3 % sa dette publique chaque année, ce qui représente des dizaines de milliards d’économies annuelles. Pour le coup, cela aurait été une politique d’austérité et une stratégie totalement inappropriée, car elle aurait cassé la croissance. Des principes trop stricts, éloignés de la réalité budgétaire des États membres de la zone euro sont inefficaces. Nous avons besoin de règles pragmatiques, incitatives, contrôlées, qui permettent à chaque État membre de réduire de manière raisonnable ses déficits et sa dette.
Pour ce qui est des sanctions financières, nous en avons réduit le montant, là aussi par pragmatisme. Pouvoir étendre de 4 à 7 ans la période d’ajustement en fonction de son niveau d’investissement est une bonne chose pour les États membres.
Personne en Europe, ni la Commission ni les autres États membres de la zone euro, ne nous a imposé une réforme des retraites. C’est un choix souverain. Nous sommes arrivés à un moment de vérité : si nous voulons rétablir nos comptes publics, il faut nous assurer que les grands équilibres de nos comptes sociaux sont préservés. Notre réforme des retraites permet de garantir l’équilibre financier en 2030. Elle doit nous permettre aussi, car c’est notre objectif politique à long terme, d’avoir une France plus productive, c’est-à-dire une France où il y a plus de travail collectif, moins de chômage grâce aux mesures structurelles que nous avons prises pour inciter au retour à l’emploi, et une productivité accrue – cette dernière n’est plus l’atout compétitif qu’elle a pu être par rapport aux autres États européens il y a quelques décennies. Si nous voulons accroître notre productivité, il nous faut développer l’innovation et élever le niveau de qualification et de formation. Pour moi, l’éducation et la formation sont les sujets économiques majeurs.
J’en viens à la clause de substance prévue dans le pilier 2. Cette fameuse disposition de carve out donne la possibilité de déduire du bénéfice imposable retenu pour le calcul de l’impôt minimum un pourcentage de la masse salariale et des actifs corporels de l’entreprise – terrains, usines, propriétés, ressources naturelles. Clairement, nous aurions voulu éviter cette clause mais elle constituait la garantie du soutien de certains grands États comme la Chine, qui dispose d’une base industrielle importante. Elle présente toutefois une certaine cohérence avec l’objectif de la réforme puisqu’elle favorisera les États où l’activité économique est réelle, avec des travailleurs, des bâtiments, des machines, des usines… Ce sera une incitation à la relocalisation industrielle et le moyen de distinguer les États qui, telle la France, veulent relocaliser la production industrielle dans leur territoire, des États où les entreprises transfèrent leurs bénéfices sans substance, à l’image des paradis fiscaux que vous avez mentionnés.
Par ailleurs, avant de conclure un nouvel accord de libre-échange, nous veillons à ce que nos intérêts, en particulier agricoles, ne soient pas menacés.
Monsieur le rapporteur général, nous nous réjouissons que, dans le cadre de la réforme du PSC, notre proposition d’agréger les dépenses primaires nettes ait été retenue. Cela permettra de piloter la trajectoire budgétaire à l’aide d’un agrégat nouveau représentant la croissance des dépenses nettes des mesures nouvelles en recettes et excluant les intérêts et les dépenses cycliques d’assurance chômage. Cela participera à la simplification du cadre budgétaire. Nous n’aurons plus besoin de recourir à des variables non observables et souvent révisées, comme la croissance potentielle, sur laquelle personne n’arrive à se mettre d’accord.
Je suis évidemment favorable au renforcement du budget vert de l’Union. La clause d’investissement prévue dans le nouveau PSC doit nous permettre d’accroître et d’accélérer le verdissement du budget de l’Union.
Le critère des 60 % demeurera dans le traité, car sa modification serait un processus trop lourd. Nous avons besoin d’un nouveau PSC avant la fin 2023, qui puisse s’appliquer en 2025 – il y aura une période de transition –, mais seule la règle des 3 % restera mordante, car c’est elle qui permettra d’amorcer la baisse de la part de la dette dans le PIB.
M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas dit que la politique appliquée pendant le covid tenait du néolibéralisme mais, tout au contraire, qu’il était étonnant pour un système néolibéral de se mettre toujours entre parenthèses lors de la gestion des crises. On est allé jusqu’à déroger aux règles de la Banque centrale européenne (BCE) en rachetant des dettes souveraines et en accordant des prêts directs aux États…
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Alexandre Holroyd (RE). Nous devrions tous nous féliciter de l’évolution des règles proposées par la Commission, qui marque un pas significatif en direction des positions de la France, que le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre, avez défendues. La différenciation entre les États membres, la prise en compte des projets de réforme et d’investissement, la simplification à travers l’indicateur unique de baisse de la dépense, ainsi que le renforcement du lien entre les travaux des parlements nationaux et les travaux budgétaires européens, tout cela va dans la bonne direction. C’est bien un changement philosophique, qui laisse une plus grande marge d’action aux États membres et porte l’attention sur la crédibilité de leurs projets de réforme et d’investissement.
La Commission entend placer au centre de sa proposition un outil de calcul de la soutenabilité de la dette qui appellera la vigilance, car il jouera un rôle central pour déterminer la trajectoire demandée aux États membres. Tous les parlements devront bien en comprendre la technicité. Avec Marietta Karamanli, nous avons sollicité vos services pour disposer de l’ensemble des documents techniques afférents à cet instrument.
La presse s’est fait l’écho d’une modification des conclusions du conseil Ecofin, à la suite d’un changement de dernière minute des positions de l’Allemagne. Pourriez-vous nous en dire plus et nous confirmer que nous pourrons conclure ces travaux sous la présidence espagnole ? Où en sont les discussions techniques sur ces sujets qui ont été repoussés à la demande de la coalition allemande ?
La Commission européenne a proposé une directive relative à la lutte contre l’évasion fiscale (Atad 3) qui permet de qualifier les sociétés écrans. Où en sont les discussions à ce sujet ?
M. Thibaut François (RN). La réforme du PSC envisagée par la Commission européenne élargirait les marges de manœuvre des États. La Commission devait présenter une proposition législative détaillée peu après le Conseil européen des 23 et 24 mars, mais les négociations prennent visiblement plus de temps que prévu, et l’application du nouveau dispositif n’est pas attendue avant 2025.
C’est le principe même de ce pacte et de ces critères qui doit être remis en cause, car il constitue une violation de nos souverainetés budgétaires et impose une rigueur malvenue à chacun des États. D’ailleurs, le pacte accroît l’emprise technocratique de la Commission. Et contrairement à ce que vous avez dit, Clément Beaune, alors qu’il était secrétaire d’État chargé des affaires européennes, nous avait clairement indiqué que les aides européennes et le plan de relance étaient conditionnés à la réforme des retraites.
Selon les chiffres de l’Insee, le déficit public de la France s’élevait, en 2022, à 4,7 % du PIB et la dette publique, à 111,6 %. Vous n’êtes définitivement pas les Mozart de la finance que vous prétendez être mais plutôt des Panzer de la fiscalité, du déficit et de la dette. Quel est le calendrier d’application de la réforme et de son examen législatif ? Comment la France compte-t-elle maintenir sa souveraineté budgétaire dans le cadre de la réforme du PSC ?
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Les orientations qui nous sont présentées ne reviennent en rien sur les règles du PSC ; à certains égards, même, elles les renforcent. Les seuils de 3 % du déficit et de 60 % de la dette ont rarement été respectés : entre 2011 et 2020, les pays européens les ont enfreints plus de 170 fois. Par cette révision, la Commission européenne cherche officiellement à permettre aux pays de la zone euro d’exécuter les investissements nécessaires « en réduisant les ratios élevés de dette publique de manière réaliste, progressive et soutenue » afin de bâtir une « économie verte, numérique et résiliente ».
Comment réduire les ratios de dette publique des pays membres tout en engageant les investissements très coûteux rendus nécessaires par la transition écologique ? À titre d’exemple, le doublement de la part du train dans les déplacements en France demanderait un investissement de 100 milliards d’euros au cours des quinze prochaines années. Comment investir massivement dans la construction d’une économie résiliente, alors que la guerre en Ukraine, qui implique la plupart des puissances du globe, et la multiplication des guerres commerciales affaiblissent profondément l’Europe ?
L’inflation serait-elle la solution pour concilier réduction de la dette et investissement ? Si l’inflation permet, en théorie, de réduire le poids cumulé des dettes, le ralentissement de la croissance, les dépenses massives des États pour lutter contre la hausse des prix ainsi que l’augmentation des taux d’intérêt laissent peu d’espoir quant à une véritable baisse du ratio dette sur PIB. Il est donc difficile de croire que les pays de la zone euro parviendront à ramener leur dette publique à 60 % d’ici à quatre ou sept ans tout en procédant aux investissements nécessaires et en assurant le financement indispensable des services publics de l’éducation nationale et de la santé.
Pourquoi ne pas s’orienter plutôt vers une harmonisation budgétaire et fiscale ? La France en a-t-elle manifesté le souhait et, le cas échéant, quelles résistances a-t-elle rencontrées ? On le sent, cette réforme ne va conduire qu’à répéter une faute déjà commise, celle de l’austérité budgétaire.
Mme Marie-Christine Dalloz (LR). Premier constat : le pacte de la dette a échoué. Deuxième constat : la réalité des discussions, c’est que M. Lindner, ministre allemand des finances, reproche aux demandes françaises d’être trop indulgentes pour les pays dépensiers, et que M. Gentiloni, commissaire européen aux affaires économiques et financières, craint un risque de blocage.
Vous parlez du principe de réalité. Un niveau d’endettement très élevé et des besoins d’investissement très forts constituent un paradoxe qui affectera un jour sérieusement notre économie. Vous dites qu’il faut produire plus pour assurer nos dépenses. Ne pourrions-nous pas, plus simplement, maîtriser nos dépenses ? Depuis quinze ans, je vois les dépenses augmenter, mais il faudra bien, un jour, les ajuster à nos recettes. Produire plus pour dépenser plus, je n’en vois pas l’intérêt !
La Commission européenne a présenté, le 16 mars 2023, un règlement « pour une industrie zéro émission nette », afin de répondre au protectionnisme des États-Unis. Ce texte n’est pas encore entré en vigueur, mais pouvez-vous nous en expliquer les avantages et les inconvénients ?
Monsieur le président de la commission des finances, à quel titre un document de M. Pierre Larrouturou, député européen, nous a-t-il été présenté à l’entrée de la salle ? En général, les communications distribuées à cet endroit sont des documents officiels, soit du Gouvernement, soit de la Cour des comptes, soit de la personne auditionnée.
Mme Marina Ferrari (Dem). La crise de la zone euro est souvent résumée à une crise des dettes souveraines. Pourtant, c’est également une crise du secteur bancaire, et plus largement de la croissance dans le sud de la zone euro. La croissance du pouvoir d’achat observée dans certains pays après la création de l’euro était en quelque sorte artificielle, ou en tout cas non soutenable, car financée par l’endettement, qu’il soit privé ou public, et non par la croissance de la productivité.
Nous avons su, pendant la crise sanitaire, apprendre de nos erreurs passées en instaurant une capacité d’endettement commune. C’était nécessaire. Le décrochage de la croissance de la productivité en Europe face aux États-Unis, qui pourrait être accru par la crise énergétique et l’Inflation Reduction Act, risque de nous conduire vers une nouvelle crise, qui remettrait en cause le modèle social européen.
Ne faut-il pas, outre les réponses immédiates sur l’énergie et sur l’IRA, envisager une nouvelle faculté d’endettement commun ciblé sur des politiques permettant d’augmenter la productivité, par exemple à travers l’innovation et la décarbonation ?
S’agissant de la réforme du pacte de stabilité, quel est votre regard sur l’adoption de standards, d’une cible de dette et d’une norme de dépenses nominales, qui pourraient remplacer la double cible déficit-dette ?
Au-delà d’une réforme des règles budgétaires, ne devons-nous pas achever le second volet de la réforme de la zone euro en engageant davantage l’union bancaire, notamment sur l’assurance des dépôts ?
Mme Marietta Karamanli (SOC). La plupart des États ont intégré la question de la maîtrise des dépenses publiques, mais les différences de développement, y compris l’investissement passé dans un système d’État social, conduisent à des écarts et des tensions au sein de l’Union. Par ailleurs, les règles du pacte de stabilité n’ont empêché ni le déficit, ni l’endettement, ni non plus donné l’assurance de la pertinence des dépenses. Ces deux constats posent la question de la dépense publique pour relever trois défis : mener la transition énergétique et écologique ; nourrir notre capacité d’innovation ; protéger notre souveraineté face à des États qui peuvent être partenaires mais sont aussi des concurrents économiques ou des rivaux systémiques. Nous devons donc améliorer le système en acceptant de considérer une trajectoire qui tienne compte de la croissance potentielle, qui accepte des dérogations après avis d’experts et qui fasse une part à certaines dépenses publiques spécifiques, notamment de défense commune, d’infrastructures stratégiques ou encore de formation, de recherche et d’innovation.
Quels sont les points de convergence entre la France et les autres États, notamment l’Allemagne ? Partagez-vous l’idée selon laquelle nos règles doivent gagner en intelligibilité ? Pensez-vous opportun que le Parlement se prononce par un vote sur les règles aujourd’hui discutées avec la Commission ?
Mme Félicie Gérard (HOR). La Commission a récemment esquissé les contours d’une réforme du pacte de stabilité, afin de l’adapter aux besoins des États membres et d’assurer leur solvabilité. À la suite des crises économiques, financières et géopolitiques de ces dernières années, trop d’États membres ont aujourd’hui un ratio de dette supérieur au seuil de 60 % du PIB – la France l’a dépassé depuis des années. Cette situation est évidemment préoccupante et revient régulièrement, à juste titre, dans le débat public. Vous connaissez l’engagement du groupe Horizons sur ce sujet.
Vous avez pris des mesures visant à rétablir une trajectoire soutenable pour nos finances publiques. Cela passe nécessairement par une progression des recettes : depuis 2017, le Gouvernement a mené une action résolue pour soutenir l’emploi, mieux rémunérer le travail et amorcer la réindustrialisation de notre pays. Cela passe aussi par la maîtrise et l’efficacité de la dépense publique. Le ministre Gabriel Attal a d’ailleurs récemment annoncé la mise en place d’une revue des dépenses afin de mieux comprendre les équilibres et la réalité des dépenses de l’État.
Les politiques menées par le Gouvernement ont d’ores et déjà des résultats clairs. Hier, nous apprenions que le nombre de chômeurs de catégorie A était passé sous la barre des 3 millions et, ce matin, l’Insee annonçait des niveaux de dette publique et de déficit public pour 2022 meilleurs qu’attendu.
Au vu de ces résultats encourageants et de la proposition de la Commission sur la réforme du pacte de stabilité, quelle position la France adoptera-t-elle pour garantir l’équilibre entre le rétablissement de nos comptes publics et la poursuite des nécessaires investissements d’avenir ?
Par ailleurs, comment s’organise la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act américain ? Où en sont les débats entre Européens ?
Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Deux minutes pour évoquer un projet de réforme engagé au niveau européen à l’automne 2021, c’est une gageure !
Les nouvelles règles excluraient du calcul du déficit public les charges d’intérêt de la dette ainsi que les dépenses d’assurance chômage. Face à l’ampleur des enjeux écologiques, que pensez-vous de l’idée d’intégrer à cette liste certains investissements, prédéfinis collectivement, en faveur de la transition écologique afin de faire face à la crise climatique, et de n’attribuer les aides aux entreprises que sous conditions ?
La réforme du pacte de stabilité aurait pu passer par une approche incrémentale qui consisterait à redéfinir les valeurs de référence des critères du déficit public, ou surtout de la dette publique, afin de permettre des trajectoires différentes selon les pays. Cette option n’a pas été retenue. Pourquoi, et que pensez-vous de cette approche ?
L’insuffisante régulation de la mondialisation a favorisé depuis quarante ans le dumping social et environnemental, comme la désindustrialisation de la France et de l’Europe. Les écologistes se sont toujours opposés aux traités de libre-échange comme celui avec le Mercosur et le traité de libre-échange transatlantique (Tafta) imposés et votés par votre tendance politique au Parlement ; nous avons toujours défendu une voie entre libre-échange et protectionnisme. Quelle solution durable proposez-vous pour en finir avec le dumping social, fiscal et environnemental, nuisible aux finances publiques, puisque vous semblez soutenir l’idée d’un choix souverain de la France ? Les Grecs auraient certainement été très soulagés d’entendre cette parole en son temps.
Enfin, l’Inflation Reduction Act des États-Unis prévoit des aides d’État massives pour les entreprises investissant sur le sol américain. Cette loi fait craindre une délocalisation massive des sociétés européennes ainsi qu’un problème de compétitivité des entreprises françaises et européennes. Quelle sera la réponse de la France et de l’Europe ?
Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). Le pacte de stabilité est régi par un enchevêtrement de règles technocratiques illisibles, en totale inadéquation avec le financement des enjeux sociaux et environnementaux de notre époque, et dont le Président de la République déclarait lui-même qu’elles étaient « d’un autre siècle ». Elles ont vécu ; il est admis qu’il faut les revoir de fond en comble.
Pourtant, les propositions de la Commission européenne sont décevantes. La règle de 3 % de déficit et de 60 % de dette publique restera bien à l’ordre du jour : il aurait fallu remettre en cause les traités pour l’abandonner ; nous ne nous faisions donc aucune illusion sur ce point. Même avec les changements prévus, le compte n’y est pas : la politique budgétaire restera contrainte au respect d’une norme de dépenses publiques, celles-là mêmes dont vous vous êtes engagés à maintenir la croissance sous les 0,6 % jusqu’en 2027. Vous faites aujourd’hui le choix, pour atteindre ces objectifs, de mettre en place une réforme des retraites si décriée et refusée par les Françaises et les Français.
Vous avez parlé de différenciation. Naïvement, j’ai cru que vous alliez aborder la question des régions ultrapériphériques : il n’en a rien été. Quel sera l’impact de ces nouvelles règles pour les RUP ? Le Mercosur, en particulier, affecte l’activité agricole cannière.
Nous avions peu d’attentes concernant cette renégociation du pacte de stabilité. Nous avions raison : il semble qu’aucun changement, même marginal, ne découlera des évolutions proposées.
M. Michel Castellani (LIOT). On connaît le rôle de l’industrie et son rôle d’entraînement macroéconomique. C’est un combat qui a été perdu depuis le deuxième choc pétrolier, en matière de compétitivité, d’emploi, de recherche et développement. Le résultat est désastreux, vous l’avez dit, et la majorité des délocalisations ont été opérées au profit d’autres pays de l’Union européenne.
Comment l’Union européenne entend-elle, comment vous-même entendez-vous éviter le dumping social et fiscal à l’avenir ? C’est une véritable plaie pour le fonctionnement équitable de l’Union et un obstacle à la relance industrielle.
Un projet de loi destiné à promouvoir l’industrie verte est à l’étude. Quelles pistes fiscales envisagez-vous ? Prévoyez-vous en particulier de nouvelles dépenses fiscales, et à quelle hauteur ? Pourrait-on imaginer un soutien financier de l’Union européenne, et grâce à quel instrument ? Enfin, quand l’Assemblée nationale sera-t-elle saisie de ce projet de loi, et quels sont les objectifs annuels qui serviront à évaluer l’efficacité de ses mesures ?
M. le président Éric Coquerel. Madame Dalloz, le règlement prévoit que « la commission des affaires européennes peut inviter à participer à ses travaux, avec voix consultative, les membres français du Parlement européen ». Pierre Larrouturou a déjà eu l’occasion de distribuer en commission des affaires européennes des documents comparables à celui que vous avez évoqué, et c’est pourquoi nous l’avons autorisé à ce que cette contribution puisse être portée à la connaissance de chacun ; elle n’a pas été distribuée mais uniquement mise à disposition à l’entrée de la salle. Ce document a par ailleurs été montré à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Holroyd, nous avons trouvé un accord lors de la dernière réunion des ministres des finances de la zone euro, même si l’Allemagne a fait valoir, à la dernière minute, des arguments sur la trajectoire et les calculs définissant les cibles. Mais il y a un accord, c’est l’essentiel. L’objectif est de conclure les négociations à la fin 2023, sous présidence espagnole, et d’appliquer les nouvelles règles du pacte de stabilité et de croissance en 2025, après une période de transition en 2024. C’est d’autant plus important que la clause de suspension court jusqu’à la fin 2023 ; ensuite, les anciennes règles s’appliquent, et je crois avoir montré à quel point elles étaient dépassées.
En ce qui concerne la directive Atad 3, nous sommes très favorables à ce projet de directive « unshell » qui vise à lutter contre le recours aux sociétés écrans. Les discussions sont en cours pour arriver à un compromis opérationnel.
Monsieur François, vous parlez de souveraineté budgétaire à géométrie variable. Il n’y a pas de souveraineté budgétaire dans une zone monétaire commune s’il n’y a pas de règles communes ! Nous ne sommes pas seuls, et ces règles communes nous renforcent en période de crise. Ce n’est pas un choix unilatéral d’un gouvernement ou de quelque président de la République que ce soit : c’est un choix qui a été validé par le peuple français, souverainement. Vous pouvez regretter le résultat de ce référendum, mais il a eu lieu.
La souveraineté budgétaire est d’autant plus forte que la monnaie commune est forte. Dans la période du covid, nous avons été bien contents de lever 650 milliards d’euros de dette commune pour financer les mesures contre le chômage, contre la perte de compétence, contre les risques de faillite.
Vous nous accusez de ne pas être des Mozart de la finance. Je reprends les propositions de votre présidente Marine Le Pen : pour le rachat des concessions autoroutières, il en coûterait 40 à 50 milliards ; pour la baisse de la TVA sur l’essence, 10 milliards ; pour la baisse de la TVA sur les produits alimentaires, 7 milliards ; pour la retraite à 60 ans, plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliards sur plusieurs décennies. Au total, ce sont des dizaines de milliards de dépenses publiques, donc de dette, que vous accumuleriez. Vous jouez de la grosse caisse sur les dépenses publiques et de la flûte traversière sur la baisse des dépenses : c’est un peu surprenant pour quelqu’un qui aime tant la musique.
Madame Chikirou, l’inflation n’est certainement pas la solution. Mon premier objectif de l’année 2023, c’est de la faire diminuer. Chacun sait qu’elle pénalise d’abord les plus modestes, ceux qui sont à quelques euros près à la fin du mois, ceux qui doivent nourrir des familles nombreuses, car elle touche les produits de première nécessité. Elle pénalise aussi ceux qui dépensent une part trop importante de leurs revenus pour se loger. C’est un impôt sur les plus pauvres. Lutter contre l’inflation est donc une priorité absolue.
De plus, lorsqu’elle est forte, les banques centrales aux États-Unis comme en Europe augmentent leurs taux directeurs, ce qui renchérit le coût des emprunts et rend plus difficile l’accès au logement.
L’austérité n’est pas davantage une solution, et nous ne la proposons pas.
Madame Dalloz, oui, nous estimons que la bonne solution, c’est la maîtrise des dépenses. C’est toute la qualité du débat démocratique : nous sommes à un moment de vérité économique et financier.
La France doit-elle produire plus ou moins ? J’ai la conviction que nous devons augmenter notre production industrielle décarbonée, notre production agricole, afin d’obtenir des niveaux de rémunération et de qualification plus élevés. Nous devons rétablir notre balance commerciale extérieure, structurellement déficitaire depuis 2000. Nous devons produire plus d’énergie décarbonée grâce aux renouvelables et au nucléaire. Pour certains, la France doit produire moins et la décroissance est la solution. Je suis résolument dans le camp de ceux qui pensent que la France doit produire plus, redevenir une grande nation industrielle et agricole et une grande nation de production énergétique.
Nous sommes aussi à un moment de vérité financier. Devons-nous continuer à dépenser toujours plus et à accroître la dette, ou bien réduire la part de la dépense publique dans la production ? Ma conviction, là aussi, est claire : je crois que notre dépense publique doit progresser moins vite que la production et que la richesse nationale. C’est la seule façon de maîtriser nos dépenses, d’éviter un emballement et une augmentation des taux d’intérêt, et d’éviter de laisser une charge de la dette insupportable à nos enfants et à nos petits-enfants.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous devons tailler à la hache dans les dépenses publiques. Notre règle d’or, la voici : dépenser moins que nous ne produisons. L’augmentation de la dépense doit être moins forte que celle de la production nationale. Ceux qui me reprochent de ne pas aller assez loin dans la baisse de la dépense sont les mêmes qui déposent des amendements pour augmenter les budgets des hôpitaux, des crèches, des écoles, de la police, de la gendarmerie, des armées. Si vous êtes capables de me montrer dans quelles dizaines de milliards d’euros je pourrais trancher, je prends date – mais j’ai la conviction que personne ici ne me prendra au mot. Ce serait simplement déraisonnable ! Et je parle bien d’économies, pas d’augmentations d’impôt dans un pays qui a déjà le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé des pays développés. Je connais l’imagination débridée de La France insoumise en matière de taxes. Ce n’est pas notre politique ; mais la dissonance, pour reprendre une image musicale, fait toute la beauté de notre débat démocratique.
Notre politique a le mérite de la clarté : nous voulons une France qui produit davantage de richesses qu’elle n’en dépense.
Madame Ferrari, il serait impossible de trouver un accord sur une nouvelle faculté d’endettement commun. Je ne suis pas sûr non plus que ce soit dans notre intérêt national : nos taux sont relativement bas par rapport à ceux des autres pays de la zone euro, et une capacité commune risquerait de nous amener à payer plus cher. En revanche, je vous rejoins sur le fait qu’il est essentiel d’améliorer la productivité, comme sur l’accélération de l’union bancaire, qui est indispensable, même si nous nous heurtons à des difficultés techniques.
Madame Karamanli, vous avez entièrement raison sur l’intelligibilité des règles. L’abandon de la règle du vingtième me paraît de bonne politique, comme le fait que la croissance potentielle ne revienne pas au rang des critères décisifs. Tout ce qui nous permettra de gagner en intelligibilité ira dans le bon sens.
Madame Gérard, merci pour vos remarques sur les résultats obtenus en 2022 : le déficit, à 4,7 %, se situe très en dessous des 5 % prévus. C’est tout juste encourageant, et certainement pas suffisant ! Ce chiffre prouve que nous avons fait attention, que nous savons où nous allons, mais aussi que nous ne sommes pas encore là où nous voulons être en 2027. Je le dis avec modestie et humilité, il serait déplacé de crier victoire alors qu’il nous reste un travail considérable à mener pour rétablir les grands équilibres de nos finances publiques.
Je connais l’immense scepticisme qui entoure toute annonce du ministre des finances lorsqu’il affirme que nous réduirons les dépenses publiques à compter du projet de loi de finances pour 2024. J’entends ce même scepticisme quand je dis que nous sommes sortis du « quoi qu’il en coûte ». Mais c’est bien la réalité, et à ce grand scepticisme je veux opposer ma grande détermination. Nous sommes sortis du quoi qu’il en coûte, puisque nous sommes passés de mesures générales à des mesures ciblées : nous avons fixé à 15 % l’augmentation des factures de gaz et d’électricité des ménages et renoncé à une remise générale sur les carburants. Nous devons poursuivre dans cette voie, et dans le cadre de la préparation du PLF 2024, nous avons engagé une revue des dépenses publiques. Nous tiendrons, avant l’été, des assises des finances publiques, et j’invite tous les parlementaires, toutes couleurs politiques confondues, à y participer. Nous ne serons peut-être pas d’accord sur les objectifs, mais discuter des meilleures économies à faire sera utile. Notre objectif est d’afficher, dès 2024, plusieurs milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques.
Madame Arrighi, je redis que nous ne menons pas une politique d’austérité. Nos dépenses sont ciblées, et nous favorisons la croissance, l’augmentation de la production.
S’agissant de la mise sous condition des aides aux entreprises, vous connaissez notre politique. Nous pourrions, je crois, nous retrouver pour estimer que l’essentiel est de diminuer les dépenses fiscales brunes. Il serait incohérent d’investir dans une économie décarbonée ou semi-décarbonée et dans l’industrie verte tout en conservant des dispositifs fiscaux favorables aux énergies fossiles. J’aurai besoin du soutien de tout le monde lorsqu’il s’agira de tailler dans ces dépenses fiscales brunes : sur le papier, tout le monde trouve cela formidable, mais quand il s’agit de l’expliquer à une entreprise de travaux publics à qui ces mesures peuvent poser des problèmes considérables, c’est plus difficile ! Je suis donc tout à fait prêt à engager le débat avec vous sur ce sujet.
Quant à la réponse à l’IRA, je voudrais tordre le cou à une fausse vérité : les montants que l’Union européenne consacre aux subventions et aux soutiens publics à son industrie verte sont comparables à ceux de l’administration américaine. Nous devons gagner en simplicité et en rapidité d’exécution sur l’attribution de ces aides et sur le déploiement des projets d’intérêt collectif européens. Le projet sur l’hydrogène remonte à plus de deux ans ! Il a fallu deux années pour valider les entreprises qui pourraient bénéficier des aides européennes et leur attribuer une aide financière, qu’elles toucheront donc au bout de presque trois ans. Aux États-Unis, c’est un crédit d’impôt que vous touchez en quelques jours ! Nous avons donc un problème décisif de rapidité d’exécution.
Enfin, cette réponse européenne doit se conjuguer avec une réponse française : ce sera le projet de loi « industrie verte », dont je vous présenterai les grandes lignes dans quelques jours.
Madame Lebon, je suis favorable à la différenciation sur les territoires périphériques. Nous n’oublions personne, et certainement pas ces territoires.
Monsieur Castellani, toutes les mesures que nous avons prises à propos de la fiscalité minimale et de la fiscalité digitale, ainsi que pour le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, doivent permettre de lutter contre le dumping social et fiscal, auquel je suis vigoureusement opposé.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous passons aux questions individuelles.
M. Daniel Labaronne (RE). Les dernières statistiques de l’Insee montrent que nos finances publiques bénéficient de la politique d’offre, avec des recettes fiscales importantes. Avec la réforme du marché du travail et la fiscalité du capital, l’État a rendu notre économie plus compétitive et plus résiliente face à la crise. Quelles actions l’État doit-il entreprendre pour renforcer encore notre appareil de production, en lien avec la nouvelle politique industrielle européenne que vous avez insufflée ?
Un domaine dont on parle peu mais qui contribue à une politique d’offre est celui de l’innovation, de la recherche et des nouvelles technologies. Quelle initiative pourrait être prise dans ce domaine afin de faciliter le déploiement de la recherche et du développement dans notre économie, en lien avec l’ambition scientifique de l’Europe ?
Enfin, en un temps où nos exportations de marchandises sont un peu à la peine, comment renforcer notre compétitivité prix et hors-prix sur le marché international et reconquérir des parts de marché avec une offre française plus dynamique, notamment sur le marché européen, qui est notre première zone exportatrice ?
M. Frédéric Cabrolier (RN). Dans le plan de relance, dont j’étais le rapporteur spécial, 40 milliards d’euros de subventions devaient s’échelonner d’ici à 2026, en fonction des cibles et jalons qui seraient atteints. L’une de ces cibles était la réforme de l’assurance chômage : vous l’avez faite. Bien qu’il ne s’agisse pas tout à fait d’une cible, était également citée à plusieurs reprises une préconisation du plan national de relance et de résilience (PNRR) concernant la retraite. Or cette subvention a été recalculée en 2022, et son montant réduit à 37,46 milliards d’euros. Cette baisse ne s’explique pas par le fait que les cibles et jalons n’auraient pas été atteints, mais parce que la subvention est recalculée en fonction du PIB réel et que la reprise économique a été meilleure que prévu.
Trouvez-vous normal que l’Union européenne, qui impose un pacte de stabilité, c’est-à-dire une restriction budgétaire, contribue à la dégradation du déficit public, et donc de la dette française ?
M. Fabien Di Filippo (LR). L’endettement a un effet boule de neige. Comme on l’a vu l’an dernier, l’inflation gonfle les recettes fiscales et érode un peu la croissance du taux d’endettement par rapport au PIB. Cependant, année après année, avec la hausse des taux d’intérêt, c’en est fini de l’endettement à 0 % et il faudra encore réemprunter pour couvrir les crédits précédents, à 3 % peut-être, et demain à 4 %. La charge de la dette deviendra alors fatalement, dans deux ou trois ans, le premier poste de dépenses du budget de l’État. Comment appréhendez-vous cette évolution et son impact sur l’ensemble du budget de l’État ?
M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Évoquer la politique industrielle nous invite inévitablement à aborder la question énergétique. Le coût de l’énergie pour l’industrie est loin de relever d’une mesure conjoncturelle et doit donc être traité de manière structurelle, bien plus en profondeur que les simples mécanismes amortisseurs mis en place ces derniers mois.
Monsieur le ministre, vous avez fait de la remise en cause du mode de fixation du prix de l’électricité une priorité, afin de décorréler le prix de l’électricité de celui du gaz. Cependant, force est de constater que les Allemands restent majoritairement opposés à cette mesure, qui serait pourtant très favorable à la compétitivité mondiale des industries, notamment celles à forte consommation d’énergie.
Où en sont ces négociations et pensez-vous qu’il sera un jour possible de ne plus se coucher derrière les exigences allemandes ? De quoi est-il question, par ailleurs, quand on parle de l’introduction obligatoire de « contrats d’écart compensatoire bidirectionnels » ?
M. Charles de Courson (LIOT). Quels sont les impôts sur lesquels l’harmonisation européenne pourrait avancer, en particulier pour ce qui concerne l’assiette de l’impôt sur les sociétés (IS), et non pas simplement la fixation d’un taux minimum de 15 % ? Comment, par ailleurs, généraliser la taxe carbone, qui fait l’objet d’essais sur cinq produits ?
Enfin, une observation. La part des prélèvements obligatoires (PO) a augmenté d’un point entre 2021 et 2022, passant de 44,3 % à 45,3 % du PIB. Quant à celle des dépenses publiques, elle est passée de 58,4 % à 58,1 % entre 2021 et 2022. Ce niveau est encore supérieur de 1,6 point à celui de 2017, où il était de 56,5 %. Alors que vous dites, et à juste raison, qu’il faut réduire la dépense publique, on constate depuis six ans qu’elle est en hausse. Il en va de même pour les PO, qui représentent 45,3 % du PIB, contre 45,1 % en 2017.
Mme Brigitte Klinkert (RE). Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreuses entreprises françaises et européennes ont quitté la Russie et l’exportation des biens vers ce pays a été interdite. Ces sanctions étaient nécessaires pour affirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien et manifester notre opposition à cette guerre. Toutefois, nombre de nos entreprises rencontrent aujourd’hui des difficultés et perdent des parts de marché au profit notamment des entreprises chinoises, qui prendront un avantage compétitif sur les nôtres – je pense par exemple à l’entreprise Liebherr, dans le bassin colmarien, avec ses 2 500 salariés.
Le fonds de souveraineté européen pour la transition écologique et numérique dont la Commission européenne a annoncé la création aura-t-il aussi vocation à venir en aide à ces entreprises, et quelles sont les mesures envisagées pour maintenir la compétitivité de celles-ci ?
Mme Véronique Louwagie (LR). Monsieur le ministre, pouvez-vous faire le point sur l’avancement des négociations en cours sur la taxe carbone aux frontières ?
Quel est le rendement de la taxe instaurée depuis 2022 sur les superprofits pétroliers et gaziers, prélevée par les États membres et fixée à 33 % des bénéfices excédant de 20 % la moyenne des années 2018 à 2021 ?
M. Xavier Roseren (RE). Le vote des États membres de l’Union européenne sur l’interdiction de la vente de voiture à moteur thermique en 2035 a été reporté, l’abstention annoncée de l’Allemagne empêchant de réunir la majorité nécessaire. Un accord a finalement été trouvé ce week-end entre la Commission européenne et l’Allemagne, autorisant la poursuite au-delà de 2035 des moteurs thermiques à carburant de synthèse, conformément au souhait de l’Allemagne. Les véhicules équipés d’un moteur à combustion pourront donc être réimmatriculés après 2035 s’ils utilisent exclusivement des carburants neutres en émissions de CO2.
Quelle est la position de la France face à ce retournement de situation ? L’industrie française serait-elle prête – et a-t-elle intérêt – à développer de tels moteurs alimentés en carburants de synthèse et neutres en émissions de CO2 ?
M. Mohamed Laqhila (Dem). Faut-il vraiment tendre vers l’harmonisation fiscale au niveau européen, sachant que la concurrence fiscale entre les pays européens oblige les pays les plus dépensiers à s’aligner sur les meilleurs, comme le montrent, y compris chez nous, les taux d’IS ?
M. Pierre Larrouturou, député européen. Avec l’IRA, les États-Unis ont mis 360 milliards de dollars sur la table pour attirer l’industrie verte et nous apprenons chaque semaine de nouvelles délocalisations : Ford coupe 3 800 postes en Europe et va investir 3 milliards aux États-Unis, tandis que Northvolt renonce à son usine de batteries en Europe dans l’espoir de recevoir 8 milliards de subventions américaines. Pour éviter une catastrophe, l’ensemble du Parlement européen demande que l’on mette de l’argent sur la table, et la meilleure manière d’en trouver sans augmenter universellement les impôts est la taxe sur les transactions financières (TTF), idée proposée depuis 2011, à la demande de M. Barroso.
Vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, que c’était mon combat, mais je ne suis pas seul, car 80 % des députés européens de la droite ont voté cet amendement et 92 % des députés de la droite allemande ont dit qu’il était temps de créer une petite taxe de 0,1 % sur les transactions financières, qui rapporterait jusqu’à 57 milliards d’euros chaque année.
Dans une lettre que j’ai sous les yeux, le ministre autrichien des finances, conservateur, déclare qu’il est temps de créer cette taxe et que la France la bloque. Vous avez dit que la France avait déjà une TTF, mais elle ne concerne que 1 % des volumes financiers. La France acceptera-t-elle, oui ou non, l’instauration d’une telle taxe au niveau européen ? Le Parlement européen demande un accord avant la fin juin et la France est le seul pays qui bloque.
Mme France Jamet, députée européenne. Monsieur le ministre, vous nous dites que vous êtes très attaché à la décarbonation, et nous parlons aujourd’hui de compétitivité et de souveraineté industrielle. Comment et pourquoi le Gouvernement français a-t-il pu accepter que le nucléaire ne soit pas intégré dans le plan REPower EU, alors que nous sommes en train de voter des lois destinées à accélérer la construction de centrales et que l’argent dépensé par l’Europe est avant tout le nôtre. L’Allemagne sait défendre ses intérêts et sa stratégie, comme elle l’a montré récemment avec une lettre où elle s’opposait à l’hydrogène d’origine nucléaire.
Cette ligne antinucléaire allemande est d’ailleurs reprise dans le futur plan pour une industrie à zéro émission nette proposé par la Commission européenne, car les technologies nucléaires ne sont pas considérées comme stratégiques, mais de second ordre, c’est-à-dire transitoires. En fait, pas un euro des impôts français ne servira au nucléaire.
Notre souveraineté industrielle et la compétitivité de nos entreprises passent par une énergie abordable, abondante et décarbonée. Quand défendrez-vous notre énergie et notre filière nucléaires ?
M. Denis Masséglia (RE). Raphaël Gauvain, député de la précédente législature, avait beaucoup travaillé à des propositions contre l’extraterritorialité des lois américaines. Pourriez-vous faire le point sur ces propositions et leur mise en œuvre ?
Par ailleurs, on observe un rachat massif des studios de jeux vidéo français, qui portent la souveraineté culturelle française, et européens. Ainsi Quantic Dream, l’un des fleurons français, a été racheté par NetEase. Qu’en est-il d’une stratégie européenne de protection de notre souveraineté culturelle ?
M. David Guiraud (LFI-NUPES). Le maintien et le renforcement des règles austéritaires en Europe conduiront à une vague massive de sanctions envers la plupart des États européens, car quatorze d’entre eux dépassent aujourd’hui le seuil de 60 % d’endettement. Nous sommes en radical désaccord avec vous, monsieur le ministre, car nous pensons qu’il faut investir, mais puisque vous êtes à l’euro près – ce que nous pouvons entendre car c’est votre logique –, que comptez-vous faire à propos du décompte des aides publiques aux entreprises ? Des centaines de ces aides, directes et indirectes, représentent en effet plusieurs centaines de milliards d’euros. Certaines peuvent être utiles, mais des recherches un peu poussées montrent que la plupart d’entre elles sont destinées à des groupes qui délocalisent et cassent notre politique industrielle française.
Comptez-vous vous doter d’indicateurs pour savoir enfin comment faire le tri – je pense notamment au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), transformé en exonérations de cotisations sociales et dont on ne parle même plus vraiment dans les documents budgétaires français ?
Mme Sabine Thillaye (Dem). À la veille de définir la programmation militaire pour les années 2024 à 2030, n’oublions pas que la politique industrielle concerne également notre base industrielle et technologique de défense (BITD), qui a des problèmes de financement, notamment privé. Que peut-on envisager en la matière ? Davantage d’aides d’État, le Fonds européen de défense ou la Banque européenne d’investissement (BEI), qui pourrait éventuellement intervenir dans ce cadre, mais qui ne peut pas le faire aujourd’hui ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Cabrolier, nous avons en effet ajouté les montants des subventions européennes au titre du programme REPowerEU, pour 2 milliards d’euros, et un ajustement au PNB réel a été effectué, comme il était convenu depuis le départ dans le cadre du plan de relance européen. La réforme des retraites, voulue par la France, ne faisait pas partie, je le rappelle, des jalons du PNRR.
Monsieur Labaronne, votre question rejoint bon nombre de celles qui m’ont été posées à propos de l’industrie. D’abord, il n’y a pas d’industrie sans capital, et la désindustrialisation massive de la France s’explique par l’alourdissement systématique de la fiscalité du capital. J’entends soupirer du côté des députés La France insoumise, mais tous ceux qui ont refusé une baisse des impôts de production et des impôts sur les bénéfices des sociétés et sur le capital ont, somme toute, participé à la décapitalisation de l’industrie, et donc aux délocalisations industrielles. Les entreprises choisissent le lieu où la rentabilité de leur investissement industriel sera la plus forte. Que ce soit dans l’aéronautique, dans l’automobile, dans la chimie ou dans la santé, ces entreprises ont besoin d’investissements capitalistiques très lourds.
La première étape de la reconquête industrielle est donc la réforme fiscale de 2017. Il y a là un vrai débat démocratique, mais tous ceux qui reviendront sur cette réforme le paieront très cher en termes de destructions d’emplois et de fermetures d’usines. C’est un point clé de notre politique.
Cela ne suffit pas pour autant, et il faut évidemment prendre des mesures pour renforcer notre appareil de production. D’abord, il faut continuer à innover et à investir, car ce qui fait le succès d’une filière industrielle, c’est sa capacité à renouveler ses produits et à proposer à chaque fois des produits de meilleure qualité – c’est ce que fait, par exemple, l’agroalimentaire en développant de l’alimentation animale avec de nouveaux types de protéines, de la viande à partir de protéines végétales ou diverses productions à partir d’insectes ou d’autres produits innovants.
En France, le soutien à la recherche publique représente 27 % du montant de la recherche et du développement des entreprises privées, ce qui en fait le deuxième montant le plus élevé de tous les pays de l’OCDE, grâce notamment au crédit impôt recherche.
On peut aussi jouer sur la commande publique ou sur la formation et les qualifications. On peut également développer les crédits d’impôts, en plus des subventions, sur le modèle de l’IRA, et, enfin, simplifier les installations d’usines. Ce sont toutes ces portes d’entrée que nous voulons développer dans le cadre de la loi « industrie verte ».
Monsieur Di Filippo, je partage votre analyse selon laquelle nous sommes à un moment de vérité. Les taux d’intérêt sont passés de 0 % à 2,85 % ou 2,90 %, soit près de 3 %, à dix ans, et la charge de la dette de 30 à 41 milliards d’euros de 2021 à 2022. C’est un moment de vérité, car chacun doit se demander où il veut mettre l’argent des Français. Pour ma part, je n’ai aucune envie de le mettre dans la charge de la dette.
Réduire la dette, c’est s’assurer que nous aurons une charge moins élevée et des taux d’intérêt plus faibles, ce qui évitera de gaspiller de l’argent public dans cette charge de la dette. Je préfère que ces milliards d’euros soient plutôt consacrés aux services publics ou à des dépenses sociales utiles, ce qui suppose de réduire la part de la dette dans la richesse nationale. C’est en cela que nous sommes à un moment de vérité : il n’est pas vrai qu’il ne serait pas grave de ne pas atteindre l’équilibre des retraites en 2030. C’est grave, car cela se paye. Ni l’argent, ni la dette, ni le déséquilibre des finances publiques ne sont gratuits. Cela a un coût, que l’on peut vouloir assumer, mais qui devient prohibitif pour nos compatriotes et ne mène nulle part.
Monsieur Chassaigne, l’écart compensatoire bidirectionnel fait partie de cet insupportable sabir bruxellois, que je supporte aussi peu que vous. J’aime que les choses soient exprimées clairement car, comme le disait M. Boileau, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément ». La notion désigne tout simplement l’écart, dans le marché de l’énergie, entre le prix du marché et un prix de référence, l’idée étant – et c’est que nous avons appliqué avec la contribution inframarginale – que, lorsque le prix de marché est très au-dessus du prix de référence, l’État récupère la mise. L’application de ce principe nous rapporte plusieurs milliards d’euros. En revanche, lorsque le prix est très inférieur au prix de marché, ce qui met les producteurs tels qu’EDF en grande difficulté, l’État compense la perte. Il est plus simple de l’exprimer ainsi que de parler d’écart compensatoire bidirectionnel.
Monsieur de Courson, nous sommes favorables à l’harmonisation, non seulement du taux, mais aussi de la base et de l’assiette de l’IS. Les débats ont été très compliqués et nous n’y sommes pas parvenus, mais il serait sage de réaliser cette harmonisation. Quant au taux de prélèvements obligatoires, il a en effet augmenté, parce que les recettes ont été dynamiques et la croissance plus forte que prévu. Une règle qui vient d’être vérifiée veut qu’une baisse du taux des impôts puisse augmenter les recettes grâce au dynamisme de la croissance. Les recettes de l’impôt sur les sociétés ont ainsi augmenté alors même que le taux avait baissé de huit points, passant de 33,3 % à 25 %, car cette baisse a accru le dynamisme des entreprises, et donc les recettes globales.
Madame Klinkert, j’ai visité avec vous l’entreprise Liebherr, et suis favorable à ce que cette magnifique entreprise bénéficie du fonds de souveraineté.
Madame Louwagie, le montant du rendement de la taxe sur les producteurs et sur le raffinage est de 400 millions d’euros. Je précise qu’il s’agit d’une taxe directe sur la production d’énergie fossile, très limitée en France, et non pas de la contribution sur la rente inframarginale, qui prélève la rente des énergéticiens et rapporte plusieurs milliards d’euros.
Monsieur Roseren, vous avez posé une question essentielle à propos de la date de 2035. Je suis très opposé à ce que nous remettions en cause l’engagement de mettre fin aux ventes de véhicules thermiques en 2035.
D’abord, parce que nous allons connaître un vrai conflit d’usage quant à l’utilisation de ces carburants de synthèse, qui sont coûteux à la production comme à l’achat. Certains moyens de transport, comme le bateau ou l’avion, ne peuvent pas être électrifiés ou ne peuvent l’être que très partiellement, car les batteries sont trop lourdes et leur utilisation n’est pas rentable. Mieux vaut donc leur réserver l’utilisation de ces carburants de synthèse. Les employer pour un véhicule de transport individuel n’a pas de sens.
Ensuite, parce que nous serons beaucoup plus efficaces pour rattraper notre retard par rapport à la Chine en accélérant les investissements dans le véhicule électrique. Luca de Meo et Carlos Tavares nous disent à quel point le dynamisme de la recherche et des investissements en matière de batteries électriques, d’anode, de cathode, de chaîne de traction et d’incorporation des batteries sur le plancher des véhicules nous permettent de rattraper ce retard. Toutefois, nous ne le pourrons qu’en investissant massivement, avec une politique claire et sans faire des zigzags. Je suis donc favorable à ce que nous maintenions notre objectif de développement des véhicules électriques et la date de 2035, et à ce que nous concentrions nos investissements publics et privés sur ces véhicules.
Monsieur Laqhila, je suis, je le répète, très favorable à l’harmonisation fiscale, dans laquelle l’IS est une première étape.
Je répondrai aux courriers de M. Larrouturou et du ministre des finances autrichien. Je rappelle cependant que la France, à la différence d’autres États européens, a instauré une taxe sur les transactions financières qui rapporte 1,5 milliard d’euros. Je suis favorable à la coopération renforcée sur cette question.
Madame Jamet, je tiens à vous rassurer : nous livrons tous les jours le combat pour le nucléaire en Europe et j’ai constamment défendu la production nucléaire française. Nous avons établi une alliance nucléaire et obtenu que le nucléaire soit maintenu dans la taxonomie européenne, dont il devait être exclu. Le nucléaire figure donc bien dans la redéfinition du nouveau marché européen de l’énergie.
Monsieur Masséglia, je vous répondrai dans un autre format à propos de la souveraineté culturelle, question qui nous emmènerait trop loin.
Monsieur Guiraud, les règles du nouveau pacte de stabilité ne sont pas des règles austéritaires, mais des règles tout court. Je suis, par ailleurs, très favorable à ce que nous procédions à une revue des aides aux entreprises afin de nous assurer qu’elles sont efficaces et vont réellement aux entreprises qui produisent et qui développent l’activité sur notre territoire. Je n’ai jamais fermé la porte à l’idée d’un examen attentif des aides et crédits d’impôts aux entreprises, notamment les crédits d’impôts bruns.
Madame Thillaye, je suis, je le répète, favorable à l’harmonisation.
*
* *
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 28 mars 2023 à 17 heures 30
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Fabrice Brun, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, M. Benjamin Dirx, Mme Stella Dupont, Mme Sophie Errante, Mme Marina Ferrari, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, Mme Nadia Hai, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Karine Lebon, M. Mathieu Lefèvre, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Louis Margueritte, M. Denis Masséglia, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, M. Emeric Salmon
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Joël Giraud, M. Jean-Paul Mattei, M. Sébastien Rome
Assistaient également à la réunion. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierrick Berteloot, M. André Chassaigne, Mme Sophia Chikirou, M. Thibaut François, M. Alexandre Holroyd, Mme France Jamet, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, M. Pierre Larrouturou, Mme Nicole Le Peih, M. Frédéric Petit, M. Jean-Pierre Pont, Mme Sabine Thillaye, M. Jean- Luc Warsmann