Compte rendu

Délégation aux collectivités territoriales
et à la décentralisation

 Audition de M. Stanislas GUERINI, ministre de la transformation et de la fonction publiques  2

 Présences en réunion............................. 20


Mercredi
30 mai 2023

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 19

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de
Mme Stella Dupont, Vice-présidente


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La séance est ouverte à 17 h 15.

 

La délégation auditionne M. Stanislas Guerini, ministre déléguée auprès du ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/zO3jwp

 

Mme la vice-présidente Stella Dupont. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’excuse tout d’abord notre président, Thomas Cazenave, qui ne pouvait pas être avec nous cet après-midi. Nous accueillons aujourd’hui Monsieur Stanislas Guérini, ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Au nom de notre délégation, j’ai une pensée pour nos agents publics qui ont tragiquement perdu la vie la semaine dernière. Je pense à cette infirmière du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims et à sa collègue blessée, aux trois policiers de Roubaix et à l’agent de la Direction des routes de Charente-Maritime. Ces agents, au cœur de nos services publics, méritent toute notre attention, ainsi que leur famille.

Merci, monsieur le ministre, de vous être rendu disponible pour échanger avec notre délégation.

Le premier sujet que je souhaite aborder concerne la fonction publique territoriale. En raison des difficultés de recrutement, les effectifs de la fonction publique d’État ont baissé l’an dernier de 5 844 équivalents temps-pleins (ETP), alors que la loi de finances pour 2022 prévoyait un solde net positif de 1 000 emplois. Ces difficultés se retrouvent également dans la fonction publique territoriale, en témoigne le dernier baromètre HoRHizons, co-réalisé par le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), la fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), l’association des maires de France (AMF), Régions de France et Départements de France. Ce baromètre rend compte des grandes tendances de l’emploi territorial et souligne que l’attractivité de l’emploi dans la fonction publique territoriale est devenue aujourd’hui un enjeu majeur auquel sont confrontés les collectivités et leurs élus. Je sais, monsieur le ministre, que l’attractivité de la fonction publique dans son ensemble est une de vos préoccupations premières. À ce titre, a été lancée le 4 mai la plateforme « Choisir le service public », site de recrutement du secteur public qui remplace « Place de l’emploi public ».

Certains métiers de la fonction publique territoriale sont plus que d’autres sous tension. Ainsi, un tiers des secrétaires de mairie vont partir à la retraite d’ici 2030 et les petites communes peinent à recruter des profils adaptés à la diversité des missions qu’exercent ces agents territoriaux. Près de 2 000 postes seraient vacants. L’AMF a formulé vingt-six propositions en 2021 et vous avez indiqué le mois dernier, lors de l’examen au Sénat de la proposition de loi déposée par la sénatrice Céline Brulin visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie, que le travail gouvernemental allait se poursuivre.

Par ailleurs, les communes ont besoin de policiers municipaux, une demande évaluée à 8 000 postes supplémentaires d’ici la fin du mandat municipal 2020-2026, à comparer aux 25 000 postes actuellement pourvus. La délégation a lancé une mission d’information rapportée par nos collègues Lionel Royer-Perreaut et Alexandre Vincendet, qui formulera des recommandations pour rendre cette filière plus attractive. France urbaine a également rendu publique une contribution sur le sujet.

D’une manière plus générale, votre ministère a engagé ces dernières années plusieurs réformes pour renforcer l’attractivité de la fonction publique : la réforme de l’encadrement, la revalorisation des agents de catégorie B, la prise en charge partielle de la complémentaire santé, les concours nationaux à affectation locale, le plan « Talents du service public », le développement du télétravail avec l’accord-cadre du 13 juillet 2021, etc. Quels sont vos pistes et chantiers en matière de dynamique de la rémunération, de diversification des filières de recrutement, de dynamisation des parcours professionnels, de formation et d’environnement de travail pour inciter les jeunes à rejoindre le service public local ?

Les résultats récemment publiés de l’index de l’égalité professionnelle pour 2023, qui s’appliquent aux entreprises de plus de 50 salariés depuis 2019, sont encourageants et en progression, surtout dans les grandes entreprises. Le dernier rapport de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) rappelle que 63 % des agents de la fonction publique sont des femmes, contre 46 % dans le secteur privé. Vous souhaitez étendre dans un premier temps cet index à la fonction publique territoriale, puis aux deux autres versants de la fonction publique. Comment se matérialisent les inégalités salariales au sein de la fonction publique ? Cet index sera-t-il un outil suffisant pour les réduire ?

Le deuxième grand point que je veux évoquer concerne les maisons France Services et le numérique dans les territoires. L’accessibilité des services publics pour la population est une dimension essentielle de l’aménagement du territoire et correspond à un besoin très profond et légitime, exprimé notamment par les habitants des territoires ruraux et de montagne, mais aussi de certains territoires urbains. Avec les maisons France Services, nos concitoyens peuvent trouver dans un même lieu un accompagnement pour réaliser leurs démarches administratives auprès des principaux partenaires publics locaux (Caisse d’allocations familiales, Direction générale des finances publiques, ministère de la Justice, La Poste, etc.). En tant que maire, j’ai moi-même mis en place ce type de service. Leur nombre a connu un essor rapide depuis 2019, essor qui avait été anticipé avec les maisons des services au public sous François Hollande. Ainsi, environ 2 600 maisons France Services maillent l’hexagone. Dominique Faure et vous-même avez annoncé 12,5 millions d’euros supplémentaires pour contribuer à leur fonctionnement et permettre la création de 150 nouveaux espaces cette année. Quelles sont les prochaines étapes du déploiement des réseaux France Services, de l’enrichissement du bouquet de services proposés et de formation des agents en poste ? Alors qu’elles sont plébiscitées pour la qualité du service offert (94 % d’usagers des maisons France Service sont satisfaits), leur notoriété est parfois jugée insuffisante, tant par les élus locaux que par leurs administrés. Pourrait-on mieux faire connaître ces structures de proximité auprès de nos concitoyens ?

D’autres initiatives, à l’image de celles que vous avez initiées avec Sylvie Retailleau pour renforcer l’accessibilité des services publics pour les étudiants sous la forme d’un protocole d’expérimentation entre France Services et le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), sont-elles envisagées ?

Enfin, et c’est mon troisième et dernier point, les collectivités territoriales semblent avoir plus de retard que les administrations de l’État en matière de transformation numérique et d’ouverture de leurs données. Moins d’une collectivité sur six ouvre une partie de ses données selon l’association OpenDataFrance ; or le premier contact de nos concitoyens avec une administration, même locale, est son site Internet ou une application mobile. Ainsi, la transformation numérique de l’action publique est un enjeu de taille. Par ailleurs, les récentes attaques informatiques montrent que la protection des systèmes d’information et la cybersécurité sont cruciales. De même, l’ouverture et le partage de données publiques sont nécessaires pour rendre plus agile l’économie locale, mais aussi simplifier et accélérer l’action publique.

Vous animez le programme Transformation numérique des territoires (TNT), créé en mai 2021, qui porte notamment le fonds de transformation numérique des collectivités territoriales, doté de 90 millions d’euros et copiloté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), la direction du numérique (DINUM) et l’agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Quels sont les axes de travail de ce programme pour 2023 ? Comment les collectivités sont-elles assistées dans la conduite de leurs investissements dans le numérique ?

Vous avez lancé le 12 avril une mission pour lever les freins des collectivités territoriales dans l’ouverture et l’exploitation de leurs données qui doit rendre ces conclusions en juillet. Comment les collectivités territoriales doivent-elles travailler sur ce sujet ? Il existe peut-être parfois une forme de chacun pour soi de la part des grandes collectivités qui développent leur propre potentiel de smart city ainsi qu’une mise à l’écart des petites collectivités qui ne voient pas nécessairement l’intérêt de la donnée et qui n’ont pas la ressource technique ni financière pour répondre à cet enjeu.

M. Stanislas Guérini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés. Avant d’entrer dans le fond des sujets, je souhaite vous remercier pour vos mots à l’égard des agents qui ont perdu la vie durant leur mission. La semaine dernière, nous avons été confrontés à des drames en série, qui nous rappellent que les agents sont en première ligne et font parfois don de leur vie. Malheureusement, ces drames s’ajoutent à une autre série d’agents qui ont perdu la vie dans les mois qui ont précédé. Nous ne devons jamais rester inactifs ou impuissants face à ces drames. Ainsi, j’ai réuni vendredi dernier l’ensemble des directions d’administration de réseaux et de guichets pour formuler des propositions. Des améliorations ont été portées sur la protection fonctionnelle et sur les sanctions renforcées à l’égard des violences et des menaces à l’égard des agents publics. Nous pouvons aller plus loin et je formulerai dans les prochaines semaines des propositions en ce sens. Nous le devons aux agents de la fonction publique.

Je remercie la délégation pour les travaux qu’elle mène, fort utiles pour éclairer le débat et solliciter l’exécutif dans ses actions. Nos échanges sont évidemment très précieux pour le ministre de la transformation et de la fonction publique que je suis, qui se sent pleinement le ministre des trois versants de la fonction publique : la fonction publique d’État, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale. Les enjeux actuels de la fonction publique territoriale traduisent avec une acuité encore renforcée les défis de la fonction publique.

Je souhaite développer devant vous trois enjeux, dont celui de la concertation. Plus que jamais, les défis auxquels nous faisons face doivent nous conduire à faire ensemble, au service de deux priorités : l’accès et la qualité de nos services publics ainsi que l’attractivité de la fonction publique.

En premier lieu, les défis de transformation et les crises successives doivent nous conduire à « faire ensemble ». La crise sanitaire a été un moment de révélation pour les administrations elles-mêmes et sur leur façon de fonctionner. Pendant la crise sanitaire, nous avons su piloter par le terrain, décloisonner, raccourcir les chaînes de commandement et révéler des talents. Nous devons « réembarquer » ces éléments dans la transformation de l’action publique et, collectivement, tourner le dos à deux impasses. Tout d’abord, celle du « laisser-faire », qui a longtemps été une doctrine d’action publique se traduisant par le New public management (nouvelle gestion publique). Il s’agissait d’externaliser bon nombre de compétences. Aujourd’hui, nous constatons un vrai besoin de réinvestissement d’action publique au plus près du terrain et le laisser-faire n’est plus une option. L’autre impasse à écarter est le « faire seul ». La fonction publique ne pourra pas, sans partenariat avec l’ensemble des acteurs, relever les défis qui sont devant nous : les transitions écologique, numérique et démographique. Le « faire ensemble » doit avoir des conséquences extrêmement concrètes en matière de méthodes de travail.

À l’issue d’une semaine de concertation avec les organisations syndicales de la fonction publique, j’affirme que les enjeux de dialogue social seront primordiaux dans les semaines qui viennent, indépendamment des conflits sociaux qui ont pu avoir lieu sur les retraites. Selon moi, nous devons accepter de mettre de côté une certaine conception de l’action publique qui consisterait à penser nos réformes pour l’État et à envisager leur déclinaison pour les versants territoriaux ou hospitaliers dans un second temps. Au contraire, les actions doivent être pensées dès le début dans les trois versants. Le « faire ensemble » doit également se faire sentir dans le cadre d’un travail collaboratif avec les collectivités territoriales, notamment avec le comité de pilotage de France Services et le programme TNT. Ce sont autant de cénacles collaboratifs qui produisent des solutions sans esprit de clan ni nombrilisme.

Vous m’avez interrogé sur l’accessibilité de nos services publics. Nous pouvons formuler un diagnostic très clair. Interrogés, nos concitoyens évoquent trois priorités :

1° les délais ;

2° la possibilité de parler à quelqu’un, non seulement en cas de blocage sur des démarches numériques, mais également parce que nous avons besoin d’un service public humain, fait de voix et de visages ;

3° enfin – et ceux d’entre vous qui ont travaillé sur la loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc) le savent – les usagers ne souhaitent pas être envoyés d’une administration à l’autre. Le « Dites-le-nous une fois » est une traduction du souhait d’un point d’accès simple à nos services publics. On dit parfois que l’administration devrait n’être faite que de simplicité, mais la vie des citoyens est complexe et il n’est donc pas absurde que l’administration porte en elle une part de cette complexité. Cependant, nous devons travailler sur la simplicité du point de contact.

Nous devons travailler sur les fondamentaux des services publics, ces moments dans la vie où l’on est confronté à un certain nombre de démarches administratives. Il y a deux semaines, l’ensemble du gouvernement s’est réuni autour de la Première ministre pour travailler à partir de moments dans la vie des Français sur lesquels nous devions régler des dysfonctionnements. Cinq moments de vie ont été mis en avant : le fait de devenir étudiant, la rénovation du logement (la politique publique est parfois complexe sur l’accès aux aides), l’accès au titre d’identité et la perte d’un proche. La Première ministre a demandé au gouvernement de travailler de façon totalement décloisonnée afin de relever les défis du droit à l’erreur, du « Dites-le nous une fois », de l’accès aux personnes en situation de handicap, de la bonne numérisation et des alternatives systématiques à apporter (un téléphone ou un guichet).

Par ailleurs, nous nous concentrons sur les démarches essentielles. Entre 250 et 300 démarches sont opérées par plus de 200 000 de nos citoyens et nous devons produire du « bon numérique » sur ce socle. Ce n’est pas parce qu’il est nécessaire d’humaniser le service public qu’il faut tourner le dos au numérique. Ce serait une impasse, car aujourd’hui, plus de 90 % des interactions entre les Français et leur administration ont lieu via le numérique : mails et plateformes sur un téléphone ou un ordinateur portable. 93 % de ces 250 démarches essentielles, ont été numérisés, mais nous avons du retard. Ainsi, entre 40 et 50 % de ces démarches sont pleinement accessibles aux personnes en situation de handicap (par exemple une alternative audio pour des personnes malvoyantes).

Ainsi, nous créons les conditions pour déverser certains de nos concitoyens sur des guichets ou le téléphone, car les démarches numériques leur sont inaccessibles. Il convient de partager la donnée, afin qu’une information puisse être automatiquement remplie une fois transmise à une administration. Cette démarche nourrit les enjeux présentés ces jours-ci sur la lutte contre les non-recours ainsi que la lutte contre la fraude.

Par ailleurs, nous devons nous améliorer sur l’aspect téléphonique. Un plan téléphone avait été lancé avant la crise sanitaire, mais celle-ci a mis un coup d’arrêt à cette intensité d’engagement sur la qualité de l’accueil téléphonique. En conséquence, nous avons repris des engagements très concrets sur les taux de décrochés, sur le sondage systématique des usagers qui contactent des administrations ainsi que sur la possibilité d’un rappel, engagement du comité interministériel de la transformation publique (CITP). De nombreuses entreprises procèdent ainsi et les usagers doivent pouvoir demander un créneau durant lequel une personne de l’administration les rappelle. Je souhaite que toutes les administrations avec guichet fournissent ce service, comme la Première ministre nous l’a demandé.

Enfin, le service public doit être accessible à celles et ceux qui en sont les plus éloignés et pour lesquels le numérique n’est pas une option. Nous avons tous été bloqués sur un site qui ne fonctionne pas ou dont nous ne comprenons pas la complexité. En outre, les études de la Défenseure des droits et de la médiation numérique font état de 13 millions de citoyens intrinsèquement éloignés du numérique soit parce qu’ils sont âgés, soit parce que ce sont des jeunes qui mènent leurs démarches sur un téléphone portable, peu habitués au langage administratif. Notre politique doit être plus fine et offrir des alternatives.

Vous avez mentionné France Services, des espaces sur lesquels nous concentrons beaucoup de moyens, car cette politique publique fonctionne. Ainsi, 2 600 espaces France Services sont ouverts à travers le territoire, soit un espace France Services à moins de vingt minutes pour 92 % de nos concitoyens ou à moins de trente minutes pour 98 % de nos concitoyens en France métropolitaine et ultramarine. C’est une politique publique peut-être plus qualitative que les anciennes maisons de service au public. En effet, grâce à la formation de nos agents et de la qualité du service rendu, le demandeur sort de France Services en ayant vu sa démarche administrative traitée plus de huit fois sur dix.

Cependant, nous devons aller plus loin en matière d’investissement de l’État auprès des collectivités qui rendent ce service. Il convient de préciser que les 12 millions d’euros déployés ne visent pas à ouvrir 150 espaces France Services supplémentaires, car nous nous étions déjà donné les moyens de financer cet élargissement du réseau, qui sera déployé durant l’année 2023. J’annoncerai une part de cette nouvelle vague d’ouvertures d’ici l’été, une deuxième part à la rentrée prochaine et à l’automne. Ces 12 millions d’euros ont pour objectif d’augmenter le financement pour chacun des espaces France Services, avec une augmentation de dotation de 30 000 à 35 000 euros dès cette année pour chacune des collectivités. Non seulement l’État ne se désengage pas de ces politiques publiques, mais il souhaite au contraire renforcer sa présence.

Je souhaite remercier la députée Marie-Agnès Poussier-Winsback ici présente, à qui j’ai confié une mission avec le sénateur Bernard Delcros pour enrichir le bouquet de services. Je vous confirme qu’une expérimentation est en cours avec les réseaux de centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) dans six départements, avec des résultats prometteurs. Sa généralisation nous permettrait d’aller chercher des publics étudiants. Nous menons également une expérimentation avec la Banque de France dans huit départements pour l’accompagnement aux ménages en situation d’endettement, avec des résultats intéressants. Enfin, nous continuons à travailler sur les dispositifs tels que MaPrimeRénov’ pour enrichir l’offre proposée au sein des espaces France Services.

Le développement de « l’aller vers » est au cœur de la mission confiée à Marie-Agnès Poussier-Winsback et Bernard Delcros. Les bus et le covoiturage solidaire font partie des initiatives qui nous permettront d’augmenter le taux de fréquentation des France Services et de ne pas opposer cette politique publique aux actions menées via d’autres réseaux plus traditionnels de services publics. Nous devons donc faire face à un enjeu de mise en collaboration des réseaux, notamment celui des secrétaires de mairie, absolument essentiel.

Enfin, la dimension de numérisation et d’accompagnement des collectivités dans leur effort de numérisation est primordiale. Les 90 millions d’euros investis dans le cadre du programme TNT nous ont permis de réaliser des progrès en matière de formation, d’équipements, de baromètres et d’acculturation à la politique de la donnée. Jean-Noël Barrot, Dominique Faure et moi-même animons le programme TNT avec un axe particulier, la politique publique de la donnée. Elle est essentielle en matière de gouvernance. Pour vous donner un exemple, l’absence de référentiel sur l’artificialisation des sols génère de nombreux conflits d’usage. Nous devons travailler sur la bonne gouvernance de la donnée, qui doit être pensée dans le cadre d’un partenariat entre les collectivités et l’État. Nous devons également concentrer nos efforts sur les cas d’usage à impact sur le public. C’est le cœur de la mission ouverte récemment. Elle rendra ses conclusions au mois de juillet.

Le deuxième aspect de la réussite de nos services publics est celui de l’attractivité de la fonction publique. Les chiffres de sous-exécution budgétaire concernant la fonction publique d’État que vous avez mentionnés sont parfaitement avérés ; nous avions anticipé la création de 700 ETP pour la fonction publique d’État et l’évaluation d’exécution a montré une diminution de 6 000 ETP dans le budget 2022. Ce n’était pas la volonté du gouvernement et mon mandat ne repose pas sur les suppressions de postes dans la fonction publique. Cependant, cette réduction montre les enjeux d’attractivité intrinsèques et de tensions sur le marché de l’emploi auxquels la fonction publique territoriale fait sans doute face avec encore plus d’acuité.

Aujourd’hui, tous les employeurs, privés comme publics, font face à des difficultés de recrutement. La démographie est également un enjeu, même s’il est absent de nos débats publics : le pic de départs à la retraite est considérable, notamment sur certains métiers tels que celui de secrétaire de mairie. De nombreux fonctionnaires recrutés au début du premier septennat de François Mitterrand partent à la retraite maintenant et la fonction publique doit faire face à un enjeu de vieillissement démographique. Sur le périmètre de la fonction publique d’État, on compte 0,86 fonctionnaire actif pour un fonctionnaire retraité, alors que dans les années 1970, on comptait 4 actifs pour un retraité. Cet effet démographique ne doit pas être mésestimé dans la gestion prévisionnelle de l’emploi public.

Pour y répondre, nous devons travailler sur les parcours de carrière, l’accès et la rémunération dans la fonction publique. En effet, il faudrait manquer de lucidité pour ne pas voir en face les enjeux d’attractivité par la rémunération ou la traduction des carrières. Cependant, il convient également d’appréhender les transformations des attentes dans le rapport au travail et dans les conditions de travail qui sont proposées aux agents publics.

Ainsi, nous devons réfléchir aux conditions d’accès à la fonction publique, aux concours et à la professionnalisation d’un certain nombre d’entre eux ainsi qu’au recrutement sur titre.

Dans la fonction publique hospitalière, il est possible de procéder à un recrutement sur titres alors que dans la fonction publique territoriale, compte tenu de l’obligation de passer par un concours, il arrive qu’un CHU prenne des agents à la structure municipale médico-sociale. J’ai donc engagé un travail de remise à plat des modalités d’accès à la fonction publique, avec un enjeu tout particulier sur l’apprentissage dans la fonction publique. Il convient d’en faire une vraie voie de pré-recrutement dans la fonction publique.

Les parcours de carrière, par la formation et la validation des acquis de l’expérience (VAE), doivent être un axe de travail prioritaire. Il ne s’agit pas de remettre en cause les catégories A, B ou C, mais de faire en sorte que le passage entre les catégories soit plus facile. Les secrétaires de mairie sont pour moi un exemple type des enjeux d’attractivité dans la fonction publique. Vous avez évoqué les enjeux démographiques sur cette filière, très féminisée, avec 94 % de femmes. Nous devons aller plus loin dans l’assouplissement des quotas de promotion, un engagement que j’ai pris auprès des employeurs territoriaux, au travers de la VAE. En effet, si une secrétaire de mairie possède vingt années d’expérience dans une collectivité, je considère que le contenu de son métier doit permettre une promotion hors quotas de la catégorie C (qui regroupe 74 % des secrétaires de mairie) à la catégorie B. Nous aurons aussi à penser une formation de professionnalisation pour permettre aux collectivités qui le souhaitent de promouvoir leur secrétaire de mairie hors quota de promotion. Il n’existe pas de fatalité à nos questions d’attractivité et nos difficultés constituent des occasions de faire évoluer les lignes, restées fixes depuis des années dans la fonction publique.

Nous devons adresser les enjeux de rémunération. À court terme, il existe un enjeu de pouvoir d’achat pour les agents de la fonction publique. J’ai dit aux organisations syndicales que les dernières évolutions salariales mises en place sur l’indice minimum de traitement afin de s’aligner sur l’augmentation du salaire minimum de croissance (Smic) n’étaient pas pour solde de tout compte. C’est l’objet de discussions actuelles avec les organisations syndicales. Elles contiennent des enjeux plus structurels, dont trois principes qui m’animent dans la mise à plat du système de rémunération dans la fonction publique. Le premier est la protection et l’oxygénation des bas de grille. En effet, la problématique d’écrasement des grilles est réelle. Le second enjeu est la capacité d’évolution de la rémunération dans sa carrière. Comment peut-on dynamiser les évolutions proposées et assumer une différenciation ? Dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, nous avons créé des dispositifs d’accélérateur de carrière, qui doivent nous inspirer pour proposer des évolutions en matière de rémunération. Le troisième principe est notre capacité de rémunération de l’engagement, du mérite et de la performance individuelle et collective. Ces dispositifs peuvent être tout à fait compatibles avec les fondamentaux du statut de la fonction publique et nous permettre de la moderniser.

Je terminerai en évoquant la question des conditions de travail. J’ai engagé un programme qui doit placer l’agent au cœur de nos préoccupations, autour de promesses employeurs pour améliorer les conditions de travail. La question du management est absolument déterminante dans la fonction publique. Elle passe par les dispositifs de formation initiale et continue et par la revue de nos dispositifs d’évaluation de nos cadres dans les trois versants de la fonction publique. Par ailleurs, nous devons simplifier la vie de nos agents. Bon nombre d’irritants du quotidien doivent permettre des démarches d’amélioration continue, démarches que j’ai lancées avec les employeurs des trois versants de la fonction publique. La prévention de l’usure et de la pénibilité et la santé au travail sont des axes extrêmement importants. Après le versant de protection en matière de complémentaire santé, nous devrons achever le chantier de la prévoyance et d’amélioration statutaire pour les agents de la fonction publique dans les semaines qui viennent.

La quatrième promesse employeur concerne l’environnement de travail : le télétravail, le temps de travail, la transformation des espaces ou encore l’application de la sobriété énergétique sur les lieux de travail. Ces enjeux-là doivent être appréhendés ensemble pour leur donner du sens.

Selon moi, l’égalité professionnelle est centrale et je souhaite effectivement instaurer un index d’égalité professionnelle dans la fonction publique. Déployé par Muriel Pénicaud, il existe dans le secteur privé depuis quelques années et permettrait de mesurer, corriger et sanctionner les administrations qui ne mettraient pas en place des actions. Par ailleurs, je souhaite également rendre plus contraignant et plus ambitieux le dispositif de nomination équilibrée, c’est-à-dire d’accès aux emplois d’encadrement, issu de la loi Sauvadet il y a douze ans.

Au-delà de ces outils de mesure ou de nomination, il convient de travailler sur les enjeux de conditions de travail. Il sera ainsi nécessaire de repenser et de renégocier des plans d’égalité salariale avec les organisations syndicales sur l’éradication des violences sexistes et sexuelles et la santé au travail, notamment la meilleure prévention des maladies chroniques féminines. La dernière des promesses employeur concerne le logement des fonctionnaires. C’est un outil de pouvoir d’achat central, qui permet parfois de répondre aux enjeux de différenciation dans les territoires.

En conclusion, nous devons nous mobiliser pour porter la diversité des métiers de la fonction publique. Pas un seul employeur dans le pays n’est capable de proposer plus de 1 000 métiers différents. Lors du salon national de l’emploi public, qui se tenait pour la première fois depuis 2016, 4 000 personnes sont venues s’intéresser aux métiers de la fonction publique. À cette occasion, nous avons lancé le site « Choisir le service public ». À date, 58 000 jobs sont ouverts sur ce site, des métiers extrêmement divers. Cette diversité, accompagnée de la question du sens, pourrait peut-être refaire de la fonction publique l’employeur le plus attractif du pays. C’est mon objectif.

Mme la vice-présidente Stella Dupont. Merci, monsieur le ministre. Ce large panorama nous permet de démarrer nos échanges de manière éclairée.

Mme Anne Brugnera (RE). Merci, monsieur le ministre, pour vos propos liminaires très complets. Je souhaite revenir sur trois points, dont la revalorisation du point d’indice pour les agents publics en général et les fonctionnaires territoriaux en particulier. La forte inflation que nous connaissons depuis le début de la guerre en Ukraine a conduit à l’augmentation du Smic à plusieurs reprises, ce dont nous nous réjouissons. Cette hausse du Smic a eu pour conséquence un relèvement de l’indice minimum de traitement, qui s’établit à un indice majoré de 361, permettant ainsi aux agents de la fonction publique les moins bien rémunérés de maintenir leur pouvoir d’achat. Cependant, ces hausses successives de l’indice minimum de traitement provoquent un tassement des grilles indiciaires. Pour le premier grade de la catégorie C, les huit premiers échelons sont à l’indice minimum de traitement. Pour le premier grade de la catégorie B, ce sont les trois premiers échelons qui sont à l’indice en question, avec des conséquences néfastes pour nos agents. Ainsi, un agent recruté au premier grade de la catégorie C attend aujourd’hui douze ans pour bénéficier d’une hausse de rémunération liée à un gain d’échelon. Un agent recruté au troisième échelon du premier grade de catégorie B a un traitement indiciaire identique à celui d’un agent de premier grade de catégorie C, alors que ses missions, son ancienneté, son niveau de qualification et parfois son management sont différents. Dans nos collectivités territoriales, les femmes sont plus spécifiquement touchées. En effet, elles commencent souvent leur carrière dans la fonction publique à 35 ou 40 ans, après un enchaînement de contrats précaires et à durée déterminée (CDD) et de congés maternité.

Enfin, se pose également la question de règles de reprise d’ancienneté complètement « archaïques » – terme utilisé par un directeur des ressources humaines – selon lesquelles seule la moitié des années travaillées est récupérée. Tous ces éléments mettent à mal l’attractivité des postes de la fonction publique territoriale, notamment dans nos collectivités et dans celles qui n’ont pas de régime indemnitaire. Qu’envisagez-vous pour remédier à ce tassement des grilles indiciaires et redynamiser l’attractivité de nos collectivités employeurs ?

Par ailleurs, le groupe Renaissance est attentif au sujet de la pénibilité, de la prévention et en conséquence de la reconversion précoce pour les métiers les plus usants, tels que celui des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) ou du personnel de crèche.

Ce sont des métiers aux postures difficiles, qui deviennent rapidement pénibles et, même si nous pouvons adapter les postes et les postures avec des chaises hautes à la cantine ou des bras télescopiques, qu’en est-il de leur reconversion ? Pouvez-vous nous dire un mot sur la mise en place du fonds de prévention de la pénibilité dans la fonction publique ainsi que sur les démarches engagées avec les employeurs en matière d’accompagnement à la reconversion des agents territoriaux ? S’agissant de la santé au travail, je tiens à rappeler que les enseignants n’ont pas de médecine du travail.

Enfin, concernant les maisons France Services, il importe de ne pas négliger nos grandes villes à l’esprit. Je sais que de telles structures ont été ouvertes dans certains quartiers, en particulier ceux relevant de la politique de la ville, mais tous n’ont pas été couverts, notamment dans ma circonscription. Les personnes âgées ont besoin de ces services et il convient de penser à elles. Je vous remercie.

M. Philippe Lottiaux (RN). En matière d’attractivité, je pense qu’il existe trois difficultés : il y a, en tout premier lieu, un problème général de reconnaissance et de valorisation du travail des agents, certains métiers de la fonction publique territoriale, en particulier communale, étant difficiles à exercer. Il faut souligner que les agents font face de manière exponentielle à l’agressivité des demandeurs et à des incivilités, ce qui constitue un vrai facteur de stress.

Par ailleurs, les grilles apparaissent aujourd’hui un peu archaïques et rigides. Il est difficile de valoriser l’avancement, les qualités professionnelles et l’implication. Que peut-on faire sur ce point ? À cet égard, le système des quotas apparaît de plus en plus dépassé. De même, on peut supposer que les contractuels vont se multiplier à l’avenir dans la fonction publique du fait de métiers non anticipés et d’un besoin de souplesse. Ne devrait-on pas aujourd’hui raccourcir de six ans à trois ans le délai qui permet de transformer un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ?

Enfin, il est possible de faire preuve de davantage de souplesse en matière de régime indemnitaire. Vous avez évoqué les secrétaires de mairie, mais il convient de garder à l’esprit l’encadrement intermédiaire des petites communes. Les possibilités pour ces agents d’obtenir une prime sont plus restreintes dans les communes de moins de 2 000 habitants. Contrairement à leurs homologues dans les grandes communes, ils sont astreints à plus de polyvalence dans leurs tâches et sont plus fréquemment amenés à être en contact avec le public, sans en être pour autant récompensés.

Mme Catherine Couturier (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, vous avez parlé du tassement des grilles, de la nécessité de les revoir dans leur ensemble et de modifier le nombre d’années permettant d’atteindre un salaire décent. À mon sens, nous devons également évoquer le point d’indice 100, qui n’a pas été revalorisé depuis des années en dehors des dernières augmentations. Le rattrapage par rapport au coût de la vie n’a pas été celui qu’il aurait dû être et, aujourd’hui, la rémunération et les conditions de travail dans les services poussent bon nombre d’agents à abandonner le service public pour se tourner vers d’autres métiers. C’est vrai dans la fonction publique d’État – je pense, notamment, à l’éducation nationale en ce moment – et aussi dans la fonction publique hospitalière. Ce phénomène est peut-être un peu moins visible dans la fonction publique territoriale, car je pense que les fonctionnaires territoriaux sont particulièrement attachés au service de proximité qu’ils assurent ainsi qu’au lien direct qu’ils entretiennent avec les citoyens et les élus.

Par ailleurs, j’aimerais vous interroger sur un sujet qui n’a pas été du tout abordé : les exclus du « Ségur de la santé ». En effet, de nombreux agents au sein de la fonction publique territoriale, en particulier tous ceux qui ont travaillé dans les services d’action sociale, n’ont malheureusement pas bénéficié de ces mesures de revalorisation. Que comptez-vous faire pour résorber cette inégalité de traitement au regard des missions exercées par ces agents ?

Vous avez également fait état de la promotion au mérite et évoqué les modes de rémunération liés à des engagements ainsi que les nominations hors quota. Je rappelle tout de même que les élus, et notamment les élus locaux, sont maîtres des quotas quand ils en ont la capacité et qu’ils ne dépendent pas du centre de gestion. Or, il existe un risque de dépasser les règles du statut pour procéder à des nominations et des promotions « à la tête du client ».

Plus tôt, vous avez rendu hommage aux personnels qui ont perdu la vie, mais il convient de penser à tous ces agents qui sont aujourd’hui en dépression et sous médicaments pour résister à la dureté des conditions de travail. J’ai d’autant plus conscience de cette réalité que je suis moi-même une ancienne fonctionnaire, tant de la fonction publique d’État que de la fonction publique territoriale et j’ai travaillé chez France Télécom. Les risques psychosociaux sont très élevés à l’heure actuelle et poussent de nombreux agents à quitter la fonction publique.

Monsieur le ministre, il faut réduire le temps de travail et peut-être même réfléchir à une autre organisation de ce temps. La semaine de quatre jours pourrait très bien se concevoir dans nos services. Je rappelle que les congés et la réduction du temps de travail en dessous des 1 607 heures annuelles permettaient à nos élus de compenser le manque d’attractivité des salaires. On peut regretter, malheureusement, que les élus ne puissent plus déroger à ce régime. 

Enfin, concernant les maisons France Services, les élus, en particulier en milieu rural, sont d’autant plus satisfaits de revoir les services publics que ceux-ci avaient été massacrés. Depuis des années, les politiques publiques ont amené à la fermeture des bureaux de poste, des perceptions, des maternités, des écoles et des collèges. En outre, en milieu urbain, la fin de la police de proximité a parfois contraint les élus locaux à créer des polices municipales, sans moyens financiers pour compenser les missions de l’État.

Par ailleurs, je constate dans mon département que, bien souvent, les agents des maisons France Services ne sont pas suffisamment formés. Il est fait appel à des volontaires du service civique qui sont pleins de bonne volonté, mais ne sont pas en mesure d’accompagner le citoyen jusqu’au bout de sa demande. Il s’agit d’une porte d’entrée qui, souvent, ne s’avère pas totalement efficace.

M. Xavier Breton (LR). Merci, monsieur le ministre, pour ce tour d’horizon. Je souhaite revenir, d’une part, sur le développement des nouvelles technologies et, d’autre part, sur l’attractivité des métiers de la fonction publique.

Concernant le développement des nouvelles technologies, de plus en plus de procédures sont dématérialisées, ce qui provoque beaucoup de dégâts. Dans nos permanences parlementaires, les demandes de rendez-vous se multiplient de la part de citoyens de toutes générations et de tous milieux qui rencontrent des problèmes d’accès. Les services publics doivent impérativement accroître leurs efforts dans la facilitation des démarches de nos concitoyens. 

Par ailleurs, on parle beaucoup des nouveaux outils d’intelligence artificielle. Il s’agit d’une révolution à laquelle les entreprises se préparent et qui va engendrer des suppressions d’emplois. Comment ce mouvement est-il anticipé dans les trois fonctions publiques ? De nombreux métiers, qui sont jusqu’à présent à l’abri, se trouveront mis en cause. Il est important d’y réfléchir le plus en amont possible.

Enfin, je voudrais évoquer les secrétaires de mairie, qui jouent un rôle essentiel dans nos territoires. Ces postes sont en première ligne et demandent une grande polyvalence. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) avait formulé vingt‑six propositions, dont une partie s’est traduite par une proposition de loi examinée par le Sénat en première lecture. Outre ces dispositions législatives, des mesures de nature réglementaire peuvent être prises au profit de ces agents. Pouvez-vous nous en dire plus sur le calendrier envisagé par le Gouvernement pour engager cette revalorisation, tant en termes de statut que de formation des secrétaires de mairie ?

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Monsieur le ministre, j’aimerais que vous nous donniez des précisions sur votre feuille de route en matière de dialogue social. Qui sont vos interlocuteurs et dans quels domaines discutez-vous ? Il s’agit de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui pensent que l’on dialogue toujours avec les mêmes ou qu’il n’existe pas de dialogue du tout.

Par ailleurs, quand on évoque les collectivités locales et leurs agents, il est important de distinguer les grandes collectivités et celle de taille plus modeste, car elles ne possèdent pas les mêmes moyens et ne font pas face aux mêmes enjeux. Dans le cadre de votre réflexion, avez-vous conscience que certains territoires, bien qu’ils puissent être attractifs, ne le sont pas en raison de la forte augmentation des prix de l’immobilier ces dernières années ?

M. Stéphane Buchou (RE). Monsieur le ministre, merci pour ce propos qui a abordé de nombreux sujets. Pourriez-vous décliner les actions que vous allez mettre en œuvre pour rendre le métier de secrétaire de mairie plus attractif ? En effet, ce cadre d’emploi constitue un maillon très important de nos territoires.

Par ailleurs, le logement est un sujet explosif dans beaucoup de territoires. Les agents de la fonction publique territoriale rencontrent des difficultés, en particulier dans les zones tendues dont ma circonscription fait partie.

M. Pierre Cordier (LR). Monsieur le ministre, merci pour vos propos. J’ai eu la chance d’être maire pendant seize ans et de travailler avec deux secrétaires de mairie exceptionnelles qui jouaient un rôle de conseil, nouaient un lien avec les habitants et délivraient des renseignements variés. Il convient peut-être de se pencher sur le terme de « secrétaire ». En effet, même si je n’ai absolument rien contre les secrétaires, cette appellation est peu constructive et peu valorisante. Ainsi, je partage les interrogations de mes collègues quant aux moyens d’accroître l’attractivité de ce formidable métier.

Par ailleurs, je pense que nous avons avancé trop rapidement sur la question du numérique, notamment dans des départements comme celui des Ardennes. Je reçois dans ma permanence de nombreux citoyens qui rencontrent des difficultés dans la prise d’un rendez‑vous médical ou d’un rendez-vous pour une carte d’identité, ou bien dans leur déclaration d’impôts. De nombreuses personnes âgées n’ont pas encore été familiarisées à ces techniques. Dans vingt ans, toute la population aura utilisé un ordinateur dans le cadre de son emploi, mais tel n’est pas encore le cas aujourd’hui.

Cette question de l’accès aux démarches renvoie également au sujet des maisons France Services. Il y a quelques années, j’avais interrogé Jacqueline Gourault, alors ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur la pertinence de l’échelon cantonal dans la mise en place des maisons France Services. Je rappelle que la refonte de la carte cantonale menée en 2014-2015 sous le mandat de François Hollande a été un grand échec : un certain nombre de territoires ont été redécoupés de manière incohérente et l’échelon cantonal, tel qu’il existait depuis la fin du XIXe siècle avec un chef-lieu entouré de petites communes, a été remis en cause.

À mon sens, cet échelon géographique n’était pas adapté à l’implantation des maisons France Services telle qu’elle a été décidée au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron.

Enfin, je souhaite évoquer le monde de l’éducation nationale. J’ai conscience que vous partagez cette compétence avec votre collègue du Gouvernement, mais de nombreuses personnes nous demandent de les aider, car elles ont été affectées très loin de leur lieu d’habitation. Certes, l’attractivité d’un poste d’enseignant peut passer par une revalorisation salariale, mais aussi par la prise en compte des besoins dans l’affectation sur un premier poste. Un éloignement trop important peut décourager certaines personnes qui souhaitent devenir enseignant.

M. Stanislas Guérini. Merci pour les points que vous avez soulevés, qui me semblent essentiels. Je commencerai par les aspects de rémunération que vous avez été nombreux à évoquer : la dimension indiciaire, les grilles et leur écrasement. Le diagnostic a été bien posé par Anne Brugnera, mais j’ajouterai quelques points d’analyse. Nous avons eu à faire face l’année dernière à une année d’inflation forte, même si elle était plus mesurée que chez nos voisins européens. Malgré un ralentissement au niveau macroéconomique, nous faisons face à une deuxième année d’inflation forte, notamment sur l’alimentation et les produits de première nécessité. Ainsi, cette inflation touche les plus bas niveaux de rémunération dans le secteur privé et les bas de grille, c’est-à-dire précisément les classes moyennes, dans le secteur public.

Vous avez mentionné, Mme Brugnera, le rattrapage par l’indice minimum de traitement des rémunérations des catégories B, voire du début des grilles des catégories A. Il me semble que c’est là que nous devons concentrer nos efforts.

L’année dernière, j’ai été le ministre qui a le plus augmenté le point d’indice depuis trente-sept ans, avec une hausse de 3,5 %. Ce taux était peut-être éloigné des revendications de certaines organisations syndicales, mais il s’agit indiscutablement de la plus forte augmentation depuis 1985. C’était nécessaire pour éloigner du Smic un certain nombre d’agents publics. Ainsi, 700 000 agents étaient rémunérés au niveau du Smic avant la hausse, et plus aucun après. Il est vrai que cette hausse a des limites, car il s’agit d’une augmentation indifférenciée pour tous les fonctionnaires. L’augmentation égalitaire du point d’indice a des effets très différenciés en matière de volume d’euros : l’augmentation est bien plus forte pour les plus hauts fonctionnaires du pays que pour les bas niveaux de rémunération. De la même façon, on peut noter que l’inflation elle-même a un impact beaucoup plus important sur les bas de grille que sur les cadres.

Par ailleurs, cette augmentation du point d’indice est venue s’ajouter aux augmentations individuelles moyennes dans la fonction publique. On l’oublie très souvent. Ces hausses ont été de 1,5 % l’année dernière ; leur taux était similaire au cours des dernières années. Il m’arrive d’entendre dans le débat public qu’aucune augmentation de salaire n’a été accordée dans la fonction publique : c’est faux. Il convient également d’ajouter les effets du glissement vieillesse technicité ainsi que les efforts plus catégoriels qui ont été portés ces dernières années, en particulier le Ségur de la santé ou encore le socle et le pacte destinés à revaloriser les rémunérations des enseignants.

Ce sont des efforts importants, nécessaires et légitimes. Ils ont été concentrés sur les débuts de grille des catégories B durant le quinquennat précédent et sur les catégories C à la faveur des mesures prises par ma prédécesseure, Amélie de Montchalin. Ces efforts successifs visaient à préserver le pouvoir d’achat des agents de la fonction publique. Enfin, je tiens à mentionner la garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA), mécanisme de rattrapage et de protection des agents de la fonction publique au regard de l’inflation.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, les augmentations récentes de l’indice minimum de traitement ne peuvent pas être considérées comme un solde de tout compte : la question du pouvoir d’achat doit être appréhendée dans les prochaines semaines. Il s’agit d’un des enjeux prioritaires du dialogue que j’ai eu avec les organisations syndicales ces derniers jours. Je leur ai indiqué que je souhaitais apporter des réponses à ces questions de pouvoir d’achat de manière anticipée dès le mois de juin. Je le ferai dans un format multilatéral avec les huit organisations syndicales représentatives de la fonction publique.

Pour répondre à la question de Marie-Agnès Poussier-Winsback, le dialogue s’effectue avec les représentants des organisations syndicales représentatives des trois versants de la fonction publique. Le niveau de représentativité est issu des élections professionnelles qui ont eu lieu en décembre dernier. Ces organisations se retrouvent à l’échelle nationale dans des instances comme le Conseil commun de la fonction publique ou le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, mais aussi au plus près du terrain dans les comités sociaux d’administration (CSA) et les commissions administratives paritaires (CAP).

Selon moi, les conditions de travail, la sobriété énergétique ou encore l’organisation du temps de travail constituent de bons sujets de dialogue social à l’échelle territoriale. Je pense que nous ne devons pas imposer d’en haut, de façon homogène, les mêmes réponses pour le pays. En matière d’aménagement des lieux de travail, d’organisation du service ou de temps de travail, je suis persuadé qu’il s’agirait d’une erreur. Il ne s’agit pas, en particulier, de décréter la semaine de quatre jours pour toute la fonction publique. Un tel dispositif ne peut être mis en place que s’il est intégré dans une réflexion plus large sur l’organisation du service ou l’aménagement des espaces de travail. Quoi qu’il en soit, ce sont des sujets qui ont vocation à être traités dans le cadre d’un dialogue social de proximité dans les 20 000 instances de concertation de la fonction publique.

Monsieur Lottiaux, vous avez souligné les limitations qui peuvent s’appliquer à certains régimes indemnitaires dans la fonction publique territoriale. J’estime qu’il est nécessaire de donner plus de marge de manœuvre aux employeurs territoriaux. Je le dis sans penser que la dissociation du point d’indice serait une bonne idée. Je crois à l’unicité du point d’indice. Pour autant, si les employeurs territoriaux sont bloqués en matière de modalités d’accès aux emplois, de promotion et de modulation des rémunérations, on crée une compétition au travers des compléments indemnitaires. On observe ainsi un dévoiement des dispositifs de rémunération variable, notamment du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), dont les mécanismes de modulation en fonction de l’emploi et de la performance sont timidement utilisés du fait précisément de cette compétition entre employeurs territoriaux. Redonnons des marges de manœuvre à ces employeurs, en particulier en matière d’évolution de carrière.

Madame Couturier, vous estimez que l’assouplissement des règles, notamment sur les quotas de promotion, constituerait une dérogation au statut. Sur ce sujet, il est important d’écouter les employeurs territoriaux et les sénateurs. Le débat sur la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie qui a été adoptée par le Sénat en avril dernier était, à cet égard, extrêmement intéressant. J’observe que le texte avait été porté par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat, que l’on peut difficilement soupçonner de vouloir mettre à bas le statut de la fonction publique. Les auteurs eux-mêmes de la proposition de loi réclamaient davantage de marge de manœuvre et de possibilités d’évolution. La règle d’une promotion pour trois recrutements extérieurs était adaptée à un moment où l’attractivité n’était pas un problème. Actuellement, nous rencontrons des difficultés pour attirer des candidats dans la fonction publique. C’est pourquoi il est important d’offrir des possibilités de promotion.

Le métier de secrétaire de mairie est un bon démonstrateur de cette capacité. Selon moi, trois dispositifs doivent être mis en place au travers de la nouvelle proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de maire, déposée par le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) au Sénat. Ce texte sera examiné par les sénateurs en séance publique le 14 juin prochain. Je suis prêt à engager la procédure accélérée sur ce texte afin d’en débattre à l’Assemblée nationale. Toutes les dispositions contenues dans ce texte visent à plus de marges de manœuvre pour les employeurs territoriaux.

En effet, il convient d’abord de mettre en place un mécanisme de validation des acquis de l’expérience pour les secrétaires de mairie. Bien que ce métier ne corresponde pas à la catégorie C, 74 % de ces agents appartiennent à cette catégorie. Ainsi, l’entrée dans la fonction publique ne doit pas être un couloir dont on ne pourrait jamais sortir sauf en préparant un concours administratif pendant un an pour passer dans la catégorie B. Il y aurait, dans ce cas, un phénomène d’épuisement de carrière. Je souhaite qu’avec les employeurs territoriaux, nous puissions définir un socle de compétences et une expérience permettant aux collectivités de promouvoir des secrétaires de mairie dans la catégorie B sans être enfermées dans des quotas de promotion.

Ensuite, au-delà du « stock » des agents en place, nous devons travailler sur les « flux ». En ce sens, une fermeture des viviers de recrutement serait une erreur. Certains estiment que l’on pourrait ériger les secrétaires de mairie en emplois fonctionnels. Après avoir entendu les secrétaires eux-mêmes, j’estime que cela reviendrait à fragiliser leur poste, tout changement de maire pouvant amener une remise en cause de l’emploi fonctionnel. Au contraire, je souhaite conserver des viviers de recrutement ouverts. Des agents des maisons France Services peuvent devenir de bons secrétaires de mairie, l’inverse étant également vrai. Il convient d’oxygéner les parcours de carrière. Au travers de leur proposition de loi, les sénateurs du groupe CRCE nous ont demandé d’ouvrir la possibilité aux communes comptant entre 1 000 et 2 000 habitants de recruter des agents contractuels pour les emplois de secrétaire de mairie. Je m’y suis montré favorable.

Pour faire basculer une personne recrutée en catégorie C vers la catégorie B, la proposition de loi propose la mise en place d’une formation de qualification dont le contenu devra être défini avec les employeurs territoriaux et les secrétaires de mairie. Elle offrira la possibilité d’une promotion dans la carrière.

Enfin, nous devons inventer des accélérateurs de carrière pour les secrétaires de mairie. L’exercice du métier de secrétaire de mairie est compliqué. Ces conditions de travail difficiles peuvent donc donner lieu à une accélération sur les grilles d’ancienneté. Cette proposition s’inspire des dispositifs applicables aux agents publics qui travaillent dans les quartiers de la politique de la ville. Ce sujet doit constituer une forme de démonstrateur collectif pour montrer qu’il n’existe pas de fatalité et que des solutions existent.

Plusieurs d’entre vous m’avez interrogé sur les conditions de travail, notamment sur la prévention et la santé au travail. Nous ne pouvons pas penser uniquement à la réparation, mais également à la prévention. Lors du débat sur les retraites, nous avons rappelé la réalité : dans certains métiers, l’usure se fait sentir avant 62 ans. Nous devons répondre à trois questions fondamentales : tout d’abord, puis-je peux adapter mon temps de travail ? Ensuite, puis-je adapter mon poste de travail ? Enfin, puis-je adapter ma carrière en changeant de métier ?

Sur le premier point, des mesures importantes figurent dans la loi portant réforme des retraites qui a été débattue au début de l’année, en particulier l’instauration pour la fonction publique de la retraite progressive. Il s’agit de donner la capacité à des agents publics, à partir de 62 ans, de se mettre à temps partiel tout en conservant sa rémunération et en bénéficiant de sa retraite par anticipation.

Cette disposition est majeure et j’ai proposé aux organisations syndicales de mener un travail spécifique dès le mois de juin sur l’application de la retraite progressive dans la fonction publique. Je souhaite en faire un droit réel qui puisse s’appliquer à tous les agents publics, notamment aux professeurs qui peuvent être intéressés par ce type de mesures.

Concernant l’adaptation du poste de travail, nous devons investir davantage en matière de prévention. Pour la fonction publique hospitalière, nous avons engagé une mission, composée d’une inspectrice générale des affaires sociales et un directeur des ressources humaines à l’hôpital, destinée à concrétiser un engagement pris lors du débat sur la réforme des retraites, à savoir un investissement annuel de 100 millions d’euros centré sur les métiers du soin.

En parallèle, nous avons lancé une mission similaire en coordination avec les employeurs territoriaux visant à étudier les instruments collectifs de toutes les collectivités, quelle que soit leur taille, permettant de mutualiser les moyens et les pratiques de prévention. Sur ce point, on peut observer que des outils existent déjà au sein de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Cet organisme dispose, en effet, d’un fonds national de prévention de 15 millions d’euros par an, dont seuls 5 millions d’euros sont utilisés chaque année. Ce dispositif collectif est inconnu de la plupart des employeurs territoriaux alors qu’il permet, notamment, de financer des aménagements de poste pour des ATSEM.

Au travers de cet investissement, il s’agit d’identifier les agents concernés et d’évaluer la possibilité d’aller au-delà des seules catégories actives. En effet, la pénibilité n’est pas toujours mesurable et vous avez, Madame Couturier, mentionné à juste titre les risques psycho-sociaux. Travailler avec des enfants handicapés est indéniablement usant, même si la traduction de cette usure n’en sera pas forcément physique. Comment financer une vraie politique de prévention pour ces agents qui ne sont pas toujours bien couverts par nos dispositifs existants ? Je suis, bien sûr, favorable à ce que l’on finance des formations, mais aussi le remplacement d’agents qui sont en train de se former pour pouvoir changer de métier ainsi que les aménagements de poste. De toute évidence, on ne devrait plus construire des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sans rails au plafond destinés à faciliter le portage de personnes âgées. La gouvernance de ce type de fonds est, par ailleurs, un débat que nous allons avoir avec les employeurs hospitaliers et territoriaux.

Mme Poussier-Winsback et M. Buchou, vous avez évoqué l’impact de la question immobilière sur l’attractivité des emplois. Sur ce sujet, nous avons parfois besoin de davantage de différenciation en fonction des bassins de vie. Pour être plus précis, il convient de réduire la différenciation qui résulte d’une étiquette de recrutement dans la fonction publique. Aujourd’hui, il existe des différences fortes entre un contractuel dans la fonction publique territoriale ou un titulaire dans la fonction publique d’État, ce qui rend la mobilité plus difficile. En revanche, nous devons prendre davantage en compte le bassin de vie. La problématique du logement doit être absolument centrale. La cartographie de l’indemnité de résidence est incontestablement datée. C’est la raison pour laquelle j’ai engagé des travaux pour apporter une réponse à cette question, sachant que toute réforme aura un coût important, comme je l’ai dit en audition au Sénat il y a quelques jours. C’est donc dans le cadre d’un débat budgétaire qu’il faudra évoquer la question.

La mobilisation pour le logement de nos fonctionnaires est essentielle. Je souhaite avancer sur ce sujet selon trois axes de travail.

Tout d’abord, il s’agit de mettre en place une politique décloisonnée du logement, car aujourd’hui, nous fonctionnons en silos. Si l’on ne considère que la fonction publique d’État, on peut s’apercevoir que certains ministères ont une vraie politique du logement, comme celui des armées ou de l’intérieur, à la différence des autres, qui ne disposent pas de telles facilités. En outre, le parc de logements existants n’est pas mutualisé avec les autres versants de la fonction publique. Je souhaite lancer un comité interministériel du logement avec le ministre chargé du logement et le ministre chargé du budget pour avoir tous les leviers et appréhender le sujet de façon décloisonnée.

Le deuxième axe de travail s’appuie sur le constat que nous n’avons pas à notre disposition tous les instruments en matière de bail. En effet, il est parfois difficile de fournir un logement social ou intermédiaire à des agents publics et l’on peut être mis en difficulté si ceux‑ci démissionnent. Nos outils sont indéniablement rigides : une réforme en ce sens pourrait trouver une traduction législative.

Enfin, il convient d’engager une politique de production de logements, comme l’a indiqué le Président de la République, dans ses vœux aux soignants. La réponse se trouve dans le logement intermédiaire. Je rencontre actuellement des acteurs avec lesquels l’État et les collectivités pourraient contractualiser afin de construire un parc de logements intermédiaires, dont une partie serait réservée aux agents publics. Ce contrat s’appuierait sur du foncier qui serait cédé à l’opérateur en charge du projet.

Je souhaiterais maintenant répondre aux questions sur la numérisation de nos services publics. Monsieur Cordier, vous estimez que nous avons avancé un peu trop rapidement sur le numérique. Pour ma part, j’estime que nous n’avons pas avancé assez rapidement pour faire du bon numérique. Bien sûr, s’il est question d’une numérisation sans alternatives téléphoniques ou physiques, ou bien d’une mauvaise numérisation, je partage votre position. Il est essentiel d’accompagner correctement les citoyens. Cependant, considérer que le numérique serait devenu un ennemi est, selon moi, une erreur. Dans le débat public, on parle du numérique comme s’il constituait la source de tous nos problèmes. Je suis persuadé que le numérique peut, sous conditions, apporter des solutions, y compris aux territoires les plus éloignés de nos services publics.

Nous devons analyser nos difficultés. Ainsi, la France est plus efficace en matière d’ouverture que de partage de données entre administrations, comme l’avait montré de façon éclatante le rapport de la mission présidée par le député Éric Bothorel, intitulé « Pour une politique publique de la donnée » et remis au Premier ministre en décembre 2020. Avec la direction du numérique (DNUM), dont j’ai la tutelle, nous allons engager une politique plus volontariste de partage de la donnée entre administrations pour faire en sorte que plus de démarches soient systématiquement pré-remplies. Les spécialistes de la médiation numérique soulignent qu’aujourd’hui, des tutoriels existent pour la plupart des démarches en ligne. Or, aucun tutoriel n’existe pour les démarches administratives. Nous allons donc développer plusieurs outils consacrés à ces démarches essentielles afin d’améliorer considérablement la qualité du numérique dans les années à venir.

Ensuite, il convient de proposer des alternatives et de replacer l’humain dans ces démarches. L’humanisation et la numérisation ne doivent pas être contradictoires. Ainsi, les conseillers numériques France Services font partie d’une politique publique inventée ces dernières années. Avec 250 millions d’euros d’investissements issus du plan de relance, il a été décidé de mettre sur le terrain 3 000 conseillers numériques en appui des agents France Services qui viennent former les Français au numérique. Ainsi, ils ont accompagné plus de 1 million de Français depuis leur lancement il y a trois ans.

Il est important de continuer à investir sur la politique de médiation numérique et de formation au numérique en partenariat avec les collectivités territoriales, sans qu’il y ait le moindre désengagement de l’État sur ces questions.

Enfin, nous devons poursuivre la modernisation afin de ne pas subir les sujets numériques. L’intelligence artificielle est un sujet qui devrait occuper une plus grande part du débat public, car elle va transformer nos administrations, notamment en matière d’emploi public. Les simulations portant sur les 300 millions d’emplois potentiellement mis en concurrence avec l’intelligence artificielle montrent que cette compétition touche particulièrement les emplois administratifs.

En réalité, il convient de fournir un effort prospectif en matière de gestion prévisionnelle de l’emploi public. En effet, l’intelligence artificielle peut apporter des réponses et des opportunités pour simplifier le travail des agents et faire en sorte qu’ils puissent disposer de plus de temps utile. Il serait contradictoire de souligner les difficultés à pourvoir certains métiers dans la fonction publique et, en même temps, de ne pas profiter des nouveaux outils pour transformer notre fonction publique. L’intelligence artificielle peut constituer une option pour certaines tâches à valeur ajoutée moindre, afin de positionner nos agents publics sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, notamment celles où l’interaction humaine est indispensable.

L’intelligence artificielle entraînera la transformation de nos services publics et je ne souhaite pas la subir. C’est la raison pour laquelle j’ai annoncé le lancement d’une expérimentation qui se fera avec 200 agents volontaires dans les maisons France Services et les administrations chargées de répondre par écrit aux usagers. Cette expérimentation aura pour objectif d’envisager la mise à disposition de ces agents de solutions d’intelligence artificielle telles que ChatGPT ou Bloom, le dispositif collaboratif développé par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), afin de déterminer l’impact sur leur quotidien. Il s’agit de trouver la meilleure solution et d’analyser la capacité à apprendre de ces outils. À ce stade, je n’envisage les questions de souveraineté à travers cette expérimentation, qui concernent davantage mon collègue chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot. J’étudie d’abord l’impact de ces outils afin de déterminer dans un second temps les solutions souveraines qui devront être développées à l’échelle européenne et française. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est plus pertinent d’appréhender ces sujets dès à présent, à l’instar des entreprises, plutôt que de les subir dans quelques années.

Mme la vice-présidente Stella Dupont. Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour la complétude de vos réponses. Nous avons bien pris note des annonces à venir, notamment de celle sur la revalorisation des rémunérations en juin.

M. Stanislas Guérini. Merci, madame la présidente. Nous avons de nombreux rendez-vous, notamment autour de l’égalité salariale, dès le mois de juin. Le premier de ces rendez-vous se tiendra le 14 juin en séance sur la question de l’index de l’égalité professionnelle. Merci à vous, mesdames et messieurs les députés

 

La séance est levée à 18 h 50.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. M. Xavier Breton, Mme Anne Brugnera, M. Stéphane Buchou, M. Pierre Cordier, Mme Catherine Couturier, Mme Stella Dupont, Mme Mathilde Hignet, M. Philippe Lottiaux, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.

 

Excusés. M. Thomas Cazenave, Mme Patricia Lemoine, Mme Christine Pires Beaune, M. Jean-Claude Raux, M. Stéphane Travert.