Compte rendu
Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français
– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Mariani, député européen, ancien ministre, ancien député 2
– Présences en réunion................................27
Mardi
28 mars 2023
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 20
session ordinaire de 2022-2023
Présidence de
M. M. Laurent Esquenet-Goxes, vice-président de la commission
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Mardi 28 mars 2023
La séance est ouverte à seize heures.
(Présidence de M. Laurent Esquenet-Goxes, président, vice-président de la commission)
La commission entend M. Thierry Mariani, député européen, ancien ministre, ancien député.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Comme nous entendons une personnalité appartenant à sa famille politique, le président de la commission d’enquête a souhaité se déporter. Le bureau a accédé à sa demande, c’est pourquoi j’ai l’honneur de présider cette séance.
Nous accueillons M. Thierry Mariani, député européen Rassemblement national, ancien ministre, ancien député. Cher collègue, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête travaille depuis plusieurs mois sur les possibles ingérences étrangères dans la vie politique, économique et médiatique de notre pays. Son champ d’investigation est donc assez proche de celui de la commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation, à laquelle vous avez appartenu et dont nous entendrons le président, M. Raphaël Glucksmann, la semaine prochaine.
Cependant, si notre commission a souhaité vous entendre, ce n’est pas seulement pour recueillir votre témoignage en tant que député européen.
Vous avez siégé dans notre assemblée pendant près de vingt-trois ans, entre 1993 et 2017, ne quittant votre mandat que pour participer au troisième gouvernement Fillon, de novembre 2010 à mai 2012. Lors des élections législatives de 2012, vous avez quitté votre circonscription du Vaucluse pour gagner la onzième circonscription des Français de l’étranger, où vous a succédé notre collègue Anne Genetet.
Tous vos mandats électifs ont été marqués par une activité internationale intense, principalement en direction de la Russie, des pays de l’ex-URSS et du Moyen-Orient. Cette activité s’est inscrite pour partie dans le cadre des groupes d’amitié ou de la commission des affaires étrangères, mais vous avez également effectué de nombreux déplacements à votre initiative ou à l’invitation de différents pays que l’on ne saurait qualifier de démocratiques – je pense en particulier à vos visites en Syrie auprès de Bachar al-Assad, en Russie et au Kazakhstan, ou encore en Crimée et dans le Donbass.
Je précise que vous êtes visé par deux enquêtes judiciaires en lien avec l’association Dialogue franco-russe, que vous présidez depuis 2012, pour trafic d’influence et corruption, d’une part, abus de confiance et blanchiment d’argent, d’autre part. Évidemment, il n’appartient pas à notre commission de se prononcer sur l’objet de ces enquêtes ni sur une éventuelle qualification pénale. Nous souhaitons avant tout recueillir votre témoignage sur vos relations avec différents régimes étrangers hostiles à la France et dont il est établi, pour certains d’entre eux, qu’ils mènent des actions d’ingérence dans les affaires de notre pays.
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous demander, en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de bien vouloir prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
(M. Thierry Mariani prête serment.)
M. Thierry Mariani, député européen, ancien ministre, ancien député. Je vous remercie de m’avoir convoqué. J’avais demandé à votre président que cette commission m’auditionne, surtout en ma qualité de président du Dialogue franco-russe, qui alimente un peu tous les fantasmes sur les relations que nous aurions ou les moyens dont nous disposerions.
Je répondrai évidemment à la totalité de vos questions, mais mon exposé liminaire se limitera au Dialogue franco-russe.
Je le dis avec un clin d’œil : je vous remercie de m’avoir convoqué le 28 mars, puisqu’il y a exactement trente ans – le 28 mars 1993 –, j’étais élu député.
Qu’est-ce que le Dialogue franco-russe ? Quand je lis certains spécialistes – j’ai d’ailleurs vu que vous alliez en auditionner un ou deux –, j’ai l’impression que la fiction dépasse de beaucoup la réalité.
Le Dialogue franco-russe a été créé en 2004 par Jacques Chirac et Vladimir Poutine pour favoriser les échanges économiques et politiques avec la Russie. J’y reviendrai probablement en répondant à vos questions, mais il a fonctionné à plein régime jusqu’en 2014. Il a connu un premier coup d’arrêt en 2014, lors de la première vague de sanctions, à la suite du rattachement de la Crimée à la Russie. À ce moment-là, les cotisations françaises se sont beaucoup raréfiées. En 2021, avec les événements qu’on connaît – la guerre entre l’Ukraine et la Russie –, nous avons eu un second coup d’arrêt. Désormais, l’activité de notre association se limite quasiment à des rencontres avec des spécialistes, qui sont retransmises sur notre chaîne YouTube.
Le Dialogue franco-russe est présidé par un coprésident russe et un coprésident français. Le premier président russe était M. Ara Abramian, un Russe d’origine arménienne, et le premier président français était M. Thierry Desmarest, qui était à l’époque président ou directeur général – je ne sais plus quel était son titre exact, mais il en était le numéro un – de Total. J’ai donc pris la suite de Thierry Desmarest en 2012, quand il a souhaité démissionner. À cette époque-là, il y a aussi eu un changement de présidence du côté russe : c’est M. Vladimir Iakounine qui est devenu président.
Pourquoi avais-je été pressenti pour présider cette association ? D’abord pour mes liens avec la Russie, évidemment, mais aussi parce que le coprésident russe, Vladimir Iakounine, était président de RŽD, la première entreprise ferroviaire russe, l’équivalent de la SNCF. En 2019, elle avait 711 000 employés – il suffit de voir la superficie de la Russie pour comprendre ce chiffre. J’ai été pressenti car j’étais ancien ministre des transports et qu’il existait un certain nombre d’intérêts communs à des entreprises françaises et russes dans ce secteur.
J’assure cette fonction depuis 2012. Je tiens à votre disposition tous les chiffres, enfin ceux qui me restent en main – nous avons eu une perquisition de la brigade financière le 23 mars 2022, il y a donc environ un an. Je n’en ai eu aucune nouvelle et, pour le moment, les documents saisis ne nous ont toujours pas été rendus. Je précise que cette perquisition ne me visait pas et ne visait pas non plus le Dialogue franco-russe. Elle visait un ancien directeur, soupçonné de certaines choses, qui a quitté le Dialogue franco-russe il y a trois ou quatre ans.
Aujourd’hui, qu’est-ce que le Dialogue franco-russe concrètement ? Le budget de l’année dernière était de 86 000 euros : on n’est pas du tout dans les millions qui débouleraient du Kremlin ! Les cotisants russes ne peuvent plus participer à notre financement en raison des sanctions bancaires. On arrive encore à recevoir quelques cotisations de particuliers, mais extrêmement réduites. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’arrivée d’énormément de petits donateurs français, grâce aux vidéos que nous diffusons. L’année dernière, nous avons collecté 17 000 euros. Nous sommes à nouveau à 17 000 euros en 2023, mais seulement pour trois mois.
Ai-je été salarié de cette association ? La réponse est non, bien sûr. Est-ce que j’ai été défrayé ? J’ai demandé les éléments au commissaire aux comptes. Depuis 2012, j’ai touché 2 126 euros de remboursement de frais divers, ce qui, en douze ans, fait une moyenne de 163 euros par an.
Je reviens à ce que je disais, pour que vous compreniez bien. Au départ, il y avait un équilibre entre la participation des entreprises russes et celle des entreprises françaises. Jusqu’au coup d’arrêt de 2014, les entreprises françaises qui avaient principalement cotisé étaient Alstom, pour 50 000 euros, Bouygues, pour 8 000 euros, EADS, pour 8 000 euros, Geismar – du ferroviaire –, pour 4 000 euros, Gefco – du transport –, pour 8 000 euros, Safran, pour 8 000 euros, Sanofi, Société générale, SNCF, Thales, Total, etc. Jusqu’en 2014, c’était une association qui organisait des contacts.
Notre siège était au 120 avenue des Champs-Élysées. Nous partagions un plateau, c’est-à-dire un étage, avec RŽD, ce qui nous permettait d’organiser un certain nombre de rencontres, soit quand des entrepreneurs souhaitaient contacter des entreprises russes, soit – plus souvent – quand des élus locaux russes, par exemple des gouverneurs de région ou des maires, venaient en France et voulaient avoir des contacts avec des élus locaux français ou des responsables français d’autorités locales.
Le dernier grand colloque que nous avons organisé était en 2013, juste avant la première vague de sanctions. Il réunissait à Paris le MEDEF et son équivalent russe.
Voilà ce que je pouvais vous dire concernant cette association.
Vous avez signalé que j’étais sous le coup d’une enquête depuis avril 2021. C’était un mois avant les élections régionales que certains me voyaient gagner, mais je suis persuadé qu’il s’agit d’une pure coïncidence... Depuis mars 2021, je n’ai jamais vu un policier, jamais vu un magistrat et, telle sœur Anne, j’attends d’être enfin convoqué. Je le redis devant cette commission – je l’ai déjà dit à plusieurs reprises devant les caméras, puisque les médias me font la bonté de me rappeler cette affaire à chaque intervention –, si j’étais convoqué par un juge, j’accourrais dans son bureau, indépendamment de mon immunité parlementaire. Je n’ai rien à cacher concernant cette association. Je présume d’ailleurs que si la brigade financière, qui a emporté toute une série d’archives, ne s’est pas manifestée depuis un an, c’est parce qu’elle fait le même constat.
Je voulais surtout intervenir au sujet du Dialogue franco-russe, mais j’aimerais tout de même ajouter quelques mots. J’ai fait des études de droit international. Je m’intéresse donc à l’international. J’ai par ailleurs passé mon bac dans une école militaire ; à cette époque-là, on nous poussait à apprendre le russe pour préparer la guerre d’après. Contrairement à toutes les légendes romantiques que j’ai entendues, je ne me suis pas intéressé à la Russie parce que ma seconde épouse était russe – la première était savoyarde. Quand je suis arrivé dans cette assemblée il y a trente ans, nous n’étions pas beaucoup à parler russe. Parmi les députés que j’ai connus, certains le parlaient parfaitement, comme Hervé Mariton, d’autres moins parfaitement, surtout s’agissant des déclinaisons, comme moi. En décembre 1991, quand l’Union soviétique s’est effondrée, quinze nouveaux États ont cherché des contacts pour construire des relations diplomatiques avec la France. La France a également envoyé des délégations parlementaires. Forcément, je me suis intéressé à cette zone-là.
Si vous regardez mon parcours politique à l’Assemblée, j’ai fait cinq mandats, dont l’avant-dernier qui était incomplet, puisque j’ai été nommé ministre. Lors de mon premier mandat, la majorité RPR-UDF avait 450 députés. On en est bien loin aujourd’hui ! À l’époque, j’avais demandé la présidence d’un groupe d’amitié. On m’avait très gentiment répondu qu’on m’en donnerait une si je survivais au premier mandat. Pendant mon deuxième mandat, entre 1997 et 2002, c’était une majorité Jospin. J’avais demandé la présidence d’un groupe d’amitié d’Europe de l’Est. J’ai obtenu la Sierra Leone, qui, comme chacun le sait, est en Afrique ! Le pays était en pleine guerre civile. J’ai passé mon temps à accorder des réserves parlementaires à des ONG qui faisaient des prothèses – c’était une guerre horrible où on coupait les membres. Contrairement à ce que certains écrivent, je n’ai jamais présidé le groupe d’amitié France-Russie lors de mon troisième mandat, d’ailleurs à mon grand regret, mais le groupe d’amitié France-Ukraine, ce qui m’a permis de connaître un peu ce pays. Je ne me souviens plus dans quel ordre, mais, pendant mes quatrième et cinquième mandats, j’ai présidé les groupes d’amitié France-Azerbaïdjan et France- Kazakhstan.
Donc, effectivement, je connais un peu cette zone d’Asie centrale. Comme d’autres deviennent spécialistes de l’Afrique, je me suis spécialisé dans cette région parce que j’ai eu la chance de la connaître dès 1991 lorsque tout s’est effondré et que ces États se sont constitués. J’ai vu des personnalités politiques prendre de l’importance et j’ai gardé – je ne le renie pas – un certain nombre de relations dans ces pays. La semaine prochaine, je repars d’ailleurs en voyage en Ouzbékistan avec le Parlement européen.
Au Parlement européen, je fais partie de la commission des affaires étrangères, comme ce fut le cas ici lors de mon dernier mandat.
On me reproche certaines relations en Asie-Pacifique ou dans une partie de l’Europe de l’Est, mais – ce n’est pas Mme Genetet qui me contredira – elles sont assez logiques quand on a été député de la onzième circonscriptiondes Français de l’étranger, puisqu’elle couvre cette zone. À cette époque, j’y ai effectué un certain nombre de voyages.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Alors que vous avez fait toute votre carrière politique dans le Vaucluse, qu’est-ce qui vous a décidé, en 2012, à vous présenter à une élection dans une circonscription des Français de l’étranger, dans une zone où vous n’habitiez pas ?
M. Thierry Mariani. J’ai eu la chance d’être trois fois maire, trois fois conseiller général et quatre fois conseiller régional. J’ai été maire et député de l’endroit où je suis né, où mon père et mes grands-parents sont enterrés. J’ai été très fier d’être maire, conseiller général et député de cet endroit-là mais, au bout de vingt ans, j’avais envie de faire un peu autre chose.
Pourquoi avoir choisi cette circonscription ? J’étais responsable des Français de l’étranger, au RPR ou à l’UMP, je ne sais plus comment s’appelait le parti à l’époque ; c’était peut-être déjà les Républicains ; de toute façon, c’était la même formation politique. J’assumais cette responsabilité depuis des années. J’avais organisé la représentation de la formation de droite dans cette zone. J’avais dit que j’envisageais d’arrêter la politique, mais quand Nicolas Sarkozy a décidé, pendant son premier mandat, de créer des circonscriptions des Français de l’étranger, j’ai dit que j’étais intéressé. Il m’a proposé celle qui m’intéressait le plus. Vous avez raison, je n’y habitais pas. Comme je m’étais occupé des problèmes des Français de l’étranger pendant des années au sein du parti, j’avais tout de même quelques connaissances à ce sujet.
J’ai fait trois mandats de maire après avoir repris la ville à la gauche. Je n’y ai jamais perdu une élection. Je crois que la dernière fois, j’ai été élu à la mairie avec 70 % des voix, pareil au conseil général. Pour ma dernière élection de député dans le Vaucluse, j’ai obtenu 60 % des voix. J’avais simplement envie de faire autre chose. Certaines personnes ont une mentalité de notable et c’est très respectable. J’admire les députés qui, comme votre collègue qui s’est illustré par une motion de censure, en sont à leur septième ou huitième mandat, mais, pour ma part, je n’ai pas cette mentalité. Je préfère changer un peu. Aujourd’hui, je suis très content d’être député européen.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Ma seconde question est un peu plus technique. En 2020, vous avez assisté, avec une dizaine d’eurodéputés de votre parti, à un référendum constitutionnel organisé par Vladimir Poutine en Russie. Il visait notamment à lui permettre de rester au pouvoir pour un nombre illimité de mandats et à inscrire dans la Constitution l’interdiction des mariages homosexuels. À cette occasion, vous avez indiqué n’avoir constaté aucune entorse aux règles électorales, contrairement à d’autres observateurs, qui avaient remarqué que des bureaux de vote étaient installés à l’arrière de SUV. Des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux. Des journalistes sur place, notamment de l’agence Associated Press, ont par ailleurs signalé que des prix étaient remis à ceux qui voulaient voter « oui ». Votre séjour dans un hôtel luxueux payé par la fédération de Russie a-t-il pu altérer votre jugement ?
M. Thierry Mariani. Si ma mémoire est bonne, ce référendum de 2020 comportait une centaine d’articles. Comme vous l’avez dit, le principal concernait la prolongation du mandat du président de la Fédération, mais il s’agissait surtout de reconnaître implicitement le rattachement de la Crimée à la Russie. Si vous avez la curiosité de regarder, vous verrez qu’il y avait même un article sur le statut des animaux. J’avoue avoir oublié qu’il y avait quelque chose concernant le mariage homosexuel. La question centrale était de savoir si l’Ukraine – pardon, la Crimée – était devenue russe.
J’ai effectivement assisté au déroulement de ce référendum. Nous avons même été sanctionnés sans aucune base juridique par le Parlement européen. Je dis qu’il n’y avait aucune base juridique parce que la sanction a été prise en application d’un article concernant les députés en mission officielle, ce qui n’était pas notre cas. Par définition, il ne pouvait pas s’appliquer.
Il y avait des centaines de bureaux de vote. Dans ceux que nous avons vus – et nous les avions choisis –, le scrutin s’est déroulé correctement. Est-ce que des bureaux de vote ont pu être installés à l’arrière de véhicules ? C’est fort possible et même probable.
Lorsque j’étais à l’Assemblée nationale, j’ai siégé à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pendant trois mandats et à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pendant deux mandats. J’ai dû réaliser une soixantaine de missions officielles d’observation pour le compte de ces organismes reconnus. L’expérience m’a montré que les règles d’observation pouvaient être très souples.
Dans certains pays, si un observateur étranger se fait sortir d’un bureau de vote, on considère que c’est une atteinte à l’élection. Si c’est aux États-Unis, comme nous l’avons vécu avec M. Michel Voisin dans le Colorado, parce qu’ils n’acceptaient pas les observateurs étrangers, tout le monde trouve ça normal. Je me souviens aussi d’élections en Irak ou en Afghanistan où on ne connaissait pas les bureaux de vote quarante-huit heures à l’avance pour des raisons de sécurité. Pourtant, l’OSCE a validé les élections.
Comme je l’ai déjà dit publiquement, les validations d’élections par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE sont, à mon avis, ouvertement politiques et dépendent de l’orientation du gouvernement concerné.
Pour revenir à votre question, je reconnais avoir participé à ces missions. Est-ce que ça a pu aider le gouvernement russe ? Franchement, je ne pense pas que Thierry Mariani et les quelques observateurs qui étaient avec lui aient changé quelque chose à l’histoire. Nous avons néanmoins pu voir comment les choses se passaient, notamment avec la population. En l’occurrence, je suis désolé de le dire, la population en Crimée ne me semblait absolument pas hostile à la présence russe.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Il s’agit de votre point de vue.
M. Thierry Mariani. Je voudrais préciser que l’hôtel auquel vous avez fait référence est le Radisson à Moscou. C’est un bon hôtel, mais ce n’est pas un hôtel de luxe.
Il existe toute une mythologie au sujet des voyages. Selon moi, ils ne sont condamnables que si vous faites du tourisme ou que vous passez dix jours à la plage ensuite. J’ai déclaré au Parlement européen et à l’Assemblée nationale, quand la réglementation est intervenue – je crois qu’ici, le déontologue a été instauré par Bernard Accoyer –, tous les voyages que j’ai effectués. À chaque fois, mes déplacements étaient politiques. Si on veut connaître l’international, il faut se rendre sur place.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Comme le président l’a rappelé, l’association Dialogue franco-russe est visée par deux enquêtes préliminaires, pour des soupçons de corruption et trafic d’influence d’un côté, et des soupçons d’abus de confiance et blanchiment de l’autre. Nonobstant ces procédures en cours, nous avons souhaité vous auditionner. Nous avons d’ailleurs écouté très attentivement ce que vous nous avez dit sur cette association. Il appartiendra à la justice de trancher.
Votre parcours politique et professionnel ne peut que susciter la curiosité et l’intérêt de notre commission d’enquête. Ingérences étrangères, influences ou interférences : la sémantique est variée, mais elle amène toujours à s’intéresser de près à vos activités, à vos responsabilités, à vos choix et à vos votes, notamment récemment au Parlement européen.
Vous avez indiqué que le Dialogue franco-russe partageait des locaux, avenue des Champs-Élysées, avec la société ferroviaire russe RŽD. L’association payait-elle un loyer ? Ces locaux lui étaient-ils prêtés ?
Les relations que vous entreteniez avec Vladimir Iakounine dépassaient-elles le cadre des missions de l’association telles qu’elles sont énumérées dans les brochures de présentation officielles ?
M. Thierry Mariani. Vladimir Iakounine avait fait déménager le siège de l’association avant que je ne sois président. Auparavant, le Dialogue franco-russe occupait des locaux assez modestes avenue Pierre-Ier-de-Serbie. Puis Vladimir Iakounine, qui était président de l’équivalent russe de la SNCF, a décidé de s’installer au 120 avenue des Champs-Élysées. Des négociations étaient en cours avec la France pour une ligne à grande vitesse et du matériel ferroviaire. Les moyens dont il disposait étaient importants.
Officiellement, le locataire de ces locaux était le Dialogue franco-russe. De mémoire, le loyer était de 220 000 ou 240 000 euros par an. C’était d’ailleurs l’essentiel des dépenses de l’association. RŽD nous en remboursait la moitié, soit 110 000 ou 120 000 euros par an. Ils occupaient la moitié du plateau et nous partagions les salles de réunion.
Est-ce que mes relations avec Vladimir Iakounine ont dépassé le cadre de la coprésidence que nous exercions ? Effectivement, nous entretenions des relations d’amitié et de sympathie. C’est un personnage. Mais je n’ai jamais fait d’affaires avec lui. Tout un tas de légendes circulent, mais vous pouvez notamment consulter les enquêtes faites sur moi par M. Benoît Vitkine : il n’y a strictement rien.
Un article évoque une société, CFG Capital, qui gérerait 2 milliards d’euros. Quelqu’un avait annoncé que j’étais conseiller de cette société pour lever des fonds, mais cette société n’a jamais existé. Si elle existait depuis 2014 et qu’elle gérait 2 milliards, on l’aurait remarqué !
Je n’ai jamais fait d’affaires de manière générale. Quand j’ai été battu en 2017, j’ai vendu la maison de mon père à Valréas pour continuer, parce que j’ai une famille. Si j’avais fait des affaires ailleurs, je serais parti ailleurs. Contrairement à d’autres, je n’ai jamais été conseiller salarié dans une entreprise. Je n’ai jamais pris de commission dans une entreprise russe. Cela me permet d’être très à l’aise.
Vous avez fait référence à cette enquête ouverte depuis deux ans. Ma remarque n’est absolument pas ironique, mais votre intervention est l’illustration de l’utilisation qui est faite de ce genre d’enquête. À chaque fois qu’un journaliste y fait référence avant que je prenne la parole, le discrédit est jeté sur mes propos. Quand vous verrez les chiffres du Dialogue franco-russe, vous constaterez qu’il ne faut pas deux ans pour les examiner.
Comme vous, je suis soumis en tant que député européen à toute une série de contrôles par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et tout ce que vous connaissez. Des vérifications ont également été faites quand je suis devenu ministre des transports. Auparavant, Nicolas Sarkozy m’avait nommé représentant spécial de la France en Afghanistan pour succéder à Pierre Lellouche. Travaillant avec l’OTAN à Kaboul, vous vous doutez bien qu’une enquête avait été faite sur moi.
Au moment des élections régionales, j’ai vu un grand article de presse disant que j’étais un homme d’influence ou un homme sous influence. Tout cela alimente les légendes, mais si j’avais touché quelque chose du gouvernement russe ou d’une entreprise russe, on le saurait depuis longtemps.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Dans un livre intitulé La France russe, qui a fait un peu de bruit à sa sortie en 2016, le journaliste Nicolas Hénin décrit le Dialogue franco-russe comme une association « vérolée par le SVR », c’est-à-dire le service des renseignements extérieurs russe. Que répondez-vous à cette assertion ?
M. Thierry Mariani. Chacun de nous connaît les idées de Nicolas Hénin. Il les défend, mais n’apporte aucun élément.
Franchement, en quoi le SVR exercerait-il une influence dans notre association ? Il faut être sérieux. C’est comme quand nous sommes accusés au Parlement européen de filer des secrets aux Russes ! Je serais intéressé de savoir quel secret détient un député européen d’opposition. À part la salle de la prochaine réunion de commission, je ne vois pas quel secret est en ma possession.
Pourquoi le Dialogue franco-russe serait-il vérolé par le SVR ? Je ne me souviens plus précisément de ce livre. Il y en a tellement qui ont été écrits sur nous ! Nous devrions toucher des commissions ou plutôt demander des cotisations sur tous ces bouquins !
L’actuel responsable du SVR est M. Narychkine, qui est décoré de l’ordre français de la Légion d’honneur. Il parle français comme vous et moi et a été président de la Douma. Il est d’ailleurs venu dans ces murs à une époque. Je connais M. Narychkine, mais je l’ai connu en tant que président de la Douma et en tant que francophone et francophile. Je ne le connais pas en tant que responsable des services secrets russes.
Il faut arrêter les fantasmes. Vous êtes députés. Ce que je vais dire n’est pas une critique : j’ai un profond respect pour ce mandat, que j’ai exercé pendant vingt-cinq ans. Mais à part les quelques-uns qui siègent dans la délégation parlementaire au renseignement, quels secrets les députés détiennent-ils ? Au Parlement européen, s’il y avait des secrets, nous serions certainement les derniers informés.
Si vous me permettez de sortir un peu des limites de votre question, je crois que les influences sont peut-être à chercher ailleurs qu’en politique. Quand un ancien secrétaire général du Quai d’Orsay rejoint Blackstone, société américaine de fusion-acquisition, ne connaît-il pas bien plus de secrets que n’importe quel député dans cette salle ? Quand un ancien chef d’état-major des armées dont on a beaucoup parlé, le général de Villiers, passe au service de la société américaine BCG, ne connaît-il pas lui aussi de nombreux secrets ? Je sais bien qu’on fait une fixation sur les députés, mais la vraie question que vous devez vous poser est : est-ce qu’ils détiennent des secrets ?
Je reconnais avoir eu connaissance de quelques secrets quand j’étais en Afghanistan, mais, même comme ministre des transports, je cherche désespérément lequel a été en ma possession.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. L’objet de cette commission d’enquête est moins l’espionnage que les influences et les ingérences de manière générale. Dans nos questions, nous pouvons cependant procéder par itération ou recourir à d’autres méthodes.
Vous avez vous-même, dans votre propos liminaire, évoqué vos liens avec la Russie. Les très nombreuses années que vous avez passées au sein du Dialogue franco-russe, dans d’autres instances ou en tant que député des Français établis dans cette zone vous ont-elles amené à développer des relations privilégiées avec des personnalités proches du régime russe ?
Vous avez rencontré au moins une fois, à Moscou, en 2014, l’oligarque Konstantin Malofeïev. Il est entré dans la liste des donateurs de Dialogue franco-russe après ce rendez-vous. Même si cela ne s’est pas concrétisé, je crois également qu’il vous avait proposé, peut-être par le biais d’un intermédiaire, d’intégrer le comité consultatif d’un fonds d’investissement franco-russe.
La presse française et la presse européenne se sont fait l’écho du projet Alt Intern, lancé par Konstantin Malofeïev pour rassembler les extrêmes droites européennes favorables à Vladimir Poutine. Avez-vous eu connaissance de ce projet ou avez-vous été amené à participer vous-même à des réflexions ou des réunions de travail ? Konstantin Malofeïev a notamment eu l’occasion de s’entretenir à plusieurs reprises avec l’un de vos collègues, également membre du Rassemblement national, M. Philippe Olivier. Ce projet a été mis en sommeil après l’invasion russe de l’Ukraine, mais ne serait pas totalement abandonné.
M. Thierry Mariani. Est-ce que j’ai gardé des contacts avec des responsables politiques russes ? Oui, heureusement ! J’ai passé de nombreuses années là-bas et je pense que nous avons plus que jamais besoin d’avoir des contacts en Russie. Il faudra bien, un jour ou l’autre, faire la paix.
Avec qui ai-je principalement gardé des contacts ? Ce n’est pas un secret. J’ai par exemple gardé des contacts avec M. Leonid Sloutski, que j’ai connu jeune député et qui a présidé le groupe d’amitié France-Russie à la Douma. Il y préside aujourd’hui la commission des affaires étrangères. Il est venu dans ces bâtiments à de nombreuses reprises. Décoré lui aussi de l’ordre de la Légion d’honneur, il est francophone. Je ne sais pas s’il préside toujours ce groupe d’amitié, qui ne doit de toute façon plus se réunir beaucoup. Je connais aussi Piotr Tolstoï, que l’on voit un peu à la télévision, et qui est le premier vice-président de la Douma. Comme vous avez pu le constater, il parle aussi le français couramment.
Je ne vais pas vous énumérer tous les députés que j’ai connus ou que je connais. Je n’ai pas cité le nouveau président du Dialogue franco-russe, M. Katasonov, qui a aussi été député. Vladimir Iakounine a quitté la présidence de cette association il y a deux ou trois ans.
Je vais en Russie depuis trente ans, il est logique que je connaisse un certain nombre de personnes et que j’aie gardé des contacts avec elles.
J’ai effectivement rencontré Konstantin Malofeïev quatre ou cinq fois. Ce n’est pas l’un des oligarques les plus riches de Russie, mais il intéresse la presse car il a, contrairement à d’autres, un rôle politique. Il est assez engagé à propos de certains sujets.
Je ne connais pas le programme Alt Intern mais j’ai participé à une réunion avec M. Malofeïev au moment de la Coupe du monde de football. À ce moment-là, je n’étais ni député européen, ni député français. J’étais un simple citoyen. Je n’avais donc aucune obligation de déclarer mes voyages. En 2018, je n’étais plus rien. Je sais que son projet fait fantasmer beaucoup de journalistes, mais il consistait surtout à favoriser les échanges entre des responsables de différents pays non alignés sur l’OTAN, plutôt que pro-Poutine.
Vous avez évoqué CFG Capital, comme je l’avais anticipé – on me ressort cet article à chaque fois. Konstantin Malofeïev m’a certifié qu’il n’était pas dans l’affaire, mais je n’ai jamais totalement su la vérité. À un moment, Pierre Louvrier, qui est un Français expatrié, a décidé de créer ce fonds de 2 milliards et m’a demandé si j’étais prêt à le rejoindre en tant que conseiller. Le fait que je sois ou non rémunéré n’avait pas été défini. J’attendais que le fonds soit créé. Dans le communiqué de presse, il était dit que ce projet était en lien avec Konstantin Malofeïev. Était-ce vrai ? Était-ce faux ? Je n’en sais rien, mais ce qui est sûr, c’est que ce fonds n’a jamais existé. Je n’en ai donc jamais été administrateur. Comme je fais l’objet de toutes les attentions de la part de la presse en permanence – je l’en remercie –, vous vous doutez bien que si j’étais administrateur d’un fonds de 2 milliards, cela se saurait !
J’ai beaucoup de relations avec la Crimée. Je vais vous expliquer pourquoi. J’ai été président du groupe d’amitié France-Ukraine. Je fais donc partie de ceux qui ont dû aller une dizaine de fois en Crimée, ukrainienne puis russe, avant et après 2014. À l’époque, après vous avoir montré Kiev, les députés ukrainiens voulaient vous montrer la Crimée. Je dois être l’un des rares à avoir connu la Crimée du temps de l’Ukraine et la Crimée depuis 2014. Du temps de l’Ukraine, aucun investissement n’y était fait. Ce territoire n’intéressait visiblement pas le pays. La différence est également très visible concernant la population, qui est redevenue russe. La Crimée est certainement l’une des régions dans lesquelles, à mon avis, le choix de la population est peu discutable.
Madame Le Grip, on peut discuter du droit tant que vous voulez. Je vous rappelle aussi que lors du référendum sur l’indépendance de l’Ukraine, qui a eu lieu après l’explosion de l’Union soviétique, donc probablement au début des années 2000, la Crimée était le territoire qui avait le moins voté pour l’indépendance, à seulement 53 %. Certes, 53 % est un score qui ferait rêver certains politiques français aujourd’hui !
Pour la petite histoire, je vous rappelle par ailleurs que la Crimée accueille le plus grand cimetière militaire français à l’étranger. Du fait de la guerre de Crimée, près de 90 000 soldats français y sont enterrés. Je m’y suis donc rendu régulièrement pour voir comment ce cimetière était entretenu, après avoir été réhabilité grâce à un ambassadeur français, M. de Suremain.
Pour en revenir à M. Malofeïev, je reconnais le connaître. Je pense qu’on lui attribue beaucoup de qualités qu’il rêverait d’avoir mais qui dépassent un peu la réalité. Quant à son grand projet – dont je ne savais pas qu’il portait le nom que vous avez cité –, j’ai vu que des livres et des articles de presse, de Mme Vaissié ou de M. Hénin, y faisaient référence. Pour moi, il ne s’agissait que d’une réunion comme il en existe de temps en temps dans les amicales internationales.
Pour terminer, je voudrais préciser que M. Malofeïev n’a jamais cotisé au Dialogue franco-russe.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Le 23 mars, le Parlement européen vous a interdit, ainsi qu’à vos collègues Jean-Lin Lacapelle et Hervé Juvin, de participer à des missions officielles d’observation des élections à l’étranger. Nous avons compris que vous contestiez le fondement juridique de cette décision, dans la mesure où vous estimez que vos déplacements en Russie ou en Crimée, y compris depuis son annexion, n’étaient pas effectués dans le cadre de missions officielles d’observation des élections. Il est toujours possible de jouer sur les mots, mais vous vous présentiez néanmoins comme membre du Parlement européen et vous étiez d’ailleurs présenté comme tel dans les médias locaux russes.
Pouvez-vous nous confirmer que, parmi les nombreux déplacements liés à des missions d’observation électorale en Russie ou en Crimée – je ne parlerai pas du Kazakhstan ou d’autres régions où vous vous êtes également rendu –, certains d’entre eux ont été financés par la Russie ou par d’autres entités ?
M. Thierry Mariani. En tant que député européen, j’ai effectué deux missions d’observation : en Russie, en 2020, et en Ouzbékistan.
En 2020, le déplacement était à l’invitation des Russes et a été payé par les Russes. Je l’ai déclaré ; il suffit de consulter mon profil sur le site internet du Parlement européen pour le voir. Après le scandale du Qatargate – dans lequel aucun député du Rassemblement national n’est impliqué –, le journal belge Le Soir a consulté le site sur lequel les députés doivent théoriquement effectuer leurs déclarations. Il nous a presque rendu hommage, en indiquant que notre groupe déclarait tout. D’autres parlementaires se sont apparemment souvenus trois ou quatre ans après de déplacements qu’ils avaient oublié de signaler. Mme Loiseau, par exemple, s’est rendue en Arménie en voiture – je l’en félicite – et ne l’a déclaré qu’un an et demi après.
La seconde mission a été financée par ma dotation annuelle. Vous avez été députée européenne, madame Le Grip, vous connaissez donc le fonctionnement de cette honorable maison. Je précise néanmoins la règle pour vos collègues qui n’ont pas encore eu cette possibilité. Au Parlement européen, vous disposez d’une enveloppe de 4 700 euros pour financer n’importe quel voyage politique, à condition que vous répondiez à une invitation.
L’émission de télévision « Complément d’enquête » avait vérifié tous mes déplacements et trouvé que l’un d’eux n’avait pas été signalé. Nous ne l’avions pas signalé parce qu’il était payé par le Parlement européen avec cette fameuse enveloppe, enfin cette ligne de crédit.
Le paradoxe, qui illustre toutes les ambiguïtés de Bruxelles, c’est que je suis condamné pour un déplacement qui m’a été remboursé. Je le dis avec le sourire. Il respectait les règles administratives, puisque j’avais été invité, mais il était politiquement incorrect.
J’appelle l’attention des députés français sur une pratique que je trouve extrêmement choquante au Parlement européen. À l’Assemblée nationale, je me souviens que M. Fabius était venu à la commission des affaires étrangères nous dire, à Jacques Myard ou à moi, qu’il ne voulait pas que nous allions en Crimée. Nous y sommes allés et nous n’avons jamais été sanctionnés, parce que les parlementaires sont libres d’aller où ils le souhaitent. Au Parlement européen, vous n’avez pas le droit d’aller dans certains pays, sous peine d’être sanctionné. Cette pratique me semble quand même dangereuse.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Il s’agit des missions d’observation officielles.
M. Thierry Mariani. Oui, mais mes déclarations ont à chaque fois été très claires : je me déplaçais à titre individuel.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Comme je l’ai dit, nous recevrons la semaine prochaine M. Glucksmann, qui préside la commission spéciale du Parlement européen sur les ingérences étrangères. Nous pouvons vous considérer comme un spécialiste du sujet, puisque je crois que vous avez fait partie de cette commission pendant deux ans. Dans son rapport, elle pointe la responsabilité de la Russie et de la Chine dans la diffusion de fausses informations et évoque le chiffre de 300 millions de dollars américains injectés par la Russie, la Chine et d’autres régimes autoritaires dans trente-trois pays à des fins d’ingérence. À votre avis, ou à votre connaissance, la France est-elle concernée ?
M. Thierry Mariani. Au Parlement européen, cette commission s’appelle INGE. Normalement, les commissions ad hoc ont une durée de vie limitée, d’un an je crois. Il y a donc eu INGE 1 et, comme elle a été reconduite, INGE 2. J’ai été membre de INGE 1 et, pour être tout à fait honnête, mon assiduité est allée en diminuant quand j’ai compris que le président était surtout obsédé par deux ou trois pays, en l’occurrence la Russie, la Chine et l’Inde, et que les spécialistes qui étaient invités appartenaient toujours à la même catégorie.
Le Parlement européen est secoué par une affaire de corruption qui touche principalement le groupe socialiste, celui de M. Glucksmann, et qui met en cause deux pays et surtout le Qatar. Or il n’a jamais été question du Qatar dans cette commission. À la place de M. Glucksmann, je me demanderais si je n’ai pas été à côté de la plaque.
Qu’est-ce que l’ingérence ? J’ai effectivement entendu les chiffres que vous avez mentionnés. Ils sont jetés par des experts mais ils ne s’appuient sur rien. Chaque État essaye de développer son soft power et d’exercer une influence dans d’autres États. Vous avez, à plusieurs reprises, fait référence à mes invitations à l’étranger. Vous le savez, la France fait exactement pareil, avec des moyens hélas plus modestes. À moins qu’il n’ait été supprimé, le Quai d’Orsay propose le programme d’invitation des personnalités d’avenir. J’ai passé des années à les recevoir. Il s’agit de personnalités repérées dans leur pays par les ambassadeurs, qui les invitent, avec les crédits de plus en plus modestes dont ils disposent, à découvrir la France, généralement pendant une semaine, et à rencontrer un certain nombre de personnes avec qui ils pourraient travailler.
Tous les pays font des invitations. La France ne le fait pas assez, mais elle le fait aussi, heureusement.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais brièvement vous raconter mon histoire personnelle. Quel a été le premier pays qui m’a invité, et quels sont ceux qui m’ont le plus invité ?
J’ai participé à la première université des jeunes du RPR en août 1984. Un mois après, j’ai été contacté par un conseiller politique américain, qui m’a proposé de faire partie du Visitors Program, qui a ensuite été amélioré pour devenir le Young Leaders Program. Alors que j’étais juste délégué jeunes, c’est-à-dire rien du tout, j’ai été invité un mois aux États-Unis, avec 100 dollars par jour. Quatre jours étaient obligatoires à Washington pour découvrir les institutions, puis j’ai pu choisir où je voulais aller : à Cleveland pour la sidérurgie, avant d’assister à la convention démocrate à San Francisco.
Il se trouve que les cinq personnalités sélectionnées dans la formation à laquelle j’appartenais s’appelaient François Fillon, Michel Barnier, Alain Carignon, Michel Noir et Thierry Mariani. Je suis le « petit », mais les Américains sont tout de même assez doués !
Ces voyages-là ont toujours existé. Pendant les vingt-cinq ans où j’ai siégé dans cette maison, le pays qui m’a le plus invité a certainement été Israël. Mon ami Éric Raoult organisait des voyages de découverte des institutions en Israël.
C’est une grave erreur de considérer qu’accepter des invitations à l’étranger est une faute. Il faut de la transparence, mais il ne faut pas empêcher les représentants du peuple de voyager. L’Assemblée nationale dispose d’un budget de plus en plus serré. Si vous ne profitez pas de ces occasions, vous finirez par ne plus dépasser Marseille ! Je ne comprends pas la raison de ces accusations. La transparence doit être garantie, mais elle doit permettre aux parlementaires de voyager.
Si vous me le permettez, j’aimerais faire une suggestion que j’ai déjà soumise au Parlement européen quand Mme Metsola a demandé ce que nous pouvions faire après le Qatargate. Les membres de l’Assemblée nationale et les députés français au Parlement européen doivent répondre à un questionnaire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui est censé débusquer les conflits d’intérêts. On nous demande la marque de notre voiture, le détail de nos placements et la valeur de notre portefeuille, etc. Il y a, en revanche, une question qui n’est jamais posée alors qu’elle me semble primordiale en matière de conflits d’intérêts et d’ingérences. Que ce soit au Parlement français ou au Parlement européen, il ne nous est jamais demandé si nous avons une double nationalité. Je trouve pourtant que nous devrions connaître – je dis bien « connaître », il ne faut pas qu’il n’y ait pas de malentendu – cette information. La nationalité serait-elle un chiffon, moins importante que la marque d’une voiture ?
Meyer Habib, qui fut mon collègue et qui est en cours de réélection – enfin, je prends mes précautions : il va essayer d’être réélu –, dit clairement qu’il a deux nationalités, mais d’autres ne le disent pas. Or si une personne traite un dossier sur le Maroc, par exemple, il peut être intéressant de savoir qu’elle a la nationalité d’un pays de la zone, qui peut être ami ou ennemi. Pour ma part, je suis marié depuis dix-sept ans avec une citoyenne française d’origine russe. J’aurais droit à un passeport russe, mais je l’ai refusé.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Vous n’avez pas du tout répondu à ma question et vous avez introduit une confusion entre ingérence et influence, qui sont deux notions différentes.
Avez-vous connaissance d’ingérences de la part de la Russie ou de la Chine, par exemple, au niveau de l’État français ? Vous le réfutez, mais la plupart des experts que nous avons reçus dans cette commission, y compris des représentants de services spécialisés, ont confirmé que les principaux pays qui pratiquaient l’ingérence – et non l’influence – étaient la Chine, la Russie et parfois l’Inde, notamment sur internet.
M. Thierry Mariani. Si ma mémoire est bonne, l’École de guerre économique[MG1] considère, dans son rapport publié l’année dernière, que les principaux pays à commettre des ingérences sont, dans l’ordre, les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Allemagne. Tous les instituts ont cependant leur propre classement.
Ai-je connaissance d’ingérences ? Non. Vous auriez pu m’interroger sur Russia Today – vous voyez, je vais au-devant de vos questions…
Comment définissez-vous l’ingérence ? Pour moi, l’influence consiste à défendre une opinion alors que l’ingérence suppose d’intervenir dans les affaires d’un État pour en changer la politique. Je suis désolé, mais je n’ai connaissance d’aucune ingérence russe dans les affaires de la France. J’ai vu que le site de l’Assemblée nationale avait été attaqué hier par des hackeurs russes, ce que je condamne évidemment. Je n’ai connaissance de rien d’autre.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Nous en venons aux questions des autres membres de la commission.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Si j’ai correctement noté les dates, les deux enquêtes qui vous concernent ont été ouvertes en mars 2021 et en mars 2022.
M. Thierry Mariani. Je l’ai appris par Le Monde, ce qui est tout de même extraordinaire. Je me fie à ce journal, qui constitue ce qu’on appelle un journal de référence et qui est généralement bien informé[MG2]. Donc, Le Monde dit qu’une enquête aurait été ouverte en mai 2021.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Une seconde enquête a été ouverte l’année dernière, me semble-t-il.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Elle l’a également été en 2021.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’avais donc mal compris. Je vous remercie, madame la rapporteure.
La semaine dernière, nous avons notamment reçu l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Je ne mentionnerai évidemment pas le contenu des auditions à huis clos. Les raisons qui ont conduit le Rassemblement national à demander l’ouverture de cette commission d’enquête dans le cadre de son droit de tirage sont toutefois publiques. Nos concitoyens peuvent tout de même s’interroger sur la rapidité avec laquelle certaines procédures judiciaires sont menées, notamment l’affaire Fillon, qui est intervenue au cours d’une période électorale cruciale. Inversement, d’autres, comme celle sur le « pacte de corruption » autour de la vente d’Alstom, qui a suivi la commission d’enquête Marleix, sont en cours depuis trois ans sans que nous sachions si elles progressent.
En ce qui vous concerne, pouvez-vous être un peu plus disert – en respectant évidemment la séparation des pouvoirs – et confirmer que vous n’avez reçu aucune convocation d’un magistrat, que vous n’avez eu aucun entretien et que vous n’avez pas connaissance des faits précis qui vous sont reprochés, puisque les seules informations dont vous disposez sont celles que vous avez eues par la presse ?
S’agissant de la perquisition qui a eu lieu dans les locaux du Dialogue franco-russe, vous avez dit qu’elle ne vous concernait pas et qu’elle visait une tierce personne. Est-ce exact ?
M. Thierry Mariani. Je vous confirme que je n’ai aucune information concernant les deux enquêtes qui ont été ouvertes il y a deux ans. Je ne saurais rien si Le Monde n’avait publié un article à ce sujet, repris plus ou moins exactement – Le Monde a écrit des choses intéressantes qui sont devenues n’importe quoi dans d’autres journaux, lesquels ont parlé par exemple de mise en examen. Pour ma part, je n’ai jamais reçu de convocation et je n’ai jamais vu un magistrat. Je le répète, je rêverais de m’entretenir avec un magistrat ou un policier, car je n’ai rien à cacher.
Quant à la perquisition qui s’est déroulée le 23 mars 2022, les policiers qui l’ont effectuée nous ont indiqué qu’elle visait notre ancien directeur, M. Troubetzkoï, qui avait quitté l’association le 1er avril 2017. L’équipe était initialement composée d’un directeur, d’une attachée de presse et d’une responsable chargée de l’animation. Lorsque nos moyens se sont réduits, nous avons successivement licencié les deux premiers, pour ne conserver que la troisième.
Les services de police qui ont perquisitionné nous ont expliqué qu’ils cherchaient des bulletins de salaire de M. Troubetzkoï. J’avoue avoir été surpris, parce qu’ils ont utilisé des scanners pour vérifier que rien n’était planqué dans le plafond ou sous le parquet. M. Troubetzkoï était parti depuis pratiquement cinq ans au moment de la perquisition. Celle-ci le visait-elle vraiment ? S’agissait-il de savoir ce que nous faisons ? Je l’aurais compris, mais il aurait suffi de nous poser la question. En tout cas, officiellement, cette perquisition n’a aucun rapport avec moi.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). D’après mes informations, le Dialogue franco-russe a été créé à l’initiative de M. Chirac et de M. Poutine en 2002. Vous avez cité une liste non exhaustive des entreprises qui y ont cotisé jusqu’en 2014. Y figurent la plupart des groupes d’infrastructures énergétiques ou de transport. Je ne sais pas si Renault, qui a des affaires en Russie, en faisait aussi partie.
Lors de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie, de nombreuses entreprises françaises se sont retirées du marché russe dans des conditions qui restent à préciser. À cette occasion, nous avons pris conscience de l’existence de liens économiques anciens entre les deux pays. Vous me contredirez le cas échéant, car vous êtes, comme d’autres ici, un meilleur spécialiste que moi de cette question, mais il me semble que ces relations datent pour l’essentiel des mandats de M. Chirac.
En dehors des actes hostiles d’ingérence, mentionnés à juste titre par le président Esquenet-Goxes, de la part du gouvernement ou d’institutions paragouvernementales, comme les attaques sur internet, il me semble que l’on relit a posteriori l’histoire des relations économiques entre la France et la Russie à la lumière de l’invasion illégale de l’Ukraine et de l’annexion de la Crimée. Ces événements ne sont pas compris selon leur succession chronologique, en l’occurrence les suites de l’effondrement de l’URSS, l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine et la création de liens économiques très forts entre les différents gouvernements français et la Russie, que l’on pouvait d’ailleurs critiquer à l’époque.
Des personnalités politiques françaises de différents partis, même si elles semblaient essentiellement appartenir à l’UMP, ont œuvré pour renforcer ces relations. J’ai l’impression que la manière dont celles-ci sont aujourd’hui analysées est peut-être mal intentionnée. Qu’en pensez-vous ?
Pour préparer cette audition, j’ai retrouvé des informations concernant Jean-Pierre Chevènement. Il s’agit d’une personnalité politique éminente, qui a exercé des responsabilités dans différents gouvernements et qui a soutenu M. Macron, ce qui est son droit. Il me semble qu’en 2022 un accord électoral a d’ailleurs été conclu pour faire élire dans la majorité des candidats liés à M. Chevènement. Je ne suis pas familier des décorations russes, mais M. Chevènement a reçu l’ordre de l’Amitié des mains de Vladimir Poutine en avril 2017. Ce dernier aurait alors déclaré : « J’aimerais exprimer ma gratitude à nos amis étrangers qui ont reçu l’ordre de l’Amitié. Votre attitude sincère et cordiale envers la Russie s’exprime par des actions concrètes. » Ne parlant pas russe, je fais confiance à la traduction. Je ne sais pas exactement ce qu’il a voulu dire, mais c’est un discours aimable envers une personnalité. En tant qu’élu de Belfort, M. Chevènement a beaucoup travaillé sur le dossier Alstom. À titre personnel, j’ai beaucoup de respect pour lui. Je ne sais ce qu’il en est de son côté, mais je ne le considère pas comme un adversaire politique.
Il faut lutter contre les vrais problèmes d’ingérence. Je m’inquiète d’une relecture a posteriori des relations économiques anciennes entre la France et la Russie.
M. Thierry Mariani. Avant le début de cette guerre, la France était le premier employeur étranger en Russie. De grandes entreprises y étaient présentes, comme Auchan, Leroy Merlin ou Renault. La France avait de bonnes relations avec la Russie depuis le général de Gaulle, donc avant Jacques Chirac, et en a eu jusqu’à Nicolas Sarkozy. Beaucoup d’entreprises françaises se sont implantées en Russie. Mme Genetet, qui est députée de cette circonscription, doit connaître la chambre de commerce franco-russe, qui était l’une des plus dynamiques avant les sanctions.
Quand nos relations avec la Russie ont-elles commencé à se détériorer ? Cela ne date pas du 24 février 2022. Les problèmes sont apparus en 2013, quand l’Union européenne a voulu imposer un traité à deux, et non pas à trois, à l’Ukraine.
Comme ancien président du groupe d’amitié France-Ukraine, j’ai un souvenir qui m’a profondément marqué. Le 13 décembre, j’avais rencontré M. Mykola Azarov, qui était Premier ministre d’Ukraine à l’époque et qui m’a expliqué que pour éviter une catastrophe, il fallait à tout prix faire en sorte que le traité économique avec l’Europe soit à trois, avec la Russie, et non à deux. Je n’avais aucun pouvoir, mais il s’imaginait que j’en avais.
Tout le monde oublie que les problèmes ont commencé à ce moment-là. Les désaccords internes des Ukrainiens à propos de ce traité ont débouché sur Maïdan et Maïdan a débouché – désolé – sur un coup d’État. Je vous rappelle la conversation de Mme Nuland qui a été enregistrée, où elle détaille ceux qui seront au gouvernement et où elle prononce l’élégante formule « fuck Europe ». Nous sommes passés à une nouvelle étape d’un conflit qui a démarré en 2013 par un simple accord économique.
Vous avez mentionné M. Chevènement. Celui-ci a participé à l’assemblée générale de Dialogue franco-russe en 2015 et 2016. Il y avait donc des personnalités de gauche et de droite, comme dans les voyages que nous avons organisés. Tout est transparent. Il suffit de regarder les photos qui sont sur Twitter.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). Les déplacements en Syrie ou en Crimée où, pouvant être considéré comme chef de délégation, vous avez emmené des députés nationaux ou européens de différents groupes ont-ils eu lieu de votre propre initiative ? L’ont-ils été à l’initiative de la Russie ou de la Syrie, qui vous aurait demandé de faire l’intermédiaire entre ces élus et le pouvoir en place ? Comment étaient choisis les députés qui participaient à ces voyages ? Comment ces derniers étaient-ils financés ? Quel était exactement votre rôle ?
M. Thierry Mariani. Les deux situations sont différentes. Au début, je suis allé en Syrie avec SOS Chrétiens d’Orient. Je me souviens de Mme Guigou qui nous annonçait toutes les semaines la chute de Bachar al-Assad. Excusez-moi, mais je préfère que la Syrie ait eu ce gouvernement plutôt qu’Al-Qaïda ou plutôt Al-Nosra à sa tête.
Je suis allé en Syrie peut-être cinq ou six fois. Tout est sur Twitter, il suffit de compter. Je me suis rendu dans ce pays à peu près chaque année depuis 2015. J’ai eu l’honneur d’être présent lors de la fin des combats à Alep. Nous sommes d’ailleurs restés bloqués à l’aéroport pendant plusieurs heures parce que les environs n’avaient pas été « nettoyés » – je n’aime pas ce terme – et que des représentants d’Al-Nosra s’y trouvaient encore. Les journalistes qui étaient avec nous peuvent en témoigner.
En politique, entre deux maux, il faut choisir le moindre. J’adore tous ceux qui ont rêvé des islamistes modérés pendant des années, mais tous ceux qui connaissent la situation syrienne savent qu’à cette époque c’était l’un ou l’autre. Je préfère que le gouvernement actuel reste en place, plutôt qu’un gouvernement qui serve de bastion aux islamistes.
Je ne me souviens plus combien de voyages ont été organisés avec SOS Chrétiens d’Orient et combien l’ont été sans eux. Pour ce qui est du choix des participants, je m’adressais tout simplement aux personnes qui m’avaient indiqué qu’elles étaient intéressées. Quand vous alliez en Syrie, vous étiez montrés du doigt et on vous jetait l’opprobre. Par conséquent, les candidats n’étaient pas très nombreux ! Ils appartenaient cependant à tous les partis politiques, à l’exception du Rassemblement national, qui n’avait pas de député à l’époque.
S’agissant du financement, nous prenions nous-mêmes en charge les dépenses, qui se résumaient à des billets d’avion entre Paris et Beyrouth, ce qui coûtait environ 400 euros par personne en classe économique. L’hébergement, généralement deux nuits d’hôtel, et les transports étaient payés par les locaux.
J’ai en main une copie de la déclaration que j’avais faite à M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, déontologue de l’Assemblée nationale, le 10 novembre 2015 : « En application de la décision du 6 avril 2011 qui prévoit l’obligation pour les députés de déclarer les voyages financés par une personnalité physique ou morale, je vous informe que je me rendrai en Syrie du 11 au 14 novembre avec MM. Nicolas Dhuicq, Jean Lassalle, Yannick Moreau et Michel Voisin. Les billets d’avion sont à nos frais et les frais d’hébergement ainsi que le transport dans le cadre du programme sont assurés par l’organisateur. » En l’occurrence, ce voyage était effectué avec SOS Chrétiens d’Orient. Les frais de transport qui leur restaient à payer étaient limités puisqu’il n’y a qu’une heure et demie de route entre Beyrouth et Damas.
À partir du moment où cette procédure est devenue obligatoire, tout était déclaré. Je le dis avec humour : comme il y a eu une polémique du fait de certains députés, qui s’insurgeaient que l’Assemblée nationale puisse autoriser de tels déplacements, le déontologue se sentait obligé d’ajouter un paragraphe confirmant que nous avions rempli nos obligations, mais qu’à titre personnel, il nous déconseillait ce voyage qui pouvait faire l’objet d’une exploitation politique. Nous lui répondions alors par une lettre type, où nous prenions acte d’avoir rempli nos obligations et rappelions que la politique était justement le but de notre déplacement.
En ce qui concerne la Crimée, les déplacements ont été effectués soit à l’invitation des autorités soit, pour les premières missions, dans le cadre du Dialogue franco-russe.
Mme Anne Genetet (RE). Vos propos sont très intéressants, mais nous étudions ici les ingérences. Certes, la limite entre l’ingérence et l’influence est un peu floue : il y a un continuum entre les deux. Toutefois, les éléments que vous nous avez rapportés s’apparentent essentiellement à de l’influence.
Vous avez douté du fait que nous puissions détenir des secrets, mais nous ne cherchons pas des secrets. Notre objectif est de repérer des ingérences, c’est-à-dire des interventions qui peuvent changer votre jugement. Ces pressions peuvent s’exercer sur des think tanks, des chercheurs, des journalistes ou des élus. En l’occurrence, nous recherchons les pressions qui ont pu s’exercer sur vous.
Vous avez cité des éléments budgétaires concernant le Dialogue franco-russe, mais je n’ai pas compris à quelle année ils se rapportaient précisément. Vous avez dit qu’il y avait beaucoup de cotisants au départ, russes et français. Vous n’avez plus les pièces justificatives. Néanmoins, vous vous exprimez sous serment. J’imagine donc que vous allez nous dire exactement ce qu’il en était. Quel était le montant des cotisations avant 2014, après 2014 – puisque cette date marque une inflexion – et, si vous disposez de cette information, en 2022 ? Qui étaient les cotisants, notamment du côté russe ? Des personnalités politiques figuraient-elles parmi eux ? Vous avez indiqué que l’association avait pour objectif de favoriser les relations à la fois économiques et politiques et annoncé que vous y reviendriez, mais vous ne l’avez pas fait concernant le second aspect. Comment ce budget était-il utilisé ? Quelles étaient les principales dépenses ?
Vous êtes allé à de très nombreuses reprises en Russie. On comprend en partie pourquoi. Quels sont les intérêts que vous avez là-bas ? Détenez-vous des biens immobiliers ? Quelles sont les sociétés que vous avez éventuellement créées – c’est la vie économique –, revendues ? Détenez-vous des participations dans des sociétés russes ? Le cas échéant, quel était l’objet de ces sociétés ?
Étant l’un des élus qui se sont rendus le plus souvent en Russie, vous avez eu beaucoup de relations avec des hommes politiques russes. Quels étaient vos liens avec le parti de Vladimir Poutine, Russie unie ? Nous avons vu évoluer le comportement de Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir en 2000. Avez-vous constaté une inflexion dans la manière dont il interagissait avec nous ?
Il existe une différence notable entre le modèle français de société, auquel nous tenons, comme vous, je pense – vu le parti dont vous êtes désormais membre –, et le modèle de société prôné par M. Poutine. À la lumière de votre parcours politique, des rendez-vous que vous avez eus, de vos votes au Parlement européen, je me demande si vos positions en tant qu’élu traduisent vos convictions profondes et votre volonté de défendre les intérêts de la France. J’exagère peut-être un peu, mais pourraient-elles être une réponse à des commandes qui vous auraient été faites ?
M. Thierry Mariani. J’ai passé l’âge d’obéir à des commandes ! À vrai dire, même très jeune, je ne l’ai jamais fait.
À vous écouter, j’ai l’impression d’entendre certains pseudo-spécialistes de la zone, qui procèdent par sous-entendus. Je l’ai dit et je le répète, je n’ai jamais possédé de biens en Russie. Je n’ai jamais eu de parts de société. M. Vitkine, un journaliste qui fait un bon boulot – je crois en outre qu’il parle bien le russe –, a enquêté. Il a interrogé un certain nombre de personnes pour savoir si j’avais pu détenir des parts de société. Il n’y a rien ! Vous vous doutez bien qu’en ayant été ministre et représentant en Afghanistan, toutes ces vérifications ont déjà été effectuées.
Il existe une sorte de totalitarisme de la pensée en France. C’est très grave. Quand on défend des idées qui sont conformes à celles de la majorité ou à ce que souhaite le Gouvernement, on a des opinions. Quand on défend des idées opposées, on a des intérêts. Je n’ai pas d’intérêts. Mon seul intérêt, c’est la France, sa politique étrangère, les liens qu’elle doit entretenir avec l’étranger. Je suis catastrophé par l’évolution suivie sous le président Macron. La France est un pays de plus en plus isolé. J’ai la nostalgie de l’époque où, en 2008, Nicolas Sarkozy a fait la paix en Géorgie sans attendre l’avis de l’Europe, et même de celle où, en 2014, M. Hollande et Mme Merkel ont obtenu un cessez-le-feu, même s’il a été mal respecté. Aujourd’hui, la France est totalement absente.
Je vous réponds catégoriquement que je n’ai rien revendu ni rien acheté en Russie. Je mets au défi qui que ce soit de prouver le contraire. Dans votre modèle de société, il n’est pas possible de s’intéresser à quelque chose par conviction. Pour vous, tout doit forcément être intéressé. Je suis de la vieille école et je ne fais pas partie de la start-up nation. Je pense simplement que la France a intérêt à garder des relations avec la Russie. S’aligner systématiquement sur les positions défendues par l’OTAN et les États-Unis est une catastrophe pour notre pays, par exemple pour notre industrie.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. Ne nous égarons pas.
M. Thierry Mariani. Ce sont des questions politiques. En politique, il y a des opinions. Je veux bien qu’on m’interroge sur mes intérêts – c’est toujours ce mot qui est employé –, mais dans ce cas, puisque je n’en ai aucun, je ne répondrai plus à rien.
Nous avions effectivement des relations avec le parti de Vladimir Poutine. Je me suis rendu plusieurs fois, alors que j’étais à l’UMP ou aux Républicains et pas encore au Rassemblement national, au congrès de Iedinaïa Rossia, c’est-à-dire de Russie unie.
Je me permets quand même de vous rappeler que la première personne qu’Emmanuel Macron a reçue en grande pompe au palais de Versailles était un certain Vladimir Poutine !
Mme Anne Genetet (RE). Ce n’était pas une critique, juste une question.
M. Thierry Mariani. Je suis allé deux ou trois fois au congrès de Iedinaïa Rossia, parce que j’y avais été invité. Je ne le regrette pas. J’ai été invité à d’autres congrès auxquels je ne suis pas allé. Quand vous vous intéressez à un pays, vous recevez de multiples invitations, parce que vous êtes identifié comme interlocuteur.
Le Président actuel comme son prédécesseur ont eu de nombreux contacts avec Vladimir Poutine. Ma première rencontre personnelle avec ce dernier a eu lieu lorsque j’étais ministre des transports. Il n’était plus président à l’époque, mais Premier ministre. Je lui ai fait visiter le salon du Bourget avec Gérard Longuet, qui était ministre de la défense.
Vous m’avez demandé tout à l’heure quels hommes politiques russes je connaissais bien. Parmi eux figure Konstantin Kosachev, qui était chargé des relations internationales de Russie unie et qui préside aujourd’hui la commission des affaires étrangères du Sénat russe.
Au temps de l’abondance, en 2011, c’est-à-dire avant que j’arrive, le Dialogue franco-russe percevait 762 000 euros de cotisations russes et un peu moins de 100 000 euros du côté français. C’est l’époque de l’arrivée du coprésident Iakounine. En 2012, année de mon arrivée, les Russes ont mis 215 243 euros et les Français 159 000 euros.
Que faisions-nous de cet argent ? Nous avions un loyer de 240 000 ou 220 000 euros. Nous avions également du personnel. Le directeur, M. Troubetzkoï, touchait un salaire de 6 000 à 7 000 euros par mois. L’attachée de presse, Mme Kamenskaïa, était salariée aux alentours de 4 000 euros. Il ne reste qu’Irina Dubois, qui est la seule salariée et qui fait tout. Elle était payée 2 000 euros. Nous n’avons plus les moyens de rémunérer quelqu’un d’autre.
En 2013, la participation russe s’est élevée à 531 000 euros. Je n’ai pas les chiffres du côté français. C’était une année exceptionnelle : nous avions organisé le colloque avec le MEDEF, notre dernière grande manifestation.
Depuis quelques années, les chiffres sont beaucoup plus modestes. En 2017 et en 2018, notre budget était de 100 000 euros. Les cotisations émanaient principalement d’entreprises de transport. En 2020, c’était 151 000 euros. En 2021, c’était 250 000 euros. En 2022, je crois que c’était à peu près 50 000. C’est compliqué, car nous n’avons plus une partie des documents pour les raisons que j’ai indiquées.
Il nous reste à payer 60 000 euros de loyer pour les locaux des Champs-Élysées. La société Gestima nous fait gentiment crédit. Notre trésorerie s’élève à peu près à la même somme, ce qui nous permet de réaliser des vidéos et de payer notre collaboratrice.
Mme Anne Genetet (RE). Merci pour la précision de vos dernières réponses.
Vous dites qu’au cours des différents mandats que vous avez exercés, vous avez tout déclaré, ce qui n’est pas toujours facile. Je pense à vous-même, mais aussi à votre entourage. Vous êtes un fin observateur du dialogue franco-russe – au sens propre du terme. Savez-vous si des Russes, politiques ou non, ont cherché à repérer des personnes qu’ils jugeaient d’intérêt du côté français dans le but de faire pression sur elles ? On voit bien que M. Poutine cherche à imposer un modèle de société et de gouvernance. Vous qui êtes bien placé pour observer cela, avez-vous constaté un changement de comportement de la Russie depuis la Géorgie en 2008, la première invasion de l’Ukraine en 2014 ou plus récemment en 2022 ? Même si elles ne vous concernaient pas directement, avez-vous eu connaissance de tentatives de pression sous forme de cadeaux, d’invitations, etc. ?
M. Thierry Mariani. J’ai retrouvé le montant du loyer, qui est de 120 000 euros pour le Dialogue franco-russe et de 120 000 euros pour RŽD. Ces tarifs s’expliquent par la localisation des bureaux avenue des Champs-Élysées.
Pour revenir à votre question, je n’ai pas subi de pressions et je n’en ai pas observé. Les personnes que vous emmenez en mission en Crimée ou ailleurs sont des amis. Les pressions sont pour ceux qui vous menacent, pas pour des amis !
Ce n’est un secret pour personne, j’ai toujours milité pour des relations d’amitié entre la France et la Russie. Je pense qu’elles sont dans l’intérêt de la France. Il n’y a pas besoin d’exercer de pressions sur moi pour que je m’intéresse à la Russie. Comme je l’ai rappelé, j’y ai des attaches personnelles. J’y ai aussi des amis, y compris dans la communauté française. Vous exercez un très beau mandat, qui a été le mien pendant cinq ans. Il est l’occasion de rencontrer des Français installés à Moscou, dont certains sont attachants et peuvent devenir des amis ; même quand ils ne sont pas politiquement corrects, comme Xavier Moreau ou d’autres, ce sont des personnes pour qui j’ai une certaine estime.
Mme Mireille Clapot (RE). Les sanctions décidées par l’Union européenne ont commencé à s’appliquer le 17 mars 2014. D’abord ciblées sur quelques personnalités, elles sont devenues économiques et se sont progressivement renforcées lorsque le vol MH17 a été détruit, ce qui a causé plusieurs centaines de victimes civiles, puis lorsque la Crimée a été annexée.
Comment êtes-vous intervenu, par l’intermédiaire des activités du Dialogue franco-russe, de vos voyages, de vos relations avec des entreprises françaises ou de vos prises de position, pour soutenir ou, au contraire, pour combattre ces sanctions ?
M. Thierry Mariani. Les députés français ou européens ont le même poids sur les décisions relatives aux sanctions : il est nul !
En tant que parlementaire, il faut toujours examiner la nomenclature des sanctions. À chaque fois, la France se fait avoir ! En 2014, par exemple, beaucoup de produits agricoles ont fait l’objet de sanctions. Les pommes sont certainement très dangereuses ! En revanche, aucune sanction n’a été prise concernant le spatial. N’est-ce pas militaire et stratégique ? Mais les États-Unis avaient besoin de maintenir leur coopération avec la Russie.
Comme vous pouvez vous en douter, ces sanctions, je les ai combattues. Le 28 avril 2016, cette assemblée a adopté à mon initiative une proposition de résolution invitant le Gouvernement à ne pas renouveler les mesures restrictives et les sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la fédération de Russie. Vous savez comme moi qu’une résolution parlementaire n’a qu’une valeur symbolique. À ma connaissance, il s’agit toutefois de la seule proposition de résolution de la Ve République à avoir été adoptée contre l’avis du Gouvernement. Déposée par cinquante-quatre signataires, dont Thierry Mariani, Damien Abad, Bernard Accoyer, etc., elle a été adoptée grâce à des voix qui venaient de différents groupes : celles de Mme Bechtel – qui était avec M. Chevènement, je crois –, de socialistes, d’élus de la Gauche démocrate ou de non-inscrits comme M. Collard et Mme Maréchal-Le Pen, plus quarante-cinq voix de la part des Républicains, dont – aurai-je la cruauté de le dire ? – Christian Jacob, François Fillon et bien d’autres. C’était le scrutin n° 1267 de la première séance du 28 avril 2016.
Je me suis donc opposé à ces sanctions au Parlement français et je continue à m’y opposer au Parlement européen. Je persiste à dire qu’elles sont un suicide pour notre économie.
Les sanctions décidées par la France dépendent des sanctions européennes, mais comment celles-ci sont-elles choisies ? Posez-vous la question ; pour ma part, je n’ai jamais réussi à obtenir la réponse au niveau européen. Vous pouvez constater qu’à chaque fois, elles sont choisies pour ne surtout pas gêner les États-Unis. Par exemple, le nucléaire civil ne fait pas partie des sanctions. Devinez qui en a besoin ! À mon avis, les sanctions sont un instrument contre la Russie, certes, mais il se retourne aussi contre nous.
La Russie est-elle très pénalisée par les sanctions ? Elle ne l’est pas trop dans l’immédiat, mais elle le sera à terme. La première année, la hausse du cours des cours des matières premières lui a permis d’être moins gênée financièrement que certains ne l’espéraient – je n’aurai pas la cruauté de rappeler que notre ministre de l’économie voulait mettre l’économie russe à genoux. À long terme, le pays sera certainement pénalisé. Toutefois, la Russie a compris qu’il y avait d’autres clients que l’Europe. Progressivement, elle se tourne donc vers eux. Pour cette raison, je persiste à dire que ces sanctions vont autant nous pénaliser que la Russie. À la fin, il n’y aura comme d’habitude qu’un seul grand gagnant !
Mme Mireille Clapot (RE). Il me semble que les sanctions agricoles sont des contre-sanctions de la Russie et non des sanctions de l’Union européenne. Ce contresens est fréquent.
En dehors de vos activités parlementaires, quelles ont été les interventions du Dialogue franco-russe et vos prises de position par rapport aux sanctions ? Il s’agissait plus d’influence que d’ingérence, mais la Russie avait lancé une campagne, même si elle n’était pas totalement affichée, pour convaincre la France et l’Union européenne d’abandonner les sanctions.
M. Thierry Mariani. Nous n’avons rien fait de spécial, nous avons seulement expliqué que ces sanctions étaient stupides. Je défends l’intérêt de la France. Je me moque de l’intérêt des autres États. Or l’intérêt de la France est d’avoir des entreprises françaises à l’étranger, qui créent des emplois en France. Nous étions le premier employeur étranger en Russie. Nous avions investi dans de très nombreux secteurs.
Nous avons organisé des conférences, tout est transparent. À l’époque, même M. Chevènement considérait qu’il fallait supprimer ces sanctions.
Un article de Mme Camille Vigogne dans l’hebdomadaire L’Express a récemment analysé les votes du Rassemblement national sur quatre ou cinq propositions de résolution. Cela va me permettre de répondre aussi à Mme Genetet. Mme Le Grip, qui a siégé au Parlement européen, sait que les résolutions peuvent faire plusieurs pages. Le titre peut être « résolution pour que tout le monde soit heureux », mais il faut tout lire. S’agissant par exemple de la proposition de résolution de novembre 2022 qui demandait le versement d’une nouvelle aide à l’Ukraine, nous nous sommes abstenus parce que la Cour des comptes européenne avait indiqué le 23 septembre 2021, dans un rapport qui est en français et accessible sur son site, que l’Union européenne avait versé à l’Ukraine 17 milliards d’euros – avant la guerre, donc –, et que tout cela avait en grande partie servi à enrichir la grande corruption. Faut-il donner sans cesse plus à ce pays ?
Tout le monde a oublié qui était Ioulia Timochenko. Le système est doué pour fabriquer des icônes. Pendant la révolution orange, Mme Timochenko était, comme M. Zelensky aujourd’hui, présentée comme une héroïne. Je ne sais plus combien d’années elle a ensuite passées en prison.
Nous nous sommes aussi abstenus sur une résolution concernant, selon la journaliste, « l’escalade de la guerre d’agression menée par la Russie », parce que le texte demandait un embargo immédiat et total sur les importations de combustibles fossiles et d’uranium russes. Or comment fonctionnent nos centrales nucléaires ? Elles utilisent en partie de l’uranium recyclé par Rosatom. Notre parc nucléaire rencontre déjà quelques difficultés en France. Contrairement à Mme Loiseau et ses amis, je ne vais pas voter une résolution qui risque de le mettre davantage en danger.
Pourquoi n’avons-nous pas voté, en janvier 2023, la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine ? Parce que cette résolution demandait, dans son article 15, que certains États, dont la France, acceptent les amendements de Kampala, c’est-à-dire le fait que nos concitoyens puissent être jugés par cette cour. Je vous rappelle que le Gouvernement, dirigé par Mme Borne, est opposé à cette ratification. Paradoxalement, nous nous retrouvons à voter ce que demande le Gouvernement, ce qui correspond aux intérêts de la France, tandis que le groupe qui représente la majorité au Parlement européen vote contre ces intérêts et contre la position du Gouvernement, peut-être parce qu’il n’a pas lu les résolutions jusqu’au bout !
M. Thomas Ménagé (RN). Tous les médias vous présentent comme l’homme politique qui entretient les liens les plus étroits avec la Russie. Comment expliquez-vous que d’autres hommes politiques ne soient jamais suspectés d’avoir permis des ingérences russes ?
François Fillon a été Premier ministre. Il détient probablement plus d’informations que vous, même si vous avez été ministre. Or, de mémoire, il a siégé dans deux conseils d’administration d’entreprises russes. Il a démissionné à la suite de la guerre en Ukraine, mais, contrairement à vous, il occupait des postes rémunérés. Pourquoi n’est-il que rarement mis en cause, voire jamais ?
M. Thierry Mariani. Lorsque ça tire dans tous les sens, certains font profil bas. Pour ma part, je soutiens ceux qui ont à mon avis des intérêts communs avec la France.
M. Fillon est absent et je ne dirai pas de mal de lui. J’ai participé à son gouvernement et je respecte ce moment de mon parcours. J’ai la même position vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. Effectivement, ils ont tous les deux eu des liens avec la Russie, l’un en siégeant dans des conseils d’administration et l’autre en ayant plus ou moins un contrat avec un oligarque.
Je n’ai rien demandé et rien souhaité de la part de la Russie. Quand j’ai été battu, je suis retourné dans le Vaucluse et j’ai vendu ma maison de Valréas. J’ai essayé de trouver un autre boulot. J’ai été démarché par une société chargée de la privatisation des aéroports dans certains pays de l’Est. Je n’en ai jamais eu la certitude, mais je pense qu’il s’agissait de Macquarie. À un moment, j’ai reçu une lettre de la compliance, que je garde précieusement, me disant qu’un avis négatif avait été émis à une éventuelle collaboration en raison de mes liens avec la Syrie. Quand on appartient à certains partis ou qu’on défend certaines opinions qui ne vont pas dans le sens de la majorité, on se retrouve un peu marqué au fer rouge.
Certains ont choisi d’accepter ces postes liés à la Russie. J’aurais peut-être pu faire de même. Je le ferai peut-être un jour. Pour le moment, je n’ai rien cherché et on ne m’a rien proposé. Dans tous les partis politiques, certains essayent de faire oublier les relations qu’ils ont pu entretenir avec tel ou tel pays.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous n’avons pas pu respecter l’ordre initialement prévu des auditions, mais nous avions prévu de recevoir M. Ripert, ambassadeur de France en Russie. Celui-ci avait fait une déclaration, largement commentée, lors des élections en France. Il expliquait qu’il avait eu connaissance de personnalités françaises qui avaient reçu des valises de billets, même si je ne me souviens pas des termes exacts qu’il avait employés. Il sous-entendait que ces personnes avaient permis une ingérence, c’est-à-dire, comme l’a indiqué notre collègue Genetet, qu’elles devaient, en échange de l’argent reçu, faire changer d’opinion ou faire adopter des opinions.
Compte tenu de votre expérience des relations diplomatiques, qu’avez-vous pensé de cette déclaration ? Que vous a-t-elle inspiré qui pourrait nous aider dans nos travaux ?
M. Thierry Mariani. Je crois que votre commission va auditionner M. Ripert bientôt. Je ne suis plus un spécialiste du code de procédure pénale, mais il me semble que l’article 40 l’obligeait, s’il avait connaissance de faits délictueux en tant qu’ambassadeur, à les signaler.
J’ai trouvé cette déclaration extrêmement choquante. Soit on a des preuves et des noms, et on les avance, soit on salit pour salir. C’est comme si je disais que j’ai connu dans ma vie beaucoup d’ambassadeurs qui avaient profité de leurs fonctions. C’est dégueulasse : c’est faux, mais ça jette la suspicion sur tout le corps. Je me souviens aussi d’un ancien ministre – je crois qu’il s’agissait de Luc Ferry – qui avait expliqué qu’il avait connu un ministre de la culture qui se rendait dans certains pays du Maghreb pour diverses raisons. Lorsque l’on jette de telles accusations, il faut donner des noms. Sinon, il est préférable de se taire.
Pour répondre à votre question, je n’ai pas connaissance de personnalités politiques qui sont revenues de Russie avec des valises. Si de tels faits se sont produits, j’espère que M. Ripert vous donnera des noms.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Notre collègue Genetet a rappelé que les concepts d’influence, d’interférence ou d’ingérence recouvrent des réalités pouvant varier en intensité et en nature, mais s’inscrivent tout de même dans un continuum.
Vous avez beaucoup prôné la transparence, notamment concernant vos déplacements et vos invitations, et nous ne pouvons que partager votre point de vue à ce sujet. Les prises de position ou les votes des femmes et des hommes politiques sont publics : il est tentant de les analyser, en cohérence avec ces déclarations. Ce n’est pas vous faire injure que de constater qu’en ce qui vous concerne, ils sont souvent alignés sur les éléments de langage défendus par le régime de Vladimir Poutine. Cela révèle une influence. La liberté d’opinion qui prévaut dans notre pays et dans toute l’Union européenne vous y autorise. Pouvez-vous cependant vous exprimer à ce sujet ?
M. Thierry Mariani. Je ne sais pas ce que souhaite le régime russe, ou plutôt, en l’occurrence, le gouvernement russe, mais je sais ce que je crois et je défends mes convictions.
Je n’ai jamais été rémunéré par la Russie. Vous avez été députée européenne ; vous savez qu’à l’occasion du vote pour confirmer sa nomination en tant que commissaire, il est apparu que Mme Sylvie Goulard touchait 10 000 euros d’une fondation américaine. Pour ma part, je n’ai jamais rien touché. Pourtant, vous ne lui demandez pas pourquoi ses positions sont alignées sur ce que demandent les États-Unis. Je peux aussi vous citer l’exemple d’un de vos collègues du groupe Renaissance – appelons-le « B. H. » –, que je respecte et qui a travaillé au Hudson Institute ou à l’Atlantic Council. Je n’ai jamais été salarié par des think tanks américains.
Dans ces deux cas, tout le monde trouve ça normal. En revanche, quand on défend, sans jamais avoir été salarié, des positions qui ne sont pas dans l’air du temps, tout le monde s’étonne de ces opinions divergentes. En ce moment, la liberté d’opinion recule insidieusement dans notre pays. On a le droit d’avoir d’autres positions. Je suis prêt à défendre tous mes votes.
Vous étiez – je le sais – une députée sérieuse au Parlement européen. Vous savez de quoi je parle. Quand je dois voter pour ou contre une proposition de résolution, je ne me contente pas d’en lire le titre !
Je reprends mon exemple. Quand le groupe Renaissance au Parlement européen vote l’arrêt des livraisons du nucléaire civil dans les pays européens, c’est une flèche de plus qui frappe l’industrie nucléaire française. En ce qui me concerne, je pense d’abord à l’intérêt de mon pays. Je maintiens tous mes choix. Personne ne me dicte mes éléments de langage. Il est vrai que je suis moins invité que d’autres par certaines chaînes d’information.
Si vous avez l’impression que je suis le premier soutien de la Russie, c’est peut-être parce que certains qui en ont profité à une époque sont maintenant aux abris. Moi, j’ai toujours défendu mes convictions et je continuerai à les défendre. J’en suis plutôt fier.
Mon premier voyage iconoclaste avait consisté à conduire les dernières missions en Irak, avant l’invasion américaine de 2002. À l’époque, cette initiative avait aussi été condamnée par tout le monde.
M. le président Laurent Esquenet-Goxes. On note l’arrivée au Parlement européen de collaborateurs et collaboratrices russes. Vous avez depuis peu une assistante russe, Mme Anastasia Petrova. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
M. Thierry Mariani. Anastasia Petrova était étudiante en communication politique à Nanterre. Elle cherchait désespérément un stage, qui n’est pas facile à trouver quand vous êtes russe. Je l’ai prise en stage au Parlement européen, quasi bénévolement puisque je lui versais 500 euros par mois, je crois. Manque de bol, elle a signé son contrat la veille du confinement, ce qui signifie qu’elle a effectué ses six premiers mois de stage chez elle, dans son cagibi à Bruxelles. J’ai renouvelé sa convention de stage à la demande de sa faculté, pour qu’elle fasse un vrai stage, mais elle n’a travaillé en conditions réelles qu’un mois car le covid continuait. J’ai demandé au Parlement européen si je pouvais prolonger son contrat, ce qui n’était pas possible. La seule solution était de l’embaucher. Comme elle était excellente, je lui ai proposé un contrat à durée indéterminée. Plein de groupes ont des collaborateurs d’origine russe. Elle parle français, elle a fait des études en France.
La séance s’achève à midi vingt-cinq.
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Présents. - M. Philippe Brun, Mme Clara Chassaniol, Mme Mireille Clapot, M. Pierre-Henri Dumont, M. Laurent Esquenet-Goxes, Mme Anne Genetet, Mme Constance Le Grip, M. Thomas Ménagé, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusé. - M. Charles Sitzenstuhl
[MG1]Est-ce l’École de guerre économique ?
[MG2]Il dit « influencé ».