Compte rendu

Commission d’enquête
sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

 Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des associations de défense de l’environnement :

 M. Dominique Masset et M. Philippe Piard, co-présidents de Secrets toxiques

 M. François Veillerette, porte-parole de Générations futures

 M. Nicolas Laarman, délégué général et Mme Barbara Berardi, responsable de la recherche et du plaidoyer de Pollinis

 M. Franck Rinchet-Girollet, co-président, et Mme Laura Savarino, secrétaire d’Avenir Santé Environnement

 Mme Justine Ripoll, responsable de campagnes et M. Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous

 M. Christophe Alliot et M. Sylvain Ly, co-fondateurs de Le Basic........2

 Présences en réunion.................................19



Jeudi 7 septembre 2023

Séance de 13 heures 30

Compte rendu n° 9

session de 2022-2023

Présidence de
M. Frédéric Descrozaille,
Président de la commission

 


  1 

 

Jeudi 7 septembre 2023

La séance est ouverte à treize heures trente.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

————

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous poursuivons les auditions de notre commission d’enquête sur les produits phytosanitaires. Vous êtes, mesdames et messieurs, les acteurs de la société civile engagés sur les questions environnementales, et en particulier sur la question de la lutte contre les pesticides et des contaminations par les pesticides.

Le format de cette séance est assez exigeant. Nous avons peu de temps pour conclure cette commission d’enquête. Le nombre d’auditions était tel que nous avons été obligés de prévoir, pour chacune d’entre elles, un plus ou moins grand nombre d’acteurs. Nous consacrons cette audition à vos travaux et à vos témoignages. Je vais vous laisser trente minutes au total pour votre présentation initiale, ce qui représente cinq minutes pour chacun. Je vous demanderai de vous tenir à cette discipline pour que nous ayons ensuite le maximum de temps d’échange possible.

Depuis le mois de juillet, nous avons passé un certain nombre d’auditions à acquérir une connaissance commune des enjeux, avant d’entrer dans la phase d’examen critique des politiques publiques. L’objet de notre commission est de comprendre l’écart entre les ambitions des deux plans Ecophyto et leurs résultats, puisque le bilan est mitigé, voire franchement négatif. Il nous importe d’avoir vos témoignages sur les blocages et les freins qui font que la France ne parvient pas à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés en matière de réduction des usages de pesticides.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Dominique Masset, M. Philippe Piard, M. Nicolas Laarman, Mme Barbara Berardi, M. Franck Rinchet-Girollet, Mme Laura Savarino, Mme Justine Ripoll, M. Jérémie Suissa, M. Christophe Alliot et M. François Veillerette prêtent successivement serment.)

M. Dominique Masset, co-président de Secrets toxiques. Je suis coprésident de Secrets toxiques et cofondateur et coprésident de la Campagne Glyphosate France. Secrets toxiques est une coalition de 78 organisations, pilotée par Nature et Progrès, Campagne Glyphosate France et Générations futures. Nous rassemblons des associations de protection de la nature, des syndicats professionnels, des mutuelles, des groupes locaux, et nous sommes soutenus par plusieurs dizaines de milliers de citoyens. Le but de notre association est l’application stricte de la réglementation européenne sur les pesticides.

La situation décrite par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) oblige à constater un paradoxe de taille. Alors que la réglementation exige d’apporter la preuve de l’innocuité des pesticides sur l’humain et sur l’environnement, à court et à long terme, avant toute mise sur le marché. les agriculteurs tombent malades, la santé des populations est atteinte, la biodiversité s’effondre, et les pesticides sont clairement identifiés comme un facteur majeur de ces phénomènes, Un an d’enquête auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et d’autres agences européennes nous a amenés à constater le manque d’évaluation de la toxicité des produits tels qu’ils sont commercialisés.

Dans le débat public, l’on confond encore trop souvent la molécule déclarée comme molécule active et le produit fini. Ce qui est diffusé dans nos champs, ce n’est pas du glyphosate seul, mais un produit contenant d’autres composés possédant leur toxicité propre, dont l’action renforce et multiplie la toxicité du produit dans son ensemble – potentialisation recherchée par le fabricant.

Dans les méthodes d’évaluation des pesticides, qu’en est-il de ces effets synergiques ? En novembre 2022, M. Bernhard Url, actuel président de l’Efsa, reconnaissait devant le Parlement européen l’absence de méthodes pour évaluer ces effets. L’Anses a indiqué reprendre les valeurs de tolérance d’exposition aux pesticides fournies par l’Efsa, bien que celles-ci ne prennent pas en compte les effets synergiques.

Il nous semble nécessaire d’abandonner la notion de molécule active, de coformulant et d’impureté, et de s’attacher, par une étude expérimentale, à déterminer la toxicité du produit tel que commercialisé.

M. Philippe Piard, co-président de Secrets toxiques. Je suis cofondateur et coprésident de Secrets toxiques, organisation dans laquelle je représente la fédération Nature et progrès. J’aimerais rappeler l’esprit du règlement (CE) 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui indique que l’on « ne saurait autoriser la mise en marché de produits pouvant porter une atteinte grave à la santé et à l’environnement ».

Il existe aujourd’hui des clusters de cancers pédiatriques. La liste des maladies professionnelles s’accroît de façon alarmante chez les agriculteurs. Secrets toxiques a entamé un tour de France visant à informer la population de la non-prise en compte de la formulation complète dans les évaluations. Beaucoup d’agriculteurs sont malades, notamment de cancers de la prostate, qui ne sont pas déclarés en maladies professionnelles. Dans la zone de production d’oignons doux des Cévennes, les femmes des agriculteurs ont des cancers du sein, qui ne sont pas non plus déclarés en maladies professionnelles. Nous pensons que le nombre de cas déclarés aux autorités est très inférieur à la réalité.

La réglementation stipule que l’on doit assurer l’innocuité d’un produit avant la mise sur le marché mais quand des gens sont malades, il leur est demandé de prouver que c’est à cause des pesticides qu’ils sont malades. Cette inversion de la charge de la preuve est insupportable. Quand une maladie professionnelle est reconnue, ce n’est qu’après un long combat.

La plupart des produits contiennent des surfactants et des agents de perméation. Les premiers permettent aux produits de s’accrocher beaucoup plus longtemps sur la cellule, sur l’insecte, et les seconds de passer à travers la membrane de la cellule pour porter l’action herbicide ou pesticide. L’on nous dit qu’il n’est pas utile d’étudier la formulation complète, ce qui nous alarme beaucoup.

Nous avons saisi la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (CNDASPE). Elle a confirmé que ce qui est produit aujourd’hui par l’Efsa et par l’Anses n’est pas suffisant pour pouvoir garantir la non-dangerosité des produits. La direction générale de la santé de l’Union européenne, en la personne de Mme Stella Kyriakides, a indiqué qu’en cas de doute, lorsque les données manquent, une approche sur la formulation complète est obligatoire. La réponse du service juridique du Parlement européen affirme que les autorisations de mise sur le marché produites par l’Efsa et par les États membres sont illégales.

Nous faisons face à un grave scandale sanitaire. Nous vous implorons de vous en saisir.

M. François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Je suis le porte-parole de Générations futures, et l’un des administrateurs du réseau européen Pesticide Action Network Europe. Générations futures est une association agréée par le ministère de l’environnement, qui a été créée il y a un peu plus de vingt-cinq ans et qui est spécialisée dans les pesticides et dans d’autres pollutions chimiques.

J’ai eu la chance de participer au Grenelle de l’environnement, de faire partie des personnes qui ont conçu le plan Ecophyto à l’académie de l’agriculture, et d’assister au comité opérationnel de suivi du plan depuis le début. Le plan Ecophyto comportait à l’origine deux objectifs : réduire de 50 % l’usage des pesticides et se débarrasser des pesticides les plus dangereux.

Concernant ce deuxième objectif, les gouvernements successifs ont fait publicité de quelques réussites, puisqu’il n’y a presque plus substances cancérogènes, mutagènes, et reprotoxiques (CMR) de catégorie 1 sur le marché. Les progrès réalisés dans ce domaine sont presque exclusivement dus à la directive de 2009 sur les pesticides, qui a mis en place des critères d’exclusion programmant le retrait du marché de ces CMR 1 au fur et à mesure du réexamen de leur autorisation.

L’objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides s’est soldé un échec. Au départ, un objectif clair avait été fixé : la réduction de la dépendance de nos systèmes de production agricole à l’usage des pesticides. L’utilisation de ce terme avait fait l’objet de longs débats. Progressivement, nous nous sommes éloignés de cet objectif, par manque de volonté politique. Un Président de la République avait déclaré au salon de l’agriculture : « L’environnement, ça commence à bien faire ». L’élan originel était stoppé, ce qui s’est manifesté de nombreuses manières. Les réunions visant à trouver des solutions, qui étaient nombreuses au début, sont devenues de plus en plus rares, et la participation au plan s’est limitée à la participation au comité opérationnel et de suivi annuel, ce qui traduisait un problème certain de gouvernance.

On a également observé un manque d’allant de la profession. Pour réduire de moitié l’usage des pesticides, il faut changer les systèmes de production, aller vers une approche « système ». La profession, et notamment le syndicat dit majoritaire, était prête à aller vers l’accomplissement d’un certain nombre de progrès techniques – meilleurs buses, utilisation de drones ou de satellites – mais le changement de système a posé problème. Ce blocage a été analysé par des agronomes de l’Inrae et par des corps d’inspection du ministère de l’environnement. Des freins sociotechniques ont été identifiés. Pour parvenir à changer de système, il faut travailler aussi bien avec l’amont qu’avec l’aval.

Le plan Ecophyto était basé sur des engagements volontaires assez flous, sans objectif obligatoire par culture et par région, avec peu de contraintes et peu de fiscalité. Les fermes du réseau de démonstration, d’expérimentation et de production de références sur des systèmes économes en phytosanitaires (Dephy) étaient une bonne idée, mais elles n’étaient pas assez nombreuses et, pour certaines, pas assez performantes. Nous avons vu que les engagements volontaires ne fonctionnaient pas. Nous aurions dû réviser le plan en cours de route pour amener des obligations, des objectifs de réduction à cinq ans, dix ans, quinze ans, et nous aurions dû donner des aides pour former, changer les systèmes, investir dans du matériel mécanique. Cela n’a pas été suffisamment fait.

Un projet de règlement est en discussion en Europe aujourd’hui, le règlement européen pour une utilisation durable des pesticides, dit règlement SUR, qui vise à réduire de 50 % l’usage des pesticides en Europe. Son adoption ferait que l’objectif français serait aligné sur l’objectif communautaire, ce qui supprimerait le risque de distorsion de concurrence. Je suis triste de voir que le syndicat majoritaire essaie par tous les moyens d’affaiblir cette proposition de règlement, qui supprimerait un certain nombre de blocages et amènerait l’ensemble de l’agriculture européenne au même niveau d’exigence et de performance.

M. Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis. Je suis l’un des fondateurs de l’ONG Pollinis, qui se bat pour enrayer l’extinction des insectes pollinisateurs et de toute la biodiversité animale et végétale qui en dépend. Je voudrais faire passer un message très politique : la difficulté de réduire la consommation de pesticides n’est pas seulement due à des verrous sociotechniques ou à une manière de produire dont les agriculteurs ne voudraient pas se débarrasser. Les solutions alternatives existent. Leur généralisation demanderait peu d’efforts au regard des enjeux de la crise écologique, de la crise de la biodiversité et de la crise climatique.

Le système actuel est avant tout le résultat de politiques publiques, de recherches publiques, de subventions publiques. Le système agroalimentaire est largement soutenu par les citoyens. Ce que la loi a mis en place, la loi peut le faire évoluer. L’agriculture doit passer par une évolution des politiques publiques. Au-delà des problèmes techniques et organisationnels, le nécessaire changement du mode de production entraînera inévitablement des pertes pour les acteurs économiques dominants des filières agricoles. Je ne parle pas seulement des agriculteurs, mais des multinationales, comme celles de l’agrochimie, qui dominent totalement le système d’évaluation et d’autorisation des pesticides au niveau européen. Il faut prendre conscience du fait qu’il y aura des perdants, que le système qui doit être mis en place entraînera des pertes économiques, qu’il faudra peut-être envisager d’éponger. Le système a été mis en place politiquement, il doit être défait politiquement.

Mme Barbara Berardi, responsable de la recherche et du plaidoyer de Pollinis. Je voudrais m’arrimer aux propos de Secrets toxiques et de M. Veillerette. Nous sommes d’accord sur le fait que le système d’évaluation des risques des pesticides est défaillant, et sur le fait que c’est le produit fini qui devrait être évalué. Ce qui compte aussi, c’est que cette évaluation intègre les bons tests. Aujourd’hui, les tests nécessaires pour évaluer correctement la toxicité d’un pesticide ne sont pas effectués. Nous faisons face à un paradoxe : la réglementation est protectrice mais elle ne peut pas être mise en œuvre et respectée, car des protocoles sont nécessaires, ainsi que des documents d’orientation listant les tests à réaliser. Or, ces documents sont, la plupart du temps, totalement obsolètes, ce qui ne permet pas d’évaluer la toxicité réelle.

L’objectif contraignant de 50 % est absolument nécessaire. Toutes les institutions européennes le reconnaissent ainsi que, théoriquement, toutes les institutions françaises. Il y a toutefois une levée de boucliers contre cet objectif, qui est le seul moyen de permettre une harmonisation en matière de réduction de l’usage des pesticides.

M. Franck Rinchet-Girollet, co-président d’Avenir Santé Environnement. Je suis coprésident de l’association Avenir Santé Environnement, qui est née en 2018, après qu’a été constaté un excès de risques de cancers pédiatriques dans la plaine de Nice, autour de La Rochelle. Quand on accompagne son enfant dans un hôpital – je l’ai vécu –, on nous explique que les cancers sont parfois génétiques et parfois aggravés ou déclenchés par des facteurs environnementaux. Notre association s’intéresse à tous ces facteurs environnementaux.

Depuis 2020, notre circonscription, qui se situe dans une plaine céréalière, fait l’objet de multiples alertes concernant l’impact des pesticides. Ce territoire met en évidence ce que peuvent être les impacts des pesticides sur la qualité de l’air, l’eau potable, les sols, les potagers. En juillet 2020, une étude Atmo a révélé la présence de 33 pesticides dans l’air, avec des teneurs en herbicides très fortes. En juillet 2022, une deuxième étude Atmo, toujours financée par l’agglomération, a mis en évidence la présence de 41 molécules dans l’air. Atmo a indiqué que ces relevés constituaient des records de France en termes d’herbicides. En décembre 2020, Avenir Santé Environnement et Nature Environnement 17 ont porté plainte pour la pollution d’un point de captage au chlortoluron, un herbicide classé cancérigène. Cette eau a été distribuée pendant douze jours avant que l’agence régionale de santé (ARS) n’ordonne la fermeture de ce point de captage.

Nous pensons que le problème est systémique, que tout est impacté. J’ai fait tester les cheveux de mon fils : on y retrouve un herbicide agricole, la pendiméthaline. Nous continuons à lutter contre les polluants agricoles. Un collectif voisin a mis en évidence du prosulfocarbe et du chlortoluron dans les potagers des particuliers. Nous militons pour une agriculture plus saine, ainsi que pour un plan de transition et un accompagnement de l’agriculture pour sortir des pesticides. Le nouveau plan Ecophyto 2030 visera la réduction de l’usage de ces produits mais il faut aller au-delà, car l’impact est systémique : nous en retrouvons partout.

Nous n’avons pas de solution miracle. Nous pensons que les politiques publiques doivent accompagner la transition et ne plus se contenter d’un objectif de réduction de l’usage des pesticides. Il faut aller vers un objectif de sortie – quitte à ce qu’il soit éloigné, tant qu’il est tenu.

 Mme Justine Ripoll, responsable de campagnes de Notre Affaire à Tous. Je vais essayer de compléter les interventions des autres associations en m’appuyant sur l’expérience que nous avons eue pendant le contentieux de plusieurs mois que nous avons porté contre l’État, dans le cadre de l’action « Justice pour le vivant », qui a conduit à la condamnation de l’État sur la question de l’évaluation et des autorisations de mise sur le marché des pesticides en France.

La première leçon que nous avons retenue est que le débat ne porte pas sur le fait de reconnaître le préjudice écologique. Même les ministères qui représentaient l’État dans le dossier n’ont pas remis en question cette pollution massive et systémique des sols, de l’eau et de l’air.

La défense des ministères s’est focalisée sur l’absence de responsabilité de l’État dans ce préjudice écologique. Le premier argument consistait à dire que les plans Ecophyto n’étaient pas contraignants et qu’ils n’engageaient pas la responsabilité de l’État français. Le deuxième argument indiquait que le droit de l’Union européenne ne laissait pas une marge de manœuvre suffisante à l’État pour aller plus loin dans l’évaluation et l’autorisation des pesticides. Cet argument a été balayé par les associations et par le tribunal. Le frein ne se situe pas au niveau d’une législation européenne qui serait trop contraignante. Les instances européennes appellent l’État français à aller beaucoup plus loin.

La stratégie de défense qui nous a été opposée a connu deux temps : d’abord la défense de l’État, puis l’intervention du syndicat Phyteis, qui a changé la teneur des arguments. Ce dernier a en effet déployé une stratégie du doute consistant à remettre en cause les évaluations scientifiques, à souligner le manque de marge de manœuvre de l’État – ces deux arguments ont été balayés par le tribunal – et à mettre en avant l’absence de solution.

Selon nous, la seule solution pertinente est la révision du processus d’homologation des pesticides par l’Anses. Phyteis faisait valoir que des engagements non-contraignants et volontaires étaient suffisants et qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin dans la réglementation. Le tribunal administratif est tombé dans le piège de cette stratégie du doute en nous demandant de prouver que la révision du processus d’homologation par l’Anses aurait l’effet escompté.

Nous allons faire appel de cette partie de la décision. C’est cette mesure – la révision du processus d’homologation – qui est la plus utile et la plus nécessaire. Les chiffres témoignant de l’effondrement de la biodiversité montrent qu’il y a urgence à agir. Cependant, plusieurs signaux faibles suggèrent que nous n’allons pas dans le bon sens – je pense à des projets de loi qui pourraient pourtant être l’occasion de répondre à cette urgence. Il est donc primordial de contester cette décision devant les tribunaux et de faire en sorte que le Parlement se saisisse des conclusions du tribunal et fasse le travail avant que les ministères – qui ont fait appel de l’intégralité de la décision, s’enfermant ainsi dans un refus d’agir – ne daignent le faire.

M. Christophe Alliot, co-fondateur de Le Basic. Le Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif (Le Basic) est une coopérative de recherche et d’étude. Nous travaillons autant pour les acteurs de la société civile que pour les collectivités locales et les institutions françaises, européennes et internationales. Quatre questionnements ressortent des études que nous avons menées depuis trois ans.

Le premier questionnement porte sur l’orientation des montants publics engagés dans la réduction des pesticides. Parmi les financements publics qui vont à l’agriculture et au système alimentaire, seuls 10 % concernent les pesticides et seuls 1 % ont un impact avéré.

En travaillant sur les données comptables des exploitations agricoles, nous nous sommes rendu compte que la quasi-totalité de l’augmentation de l’usage des pesticides provenait d’une minorité d’agriculteurs – à peine 20 % – dont le modèle agricole est plus mécanisé et plus tourné vers la production de grands volumes. L’approche de l’État semble être centrée sur les pratiques, alors que les données révèlent un problème de modèle, et que ce n’est pas l’ensemble de l’agriculture qui est responsable de l’impasse que vous connaissez.

Nous pourrions remettre en cause la politique européenne mais elle n’est pas seule responsable. Ainsi, les agriculteurs qui sont les plus gros utilisateurs de pesticides – et qui en ont doublé l’usage au lieu de le réduire – ont par ailleurs bénéficié de beaucoup d’exonérations fiscales et sociales ; nos financements publics permettent ainsi à ces modèles de continuer à prospérer.

Notre deuxième questionnement concerne le périmètre. Une très forte pression économique s’exerce sur l’agriculture, qui ne peut s’en sortir qu’en s’agrandissant, en se spécialisant et, pour partie, en s’orientant vers des pratiques plus intensives. Pour autant, le système alimentaire est très rentable. Cela rejoint les questionnements actuels sur l’origine de l’inflation constatée : dans quelle mesure est-elle causée par l’inflation des marges ? Nous nous focalisons sur des changements de modèles agricoles, mais si nous ne touchons pas à l’industrie ni à la distribution, est-il possible de convaincre les agriculteurs d’opter pour un autre modèle ?

J’en viens à la nécessité d’un questionnement économique élargi. Nous avons mené une étude qui a été reprise dans un article scientifique ; elle porte sur les coûts cachés, les coûts reportés sur les pouvoirs publics du fait de l’usage des pesticides. Il s’agit bien de dépenses réelles, tangibles, dans la comptabilité publique de l’État. Selon nos estimations, ces coûts cachés s’élèvent à 370 millions d’euros par an. Il y a donc des économies à réaliser pour l’État s’il adopte une politique plus volontariste. Mais en face, nous avons des acteurs très concentrés, qui ont intérêt à convaincre les agriculteurs de continuer à utiliser des pesticides.

Qu’en est-il de la numérisation ? Il y a beaucoup de promesses quant aux réductions d’usage des pesticides qui pourraient être réalisées grâce à ces technologies, mais nous n’avons pas été capables d’étayer la réalité de ces promesses. L’essentiel de l’argent investi dans la numérisation vise une optimisation des pratiques. Beaucoup de chercheurs estiment que sans changement de modèle, nous avons peu de chances de réduire les pesticides.

M. Dominique Potier, rapporteur. Vous avez choisi de faire porter votre combat sur un point bien précis, qui est celui du régime d’autorisation des produits phytosanitaires. Mais vous avez aussi souligné à quel point le problème est systémique. L’usage des pesticides est un symptôme, il n’est pas la cause : c’est le symptôme d’un modèle agricole, d’un modèle alimentaire mais aussi d’un modèle de société. Il me semble qu’il y a trois grands piliers sur lesquels il faut agir : le régime d’autorisation, mais aussi les conditions socioéconomiques et l’appareil de recherche et développement. Vous ne dites rien de la séparation du conseil et de la vente, des crédits de la recherche... Votre choix m’interpelle : pourquoi considérez-vous que le régime d’autorisation est le levier le plus stratégique ? En outre, comment appréhendez-vous la problématique de la prise en compte des effets cocktails des produits dans le cadre de ce régime d’autorisation ? Vous n’avez pas vraiment évoqué cette question. 

Enfin, ne peut-on pas trouver une porte de sortie avec le règlement SUR ? Pouvez-vous me dire ce qui vous donne espoir et ce qui vous fait peur dans ce règlement ? La France sera-t-elle à la hauteur de l’ambition européenne ?

M. Grégoire de Fournas (RN). Je ne suis pas forcément d’accord avec tous les combats exposés, mais je respecte ceux qui les portent. Je suis viticulteur. J’ai été confronté à des lanceurs d’alerte. J’ai parfois observé un manque de rigueur dans le raisonnement scientifique mis en avant par ces derniers.

Par exemple, Générations futures a publié sur Internet un article portant sur les seuils de détection du glyphosate dans les eaux potables. Je le cite : « Sachant que la limite de sécurité de l’eau potable pour le glyphosate seul est de 0,1 microgramme par litre, 5 des 23 échantillons d’eau collectés en Autriche, en Espagne, en Pologne et au Portugal contenaient du glyphosate à des niveaux qui les rendraient impropres à la consommation humaine. » Pouvez-vous me préciser quel est le fondement scientifique de ce chiffre de 0,1 microgramme par litre mis en avant dans cet article ?

M. François Veillerette. Je vous remercie de mettre la lumière sur un récent communiqué de presse, qui rend compte d’une étude publiée par le Réseau écologique paneuropéen (REP) sur la présence de résidus de glyphosate dans les eaux. Les échantillons qui dépassaient les 0,2 microgramme par litre étaient, par construction, supérieurs au seuil de 0,1 microgramme par litre qui constitue la concentration maximale admissible d’un point de vue réglementaire. La législation européenne comporte deux types de limites : la concentration maximale admissible et les valeurs dites de toxicité. Ces valeurs de toxicité sont considérablement plus élevées, mais elles sont souvent contestées, car les évaluations méconnaissent une série d’effets. À partir du moment où nous sommes au-delà de 0,1 microgramme par litre, nous ne pouvons donc pas exclure qu’il y ait des effets négatifs sur la santé ou sur l’environnement.

Générations futures s’intéresse beaucoup à la question de l’évaluation règlementaire des pesticides mais nous considérons que ce n’est pas le seul levier sur lequel il faut agir. Il y a beaucoup à faire en matière de politiques agricoles. Le rapport « Ecophyto recherche développement » avait évalué la faisabilité de l’objectif de réduction des pesticides : pour les grandes cultures, qui représentent 70 % des pesticides utilisés, ce rapport avait montré que l’on pouvait en réduire l’usage de moitié – mis à part le cas des pommes de terre – tout en maintenant le revenu agricole. Les systèmes de production intégrée doivent être encouragés. Ce sont eux qui permettent de réduire très rapidement l’usage des pesticides. Ils sont mis en œuvre dans des réseaux de fermes trop peu nombreux, avec de très bonnes performances agricoles et économiques.

Si nous ne travaillons pas sur le règlement SUR, nous irons dans le mur car nous nous priverons d’un contexte européen qui pourrait nous être favorable. Nous notons avec inquiétude que le ministre de l’agriculture vient de demander de nouvelles dérogations au projet de règlement. La France va contribuer à l’affaiblir, alors que ce projet est l’avenir de l’agriculture en Europe. D’ici 2050, les pesticides ne seront plus efficaces car de nouvelles résistances seront apparues. Nous serons obligés d’en sortir. Nous proposons donc d’accélérer la mutation des systèmes de production agricole tout en améliorant les méthodes d’évaluation des produits phytosanitaires. 

M. Philippe Piard. Je suis également paysan. Le combat plus général que vous évoquez, nous le menons par d’autres moyens. L’action de Secrets toxiques est très spécifique. Quand nous avons découvert que la réglementation européenne n’était pas respectée par l’Efsa et par les États membres, nous en avons été choqués en tant que citoyens. Notre but est ainsi de porter des actions en justice pour faire appliquer la réglementation. L’objectif de sortir des pesticides nous anime bien sûr au plus haut point mais de nombreuses associations agissent déjà dans ce sens, et nous n’avons pas pour objectif de refaire ce qu’elles font. Vous autres, parlementaires nationaux, devez veiller à l’application des réglementations par les agences nationales. Nous trouvons choquant que des produits puissent passer le filtre de la réglementation sans une réelle évaluation de toxicité.

M. Dominique Masset. Si nous arrivions à obtenir l’application stricte de la réglementation, un grand nombre des pesticides actuellement utilisés ne pourraient plus l’être. Cela induirait une réduction très substantielle des pesticides mis sur le marché.

M. Jérémie Suissa. Quand on s’empoisonne, la première urgence est d’arrêter d’ingérer du poison. Des pesticides qui ne sont plus sur le marché, c’est un empoisonnement qui s’arrête – et c’est là notre premier objectif.

Nous regardons également sur quelles matières nous sommes susceptibles d’obtenir une décision juridique. Nous cherchons un dialogue entre le pouvoir juridictionnel – en l’occurrence le tribunal administratif – et les autres pouvoirs – le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, que vous représentez. Le juge administratif peut nous dire ce qu’est le droit et où nous en sommes de son application. Charge à l’exécutif et au législatif de faire leur part du travail. La décision de juin dernier était l’occasion d’avoir une position très claire de l’un des trois pouvoirs, et de renvoyer à la responsabilité de l’exécutif et du législatif.

Mme Barbara Berardi. Nous faisons face à une urgence et sommes conscients de l’importance d’une transition. Pour l’instant, le système n’est pas en train de changer. Dans l’immédiat, il y a urgence à traiter le cas de certains produits particulièrement dangereux, qui sont malheureusement sur le marché à cause de ce système d’évaluation défaillant. Le décalage entre les connaissances scientifiques actuelles sur l’impact des pesticides et ce qui est réalisé dans le cadre de l’évaluation – la science réglementaire – est choquant. La transition ne se fera pas du jour au lendemain. Comment identifier les pesticides les plus dangereux sans un système performant d’évaluation des risques ? L’espoir d’avoir un jour un environnement non-toxique passe par une révision de l’évaluation des risques.

M. Franck Rinchet-Girollet. Nous nous sommes rendu compte qu’il existait des failles dans la réglementation, notamment l’absence de la valeur réglementaire sur la qualité de l’air. Nous quantifions 41 molécules dans l’air ambiant en Charente-Maritime. Vous évoquiez l’effet cocktail entre produits phytosanitaires, mais on peut même aller plus loin. Les autorités ne prennent pas en compte les effets cocktail de l’ensemble de ces molécules sur la santé des hommes et de la biodiversité. La transition vers un autre modèle et la sortie des pesticides passent par l’application de la réglementation. L’absence de normes sur la qualité de l’air est aberrante. Les normes pour l’eau sont variables ; elles sont quantifiées molécule par molécule. Quand certains produits sont retrouvés dans l’eau potable, les citoyens ne sont pas forcément alertés. Je voudrais souligner que ce sont les collectivités locales, voire les associations, qui font le travail de recherche des facteurs environnementaux dangereux qui incomberait normalement aux services de l’État.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Vous avez parlé de pesticides et d’agriculture. Mais j’aimerais aussi vous entendre sur les pesticides qui ne sont pas utilisés en agriculture. Je pense par exemple à la désinsectisation conduite par certaines collectivités, notamment en zone touristique, ainsi qu’aux usages particuliers.

Monsieur Veillerette, vous avez évoqué les grandes cultures et vous avez indiqué qu’il existait des solutions pour réduire l’usage des pesticides sur ces cultures. Qu’en est-il pour les productions où nous sommes dans une impasse sanitaire ? C’est le cas en arboriculture et sur certaines productions légumières. Quelles sont vos propositions et suggestions ? Pour ma part, je n’ai pas de solution à proposer aux agriculteurs de ma circonscription qui se trouvent dans cette situation d’impasse.

 Mme Barbara Berardi. Il faut savoir que les pesticides destinés à un usage agricole font l’objet d’une réglementation distincte de celle applicable aux produits biocides, destinés à des usages non agricoles. Nous sommes conscients de l’importance de soumettre également ces biocides à une évaluation des risques très stricte, comme celle que nous souhaitons pour les pesticides agricoles. Mes cheveux contiennent des produits insecticides, probablement d’origine agricole. Toutes les substances chimiques devraient faire l’objet d’une réglementation et d’une évaluation strictes, indépendamment des usages. Des pourparlers sont en cours au niveau européen pour que l’Echa et l’Efsa travaillent conjointement sur ces sujets.

M. François Veillerette. Il existe une réglementation « biocide » pour les insecticides ménagers. Certains produits sont également utilisés en médecine vétérinaire. Tous ces produits se retrouvent ensuite dans l’organisme des humains. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes toujours intéressés à l’ensemble des utilisations de pesticides. Actuellement, certaines molécules interdites en agriculture trouvent une seconde vie commerciale en tant que biocides, ce qui est aberrant. Cela résulte de décalages entre les réglementations. 

S’agissant des solutions, j’ai cité les grandes cultures parce qu’elles représentent 70 % des usages de pesticides. Si l’on trouve des solutions pour les grandes cultures, on résoudra donc une bonne partie du problème. Au-delà des solutions chimiques, des solutions agronomiques peuvent être trouvées, qui concernent les pratiques et les systèmes.

Je prendrai l’exemple de la dérogation sur les néonicotinoïdes. Un plan de recherche et d’innovation a été mis en place, avec la perspective d’une interdiction définitive de la molécule au bout de trois ans. Quand nous avons une perspective de sortie d’un produit et que nous mettons en face les moyens de recherche et de développement, et de transfert des connaissances de la recherche à la profession, nous nous rendons compte que cela marche plutôt bien. En l’espèce, des solutions sont arrivées d’un peu partout. La recherche est donc extrêmement importante, à condition d’être transférée aux agriculteurs. Elle peut être collaborative, avec des groupes d’agriculteurs qui remontent leurs pratiques.

Si nous retirons des substances actives, il faut donc donner à la profession les moyens de développer des solutions pour surmonter les impasses techniques. Pour cette raison, nous avions demandé l’introduction d’une fiscalité, une sorte de bonus-malus, à la fois pour inciter ceux qui ne veulent pas changer de système à le faire et pour alimenter un fonds, lequel permettrait de financer une sorte d’assurance-récolte, mais aussi la recherche, le développement et la diffusion de solutions. Ce n’est pas parce que nous avons des impasses techniques aujourd’hui que nous en aurons encore demain. L’exemple de la recherche sur le puceron de la betterave a montré que des solutions émergeaient et pouvaient devenir opérationnelles ; mais cela ne fonctionne que si nous prenons en compte les contraintes économiques.

Par ailleurs, je pense que c’est fondamental d’œuvrer en faveur d’un règlement SUR qui mette tous les agriculteurs européens à l’unisson autour d’un objectif ambitieux de diminution de l’agriculture européenne aux pesticides.

M. Philippe Piard. Tous les pesticides, quels qu’ils soient, posent un problème quant à notre rapport au vivant. Nous avons un bassin de production de cerises dans notre territoire ; certains d’entre nous ont dû prendre leur tronçonneuse pour abattre leurs cerisiers parce qu’ils n’arrivaient pas à résoudre le problème de la drosophile. D’autres se sont engagés dans un réseau Dephy et testent des parcelles. Un agriculteur est passé au bio, mais un autre est mort – Jean-Marie Albaret est décédé de l’exposition aux produits phytosanitaires appliqués sur ses fruits. Est-il normal de mourir pour produire de l’alimentation ? A-t-on le droit de mettre en danger la population environnante ? En juin, dans cette vallée du Tarn, nous interdisions aux enfants de sortir dans la cour de récréation et personne ne sortait dans son jardin, parce que les petites villes sont entourées de ces vergers. C’est dramatique. Nous n’avons pas le choix. Nous sommes face à un scandale sanitaire grave, qui met en danger la population. L’argent qui sert à lutter contre les effets néfastes de cette agriculture doit être réinvesti dans l’accompagnement des agriculteurs. Des solutions techniques existent. Quand elles n’existent pas encore, nous allons les trouver. Un chiffrage a été fourni tout à l’heure. Il en existe d’autres, qui se montent à plusieurs milliards d’euros. L’argent existe. Nous ne le mettons pas au bon endroit. Il faut changer de modèle agricole.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Vous disiez, monsieur Alliot, qu’une proportion importante des pesticides est utilisée par un petit nombre d’agriculteurs. Pouvez-vous nous préciser ce point ? Avez-vous une idée des financements publics qui soutiennent ces modèles fortement consommateurs de produits phytosanitaires ?

De manière générale, vous posez les bonnes questions – celle de la responsabilité, celle des obligations. Nous constatons un effondrement du vivant, un appauvrissement des terres agricoles, des effets sur notre santé. La question de la responsabilité se pose. Qui est responsable ? Qui va payer le coût de cet usage des pesticides ? Je m’interroge sur le chiffrage de l’inaction en matière de pesticides. Savez-vous s’il existe une évaluation du coût associé aux dommages environnementaux et sanitaires causés par l’agriculture conventionnelle ? C’est de ce coût qu’il faudrait partir pour déterminer les montants à investir pour réduire l’usage des pesticides.

M. Christophe Alliot. Les grandes cultures représentent plus de 60 % de l’usage des pesticides, devant la viticulture. Les autres usages pèsent beaucoup moins. Lorsque l’on dit que l’on veut réduire de moitié l’usage des pesticides, est-ce à dire que tout le monde doit réduire de moitié, ou va-t-on privilégier des stratégies différenciées ?

J’en viens à l’augmentation de l’usage des pesticides depuis le premier plan Ecophyto. Nous sommes partis d’une étude de chercheurs d’instituts techniques et de l’Inrae, qui montrait l’existence d’une corrélation entre les dépenses de pesticides en euros et les indices de fréquence de traitement, qui sont par ailleurs un indicateur intéressant à utiliser. Nous avons mis à jour cette partie de notre recherche pour vérifier que cette corrélation était toujours d’actualité. La dépense en euros est ainsi un indicateur intermédiaire qui peut donner à voir ce qui est en train de se passer. Il permet notamment de contourner la question de la concentration des produits utilisés : un produit très efficace mais que l’on utilise peu est un produit cher.

Nous avons également fait un travail comptable, en utilisant le réseau d’informations comptables agricoles, qui répertorie 80 % des exploitations françaises représentatives et représente 95 à 98 % de tout ce qui est produit en France. Nous avons constitué trois groupes : les exploitations qui avaient divisé par deux leurs dépenses ; celles qui les avaient multipliées par deux ; et celles qui se situaient à un niveau intermédiaire. Nous nous sommes aperçus que les exploitations ayant doublé leurs dépenses représentent environ 7 % de la surface agricole, 9 % des exploitations et 21 % de la dépense en pesticides. Par ailleurs, un tiers des exploitations françaises représente à peine 10 % de la consommation de pesticides. Les exploitations de grandes cultures, qui constituent 15 % des exploitations, représentent 27 % de la dépense en pesticides. Les exploitations les plus vertueuses, en revanche, représentent 10 % du nombre total d’exploitations et 2 % de la dépense. On voit donc qu’il y a là un enjeu de modèle agricole qui est à regarder de près.

Nous avons fait la fiche descriptive de ces exploitations fortement consommatrices de pesticides. Cela ressemble à l’agriculture de firmes, une agriculture plus mécanisée, avec beaucoup plus de salariés, beaucoup moins de travail réalisé par les exploitants agricoles individuels. Ce que ces chiffres nous disent n’est pas anodin. Il y a peut-être un moyen de concentrer l’action des pouvoirs publics prioritairement sur une partie de nos exploitants agricoles. Cela pourrait être plutôt une bonne nouvelle.

Concernant les coûts cachés, la particularité de notre approche est d’être comptable et non économique : nous ne considérons que les coûts induits pour les collectivités publiques. Notre estimation est donc plutôt minimaliste. À l’échelle française, nous estimons ce coût à 370 millions d’euros au minimum, potentiellement beaucoup plus – jusqu’à 2 ou 3 milliards d’euros, selon mon souvenir.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il a été dit tout à l’heure que les parlementaires avaient un rôle de veilleurs. Les politiques publiques doivent protéger la santé de nos concitoyens. C’est un combat politique.

Je suis une députée rurale. Quand nous abordons la question des produits phytosanitaires, nous avons parfois l’impression que deux mondes s’affrontent. Je vis dans un territoire d’exception en termes de biodiversité, avec les Monts d’Arrée, la rade de Brest, l’abeille noire d’Ouessant. Nous sommes riches de l’héritage économique des coopératives agricoles. Les agriculteurs conventionnels souffrent de cet « agri-bashing » quotidien.

Comment vos associations d’envergure nationale construisent-elles la déclinaison locale de votre engagement ? Vous menez des combats juridiques, législatifs. Comment travaillez-vous avec les élus locaux, les acteurs du monde agricole, les représentants des services de l’État, les citoyens ? Estimez-vous être suffisamment consultés sur le terrain ? Comment votre engagement y est-il reçu ? Quel dialogue parvenez-vous à établir avec les différentes parties prenantes ?

J’aimerais connaître votre sentiment sur une proposition de loi adoptée au Sénat en mai 2023, qui concerne la Ferme France et donne au ministre la possibilité de suspendre une décision de retrait d’un produit phytosanitaire prise par l’Anses en cas de distorsion de concurrence avec un autre État membre. Il s’agit de favoriser la compétitivité de notre agriculture. Mais pourquoi ces produits seraient-ils prioritaires et pourraient-ils être commercialisés sans tenir compte de tous ces impératifs que nous évoquons depuis tout à l’heure ?

M. Jérémie Suissa. Il existe des signaux faibles – pas si faibles, s’agissant de discussions parlementaires qui vont à leur terme, comme le projet Ferme France – qui nous inquiètent beaucoup. Ils suscitent certaines questions, comme celle de la place de la science dans les analyses qui sont produites.  

On pourrait croire que l’évaluation de la nocivité des produits que nous mettons dans nos champs, nos poumons, nos cheveux, est effectuée au regard de critères scientifiques. Il n’en est rien. Les critères d’évaluation sont construits en s’appuyant parfois sur la science, parfois sur des critères politiques. Ces derniers ont-ils vocation à être mis en balance avec la science ? Ont-ils vocation à être interprétés comme étant de la science ? Derrière ces questions, il y a celles de la neutralité, la scientificité et surtout l’indépendance des organismes chargés de conduire ces évaluations, ainsi celle de leur capacité à agir.  

L’Anses a clairement été ciblée. C’est un des points qui nous alarment le plus aujourd’hui. Nous n’allons pas vous dire que l’Anses fait un travail indiscutable à nos yeux. En revanche, l’existence d’une autorité indépendante à même de procéder à ces évaluations est une condition sine qua non pour que le système tienne la route.

M. François Veillerette. Nous sommes critiques vis-à-vis du processus d’homologation au niveau communautaire, mais quand une agence indépendante applique les règles, aussi imparfaites soient-elles, il faut qu’elle puisse le faire vraiment. Dans le dossier du S-métolachlore, le ministre de l’agriculture a remis en cause l’Anses, ce qui nous a choqués. Si ce n’est pas une agence indépendance qui prend la décision finale, qui sera-ce ?

Le système qui prévalait il y a une dizaine d’années a changé. À l’époque, l’Anses se plaignait auprès du ministre de l’agriculture que ses alertes sur un certain nombre de produits ne soient pas prises en compte – Générations futures a publié des documents qui en attestent. M. Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, a décidé de changer le système et de transférer l’octroi des autorisations à l’agence. Nous considérons que c’est une bonne chose. Nous sommes très critiques vis-à-vis du système actuel, mais au moins existe-t-il un système indépendant du monde agricole.

Le projet de loi Ferme France présente les choses comme si la France était privée de pesticides. En réalité, la France est le troisième pays d’Europe en matière de substances actives autorisées, derrière la Grèce et l’Espagne. Nous ne pouvons donc pas dire que les agriculteurs en soient privés et que nous soyons dans une surtransposition systématique du droit européen. Il y a là une pression forte du syndicat agricole majoritaire, qui essaie de regagner par l’action politique ce qu’il perd par des décisions de l’agence.

Je rappelle c’est la réglementation européenne qui s’applique à travers les agences nationales. L’Efsa leur demande de retirer certains produits s’il y a de bonnes raisons de le faire, en fonction des données scientifiques existantes. Ainsi, si l’Anses prend la décision de retirer tel produit ou telle matière active, c’est en application de la réglementation européenne. Ce n’est pas une lubie nationale.

M. Philippe Piard. Nous sommes une coalition d’associations. Je représente aussi une association locale, qui a une déclinaison nationale. Quand nous avons créé Secrets toxiques, nous nous sommes posé la question de la domiciliation. Je n’avais pas envie d’afficher « Secrets toxiques » sur ma boîte aux lettres. J’avais peur de ce qui pouvait m’arriver, alors même que je suis bien inséré dans le tissu agricole local.

La fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) entretient depuis trop longtemps le mensonge sur la non-dangerosité de ces produits. Quand nous essayons d’évoquer cette dangerosité et que nous montrons le film Secrets toxiques, il se trouve toujours quelqu'un pour dire que son grand-père soufflait dans les buses du pulvérisateur pour le déboucher. Ces agriculteurs sont les premières victimes. Le risque qu’ils prennent est présenté comme faible mais les doses journalières admissibles sont dix fois, cent fois, mille fois supérieures à ce qu’elles devraient être. Nous les maintenons dans ce mensonge. J’ai vu mon voisin passer du Roundup en short et en claquettes, sans cabine de protection. Dans vingt ou trente ans, il développera la maladie de Parkinson, une maladie neurodégénérative ou un glioblastome. Dès que nous essayons de parler des pesticides ou du modèle agricole, nous sommes accusés d’« agri-bashing ». Mais je suis paysan moi-même, et je connais de nombreux paysans contre lesquels nous n’avons jamais fait d’« agri-bashing ».

Il existe un modèle agricole productiviste qui s’efforce de répondre aux besoins de l’agro-industrie, et un modèle qui tente de promouvoir une autre agriculture, vivrière, nourricière. Ce dernier modèle ne pose pas de problèmes environnementaux ou de santé publique. À mon avis, c’est ce modèle qu’il faudrait encourager.

Je donnerai un dernier exemple : celui de ces enfants qui ont servi de bornes pour les épandages, ou encore des enfants qui se précipitaient sur la grille de l’école, en juin, pour recevoir les gouttelettes rafraîchissantes du pulvérisateur d’un tracteur – alors que c’était un poison qui était utilisé.

M. Loïc Prud’homme (LFI-NUPES). La question du décalage entre la science réglementaire et la science académique a été évoquée tout à l’heure. La science réglementaire est incarnée par l’Anses en France. Militez-vous pour un alignement de la science réglementaire et de la science académique ? Comment voyez-vous le rôle de l’Anses ? Comment jugez-vous la réponse de l’Anses à ce décalage ? Je m’interroge sur l’issue de cette commission d’enquête, sur la proposition que nous pourrons faire, dans un contexte où ce questionnement a été mis en exergue par le conseil scientifique de l’Anses, en mars dernier. Je souscris à ce que disait M. Suissa : nous avons absolument besoin d’une autorité sanitaire qui soit indépendante et qui soit en phase avec les connaissances scientifiques du moment. La science et la toxicologie réglementaires ne doivent pas être en retard de plusieurs années.

M. le rapporteur Dominique Potier. Cette question me paraît particulièrement pertinente. En tant que rapporteur, je peux affirmer que l’une des motivations profondes de cette commission est bien la menace qui pèse sur le régime d’autorisation. Vous entendez le perfectionner, par un alignement des sciences réglementaire et académique et par la prise en compte de phénomènes trop peu explorés aujourd’hui. Mais le premier combat politique vise à conserver une institution qui est aujourd’hui menacée, au niveau national comme au niveau européen.

Par ailleurs, pensez-vous qu’en la matière, il faudrait aligner les nations et l’Europe ? Comment les nations vont-elles plus loin que les institutions européennes sur la réglementation des produits ? Plus vous serez précis sur ce sujet, plus vous nous nourrirez, et plus nous pourrons alimenter des propositions novatrices pour consolider nos institutions scientifiques et démocratiques.

Mme Barbara Berardi. Nous sommes d’accord pour dire qu’avoir une agence réglementaire forte – ou plusieurs agences réglementaires fortes – est la base d’une bonne évaluation des risques. Les agences doivent être fortes mais aussi indépendantes. Le problème de l’évaluation des risques ne se trouve pas à l’intérieur de l’Anses ou de l’Efsa. C’est un problème de protocole. L’Anses ne réalise pas les tests elle-même, ni ne décide des tests à réaliser. Les documents d’orientation sont au centre du problème, qui est si compliqué que nous perdons une partie importante de la dynamique.

Les tests sont menés par l’industrie elle-même. Ensuite, l’Anses ou l’Efsa vérifie que les tests ont bien été menés. Ce que nous contestons, c’est la liste des tests, qui est obsolète et n’est plus en phase avec la science académique. L’effet cocktail est l’un des grands absents de cette liste. Grâce au recours contentieux évoqué tout à l’heure, le tribunal a enfin reconnu que l’Anses pouvait aller plus loin que ce que la réglementation européenne propose comme base d’évaluation.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de l’Anses mais d’essayer de mettre en phase la liste des tests demandés avec les connaissances scientifiques actuelles. L’Anses peut maintenant demander des tests additionnels. Nous espérons que ces tests seront intégrés. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prend quinze à vingt ans pour valider chaque test. Si nous attendons aussi longtemps pour ajouter de nouveaux tests cruciaux, il n’y aura peut-être bientôt plus de biodiversité à tester. Notre demande est d’intégrer dès à présent des tests ayant fait leurs preuves.

Enfin, l’idéal serait que les tests ne soient pas effectués par l’industrie mais par des laboratoires indépendants. Cela résoudrait beaucoup de problèmes de conflit d’intérêts.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). L’objectif de cette commission d’enquête est de travailler sur la transition agricole et sur le changement de modèle économique, avec un regard sur la place des grandes et moyennes surfaces et le revenu des agriculteurs, en ayant évidemment à cœur de nourrir l’ensemble des Français.

Je pense qu’il est important de « dézoomer » et de s’intéresser à l’ensemble des polluants, pas seulement les pesticides, car nous sommes face à un modèle d’après-guerre qui rencontre ses limites dans beaucoup de domaines.  

J’invite chacun à écouter l’audition d’Atmo France que nous avons réalisée hier. Le territoire de la Charente-Maritime a été particulièrement médiatisé cette année : un « record de France » a été évoqué dans ce département, s’agissant de la présence de nombreux polluants dans l’air, mais les données manquement sur ce sujet. C’est notre rôle, en tant que parlementaires, que d’aider les Atmo à récolter davantage de données pour affiner leur analyse.

J’en viens à mes questions. Travaillez-vous à une mesure des externalités négatives qui pourrait nous aider dans notre enquête ? Par ailleurs, la question des drones a été évoquée tout à l’heure : j’aimerais connaître votre avis sur ce sujet, de même que sur celui de la densité des populations autour des exploitations agricoles.

Enfin, je pense qu’il est important de ne pas cliver les acteurs, ce qui n’est pas simple. Avenir Santé Environnement le fait très bien sûr notre territoire. Les tensions et les clivages freinent la transition. Nous devons essayer d’avancer ensemble.

M. François Veillerette. Il existe une évaluation de la société internationale d’endocrinologie qui chiffre à un peu plus de 150 milliards d’euros par an le coût sanitaire, direct et indirect, des perturbateurs endocriniens. Sur ce total, 120 milliards d’euros seraient imputables aux pesticides.  

S'agissant de la prise en compte de l’ensemble des polluants, nous nous intéressons beaucoup à la révision du règlement européen Reach – registration, Evaluation, Authorization and restriction of Cgemicals – et nous conduisons également une campagne sur les polluants chimiques autres que les pesticides. Ce sont les mêmes acteurs qui essaient de freiner la révision du règlement Reach dans un sens plus ambitieux.

S’agissant de la science réglementaire, la question des lignes directrices est essentielle. Comment évaluez-vous les critères de prise en compte de telle ou telle étude,l’exposition des riverains, les effets sur tel ou tel secteur de l’environnement ? Ce sont souvent ces lignes directrices qui empêchent les agences de bien travailler, par exemple parce qu’elles sous-estiment l’exposition de certaines catégories de riverains. Les lignes directrices sont des documents techniques qui servent de guide et s’imposent aux agences nationales. Elles manquent parfois d’ambition ou occultent toute une série d’effets. La question est largement européenne. Il faut améliorer ce cadre pour mieux appliquer la réglementation.

Mme Mathilde Hignet (LFI-NUPES). Vous avez parlé des enfants, des agriculteurs ou des femmes d’agriculteurs qui tombent malades. À part vous, qui se saisit de ces situations souvent dramatiques ? La Mutualité sociale agricole (MSA) travaille parfois sur ces sujets, ainsi que la Sécurité sociale et les ARS. Le ministère de la santé ne devrait-il pas monter au créneau face aux maladies et aux souffrances qu’elles vont provoquer ?

M. Philippe Piard. Étant donné les bâtons qu’elle met dans les roues des agriculteurs quand ceux-ci font une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, j’imagine mal la MSA travailler dans le bon sens. Deux mutuelles nous soutiennent, parce qu’elles constatent l’augmentation des maladies chroniques et qu’à la fin, ce sont elles qui paient. Le ministère de la santé est l’un des ministères de tutelle de l’Anses. J’aimerais bien qu’il s’empare du sujet. Ce n’est pas suffisamment le cas à notre goût.

M. Franck Rinchet-Girollet. Nous essayons de séparer les agriculteurs du sujet des pesticides : ce sont bien les pesticides que nous visons. Si nous avons parlé de « record de France » dans notre département, c’est parce que ce sont les mots de la chargée de mission Atmo qui nous a présenté les résultats de l’étude en 2021. Le ministre de l’agriculture nous avait d’ailleurs promis un compte rendu sur le prosulfocarbe à l’automne 2022 : nous sommes à l’automne 2023 et nous n’avons rien reçu. Disposez-vous d’informations complémentaires ?

Vous parliez de la mise en place de drones et des conséquences sur l’agriculture. Pensez-vous que l’utilisation de drones réduira la dangerosité des produits utilisés ? Le problème n’est pas le recours ou non à la mécanisation mais la dangerosité des produits.

M. Dominique Masset. Nous nous trouvons dans une situation paradoxale : nous ne travaillons pas sur la prévention ; l’accent est mis sur la détection précoce des maladies. Sur le plan sanitaire, c’est une complète erreur de stratégie. Alors qu’une vraie politique de prévention consisterait à interdire les produits dangereux, toutes les campagnes portent sur la gestion des conséquences des pollutions permanentes. C’est révélateur de la politique sanitaire conduite en France et ailleurs.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Ma question sur les drones était sérieuse : je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet. Je voudrais connaître l’avis de Générations futures.

M. François Veillerette. Pour la mise en œuvre du plan Ecophyto, les représentants de la FNSEA soutiennent les solutions techniques : meilleures buses, drones, utilisation de satellites. Je n’ai rien contre l’optimisation technique si cela peut aider, mais nous savons que son potentiel de réduction de l’usage des pesticides est très faible, de l’ordre de 10 à 15 % au maximum. Nos objectifs sont bien supérieurs !

Pour aller au-delà, nous devons changer de système, ce qui nous renvoie au cœur de la problématique : peut-on continuer à se contenter d’optimiser le système de production agricole actuel sans le remettre en question ? Ce sont les conditions de la culture qu’il faut changer, ce qui impose de faire de l’agronomie, de mettre en place des systèmes de culture différents. Quelle vision avons-nous pour l’agriculture de demain ? Quel système de production agricole voulons-nous ? L’Inrae a simulé une agriculture sans pesticides en 2050, avec trois scénarios différents. C’est donc possible techniquement. Nous avons également des données économiques qui vont dans le même sens. Il s’agit maintenant d’un choix politique. Allons-nous nous rendre maîtres de notre destin et choisir un type d’agriculture qui offre un revenu aux agriculteurs, une alimentation de qualité aux Français, et qui protège l’environnement et la santé ? Ce n’est pas simplement l’optimisation technique qui nous le permettra.  

M. le président Frédéric Descrozaille. Je vous remercie vivement pour la qualité des échanges et la justesse de ton. Les propos sont parfois assez vifs mais toujours profonds. La question de la responsabilité a été abordée. Qui est responsable de quoi, et devant qui ? Pour ma part, je m’efforce de ne pas perdre de vue la distinction entre danger et risque. La frontière entre les deux, c’est la place du politique. Le danger est l’affaire de la science : il peut être défini objectivement, ce qui n’est pas le cas du risque, dont l’appréciation dépend directement de la notion de « risque acceptable ». La définition du risque doit-elle relever d’un outil indépendant, ou est-elle affaire d’institutions et de démocratie ? Ce point est l’un des sujets importants des travaux de la commission d’enquête.

Je vous remercie encore pour la profondeur et la qualité de ces discussions.

La séance s’achève à quinze heures quarante.

 

———


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Anne-Laure Babault, M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud'homme, Mme Mélanie Thomin