Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Audition publique sur le 5ème Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) 2

. Le 5ème PNGMDR entre description de l’existant et prescription pour l’avenir 3

. Le stockage des déchets nucléaires : quelle couverture sur les réseaux sociaux et au-delà ? 17

 

 


Jeudi 25 janvier 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 184

 

 

session ordinaire de 2023-2024

 

 

Présidence

de M. Stéphane Piednoir,
président
 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 25 janvier 2024

Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Audition publique sur le 5ème Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR)

 

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. ‑ Bienvenue à cette audition publique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée au 5e Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).

Cette réunion sera, comme à l’accoutumée, animée de façon bicamérale, par le sénateur Bruno Sido et le député Hendrik Davi, que je remercie. Les deux tables rondes qu’ils présideront successivement chercheront à déterminer l’impact du 5e PNGMDR sur le fonctionnement de la filière nucléaire, puis la perception de ce plan dans l’opinion publique, à l’ère des réseaux sociaux.

Je rappelle qu’en mars 2022, l’Office a adopté un rapport de Bruno Sido et Émilie Cariou sur la préparation de ce 5e PNGMDR, alors que ce dernier n’avait toujours pas été transmis au Parlement et qu’aucune stratégie n’avait été officiellement définie pour la gestion des déchets nucléaires pour les années 2019 et suivantes. Après une longue phase de consultation publique, le plan a finalement été publié. Il couvre la période 2022–2026 et intervient dans un contexte de forte relance de l’énergie nucléaire en France.

Bruno Sido et Hendrik Davi vont nous en expliquer les grands enjeux, avec l’aide des invités de cette matinée, que je salue.

Je vous informe que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera par la suite disponible sur les sites des deux assemblées. Les internautes auront la possibilité de poser des questions aux intervenants en suivant le lien affiché sur les pages de l’Office sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat.

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LE 5e PNGMDR ENTRE DESCRIPTION DE L’EXISTANT ET PRESCRIPTION POUR L’AVENIR

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Comme l’a souligné le président Piednoir, j’avais travaillé avec notre ancienne collègue députée Émilie Cariou sur le contenu du présent PNGMDR. Ce choix avait été guidé notamment par le fait que Mme Cariou étant élue de la Meuse et moi de Haute-Marne, nous étions deux parlementaires concernés par le projet Cigéo.

Nos conclusions sont connues : sur la forme, nous regrettions que le délai légal de transmission du plan au Parlement ait été largement dépassé. Sur le fond, tout en saluant le travail réalisé sur Cigéo, nous nous interrogions sur quelques catégories de déchets peu ou pas couverts par ce document, parmi lesquels les déchets médicaux, les déchets militaires ou encore les déchets transitant sur le territoire.

Pour éviter toute redite, nous explorerons ce matin ce qui constitue peut-être un autre angle mort du PNGMDR, à savoir les déchets issus des mines d’uranium exploitées sur notre territoire, dits « stériles miniers ».

Je remercie Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et conseiller scientifique de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD), d’avoir accepté de se charger de l’exposé liminaire.

Pauline Boyer, chargée de campagne Transition énergétique à Greenpeace France, apportera ensuite un point de vue plus général sur le PNGMDR, avant que Virginie Wasselin, cheffe du service Stratégie filières et déchets faible activité vie longue de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), nous présente les grands livrables de ce 5e PNGMDR pilotés par l’Andra.

Je salue d’ores et déjà les participants de la seconde table ronde, Éric Vidalenc, Ludovic Torbey et Bernard Laponche, que j’invite bien évidemment à contribuer s’ils le souhaitent aux échanges qui suivront ces premières présentations.

M. Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la CRIIRAD. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, je vous remercie de donner l’occasion à la CRIIRAD d’aborder la question des déchets des mines d’uranium, à savoir les stériles miniers et les résidus d’extraction de l’uranium. Ces sujets ont été traités dans le 5e PNGMDR, qui donne l’impression que tout est résolu et qu’il ne reste qu’à garder la mémoire des stériles miniers. Or des problèmes environnementaux ou d’exposition des populations aux radiations subsistent, ainsi que je vais vous le montrer.

Orano indique sur son site internet que 236 anciennes mines d’uranium sont réaménagées à 100 % en France et que les 30 000 mesures officielles réalisées chaque année ne montrent aucun impact environnemental ou sanitaire. Ceci ne correspond pas à la réalité que nous observons sur le terrain.

Les stériles des mines d’uranium sont des roches plus ou moins radioactives extraites des profondeurs de la terre. Les roches les plus riches en uranium étaient dirigées vers les usines d’extraction du métal uranium, tandis que les autres, dites « stériles miniers », ont été banalisées. Le problème tient au fait que ces déchets peuvent avoir une radioactivité de plusieurs dizaines de milliers de becquerels par kilogramme, voire davantage, car du minerai subsiste au milieu de ces stériles.

Suite aux enquêtes de terrain menées par la CRIIRAD en lien avec des associations locales, nous avons dénoncé ces problématiques, en particulier en 2009 dans le cadre de l’émission Pièces à conviction intitulée « Uranium, le scandale de la France contaminée ». Cette mise en lumière avait alors permis d’effectuer quelques progrès, puisque l’État avait demandé à l’industriel, Areva à l’époque, de dresser par hélicoptère une cartographie des endroits où ces stériles radioactifs avaient été réutilisés comme remblais. Cela concernait des cours d’école, des chemins de randonnée, des soubassements de bâtiments. Ce travail avait permis d’identifier officiellement plus d’un millier de ces lieux en France, dans 27 départements, mais seuls quelques dizaines d’entre eux ont été assainis.

Il existe donc encore dans notre pays de nombreux endroits anormalement radioactifs. Près du site des Bois noirs dans la Loire, par exemple, le chemin de randonnée conduisant à la Pierre des Fées, que la municipalité voudrait valoriser pour développer le tourisme en installant des tables de pique-nique, comporte des stériles qui entraînent un taux de radiation au contact du sol parfois 500 fois supérieur au niveau normal. Pourtant, Orano, qui a succédé à Areva, refuse de décontaminer ce site, ce qui est très préjudiciable au développement du secteur. Toujours dans cette zone des Bois noirs, une scierie implantée au cœur d’un village a été construite sur 8 000 m3 de ces stériles radioactifs, sans aucune volonté des pouvoirs publics ni de l’industriel de décontaminer le lieu.

(la réunion, suspendue à 9 heures 10, reprend à 9 heures 45)

Ces stériles radioactifs posent aujourd’hui des problèmes importants, avec une perte de valeur des biens construits sur ou à côté de ces remblais, mais aussi des enjeux sanitaires à long terme, même s’il est question de très faibles doses. Nous savons en effet que la radioactivité strictement naturelle, à des doses faibles, sous forme de radon dans l’habitat, est responsable de plus d’un millier de décès en France. Ces doses ne sont donc pas inoffensives.

La CRIIRAD et les associations avec lesquelles elle travaille, regroupées au sein du collectif « Mines d’uranium », souhaitent que davantage de lieux contenant des stériles radioactifs soient assainis, afin de limiter l’exposition des populations et de faciliter le développement des territoires.

Un deuxième sujet lié à l’héritage de l’exploitation de l’uranium dans l’Hexagone concerne les résidus d’extraction, qui représentent plus de 50 millions de tonnes, réparties sur 16 sites. Ces résidus ne sont, aujourd’hui encore, pas confinés correctement.

Ainsi, sur le site de Bellezane, en Haute-Vienne, 1,4 million de tonnes de ces résidus ont été déversés dans une ancienne carrière d’uranium et contaminent les eaux souterraines, qu’Orano est obligé de pomper et de traiter avant de les rejeter dans l’environnement. Or les contrôles que nous avons effectués montrent qu’en aval de ce stockage, le ruisseau des Petites Magnelles est pollué et que les prairies alentour, où des vaches paissent, présentent un niveau de radioactivité tout à fait anormal. De la même manière, sur le site des Bois noirs, dans la Loire, les résidus ont été déversés dans le fond d’une vallée, où le ruisseau a été détourné. Aucune étanchéification du fond n’a été effectuée. Cela est d’autant plus problématique que d’anciennes galeries de mines courent sous cette vallée et qu’une faille est présente à proximité. Ces résidus sont sous eau, dans un lac artificiel ayant pour objet de limiter les émanations de radon et de poussière. Le problème est que ce dispositif n’est pas pérenne et qu’Orano peine à imaginer comment assurer la pérennité de ce stockage de résidus radioactifs. Tous ces déchets issus de l’extraction d’uranium posent un nombre important de problèmes irrésolus.

Nous sommes par ailleurs face à une désinformation que nous trouvons profondément choquante. La vidéo promotionnelle d’Orano indiquant que tous les sites en France sont réaménagés et qu’il n’existe aucun impact environnemental ou sanitaire ne correspond absolument pas à la réalité. Sur le site des Bois noirs par exemple, les mesures officielles effectuées par Orano en 2022 font état d’un dépassement de la dose maximale annuelle admissible de 1 millisievert. Et encore, il s’agit d’un calcul officiel de l’industriel. Or les études que nous avions conduites voici quelques années sur ce même lieu montraient, par exemple, qu’un capteur mesurant la radioactivité ambiante induite par l’ancienne mine n’indiquait pas de radioactivité anormale (rayonnements gamma) alors qu’à moins de200 mètres au nord, à l’est et à l’ouest de ce dispositif, se trouvaient des stériles radioactifs dans la cour d’un restaurant, d’une ferme, le long du chemin.

Cette problématique a été en partie traitée, mais il a fallu se battre pendant des années, avec les associations, les élus locaux et l’intervention des médias. Nous savons malheureusement qu’il s’agit de la seule possibilité pour faire avancer ces sujets.

Aujourd’hui, l’ensemble de l’uranium utilisé en France vient de l’étranger, où nous retrouvons évidemment ces problèmes d’amont du cycle. La CRIIRAD mène par exemple depuis 2002 des travaux sur l’impact de l’extraction d’uranium au Niger : les difficultés rencontrées sont les mêmes qu’en France. La Cominak, filiale d’Orano qui a fermé en 2021, laisse par exemple 20 millions de tonnes de ces résidus radioactifs de faible activité à vie longue (plus de 400 000 becquerels par kilogramme) non recouverts, si bien que le vent disperse les poussières radioactives et que le radon émane directement dans l’atmosphère. L’entreprise s’est engagée à recouvrir ce stockage d’ici quelques années, mais nous ignorons si cela sera effectif un jour, en raison notamment de la situation politique de cette zone. Quoi qu’il en soit, ces résidus contaminent déjà les eaux souterraines, car ils n’ont pas été déposés sur un site étanche. Les dépôts successifs ont conduit par ailleurs à ce que les résidus se déplacent au droit de la faille nord-sud d’Arlit et polluent les eaux souterraines, que l’entreprise est obligée de pomper, par des pompages de sécurité, avant de les rejeter sur le site. Nous ignorons combien de temps durera ce pompage. L’industriel indique en outre dans ses rapports que lorsqu’il cessera, il existe, selon certains modèles, une probabilité que les éléments contaminés atteignent, au bout de 150 ans, la zone de captage d’eau potable de la ville d’Arlit, qui compte plus de 100 000 habitants. D’ici quelques années, le niveau d’uranium dans ces eaux pourrait les rendre impropres à la consommation.

Ces quelques exemples soulignent l’existence, sur ces sujets, de nombreuses réalités qu’il convient d’expliciter, de démontrer et dont nous constatons en tant qu’organisme indépendant qu’il est impossible de les appréhender si l’on n’étudie pas la situation directement sur le terrain.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Merci beaucoup de nous avoir fait part des difficultés rencontrées pour réunir et diffuser les informations sur les stériles miniers. Il serait intéressant que vous puissiez nous donner à titre de repère une comparaison entre la radioactivité de ces substances et celle des argiles ou des schistes bretons par exemple.

Pauline Boyer va maintenant nous présenter le point de vue de Greenpeace sur les solutions de stockage géologique retenues par le PNGMDR.

Mme Pauline Boyer, chargée de campagne Transition énergétique à Greenpeace France. - Bonjour et merci pour cette invitation.

Le premier élément sur lequel je souhaiterais mettre l’accent est l’existence même de ce PNGMDR : il est en effet très important de disposer de ce type de document.

Ce plan reste néanmoins très théorique et s’appuie beaucoup sur la vision des exploitants. Alors qu’il devrait en principe influencer les décisions de politique énergétique, on constate à l’inverse que c’est lui qui prend en compte les annonces politiques. Ainsi, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) devrait intégrer la problématique des déchets. Or il est question aujourd’hui de construire au moins 6 nouveaux réacteurs nucléaires EPR2, sans envisager ce qui pourra être fait des déchets produits. La production de déchets est considérée comme évidente et n’est pas remise en question lorsque le gouvernement prend ses décisions, alors même que la construction de tels réacteurs suppose non seulement d’énormes chantiers, mais aussi, par la suite, la production de déchets nucléaires. Que fera-t-on de ces déchets ? Va-t-on construire une deuxième usine à La Hague, sachant que la première est en voie de saturation ? Cela n’a aucune réalité économique et contreviendrait à la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, dite « convention OSPAR » qui prévoyait qu’à partir de 2020 aucun rejet, notamment radioactif, ne devrait advenir dans les milieux marins. Or les rejets de La Hague sont déjà considérables aujourd’hui.

Ce plan ne tient pas suffisamment compte des réalités de terrain. Le retraitement des déchets radioactifs génère notamment du plutonium, utilisé pour fabriquer du MOX. L’usine de recyclage Orano Melox rencontre actuellement des problèmes de fonctionnement et notre stock de plutonium a augmenté ; mais au-delà de cette situation ponctuelle, il faut savoir que le combustible MOX est beaucoup plus dangereux et radioactif après irradiation. Il encombre les piscines et participe ainsi à leur saturation. EDF a donc proposé la construction d’une nouvelle piscine. Ce projet est largement contesté, notamment par les habitants du territoire concerné. Nous nous trouvons par conséquent dans une sorte de fuite en avant, sans que le but de la démarche ne soit explicité, la valeur ajoutée du MOX paraissant très limitée. La gestion des déchets serait beaucoup plus simple si l’on s’arrêtait au traitement du combustible irradié.

Notez que les dizaines de milliers de tonnes d’uranium de retraitement (URT) disponibles sont peu utilisées. Cette activité dépend de la seule usine de réenrichissement d’URT, située en Russie. Lors d’une réunion syndicale, l’ancien directeur d’Orano a déclaré que la construction d’une telle usine en France serait une ineptie d’un point de vue économique.

Aucun de ces différents aspects du retraitement n’est questionné dans le PNGMDR. Les scénarios suivis sont ceux proposés par les exploitants ; or ce ne sont pas forcément les meilleurs.

Je souhaite souligner par ailleurs que de nombreuses matières sont traitées par principe dans ce plan comme des substances réutilisables, alors qu’elles ne le sont et ne le seront pas dans les faits. Cela renvoie à la distinction entre déchet et matière nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié plusieurs avis demandant la mise en place d’un plan pour une partie au moins des 350 000 tonnes d’uranium appauvri qui ne seront certainement jamais réutilisées. Elle estime en outre indispensable qu’une quantité substantielle de cet uranium appauvri soit requalifiée dès à présent en déchets, ce qui n’est pour l’instant pas le cas. La même question se pose pour une part de l’uranium de retraitement.

L’espoir nourri par l’industrie nucléaire d’un développement de surgénérateurs fait « disparaître » théoriquement ces déchets : le fait d’annoncer que l’on trouvera une solution ultérieurement semble suffire. Cette perspective n’est pourtant pas crédible au regard des avancées technologiques à moyen terme. Le plan ne devrait par conséquent pas s’appuyer sur cet élément.

J’aimerais souligner également la lenteur dans la mise en place des actions identifiées et l’absence de contrainte pesant sur les exploitants quant au déploiement de solutions efficaces et rapides pour un certain nombre de déchets. Cela concerne par exemple les boues de La Hague et de Marcoule, qui se trouvent au fond des piscines et ne font pour l’instant l’objet d’aucun traitement, en dépit d’avis de l’ASN et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) demandant que des mesures soient prises en ce sens. Toutes les solutions proposées par les exploitants ont été refusées, car elles ne sont pas jugées satisfaisantes. Pendant ce temps, la situation continue de s’aggraver.

Nous ne disposons pas non plus de solution pour les massifs de graphite qui restent présents dans les premiers réacteurs nucléaires qui devraient être démantelés.

L’une des dimensions à considérer est que les réacteurs font gagner de l’argent, ce qui justifie les investissements, tandis que les déchets ne relèvent que d’une démarche de protection et n’apportent aucun gain financier. Cela peut expliquer la différence de traitement.

Enfin, la loi Bataille prévoyait que trois voies de recherche soient poursuivies. Cela concernait l’enfouissement géologique (en cours avec le projet Cigéo), la transmutation (qui ne sera vraisemblablement pas la solution technologique mise en œuvre à court et moyen terme) et l’entreposage à sec. Cette dernière piste de recherche a été soutenue par les ONG, dont Greenpeace, mais aucune investigation probante n’a été effectuée sur le sujet.

De nombreux problèmes demeurent donc irrésolus, alors même que le PNGMDR existe depuis plus d’une quinzaine d’années.

Je conclurai en soulignant que les coûts associés ne sont pas étudiés dans le plan. Or ce point serait important pour les contribuables, qui vont être amenés à supporter les dépenses liées aux déchets nucléaires. Il faudrait connaître le montant de chacune des solutions envisagées, pour les exploitants et, par ricochet, pour les contribuables.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Merci beaucoup pour ces éléments d’information. Je précise que le PNGMDR est conçu pour traiter la question des déchets actuels et n’a pas vocation à envisager le futur.

J’ajoute que ce plan, que j’ai lu très attentivement, prévoit, en miroir de la procédure permettant de classer des matières en déchets, un dispositif inverse pour reclasser des déchets en matières. Ce point me paraît important.

Je passe la parole à Virginie Wasselin, qui dirige le service Stratégie filières et déchets de faible activité à vie longue de l’Andra. Je rappelle que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs n’est que le maître d’ouvrage des installations de stockage de déchets. En d’autres termes, elle ne définit pas la politique qu’elle applique, mais s’attache à mettre en œuvre, sur le plan opérationnel, les orientations retenues par les pouvoirs publics.

Le nouveau PNGMDR est très prescriptif par rapport aux plans précédents. Les agences suivront-elles ses indications ? Nous comptons sur vous pour apporter quelques éléments de réponse à cette question.

Mme Virginie Wasselin, cheffe du service Filières et déchets FAVL (faible activité à vie longue) à l’Andra. - Merci de me donner l’opportunité de présenter les travaux de l’Andra.

Je signale en préambule qu’est parue en décembre 2023 la nouvelle édition de l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs. Ce document public, qui procède d’une mission de service public de l’Andra, est important puisqu’il donne non seulement une photographie des volumes des matières et déchets radioactifs existants, mais également une estimation des quantités qui seront produites par les installations actuelles, selon différents scénarios d’évolution possibles en fonction de la politique énergétique française. À ce titre, un dossier thématique envisage notamment l’impact des projets de nouvelles installations nucléaires telles que les six EPR2 sur les volumes de déchets et matières qui devront être gérés dans le futur. Il faut savoir que le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs appuie ses recommandations sur les prévisions de cet inventaire national.

Le 5e PNGMDR, dont le décret a été publié fin 2022, couvre la période 2022-2026. L’Andra est, avec les producteurs de déchets, l’un des acteurs concernés par ce plan, qui dresse une feuille de route pour ses activités.

Cette édition prolonge les orientations prises lors des quatre plans précédents pour assurer la mise en place de filières de gestion sûres et durables pour l’ensemble des déchets radioactifs. Elle explore par ailleurs de nouveaux horizons, conformément aux attentes exprimées lors des phases de consultation du public ouvertes dans le cadre de la préparation de ce PNGMDR. Une place plus grande est ainsi accordée aux enjeux transverses. Un chapitre est notamment consacré aux enjeux sanitaires, environnementaux, économiques, éthiques, avec une recommandation, traduite dans l’arrêté, sur le coût des projets de gestion des déchets radioactifs.

L’accent est également mis sur la concertation, par la mise en œuvre de nouveaux processus dits « d’analyses multicritères multiacteurs », visant à mieux tenir compte de ces dimensions dans les études et à renforcer la participation des parties prenantes aux prises de décisions.

J’en viens à présent aux principales actions de l’Andra, réalisées et à venir, au titre de ce 5e PNGMDR.

Je vous propose tout d’abord d’effectuer un focus sur les déchets de très faible activité (TFA) qui représenteront, selon la dernière version de l’Inventaire national précédemment mentionnée, quelque 2,4 millions de m3. Étant donné l’importance des volumes à gérer, une diversification des options de gestion et des ajustements des capacités de stockage sont nécessaires. Des travaux ont donc été prescrits en ce sens.

Les déchets de très faible activité proviennent essentiellement du démantèlement des installations et se présentent par exemple sous forme de déchets inertes tels que des bétons, gravats, terres, mais aussi des déchets métalliques ou plastiques.

Suite aux recommandations du PNGMDR, l’Andra a déposé au printemps 2023 une demande d’autorisation visant à augmenter la capacité du centre de stockage existant, le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), qui est actuellement l’unique exutoire pour ce type de déchets. Si cette demande est acceptée, la capacité pourrait passer de 650 000 m3 à 950 000 m3, sans extension de la zone d’emprise actuelle du stockage. Ce projet dit Acaci (Augmentation de la capacité du Cires) a donné lieu à une concertation préalable volontaire, organisée par l’Agence en 2021 sur le territoire et dont le dossier est en cours d’instruction. Une enquête publique doit avoir lieu très certainement au cours du premier semestre 2024.

Notez que dans le cadre de la 5e édition du PNGMDR, l’Andra a poursuivi, avec les producteurs, la conduite d’études visant à réduire les volumes de déchets TFA, principalement produits par les opérations de démantèlement. Parmi les pistes étudiées figurent notamment la valorisation de certaines pièces métalliques grâce au technocentre développé par EDF, ainsi que le stockage sur ou à proximité des sites en démantèlement, afin de ne pas saturer la capacité du Cires et d’éviter des transports.

Un nouveau schéma industriel est par ailleurs demandé à l’Andra. Prévu pour la fin de l’année 2024, il se nourrira des différentes études que nous avons rendues en 2023, dont un rapport sur les options de gestion, qui a été soumis à une analyse multicritères multiacteurs dans le cadre d’un groupe de travail piloté par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), ainsi qu’un rapport élaboré avec les producteurs sur l’analyse d’un stockage près des sites. Nous avons également achevé d’élaborer la démarche de cadrage pour la recherche d’un deuxième site de stockage des déchets TFA, qui prendrait le relais du Cires à l’horizon 2040, si le projet Acaci est autorisé. Il apparaît en effet que même si toutes les actions de réduction envisagées étaient mises en place, un deuxième centre de stockage centralisé serait nécessaire.

Les déchets de faible activité à vie longue (FAVL) constituent une famille très hétérogène, qui comporte entre autres les déchets de graphite provenant du démantèlement des premières centrales nucléaires (c’est-à-dire des réacteurs UNGG uranium naturel graphite gaz), ainsi que des déchets radifères, issus essentiellement d’activités industrielles non électronucléaires liées notamment à l’extraction des terres rares.

L’objectif fixé dans le 5e PNGMDR est de stabiliser une stratégie de gestion des déchets FAVL. Plusieurs actions ont ainsi été prescrites afin de définir d’ici 2025 un scénario de gestion complet permettant d’appréhender la grande diversité de cette catégorie de déchets. Un travail a été réalisé en 2023 sur les options de gestion envisageables et le rapport correspondant transmis le 4 janvier 2024 à la DGEC. Au cours de cette année, ces options feront l’objet d’un groupe de travail multicritères multiacteurs, piloté par la DGEC. En 2024, nous remettrons également un rapport consacré aux enjeux de sûreté d’un stockage à faible profondeur d’une partie des déchets FAVL sur un territoire identifié depuis quelques années et situé dans la communauté de communes de Vendeuvre-Soulaines. Ce stockage est l’une des pièces du dispositif global de gestion des déchets FAVL qui sont, je le rappelle, de nature très variée. Nous devons présenter les enseignements des études menées depuis plusieurs années sur la faisabilité technique d’un tel stockage, son inventaire et ses enjeux de sûreté.

La dernière partie de mon exposé concerne les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, issus principalement du retraitement des combustibles usés. Ces déchets font l’objet du projet Cigéo, centre de stockage profond dont l’implantation se situera en Meuse-Haute Marne. Le 5e PNGMDR demande à l’Andra de poursuivre la préparation de ce projet, en conservant une logique de développement progressif et d’adaptabilité, tout en garantissant aux générations qui auront à mettre en œuvre le stockage la possibilité de réinterroger les choix effectués tout au long du projet.

Les actions de la 5e édition du PNGMDR visent aussi à encadrer les conditions de mise en œuvre de Cigéo. Pour ce faire, une recommandation adressée à l’Andra lui demande de proposer des objectifs et des critères de réussite de la phase industrielle pilote, mais aussi des modalités d’application de la réversibilité, tout en garantissant l’association de la société à cette réflexion, via une gouvernance appropriée.

La plupart de ces sujets ont fait l’objet de la part de l’Andra de propositions formulées dans le cadre du plan directeur d’exploitation de Cigéo, transmis en même temps que la demande d’autorisation de création (DAC), en janvier 2023. Je précise que ce document est public et disponible. Ces propositions seront précisées suite aux différentes instructions, lors du déploiement du plan, sur la base de concertations organisées par l’agence d’ici 2026. Il est également demandé à l’Andra d’effectuer une réévaluation du coût de Cigéo lors de la procédure en cours de demande d’autorisation de création.

Je souhaiterais signaler d’autres rapports et études remis en 2023, dont certains en lien avec la sortie de l’Inventaire national. Je pense par exemple aux documents relatifs à l’élaboration des scénarios prospectifs, mais aussi de cartes visant à mieux renseigner la disposition des entreposages et stockages des matières sur le territoire. Nous avons aussi rendu des études portant sur des déchets particuliers, parmi lesquels les déchets issus des accélérateurs de particules utilisés principalement dans le domaine médical, mais aussi des huiles et liquides organiques pour lesquels des filières spécifiques doivent encore être mises en œuvre.

Conformément aux préconisations du PNGMDR, l’Andra développe enfin, pour évaluer les filières de demain, des outils et méthodologies s’appuyant sur des évaluations environnementales globales ou la définition de nocivités pour comparer les déchets.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Merci, Mme Wasselin.

Je tiens à préciser que la volonté de traiter les déchets radioactifs existe dans notre pays depuis plus de trente ans, avec la loi Bataille de 1991. Mais la France ne se presse pas, contrairement à certains de nos voisins. Ainsi, les voitures produites en Allemagne contiennent depuis longtemps du métal provenant du recyclage des ferrailles issues du démantèlement des infrastructures nucléaires. Il faudrait que notre pays avance plus rapidement dans ses réflexions et mette en œuvre une politique cohérente dans ce domaine.

M. Bernard Laponche, président de Global Chance. - Je suis membre du groupe de travail de la DGEC sur le PNGMDR précédemment cité, auquel participent très peu de personnes extérieures à l’administration, à l’IRSN et aux opérateurs que sont EDF, Orano, le CEA et l’Andra.

Je souhaite revenir brièvement sur l’historique de l’élaboration de ce plan depuis 2006 et les divers retards qui ont été évoqués en début de table ronde. Il se trouve que le PNGMDR, qui est essentiellement un document de politique gouvernementale, a tout d’abord été élaboré par un groupe présidé par le président de l’ASN de l’époque, M. Lacoste. Le groupe constitué alors a travaillé pour produire un plan tous les trois ans. En 2018, le gouvernement a demandé qu’un débat public sur le PNGMDR soit organisé par la Commission nationale du débat public. Durant ce débat, le groupe a cessé de travailler, ce qui a créé un décalage d’environ deux ans dans la production du plan. Suite à cette consultation publique, il était prévu que le gouvernement indique ce qu’il comptait en tirer. Cela a donné lieu en février 2020, de façon assez étrange au regard du fonctionnement des institutions, à une décision commune de la ministre de l’écologie, Mme Élisabeth Borne, et du président de l’ASN. Cette prise de position conjointe du gouvernement et d’une autorité indépendante a défini l’ensemble de la politique sur les déchets pour les années suivantes.

Le groupe a ensuite repris ses travaux et il a été décidé que le PNGMDR couvrirait une durée de cinq ans pour coïncider avec la politique énergétique et que sa présidence serait assurée non plus par l’ASN mais par le gouvernement. Le 5e PNGMDR a donc été élaboré par ce groupe de travail, mais a dû recevoir l’aval du gouvernement, ce qui a pris plusieurs mois. Ainsi, faute de cette signature et contrairement aux termes de la loi, l’OPECST n’a pas reçu ce projet, ce qui a provoqué, à juste titre, un certain mécontentement en son sein.

Le principal problème du PNGMDR tient au fait qu’il s’inscrit dans une politique énergétique qui évoque essentiellement les réacteurs et n’aborde quasiment jamais les questions du combustible, des déchets et du démantèlement. J’observe par ailleurs que le coût n’est jamais mentionné dans le PNGMDR, ce qui est absolument anormal puisque ce critère contribuera forcément, in fine, à guider les choix.

M. Hendrik Davi, député, rapporteur. - Je suis chercheur dans le domaine des changements climatiques et souhaite vous faire part ici de mon regard de béotien sur la question du nucléaire et sur le PNGMDR, que j’ai lu attentivement.

Je trouve tout d’abord que ce document pâtit d’un manque de problématisation du sujet. Le document aborde assez rapidement les aspects techniques, si bien que le lecteur extérieur manque d’éléments sur les enjeux énergétiques et les principaux problèmes soulevés. La situation est d’autant plus bizarre qu’il s’agit d’un PNGMDR bâti à partir d’une loi énergétique obsolète.

Le contenu est passionnant. J’aurais toutefois apprécié de disposer de davantage d’informations sur les colis bitumineux qu’il est prévu de stocker dans Cigéo. La question est abordée, mais insuffisamment détaillée.

Les principales critiques que j’adresse au PNGMDR concernent ses angles morts. J’en ai relevé quatre, dont je trouverais important que nous discutions.

Il manque tout d’abord selon moi une synthèse de l’évolution actuelle et future des matières et déchets radioactifs. Lorsque j’ai formulé cette remarque précédemment, il m’a été répondu que ce document n’était pas le lieu approprié pour cela et que l’Andra élaborait un inventaire sur le sujet. J’en conviens, mais lorsqu’un scientifique comme moi lit un tel document, il cherche toujours à connaître l’évolution passée et future et ce que cela représente en tonnes. Il suffirait d’une ligne ou d’un tableau.

La deuxième lacune, plus importante encore à mon sens, concerne l’amont, c’est-à-dire la phase d’extraction de l’uranium. Des déchets sont désormais créés dans d’autres pays que le nôtre, mais cela relève néanmoins de notre responsabilité puisque nous utilisons l’énergie qui en découle. Il s’agit là d’un angle mort du PNGMDR.

J’ai par ailleurs découvert en travaillant ce dossier que le choix de retraitement fait à La Hague constituait une spécificité française, qui certes permet de créer de la matière radioactive pour une 4e génération de réacteurs, mais complexifie la gestion des déchets. Or ce point n’est pas traité dans le PNGMDR. La saturation de l’usine de La Hague n’est en outre pas suffisamment explicitée et il est difficile d’entrevoir une solution pour sortir de cette situation.

En matière de stockage, le projet Cigéo apparaît comme l’élément central. La loi prévoyait toutefois d’envisager la possibilité d’entreposer en surface. Des choix ont été faits, mais il est important que les citoyens puissent comparer les différentes options et comprendre les raisons de ces choix. Or ce PNGMDR ne comporte aucun élément de ce type. Cela fait le lien avec la table ronde suivante et la nécessité de transparence et d’information de la population.

Il manque enfin dans ce document une comparaison avec la situation des autres pays et les solutions qui y sont mises en œuvre. J’ai été étonné de cette absence de benchmarking. Nous savons par exemple que les États-Unis ou la Finlande ont effectué des choix différents des nôtres. Il serait donc intéressant de disposer d’éléments de comparaison.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Je précise que le rapport de l’OPECST produit avec Mme Cariou évoquait la situation à l’étranger.

M. Maxime Laisney, député. - Je me suis appuyé, pour préparer cette audition, sur le 17e rapport de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2). Ce document insiste sur le fait que si nous voulons poursuivre dans le nucléaire à échéance de la fin du siècle, il faudra, à un moment donné, effectuer un choix entre les filières du multirecyclage dans nos réacteurs actuels, les réacteurs à eau pressurisée (REP), et les réacteurs à neutrons rapides (RNR), une filière condamnant l’autre. Il me semble important de souligner ce point. Le rapport indique par ailleurs dans chaque chapitre et sur tous les sujets qu’il est essentiel, pour espérer obtenir des résultats satisfaisants, d’effectuer d’énormes efforts de recherche et développement.

Ma première question s’adresse à Mme Wasselin. L’EPR de Flamanville doit entrer en activité cette année. Or on sait d’ores et déjà que le couvercle est défectueux et qu’il faudra le remplacer après 18 mois de fonctionnement environ. Que va-t-on faire de cet objet de plusieurs tonnes, qui aura été irradié ? Dans quelle catégorie entre-t-il ?

Mme Wasselin a par ailleurs évoqué dans son intervention la « valorisation » des déchets de très faible activité à Fessenheim ou au technocentre, afin de produire de l’acier pour l’industrie conventionnelle. Or M. Chareyron a mentionné l’impact sanitaire et environnemental de la radioactivité, y compris à faible dose. Que pensez-vous de la possibilité de se retrouver demain avec des boîtes de conserve issues de morceaux de réacteurs ?

J’aimerais enfin avoir l’avis de M. Laponche sur Cigéo, notamment en ce qui concerne la récupérabilité et la réversibilité du projet. À titre personnel, je n’y crois pas beaucoup. Partagez-vous cet avis ?

Mme Virginie Wasselin. - Concernant le couvercle de cuve de l’EPR de Flamanville, je puis vous dire qu’il fait actuellement l’objet d’échanges entre l’Andra et EDF. L’instruction du dossier, en cours, permettra de voir dans quelle filière entrerait cet élément. Il est vraisemblable qu’il entre dans la catégorie des déchets de très faible activité. Si l’installation technocentre venait à être mise en place, la question se posera le jour venu soit d’un stockage, soit d’une valorisation de ce couvercle.

M. Bruno Chareyron. - Pour ce qui est de la valorisation de certains déchets de type TFA, en particulier les métaux, la CRIIRAD s’est toujours battue pour que l’on ne puisse pas effectuer le type d’opération que vous mentionnez. Nous nous étions mobilisés voici plusieurs années dans le cadre d’une campagne intitulée « Pas de radioactivité dans nos casseroles », qui avait abouti à ce que le législateur interdise le recyclage de déchets, même faiblement radioactifs, dans le domaine public, sauf dérogation très particulière.

De notre point de vue, la situation qui se met en place actuellement constitue un retour en arrière et revient à ouvrir la boîte de Pandore. L’idée est de fondre les métaux contaminés et de séparer la partie du bain qui concentrera la radioactivité d’une autre partie moins chargée. Dans un monde parfait, la démarche serait satisfaisante ; mais en réalité cela constitue pour nous un vrai sujet d’inquiétude, compte tenu des observations que nous effectuons lorsque nous réalisons des contrôles indépendants d’activités industrielles.

Il n’existe pas, en matière d’exposition à la radioactivité, de seuil d’innocuité : toute dose augmente les risques. Il est donc toujours préférable de ne pas ajouter de radioactivité, même très faible, dans le domaine public. Il ne faut pas banaliser la démarche, car une fois ces matières libérées, il n’y a plus aucun contrôle ni retour en arrière possible. Ces perspectives sont donc pour nous source d’inquiétude.

M. Bernard Laponche. - La loi impose la réversibilité et la récupérabilité à Cigéo.

La réversibilité renvoie à la possibilité pour les générations futures de considérer, bien que le stockage ait déjà été mis en œuvre, soit que la solution choisie n’était finalement pas très bonne, soit que les alternatives issues des travaux de recherche lui sont préférables. Cela impliquerait donc de stopper le processus et de revenir en arrière.

Cette situation va se produire en Allemagne, à Asse, où des quantités importantes de déchets avaient été entreposées dans des galeries en profondeur, soi-disant de façon fiable, protégée et pour l’éternité. Or la survenue d’un accident va conduire à les récupérer.

Si elle n’est pas accidentelle et fait suite à une décision politique, cette récupération est possible pendant la durée de construction et d’exploitation, à condition que les galeries et alvéoles soient toujours accessibles. Elle prend alors à peu près le même temps que le chargement. En revanche, une fois les galeries bouchées et le site comblé, la récupération des déchets ne sera plus envisageable.

Un autre problème est celui de la récupérabilité des colis, nécessaire à la réversibilité. Il s’agit de la possibilité de récupérer un déchet qui s’avèrerait par exemple défaillant. Cela peut être le cas pour des déchets vitrifiés présentant un problème de pyrolyse. Cette manœuvre est envisageable si l’incident est mineur et que l’on prend le temps nécessaire pour l’effectuer. En revanche, en cas de situation plus aiguë, comme la survenue d’un incendie sur un déchet éloigné dans une alvéole, il devient extrêmement difficile de le récupérer. Le dossier de l’Andra fait état d’études qui indiquent que cela serait faisable dans certains cas, sous de multiples conditions. Il s’agit d’un problème crucial. Imaginez qu’une exploitation dure 150 ans : il est très difficile de penser qu’aucune situation accidentelle ou incidentelle ne se produira durant la période considérée.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Je tiens à signaler qu’il est indiqué très clairement à ce propos à la page 66 du PNGMDR que tout colis entreposé à 500 mètres de profondeur n’en ressortira jamais, sauf si une loi est votée en ce sens.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. - Je souhaite tout d’abord revenir sur la question des retards des politiques publiques, mise en lumière à l’occasion de la publication de ce 5e PNGMDR. Il est incroyable qu’un exécutif soit engagé formellement sur la production et la validation d’un plan et ne remplisse pas cette mission, que le gouvernement retarde sciemment la publication d’un rapport que la loi exige. Cette situation est, pour nous parlementaires, frustrante et froissante. Elle témoigne d’un non-respect du Parlement. Nous sommes nous-mêmes soumis à diverses obligations, que nous essayons d’honorer. Je vois dans cette situation un dysfonctionnement de notre démocratie. La programmation pluriannuelle de l’énergie a elle aussi d’ores et déjà plus d’un an de retard. Or nous savons tous combien ces éléments conditionnent des choix nationaux et locaux sur la production d’énergies renouvelables ou l’installation de nouveaux réacteurs.

À l’échelle des 25 dernières années, les politiques publiques ont jeté l’opprobre sur le nucléaire. Or on s’étonne aujourd’hui que les décisions relatives au démantèlement des installations, à l’enfouissement et à la gestion des déchets ou au choix des réacteurs n’aient pas été prises et que les travaux de recherche et développement sur les réacteurs à neutrons rapides n’aient pas été menés ou aient été stoppés pour des considérations qui au mieux m’échappent, au pire ne me satisfont pas. Les déchets sont extrêmement liés au choix des réacteurs. Or nous entendons un plaidoyer en faveur du choix des réacteurs à neutrons rapides, qui a pourtant été écarté. Les rapports de la CNE2 ont raison de pointer que ces réacteurs seraient la solution en 2024 si la décision avait été prise longtemps en amont, lorsque la France était leader en la matière et possédait les moyens de mettre en place une série de réacteurs à neutrons rapides. Je suis persuadé que si cela avait été fait, nous n’aurions pas ces discussions 25 ou 30 ans plus tard.

L’électrification de notre société est également un choix de politique publique, une orientation nationale, voire internationale, qui requiert l’utilisation de terres rares – j’ai entendu qu’elle produit des déchets radifères. Ces terres rares sont présentes dans nos smartphones, les éoliennes, etc. Je pense que cet aspect, qui constitue pour l’instant un angle mort du rapport, pourrait y être mis en relief.

Les comparaisons avec les autres pays sont intéressantes. Les États-Unis ont par exemple une approche des questions de stockage et de gestion des déchets radioactifs très différente de la nôtre : l’enfouissement n’y est pas un problème, dans la mesure où ils disposent de grands espaces désertiques éloignés de toute habitation.

Je m’interroge enfin sur les mesures de radioactivité. Vous avez parlé, M. Chareyron, de « mesures officielles », ce qui laisse entendre qu’il en existerait d’autres. Cela m’interroge. Le fait qu’une structure comme Orano puisse être accusée de ne pas produire des mesures vérifiables, certifiées, correspondant à la réalité des faits, pose un réel problème, en termes non seulement de déontologie, mais aussi de santé publique. Avez-vous engagé des poursuites contre Orano après avoir effectué vos propres mesures ? Vos instruments de mesure bénéficient-ils, comme ceux utilisés par les organes officiels, d’une certification ?

M. Daniel Salmon, sénateur. - Je souhaite revenir sur la question de la radioactivité liée aux terres rares utilisées dans les éoliennes, pour signaler qu’il ne s’agit pas de déchets de haute activité. J’ajoute que 90 % des éoliennes ne comportent pas de terres rares et qu’il est tout à fait possible de s’en passer. Seules les éoliennes offshore sont concernées.

J’aimerais obtenir des précisions sur les piscines de La Hague, qui arrivent aujourd’hui à saturation avec les déchets existants et où l’on a procédé à une densification afin de pouvoir entreposer de nouveaux colis, ce qui a engendré quelques problèmes de refroidissement. Cela soulève une question d’acceptabilité dans la presqu’île du Cotentin, très nucléarisée, et qui s’est jusqu’alors accommodée de cette mono-industrie, mais où de vrais questionnements émergent aujourd’hui.

Je souhaiterais enfin quelques informations sur les rejets liquides de cette usine, qui sont souvent passés sous l’éteignoir.

M. Bruno Chareyron. - La question de la métrologie n’est en général pas le sujet central. Le laboratoire de la CRIIRAD est agréé par l’Autorité de sûreté nucléaire et toutes les comparaisons que nous avons pu effectuer avec les mesures faites par Cogema, Areva ou Orano ne faisaient pas apparaître de différentiel : les analyses d’échantillons prélevés au même endroit donnaient la plupart du temps les mêmes résultats.

La question concerne plutôt la méthodologie de contrôle. Lorsqu’il s’agit par exemple d’évaluer le niveau de radioactivité autour d’une mine d’uranium, en un point fixe, précis, si ce point n’est pas représentatif de la radioactivité réelle, qui prévaut 200 mètres plus loin, alors la mesure effectuée sera juste, mais ne reflètera pas la réalité.

Le deuxième élément de questionnement réside dans l’interprétation et la communication des résultats. En 2003, 2004 et 2005, au Niger, nous avons montré que les eaux distribuées à la population par les compagnies minières sous-traitantes de Cogema et Areva ne respectaient pas les normes de l’Organisation mondiale de la santé. À l’époque, l’industriel avait contesté ces mesures et accusé à tort la CRIIRAD d’être un organisme antinucléaire et dépourvu de sérieux. Or il faut savoir que des journalistes avaient révélé dans le même temps que l’entreprise disposait en interne de ses propres mesures, qui arrivaient exactement aux mêmes conclusions que nous.

Les éléments de questionnement concernent donc essentiellement les méthodologies mises en œuvre et la communication des résultats.

Mme Pauline Boyer. - Le processus d’arrêt du réacteur à neutrons rapides Superphénix est très intéressant à étudier. En 1976, le projet a été bloqué en raison des coûts. Je rappelle au passage que l’OPECST est né suite aux manifestations organisées contre Superphénix. Des consultations de physiciens avaient alors été initiées à Grenoble et il avait été acté un trop grand nombre de divergences pour engager la population dans cette voie. Marcel Boiteux avait déclaré la chose suivante : « Les centrales dites à neutrons rapides resteront, en raison des coûts, dans le domaine des prototypes, alors qu’on envisageait une filière industrielle ». Une décision opérationnelle visant à lancer un contre-projet autour du MOX a alors été prise. Quelques incidents ont eu lieu en 1990 et 1996 sur Superphénix, qui a finalement été requalifié en laboratoire de connaissances et d’expériences. Le projet a donc été stoppé, à l’issue d’un processus extrêmement démocratique. On ne peut donc attribuer à une décision hâtive le non développement des réacteurs à neutrons rapides, qui représentaient des coûts très importants et dont la technologie n’était pas aboutie. Croire aujourd’hui que cette technologie va nous sauver est une fuite en avant.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. - Je ne partage pas ce point de vue et maintient qu’il s’agit d’une filière d’avenir. J’en veux pour preuve la prévision d’un doublement de la production d’électricité d’origine nucléaire dans le monde à un horizon très proche et l’orientation des pays nucléarisés vers les RNR. Il s’agit d’une réalité.

Mme Pauline Boyer. - Pour l’instant, on observe l’inverse au niveau mondial.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Permettez-moi de vous rapporter un propos que je tiens de M. Bernard Bigot, qui nous a hélas quitté récemment. Il considérait que l’erreur à propos de Superphénix avait été de passer directement du laboratoire à l’échelle industrielle, sans aucune phase intermédiaire. En effet, certains phénomènes constatés sur un projet au dixième ou à taille réelle ne sont pas détectables au vingtième ou au centième. Il est donc très important de ne pas brûler les étapes. Cette fermeture a été mal réalisée car il s’agissait d’une démarche politique et non industrielle.

M. Bernard Laponche. - Je suis étonné par les propos que vous rapportez. En effet, plusieurs étapes ont précédé Superphénix, parmi lesquelles le prototype de faible puissance Rapsodie et le réacteur Phénix de 250 mégawatts. Il ne s’agissait pas d’expériences de laboratoire.

La question qui se posait alors concernait la poursuite du projet. L’étape suivante, un réacteur de 600 mégawatts, aurait été raisonnable. Mais on apprend dans l’ouvrage rédigé par M. Vendryes, père du surgénérateur, que l’impératif était alors de « battre le Japon ». Le choix a donc été fait d’un réacteur de 1 200 mégawatts. Cela a constitué une erreur majeure et les difficultés se sont enchaînées.

En réalité, personne n’a arrêté Superphénix ; l’installation était stoppée et la question soulevée alors était de savoir qui allait la redémarrer. Personne ne souhaitant prendre ce risque, il a finalement été décidé de mettre fin au projet.

Concernant la récupérabilité, il est exact qu’un paragraphe du PNGMDR insiste sur la nécessité d’une loi ; mais cela ne figure dans aucune décision politique. Le plan n’ayant pas de valeur prescriptive, ce paragraphe n’a aucun sens, d’autant qu’il est écrit dans les lignes qui précèdent qu’« une démonstration de la capacité de Cigéo à assurer la récupérabilité des colis devra être apportée dans le dossier de DAC » et que « l’Andra devra démontrer que les colis resteront récupérables dans les conditions fixées par la loi pendant toute la durée d’exploitation du stockage, jusqu’à la décision de fermeture définitive ».

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Ce PNGMDR doit être validé par le gouvernement, qui peut tout à fait mettre l’accent sur la nécessité d’une loi.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. - Je vous remercie pour ces échanges et vous propose de passer à la seconde table ronde.

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LE STOCKAGE DES DÉCHETS NUCLÉAIRES : QUELLE COUVERTURE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX ET AU-DELÀ ?

M. Hendrik Davi, député, rapporteur. - Le débat que nous venons d’avoir souligne la difficulté à informer sur les questions relatives aux déchets nucléaires. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité organiser cette seconde table ronde consacrée à la communication sur ces sujets à l’ère d’internet et des réseaux sociaux.

À l’heure de la crise écologique, la question énergétique est par ailleurs centrale et se retrouve au cœur de nombreux débats de société.

La première table ronde a mis en lumière certains enjeux liés à la gestion des déchets nucléaires, parmi lesquels les problématiques relatives au retraitement des combustibles nucléaires, qui conduit à multiplier les formes de déchets sans pour autant résoudre la question des déchets en bout de chaîne. Un autre point central concerne la longévité et la difficulté d’assurer un stockage pour 1 000 ou 10 000 ans.

Ces questions, parfois très techniques et complexes, sont également potentiellement anxiogènes pour le public, à tort ou à raison.

Cette seconde table ronde va nous permettre d’aborder le sujet crucial de la perception des déchets nucléaires dans l’opinion publique à l’ère des réseaux sociaux.

Nous entendrons tout d’abord Éric Vidalenc, membre du comité Éthique et société de l’Andra et expert des sujets de prospective et d’énergie. Nous espérons, en vous écoutant, voir s’esquisser le cadre de la discussion à mener sur la manière de gouverner la transition écologique, et notamment de trouver le bon équilibre entre démocratie et autoritarisme.

Nous accueillerons ensuite Ludovic Torbey, co-fondateur avec Stéphane Lambert de la chaîne YouTube Osons causer. Ce canal d’information et de vulgarisation scientifique compte déjà près de 400 000 abonnés.

Nous entendrons enfin une intervention de Bernard Laponche, fondateur et président de Global Chance, expert reconnu en politique de l’énergie.

L’acceptabilité du nucléaire me semble être l’un des talons d’Achille de cette énergie. La question des déchets apparaît dans ce contexte comme l’un des sujets les plus préoccupants. Comment envisagez-vous le travail sur l’information sur les déchets, afin que cela permette de renouer un dialogue sain et transparent entre les citoyens et les promoteurs de cette énergie ?

M. Éric Vidalenc, membre du comité Éthique et société de l’Andra, expert des sujets de prospective et d’énergie. - Merci pour votre invitation.

Le traitement de ces éléments dans l’espace médiatique et sur les réseaux sociaux est à mon sens très binaire et caricatural. Le vrai sujet est de savoir comment dépasser ces postures, qui oscillent entre, d’une part, l’idée qu’il n’existe pas de solution et que l’on ne sait que faire de nos déchets nucléaires, d’autre part, le discours selon lequel tout est réglé, grâce aux filières et au plan de gestion.

Qu’il s’agisse des combustibles usés, dont le statut peut varier selon les pays et les périodes, des déchets de très faible activité, pour lesquels la question de l’augmentation des capacités est posée, des déchets de faible activité à vie longue, pour lesquels le plan prévoit de stabiliser une stratégie, ou de haute activité à vie longue, pour lesquels le projet Cigéo est aujourd’hui un laboratoire (la phase industrielle pilote est devant nous et les premiers déchets seront stockés en 2080), il convient de s’éloigner des deux postures précédemment évoquées.

Or ces deux visions sont très prégnantes dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ainsi, une émission Complément d’enquête s’intitulait récemment « Déchets nucléaires : nos poubelles débordent ». De quels déchets s’agit-il ? Le reportage évoquait à la fois les essais nucléaires dans le Pacifique, les combustibles usés, Cigéo. Dans ce contexte, il me semble très difficile pour les spectateurs de se faire une idée des problèmes, de leur temporalité et des ordres de grandeur physiques et financiers en jeu.

Il existe également de nombreux exemples de désinformation, mal information ou mensonges (j’ignore comment les qualifier, faute de connaître les intentions sous-jacentes) sur les réseaux sociaux. Je pense par exemple à une association comme Les voix du nucléaire, qui indique que « les déchets nucléaires sont ceux qui posent le moins d’inquiétude aux autorités sanitaires et environnementales (source Ademe) » : or l’Ademe ne travaille pas sur la question des déchets nucléaires et un tel message laisse penser, à tort, que tous les problèmes sont réglés.

De même, le fait de produire de petits cubes de déchets placés sur le Vieux Port ou Place Bellecour, ou de réaliser une vidéo, comme Le Monde a pu le faire, représentant une montagne de déchets d’une hauteur équivalente à celle de la tour Montparnasse constitue une mauvaise manière d’informer sur la caractéristique des déchets concernés. Si la situation était aussi simple que ces mises en scène tendent à l’indiquer, nous ne nous poserions pas toutes les questions difficiles qui animent les différents intervenants réunis ce matin. Ces contenus occultent totalement les dimensions spatiale et temporelle liées à ces déchets. Le traitement de ces questions dans les médias et les réseaux sociaux n’est donc selon moi pas satisfaisant.

Pourquoi est-il important de prendre ces questions au sérieux, à une période où l’on parle de relance du nucléaire ? Le projet Cigéo était censé clore à terme la question pour les déchets de haute activité à vie longue : il était en effet prévu que les colis soient entreposés en profondeur à partir de 2080 (soit un peu plus tard que le délai initialement envisagé, afin de laisser les déchets refroidir en surface avant de les stocker), puis que le site soit fermé à l’horizon 2150. Durant cette période, les questions de récupérabilité et de réversibilité se poseront. Ensuite, le projet sera clos et la question réglée. Si on lance six EPR, comme l’indique la mise à jour publiée par l’Andra mi-décembre 2023, le projet Cigéo pourrait a priori être concerné par les déchets HAVL qui en découleraient. Cela représenterait au maximum 20 % de déchets supplémentaires par rapport aux prévisions initiales. Si le nombre de nouveaux réacteurs était finalement de 14, faudra-t-il simplement ajouter des galeries ? Faudra-t-il envisager un autre Cigéo ? Il importe également de considérer que, dans cette nouvelle configuration, la temporalité va se déplacer : le sujet ne sera pas clos en 2150, puisque les nouveaux déchets produits seront encore trop chauds pour être stockés. Il conviendra donc d’allonger le délai au-delà de 2200.

Il me semble essentiel, dans ce contexte, d’avoir sur le sujet un débat plus nuancé et éclairé que les discours binaires qui prévalent souvent. Dans cette optique, je souhaiterais vous proposer une piste de réflexion issue notamment du groupe de travail que j’ai présidé à La fabrique écologique sur le thème « gouverner la transition ». Nos travaux, conduits en 2020 après la crise des Gilets jaunes, la création du Haut conseil pour le climat et la convention citoyenne pour le climat, étaient alors essentiellement centrés sur les problématiques climatiques, mais renvoient plus largement à la question de la complexité des enjeux écologiques. Le groupe de travail a considéré que ces innovations démocratiques étaient intéressantes à plusieurs égards. Le Haut conseil pour le climat est ainsi un endroit où des scientifiques établissent une passerelle entre la production des chercheurs, des laboratoires, et les décideurs politiques. Cette instance rend des avis sur la politique climatique, son adéquation avec les objectifs fixés, l’état de la connaissance, les controverses, les incertitudes. Il est extrêmement précieux de disposer d’un tel espace, au sein duquel les questions sur le climat sont objectivées. Ceci permet d’accroître la qualité de l’information et de disposer d’éléments robustes, fiables, que l’on peut vulgariser tout en délivrant un contenu pertinent. Je précise que ce Haut conseil ne prend pas de décision : il est le trait d’union entre la production académique, scientifique, et le décideur.

La manière dont les décisions sont prises aujourd’hui, par voie parlementaire, est-elle suffisante ? La convention citoyenne nous semblait prometteuse pour disposer d’une meilleure représentativité de la population sur la question des déchets.

Ces deux innovations démocratiques nous avaient paru intéressantes pour faire monter en qualité le niveau d’information mis à disposition du public et, ensuite, décider ensemble. Ces questions sont extrêmement complexes et ne sauraient être réglées en une demi-heure. Dans le cadre de la convention pour le climat par exemple, il n’était pas demandé aux citoyens tirés au sort de se prononcer par « oui » ou par « non » après avoir lu deux documents. Des experts, des scientifiques, sont venus leur présenter les enjeux, l’état de la connaissance, les controverses et les incertitudes entourant le sujet. Sur cette base, les participants ont délibéré, échangé et formulé des propositions. Le déroulement de ce processus est très intéressant et n’a selon moi pas été suffisamment médiatisé. On aurait pu imaginer que cela donne lieu à des émissions grand public, à une couverture médiatique beaucoup plus large qui aurait permis d’élever le débat et d’offrir à l’ensemble de la société la possibilité d’une montée en compétence sur la question.

Le sujet des déchets nucléaires est sans doute plus délicat à aborder, dans la mesure où l’on ignore où l’on veut aller, alors qu’en matière de climat, l’objectif visé, issu de l’Accord de Paris de 2015, est la neutralité carbone à l’horizon 2050, à laquelle l’ensemble de la communauté internationale s’est engagée et qui a été transcrit en France dans la loi Énergie climat de 2019.

Il existe néanmoins des choses intéressantes à en dire. L’enjeu premier est selon moi d’accepter la complexité du sujet, qui englobe la question des impacts environnementaux, économiques et sociaux. Cela suppose d’accepter de prendre le temps et de trouver des modalités permettant de débattre de ces éléments plus sereinement. Il n’est selon moi pas possible de se reposer pour cela sur les réseaux sociaux : bien que ces derniers soient parfois perçus, à l’ère de la libéralisation de l’information, comme un nouvel Eldorado, il existe en effet des questionnements importants autour de l’élaboration et du fonctionnement des algorithmes qui s’y rattachent. Il importe plutôt, me semble-t-il, d’imaginer des institutions, des espaces de discussion plus efficaces pour traiter ces questions difficiles.

M. Hendrik Davi, député, rapporteur. - Je ne peux qu’aller dans votre sens. J’ai pu, en tant que chercheur travaillant sur ces questions, suivre les travaux du GIEC : il était très important que des scientifiques puissent, à l’échelle internationale, dresser régulièrement un panorama de l’état de l’art. Il me semblerait intéressant de transposer cette démarche à de nombreux autres sujets. Je pense qu’il est beaucoup plus enrichissant d’entendre des experts qui, collectivement, travaillent sur une thématique donnée plutôt que des individus qui font part de leurs points de vue.

Concernant les conventions citoyennes, vous prêchez également un converti, puisque j’ai fait une proposition de loi constitutionnelle sur cette question, afin de cadrer ces dispositifs pour qu’ils soient bien utilisés.

J’ai pu voir, en tant que scientifique, qu’il était extrêmement difficile de partager le savoir scientifique, dans un monde communicationnel où l’important est de faire le buzz et où il est très difficile, y compris sur des sujets comme le changement climatique, de faire passer la nuance, la complexité. Comment faire mieux et éviter deux travers, à savoir d’une part la volonté de faire du bruit autour d’un sujet afin d’attirer une audience importante, d’autre part le fait d’adopter un discours trop militant ? Dans un contexte où coexistent des pro et des anti-nucléaires, comment faire, lorsque l’on est youtubeur, pour essayer de garder la tête froide et de développer un point de vue tout en donnant l’information la plus complète possible ? M. Torbey, vous avez la parole.

M. Ludovic Torbey, co-fondateur de la chaîne YouTube Osons causer. - Merci de nous donner l’occasion de nous exprimer. Je suis co-fondateur d’Osons causer, chaîne internet qui s’est fait connaître surtout en 2016-2017, en proposant de petites vidéos qui expliquaient l’actualité politique comme si l’on s’adressait à un ami. Ces capsules ont connu un grand succès sur les réseaux sociaux, avec un total de plus de 100 millions de vues et près de 1,5 million d’abonnés sur l’ensemble de nos plateformes.

À partir de 2019, nous avons décidé de creuser un autre sillon et de compléter ces formats, ancrés dans le buzz et la guerre de l’opinion et présentant des points de vue éditoriaux, par des vidéos d’information publiées sur notre site Osons comprendre. Ce site propose plus de 100 vidéos dont le but est de rendre accessible aux citoyens et citoyennes l’état des savoirs sur des sujets très variés tels que la dette publique, l’impact des voitures électriques sur le climat, les conditions de travail des enseignants, le système de retraite, le covid ou encore le fonctionnement de notre sûreté nucléaire.

Les vidéos que nous avons produites sur la question de la transition énergétique ont donné lieu à la parution d’un livre intitulé Osons comprendre l’avenir de l’énergie, publié en 2023 chez Flammarion. La qualité scientifique de cet ouvrage a été saluée par de nombreux experts du domaine, tandis que les lecteurs ont apprécié sa dimension didactique.

Traiter avec rigueur et sérieux des sujets aussi variés a nécessité de la part de mon collègue Stéphane Lambert et de moi-même un important travail d’objectivité. Ayant grandi dans un milieu plutôt écologiste de gauche, nous sommes sensibles à ces valeurs. Mais la volonté de mettre des faits scientifiques à disposition de nos concitoyens nous a conduits à mettre de côté nos préjugés et nos options politiques personnelles. Cette honnêteté intellectuelle, dont nous veillons à faire preuve pour chacun des sujets que nous abordons, a parfois heurté notre public, mais nous a permis d’être écoutés par des gens de toutes sensibilités politiques.

Ayant l’honneur d’être auditionnés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, nous souhaitons partager avec vous notre expérience de passeurs de connaissances sur l’avenir des matières et déchets radioactifs. J’espère que notre regard vous permettra de comprendre comment deux personnes certes bien formées (nous avons tous deux suivi des études en classes préparatoires au lycée Henri IV puis à l’École normale supérieure), mais n’ayant pas des compétences d’ingénieur en nucléaire, ont pu se saisir de ce sujet complexe et le traduire en vidéo.

Avant de vous faire part de mon avis sur la qualité de l’information et la manière dont nos concitoyens peuvent s’en saisir, je souhaite vous donner brièvement les points saillants que nous avons choisis de partager en vidéo avec notre public sur la gestion des déchets nucléaires. Cela vous permettra d’appréhender la manière dont nous avons travaillé pour vulgariser cette question.

Nous avons tout d’abord montré que la proportion de déchets radioactifs dangereux (c’est-à-dire plus dangereux que des déchets industriels dangereux, ce qui correspond aux déchets de haute ou moyenne activité à vie longue) ne représentait que 3 % du volume des déchets. Nous trouvons pour notre part utiles les représentations sous forme de cubes installées sur le Vieux Port, car elles permettent de se figurer le volume concerné et la place qu’il sera nécessaire de trouver pour les entreposer.

Il nous a par ailleurs semblé important de souligner que, contrairement à la grande majorité des polluants classiques, la dangerosité des déchets radioactifs, autrement dit leur radiotoxicité, décroît avec le temps. Les produits de fission provenant des réacteurs nucléaires descendent ainsi au niveau de radioactivité d’un minerai d’uranium naturel que l’on peut manipuler à main nue au bout de 100 ans. Pour les actinides mineurs, il faudra patienter 10 000 ans, mais « seulement » 30 siècles pour que leur radiotoxicité soit deux fois celle de l’uranium naturel. Il n’y a « que » le plutonium qui soit vraiment dangereux pour des centaines de milliers d’années. Il n’en demeure pas moins qu’à l’échelle des sociétés humaines, 10 000 ans ou même 300 ans apparaissent comme des durées colossales. Il est donc indispensable de gérer minutieusement l’avenir de ces déchets nucléaires, pour s’assurer qu’ils ne contaminent ni les humains, ni l’environnement dans le futur.

Nous avons en outre insisté sur le fait que le problème des déchets nucléaires existera quels que soient nos choix de politique énergétique : que l’on décide d’arrêter immédiatement le nucléaire ou de généraliser les réacteurs à neutrons rapides dans un futur incertain, nous aurons des déchets nucléaires à gérer, même si les quantités et proportions des différents composants varient au fil du temps. Cette gestion engage la responsabilité du pays pour les millénaires suivants.

Selon nous, le débat public, en particulier tel qu’il est alimenté par les prises de position des responsables politiques ou les communications et les campagnes d’information de plusieurs associations, n’insiste pas suffisamment sur cet aspect inéluctable de notre responsabilité à gérer les déchets nucléaires. Sortir du nucléaire ne suffirait pas à faire disparaître ce problème.

Nous mettons pour notre part l’accent sur le fait que la France doit régler cette question des déchets aujourd’hui : il s’agit d’un enjeu de justice intertemporelle. En effet, nous bénéficions aujourd’hui de l’électricité nucléaire, abondante, bon marché, décarbonée. Léguer la gestion des déchets aux générations suivantes fait courir le risque qu’elles n’aient pas accès à cette énergie et soient soumises à des difficultés de maintenance beaucoup plus compliquées.

Les solutions pour gérer les déchets nucléaires à long terme ne sont pas légion : stockage géologique profond, entreposage en surface ou subsurface et transmutation. Selon nous, la seule option permettant cette gestion pour des milliers d’années est le stockage géologique profond. Lorsque des déchets nucléaires sont stockés dans une épaisse couche de roche à 500 mètres sous terre, la roche fait office de barrière de confinement. Une fois que les colis sont entreposés et les galeries scellées, la roche protège l’humanité et l’environnement de la radioactivité de manière totalement passive, sans qu’aucune maintenance ne soit requise de la part des générations futures. Ce n’est pas le cas de l’entreposage en surface ou subsurface, qui demande une vigilance constante au cours du temps et revient de notre point de vue à léguer aux générations futures le problème des déchets nucléaires produits par les générations qui ont bénéficié de l’électronucléaire. La transmutation, qui consiste à réduire la radioactivité des déchets grâce à des réacteurs nucléaires de quatrième génération, est une solution envisageable, qui souffre toutefois de deux défauts. Le premier est qu’elle ne sera éventuellement disponible que dans un horizon temporel lointain. Le second, qui n’est pas suffisamment souligné, est que les colis déjà vitrifiés, qui représentent un volume de déchets considérable, ne seront jamais transmutés. Quand bien même on parviendrait à développer une technique de transmutation permettant de gérer nos déchets nucléaires dans le futur, cela ne règlerait pas la question des colis de haute activité à vie longue dont nous disposons déjà aujourd’hui, qui ne seraient pas éligibles à cette modalité.

Tous ces arguments nous ont conduits à montrer dans notre vidéo que le choix du stockage géologique profond nous paraissait la solution la plus indiquée et la plus juste au regard de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. C’est tout l’objet du projet Cigéo à Bure et la tâche des différents PNGMDR et de la représentation nationale que d’organiser cela.

Nous avons lu les dossiers de sûreté de l’Andra, ainsi que les avis de l’IRSN sur Cigéo. Ce n’est assurément pas une littérature facile à aborder. Nous avons trouvé que le choix de l’argile de Bure était judicieux : cette roche convient bien car elle est de nature à contenir les radionucléides et l’eau n’y circule quasiment pas. Nous avons calculé à partir des données disponibles qu’il faudrait 77 500 ans pour que l’eau parcoure 1 mètre dans cette argile. Si l’eau ne circule pas, il y a peu de risque que de l’érosion se produise et que des radionucléides s’échappent. Dans leurs documents, l’Andra et l’IRSN estiment que seuls les scénarios d’« intrusion humaine extérieure » représenteraient un danger pour les générations futures. Une fois les colis scellés au fond des galeries, il faudrait, dans le pire des scénarios, qu’une personne parvienne à percer le pire des colis, au pire des moments de la dégradation de sa radioactivité, pour causer une exposition des humains à une dose de 55 millisieverts par an. Il s’agit certes d’une dose importante, mais elle serait inférieure à celle que reçoivent annuellement les habitants de la station balnéaire iranienne de Ramsar.

Grâce à la qualité de la couche d’argile à Bure, le danger du stockage géologique profond à Cigéo se concentre essentiellement durant la phase d’exploitation. Une fois les galeries scellées, même le scénario présenté comme le pire ne semble pas si dangereux que cela. En revanche, déplacer, descendre et entreposer au moins 250 000 colis extrêmement radioactifs sera une entreprise périlleuse. Ce chantier, prévu pour durer plus d’un siècle, sera d’autant plus long que la France décidera de prolonger son recours à l’industrie nucléaire. Il risque par ailleurs de se compliquer si, pour une raison ou une autre, l’on était amené à y ensevelir aussi le plutonium, qui est beaucoup plus dangereux beaucoup plus longtemps.

Voilà pourquoi nous considérons, en conclusion de nos recherches, d’une part que le pari du stockage géologique profond à Cigéo est pertinent, d’autre part que la phase d’exploitation constitue un défi technique et sociétal colossal qu’il importe d’anticiper pour le mener à bien.

Si l’on trouve une meilleure solution dans les décennies à venir, il sera possible de la mettre en œuvre, dans la mesure où le projet Cigéo est réversible.

Je tiens à préciser que glaner les informations nécessaires à la réalisation de ce document d’information a été un travail de longue haleine. Il est en effet très difficile de réunir les éléments et de les organiser pour proposer une vision cohérente. Les unités physiques et les termes techniques utilisés dans chacun des rapports donnent le tournis. Je ne suis pas sûr que même les membres les plus assidus de l’Office naviguent facilement entre becquerels, millisieverts, débit molaire à l’exutoire, colis CSDV (colis standard de déchets vitrifiés) et autres mots et expressions dont sont truffés ces rapports.

Au-delà de la technicité de ces éléments, une autre difficulté tient au fait qu’ils ne sont que très rarement mis en perspective pour dessiner une vision globale cohérente. Je pense qu’un public très motivé mettrait longtemps à se forger un avis d’ensemble à partir des sources disponibles sur internet. Certaines fiches disponibles sur le site de l’IRSN sont très bien construites. Des réponses extrêmement claires sont en outre apportées dans les débats publics. Des ressources précieuses sont disponibles en ligne. Tout cela est louable. Mais nous n’avons jamais retrouvé les quelques cas de médiation scientifique bien pensés compilés sur un seul et même site de manière simple. Il faut savoir utiliser les moteurs de recherche, avec les bons mots clés, pour avoir une chance d’accéder à ces données. La mise en cohérence de la problématique est très difficile, y compris pour un public intéressé.

Je tiens à mentionner ici le cauchemar absolu de nos recherches, à savoir le site de l’ASN. Les avis de l’Autorité de sûreté nucléaire accomplissent la double prouesse d’être totalement abscons et absolument introuvables. L’idée n’est pas de jeter la pierre à cette institution : la question de l’accessibilité de l’information aux citoyens est un problème récurrent dans de nombreux domaines. Il est de la même manière très difficile de décrypter un projet de loi de finances ou un texte législatif réformant les retraites. Cela demande des ressources très importantes et nous avons le sentiment que la formation universitaire sur ces sujets, même précise, ne suffit pas toujours. Autrement dit, il est probable qu’une personne titulaire d’un master d’affaires publiques et ayant fait l’ENA éprouvera à terme des difficultés à appréhender une loi de financement de la sécurité sociale. De même, un ingénieur formé aux questions nucléaires ou spécialisé dans les différents aspects de la transition énergétique ne comprendra pas tout à ces sujets au bout de quelques années seulement. Les connaissances deviennent rapidement obsolètes tant ces champs évoluent vite.

Les formations initiales apprennent aux étudiants à apprendre. Notre parcours en philosophie nous en apporte l’illustration : nous y avons appris la matière proprement dite, mais aussi à apprendre et à transmettre. Mais nous pensons qu’il serait nécessaire que les citoyens puissent bénéficier de formations intellectuelles continues. Quelques associations, institutions, enseignants, chercheurs, journalistes et vulgarisateurs tentent de remplir cette fonction, mais leurs moyens sont très limités. Cela nous conduit à nous demander s’il ne serait pas opportun d’envisager de faire de cette formation intellectuelle continue des citoyens une mission de service public. Ce rôle social de passeur, de vulgarisateur, existe à peine ; il serait pourtant nécessaire dans un temps où les fake news et la complexité des informations font que les citoyens éprouvent des difficultés à se repérer, se situer et se forger un avis.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Vous n’avez que très peu évoqué la question du temps, qui me semble importante sur des sujets comme celui-ci. Certains déchets nucléaires ont en effet une vie très longue et il n’est pas question pour l’instant d’enfouir le plutonium, par exemple. Or il est difficile pour nos concitoyens de se figurer ce que représentent 100 000 ans ou même 300 ans. J’avais eu l’occasion de m’entretenir avec un paléontologue membre de la CNE et lui avais suggéré de venir dans nos départements de la Meuse et de la Haute-Marne pour aborder cette question. Il m’avait répondu, d’une part, qu’il n’en avait pas le temps, d’autre part, qu’il était très probable qu’il n’y ait plus d’humains sur Terre dans 100 000 ans. Très peu de personnes au monde maîtrisent véritablement cette échelle du temps.

M. Hendrik Davi, sénateur, rapporteur. - Il est très intéressant de constater que la question de l’information ramène au fond et que des philosophes nous interpellent sur ces aspects essentiels.

Je demande à présent à Bernard Laponche s’il pense que l’on traite suffisamment de la question des déchets nucléaires, d’un point de vue médiatique et politique. On parle en effet beaucoup, me semble-t-il, de politique énergétique, de choix d’énergie, mais assez peu des déchets et des matières radioactives.

M. Bernard Laponche. - Je ne veux pas discuter sur le fond : ce n’est pas le sujet posé. Je suis en revanche intéressé par la question suivante : sur ces sujets difficiles, techniques, comment donner à nos concitoyens les connaissances de base nécessaires à une bonne compréhension des enjeux ?

Le terme « communication », arrivé dans la sphère publique dans les années 1980, me dérange. Je lui préfère celui, très différent, d’ « information ». La communication est devenue une manière de vendre quelque chose, au niveau politique, commercial, etc. Sur un sujet comme celui des déchets nucléaires, quelle information donner, dont on soit sûr qu’elle soit correcte ? En effet, les données disponibles sont souvent fournies par le promoteur d’un projet. Je ne prétends évidemment pas que les personnels d’EDF, de l’Andra, d’Orano ou du CEA soient fondamentalement malhonnêtes : ils sont simplement vendeurs de quelque chose. Il est évident que lorsque l’on souhaite promouvoir un projet, on met en priorité l’accent sur les aspects et perspectives positifs, non sur les incertitudes ou les risques.

Comment procéder ? Je souhaite m’appuyer sur un exemple historique qui me paraît assez illustratif de la question. Lorsque la France a lancé le programme Messmer, personne n’était au courant de quoi que ce soit. On avait alors utilisé les arguments habituels relatifs au risque d’augmentation exponentielle du prix de l’électricité, à la possibilité d’exporter des réacteurs, etc. J’étais alors membre du syndicat CFDT du CEA. Nous nous sommes aperçus qu’aucun de nous, qui travaillions pourtant dans le secteur du nucléaire, ne connaissait quoi que ce soit à la question des déchets radioactifs. Nous avons donc décider de rédiger des cahiers pour informer nos adhérents. Ces documents ont été fort appréciés et largement diffusés, si bien que Le Seuil a publié en 1974 L’électronucléaire en France. André Giraud, grand patron du CEA, avait alors adressé au secrétaire général du syndicat le message suivant : « Monsieur le secrétaire général, J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 21 août qui accompagnait l’envoi de deux plaquettes sur l’électronucléaire en France. Je tiens à vous dire que j’ai particulièrement apprécié l’un de ces documents intitulé Le dossier technique centrales et combustibles nucléaires. Vous m’avez souvent entendu souhaiter l’amélioration de l’information du personnel, celle-ci permettant d’éliminer les discussions qui porteraient sur de faux problèmes. Je sais par expérience que cette tâche est difficile. Ce second rapport, si je mets à part quelques expressions de l’introduction que je ne fais pas miennes, est extrêmement bien documenté, très intéressant à lire. Il constitue une présentation remarquablement claire du problème ».

Je trouve cet exemple très parlant. En effet, la question de l’information repose selon moi sur la reconnaissance, de la part de personnes ayant des positions opposées, de la qualité d’une production. Or la qualité de cet ouvrage a été reconnue par l’ensemble du CEA.

En d’autres termes, il faut que l’information donnée soit jugée par l’adversaire. Les actions de communication propagandiste comme celle que nous avons entendue précédemment n’ont aucune valeur, car elles se contentent de défendre des positions, agrémentées de commentaires plus ou moins sérieux, mais ne bénéficient pas d’une forme de reconnaissance de la qualité des éléments donnés par les parties adverses.

L’information est liée à l’organisation du débat public et au passage à la décision. Plusieurs conventions citoyennes ont ainsi déjà été réunies sur la question des déchets, en particulier au début des années 2000 où avait été introduite la notion de phase pilote. Je soutiens tout à fait ce type d’initiative. En revanche, les débats télévisés et autres réseaux sociaux me semblent plus contestables. J’ai participé à de nombreux débats dans ma vie, organisés notamment par la CNDP, et j’en ai particulièrement réussi deux. Le premier mettait face à face une personne favorable au programme Messmer et un opposant (moi). Nous nous connaissions et nous faisions mutuellement confiance. Le débat s’est déroulé en deux parties : une première partie lors de laquelle nous avons expliqué ce qu’était un réacteur et en quoi consistait le plan Messmer et une deuxième consacrée à l’exposé de nos opinions sur ces sujets. Il appartenait ensuite au public de se forger son propre avis, sur la base d’une information contradictoire et de la présentation des différentes positions en présence.

Le second débat, organisé voici une dizaine d’années, concernait l’EPR et m’opposait à Bertrand Barré, auteur de nombreux ouvrages (qui font sourire aujourd’hui) sur les performances de ce réacteur. Nous avions procédé de même, avec une présentation à deux voix de l’EPR et du programme prévu en France à ce sujet, suivie d’un débat lors duquel j’ai expliqué pourquoi j’étais opposé à l’EPR et lui les raisons pour lesquelles il y était favorable.

Il me semble important, en résumé, de procéder par des échanges contradictoires, acceptés par chacune des parties en présence.

M. Hendrik Davi, député, rapporteur. - Je suis d’accord avec l’idée selon laquelle des débats contradictoires sont nécessaires pour éclairer les enjeux. Lors de la période covid notamment, de très nombreuses discussions de ce type ont été organisées. Or je vois au moins une difficulté dans cette injonction. Il est en effet impératif selon moi que les deux intervenants soient relativement représentatifs des communautés scientifiques concernées. Dans le cas contraire, on risque de se retrouver dans la situation, que nous avons rencontrée avec les vaccins, où le discours d’une personne ne faisant absolument pas consensus au sein de la communauté scientifique a le même poids sur un plateau télévision que les arguments d’un expert représentatif des spécialistes de la question.

M. Bernard Laponche. - J’ai déjà répondu à cette question en soulignant que les débats devaient mettre en présence des intervenants qui se respectent et dont chacun reconnaît la valeur des éléments scientifiques apportés par son contradicteur, même s’il n’en partage pas les conclusions. La clé est là.

M. Maxime Laisney, député. - Merci pour ces interventions. Je partage moi aussi les positions exprimées par M. Vidalenc sur le Haut conseil pour le climat, dont je lis régulièrement les avis et qui me semble être un modèle en la matière, et sur la convention citoyenne sur le climat. Je pense que le processus global a été très bien conçu, avec notamment l’apport d’éléments extérieurs par des experts de la question. Or j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des citoyens membres de cette convention, qui m’ont raconté qu’ils ont refusé d’entendre les experts en premier, car ils souhaitaient au préalable faire le point sur ce qu’ils savaient, ce qu’ils croyaient savoir, ce qu’ils voulaient apprendre, avant de faire appel aux spécialistes. Tous les sujets n’ont pu être discutés et il y a finalement eu un filtre.

Cela fait écho au débat organisé dernièrement par la Commission nationale du débat public sur le projet Penly. Il a été demandé à la CNDP de mettre en œuvre dix débats permettant de balayer la quasi-totalité des sujets liés au programme de relance du nucléaire et à la construction de deux nouveaux EPR à Penly. Or un conseil de politique nucléaire est prévu le 3 février et prendra des décisions sans attendre l’issue du débat. Ceci soulève la question de l’articulation entre l’information des citoyens afin qu’ils se forgent un avis, leur consultation et la prise de décision politique. Il est important d’adopter cette chronologie.

Le nucléaire me semble en outre présenter la particularité de l’invisibilité de la radioactivité. Une dose de 55 millisieverts ne se voit pas, même si elle est supérieure au plafond de 1 millisievert par an. S’ajoute à cela le fait que l’on manipule des unités de mesure très différentes et peu usuelles, qu’il convient de s’approprier. Par extension, le nucléaire organise une forme d’invisibilité de son activité. Comme le racontait M. Laponche à l’instant, même les personnes travaillant au CEA ignoraient l’amont et l’aval et réciproquement.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. - Depuis les années 1970, la situation a beaucoup évolué en termes de communication, d’information et d’éloquence. Si nous avons été bluffés par l’exposé de M. Torbey, c’est non seulement parce qu’il maîtrise son sujet, mais aussi parce qu’il a la capacité à faire passer des messages. Or nous constatons souvent que les gens ne sont pas intéressés par des sujets techniques, complexes et pratiquent le zapping de façon bien plus importante aujourd’hui que dans les années 1970, où il n’y avait que deux chaînes de télévision et où internet et les téléphones portables n’existaient pas. Cette accélération du temps et de la vie fait que les gens prennent facilement pour argent comptant la première vidéo ou le premier article sur lequel ils tombent, sans chercher à approfondir la question.

Cette difficulté ressurgit sur notre travail de parlementaires, dont je rappelle qu’il ne consiste pas à être spécialistes de tous les sujets. Nous ne sommes pas des experts de ces questions, mais sommes en revanche habilités à entendre des spécialistes et à nous forger un avis sur la base de leurs interventions. C’est la raison pour laquelle nous organisons, dans le cadre de l’élaboration de rapports ou du vote de lois, des auditions qui doivent nous apporter divers éclairages nous permettant par la suite de nous forger notre propre opinion.

L’une de mes interrogations porte sur la constitution de la convention citoyenne. Pour être très franc, je n’apprécie pas beaucoup cette modalité de débat. Toutes les études d’opinion s’effectuent sur la base de quotas. Or les tirages au sort servant à désigner les participants à une convention citoyenne ne répondent pas aux règles d’échantillonnage utilisées et reconnues en statistiques. Le groupe des citoyens ainsi constitué n’est donc pas représentatif de la population.

Le deuxième élément insatisfaisant dans ce processus relève de la faute politique : indiquer que l’on va prendre pour argent comptant le résultat des réflexions de la convention citoyenne revient à nier le régime parlementaire dans lequel nous sommes censés évoluer. A priori, il n’appartient pas au président de la République, et encore moins à une convention citoyenne, de décider quoi que ce soit. Nos institutions ne prévoient pas cela. Ceci me choque. Je suis favorable à l’ouverture et à la concertation. J’ai été élu maire voici une dizaine d’années et vois comment les choses progressent en matière de consultation des citoyens sur le terrain, sur tous les sujets. Néanmoins, ces dispositifs ne valent pas décision automatique. Procéder différemment constitue selon moi une grave entorse au processus démocratique dans notre pays.

M. Hendrik Davi, député, rapporteur. - Je suis totalement d’accord. Nous menons actuellement un travail sur une proposition de loi constitutionnelle relative aux conventions citoyennes. Il semble évident que les résultats issus de telles conventions doivent ensuite être soumis au Parlement, de façon automatique. Il ne faut pas confondre consultation et décision, cette dernière incombant au Parlement. Il en va de même pour les rapports scientifiques, qui ne sont là que pour éclairer la décision du Parlement : il faut veiller à ne pas devenir une république d’experts. Je préfère par conséquent le mot de « consultation » à celui de « concertation » et le terme d’« information » à celui de « communication ».

Cela me conduit à une question que je souhaite adresser à l’Andra. Un service public n’a en principe rien à vendre et doit simplement informer. Il en va ainsi pour l’Andra, qui remplit une mission de service public, mais pas pour les énergéticiens, qui sont en concurrence les uns avec les autres et fournissent des données à la croisée de l’information et de la communication. Comment appréhendez-vous cette situation ?

Mme Virginie Wasselin. - Il a été dit précédemment que le sujet des déchets nucléaires était peu débattu, peu médiatisé. Ayant travaillé auparavant à l’IRSN, je suis le PNGMDR depuis 2007 et j’ai pu observer d’importantes évolutions dans ce domaine. Une ouverture a par exemple eu lieu en direction d’élus nationaux et territoriaux. De nombreux débats publics ont par ailleurs été organisés, dont un premier en 2013 sur Cigéo (qui n’a finalement pas pu avoir lieu), suivi d’une conférence de citoyens lors de laquelle il était intéressant de voir combien les participants s’étaient approprié le sujet, pourtant très technique. Nous avions constaté que ces personnes étaient par la suite restées très attentives aux différentes initiatives conduites sur la question, dont le « dialogue HA-MAVL » de l’IRSN. Lors des différents débats et consultations en ligne par exemple, ce sont ainsi souvent les mêmes noms qui reviennent. Cela montre que si les citoyens éclairés continuent à s’intéresser et à approfondir les sujets, il est très difficile d’aller chercher de nouveaux publics. Je vois là un réel enjeu.

L’Andra a effectivement une mission de service public et rien à vendre : nous développons des installations de stockage, dépolluons des sites, récoltons des objets radioactifs chez des particuliers, etc. Il est vrai que, parfois, certaines communications nous alertent. Récemment, nous avons par exemple eu des échanges avec les porteurs de projets de SMR (small modular reactor), afin de leur expliquer la gestion des déchets et la différence entre matière et déchet. En effet, certains messages émanant d’eux ne nous avaient pas semblé très clairs sur le sujet.

Je tiens à signaler que le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire (HCTISN) organise des concertations.

Ce sujet est donc très débattu, mais ne semble pas intéresser beaucoup le grand public. Il existe là, me semble-t-il, une importante marge de progression et un défi à relever.

M. Éric Vidalenc. - La question de l’invisibilité concerne selon moi notre dispositif énergétique au sens large. Globalement, nous organisons depuis des décennies l’invisibilité de nos systèmes techniques, en enterrant les câbles, les réseaux, en important toutes nos énergies primaires fossiles (pétrole, gaz, charbon) et notre uranium. En réalité, la matérialité de notre mode de vie ne se voit pas. Le nucléaire s’inscrit dans cette logique et ne constitue pas vraiment une exception. Il est plutôt le symbole d’une démarche générale.

Or la transition énergétique et écologique conduit souvent aujourd’hui à rendre visible l’invisible, en installant dans nos paysages des milliers d’éoliennes, de panneaux solaires, d’unités de méthanisation. La question de l’invisibilité doit selon moi être prise très au sérieux si l’on veut traiter concrètement la transition écologique et plus particulièrement les déchets nucléaires. Pourquoi ne suis-je pas d’accord avec la représentation consistant à installer de petits cubes sur le Vieux Port ? Je trouve que les notions de réversibilité et de récupérabilité y sont totalement occultées, alors qu’elles sont centrales dans le projet Cigéo. Comment représenter, dans cette installation, les choix proposés par l’Andra pour mettre en place cette réversibilité et cette récupérabilité ?

Je ne considère pas la convention citoyenne comme l’alpha et l’oméga de la démocratie demain. Je pense toutefois que certaines questions se posent aujourd’hui à la représentation nationale. Prenons l’exemple des catégories socioprofessionnelles : quelle est la part d’ouvriers et d’employés sur les bancs du Parlement ? Elle est ridicule par rapport à la part qu’ils occupent dans la société. Imaginez un débat sur la taxe carbone : les CSP plutôt aisées, qui ne sont pas prisonnières de la voiture au quotidien, penseront qu’il s’agit plutôt d’une bonne manière de mettre en place le principe pollueur – payeur. Mais si l’on entre dans le quotidien de personnes aux revenus plus modestes, qui sont de surcroît plus dépendantes de certains modes de déplacement, alors on envisage différemment la situation. Accorder une place à une représentation différente de la société me semble important et peut être le fait d’une convention citoyenne. Cela doit selon moi s’inscrire clairement dans les institutions et les processus décisionnels. Le fait de se prêter à ce genre d’exercice devrait même peut-être devenir obligatoire pour les citoyens tirés au sort, comme cela est déjà le cas pour les jurés de cour d’assises, qui sont indemnisés pour le temps consacré à cette tâche.

M. Daniel Salmon, sénateur. - La dimension temporelle est essentielle dans le domaine du nucléaire. Je crois par conséquent que le débat ne doit pas se nouer exclusivement entre experts techniques, mais inclure aussi des historiens, des philosophes, des spécialistes en géopolitique. Nous vivons en effet dans un monde incertain. Jamais l’humanité n’a connu la paix pendant des centaines d’années successives et il est important d’appréhender les risques de conflit, en Europe, voire en France. Ces questionnements doivent nous conduire à nous extraire de la seule technicité.

Je partage en outre l’idée selon laquelle toutes les paroles ne se valent pas. Si l’information, la communication et les débats ne doivent pas être réservés aux seuls experts, il n’est pas non plus possible de se limiter à des discussions de comptoir comme celles auxquelles on assiste parfois dans certains médias. Le système médiatique conduit à un appauvrissement dramatique de la réflexion, ce qui pose vraiment question sur des sujets comme le nucléaire. Il faudrait réussir à vulgariser sans caricaturer. J’ignore toutefois comment y parvenir, dans un contexte où des médias sont confisqués par des milliardaires et ne donnent que 30 secondes pour exprimer une opinion. Je ne vois pas comment réussir à créer un vrai creuset de réflexion dans la population. Il faut reconnecter le citoyen, soumis à de très nombreux flux, à l’essence de la vie et lui permettre de ne pas être réduit au rôle de simple consommateur, éloigné de son environnement. Ces enjeux sont cruciaux et vont au-delà de la question des déchets nucléaires.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée. - Je vous remercie pour ces deux tables rondes passionnantes. Je suis députée de Polynésie et souhaite mettre l’accent sur l’existence de déchets nucléaires militaires enfouis dans le territoire que je représente. L’information est, dans ce contexte, un mot essentiel. En effet, des essais nucléaires ont eu lieu en Polynésie pendant une trentaine d’années. Le choix de ce territoire a été fait après la guerre d’indépendance en Algérie, qui a rendu impossible la réalisation d’essais nucléaires dans le désert du Sahara. J’ai organisé fin octobre 2023 la projection à l’Assemblée nationale d’un film intitulé Les oubliés de l’atome. Il n’est pas rare aujourd’hui encore que des collègues ou leurs collaborateurs m’abordent dans les couloirs de l’Assemblée pour m’indiquer qu’ils ignoraient jusqu’alors cette réalité. J’ignore quelle proportion de Français savent que si la France est aujourd’hui une puissance nucléaire, c’est parce que des endroits et des populations ont été condamnés, sacrifiés pour réaliser des essais. J’ajoute que je prépare une proposition de loi visant à améliorer la loi Morin pour ce qui concerne la reconnaissance et le traitement des déchets nucléaires en Polynésie, dont une quantité importante de plutonium.

Mme Virginie Wasselin. - Je tiens à préciser que les déchets provenant des installations militaires sont pris en compte dans l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs de l’Andra. Un dossier thématique est même consacré spécifiquement aux stockages de la Défense en Polynésie française.

Mme Pauline Boyer. - Je ne reviens pas sur le fond de l’exposé relatif à Cigéo, mais pense que le travail que présentent messieurs Torbey et Lambert dans leurs vidéos de vulgarisation n’est pas objectif, contrairement à ce qu’ils prétendent. Affirmer par exemple qu’il est possible de manipuler des produits de fission à mains nues au bout de cent ans est une énorme erreur. Je pense qu’il existe, dans cette démarche d’information et de communication, certaines postures auxquelles il faudrait remédier. Peut-être serait-il par exemple intéressant, comme le suggérait Bernard Laponche, d’inviter dans vos vidéos des personnes qui ne partagent pas vos opinions politiques, mais valident pourtant les faits présentés. L’écueil est le même sur les plateaux de télévision, où les opinions s’affrontent sans que les faits énoncés ne soient jamais corrigés. Comment les gens peuvent-ils se forger une opinion sur la base de faits qui ne sont pas vérifiés ?

M. Stéphane Lambert, co-fondateur de la chaîne YouTube Osons causer. - Notre méthode consiste tout d’abord à rechercher et consulter les données scientifiques les plus récentes. Dans le cas d’institutions ayant certes une expertise mais aussi parfois des projets à vendre et portant à ce titre une parole à la croisée de l’information et de la communication, nous avons coutume de nous tourner également vers la société civile, vers les opposants, afin d’appréhender les éventuels angles morts qui auraient pu nous échapper. Sur le sujet des déchets nucléaires, nous avons par exemple échangé longuement avec M. Laponche, M. Thuillier, M. Marignac. À partir de tous ces éclairages, nous effectuons un effort d’objectivité pour transmettre à notre audience les informations les plus fiables et les plus complètes possibles. Même si nous faisons de notre mieux pour tout vérifier, il serait toutefois très présomptueux de prétendre que nos vidéos ne contiennent aucune erreur. Il nous arrive régulièrement de corriger en commentaire sous nos vidéos certaines inexactitudes qui nous sont signalées. L’important pour nous réside dans l’effort préalable d’objectivité, que l’on ne retrouve malheureusement pas toujours dans les productions des ONG, dont celle que vous représentez.

M. Bernard Laponche. - Il est très bien de souligner que vous avez discuté avec des opposants au projet Cigéo, dont moi-même. Pour autant, les propos que vous tenez dans votre vidéo sont, point par point, un exact résumé des informations favorables au projet que l’on trouve sur internet. Vous avez le droit d’avoir une opinion, mais ne la transformez pas en un soi-disant exposé de la réalité des faits. Si vous aviez été vraiment objectifs, vous auriez par exemple précisé que l’on se situe actuellement dans la période d’instruction de la demande d’autorisation de création de Cigéo par l’IRSN et l’ASN et que rien ne nous prouve qu’elle va aboutir. Je pense que dans une émission comme celle que vous prétendez faire, il conviendrait de présenter non seulement la vision de l’Andra, favorable à Cigéo, mais aussi les éléments importants de critique, ce que vous n’avez absolument pas fait.

M. Hendrik Davi, député, rapporteur. - En conclusion de ces échanges, je trouve que nous sommes bien là au cœur des missions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont le travail vise à donner à nos collègues sénateurs et députés des éléments d’information afin qu’ils puissent se forger leur propre opinion sur différents sujets.

J’ai le sentiment que les deux tables rondes ont abordé de nombreux aspects relatifs à la gestion des matières et déchets radioactifs, tant sur le fond du rapport que sur la question de l’information.

Je retiens essentiellement de la première que le PNGMDR est satisfaisant, utile et témoigne d’une progression en matière d’information. Les points critiques concernent surtout les angles morts de ce plan et le manque de documents synthétiques sur certaines dimensions du sujet.

La table ronde sur l’information était certainement la plus nouvelle par rapport à nos précédents débats. Je tiens à mettre l’accent, après vous avoir entendus, sur la différence entre information et communication et l’importance de discussions contradictoires. J’insiste également sur les notions d’invisibilité et de visibilité, qui me semblent assez spécifiques à la société française : cette dernière s’est en effet désindustrialisée et vit au quotidien avec des appareils technologiques tout en faisant comme si les problématiques qui s’y rattachent n’existaient pas. Je me souviens ainsi de débats à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sur la question de l’impact de nos recherches et le fait que les scientifiques ne mettaient pas suffisamment ces éléments en lumière. Or il suffit de regarder l’agriculture ou les télécommunications d’aujourd’hui pour constater que les recherches conduites voici une cinquantaine d’années ont bien produit des effets. Il existe une forme de vision déréalisée, qui donne le sentiment que l’on vit dans un monde non matériel.

Il me semble enfin extrêmement important d’insister sur la nécessité d’un regard interdisciplinaire sur ces questions. Je suggèrerais par exemple volontiers, pour les prochaines auditions, d’inclure le secteur de la formation. Je suis un fervent défenseur non seulement de la formation de qualité dispensée dans les universités publiques, mais aussi du service public en général et notamment du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Il me paraît nécessaire de mettre l’accent sur la formation à la fois du public et des jeunes qui se destinent à ces domaines, mais aussi sur la recherche. Je pense en effet que nous avons peut-être évacué un peu rapidement la question de la transmutation et des recherches futures menées dans ce secteur.

Je vous remercie.

 

La réunion est close à 12 h 10.

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 25 janvier 2024 à 9 heures

Députés

Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Philippe Bolo, M. Hendrik Davi, M. Maxime Laisney, Mme Mereana Reid Arbelot

Excusés. - M. Pierre Henriet, M. Gérard Leseul

Sénateurs

Présents. - Mme Martine Berthet, M. Patrick Chaize, Mme Corinne Narassiguin, M. Stéphane Piednoir, M. Daniel Salmon, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Arnaud Bazin, Mme Alexandra Borchio Fontimp

 

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