Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’indécence du logement social dans les départements et régions d’outre-mer (n° 2456) (Mme Karine Lebon, rapporteure). 2
– Informations relatives à la commission..................13
Mercredi 22 mai 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 68
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Stéphane Travert,
Président
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La commission a examiné la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’indécence du logement social dans les départements et régions d’outre-mer (n° 2456) (Mme Karine Lebon, rapporteure).
M. le président Stéphane Travert. La proposition de résolution de Mme Karine Lebon et de plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’indécence du logement social dans les départements et région d’outre-mer est inscrite à l’ordre du jour de la niche du groupe GDR le jeudi 30 mai prochain, sans faire l’objet d’un droit de tirage par ce groupe. De ce fait, notre commission doit se prononcer non seulement sur sa recevabilité juridique, mais aussi sur son opportunité politique.
Mme Karine Lebon, rapporteure. L’examen de la présente proposition de résolution est très attendu des habitants de nos territoires ultramarins. Je veux porter avec honneur la voix des dizaines de milliers d’Ultramarins frappés de plein fouet par la crise du logement, particulièrement du logement social.
Nous devons nous prononcer sur la création d’une commission d’enquête visant à déterminer les responsabilités des différents acteurs dans la crise du logement social que les outre-mer traversent depuis de nombreuses années. Cette proposition fait l’objet d’une demande forte de nos concitoyens, mais également des différentes parties prenantes à la politique du logement social.
La création d’une commission d’enquête devant être soumise à plusieurs règles, voici les informations qui m’ont été transmises par les services de l’Assemblée nationale sur la recevabilité de cette proposition. Selon l’article 137 du règlement de l’Assemblée, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». En l’occurrence, les faits sur lesquels la commission d’enquête devra enquêter semblent définis avec une précision très largement suffisante : selon l’article unique de la proposition de résolution, la commission serait notamment chargée d’enquêter sur le phénomène de non-décence du logement social neuf et réhabilité dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) régis par l’article 73 de la Constitution.
Pour approfondir ce sujet majeur, je propose, en vous invitant à voter mes amendements CE2 et CE3, d’élargir le champ de la commission d’enquête à la recherche des causes du déficit de construction et de livraison de logements sociaux dans les territoires ultramarins concernés. En effet, il me paraît crucial de parvenir à identifier l’origine des défaillances constatées au sein de la chaîne de production et de livraison du logement social afin de mieux les résorber.
Dans ces conditions, l’objet des investigations de la commission d’enquête serait déterminé avec une précision suffisante et sans ambiguïté, rendant la proposition de résolution conforme à l’article 137 précité.
Par ailleurs, par un courrier reçu en date du 21 mai 2024, le Garde des sceaux a fait savoir qu’à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n’était actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.
La proposition de résolution paraît donc satisfaire les différents critères de recevabilité juridique prévus par le Règlement de notre assemblée.
Pourquoi lancer une telle commission d’enquête ?
L’un des plus pressants des défis auxquels les Français d’outre-mer sont confrontés est sans aucun doute celui du logement. La situation actuelle apparaît en effet alarmante et mérite notre attention la plus vive ; nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les réalités du terrain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que plus de 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social et près de 70 % au logement très social, seuls 15 % d’entre eux résident effectivement dans le parc social. Ce taux extrêmement faible dissimule d’importantes disparités entre les différents territoires dits d’outre-mer. Plus de 10 000 demandes de logement social sont en attente en Guadeloupe, plus de 12 000 en Guyane et près de 44 000 à La Réunion. Ces retards chroniques dans la livraison des logements sociaux sont inacceptables et appellent des mesures fortes et immédiates.
Le projet de loi pour développer l’offre de logements abordables, qui vise à inclure la construction de logements intermédiaires dans les objectifs de production de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), soulève des interrogations légitimes. Compte tenu du niveau de vie des populations ultramarines, leurs besoins se concentrent principalement sur le logement social, voire très social. Inclure les logements intermédiaires dans les objectifs de production pourrait ainsi freiner la construction et la réhabilitation des logements sociaux, alors même que ces territoires souffrent déjà de retards conséquents dans leur livraison.
De plus, bien que l’annonce d’une livraison de 150 000 logements en dix ans puisse sembler ambitieuse, les crédits alloués à la ligne budgétaire unique (LBU) n’ont pas évolué proportionnellement pour permettre la réalisation de cette politique.
En outre, une fois livrés, les logements sociaux s’avèrent souvent inabordables pour les Ultramarins. Le niveau de vie de ces derniers est en effet structurellement inférieur à celui des populations vivant dans l’Hexagone, comme l’a montré le rapport de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Au 1er janvier 2022, le prix de location mensuel d’un logement social par mètre carré de surface habitable y était en moyenne supérieur au coût de 6,05 euros observé dans l’Hexagone et atteignait même 8,76 euros à Mayotte. Seule exception notable : la Martinique, où les loyers restent inférieurs, mais où le taux de pauvreté n’a rien de comparable.
Ainsi, le droit au logement, bien que juridiquement garanti, reste lacunaire en pratique, alors que l’accession sociale à la propriété suscite de fortes attentes au sein des territoires ultramarins.
Les Drom se caractérisent par un double phénomène de prévalence de l’habitat insalubre – près de 147 500 logements sont concernés sur un total de près de 900 000, soit 16 % – et de développement de l’habitat illégal et spontané, en particulier en Guyane et à Mayotte.
La problématique de la non-décence des logements concerne à la fois l’insalubrité du bâti et sa dangerosité. Cette situation est humainement intolérable : nombre d’Ultramarins ne trouvent plus de solutions d’hébergement durable et sont contraints de vivre dans la rue ou de s’accommoder d’une qualité de vie médiocre et dangereuse pour leur santé mentale et physique.
Ce phénomène est également observé, bien souvent, à l’issue d’opérations de réhabilitation. L’âge moyen du parc social ultramarin s’établit à 19 ans, contre 39 ans dans l’Hexagone, mais les logements sociaux construits dans ces territoires nécessitent des réfections d’ampleur car ils sont plus rapidement touchés par l’obsolescence. Il est incompréhensible pour les habitants que leurs logements neufs se dégradent plus vite que certains logements anciens.
Cette commission d’enquête sera l’occasion d’analyser les données statistiques relatives à la non-décence du logement social, fréquemment sous-évaluée, de déterminer les causes des défaillances dans la chaîne de livraison des logements sociaux en outre-mer, et enfin de s’enquérir de l’existence de malfaçons, qui met en lumière le manque de contrôle a priori et a posteriori des constructions de logements sociaux.
En effet, alors qu’à La Réunion près de 45 % du financement des programmes de logements sociaux relève de subventions, contre 28 % dans l’Hexagone, les contrôles opérés par les services de l’État de la qualité des matériaux utilisés et des lots livrés une fois l’agrément accordé apparaissent lacunaires, sinon inexistants. Il est dès lors fréquent que des arrêtés de péril soient pris sur des logements neufs, obligeant parfois à décider la destruction de bâtiments nouvellement livrés en raison du risque imminent qu’ils représentent pour la sécurité des occupants. Or, en tant que contributeur principal, l’État se doit d’assurer pleinement le contrôle du respect des normes de construction ; le manque d’effectifs ne peut légitimer constamment cet état de fait.
La commission d’enquête s’emploiera donc à apprécier de manière objective, globale, détaillée et pragmatique l’ensemble des causes qui contribuent, directement ou indirectement, au désordre constaté dans le logement social neuf et réhabilité, afin d’apporter à ce problème des réponses à la hauteur des enjeux pour les populations ultramarines.
Les différentes réunions de travail avec les principaux acteurs concernés, notamment celle qui s’est tenue à La Réunion le 3 février 2024 avec la Confédération nationale du logement et des représentants d’usagers, mais également les rencontres avec le préfet et les bailleurs sociaux, ont témoigné d’un large consensus pour faire exister cette commission d’enquête. L’ensemble des acteurs locaux ont exprimé le besoin que des actions concrètes remédient à cette situation alarmante.
Dès lors, il est de notre devoir de répondre à cet appel. Nous ne pouvons plus ignorer les souffrances de nos concitoyens ultramarins. Nous ne pouvons plus tolérer que des familles vivent dans des conditions indignes, dans des logements insalubres et dangereux. Il est grand temps de prendre des mesures concrètes et efficaces pour améliorer la situation du logement social dans les départements et régions d’outre-mer.
La proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête chargée d’étudier et d’évaluer les causes du déficit de construction et de livraisons de logements sociaux, de la non-décence et de l’insalubrité du logement social dans les Drom apparaît à la fois recevable juridiquement et opportune politiquement. Elle est nécessaire pour comprendre les causes profondes de cette situation et pour instaurer des solutions durables. Il est de notre responsabilité de garantir à tous nos concitoyens le droit à un logement décent et abordable. C’est un droit fondamental, un droit humain, et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le concrétiser. Les Françaises et les Français d’outre-mer comptent sur nous.
M. le président Stéphane Travert. Merci, Madame la rapporteure, pour la clarté de cet exposé sur la situation d’un territoire que vous connaissez parfaitement.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Guillaume Vuilletet (RE). Merci de m’accueillir dans votre commission.
Sur la méthode, tout d’abord, la généralisation des commissions d’enquête par l’intermédiaire de propositions de résolution n’est pas une bonne façon de faire. Certes, le Règlement l’autorise, mais le recours au droit de tirage, qui permet de faire vivre le débat démocratique en donnant la parole aux groupes d’opposition, est préférable. Sur les quatre propositions de résolution récemment déposées par votre groupe pour créer une commission d’enquête, trois concernent les outre-mer, comme si les groupes d’opposition préféraient réserver leur droit de tirage à d’autres sujets… Il y a certes une force symbolique dans le fait d’obtenir le vote par l’Assemblée d’une proposition de résolution, mais, a contrario, le sujet auquel un groupe choisit de consacrer son droit de tirage bénéficie aussi de la puissance d’un symbole.
M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). Vous ne pouvez pas faire ce procès au groupe GDR !
M. le président Stéphane Travert. Mme la rapporteure répondra.
M. Guillaume Vuilletet (RE). Cela dit, la procédure choisie existe et nous nous y conformons – c’est bien normal.
Si la méthode n’est pas la bonne, le sujet, lui, est fondamental. Vous avez parlé, Madame la rapporteure, de 16 % de logements insalubres outre-mer ; lors de ma mission pour le Premier ministre Édouard Philippe sur l’habitat indigne, j’avais relevé une proportion de 20 % et je doute qu’elle se soit améliorée depuis ; il faudra donc nous mettre d’accord sur les chiffres. De toute façon, le volume de logements concernés est considérable.
Les outre-mer connaissent toutes les formes d’insalubrité, de celles qui sont liées à ce que l’on appelle le logement spontané – pour parler clair, trois tôles qui servent d’abri à des personnes très souvent en situation d’extrême fragilité – aux bâtiments qui pourrissent sur pied dans les centres-villes à cause de problèmes d’indivision successorale, en passant par les squats résultant de l’indisponibilité foncière et par la suroccupation et l’exploitation par des marchands de sommeil. Malheureusement, une partie du logement social est également concernée.
Vous avez raison de vouloir étendre le champ de la commission d’enquête aux problèmes de livraison de logements. Dans ce domaine, à l’indisponibilité foncière s’ajoute l’inadaptation des normes de construction, qui, en outre, renchérissent inutilement le coût des constructions. S’agissant du coût du logement, j’avais eu l’occasion de montrer que le prix du loyer était le même à Saint-Denis-de-La-Réunion qu’à Lyon !
En espérant que la commission d’enquête que vous proposez ne fera pas le procès de l’État – la LBU existe et a été renforcée –, je voterai à titre personnel en faveur de la proposition de résolution et je souhaite que mon groupe ne s’y oppose pas.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Merci de dire tout le bien que vous pensez de la proposition de résolution sur le fond. En ce qui concerne le droit de tirage, vous êtes mal tombé : au groupe GDR, qui compte dix Ultramarins et douze hexagonaux, nous avons décidé de nous répartir équitablement l’usage de ce droit, de sorte que, sur les quatre droits de tirage du quinquennat, deux concerneront les outre-mer et deux l’Hexagone. Cette année, le droit de tirage concernait les outre-mer ; toutefois, ce n’est pas ma proposition qui l’a emporté, mais la question des essais nucléaires en Polynésie.
M. Frédéric Falcon (RN). La politique du logement en France est l’un des grands échecs d’Emmanuel Macron. Si aucun territoire n’est épargné, les territoires ultramarins sont sans doute parmi les plus exposés : ils concentrent des difficultés économiques, affichant un coût de la vie sans commune mesure avec ce que nous ressentons en métropole, des problèmes d’immigration exacerbés, avec l’explosion d’une immigration clandestine parfois violente, comme à Mayotte, et une insécurité elle aussi explosive. Bref, la vie de nos compatriotes d’outre-mer est pour le moins compliquée.
La proposition de résolution se penche sur l’indécence du logement social dans nos départements d’outre-mer. Il est vrai que la dégradation accélérée du parc social neuf pousse à s’interroger et met en lumière le manque de professionnalisme des promoteurs immobiliers, qui veulent à tout prix construire des logements sociaux vite et à moindre coût, alors même que ces projets sont financés par des fonds publics. Sur ce point, nous vous suivons entièrement. Il est inacceptable que l’argent public soit mal investi dans des projets de logements sociaux neufs.
Cependant, nous souhaitons émettre une réserve quant à la notion de décence, dont la définition est associée, depuis la loi « climat et résilience », aux diagnostics de performance énergétique. Le Rassemblement national alerte sur le manque de fiabilité des nouvelles méthodes de DPE, dont les critères sont les mêmes en métropole et dans nos départements d’outre-mer, au climat pourtant bien différent. Pour notre part, nous souhaitons fonder le critère de décence d’abord sur le confort et les prestations du logement, en revenant à sa définition juridique initiale.
Dans cette perspective, le bien-être dans le logement social ne peut se réduire à la décence. L’insécurité qui mine le parc social, où le trafic de drogue est devenu endémique et où la délinquance explose, et l’immigration sont les deux tabous occultés par les bailleurs sociaux. Nos compatriotes d’outre-mer qui vivent dans ces quartiers sont excédés par ces deux phénomènes, auxquels le Gouvernement refuse de s’attaquer.
Vous le savez, notre groupe revendique l’application de la priorité nationale dans l’attribution des logements sociaux et l’expulsion systématique de leur logement social des fauteurs de troubles, trafiquants de drogue ou délinquants, qui doivent être définitivement privés de toute solution de relogement dans le parc. Ces mesures concernent bien entendu en premier lieu les départements d’outre-mer.
Le parc social doit offrir des conditions de logement dignes du point de vue du confort comme de la tranquillité. Ces aspirations et ces objectifs ne peuvent être dissociés.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Si je vous suis en ce qui concerne la première partie de votre intervention, je ne suis absolument pas d’accord avec la fin. Je refuse que l’on fasse le procès d’êtres humains en raison de leur nationalité ou de leur appartenance à telle ou telle communauté.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NUPES). La problématique du logement en outre-mer n’est pas nouvelle, qu’il s’agisse du nombre de ces logements, de leur qualité, du foncier ou des coûts de construction. Les chiffres, tout le monde les connaît et on ne cesse de les rabâcher. L’éloignement des fournisseurs de matières premières, implantés pour la plupart en Europe, renchérit les coûts de production des logements. C’est encore plus le cas aujourd’hui, en raison des bouleversements géopolitiques, mais aussi des spéculations.
Une commission d’enquête est tout à fait justifiée pour étudier de manière approfondie les différents paramètres qui empêchent les Ultramarins d’avoir un toit décent au-dessus de la tête. Il conviendrait aussi de voir comment aider les collectivités, car faire sortir des logements de terre n’est pas tout : il faut aussi prévoir des aménagements pour le bien vivre des locataires et leur sécurité – aires de jeux, éclairages publics, réseaux et commodités. Tout cela représente un coût pour les communes, qui n’en ont pas forcément les moyens.
Si rien n’est rapidement fait, les gens vont continuer de s’entasser dans des logements parfois indécents, voire insalubres et indignes. Des tensions et des violences intrafamiliales pourraient naître de cette promiscuité. La scolarité des enfants en serait compromise, des entreprises mettraient la clé sous la porte et des centaines d’emplois seraient supprimés, ce qui ajouterait de la pauvreté à la pauvreté, sans compter les impacts sur nos économies.
L’intersyndicale du bâtiment et des travaux publics bloque depuis ce matin un rond-point sur la nouvelle route du littoral, axe majeur de La Réunion. Les manifestants pointent du doigt la crise que traverse le secteur et la suppression de 900 emplois depuis le début de l’année, face à laquelle les entreprises n’ont pas d’autre solution que de recourir au chômage partiel. L’intersyndicale demande le déblocage des chantiers et dénonce les promesses non tenues du préfet. Il y a urgence à trouver des solutions.
Pour ces raisons, nous adhérons entièrement à la proposition de résolution.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Vous étiez avec moi, début février, à la réunion de la Confédération nationale du logement et je sais que nous partageons le même combat. Effectivement, la FRBTP (fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics) est en grève et alerte sur l’absence d’opportunités de travaux pour ses entreprises. Voilà pourquoi il est important d’étendre le périmètre de la commission d’enquête aux retards et défauts de livraison. Nous n’avons d’ailleurs toujours pas le chiffre des logements en Vefa (ventes en l’état futur d’achèvement) qui ont été vendus mais non réalisés : je compte sur la commission d’enquête pour nous permettre de l’obtenir.
M. Jean-Pierre Vigier (LR). L’intention du groupe GDR semble louable, mais cette proposition de résolution soulève plusieurs problèmes.
La NUPES multiplie les demandes de commission d’enquête ; ce rythme effréné sature les ressources humaines de l’Assemblée nationale. Il faut s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de ces multiples commissions : ne perd-on pas de vue les priorités législatives ?
En outre, limiter cette commission d’enquête aux départements d’outre-mer serait trop restrictif : l’indécence du logement social est une question nationale. On ne peut pas ignorer la réalité vécue par de nombreux citoyens de la métropole qui souffrent eux aussi de conditions de logement indignes. Il faut examiner les causes structurelles de ce phénomène dans le pays tout entier, et proposer des solutions applicables à l’ensemble de nos concitoyens ; seule cette approche globale permettra d’améliorer les conditions de vie des habitants des logements sociaux, dans les outre-mer comme en métropole.
Pour cela, une commission d’enquête ne me paraît pas la meilleure solution. Je rappelle ici la proposition de loi de Thibault Bazin portant mesures d’urgence pour remédier à la crise du logement. Il faut relancer la construction et la réhabilitation.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Il fallait définir un champ d’enquête, et le logement bénéficie dans les outre-mer de moyens spécifiques, notamment par le biais de la LBU. L’éloignement de l’Hexagone engendre aussi des surcoûts parfois exorbitants. On ne peut pas ignorer ces spécificités.
En outre, la commission d’enquête donne des pouvoirs très larges au rapporteur, ce qui me permettra d’obtenir des données que je ne peux pas obtenir par d’autres moyens.
Mme Louise Morel (Dem). Merci de soulever ce sujet, qui touche au respect de la dignité de nos concitoyens ultramarins. De nombreux éléments parlent d’eux-mêmes : la crise du logement social est exacerbée par les contraintes géographiques et climatiques, la croissance des habitats informels, des retards de livraison des logements sociaux et des difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction. On constate aussi un manque de contrôle de la qualité des matériaux comme des constructions finies, ce qui contribue à créer des problèmes de durabilité et de sécurité.
Les autorités ont pris des mesures pour lutter contre l’habitat informel, en détruisant par exemple des habitats non conformes, comme on l’a vu à Mayotte en 2021.
Le groupe Démocrate salue l’action de l’État face à la crise du logement social dans les outre-mer : les plans Logement outre-mer visent ainsi à construire et à réhabiliter des logements en tenant compte des spécificités locales. Le premier devait concerner 10 000 logements par an, tandis que le second s’est concentré sur des objectifs spécifiques et des expérimentations en Guyane et à Mayotte pour lutter contre l’habitat indigne, informer et mettre l’accent sur les publics vulnérables. Je rappelle également que les crédits alloués à la ligne budgétaire unique ont augmenté de 32 % pour atteindre 291 millions d’euros en 2024.
En parallèle de l’action de l’État, il faut souligner les initiatives des acteurs de la politique du logement outre-mer, comme l’Union sociale pour l’habitat ou le groupe Action logement, qui a élaboré un plan d’investissement de 1,5 milliard d’euros en janvier 2019 pour améliorer la situation dans 17 000 logements, mais aussi pour soutenir l’accession sociale pour 25 000 autres logements.
Nous disposons d’un rapport sénatorial de 2021 et d’un autre, de la Cour des comptes, de 2020. Le sujet est donc important, mais déjà bien documenté. Nous ne souhaitons pas cautionner la création d’une nouvelle commission d’enquête : le groupe Démocrate s’abstiendra. Si des évolutions législatives sont nécessaires, nous pourrons les intégrer au projet de loi récemment présenté sur le logement social.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Je ne propose pas de faire le procès de l’État ! Je ne veux pas enquêter pour aboutir à des conclusions conformes aux préjugés que je pourrais nourrir. Je ne nie pas que les moyens alloués sont conséquents ; mais je constate que la crise est sans commune mesure et qu’elle ne cesse de s’aggraver. En six mois, à La Réunion, nous sommes passés de 39 000 à 44 000 demandes de logement. Il est essentiel de comprendre les causes d’une telle situation pour trouver de nouvelles solutions.
M. Dominique Potier (SOC). Je salue le groupe GDR, qui a choisi de consacrer une partie de sa journée réservée à la situation du logement social outre-mer.
La politique menée par la majorité depuis 2018 a provoqué un effondrement de la construction de nouveaux logements : 170 000 logements neufs en moins au premier trimestre de cette année par rapport à la même période dans l’année précédant l’entrée en fonction d’Emmanuel Macron en 2017. C’est le résultat, en particulier, de la réduction du loyer de solidarité. Il manque aujourd’hui plus de 30 000 logements sociaux neufs par an.
Dans les départements et régions d’outre-mer, la situation est encore plus terrible : le nombre de logements sociaux livrés en 2022 atteint à peine la moitié de ceux livrés en 2017 ; pour les logements très sociaux, la baisse est de deux tiers. Avec des chiffres de l’accession à la propriété qui ne sont pas meilleurs, les parcours résidentiels sont en panne. Il devient impossible de résorber l’habitat indigne, qui représente un septième du parc, et concerne 600 000 de nos concitoyens d’après la Fondation Abbé Pierre.
À cette insuffisance de la construction s’ajoute un vieillissement accéléré des logements existants. La proposition de résolution de nos collègues se concentre sur cet aspect.
Les territoires dits d’outre-mer connaissent bien entendu des conditions spécifiques liées au climat, mais aussi au coût des matériaux de construction et à des problèmes de concurrence économique, caractérisés par des phénomènes de monopole, comme l’a bien montré la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer dont Johnny Hajjar a été le rapporteur. Ces contraintes ne sauraient tout expliquer : il nous faut mieux comprendre les causes des difficultés particulières que connaît le logement social outre-mer, de la production et de la qualité de la construction à la réhabilitation, en passant par le financement. Chacun doit pouvoir accéder à un logement digne et abordable dans tous les territoires de la République.
Vous proposez d’élargir par amendement le périmètre initial proposé par la proposition de résolution ; cela nous semble indispensable.
Le groupe Socialistes soutient avec enthousiasme cette proposition de résolution.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Merci. Je saisis l’occasion que vous m’offrez pour saluer l’excellent travail de Johnny Hajjar lors de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer.
M. Thierry Benoit (HOR). Le groupe Horizons soutient cette proposition de résolution. Je comprends les critiques de fond comme la crainte d’une surcharge de travail pour l’administration de l’Assemblée nationale, mais la commission d’enquête est le plus bel outil qui soit à la disposition des députés pour approfondir un dossier. J’ai eu l’honneur de présider l’une de ces commissions, et je vous assure qu’il ne faut pas s’en priver.
Je fais confiance à la rapporteure et à l’ensemble de son groupe parce que le groupe communiste rassemble historiquement – comme d’autres, mais pas comme tous – des députés qui ont d’abord été des praticiens, des gens de terrain. Souvent, ils ont été maires. Dans le domaine du logement, je reconnais notamment la compétence de M. Stéphane Peu.
J’ai appris à connaître les spécificités des outre-mer en siégeant dans le même groupe que des députés néo-calédoniens : Philippe Gomès, Philippe Dunoyer et Sonia Lagarde, actuelle maire de Nouméa. Ils nous ont souvent présenté les particularités de leur territoire et, depuis ma Bretagne natale, je regarde les outre-mer avec affection : leurs habitants sont des Français comme moi ; j’aimerais mieux connaître ces questions.
Je compte aussi sur vous, Madame la rapporteure, pour que cette commission d’enquête ne soit pas défiante vis-à-vis des administrations centrales de l’État, mais soit plutôt l’occasion de formuler des propositions utiles aux habitants des outre-mer.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Merci pour vos propos, qui me donnent l’occasion de revenir sur la question de la charge de travail supplémentaire que représente une commission d’enquête pour l’administration de l’Assemblée nationale. C’est vrai, un grand nombre de commissions d’enquête sont créées. Mais le manque d’effectifs ne peut pas servir de prétexte pour refuser la création d’une commission. Le sujet est crucial et nous devons nous en préoccuper.
Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Merci à la rapporteure et au groupe GDR d’avoir déposé cette proposition de résolution, que le groupe Écologiste soutiendra.
Je rejoins Thierry Benoit : la commission d’enquête est un outil puissant pour construire des réponses ; elle permet à un député de jouer pleinement son rôle, qui n’est pas seulement de voter la loi mais aussi de contrôler l’action du Gouvernement. Nous devons marcher sur ces deux jambes.
C’est d’autant plus vrai qu’il y a en l’occurrence de quoi s’interroger : en 2008 déjà, M. Henri Torre soulignait dans un rapport d’information sénatorial « l’urgence de la situation, certaines familles vivant aujourd’hui dans des situations d’insalubrité qui ne sont pas dignes de la République ». Depuis, la situation s’est encore dégradée, malgré les alertes répétées. Il y a donc matière à étudier les raisons de l’insalubrité et de la qualité insuffisante des logements neufs – on parle d’infiltrations d’eau, de murs dégradés, de peinture qui tombe… ce qui peut même mettre en danger la santé de nos concitoyens, bien trop souvent des mères seules avec leurs enfants.
Je rappelle enfin que les territoires ultramarins figurent parmi les plus exposés aux impacts du changement climatique. La dégradation du parc social ne fait qu’accroître la vulnérabilité des populations.
La situation est intolérable et nous serons à vos côtés pour trouver des solutions. Il est temps d’agir.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Quand je reçois les habitants de ma circonscription, ils m’exposent systématiquement des problèmes de logement. J’ai accompagné un monsieur qui a vécu plus d’un an dans sa voiture alors qu’on lui avait attribué un logement social : celui-ci était neuf, mais l’électricité n’y était pas branchée – différents acteurs se renvoyaient la balle. Pendant plus d’un an, il a dû vivre dans sa voiture. Il a fallu plusieurs interventions pour qu’une solution soit trouvée.
Nous voulons ainsi élargir le champ de la commission d’enquête pour comprendre le manque de livraison des logements sociaux.
M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). Je remercie Karine Lebon pour son intelligence et son énergie, qu’elle met tous les jours au service du groupe GDR. La composante ultramarine du groupe est pour nous une richesse considérable, qui fait aussi l’originalité de notre apport.
Édouard Philippe a parlé, à propos du logement, de « bombe sociale ». C’est vrai pour l’ensemble du territoire, mais force est de constater que seuls les territoires ultramarins ont des logements neufs indécents. Cela justifie de se concentrer sur eux. Il faut pour cela disposer des prérogatives d’une commission d’enquête, avec notamment la possibilité d’enquêter sur place et sur pièces.
J’ai bon espoir, après avoir entendu les différents orateurs, que la sagesse et l’intelligence l’emportent afin que nous puissions identifier les problèmes et faire du logement social outre-mer une priorité.
La défiance des outre-mer et l’épaisseur de la colère qui s’y exprime justifient à elles seules des actes symboliques de respect et de prise en considération des particularités de ces territoires. C’est aussi le rôle de cette proposition de résolution.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Je remercie à mon tour l’ensemble du groupe GDR pour la place qu’il accorde au quotidien aux députés ultramarins : c’est aussi lors de la niche parlementaire que nous répartissons les textes de façon égale– un texte sur les outre-mer en premier, puis une alternance parfaite des textes ultramarins et des textes hexagonaux.
M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). Je salue l’agilité intellectuelle de notre collègue Falcon, du Rassemblement national, qui a réussi à faire le lien entre le logement social et la délinquance, l’immigration, le trafic de drogue, la préférence nationale et l’exclusion des fauteurs de troubles, avant de conclure d’un « en premier lieu les départements d’outre-mer ». Quand on n’a rien à dire, on recycle des arguments qui n’ont rien à voir avec le sujet : c’est la démonstration du creux.
J’en viens à la proposition de résolution. J’appartiens également à un groupe qui revendique une forte dimension ultramarine, et nous vous soutiendrons.
S’il ne s’agit pas de faire le procès de l’État, cela a été dit, il ne faudrait pas non plus mettre toute la poussière sous le tapis : les responsabilités ne viennent pas de nulle part. Le logement social est en crise, et il y a quand même quelques décisions qui y ont contribué, en particulier en contraignant beaucoup la production. Mais le Gouvernement n’est pas responsable de toutes les difficultés spécifiques aux outre-mer, qui sont bien réelles, notamment en ce qui concerne la livraison et les coûts de la construction.
Les conclusions de cette commission d’enquête se révéleront d’ailleurs sans doute utiles à tout le territoire national.
Mme Karine Lebon, rapporteure. Merci pour vos propos, tant sur le fond de la proposition qu’à propos de la forme qu’ont pu prendre certaines interventions précédentes.
Les responsabilités des uns et des autres doivent être déterminées, y compris celle de l’État. Mais celui-ci n’est pas seul en cause : il faut examiner le rôle des différents acteurs. Il ne s’agit pas pour nous de chercher un seul coupable ; ce serait se priver d’une grande partie des solutions.
Article unique
Amendements CE2 de Mme Karine Lebon et CE1 de M. Jean-Hugues Ratenon (discussion commune)
Mme Karine Lebon, rapporteure. C’est l’amendement, déjà évoqué, qui vise à élargir le champ de la commission d’enquête aux causes du déficit de construction et de livraison. Nous transformons aussi, comme cela nous a été suggéré par plusieurs acteurs du logement, le terme « indécence » en « non-décence ».
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NUPES). Notre amendement visait à mieux préciser le périmètre de la commission d’enquête en insistant sur l’insuffisance du logement social dans les outre-mer. L’amendement de la rapporteure satisfait pleinement notre amendement, donc je retire mon amendement au profit du sien.
L’amendement CE1 est retiré.
La commission adopte l’amendement CE2.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CE4 de Mme Karine Lebon, rapporteure.
Elle adopte l’article unique modifié.
Titre
Amendement CE3 de Mme Karine Lebon
Mme Karine Lebon, rapporteure. Cet amendement reflète l’élargissement du périmètre de la commission d’enquête. J’ai tenu à reprendre la formulation de M. Ratenon.
La commission adopte l’amendement.
La proposition de résolution est ainsi adoptée.
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Informations relatives à la commission
La commission a annoncé la création d’une mission d’information consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques.
Elle a désigné Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC) et M. Antoine Armand (RE) comme co-rapporteurs.
Elle a également désigné M. Nicolas Meizonnet (RN), M. Matthias Tavel (LFI-Nupes), M. Vincent Rolland (LR), M. Philippe Bolo (Dem) et Mme Julie Laernoes (Ecolo-Nupes) comme membres de cette mission d’information.
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Puis la commission a désigné M. Pascal Lavergne (RE) comme rapporteur sur la proposition de loi n° 2595 visant à lutter plus efficacement contre les maladies affectant les cultures végétales.
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Elle a également désigné M. Guillaume Vuilletet (RE) comme rapporteur sur la proposition de loi proposition de loi n° 2596 relative aux conditions de réalisation des travaux de rénovation énergétique des logements.
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Enfin, la commission a désigné M. Éric Bothorel (RE) comme rapporteur sur la proposition de loi proposition de loi n° 2597 de visant à simplifier et accélérer la couverture mobile du territoire.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 9 h 30
Présents. – M. Xavier Albertini, M. Laurent Alexandre, M. Antoine Armand, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Maud Bregeon, M. Stéphane Buchou, Mme Françoise Buffet, M. Sylvain Carrière, M. André Chassaigne, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Sophia Chikirou, M. Julien Dive, M. Francis Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Christine Engrand, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Éric Girardin, Mme Mathilde Hignet, M. Sébastien Jumel, M. Luc Lamirault, Mme Hélène Laporte, M. Pascal Lavergne, Mme Nicole Le Peih, Mme Karine Lebon, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Alexandre Loubet, Mme Pascale Martin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Louise Morel, M. Jérôme Nury, M. René Pilato, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, Mme Anaïs Sabatini, M. Benjamin Saint-Huile, M. David Taupiac, M. Lionel Tivoli, M. Stéphane Travert, M. Jean-Pierre Vigier, M. André Villiers, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. – Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Perceval Gaillard, Mme Florence Goulet, M. Johnny Hajjar, M. Éric Martineau, M. Max Mathiasin, M. Philippe Naillet