Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Suite de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (n° 1682) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale, Mme Caroline Janvier et MM. Cyrille Isaac-Sibille, Paul Christophe et François Ruffin, rapporteurs) 2
– Présences en réunion.................................39
Mercredi
18 octobre 2023
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 10
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq,
présidente
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La réunion commence à neuf heures trente.
La commission poursuit l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (n° 1682) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale, Mme Caroline Janvier et MM. Cyrille Isaac-Sibille, Paul Christophe et François Ruffin, rapporteurs).
Après l’article 7
Amendement AS2854 de Mme Stéphanie Rist
Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. L’amendement vise à informer les ordres concernés des fraudes commises par des professionnels de santé et détectées par la caisse locale d’assurance maladie.
Cette mesure fait suite à l’audition des ordres ; elle favorisera la coopération entre les caisses d’assurance maladie pour lutter contre la fraude.
M. Thibault Bazin (LR). Cet excellent amendement s’inscrit dans la continuité du travail de Mme Fadila Khattabi sur la loi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé, qui doit répondre aux dérives financières qui ont été constatées. Lors de la discussion, nous nous étions demandé si tous les acteurs nécessaires participaient bien aux échanges d’informations prévus : la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) bien sûr, pour ce qui est des fraudes à l’assurance maladie, mais aussi d’autres organismes pour tout ce qui est lié aux exonérations de charges, comme les caisses spécifiques des professionnels libéraux. Là aussi, il me semble que les deux aspects doivent être représentés.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). La précision est sans doute utile ; toutefois il est surtout urgent de déployer des centres de santé à but non lucratif. Une partie des problèmes auxquels nous sommes confrontés sont nés de la décision de 2018 d’autoriser les centres à but lucratif, ce qui dénature les choses. Les centres mutualistes et municipaux notamment ont besoin de soutien car ils participent à lutter contre les déserts médicaux.
Mme la rapporteure générale. Monsieur Bazin, il est vrai que l’amendement ne concerne que les caisses d’assurance maladie. Je vous propose d’y travailler en vue de l’examen en séance. Et, monsieur Dharréville, nous devons en effet réfléchir au financement de l’ensemble des centres de santé.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS1208 de M. Frédéric Mathieu
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). L’amendement vise à reverser à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) une partie des bénéfices des Ehpad qui n’augmentent pas les salaires et n’embauchent pas.
Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.
Dans le cadre du Ségur de la santé, nous avons consacré 2,2 milliards d’euros à la revalorisation des rémunérations du personnel des Ehpad ; en outre, nous avons défini une trajectoire qui prévoit le recrutement de plus de 50 000 personnes d’ici à 2027.
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Vous nous avez reproché de vouloir beaucoup dépenser mais dès que nous défendons des solutions pour remplir les caisses, vous émettez un avis défavorable ! Lors de l’examen de la troisième partie, je soutiendrai des mesures entraînant des dépenses et vous nous opposerez le manque de moyens : je vous rappellerai alors les recettes que vous aurez refusées !
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS853 de M. Laurent Panifous, AS1059 de M. Stéphane Viry, AS1774 de M. Pierre Dharréville et AS2492 de M. Sébastien Peytavie
M. Laurent Panifous (LIOT). Ces amendements ont été élaborés avec la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap).
Les établissements non habilités à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement pratiquent des tarifs libres, dont l’évolution est encadrée. En application de l’arrêté du 23 décembre 2022 relatif aux prix des prestations d’hébergement, ils ont ainsi pu augmenter leurs prix de 5,14 %, en raison de l’inflation, quand les établissements habilités ou majoritairement habilités sont strictement contraints par des arrêtés des conseils départementaux : selon les collectivités, leurs prix ont été augmentés de 0 à 3 % seulement.
Les présents amendements visent donc à créer une redevance pour garantir une solidarité entre les établissements. En effet, une personne qui n’a pas les moyens de financer son séjour en Ehpad ne peut résider dans un établissement non habilité. Une forme de solidarité s’impose donc : une redevance versée par les établissements à tarifs libres, équilibrée mais pas confiscatoire, me semblerait assez juste.
M. Stéphane Viry (LR). Je sais que ces amendements heurtent certains établissements lucratifs – ils me l’ont abondamment écrit hier. Toutefois, la question de la différence de traitement se pose, dès lors que la prise en charge doit être de même qualité, pour respecter la dignité des résidents.
Pour certains établissements, la loi prévoit des tarifs réglementés, encadrés par les conseils départementaux ; d’autres peuvent aller chercher de la marge. Dans l’intérêt de la filière et des usagers, il faut trouver un système capable d’harmoniser les situations et de susciter une concorde nationale.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Sur proposition de la Fehap et de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), ces amendements identiques visent à assujettir à une redevance les établissements non habilités à l’aide sociale pratiquant des tarifs libres. Il faut mieux partager l’argent investi dans l’accompagnement et l’hébergement des personnes en perte d’autonomie. Le tarif hébergement représente 55 % des ressources des Ehpad ; la hausse du taux d’évolution permet de l’augmenter. Pour les établissements habilités, elle est déterminée par le conseil départemental. Pour les autres, un arrêté annuel établit le plafond du taux applicable aux tarifs des contrats en vigueur, mais ils déterminent librement les prix dans les nouveaux contrats.
Selon nous, il est nécessaire de réviser le modèle des Ehpad, en particulier après l’affaire Orpea. Les décisions prises dans l’urgence ne valent pas solde de tout compte. Nous dénonçons la possibilité de faire du profit au détriment des personnes en perte d’autonomie, particulièrement vulnérables.
La redevance ainsi créée soutiendrait les établissements à but non lucratif, notamment les Ehpad publics, dont par ailleurs il faut augmenter la capacité d’accueil, pour ne plus s’en remettre toujours davantage au secteur privé.
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Nous connaissons la situation des Ehpad – M. Dharréville vient de citer l’affaire Orpea. Une grande réflexion sur le modèle de financement des Ehpad est indispensable, en particulier s’agissant des prix libres du secteur privé lucratif.
Mme la rapporteure générale. S’agissant des établissements privés, nous avons voté l’an dernier des mesures visant à améliorer la transparence et à augmenter les contrôles et les sanctions financières.
Nous l’avons souligné hier, il faut éviter de prendre des décisions susceptibles d’aggraver encore les difficultés financières que connaissent tous les établissements de santé et médico-sociaux, qu’ils soient à but lucratif ou non lucratif, car elles pourraient entraîner leur fermeture.
J’entends que vous appelez à débattre du financement de l’ensemble du système, en particulier du reste à charge. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 37, relatif à la branche autonomie.
Avis défavorable.
M. Jérôme Guedj (SOC). Qu’il provienne d’une occupation du domaine public, de licences de téléphonie mobile ou de concessions d’autoroute, tout profit issu d’une délégation d’exploitation de la puissance publique donne lieu au paiement d’une redevance. Dans le cas des Ehpad, les gestionnaires perçoivent, outre cette autorisation, des financements publics, comme le forfait soins – en moyenne 24 000 à 28 000 euros par établissement.
Les opérateurs privés ont entamé une réflexion sur les sociétés à mission et l’affaire Orpea a suscité des débats sur les bénéfices de la gestion censément désintéressée. Dans cette perspective, je vous invite à voter ces amendements identiques.
Monique Iborra (RE). La réflexion sur le financement des Ehpad et le reste à charge n’est pas nouvelle : c’est une question primordiale. Des réformes sont nécessaires, en particulier sur l’aide sociale, mais le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) n’est pas le bon vecteur. Je réitère donc ma demande, soutenue par de nombreux députés, y compris de la majorité, d’un projet de loi relatif au grand âge.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Certes une loi grand âge est nécessaire, mais elle n’est pas encore là, et nous ne savons pas ce qu’elle contiendrait. Je suis donc favorable à prendre une décision dès aujourd’hui.
L’arrêté annuel relatif aux prix des prestations d’hébergement en 2023 a prévu pour les établissements du secteur privé lucratif un taux d’évolution de 5,14 %, tandis que celui des établissements habilités à l’aide sociale ne dépassait pas 3 %. À quoi servent donc les 2,14 points supplémentaires ?
Mme Laurence Cristol (RE). Nous partageons tous l’ambition de garantir la bienveillance dans les établissements. L’examen de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir en France reprendra en novembre. Elle contient deux mesures visant les Ehpad privés. Premièrement, ils pourront adopter la qualité de société à mission, afin de moraliser le secteur. Deuxièmement, 10 % des bénéfices annuels seront réaffectés à la qualité de vie des résidents.
Mme Joëlle Mélin (RN). Un consensus se dégage. Les membres du groupe Rassemblement National ont également à cœur d’aller le plus loin possible s’agissant du grand âge.
Je fréquente les milieux des maisons de retraite et de la gériatrie depuis plus de quarante‑cinq ans. Il y a bien longtemps qu’on aurait dû résoudre le problème, car les signes étaient visibles, mais on a laissé faire jusqu’au scandale Orpea. Maintenant il y a urgence absolue. Nous devons tous chercher des solutions concernant la dépendance, mais aussi des moyens pour que chacun anticipe l’avenir en prenant conscience qu’il ne faut pas disposer seulement de revenus pour la retraite, mais aussi d’un lieu d’hébergement, d’un bon environnement, de personnes pour le seconder et d’une famille qui accepte la vieillesse.
M. Yannick Neuder (LR). Voilà plus d’un an que nous soulevons le problème des Ehpad et du financement de la cinquième branche. Personne n’est contre une loi « bien‑vieillir », mais aucune mesure ne saurait améliorer concrètement la prise en charge si elle n’est pas assortie d’un financement sérieux. Sans crédits, les politiques publiques ne sont qu’incantations.
Le reste à charge moyen d’un résident en Ehpad s’élève à 1 000 euros par mois. Certes, de nouvelles recettes de la contribution sociale généralisée (CSG) seront affectées à la branche autonomie à partir du 1er janvier, mais le compte n’y est pas pour le financement d’une cinquième branche. Nous devons en débattre rapidement.
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Nous soutenons ces amendements. La loi relative au grand âge et à l’autonomie, nous l’attendons depuis le rapport d’information sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes que j’ai écrit avec Mme Iborra, en 2018. Elle nous a été promise tous les six mois – par M. Macron, par Mme Buzyn, par M. Véran, par tous les ministres qui ont suivi... La proposition de loi « bien‑vieillir » ne contient aucune mesure équivalente à celle que nous défendons ici. On y trouve deux dispositifs satisfaisants, mais rien de comparable avec une loi grand âge et autonomie.
Enfin, madame Mélin, on ne peut pas tout mettre sur le dos du scandale Orpea. Les parlementaires avaient déjà publié une pléthore de rapports auparavant.
M. Thibault Bazin (LR). Nous allons devoir relever un défi démographique, s’agissant aussi bien du nombre de personnes âgées que de leur qualité de vie. Il suscite de nombreuses attentes, en particulier celle du virage domiciliaire. Nous ne pourrons cautionner des faux-semblants : la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir en France ne comporte ni programmation, ni financements ; or le problème ne concerne pas que la gouvernance. Dépourvue d’étude d’impact, réécrite, cumulant les demandes de conférences, elle constitue un ensemble illisible, au point que M. Jean-Christophe Combe, alors ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, était mal à l’aise en nous écoutant faire la liste des articles qui ajoutaient des prescriptions sans en supprimer. Si nous ne faisons rien, ce texte sera une usine à gaz. Il faut une véritable loi grand âge.
M. Laurent Panifous (LIOT). S’il existe des établissements non habilités à l’aide sociale, il faut que d’autres soient habilités pour accueillir les personnes qui ne peuvent financer leur hébergement. Les amendements visent juste à créer une redevance pour rééquilibrer le système : il ne s’agit aucunement de morale.
Mme Caroline Janvier (RE). Adopter ces amendements mettrait les Ehpad privés à but lucratif en danger. Eux aussi connaissent des difficultés, d’une autre nature, à la fois structurelles et conjoncturelles. Leurs coûts augmentent, à cause de l’inflation et des problèmes de recrutement, qui les obligent à recourir à l’intérim, plus onéreux. Nous devons élaborer une réforme plus approfondie du modèle économique des Ehpad, à but lucratif et non lucratif.
La commission rejette les amendements.
Amendement AS873 de M. Jean-Claude Raux
M. Jean-Claude Raux (Ecolo - NUPES). La pénurie médicale durera ; je défends donc une mesure en faveur des centres de santé. Depuis 2017, le Gouvernement diminue les impôts des entreprises, au détriment des associations à but non lucratif. L’abattement instauré sur le montant de la taxe sur les salaires ne produit pas les effets escomptés. Cela crée une distorsion, notamment lorsque les associations sont en concurrence avec des entreprises pour obtenir un marché.
La Cour des comptes elle-même considère que la taxe sur les salaires est un impôt ancien, qu’il faut réformer : elle fait peser de lourdes charges sur les associations, alors qu’elles remplissent souvent des missions de service public de proximité, essentielles à notre quotidien. C’est le cas des centres de santé à but non lucratif, dont l’équilibre financier est souvent fragile.
Cet amendement vise à appeler le Gouvernement à réformer la taxe sur les salaires pour les associations à but non lucratif.
Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Tel que l’amendement est rédigé, il tend à supprimer le barème en vigueur, déjà progressif, sans le remplacer.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS2799 de M. Frédéric Zgainski, amendements identiques AS248 de M. Dino Cinieri, AS452 de M. Yannick Neuder, AS968 de M. Stéphane Viry, AS1164 de M. Thibault Bazin et AS2707 de M. Frédéric Valletoux, et amendement AS951 de M. Paul Christophe (discussion commune)
Mme Anne Bergantz (Dem). L’amendement AS2799, élaboré avec la FNMF, vise à améliorer les échanges entre les Cpam et les organismes complémentaires dans un but de lutte contre la fraude. Les possibilités de coopération s’étendraient de la suspicion ou détection de la fraude jusqu’au déclenchement des procédures pouvant en découler. Les échanges seraient réciproques et passeraient, si besoin, par un ou plusieurs intermédiaires conjointement désignés pour faciliter la procédure.
Pour lutter contre la fraude sociale, il faut mobiliser tous les acteurs. Grâce à cette mesure, les échanges seront plus rapides et efficaces, pour garantir la pérennité du système de protection sociale. Son application sera subordonnée à un avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et de la Haute Autorité de santé (HAS).
Mme Isabelle Valentin (LR). Les organismes de sécurité sociale et les complémentaires devraient partager leurs données pour lutter contre la fraude avec plus d’efficacité et de rapidité. Aussi l’amendement AS248 vise-t-il à améliorer les dispositions régissant leurs échanges.
M. Yannick Neuder (LR). Peu de sujets du texte rassemblent tous les bancs, et c’est le cas de la lutte contre la fraude. Les organismes complémentaires, qui sont de plus en plus sollicités – reste à charge zéro, soins optiques et dentaires, prothèses auditives notamment – n’échangent pas assez avec la sécurité sociale. Mon amendement vise à autoriser la communication réciproque d’informations, afin de renforcer la coopération et de mieux dépister la fraude.
M. Stéphane Viry (LR). Lors de l’examen du PLFSS 2023, le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, avait inscrit la lutte contre la fraude sociale au rang des priorités. Mon amendement vise à améliorer le dispositif, en impliquant tous les acteurs, mais peut-être Mme la rapporteure générale pourrait-elle déjà dresser un bilan des mesures en vigueur depuis un an. Le pays est-il mieux armé pour pourfendre ceux qui cherchent à tromper la solidarité nationale ?
M. Thibault Bazin (LR). Toutes les mesures de la feuille de route « Lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques » n’ont pas trouvé de traduction juridique, ce qui rend le suivi difficile. L’objet de mon amendement est d’appliquer la mesure 31, relative au renforcement de la coopération entre l’assurance maladie et les complémentaires santé. On constate des dérives dans les domaines de l’optique, de l’audiologie et des soins dentaires, pour des sommes pouvant atteindre plusieurs millions d’euros dans certains centres de santé. Cet argent pourrait être réinvesti dans de bonnes causes.
Mme la rapporteure générale. S’agissant du bilan tout d’abord, selon la Caisse nationale de l’assurance maladie, 150 millions d’euros de fraudes avaient été recouvrés au 30 juin 2023, soit 30 % de plus que l’année précédente. D’autre part, nous avons financé 1 000 équivalents temps plein dans les organismes de sécurité sociale.
Lorsqu’une fraude est détectée, la Cpam en informe l’organisme d’assurance complémentaire de l’assuré, s’il est identifié. Vos amendements tendent à élargir considérablement le champ d’application de cette mesure, en associant les mutuelles, les sociétés d’assurance et les institutions de prévoyance et surtout en incluant toutes les informations relatives à la suspicion et à la détection de fraude. Toute suspicion déclencherait le partage de l’ensemble des données de santé des personnes et d’activité des professionnels. Je comprends et je partage votre préoccupation, mais vos rédactions vont trop loin.
Avis défavorable sur tous les amendements.
M. Thibault Bazin (LR). Les fraudes reposent sur toute une ingénierie juridico-financière et sont souvent innovantes. Nous connaissons des néocentres de santé qui font partie d’un agglomérat très organisé ou adoptent une structure associative, par exemple. Dès la suspicion, il faut donc pouvoir partager une grande quantité de données pour détecter un éventuel faisceau d’indices permettant d’approfondir la recherche. En effet, c’est lors des croisements de fichiers que les dérives apparaissent. Je comprends que la transmission de données soulève des inquiétudes, mais il faut être en mesure d’agir. Peut-être serait-il judicieux de saisir une autorité judiciaire pour éviter les abus.
M. Stéphane Viry (LR). Vous nous dites en fait que nous avons raison mais que nous sommes trop ambitieux. Sur un tel sujet, il ne faut pas nous retenir ! Le fait que ces amendements soient soutenus par des députés de nombreux bancs manifeste une volonté politique d’avancer. Certains savent ruser, trouver les interstices où se glisser ; les échanges de données offriront les indices nécessaires pour les repérer. Il suffit d’instaurer des garanties, en respectant les principes du contradictoire et de la défense. Toutes les enquêtes n’aboutiront pas, mais nous nous donnerons les moyens de supprimer la fraude.
M. Nicolas Turquois (Dem). Nous pouvons nous enorgueillir que notre société organise d’importants transferts sociaux pour assurer la protection de tous. Toutefois, les risques réels ou supposés de fraude suscitent des remises en cause de cette solidarité. Toute mesure visant à améliorer l’efficacité de la lutte est donc pertinente.
Il est vrai que les transferts de données comportent des risques : c’est pourquoi l’amendement AS2799 prévoit de saisir la Cnil et la HAS pour avis. Et il n’est pas question de transmettre toutes les données, mais seulement les informations utiles. Un décret pourrait préciser leur périmètre.
Mme Isabelle Valentin (LR). La majorité des personnes sont honnêtes mais une petite minorité profite du système. On sent chez les premiers l’émergence d’un ras-le-bol. Adopter ces amendements enverrait un signal fort, témoignant que leur colère a été entendue.
Mme la rapporteure générale. Je vous rejoins : nous devons aller aussi loin que possible pour lutter contre les fraudeurs, qui ne sont évidemment pas majoritaires. Le plan « fraude » y pourvoit et il faut accélérer les mesures. C’était le sens de mon amendement AS2854.
Cependant, je ne suis pas favorable à l’adoption de ces amendements tels qu’ils sont rédigés : ils autoriseraient à transmettre des données de santé et des données relatives à l’activité de professionnels à des organismes à but parfois très lucratif. Il faut vraiment poursuivre le travail, d’autant que la rédaction actuelle utilise des termes vagues, comme « suspicion » et « abus » ; cela pourrait aboutir à un gigantesque partage de données.
M. Paul Christophe (HOR). Nous sommes d’accord sur le fond. J’entends votre objection, et vous avez compris la nécessité d’améliorer la transparence, les contrôles et les sanctions s’il y a lieu. J’accepte votre invitation à améliorer ma rédaction, en vue de la séance ou d’autres futurs travaux, et je retire mon amendement.
M. Yannick Neuder (LR). Vous avez expliqué qu’en cas de suspicion, la Cpam informe les mutuelles. Le circuit est-il assez balisé pour garantir que la réciproque est vraie ? Je comprends qu’il ne faille pas autoriser le partage de l’ensemble des données de santé et d’activité avec des organismes complémentaires, afin d’éviter de provoquer des démarches commerciales abusives. En revanche, dès lors qu’il y a une suspicion de fraude, nous pourrions sécuriser les retours de l’organisme complémentaire vers l’assurance maladie, laquelle est à même de conduire le contrôle. Cette solution pourrait mettre tout le monde d’accord et j’accepte de retravailler dans ce sens.
Mme Joëlle Mélin (RN). Je suis heureuse que l’on avance vers le retrait de ces amendements : l’intention est bonne mais le transfert de données à des entreprises privées exerçant de multiples activités comporte un risque majeur.
Toutefois, j’insiste sur le fait que jamais un plan de lutte contre la fraude n’a abouti. En 2007, le président Sarkozy en avait fait un objectif majeur de son quinquennat. Or les recouvrements restent inférieurs à 1 milliard d’euros, alors que Dominique Tian évaluait déjà l’ampleur de la fraude à 10 milliards et qu’elle est désormais bien supérieure. Il s’agit d’un enjeu majeur : donnons-nous les moyens. Je suis volontaire pour retravailler avec vous ces amendements.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je serais curieux de connaître l’opinion des acteurs concernés. Le marché des complémentaires est vaste et tous les acteurs ne sont pas semblables ; par ailleurs, ils possèdent leurs propres mécanismes de contrôle. Nous parlons de données de santé, qui sont très personnelles. La sécurité sociale ne partage pas ses données, même relatives à la santé au travail. Il ne serait pas cohérent de le lui demander pour lutter contre la fraude. Nous ne voterons pas ces amendements.
Mme Anne Bergantz (Dem). J’appuie les interventions de MM. Christophe et Neuder. Nous sommes nombreux à vouloir renforcer la lutte contre la fraude ; une meilleure coopération entre l’assurance maladie et les complémentaires constitue une piste intéressante. Nous souhaitons retravailler notre proposition en vue de l’examen en séance.
Mme la rapporteure générale. Monsieur Neuder, sur la mesure 31 de la feuille de route, tous les aspects techniques ne sont pas encore opérationnels mais le travail avance.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS1681 de M. Franck Allisio
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). La coordination des services antifraude est déterminante pour la conduite de leurs enquêtes. Le présent amendement vise donc à améliorer l’échange d’informations entre les services de lutte contre le travail dissimulé, en les plaçant sous la supervision du procureur de la République et du représentant de l’État de chaque département. Ceux-ci s’assureront de la bonne coordination des acteurs, parfois nombreux.
Mme la rapporteure générale. L’amendement est satisfait : les comités opérationnels départementaux antifraude coordonnent déjà la lutte contre le travail dissimulé.
Je vous propose de le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS1684 de M. Franck Allisio
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Les Urssaf jouent un rôle majeur dans la lutte contre la fraude sociale ; elles mènent un travail remarquable. Afin d’améliorer les outils dont elles disposent, le présent amendement vise à les autoriser à prendre des mesures conservatoires préventives lorsque des profils de fraudeurs sont détectés. Il s’agit d’une mesure simple, apte à garantir qu’aucun fraudeur ne pourra soustraire des biens ou liquidités à une sanction.
Mme la rapporteure générale. En cas de constatation de travail illégal, les Urssaf peuvent déjà prendre l’ensemble des mesures conservatoires prévues au code de procédure civile pour recouvrer les cotisations.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS696 de M. Julien Bayou
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS731 de M. Sébastien Peytavie et AS1141 de M. Frédéric Mathieu
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Il s’agit d’augmenter les sanctions prévues en cas de fraude aux cotisations patronales. Le Gouvernement voulant lutter contre la fraude, il serait bon qu’il s’y attaque : la fraude aux cotisations patronales coûte chaque année entre 7 et 25 milliards d’euros aux caisses de sécurité sociale, soit trois à douze fois plus que la fraude aux prestations sociales, évaluée entre 1,9 et 2,6 milliards – montant inférieur à celui du non-recours, qui s’élève à 3 milliards par an.
Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). Depuis de nombreuses années, le Gouvernement contrôle la fraude à deux vitesses : les plus pauvres sont sans cesse traqués, mais le laxisme s’impose envers les plus puissants, en particulier s’agissant de la fraude aux cotisations patronales – la Cour des comptes l’a montré en 2020. Quand la fraude aux prestations sociales versées par les caisses d’allocations familiales représente entre 1 et 2,3 milliards – contre quelque 5 milliards pour les non-recours – le coût de la fraude aux cotisations patronales est estimé entre 10 et 11 milliards, soit cinq à dix fois plus. Par l’amendement AS1141, Nous voulons donc durcir les sanctions appliquées aux patrons délinquants.
Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.
Votre rédaction écrase des mesures de l’article L.133-4-2 du code de la sécurité sociale, qui permet d’exonérer des entreprises de cotisations sociales. Je ne suis pas sûre que ce soit votre but.
La commission rejette les amendements.
Amendement AS1200 de M. Frédéric Mathieu
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). L’amendement vise à augmenter les sanctions pour fraude aux cotisations sociales patronales. C’est sur cette dernière que le Gouvernement devrait plutôt se concentrer : selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale, elle aurait coûté entre 10 et 11,2 milliards d’euros en 2022. Dans sa lutte contre la fraude sociale, le Gouvernement devrait cibler la non-déclaration du travail salarié et la dissimulation d’activité. En février 2020, la Cour des comptes pointait le laxisme des pouvoirs publics envers la fraude aux cotisations patronales. Or le nombre d’inspecteurs et de contrôleurs du travail stagne à un niveau faible depuis plus de dix ans. La nature et le montant des sanctions actuelles ne permettent pas de lutter efficacement contre cette fraude.
Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS154 de M. Jérôme Guedj
M. Jérôme Guedj (SOC). Nous cherchons des ressources pour financer les branches de la sécurité sociale qui en ont besoin. Selon le principe des petits ruisseaux qui peuvent faire de grandes rivières, en attendant la réforme structurelle de la loi sur le grand âge, l’amendement vise à abaisser le plafond de l’abattement de 1,75 % sur l’assiette de la CSG et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) au titre des frais professionnels, actuellement fixé à quatre fois le plafond annuel de la sécurité sociale (Pass). Il est inspiré du « rapport Vachey », « La branche autonomie : périmètre, gouvernance et financement », qui indique que « le plafonnement à 4 Pass de cet abattement pour frais professionnels conduit à offrir un avantage en réduction de la CSG et de la CRDS pour des salariés ayant des rémunérations élevées ».
Nous proposons de ramener le plafond de cet abattement démesuré à 1 Pass, soit environ 41 000 euros au lieu des 164 544 actuels. Cette mesure rapporterait environ 150 millions d’euros par an : certes, cela ne financera pas la branche autonomie, mais nous pourrions arriver à des montants bien supérieurs en multipliant les dispositions de cette nature – suffisamment pour couvrir les besoins des Ehpad. Expliquez-moi en quoi cette mesure d’équité du rapport Vachey pose un problème.
Mme la rapporteure générale. Cet abattement d’assiette vise à assurer l’égalité devant la charge publique entre salariés et indépendants, notamment en permettant à ces derniers de déduire leurs frais professionnels des prélèvements sociaux. Or le plafond actuel de 4 Pass paraît justifié, d’autant que certains revenus sont exclus de l’abattement – stock‑options, attributions d’actions gratuites, épargne salariale. L’abattement ne concerne en fait que les salaires et les primes qui leur sont attachées ainsi que les revenus des artistes-auteurs et des allocations de chômage. Il faut continuer d’en permettre une application large.
Avis défavorable.
Mme Caroline Janvier (RE). Vous proposez en fait d’augmenter les prélèvements obligatoires pour une catégorie d’actifs, en l’occurrence les indépendants. Cela me semble une mauvaise approche d’aller chercher des recettes catégorie par catégorie sans entrer dans le fond du débat, qui reste entier : comment financer ce cinquième risque ? Comment faire contribuer les salariés mais aussi les retraités et les entreprises ? Ce serait une mauvaise manière de répondre à l’enjeu de financement de l’autonomie par de petites mesures.
Mme Ségolène Amiot (LFI - NUPES). Mais 164 000 euros d’exonération, ce n’est pas une paille ! Nous sommes très loin du salaire moyen annuel. Il y a moyen d’être plus raisonnables, tout en rendant les cotisations plus équitables entre indépendants et salariés.
M. Jérôme Guedj (SOC). Pour financer la branche autonomie, arrêtons de mentir aux Français : tôt ou tard, il faudra une augmentation des prélèvements obligatoires.
Deuxièmement, la mesure ne toucherait que les salaires supérieurs à 3 428 euros brut mensuels, soit 13 % des salariés.
Troisièmement, vous avez augmenté la CSG de 1,7 point en 2018, en contrepartie de la suppression des cotisations salariales chômage et maladie, sur lesquelles il n’y avait pas d’abattement. Paradoxalement, vous avez donc accru cet avantage, puisque ni le taux ni le plafonnement de l’abattement n’ont été modifiés à ce moment-là. Si vous l’aviez fait en 2018, je n’aurais rien à dire.
M. Yannick Neuder (LR). Soyons prudents. Nous sommes les champions d’Europe des prélèvements obligatoires, ce qui grève et le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises.
Sur le financement de la cinquième branche et de l’autonomie, je rejoins M. Guedj sur le fait qu’il faudra instaurer une forme de prélèvement obligatoire, dont la modalité sera à discuter. Ce pourra aussi être un système assurantiel. L’assiette sera également à discuter ; elle sera peut-être généralisée à l’ensemble de la population en âge de s’assurer, pour amoindrir le risque financier de sa dépendance à terme. Ce sujet sera au cœur des discussions lors de l’examen de la loi sur le grand âge.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS2753 de M. Karim Ben Cheikh
M. Karim Ben Cheikh (Ecolo - NUPES). C’est un amendement d’appel, déposé tous les ans, relatif à une injustice fiscale et sociale qui touche les Français établis hors de France. Il vise à exonérer les résidents hors Union européenne de la CSG-CRDS. En effet, ceux qui résident au sein de l’Union europénne le sont.
Les non-résidents contribuent à notre régime de sécurité sociale alors même qu’ils n’en bénéficient pas, même lorsqu’ils sont de passage en France. Pis, lorsqu’un non-résident hors Union européenne est atteint d’une maladie grave qu’il ne peut faire soigner dans son pays de résidence, il ne peut être soigné en France.
Le plus souvent, ils sont soumis à une double contribution. En effet, en plus de cotiser sur les revenus de source française, ils sont souvent dans l’obligation légale de cotiser à la sécurité sociale du pays de résidence.
Enfin, la seule caisse de sécurité sociale qui leur soit accessible, la Caisse des Français de l’étranger (CFE), ne bénéficie d’aucune fraction de CSG, alors même qu’elle est en difficulté financière.
Mme la rapporteure générale. Nous avons déjà eu ce débat l’année dernière. L’exonération que vous mentionnez résulte de la mise en conformité avec le droit européen. Je crois nécessaire de maintenir le statu quo en la matière, afin de ne pas rétrécir démesurément l’assiette de la CSG et de la CRDS, dont je rappelle qu’elles sont des recettes majeures pour notre protection sociale.
Avis défavorable.
M. Karim Ben Cheikh (Ecolo - NUPES). Cela ne répond pas à la question du financement de la couverture sociale ou au moins de la CFE. C’est une caisse de sécurité sociale dotée d’une délégation de service public qui ne reçoit quasiment aucun financement de l’État, même quand elle est en difficulté, comme actuellement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS2762 de M. Jean-Paul Mattei
Mme Marina Ferrari (Dem). C’est un amendement de coordination avec l’amendement I-5274 déposé sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Les plus-values immobilières hors résidence principale sont soumises à l’impôt sur le revenu (IR) et aux prélèvements sociaux lorsqu’elles sont réalisées à l’occasion de la cession d’un bien immobilier ou d’un droit relatif à un immeuble. La plus-value imposable est calculée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat, avec éventuellement un abattement pour durée de détention ainsi que différentes majorations du prix de vente, liées par exemple aux dépenses de travaux.
Le montant de l’impôt dû, après abattements, est égal à 19 % de la plus-value au titre de l’IR et à 17,2 % au titre des prélèvements sociaux, soit à 36,2 % de la plus‑value imposable. L’abattement pour durée de détention diffère entre l’IR et les prélèvements sociaux. En conséquence, la plus-value immobilière est exonérée au bout de vingt‑deux ans au titre de l’impôt sur le revenu et au bout de trente ans au titre des prélèvements sociaux. Ce mécanisme conduit à bloquer la production de logements, en incitant les gens à retenir leurs biens.
Le groupe Démocrate souhaite supprimer ces abattements pour durée de détention, en les remplaçant par un abattement équivalent à l’actualisation de la valeur d’acquisition du bien en fonction de l’inflation pour déterminer la plus-value imposable. Dans le même temps, nous souhaitons appliquer, de la même manière que sur les plus-values mobilières, le prélèvement forfaitaire unique (PFU), aujourd’hui à 30 %. Ce système nous paraît beaucoup plus juste.
Toutefois, le caractère systémique d’une telle mesure demande un temps d’adaptation pour tous les acteurs. L’amendement propose ainsi de faire évoluer dans un premier temps le régime des plus-values uniquement pour les terrains à bâtir. Du 1er janvier 2024 au 1er janvier 2026, la durée de vingt‑deux ans serait fixée pour une exonération totale de taxation sur les plus-values de terrains à bâtir, pour créer un choc d’offre ; à compter du 1er janvier 2026 serait appliqué un abattement fondé sur le coefficient d’érosion monétaire avec application du PFU.
Mme la rapporteure générale. Je sais tout le travail réalisé dans ce domaine de la fiscalité patrimoniale. Permettez-moi de vous répondre sur la forme : cet amendement n’aura de sens que lorsque celui déposé sur le PLF aura été adopté. Je vous propose de le retirer pour le redéposer en séance.
M. Thibault Bazin (LR). Nous ne savons pas s’il y aura un 49.3 sur le PLF et si l’amendement Mattei sera repris. Nous ne le saurons sans doute pas avant l’échéance prévue pour le dépôt des amendements sur le PLFSS.
Je suis d’accord sur le principe de cet amendement : inciter à garder les biens plus longtemps contrevient à le nécessité de libérer le foncier. En revanche, je suis gêné par le fait qu’il s’agisse d’une exonération que vous compensez – ce à quoi vous contraignent les impératifs de recevabilité – par l’augmentation du prix du tabac. On sait très bien que cela ne tient pas : ce n’est pas le bon financement.
M. Nicolas Turquois (Dem). Ce sujet tient particulièrement à cœur au président de notre grouoe. Le système actuel incite à garder longtemps les biens alors que, d’une part, on a intérêt à ce qu’ils tournent, et que d’autre part c’est une forme de rente du capital stérile, sans acte de production. Nous sommes favorables à tout ce qui inciterait à la rotation – et développerait donc les ressources fiscales. Je rejoins à ce propos Jérôme Guedj, qui disait que nous ne pourrions pas faire plus à périmètre égal de prélèvements.
M. Yannick Neuder (LR). Nous sommes intéressés par cette mesure. Mais pourquoi vingt-deux ans ? Il faut raccourcir ce délai, pour produire un choc d’offre.
Mme Marina Ferrari (Dem). Nous reportons simplement à 2026 la suppression de la durée de détention actuelle de vingt‑deux ans, pour laisser aux propriétaires le temps de s’organiser.
M. François Gernigon (HOR). Je suis assez d’accord avec ce qui s’est dit sur la durée de détention, d’autant qu’on ne tient pas compte du coefficient d’érosion monétaire, alors que l’inflation revient. Qui plus est, faciliter la vente de biens immobiliers, c’est aussi faire revenir de l’argent dans le circuit économique, ce qui favorise la consommation et le réinvestissement et contribue au développement du marché du logement. J’espère que nous en reparlerons en séance.
L’amendement est retiré.
Amendements AS223 et AS224 de M. Jérôme Guedj (discussion commune)
M. Jérôme Guedj (SOC). Nous n’allons pas faire la révolution fiscale en commission des affaires sociales. Néanmoins, c’est l’endroit pour provoquer des débats. La CSG est devenue l’un des principaux financeurs de toutes les branches de la sécurité sociale. Mais elle est un prélèvement proportionnel, alors que notre système sociofiscal, si l’on veut être fidèles à l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, doit tenir compte des facultés contributives de chacun. Ce qui fait la justice fiscale et sociale, c’est la progressivité du financement. Or le financement de la sécurité sociale n’est pas assis sur un financement progressif. C’est pourquoi, depuis des années, nous proposons d’instaurer une CSG progressive, payée dès le premier euro, avec sept taux allant de 0 % pour les revenus bruts annuels inférieurs à 4 907 euros jusqu’à 13,2 % pour les revenus bruts annuels supérieurs à 79 817 euros. À terme, l’introduction d’une progressivité du taux de CSG doit nous permettre, même s’il faudra passer par une révision constitutionnelle, de faire fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, pour avoir un prélèvement simple, progressif et juste.
Le second amendement maintient les taux réduits qui existent déjà.
Mme la rapporteure générale. Il n’est pas nécessaire de changer le barème de la CSG pour garantir la progressivité et l’équité de notre système fiscal. Par ailleurs, vous ne précisez pas quel serait le produit de la CSG après ce bouleversement du dispositif – rappelons qu’elle rapporte 120 milliards d’euros chaque année à la sécurité sociale.
Avis défavorable.
M. Marc Ferracci (RE). Ce débat est dans l’air depuis longtemps. Mais il y a d’autres outils pour rendre notre système de prélèvements obligatoires plus progressif. La CSG n’a pas été conçue pour être progressive, à la différence de l’IR depuis le début du XXe siècle. La complexité liée à un prélèvement à la source serait difficile à surmonter et pose de nombreuses questions, pour savoir par exemple s’il faudrait appliquer la CSG au niveau individuel ou familial.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). La CSG n’est pas faite pour être progressive, à moins d’en faire un nouvel impôt sur le revenu.
M. Thibault Bazin (LR). Cette proposition était aussi défendue par le candidat Mélenchon, qui proposait même quatorze tranches de CSG. Nous y sommes profondément opposés. Le système de protection sociale n’est pas l’IR.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS1282 de M. Pierre Dharréville, amendements identiques AS895 de M. Sébastien Peytavie et AS1517 de M. Yannick Monnet, amendement AS1185 de M. Laurent Panifous, amendements identiques AS212 de M. Jérôme Guedj et AS896 de M. Sébastien Peytavie, et amendement AS1183 de M. Laurent Panifous (discussion commune)
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Même si je ne suis pas un grand fan de la CSG – je préfère la cotisation – l’amendement AS1282 vise à en faire quelque chose de mieux, en corrigeant des défauts qui nous semblent évidents. Nous souhaitons ainsi mettre plus à contribution les produits du patrimoine ou placement. En 2018, la CSG sur les revenus du capital a été augmentée de seulement 1 point, contre 1,7 pour les revenus d’activité et de remplacement, afin de financer la baisse des cotisations sociales chômage et maladie. Cela ne nous semble pas défendable.
L’amendement AS1517 vise également à mieux mettre à contribution les revenus du capital, en augmentant la CSG.
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement AS895 vise à augmenter le taux de CSG sur les revenus du capital. Ce taux n’a augmenté que de 1 point en 2018, contre 1,7 pour les revenus d’activité ou de remplacement. Le faire passer de 9,2 à 12 % rapporterait 3 milliards d’euros aux caisses de la sécurité sociale. Voici ce que rapporterait une petite augmentation, à comparer à votre décision de faire travailler les gens deux ans de plus pour une économie de 7 milliards.
M. Laurent Panifous (LIOT). Nous savons tous qu’il faut 9 milliards d’euros à échéance 2030 pour financer la branche autonomie. Comme il ne nous semblait pas envisageable d’alourdir les charges portant sur les revenus du travail, mon amendement AS1185 vise à porter de 9,2 à 11,2 % le taux de CSG sur les revenus du capital. C’est un bout du chemin.
M. Jérôme Guedj (SOC). Encore des amendements convergents ! Mon amendement vise à relever le taux à 10,6 % pour les revenus du capital, qui ont été moins touchés en 2018. Le profit serait d’environ 1,5 milliard d’euros. Cette mesure est dans l’esprit du « rapport Vachey », qui soulignait que la taxation des revenus du patrimoine à l’échelle collective constitue l’un des leviers importants pour financer la sécurité sociale – à l’échelle collective, donc, et non individuelle, car il s’agit d’exprimer la solidarité nationale.
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Faire passer, par l’amendement AS896, le taux de CSG sur les revenus du capital à 10,6 %, ce qui n’est pas insoutenable, rapporterait 1,5 milliard d’euros ! Une somme qui serait plus que bienvenue au service des hôpitaux, par exemple.
M. Laurent Panifous (LIOT). L’amendement AS1183 propose d’augmenter de 0,35 point la CSG sur les revenus du capital. L’objectif est de trouver des ressources, pour répondre à la promesse des fameux 50 000 postes en Ehpad. C’était un signal très positif qui avait été donné il y a un peu plus d’un an. Mais, après une première tranche à 3 500 postes, on nous en annonce seulement 6 000. Inutile de dire que ce n’est absolument pas à la hauteur de l’ambition initiale. Notre amendement permettra de créer 12 000 postes chaque année jusqu’en 2027.
Mme la rapporteure générale. Le dernier rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale indique que les prélèvements sociaux sur les produits du capital sont très dynamiques. Ils rapportent 17,2 milliards d’euros de CSG et de CRDS en 2023, soit une augmentation de 5,3 % par rapport à 2022. Nous devons ces résultats au rebond de notre économie après la crise. Aussi, il ne semble pas opportun d’alourdir un prélèvement d’ores et déjà dynamique.
Avis défavorable.
M. Thibault Bazin (LR). Augmenter la taxe aux taux proposés permettrait un gain estimé entre 1,5 et 3 milliards d’euros de recettes – mais toutes choses égales par ailleurs. Or lorsqu’on augmente une taxe, il y a toujours des externalités. Les capitaux circulent ! Il serait donc possible que votre mesure ne rapporte pas autant.
Par ailleurs, les prélèvements obligatoires sur le capital représentent une part importante de notre PIB – 10,5 % pour une moyenne de 8,8 % dans la zone euro ou de 8,5 % dans l’Union européenne. Les recettes de taxation sur le capital représentent 23 % des prélèvements obligatoires en France contre 20 % en moyenne. Il faut prendre ces éléments en considération, car se jouent là des questions de concurrence et d’attractivité.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’augmentation des revenus du capital et des dividendes distribués ne serait-ce que l’année dernière est considérable. Chaque année voit apparaître de nouveaux records ! La flat tax a même contribué à cette augmentation. Nous voulons rendre ces richesses utiles pour le bien commun. Nous avons besoin de moyens pour faire face aux questions de santé et sociales qui se posent. Il faut aller chercher l’argent où il est. Nous rétablissons en réalité un ordre des choses qui n’aurait jamais dû être entaillé.
La commission rejette successivement les amendements.
La réunion est suspendue de onze heures à onze heures quinze.
Amendement AS286 de M. Jérôme Guedj
M. Jérôme Guedj (SOC). Il s’agit de trouver des ressources, mais aussi de fiscalité comportementale. L’addiction aux paris sportifs et aux jeux de hasard et d’argent est un fléau. Les dépenses relatives aux jeux sont en significative augmentation ces dernières années. Des mesures de régulation sont impératives, pour des raisons sociales et sanitaires, écrit la sénatrice Raymonde Poncet Monge dans un rapport. C’est pourquoi il vous est proposé de remettre à niveau la CSG sur les paris sportifs et les jeux de hasard, en faisant passer son taux de 6,2 à 9,2 %. Les recettes seraient attribuées à la branche vieillesse.
Mme la rapporteure générale. Nous avons déjà eu ce débat l’année dernière. La CSG sur les jeux est très dynamique. Son produit dépassera 600 millions d’euros cette année contre 445 millions en 2021.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS63 de M. Yannick Neuder
Mme Isabelle Valentin (LR). Les bailleurs ruraux ont un rôle important pour le renouvellement des générations en agriculture et l’installation des jeunes. L’amendement vise à protéger le foncier non bâti agricole de l’artificialisation des sols ou des grands projets photovoltaïques qui recouvrent des hectares entiers. Nous proposons de baisser à 3,8 % le taux de la CSG sur le revenu foncier tiré de la location des terres par un bailleur rural à un jeune qui s’installe.
Mme la rapporteure générale. La justification d’un seuil dérogatoire à la CSG relève de conditions de revenus spécifiques. Or votre abaissement de taux s’appliquerait à l’ensemble des exploitants agricoles, qu’ils soient riches ou pauvres, pourvu qu’ils louent leurs terres.
Avis défavorable.
Mme Isabelle Valentin (LR). Des agriculteurs très riches, il n’y en a pas beaucoup. La filière est en souffrance. On manque d’installations. Si l’on n’accompagne pas les jeunes en matière de foncier, notre souveraineté alimentaire est en danger.
M. Thibault Bazin (LR). La question n’est pas d’aider les riches ou les pauvres mais d’aider les jeunes, qui ne sont pas riches quand ils s’installent, d’autant qu’ils le font de moins en moins dans le cadre d’une transmission. Il faudrait vraiment répondre à cet enjeu.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS1514 de M. Pierre Dharréville et AS233 de M. Jérôme Guedj (discussion commune)
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Mon amendement veut mettre à contribution les bénéficiaires de retraites chapeaux conséquentes, à partir de 10 000 euros, le montant de la pension moyenne étant de 1 531 euros brut ou 1 420 net par mois.
M. Jérôme Guedj (SOC). Il y a quelques mois, nous essayions de vous faire la démonstration qu’il était possible de trouver des financements pour la sécurité sociale, en l’occurrence pour la branche vieillesse, sans avoir à recourir à un impôt sur la vie de deux années supplémentaires, grâce à une palette de mesures de justice sociale et fiscale. La question des retraites chapeaux défraie régulièrement la chronique. La liste est longue : 1,7 million d’euros par an pour Franck Riboud, ancien PDG de Danone, parti à la retraite en 2014 ; 3 millions pour l’ancien PDG de L’Oréal, parti en 2011 ; 1,3 million pour le patron d’Airbus, Tom Enders, parti en 2020 ; 800 000 euros pour le PDG d’Engie, Gérard Mestrallet, parti en 2018. On perpétue une forme d’inégalité qui est très difficile à admettre, avait déclaré l’ancien président d’Orange, il y a dix ans. La taxation plus juste des retraites chapeaux apparaît saine. Aussi, nous vous proposons de faire passer le seuil de taxation à 21 % de 24 000 à 12 000 euros mensuels.
Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Ces retraites sont déjà taxées de façon progressive.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AS232 de M. Jérôme Guedj et AS732 de M. Sébastien Peytavie
M. Jérôme Guedj (SOC). Dans le même esprit, il s’agit de faire passer le taux de taxation de 21 % à 30 %. Le rendement serait, de mémoire, de l’ordre d’une centaine de millions d’euros.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les retraites chapeaux sont des retraites exceptionnelles que seuls touchent les dirigeants des grandes entreprises. Avec l’amendement AS732, un taux de taxation à 30 % permettrait d’augmenter les recettes et de dissuader d’avoir recours à ce dispositif. Nous n’avons pas de chiffres précis sur le nombre de bénéficiaires de ces retraites, dont nous avions proposé la suppression lors de l’examen de la réforme des retraites. En revanche, nous savons que 42 milliards d’euros d’encours y ont été dédiés, selon la Fédération française de l’assurance.
Mme la rapporteure générale. Pour les mêmes raisons, avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques AS211 de M. Jérôme Guedj, AS734 de M. Sébastien Peytavie et AS1518 de M. Pierre Dharréville
M. Jérôme Guedj (SOC). Même si nous nous exposons une nouvelle fois à voir balayer d’un refus lapidaire notre recherche de justice, il est question dans cet amendement de l’allégement de la fiscalité sur les actions gratuites, qui a été voté en loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. C’est un allégement qui pèse lourd : 125 millions d’euros pour la sécurité sociale, 25 millions pour la suppression de la cotisation sociale salariale et environ 200 millions pour la partie patronale.
Sont concernés aussi des secteurs qui ont défrayé la chronique : ainsi, l’ancien directeur général d’Orpea, M. Yves Le Masne, limogé à la suite du scandale, a bénéficié d’actions gratuites, sans doute financées par le détournement de fonds issus des dotations de l’État sur lequel une procédure judiciaire est en cours.
Dans un double souci de moralisation et de rendement, il vous est proposé de porter le taux de la cotisation patronale à 30 %.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Par l’amendement AS734, la taxation de la distribution d’actions gratuites, dont les encours sont encore supérieurs à ceux des retraites chapeaux, est une mesure de justice fiscale indispensable.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Ces amendements ont pour objet de revenir sur une mesure adoptée précipitamment par l’Assemblée nationale afin d’encourager la distribution d’actions gratuites, avec pour effet de priver la sécurité sociale de ressources nécessaires. Il s’agit d’un outil de contournement des salaires qui profite à un nombre restreint de salariés, souvent très bien rémunérés, et sape le financement de la sécurité sociale. Nous y sommes très défavorables.
Mme la rapporteure générale. Malgré la baisse du taux, cette ressource reste très dynamique. Selon le rapporte à la Commission des comptes de la sécurité sociale, ses recettes ont progressé de 8,5 % entre 2022 et 2023 et son rendement dépassera 1 milliard d’euros en 2024. En outre, l’allégement de la fiscalité a amélioré le pouvoir d’achat des salariés.
Avis défavorable.
M. Thibault Bazin (LR). Les exemples cités par la NUPES sont scandaleux mais il en est des vertueux : des salariés modestes, parfois même des saisonniers, reçoivent des actions gratuites.
La distribution d’actions gratuites permet de partager, outre les bénéfices, la gouvernance – elles sont assorties d’un droit de vote – et d’assurer une stabilité du capital, sans qu’aucune contrepartie ne soit demandée aux salariés, à la différence des stock-options. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous sommes très attachés à l’actionnariat salarié.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). C’est un leurre : le pouvoir de décision est inexistant. Ce que veulent les salariés, c’est des hausses de salaire, lesquelles contribuent au financement de la protection sociale, là où la distribution d’actions gratuites soustrait des ressources. Madame la rapporteure générale, si la ressource est dynamique, profitons-en !
M. Nicolas Turquois (Dem). Nous avons une vraie différence philosophique. Je suis partisan d’un capitalisme social. Lorsque les salariés sont intéressés à la vie de l’entreprise – les actions gratuites y contribuent – cela donne un autre sens au travail. Je respecte votre rapport au travail, mais c’est une très mauvaise idée de s’attaquer à l’actionnariat salarié. Il me semble préférable de développer une société du travail dans laquelle le nombre de chômeurs régresse.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques AS240 de M. Jérôme Guedj et AS1515 de M. Yannick Monnet
M. Jérôme Guedj (SOC). Alors que les recettes font défaut, les entreprises profitent, sinon de cadeaux, au moins de largesses de l’État. Depuis la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, elles peuvent ainsi verser à leurs salariés des compléments de rémunération sur lesquels elles ne paient pas de cotisations. En outre, les sommes versées sont déductibles de leur bénéfice imposable. Cela représente un manque à gagner significatif.
Nous proposons donc de revenir sur ces mesures, d’une part en rétablissant le forfait social sur les versements au titre de l’intéressement dans les entreprises de 50 à 250 salariés, et d’autre part en rehaussant de 16 % à 20 % le forfait social sur les versements réalisés sur des plans d’épargne retraite.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Les actions gratuites que vous défendez sont en partie financées par la sécurité sociale, puisque vous réduisez la contribution sociale qui y est attachée.
Pour prolonger le débat avec M. Turquois, nous sommes partisans de donner des droits aux salariés, y compris dans la gestion des entreprises, vous préférez les donner aux actionnaires et vous avez même fortement réduit les droits des salariés dans la dernière période.
L’amendement AS1515 vise d’une part à rétablir le taux du forfait social de droit commun de 20 % pour les versements réalisés sur des plans d’épargne retraite et d’autre part à réintroduire la contribution sociale à la charge des employeurs de moins de 250 salariés au titre de l’intéressement. La rémunération doit servir à financer notre protection sociale commune.
Mme la rapporteure générale. Nous avons fait le choix politique de soutenir le partage de la valeur au sein des entreprises et d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, ce qui est aussi une manière d’apporter des recettes à notre protection sociale. Vos amendements fragiliseraient cette politique ; donc avis défavorable.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous ne parviendrons pas à clore ce débat aujourd’hui. Je me permets néanmoins de contester votre présentation trompeuse, madame la rapporteure générale. Tout montre que les politiques que vous avez menées depuis 2017 n’ont pas amélioré le partage de la valeur. Les inégalités explosent. Dans la conférence sociale, le Gouvernement ne met pas sur la table les arguments qui permettraient d’aboutir à une hausse des salaires. Parler de partage de la valeur sans parler des salaires, c’est ahurissant.
La commission rejette les amendements.
Amendements AS746 et AS747 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune)
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Ces amendements ont pour objet de créer une contribution additionnelle à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) dont le produit serait affecté à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav).
Depuis le précédent quinquennat, les entreprises ont bénéficié de 18 milliards d’euros de baisses d’impôts de production, sans contrepartie. Le Gouvernement a déjà annoncé une diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de plus de 8 milliards, dont les collectivités locales et la sécurité sociale seront les principales perdantes. Dans un contexte où les superprofits ne connaissent toujours pas la crise, contrairement à la majorité des Français, les entreprises ont assez bénéficié de cadeaux fiscaux comme celui-ci.
Dans l’amendement AS747, la contribution rapportera le double de l’actuelle C3S, soit 9,2 milliards d’euros.
Mme la rapporteure générale. Avis défavorable à l’augmentation d’impôts qui est proposée.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS749 de M. Sébastien Peytavie
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement tend à rétablir le prélèvement supprimé au début du quinquennat d’Emmanuel Macron sur les hautes rémunérations en l’affectant à la Cnav.
Les 10 % les mieux payés touchent au moins trois fois plus que les 10 % les moins bien payés. Le 1 % des mieux rémunérés perçoivent un salaire net d’au moins 9 600 euros mensuels, soit l’équivalent de sept mois de salaire des 10 % les moins bien payés. Ces inégalités de revenus ont directement à voir avec les inégalités de santé. Les 10 % les plus pauvres ont ainsi un risque 1,4 fois plus élevé de développer une maladie cardiovasculaire et trois fois plus de risques de contracter un diabète que les 10 % les plus riches.
Pour corriger cette injustice, nous devons doter suffisamment notre système de soins pour garantir l’accès aux soins pour toutes et tous.
Mme la rapporteure générale. Vous supprimez des mesures que nous avons adoptées pour améliorer la compétitivité de nos entreprises en cherchant à aligner notre fiscalité sur celles des pays voisins. La compétitivité est à la fois un gage de souveraineté de notre pays mais aussi un moyen de créer des emplois et de réindustrialiser.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS196 de M. Jérôme Guedj, AS1205 de Mme Ségolène Amiot et AS1516 de M. Pierre Dharréville
M. Jérôme Guedj (SOC). Pour financer la branche autonomie, a été créée la contribution de solidarité pour l’autonomie (CSA), au taux de 0,3 %, en contrepartie de la journée de solidarité envers les personnes âgées, ce jour de travail gratuit fourni par les salariés. Il vous est proposé de doubler le taux de cette contribution qui rapporte actuellement 4 milliards d’euros. Nous assumons de relever un prélèvement obligatoire pour financer la branche autonomie.
Nous déposerons en séance un amendement qui tient à cœur de Monique Iborra pour corriger cette CSA. En effet, plusieurs revenus y échappent. On pourrait l’étendre aux revenus d’activité des travailleurs indépendants ainsi qu’aux compléments de salaires aujourd’hui exonérés – l’épargne salariale par exemple. On pourrait aussi assujettir à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie les revenus de remplacement qui sont aujourd’hui exonérés – les indemnités journalières ou les allocations chômage.
Mis bout à bout, ces prélèvements représentent la somme de 2,5 milliards d’euros dont nous avons besoin à court terme pour améliorer le financement de la branche autonomie. C’est de simple justice : le « rapport Vachey » s’étonnait que les revenus d’activité ne soient pas soumis aux mêmes contributions que les revenus du travail.
Mme Ségolène Amiot (LFI - NUPES). Les énormes besoins en personnels mis en évidence par le rapport de Mmes Fiat et Iborra sur les Ehpad ne vont pas se financer tout seuls.
Le Gouvernement et la majorité viennent de faire un très beau cadeau aux entreprises en leur offrant deux années de travail supplémentaires de leurs salariés, lesquelles pourraient servir à financer la cinquième branche. Nous attendons encore que le Président de la République honore sa promesse de doter la cinquième branche qu’il a créée des financements nécessaires. Nous vous proposons donc des ressources pour financer les Ehpad.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). La création de la branche autonomie ne s’accompagne pas des financements suffisants pour faire face aux besoins, qui sont identifiés dans différents rapports et qui ne cessent de s’amplifier – 6 milliards d’euros supplémentaires par an seront nécessaires à partir de 2024 et 9 milliards à partir de 2030. Les objectifs de dépenses pour 2024 de la branche sont fixés à 39,9 milliards, en augmentation de 5,2 % par rapport à 2023.
Le conseil de la CNSA a manifesté de sérieuses réserves sur le PLFSS puisque dix‑huit voix en ont pris acte tandis que quatorze s’y opposaient, ses membres estimant que, « au regard des enjeux liés au vieillissement de la population et à l’inclusion, il ne leur paraît pas possible de répondre aux besoins croissants des personnes sans une progression plus importante des dépenses de la branche et de nouvelles recettes ». Ce constat est partagé par le Haut Conseil des finances publiques qui note dans son dernier avis que la trajectoire des dépenses des administrations de sécurité sociale présente une hausse en moyenne de 0,8 % sur la période 2024-2027 qui « ne laisse cependant pas apparaître de surcoût progressif lié aux dépenses de dépendance, malgré la hausse des besoins liés à la perte d’autonomie découlant du vieillissement de la population ». Les membres du conseil de la CNSA demandent que le Gouvernement « prenne enfin la mesure des besoins ».
À compter de 2024, la branche autonomie bénéficiera de financements supplémentaires correspondant aux recettes de CSG provenant de la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Il en résulte qu’elle sera financée quasi exclusivement – à 90 % – par la CSG, c’est-à-dire par les salariés et les retraités, les employeurs ne contribuant qu’à hauteur de 6 % par le biais de la CSA.
L’amendement propose donc un financement plus ambitieux, plus adapté aux besoins et plus juste, mettant à contribution plus fortement les employeurs. Nous avions déjà soulevé, lors de la création de la branche, la question de son financement, sans parler de sa gouvernance.
Mme la rapporteure générale. La CSA est très dynamique – les recettes augmenteront de 7,5 % en 2024 selon la CCSS. Il ne me semble pas nécessaire de doubler le taux de cette contribution ; donc avis défavorable.
M. Marc Ferracci (RE). J’insiste sur la nécessité de prendre en considération les effets sur la création d’emplois et d’entreprises des amendements qui sont ici proposés.
Le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France Stratégie vient de publier son quatrième rapport. Celui-ci met en évidence les effets positifs sur la création d’entreprises des mesures que nous avons adoptées au début du premier quinquennat. Les chercheurs constatent que, dans les secteurs les plus exposés aux réformes, le taux de création d’entreprises est plus important et que les entrepreneurs reviennent et quittent moins la France.
Il importe de rester cohérents et de conserver notre logique : les créations d’emplois et d’entreprises sont autant de garanties de ressources futures pour notre protection sociale.
M. Fabien Di Filippo (LR). Je ne suis pas non plus un farouche partisan de l’alourdissement de la fiscalité sur le travail, car il pénalise les entreprises et surtout les travailleurs. Les amendements ont néanmoins le mérite de poser une question intéressante : comment finance-t-on les besoins en matière d’autonomie ?
La majorité s’est souvent vantée de la création de la cinquième branche mais celle-ci n’est pas financée. L’année prochaine, pour la première fois, le nombre de personnes de plus de 65 ans sera plus élevé que celui de personnes de 15 ans ou moins. Vous refusez les mesures destinées à encourager la natalité. On peut par ailleurs s’attendre à un tour de vis en matière d’immigration, compte tenu des difficultés sécuritaires et sociales qu’elle pose. Comment donc comptez-vous financer la branche autonomie ? Par un système assurantiel individuel, par des impôts supplémentaires ? Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une branche qui n’est absolument pas financée, compte tenu des difficultés que connaissent les établissements d’accueil des personnes âgées et du rythme de vieillissement de la population.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Parler de réforme de la fiscalité du capital, comme l’a fait à l’instant Marc Ferracci, c’est employer de jolis mots pour désigner des cadeaux au patronat, aux actionnaires, bref à ceux qui n’en ont pas besoin. Ces mesures accroissent les inégalités et conduisent à un sous-financement de l’État et de la sécurité sociale. Au bout du compte, qui paye ? Ceux qui n’ont pas droit à ce qui devrait leur être garanti. Quand on diminue la contribution de ceux qui ont les moyens de payer, on augmente celle des autres !
Mme Caroline Janvier (RE). La question est la suivante : comment trouve-t-on 9 milliards d’euros à horizon 2030 ? Je vous rejoins, monsieur Guedj : il faudra augmenter les prélèvements d’une façon ou d’une autre. Mais ensuite, comment répartit-on l’effort entre les actifs et les salariés, entre les salariés et les employeurs, entre les revenus du capital et les revenus du travail ? Toutes ces questions ont été posées par Laurent Vachey dans son rapport dont nous avons longuement débattu ici. Nous ne les avons pas tranchées et nous n’avons sans doute pas suffisamment associé les Français à ce débat.
Mme Monique Iborra (RE). La question de savoir comment résoudre le problème de la démographie est posée depuis longtemps déjà, sans que nous ayons trouvé la réponse.
On ne peut pas dire que les Français n’ont pas été consultés. Ils l’ont été très largement pendant le précédent quinquennat et ils ont choisi la solidarité, pas les assurances.
Enfin, on ne peut aborder l’autonomie uniquement sous l’angle du financement : il faut commencer par élaborer une politique.
M. François Gernigon (HOR). C’est une question de sémantique et de curseur. Nous savons que des milliards d’euros seront nécessaires mais s’agit-il d’impôts, d’assurances, de solidarité nationale ? Où place-t-on le curseur entre travail et capital ? Nous devons nous mettre enfin autour de la table pour en parler ; arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt.
M. Thibault Bazin (LR). Notre système de protection sociale repose en grande partie sur le travail et la création de valeur.
C’est d’abord par le travail que nous financerons les nouveaux risques. Outre les inévitables arbitrages et les priorités à définir, il conviendra parallèlement de lutter contre les fraudes et les abus afin de s’assurer du bon usage des deniers publics. Nous devons nous garder d’une vision statique qui nous entraînerait dans le cercle vicieux du déclin de notre pays conjugué à celui de notre système de protection sociale.
Mme Justine Gruet (LR). Nous avons sur ce sujet une responsabilité politique importante. Chaque année, nous repoussons les décisions que nous avons à prendre.
Ne pourrions-nous pas nous interroger sur le poids respectif des branches de la sécurité sociale ? La branche maladie est gratuite pour l’ensemble des Français, quels que soient leur lieu de résidence, leurs revenus ou leur état de santé, alors que la branche autonomie n’est pas financée comme elle le devrait : le reste à charge pour les familles dépend du niveau de dépendance, des revenus et aussi des territoires.
À force de repousser les décisions, le mur se rapproche. Si nous voulons garantir à nos ainés une bienveillance et un accompagnement correct, nous devons être capables de prendre les décisions maintenant.
Mme la rapporteure générale. Monsieur Di Filippo, c’est notre majorité qui a créé la cinquième branche, que d’autres avant nous avaient envisagée sans s’y risquer.
À court terme, cette branche reste excédentaire, malgré les engagements que nous avons pris et qui représentent des dépenses importantes – 50 000 postes supplémentaires. En revanche, il est vrai qu’à moyen et long terme, en raison de la démographie, nous aurons à trouver des financements. C’est un débat de société qui porte d’abord, selon moi, sur la réforme de la prise en charge de nos aînés plutôt que sur un impôt supplémentaire, comme l’amendement le propose.
La commission rejette les amendements.
Amendements AS153 de M. Jérôme Guedj, AS1511 de M. Pierre Dharréville et AS188 de M. Jérôme Guedj (discussion commune)
M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS153 vise à créer une contribution de 1 % assise sur les revenus des capitaux mobiliers pour financer la cinquième branche de la sécurité sociale, ainsi que le préconise le « rapport Vachey ».
La création de la branche autonomie ne s’est pas accompagnée d’un financement pérenne de la perte d’autonomie – le « rapport Libault » faisait état d’un besoin de financement de 6 milliards d’euros à partir de 2024 et de 9 milliards en 2030. C’est l’un des combats de Jérôme Guedj qui trouve un prolongement dans la proposition de loi visant à garantir le droit à vieillir dans la dignité et à préparer la société au vieillissement de sa population que le groupe Socialistes avait déposée.
La petite contribution proposée ici rapporterait 1,5 milliard d’euros par an, un montant bien inférieur à l’économie réalisée par les grandes fortunes grâce à l’instauration de la flat tax en 2017. Le Gouvernement a fait le choix politique de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). On peut en faire un autre, celui de créer une nouvelle contribution de solidarité pour l’autonomie, assise sur les revenus du capital mobilier. France Stratégie le confirme, la suppression de l’ISF n’a pas d’effets démontrés sur l’économie. Cessons de protéger coûte que coûte les revenus du capital et assumons ce choix !
Je rappelle un chiffre : 62 % des dividendes ont été perçus par 0,1 % des foyers. La création de cette contribution permet donc de réduire les inégalités. J’ajoute que le montant des dividendes supérieurs à 1 million d’euros compte pour un quart du total en 2020, soit deux fois plus qu’en 2017. Bref, le ruissellement n’existe pas.
Nous vous proposons donc de mettre à contribution le capital en créant un cercle vertueux de solidarité au profit de nos personnes âgées mais aussi de nos jeunes.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Mon amendement vise à créer une contribution de solidarité assise sur les dividendes distribués. C’est la moindre des choses, au vu des chiffres qui viennent confirmer régulièrement la bonne santé de l’actionnariat et la vigueur des dividendes. Cette mesure rapporterait 2 milliards d’euros à la branche autonomie.
Les membres du conseil de la CNSA estiment que les mesures du PLFSS2024 « pour structurantes qu’elles soient, ne peuvent, à elles seules, garantir aux Français la capacité de vieillir chez eux, à domicile, en habitat intermédiaire ou en établissement en étant soutenus dans leur autonomie au juste niveau ». L’Assemblée nationale doit prendre ses responsabilités, puisque le Gouvernement ne le fait pas, pour financer les besoins.
M. Jérôme Guedj (SOC). Comme Marc Ferracci, j’ai parcouru le rapport de France Stratégie et une donnée m’a effrayé : 1 % des foyers fiscaux, c’est-à-dire 400 000 sur 40 millions, concentrent 96 % des dividendes déclarés. Un tiers – contre 22 % l’année dernière – des revenus financiers supérieurs à 1 million d’euros sont réservés à 4 000 foyers fiscaux, soit 0,01 %. Face à une telle concentration des dividendes versés, alors que nous cherchons à partager l’effort commun pour financer la branche autonomie, mon amendement AS188 vise à dégager 2 milliards d’euros.
Démontrez-moi que cette somme n’est pas absolument indispensable demain matin pour revaloriser les salaires, pour recruter enfin dans des proportions suffisantes ! Ce ne sont pas les 6 000 postes que vous créez qui rendront ces métiers attractifs : en deux ans, avec 9 300 postes pour 7 500 établissements, vous aurez créé 1,2 équivalent temps plein travaillé par Ehpad. Pour éviter une crise du vieillissement et de l’attractivité ainsi que des maltraitances systémiques et institutionnelles dans les établissements, le choix est clair : prendre 2 milliards d’euros à ces 400 000 ménages qui concentrent 96 % des dividendes distribués pour financer des mesures de solidarité – dont ils bénéficieront puisqu’eux aussi ont des parents en Ehpad !
Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, personne ici ne dira qu’il n’a pas besoin de 2 milliards d’euros supplémentaires pour l’autonomie, ou pour les hôpitaux, ou pour les médecins de ville, ou pour les infirmières – et j’en oublie forcément.
Je rappelle que les dividendes sont déjà taxés. Mon avis est défavorable.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Je ne fais pas partie de ceux qui opposent capital et travail. Nous avons besoin d’entreprises avec des capitaux solides et des actionnaires à long terme pour investir et créer de l’emploi. J’ai toujours en tête ce théorème de Helmut Schmidt selon lequel les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. En effet, pour qu’il y ait partage de la valeur, encore faut-il qu’il y ait travail.
En revanche, l’hyperconcentration des dividendes qu’évoque Jérôme Guedj doit poser question, surtout quand les salaires ne paient pas et ne permettent pas de vivre dignement. Cet amendement d’appel permettra de lancer le débat, je l’espère, en séance.
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Nous allons évidemment voter cet amendement.
Hier vous nous reprochiez de dépenser sans compter les milliards et vous nous demandiez où nous les trouvions. Voici 1,5 milliard d’euros ! Depuis ce matin, nous vous soumettons de nombreuses solutions de financement et vous les refusez systématiquement. Si vous ne votez pas ces amendements, ne venez plus nous dire qu’il n’y a pas d’argent.
L’année dernière, l’Assemblée avait adopté à l’unanimité un amendement demandant au Gouvernement de remettre un rapport sur le ratio entre résidents et soignants dans les Ehpad. Nous n’en avons toujours pas vu la couleur, et c’est un scandale.
M. Marc Ferracci (RE). Le rapport de France Stratégie met en évidence les effets des réformes de la fiscalité du capital sur la création d’entreprises, donc sur la création d’emplois. Pour paraphraser le fameux théorème de Helmut Schmidt, les emplois qui sont créés aujourd’hui par ces réformes, ce sont les cotisations de demain et les prestations d’après-demain pour notre système de protection sociale.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AS192 de M. Jérôme Guedj et AS736 de M. Sébastien Peytavie, amendements AS151 de M. Jérôme Guedj et AS1216 de M. Frédéric Mathieu, amendements identiques AS152 de M. Jérôme Guedj et AS1255 de M. Laurent Panifous (discussion commune)
M. Jérôme Guedj (SOC). C’est l’aberration de l’article 40 appliqué au PLFSS : on peut trouver des recettes supplémentaires, baisser les dépenses mais pas les accroître. Il vous est donc proposé des recettes supplémentaires pour améliorer l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, qu’il soit hospitalier ou médico-social.
Après les dividendes et le scandale de leur hyperconcentration, un autre sujet pose question : les successions et donations. Je ne suis pas allé puiser dans la littérature gauchiste mais dans le « rapport Vachey », qui préconise d’instaurer un prélèvement sur les transmissions de patrimoine.
Je ne reviens pas sur l’hyperconcentration, là encore, du patrimoine. Je note simplement que le rendement des droits de mutation à titre gratuit est très faible – de l’ordre de 16 à 17 milliards d’euros pour une assiette taxable de 280 milliards par an. Il faut donc rappeler, pour tordre le cou à une légende, que seule une petite minorité des successions donne lieu au paiement de droits de succession.
La contribution exceptionnelle que nous proposons par l’amendement AS152 ne concerne ni les classes populaires, ni les classes moyennes, ni même les classes moyennes supérieures, mais les successions les plus importantes. Avec un taux de 1 % de l’actif net taxable dès le premier euro, elle permettrait de dégager les ressources indispensables pour financer la branche autonomie.
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). À sa création en 2020, la cinquième branche n’a pas fait l’objet d’un financement dédié, en dépit des importants besoins – le « rapport Libault » les chiffre à 6 milliards d’euros annuels à partir de 2024 et à 9 milliards à partir de 2030.
Reprenant une proposition du « rapport Vachey », mon amendement tend à instaurer une contribution assise sur les droits de succession et de donation. Cette solution présente l’avantage de ne pas taxer les actifs pour financer des prestations qui s’adressent majoritairement aux personnes âgées. Selon la Fédération hospitalière de France, trois Ehpad publics sur quatre sont en déficit, pour un total de 500 millions d’euros.
L’héritage profite d’abord aux plus riches, ceux qui non seulement ne contribuent pas assez au financement de la sécurité sociale mais sont également les plus à même de fuir les établissements publics et de se soigner dans les cliniques privées. 13 % des héritages dépassent 100 000 euros et notre système fiscal favorise les plus importants.
M. Jérôme Guedj (SOC). Avec le taux de 1 % prévu par l’amendement AS151, le rendement de cette contribution devrait atteindre 500 ou 600 millions d’euros par an. Pour un héritage de 120 000 euros après abattement, pour un enfant en ligne directe, la contribution s’élèverait à 200 euros, et pour un neveu à 700 euros.
Le patrimoine moyen est de 200 000 euros mais ce montant est très déformé par les successions bien plus importantes – de plusieurs millions ou dizaines de millions d’euros. Ce sont elles qui fourniront l’essentiel du produit de la contribution.
C’est de l’anti-ruissellement, si j’ose dire, puisque nous prenons l’argent là où il se concentre. Les effets de la mesure sont suffisamment lissés pour qu’elle ne pose pas problème.
M. Damien Maudet (LFI - NUPES). Voici trois bonnes raisons de voter avec l’amendement AS1216 une taxation de 1 % sur les successions et donations de plus de 120 000 euros : la promesse faite par Emmanuel Macron de réformer les droits de succession et de donation, celle de financer de manière fiable la branche autonomie, et enfin la nécessité de trouver des financements. Notre proposition, à 1 % au-dessus de 120 000 euros taxables, est raisonnable.
85 % des Ehpad sont déficitaires, les soignants ont de plus en plus de difficultés à faire leur travail. Parallèlement, le rapport de MM. Mattei et Sansu sur la fiscalité du patrimoine montre nous sommes de plus en plus une société d’héritiers. Au cours des vingt dernières années, le patrimoine des plus pauvres a diminué de 50 % tandis que celui des plus riches augmentait de 120 % – c’est l’effet de l’hyperconcentration des patrimoines. Compte tenu des besoins de financement de nos services publics, nous vous présentons une taxation qui ne semble pas excessive pour récupérer un peu d’argent.
M. Jérôme Guedj (SOC). Avec l’amendement AS152, il s’agit toujours de créer une contribution sur les successions et donations, dont les modalités seront précisées par décret. On pourrait d’ailleurs introduire, ainsi que le propose le « rapport Vachey », une nouvelle tranche de 25 % pour la transmission de patrimoines entre 290 000 et 550 000 euros. Cela rapporterait de l’ordre de 200 millions d’euros.
Vous le voyez, on peut être inventif sans être confiscatoire. L’idée d’une telle contribution, qui n’a pas d’impact sur les petites successions, je le rappelle, est très répandue ; elle est notamment soutenue par la CFDT.
M. Laurent Panifous (LIOT). L’amendement AS1255 propose une piste pour financer notre système de protection sociale, en particulier sa branche autonomie – une contribution sur les successions et les donations les plus élevées dont les modalités sont renvoyées à un décret.
La volonté de trouver des financements pérennes pour la branche autonomie est partagée. Nous le savons, nous devrons faire des choix politiques qui seront peut-être difficiles, notamment entre un système assurantiel, que je ne souhaite pas, et la solidarité. Mais, dès lors que le diagnostic est partagé – la nécessité de trouver des moyens pour accompagner nos aînés – qu’attendons-nous pour prendre des décisions, quelles qu’elles soient ? Si nos propositions de financement ne conviennent pas, que la majorité et le Gouvernement en présentent d’autres pour trouver les 9 milliards d’euros nécessaires et qu’ils prennent une décision !
Mme la rapporteure générale. Vous connaissez notre engagement à ne pas augmenter les taxes ni les impôts. Je maintiens mon avis défavorable.
Mme Caroline Janvier (RE). Les amendements en discussion visent à réduire les inégalités, qui se manifestent davantage dans le patrimoine que dans le revenu. Mais les recettes de la sécurité sociale proviennent de plus en plus de prélèvements obligatoires plutôt que de cotisations, lesquelles représentent désormais 58 % seulement de ses ressources. Certains ici déplorent largement cette situation, qui dévoie le mécanisme de la sécurité sociale, initialement censée être financée par des contributions sociales ouvrant droit à des prestations – d’aucuns parlent même de revenu différé. Or l’idée est bien de considérer la cinquième branche comme un autre risque couvert par ces prestations.
M. Thibault Bazin (LR). Encore des nouvelles taxes ! Au moins, vous êtes constants. Mais ce n’est pas ainsi que l’on financera durablement notre système de protection sociale : c’est par la création de valeur, par le travail.
Les recettes issues des droits de succession ont déjà augmenté de 120 % entre 2010 et 2022. Elles sont beaucoup plus élevées en France qu’ailleurs, à l’exception de la Corée du Sud et du Japon. L’impôt sur les successions représente 0,7 % du PIB en France alors que la moyenne européenne est à 0,2 %. Bref, nous taxons déjà beaucoup les successions et donations.
Je suis très attaché à la transmission. Des personnes ont constitué un patrimoine à la sueur de leur front : c’est un atout pour leur retraite, et un moyen d’aider la nouvelle génération à mettre le pied à l’étrier. Les classes moyennes seraient pénalisées par ce qui est proposé puisque dans la plupart des cas, la valeur de leur résidence principale est supérieure au seuil de 120 000 euros.
M. Jean-François Rousset (RE). Taxer, toujours taxer, augmenter les impôts... C’est Monsieur Plus ! Nous, nous croyons à un modèle de société qui permet de créer des emplois et de la valeur ajoutée, lesquels financeront à long terme notre protection sociale.
M. Damien Maudet (LFI - NUPES). Vous nous mettez dans une drôle de situation : vous dites qu’on ne peut pas investir dans les services publics faute d’argent, mais vous ne voulez pas de nos solutions pour en trouver. En fait, vous ne voulez juste pas financer les services publics !
On nous parle de ceux qui ont constitué leur patrimoine à la sueur de leur front, mais ne nous racontons pas d’histoires : là, il s’agit des 10 % de donations dont la valeur est la plus élevée dans le pays ! Vous privilégiez ces 10 % au détriment des 90 % restants, vous préservez ces donations en sacrifiant le financement des services publics : c’est un choix. N’enrobez pas cela de grandes déclarations, arrêtez de parler de sueur sur le front et assumez vos choix.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Selon l’Observatoire de l’économie de la Fondation Jean-Jaurès, l’imposition du capital en France est supérieure à la moyenne européenne, « ce qui reflète avant tout un degré de socialisation plus élevé des dépenses sociales », et « la fiscalité du capital française se caractérise par une imposition plus forte de la détention du patrimoine, concentrée sur l’immobilier, que dans les autres pays ». Nous avons atteint un taux que nous ne devons pas dépasser si nous voulons pouvoir nous comparer aux autres pays européens.
Mme Joëlle Mélin (RN). J’entends bien qu’il faut trouver des financements puisque l’argent manque, mais nos collègues de gauche ne nous proposent pas de solutions : ils parlent à leur clientèle électorale captive. En ce qui concerne les successions, si vous alliez un peu plus sur le terrain, vous verriez qu’avec la flambée des prix de l’immobilier dans certaines régions, ce ne sont plus seulement quelques privilégiés qui risquent d’être touchés par vos taxes, mais des classes moyennes, des commerçants, des artisans qui ont passé leur vie à constituer un patrimoine pour se mettre à l’abri. Taxer toujours plus le patrimoine, c’est participer au grand déracinement.
Mme Ségolène Amiot (LFI - NUPES). Puisque l’on veut nous comparer à d’autres pays européens, la France est celui qui offre le plus de services publics, destinés à l’ensemble de la population ; ce choix, celui de la solidarité, a un coût. C’est aussi le pays où le nombre de millionnaires et de milliardaires a le plus fortement progressé. Taxer les 10 % d’héritages les plus élevés ne concerne pas des gens qui auraient gagné cet argent à la sueur de leur front, mais ceux qui ont déjà hérité de leurs parents ; il ne s’agit pas du fruit du travail, mais de celui du capital accumulé et transmis.
Si nous voulons conserver le modèle social et solidaire pour lequel nous avons opté, il faut absolument voter ces amendements.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Que mettons-nous en commun ?
Nous mettons en commun ce qui, par l’intermédiaire du budget de l’État, va nous donner des services publics qui garantissent une égalité de droits. Or les services publics sont dans une situation très difficile. Quand on compense les exonérations de cotisations par de l’argent qui pourrait contribuer à les financer, c’est un problème. Il y a dans la fonction publique, à l’école, à l’hôpital et ailleurs, une crise à laquelle il faut s’attaquer.
Et nous mettons en commun ce qui, par le biais de la protection sociale, va nous permettre de nous protéger et de nous assurer mutuellement.
Vous, vous réduisez la part que nous mettons en commun, vous en remettant à chacun pour assumer seul son destin.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS767 de M. Sébastien Peytavie
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Notre système de soins se fissure de toutes parts, mais, il y a quinze jours, le recours au 49.3 a permis de limiter nos dépenses de santé à 22 % du PIB pour les quatre prochaines années. On se condamne ainsi à ne pouvoir investir, notamment pour la transition écologique dans les établissements.
Selon Oxfam, depuis 2020, la fortune des milliardaires français a augmenté de 200 milliards d’euros, c’est-à-dire de 58 %. Le monde compte un nouveau milliardaire toutes les vingt-six heures. Tandis que la fortune des dix milliardaires les plus riches du monde doublait pendant la pandémie, près de 160 millions de personnes tombaient dans la pauvreté. En France, la fortune des milliardaires a augmenté plus rapidement durant la crise sanitaire qu’en dix ans dans la période antérieure. Le montant de cette augmentation suffirait pour quadrupler le budget de l’hôpital public ou signer un chèque de 3 500 euros pour chaque Français. Rappelons que M. Patrick Pouyanné s’est plaint que son salaire de 6 millions d’euros, soit 4 300 Smic, soit bien moins élevé que celui de ses homologues américains...
Devant l’explosion des inégalités, nous proposons une contribution de solidarité sur la fortune des milliardaires.
Mme la rapporteure générale. Le même amendement, présenté lors de l’examen de la réforme des retraites, a eu un impact dans ma vie personnelle : quand je suis rentrée chez moi, mes jeunes enfants me sont tombés dessus. « Mais oui, maman, c’est simple, il suffit de prendre aux milliardaires pour que tu règles le problème, et comme ça tu ne vas pas nous faire travailler plus ! » J’ai dû leur expliquer que ces milliardaires sont déjà taxés en France plus qu’ailleurs, et que les mettre à contribution n’apporterait pas de ressources pérennes à la sécurité sociale, contrairement à ce que vous laissez croire : il suffit que trois ou quatre d’entre eux quittent le pays, par exemple parce qu’ils trouvent qu’ils y sont trop taxés... On se heurte à la réalité !
M. Damien Maudet (LFI - NUPES). Prendre sur l’argent des milliardaires pour financer notre système est du bon sens. Le rapport Sansu-Mattei confirme d’ailleurs que les plus grandes fortunes de France parviennent à ne payer que 2 % d’impôt, comme le disait Gabriel Zucman ; ce constat n’est pas réservé à la gauche.
Le Rassemblement National vient de prendre la parole pour la première fois depuis le début de la matinée... pour dire qu’il ne veut pas taxer les 10 % les plus riches pour financer les services publics. Ce n’était donc pas par erreur qu’il a proposé hier de ne pas compenser les exonérations de cotisations sociales. Vous êtes prêts à ne pas financer les services publics pour continuer de faire des cadeaux aux plus riches !
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Madame la rapporteure générale, votre réponse montre un manque de confiance sidérant envers les milliardaires de notre pays. Ils sont pourtant généreux : quand Les Restaurants du Cœur en ont eu besoin, ils ont sorti le chéquier, ils n’ont pas fui ! Si vous leur demandez de partager leur richesse avec notre sécurité sociale qui en a tant besoin, ils le feront. Par cet amendement, nous le leur demandons gentiment. Tous les Français participent à l’effort national ! Vous ne faites pas confiance aux Français.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Vu le niveau de revenu des intéressés, leur demander une contribution supplémentaire est légitime et serait utile au pays. Ils ne vont pas être contents ? Mais le budget que nous sommes en train de voter fait-il beaucoup d’heureux parmi tous ceux qui sont dans le besoin ? Il faut faire la part des choses.
J’entends vos arguments, madame la rapporteure générale, et je ne veux pas m’immiscer dans vos relations avec vos enfants. Je me demande si je ne vais pas déposer pour la séance un amendement visant à ce que nous signions ensemble une lettre de remerciements à tous les millionnaires pour leur générosité et leurs bienfaits.
M. Jérôme Guedj (SOC). Dire que les milliardaires sont déjà taxés est un argument qui doit être battu en brèche.
Je n’ai pas de problème avec le fait qu’il y ait des milliardaires en France, même si ce n’est pas mon idéal de société. Ce qui m’intéresse, c’est qu’ils contribuent. L’Institut des politiques publiques, qui n’est pas un ramassis de gauchistes, indique dans une étude passionnante datée de juin 2023 et dont Antoine Bozio est l’un des auteurs : « Nous documentons que le taux effectif d’imposition, tous impôts directs compris, est progressif jusqu’à des niveaux élevés de revenus, y compris pour la majorité des 1 % de revenus les plus hauts. Mais au sein des 0,1 % des foyers fiscaux les plus riches, le taux d’imposition global devient régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches (les “milliardairesˮ). »
M. Jean-François Rousset (RE). Il faut sortir des clichés. Si nous avons des milliardaires en France et s’ils restent fidèles à notre pays, c’est parce qu’ils croient aux réformes que nous avons mises en route.
Pourquoi les plus riches participent-ils au financement d’associations comme Les Restaurants du Cœur ? Parce qu’ils ont envie de flécher leur argent. Cela peut s’entendre.
On parle beaucoup de dépenses, mais ne pourrait-on pas faire mieux à moyens constants ?
M. Christophe Bentz (RN). Notre collègue qui a taclé le Rassemblement National n’avait pas bien écouté Joëlle Mélin, ou ne l’a pas comprise. Ce que nous vous reprochons, c’est de vouloir augmenter l’imposition partout : participation, droits de succession, cotisations... Vous demandez ce que nous proposons ? Une taxe sur les surprofits. J’espère que, pour une fois, vous dépasserez votre sectarisme et que vous voterez nos amendements en ce sens.
Mme Caroline Janvier (RE). Une remarque sur l’emploi par M. Guedj du terme « gauchiste ». Par pitié, ne vous victimisez pas comme le RN ! Nous n’avons évidemment rien contre les partis de gauche. Vous reprenez là un terme qu’utilise souvent le RN lui‑même.
Mme Ségolène Amiot (LFI - NUPES). On nous dit que les plus riches peuvent avoir envie de flécher leur argent. Mais dans une démocratie, c’est la collectivité, par l’intermédiaire du Parlement, qui décide de la manière de distribuer l’argent. Ce n’est pas à quelques-uns de le faire sous prétexte qu’ils sont les plus riches.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS241 de M. Jérôme Guedj et AS753 de M. Sébastien Peytavie
M. Jérôme Guedj (SOC). Je poursuis mon raisonnement. En France, les milliardaires sont une centaine. Ils détiennent un patrimoine cumulé de 544 milliards d’euros, qui a significativement progressé ces trois dernières années. Je vous l’ai dit, ils ne sont pas taxés au même niveau que les 1 % de revenus les plus élevés – le taux d’imposition, qui est de 46 % pour les 0,1 % les plus riches, tombe à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches, c’est‑à‑dire la centaine de milliardaires que compte le pays. L’impôt sur le revenu devient dégressif au-delà d’un certain seuil parce que les personnes concernées savent l’optimiser. Je le répète, je n’ai pas de problème avec le fait qu’il y ait des milliardaires : je veux seulement qu’ils contribuent au moins comme les autres, et pourquoi pas un peu plus.
On me répond que si c’est pérenne, ils vont se barrer ? Alors prenons une mesure ponctuelle ! Une taxe de 2 %, ne serait-ce que pour une seule année, c’est 12 milliards d’euros ! Cette somme permettrait de dégager des ressources pérennes pour la sécurité sociale, par exemple si on l’affecte au remboursement de la dette sociale.
Au bout du bout, ce sont vos enfants qui ont raison, madame la rapporteure générale : leurs milliards, les milliardaires ne les emporteront pas dans la tombe, ils ne leur servent à rien, ils en sont eux-mêmes convaincus. Plutôt que de s’en remettre à la philanthropie individuelle et au comportement vertueux de chacun, employons l’outil de la redistribution. C’est ce que nous faisons comme législateur : organiser le partage des richesses pour pouvoir financer les services publics qui en ont besoin.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). En France, 4 800 000 personnes vivent avec moins de 940 euros par mois ! L’inégalité de patrimoine entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches se traduit par un rapport de 1 à 162 : pour 1 euro de patrimoine des premiers, il y en a 162 pour les seconds. Pour les 5 % les plus riches, c’est 235 et pour les 1 %, c’est 508 ! Dans ces conditions, comment faire société ? Vous aimez cette société, dites‑vous ; moi, je n’aime pas cette inégalité. Le mot « égalité » est gravé en lettres d’or à tous les frontons, et cette notion de notre devise n’est pas théorique : ce doit être une inégalité de fait, de revenu. La cotisation sur la fortune est absolument indispensable.
Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, je n’ai pas tout à fait dit ce que vous me faites dire – je n’ai probablement pas été assez claire. Je n’ai pas dit que la taxation des milliardaires était proportionnelle, mais qu’ils étaient plus taxés dans notre pays que dans d’autres, en moyenne.
Ce débat est intéressant parce qu’il soulève la question, un peu taboue en France, de la différence entre solidarité et charité – nous avons tous remercié les milliardaires de ce qu’ils ont apporté aux associations dans le besoin.
Mon avis est néanmoins défavorable.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Je félicite vos enfants pour leur bon sens, madame la rapporteure générale. La taxation des milliardaires est inférieure de 20 points à celle du Français moyen. Ces 20 points représentent 30 milliards d’euros. Nous voulons simplement avoir non un impôt régressif, qui frappe plus ceux qui ont moins, mais un impôt progressif ou seulement égal, c’est-à-dire qui touche au moins autant ceux qui ont plus. Ce bon sens permettrait de financer nos hôpitaux, mais aussi notre police ou notre économie, et d’instaurer une ambiance de bienveillance les uns envers les autres, pour que nous nous sentions appartenir à la même nation et à la même humanité.
M. Thibault Bazin (LR). Je ne suis pas du tout favorable au modèle défendu par Sandrine Rousseau, qui me rappelle l’éloge de la paresse. Elle considère le travail comme une valeur de droite ; je ne suis pas d’accord. À ce sujet, je partage le point de vue de notre collègue Fabien Roussel. Notre système de protection sociale permet de financer par le travail la couverture de risques qui peuvent tous nous toucher, quels que soient notre condition et notre patrimoine. Il y a entre nous une vraie différence idéologique. Les mesures que vous proposez sont symboliques, mais ne financeront pas notre système de protection sociale. Si tout le monde arrêtait de travailler, celui-ci s’écroulerait. Les services publics ne tourneraient plus.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Moi, j’adore la valeur travail mais ici, c’est de rentiers que l’on parle : ils ne travaillent pas. Si vous êtes contre le droit à la paresse, taxez-les pour qu’ils travaillent !
La commission rejette les amendements.
Amendement AS752 de M. Sébastien Peytavie
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Oxfam a publié fin juin un nouveau rapport intitulé CAC40 : des profits sans lendemain ? L’ONG y observe que les écarts de rémunération entre dirigeants et salariés se sont creusés entre 2009 et 2018. Les versements aux actionnaires ont connu une hausse de 70 % pendant la même période, tandis que la rémunération des PDG augmentait de 60 %, trois fois plus vite que le salaire moyen au sein de ces entreprises et cinq fois plus vite que le Smic.
Avec 44,3 milliards d’euros de dividendes versés en 2021, la France est championne d’Europe en la matière. Nous ne croyons pas au discours selon lequel les dividendes seraient un outil de rémunération supplémentaire qui profiterait à l’intégralité des salariés. En réalité, 62 % des dividendes ont été reçus par les 0,1 % des foyers les plus aisés, soit 39 000 foyers, dont 31 % par les 0,01 % les plus riches, soit 3 900 foyers. Les entreprises du CAC40 pratiquent le gavage généralisé de leurs actionnaires avec la bénédiction du Gouvernement. Pour ce qui est de la redistribution des dividendes, c’est l’abondance et l’insouciance les plus totales, sans le moindre ruissellement.
Mme la rapporteure générale. Nous avons eu ce débat à de multiples reprises. Les dividendes sont déjà soumis au PFU, dont le taux est de 17,2 % en ce qui concerne notre protection sociale.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS244 de M. Jérôme Guedj et AS750 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune)
M. Jérôme Guedj (SOC). Pour financer la sécurité sociale, nous avons proposé une contribution pérenne sur les dividendes, compte tenu de l’explosion de leur montant – 70 milliards d’euros l’an dernier. Puisque nous nous comparons souvent, il s’agit là d’une spécificité française.
Ici, c’est une contribution exceptionnelle que nous proposons, dont le produit serait versé à la Cnav. Mais si vous estimez que la réforme des retraites a équilibré la Cnav, affectons-la donc à la CNSA ! Les raisons en sont connues : l’ampleur des besoins de la branche autonomie, et la nécessité de constituer des réserves pour avoir la visibilité qui est indispensable à une loi de programmation. Il faut partir des besoins et dégager les ressources nécessaires pour les trois, cinq ou huit années à venir afin de recruter les personnels et les affecter.
Le même débat a lieu dans le cadre du PLF grâce à nos amis du MoDem, et l’amendement déposé à ce sujet a été voté comme l’an dernier. La demande de taxer les superdividendes émane des bancs les plus divers.
Madame la rapporteure générale, je vous le dis avec toute l’affection que j’ai pour vous : je suis triste de vous voir dans le rôle de celle qui refuse les ressources supplémentaires que nous cherchons à apporter à la sécurité sociale, au nom d’arguments qui sont ceux de Bercy et non ceux de Ségur.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je citerai non pas Oxfam, qui est tout de même un peu une ONG de gauchistes, mais UBS-Crédit suisse : selon elle, la France est la troisième puissance mondiale en nombre de millionnaires, juste derrière la Chine et les États‑Unis, et loin devant le Japon ou l’Allemagne. Pourtant, nous ne sommes que la sixième ou septième puissance mondiale. Et en plus, ces millionnaires ont bénéficié à fond du mandat Macron !
Nous ne proposons qu’un petit réajustement. Ainsi, madame la rapporteure générale, vous pourrez dire à vos enfants que vous avez taxé un peu plus les plus riches, et ils seront fiers de vous !
Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, je ne parlerai pas de fierté à propos de la politique que nous menons, car il reste beaucoup à faire, mais, en tout cas, je l’assume. Elle ne vient pas de Bercy et elle produit des résultats, comme le montre France Stratégie. Le montant de l’impôt que nous avons collecté sur les dividendes a augmenté malgré la baisse du taux, grâce à la relance de l’activité économique que nous avons obtenue et à l’élargissement des assiettes.
Avis défavorable.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Selon le journal patronal Les Échos, « les dividendes atteignent de nouveaux records. Après une année 2022 historique, la tendance est encore à la hausse pour les dividendes mondiaux. » Les dividendes sont en hausse de 5 % dans le monde, mais la France fait mieux : 13 %. Or les deux tiers de ces dividendes vont non pas aux 10 %, ni aux 1 %, mais aux 0,1 % les plus riches. Les uns se gavent, les autres – la masse de la population – se rationnent. Injustice supplémentaire : ceux qui touchent le plus sont les moins taxés !
Ce que nous proposons ici est loin de l’équilibre, de la justice sociale : c’est juste une plume dans la balance. On travaille à vous rendre populaire dans votre propre famille, madame la rapporteure générale, acceptez cet amendement !
M. Thibault Bazin (LR). Je comprends le symbole, tout en me demandant s’il n’y a pas chez Mme Rousseau une obsession au sujet de ceux qui ont mené de belles aventures entrepreneuriales. Mais, pour notre souveraineté industrielle, nous aurons besoin de personnes qui investissent. Et pour qu’elles aient envie de le faire, il faut qu’elles espèrent un retour. Les dividendes sont un moyen de rémunérer le risque pris.
Je précise que nous sommes très attachés à l’actionnariat salarié. Mais il ne faut pas mener un combat contre les riches, dont certains ont fait bénéficier notre pays de leur richesse : il faut surtout qu’il y ait moins de pauvres, et c’est par le travail que nous y parviendrons.
M. Damien Maudet (LFI - NUPES). Il ne s’agit pas de taxer ceux qui réussissent, mais les superdividendes. M. Mattei, qui fait partie de votre majorité, a commis un rapport sur le sujet et fait voter l’an dernier un amendement en ce sens, qui a été adopté démocratiquement mais balayé d’un revers de main par le 49.3. Il a d’ailleurs également été voté cette année dans le cadre du PLF.
Vous avez demandé aux Français de travailler deux ans de plus pour financer un déficit supposé de 10 milliards d’euros. Les dividendes représentaient l’an dernier 80 milliards, soit huit fois plus, et vous ne voulez même pas y toucher un petit peu !
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Ceux qui sont visés par ces amendements ne manquent de rien. On peut donc bien leur demander quelques efforts ! Il y a deux poids, deux mesures : à son arrivée, la majorité n’a eu aucune difficulté à raboter l’aide personnalisée au logement ou à augmenter la CSG, qui touche tout le monde. Mais quand il s’agit de s’attaquer aux dividendes, cela devient problématique.
Votre politique a légitimé ces logiques au sein de la société. Je ne crois pas qu’elle produise des résultats, madame la rapporteure générale. Il n’y a qu’à voir le budget de la sécurité sociale, la situation de l’hôpital public, la branche autonomie : ça ne va pas ! Les dividendes ne rémunèrent pas le travail, mais l’argent. Rémunérons plutôt le travail.
Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). On nous a dit que si la taxation était pérenne, les milliardaires allaient fuir. Maintenant qu’elle est proposée à titre exceptionnel, vous ne voulez toujours pas l’essayer. C’est incompréhensible. Que nous reste-t-il à vous proposer ?
M. Paul Christophe (HOR). M. Guedj m’a fait douter en disant que les milliardaires payaient proportionnellement moins d’impôt sur le revenu que les autres contribuables. Pourtant, dans notre système très progressif, plus le revenu fiscal de référence est élevé, plus le contribuable paie une part importante d’impôt sur le revenu.
En fait, l’étude citée est biaisée : les auteurs ont choisi d’ajouter au revenu des bénéfices de société non distribués, créant ainsi la notion de revenu économique. Celui-ci prend en compte les profits issus des sociétés dont les foyers sont actionnaires à plus de 10 %, mais qui n’ont pas été perçus et ne peuvent donc être soumis à l’impôt sur le revenu – et la France ne taxe que les revenus perçus. En revanche, ces profits sont soumis à l’impôt sur les sociétés, certes au taux de 25 % alors que celui de l’impôt sur le revenu pourrait être de 45 %.
La commission rejette les amendements.
La réunion s’achève à douze heures cinquante-cinq.
Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Ségolène Amiot, Mme Farida Amrani, Mme Clémentine Autain, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, Mme Caroline Fiat, M. Thierry Frappé, M. Philippe Frei, M. François Gernigon, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Claire Guichard, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, M. Laurent Leclercq, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry
Excusés. – M. Elie Califer, Mme Rachel Keke, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. – M. Karim Ben Cheikh, M. Fabien Di Filippo, Mme Marina Ferrari, M. Damien Maudet, M. Jean-Claude Raux, M. Benjamin Saint-Huile