Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen de la proposition de loi visant à la généralisation du contrat à durée indéterminée à des fins d’employabilité (n° 1972) (M. Nicolas Turquois, rapporteur)              2

– Communication de M. Philippe Juvin et Mme Anne Bergantz, rapporteurs de la mission « flash » sur la mortalité infantile 17

– Présences en réunion.................................33

 

 

 


Mercredi
20 décembre 2023

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 32

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq,
présidente
 

 


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La réunion commence à neuf heures trente.

La commission examine la proposition de loi visant à la généralisation du contrat à durée indéterminée à des fins d’employabilité (n° 1972) (M. Nicolas Turquois, rapporteur).

 

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Le travail à temps partagé aux fins d’employabilité est né d’une initiative de terrain, lancée il y a un peu plus de dix ans. Conçu pour favoriser l’accès à un emploi stable d’un public confronté à la précarité professionnelle, depuis l’entrée en vigueur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, il est mis en œuvre dans le cadre d’une expérimentation supposée prendre fin le 31 décembre 2023.

À l’approche de cette échéance, la question de l’avenir du dispositif – issu d’un amendement déposé par Mme Fadila Khattabi – se pose de façon pressante.

Avant d’évoquer le contenu de la proposition de loi que le groupe Démocrate a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de sa journée réservée, je voudrais présenter brièvement ce dispositif.

À l’instar du travail à temps partagé de droit commun, le travail à temps partagé à des fins d’employabilité repose sur une relation triangulaire de travail entre un salarié, un entrepreneur de travail à temps partagé (ETTP) – auquel le salarié est lié – et une entreprise utilisatrice – auprès de laquelle le salarié est mis à disposition pour l’exécution d’une mission.

En revanche, contrairement au travail à temps partagé de droit commun, il s’adresse à des personnes qui rencontrent des difficultés particulières d’insertion professionnelle, et plus précisément aux demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi depuis six mois au moins, aux bénéficiaires de minima sociaux, aux personnes handicapées ou âgées de plus de 50 ans ainsi qu’à celles qui ont une formation de niveau égal ou inférieur au certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou au brevet d’études professionnelles (BEP) – ce qui correspond aux niveaux de formation V, V bis ou VI

À tous, le dispositif offre un certain nombre de garanties.

Il leur permet d’être titulaires d’un CDI, baptisé contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité (CDIE), signé avec l’ETTP, mais aussi d’être rémunérés à hauteur du dernier salaire horaire de base pendant les périodes dites d’intermission.

Les salariés sont en outre formés durant le temps de travail, l’employeur étant tenu de prendre en charge les actions de formation et d’abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié à temps complet à hauteur de 500 euros supplémentaires par an.

Le dispositif est régi par des règles juridiques peu contraignantes.

Il peut y être recouru en l’absence de motif particulier, ce qui limite le risque de requalification du contrat. Du reste, la durée des missions accomplies pour le compte de l’entreprise utilisatrice n’est pas limitée par la loi, pas plus que le nombre de renouvellements de celles-ci.

Sur l’ensemble de ces points, le travail à temps partagé se distingue du travail intérimaire, autre mécanisme de prêt de main-d’œuvre à but lucratif auquel il ne peut être fait appel que dans un ensemble de situations énumérées par les textes – le remplacement d’un salarié ou l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, par exemple – et pour un temps donné – même si tel n’est plus le cas pour la mission effectuée par un salarié titulaire d’un CDI intérimaire.

En résumé, le dispositif présente des avantages.

D’abord pour le salarié, auquel est proposé un CDI et une formation qualifiante – soit le contraire exact de ce que subissent les personnes éloignées du marché du travail, auxquelles il est au mieux proposé des CDD et qui n’ont pas accès à des formations leur permettant d’accéder à des emplois mieux rémunérés ; ensuite, pour l’entreprise utilisatrice, en raison de la durée relativement longue de la mise à disposition du salarié et du faible risque juridique de requalification du contrat. C’est le point de vue qu’ont exprimé notamment les représentants de La Poste et de Renault, que j’ai auditionnés.

Mon constat confirme celui de nos collègues Fanta Berete et Stéphane Viry, rapporteurs d’une mission « flash » chargée d’évaluer cette expérimentation. Comme eux, j’observe avec regret que les données sur le déploiement du dispositif sont peu nombreuses, l’autorité administrative n’ayant été destinataire – en dépit de ce que prévoyait la loi – ni du nombre de contrats signés par les ETTP, ni d’aucun autre élément sur le parcours des personnes recrutées. Cette situation résulte de l’impossibilité technique pour les employeurs de transmettre ces informations par l’intermédiaire de la déclaration sociale nominative (DSN). Cela est évidemment regrettable.

Toujours est-il que, selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) – qui a rédigé un rapport qui n’a pas encore été publié –, 5 000 CDIE environ auraient été conclus depuis 2018 et 1 500 étaient en cours d’exécution à la fin du premier trimestre de l’année 2023. Il faut relever que ces chiffres sont inférieurs à ceux communiqués par le Syndicat des entreprises d’emploi durable, qui rassemble l’essentiel des ETTP.

Quoi qu’il en soit, d’après les observations de l’Igas, près de 80 % des titulaires d’un contrat de ce type seraient inscrits à Pôle emploi depuis six mois au moins ou auraient une formation de niveau égal ou inférieur au CAP-BEP au moment de l’embauche. Très peu seraient bénéficiaires de minima sociaux ou en situation de handicap.

La très grande majorité appartiendrait à la catégorie socioprofessionnelle des ouvriers, et un sur dix seulement à celle des employés. Ils exerceraient surtout dans le secteur de l’industrie – métallurgie, plastique, chimie – et, de plus en plus, dans celui des services – tri et distribution du courrier, principalement.

Près de 45 % des titulaires d’un CDIE seraient embauchés en CDI à l’issue de leur mission, dans l’entreprise utilisatrice pour la quasi-totalité d’entre eux – ce qui est encourageant.

Après avoir rappelé ces éléments de contexte, il me faut maintenant évoquer les deux articles de la proposition de loi dans la rédaction retenue au moment du dépôt du texte.

L’article 1er pérennise le dispositif du travail à temps partagé aux fins d’employabilité. Il s’adresserait au même public que celui qui y est actuellement éligible et accorderait à ses bénéficiaires des garanties inchangées.

Le dispositif serait par ailleurs expressément soumis au régime juridique du travail à temps partagé de droit commun, ce qui signifie que seraient applicables les articles du code du travail qui régissent cette forme de travail.

L’article 2 prévoit des sanctions à l’encontre d’un ETTP ou d’une entreprise utilisatrice qui méconnaîtrait la législation applicable au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.

Sans attendre la discussion générale et l’examen des amendements, je dois reconnaître que la pérennisation du dispositif semble prématurée compte tenu de l’insuffisance des données disponibles sur sa mise en œuvre et de l’impossibilité d’en faire une évaluation en bonne et due forme. Comme un certain nombre d’entre vous, il me semble préférable de proroger l’expérimentation pour une durée suffisamment longue, afin que son déploiement se poursuive dans de bonnes conditions.

Je veux dire également très clairement qu’il ne me semble pas judicieux – à l’inverse de certains d’entre vous – d’y mettre un terme, à plus forte raison dans le contexte d’une hausse du taux de chômage, même légère. Cela ne serait pas cohérent avec l’action que conduit la majorité présidentielle depuis 2017.

Cela étant dit, je considère que la prorogation de l’expérimentation doit être mise à profit pour apporter quelques corrections au dispositif.

À l’instar des rapporteurs de la mission « flash » précitée, j’estime que les critères d’éligibilité sont définis de façon trop large, ce qui a pour effet d’étendre la possibilité de conclure un CDIE à des personnes qui ne rencontrent pas toujours des difficultés particulières d’insertion professionnelle. Or cela ne correspond pas à l’esprit de la loi. J’observe que plusieurs amendements de réécriture de l’article 1er proposent de faire passer de six à douze mois la durée minimale de l’inscription à Pôle emploi nécessaire pour pouvoir conclure un contrat de ce type. Cette modification va dans le bon sens et j’y suis favorable, mais il faudra peut-être aller plus loin dans la voie du resserrement des critères au moment de l’examen du texte en séance publique.

Avec les services du ministère du travail, nous réfléchissons par ailleurs à la question des garanties supplémentaires qui pourraient être données aux titulaires d’un CDIE, afin de sécuriser davantage leur parcours professionnel.

Enfin, il est impératif qu’une solution soit trouvée pour que les données relatives à la mise en œuvre du dispositif parviennent effectivement à l’autorité administrative et qu’il puisse être évalué le moment venu. À défaut, nous nous retrouverions demain dans la situation dans laquelle nous sommes et ne serions pas en mesure de nous prononcer sur la pertinence de son éventuelle pérennisation. J’ai insisté sur ce point auprès du ministre du travail et je le ferai de nouveau dans l’hémicycle le 18 janvier.

Je forme le vœu que notre commission adopte cette proposition, en lui apportant les modifications que je viens d’évoquer.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je vais donner la parole aux orateurs des groupes.

M. Marc Ferracci (RE). Je salue le travail de notre collègue Nicolas Turquois sur ce sujet très important. Au fond, l’enjeu de cette proposition de loi consiste à sécuriser l’emploi, et en particulier pour ceux qui travaillent pour plusieurs employeurs. Le travail à temps partagé est, à cet égard, une solution pertinente.

Le dispositif qui fait l’objet de cette proposition avait été introduit à titre expérimental dans la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Comme l’a très bien dit le rapporteur, il se caractérise par des règles assez peu contraignantes au moment de l’embauche, tout en ayant pour ambition de permettre une inclusion durable grâce à la formation dispensée pendant le temps de travail et à des abondements du CPF.

Le groupe Renaissance partage un certain nombre des conclusions du rapporteur ainsi que de la mission « flash » conduite par nos collègues Fanta Berete et Stéphane Viry.

D’un point de vue quantitatif, le dispositif n’a pas encore atteint sa cible. Le nombre de CDIE conclus est faible. En outre, nous manquons de données pour évaluer avec précision tant la pertinence des critères retenus en matière de publics éligibles que les effets sur les trajectoires professionnelles. Je rappelle que ce dispositif avait pour ambition de favoriser une insertion professionnelle durable.

À la lumière de ces constats, notre groupe estime lui aussi que généraliser le dispositif serait très prématuré. Nous soutiendrons donc la proposition opportune du rapporteur qui vise à prolonger l’expérimentation pendant une durée suffisamment longue pour régler les problèmes de collecte des données – et en particulier pour permettre de modifier la DSN, afin que cette collecte soit systématique.

M. Victor Catteau (RN). En juillet dernier, nous avons examiné les conclusions de la mission « flash » portant sur le CDIE. Notre groupe était alors d’accord pour le prolonger, et non pas pour le généraliser – et notre position n’a pas changé.

Il est indéniable que ce type de contrat offre des opportunités intéressantes, tant pour les entreprises – auxquelles il fournit un cadre juridique plus souple, avec un coût moindre par rapport au CDI intérimaire – que pour les travailleurs – qui peuvent bénéficier de la sécurité offerte par un CDI.

Mais la flexibilité du CDIE ne saurait masquer ses défauts et les risques qu’il entraîne. Nous avons maintes fois été averti des désavantages de ce type de contrat. Les professionnels de l’intérim nous ont ainsi alerté sur les risques de concurrence inutile avec le CDI intérimaire, tandis que les organisations syndicales – mais aussi le ministère du travail – ont mis en garde sur le manque d’informations sur cette expérimentation. Il n’est en effet pas raisonnable de généraliser un dispositif au sujet duquel le Gouvernement et l’Igas ne nous ont fourni presque aucune réponse.

Par ailleurs, il apparaît également que ce dispositif rate une partie non négligeable de la cible qu’il visait à l’origine. Le CDIE devait en effet aider les personnes éloignées de l’emploi, c’est-à-dire les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi depuis au moins six mois, les travailleurs seniors, les personnes souffrant de handicap, les bénéficiaires de minima sociaux ou encore les personnes ayant un niveau d’éducation inférieur au bac. Les conclusions de la mission « flash », mais aussi les informations fournies par les entreprises qui ont recours au CDIE, montrent que l’objectif d’insertion sociale par le travail n’est clairement pas la priorité de ces dernières.

En juillet dernier, le Rassemblement National avait manifesté son intérêt pour la prolongation de ce contrat ; mais nous étions opposés à la généralisation de ce dispositif tant que le Parlement ne disposerait pas de données suffisantes fournies par le Gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur d’une simple prolongation de l’expérimentation.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Nous examinons une proposition du groupe Démocrate dont le texte initial prévoyait de généraliser le CDIE, contrat que j’estime précaire. Mais nos collègues se sont rendus compte que ce n’était finalement pas une si bonne idée : ils nous proposent donc ce matin une prolongation de l’expérimentation. Cela permet d’accomplir la moitié du chemin, mais on pourrait aller encore plus loin en supprimant ce type de contrat.

Il s’agit en effet d’une forme d’intérim qui n’est pas justifiée par un besoin restreint et défini au préalable. Les données dont nous disposons montrent que la durée moyenne d’un CDIE est de trois ans. On ne voit donc pas ce qui justifie l’existence d’un contrat spécifique : un CDI serait parfaitement approprié. C’est un contrat au rabais, puisque le salarié ne bénéficie ni des avantages du comité social et économique de l’entreprise utilisatrice, ni des conventions collectives, ni des dispositions relatives à l’intéressement ou à la participation.

En outre, ce type de contrat ne concerne plus le public qu’il visait initialement, des travailleurs qualifiés. Le CDIE est devenu désormais un outil dit d’insertion professionnelle pour les chômeurs de longue durée, les bénéficiaires de minima sociaux, les salariés dits peu qualifiés ou bien pour les personnes en situation de handicap. En dépit des proclamations, le CDIE concerne surtout des ouvriers qui ont traversé une période de chômage. On ne voit pas pourquoi il faudrait leur proposer autre chose qu’un CDI.

D’autant que, alors que la loi les y oblige deux fois par an, les entreprises utilisatrices n’ont jamais transmis les informations permettant d’évaluer le dispositif – nombre de contrats signés, nature des postes et personnes concernées. Aucune sanction n’a été prononcée. Quant à l’Igas, elle n’a toujours pas publié son rapport sur le sujet.

Bref, pour toutes ces raisons, nous sommes hostiles à ce dispositif.

M. Stéphane Viry (LR). Le 11 juillet 2023, ma collègue Fanta Berete et moi-même avons présenté les conclusions de la mission qui nous avait été confiée sur les conditions d’application du dispositif expérimental de contrat de travail à temps partagé à des fins d’employabilité.

Ces conclusions étaient positives et nous avons appelé à une prolongation de cette expérimentation tout en proposant, comme le rapporteur, de revoir les critères et les modalités d’application du dispositif. Notre constat avait fait l’unanimité : cet outil en faveur du retour à l’emploi méritait d’être prolongé, tout en corrigeant certains effets indésirables. Je ne reviens pas sur mes propos : il faut prolonger l’expérimentation. Je félicite le rapporteur d’avoir déposé cette proposition de loi qui permettra de le faire, une fois amendée.

Où en sommes-nous ?

Personne ne peut nier que le plein emploi doit être une ambition nationale. Personne ne peut nier non plus que l’objectif de lutte contre l’exclusion doit nous rassembler coûte que coûte et que des personnes ont des difficultés pour trouver leur place dans la société grâce au travail. Il faut impérativement trouver les moyens juridiques et les outils contractuels qui leurs permettent de trouver un emploi. La quête de l’insertion professionnelle exige d’innover en permanence.

Les résultats de l’expérimentation du CDIE depuis quelques années sont satisfaisants tant pour ses signataires que pour la collectivité nationale. Je me félicite donc de la proposition du rapporteur, que mon groupe soutiendra.

Un mot peut-être pour déplorer l’inertie du Gouvernement sur ce sujet. Il lui appartenait de reprendre la main avant le 31 décembre 2023. Le dispositif est certes issu d’une initiative parlementaire en 2018, mais ce n’est pas une raison pour se sentir vexé de ne pas l’avoir proposé.

Je me félicite que le Parlement occupe sa place dans la politique de l’emploi.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je me réjouis que notre commission examine ce matin cette proposition de loi de Nicolas Turquois, que le groupe Démocrate a inscrit à l’ordre du jour de sa niche parlementaire. Elle est dans la cohérence des réflexions et des travaux que mène mon collègue sur le plein emploi.

Le CDIE est un dispositif supplémentaire tendant à favoriser l’accès à l’emploi stable de publics confrontés à la précarité professionnelle. Il vise en effet, et c’est son originalité, les personnes les plus éloignées de l’emploi – même si l’on peut discuter d’une amélioration des critères.

La plupart des acteurs auditionnés ont mis en avant la souplesse du dispositif. Les deux entreprises qui ont eu le plus recours au CDIE ont souligné l’importance de la part de personnes âgées de plus de 50 ans qui en bénéficient. Cela prouve que le CDIE permet d’atteindre les publics visés.

Cependant, et comme cela a déjà été relevé, les données sont trop parcellaires pour généraliser la mesure. Il conviendra à l’avenir d’avancer sur le problème de la remontée des données.

Enfin, certains acteurs ont souligné qu’il était parfois complexe pour les responsables des ressources humaines de gérer une multiplicité de dispositifs extrêmement différents – CDI intérim, groupements d’employeurs et autres contrats aidés. Il faudrait que nous lancions prochainement une réflexion sur ce sujet.

Faute de texte en cours d’examen permettant de prolonger l’expérimentation du CDIE, le risque était grand de la voir prendre fin. Animé par la conviction que personne ne doit être laissé sur le bord du chemin de l’insertion professionnelle, le groupe Démocrate soutiendra cette proposition et présentera des amendements pour l’améliorer.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le rapporteur, vous souhaitez donc amender votre texte pour prolonger l’expérimentation du CDIE. Disons-le tout de suite : notre groupe considère qu’il est urgent d’attendre et qu’il faut continuer à expérimenter et à évaluer ce dispositif – notamment pour voir s’il permet d’améliorer l’insertion par l’emploi.

Il est cependant un peu singulier de discuter de cette question alors même que la réforme du RSA votée il y a quelques semaines va avoir pour conséquence de précariser encore davantage ceux qui travaillent de manière discontinue et dont la situation est la plus difficile. Il peut même en résulter une perte du bénéfice du RSA, ce qui laissera encore plus éloignés de l’emploi. Ne trouvez-vous pas que la philosophie du CDIE est contraire à celle de la réforme du RSA que vous avez votée ?

Pour conclure, je souhaite aborder la question de l’insertion par l’emploi des travailleurs étrangers en situation irrégulière. Chers collègues, vous avez en effet voté hier soir une loi qui va rendre leur régularisation par le travail encore plus difficile qu’elle ne l’est déjà, contrairement à toutes les promesses que vous aviez faites – et notamment celle de reconnaître qu’un contrat de travail constituait un élément du chemin vers l’intégration. Vous avez choisi de ne pas intégrer ces étrangers en les maintenant plus longtemps dans une situation de séjour irrégulier. Ils seront donc plus longtemps contraints de vivre dans la précarité et de rester à la merci d’employeurs peu scrupuleux, qui les feront travailler au noir.

Il faudra un jour que vous adaptiez vos principes face à ces contradictions.

M. François Gernigon (HOR). Lancé en 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le dispositif relatif au CDIE avait été percuté de plein fouet par la crise de la covid-19, ce qui l’avait empêché de prendre son essor. La loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique avait donc décidé de prolonger son expérimentation pendant trois années supplémentaires. Nous arrivons au bout de ce délai, puisque l’expérimentation doit prendre fin le 31 décembre prochain.

L’avenir du CDIE a naturellement été évoqué lors de l’examen du projet de loi pour le plein emploi. La prolongation de son expérimentation avait même été proposée par des amendements des trois groupes de la majorité et par certains députés du groupe Les Républicains, tout en restreignant les critères d’éligibilité. Cependant, et ainsi que nous le pressentions, ces amendements avaient été considérés comme des cavaliers.

Je me réjouis donc que notre collègue Nicolas Turquois se soit saisi de la question dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe Démocrate. Cela nous permet de discuter de nouveau du sujet.

Le manque de données disponibles, souligné par les premières évaluations du dispositif, ne permet pas à ce stade de conclure au bien-fondé de sa généralisation. Nos collègues Fanta Berete et Stéphane Viry recommandaient du reste dans le rapport de leur mission « flash » de prolonger l’expérimentation.

Conformément à leurs conclusions et afin notamment de répondre aux craintes du secteur de l’intérim, le groupe Horizons et apparentés votera cette proposition de loi, sous réserve de l’adoption des amendements visant à maintenir le caractère expérimental du CDIE et à restreindre les catégories de personnes qui peuvent en bénéficier.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Comme cela a été relevé dans plusieurs interventions, le manque de recul sur ce dispositif inquiète.

Sans surprise, les représentants syndicaux que nous avons auditionnés sont sceptiques en raison du manque de données et s’inquiètent au sujet des salaires et de la formation. C’est pourquoi ils sont favorables à une prolongation de l’expérimentation, mais pas à la pérennisation du dispositif – en tout cas pas tant que celui-ci n’aura pas fait l’objet d’une véritable évaluation. On nous a soufflé que le rapport de l’Igas serait sur le bureau du ministre depuis le mois de juillet... Comment s’assurera-t-on du consentement libre et éclairé du salarié ? Nous n’avons pas, me semble-t-il, de réponse à cette question.

Il est urgent que l’on nous fournisse des chiffres sur le nombre de CDIE conclus, sur la part des femmes et des hommes et sur les formations suivies. Qu’en est-il des personnes en situation de handicap ? Les représentants syndicaux avaient des doutes sur la place qui leur était accordée.

Le flou est entretenu sur d’autres aspects. Je pense à la manière dont les sociétés d’intérim améliorent leurs marges commerciales en privilégiant le CDIE au détriment du CDI intérimaire – qui, lui, est contrôlé par les partenaires sociaux – alors que ces dispositifs visent le même public. Lorsque les dix-huit mois en intérim sont achevés, les personnes sont orientées vers le CDIE, qui bénéficie d’allégements de cotisations patronales – et qui est donc financé par la collectivité sans contrôle des entreprises concernées. Cela nous inquiète. L’utilisation de ce contrat doit faire l’objet de précision.

Le groupe Écologiste salue la prolongation de l’expérimentation et avait d’ailleurs déposé des amendements en ce sens. Nous sommes d’accord sur ce point, monsieur le rapporteur.

Je terminerai en disant que cette matinée est particulière pour un certain nombre de parlementaires. Ce qui s’est passé hier soir me laisse un goût amer. Je me demande pourquoi j’ai fait barrage lors du second tour de l’élection présidentielle. Pourquoi ai-je voté pour ce Président de la République si c’était pour que soit adoptée une loi qui charrie des torrents de boue ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Dans le contexte que nous connaissons, c’est quasiment avec la nausée que je prends la parole ce matin. Les organisations syndicales qui ont été auditionnées ont déploré l’absence de données précises relatives aux personnes concernées, au niveau de formation d’entrée et acquis, à la durée moyenne des contrats, à la rémunération, etc. Elles regrettent que le rapport de l’Igas n’ait pas encore été rendu public. Elles se sont toutes opposées à la généralisation de ce contrat. Elles s’interrogent sur plusieurs points : le salaire est-il suffisant ? Le salaire de base est-il réellement maintenu entre deux missions ? Quelle est la qualité de l’accompagnement ? Le salarié a-t-il la possibilité de refuser un contrat ? Les entreprises à temps partagé n’appartenant à aucune branche, les avantages et les protections liés aux branches ne sont pas applicables à ces salariés, contrairement à ce qui a cours dans l’intérim. Par ailleurs, le bloc de compétences n’est pas synonyme d’acquisition d’une formation qualifiante.

On ne peut que s’interroger sur ce contrat peu contraignant mais aussi sur cette expérimentation peu concluante, qui dure depuis cinq ans. Je me demande s’il est opportun de la prolonger. Peut-être est-il temps de tirer un certain nombre de leçons. La loi de 2018 s’inscrivait, entre les ordonnances travail et la loi instaurant France Travail, dans une logique, que nous combattons, de contournement et d’abaissement du droit, qui emporte un risque d’instrumentalisation de ces nouveaux outils. Bref, nous sommes assez dubitatifs sur ce que vous nous proposez.

M. Laurent Panifous (LIOT). Le retour à l’emploi des personnes éloignées du marché du travail appelle des mécanismes adaptés d’insertion et d’accompagnement. C’est un travail fin et patient qui peut se révéler particulièrement ardu si l’on souhaite favoriser l’accès à un travail de qualité et lutter contre le temps partiel subi. Nous partageons l’objectif que vous visez par l’institution du CDI employabilité. Ce dernier offre des avantages indéniables aux entreprises, mais aussi aux salariés, qui peuvent bénéficier des protections attachées au CDI : protection sociale, accès au logement, maintien du salaire entre les missions. Le volet de la formation est également louable.

Toutefois, compte tenu de l’absence d’évaluation de l’expérimentation, nous ne souhaitons pas, pour l’heure, que le dispositif soit généralisé. Une évaluation permettrait d’expliquer le faible recours au CDIE, malgré des conditions d’accès très souples et attractives. Elle est d’autant plus nécessaire que les entreprises ne fournissent pas d’informations sur le recours à ce contrat, alors pourtant qu’elles sont tenues de les publier deux fois par an. Dans l’attente du rapport de l’Igas, nous ignorons le profil des salariés, la durée et le type des missions effectuées, les formations suivies, le nombre d’embauches. Nous ne savons pas dans quelle mesure ce dispositif permet une insertion durable. Certes, la mission « flash » conduite par Fanta Berete et Stéphane Viry nous a éclairés, mais il reste lacunaire, faute d’accès aux données.

La généralisation ne sera envisageable qu’après l’expérimentation, l’évaluation et d’éventuelles corrections. Nous proposerons donc des amendements visant à prolonger l’expérimentation et à tirer les conséquences des premiers retours, pour mieux sanctionner les éventuels abus et détournements.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Thibault Bazin (LR). Parallèlement à l’expérimentation menée depuis plusieurs années sur le CDIE, qui vise à favoriser l’inclusion et l’employabilité des publics rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle, nous constatons le développement du travail temporaire. Une partie de la nouvelle génération, qui ne souhaite pas s’engager et signer un CDI, préfère en effet ce type de contrat. Comment articuler et faire évoluer nos dispositifs au regard de ces évolutions sociétales ?

Stéphane Viry et Fanta Berete, à la suite de leur mission « flash » sur le CDIE, ont appelé à la poursuite de son expérimentation et à une évaluation sérieuse avant toute généralisation. Certaines structures professionnelles privilégient le CDI intérimaire, construit avec les partenaires sociaux. Quels sont, selon vous, les avantages comparatifs du CDI intérimaire et du CDIE, au regard de l’objectif d’inclusion et d’employabilité des publics éprouvant des difficultés d’insertion professionnelle ?

Mme Isabelle Valentin (LR). Le dispositif du CDIE permet aux entreprises d’externaliser leur main-d’œuvre sur le long terme et constitue un outil de réinsertion des salariés sur le marché du travail, avec des garanties qui sécurisent leur parcours professionnel. Il s’agit donc d’un système gagnant-gagnant. Son expérimentation a été prorogée jusqu’au 31 décembre 2023 par la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », qui fonctionne plutôt bien. Un amendement visant à proroger l’expérimentation au-delà de cette date, déposé sur le projet de loi pour le plein emploi, avait été déclaré irrecevable, avant son examen en commission, en application de l’article 98 du Règlement, car il ne traitait pas directement des relations contractuelles entre employeur et salariés. La question de la prolongation mérite pourtant d’être soulevée. Avez-vous des informations sur les formations qui ont été effectuées par les salariés, sur leur montée en compétences et sur le devenir des 7 000 contrats qui ont été signés ?

M. le rapporteur. Le sujet de l’emploi peut nous rassembler autour de certaines valeurs, économiques ou sociales. C’est par l’emploi, en effet, qu’on peut renouer avec la promesse d’intégration et d’ascension sociale.

L’expérimentation ayant commencé en 2018, j’avais proposé dans un premier temps la pérennisation du CDIE – cinq ans, cela commence à faire long, même si le covid a limité au début la promotion du dispositif. Mais les auditions ont mis en lumière le problème du manque de données. Je ne pouvais donc pas, en responsabilité, présenter un texte visant à pérenniser une mesure qui, par son caractère dérogatoire, emporte de nombreuses conséquences.

Pourquoi avons-nous toujours aussi peu de données ? Pourquoi les entreprises ne font‑elles pas remonter les informations ? Il faudrait que la DSN, qui doit être complétée pour chacun des salariés, comporte les données relatives aux CDIE. Le ministère nous a fait savoir que la création d’un module spécifique au CDIE au sein de la DSN nécessiterait deux ans. Je donnerai donc un avis favorable à un amendement visant à allonger de quatre ans la durée de l’expérimentation. Cette durée devrait nous donner le recul nécessaire pour disposer enfin des données que nous attendons.

Contrairement à ce qu’a dit Hadrien Clouet, le dispositif dont nous discutons n’est pas un contrat d’intérim : c’est un CDI. Or embaucher en CDI une personne de 57 ou 58 ans, qui plus est éloignée de l’emploi, constitue un risque pour l’employeur. C’est bien pourquoi on lui proposera davantage un CDD ou un contrat à temps partiel, et des fonctions qui n’exigent pas de qualification. Elle n’a aucune chance de se voir offrir un CDI, qui conditionne l’octroi d’un emprunt ou l’obtention d’une formation. L’intermédiation par le CDIE permet précisément de proposer un CDI, ce qui constitue une avancée notable. En contrepartie, le contrat sera partagé dans le temps entre plusieurs entreprises situées sur un même territoire. Mais la personne pourra bénéficier de formations pendant les périodes de travail et entre deux missions. Ces avancées ont justifié le dépôt de la proposition de loi.

Sur la concurrence entre l’intérim et le CDIE, les entreprises que nous avons auditionnées nous ont dit que le premier correspondait, pour un nombre important de salariés, à un choix de vie : ces personnes ne souhaitent pas s’engager dans la durée. Cela pose d’ailleurs des problèmes aux entreprises, qui hésitent à investir dans leur formation. Peu de personnes passent de l’intérim au CDI intérimaire. Les entreprises de l’intérim voient dans le CDIE une forme de concurrence déloyale car, disent-elles, les salariés susceptibles d’être recrutés ont le même profil. Je serai donc favorable à l’amendement qui vise à mieux cibler le public concerné. À l’heure actuelle, les personnes pouvant prétendre à un CDIE doivent être au chômage depuis au moins six mois et être âgées de plus de 50 ans – ce qui ne suffit pas à montrer l’éloignement de l’emploi. En redéfinissant la cible, on pourrait faire du CDIE un véritable outil d’insertion par l’activité sans concurrencer le CDI intérimaire. En tout état de cause, le CDIE n’est pas un CDI au rabais : il est proposé à des personnes à qui on ne propose pas un CDI habituellement.

Article 1er : Pérennisation du dispositif expérimental du travail à temps partagé aux fins d’employabilité

Amendements de suppression AS5 de M. Pierre Dharréville et AS16 de M. Victor Catteau.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Mon amendement vise à supprimer votre proposition initiale, monsieur le rapporteur. J’ai bien entendu que vous souhaitiez la corriger mais, comme je l’ai dit, nous doutons de la pertinence du dispositif. On peut se demander pourquoi les données ne remontent pas. L’expérimentation menée depuis cinq ans est donc assez peu concluante. En outre, la nature des protections offertes par le CDIE demeure à nos yeux très problématique.

M. Victor Catteau (RN). Nous retirerons cet amendement puisque vous avez indiqué vouloir proroger l’expérimentation. Cela étant, la prolongation de quatre ans, qui s’ajouterait aux cinq ans écoulés, nous paraît excessive. Nous avons déposé un amendement pour la fixer à deux ans, comme le proposaient M. Viry et Mme Berete. Nous avions déposé un autre amendement qui visait à rendre éligibles au dispositif les personnes victimes de violences conjugales, mais il a été déclaré irrecevable.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements. Je le répète, je propose plutôt de conserver au dispositif un caractère expérimental. L’inscrire dès à présent dans le code du travail ne serait ni pertinent, ni raisonnable. Si l’insuffisance des données empêche de s’engager dans la voie de la pérennisation, elle ne plaide pas non plus en faveur de la suppression pure et simple de ce contrat. On a tout de même des retours positifs. Les salariés sont satisfaits de bénéficier d’un CDI à l’issue de leur mission. Les ETTP et les entreprises utilisatrices louent la flexibilité qui leur est offerte ainsi que la diversité des profils recrutés.

Monsieur Dharréville, je vous invite à réfléchir, d’ici à la séance, aux éléments de protection du salarié que l’on pourrait proposer. L’obligation de formation attachée au CDIE est largement respectée, mais il conviendrait de vérifier son effectivité dans certaines situations.

Monsieur Catteau, la longueur de l’expérimentation, que je ne conteste pas, est la conséquence du délai de deux ans nécessaire, selon le ministère, à la modification de la DSN. Je préfère que l’on utilise cet outil plutôt que de créer un formulaire supplémentaire. Si le ministère était capable de faire plus vite, peut-être pourrions-nous adapter le délai.

Enfin, la prise en compte des violences conjugales, qui est évidemment un sujet de préoccupation majeur, ne correspond pas à la philosophie de la loi, qui vise les personnes éloignées de l’emploi.

M. Stéphane Viry (LR). Monsieur Dharréville, vous semblez ne faire aucun cas du travail d’évaluation et de contrôle que nous avons mené avec Fanta Berete, pendant six mois, dans le cadre de la mission « flash ». Peut-être ses conclusions ne vous satisfont-elles pas, mais vous ne pouvez nier le fait que des députés se sont penchés sur le sujet avec les moyens dont ils disposaient. Je rappelle en outre que nos conclusions ont fait l’unanimité en juillet. Parler d’une absence totale de bilan de l’expérimentation menée depuis cinq ans me paraît très excessif. Je ne peux approuver ces amendements de suppression car les éléments, certes en nombre insuffisant, dont nous avons connaissance montrent que des résultats positifs ont été obtenus sur le plan du retour à l’emploi. On ne saurait reporter sine die la mise en œuvre de cet outil ni, à plus forte raison, le supprimer.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Le rapporteur nous a communiqué des informations très vagues, qui ne reposent sur rien de fiable. Il existe déjà de très nombreuses formes d’emploi : CDD, intérim, CDI intérimaire, auto-entrepreneuriat, avec parfois des prêts de main-d’œuvre. Avec le CDIE, s’agit-il d’offrir davantage de souplesse et de flexibilité aux entreprises en externalisant la main-d’œuvre, ou a-t-on affaire à un outil d’insertion, dont l’efficacité doit être évaluée ? Tant que demeurera cette ambiguïté, le dispositif ne pourra faire son entrée dans le droit du travail, qui comprend déjà suffisamment d’instruments pour précariser la main-d’œuvre.

Il faut parler non seulement d’emploi, mais aussi de travail. Il ne s’agit pas seulement de percevoir un salaire : il faut être en mesure de s’installer dans la vie, autrement dit de disposer d’un statut permettant de se construire et de chasser l’incertitude. Je rappelle que plus de 100 000 personnes, broyées psychiquement ou physiquement, quittent le marché du travail chaque année en raison de leur inaptitude. Plutôt que de se demander par quel mécanisme les réinsérer, mieux vaudrait faire en sorte d’éviter qu’elles soient s broyées par le travail.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Chacun s’accorde à dire que l’évaluation est insuffisante. Monsieur Viry, on ne peut pas rester dans l’approximation. Ce dispositif est censé structurer durablement la vie de gens en difficulté. Par cet amendement de suppression, nous appliquons le principe de précaution : des doutes subsistant, nous suggérons d’attendre une véritable évaluation. Les seuls éléments factuels dont nous disposons nous ont été fournis par les syndicats qui, lors des auditions, ont unanimement rejeté le dispositif. Cela doit nous alerter.

M. Fabien Di Filippo (LR). Depuis que ce contrat a été proposé, on a connu trois phases. La première, qui a commencé avant l’élection d’Emmanuel Macron, a été marquée par la reprise économique et une baisse continue du chômage. Au cours de la période suivante, qui a été celle du covid, le chômage a connu des évolutions contraires et soudaines. Les protections très fortes qui ont été appliquées empêchaient d’y voir très clair. On entre dans une phase beaucoup plus difficile ; on doit s’attendre à ce que le chômage remonte dans les années à venir. L’intérêt de cette expérimentation et l’utilité de ce dispositif en seront sans doute renforcés, car il faudra aider les personnes éloignées de l’emploi ou plus âgées à se réorienter et à retrouver du travail. Ce n’est pas le moment de briser tout cela.

Mme Fanta Berete (RE). Dans le cadre de notre mission « flash », nous avons rencontré une difficulté liée au faible d’informations consolidées disponibles. En conséquence, nous avons proposé une prorogation de l’expérimentation afin de donner une chance à ce contrat. Dans leur témoignage, des salariés bénéficiaires du CDIE ont expliqué que personne ne leur avait proposé de CDI sur leur territoire. Le CDIE leur a permis de souscrire un crédit, de construire des projets de vie. Le dispositif n’est peut-être pas parfait mais il permet du moins à ces personnes de reprendre leur destin en main.

M. le rapporteur. Il est faux de prétendre que les syndicats sont hostiles à ce dispositif. Lors des auditions, leurs représentants ont simplement souhaité avoir plus de données. Seul Force Ouvrière avait un peu plus de doutes.

De plus, la suppression de l’article interdirait la production de quelques données que ce soit.

Les propos de M. Ruffin, précisément, justifient l’existence du CDIE, lequel vise d’abord à proposer un CDI à des personnes auxquelles il n’en est jamais proposé en raison de leur éloignement de l’emploi. Elles se voient éventuellement proposer des CDD à temps partiel, parfois à leur détriment financier puisqu’elles doivent être mobiles pour aller au travail ou parce qu’elles doivent organiser la garde de leurs enfants. Le CDIE constitue donc une véritable avancée. De surcroît, à la différence des personnes qui sont en CDD avec un emploi à temps partiel, elles pourront bénéficier d’une formation.

Le CDIE n’est certes pas parfait, notamment parce qu’il cible trop largement son public et qu’il concurrence le CDI. Il convient donc de le cibler vers l’insertion par l’activité économique, comme nous le ferons par voie d’amendement. En outre, nous manquons de données, d’où mon insistance, auprès du Gouvernement, pour que la DSN permette à terme d’en avoir.

Avis défavorable.

L’amendement AS16 est retiré.

La commission rejette l’amendement AS5.

Amendement AS6 de M. Hadrien Clouet, amendements identiques AS22 de Mme Fanta Berete, AS24 de Mme Anne Bergantz et sous-amendement AS26 de M. Nicolas Turquois, amendements AS3 de Mme Marie-Charlotte Garin, AS9 et AS10 de M. Laurent Panifous, AS14 et AS11 de M. Victor Catteau (discussion commune)

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Les mots de M. le rapporteur ont sans doute dépassé sa pensée lorsqu’il a évoqué les réticences ou les difficultés pour embaucher un salarié âgé de 57 ans. Le code du travail et le code pénal, en effet, sont clairs : il n’est pas possible d’écarter quelqu’un d’une procédure de recrutement en raison de son âge, sous peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Cet amendement d’appel vise à remplacer l’ensemble des contrats précaires par une nouvelle forme de CDI comportant une clause de terme, comme l’a proposé l’Association des juristes progressistes en 2017. En effet, il existe une « distance » juridique entre le terme d’un contrat et le licenciement, laquelle est artificielle et ne correspond pas à ce que vivent les personnes en contrat précaire. Il doit être possible de disposer d’une limite temporelle pour un contrat courant, par exemple, sur six ou huit mois, sans qu’elle rompe pour autant automatiquement le contrat à son échéance. Elle pourrait justifier un licenciement – dès lors que l’événement initial motivant la clause de durée a bien été réalisé – mais elle ouvre la voie à une prolongation systématique des contrats précaires.

Bref : nous proposons d’élargir à tous les emplois précaires la protection liée au licenciement, par exemple en matière de reclassement, de « cause réelle et sérieuse », etc. Nous nous opposons fermement à la multiplication des contrats de travail aux intitulés toujours plus folkloriques. Il convient au contraire de protéger au mieux chaque salarié, non à travers le contrat unique que la Macronie a essayé de nous vendre mais par le biais d’un contrat de travail unifié, conciliant à la fois le respect des exigences de notre économie et une parfaite sécurisation des salariés.

Mme Fanta Berete (RE). À l’issue de notre mission « flash », avec Stéphane Viry, nous avons recommandé une prolongation de l’expérimentation du contrat de travail à temps partagé à des fins d’employabilité. Nous avons également estimé que le déploiement de ce dispositif avait été freiné par la crise du covid-19 et qu’il méritait de prendre un nouvel élan.

En effet, le CDIE vise à favoriser l’accès à l’emploi d’un public confronté à la précarité professionnelle. Il est certes régi par des règles en effet un peu moins contraignantes pour les entreprises mais il constitue un gage de sécurité pour ses bénéficiaires et, surtout, il ne coûte rien à la collectivité.

Alors que le taux de chômage remonte légèrement, tous les leviers pour atteindre le plein emploi doivent être mobilisés. Cet amendement propose donc de prolonger l’expérimentation de ce dispositif pendant quatre ans afin d’intégrer les remontées du ministère concernant le point de technicité sur la DSN. Il convient également de recentrer ce contrat afin qu’il ne fasse pas concurrence au CDI traditionnel et qu’il soit réservé aux personnes qui sont au chômage depuis au moins un an.

Mme Anne Bergantz (Dem). Outre la prolongation de l’expérimentation, il convient en effet que ce dispositif cible les personnes les plus éloignées de l’emploi.

M. le rapporteur. Le sous-amendement, de précision, vise à ce que ce dispositif soit explicitement soumis au cadre juridique du travail à temps partagé de droit commun.

M. Laurent Panifous (LIOT). Les évaluations dont nous disposons ne permettent pas de juger de la totale pertinence et applicabilité de ce dispositif. Nous proposons donc que la recommandation de la mission « flash » visant à proroger l’expérimentation jusqu’en 2025 soit prise en compte et que des sanctions soient prévues en cas de recours abusifs au CDIE.

Un amendement de repli ne retient que la prolongation de l’expérimentation.

M. Victor Catteau (RN). Nos amendements visent à proroger l’expérimentation, respectivement, jusqu’en 2024 et 2025. Avec les rapports du Gouvernement et de l’Igas, nous bénéficierons ainsi d’un retour d’expérience permettant d’envisager ou non une pérennisation.

Notre amendement AS17, qui ne pourra vraisemblablement pas être soutenu, visait à cibler le dispositif en le réservant aux personnes inscrites au chômage depuis un an.

M. le rapporteur. J’observe qu’un certain nombre de députés appartenant à des groupes politiques différents proposent, suivant des modalités variées, la prorogation de l’expérimentation, ce à quoi je suis favorable.

Sur le fond, je suis favorable à la solution consistant à instaurer une nouvelle expérimentation pour une durée relativement longue. Il me paraît en effet nécessaire de donner aux ETTP et aux entreprises utilisatrices un minimum de visibilité. Or, une prorogation de l’expérimentation pour une durée trop courte ne permettrait pas d’escompter autre chose que des effets limités. Du reste, je crains que les services de l’État manquent de temps pour organiser, dans un délai trop contraint, l’indispensable remontée d’informations en vue de l’évaluation qu’il conviendra de conduire à terme.

Les amendements qui relancent une expérimentation pour une durée de quatre ans répondent donc à la préoccupation que je viens d’exprimer. Ils permettent d’aller au-delà du 31 décembre 2023, date à laquelle l’expérimentation devait prendre fin – ce qui placerait un certain nombre d’ETTP en difficulté – et, autre avantage, ils proposent de réserver le bénéfice du dispositif aux personnes inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi depuis un an au moins, plutôt que six mois. Les travaux préparatoires à l’examen de ce texte ont montré que les critères d’éligibilité méritaient d’être revus afin que le travail à temps partagé aux fins d’employabilité s’adresse exclusivement à des personnes qui rencontrent des difficultés particulières d’insertion professionnelle.

M. Clouet propose une remise à plat de la législation relative au contrat de travail. Il ne sera pas surpris si je lui dis qu’une telle évolution excède largement le champ du texte !

L’amendement AS1, qui ne pourra vraisemblablement pas être discuté si les amendements AS22 et AS24 sont adoptés, vise à maintenir la formule selon laquelle l’employeur s’assure de l’effectivité de la formation du salarié. Tel sera bien le cas si le principe de la prorogation de l’expérimentation est retenu.

Je suis donc favorable à l’adoption des amendements AS22 et AS24, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement. Par cohérence, je suis défavorable à l’adoption des autres amendements.

La commission rejette l’amendement AS6.

Puis elle adopte le sous-amendement AS26 et les amendements AS22 et AS24 sousamendés.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les autres amendements ainsi que les amendements AS17 de M. Victor Catteau, AS1 et AS2 de M. Arthur Delaporte et AS4 de Mme MarieCharlotte Garin tombent.

Article 2 : Sanction de la méconnaissance de la législation applicable au travail à temps partagé aux fins d’employabilité

Amendements de suppression AS8 de M. Stéphane Viry, AS23 de Mme Fanta Berete et AS25 de Mme Anne Bergantz

M. Stéphane Viry (LR). Ce régime de sanctions constituait le corollaire de la généralisation du dispositif. Il devient sans objet dans le cadre d’une prolongation de l’expérimentation pendant quatre ans.

Mme Fanta Berete (RE). Compte tenu de l’adoption d’une nouvelle rédaction de l’article 1er, cet article n’a en effet plus de raison d’être.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Article 3 : Gage de recevabilité financière

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Titre

Amendement AS27 de M. Nicolas Turquois

M. le rapporteur. Il était difficile de maintenir dans le titre la mention d’une « généralisation » alors que l’expérimentation se poursuivra. Je propose donc de l’adapter.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, le titre est ainsi modifié.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

M. le rapporteur. Nous avons tous intérêt à promouvoir cette expérimentation dans nos territoires – même si nous devrons être vigilants sur de possibles effets de bord – afin que des personnes éloignées de l’emploi puissent bénéficier d’un CDI.

Je vous invite, pour la séance publique, à réfléchir au ciblage des publics éligibles et aux droits associés au CDIE.

 

*

 

La commission entend ensuite une communication de M. Philippe Juvin et Mme Anne Bergantz, rapporteurs de la mission « flash » sur la mortalité infantile.

M. Philippe Juvin, rapporteur. Je tiens d’abord à remercier l’ensemble des personnes qui ont accepté d’être auditionnées par le groupe de travail au cours des derniers mois, sur une question importante. Je remercie également Anne Bergantz avec laquelle j’ai travaillé ainsi que l’ensemble de nos collaborateurs qui nous ont apporté un soutien essentiel.

La mortalité infantile, définie par le décès d’un enfant avant l’âge d’un an, est un marqueur de santé publique important. Elle a diminué durant tout le siècle. En effet, au début du siècle, cent quarante enfants décédaient durant leur première année de vie pour mille naissances. Actuellement, le ratio s’élève à trois décès pour mille naissances.

À partir de 2012, nous constatons que la mortalité infantile augmente à nouveau en France et uniquement en France puisque cette dégradation n’a pas été observée dans les pays voisins qui proposent un niveau de soins équivalents. Cette augmentation de la mortalité infantile nous a interpellés et nous avons tenté d’en identifier les raisons.

Plusieurs travaux ont été menés à ce sujet et ont confirmé cette évolution, notamment l’étude publiée en février 2022 dans la revue scientifique Lancet Regional Health Europe (dite « The Lancet »), par une équipe française de l’hôpital Necker. Si nous comparions la France à la Suède, par exemple, pays très vertueux en matière de mortalité infantile, ce constat correspondrait à un surplus théorique de mille deux cents morts par an, en France, d’enfants de moins d’un an. Pour des raisons pédagogiques, les auteurs de l’étude du Lancet avaient précisé que ce chiffre indiquait que l’équivalent de quarante-huit classes de maternelle mourrait en France chaque année, sans que l’on en connaisse réellement les raisons, au‑delà des décès malheureusement inévitables.

Il apparaît que 75 % de cette mortalité sont enregistrés essentiellement au cours de la première semaine de vie. Il s’agit alors d’une mortalité néonatale précoce qui intervient entre le premier et le septième jour d’existence.

Il est très intéressant de constater qu’il y a une trentaine d’années, une diminution drastique de la mortalité infantile a été observée grâce à la simple application de recommandations de couchage. En effet, il importe de coucher les enfants sur le dos, dans une turbulette, sans couverture, dans leur propre lit et sans animal auprès d’eux. Ces recommandations ont permis de diminuer la mortalité. Ce message de santé publique s’est avéré très efficace, mais il a été le dernier message de santé publique en date. Ce constat nous a interpellés.

Les causes de cette mortalité infantile sont potentiellement multiples, mais elles ne sont pas connues. Nous avons donc fait un certain nombre de recommandations parmi lesquelles la nécessité d’analyser la situation. En effet, nous ne disposons d’aucun registre unifié en France qui puisse permettre d’identifier l’âge de la grossesse à l’accouchement, le poids de naissance, les conditions socio-économiques, l’obésité éventuelle de la mère, son tabagisme, les conditions d’accouchement, par césarienne ou par voie naturelle, etc. Nous ne disposons pas de ces données et c’est pourquoi il nous paraît nécessaire de mettre en place un registre national des décès de sorte analyser pleinement la situation et les causes de sa dégradation.

Mme Anne Bergantz, rapporteure. Je tiens d’abord à remercier mon collègue Philippe Juvin, qui a suggéré cette mission.

Nous avons pris le temps d’auditionner plus d’une vingtaine de personnes, parmi lesquelles des professionnels de santé, des représentants d’instituts nationaux, de directions ministérielles, des scientifiques, des professeurs d’université, des représentants d’associations, etc.

Ce sujet est particulièrement douloureux puisqu’il concerne le décès de nourrissons de moins d’un an. Il convient donc de l’aborder avec prudence et sérieux au regard des éléments factuels statistiques dont nous disposons. Je rejoins mon collègue sur son constat selon lequel si nous disposons de chiffres et de facteurs de risque, il n’existe aucun chaînage de l’ensemble des informations nécessaires à fournir une vision précise de la situation. Nous disposons de données éclatées, complexes à appareiller, entre état civil, certificat de naissance et données hospitalières issues du programme de médicalisation des systèmes d’information, mais il serait nécessaire d’établir un registre complet contenant des informations sur la grossesse, l’état de santé de la mère, son âge, son suivi, ainsi que des données relatives à l’état de santé du bébé pendant ses premiers jours de vie. Un tel registre existe pour les mortalités maternelles qui, certes, concernent quatre-vingt-dix décès par an. Cela nous conforte dans l’idée qu’il importe d’œuvrer à la réalisation de cette première préconisation relative à la création d’un registre.

À défaut, il est néanmoins possible de formuler des hypothèses et des facteurs de risque.

En premier lieu, les caractéristiques et la santé de la mère sont identifiées de longue date comme pouvant avoir un impact sur la mortalité infantile, notamment le recul de l’âge des mères à l’accouchement à plus de 40 ans et son incidence sur le diabète gestationnel et sur les grossesses multiples. Si ce constat constitue un facteur de risque, il convient néanmoins de nuancer cette donnée puisque l’âge des mères a reculé dans l’ensemble des pays d’Europe alors que le taux de mortalité infantile diminue dans ces mêmes pays.

D’autres facteurs de risque augmentent, qu’il s’agisse du surpoids pendant la grossesse, du diabète gestationnel ou des maladies chroniques. Ces facteurs sont susceptibles d’entraîner des risques de malformations congénitales et un risque accru de mort in utero. La santé des mères doit donc appeler toute notre attention.

Il en va de même pour des comportements tels que la consommation de tabac, qui reste à un niveau élevé en France. Il est surprenant de constater que 17,8 % des femmes enceintes fument toujours au troisième trimestre de leur grossesse. Une enquête de Santé publique France de 2015 estimait que sur une année, 158 000 nouveau‑nés sont exposés au tabagisme de leur mère. La proportion est d’autant plus élevée chez les femmes jeunes et chez les femmes moins diplômées. À titre de comparaison, en Suède, ce taux serait de 4 %. Cette différence de comportement interroge. Les effets du tabagisme sont considérables sur le développement du fœtus et donc sur le risque de prématurité.

Parmi les autres facteurs de risque, il convient de souligner également le poids des inégalités économiques et sociales. La précarité a des conséquences sur l’état de santé des mères et induit un risque accru de mortalité infantile. Les pathologies maternelles sont plus fréquentes ; le suivi de la grossesse est plus parcellaire et distendu. Ce constat peut être lié à une moins bonne compréhension du système de soins, à une difficulté d’accès aux soins et à la prévention ou encore, pour certaines mères nées à l’étranger, à la barrière de la langue.

Une étude de 2015 a analysé le lien entre les caractéristiques socio-économiques des communes de résidence des mères et la prématurité et le poids du bébé. Les facteurs de risque semblent plus fréquents lorsque la mère est de milieu modeste, qu’elle est moins diplômée et qu’elle dispose d’un faible niveau de revenus.

Une autre étude, plus récente et plus proche de nous géographiquement, établit un constat édifiant sur les pathologies et la santé des mères. Elle a été menée en Seine‑Saint‑Denis et elle a mis en exergue le constat selon lequel la moitié des nouveau‑nés décédés étaient nés de mères en surpoids et obèses.

Il s’avère également impossible d’obtenir des chiffres précis sur les accouchements effectués sous aide médicale de l’État, mais nous savons qu’ils augmentent en proportion. On peut supposer que si la grossesse est vécue pendant le parcours migratoire, si l’arrivée en France est très proche de l’accouchement, si les conditions d’hébergement sont précaires, cela impacte le début de la vie des nourrissons. Cela mériterait également d’être estimé et consigné dans les futurs registres. En tout cas, je mentionne les propos tenus par M. Patrick Daoud, que nous avons auditionné, selon lequel la grossesse est souvent un révélateur et un amplificateur des difficultés qui conduisent notamment à un risque d’augmentation de la mortalité infantile.

Il importe également de mentionner la mort subite du nourrisson ainsi que les violences dont peuvent être victimes les enfants et notamment le syndrome du bébé secoué. Nous disposons dans ces domaines de chiffres relatifs au taux de mortalité très parcellaires. Il s’élèverait néanmoins à environ 13 %.

Nos recommandations portent également sur des actions qui pourraient être plus rapidement mises en œuvre dans le domaine de la prévention. Nous avons évoqué les effets extrêmement marqués du message relatif aux pratiques de couchage dans les années 1990 sur la diminution de la mortalité et sur les morts subites du nourrisson. Il semble clair que ces pratiques se sont un peu relâchées. Les industriels ne nous aident pas non plus en diffusant des photos de bébés mignons qui dorment sur le ventre, entourés de leurs doudous. Il s’avère donc urgent et indispensable que les industriels s’emparent de ce sujet et que les agences gouvernementales soient également plus vigilantes quant à la diffusion de certaines photos sur les sites.

Le professeur Martin Chalumeau, que nous avons auditionné, proposait de faire également figurer des messages sur les paquets de couches, ce qui pourrait être une façon de rappeler sans cesse ce message de prévention susceptible de sauver de nombreuses vies. Il serait d’ailleurs souhaitable de faire figurer des messages de prévention contre le tabagisme, car le taux de consommation de tabac par les femmes enceintes est très important en France. Cette action nous semble facile à mettre en œuvre pour éviter des décès.

Avec des outils pertinents, nous pourrions agir pour diminuer cette mortalité infantile. Nous espérons que notre modeste contribution à ces travaux saura convaincre de l’urgence d’agir en ce sens.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je passe la parole aux orateurs des groupes.

Mme Michèle Peyron (RE). Je tiens à saluer la qualité de ce rapport, très complet malgré le cadre imposé par les missions « flash ». Le sujet traité dans ce rapport est essentiel puisque, en effet, le taux de mortalité infantile augmente dans notre pays.

Vous dressez un constat inquiétant de la situation puisque nous enregistrons 3,9 décès pour mille naissances vivantes. Ce phénomène apparaît beaucoup plus inquiétant dans les territoires ultramarins qui présentent un taux moyen supérieur à 4 points, soit 4,7 ‰ en outre-mer contre 3,7 ‰ dans l’Hexagone.

Malgré le défaut de données, les principales causes que vous avez notamment identifiées résident dans la hausse de la prématurité, le surpoids et le diabète gestationnel, les addictions de la mère, la précarité, le manque de personnel soignant et d’accompagnement, le manque de lits en néonatalogie.

Dès lors, je souscris pleinement à vos propositions relatives à l’amélioration de l’offre de qualité des soins en périnatalité à travers la triple permanence des soins dans les maternités et une meilleure répartition interrégionale des lits de réanimation néonatale.

Je salue également votre préconisation de mise en place d’une politique ambitieuse de prévention. En effet, notre pays dispose d’acteurs formés et d’outils pour accompagner les causes de la mortalité infantile.

Nous avons rendu l’entretien prénatal précoce obligatoire et il importe désormais de le généraliser. En effet, cet entretien essentiel dans l’accompagnement des addictions des futures mères n’est pas encore suffisamment pratiqué.

Vous réaffirmez la nécessité de sanctuariser les financements des services de protection maternelle et infantile (PMI). Je vous remercie de cette recommandation que je soutiens pleinement, car l’enjeu est déterminant pour la santé des mères et des enfants, notamment pour les plus précaires. Il est essentiel de garantir le financement de ces services et de pérenniser la formation des professionnels.

Mme Joëlle Mélin (RN). Je me permets de vous rappeler que j’ai déjà abordé le sujet de la mortalité infantile par deux fois dans cette commission, et ce dès la sortie du rapport de la Société française de néonatologie.

Il est clair que la multiplicité des facteurs péjoratifs est telle que la situation est désormais très inquiétante, qu’il s’agisse des moyens humains, parfaitement déficitaires, sur les plans qualitatif et quantitatif, des moyens techniques, tels qu’une capacité insuffisante et une répartition nationale de mauvaise qualité, ou encore de l’augmentation des grossesses et des accouchements à risque. Ces facteurs cumulés nous conduisent à tomber de la troisième à la vingtième place européenne en matière de mortalité infantile.

Vos propositions, comme celles des personnes que vous avez auditionnées, tombent sous le sens, car elles sont assez générales. Vous préconisez un audit de la situation et de la compréhension des causes de cette augmentation de mortalité infantile inédite conduisant à la création d’un registre national. Personnellement, je lui préfèrerais un registre régional, tel qu’il existe pour le cancer, à des fins d’observation plus fine et de recherche.

Vous proposez également la remise en cohérence des parcours de soins pour inverser la pénurie des lits d’accueil, une meilleure répartition sur le territoire et une formation plus efficace de tous les intervenants.

Vos préconisations s’intègrent dans la reprise en main de l’ensemble de notre système de soins, mis actuellement à mal par une politique de maîtrise comptable que vous avez chacun votre tour soutenue, hier pour l’un et aujourd’hui pour l’autre des rapporteurs.

En tout état de cause, je tiens malgré tout à vous remercier pour cette mission.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). Le constat est absolument accablant puisque, dans la synthèse de votre mission « flash », on peut lire qu’en France, notre pays qui est quand même l’un des pays les plus riches du monde, la mortalité infantile augmente. Vous soulignez qu’en trois décennies, la France est tombée du septième au vingt-septième rang mondial. Comment une telle régression est-elle possible ? Comparée à la Suède et la Finlande, la France enregistre 1 200 décès supplémentaires.

Vous mettez en cause, notamment, l’âge moyen de la procréation. Il s’avère pourtant qu’en France, cet âge est inférieur à la moyenne européenne et qu’il est supérieur à la moyenne en Suède. Ce constat ne suffit donc pas pour poser le diagnostic le plus important.

En réalité, il convient d’aller au cœur du problème. Le cœur du problème, vous ne l’avez même pas évoqué dans votre présentation et les bras m’en tombent. Il s’agit en effet de la question des moyens mis à la disposition des services publics pour assurer leur mission. Entre 2000 et 2017, 221 maternités ont fermé et ce sont évidemment les plus petites qui disparaissent. Aujourd’hui, 10 % des maternités françaises sont en situation de fermeture potentielle. Or nous savons qu’un temps de trajet supérieur à 45 minutes double le taux brut de mortalité.

Nous savons également que les lits ne sont plus suffisamment nombreux dans les hôpitaux qui enregistrent également un déficit de personnel. Les problèmes liés aux soins d’obstétrique, d’anesthésie, de pédiatrie, etc., plus généralement l’effondrement du système de soins, conduisent fatalement à une mortalité accrue et notamment la mortalité infantile. Votre rapport le pointe réellement en filigrane, mais ne l’établit pas comme le cœur du problème. Si nous ne déployons pas des moyens pour développer nos services publics, pour que nos hôpitaux fonctionnent correctement et pour que nos maternités ne soient plus fermées, alors dans l’un des pays les plus riches du monde, nous observerons encore des situations où des bébés meurent faute de soins.

Vous évoquez les problématiques liées au tabagisme et à l’obésité. Nous savons qu’ils sont intimement liés aux enjeux de pauvreté. Comment pouvons-nous régler cette situation si vous augmentez l’appauvrissement de la population et les inégalités ?

M. Thibault Bazin (LR). Je connais la préoccupation de Philippe Juvin quant à l’augmentation de la mortalité infantile en France puisqu’il a insisté, à raison, pour qu’une mission « flash » soit menée par notre commission. Je le remercie ainsi que notre collègue Anne Bergantz pour leur engagement et la qualité de leur rapport.

Le fléau est réel puisque nous avons déploré 2 900 décès d’enfants de moins d’un an en 2022. Le décès d’un enfant est toujours un drame pour sa famille et la société. Vos constats doivent nous alerter. Le défi est de taille et nous mobiliser pour agir nous permettrait d’éviter près de mille deux cents décès.

Quels sont les facteurs d’évitabilité des décès ? Il convient d’analyser précisément les causes et de les comprendre afin d’en prévenir les déterminants. Vous préconisez de créer un registre national des naissances permettant d’appareiller les différentes sources de données et de lier l’histoire des mères à celle de leur nouveau-né. La création d’un tel registre nécessite-t-elle de légiférer ? L’administration ne peut-elle pas le mettre en œuvre immédiatement ?

75 % des décès concernent la mortalité néonatale, c’est-à-dire une mortalité survenant dans les six premiers jours de l’enfant. Des disparités territoriales existent, la mortalité pouvant doubler d’un département à l’autre. Vous avez reconnu ne disposer d’aucune donnée relative au lien entre la mortalité infantile et l’éloignement entre le domicile et la maternité susceptible d’augmenter le nombre d’accouchements extrahospitaliers. Vous préconisez d’améliorer la répartition interrégionale des lits de réanimation. Or un récent rapport de l’Académie nationale de médecine consacré aux maternités tend à concentrer les moyens humains. N’est-ce pas contradictoire ? Comment conjuguer recherche de la sécurité pour les mères et les enfants avec un accès en proximité à la réanimation néonatale ?

Votre proposition n° 9 consiste à sanctuariser les budgets attribués aux services de PMI des territoires les plus touchés par la mortalité infantile, dont certaines ont vu, selon vous, leurs ressources diminuer de manière significative ces dernières années. Or les PMI relèvent des conseils départementaux. Comment cette sanctuarisation pourrait-elle se traduire concrètement ? Préconiseriez-vous des dotations dédiées de l’État pondérées par des données territorialisées ?

Mme Maud Petit (Dem). Je salue la rigueur et la qualité du travail des deux rapporteurs dans un délai très bref et sur un sujet qui nous sensibilise et qui doit nous engager toutes et tous.

Le taux de mortalité infantile, qui renvoie aux décès d’enfants âgés de moins d’un an, constitue un indicateur clef de la santé d’une population. Or ce taux connaît en France une augmentation significative depuis plusieurs années puisque nous avons glissé maintenant au vingt-septième rang mondial. Votre travail et les préconisations qui en découlent permettront, j’en suis convaincue, d’apporter des solutions concrètes et pérennes de sorte à inverser très rapidement cette tendance.

Je voudrais saluer notamment la proposition n° 6, qui consiste à instaurer des campagnes de prévention nationale, essentielles à mon sens pour relayer les messages aux parents. À ce sujet, avez-vous intégré la prévention autour de l’interdiction des violences éducatives ordinaires dans votre réflexion ?

Par ailleurs, quelles pistes préconisez-vous pour les mamans en situation de vulnérabilité, c’est-à-dire les mères confrontées à des addictions telles que le tabac, l’alcool ou la drogue ou celles qui vivent dans un contexte de violences conjugales ?

Ensuite, vous évoquez un taux de mortalité infantile beaucoup plus élevé en outre‑mer par rapport à l’Hexagone. Avez-vous pu identifier des facteurs ou des causes spécifiques à ce taux bien plus élevé ? Quelles seraient les solutions pour y remédier ?

Enfin, comment les législateurs que nous sommes peuvent-ils se saisir de vos préconisations ?

M. Elie Califer (SOC). Je félicite notre commission et plus particulièrement nos deux rapporteurs de s’être penchés, à travers cette mission « flash », sur le douloureux sujet de la mortalité infantile. Il est vrai qu’après des décennies de recul, l’augmentation significative de la mortalité infantile en France méritait que nous analysions les causes et que nous présentions des pistes visant à endiguer ce phénomène.

Les origines de ce fléau sont complexes et bien souvent multifactorielles. Cependant, un trait commun se dégage, à savoir que la mortalité infantile augmente en raison de défaillances dans l’organisation de notre système de soins, de la dégradation continue de la qualité de l’offre de soins et de l’aggravation des inégalités économiques et sociales.

En outre-mer, le constat est encore plus inquiétant puisque les chiffres enregistrés sont supérieurs de plus du double à la moyenne nationale. Ce constat relève probablement des effets conjugués d’une grande précarité sociale, d’une démographie médicale vieillissante et de pathologies de santé plus prégnantes qu’ailleurs telles que le diabète, l’hypertension et j’ose évoquer les conséquences de l’exposition à la chlordécone.

Si notre groupe salue les dix recommandations de la mission, je me permets de formuler trois remarques.

Compte tenu des données, j’estime que notre commission devra à l’avenir porter une attention particulière à la situation en outre-mer, notamment en matière de mortalité et de prématurité infantiles. La Cour des comptes a déjà eu l’occasion de souligner la nécessité de renforcer l’ensemble du système de soins et de réduire les disparités en matière de protection maternelle infantile.

Je suis en désaccord avec l’argument relatif aux maisons de naissance, avancé en page 5. Je pense au contraire que ce sont des structures qui ne font pas peser de risque sur la sécurité des enfants. Elles représentent une offre très appréciée des mères de famille.

Enfin, je regrette que le rapport n’ait pas pris le temps, ou n’ait pas eu le temps, d’évoquer le phénomène du deuil périnatal, qui est un véritable drame. Perdre un enfant restera toujours un drame. Il est important, à mon sens, que les pouvoirs publics mettent en place des protocoles d’accompagnement.

M. Frédéric Valletoux (HOR). Madame, monsieur les rapporteurs, je me joins à mes collègues pour souligner la qualité de votre travail, non seulement la force de votre constat, mais également la qualité des propositions que vous formulez sur un sujet essentiel en en matière de santé publique. Je vous remercie pour votre engagement en la matière.

Vous préconisez notamment que soit assurée une triple permanence des soins en obstétrique, anesthésie et pédiatrie dans l’ensemble des maternités. Je souhaite insister sur ce point. J’adhère bien sûr à cette proposition, mais j’attire votre attention sur l’attractivité de la pédiatrie hospitalière qui a tendance à diminuer, notamment dans les hôpitaux, en raison du poids de la permanence des soins. En effet, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales publié en avril 2021, le nombre de démissions augmente. Alors que le Centre national de gestion recensait soixante-dix-sept démissions de praticiens hospitaliers sur la période 2011-2015, elles s’élevaient à quatre-vingt-treize sur la période 2016-2020, soit une augmentation de 21 %, supérieure à celle de l’ensemble des spécialités.

Face à la charge de la permanence des soins, élevée pour les pédiatres hospitaliers, il revient à tous les établissements privés de prendre leur part afin d’équilibrer le poids de ces permanences des soins entre le secteur public et le secteur privé. À l’heure où plus de 82 % des hôpitaux assument cette permanence des soins en établissement, la proposition de loi récente votée à l’initiative du groupe Horizons permet de rééquilibrer la situation et cette mesure s’avèrera probablement utile pour améliorer notamment l’offre, la qualité et l’attractivité de la pédiatrie hospitalière et d’améliorer ainsi cette permanence des soins que vous préconisez.

Vous indiquez par ailleurs que plus de 17 % des femmes enceintes continuent à fumer au troisième trimestre de leur grossesse et que cela pourrait en partie expliquer l’augmentation des chiffres de la mortalité infantile. À cet égard, il me semble indispensable de franchir un cap sur la prévention du tabagisme en France, qui a des conséquences préjudiciables, notamment sur les femmes enceintes et sur leur bébé.

Compte tenu de l’intérêt que présente votre mission, quelles sont les suites que vous souhaiteriez voir donner à ce travail que vous avez engagé et dont j’estime qu’il ne doit pas rester lettre morte ?

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Madame et monsieur les rapporteurs, je vous remercie pour cette mission et pour ce travail que vous avez mené sur la mortalité infantile.

Il est vrai que ce recul majeur du soin proposé pour les plus petits nous interpelle. En effet, notre pays, la France, chute parmi les plus mauvais élèves européens en matière de mortalité infantile. Vous évoquez ce constat à plusieurs reprises dans votre rapport, notamment en ce qui concerne la prématurité extrême. Où étions-nous lorsqu’il s’est agi de voter les moyens pour la prévention en matière de santé environnementale, de santé des femmes et de prévention tout simplement, lors des derniers budgets de la sécurité sociale que nous avons pu discuter, mais que nous n’avons pas pu voter ?

Vous évoquez également l’organisation et la qualité des soins. Vos constats posent évidemment la question des moyens alloués aux métiers du soin dans notre pays. Nul n’ignore que l’argent est le nerf de la guerre et que pour prodiguer des soins de qualité sur l’ensemble du territoire, il est nécessaire d’investir massivement et de revaloriser notamment les métiers du soin.

Parmi les facteurs de risque, vous pointez la question des inégalités économiques et sociales. La précarité serait un facteur de vulnérabilité très marquant. Pourtant, ce point n’est absolument pas mentionné dans vos recommandations. Ce débat intervient d’ailleurs à un moment particulier parce que ce quinquennat a particulièrement renforcé les inégalités. En effet, 14,5 % des Français, bien souvent des femmes, vivent sous le seuil de pauvreté et un Français sur trois se prive de nourriture. Dès lors, je m’interroge et je vous interroge directement : pourquoi ne préconisez-vous aucune action à ce sujet ? J’ai le sentiment que vous voulez bien agir sur tout ce qui est politiquement correct, mais pas sur ce qui, en matière de prévention de la mortalité infantile, serait susceptible de bouleverser un peu trop l’ordre établi.

Je me permets de terminer mon propos en abordant la question des enfants qui dorment dans la rue, dans notre pays, puisqu’ils ne sont pas miraculeusement soustraits à la question de la mortalité infantile. Nous avions voté en commission des places d’hébergement d’urgence qui ont été balayées par le 49.3. Enfin, selon le texte qu’un grand nombre d’entre vous a voté hier, l’hébergement d’urgence ne sera plus inconditionnel pour ces enfants.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je salue le travail qui a été réalisé et qui met en évidence le sujet essentiel de la mortalité infantile. 3,9 décès pour mille naissances en 2022 : le constat est rude et accablant.

Votre rapport identifie quatre causes principales : l’augmentation de la prématurité, la santé globale des mères et l’impact de l’environnement, incluant le recul de l’âge des mères à l’accouchement, le surpoids, le diabète ou la consommation de tabac, le poids des inégalités économiques et sociales – je rejoins en effet ma collègue, Mme Garin, sur ce point : pourquoi votre rapport ne contient-il aucune préconisation sur cette donnée, qui est pourtant essentielle ? – et enfin l’organisation de la qualité des soins.

Vous mentionnez la désorganisation des services dans de très nombreuses petites maternités et la fermeture des petites maternités. Toutefois, vous indiquez : « Il faut à la fois noter que l’éloignement augmente le risque d’accouchement extrahospitalier, sans toutefois augmenter le risque de mortalité et qu’il semble ne pas y avoir de relation entre le nombre de maternités par habitant et les performances périnatales. » Cette dernière assertion s’appuie sur une comparaison avec la Suède, qui compte 35 maternités pour 110 000 naissances, quand la France compte 470 maternités pour 100 000 naissances. Nous considérons que cette comparaison souffre de son étroitesse puisqu’il faudrait considérer les modalités de prise en charge de la grossesse dans les pays comparés et en conséquence, la réglementation en matière de congé de maternité et de reprise d’emploi, de suivi médical avant et après l’accouchement, etc.

Cette mission « flash » rejoint les conclusions du rapport « Charges et produits 2023 » de l’assurance maladie. Nous regrettons d’ailleurs que vous ne citiez pas ces travaux, car l’assurance maladie a insisté sur la nécessité de renforcer la cohérence des parcours de soins de la mère et de l’enfant, selon trois axes : le médecin traitant, clef de voûte du parcours, les sages-femmes, dont rôle est central, et les PMI, dont il conviendrait de conforter le modèle.

Votre rapport démontre l’urgence d’intervenir durablement sur l’offre de soins sur les territoires.

M. Paul Molac (LIOT). Nous saluons le travail que vous avez effectué sur un sujet d’autant plus préoccupant que nous constatons une augmentation de la mortalité infantile.

Face à ce phénomène, vous soulignez l’importance du suivi et de l’accompagnement des mères durant la grossesse ainsi que celle de l’organisation de l’offre de soins. Je pense que le réseau des maternités est particulièrement important parce qu’un trajet supérieur à 45 minutes augmente le risque de problèmes.

À titre d’exemples, la fermeture de la maternité de Carhaix a été évoquée alors que la maternité la plus proche est située à une heure de route. La fermeture de la maternité de Porto‑Vecchio oblige les mères à effectuer deux heures et demie de trajet pour se rendre à Bastia ou à Ajaccio. Force est donc de constater que, sans une couverture fine du territoire, il n’est pas véritablement possible suivre les femmes enceintes parce que les risques ne sont pas identiques si elles doivent faire 20 minutes de route ou plus de deux heures. Certaines femmes hésiteront à se déplacer ; d’autres ne pourront pas se déplacer. Il existe donc un réel problème et c’est la raison pour laquelle nous défendons le maintien des petites maternités qui permettent de couvrir le territoire.

Un docte professeur de Paris prétendait qu’en dessous de mille accouchements, les risques augmentaient dans les maternités. Tout est relatif, parce qu’accoucher dans un camion de pompiers représente également un risque. C’est un choix à faire.

De plus, ces petites maternités permettent d’assurer des urgences telles que le code rouge et d’éviter ainsi des drames humains. Il est donc primordial d’assurer un maillage territorial.

Nous partageons également votre volonté d’apporter des réponses adaptées aux territoires, notamment aux territoires ultramarins.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous enchaînons immédiatement sur les questions des députés.

Mme Katiana Levavasseur (RN). Depuis 2012, les décès de nourrissons augmentent considérablement non seulement en France, mais également en Allemagne. La Haute Autorité de santé avait d’ailleurs publié un rapport à ce sujet et en avait identifié plusieurs causes telles que l’accouchement par le siège, un bébé imposant, le tabagisme, une grossesse gémellaire ou encore un utérus cicatriciel. Lors des dernières éditions, certains experts mettaient en cause la sous-évaluation des risques engendrés par un accouchement par voie basse. Ils se fondaient notamment sur des enquêtes menées par des sages-femmes en Angleterre qui concluaient que les maternités privilégiant la naissance par voie naturelle enregistraient une proportion plus élevée de décès précoces. Le rapport suggérait que ces décès auraient pu être évités en pratiquant une césarienne. Pour ces experts, cela se produit notamment lors des naissances longues ou difficiles au cours desquelles une intervention forcée ou une pression excessive s’avère nécessaire, portant sur le crâne du bébé et conduisant une compression cérébrale ou à une perte d’oxygène pour l’enfant.

Les experts remettaient également en cause les recommandations qui se fondaient sur le pH, qu’ils jugeaient obsolètes. Ils estimaient essentiel de prendre en compte la douleur de l’enfant provoquée par la contraction et qu’on attendait trop longtemps pour sortir l’enfant. Ils justifiaient le faible recours des professionnels à la césarienne par des contraintes économiques, la femme restant plus longtemps à l’hôpital que pour un accouchement dit « naturel ».

Dans le document préparatoire, vous indiquez qu’il est impossible d’émettre une hypothèse consensuelle à ce sujet, mais envisagez-vous d’analyser plus avant ce point ? Constitue-t-il, selon vous, une piste de réflexion ?

Mme Caroline Janvier (RE). Je pense qu’il est préférable de privilégier une approche reposant sur des constats et des données objectives à des approches idéologiques. En effet, vous rappelez le caractère multifactoriel de cette augmentation très inquiétante de la mortalité infantile.

S’agissant de l’organisation des soins, la fermeture de petites maternités constitue un sujet prégnant. Pour autant, il existe également des raisons à leur fermeture, liées notamment à la sécurité des soins, qui n’y est pas suffisante. Par ailleurs, le suivi périnatal réalisé dans les maisons de périnatalité, par des sages-femmes qui font des visites à domicile avant et après l’accouchement, démontre qu’en réalité, il est nécessaire d’élaborer un maillage qui s’étende au-delà des seules maternités.

Vous évoquez également les PMI, qui me semblent un élément très important.

Je rejoins le constat posé par Frédéric Valletoux quant au déficit de pédiatres, non seulement dans les hôpitaux mais également en ambulatoire.

Enfin, tout ce qui relève de la prévention me semble essentiel, notamment pour limiter les naissances prématurées. Les risques liés au tabagisme, au surpoids et à l’âge ne sont plus suffisamment connus et je crois que de nombreux décès pourraient être évités en communiquant davantage et suffisamment tôt.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Le sujet de la mortalité infantile est très préoccupant. J’identifie deux problèmes prégnants.

Le problème des soins et de tout ce qui est lié à l’outil hospitalier génère en effet un débat entre la sécurité et la proximité que nous pourrions entretenir pendant longtemps.

Mon propos s’intéressera davantage à la prévention. Force est de constater que la mortalité survient souvent dans un délai proche de l’accouchement. En outre, les problèmes liés à la prématurité sont fréquents. Ces constats démontrent tout l’intérêt de la prévention des déterminants de santé, sur les plans éducatif et socioéconomique, par rapport non seulement au tabac, à l’alcool, aux stupéfiants, mais également à l’augmentation des maladies chroniques telles que le surpoids, l’obésité, le diabète et tous les facteurs environnementaux, à savoir ce que nous respirons, buvons, mangeons, dont je pense qu’ils sont fondamentaux pour expliquer ces problèmes de mortalité périnatale et de prématurité.

Il importe de mener un travail de fond, car la mortalité infantile et périnatale constitue un véritable indicateur de notre état de santé publique et nous constatons qu’il n’est pas satisfaisant pour ce qui est de la prévention.

Mme la rapporteure. En préambule, je pense qu’il convient de se garder d’instrumentaliser ce débat et de le limiter au seul système de soins, mais qu’il est nécessaire de réfléchir avec pragmatisme. J’ai noté que plusieurs de vos affirmations et conclusions ne sont pas prouvées et ne peuvent pas être réellement confirmées.

Vous revenez à plusieurs reprises sur le nombre de maternités. Le sujet est à prendre avec précaution, notamment si on le compare à la Suède, pays considéré comme une référence. Le nombre de maternités est moins élevé en Suède qu’en France et leur éloignement impose la plupart du temps des trajets plus longs. Néanmoins, en Suède, le taux de mortalité est plus faible. Dès lors, le nombre et l’éloignement des établissements ne peuvent pas expliquer la mortalité infantile.

En revanche, le nombre de sages-femmes est significativement plus élevé en Suède qu’en France, 350 sages-femmes pour 100 000 naissances contre 150 sages-femmes pour 100 000 naissances en France.

Le suivi des grossesses me semble un axe de travail extrêmement important. En France, entre six et sept rendez-vous médicaux sont proposés au cours de la grossesse, soit un taux d’observance relativement faible, alors qu’en Suède, le suivi médical est plus intense et constitué de six à dix rendez-vous pour chaque grossesse. Le suivi médical est en outre accompagné de messages de prévention réitérés.

Les modalités de naissance ont également été évoquées lors de nos auditions, mais nous ne disposons d’aucun élément consolidé en la matière.

En ce qui concerne les outre-mer, il s’agit en effet probablement d’une exacerbation de nombreux éléments, liés non seulement à la situation économique et sociale, mais également à la qualité et à l’efficience du système de santé. Nous n’avons pas pu réellement approfondir notre enquête dans les outre-mer. Cela nécessiterait des données beaucoup plus confortées.

Notre objectif ne consistait bien sûr pas à remettre en cause les maisons de santé, mais nous n’avons recueilli aucune donnée consolidée au sujet du suivi des naissances et de l’état de santé des bébés. Il convient de rester extrêmement prudent sur ces paramètres.

S’agissant du nombre de maternités, j’ajoute qu’il convient de garder à l’esprit que certaines maternités fonctionnent parfois avec uniquement un obstétricien, ce qui interroge effectivement quant à la sécurité des naissances. Il ne suffit donc pas d’évoquer le nombre de maternités, il convient d’étudier également l’organisation des soins dans les maternités. Ainsi que le mentionnait Frédéric Valletoux, il existe une crise démographique de médecins obstétriciens et pédiatres.

Plusieurs d’entre vous ont souligné l’impact de la précarité et critiqué notre absence de réponses aux situations économiques et sociales. Je relie ce sujet au suivi des grossesses. Des expérimentations, menées notamment en Seine-Saint-Denis, ont consisté à mettre en place des suivis extrêmement prononcés des grossesses de personnes précaires. Des résultats très probants ont été enregistrés sur les taux de mortalité infantile, qui avaient diminué de 15 %. Force est donc de constater qu’un suivi accru permet réellement de diminuer le taux de mortalité.

La création d’un registre régional me semble effectivement être une bonne piste, notamment pour répertorier les lieux d’accouchement et de vie des mères.

Les PMI tiennent un rôle central dans l’approche des personnes les plus fragiles.

M. le rapporteur. Madame Peyron, vous avez à raison évoqué la prématurité. En effet, 65 % de la mortalité néonatale concerne les prématurés et en France, les taux de survie des grands prématurés ne sont absolument pas satisfaisants. S’agissant des grands prématurés, c’est-à-dire des enfants nés très tôt, à vingt-quatre semaines d’aménorrhée, le taux de survie en France s’élève à 31 %, un tiers, alors qu’il est de 62 % aux États-Unis, soit deux fois plus élevé, et qu’il atteint 79 % en Suède. Le sujet de la prise en charge des grands prématurés en France est donc prégnant, car le taux de survie n’est vraiment pas bon. J’ai mentionné les naissances à vingt-quatre semaines, mais il en est de même pour vingt-huit semaines, etc. Cette problématique relève des services de soins intensifs.

Les grossesses multiples ont en effet augmenté en France jusqu’en 2018.

Madame Mélin, j’adhère à vos propos relatifs à la nécessité de disposer de mesures. Je serais néanmoins plus mesuré qu’Anne Bergantz et vous-même quant à la création d’un registre régional. En effet, les chiffres n’étant pas très élevés, le volume de données serait trop faible alors qu’il est nécessaire de disposer du plus grand nombre possible de données. Dès lors, il est probablement plus pertinent de les traiter sur le plan national. En revanche, il est évidemment indispensable de recueillir des données de vie quotidienne et de mesurer la différence entre les uns et les autres.

Plusieurs d’entre vous ont abordé la question des moyens. Nous avons dit très clairement que l’offre de soins n’était pas satisfaisante, mais ce constat n’explique pas tout. Au-delà du nombre de maternités, la question des soins intensifs de néonatalogie me semble encore plus importante. La Société française de néonatalogie a fait des recommandations intéressantes. Trois quarts des services de réanimation néonatale rencontrent actuellement des difficultés. 80 % des pédiatres néonatologues dépassent leur durée hebdomadaire de travail, ce qui signifie qu’au-delà du nombre de lits, il existe un problème de surcharge de travail. Le taux d’occupation des lits est très important puisqu’il dépasse 100 % en réanimation pour 20 % du temps.

Les moyens alloués à la néonatalogie ne sont donc pas suffisants et leur répartition n’est absolument pas homogène sur le territoire, puisqu’elle se situe entre 0,6 et 1,2 ‰, soit du simple au double sur le territoire. La recommandation consiste à viser l’objectif d’un pour mille sur l’ensemble du territoire. Aux États-Unis, à titre de comparaison, le nombre de lits de soins intensifs se situe entre 1,4 à 5,9 ‰, contre 0,6 à 1,28 en France. La situation a été aggravée, par exemple en juin 2023, quand 5 % des lits de réanimation en soins intensifs de pédiatrie étaient fermés, non pas par volonté des tutelles mais pour des raisons d’indisponibilité de personnel.

Ainsi que l’a indiqué M. Valletoux, il existe un enjeu fondamental de fidélisation du personnel. En effet, plus du tiers de l’effectif infirmier de 80 % des services de soins intensifs a moins de deux ans d’ancienneté. Or ces unités nécessitent du personnel expérimenté.

L’enjeu de fidélisation est d’autant plus important que les jeunes générations ne souhaitent pas travailler au même rythme que les générations qui les ont précédées. Une enquête diligentée par la Société française de néonatalogie auprès des docteurs juniors réanimateurs néonatologues a montré que les trois quarts d’entre eux ne veulent pas assurer autant de gardes que leurs anciens. Or selon les chiffres de la Société française de néonatalogie, certains néonatologues sont de garde trois week-ends par mois. Force est donc de constater que nous rencontrons un problème de fuite des savoir-faire.

Que faire ? Les décrets de 1998 relatifs au temps infirmier s’avèrent désormais totalement inadaptés aux services de réanimation néonatalogie. Des échelles internationales comparent la charge de travail aux besoins infirmiers. Or nous travaillons sous l’empire des décrets de 1998, qui ont beaucoup vieilli. Il est absolument nécessaire de les revoir. Je suggère donc prendre en compte les recommandations de la Société française de néonatalogie.

Madame Autain, nous n’occultons pas les problèmes de moyens, mais ils ne sont pas seuls responsables de la situation. La littérature que nous avons consultée ne fait état d’aucun lien entre la mortalité et le délai d’acheminement vers une maternité et, personnellement, je n’en connais pas. Évidemment, spontanément, nous comprenons que plus le trajet est long, plus les risques augmentent, mais il convient d’identifier un équilibre satisfaisant. Comme l’a indiqué M. Isaac-Sibille, il est nécessaire qu’une maternité dispose de fortes capacités de sorte que les professionnels aient une expérience suffisante. En effet, il importe de pratiquer des accouchements pour acquérir une expérience. En même temps, il existe des impératifs de disponibilité. Malheureusement, nous ne disposons d’aucune donnée relative à la mortalité et à la morbidité.

Monsieur Bazin, vous avez évoqué les PMI. Vous avez absolument raison : la décentralisation ouvre le champ du financement des collectivités territoriales qui, aujourd’hui, malheureusement, voient leurs ressources fondre. Il me semble qu’une véritable décentralisation devrait permettre aux collectivités d’assurer leurs recettes, mais ce sujet me dépasse.

Madame Petit, vous soulevez la question des campagnes de prévention. Comme je l’ai indiqué précédemment, il y a trente ans, il a été démontré que les enfants couchés sur le dos dans une turbulette, sans tour de lit et sans couverture, dans leur propre lit débarrassé de tout objet, étaient davantage protégés contre les risques de décès. Cependant, en 2023, 25 % des femmes, deux mois après la naissance, affirment ne pas connaître ces recommandations. Le champ de progression est considérable pour ce qui concerne les messages de prévention. Or formellement, nous ne diffusons plus de messages de prévention de santé. Vous vous souvenez tous des derniers grands messages de prévention : « Les antibiotiques, c’est pas automatique », « Un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts ». Depuis, plus aucun message n’a été produit et nous avons perdu l’habitude de ces messages de prévention. Certes, des messages ont été diffusés sur le port du masque pendant la pandémie de covid, mais c’était très conjoncturel. Il s’avère nécessaire de renouer avec les messages de grande prévention, et notamment sur le mode de couchage de l’enfant, qu’il est indispensable de répéter, voire de rabâcher.

Récemment, une équipe française a analysé les images qui figurent sur les paquets de couches. Certains paquets affichent des photos d’un bébé qui dort avec son papa. Ce n’est pas pertinent, car un adulte ne doit pas dormir avec un bébé au risque de l’étouffer. Certaines photos montrent un bébé couché sur le ventre avec un grand sourire, ce qui n’est pas souhaitable non plus.

Madame Garin, vous nous reprochez de ne pas évoquer la précarité. Nous avons souhaité être honnêtes et ne pas vous asséner des vérités que nous ne connaissions pas. Or à ce jour, personne ne connaît les raisons de l’augmentation de la mortalité infantile. Il importe donc de la mesurer, ce qui n’est pas le cas actuellement. C’est pourquoi nous préconisons la constitution d’un registre.

Madame Levavasseur, vous évoquez une question en effet abordée par certaines des personnes auditionnées, qui soutiennent la thèse selon laquelle l’accouchement par voie basse serait un facteur de traumatisme crânien qui pourrait expliquer un certain degré de mortalité dans la première année de vie. Il est vrai qu’en France, la politique consiste à essayer de pratiquer un nombre de césariennes le moins élevé possible. Cette observation est très intéressante, mais elle est très contestée. Dès lors, nous souhaitons que le registre national répertorie l’ensemble des données liées non seulement à la grossesse, mais également au mode d’accouchement. Il sera alors possible de procéder à une analyse pertinente, mais dans l’immédiat, il n’est pas possible d’affirmer quoi que ce soit. Cette idée est l’une des hypothèses, défendue par certains et contestée par d’autres. Bachelard, le philosophe des sciences, prétendait que « la science apprend à réfléchir contre son propre cerveau ». Il faut accepter de réfléchir contre soi-même.

Mme Janvier a bien résumé la situation, à savoir que nous avons besoin de données objectives afin d’éviter de mener des discussions stériles. Je conviens également avec elle que le manque de pédiatres représente une difficulté prégnante, mais les moyens ne sont pas la seule cause identifiable.

Le sujet de la mortalité infantile est protéiforme par définition. Décider qu’il relève d’une cause unique ne rendrait pas service à la population.

Mme Maud Petit (Dem). Nous n’avons pas évoqué le cas des accouchements « de confort », déclenchés par césarienne de façon anticipée. Nous ne connaissons pas non plus leur impact sur la viabilité et la santé de l’enfant.

M. le rapporteur. Je ne sais pas répondre à cette question, car nous ne disposons d’aucune donnée.

Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à la question spécifique aux outre-mer. Monsieur Califer, je suis très réservé quant aux maisons de naissance parce que je ne dispose d’aucune donnée me permettant d’être affirmatif dans un sens comme dans l’autre. Je pense néanmoins qu’il convient de rester prudent et de ne pas les considérer comme un facteur prépondérant de la réussite médicale parce que certains accouchements nécessitent un entourage médical. Il s’avèrerait paradoxal de soutenir la nécessité de maternités immédiatement disponibles et de considérer que la maison de naissance représente la solution à tous les problèmes. Je fais appel à la sagesse de l’Assemblée pour comprendre que les maisons de naissance représentent peut-être une solution, mais qu’il importe de confirmer cette assertion par des données chiffrées.

M. Thibault Bazin (LR). La création du registre relève-t-elle du domaine législatif ou le Gouvernement pourrait-il dès à présent le mettre en œuvre ? Est-il nécessaire de modifier la loi ?

M. le rapporteur. Il n’est pas nécessaire de modifier la loi. Les données existent et il convient simplement de les compiler. En réalité, il existe un registre fondé sur la bonne volonté des professionnels. Il importe de donner aux professionnels des moyens pour compléter ce document existant, car ils n’ont pas accès l’ensemble des données. Pour autant, cela ne relève pas du domaine de la loi. Je pense qu’il suffirait d’une décision du ministre de la santé.

Mme la rapporteure. Il existe effectivement un registre, mais il me semble qu’il répertorie uniquement les morts subites du nourrisson.

Je crois que nous n’avons pas répondu aux questions relatives aux violences. 13 % des décès concernent en effet des bébés secoués et d’autres présentent des séquelles graves, parfois à vie. Le travail de prévention mené par l’aide sociale à l’enfance nous permet d’agir sur ce point. Une grande campagne avait été lancée l’année dernière par le secrétaire d’État, M. Adrien Taquet, mais il est complexe d’en mesurer les effets.

La mort subite du nourrisson est possiblement et facilement évitable. Des pédiatres se sont emparés de ce sujet sur la base du slogan simple et facile à retenir : « Dodo sur le dos ». Si nous relayions tous ce slogan sur nos réseaux sociaux, cela constituerait une première étape.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je vous remercie, madame et monsieur les rapporteurs, pour vos travaux, dont les recommandations mériteront un suivi.

La réunion s’achève à douze heures cinq.

 


Présences en réunion

 

 

Présents.  M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, Mme Clémentine Autain, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, M. Philippe Frei, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Philippe Juvin, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, M. Laurent Leclercq, Mme Katiana Levavasseur, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Paul Molac, M. Yannick Monnet, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, M. Alexandre Vincendet, M. Stéphane Viry

Excusés.  M. Joël Aviragnet, M. Paul Christophe, Mme Caroline Fiat, Mme Justine Gruet, Mme Sandrine Josso, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Emmanuel Taché de la Pagerie

Assistaient également à la réunion. M. Fabien Di Filippo, M. Christophe Naegelen