Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

–– Examen, ouvert à la presse, des conclusions de la mission d’information sur « le rôle de l’éducation et de la culture dans la défense nationale » (co-rapporteurs : M. Christophe Blanchet et Mme Martine Etienne).


Mercredi
29 mai 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 64

session ordinaire de 2023-2024

Présidence
de M. Jean-Pierre CUBERTAFON,
vice-président


 


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La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Jean-Pierre Cubertafon. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Thomas Gassilloud, qui a subi un léger accident l’empêchant d’être parmi nous aujourd’hui.

Notre ordre du jour appelle ce matin l’examen des conclusions du rapport sur le rôle de l’éducation et la culture dans la défense nationale, que nous avons confié à nos collègues Christophe Blanchet et Martine Étienne. L’éducation et la culture ont un rôle majeur à jouer dans la défense globale, puisque cette dernière est par nature interministérielle et s’inscrit en dehors de la seule défense militaire.

Le rapport dresse un état des lieux critique et exhaustif sur les liens multiples et foisonnants entre éducation, culture et défense nationale. Et si les rapporteurs partagent un même constat ainsi qu’une majorité de propositions communes, je crois savoir que certaines d’entre elles ne seront défendues que par l’un ou l’autre d’entre eux.

M. Christophe Blanchet, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées. Quel rôle pour l’éducation et la culture dans la défense nationale ? La question est ambitieuse et relativement inédite : nous sommes, je crois, les premiers rapporteurs à tenter d’y répondre au sein de cette commission. Elle invite à poser un regard renouvelé sur les enjeux de défense, en dépassant le cercle de la seule défense militaire. Souvent réputés éloignés du monde de la défense, les univers de l’éducation et de la culture constituent pourtant de puissants remparts protégeant les valeurs républicaines. Les liens entre éducation, culture et défense sont féconds : « Si ce n’est pour la culture, pourquoi nous battons-nous ? », aurait ainsi dit Winston Churchill.

Mme Martine Étienne, rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées. Dans ce rapport, nous sommes partis du constat que la suspension du service national en 1997 et la réduction significative de l’empreinte territoriale du ministère des armées depuis trente ans expliquent en partie l’indifférence positive dont semblent actuellement bénéficier les forces armées.

Aujourd’hui, les Français ont confiance en leur armée, mais ne connaissent pas suffisamment les enjeux de défense. Les citoyens se sont éloignés de la défense nationale : 50 % à 60 % des Français peuvent passer leur vie sans avoir été en contact avec des militaires. Depuis 1997, une part toujours plus importante du corps enseignant n’est plus, directement ou indirectement, confrontée à la chose militaire.

Or, dans le contexte de retour à la guerre sur le sol européen, la France, est confrontée à des menaces conventionnelles et hybrides croissantes, que nous connaissons bien dans cette commission. Ce contexte géopolitique impose de repenser une stratégie interministérielle de défense globale qui, pour être efficace, suppose une participation active des citoyens. Notre propos consiste donc à remettre les citoyens au cœur de la défense nationale.

Nous nous sommes donc demandé comment se construisait ce que l’on a coutume d’appeler « l’esprit de défense ». Il ne se décrète pas, mais résulte d’un long cheminement critique visant à faire comprendre les enjeux de défense. Dans ce cadre, l’éducation et la culture représentent des vecteurs majeurs de sensibilisation à ces enjeux.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Commençons par évoquer l’éducation. Tout d’abord, nous avons appris en travaillant sur cette mission d’information que depuis 1997, les principes et l’organisation de la défense nationale font l’objet d’un enseignement obligatoire dans le cadre des programmes des établissements d’enseignement du second degré des premier et second cycles. L’article L. 114-1 du code du service national précise que « cet enseignement a pour objet de renforcer le lien armée-nation tout en sensibilisant la jeunesse à son devoir de défense ». Cet enseignement constitue la première étape du parcours de citoyenneté mis en place à la suspension de l’obligation du service national. Il vise avant tout à faire comprendre les enjeux de la défense nationale, plus qu’à faire adhérer à la politique de défense. Cette distinction a notamment été apportée au cours des auditions par l’historienne Bénédicte Chéron.

L’enseignement de la défense inculque aux élèves le principe républicain fondamental de soumission des armées aux autorités civiles. Il doit par exemple faire comprendre aux élèves que lorsque les citoyens votent pour élire directement le Président de la République, ces mêmes citoyens ont le pouvoir de choisir celui qui décide de l’emploi des forces militaires françaises, mais à qui incombe aussi, in fine, la décision de recourir à l’arme nucléaire.

L’enseignement de défense est dispensé en grande majorité par les enseignants d’histoire-géographie dans le cadre de l’enseignement moral et civique (EMC), mais il peut aussi être abordé dans le cadre d’entrées défense interdisciplinaires, qui peuvent être effectuées dans toutes les disciplines. La plateforme « chemin de mémoire » du ministère des armées et la plateforme « éduscol » du ministère de l’éducation nationale sont interfacées et fournissent à cet effet une grande quantité de ressources pédagogiques d’excellente qualité à destination des enseignants.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Il convient de distinguer l’enseignement de défense à proprement parler de l’éducation à la défense, l’éducation à la défense englobant l’enseignement de défense, mais la dépassant. L’éducation à la défense renvoie aux nombreux dispositifs existants permettant d’éveiller les jeunes aux enjeux de défense : classe de défense et de sécurité globale, cadets de la défense, préparation militaire, escadrille, air jeunesse. Ces dispositifs sont souvent mis en œuvre dans le cadre de partenariats locaux avec les unités opérationnelles des forces, comme les classes de défense, qui constituent un parrainage entre une classe et une unité militaire située, si possible, dans les départements de la classe.

Dans ce rapport, nous effectuons un certain nombre de constats concernant la mise en œuvre de cette éducation à la défense par un mille-feuille d’acteurs issus de plusieurs ministères et relevant de divers niveaux nationaux, académiques, infra-académiques. Au ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, l’éducation à la défense est pilotée par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Elle est assistée d’un conseiller technique appelé « délégué pour l’éducation la défense », créé en 2017. Chargé de promouvoir l’esprit de défense, le délégué veille à l’application du protocole interministériel du 20 mai 2016 développant les liens entre la jeunesse, la défense et la sécurité nationale. Il coordonne les actions de sensibilisation des élèves et du personnel aux questions de la défense et de la sécurité. Il œuvre enfin à renforcer la place et le rôle de l’éducation à la défense au sein des enseignements ainsi que dans la formation initiale et continue des enseignants.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Au sein du ministère des armées, des acteurs issus de différentes chaînes cohabitent : la chaîne du secrétariat général pour l’administration (SGA) et la chaîne de l’état-major des armées (Ema). La complexité de l’écosystème est patente et la coordination entre l’ensemble des niveaux demeure encore très perfectible.

Dans le rapport, nous faisons plusieurs propositions visant à rationaliser et fluidifier le fonctionnement de l’éducation à la défense : renforcer les équipes du délégué pour l’éducation à la défense afin de soutenir le passage à l’échelle de l’éducation à la défense ; doter les trinômes académiques d’un budget en propre afin d’augmenter leur potentiel d’action en autonomie ; associer systématiquement l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG) et les associations du monde combattant très actives dans le champ de l’éducation à la défense aux instances de gouvernance nationale et académique de l’éducation à la défense, ainsi qu’aux plans nationaux et académiques de formation des enseignants.

Au sein de chaque armée, il convient d’identifier clairement un délégué à la jeunesse responsable des actions d’éducation à la défense. De telles fonctions devraient être découplées des fonctions de chargé de recrutement. Enfin, nous faisons également le constat d’une offre de formation aux enjeux de défense insuffisante pour les enseignants. Nous recommandons donc de renforcer significativement la formation initiale et continue des enseignants aux enjeux de défense, afin que ces derniers soient en mesure d’enseigner de manière éclairée et critique les enjeux de défense à des élèves toujours plus curieux de ces sujets.

Au quotidien, l’éducation, la défense se décline dans les dispositifs sur le temps scolaire et hors temps scolaire. Sur le temps scolaire, de nombreux enseignants montent des projets pédagogiques transdisciplinaires qui permettent d’aborder les enjeux de défense de manière concrète et incarnée. Toutefois, nous avons fait le constat qu’il n’était pas aisé pour les enseignants souhaitant s’engager dans des projets d’éducation à la défense de trouver des financements. De fait, le financement de ces projets est complexe et parfois peu lisible pour des enseignants dont la recherche de financement n’est pas le cœur du métier et s’apparente à un véritable parcours du combattant.

Nous recommandons par conséquent de créer un guichet unique au sein du ministère des armées permettant de solliciter en une seule demande l’ensemble des organismes susceptibles d’octroyer des subventions aux fins de conduire un projet pédagogique. Ce guichet unique donnerait notamment la possibilité de limiter la charge administrative pesant sur les enseignants, dans l’objectif de leur libérer du temps pour préparer et conduire lesdits projets. Aujourd’hui, un nombre relativement restreint d’élèves bénéficient de l’ensemble des dispositifs d’éducation à la défense.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Nous formulons plusieurs propositions afin d’organiser le changement d’échelle de l’éducation à la défense. Tout d’abord, nous préconisons le maintien d’une offre de qualité ciblée en adéquation avec les disponibilités des unités opérationnelles et les attentes des publics ; la répartition équitable de l’offre sur l’ensemble du territoire, y compris dans les prétendus déserts militaires, dans les territoires dits périphériques et dans les quartiers populaires de la ville. Nous recommandons également le passage à l’échelle de l’enseignement de défense et des dispositifs d’éducation à la défense, dans le respect des missions opérationnelles premières des forces marraines. Nous proposons en outre le meilleur suivi statistique de la participation à ces dispositifs et soulignons la nécessité de proposer aux jeunes qui le désirent un continuum de participation à l’éducation et à la défense depuis l’école élémentaire jusqu’au lycée.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Pour nous, l’éducation ne s’arrête pas au seuil de la vie active. Le rôle de l’éducation dans la défense nationale ne concerne pas seulement l’éducation nationale, mais l’éducation tout au long de la vie. C’est pourquoi nous encourageons également le développement des études supérieures en lien avec la défense. Nous proposons également de renforcer l’offre de formation des élus, et notamment des correspondants défense, aux enjeux de la défense. À cette fin, il nous paraît nécessaire d’autoriser l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à recevoir de nouveau l’agrément au titre du droit individuel à la formation des élus locaux du ministère chargé des collectivités territoriales.

De manière générale, afin de mettre en œuvre l’éducation à la défense dans les derniers kilomètres, nous appelons à renforcer les contacts entre les correspondants défense et les délégués militaires départementaux (DMD), en encourageant l’institution d’une réunion trimestrielle obligatoire du DMD avec les correspondants défense du département. Dans cette perspective, la mise en place d’un fichier national consolidé des correspondants défense serait bienvenue. Nous croyons également nécessaire de développer les réflexes quotidiens de résilience de la population. Par exemple, en Finlande, les Finlandais sont encouragés à préparer chez eux un sac de soixante-douze heures qui leur permet de tenir soixante-douze heures en toute autonomie, en cas de catastrophe de tout type.

Mme Martine Étienne, rapporteure. La culture représente le deuxième volet essentiel de notre sujet, complémentaire à l’éducation. Les liens entre culture et défense nationale sont féconds et plus nombreux qu’on ne le croit. Le ministère des armées est ainsi le deuxième acteur culturel de l’État. Il dispose d’un patrimoine culturel riche et varié qui se compose de biens immobiliers et monuments (les sites, les nécropoles, les ouvrages militaires, les musées), mais aussi de biens mobiliers (soixante bibliothèques, un million d’ouvrages, 800 000 pièces de collections des musées et d’archives). Le ministère compte vingt-et-un musées et 155 sites classés ou inscrits au titre des monuments historiques. Grâce à l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), le ministère des armées détient plus de trois millions de photos et 21 000 films couvrant près de quatre siècles d’histoire.

La politique culturelle occupe une place centrale dans le soutien de la politique de défense d’une manière très générale, dès lors que le rôle des forces armées consiste in fine à défendre les valeurs fondamentales de la nation française, le lien entre la défense nationale et les éléments culturels, notamment patrimoniaux, qui fondent ou illustrent ces valeurs. Selon les mots de la directrice du musée de l’air et de l’espace, « la culture doit être considérée comme l’un des piliers de la défense nationale via le lien armée-nation et les forces morales ». Sans histoire, sans mémoire et sans culture, il n’y a pas d’armée, ni de valeur, ni de sens.

L’idée de faire comprendre plutôt que de faire adhérer, comme le dit si bien Bénédicte Chéron, semble là aussi une ligne fructueuse dans le champ culturel qui, de toute manière, échappe en grande partie à l’État – et doit lui échapper. L’écueil à éviter est évidemment celui d’une instrumentalisation du récit à des fins politiques, où l’absence d’objectivité et de mémoire complète dans l’approche des faits historiques ou dans la mise en valeur de certains faits et de certains personnages. Dans le rapport, nous mettons en lumière l’ensemble des nombreuses et souvent méconnues actions culturelles qui sont menées au sein de la sphère défense, mais aussi au-delà, afin notamment de sensibiliser les citoyens aux enjeux de défense, directement ou indirectement, que cette sensibilisation soit recherchée ou non.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Nous souhaitons notamment mettre en lumière l’action formidable déployée depuis 2016 par la mission cinéma et industries créatives (MCIC) du ministère des armées. Elle propose un accompagnement aux scénaristes et réalisateurs de fiction audiovisuelle intéressés par le monde des armées, notamment des immersions auprès des unités afin de garantir le réalisme des scènes et scénarios proposés.

La MCIC peut proposer un accompagnement éditorial qui permet de renforcer le réalisme du scénario, mais sans aucune obligation pour les porteurs de projets. Elle n’offre aucun financement, mais se contente de faire connaître, désormais, avec un succès impressionnant, puisqu’elle traite plus de 200 projets par an. Depuis 2019, la mission cinéma s’est ouverte à l’ensemble des industries culturelles et créatives. Elle propose un accompagnement similaire à celui proposé pour les séries et le cinéma aux auteurs de bandes dessinées, webtoons (une forme de manga lisible sur smartphone très populaire en Corée du Sud), jeux vidéo et acteurs du e-sport.

Nous formulons donc un ensemble de propositions visant à renforcer la sensibilisation aux enjeux de la défense via la culture. Nous appelons notamment à renforcer les moyens de la MCIC, afin de lui permettre de monter en puissance sur l’ensemble des industries créatives et culturelles, y compris le jeu vidéo et l’e-sport, dans le respect de l’élaboration d’une charte éthique propre au ministère de la défense, qu’il reste encore à écrire.

Nous pensons également utile de revaloriser l’institution pluriséculaire des peintres des armées en créant, par exemple, des galeries virtuelles en ligne, en renforçant des projets d’expositions itinérantes dans l’espace public ou encore en recrutant des peintres au sein de nouvelles formes artistiques comme le street art ou la bande dessinée. Nous encourageons les artistes contemporains indépendants, non situés dans la sphère défense, à réaliser des résidences artistiques dans les institutions culturelles en lien avec la défense. Concernant les musées, nous appelons à un renforcement de la présence des médiateurs et des professeurs relais de l’éducation nationale, afin de donner davantage de sens aux collections pour les jeunes qui visitent ces musées.

Nos propositions sont nombreuses et diverses, ce sujet étant passionnant et foisonnant : notre rapport comporte ainsi près de cinquante propositions communes et une dizaine de propositions individuelles. À ce sujet, je souligne qu’avec ma collègue co-rapporteure, nous nous sommes rassemblés autour de nombreuses propositions. Cependant, certaines divergences de vues n’ont pas pu être surmontées. Certaines propositions sont donc défendues par un seul d’entre nous. À ce titre, nous souhaitons terminer par une présentation par chaque rapporteur de notre vision plus personnelle de ce beau et vaste sujet.

Mme Martine Étienne, rapporteure. De mon côté, j’aimerais commencer en remerciant chaleureusement l’ensemble des personnes auditionnées, mon co-rapporteur, ainsi que l’administratrice qui nous a accompagnés ainsi que ses deux stagiaires. Aujourd’hui, la plupart des dispositifs d’éducation et de culture dans la défense répondent à l’objectif de développer « l’esprit de défense ». Je choisis pour ma part volontairement de m’éloigner de ce terme et préfère parler de « compréhension collective des enjeux de défense ».

Dans un monde idéal, l’éducation et la culture dans la défense devraient servir à quatre objectifs. Premièrement, il s’agit de renforcer la connaissance des citoyens sur leur armée et leur système de défense, en donnant de la transparence, en formant des citoyens éclairés et critiques, capables de réagir et de connaître leur rôle en temps de crise.

Deuxièmement, il importe de démocratiser les enjeux de défense. Aujourd’hui, la défense est le domaine réservé du Président de la République. Lorsque le peuple s’empare de ces questions, il est réprimé ou taxé d’antimilitariste, à l’image de ces jeunes mobilisés à Sciences Po Paris ces dernières semaines contre le génocide à Gaza. La population se mobilise et s’empare de ces enjeux et ne demande qu’à être entendue et prise en compte.

Le troisième objectif concerne la souveraineté. Il faut que le peuple soit souverain sur les questions de défense. La défense de la Nation ne peut passer uniquement par l’armée, aussi compétente soit-elle ; le peuple doit pouvoir se défendre par lui-même pour ses intérêts collectifs propres. Enfin, le quatrième objectif consiste à permettre une montée en compétence des armées, afin d’éviter une fuite des aptitudes et des savoir-faire vers le privé et investir dans la formation qualifiante, permettre à celles et ceux qui le veulent de s’engager pour le compte d’une Nation souveraine et indépendante.

Les politiques mises en place aujourd’hui répondent-elles à ces objectifs ? Certains organismes représentent des modèles de réussite et d’efficacité, comme nous l’avons vu pour la MCIC ou la montée en puissance des podcasts en lien avec le ministère des armées, notamment depuis ces dernières années. Mais aujourd’hui, d’autres dispositifs doivent être améliorés. La plupart des musées de l’armée sont gratuits jusqu’à 25 ans, mais les bénéficiaires de cette gratuité viennent d’Île-de-France, où les musées sont plus nombreux. Partout ailleurs, et notamment dans les déserts militaires, il faut revaloriser la culture et la mémoire territoriale ; doter chaque musée d’un médiateur à temps plein ; valoriser le travail des archivistes et encourager la participation aux cérémonies.

Les écoles ont besoin de financements supplémentaires pour organiser des sorties scolaires directement sur les terrains de mémoire. Il faut œuvrer à la culture du dernier kilomètre, c’est-à-dire au travail de mémoire au plus près du citoyen. Aujourd’hui, les classes de défense font partie de cette culture du dernier kilomètre, lorsqu’elles permettent de développer un projet d’intérêt local. Les escadrilles jeunesse à Nancy en représentent un formidable exemple.

Concernant l’enseignement de défense, il est actuellement majoritairement développé à l’école dans les cours d’histoire-géographie et en éducation morale et civique. Ces programmes ont d’ailleurs été renouvelés et les heures doublées. Je ne vois malheureusement rien de novateur dans ces programmes d’EMC. L’enseignement de défense est actuellement trop prescriptif et descendant, alors que les élèves ont besoin de dialoguer et de développer un esprit critique. Quant aux professeurs, ils ont besoin d’être davantage consultés dans la préparation du programme scolaire sur ces sujets.

De manière générale, il faut donner davantage de moyens à l’éducation nationale pour assurer la formation des professeurs, la présence d’un professeur devant chaque classe, l’accompagnement personnalisé et de bonnes conditions d’études. À ces conditions, l’enseignement de défense éclairée y gagnera. Pour former une génération de citoyens éclairés et critiques qui détient les clés d’une meilleure compréhension du monde, je préconise la mise en place d’un cours de géopolitique obligatoire en seconde pour tous. En effet, actuellement, ce cours est disponible seulement pour les élèves de première.

Enfin, je ne peux pas terminer ce propos sans évoquer la place du service national universel (SNU). Aujourd’hui, le SNU souffre de problèmes de transport, de restauration, d’hébergement, et nous avons appris lors des auditions que des sanctions collectives ont toujours lieu dans certains centres. Le SNU ne peut pas être généralisé, personne n’y croit. Je pense foncièrement qu’il doit être supprimé. Les résultats de la consultation citoyenne que nous avons menée avec mon co-rapporteur vont dans ce sens : 95 % des citoyens qui ne sont ni professeurs, ni étudiants, soit plus de 26 000 personnes, souhaitent supprimer le SNU. Dans les autres catégories, 75 % des personnes interrogées demandent sa suppression.

Le SNU est un caprice du gouvernement. Situé à mi-chemin entre une colonie de vacances et un camp scout, il n’enseigne pas la défense. Ce n’est pas la maigre journée de défense et de mémoire (JDM) qui permet aux citoyens d’intégrer des enjeux de défense. Aujourd’hui, le SNU constitue une perte d’argent considérable. Demain, s’il est généralisé, il sera une perte de temps pour l’ensemble d’une classe d’âge, une perte financière pour l’État et pour l’éducation nationale et une perte d’énergie pour nos armées. Le gouvernement veut se servir de l’armée pour inciter la jeunesse à la cohésion et l’engagement. Mais la jeunesse s’engage déjà très bien toute seule. Aujourd’hui, elle est en demande de souveraineté, d’utilité et de réponses face aux crises.

Alors que les jeunes se mobilisent en nombre pour le climat et que nos armées ont un rôle à jouer dans la bifurcation écologique et dans la protection des populations et des territoires, nous pourrions imaginer créer une garde nationale climatique qui concrétiserait cet engagement. C’est en partie l’objet de mon projet de conscription citoyenne, effectuée entre 18 et 25 ans par l’ensemble d’une classe d’âge, avec formation au maintien des armes, en respectant bien sûr l’objection de conscience, mais aussi une formation dans d’autres secteurs de la société, parmi les pompiers ou dans la gendarmerie nationale et la protection civile.

Cette conscription rémunérée au Smic constituerait le socle d’une garde nationale renouvelée, mobilisable en cas de crise sanitaire ou écologique. Elle aurait pour objectif de permettre à la jeunesse de retrouver de la souveraineté sur sa défense, c’est-à-dire un peuple qui puisse se défendre et trouver son utilité en cas de crise, mettant fin à une défense qui se trouve aujourd’hui être le domaine réservé du Président de la République.

Vous l’aurez compris, les propositions sont nombreuses. La culture et l’éducation doivent servir à vulgariser des enjeux parfois trop opaques. Il faut démocratiser, rendre de la souveraineté et encourager l’engagement de la jeunesse sur ces questions. Lors de l’une de nos auditions, un jeune syndicaliste étudiant nous disait que les citoyens n’iront pas défendre un pays dans lequel ils n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions. De fait, la défense du pays ne passe pas seulement par le respect de l’autorité et de l’uniforme, ou la levée des couleurs. Elle passe davantage par la connaissance de ses droits, par la question sociale, par l’égalité, par la solidarité. Il est grand temps de prendre cela en compte.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. À mon tour, je souhaite remercier notre administratrice et les deux stagiaires pour leur travail, ainsi que l’ensemble des personnes auditionnées et ma co-rapporteure. Je ne suis pas d’accord avec sa conclusion, mais je la respecte, dans ma fidélité républicaine à écouter la différence et le positionnement de chacun.

Pour ma part, je souhaite vous faire part de quelques réflexions sur ce rapport, en commençant par une citation entendue lors de mon déplacement en Finlande, où la défense nationale est un loisir au même titre que le hockey ou le volleyball. Dans ce pays, comme en Estonie, la défense nationale est tellement l’affaire de tous que l’on y parle de « volonté de défense ». D’après un sondage récent, 83 % des Finlandais se disent prêts à prendre les armes et défendre le pays face à une attaque, même si l’issue s’avère défavorable.

Bien sûr, ces deux États possèdent une frontière avec la Fédération de Russie et seraient les premiers concernés en cas d’agression ennemie. De même, leur histoire est différente de celle de notre pays et, par conséquent, la société est davantage prête et mobilisée qu’en France. Pourtant, je demeure persuadé que ces États ont beaucoup à nous apprendre, et peut-être un temps d’avance sur ces enjeux. Dans ces deux États, le rôle de l’éducation dans la défense nationale est évident, beaucoup plus qu’en France. La mémoire est omniprésente, dès les plus petites classes. La démocratie et la liberté critique sont au cœur des apprentissages, notamment quand il s’agit de déceler les fausses informations et les ingérences étrangères.

Au terme des auditions de la mission d’information, j’en viens à plusieurs constats majeurs concernant l’éducation à la défense. Les dispositifs existants doivent être rationalisés, mieux coordonnées et doivent monter en puissance afin de changer d’échelle et de bénéficier à un nombre substantiel de jeunes.

Ensuite, la formation initiale et continue de professeurs à ces sujets doit être rendue obligatoire au plus vite. Je souhaite que soit instauré, pour l’ensemble des lycéens de seconde, un module obligatoire sur la défense globale. Ce module serait dispensé par des réservistes, citoyens ou opérationnels formés pour délivrer ce type d’enseignement. Cette proposition trouve un écho dans le déplacement de la mission d’information en Estonie, où les lycéens bénéficient d’un cours obligatoire relatif à la défense nationale. Le cours est décliné en trente-cinq sessions de trente-cinq minutes chacune.

Dans le lycée franco-estonien où je me suis rendu, ce cours est délivré par un ancien civil du ministère de la défense ainsi que par un réserviste opérationnel ancien lieutenant dans les forces armées estoniennes. Ce cours était proposé de manière facultative depuis quinze ans avant de devenir une évidence acceptée, donc obligatoire. Dans ce cadre, les lycées effectuent en fin d’année scolaire, sur la base du volontariat, un « camp » de trois jours qui constitue une initiation à la vie militaire, dans un pays où le service militaire demeure obligatoire pour les jeunes hommes. Je souhaiterais proposer aux lycéens de seconde qui le souhaitent la possibilité d’effectuer un camp similaire en fin d’année scolaire, avec encadrement militaire. Ce camp serait effectué sur la base du volontariat et impliquerait une nuitée à l’extérieur.

Ensuite, je souhaite moi aussi que soit clarifiée la place du SNU dans la défense nationale. Le projet initial du SNU revêtait une forte coloration militaire et constituait un projet à part entière d’éducation à la défense nationale, visant à rétablir le lien armée-nation et l’esprit de défense. Aujourd’hui, la place du SNU dans l’éducation à la défense nationale n’est plus aussi claire. Avant toute généralisation, il importe de s’interroger sur les finalités du SNU, de s’assurer de sa qualité, puis des capacités logistiques et en ressources humaines d’encadrement de qualité.

Je défends aussi une modernisation de la journée défense et citoyenneté (JDC), qui devrait, là encore, aller dans le sens d’une remilitarisation des enjeux de cette journée, qui demeure aujourd’hui la seule occasion de présenter les enjeux de défense à toute une classe d’âge. Aujourd’hui, cette journée est souvent vécue comme une journée sans lendemain, un passage obligé, une occasion manquée pour les armées. Je rappelle que, lors de cette journée, les jeunes ont le statut d’appelés et il convient de redonner tout son sens à ce statut. Il existe bel et bien dans nos textes un devoir de défense, qu’il faut remettre à l’ordre du jour et rappeler à nos concitoyens.

Par ailleurs, dans le prolongement de ce cours obligatoire en seconde, je souhaite également ouvrir une réflexion sur l’opportunité de la mise en place d’une conscription obligatoire, mais sélectionnée et volontaire, inspirée du modèle suédois. Alors que le service national est suspendu depuis 1997, le contexte géopolitique, marqué par le retour de la guerre sur le continent européen, est préoccupant.

Depuis 1997, les armées françaises se sont professionnalisées et ne sont plus dimensionnées pour intégrer 800 000 jeunes d’une classe d’âge à leur majorité. Les garçons et les filles ayant effectué leur JDC pourraient servir sous les drapeaux sur la base du besoin des armées. Cette conscription s’inscrirait dans un parcours citoyen repensé, puisque les jeunes conscrits auraient nécessairement suivi en classe de seconde le cours obligatoire relatif aux enjeux de défense globale dont je propose la mise en place.

Chaque appelé pourrait ainsi candidater afin de servir en tant qu’appelé du contingent, comme cela se fait en Suède. Les armées établiraient chaque année leurs besoins en recrutement d’appelés, selon leur propre capacité d’accueil. Un service militaire de ce type présenterait l’avantage d’être particulièrement valorisable, puisque les appelés seraient sélectionnés sur leurs capacités autant que sur leur volonté de s’engager. Un tel dispositif incarnerait la volonté de défense. Il serait également adapté aux armées, qui trouveraient ici matière à sélectionner, recruter, fidéliser, sans être submergées par la masse que représente l’intégralité d’une classe d’âge.

Je souhaite également parler des réservistes, qui constituent un levier majeur d’éducation à la défense. Les réservistes opérationnels sous statut militaire contribuent au rapprochement entre les forces armées et la société civile, facilitant ainsi une meilleure compréhension et appréciation mutuelle.

Les réservistes citoyens de défense et de sécurité sous statut civil constituent un vecteur majeur d’éducation à la défense. D’après l’article L. 421-1 du code de la défense, la réserve citoyenne de défense et de sécurité a pour objet d’entretenir l’esprit de défense et de renforcer le lien entre la nation et son armée.

Dans ce rapport, plusieurs propositions visent à renforcer la visibilité des réservistes dans l’espace public, par exemple en affirmant que les réservistes qui le souhaitent ont le droit, sans autorisation préalable de l’autorité militaire, de porter leur tenue de réserve à l’occasion des cérémonies commémoratives, notamment le 8 mai. Je propose également de faire de l’appartenance à une réserve un nouveau critère de discrimination au sens de l’article L. 221-5 du Code pénal. Je mène aussi une réflexion sur la journée patriotique fériée du 8 mai dans le rapport.

Mes chers collègues, nous militons pour un véritable changement de paradigme. Si nous divergeons parfois sur les modalités, nous sommes d’accord avec ma co-rapporteure sur une majorité de constats et de perspectives. Nous sommes convaincus que l’éducation et la culture ont un rôle majeur à jouer pour consolider l’esprit de défense dans la société.

M. le président Jean-Pierre Cubertafon. Nous vous remercions pour cette présentation de grande qualité. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.

M. Benoît Bordat (RE). L’éducation est primordiale pour l’esprit de défense. J’ai eu la chance d’accompagner la semaine dernière dans mon département la délégation militaire départementale qui a organisé pendant deux jours un rallye défense citoyenneté avec des classes de défense globale, des réservistes citoyens, des militaires, des gendarmes et des policiers. Ce genre d’opération bénéficie d’un retour très positif. Il faudrait aussi mener une évaluation des coûts.

Comment avez-vous perçu la motivation et l’engagement du corps enseignant pour intégrer l’éducation à l’esprit de défense dans leur enseignement ?

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Nous répondrons séparément à votre question, dans la mesure où nous avons interprété différemment les quelques auditions que nous avons pu mener avec les représentants du corps enseignant. Certains professeurs sont très impliqués dans cette volonté d’éducation à la défense nationale, quand d’autres, notamment les représentants des syndicats de professeurs, remettent en cause le fait de pouvoir dispenser de tels cours.

Selon moi, la diffusion de cette notion de défense nationale doit tous nous rassembler car, sans elle, la paix est illusoire. Le rapport illustre cette implication nécessaire par la reproduction d’un dessin de deux poilus dans une tranchée de la première guerre mondiale. L’un dit à l’autre « Pourvu qu’ils tiennent ! » ; le second lui demande « Qui ça ? » et le premier répond « Les civils ». La Nation doit être mobilisée, chacun ayant ses convictions politiques personnelles. Si nous voulons conduire nos jeunes à cette volonté de défense, il est nécessaire de passer par une éducation à l’esprit de défense.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Les professeurs souhaitent disposer de plus de moyens et de temps pour mener ce genre d’enseignement, mais il leur est très compliqué d’obtenir les financements. De plus, les élèves doivent être acteurs, l’enseignement ne doit pas être descendant, mais organisé autour de discussions et de débats. J’ai par exemple rencontré des instituteurs très impliqués sur les questions de mémoire, mais nous ne pouvons pas obliger tous les instituteurs à agir de la sorte.

M. Frank Giletti (RN). Je vous remercie pour ce rapport, en tout cas les parties qui ne relèvent pas de certaines obsessions ou élucubrations. Nous aimons rappeler ici cette phrase de Thucydide, qui précise que « la force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens ». Le groupe Rassemblement national est très attaché à cette vérité puisque les temps actuels nécessitent non seulement de réarmer moralement nos troupes, mais également et surtout la société civile à l’esprit de défense.

Cet esprit se forme premièrement dans le cercle familial, mais constitue aussi le travail de l’éducation nationale. L’école forme le citoyen en devenir et doit lui inculquer des valeurs patriotiques. Tous, dans la société, doivent concourir à la construction de cette identité commune. Il ne s’agit pas seulement de connaître La Marseillaise, mais de se sentir appartenir à une même Nation, partageant une histoire, une culture, une langue, et des traditions et des valeurs communes.

La crise de sens, dont nous évoquons fréquemment l’urgence dans cette commission, touche les élèves de plein fouet ces dernières décennies. Il pourrait naturellement sembler primordial de faire de cette nécessité une priorité. Nos enfants et l’état du pays dans lequel ils grandissent devraient être notre unique priorité. Pour autant, nous n’ignorons pas le fait qu’il existe, parmi le corps enseignant, des professeurs – pas tous, mais certains – qui remettent aujourd’hui en cause la notion de défense nationale, bien souvent par idéologie.

D’aucuns pourraient penser qu’enseigner le patriotisme à nos enfants s’apparente à une volonté d’emprise sur ces enfants. Or ne devrait-on pas plutôt considérer l’enseignement de la défense comme une partie intégrante de la culture générale des plus jeunes citoyens français en devenir ? Vous avez pu, à ce titre, auditionner des professeurs, des syndicats de professeurs ou d’étudiants, des élèves. Avez-vous perçu des différences de points de vue concernant ce que l’on appelle désormais l’EMC, voire sur cette notion de défense nationale ?

Par ailleurs, je connais l’attachement de M. Blanchet au SNU. Les auditions menées dans le cadre du présent rapport ont-elles fait évoluer votre opinion sur ce point ? Si tel est le cas, quelle pertinence reconnaissez-vous à la notion d’enseignement de l’esprit de défense ?

Mme Martine Étienne, rapporteure. Les enfants de notre pays sont très différents les uns et des autres. Par exemple, de nombreux enfants d’origine maghrébine veulent entendre ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie et que les armées tiennent un langage de vérité à ce sujet, tant leurs parents ont souffert de ce mauvais souvenir, de cette blessure. Ce chemin de vérité fournira des valeurs et permettra d’obtenir une cohésion républicaine. Au-delà du patriotisme, il faut promouvoir le vivre ensemble.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Cette phrase de Thucydide est effectivement mise en exergue dans notre rapport. Je rappelle que l’éducation à la défense constitue une obligation légale au sein de l’éducation nationale depuis 1997. Pourtant, certains enseignants font part de leur réticence, considérant qu’il ne leur revient pas de fournir un tel enseignement. Pour ma part, je pense que l’incitation est plus puissante que l’obligation, pour persuader que notre collectif prévaut, afin de susciter l’adhésion par l’explication.

De même, les positions sur les cours d’EMC sont très disparates. L’administration nous indique que l’enseignement de ces cours fonctionne bien, mais sans être capable de nous donner un retour d’expérience (Retex) qui date de moins de vingt ans. Certains professeurs le confirment, mais d’autres expliquent qu’ils ne peuvent pas les assurer intégralement, étant déjà en retard sur l’enseignement du programme. Une clarification est donc nécessaire dans ce domaine, comme nous l’évoquons dans notre rapport.

Je défends le SNU depuis 2017 et regrette que la formule actuelle ne corresponde pas à l’esprit, ni à la ligne directrice fixée à cette époque. S’agissant de la consultation citoyenne que nous avons menée à ce sujet, je souhaite vous faire part d’un certain nombre de remarques. Lors de l’audition de Manuel Valls, j’avais alerté la commission sur le fait que la consultation en ligne avait reçu 25 000 réponses en vingt-quatre heures, quand la moyenne est de 700 habituellement. J’avais suspecté une forme de manipulation car, initialement, une même personne pouvait répondre autant de fois qu’elle le voulait. L’administration de l’Assemblée nationale avait ensuite corrigé le tir en quarante-huit heures, afin qu’un répondant ne puisse répondre qu’une seule fois.

Avec les limites afférentes à ce problème, les résultats indiquent que trois quarts des professeurs qui ont répondu à la consultation indiquent ne pas vouloir effectuer d’éducation à la défense dans leur classe ou emmener leurs élèves assister aux cérémonies patriotiques.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Je précise qu’une fois que le système de réponse a été revu, les résultats indiquent bien qu’une majorité de répondants étaient défavorables au SNU.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Pour ma part, il me semble que cette très grande participation témoigne de la mobilisation de syndicats, de lycéens et d’étudiants radicalement opposés au SNU. Il serait donc malvenu de les discréditer. Nous passons notre temps à espérer que les jeunes prennent leur destin en main et qu’ils s’approprient les affaires publiques. Cette mobilisation massive montre que tel a été le cas, qu’ils ne sont pas attentistes : 95 % rejettent la généralisation du SNU.

Ensuite, une forme de chantage s’exerce aujourd’hui contre les plus jeunes, car la généralisation de l’obligation du stage de seconde est un échec : 25 % de ces élèves ont obtenu un stage trois semaines avant la fin des délais. Dans certains lieux, les élèves viennent nous voir pour nous dire que s’ils n’obtiennent pas de stage, il leur faudra alors passer par le SNU. Je ne crois pas que le patriotisme ou l’attachement aux armées se construisent par la contrainte. Je crois au contraire que l’éducation à la défense repose sur l’adhésion librement consentie et la compréhension.

Enfin, Monsieur Blanchet, je trouve malgré tout que vos propositions sont un peu maximalistes : je ne vois pas forcément la nécessité de multiplier la JDC, le SNU et la conscription ; chacun de ces modèles devrait en réalité plus ou moins exclure les autres.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Une fois que le jeton a été installé pour vérifier que les répondants n’émettaient qu’une seule réponse, le rejet de la généralisation du SNU n’était que de 47 %. J’ajoute que je suis démocrate et que je respecte les mobilisations qui interviennent dans le respect de notre démocratie.

Ensuite, j’ai la conviction que les objecteurs de conscience ont eu raison du SNU, et je voudrais d’ailleurs saluer toutes celles et ceux qui ont encadré dignement et correctement le SNU, avec sincérité et la conviction de vouloir donner aux jeunes. Ensuite, je pense que cet esprit de défense peut être inculqué dès le plus jeune âge. En Finlande et Estonie, la défense nationale n’est pas une contrainte, mais un sport. Mes propositions proposent une construction au fil des classes, une JDC améliorée et plus militarisée. Je propose également un cours sur la défense globale en classe de seconde, qui serait assuré par des réservistes citoyens ou opérationnels en Estonie ou en Finlande.

La consultation indique par ailleurs que deux tiers des jeunes disent vouloir assister aux cérémonies patriotiques, mais ne le font pas parce que les professeurs ne les y emmènent pas. La vraie question ne consiste pas à savoir comment contraindre les professeurs à emmener leurs élèves à ces cérémonies, mais comment leur donner envie d’y aller naturellement. Le rapport établit des propositions en ce sens et suggère également qu’une épreuve sur la notion de défense globale puisse faire partie du concours pour devenir professeur. Par ailleurs, la défense globale peut être abordée autrement qu’en histoire-géographie ; par exemple en physique, à travers l’histoire de la bombe nucléaire.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Lors de nos travaux, nous avons éprouvé les dysfonctionnements et manques du SNU en matière de transport, d’hébergement et de restauration. Les encadrants ne sont pas toujours suffisamment outillés et il faudrait qu’ils soient accompagnés de psychologues. De même, les sanctions collectives existent encore, en dépit des scandales constatés dans certaines sections de SNU. Il ne semble donc pas opportun de généraliser le dispositif, qui soulève également le scepticisme de l’armée. En outre, la loi de programmation militaire (LPM) prévoyait un rapport sur celui-ci, mais il n’a pas toujours pas été réalisé. Toute volonté de généralisation devrait par ailleurs être précédée d’un débat parlementaire.

Ensuite, je ne serais pas aussi sévère avec les professeurs, qui sont désireux de répondre aux élèves. Cela nécessite une formation continue, mais aussi que les élèves s’emparent de ces sujets de défense dans le cadre de discussions en classe plutôt que dans une démarche prescriptive et descendante, à tous les niveaux de scolarité.

Mme Christelle D'Intorni (LR). Avant de débuter mon propos en ma qualité d’oratrice de groupe des Républicains, sachez que nous avons été particulièrement choqués par les paroles de Mme la rapporteure concernant notamment la situation à Sciences Po, où des étudiants juifs n’ont pas pu accéder aux salles de cours. Il s’agit là d’une résurgence insupportable de l’antisémitisme.

Depuis la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national, ce dernier n’est plus obligatoire et a été remplacé par la journée d’appel à la défense, elle-même remplacée en 2011 par la JDC. Cette journée vise à sensibiliser les jeunes Français aux droits et devoirs de la République, à renforcer le vivre ensemble et à promouvoir l’esprit de défense. Cependant, dans le contexte actuel, marqué par des tensions sociales croissantes et un affaiblissement du lien entre l’État et les citoyens, l’efficacité de la JDC est remise en question.

Le SNU, dispositif créé en 2019 et que le gouvernement souhaite généraliser à moyen terme, pourrait constituer une piste pour améliorer la culture de défense de notre jeunesse. Cependant, bien qu’il ne soit déployé qu’à titre expérimental, le SNU montre déjà ses limites. Un article publié le 27 mai dernier par Le Parisien relate d’ailleurs l’expérience du jeune Timéo, 15 ans, et le cauchemar qu’il a vécu pendant le SNU (violences, émeutes, organisation déplorable).

Cette situation est plus que regrettable, car le SNU est une alternative à fort potentiel, qui pourrait permettre de développer les valeurs d’adhésion à la Nation, de solidarité, de don de soi et de service pour le bien commun au sein de la société. À l’heure où l’éducation à l’esprit de défense n’est plus à la hauteur des enjeux auxquels elle est confrontée, quelles solutions pouvons-nous envisager pour réhabiliter notre souveraineté éducative et cultiver un véritable esprit de défense au sein de notre jeunesse ?

Mme Martine Étienne, rapporteure. Lorsque j’ai évoqué la mobilisation des étudiants à Sciences Po Paris, je faisais référence à leur protestation contre la guerre à Gaza. Je ne reviendrai pas sur d’autres incidents, qui ont par ailleurs fait l’objet de contre-vérités.

Ensuite, nous avons auditionné le général Givre, qui est chargé de la modernisation de la JDC. Il nous a indiqué vouloir faire du jeune l’acteur de sa propre JDC, ce qui nous a particulièrement intéressés. Il a par ailleurs précisé que l’objectif de cette JDC ne consiste pas spécifiquement à susciter des recrutements dans l’armée et a mentionné l’exemple de jeunes qui pourraient s’intéresser effectivement à l’armée, mais ne se sentent pas physiquement capables d’être soldats. D’autres métiers existent dans l’armée, par exemple ceux de cuisiniers ou de mécaniciens.

Je suis sceptique enfin sur le maniement des armes lors de cette JDC et l’apprentissage du tir. Nous attendons donc de voir comment cette JDC sera modernisée et si les intentions positives seront concrétisées.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Avec ma co-rapporteure, nous sommes d’accord sur la nécessité de renouveler cette JDC, confirmée par le général Givre. La JDC a également pour objet de contribuer à la lutte contre les addictions et à la promotion de la laïcité. Cette JDC fait partie selon moi d’un processus pédagogique à la culture de la défense nationale.

Ensuite, les images de ce jeune qui a été molesté durant le SNU sont insupportables et inacceptables ; je lui adresse mon soutien plein et entier. Il faut rappeler que la large majorité des 90 000 jeunes qui ont participé au SNU en était satisfaite. J’ai pu le constater en personne, ayant suivi pas moins de quatorze séjours en SNU. Ne remettons pas en cause l’intégralité du système par la faute de quelques errements, qui demeurent inacceptables. Je crois à la sincérité et au professionnalisme des encadrants.

Il n’en demeure pas moins que le SNU souffre d’un manque logistique de moyens, notamment de moyens de transport et d’hébergement. La question de fidélisation des encadrants se pose également, car ils ne peuvent pas en vivre et sont obligés de prendre du temps sur leurs congés. Je reste dubitatif sur ce qu’est devenu le SNU, qui ne respecte pas sa vocation initiale, sur laquelle j’avais travaillé en 2017.

Ensuite, l’esprit de défense n’est pas aujourd’hui inculqué dans sa globalité. De nombreux professeurs que nous avons rencontrés étaient volontaires, mais ne savaient pas toujours comment faire.

S’agissant des classes de défense, certains professeurs nous ont indiqué avoir subi des pressions de la part de leurs collègues ou à l’inverse, des proviseurs ont pu forcer des professeurs à établir des classes de défense pour obtenir une meilleure notation. L’éducation à la défense globale est une obligation légale, mais j’aimerais que nous nous fixions comme objectif de parvenir à une « volonté de défense » qui suscite une adhésion, faire passer le « nous » avant le « je ». En Estonie, cette volonté de défense porte un nom, « Kaitsetahe », qui figure sur le polo que je vous présente, conformément à la promesse faite au gouvernement estonien. Dans ce pays, ce mot et cette tenue fédèrent tous les Estoniens, quelles que soient leurs convictions personnelles. À ce titre, je formule le vœu que la France puisse se fédérer derrière un tel mot, de manière transpartisane.

M. le président Jean-Pierre Cubertafon. Quels changements avez-vous observés entre 2017 et 2024, concernant le SNU ?

M. Christophe Blanchet, rapporteur. De nombreux changements sont intervenus, chez les donneurs d’ordre – celles et ceux qui réalisent le projet pédagogique –, dans le contenu du projet des douze jours de cohésion. Sur les douze jours du SNU, une seule journée est d’orientation militaire, ce qui me semble trop faible. Les premiers encadrants présents en 2017 ne sont plus là, parce que le sens du dispositif a été perdu. J’ai la profonde conviction que certains ministères ont laissé la main à d’autres ministères, qui ont oublié le sens premier du SNU. Je rappelle enfin que notre rapport ne concerne pas que le SNU, mais l’éducation et la culture à la défense globale, la défense nationale.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Aurélien Saintoul a justement souligné que le SNU est souvent perçu comme un dernier recours par un jeune qui n’a pas trouvé de stage en seconde. Nous avons également rencontré des personnels qui étaient payés avec beaucoup de retard. La généralisation du dispositif ne me semble pas opportune ; personnellement je voudrais qu’il soit supprimé.

Mme Josy Poueyto (Dem). Faire prendre conscience de la signification profonde de notre défense nationale, de la composition de ses acteurs et des moyens mis en œuvre : telle est la mission de l’éducation à la défense. Les textes encadrent cet enseignement sur les principes et l’organisation des objectifs de la défense nationale. Nous abordons aujourd’hui un enjeu particulièrement vaste. Les bouleversements du monde auquel nous faisons face désormais relancent les questionnements sur les rôles de l’éducation et de la culture dans une démocratie comme la nôtre.

Votre mission d’information sur ce thème permet d’éclairer un débat qui s’anime bien au-delà de nos frontières nationales. Pour nous, Français, cette problématique s’intègre forcément dans une approche à l’échelle européenne, sans occulter non plus nos relations avec nos partenaires de l’Otan. L’éducation et la culture dans la défense nationale exigent une analyse transversale. Je profite de ma prise de parole au nom du groupe Démocrate pour saluer votre travail, monsieur et Madame la rapporteure. Vous êtes même allés jusqu’à engager une consultation citoyenne, ce qui est fort intéressant, même si je prends toujours ce type de résultats avec précaution, puisque le public qui répond n’est pas forcément représentatif de la population en général.

Ce débat autour de l’éducation et de la culture n’est pas et n’a jamais été consensuel, ce qui met en valeur l’intérêt des échanges au sein de notre commission. Essayer de dessiner la frontière entre le souhaitable, le possible ou l’impossible ne doit pas nous faire oublier qu’en vérité nous interrogeons, à l’appui de vos conclusions, la construction de la résilience de notre République face aux menaces conventionnelles ou hybrides de nos compétiteurs. En somme, nous touchons du doigt à la fois l’esprit de défense et la volonté de défense, comme vos conclusions le suggèrent.

Monsieur le rapporteur, vous évoquez le rétablissement d’un service militaire obligatoire sur le modèle suédois, lequel, me semble-t-il, repose sur une sélection de jeunes appelés. Qu’en est-il exactement et avec quel budget ?

Madame la rapporteure, vous défendez l’idée d’un service militaire obligatoire rémunéré au Smic. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quel en serait le budget annuel, en sachant que pour se faire une idée correcte d’un choix de cette nature, les infrastructures et l’encadrement en ressources humaines sont aussi à prendre en compte dans la relance de la conscription ?

Mme Martine Étienne, rapporteure. Le programme de LFI comporte une conscription citoyenne obligatoire entre 18 ans et 25 ans, rémunérée au Smic effectivement. Quand nous serons au pouvoir, nous mettrons en place une VIe République, une assemblée constituante et cette conscription d’une durée de neuf mois dans l’armée, dans les services de pompiers, la protection civile et les associations, en respectant l’objection de conscience. Certains nous taxent d’antimilitaristes.

Mme Josy Poueyto (Dem). Tel n’était pas mon propos. Pouvez-vous simplement répondre à ma question ?

Mme Martine Étienne, rapporteure. Je ne vous ai pas accusé d’avoir tenu de tels propos. En Ukraine, des antimilitaristes se sont engagés pour défendre leur patrie. Nous voulons que les citoyens partagent cet esprit de défense, à travers cette conscription obligatoire, qui ne correspond pas au service militaire. La budgétisation de cette mesure sera effective, nous irons chercher l’argent là où il est.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Vous l’aurez compris, je ne suis pas d’accord avec ma collègue sur ce point, pour deux raisons fondamentales. D’une part, je suis opposé à l’endoctrinement massif et d’autre part, j’ai budgété le programme.

Je suis favorable au modèle suédois, que j’ai valorisé pour la France à 1 milliard d’euros par an et une classe d’âge de 800 000 jeunes. Dans ce modèle suédois, les armées émettent leurs besoins en conscrits, soit 8 % d’une classe d’âge. Tout jeune suédois âgé de 18 ans est appelé à effectuer son service militaire, soit environ 100 000 jeunes suédois par classe d’âge. En pratique, les jeunes ont l’obligation de répondre à un questionnaire de conscription. S’ils ne répondent pas au questionnaire ou de manière frauduleuse, ils écopent d’une amende, et possiblement d’une poursuite judicaire. Grâce à l’intelligence artificielle, les armées sélectionnent les profils qui leur semblent intéressants pour une rencontre ou un échange. Si les jeunes convoqués à cet échange ne s’y présentent pas, ils reçoivent également une amende. Plus globalement, les jeunes qui effectuent leur service militaire en Suède sont valorisés et se sentent importants, parce qu’ils sont reconnus et se sentent utiles.

La mise en place d’un tel dispositif ne peut intervenir du jour au lendemain. Elle s’intègre dans un processus d’éducation à la défense dès le plus jeune âge, à travers des cours d’EMC, le cours de seconde sur la défense globale, la révision des journées patriotiques, notamment celle du 8 mai. Une telle acculturation prend du temps.

Mme Anna Pic (SOC). Au-delà de leurs désaccords, les deux co-rapporteurs partagent une grande orientation, qui consiste à installer une conscience claire et critique des enjeux de défense. Puisqu’il est question d’éducation, je reviens au socle commun de connaissances, de compétences et de culture. N’étant pas étrangère à ce milieu, il me semble que nous assistons à un choc des cultures sur ce sujet.

Monsieur Blanchet, vous souhaitez rendre obligatoire un cours sur les enjeux de défense et de géopolitique en seconde. En tant que conseillère principale d’éducation, j’estime que cela est contre-productif pour précisément installer cette conscience claire et critique des enjeux de défense. En réalité, la transversalité de cet enseignement permet la meilleure adhésion à ce projet.

Je souhaite revenir sur la question de la guerre hybride, que vous avez très peu abordée, mais qui pourtant nous fait sortir de l’EMC. Au-delà de ces aspects, un travail doit être réalisé sur les sciences numériques, les sciences et techniques, pour inculquer la résilience et permettre la sécurité globale, sans procéder forcément à un formatage et une militarisation des élèves mineurs.

Ensuite, je suis opposé au SNU sous sa forme actuelle, mais aussi à sa généralisation, car je crois sincèrement qu’il ne répond ni aux enjeux que vous avez précisés ni à ceux de l’éducation populaire. Le SNU actuel évolue dans un flou absolu, par ailleurs fort coûteux. Pouvez-vous revenir sur cette question de résilience ? Il importe de sortir de cette idée militariste et de rappeler que les enseignants effectuent un bon travail, dans la transversalité.

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Je respecte votre point de vue et j’espère que vous respectez tout autant nos différences. Notre rapport porte bien sur la défense globale, la manière dont chaque citoyen se sent responsable de la défense nationale dans son quotidien.

Je pense que nous devons nous inspirer des exemples finlandais et estoniens, pays confrontés à une menace réelle, afin que chaque citoyen ne se sente pas étranger à son obligation de défense du pays. J’ajoute que cette défense n’implique pas nécessairement de prendre une arme ; il peut s’agir par exemple de lutter contre la désinformation, afin de protéger notre pays. Notre rapport concerne l’éducation tout au long de la vie et va bien au-delà de l’école ou de l’éducation nationale. Il peut par exemple s’agir de l’engagement dans des réserves ou de l’engagement des élus. La défense globale fait notre unité et dépasse largement le champ des orientations politiques. Enfin, nous avons évoqué dans notre rapport les menaces cyber.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Madame la députée, je rejoins votre analyse ; les professeurs ne seront pas forcément d’accord s’il leur est demandé d’enseigner la défense ou la militarisation. Les syndicats de professeurs ne s’opposent cependant pas à l’idée de faire comprendre l’importance de la défense du pays et de se prémunir contre différentes attaques, qu’elles soient informationnelles ou d’ordre cyber. L’esprit de la mission consiste à ne pas associer uniquement l’esprit de défense à la militarité. Les professeurs doivent pouvoir être en mesure de transmettre ces messages, pas à travers des cours normatifs ou prescriptifs, mais des cours qui suscitent discussions et débats dans la classe.

Je tiens enfin à achever mon propos en mentionnant un contre-exemple dans mon département, qu’il ne faut pas reproduire à mon sens. À Toul, le maire a suivi la proposition de la fondation Bigeard consistant à ériger une statue du général Bigeard. Une telle décision va à l’encontre de l’esprit de réconciliation, d’unité et d’adhésion que nous avons cultivé dans notre mission.

M. le président Jean-Pierre Cubertafon. Je cède à présent la parole à mes collègues pour une série de questions complémentaires.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous avez déploré le manque de démocratisation des enjeux de défense. Aujourd’hui, la jeunesse s’engage pourtant sur les questions de défense et pour la paix en Ukraine face à l’agression russe et en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, face à l’offensive et aux massacres commis par l’armée israélienne. Estimez-vous que la défense soit suffisamment démocratisée ? Ensuite, les mobilisations qui ont lieu aujourd’hui, dans la droite ligne de ceux qui s’étaient tenus hier pour l’Algérie, le Vietnam ou l’Irak ne constituent-elles pas des moments de cristallisation et de prise de conscience de la jeunesse concernant les questions de défense ?

M. Vincent Bru (Dem). Ma question s’adresse plus particulièrement à notre collègue Blanchet, qui propose de rendre le 8 mai travaillé pour les scolaires, afin qu’ils puissent participer à des cérémonies ou organiser une commémoration au sein d’établissements.

Pourquoi avoir choisi le 8 mai plutôt que le 11 novembre, qui est une date mémorielle essentielle et globale, située en outre en début d’année scolaire ? En créant ce jour patriotique non férié, de quelle manière imaginez-vous faciliter la transmission de la mémoire et l’esprit de défense auprès de nos jeunes ? Enfin, avez-vous consulté, pour ce projet très précis, des représentants des élèves, des enseignants, des parents d’élèves et même des collectivités territoriales ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je remercie M. Blanchet d’avoir rappelé que, depuis 1997, l’enseignement de défense est une obligation légale. L’un des éléments de cette obligation légale concerne évidemment le devoir de mémoire. Je constate sur mes territoires une énorme différence entre des enseignants et des directeurs d’école qui emmènent les enfants aux cérémonies patriotiques et d’autres qui s’y refusent absolument, voire qui font pression sur les autres enseignants pour qu’ils ne s’y rendent pas.

Ensuite, j’ai été très choqué d’entendre l’un de nos collègues dire que les enseignants n’avaient pas pour rôle de former à la défense. En effet, fonctionnaires de la République, ils sont là pour servir la France. Je les invite à relire Notre jeunesse de Charles Péguy, alors socialiste, dans lequel il rappelait le rôle des hussards noirs de la République qui avaient permis à la France de tenir en 1914.

L’un des arguments utilisés par ceux qui ne veulent pas de ces cérémonies patriotiques consiste à dire que leur responsabilité pourrait être engagée parce qu’ils ne sont pas assurés s’ils y emmènent les enfants. Avez-vous entendu ce type de remarques ? Si tel est le cas, que pouvez-vous y opposer ? Comment faire pour que les professeurs respectent la loi ?

Enfin, je rappelle que le général Bigeard a été un héros français. Lorsqu’il existait des comités de soldats dans nos casernes, il a rétabli l’ordre et a rassemblé la jeunesse de France pour qu’elle respecte à nouveau ses obligations militaires.

Mme Anna Pic (SOC). Je tiens à rappeler que le décret concernant le temps de travail des enseignants date de 1950 ; leur temps de travail n’a pas été révisé depuis cette époque. Dès lors, je souhaiterais savoir comment M. Blanchet compte financer sa proposition. Aujourd’hui, les enseignants se déplacent avec les enfants pour assister aux célébrations sur la base du volontariat et du bénévolat ; cela le demeurera si une enveloppe spécifique n’y est pas consacrée.

Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Monsieur Blanchet, vous proposez de valoriser davantage l’engagement des réservistes afin qu’ils deviennent des vecteurs de sensibilisation aux enjeux de défense dans l’espace public. Cependant, vous ne proposez pas une mesure de nature financière. Pour mémoire, le Président de la République avait promis, lors de la campagne électorale de 2022, d’attribuer une prime de 2 500 euros par an sur cinq ans aux réservistes étudiants. Seriez-vous favorable à la mise en œuvre d’une telle mesure ?

Madame Étienne, pourquoi ne rejoignez-vous pas M. Blanchet sur sa proposition de faire de l’appartenance à une réserve un nouveau critère de discrimination au sens de l’article L. 225-1 du Code pénal ?

M. Christophe Blanchet, rapporteur. Comme nous vous l’avons indiqué préalablement, des divergences de vues subsistent avec ma co-rapporteure. En revanche, nous effectuons des constats communs.

Un sondage paru au mois d’avril indique que plus de 50 % des jeunes Français seraient prêts à partir en guerre en Ukraine, si notre pays devait demain entrer en guerre. Ce chiffre atteste donc d’un certain engagement de la jeunesse pour protéger le pays, les intérêts de la nation et ceux de l’Europe.

Monsieur Thiériot, je partage vos propos. Madame Bazin-Malgras, je suis réservé concernant la prime pour les réservistes, dans la mesure ils disposent déjà d’une indemnité. Dès lors, un étudiant réserviste doit recevoir la même indemnité que tout autre réserviste, en temps et en heure, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Madame Pic, notre rapport demande l’établissement d’un budget identifié, indépendant, permettant d’aider les professeurs dans ce travail pédagogique en faveur de l’esprit de défense. Ensuite, les professeurs ou accompagnants des autres pays que j’ai interrogés à ce sujet m’ont dit qu’ils ne voulaient pas être payés pour l’accompagnement des élèves aux cérémonies patriotiques, car cela relève selon eux de leur devoir de citoyen.

En Finlande, le drapeau n’est pas levé uniquement pour commémorer les faits militaires. Dès le primaire, des faits quotidiens permettent à la jeunesse d’honorer le drapeau.

Enfin, je rappelle que le président Valéry Giscard d’Estaing avait supprimé le 8 mai férié en 1974, et qu’il a ensuite été réinstitué par le président François Mitterrand en 1980, pour permettre aux Français de participer à la cérémonie patriotique de leur commune. Or je fais le constat, qui me semble partagé par bon nombre d’entre vous, que nous sommes de moins en moins nombreux à nous rendre aux cérémonies patriotiques du 8 mai. Les commerces sont ouverts, des salariés travaillent et le sens de cette commémoration est oublié.

Je propose de supprimer le caractère férié de cette journée, pour permettre un enseignement pédagogique sur cette date et la participation réelle des jeunes à la cérémonie patriotique, plutôt qu’ils ne soient que de simples spectateurs. L’après-midi de cette même journée, des échanges auraient lieu entre jeunes, vétérans, anciens combattants, élus et personnes engagées dans des associations culturelles ou humanitaires.

Mme Martine Étienne, rapporteure. Je ne partage pas l’idée d’un abandon du caractère férié du 8 mai. Dans ma circonscription, un maire a mis en place, avec les instituteurs de sa commune, une organisation différente, mais tout autant importante. Ainsi, il organise avec eux, mais aussi avec les associations d’anciens combattants, des cérémonies destinées aux enfants la veille des grandes dates de commémoration, comme celles du 11 novembre ou du 8 mai.

Par ailleurs, je ne partage pas l’avis de mon co-rapporteur qui consiste à faire de l’appartenance à une réserve un nouveau critère de discrimination au sens de l’article L. 221-5 du Code pénal.

Ensuite, je déplore que les enjeux de défense soient mal démocratisés : la défense demeure le domaine réservé du Président de la République. De même, un certain nombre d’auditions que nous menons au sein de cette communication sont organisées à huis clos. Simultanément, nous constatons que les jeunes se mobilisent, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine ou de la situation en cours à Gaza. Plus encore, cette mobilisation ne concerne pas seulement les jeunes, mais l’ensemble de la population. Simultanément, lorsque nous demandons au ministre des armées si la France participe d’une manière ou d’une autre à ce conflit en aidant Israël, nous n’obtenons pas de réponses. Ces différents exemples témoignent donc bien d’une certaine réticence à démocratiser les enjeux de défense. Notre mission a pour ambition d’améliorer ces aspects et de faire comprendre l’importance de la défense pour notre pays. La caricature présentée qui met en scène un dialogue entre deux militaires l’illustre : « Pourvu qu’ils tiennent. Qui ça ? Les civils. »

M. le président Jean-Pierre Cubertafon. Je vous remercie et nous allons procéder au vote sur l’autorisation de publication.

La commission vote à l’unanimité l’autorisation de publication du rapport de la mission d’information sur le rôle de l’éducation et de la culture dans la défense nationale.

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La séance est levée à onze heures cinq.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Batut, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Denis Bernaert, M. Christophe Blanchet, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, M. Yannick Chenevard, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, Mme Geneviève Darrieussecq, Mme Martine Etienne, M. Jean-Marie Fiévet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Pierre Henriet, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, Mme Anne Le Hénanff, Mme Jacqueline Maquet, Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, M. Bruno Studer, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - M. Julien Bayou, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Cyrielle Chatelain, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Murielle Lepvraud, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Mélanie Thomin