Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la problématique du statut de Mayotte au regard du droit international, avec la participation de M. Thomas M’Saïdié, maître de conférences en droit public et directeur du département droit-économie-gestion à l’Université de Mayotte, M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, maître de conférences en droit public et vice-doyen de la faculté de droit et d’économie de La Réunion, et M. Nabil Hajjami, sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.              2


Mercredi
5 juin 2024

Séance de 9h 00

Compte rendu n° 61

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Jean-Louis Bourlanges,
Président


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La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde, ouverte à la presse, sur la problématique du statut de Mayotte au regard du droit international, M. Thomas M’Saïdié, maître de conférences en droit public et directeur du département droit-économie-gestion à l’Université de Mayotte, M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, maître de conférences en droit public et vice-doyen de la faculté de droit et d’économie de La Réunion, et M. Nabil Hajjami, sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Présidence M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 9 h 00.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, notre ordre du jour prévoit ce matin une table ronde sur la problématique du statut de Mayotte au regard du droit international. Bien que nous soyons la commission des affaires étrangères, ce sujet nous concerne indirectement. Ce thème a été expressément souhaité par le bureau de la commission, qui a jugé nécessaire d’approfondir cette dimension des sujets touchant la situation de ce département français.

Mayotte, comme chacun sait, est située entre Madagascar, l’archipel des Comores et les côtes du Mozambique. Le Parlement français s’apprête à débattre d’un projet de loi constitutionnel et d’un projet de loi spécifiquement consacré à Mayotte. Bien que le ministère de l’intérieur et des outre-mer et la commission des lois se préoccupent principalement du statut des populations à Mayotte, l’incidence internationale est extrêmement présente.

Avant de brosser brièvement le contexte et les attendus de nos échanges, je souhaite la bienvenue aux intervenants qui ont accepté de partager leur expertise sur ce sujet. Compte tenu du sujet, l’un de nos intervenants s’adressera à nous par visioconférence depuis la Réunion, tandis qu’un autre est venu spécialement de Mayotte. Je le remercie chaleureusement pour ce déplacement.

M. Thomas M’Saïdié, vous êtes maître de conférences en droit public, directeur du département droit, économie, gestion à l’université de Mayotte, et expert du statut de l’île. Vous avez notamment publié en 2016, dans la Revue juridique de l’océan Indien, un article intitulé de manière légèrement provocante mais nécessaire pour attirer l’attention : « La réponse juridique à la question de l’île comorienne de Mayotte ». En 2020, aux Comores, on caractérise Mayotte d’une certaine manière. Vous avez également publié un article dans la Revue française de droit administratif qui éclaire une facette de la question : « Mayotte, collectivité territoriale de la République française face à l’Union des Comores, quelles relations ? ». Avec ces deux titres, vous tenez les deux bouts de la chaîne. Votre connaissance intime des enjeux locaux nous sera donc extrêmement utile pour mieux en apprécier les implications.

M. Nabil Hajjami, vous êtes sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Vous êtes docteur en droit public et vous avez enseigné à l’université de Paris-Nanterre. Vous êtes un « intellectuel organique » dans cette affaire, comme dirait le regretté Gramsci. Vous nous présenterez donc la position de l’État sur cette question importante, telle que le Quai d’Orsay la défend et la promeut dans les instances internationales. Nous serons très attentifs à vos développements.

Enfin, M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, vous êtes maître de conférences en droit public, vice-doyen de la faculté de droit et d’économie de la Réunion. Votre thèse, soutenue à l’université de Montpellier en 2012, portait sur le statut de Mayotte vis-à-vis de l’Union européenne. Vous êtes un expert reconnu de l’environnement régional, ayant publié des communications notables sur les cinq ans de départementalisation à Mayotte, en 2016, et sur l’évolution des Constitutions comoriennes depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, en 2017, notamment avec une analyse de la sortie de crise et de la consolidation de l’État aux Comores. Votre expertise indiscutable et votre regard détaché nous éclaireront ce matin.

L’île de Mayotte, pour résumer rapidement, est l’un des premiers territoires de l’océan Indien à avoir été rattaché à la France en vertu du traité de cession du 25 avril 1841, soit avant même la Savoie. Cette acquisition a été librement consentie par le sultan Andriantsouli, et non imposée par la force. Depuis près de deux cents ans, Mayotte a connu divers statuts juridiques : colonie française, puis territoire d’outre-mer selon la loi du 22 décembre 1961, elle est devenue une collectivité sui generis en vertu de la loi du 24 décembre 1976, après l’indépendance de l’archipel des Comores, contre laquelle la population mahoraise s’est prononcée à plus de 63 % lors du référendum du 22 décembre 1974. Ce référendum constitue le pivot de la contestation car il a été organisé île par île, alors que les Comores considéraient que l’archipel formait un tout et que la question devait être posée globalement. C’est là le cœur de la difficulté internationale que nous allons examiner plus en détail ce matin.

Mayotte est devenue une collectivité départementale en 2001, puis a accédé au statut de département français avec la loi organique du 7 décembre 2010. L’appartenance de Mayotte à la République française est contestée par l’Union des Comores depuis sa proclamation unilatérale d’indépendance, au motif que le vote du 22 décembre 1974 aurait dû être apprécié globalement et non île par île. Je n’entrerai pas ici dans le débat juridique que vous allez éclaircir. Je me contenterai de noter que, sur la base de cette contestation comorienne, une vingtaine de résolutions de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont été adoptées jusqu’en 1994. Même si le sujet suscite moins d’intérêt depuis lors, « la question de l’île comorienne de Mayotte », pour reprendre la terminologie des autorités comoriennes et celle de votre livre M. M’Saïdié, reste régulièrement soulevée devant l’Assemblée générale de l’ONU.

Devant les Nations Unies, ainsi que ses partenaires, l’État français expose régulièrement des arguments dont nous apprécierons aujourd’hui la solidité, concernant la légitimité en droit de l’appartenance de Mayotte à la République. Les Mahorais ont confirmé cette appartenance lors des consultations des 8 février et 11 avril 1976, du 22 juillet 2000 et du 29 mars 2009. Malgré ce différend majeur, la France entretient des relations avec l’Union des Comores, autant par nécessité que par le partage d’un passé commun avec Anjouan, les îles de Mohéli et de la Grande Comore. Dans l’un de vos articles, M. M’Saïdié, vous résumez cette situation par une formule que je trouve extrêmement éclairante : « À l’ubiquité constitutionnelle relative à Mayotte s’ajoute une ambiguïté relationnelle entre la France et les Comores. » Au cours de cette table ronde, nous espérons, avec votre concours, pouvoir éclairer les termes d’un débat international autour de la question de Mayotte. Cela correspond à une attente de notre part, notamment dans la perspective des débats parlementaires.

M. Nabil Hajjami, sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Comme vous l’avez indiqué, ma tâche consiste à rappeler les fondamentaux de la position des autorités françaises concernant le statut de Mayotte au regard du droit international public. Mon propos sera concis et se concentrera sur les grandes lignes de notre position juridique. En tant que sous-directeur du droit international public, ma compétence se limite à l’exposé du cadre juridique, et je ne traiterai pas des enjeux politiques ou géopolitiques.

Sur le fond, la France considère que l’indépendance des Comores et le maintien de Mayotte au sein de la République française se sont réalisés en parfaite conformité avec les principes et les règles du droit international de la décolonisation. Une clé de compréhension de la situation réside dans le processus qui s’est déroulé en 1974 et 1975. De ce processus, il ressort que l’on ne peut pas considérer que Mayotte se serait détachée d’un État indépendant ou d’un territoire colonial unifié et reconnu par la communauté internationale.

En effet, les Mahorais ont librement et clairement refusé l’indépendance choisie par les autres îles de l’archipel des Comores lors du référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974. Immédiatement après ce référendum, un dialogue s’est engagé entre Paris et Moroni pour trouver une solution concernant Mayotte et le différend qui se profilait entre la France et les Comores.

Cependant, ce dialogue a été interrompu par la déclaration unilatérale d’indépendance du 6 juillet 1975 de l’État comorien. Depuis, les Mahorais ont été consultés à plusieurs reprises et se sont toujours prononcés massivement en faveur du maintien au sein de la République française. À la suite du référendum de 2009, Mayotte est devenue un département français, impliquant une assimilation normative au territoire de la République. Une autre illustration de la volonté persistante de la population mahoraise de demeurer pleinement française au sein de la République réside dans le fait qu’aucun candidat partisan du rattachement de Mayotte aux Comores n’a jamais été élu. Aucun parti politique ne se présente aujourd’hui comme favorable à un tel rattachement.

La France, dans le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe fondamental du droit international public découlant de l’article 1er et de l’article 55 de la Charte des Nations Unies, ainsi que de divers textes internationaux et de la jurisprudence de la Cour internationale de justice, a pleinement pris en compte la volonté du peuple mahorais. Celui-ci a maintes fois réaffirmé son désir d’exercer son droit à disposer de son avenir.

Contrairement à une idée souvent véhiculée à tort, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ou droit à l’autodétermination, n’implique pas nécessairement un droit à l’indépendance. Les textes internationaux précisent que le droit à l’autodétermination peut s’exercer selon différentes modalités, l’indépendance n’étant qu’une de ces modalités. Un peuple peut parfaitement exercer ce droit en choisissant librement d’autres statuts, y compris celui du rattachement complet à un autre État souverain. Il est essentiel de clarifier ce point car il est souvent compris que le droit à l’autodétermination serait synonyme de droit à l’indépendance, ce qui est partiellement inexact. Ce droit s’exerce selon une vaste palette de modalités, allant de l’intégration pleine et entière à l’indépendance totale, avec de nombreux mécanismes intermédiaires possibles. La France considère que les Mahorais ont pleinement exercé ce droit.

Depuis l’admission des Comores à l’Organisation des Nations Unies, le 12 novembre 1975, la France est restée constante dans ses principes. Tout en respectant la volonté de la population de Mayotte, elle a également veillé au respect de l’intégrité territoriale de l’État comorien. En 1997, la France a refusé la demande de rattachement de l’île d’Anjouan, en soulignant son attachement à « l’intégrité territoriale de la République fédérale islamique des Comores ». En 2008, elle a également soutenu politiquement et logistiquement l’opération de l’Union africaine visant à restaurer l’autorité de l’État comorien à Anjouan.

La déclaration sur l’amitié et la coopération entre la France et les Comores, signée à Paris le 21 juin 2013, vise à refonder les relations bilatérales malgré le différend historique entre les deux pays. Un dialogue politique bilatéral renforcé est mené, abordant toutes les questions relatives à Mayotte, et la France accorde une grande importance à ce canal de discussion. Les deux nations sont engagées dans une coopération responsable et essentielle pour les populations concernées.

Le différend entre la France et les Comores au sujet de Mayotte soulève la question du statut et de la portée du principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, également connu sous le nom de uti possidetis juris. Ce principe, reconnu par la jurisprudence de la Cour internationale de justice, est utilisé par les Comores pour justifier leurs revendications de souveraineté sur Mayotte.

Cependant, nous estimons que ce principe ne peut écarter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou leur droit à l’autodétermination. Ce droit est un principe fondamental du droit international, que la Cour internationale de justice a qualifié d’opposable erga omnes, signifiant qu’il est opposable à tous les États, lesquels sont tenus de l’appliquer et de le respecter. C’est sur le fondement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que les référendums d’autodétermination de 1974 et 1976 ont été organisés, conduisant la population de Mayotte à se prononcer massivement en faveur du maintien dans la République, une volonté que les autorités françaises ne pouvaient ignorer.

Je souhaite enfin revenir sur l’avis rendu par la Cour internationale de justice en 2019 concernant le processus d’autodétermination de l’archipel des Chagos dans le cadre du différend entre Maurice et le Royaume-Uni. Cet avis consultatif affirme le principe de l’intangibilité des frontières coloniales et celui de l’intégrité territoriale des entités coloniales.

Dans le cas de Mayotte, deux éléments plaident contre une transposition ou une application de ce principe. Premièrement, des considérations historiques montrent que l’appartenance de Mayotte à l’entité comorienne n’est pas évidente. En retraçant l’histoire de Mayotte avant et pendant l’ère coloniale, divers historiens ont démontré que ce rattachement n’est pas évident sur les plans historique, linguistique et politique. Deuxièmement, la France attache une grande importance à la volonté librement exprimée des populations concernées. Cette volonté, exprimée à plusieurs reprises de manière claire et non équivoque, doit être mise en balance avec le principe de l’intégrité territoriale des entités coloniales. Ainsi, dans le cas de Mayotte, ce principe ne saurait s’appliquer.

M. Thomas M’Saïdié, maître de conférences en droit public et directeur du département droit-économie-gestion à l’Université de Mayotte. Le sujet que je vais aborder concerne la portée des revendications des Comores concernant Mayotte. Pour mieux comprendre ces revendications, il est nécessaire d’en expliquer l’origine. Les revendications de l’Union des Comores concernant Mayotte trouvent leur origine dans le référendum organisé le 22 décembre 1974 par l’État français. Ce référendum devait permettre à toutes les îles composant l’archipel des Comores de s’exprimer clairement sur leur souhait d’accéder à la pleine souveraineté internationale ou de demeurer au sein de l’État français.

La démarche française a été totalement transparente. En témoignent les discours politiques, notamment celui de Pierre Messmer le 29 janvier 1972 devant la Chambre des députés des Comores, ainsi que celui de Bernard Stasi. Ces discours affirmaient que l’organisation se ferait île par île, avec un décompte spécifique à chaque île et non global. Cette position, traduite normativement par la loi du 23 novembre 1974, a suscité de vifs débats mais a permis l’expression honnête et authentique de la volonté des populations des quatre îles.

Lors du référendum du 22 décembre 1974, une majorité écrasante des habitants des trois îles de l’archipel des Comores – Anjouan, Grande Comore et Mohéli – a opté à 99,95 % pour l’émancipation et la souveraineté internationale, tandis que Mayotte à 65,30 % a choisi de rester au sein de la République française. La France en a pris acte et, comme convenu, le Parlement est intervenu pour définir les contours de cette accession à l’indépendance.

C’est tout le sens de la loi du 3 juillet 1975, qui précisait les modalités d’accession des Comores à l’indépendance. Cette loi contenait plusieurs procédures et quelques conditions qui, finalement, n’ont pas été acceptées par les autorités comoriennes, celles-ci souhaitant une indépendance sans condition. Ahmed Abdallah, exaspéré par la situation de Mayotte, a proclamé unilatéralement l’indépendance des Comores le 6 juillet 1975, alors que la loi venait d’entrer en vigueur le 4 juillet 1975.

Cette déclaration a marqué le début d’une période de relations tendues, animées notamment par l’ONU. Le 12 novembre 1975, l’ONU a adopté la résolution 3385, permettant l’admission des Comores au sein de l’Organisation. Cette situation soulève des questions sur le comportement de l’ONU, que je qualifierais de « déstabilisant », voire « choquant ». Nous parlons d’un territoire soumis à la souveraineté de la France, régi par l’ordre constitutionnel français et ses normes. Pourtant, l’ONU a validé l’indépendance des Comores, en dépit de la loi du 3 juillet 1975 qu’Ahmed Abdallah a violée en accédant à la souveraineté internationale. L’ONU a ainsi reconnu une violation des normes d’un État souverain en admettant l’adhésion d’un territoire encore sous souveraineté française. Ce comportement est pour le moins douteux.

L’Assemblée générale de l’ONU ne s’est pas arrêtée là. Elle a validé de manière choquante cette violation de l’ordre constitutionnel français et a précisé la portée géographique et juridique du territoire des Comores. Or, selon la Charte des Nations Unies, l’Assemblée générale est allée au-delà des missions confiées par l’article 4, qui consistent simplement à valider les demandes d’admission sur recommandation du Conseil de sécurité, sans jamais définir la consistance d’un territoire. En vertu de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte, il est strictement interdit de s’immiscer dans les affaires internes des États, qui relèvent de leur compétence exclusive. Cependant, l’Assemblée générale a choisi d’intervenir de manière intrusive.

Cela soulève des questions sur la légitimité des revendications des Comores, renforcées par ce comportement et d’autres actes de droit dérivé. Pour évaluer le poids international de ces revendications, il est essentiel d’en identifier les sources juridiques. Ces revendications s’appuient sur la résolution 1514 du 14 décembre 1960, qui est une déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Cette résolution visait à encadrer le processus de décolonisation en incitant les États et les puissances administrantes à accéder aux demandes d’indépendance des territoires sous souveraineté.

La résolution consacre six principes. Je me concentrerai sur les deux qui nous intéressent particulièrement. Le deuxième principe consacre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, c’est-à-dire le droit à la libre autodétermination. Le sixième principe consacre l’intangibilité et l’intégrité territoriales. Ces deux principes apparaissent paradoxaux. En lisant attentivement la résolution, aucun élément ne permet de trancher clairement. Il faut donc recourir à une interprétation du droit international, à la pratique internationale, à la jurisprudence et aux avis de la Cour internationale de justice.

Arrêtons-nous un instant sur le droit international. La Charte des Nations Unies éclaire cette question. Comme l’a rappelé l’intervenant précédent, l’article 1er de la Charte précise que le droit à l’autodétermination est l’un des objectifs des Nations Unies. Ainsi, le droit à l’autodétermination semble l’emporter sur le principe de l’intangibilité territoriale. Qu’est-ce que cela implique ? La position de ce principe, inscrite dans l’article 1er, lui confère une force et une place particulières. L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2625, précisant qu’il s’agit d’un devoir pesant sur les États : ces derniers ont l’obligation de respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Toutefois, la question de la valeur de cette résolution se pose. En droit international, il s’agit d’un acte de droit dérivé pris par les organisations internationales. La résolution de l’Assemblée générale n’a aucune portée contraignante : elle ne peut donc pas imposer des obligations aux États ; elle a une portée essentiellement symbolique. Les discours politiques de l’Assemblée générale ne visent pas à créer des droits, ce n’est pas leur mission.

Concernant les revendications, il est important de rappeler que la France a été condamnée en 1976 par la résolution 341 de l’Assemblée générale. Cette condamnation n’émanait pas du Conseil de sécurité. L’Assemblée générale a utilisé un ton particulièrement ferme pour intimider la France. Après cette résolution, le ton s’est adouci, passant d’une condamnation énergique à un appel, puis à une invitation et, enfin, à une prière. En d’autres termes, au fil des résolutions, la rigueur des revendications comoriennes a diminué et cette question a perdu de sa portée.

Sur le plan national, on peut s’interroger sur le poids des résolutions et des revendications des Comores concernant Mayotte. La réponse est apportée par notre Constitution, notamment l’article 55. Cet article précise que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle de la loi, sous réserve de leur application par l’autre partie ». Il est important de noter que le mot résolution n’est pas mentionné. En d’autres termes, les résolutions, tout comme la coutume internationale, ne sont pas reconnues par la Constitution française et n’ont aucune portée contraignante.

Lorsqu’on analyse la Constitution comorienne, on constate que l’article 10 est une reproduction servile de l’article 55 de la Constitution française. C’est un « copier-coller », pour utiliser un terme informatique. Cela signifie également qu’en droit comorien, les résolutions de l’Assemblée nationale ne sont absolument pas reconnues.

Comment peut-on alors se baser sur des résolutions non reconnues pour exiger leur application et importuner un pays qui a instauré le droit à l’autodétermination ? Cette question a perdu de sa portée, tant au niveau international qu’au niveau national. Toutefois, elle conserve toute son importance et son acuité au sein même de l’Union des Comores, où elle demeure inaliénable. C’est une question essentielle pour l’Union des Comores car elle constitue – permettez-moi cette expression – un instrument de chantage à l’aide au développement mais également un outil de harcèlement diplomatique envers la France. Les Comores brandissent souvent, à dessein, les revendications concernant Mayotte chaque fois qu’une situation particulière se présente. Ainsi, il apparaît que cette question ne sera jamais abandonnée par l’Union des Comores, malheureusement. On peut le regretter mais, sur le plan international, elle a perdu de sa portée.

Je précise à toutes fins utiles que l’intitulé « La question de l’île comorienne de Mayotte » n’est pas de mon fait. C’est le choix de l’Assemblée générale de l’ONU, qui désigne cette question de manière totalement provocante.

M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, maître de conférences en droit public et vice-doyen de la faculté de droit et d’économie de la Réunion. En tant qu’ancien docteur et thésard, je garde en mémoire les débats de 1975, rappelés par Thomas M’Saïdié, où les sentiments étaient partagés. Certains considéraient la question du maintien de Mayotte au sein de la République comme une question d’honneur, tandis que d’autres – je ne fais que citer le verbatim du Journal officiel de l’Assemblée nationale – se demandaient « s’il fallait compliquer la tâche du gouvernement pour quelques dizaines de milliers de Français dont il faudrait mieux se débarrasser ». Je suis toujours heureux de constater que, dans des commissions parlementaires et des assemblées, ces questions relatives à Mayotte restent vivaces et permettent des discussions.

Comme vous l’avez indiqué en introduction, j’ai proposé de prendre un léger recul par rapport aux deux autres intervenants, chargés d’aborder les questions relatives au droit international. J’ai choisi de me concentrer sur le statut européen de l’île, souvent méconnu mais qui, à mon sens, renferme des potentialités pour la résolution du litige franco-comorien sur Mayotte et pour le développement de l’île. Je vais procéder comme un étudiant, en vous annonçant un plan. Je vais d’abord aborder les statuts européens des territoires d’outre-mer, puis l’implication de ce type de statuts sur Mayotte et, enfin, je terminerai par quelques observations.

En 1957, lors de la mise en place du marché commun, la position française était claire il s’agissait d’intégrer les colonies et de trouver un moyen d’associer ces territoires au futur marché commun. Deux choix ont été proposés à ces territoires. D’un côté, certains territoires étaient amenés à intégrer la République et le marché commun. Les territoires appelés « les quatre vieilles » incluaient ainsi la Réunion, la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, ainsi que l’Algérie avant son indépendance. Certains territoires ont été placés dans un sas de décompression car ils étaient destinés à évoluer vers l’indépendance : ces territoires ont été classés sous l’appellation de « pays et territoires d’outre-mer » (PTOM).

Entre 1957 et 2014, Mayotte appartenait à cette catégorie. Quelles en étaient les conséquences directes ? Le droit de l’Union européenne, autrefois appelé le droit communautaire, ne s’appliquait pas dans ces territoires. De plus, ces territoires n’étaient pas considérés comme européens mais simplement associés à la communauté. Ils étaient assimilés à des États tiers, ce qui signifiait que, jusqu’en 2014, Mayotte était traitée de la même manière que les archipels des Comores par les institutions européennes, notamment en termes de dialogue, de prise en compte et de financement du développement.

Depuis 2014, Mayotte est devenue une région ultrapériphérique. Il est important de préciser que cette transformation n’était pas dictée par la départementalisation. L’île aurait pu rester un PTOM. Par exemple, Saint-Barthélemy possède ce statut de région ultrapériphérique et Saint-Martin le possède sur une partie de l’île. La départementalisation ne signifiait donc pas automatiquement une inclusion au sein de l’Union européenne. Cependant, cette inclusion a été décidée. Pourquoi cette situation change-t-elle ? Depuis 2014, Mayotte est une région ultrapériphérique, donc une région européenne.

Convoiter un territoire non européen est une chose mais convoiter un territoire européen en est une autre. C’est pourquoi je m’étonne du silence de l’Union européenne et des différentes instances sur cette question. En tant que région européenne, Mayotte bénéficie de l’application du droit de l’Union, certes adaptée mais pleine et entière. De plus, l’île profite des fonds et des subventions européens, ce qui a considérablement augmenté le financement de son développement. Entre 2008 et 2014, en tant que pays et territoire d’outre-mer, Mayotte percevait 22 millions d’euros de fonds européens. Pour la période 2020-2027, ce montant s’élève à 470 millions d’euros. Cela démontre que le statut de région ultrapériphérique favorise le développement de ce territoire.

Sur les points d’attention, notamment en lien avec les relations entre les Comores et Mayotte, le statut européen permet d’envisager le développement économique de ces territoires. Trois éléments ont été envisagés. Premièrement, la gestion des fonds européens à Mayotte. Deuxièmement, le rôle de Frontex, sujet d’intérêt pour votre commission, notamment à travers les rapports de M. le président Laurent Marcangeli et Mme Estelle Youssouffa. Troisièmement, le programme Interreg.

Concernant la gestion des fonds européens, le passage au statut européen a considérablement augmenté les fonds à gérer par Mayotte. Actuellement, cette gestion est assurée par un groupement d’intérêt public (GIP), piloté tantôt par le préfet, tantôt par le président du conseil départemental. Cette structure assure la pérennité et la stabilité des fonds européens et du développement de Mayotte. En ce qui concerne Interreg, la coopération territoriale européenne est mobilisée à travers ce programme, financé en partie par le fonds européen de développement régional. Ce programme permet aux régions ultrapériphériques de coopérer avec les pays et territoires voisins. Ce fonds devrait permettre à Mayotte de coopérer, notamment, avec l’État des Comores. Il existe également le programme Interreg qui, dans le canal du Mozambique, facilite la coopération entre les Seychelles, la Tanzanie, le Mozambique, Mayotte et les Comores. Cela entraîne certaines contradictions, à mon sens, car comment l’archipel des Comores pourrait-il accepter de coopérer avec un territoire qu’il considère comme sien ? Il s’agit d’un point de négociation pour l’État français. Une conditionnalité pourrait être mise en œuvre. J’ai expliqué que le versement des fonds européens pourrait être conditionné à une réaction plus cohérente des institutions européennes sur cette question territoriale. Deuxièmement, la coopération territoriale européenne nécessite l’implication des institutions européennes. Ces institutions doivent porter la voix de l’Union européenne, et non seulement celle de la France.

Concernant Frontex, je rappelle que les territoires ultramarins des États membres ne font pas partie de l’espace Schengen. Les accords de Schengen ne s’appliquent pas dans ces régions ultrapériphériques et elles ne sont donc pas intégrées dans le périmètre de l’agence européenne Frontex. Frontex a pour mission d’intervenir sur l’ensemble de l’espace Schengen afin de garantir la sécurité aux frontières extérieures de l’Union européenne. Bien que cela ne soit pas prévu, ce n’est pas pour autant interdit. Une mobilisation parlementaire et gouvernementale serait nécessaire pour que le champ géographique des opérations de retour des migrants irréguliers inclue Mayotte car aucun texte juridique ne l’interdit actuellement. Il serait également envisageable de mobiliser le Fonds asile, migration et intégration (FAMI), qui vise à contribuer à une gestion efficace des flux migratoires. Une réaction gouvernementale et parlementaire permettrait d’intégrer ces dispositifs au bénéfice de Mayotte. Voilà ce que je peux indiquer à ce stade.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci Messieurs. Les orateurs des groupes politiques vont à présent s’exprimer et vous interroger.

Mme Béatrice Piron (RE). Pour rappel, Mayotte est un petit archipel volcanique de 374 kilomètres carrés, situé entre Madagascar et l’Afrique, composé de deux îles principales et d’une trentaine de petits îlots dans un vaste lagon de 1 500 kilomètres carrés. Cet archipel, partie orientale des Comores, est devenu une colonie française en 1843, avec l’abolition de l’esclavage en 1846 et un rattachement à la colonie de Madagascar en 1912. En 1946, les Comores ont obtenu le statut de territoire d’outre-mer (TOM). Lors du référendum de 1974 sur l’indépendance des Comores, Mayotte a voté massivement pour rester française, décision confirmée par un second référendum en 1975. Plusieurs lois ont réaffirmé son statut au sein de la République française. En 2000, 73 % des Mahorais ont soutenu un nouveau statut pour transformer Mayotte en collectivité départementale d’outre-mer, formalisé par la loi de 2001. En 2009, 95 % des Mahorais ont voté pour la départementalisation et Mayotte est devenue le 101e département français en 2011.

Malgré ce statut, Mayotte demeure le département le plus pauvre de France, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant d’environ 10 000 euros et 77 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté. L’archipel connaît actuellement une forte immigration en provenance des Comores et de Madagascar, contribuant à une situation socio-économique difficile. Le statut international de Mayotte reste controversé. Malgré le droit à l’autodétermination librement exprimé à plusieurs reprises, la communauté internationale n’a pas officiellement reconnu le rattachement de Mayotte à la France, considérant que cela contredit notamment le principe de décolonisation dans les anciennes frontières pour préserver l’intégrité territoriale d’un pays.

Entre 1976 et 1994, l’ONU a adopté quatorze résolutions concernant « l’île comorienne » de Mayotte, à la demande des Comores et en opposition à la position française. La France soutient que l’indépendance des Comores et le maintien de Mayotte au sein de la République française sont conformes au droit international de décolonisation. Elle affirme que Mayotte n’a pas été séparée d’un État indépendant aux frontières reconnues et que la population de Mayotte a librement refusé l’indépendance choisie par les autres îles de l’archipel. Depuis l’admission des Comores à l’ONU en 1975, la France a respecté cette admission tout en préservant l’intégrité territoriale des Comores. Ainsi, après cinquante ans, peut-on affirmer que la singularité juridique de Mayotte est toujours menacée ? En d’autres termes, quels sont les pays de la communauté internationale qui soutiennent actuellement les Comores ?

M. Thomas M’Saïdié. La singularité juridique de Mayotte est-elle toujours en danger ? Cela dépend de la perspective adoptée. Du point de vue de la France, cette singularité n’est pas menacée pour une raison très simple : elle a respecté son droit constitutionnel. Il est important de rappeler un détail souvent négligé. La Cour internationale de justice, lorsqu’elle évoque le principe de l’uti possidetis juris, précise que le terme juris ne renvoie pas au droit international mais au droit national ou administratif de l’État souverain. La France s’est appuyée sur son droit constitutionnel pour mener à bien la décolonisation, malgré les difficultés rencontrées. En conséquence, on ne peut reprocher à un pays souverain d’appliquer son ordre constitutionnel à des entités sous sa souveraineté. En l’occurrence, c’est l’article 53 de la Constitution qui s’applique. Cet article stipule clairement que nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoires n’est valable sans le consentement des populations intéressées. En consultant toutes les populations composant l’archipel des Comores, la France a respecté non seulement sa Constitution mais aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Partant d’un point de vue juridique français, je tiens à souligner que la singularité de Mayotte n’est absolument pas menacée.

Sur le plan international, en réalité, ce sont les nombreuses résolutions adoptées qui méritent notre attention. Le président a rappelé qu’il y en a eu dix-huit au cours des vingt dernières années. Si l’on ajoute les deux résolutions précédant l’opération électorale du référendum, cela porte le total à vingt. Ces résolutions, cependant, n’ont produit aucun effet particulier. Depuis 1995, le sujet n’est plus débattu sur la scène internationale. Sur le plan international, ce sujet ne suscite aucun intérêt particulier, sauf pour les Comores, à l’intérieur de leur territoire. En revanche, les Comores bénéficient du soutien de plusieurs partenaires au sein de l’Union africaine, ce qui signifie que presque tous les pays africains les soutiennent. Certains de ces pays entretiennent des relations assez tendues avec la France et, sur cette base, ils se penchent pour apporter leur soutien à l’Union des Comores. Au niveau européen, alors qu’au début des colonisations certains États européens étaient opposés, l’Union européenne, comme l’a mentionné M. Rakotondrahaso, apporte désormais son soutien. En effet, Mayotte fait pleinement partie du territoire de l’Europe.

M. Michel Guiniot (RN). Mayotte possède un statut particulier, tant au regard du droit international que du droit national. En tant que 101e département d’outre-mer, défini par l’article 73 de la Constitution, Mayotte est également une région ultrapériphérique de l’Union européenne depuis 2014. Ce statut lui permet de bénéficier des fonds européens pour son développement socio-économique et environnemental. Contrairement aux Comores qui ont proclamé leur indépendance en 1975, Mayotte a choisi en 1976, avec plus de 99 % des Mahorais, de rester française tout en conservant certaines particularités.

Juridiquement, le principe d’assimilation ou d’identité législative prévu à l’article 73 de la Constitution s’applique à Mayotte. L’article 75 de la Constitution reconnaît même la possibilité de déroger au statut civil de droit commun en maintenant un statut personnel. Cependant, au niveau du droit international public, la légitimité française sur Mayotte est contestée. En raison de sa nature horizontale, le droit international permet ces contestations. L’archipel des Comores revendique l’appartenance de Mayotte à son territoire, et l’ONU condamne régulièrement la France pour occupation et gouvernance illégale de Mayotte. Cette instabilité contribue à accentuer la migration illégale, la délinquance juvénile et l’insalubrité sanitaire sur l’île.

Aujourd’hui, la France investit pleinement sur son territoire pour aider les populations à faire face aux défis sanitaires et sécuritaires. Mayotte est française et nous défendons notre territoire, ce qui constitue un enjeu de souveraineté. De plus, le pacte de l’Union européenne sur la migration, voté au Parlement européen, risque d’aggraver la situation.

En tant qu’experts reconnus, pouvez-vous nous indiquer si la position de l’ONU sur le statut de Mayotte tend toujours vers une résolution de la contestation devant les juridictions internationales ? Les Nations Unies devraient faire cesser les revendications des Comores sur notre territoire pour que nous puissions agir concrètement pour la défense de nos compatriotes d’outre-mer et pour l’intégrité de notre territoire.

M. Thomas M’Saïdié. Un principe fondamental du droit international consiste à ne pas contraindre les États à régler un différend devant une juridiction internationale sans leur consentement. Ainsi, cette affaire ne peut être portée devant la Cour internationale de justice sans l’accord de la France et des Comores. Cependant, il existe un précédent pertinent, comme l’a rappelé le sous-directeur du droit international public au ministère de l’Europe et des affaires étrangères : l’avis, rendu en 2019, concernant les Chagos. Sur la base de cet avis, nous pouvons formuler des observations éclairantes. Le Royaume-Uni a été condamné par la Cour internationale de justice pour ne pas avoir permis aux populations chagossiennes d’exercer librement leur volonté, en l’absence de référendum.

Contrairement à cette situation, personne ne peut contester la libre expression authentique des Mahorais, qui s’est manifestée à plusieurs reprises. En 1974, les résultats étaient très clairs. En février et avril 1976, ainsi qu’en 2000, en 2009, les consultations ont confirmé cette volonté. De plus, il convient de rappeler le référendum de septembre 1958 portant sur la Constitution, où le rejet du référendum entraînait mécaniquement la sortie du territoire concerné et son accession à l’indépendance, comme ce fut le cas pour la Guinée. On ne peut donc reprocher à la France d’avoir mis en œuvre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au profit de Mayotte. C’est un principe fondamental.

M. Nabil Hajjami. Permettez-moi de préciser un point concernant les actions des Nations Unies. En effet, depuis 1995, l’Assemblée générale des Nations Unies n’a pas adopté de résolution sur ce sujet. Cela résulte d’un consensus ou d’un compromis entre la France et les Comores, reconnaissant que ces résolutions régulières et souvent vindicatives ne permettront pas d’améliorer la situation ni de résoudre le différend. Il est important de rappeler que les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies sont formellement des recommandations et n’ont aucune valeur contraignante pour les États. La position de la France aux Nations Unies vise à faciliter le dialogue bilatéral avec les Comores.

À titre d’exemple, en 1975, lors de l’adhésion des Comores à l’ONU, il était nécessaire d’obtenir une recommandation du Conseil de sécurité suivie d’une résolution de l’Assemblée générale. Or, les résolutions du Conseil de sécurité peuvent être soumises au veto des cinq membres permanents. En 1975, la France a choisi de ne pas participer au vote de la résolution 376, qui a été adoptée par quatorze voix pour, zéro abstention et zéro contre. Cette décision illustre la volonté de la France de privilégier une position équilibrée et de favoriser le dialogue plutôt que la confrontation.

Un autre point important est que l’Assemblée générale des Nations Unies maintient une liste des territoires non autonomes, ceux qui peuvent revendiquer un droit à l’autodétermination. Mayotte ne figure pas sur cette liste, ce qui induit un statut distinct par rapport à d’autres territoires non autonomes traités par l’Assemblée générale dans ses résolutions.

M. Thomas M’Saïdié. Je souhaite rectifier un point qui découle en réalité de la propagande comorienne. Vous avez mentionné précédemment que la France fait l’objet de plusieurs condamnations. Cet argument est totalement erroné. Permettez-moi d’employer le terme fallacieux au regard de la politique menée par les Comores : en réalité, la France n’a été « condamnée » qu’une seule fois, en 1976, par la résolution 34. Depuis cette condamnation, aucune autre n’a été prononcée par l’ONU. De plus, il s’agissait de l’Assemblée générale de l’ONU, dont les résolutions n’ont aucune portée contraignante.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ce qui est fascinant dans cette affaire, c’est la réduction simultanée de l’injonction et de l’agressivité, comme vous l’avez signalé précédemment. Cela constitue un signe de détente intéressant à observer.

Mme Ersilia Soudais (LFI - NUPES). Les choix politiques actuels du Gouvernement réduisent les enjeux de Mayotte à une simple question sécuritaire et xénophobe. Ils renforcent et multiplient les autorisations spéciales dans ce département où près de la moitié des habitants est considérée comme étrangère. Ces mesures sont vivement critiquées par les collectifs de citoyens, qui dénoncent le visa territorialisé et la tentative de suppression du droit du sol dans la Constitution. Elles isolent Mayotte du reste de la République. Le Gouvernement attise les tensions au lieu de répondre concrètement aux besoins d’une population qui avait décidé de faire confiance à la France lors du référendum de 1974.

Les récentes mobilisations des Mahorais révèlent un ras-le-bol ambiant : un ras-le-bol général des inégalités insupportables, ras-le-bol de la saturation totale des services publics, mais surtout ras-le-bol de la trahison de la France, qui traite toujours les territoires d’outre-mer comme des colonies à exploiter sans garantir une égalité d’accès aux droits.

Est-il normal qu’en 2023, plus de 15 000 enfants n’aient pas accès à une scolarité classique à Mayotte en raison de la saturation des écoles ? Est-il normal que des crises récurrentes de l’eau potable persistent à Mayotte ? Est-il normal que la population mahoraise soit exposée à des risques sanitaires accrus ? Comme le souligne Françoise Vergès, la décolonisation n’a pas mis fin au colonialisme. Pourquoi cela se passe-t-il dans la plus grande indifférence ? Parce que Mayotte est majoritairement composée de personnes noires et musulmanes. L’État français, dans son islamophobie systémique et sa négrophobie historique, traite toujours les personnes racisées comme des citoyens de seconde zone, de Paris à Mamoudzou.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je suis quelque peu embarrassé par votre question, Madame la députée, car nos invités n’ont pas été conviés pour répondre à cette interrogation, qui est pourtant très importante. Il s’agit de déterminer le comportement de l’État français dans ce département. Cette question ne relève ni de la compétence de notre commission, ni de celle de nos interlocuteurs. Je crois que vous devrez la poser dans d’autres instances. Mme la future rapporteure du projet de loi constitutionnelle de la commission des lois, présente parmi nous ce matin et que je salue, pourra elle-même aborder le problème intérieur de Mayotte. Ce sera sans doute un cadre plus approprié pour répondre à vos légitimes interrogations.

M. Bruno Fuchs (Dem). La question qui nous réunit ce matin est essentielle du point de vue du droit international mais aussi de celui de la situation des populations sur l’île. Depuis quarante ans, ce territoire incarne la contradiction entre deux principes du droit international : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que la France a bien sûr revendiqué, comme vous l’avez expliqué, et le principe selon lequel une décolonisation doit respecter les anciennes frontières pour préserver l’intégrité territoriale d’un pays. C’est en vertu de ce principe que l’Assemblée générale de l’ONU a réaffirmé, pendant dix-huit ans, la souveraineté des Comores sur Mayotte, bien que – comme vous l’avez précisé – avec de moins en moins de vigueur.

La situation sécuritaire, migratoire, de santé publique, l’accès à l’eau et l’enseignement public à Mayotte sont préoccupants. La population de l’île souffre et son statut actuel ne contribue pas à améliorer les choses. Par exemple, la France ne parvient toujours pas à faire bénéficier Mayotte des projets menés par la commission de l’océan Indien (COI), ce qui crée un paradoxe regrettable. Les citoyens français vivant à la Réunion bénéficient des projets de la COI, tandis que ceux de Mayotte, également français, en bénéficient peu ou très marginalement. Cela engendre une forme d’inégalité entre citoyens au sein de notre propre pays. Dans ce contexte, j’ai particulièrement apprécié la suggestion d’élargir la problématique à l’échelle européenne.

Ma question politique est la suivante : quel conseil donneriez-vous pour renforcer la stratégie française afin de résoudre cette question ? Faut-il continuer, comme nous le faisons actuellement, en laissant les choses évoluer lentement et en voyant les acteurs perdre progressivement de leur vélocité sur cette question ? Ou bien faut-il changer de stratégie pour clarifier rapidement ce point, notamment au bénéfice des populations locales ?

M. Nabil Hajjami. Notre vision de la suite est claire à ce stade : nous privilégions le dialogue. Ce processus est long et parfois complexe, avec des frictions et des enjeux qui compliquent singulièrement la situation. Cependant, selon la position du Quai d’Orsay, le dialogue bilatéral entre la France et les Comores doit être privilégié. Nous devons éviter de politiser le différend et empêcher que des tiers, dont les intérêts ne correspondent pas nécessairement à ceux des populations locales, interviennent. Il est également important de ne pas porter ce différend dans des institutions multilatérales. Dans le cadre d’un dialogue le plus serein possible, nous devons chercher à aboutir à une solution tout en préservant nos lignes rouges, à savoir la souveraineté française sur Mayotte.

Je suis conscient que ma réponse peut sembler décevante mais notre position sur ce point est très claire : nous devons vraiment privilégier le dialogue bilatéral avec les Comores.

M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso. Je réitère que, concernant l’élargissement de Frontex au territoire mahorais, il n’existe aucun obstacle juridique. Il est surprenant que cette question soit soulevée depuis plusieurs années sans qu’aucune action concrète ne soit entreprise. Le seul obstacle que je perçois est une certaine timidité politique de la part du gouvernement français.

Cependant, il est légitime de se demander s’il ne faudrait pas en faire davantage. Je pense qu’il est possible d’agir plus mais cela doit évidemment relever d’une décision politique car, sur le plan juridique, rien n’empêche cette mise en œuvre.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je tiens à saluer l’arrivée de la députée de Mayotte. Si Mme Estelle Youssouffa n’était pas présente jusqu’à présent, ce n’est pas par manque d’intérêt ; un sujet comme celui-ci la passionne assurément. Mme Youssouffa a été retenue par une réunion dans une autre commission importante. Elle avait souhaité que nous déplacions la date pour pouvoir participer pleinement mais cela n’a pas été possible. Je suis donc heureux de sa présence.

M. Guillaume Garot (SOC). Vous l’avez tous souligné, les contestations persistent depuis 1975, année de l’indépendance des Comores, et ces revendications ont été soutenues à l’ONU. Je souhaite évoquer le contexte socio-économique actuel des Comores car les défis y sont considérables, notamment en ce qui concerne la présence des services publics et l’égalité, non seulement en droit mais de fait, envers les autres citoyens de la République. Je voudrais rappeler deux chiffres significatifs : 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et 30 % sont sans emploi. Je parle ici de Mayotte. Ces chiffres montrent que la République doit s’engager financièrement, matériellement et économiquement envers les citoyens de Mayotte pour que la volonté gouvernementale de faire nation sur ce territoire se traduise en actes concrets, offrant ainsi un espoir aux populations locales.

Par ailleurs, en ce qui concerne les Comores, le représentant du ministère de l’Europe et des affaires étrangères a évoqué un consensus, un statu quo. La France a constamment œuvré pour éviter l’envenimement de la situation et pour maintenir des relations bilatérales fluides et sereines avec les Comores. Ma question est donc simple : à l’approche d’un projet de loi remettant en cause le droit du sol à Mayotte, n’y a-t-il pas un risque de raviver des tensions et des conflits avec les Comores ? Cette question est à la fois juridique et éminemment politique.

M. Thomas M’Saïdié. Chaque fois que l’État entreprend une action à Mayotte, un risque existe. En 1976, lorsque l’État français a voulu clarifier la situation de Mayotte, un risque était présent. Souvenez-vous, le 12 mai 1976, un projet de loi a été présenté à l’Assemblée pour faire de Mayotte un département français. Cela n’a pas abouti car les Comoriens s’y sont opposés. En 2009, lorsque Mayotte a opté pour le statut de département régi par l’article 73 de la Constitution, les Comoriens ont de nouveau manifesté leur mécontentement. En 2014, lorsque Mayotte est devenue une région ultrapériphérique, les Comoriens ont continué à protester. Maintenant que l’État français souhaite régler la situation migratoire chaotique de l’île, les Comoriens s’agitent encore. Si nous devions tenir compte du comportement des Comoriens pour agir à Mayotte, nous n’agirions jamais.

Je rappelle que nous faisons face à une entité infra-étatique relevant de la souveraineté de l’État. Les préoccupations externes ne doivent pas peser dans la balance. Il est vrai que l’État doit veiller à un apaisement au sein de la région mais cela ne doit pas être une préoccupation majeure, surtout quand on sait que les Comoriens agitent la question de Mayotte à chaque occasion. Ils cherchent à faire du chantage à la France. C’est un fait indéniable. Je le répète, cette question à l’intérieur des Comores est pertinente et demeurera inaccessible. Dans vingt ans, dans trente ans, nous entendrons encore parler de cette situation. Nous ne résoudrons pas la situation de Mayotte si nous devons systématiquement tenir compte des positions des Comores.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie. Vous me faites penser à la devise que je tiens du président Edgar Faure : « La politique ne consiste pas à résoudre des problèmes mais à vivre avec des problèmes insolubles ».

M. Jean-Paul Lecoq (GDR - NUPES). Pour ma part, je ne partage pas vos analyses. Contrairement à vous, je ne dispose que de 150 secondes de temps de parole pour développer une antithèse, ce qui est impossible. Vous ne feriez jamais cela avec vos élèves ou dans un débat. J’espérais qu’une table ronde permettrait l’expression de la thèse et de l’antithèse mais ce n’est pas le cas dans notre commission, ni dans notre démocratie actuellement.

Je me concentrerai sur les droits internationaux. Même si la situation s’apaise, il existe des raisons pour lesquelles l’ONU est actuellement bloquée. Il est difficile, voire impossible, d’obtenir une résolution contraignante au Conseil de sécurité car la France, disposant du droit de veto, ne voterait jamais une résolution contre elle-même. Vous pouvez qualifier les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies comme vous le souhaitez mais je les respecte, tout comme je respecte l’État des Comores.

Je pense qu’aujourd’hui, il est nécessaire de trouver une solution car, en toutes circonstances, les habitants de Mayotte vivent actuellement dans des conditions difficiles. Peut-être qu’une voie originale pourrait être envisagée, bien que je n’en sois pas certain ? Lorsqu’on refuse de résoudre, de la part de la France, le conflit du Sahara occidental, à qui il est promis un référendum d’autodétermination, on évoque parfois la possibilité d’une troisième voie. Cette troisième voie pourrait-elle être inventée pour garantir le respect du droit international et améliorer les conditions de vie à Mayotte ? Imaginez-vous, pensez-vous qu’il soit possible – je ne sais pas si cela existe mais peut-être pourrait-on l’expérimenter – d’envisager une cogestion de Mayotte entre les Comores et la France ? Dans le cadre d’une troisième voie, ne serait-il pas nécessaire, face à ces conflits gelés, de faire preuve d’imagination ? Mes 150 secondes sont écoulées, je m’arrête ici !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avons cherché à consulter des juristes capables de représenter la diversité des points de vue. Cependant, nous avons rencontré des difficultés à trouver des experts s’écartant des opinions déjà exprimées. Néanmoins, sur d’autres dossiers, vos positions sont plus aisément défendables juridiquement.

M. Thomas M’Saïdié. Affirmer que nous qualifions les résolutions de l’ONU de manière insolente, c’est méconnaître leur valeur juridique. Ce n’est pas M. M’Saïdié qui les qualifie ainsi mais le droit international, qui stipule clairement que les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU sont dépourvues de toute portée contraignante. C’est un fait indéniable. En droit national, la situation est similaire, ces résolutions n’ont aucune portée contraignante, que ce soit en droit français ou en droit comorien. L’article 55 de la Constitution, que j’ai mentionné précédemment, encadre cette question. On ne peut pas se baser sur un texte dépourvu de force juridique pour résoudre un problème juridique.

Sur le plan politique, envisager une administration commune est une proposition récurrente de l’Union des Comores mais toujours conditionnée à ce que la France aide les Comores à rattraper leur retard. C’est une stratégie visant à inciter la France à développer les Comores avant Mayotte. Je tiens à affirmer solennellement devant toute la représentation nationale que, même si la France n’était pas présente à Mayotte, les Mahorais n’accepteraient jamais que les Comores exercent une quelconque souveraineté sur eux. C’est une question de principe, soutenue par des raisons historiques, objectives et défendables. Je m’arrêterai là car votre question avait surtout une connotation politique, qui échappe à mon expertise en tant que juriste.

Mme Estelle Youssouffa (IOT). M. le président, je vous prie de pardonner mon retard. J’étais en commission des lois pour défendre une mise à jour d’une loi visant à reconnaître Mayotte comme département français, une loi initialement rédigée par Aimé Césaire.

En 2024, l’inertie n’est plus envisageable concernant Mayotte. La situation internationale nous impose de reconsidérer le conflit et les revendications des Comores à l’égard de Mayotte. Cette pression s’est intensifiée, avec un soutien ouvert de la Russie, de la Chine et de l’Azerbaïdjan, qui sont passés des déclarations à une ingérence active et à une déstabilisation à Mayotte. Notre commission ne peut ignorer cette évolution et doit intégrer cette nouvelle donne internationale dans la mise à jour de la position du Quai d’Orsay concernant Mayotte.

Nous ne sommes plus à l’époque de la guerre froide, période durant laquelle les Comores ont obtenu leur indépendance. Nous évoluons désormais dans un monde nouveau. Le Quai d’Orsay défend la position d’accommodement et il amadoue. Il y a quelques mois, je me suis rendue à New York pour discuter avec notre représentant permanent aux Nations Unies : celui-ci m’y a expliqué qu’il existait un gentlemen’s agreement entre la France et les Comores, des relations tout à fait cordiales entre nos deux pays et que, finalement, le Quai d’Orsay se satisfaisait du fait que les Comores n’allaient plus proposer de résolution pour réclamer Mayotte à l’Assemblée générale. J’ai exprimé notre souhait, en tant qu’élus mahorais, de défendre la Mayotte française à l’Assemblée générale, auprès de la communauté internationale. Au fur et à mesure que l’influence de la France décline, nous, à Mayotte, sommes de plus en plus attaqués.

Il n’est pas envisageable de continuer à maintenir ce discours en affirmant que, en durcissant le ton vis-à-vis des Comores, nous ne pourrons plus procéder aux reconduites à la frontière. J’ai déjà démontré, chiffres à l’appui, que depuis l’accord de coopération entre la France et les Comores en 2019, le nombre de reconduites à la frontière a diminué. Les centaines de millions d’euros investis pour financer le développement des Comores ont été détournés par les dirigeants, puisque les Comores figurent parmi les pays les plus corrompus au monde.

Les présentations de nos collègues et des experts ont montré que non seulement il n’existe aucune base juridique pour défendre une souveraineté hypothétique des Comores sur Mayotte mais que cela va également à l’encontre de la volonté exprimée démocratiquement à de multiples reprises par nous, Mahorais, vos compatriotes. Ce discours prônant une cogestion est inacceptable. En 2017, une proposition de cogestion a été émise et la population de Mayotte est massivement descendue dans la rue pour rejeter toute idée de cogestion et de cohabitation avec les Comores. Cela n’a jamais été notre choix et ne le sera jamais ! Nous préférons mourir Français que de devenir Comoriens.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez un rapport très particulier à ce dossier et, de plus, vous ne posez pas de questions, ce qui est tout à fait normal puisque vous avez l’ambition d’apporter des réponses. Je ne crois donc pas que nos invités aient à vous répondre.

À présent que les orateurs des groupes se sont exprimés, plusieurs collègues vont intervenir et poser des questions à titre individuel.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Mayotte, exception au processus de décolonisation, a su résister au sens de l’histoire en réaffirmant constamment son souhait de rester française. Si la France revendique volontiers ses droits sur Mayotte, elle a également des obligations envers les Mahorais.

La pression migratoire exercée par les Comores pour revendiquer le territoire engendre une insécurité intolérable. La situation à Mayotte reflète également un abandon de l’État français en matière de services publics, notamment avec la crise de l’eau qui a des conséquences insupportables sur la vie quotidienne, ainsi que le sous-développement des moyens de transport. Cet abandon se traduit concrètement par un niveau de vie des Mahorais sept fois inférieur à la moyenne française. On observe trois fois moins de diplômés et trois fois plus d’inactifs.

M. M’Saïdié, j’ai deux questions. Quel est votre ressenti concernant les attentes des Mahorais sur une possible évolution du statut de l’archipel ? Revenir sur le droit du sol à Mayotte vous paraît-il de nature à répondre aux revendications mahoraises ?

M. Thomas M’Saïdié. Je vais aborder la deuxième question concernant le droit du sol à Mayotte. Historiquement, ce droit n’a pas toujours été appliqué dans cette région. Son application effective a débuté en 1993. Jusqu’alors, l’absence de ce droit n’avait suscité aucune réaction au niveau national. Aujourd’hui, Mayotte fait face à une pression migratoire d’une intensité exceptionnelle, sans précédent. Parmi les solutions innovantes proposées, figure la suppression du droit du sol par le biais d’une révision constitutionnelle. Bien que cette procédure soit délicate et que les chances de succès soient compromises, il est important de noter que cette proposition a reçu un accueil favorable de la part des Mahorais. Elle vise à contrer la stratégie irrédentiste des Comores, qui cherchent à récupérer Mayotte par le biais d’un repeuplement. Cette situation est totalement inédite.

Concernant la première question sur les évolutions statutaires, je précise clairement que, malgré les enjeux et défis considérables auxquels Mayotte est confrontée, la question statutaire n’est pas prioritaire. Un bon statut ne garantit pas le bien-être des Mahorais mais un mauvais statut peut contribuer à leur malheur. Nous demandons simplement l’application des normes et que l’État assume pleinement ses compétences régaliennes. Il est évident que l’État présente des carences dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la protection des frontières, qui relève de sa compétence. L’État doit s’engager très clairement pour combler cette carence.

Mayotte est un département et un territoire soumis aux dispositions de l’article 73 de la Constitution depuis 2010. La loi du 7 décembre 2010, effective depuis 2011, confère à Mayotte une double compétence régionale et départementale. Cependant, le volet régional est totalement ignoré, probablement en raison de l’appellation de collectivité départementale de Mayotte, qui occulte cette dimension régionale. Il n’existe aucun transfert de dotations correspondant à l’exercice des compétences régionales, bien que cela constitue une exigence constitutionnelle. Il suffirait que l’État respecte ces exigences constitutionnelles et exerce ses compétences régaliennes pour permettre à Mayotte de connaître un avenir moins dramatique. Avant d’aborder la question de l’évolution statutaire, il est important de noter que cette question n’a pas la même acuité qu’aux Antilles ou en Nouvelle-Calédonie.

Mme Élodie Jacquier-Laforge (Dem). Je remercie la commission des affaires étrangères d’avoir organisé cette table ronde, qui pourra s’avérer utile dans la perspective des débats parlementaires sur les projets de lois constitutionnelle et ordinaire relatifs à Mayotte. J’aimerais poser une question spécifique concernant le statut européen. Je souhaiterais en effet aborder en détail les implications de celui-ci, notamment en ce qui concerne les récentes modifications législatives et leur impact sur notre politique étrangère.

À cet égard, plusieurs points importants me paraissent devoir être évoqués. Tout d’abord, j’aimerais que M. Rakotondrahaso approfondisse son exposé liminaire, en particulier sur la question des fonds européens. Il serait utile de préciser la qualité et la quantité de ces fonds européens mobilisables, ainsi que la hausse substantielle observée. Si j’ai bien compris, nous sommes passés de 22 à 470 millions d’euros. Je souhaiterais connaître les détails de cette augmentation. Ensuite, concernant Frontex, j’ai apprécié votre remarque selon laquelle même si cela n’est pas prévu, cela n’est pas interdit. Pouvez-vous développer cette idée davantage ? Enfin, en ce qui concerne la coopération interrégionale et le Fonds asile, migration et intégration, pourriez-vous nous fournir des précisions supplémentaires sur ces sujets ?

M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso. Je vais répondre en plusieurs temps à la question des fonds européens. Jusqu’en 2014, Mayotte était un pays et territoire d’outre-mer, associé à l’Union européenne mais exclu du territoire européen et financé par le fonds européen de développement. Pendant une cinquantaine d’années, ce financement était intégré dans celui des pays Afrique, Caraïbe, Pacifique (ACP). Il existait une relation extérieure particulière entre l’Union européenne et ce territoire. Les fonds ont servi principalement à des équipements de base, tels que l’électrification et l’approvisionnement en eau, dans une approche d’assistance au développement minimal.

Depuis le passage au statut de région ultrapériphérique en 2014, ce changement a été perçu par le gouvernement français et les autorités locales comme une conséquence naturelle et automatique de la départementalisation. Or, cela n’était pas évident. Il aurait été pertinent de réaliser un bilan coûts / avantages pour évaluer la pertinence de ce statut, comme l’a fait Saint-Barthélemy, afin de déterminer le statut le mieux adapté. Je ne dis pas que le statut de région ultrapériphérique est inadapté à Mayotte mais il aurait été intéressant de procéder à une telle évaluation.

Concernant les fonds perçus, Mayotte bénéficie des mêmes fonds que les autres régions ultrapériphériques : le fonds européen de développement régional (FEDER), le fonds social européen (FSE) et le fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA). Sur ce plan, Mayotte est traitée de manière équitable par rapport aux autres régions ultrapériphériques. J’attire l’attention de la commission sur un problème récurrent lié à l’ingénierie. Lorsque les fonds européens étaient gérés exclusivement par la préfecture, le turn-over au sein de cette institution entraînait un suivi insuffisant des dossiers, rendant difficile la consommation des fonds disponibles.

Sur la question de Frontex, je tiens à rappeler que cette question a été soulevée il y a environ cinq ans par M. le député Mansour Kamardine. À l’époque, le ministère des affaires étrangères ainsi que le ministère de l’intérieur y avaient apporté des réponses. Aucun obstacle juridique ne s’oppose à ce que Frontex, qui garantit la sécurité aux frontières extérieures de l’Union européenne, soit déployée sur le territoire de Mayotte. Le seul obstacle est d’ordre politique. Bien que cela ne soit pas mon domaine, je précise qu’il n’existe aucun obstacle juridique à ce sujet.

Concernant la coopération régionale et territoriale, le programme Interreg, qui en est à sa sixième version, existe depuis plusieurs décennies. Interreg comprend un volet consacré aux régions ultrapériphériques. Les institutions européennes permettent aux collectivités concernées de financer des projets de coopération. C’est le cas à la Réunion et à Mayotte. Si la Réunion souhaite établir des mécanismes de coopération avec Madagascar, cela est tout à fait possible via Interreg. Le même raisonnement s’applique à Mayotte. Cela va entraîner une schizophrénie au niveau des Comoriens. Comment ne pas coopérer avec un territoire estimé comme étant le vôtre ?

Mme la députée, vous avez souligné une réalité factuelle : le niveau de vie aux Comores est inférieur à celui de Mayotte. Les fonds injectés dans l’archipel des Comores ne sont pas traçables de manière assurée depuis vingt ans. Nous n’avons pas la preuve que ces fonds ont servi à des fins concrètes. La même interrogation se pose quant aux fonds européens injectés via Interreg pour la coopération entre Mayotte et les Comores : serviront-ils à financer des projets réels ?

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Comme l’a mentionné M. Hajjami, je souhaite rappeler que la Polynésie française a été réinscrite sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser depuis le 17 mai 2013. Je souhaite ardemment que la puissance administrante respecte la Charte des Nations Unies, ainsi que le processus de décolonisation prévu par la Quatrième commission. J’insiste pour que le représentant de la France à l’ONU ne quitte pas la commission lorsque le sujet de la Polynésie française est abordé. Je me permets de poser une question à M. Hajjami : quand la France prévoit-elle de discuter de cette question ? M. le président, notre commission pourrait se saisir de ce sujet, comme elle le fait actuellement pour Mayotte.

M. Nabil Hajjami. Le sujet abordé aujourd’hui ne correspond pas à celui pour lequel je suis présent. Par conséquent, je n’ai pas d’éléments pertinents à vous fournir à ce stade. Peut-être pourriez-vous envisager une nouvelle table ronde dédiée à ce thème spécifique ? Toutefois, je ne possède pas les qualifications nécessaires pour en discuter ici et je ne pense pas que ce soit le cadre approprié pour aborder cette question.

M. Alain David (SOC). Je souhaite revenir sur le plan Mayotte et les enjeux sociaux qui y sont liés. Le taux de pauvreté y dépasse toutes les limites soutenables. Sur le plan sanitaire, l’alimentation en eau publique est gravement défectueuse, ce qui engendre des problèmes majeurs. L’avenir de la jeunesse est marqué par de grandes incertitudes et par un sentiment d’abandon. Il est impératif de mettre en place un véritable plan pour Mayotte, afin d’améliorer les conditions sociales, d’élever le niveau de vie des populations et de les sortir des difficultés quotidiennes qu’elles rencontrent.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois que la situation décrite est largement ressentie et dénoncée sur différents bancs de cette Assemblée. Je ne pense pas qu’elle nécessite une intervention particulière de nos invités, sauf si, peut-être, M. Rakotondrahaso souhaite ajouter quelque chose. Ce problème est certes important mais il ne correspond pas exactement à notre sujet du jour.

Mme Mereana Reid Arbelot m’a interrogé au sujet de la Polynésie française et je pense, sous le contrôle d’Élodie Jacquier-Laforge, que cela relève plutôt de la compétence de la commission des lois. La Polynésie est un territoire sous souveraineté française et son évolution doit être envisagée dans le cadre des devoirs et droits de la République, plutôt que dans une perspective de relations internationales anticipant une situation non actuelle. Cela ne relève donc pas directement de notre compétence en tant que commission des affaires étrangères. Cependant, les questions posées, avec le talent et la conviction que l’on vous connaît, méritent véritablement d’être abordées au sein de l’Assemblée nationale.

Cette table ronde touche à sa fin. Je remercie infiniment nos trois intervenants pour les informations et analyses fournies. Personnellement, j’y vois plus clair qu’auparavant. La situation est très complexe mais vous avez démontré de manière convaincante la solidité juridique de la position de la France concernant le problème de Mayotte. Vous avez également souligné le caractère particulier de la mise en place de cette mécanique, qui semble être un héritage colonial. Ceux qui dénoncent cette dissociation de Mayotte par rapport à l’ensemble de l’archipel des Comores invoquent l’intégrité des frontières territoriales issues de la colonisation, ce qui est assez singulier. Ceux qui la pensent légitime invoquent un principe opposé, celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, malgré l’artifice des frontières coloniales. Nous sommes donc face à des arguments contradictoires.

La question centrale, exprimée par de nombreux collègues et notamment par Alain David, concerne la situation précaire de Mayotte, tant sur le plan matériel, politique qu’administratif. Indépendamment des questions de souveraineté et des revendications des Comores, le problème dominant reste celui du développement et de la réduction des inégalités sur l’île de Mayotte. Il est évident que les efforts actuels sont insuffisants. Je vous remercie pour vos éclaircissements sur ce dossier important, que nous continuerons à suivre de près. Si nous ne le faisions pas, Mme la députée de Mayotte nous rappellerait régulièrement, à n’en pas douter, l’importance de ce sujet.

 

La séance est levée à 11 h 00.

 

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Membres présents ou excusés

 

 

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, Mme Claire Guichard, M. Michel Guiniot, M. David Habib, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Didier Parakian, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Olivier Véran, Mme Laurence Vichnievsky, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, Mme Estelle Youssouffa

 

Excusés. - M. Bertrand Bouyx, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Mireille Clapot, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, Mme Caroline Janvier, M. Alexis Jolly, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Yaël Menache, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Michèle Tabarot, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Éric Woerth

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Christophe Naegelen, Mme Sabrina Sebaihi