Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sur les annulations de crédits du budget de l'État pour l'année 2024 2
– Information relative à la commission................31
– Présences en réunion...........................32
Mercredi
6 mars 2024
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 052
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La commission entend M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sur les annulations de crédits du budget de l’État pour l’année 2024.
M. le président Éric Coquerel. Je remercie M. Bruno Le Maire et M. Thomas Cazenave – à qui je souhaite un joyeux anniversaire – d’avoir répondu à la demande formulée conjointement avec le rapporteur général dès le mardi 20 février, lorsque Bruno Le Maire a annoncé d’importantes annulations de crédits, avant même la publication du décret. Je me montrerai un peu moins aimable dans la suite cette introduction, tout en restant courtois et républicain.
Avant de vous entendre sur le fond, je souhaite faire quelques remarques de forme. La première portera sur le taux de croissance annoncé au cours des discussions entourant le vote de la loi de finance. La plupart des institutions étaient beaucoup plus pessimistes que le Gouvernement. Dès l’introduction des débats, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) avait fait savoir par la voix de son président, M. Pierre Moscovici que le taux de croissance n’atteindrait pas 1,4 % – chiffre que vous aviez retenu. Au même moment, la Banque de France prévoyait 0,9 % et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) 0,8 %. Ces estimations faisaient alors consensus parmi les économistes. De nombreux députés, dont j’étais, avaient tenté de vous mettre en garde : le taux que vous indiquiez ne pourrait être atteint. Je me souviens que M. Bruno Le Maire affirmait que la réforme des retraites doperait la croissance française. Deux mois plus tard, vous êtes revenu à des estimations plus réalistes – quoique vous péchiez encore par optimisme. De deux choses l’une : soit vous le saviez et dans ce cas la construction du budget était insincère ; soit vous ne le saviez pas, et vous reconnaîtrez que ceux qui doutaient de ce chiffre avaient raison. Cela devrait vous encourager à tempérer votre assurance d’un peu d’humilité quand vous avancerez une analyse ou un raisonnement économique au cours de nos débats.
Il est important de vous auditionner au sujet de cette annulation. Je n’en conteste pas la légalité : correspondant à peu près à 1,3 % des crédits ouverts, le montant des annulations n’excède pas le plafond, fixé par la loi organique à 1,5 %. Dans un entretien accordé au Monde, vous rapportiez cependant vous-même l’annulation des 10 milliards, non au budget total dont elle ne représente effectivement que 1,3 %, mais au seul budget de l’État, dont elle représente près de 2,1 %. L’opération reste légale, mais constitue un record : il n’y a jamais eu d’annulation de crédits d’un tel montant – 10 milliards ! – sans projet de loi de finances rectificative (PLFR). Pour mémoire, la dernière loi de finances de fin de gestion concernait 7 milliards : nous en avons débattu à l’Assemblée. Le montant des annulations est tel qu’on peut considérer que nous avons sous les yeux un nouveau budget. Certes les lois de finances ne sont plus débattues, ni votées, mais je ne veux pas me rendre à cet argument cynique ; je tiens au contraire les débats budgétaires pour nécessaires et je ne crois pas être le seul. On nous dit qu’il y a urgence et que les oppositions auraient voté contre un projet de loi de finances rectificative, mais l’argument n’est pas recevable car le Parlement n’a pas pour fonction d’enregistrer des décisions prises à l’avance, et je regrette donc qu’il n’y ait pas de PLFR.
Bien qu’il soit moins grave, je signale un autre problème de forme. L’article 14 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du 1er août 2001 vous fait obligation d’informer, et non d’aviser, les deux commissions des finances, celle du Sénat et celle de l’Assemblée, des décrets d’annulation que vous prenez. De fait, un pli m’a été remis à zéro heure vingt-huit dans la nuit du mercredi 21 au jeudi 22 février. Il contenait les décrets, publiés au Journal officiel à peine quelques heures plus tard. S’agit-il encore d’information ? J’estime plutôt que vous avez usé d’un procédé pour rester dans les clous. Vous me permettrez de penser que ce n’est pas respecter la volonté du législateur organique que d’envoyer ces informations aussi tardivement.
J’ai par ailleurs demandé de plus amples détails concernant les 10 milliards d’annulations. Dès que je l’ai reçue, j’ai transmis à tous les rapporteurs la réponse écrite de M. Bruno Le Maire. Je l’estime un peu brève et dépourvue des informations détaillées dont nous aurions eu besoin pour débattre. M. le rapporteur général a eu plus de chance ; j’ai d’ailleurs fait circuler les éléments qu’il a obtenus.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Nous prendrons tout le temps nécessaire pour cette audition, moment important de notre vie économique et financière, moment de vérité, propre à éclairer nos compatriotes sur la réalité de nos finances publiques et les décisions à prendre.
Outre celui, joyeux, du ministre des comptes publics, nous célébrons un plus triste anniversaire puisqu’il y a exactement 50 ans que la France n’a pas présenté de budget à l’équilibre. Le dernier budget à l’équilibre remonte à 1974. En regardant la réalité de nos finances publiques en face, nous pouvons tirer une conclusion simple : la France est accro depuis un demi-siècle à la dépense publique. Elle ne la maîtrise pas, elle la subit. Elle puise dans ses réserves vitales – les entreprises, le travail, la croissance – pour financer son addiction. Avec une part des dépenses publiques s’élevant à 57 % du PIB sommes-nous plus heureux collectivement qu’avec les 40 % de 1974 ? Non.
Pour beaucoup ici, pour beaucoup depuis longtemps, la dépense publique est la solution à tous nos problèmes, or elle risque de devenir notre problème. Confrontés à une telle situation, nous devons prendre les décisions nécessaires pour rétablir nos comptes publics, comme cette majorité, seule au cours des deux dernières décennies, a su le faire de 2017 à 2019. Nous devons le faire maintenant parce que la crise du covid et la crise inflationniste sont désormais derrière nous. Nous devons le faire sans brutalité pour préserver nos capacités d’investissement dans l’innovation, dans la transition climatique, dans les grands services publics de la nation ; mais nous devons le faire avec fermeté pour sortir de cette exception française qui nous voit incapables, depuis un demi-siècle, de réduire la dépense publique quand la situation économique s’améliore. L’heure des choix a donc sonné. Nous les ferons avec la majorité, que je veux remercier pour le soutien constant qu’elle a apporté depuis sept ans à tous les budgets présentés par le Gouvernement. Nous les ferons en poursuivant un double objectif : revenir sous les 3 % de déficit en 2027 et lancer la France sur une trajectoire d’équilibre des finances publiques en 2032, pour la première fois depuis un demi-siècle. En 2032, nos comptes publics doivent être à l’équilibre !
Je commencerai donc en rappelant quelques vérités simples. Avec 57 % de part de la dépense publique dans la richesse nationale, nous consacrons chaque année plus de la moitié de la richesse que nous produisons à la dépense publique. Aucune autre nation développée n’a un tel niveau de dépense publique, aucune !
Deuxième vérité, cet écart par rapport aux pays européens ne s’explique ni par les dépenses régaliennes, ni par les dépenses d’enseignement, qui n’excèdent la moyenne européenne que de 0,7 point, mais principalement – les chiffres sont explicites – par les dépenses de santé et de protection sociale – notamment les retraites –, pour lesquelles nous dépensons 6,1 points de richesse nationale de plus que les autres nations européennes.
La troisième vérité est que la France a par conséquent l’un des niveaux de dette les plus élevés après la Grèce et l’Italie. Cela fait de nous le premier émetteur de dette brute, avec 285 milliards d’euros à lever en 2024 et le premier émetteur de dette nette, laquelle devrait s’élever à 133 milliards d’euros en 2024, une fois soustraits les rachats d’obligations. Pour mémoire, la France avait un niveau d’endettement public comparable à celui de l’Allemagne dans les années 2000. Ce chiffre est sans doute le plus intéressant : en 2012, après la crise financière, nous avons décroché de près de 10 points de dette publique. Alors que l’Allemagne a ensuite réduit rapidement sa dette publique, la France a laissé filer la sienne si bien qu’au moment où le Président de la République et le Premier ministre de l’époque et moi-même sommes arrivés aux responsabilités, elle accusait un écart de 35 points de dette publique. Là où l’Allemagne a su rétablir ses comptes quand les choses allaient mieux, la France a laissé filer ses déficits et sa dette.
Quatrième vérité : la deuxième crise majeure, celle du covid, a conduit la France à 15 points de dette de plus contre 12 points pour l’Allemagne, et nous nous sommes donc contentés de suivre l’écart de dette des années passées. C’est pourquoi nous arrivons à un moment décisif : soit nous continuons de laisser filer les déficits et à creuser la dette, soit nous faisons ce que nous vous proposons et avons commencé à faire en utilisant les marges de manœuvre que nous laisse le retour à la normale pour réduire les dépenses, les déficits et la dette.
Vous me direz : tout cela peut conduire à l’austérité. Jamais la France n’a connu l’austérité, jamais, depuis 50 ans ! Halte aux fantasmes : il n’y a pas eu d’austérité hier, il n’y en a pas aujourd'hui, il n’y en aura pas demain, tout simplement parce que l’austérité, qui ne ferait qu’abîmer la croissance, n’est évidemment pas la bonne solution dans la situation économique où nous sommes. Les dépenses publiques s’élevaient à près de 1 600 milliards en 2023 contre 760 en l’an 2000 : elles ont doublé en 23 ans. Si l’austérité c’est le doublement de la dépense publique, cela fait cher l’austérité…
Cinquième vérité, plus encourageante : si la France a des finances publiques dégradées, elle connaît aussi les meilleurs résultats économiques de la zone euro et c’est à mettre au crédit de cette majorité. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, notre niveau de croissance, cumulé entre 2017 et 2023, est supérieur à celui de toutes les grandes nations européennes : Royaume-Uni, Italie et Allemagne. Je veux saluer les choix économiques de cette majorité, car ils ont donné les meilleurs résultats en termes de croissance, de tous les grands pays de la zone euro. Nous avons créé des entreprises, près de 400 000 l’année dernière ; nous avons créé 2 millions d’emplois, dont 133 000 emplois industriels, depuis 2017. Nous avons surtout mieux protégé le pouvoir d’achat de nos compatriotes que tous les autres pays de la zone euro. Arrêtons-nous un instant sur ce fait : seule la France connaît une augmentation du pouvoir d’achat significative entre 2019 et le troisième trimestre 2023, tout simplement parce qu’elle a institué des boucliers tarifaires sur l’électricité et sur le gaz. Je voudrais donc une nouvelle fois remercier la majorité pour ces victoires économiques, qui ont fait de la France le pays qui attire le plus d’investissements étrangers et vous dire qu’il nous faut maintenant retrouver l’esprit de 2017 et obtenir des résultats comparables s’agissant des finances publiques : oui, l’état de nos finances publiques doit être aussi bon que nos performances économiques et que la situation de l’emploi.
De ce point de vue, nous sommes à la croisée des chemins et trois grandes options s’offrent à nous.
La première consisterait à ne rien faire. C’est la plus commode. On laisse filer les dépenses et la dette gonfler. On considère qu’un nouveau palier de dépenses a été atteint à cause de la crise du covid et de l’inflation, dont on se résout à ne pas descendre, jugeant trop difficile de changer la donne. Une telle absence de choix serait totalement irresponsable ; elle se traduirait immédiatement par un plus grand écart de taux d’intérêt par rapport à nos voisins européens et que nous feraient immédiatement payer les marchés : « vous voulez garder un niveau de déficit et de dette plus élevé ? Eh bien, votre argent – celui de l’État, des entreprises, des ménages – coûtera plus cher. » J’exclus donc cette option, qui nous ferait jeter l’argent par les fenêtres.
La deuxième option serait d’augmenter les impôts. Son grand mérite est le même : garder le même niveau de dépense publique, ajouter la dépense à la dépense, la dette à la dette, en se disant que le contribuable paiera. Sans moi ! Jamais je n’augmenterai les impôts, qui sont les plus élevés de toute l’Union européenne. J’exclus donc catégoriquement aussi cette option.
La troisième option, celle que nous vous proposons, Thomas Cazenave et moi-même, consiste à rétablir les finances publiques, en rompant avec cette fatalité française qui veut qu’à chaque sortie de crise une dépense exceptionnelle devienne une dépense ordinaire. Voilà bien le drame français : on monte l’escalier de la dépense, on ne le descend jamais, chaque nouveau plafond de dépenses publiques devient un palier. En France chaque dépense publique de crise devient une dépense courante ; le provisoire devient permanent ; nous atteignons des sommets de dépenses toujours plus hauts. Certains pensent que c’est un progrès, pour moi, c’est une défaite collective, à laquelle je ne veux pas me résoudre.
Quelle stratégie proposons-nous pour rétablir les finances publiques, sortir du cercle vicieux de l’augmentation de la dépense publique et de la dette et revenir à des finances publiques saines ? Elle repose sur quatre piliers.
Le premier pilier c’est la suppression de l’exceptionnel. Nous avons engagé des dépenses exceptionnelles ; elles étaient nécessaires, elles ont permis de sauver notre économie, de protéger le pouvoir d’achat de nos compatriotes, mais elles ont bien vocation à demeurer exceptionnelles. Nous supprimons les guichets de secours : les entreprises n’en ont plus besoin, la crise du covid étant terminée. Nous supprimons le bouclier tarifaire sur le gaz, dont on n’a plus besoin, les prix étant revenus à la normale. Nous supprimons progressivement le bouclier tarifaire sur l’électricité, dont on n’a plus besoin, les tarifs ayant également baissé. Et je veux remercier la majorité, qui a eu le courage de retirer ces dispositifs exceptionnels, seule contre toutes les oppositions, qui en réclamaient le maintien. L’exceptionnel a vocation à rester tel et à disparaître dès le retour à la normale.
Le deuxième pilier de notre stratégie c’est un État qui doit montrer l’exemple : vous connaissez toutes et tous la part que chaque acteur prend aux dépenses publiques : 50 % de dépenses sociales, 30 % de dépenses de l’État, 20 % de dépenses des collectivités locales. Il est légitime que l’État montre l’exemple, c’est le sens des 10 milliards d’euros d’économie que nous avons annoncés, le ministre des comptes publics et moi-même. On nous dit : c’est le rabot. Pour ma part, je refuse cette critique. Comme dit le proverbe, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Quand on veut tuer une économie sur la dépense publique, on parle de coup de rabot, formule passe-partout pour rendre impossible toute réduction. Comme aurait pu dire Lapalisse quand on coupe une dépense, on coupe une dépense : de quelque nom qu’on l’appelle, la mesure n’est jamais agréable, ni sympathique ; elle est simplement nécessaire.
Pourquoi avons-nous décidé ces économies dès février dernier ? Je veux répondre à cette question, parfaitement légitime, du président de la commission des finances. Plusieurs éléments concordants ont conduit à une dégradation de la conjoncture budgétaire au cours des premières semaines de l’année 2024 : une situation géopolitique plus tendue, un ralentissement de la croissance économique plus marqué en Chine comme en Allemagne ont eu un retentissement sur la croissance française, donc sur les rentrées fiscales. Ces éléments ont amené tous les instituts de conjoncture internationaux à réviser leurs prévisions. Entre le 15 janvier et le 15 février 2024, le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission européenne ont produit de nouvelles estimations de croissance. À la suite de ces révisions, les États européens ont à leur tour revu leurs prévisions. L’Allemagne, notre premier partenaire commercial, n’a, je le rappelle, révisé sa prévision de croissance que le 21 février, celle-ci passant de 1,3 à 0,2 %, soit une baisse d’1,1 point de PIB. À la même date, la Commission européenne révisait sa prévision pour la zone euro en 2024 : établie à 1,2 % en novembre 2023, elle est tombée à 0,8 %. Il me semble donc que nous avons été dans les temps et sincères en révisant la croissance estimée à 1 % le 18 février.
Pourquoi sommes-nous passés par la voie réglementaire ? Tout simplement parce que la loi nous en donne la possibilité, vous l’avez rappelé monsieur le président. La Lolf nous autorise en effet à supprimer une partie des crédits de l’État n’excédant pas 1,5 % du total de ceux ouverts par la loi de finances pour l’année en cours. Nous nous sommes saisis de ce droit pour faire face avec réactivité à une situation imprévue. En raison de la situation géopolitique et du ralentissement de la croissance début 2024, notre déficit public sera significativement supérieur à 4,9 % en 2023. Il était donc indispensable de réagir vite et fort.
Je veux par ailleurs relativiser ces décisions d’économie : elles n’ont rien à voir avec la purge que certains voudraient présenter. J’en donne trois exemples. La mission Travail et emploi a vu ses crédits augmenter de 40 % entre 2017 et 2024. Malgré l’annulation, ils augmenteront encore 34 %, alors même que nous avons créé 2 millions d’emplois et que le chômage a baissé de 2 points. Moins de chômage, plus de crédit pour la mission Travail et emploi, telle est la réalité des chiffres. L’aide publique au développement a quant à elle vu ses moyens plus que doubler entre 2017 et 2024 puisqu’ils sont passés de 7,5 à 15,8 milliards d’euros. Après l’annulation, ils auront tout de même doublé au cours de cette période. Où est la purge ? Où est l'austérité ? Troisième exemple : la mission Écologie, développement et mobilité durables : ses crédits ont augmenté de 64 % entre 2017 et 2024. Après l’annulation, ils augmentent toujours de 41 %. Où est la purge ? Où est l’austérité ?
Le troisième pilier de notre stratégie, ce sont des choix de politique publique. Je rappelle la répartition de la dépense publique : 50 % de dépenses sociales, 30 % de dépenses de l’État, 20 % de dépenses des collectivités locales. Tout le monde doit et devra participer au rétablissement des finances publiques. Au-delà de ces 10 milliards d’euros d’économies indispensables, nous devrons nous interroger sur toutes nos politiques publiques, sur l’organisation de l’État, sur le nombre de strates administratives, locales et nationales, et sur tous nos choix de politique sociale. Ce travail est la condition sine qua non pour revenir à l’équilibre de nos finances publiques, comme tous les autres États de la zone euro, d’ici 2032. Il ne s’agit pas seulement de faire des économies, mais de nous pencher en profondeur sur les structures de notre État central, de nos collectivités locales et de notre sécurité sociale.
Quelques questions à ce sujet : est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre de consacrer 5,7 milliards d’euros par an au remboursement intégral des transports médicaux ? Sommes-nous certains que c’est ainsi que la dépense est la mieux employée ? Ne serait-il pas plus juste, après avoir engagé le remboursement des fauteuils roulants pour les personnes en situation de handicap, de rembourser intégralement des fauteuils répondant à des besoins spécifiques, et le cas échéant construits sur mesure ? N’est-il pas juste de dégager des moyens là où ils sont moins utiles, pour pouvoir répondre à des demandes sociales aussi légitimes ?
Pouvons-nous nous permettre d’asseoir l’intégralité du financement de notre protection sociale sur ceux qui travaillent ? Est-il légitime que le nombre de jours d’absence soit de dix-sept par an dans les collectivités locales, douze dans le privé et dix dans les services de l’État ? Trouvez-vous cela juste ? Trouvez-vous cela raisonnable ?
Trouvez-vous légitime, juste et raisonnable que nous conservions un empilement d’échelons et d’administrations locales ?
Ma réponse à toutes ces questions est non. Et toutes ces questions sont des questions politiques, au sens le plus noble du terme. Toute dépense publique exige de faire des choix. Gouverner c’est choisir. En matière de finances publiques, l’empilement n’est pas une option ; le choix est une nécessité. Et je souhaite évidemment, monsieur le président, que tout le Parlement y soit associé car chacune des dépenses que je viens de citer fait l’objet d’une revue de dépenses publiques.
Cela m’amène au quatrième pilier de notre stratégie : un calendrier clair. Première étape : la sortie progressive des dispositifs exceptionnels. Nous l’avons engagée l’été dernier. Les 10 milliards d’économie réalisés début 2024 constituent la deuxième étape. Selon le niveau des recettes fiscales, un projet de loi de finances rectificative (PLFR) pourrait constituer la troisième. La quatrième interviendra lors du budget 2025, nourri par les revues de dépenses publiques. Cette audition est un moment de vérité. Je vous donne donc la liste des revues de dépenses publiques sur lesquelles nous avons commencé à travailler – tous les parlementaires sont invités à le faire avec nous : aides aux entreprises, dispositifs en faveur de la jeunesse, politiques de l’emploi, formation professionnelle et apprentissage, dispositifs médicaux, affections de longue durée, aides au secteur du cinéma, absentéisme dans la fonction publique, mesures de maîtrise dans la loi de programmation militaire (LPM), dépenses immobilières des ministères sous loi de programmation.
Que les choses soient claires ! Il ne s’agit pas de pointer du doigt en disant : « cette dépense n’est pas bonne » mais de nous demander si chacune est juste et efficace, pour laisser ensuite aux représentants du peuple, le soin de trancher. Au regard des nouveaux chiffres de croissance, nous engagerons donc des économies supplémentaires dans le budget 2025 pour tenir une trajectoire permettant d’atteindre notre objectif stratégique : revenir au-dessous des 3 % de déficit en 2027.
Dernier pilier de notre stratégie : relancer la croissance car plus de croissance, c’est moins de dette. Cela passe par des réformes de structure, celles que cette majorité a été la seule à voter : retraites, assurance-chômage, formation professionnelle. Tous les parlementaires qui ont voté ces réformes ont voté pour le désendettement de la France. Nous voulons poursuivre les réformes de structure, encore simplifier la vie des entrepreneurs, supprimer les rentes qui existent dans le modèle économique français, renforcer l’attractivité de notre pays. La croissance vient d’abord des réformes qu’elles soient nationales ou européennes – vos questions me donneront sans doute l’occasion d’y revenir. Je rappelle que si nous arrivions au taux d’emploi de l’Allemagne et au plein emploi, avec un chômage n’excédant pas 5 %, la France n’aurait plus de problème de finances publiques.
Voilà ce que je voulais vous dire, avec sincérité et conviction. Voilà ce que je vous propose : un rétablissement de nos finances publiques marqué par une étape majeure en 2027 qui doit voir notre déficit passer sous les 3 %. La croissance, le travail, l’investissement, l’innovation sont les vraies solutions ; la dépense publique n’apportera pas seule les réponses attendues.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics. Cette audition me donne l’occasion d’expliquer les raisons du décret d’annulation et de revenir sur la situation de nos finances publiques.
Le premier principe qui a présidé à ce décret d’annulation c’est un principe de réalité. Confrontés à une dégradation brutale de la conjoncture économique, il nous appartenait de prendre des mesures rapides. Moins de recettes c’est moins de dépenses. D’autres pays ont procédé ainsi, l’Allemagne notamment. Nous y reviendrons.
Le deuxième principe, c’est la sincérité. Bruno Le Maire étant revenu sur nos prévisions de croissance, la véritable insincérité aurait consisté à ne pas prendre tout de suite ce décret d’annulation de crédits, à faire comme si rien n’avait changé. Compte tenu de l’évolution prévisible des recettes, nous devions au contraire corriger au plus vite notre trajectoire. Je considère donc ce décret d’annulation comme un acte de sincérité.
Le troisième principe, c’est la réactivité. Nous avons pris ce décret très tôt dans l’année. Cela permet aux ministères de hiérarchiser leurs dépenses de façon à mieux absorber le choc. Il est toujours plus facile de reprogrammer certaines dépenses d’annulation en début qu’en milieu d’année. Ceux qui nous reprochent d’avoir pris ce décret rapidement nous auraient certainement tenu grief d’avoir tardé à le prendre une fois connue la situation de nos finances publiques.
Le quatrième principe, c’est la conformité à la Lolf, qui nous autorisait à annuler jusqu’à 12 milliards d’euros de crédits, comme M. le président l’a relevé. Nous respectons cette loi et nous n’avons pas choisi le montant maximal qu’elle autorisait. À ceux qui ont parlé d’un déni de démocratie, je rappelle que la Lolf est née en 2001 d’une initiative parlementaire. La réforme dont elle a fait l’objet en 2021 avait du reste suscité un large consensus. Cette loi organique permet justement à l’exécutif de faire face aux événements imprévisibles.
Le cinquième principe, c’est la solidarité : tous les ministères prennent part à l’effort et aucun ne bénéficie d’une immunité budgétaire. Est-ce à dire que l’effort serait homogène ? Non. Ce n’est pas un coup de rabot. Nous procédons à des économies ciblées, en fonction des dépenses de fonctionnement et d’intervention, des subventions aux opérateurs et plus généralement des dépenses pilotables. Les efforts ont été répartis de façon proportionnelle, en tenant compte de la réalité de chaque ministère. Le contexte nous a par ailleurs conduits à sanctuariser certaines enveloppes comme les dépenses hors titre 2 du ministère des armées ou celles du ministère de l’agriculture.
J’insiste aussi sur le fait que chaque ministère est responsabilisé. Il revient aux responsables de programme d’établir un nouveau plan de dépenses. C’est pour cette raison que les ministres doivent poursuivre ce travail avec les responsables de programme avant de pouvoir répondre à certaines questions qui nous sont d’ores et déjà posées. Sans doute aurez-vous à cœur – je pense en particulier aux rapporteurs spéciaux – d’entendre les responsables de programme dans le courant du mois de mars, une fois qu’ils auront refait leurs budgets.
Je prendrai quelques minutes pour rétablir quelques vérités factuelles. Pas plus que Bruno Le Maire, je ne considère ces mesures d’économie, représentant 2 % du budget total des ministères concernés, comme constitutives d’une cure d’austérité. Ainsi ne renonçons-nous en rien à notre ambition écologique. Le budget comportait 40 milliards d’euros d’engagements en faveur de la transition écologique ; après le décret d’annulation, nous augmentons toujours les dépenses vertes de plus de 8 milliards d’euros. Nous ne remettons pas davantage en cause les effectifs prioritaires dans les services publics ou pour la protection des Français ; nous respectons les engagements contenus dans les lois de programmation en faveur des armées, du ministère de l’intérieur ou encore de la recherche. Nous ne remettons pas en cause les chantiers prioritaires de l’éducation nationale. Quant aux annulations tendant à réduire la masse salariale, elles reposent essentiellement sur le constat des sous-exécutions de l’année 2023. Nous n’arrêtons pas notre soutien au développement : l’aide publique au développement a plus que doublé comme l’a rappelé Bruno Le Maire.
Mon rôle de ministre chargé des comptes publics est de vous tenir un discours de vérité sur la situation et de vous informer que ces annulations ne sont qu’une première étape. Je considère que nous sommes entrés dans un nouveau contexte des finances publiques, marqué par une conjoncture moins favorable et des taux d’intérêt élevés. Nous savons déjà que la cible de déficit à 4,9 % sera nettement dépassée. En 2023, nous avons encaissé 7 milliards d’euros d’impôts de moins que ce que nous avions prévu : 4,4 milliards de moins d’impôts sur les sociétés, 1,4 milliard de moins de TVA, 1,4 milliard de moins d’impôt sur le revenu. Si les recettes de l’État sont inférieures aux prévisions, les dépenses ont en revanche été contenues, avec 6 milliards de moins que ce qui était prévu. Or, les recettes étant incertaines, notre crédibilité repose sur deux capacités : mener des réformes structurelles et maîtriser nos dépenses – nous avons commencé de le faire en 2023 et ce décret d’annulation y contribuera en 2024.
Je conclurai à propos de la préparation du budget 2025. Notre trajectoire budgétaire intégrait un quantum substantiel d’économies au projet de loi de finances pour 2025, à hauteur de 12 milliards d’euros répartis entre l’État et la sécurité sociale. Compte tenu des résultats 2023, de la révision des prévisions de croissances pour 2024, je dois vous dire, dans un souci de transparence, que, pour élaborer le budget de l’an prochain et pour tenir notre objectif de ramener le déficit sous le seuil des 3 %, nous devons d’une part garantir que cette annulation de 10 milliards soit pérenne, d’autre part porter notre effort de 12 à au moins 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour l’année 2025. Je suis à la disposition des parlementaires de tous les groupes pour bâtir de façon précoce le budget 2025 et leur présenter la méthode que je suivrai pour le construire. Les enjeux nous imposent en effet de préparer sans tarder ces efforts partagés.
M. le président Éric Coquerel. Vous voulez, monsieur le ministre de l’économie, associer les parlementaires à l’élaboration du budget. Pour ma part, je souhaiterais surtout que nous retrouvions un Parlement qui débatte et qui vote les budgets. La situation qui prévaut depuis deux ans ne peut perdurer. Ne faire voter le budget que quand on est sûr d’avoir la majorité, ce n’est pas la démocratie. Je ne sais s’il faut remercier le Gouvernement ne pas être allé jusqu’à annuler 12 milliards de dépenses publiques ! Il n’en demeure pas moins que le montant exceptionnel qui a été prévu, s’il est légal, n’est pas politiquement légitime et qu’il aurait fallu passer par un PLFR. C’est la conception même de la vie démocratique et du rôle du Parlement qui est en jeu et qui devrait tous nous préoccuper.
J’en viens au fond. Vous avancez à l’appui de votre démonstration certains chiffres censés établir que l’économie française serait solide et créatrice d’emplois. Or, entre 2019 et 2022, en raison du changement des règles de calcul de l’Insee, une création d’emploi sur trois correspondait en fait à l’embauche d’un apprenti. Au dernier trimestre 2022, ces embauches représentent même les trois quarts des emplois créés. Ces chiffres ne reflètent donc pas toujours de véritables créations d’emploi et doivent être relativisés.
Quant au pouvoir d’achat, vos chiffres montrent certes qu’il a augmenté, mais pas pour tout le monde : comme nous l’avons vu lors de l’audition des représentants de l’Insee, celui des salariés a baissé et c’est essentiellement l’augmentation des revenus du patrimoine qui explique la hausse de 0,48 % du pouvoir d’achat moyen, ce qui pose problème en termes de consommation populaire.
Au-delà des chiffres, il y a un débat, y compris au sein des économies libérales, sur ce qu’il convient de faire quand l’activité économique se contracte. L’approche que vous défendez est la suivante : baisser les dépenses pour réduire les déficits et finalement la dette. La politique économique américaine ne procède pas ainsi. On me répondra que les Américains ont le dollar. Mais avant de nous interroger sur ce qui leur permet de faire ce qu’ils font, demandons-nous s’ils ont raison de le faire. De fait, ils relancent et ça marche ! Ils n’accordent pas la priorité à la question des déficits dans un moment de risque de récession, ce qui explique l’écart de croissance considérable entre l’économie américaine et l’économie européenne. Même un économiste aussi orthodoxe qu’Olivier Blanchard, ancien chef économiste au FMI, mettait en garde il y a peu : l’an prochain ne constituera vraiment pas un moment opportun pour baisser les dépenses publiques. N’oublions pas que ces dépenses représentent aussi des recettes, qui contribuent également à faire fonctionner l’économie. Tel est le premier point, macroéconomique, que je voulais aborder.
« Quand on gagne moins, on dépense moins », dites-vous dans un entretien donné au Monde. Si l’État gagne moins, ce n’est pas tombé du ciel. Le problème n’est pas que vous ayez globalement diminué les impôts et que vous soyez face à des gens qui veulent les augmenter, c’est l’effort réclamé. Vous demandez s’il est normal de payer certains déplacements de santé. Dans une période de recul économique, est-il normal que les entreprises du CAC 40 aient déclaré 140 milliards de bénéfices en 2022 et 150 milliards en 2023 ? Pire, les dividendes explosent, ce qui signifie que ces bénéfices ne sont pas investis dans l’économie, mais vont enrichir les actionnaires. Nous nous sommes déjà interrogés sur ce point, puisque nous avions adopté, avec des voix issues de la majorité, des amendements au projet de loi de finances (PLF) visant à instaurer des prélèvements sur les superdividendes et les transactions financières, à hauteur de 15 milliards d’euros. La question est de savoir qui contribue à l’effort, et comment. S’il faut vraiment réduire le déficit, on peut donc diminuer la dépense fiscale sans augmenter les impôts de l’ensemble de la population, en faisant contribuer les plus riches.
Vous dites que vous ne rabotez pas, mais vous offrez un rabot à chaque ministère. Vous les avez chargés de répartir les annulations au sein de leur budget respectif. Vous donnez l’impression de fixer des objectifs théoriques sans vous préoccuper de la manière dont les ministères pourront les atteindre. Cela expliquerait vos difficultés à préciser quelles actions budgétaires seront affectées. À charge ensuite pour chacun de trouver coûte que coûte des postes d’économies. Dans quelle mesure les annulations excéderont la réserve de précaution ? Ne vont-elles pas remettre en cause certaines lois de programmation, notamment militaire, de la recherche et de l’intérieur ?
Vous annoncez une diminution de 10 milliards d’euros de crédits, indépendamment de la baisse de 12 milliards des dépenses conjoncturelles prévue pour le prochain projet de loi de finances. Il s’agit donc de dépenses structurelles. Or, à vous entendre, cela n’aurait pas de conséquences. On diminuerait de 0,8 milliard les dépenses inscrites au titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel, sans affecter l’activité des services. Permettez-moi de douter que ce soit possible, surtout quand 450 millions proviennent de la réduction des effectifs de l’éducation nationale, au moment même où des personnels et des parents d’élèves se mobilisent pour dénoncer les insuffisances en la matière. Rapportée au salaire moyen des enseignants, cette somme représente 11 000 postes. J’ai du mal à croire que cela n’aura aucune incidence sur les mesures que Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, a annoncées lors de l’examen du PLF. Il avait notamment déclaré qu’il ne diminuerait pas les effectifs.
L’écologie est également un domaine important ; son budget va diminuer de 3 milliards. Vous avancez que vous avez prévu des crédits qui n’ont pas été dépensés, que la loi de finances de fin de gestion en a ainsi enlevé à la rénovation thermique, et qu’il en va de même ici. Pourquoi alors procédez-vous ainsi ? Je me demande si votre intention n’est pas de vanter un budget vert en augmentation, tout en sachant que les fonds ne seront pas dépensés. Nous n’atteindrons pas les objectifs de rénovation thermique que vous avez vous-mêmes définis si chaque année nous amputons les budgets concernés, alors même qu’il s’agit pour vous d’une priorité.
La situation du logement, enfin, s’apparente à une bombe sociale – je reprends ici une expression que vous avez vous-même validée, monsieur le ministre, lors de l’examen du PLF pour 2024. Les gens ont du mal à avoir un logement, que ce soit en louant ou en achetant. Pourtant, vous baissez de 300 millions d’euros le montant des crédits de l’aide au logement – j’ai du mal à comprendre.
M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Merci, messieurs les ministres, d’avoir répondu favorablement à l’invitation que le président et moi-même vous avons adressée. Il est essentiel de débattre.
Plusieurs polémiques nous ont animés ces dernières semaines. Le décret est-il la meilleure procédure ? Évidemment, la réponse est oui. D’abord en raison de sa rapidité : les tendances macro-économiques se sont inversées de manière significative ces derniers mois, il fallait donc agir le plus vite possible. Un tel décret est-il autorisé ? En adoptant la LOLF, le Parlement a donné au Gouvernement le pouvoir d’annuler jusqu’à 1,5 % des dépenses prévues au budget. En outre, vous savez très bien, monsieur le président, que vous ne voterez jamais un budget défendu par notre majorité, une loi de finances rectificative n’est donc en rien la panacée.
Aurions-nous pu prévoir les circonstances actuelles dès septembre 2023, date de la présentation du budget ? Il est facile de refaire le match. Certes, l’hypothèse de 1,4 % de croissance était une estimation haute. Toutefois, au 1er janvier 2024 encore, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoyait une croissance de 1,2 % en France, le Fonds monétaire international (FMI) de 1,3 %, la Commission européenne de 1,2 %. Il a fallu attendre fin janvier 2024, voire février, pour que ces organismes changent leurs prévisions.
La France est-elle un cas isolé ? Au moins onze pays de l’Union européenne étaient en récession en 2023 – l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la Suède, l’Irlande notamment. Nous ne sommes pas une île, et le contexte s’est fortement dégradé. Ces dernières semaines, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne ont également révisé leurs hypothèses macroéconomiques. Il importe de préserver l’objectif des 4,4 % de déficit en 2024, pour assurer notre crédibilité et, surtout, pour limiter le montant de la dette que nous aurons à rembourser. Je remercie donc le Gouvernement d’avoir réagi rapidement.
Nos politiques publiques peuvent-elles assumer l’effort demandé ? Évidemment oui. Les 10 milliards d’économies sont à mettre en perspective. En début d’année, il a été demandé aux ministères de geler 9 milliards. Au total, les dépenses publiques se montent à 1 600 milliards. Depuis 2017, celles de l’État ont augmenté de 100 à 120 milliards ; en euros courants, la dépense publique a crû de 30 à 40 %. Même si près de 20 % sont liés à l’inflation, on constate une hausse endogène de quinze points environ.
J’en appelle à la mémoire collective, en particulier celle des groupes Socialistes et apparentés et Les Républicains. Nous avons connu des crises similaires. Les gouvernements en place en 2011, sous Nicolas Sarkozy, et en 2015, sous François Hollande, ont réagi durement. Le second a augmenté les impôts de 52 milliards et baissé de 50 milliards les dépenses publiques. Une majorité de députés ont alors soutenu les mesures qui s’imposaient.
J’en viens aux questions. Monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, disposez-vous d’une estimation des recettes de l’État en 2024, dans l’hypothèse d’une croissance de 1 % ? Pensez-vous qu’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) sera nécessaire ou probable ?
Vous avez évoqué l’exemplarité de l’État. Les collectivités territoriales et les dépenses sociales ne devront-elles pas contribuer à l’effort ?
Vous avez défini l’enveloppe, le détail de l’effort par mission et par programme budgétaire. Il faut désormais considérer le niveau des actions. Je souhaite que les commissaires aux finances, en particulier les rapporteurs spéciaux, soient associés à ce travail de finalisation des économies portant sur ce niveau, dans chaque ministère.
Pouvez-vous nous donner une estimation des crédits reportés sur 2024 ? Certains ministères ne risquent-ils pas de tenter de maximiser les reports pour minimiser l’effort réellement consenti ?
La transition écologique est un sujet emblématique. La loi de finances pour 2024 prévoyait de porter les dépenses afférentes de 33 à 40 milliards. À ce stade, j’estime que l’augmentation atteindrait au moins 5 milliards, soit environ 2 de moins. Vous avez cité le chiffre de 8 milliards. D’où vient la différence ? Je note d’ailleurs que, comme pour d’autres priorités, il ne faut pas parler de baisse de la dépense publique, mais de moindre augmentation.
Il y a plus d’un an, nous avons voté l’instauration d’un ticket modérateur pour l’utilisation du compte personnel de formation (CPF) ; je vois avec plaisir son entrée en vigueur. Selon moi, 10 % de contribution du bénéficiaire est un minimum : il pourrait atteindre dans certains cas 15 ou 20 %, peut-être en fonction des formations. Il contribuera à responsabiliser nos concitoyens – étant entendu qu’il ne s’appliquera pas aux chômeurs ni aux formations, soutenues par les entreprises, qui ont un effet réel sur l’employabilité.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je vous remercie pour la qualité du débat. C’est un moment de vérité pour nos finances publiques ; il est essentiel que chacun puisse présenter ses préférences.
Sur la forme, je considère que le Gouvernement peut légitimement appliquer des dispositions légales, or la loi organique relative aux lois de finances nous autorise à réduire le montant des crédits de 1,5 % par voie réglementaire.
S’agissant des apprentis, je suis en désaccord avec vous, monsieur le président : ils travaillent. Cela justifie de les compter comme des personnes en emploi. Comme vous, j’ai lu les propos d’Olivier Blanchard dans son entretien ; je partage mot pour mot son analyse : il faut « définir un plan crédible d’ajustement et de baisse des dépenses sur cinq à huit ans ». C’est exactement ce que nous proposons, avec l’objectif d’atteindre 3 % de déficit d’ici à 2027 et l’équilibre d’ici à 2032.
Le pouvoir d’achat n’a pas été épargné seulement grâce aux revenus du patrimoine : nous sommes le seul pays de la zone euro à avoir instauré un bouclier tarifaire sur l’électricité et le gaz. Nous avons également créé la prime de partage de la valeur (PPV), avec succès puisque plusieurs millions de salariés ont perçu une prime d’un montant moyen de près de 900 euros.
Vous avez comparé les États-Unis et l’Europe, soulevant une question majeure. Personne ne peut se satisfaire de la situation économique en Europe. Le taux moyen de croissance est de 0,5 %, inférieur à celui de la France. Plusieurs États sont en récession, notamment l’Allemagne, notre premier partenaire économique, qui a révisé sa croissance de 1,1 % – et non de 0,4 %, comme nous. Il est légitime que les États cherchent à rétablir leurs comptes publics, comme nous nous proposons de le faire. Toutefois, je mets en garde sur la nécessité absolue de définir une stratégie de croissance européenne. Confrontés à la crise liée au covid, nous avons été capables d’élaborer une réponse forte, totalement en dehors des clous, en autorisant des prêts garantis par l’État (PGE) et le soutien à l’activité partielle, pour protéger les Européens. J’aimerais que nous puissions en faire autant pour relancer la croissance, au moment où l’Europe est prise en tenailles entre une Chine de plus en plus interventionniste, qui soutient massivement ses entreprises avec des aides ou avec la commande publique, et les États-Unis, qui bénéficient d’un des prix de l’électricité les plus bas du monde et de l’Inflation Reduction Act (IRA), extraordinairement offensif. La réponse doit être européenne, non nationale.
Je propose donc une stratégie de croissance européenne, fondée sur trois piliers. Premièrement, pour avoir de l’électricité décarbonée au prix le plus bas possible, il faut relancer le nucléaire au niveau européen. Pour y parvenir, j’ai proposé lundi d’élaborer un projet collectif, comme nous en avons pour les batteries électriques, l’hydrogène et les médicaments, afin de développer les recherches et de construire les réacteurs nécessaires. Les Américains sont un des premiers producteurs d’énergies fossiles au monde ; nous ne pourrons jamais leur disputer la compétition si nous ne rattrapons pas notre retard dans le domaine de l’énergie décarbonée, grâce aux énergies renouvelables et nucléaire.
Deuxièmement, nous devons soutenir les industries. La France a instauré le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte (C3IV) ; un tel dispositif devrait exister au niveau européen. Nous allons perdre l’industrie chimique, qui va partir en Chine ou aux États-Unis, parce que le coût de l’électricité est trop élevé pour elle et que nous ne la soutenons pas suffisamment. Il est urgent de réagir.
Troisièmement, il faut simplifier massivement. L’Europe ne doit pas être le continent de la norme et de la suradministration, mais celui de l’innovation, de la croissance et de la prospérité. Cela suppose de renoncer à définir, pour chaque production, des règles toujours plus complexes et plus lourdes. Dans le domaine fiscal, je suis le ministre des finances qui s’est battu, sous l’autorité du Président de la République, pour créer un impôt minimal sur les sociétés et une taxe sur les services numériques : je suis favorable à un impôt minimal sur le revenu au niveau international.
Il est trop tôt pour évaluer les recettes de l’État en 2024. En 2023, les recettes de l’impôt sur les sociétés ont été bien inférieures à celles prévues, ce qui nous a amenés à réagir. Leur évolution déterminera si un PLFR est nécessaire.
Enfin, vous avez raison, monsieur le rapporteur général, tous ceux qui participent aux dépenses devront également contribuer à l’effort national de redressement des comptes publics. L’État a déjà rempli son rôle ; restent les dépenses sociales et celles des collectivités locales.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous n’avons pas fixé aux ministères des objectifs théoriques de réduction des dépenses. Nous avons tenu compte de la nature des dépenses, selon qu’elles étaient ou non pilotables ou de guichet, du niveau de mise en réserve et de la sous-exécution des dépenses de personnel. Ce n’est pas un coup de rabot uniforme passé en aveugle : nous avons travaillé ministère par ministère. En revanche, conformément à la Lolf, il revient aux responsables de programme de redéfinir les trajectoires et les actions. Ce travail sera achevé en mars ; je ne vois que des avantages à faire participer les rapporteurs spéciaux.
Naturellement, les lois de programmation seront préservées. Pour déterminer les dépenses de personnel de la justice et de l’armée, nous tenons compte des sous-exécutions des précédents exercices. De plus, nous ne touchons pas au schéma d’emplois. C’est également valable dans l’éducation nationale, où 470 millions d’euros d’annulation concernent des dépenses de personnel. Le décret ne remet pas en question nos priorités.
Je le répète, les crédits affectés à MaPrimeRénov’ restent en hausse, de 800 millions d’euros. En 2024, les dépenses vertes augmenteront de 8 milliards par rapport à 2023, même après l’application du décret. Il s’agit des autorisations d’engagement (AE), monsieur le rapporteur général, qui devaient augmenter de 10 milliards. Nous ne renonçons aucunement à notre ambition écologique ; ce budget demeure le plus vert de notre histoire.
Les discussions relatives aux reports de crédits s’achèveront également en mars. Entre 2022 et 2023, leur montant s’élevait à plus de 14 milliards ; il devrait être moindre cette année.
Nous avons en effet validé le principe d’un ticket modérateur pour l’utilisation du CPF ; la ministre du travail, de la santé et des solidarités en présentera les modalités exactes.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Daniel Labaronne (RE). Mon père, agriculteur, disait qu’en cas de mauvaise récolte, de baisse des revenus consécutive à des aléas, il fallait réduire les dépenses d’exploitation. La croissance française est moins bonne que prévu : je me réjouis que cette démarche de bon sens ait prévalu. Face aux mêmes aléas conjoncturels, tous les gouvernements européens suivent la même politique budgétaire. Les mesures prises infléchissent la croissance des dépenses, elles ne l’arrêtent pas : il ne s’agit pas de rigueur, mais de sérieux budgétaire. Responsable, le groupe Renaissance soutient votre volonté de rééquilibrer les comptes publics par des annulations de crédits ; il salue vos décisions rapides, efficaces et courageuses.
Toutefois, nous regrettons un manque de précision concernant la ventilation des coupes par programme budgétaire, en notant que les informations commencent à arriver. Quelle méthode avez-vous suivie pour établir ce montant de 10 milliards d’économies et déterminer les missions concernées ?
Vous avez annoncé de nombreuses mesures d’aide au monde agricole. Comment le budget pourra-t-il les supporter ?
Quelles réformes structurelles devrons-nous engager pour atteindre plus sûrement l’objectif de réduire le déficit à 3 % du PIB en 2027 et de le supprimer en 2032 ?
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Avant la prochaine audition, il faudra vérifier l’identité du ministre. Monsieur le ministre, vous semblez ne pas connaître M. Bruno Le Maire. Auriez-vous oublié que vous êtes en poste depuis sept ans ? Peut-être rencontrerez-vous Bruno dans les couloirs de Bercy, perdu dans ses anciennes prévisions ou dans ses promesses passées. « Les paroles s’envolent, les écrits restent. » Les budgets sont écrits. Vous avez menti au Parlement – à la nation – : vous avez présenté des budgets insincères. Dans certaines interviews, vous espériez un retour de croissance, grâce à des circonstances exceptionnelles, preuve que vous le saviez. En réalité, vous n’avez jamais eu de plan. Vous n’avez pas anticipé la fin des taux bas, et vous découvrez qu’il faut payer la facture. Quand vous en bénéficiiez, vous n’avez pas élaboré de plan de réindustrialisation pour reconstruire un outil productif à même de parer les conséquences de leur fin.
Vous vous aveuglez sur les sept années écoulées, mais aussi sur le système que vous incarnez, qui a ruiné la France. Cinquante ans de déficit, des noces de plomb : qui est responsable ? Peut-être M. Macron : il était ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique – vous en avez fait un président. Peut-être Mme Lagarde : elle était ministre de l’économie, quand vous étiez encore à l’UMP (Union pour un mouvement populaire) – vous en avez fait la présidente de la Banque centrale européenne (BCE). Visiblement, nos comptes publics sont tenus par des fous, qui ne savent pas où ils mènent la France.
Ces fous ont des tabous, qui tiennent toujours. Vous avez passé en revue les dépenses, sans mentionner le grand tabou de l’administration française depuis cinquante ans : l’immigration. Elle nous coûte énormément. La contribution de la France au budget de l’Union européenne (UE) va encore augmenter, passant de 24 à 27 milliards. Ce tabou cache votre échec : comme l’Italie, la France n’a plus les moyens de payer pour les autres, puisque vous l’avez ruinée, mais vous refusez de dire la réalité aux Français. Quand ils nous feront confiance, nous rétablirons les comptes publics.
M. David Guiraud (LFI-NUPES). Je salue votre audace, monsieur le ministre. Vous nous présentez un plan de réduction de 10 milliards d’euros des dépenses publiques, parce que vous vous êtes complètement planté dans vos prévisions de croissance. De 1,4 %, les voilà ramenées à moins de 1 %. En 2022, vous déclariez fièrement : « la France est à l’euro près ». En fait, vous êtes à des dizaines de milliards d’euros près – pour vous, c’est une paille.
Pourtant, vous étiez prévenu : l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le Fonds monétaire international, le président de la commission des finances, la Banque de France, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) : tout le monde vous l’a dit mais vous, vous vous êtes levé un matin fin septembre, vous avez senti le sens du vent avec votre doigt mouillé et vous avez déclaré à l’Assemblée que la croissance atteindrait 1,4 %. Sur l’autoroute du sérieux budgétaire, vous êtes parti en roue arrière – vous voilà écrabouillé contre un platane.
Évidemment, vous n’allez pas soumettre ce bilan catastrophique au débat démocratique. La loi vous impose de faire voter par le Parlement une annulation de crédits supérieure à 1,5 % du budget : vous resterez juste en dessous du seuil. La prochaine fois, envoyez-nous un fax : ça ira plus vite.
Vous avez annoncé que la réduction de 10 milliards n’affecterait que les dépenses de l’État. Sachant que vous n’avez qu’une parole, nous avons été rassurés, même si vous alliez supprimer 500 millions du fonds Vert – sympa pour les territoires –, 750 millions à l’éducation nationale – sympa pour les profs et les familles –, 1 milliard sur MaPrimeRénov’ – sympa pour les Français qui vivent dans des passoires thermiques. Vous avez annoncé des économies partout, sauf dans la mission la plus importante, Remboursements et dégrèvements – celle des niches fiscales, avec 140 milliards d’euros de crédits. Pour faire des économies vous grattez jusque dans les pupitres des salles de classe, mais les niches fiscales, c’est comme les scènes de crime : circulez, y’a rien à voir ! Pourquoi ne pas toucher aux niches fiscales ? Vous refusez que l’État devienne une « pompe à fric » : nous voilà rassurés pour les grandes boîtes, arrosées d’argent public.
Mme Véronique Louwagie (LR). Moins de deux mois après la promulgation de la loi de finances de l’année, vous annulez 10 milliards d’euros de crédits au motif que l’hypothèse de croissance a été révisée. Avec tout le respect que je vous dois, je me demande si vous avez agi en apprentis sorciers ou en autruches. À l’automne, tout le monde, de la Banque de France aux économistes, soulignait qu’un taux de 1,4 % était irréaliste. Vous avez refusé d’écouter et construit le budget sur du sable. Vous arguez d’un principe de réalité qu’à l’automne vous avez écarté.
Vous nous avez montré un document Powerpoint illustrant le niveau astronomique des prélèvements obligatoires ; le niveau des dépenses publiques, assez élevé pour nous placer en haut du podium de l’OCDE ; un déficit élevé ; une dette qui s’emballe. C’est un aveu d’échec de la politique menée depuis 2017.
En procédant par décret, vous nous privez d’un débat qui concerne le quotidien des Français. Quand présenterez-vous un PLFR ? Vous avez évoqué le mois de juillet. Quand disposerons-nous des montants des annulations par programme et par action budgétaire ?
Vous n’aimez pas qu’on parle de coup de rabot, mais c’est bien ce que vous avez fait, puisque vous n’avez pris en considération ni l’efficacité ni l’efficience des dépenses. Par ailleurs, vos propos, monsieur Le Maire, sont en contradiction avec le décret, qui ne concerne nullement les dépenses sociales.
À la veille du verdict des agences de notation, il y a le feu dans la maison et vous invitez les parlementaires à travailler sur la diminution des dépenses. Pourquoi ne pas avoir adopté le contre-budget des Républicains, qui prévoyait 25 milliards d’euros d’économies ?
M. Pascal Lecamp (Dem). Le groupe Démocrate est très attaché au principe de responsabilité budgétaire. La diminution de la croissance aura des conséquences non négligeables sur les finances publiques : nous refusons de financer les pertes de recettes par la dette.
Vous avez privilégié l’option d’un décret d’annulation de 10 milliards d’euros de crédits. Nous souhaitons connaître rapidement le détail des ajustements auxquels procéderont les ministères ainsi que les objectifs corrigés des politiques publiques concernées.
Dans les prochaines semaines, plusieurs agences réviseront la notation de la France. Comment intégrerez-vous les éventuelles annulations dans votre stratégie de rétablissement des finances publiques ? Pour éviter toute dégradation future, sera-t-il nécessaire d’examiner cet été un PLFR ?
Les données de l’équation sont une croissance ralentie, de l’inflation, des crises multiples ; la transition écologique, grand défi de notre siècle, que seuls des investissements colossaux permettront de relever ; la transition démographique, qui aura des conséquences non négligeables sur les comptes publics. Nous sommes partisans d’une approche globale pour la résoudre. En France comme en Europe, nous devons réfléchir à des modes de financement cohérents sur le long terme, car les baisses comptables ne sont que des solutions temporaires. Quelles ressources, y compris fiscales, pourrons-nous mobiliser en 2024 et ensuite ? Comment faire pour nous doter d’une visibilité budgétaire accrue tout en assurant la pérennité de la vision commune qui nous guide depuis 2017 ? En la matière, nous aurons toujours des propositions innovantes à vous soumettre.
M. Philippe Brun (SOC). J’ai ici un graphique illustrant les courbes de croissance de la zone euro et des États-Unis. Pendant une trentaine d’années, elles suivent le même rythme, avec des PIB par habitant équivalents. Le décrochage survient en 2011, quand les pays européens ont décidé d’appliquer des plans d’austérité symétriques. Or nous n’avons toujours pas rattrapé le retard ainsi creusé sur les États-Unis. Si notre PIB par habitant était le même que le leur, nous n’aurions pas besoin de prendre des mesures d’austérité en annulant 10 milliards d’euros de crédits. Ne choisissez-vous pas ici d’appliquer une politique procyclique ? Au moment où les recettes baissent faute de croissance, nous aggravons les difficultés en saignant le malade, tel le médecin de Molière. C’est d’autant plus vrai que vous annulez des dépenses publiques qui touchent directement à la croissance : la diminution de MaPrimeRénov’ affectera le bâtiment. Tous les instituts prévoient une augmentation du chômage, or vous diminuez les crédits affectés à la reconversion professionnelle et vous annoncez une baisse de l’indemnisation des chômeurs. Allons-nous enfin tirer les leçons des échecs du passé ?
Mme Lise Magnier (HOR). Il est impératif de respecter la trajectoire de rétablissement des finances publiques que nous nous sommes collectivement fixée, il y va de notre responsabilité. Nous ne pouvons être le seul pays d’Europe à s’exonérer de ses obligations en la matière. Nous ne vivons pas sur une île déserte : nos créanciers, nos partenaires et nos concitoyens nous observent ; s’ils perdent confiance, nous courrons de graves dangers. La crise des dettes souveraines n’arrive pas qu’aux autres.
Lorsque les circonstances se détériorent, nous devons réagir rapidement. À la fin de l’année 2023, le climat s’est dégradé plus vite que prévu. Peut-être aurions-nous pu mieux l’anticiper – mais je ne fais pas partie de ceux qui, à force de toujours prévoir le pire, finissent par avoir raison. La croissance est moindre, entraînant de moindres recettes ; il était difficile mais responsable de choisir le décret d’annulation de crédits de la loi de finances pour 2024. Nous le soutenons sans ambiguïté.
Surtout, nous devons continuer les réformes structurelles, pour mieux cibler la dépense publique et améliorer son efficacité. Il faut poursuivre la rénovation de notre modèle social, qui représente à lui seul plus de la moitié de la dépense publique.
Connaissez-vous les montants consolidés des recettes et des dépenses en 2023, donc les écarts avec les prévisions ? Si la note de la France était dégradée dans un ou deux mois, quelles seraient les marges de manœuvre ?
Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Vous avez annoncé 10 milliards de coupes budgétaires deux mois après avoir fait adopter la loi de finances pour 2024 : la transition écologique paie le plus lourd tribut de cette politique, qui l’ampute de 2,2 milliards.
Les inondations ravagent le Pas-de-Calais et la Charente-Maritime, les canicules s’enchaînent, mais l’enjeu climatique ne fait visiblement pas partie de vos priorités. Vous rabotez MaPrimeRenov’ de 700 millions et vous parlez d’économies de constatation : il est vrai que les objectifs sont loin d’avoir été atteints en 2023, puisque seules 71 600 rénovations globales ont été effectuées au lieu des 90 000 annoncées. Votre politique de rénovation énergétique est un échec. Pourtant, le rapport du sénateur Guillaume Gontard nous alertait dès le mois de juillet 2023 sur les failles de MaPrimeRenov’ et conseillait de simplifier le dispositif, de tendre vers un reste à charge nul pour les ménages les plus modestes, surtout en cette période de baisse de pouvoir d’achat, de renforcer l’accompagnement et de former 200 000 professionnels.
Vous ne nous avez pas écoutés ! Au lieu d’analyser les causes de la sous-exécution, vous vous bornez à constater « l’incertitude sur les éventuels facteurs explicatifs ». Vous ramenez l’objectif de cette année de 200 000 à 140 000 rénovations globales et vous recherchez des économies là où il faudrait de l’ambition. Je veux me faire ici le porte-voix de tous ces citoyens qui veulent adopter un mode de vie plus écologique, faire isoler leur maison, se déplacer en transports collectifs et qui sont exaspérés par votre politique de stop and go. Pour vous, l’écologie représente une succession de coups de communication : on annonce 5 milliards pour la rénovation thermique puis on ampute le dispositif de 700 millions deux mois plus tard ; on annonce 100 milliards pour le ferroviaire puis on diminue les crédits de 341 millions à la première pression budgétaire. Il n’y a pas de cap, pas de constance, pas de visibilité, simplement une politique à courte vue.
Quand cesserez-vous de faire de l’écologie une variable d’ajustement ?
M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES). En annulant 10 milliards d’euros de crédits pour maintenir le déficit à 4,4 % du PIB alors que la croissance n’atteindra que 1 % en 2024, vous avez commis deux erreurs. La première est démocratique, puisque vous vous êtes exonérés de l’avis du HCFP qui vous avait mis en garde en octobre sur le caractère optimiste de votre prévision de croissance ; vous vous êtes également dispensés du débat parlementaire en vous limitant à une simple audition devant la commission des finances : comme pour l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution, il n’y a rien d’illégal, mais la prise d’un décret d’annulation de crédits à la limite du plafond autorisé moins de deux mois après avoir fait adopter en force le PLF illustre l’intensification du caractère autoritaire de votre politique économique.
La seconde erreur est économique : à l’heure où le chômage augmente et la croissance décline, vous faites le choix d’une nouvelle compression budgétaire après celle de 16 milliards instaurée par la loi de finances initiale. Une telle politique, couplée à celle de la BCE de hausse continue des taux d’intérêt, renforcera l’effet récessif et vous contraindra à opérer de nouvelles coupes d’ici à quelques mois pour tenir votre objectif de déficit de 4,4 % du PIB. Se concentrer sur le déficit quand la situation économique se détériore revient à répéter les erreurs du passé, qui nous ont conduits dans le mur, et à refuser de répondre aux besoins sociaux et écologiques de notre pays.
Pourquoi ne pas aller chercher l’argent là où il est en augmentant les impôts des plus riches par la taxation des dividendes ?
M. Charles de Courson (LIOT). Vous n’êtes pas à la fête le jour de votre anniversaire, monsieur le ministre délégué !
Alors qu’aucun organisme n’avait estimé crédible votre prévision de croissance du PIB de 1,4 % en septembre 2023, vous venez de revoir votre prévision à 1 %, mais ces mêmes organismes ont également revu à la baisse leur estimation pour la situer bien en dessous de 1 %. Pouvez-vous préciser à la commission, après les moins-values de 2023 que vous estimez, pour le seul État, à 7,8 milliards, le montant des pertes de prélèvements obligatoires en 2024 par rapport aux recettes enregistrées en 2023 pour les administrations centrales, les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales ?
Quel est le montant des dépenses nouvelles en 2024 liées à des décisions gouvernementales ? On comptabilise déjà 3 milliards pour l’armement de l’Ukraine, 500 millions pour les hôpitaux, 400 millions pour l’agriculture, mais il y aura probablement d’autres mesures dues à des circonstances extérieures.
Pensez-vous possible de maintenir le niveau des déficits publics en 2024 à 4,4 % du PIB et éviter à la France l’entrée dans la procédure de déficit excessif ?
Est-il exact que le Parlement sera saisi d’un projet de loi de finances rectificative juste après les élections européennes ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je voudrais tordre le cou aux remarques qualifiant d’insincères les prévisions du Gouvernement. Depuis sept ans que je suis ministre des finances, les prévisions de croissance ont toutes été tenues à 0,1 ou 0,2 point près, à l’exception de la crise du covid ; il en va de même pour les prévisions de déficit public. Je vous redonne les chiffres de croissance prévus pour la France de septembre à novembre 2023 par les organisations internationales : 1,3 % pour le FMI ; 1,2 % pour l’OCDE et 1,3 % pour la Commission européenne. Donc, ne dites pas que la prévision de 1,4 % de croissance pour 2024 établie par le Gouvernement au moment de la présentation du PLF était insincère et éloignée des prévisions des instituts internationaux. Ces derniers ont révisé leurs prévisions au plus tôt en janvier et la plupart en février. Comme toujours depuis sept ans, le Gouvernement a fait preuve de sincérité. L’Allemagne a révisé de 1,1 point sa prévision de croissance en février 2024. En revanche, nous tirons immédiatement, par souci de responsabilité, les conséquences des risques géopolitiques matérialisés en mer Rouge, au Moyen-Orient et en Ukraine, couplées à la chute de la croissance en Chine.
Vous êtes peu nombreux à vouloir changer de logiciel et vous pensez encore que c’est la dépense publique qui alimente la croissance ; nous pensons au contraire que ce sont les réformes de structure – simplification, évolution de l’assurance chômage, attractivité – qui la stimulent.
La défense de la sincérité par le Rassemblement national, c’est l’hommage du vice à la vertu, monsieur Tanguy : en matière d’insincérité, vous n’avez de leçon à recevoir de personne. Marine Le Pen défend dans Les Échos la réduction des dépenses publiques et l’équilibre des comptes publics ; encore faut-il émettre des propositions pour parvenir à ces objectifs, or Mme Le Pen souhaite nationaliser les autoroutes pour un coût de 50 milliards d’euros, exonérer d’impôt sur le revenu les contribuables de moins de 30 ans – ce qui fera un immense plaisir aux jeunes millionnaires –, diminuer la TVA et augmenter le minimum vieillesse, le tout pour une dépense globale de 120 milliards d’euros supplémentaires. On ne peut pas se promener partout dans le pays en annonçant de nouvelles dépenses pour être populaire, puis écrire dans Les Échos une ode à la rigueur pour paraître vertueuse. Il y a deux fils qui se touchent au Rassemblement national, mais peut-être est-ce ainsi que fonctionne ce parti.
Monsieur Guiraud, je le redis, nos évaluations de déficit et de croissance sont sincères.
Personne ne connaît le montant des recettes fiscales des mois à venir : nous attendons d’en savoir davantage pour décider d’élaborer ou non un projet de loi de finances rectificative, et aucune décision n’a été prise à ce stade.
Les évaluations des agences de notation ne me concernent pas ; ma préoccupation, ce sont les Français. Nous n’agissons pas pour les agences de notation, mais pour faire face au nouveau contexte géopolitique et pour traduire notre conviction de devoir tenir les comptes publics pour renforcer la puissance nationale.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Monsieur Labaronne, tous les engagements pris en faveur des agriculteurs seront tenus ; il n’y a aucune annulation de crédits sur le « hors titre 2 » au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Madame Louwagie, nous avons étudié dans le détail le contre-budget des Républicains, ainsi que l’ensemble des amendements au PLF pour 2024 que votre groupe avait déposés et qui étaient assez coûteux. Quant à la reprogrammation, effectuée programme par programme par les ministères, elle sera achevée à la fin du mois de mars.
L’exécution budgétaire 2023 est connue pour l’État depuis le mois de janvier et sera publiée, à titre provisoire, pour l’ensemble des administrations publiques le 26 mars par l’Insee.
Monsieur le président Coquerel et monsieur Brun, vous semblez trouver beaucoup de vertus au modèle américain, dans lequel la part des dépenses publiques rapportée au PIB est loin d’être aussi élevée que la nôtre. Je dois avouer que votre plaidoyer m’a surpris.
Madame Sas, nous augmentons, ne vous en déplaise, de 8 milliards d’euros le budget dédié à la transition écologique ; les crédits alloués à MaPrimeRénov’ vont progresser de 800 millions. Vous refusez de l’entendre, mais notre budget reste le plus vert jamais voté.
Monsieur Tellier, le décret d’annulation de crédits n’est en aucune façon un déni de démocratie : nous respectons une loi voulue et votée par le Parlement, à savoir la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
Monsieur de Courson, il est question de pouvoir mobiliser jusqu’à 3 milliards d’euros pour l’Ukraine, selon des modalités qui restent à ce jour inconnues. Le ministre des armées a évoqué devant la commission de la défense les quelques marges de manœuvre que peut procurer la baisse de l’inflation constatée depuis l’adoption de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur le ministre, soit le projet de loi de finances était insincère, soit vous vous êtes trompé, car il n’est pas vrai de dire que toutes les institutions financières et économiques avaient les mêmes prévisions que le Gouvernement à l’automne. Pierre Moscovici a déclaré le 27 septembre 2023 devant cette commission que la prévision du Gouvernement s’écartait « nettement de celles des autres instituts de prévision » et était supérieure à celles de « tous les prévisionnistes auditionnés par le Haut Conseil des finances publiques », notamment ceux de la Banque de France, qui tablaient sur une croissance comprise entre 0,4 % et 0,9 % du PIB. Nous avions d’ailleurs été nombreux à affirmer que la prévision de 1,4 % nous semblait irréaliste.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je vous donnerai les prévisions du FMI, de l’OCDE et de la Commission européenne entre septembre et novembre 2023, elles se situent toutes les trois entre 1,2 % et 1,3 %. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler les prévisions de certains économistes, notamment ceux de la vénérable institution que vous avez citée, qui pensaient que la France connaîtrait une récession en 2023.
M. Charles Sitzenstuhl (RE). La brusque passion américaine des députés insoumis et socialistes m’a beaucoup surpris. Nous aimons beaucoup les États-Unis, mais ce pays abrite le capitalisme le plus sauvage et le plus financier : il est donc étonnant d’entendre la gauche en chanter les louanges. Le système social, de santé et d’assurance chômage américain est fort différent du nôtre. Monsieur le ministre, notre modèle social nous permet-il d’atteindre les performances économiques des États-Unis ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous pouvons nous inspirer de certains éléments du modèle américain et nous devons en rejeter d’autres. Dans cette dernière catégorie, il ne faut pas importer leur système social – je suis en effet très étonné qu’un député socialiste puisse le défendre ; les inégalités ont explosé aux États-Unis : certes, il y a plus de croissance, mais il n’y a jamais eu autant d’inégalités. Le modèle français est celui qui réduit le plus les inégalités dans le monde entier. Le think tank Terra Nova, dont je ne suis pas proche, estime que le rapport des inégalités diminue de 18 à 3 après la redistribution opérée par notre système social. En revanche, l’union des marchés de capitaux aux États-Unis permet de lever beaucoup d’argent pour financer les investissements : de cela, il faudrait s’inspirer.
M. François Jolivet (HOR). Vous n’avez pas répondu au rapporteur général du budget qui vous demandait quelles étaient les recettes en baisse : la TVA en fait-elle partie à cause de la baisse de la production de logements neufs ?
Monsieur le ministre délégué, vous avez insisté sur votre choix d’avoir privilégié des programmes pilotables pour diminuer les dépenses ; or le programme 109 Aide à l’accès au logement ne semble pas l’être, puisque son montant dépend de la capacité financière, mise à jour chaque trimestre, des ménages. Comment piloter un tel budget ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Les recettes de l’IS, de l’IR et de la TVA sont respectivement inférieures de 4,4 milliards, 1,4 milliard et 1,4 milliard dans l’exécution du budget de 2023 par rapport à nos prévisions, ce qui explique nos difficultés.
Il n’est absolument pas question de revoir les dispositifs d’aide au logement, mais notre prévision technique de sous-exécution de la dépense nous permet de faire des économies sur le programme 109.
Mme Marie-Christine Dalloz (LR). L’écart entre les dettes française et allemande s’est fortement creusé dès 2017, comme le montre le graphique que vous avez présenté, soit avant le covid, même si la crise sanitaire a beaucoup accru l’endettement. Il faudra trouver 285 milliards sur les marchés financiers en 2024 : notre pays éprouvera-t-il des difficultés à lever cette somme ?
La baisse de 700 millions des crédits alloués à MaPrimeRénov’ est un sujet moins important que celui de l’exécution des crédits. J’aimerais que vous vous mettiez en relation avec votre collègue ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, car les particuliers et les artisans rencontrent de grandes difficultés pour monter leur dossier.
M. Bruno Le Maire, ministre. Le graphique montre que la divergence de trajectoire des dettes publiques allemande et française s’est produite au lendemain de la crise financière, période pendant laquelle l’Allemagne a rétabli son taux d’endettement quand la France l’a laissé filer : nous avons trouvé un écart de 37 points à notre arrivée au pouvoir en 2017.
Le taux d’endettement est reparti à la hausse au moment de la crise sanitaire, raison pour laquelle le défi se présente maintenant : souhaitons-nous, comme d’habitude depuis vingt ans, laisser filer les déficits et la dette et faire du niveau actuel de dépenses un plateau ou acceptons-nous de redescendre à un niveau de dépenses publiques plus raisonnable ? Je vous propose d’emprunter la seconde voie.
Nous venons d’effectuer une levée de dette de 8 milliards d’euros il y a quelques jours : nous avons reçu plus de 75 milliards d’euros de demande de dette française, donc il n’y a pas d’inquiétude à avoir sur le financement de notre dette.
Mme Charlotte Leduc (LFI-NUPES). Vous annoncez des économies de 10 milliards qui précipiteront l’effondrement de nos services publics et qui auront des conséquences humaines dramatiques. Vous déplorez le niveau trop faible des recettes fiscales alors que vous vous refusez à récupérer les colossaux montants de l’évasion fiscale : ce sont 100 milliards d’euros qui manquent aux finances publiques chaque année. La récupération de cette somme considérable devrait être érigée en priorité absolue de l’action publique, car, outre la question du financement des dépenses publiques, cette lutte est un combat pour la justice.
Votre bilan en la matière est mauvais. Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics, se gargarisait d’avoir récupéré 14,6 milliards en 2022 : ce n’était déjà pas fameux, mais vous avez admis, monsieur le ministre délégué, il y a deux semaines sur France Inter, que l’État n’avait recouvré que 11 milliards en 2023, soit une baisse de 25 % du résultat de la lutte contre l’évasion fiscale en un an. Confirmez-vous ce chiffre ?
Dans votre plan d’austérité, le programme 156 Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local voit disparaître près de 109 millions de crédits dont 8 millions de titre 2 : le Gouvernement va-t-il supprimer des postes de contrôleurs fiscaux ? Quand prendrez-vous au sérieux le problème de l’évasion fiscale ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Les engagements de renforcement des effectifs dédiés au contrôle fiscal seront tenus : à la fin du quinquennat, nous souhaitons compter plus de 1 500 agents supplémentaires.
Je vous invite à relire le dernier rapport de l’Observatoire européen de la fiscalité, coordonné par Gabriel Zucman, qui met en évidence que les échanges de données internationaux ont permis de considérablement limiter l’évasion fiscale. En outre, le taux minimum d’imposition des sociétés, produit de l’accord trouvé à l’OCDE, constituera un outil important pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises.
Quant au plan contre les fraudes, présenté en mai 2023 par mon prédécesseur, 72 % de ses mesures sont déjà entrées en vigueur. Les résultats de la lutte contre le travail illégal, matérialisés par le redressement de cotisations sociales que des entreprises n’avaient pas acquittées, ont progressé de 50 % ; nous avons par ailleurs doublé les saisies de produits contrefaits. Nous continuerons à agir contre toutes les fraudes, qu’elles soient fiscales, sociales ou douanières.
Mme Christine Pires Beaune (SOC). Quand nous avons reçu le diaporama, j’ai cru lire un mauvais document d’Agnès Verdier-Molinié. Monsieur le ministre, trouvez-vous juste et raisonnable de verser un crédit d’impôt recherche (CIR) à de grands groupes bancaires dont 65 % des bénéfices, qui explosent, sont reversés aux actionnaires ?
Monsieur le ministre délégué, vous avez indiqué qu’il faudrait trouver en 2025 non pas 12 milliards mais 20 milliards d’économies ; vous avez évoqué sur France Inter la possibilité de désindexer les pensions de retraite. Il est vrai que la France est le pays européen où celles-ci sont le plus généreuses, mais elle est aussi celui où le taux de pauvreté des personnes âgées de plus de 65 ans est le plus faible : il me semble qu’il existe une corrélation entre ces deux premières places. Qu’avez-vous en tête sur les pensions de retraite ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Le diaporama n’est celui de personne, il traduit simplement la vérité de la situation des finances publiques françaises. Vous pouvez faire de l’humour, mais il vaut mieux regarder la vérité en face.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Notre objectif est de faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2027 : dans un contexte de croissance plus faible et de déficit plus élevé que prévu, il faudra réaliser autour de 20 milliards d’euros d’économies dès 2025.
M. Mohamed Laqhila (Dem). Quelles mesures spécifiques comptez-vous prendre pour que la suppression des dépenses exceptionnelles et la réduction des dépenses courantes ne compromettent pas les services essentiels rendus à la population ? Comment le Gouvernement pense-t-il évaluer et garantir l’efficacité de ces mesures dans le temps ?
La réduction de la dépense publique pourrait affecter la croissance économique et l’emploi, notamment dans les secteurs dépendant des investissements publics. Quelles sont les stratégies déployées pour minimiser ces impacts négatifs ? Quel rôle l’innovation et les investissements dans la transition écologique jouent-ils dans ce cadre pour stimuler la croissance et créer des emplois durables ?
Enfin, l’impact de la réduction des dépenses sociales sur la solidarité et la cohésion suscite des inquiétudes, notamment pour les populations les plus vulnérables : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour s’assurer que la baisse des dépenses ne creuse pas les inégalités ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour MaPrimeRénov’, l’intégralité des crédits n’a pas été consommée ; s’il n’y a pas suffisamment d’entreprises, un montant élevé de crédits se révèle inutile. La bonne solution est de faciliter le lancement des chantiers de rénovation : les entreprises du bâtiment doivent ainsi obtenir plus simplement et plus rapidement leur certification, tâche à laquelle nous nous sommes attelés avec Christophe Béchu.
En 2024, nous avons indexé l’intégralité des prestations sociales et des pensions de retraite : ces décisions coûtent 25 milliards d’euros et garantissent une protection de toutes les personnes les plus modestes, de tous les revenus de redistribution et de toutes les pensions de retraite cette année.
M. Karim Ben Cheikh (Ecolo-NUPES). En tant que rapporteur spécial de la mission Action extérieure de l’État, je souhaite vous interroger sur la baisse inédite des crédits du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) : vous avez annulé près de 730 millions de crédits, soit 7 % des économies totales pour un ministère dont le budget ne représente que 1,1 % de celui de l’État.
Est-il besoin de rappeler que le MEAE, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, a déjà perdu 30 % de ses effectifs et de son budget depuis que vous l’avez quitté ? Est-il besoin de rappeler la déconvenue que nous avons connue au Sahel ces quinze dernières années et le démantèlement du réseau diplomatique et consulaire dans cette même période ? Est-il besoin de rappeler que le Président de la République avait promis, en 2023, un réarmement de la diplomatie et que vous y répondez par une baisse inédite des budgets ? Quel sera l’impact de celle-ci sur l’engagement présidentiel d’augmentation des crédits dans les trois prochaines années ? Allez-vous contraindre le MEAE à procéder à des coupes dans les crédits en faveur de à la solidarité à l’égard de nos compatriotes installés à l’étranger, dans le service public consulaire déjà exsangue et dans nos contributions à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa), au Fonds mondial et au Gavi, l’Alliance du vaccin ?
M. Bruno Le Maire, ministre. La plus grande partie des baisses de crédits concerne l’aide publique au développement (APD) ; or celle-ci a doublé depuis 2017, pour passer de 7,5 milliards à 15,8 milliards d’euros. L’engagement de la France en faveur des pays les plus fragiles et les plus pauvres est essentiel ; cependant il serait difficile d’expliquer à nos compatriotes que nous devons réduire les dépenses à cause du retournement conjoncturel mais que nous maintenons le niveau de l’APD.
M. Perceval Gaillard (LFI-NUPES). Malheureusement, les territoires d’outre-mer seront également concernés par les coupes budgétaires. Tout d’abord, les crédits du programme 123 Conditions de vie outre-mer sont amputés de 78,7 millions : quelles actions auront à souffrir de cette contraction ? Ensuite, d’autres diminutions de crédits affecteront nos territoires, par exemple celle touchant au fonds Vert, lequel est très sollicité à La Réunion pour soutenir le développement et la transition écologique engagée par les collectivités territoriales : quels seront les impacts transversaux de votre politique sur les outre-mer ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Le principe est que les territoires les plus fragiles doivent être les plus protégés. Nous avons rétabli la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) – ce qui a fait couler beaucoup d’encre – pour garantir le financement des réseaux d’électricité dans les départements d’outre-mer. Je vous confirme que nous portons une attention toute particulière aux territoires les plus fragiles.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Monsieur le ministre, dois-je vous rappeler que le Gouvernement est responsable d’une augmentation de 700 milliards de la dette publique depuis que vous êtes aux commandes ? Vous mettez en permanence en cause Mme Le Pen, alors qu’elle est la seule personnalité politique qui n’a rien à voir avec l’endettement abyssal de 3 000 milliards d’euros de notre pays.
Vous ne détaillez pas le contenu des 10 milliards d’économies. Le 18 septembre dernier, j’interrogeais le ministre du travail sur le coût de la réforme de France Travail, évalué à 2,7 milliards d’euros ; le 18 février, Bercy a annoncé reprendre 1,1 milliard au financement de cette réforme : que va-t-il rester de cette dernière ? Quels moyens d’action allez-vous donner à France Travail ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons massivement augmenté la dette pour affronter la crise du covid, puis celle de l’inflation. Jamais depuis 1929 la richesse nationale ne s’était autant effondrée que durant le covid ; quant à la crise inflationniste, elle est la plus grave que notre pays ait connue depuis les années 1970. Nous avons effectué un choix, qui me semble avoir été collectivement partagé, de protéger les emplois, les savoir-faire, les compétences et les entreprises pour éviter une crise sociale et économique. Nous avons suivi la même orientation face à l’inflation, en instaurant des boucliers tarifaires pour le gaz et l’électricité, que personne ici ne souhaite supprimer. Maintenant que ces deux crises sont passées, il faut revenir à la normale et réduire la voilure de la dépense.
M. David Amiel (RE). Vous l’avez rappelé, les besoins d’investissements publics dans la transition énergétique et la défense se font sentir dans tous les pays européens en même temps. Il me paraît indispensable d’identifier à l’échelle européenne des ressources supplémentaires, en sollicitant d’abord ceux qui ont bénéficié de la mondialisation sans respecter les mêmes règles que les autres. Face aux multinationales qui avaient recouru à l’optimisation fiscale, vous avez fait adopter l’impôt minimum sur les sociétés ; de même, la France a obtenu une taxe carbone aux frontières, dont il faudra étendre l’assiette, pour les importations de biens dont la production ne respecte pas les mêmes exigences environnementales que les pays européens. Le taux d’imposition effectif des milliardaires peut par ailleurs se révéler très faible grâce à différents dispositifs d’optimisation.
Vous avez représenté la France au G20, où l’économiste Gabriel Zucman a présenté des analyses particulièrement intéressantes. Quelle position la France défendra-t-elle sur l’imposition minimale des très grandes fortunes dans les enceintes européennes et internationales ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je plaide depuis sept ans pour un nouveau système fiscal international, plus juste et plus efficace. Nous avons défendu notre position dans le scepticisme le plus général, mais nous avons instauré l’imposition des acteurs du numérique, qui nous rapporte désormais près de 1 milliard d’euros : cette politique nous a attiré les foudres des États-Unis, qui nous ont sanctionnés par un relèvement des tarifs douaniers sous la présidence de Donald Trump. Nous avons plaidé pour un taux d’imposition minimal des sociétés, là aussi dans le scepticisme le plus général : il nous a fallu sept années pour aboutir ; cette imposition entrera en vigueur en France le 1er janvier 2025 et rapportera 1,5 milliard d’euros aux caisses de l’État à partir du 1er janvier 2026. Nous avons suivi la bonne méthode pour obtenir ces résultats.
Il faut suivre la même voie pour l’imposition minimale des plus riches. Personne ne peut accepter l’optimisation fiscale, voire l’évasion fiscale, de certains contribuables parmi les plus aisés, en Europe comme dans le reste du monde. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais je mettrai la même énergie pour aboutir à l’instauration de cette imposition minimale des personnes physiques que celle que j’ai mise dans le combat pour l’imposition minimale des acteurs du numérique et des sociétés.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Vos coupes budgétaires entraînent une baisse de 13 % des crédits alloués au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Vous venez d’affirmer que l’APD était la principale dépense affectée par votre politique : cela constitue un problème en soi, mais les difficultés vont bien au-delà. En 2023, M. Macron a constaté que ce ministère avait connu une profonde attrition de ses moyens et qu’il devait fonctionner avec l’un des budgets les plus faibles parmi les puissances européennes. Votre cure d’austérité élimine les efforts consentis dans la loi de finances pour 2024 pour « réarmer la diplomatie française ».
La France a perdu deux places dans le classement mondial des réseaux diplomatiques, et, au moment où le Gouvernement bombe le torse face aux puissances hostiles, vous détruisez les moyens de la représentation de la France dans le monde. Alors que vous nous avez alertés sur l’accumulation des fractures et des tensions géopolitiques, ne conviendrait-il pas d’annuler cette décision ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne peux pas entendre de tels propos : nous avons doublé le budget des armées depuis 2017. Face aux crises géopolitiques et aux menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe, la meilleure protection est de disposer de forces armées en état de répondre. La loi de finances initiale et la loi de programmation militaire ont considérablement augmenté les crédits alloués aux forces armées : cette politique est nécessaire et juste ; personne ne peut affirmer que nous désarmons la France quand nous doublons le budget du ministère des armées.
S’agissant de la représentation de la France à l’étranger, elle n’est pas affectée par la diminution des crédits de l’APD. Cette dernière est utile et nécessaire, voilà pourquoi son montant a doublé au cours des sept dernières années. Tous les moyens sont donc garantis pour que la France soit bien représentée et bien protégée dans le nouveau contexte géopolitique.
M. Mickaël Bouloux (SOC). En tant que rapporteur spécial de la mission Recherche et enseignement supérieur, je constate la disparition de 904,2 millions d’euros de crédits, sans connaître les actions qui seront le plus affectées : comment cette baisse sera-t-elle ventilée ? Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la recherche sur la transition écologique, les biocarburants de troisième génération, la recherche spatiale ou encore les cancers pédiatriques ne semblent pas vous intéresser : seules les coupes permettant d’atteindre vos objectifs de finances publiques vous préoccupent. Pourquoi ne pas sabrer dans le CIR des grandes entreprises plutôt que dans la recherche publique ?
L’APD a certes doublé, mais où sont passées les promesses du Président de la République formulées en juin dernier devant quarante chefs d’État ? Où est passé l’objectif d’une APD représentant 0,7 % du PNB, pourtant déjà repoussé ? Pourquoi ne pas taxer les transactions financières et en affecter le produit à l’APD ? La commission des finances a adopté des amendements allant en ce sens, mais ils n’ont pas pu être examinés en séance publique.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Après le décret d’annulation, nous constatons une hausse de près de 400 millions d’euros du budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche par rapport à l’exécution budgétaire de 2023 : je ne me retrouve pas dans le tableau que vous brossez. Les crédits progressent, mais moins fortement que prévu.
Nous annulons prioritairement la réserve de précaution. La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 n’est pas remise en cause, y compris les crédits affectés aux recrutements – de même que ceux alloués au programme 231 Vie étudiante.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je suis heureux de constater que les réflexions évoluent à l’échelle européenne sur les taxations complémentaires. La France et l’Europe de 2024 ne sont pas celles de 2017, donc nous devons réfléchir à de nouvelles ressources. Quelle est votre position sur la taxation des transactions financières, sujet qui est en train de prospérer dans l’Union européenne ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Après avoir instauré une taxe sur les transactions financières, la France défend la création d’une taxe comparable à l’échelle européenne. Ce n’est pas la France qui bloque, mais d’autres pays qui n’ont pas le même niveau de taxation. Je redis ma détermination à défendre, dans le cadre européen et dans celui de l’OCDE, une imposition minimale des revenus des personnes physiques. Je me réjouirais que les vingt-sept pays de l’Union européenne parviennent à se mettre d’accord sur le sujet dans les mois qui viennent.
M. Kévin Mauvieux (RN). Je suis rapporteur spécial des crédits de la mission Engagements financiers de l’État : nous avons beaucoup parlé de la dette mais très peu de sa charge, qui va pourtant devenir le premier poste de dépenses de l’État. Il est possible de réaliser des économies dans ce domaine. À ce titre, j’ai transformé une suggestion de mon rapport en une proposition de loi visant à cesser l’émission d’obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation (OATi) ; en effet, celles-ci nous ont coûté, depuis leur création en 1998, les 10 milliards d’euros que vous souhaitez récupérer. Vous allez me rétorquer que les OATi permettent de gagner de l’argent, que les taux d’intérêt sont plus élevés et que ces obligations sont nécessaires à la levée d’argent sur les marchés financiers, mais vos amis allemands que vous aimez copier ont arrêté d’émettre des OATi le 1er janvier dernier parce qu’ils les jugent toxiques. Ne faudrait-il pas suivre le mouvement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis tout à fait disposé à discuter des OATi, qui bénéficient d’une prime d’indexation : les investisseurs sont prêts à acheter ces titres à un prix plus élevé car leur valeur est protégée contre l’inflation.
Je vous rejoins sur le poids de la charge de la dette, qui justifie le rétablissement des comptes publics : l’objectif est de contenir l’augmentation des taux d’intérêt de la dette et celle de l’écart entre les taux français et allemand. La charge de la dette représentera la somme considérable d’environ 50 milliards d’euros en 2024. Rétablir les finances publiques, c’est réduire cette charge, donc éviter de dilapider l’argent public.
Mme Stella Dupont (RE). Pour identifier de nouvelles mesures porteuses d’économies, j’ai déjà fait des propositions. Mais il faut aussi de nouvelles recettes. L’Institut des politiques publiques a démontré que le taux d’imposition global devient régressif – il passe de 46 % à 26 % – quand on atteint la tranche la plus haute, celle des milliardaires. Cette régressivité est synonyme d’injustice pour nombre de Français. J’ai entendu vos réponses, notamment à David Amiel, à propos de la fiscalité à l’échelle européenne, mais il nous faut aussi financer la transition écologique et la prise en charge du grand âge : nous avons vraiment besoin de ressources supplémentaires.
Monsieur le ministre, envisagez-vous une réforme de la taxation des milliardaires à l’échelle nationale, sans nécessairement augmenter les prélèvements obligatoires, mais en en revoyant la répartition ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je le répète, comme la taxation des géants du numérique et la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés, la taxation minimale des individus n’a de sens qu’à l’échelle européenne et internationale. À l’échelle nationale, elle entraînera le départ des plus fortunés.
La France est le pays de l’OCDE où le taux marginal d’imposition sur le revenu est le plus élevé, dépassant 58 % si l’on combine l’impôt sur le revenu – 45 % –, la CSG – 9,2 % – et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus – 4 % –, qui s’applique depuis plus de dix ans.
Le problème que vous soulevez concernant la taxation marginale doit être traité dans un cadre européen et dans celui de l’OCDE. J’y suis totalement déterminé.
M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). De nombreux Français n’arrivent plus à se chauffer ; du coup, leur habitat se dégrade et devient insalubre, ce qui nuit encore davantage à leur qualité de vie. Votre réponse, monsieur le ministre : retirer 1 milliard à MaPrimeRénov’ et sortir près de 150 000 logements du statut de passoire thermique par un simple jeu de calcul, sans même qu’un carreau y ait été changé. Or on sait que, dans le logement, le temps perdu est un facteur supplémentaire de dégradation. Vous êtes ministre depuis sept ans, mais vous vous êtes trompé de 1 milliard en évaluant notre capacité de dépense pour la rénovation énergétique.
En outre, le fonds Vert, issu d’une dépense exceptionnelle liée à la sortie du covid, est raboté de 0,5 milliard alors que l’Institut de l’économie pour le climat estime les besoins à 7 milliards. Les collectivités locales ont apporté 5 milliards et il reste pour ce programme 2 milliards de crédits dans la mission Écologie, développement et mobilité durables. Pensez-vous que votre renoncement soit de nature à nous permettre d’atteindre les objectifs de soutien au secteur du bâtiment et aux collectivités face au changement climatique ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Notre investissement dans la transition écologique progresse très fortement. Il est en hausse de plus de 8 milliards d’euros cette année par rapport à 2023. Les moyens consacrés à la rénovation énergétique augmentent de 800 millions.
Plus important encore, le dispositif va être simplifié. L’année dernière, tous les crédits n’ont pas été dépensés parce que MaPrimeRénov’, notamment, est trop complexe. Christophe Béchu et Guillaume Kasbarian se sont donc engagés à cette simplification pour en assurer le bénéfice aux Français qui en ont vraiment besoin.
Le fonds Vert, création récente de notre majorité, est maintenu et le montant des crédits qui lui sont alloués est élevé : 2 milliards d’euros pour accompagner la conduite par les collectivités territoriales des projets de transition écologique. Cela reste un effort substantiel.
Mme Géraldine Grangier (RN). Nous sommes d’accord avec vous, monsieur le ministre : il faut faire des économies. Mais il faut le faire avec talent et une véritable stratégie. Vous souhaitez annuler 737 millions d’euros de crédits de la mission Cohésion des territoires alors que vous aviez déclaré ne pas vouloir toucher au budget des collectivités locales.
De nombreux maires de territoires ruraux expriment leur mécontentement et leur inquiétude face au nouveau dispositif France ruralité revitalisation, qui remplace les zones de revitalisation rurale (ZRR) en excluant nombre de communes. Cette réforme prévue pour juillet prochain n’était-elle pas une façon d’anticiper vos coupes budgétaires ? Alors que la fracture territoriale se creuse, ce n’est pourtant pas le moment de faire des économies sur le dos de la ruralité.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous ne faisons pas d’économies sur le dos des collectivités territoriales. Je l’ai dit, le fonds Vert est maintenu à son niveau de l’année dernière, ce qui représente un effort considérable. Cet effort est d’ailleurs concentré sur l’État, car nous prenons des mesures immédiates pour rétablir les finances publiques, mais nous aurons des discussions avec les collectivités à ce sujet.
La transformation des zones de revitalisation rurale, qui a fait l’objet d’une large concertation menée par Dominique Faure, a permis l’entrée dans le dispositif de milliers de communes. Elle peut susciter des interrogations dans certains territoires. Des députés, notamment de la majorité, ont alerté le Gouvernement à ce sujet et un dialogue est en cours entre l’exécutif, les parlementaires et les collectivités à propos de ces difficultés ponctuelles.
M. Dominique Da Silva (RE). Comme rapporteur spécial de la mission Travail et emploi, je juge atteignable l’effort de 1,1 milliard qu’il est demandé de consentir sur ses crédits, à condition d’user de discernement.
Concernant la baisse de 200 millions de la prise en charge des contrats d’apprentissage, j’appelle l’attention sur les centres de formation d’apprentis (CFA) qui forment aux métiers de l’artisanat et de l’industrie, aux niveaux 3 et 4, c’est-à-dire le niveau bac et infrabac, et dans les territoires ruraux, où le privé lucratif n’irait pas. C’est une question d’intérêt général. Comment envisagez-vous cet effort de 200 millions ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je connais votre attachement à ces politiques essentielles pour accélérer le retour à l’emploi et atteindre le plein emploi, objectif de la majorité. Je veux vous rassurer : même après les annulations, le niveau des crédits alloués à la mission Travail et emploi restera supérieur à celui de l’exécution 2023. Nous sommes attentifs aux politiques qui fonctionnent : il n’est pas question de casser des dispositifs très dynamiques tels que l’apprentissage. Dans le cadre de la reprogrammation, la ministre du travail, de la santé et des solidarités choisira où exactement faire des économies à l’intérieur de chaque programme. Je souhaite qu’elle puisse échanger à ce sujet avec les rapporteurs spéciaux et les députés impliqués dans les politiques publiques en question.
M. Michel Lauzzana (RE). Les crédits du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche baissent de 590 millions d’euros. Une chercheuse en médecine a estimé que la seule recherche, en particulier médicale, perdait 300 millions. Le confirmez-vous ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L’essentiel des crédits destinés à la recherche médicale sont inscrits dans les missions Recherche et enseignement supérieur et Investir pour la France de 2030. Dans cette dernière mission, il n’y a pas d’annulation de crédits prévue. Les économies concernent essentiellement la réserve de précaution.
Je connais votre engagement dans la lutte contre les cancers pédiatriques. Nous n’avons cessé d’augmenter les crédits en faveur de cette politique publique : de 5 millions en 2018, ils ont été revalorisés de 20 millions pour 2022, puis de 10 millions par amendement au projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023. Ces crédits financent notamment les actions de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).
M. Denis Masséglia (RE). Je tiens à souligner la responsabilité dont le Gouvernement fait preuve en cette période compliquée et à lui apporter tout mon soutien. Beaucoup sont prompts à proposer des dépenses sans chercher comment les financer.
Quand on réduit les dépenses de l’État, très souvent, le nombre de fonctionnaires baisse et des territoires ruraux sont affectés, alors que ce n’est presque jamais le cas des administrations centrales. Le Gouvernement peut-il s’engager à stabiliser les effectifs dans nos hôpitaux et nos écoles et à réserver leur baisse éventuelle aux administrations centrales et aux services régionaux ou départementaux ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Les priorités de nos services publics – le réarmement de la police et de la justice, le chantier du choc des savoirs au sein de l’éducation nationale –, qui nécessitent des moyens supplémentaires, ne sont pas remises en question par les décrets d’annulation. Un effort est fait sur la masse salariale en raison de la sous-exécution constatée l’année dernière, qui nous permet des économies sans remise en cause des schémas d’emplois. Mais si des économies devront être réalisées sur les effectifs, ce sera prioritairement, en effet, sur les fonctions support et administratives qu’il faudra les faire porter, et non sur celles qui permettent d’accompagner directement les Français.
M. Benoit Mournet (RE). Il est décidément plus facile d’être dans l’opposition que dans la majorité… Je n’ai pas entendu beaucoup de propositions au sujet de la réduction pourtant nécessaire des dépenses. Mon seul regret concernant le décret d’annulation est qu’il se limite au périmètre de l’État.
Quelques pistes à la lumière de mon rapport spécial sur les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions. L’indexation systématique sur l’inflation, quel que soit le niveau de prestations et de revenus, pourrait être discutée. Il y a aussi du travail à faire sur les niches fiscales. Concernant la fraude, la démarche a été engagée.
Je vois deux angles morts. D’abord, la productivité du travail : les dépenses liées à la santé mentale coûtent 160 milliards par an à notre richesse nationale, dont 130 de dépenses indirectes ; nous devons traiter les pathologies psychiatriques plus tôt et mieux pour que les gens travaillent, et travaillent bien. Ensuite, le taux d’épargne. Par quels outils mobiliser davantage les fonds épargnés ? Je plaide pour une contribution volontaire au remboursement de la dette publique.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je confirme que nous avons fait le choix, avec le Président de la République et le Premier ministre, d’indexer toutes les prestations sociales et toutes les pensions sur l’inflation en 2024. Cette décision a été prise, elle sera intégralement et scrupuleusement respectée ; je ne veux laisser planer aucun doute sur ce point.
La meilleure façon d’inciter nos compatriotes à réduire l’abondance de leur épargne est de leur garantir la stabilité fiscale. Laisser la voie ouverte à des hausses d’impôt crée de l’incertitude et de l’inquiétude, ce qui fait augmenter le taux d’épargne. Celui-ci a fortement crû – il approche 19 % en France, contre 6 à 7 % aux États-Unis – en raison de la hausse des taux d’intérêt, qui a rendu plus difficile d’emprunter pour se loger. Le moindre doute au sujet des impôts serait la pire des réponses.
Mme Cécile Rilhac (RE). Nous avons voté hier une proposition de résolution européenne sur l’espace ; lors de son examen, le sujet des économies sur le spatial a été abordé par de nombreux groupes. Le plan d’économies prévoit une baisse de 190 millions des crédits alloués à notre programme spatial. Comment s’articule-t-elle avec notre ambition spatiale face au dynamisme des autres acteurs ? Je pense à la nouvelle stratégie spatiale de l’Allemagne, qui vise clairement la première place en Europe.
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous aurons l’occasion d’en reparler plus longuement. L’État qui a été le plus réticent à contribuer davantage à l’ESA (Agence spatiale européenne) n’était pas la France, mais l’Allemagne.
M. le président Éric Coquerel. Merci, messieurs les ministres.
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Information relative à la commission
La commission a désigné M. Daniel Labaronne, rapporteur sur la proposition de loi tendant à tenir compte de la capacité contributive des collectivités territoriales dans l’attribution des subventions et dotations destinées aux investissements relatifs à la transition écologique des bâtiments scolaires (n° 1998)
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 15 heures
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Christine Decodts, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, Mme Stella Dupont, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, Mme Perrine Goulet, Mme Géraldine Grangier, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, Mme Nadia Hai, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Philippe Lottiaux, Mme Lise Magnier, Mme Alexandra Martin (Gironde), M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, Mme Mathilde Paris, Mme Christine Pires Beaune, M. Robin Reda, M. Sébastien Rome, M. Michel Sala, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Jean-Marc Tellier
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, Mme Alma Dufour, M. Joël Giraud, Mme Marie Guévenoux, M. Tematai Le Gayic, M. Damien Maudet, M. Emeric Salmon
Assistaient également à la réunion. - M. Perceval Gaillard, M. Arnaud Le Gall, M. Emmanuel Mandon, M. Adrien Quatennens, Mme Cécile Rilhac