Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la lutte contre la haine anti-LGBT2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des sports, des Jeux olympiques et paralympiques, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la vie associative, et Mme Magali Lacroze, journaliste, co-auteurs de Le Livre noir du sport – Violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation, … Tout ce qu’on ne dit jamais (2020)              19

– Présences en réunion................................39


Jeudi
12 octobre 2023

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures.

La commission organise une table ronde sur la lutte contre la haine anti-LGBT :

 M. Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+ ;

 M. Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs, M. Vincent Etienne, M. Rayhanne Abderrahim Amghar et Mme Inês Lafaurie, joueurs ;

 M. Ouissem Belgacem, ancien footballeur et écrivain.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Monsieur Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+ ; Monsieur Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs, qui est accompagné de Monsieur Vincent Étienne, Monsieur Rayhanne Abderrahim Amghar et Madame Inès Lafaurie, joueurs. Nous accueillons également Monsieur Ouissem Belgacem, ancien footballeur et écrivain.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Le 20 juillet dernier, nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Créée en 1986, la fédération sportive LGBT+ est à la fois mixte et omnisport. Elle regroupe 50 associations sportives en France. Son objectif est de lutter contre les discriminations subies par des personnes LGBT+ dans le milieu sportif. Elle organise plusieurs manifestations sportives explicitement ouvertes aux personnes LGBT+. Elle est membre de la fédération des Gay Games, événement sportif organisé tous les quatre ans sur le modèle des Jeux olympiques, à destination des personnes LGBT.

Le club de rugby parisien Les Coqs sportifs est inclusif. Il a été créé en 2006. Oussem Belgacem a notamment publié en 2021 une autobiographie intitulée Adieu ma honte !, dans laquelle vous dénoncez l’homophobie que vous avez rencontrée dans le football et qui vous a poussé à renoncer à votre carrière de joueur professionnel. Depuis lors, vous sensibilisez contre l’homophobie dans le football.

Nous souhaiterions tout d’abord recueillir votre analyse de l’ampleur des violences et des discriminations subies par les personnes LGBT dans le milieu sportif en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d’éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Pourriez-vous revenir sur les actions que vous déployez dans le champ qui nous intéresse ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis de discriminations que vous avez subies ou rencontrées dans le champ du sport et les réponses qui ont été apportées ?

Quelles relations entretenez-vous avec les différents acteurs qui interviennent dans la lutte contre les discriminations dans le sport ? Je vais citer le ministère des sports, les fédérations sportives, l’Agence nationale du sport (ANS), la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, le défenseur des droits, la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), les établissements d’enseignement et la justice.

Quelle appréciation portez-vous sur l’action de ces différents acteurs dans le domaine qui nous intéresse ? De manière générale, quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les discriminations à l’encontre des personnes LGBT+ dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Éric Arassus, M. Alban Vandekerkove, M. Alexandre Morin, M. Vincent Étienne, M. Rayhanne Abderrahim Amghar, Mme Inès Lafaurie et M. Ouissem Belgacem prêtent serment.)

M. Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+. Je vais tout d’abord vous donner quelques chiffres. Nous avons remporté un appel à projets du ministère des sports et de l’organisme Ipsos. Nous avons mené une enquête qui a été publiée le 17 mai dernier. Il en ressort ce qui suit : 50 % des Français ont déjà été témoins d’une situation homophobe ou transphobe dans le milieu sportif, 50 % des personnes LGBT ont déjà été victimes d’une situation homophobe dans le milieu sportif et plus de 75 % des Français considèrent qu’il faut aller plus loin dans la lutte contre la LGBT-phobie dans le sport.

Notre fédération regroupe tous les sports que vous connaissez aux Jeux olympiques. Monsieur Belgacem reviendra sur ce qu’il se passe dans le football. Olivier Klein et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), par le déclenchement de l’article 40, commencent à faire de la répréhension à l’encontre des insultes homophobes dans les stades. C’est une étape mais peut-être pas suffisant.

Comment identifier les auteurs de chants homophobes dans les stades ? Même s’il y a de la vidéosurveillance, il s’agit de travailler en amont. Il faut peut-être se rendre dans les clubs de football, dans les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) et dans les centres d’entraînement. Il faut travailler à la fois avec les jeunes et les entraîneurs, mais aussi avec les ultras et les clubs de supporters. La Fédération française de football et la ligue de football professionnel doivent vraiment se mettre au travail sur le sujet parce que les actions entreprises ne sont pas suffisantes. Le budget en la matière est nettement insuffisant au regard du travail à accomplir.

Aujourd’hui, le CNOSF a pour mission de faire chaque année un rapport sur l’homophobie dans le sport en général. Vous avez auditionné Brigitte Henriques, sa présidente précédente, qui avait promis de le faire. À ce jour, ce rapport n’a pas été publié. Nous aimerions bien qu’il le soit parce que nous avons besoin d’un état des lieux et constatons des lacunes sur ce sujet. Nous avons essayé de contacter David Lappartient, le nouveau président du CNOSF, mais nous n’avons pas eu de contact avec lui à ce jour. Nous espérons être recontactés un jour. Notre fédération est reconnue et dispose d’un agrément ministériel depuis le 9 septembre dernier. Nous sommes donc désormais éligibles au CNOSF.

Nous pensons que les personnes LGBT+ doivent être reconnues et incluses au sein des fédérations. Aujourd’hui, peu de personnes trans peuvent concourir. Certaines fédérations internationales interdisent même aux personnes trans de concourir : la fédération internationale d’échecs, la World Athletics, la World Rugby et la Fédération internationale de natation (Fina). Je rappelle que les femmes trans sont des femmes et que les hommes trans sont des hommes. Par conséquent, ces personnes ne doivent pas être discriminées dans les compétitions.

Des groupes d’études se créent. La Fédération française de rugby a organisé hier un colloque dans le cadre de la Coupe du monde de rugby en France. Cela va nous donner un héritage. Il ne faut pas discriminer les personnes LGBT et trans dans le monde du sport. Le budget est nettement insuffisant dans certaines fédérations. Des choses sont entreprises en la matière par certaines fédérations – on a évoqué le rugby –, mais des fédérations se trouvent toujours en difficulté. Il y a notamment des budgets à mettre en place dans le football. Il faut vraiment intensifier des actions sur ce sujet. Il s’agit véritablement d’œuvrer au quotidien. Il faut aller dans les clubs de football, à la rencontre des jeunes et des entraîneurs, voire des supporters. Ça représente un travail conséquent. On ne peut pas se contenter de deux ou trois événements annuels, de mettre des maillots floqués le 17 mai et fermer les yeux le reste de l’année.

La ligue de football a rendu hier un arbitrage assez ubuesque avec des suspensions et des amendes financières. Je pense que ce n’est pas suffisant. Les choses ne doivent pas se passer comme ça. Il faudrait donc mettre davantage de moyens sur ce sujet.

Je voudrais revenir sur ce qui s’est passé à la Fédération française d’escrime, dont le président a démissionné. Nous avons effectué quatre signalements sur Signal-Sports pour des cas d’homophobie graves et avérés. Des personnes ont notamment été déclassées et traitées de pédophiles. Ça m’émeut d’en parler. Nos signalements n’ont été remontés qu’hier soir, ce qui est assez étonnant et a peut-être un lien avec la présente audition.

La personne en question a enfin été auditionnée par le médecin fédéral de la Fédération française d’escrime. Nous espérons vraiment que ça va aboutir, alors que cette personne a dépensé plus de 20 000 euros dans le cadre de ces signalements. Il s’agit d’un entraîneur reconnu au niveau régional, en Bourgogne et dans le nord-est. Il convient donc d’œuvrer par rapport aux problèmes qui existent au sein de la Fédération française d’escrime.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les faits ? Vous dites que vous avez été contacté hier par la cellule Signal-Sports. Vous ont-ils expliqué pourquoi ça avait pris du temps en sachant qu’il ressort de nos auditions que les discriminations, dont l’homophobie, n’entrent pas dans le périmètre de Signal-Sports qui se limiterait aux violences sexistes et sexuelles (VSS).

M. Éric Arassus. C’est intéressant car on nous a toujours dit que le sujet relevait de Signal-Sports. Je crois savoir que cette cellule n’est aujourd’hui composée que de quatre personnes, ce qui est peu. Nous pensons qu’il faut mettre plus de moyens. Si l’homophobie ne fait pas partie de Signal-Sports, c’est intéressant de l’apprendre aujourd’hui mais il faudrait dans ce cas qu’une plateforme dédiée soit mise en place.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure de la commission d’enquête sur les fédérations françaises de sport. Nous avons auditionné la Dilcrah ce matin. C’est un point important. Ils nous ont clairement expliqué que l’homophobie et les discriminations ne faisaient pas partie de Signal-Sports. Des discussions sont en cours avec le ministère afin de les y intégrer. Je suis donc étonnée qu’ils vous aient contacté. Pourriez-vous nous expliquer le contexte de ces signalements ?

M. Éric Arassus. Il s’agit d’un entraîneur fédéral de Bourgogne-Franche-Comté qui a été congédié par l’ancien président de la fédération : Bruno Gares. Cet entraîneur, qui est en couple avec un homme, a été réprimandé pour son homosexualité. Il y a eu toute une enquête et son avocat a établi des faits.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’entendez-vous par « réprimandé » ?

M. Éric Arassus. Il a été déclassé et mis à l’écart. L’homophobie est clairement avérée. Une enquête est en cours avec un avocat et la personne se tient à votre disposition si vous souhaitez la contacter. Il s’agit de faits très graves. J’ai été auditionné par le juriste de la Fédération française d’escrime. Je pense que cette affaire a été mise sous le tapis. Il a été très compliqué de faire reconnaître l’homophobie par les médecins fédéraux. Au départ, on a parlé de harcèlement moral et de beaucoup d’autres choses. Ils ont clairement eu du mal à utiliser le terme « homophobie ».

En tout, il y a quatre cas à la fédération française d’escrime. Je pense notamment à celui d’une jeune personne trans, dont les parents nous ont contactés pour dire que les moyens nécessaires n’étaient pas mis à disposition. Il s’agit d’un adolescent qui est devenu une adolescente. En Lorraine, on n’a pas mis de vestiaires à sa disposition parce qu’on ne souhaitait pas que ce jeune adolescent puisse se déshabiller. Il lui était demandé de se déshabiller chez lui ou dans la voiture avant d’aller à l’entraînement. Nous pensons vraiment que la fédération française d’escrime doit œuvrer sur ce sujet. Notre charte Sport et Trans comporte des recommandations sur l’inclusion des personnes trans. C’est un véritable sujet aujourd’hui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Que vous répond la fédération ?

M. Éric Arassus. En fait, je me suis fait avoir. Nous avons signé cette charte en commun avec la Fédération française d’escrime, mais rien n’a été mis en place à ce jour. Finalement, la signature d’une charte n’engage à rien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il y a peut-être eu un signalement auprès de la fédération avant que les choses suivent leur cours. Quelle a été la réponse de la fédération au moment où vous avez effectué ce signalement ?

M. Éric Arassus. J’ai été recontacté par le service juridique de la Fédération française d’escrime. Les deux rencontres que nous avons eues n’ont à mon sens débouché sur rien. Les personnes concernées ont été recontactées, mais il n’y a eu ni amélioration ni piste de réflexion.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels propos ont été tenus lors de l’entretien avec la fédération ?

M. Éric Arassus. C’était donc au niveau fédéral et national. Il nous a été dit que c’était aux ligues régionales ou départementales d’œuvrer. En l’absence de changement d’État civil, ils nous ont dit que cet adolescent allait peut-être y renoncer. En sachant que les cas de renoncement pour les personnes trans sont vraiment très rares. Ça représente 0,08 % des cas. Étant donné qu’il s’agissait d’une personne mineure, ils nous ont indiqué ne pas vouloir faire d’efforts, ce qui nous a vraiment posé question. Il est assez inquiétant de constater qu’il n’y a pas de programme de formation à la Fédération française d’escrime.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Autrement dit, ce n’est pas allé plus loin. Il n’y a pas eu de signalement ou de saisine.

M. Éric Arassus. Dans le cas de l’entraîneur, il y a eu une saisine de Signal-Sports et une autre de la Fédération française d’escrime. Les rappels ont été faits hier soir. J’y vois donc un lien avec l’audition de ce jour. Les travaux sont lents et laborieux. Ça dure depuis plus d’un an. Malheureusement, peu de choses se passent alors que c’est compliqué pour cette personne sur le plan moral. Nous avons eu très peur qu’elle en arrive à se suicider. Elle n’est pas protégée et cette situation lui a coûté beaucoup d’argent : des frais d’avocat, une mise en retrait dans son travail, etc. C’est donc très compliqué pour elle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la suite du contact qui est intervenu, vous a-t-on dit s’il y avait eu une enquête administrative ? Est-ce que l’entraîneur en question a été éloigné de la victime ?

M. Éric Arassus. Il n’y a pas de victime à proprement parler puisque c’est l’entraîneur qui a été mis à l’écart. C’est allé très loin parce qu’il a été suspecté de pédophilie. Il lui a été demandé de ne plus travailler auprès de jeunes. En fait, c’était complètement ubuesque. Il a été traité de pédophile alors qu’il s’agit en l’occurrence d’une personne gay.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Où est-il actuellement ?

M. Éric Arassus. Il se trouve en Bourgogne-Franche-Comté.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Travaille-t-il encore aux côtés de mineurs ? Est-il toujours à la Fédération française d’escrime ?

M. Éric Arassus. Oui, il est toujours en activité. Je précise qu’il a changé de région. Il est parti d’Épinal pour s’établir en Bourgogne-Franche-Comté parce que ses relations avec la ligue fédérale étaient très compliquées. Je souhaitais revenir sur le lien avec le CNOSF. Aujourd’hui, nous avons l’agrément ministériel, mais pas l’agrément du CNOSF. Nous avions des rapports assez étroits avec Brigitte Henriques, du temps de sa présidence.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si je comprends bien, un agrément avec le ministère des sports ne vous donne pas pour autant un agrément avec le CNOSF.

M. Éric Arassus. Non, ce n’est pas obligatoirement immédiat. Il faut enclencher des mesures administratives. L’agrément ministériel date du 9 septembre. Je pense que ça va suivre son cours, mais c’est tout de même assez long sur le plan administratif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle est la différence entre ces deux agréments ?

M. Éric Arassus. Je ne saurais pas répondre à cette question précisément. En tout cas, je sais que c’est assez lent. Il est prévu que nous revoyions le conseiller déontologie et éthique de madame la ministre la semaine prochaine. Je pourrai alors vous faire part de ces différences. En ce qui concerne le CNOSF, nous avons aujourd’hui une alliée en la personne d’Astrid Guyart, la secrétaire générale. Nous pensons que le CNOSF doit aller plus loin en matière de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Nous attendons le rapport depuis un an, mais on ne voit rien venir.

Les Jeux olympiques et paralympiques vont se tenir dans quelques mois. Nous souhaitons que ces jeux soient inclusifs. Or, peu de choses sont entreprises à ce jour. Certaines fédérations le font, mais ce n’est pas suffisant. Il convient de mettre en place plus de moyens et des politiques publiques plus incitatives. Bien qu’il y ait plusieurs personnes LGBT au sein des fédérations, il y a peu de coming out ou de role models. Certains sont obligés de se cacher pendant leur carrière et font leur coming out une fois qu’ils sont à la retraite.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des contacts avec l’ANS ?

M. Éric Arassus. Oui, nous sommes financés depuis peu par l’ANS. Nous organisons une compétition qui s’appelle les EuroGames et qui aura lieu en 2025 à Lyon. Nous avons des contacts avec l’ANS depuis un an.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu des échanges avec eux sur les termes qui sont caractérisés en termes d’homophobie ? Certaines associations nous ont notamment relaté qu’il leur avait été dit lors d’une réunion il y a quelques années que le terme « enculé » n’était pas homophobe.

M. Éric Arassus. Nous n’avons pas d’échanges de ce type-là aujourd’hui. Pour nous, l’ANS est un financeur. Concrètement, ils financent un tournoi, mais sans pour autant mettre en place des actions de lutte contre l’homophobie. En fait, on nous répond la même chose, à savoir que les termes « pédé » et « enculé » font partie du folklore. Non ! Je rappelle qu’il s’agit d’un délit en 2023.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui vous dit ça ?

M. Éric Arassus. La Fédération française de football ou la ligue de football ainsi que les clubs de supporters. Il n’est plus possible d’entendre ce genre de chose aujourd’hui. Je pense qu’il faut taper du poing sur la table.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est donc la fédération et les clubs de supporters. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Qui vous dit ça ?

M. Éric Arassus. C’est ce qu’on entend lors des concertations avec la Fédération française de football (FFF). Ceci dit, on sent qu’il y a une volonté politique de faire bouger les choses depuis l’arrivée d’Amélie Oudéa-Castéra. Néanmoins, il y a encore deux ans, on nous disait que ces termes étaient traditionnels et que ça faisait partie du folklore. Tandis qu’aujourd’hui, il faut savoir qu’Olivier Klein, le nouveau délégué interministériel, a déclenché l’article 40 à trois reprises. Ce n’est donc plus à géométrie variable. Il y a une réelle volonté de faire changer les choses. Pour autant, il est très compliqué d’identifier les auteurs de chants homophobes dans les stades.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui vous a dit ça au sein de la fédération ? À quel niveau ?

M. Éric Arassus. C’est tout de même au niveau national.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. On vous a donc répondu au cours d’une réunion avec la Fédération française de football que ça faisait partie du folklore et qu’il ne fallait pas s’arrêter à ce vocabulaire.

M. Éric Arassus. Tout à fait. Ceci étant, les choses commencent à bouger depuis un an.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous aurions besoin de plus de détails pour bien comprendre. Qui est votre interlocuteur à la Fédération française de football ?

M. Éric Arassus. Il n’y a pas de personne identifiée pour la lutte contre l’homophobie, par exemple.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Autour de la table, il y a donc un représentant de la FFF. Qui est cette personne ? Quel est son rôle à la fédération ?

M. Éric Arassus. Je crois qu’il s’agit d’une personne qui travaille sur l’éthique et la déontologie, mais elle n’est pas forcément liée à la lutte contre les discriminations ou pour l’inclusion. Par conséquent, la lutte contre l’homophobie n’est pas forcément son sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aurais une question sous le même format pour le football et le rugby. Comment les réunions de travail se passent-elles et avec qui travaillez-vous aujourd’hui sur toutes ces questions-là ? Quelles réponses vous sont apportées ? L’objectif de cette commission est d’identifier les failles et les dysfonctionnements afin de formuler des propositions concrètes pour faire avancer les choses. Des signalements sont-ils restés sans réponse ? Si oui, pourquoi ?

M. Ouissem Belgacem, ancien footballeur. Je vais vous parler du football, qui est mon périmètre dans le sport. Je suis un ancien footballeur et j’ai écrit un livre qui a été publié il y a deux ans. Il est intitulé Adieu ma honte et a donné lieu à une série documentaire, qui est sortie en juin dernier sur Canal+. On m’y voit notamment intervenir dans différents clubs de France. Pour vous résumer la situation, le constat est finalement le même qu’à l’époque où je jouais. J’entends les mêmes commentaires hyper homophobes, que ce soit de la part des joueurs, des coachs ou des supporters. Toute l’industrie du football est concernée.

En ce qui concerne mes interactions avec la fédération, j’ai beau avoir sorti un livre dans l’une des plus grandes maisons d’édition et avoir été invité sur les plus grands plateaux de télévision en France, je n’ai pas reçu un seul appel de la FFF. Voilà qui en dit long… J’ai eu quelques échanges avec la Ligue de football professionnel (LFP), mais on m’a expliqué qu’il n’y avait pas de moyens financiers, humains, logistiques et organisationnels pour lutter contre l’homophobie dans le football. Je m’en souviens comme des pires réunions de ma vie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous demandé à rencontrer la FFF afin d’échanger avec eux ?

M. Ouissem Belgacem. Ma productrice connaissait potentiellement quelqu’un de la FFF. Ceci dit, je pense qu’ils doivent me connaître. Un article a été publié dans L’Équipe et j’ai fait le tour des plus grands plateaux de télévision. Je pense qu’ils ne veulent pas me parler ou entendre ce que j’aurais à leur dire. De toute façon, la LFP travaille avec la FFF. Ces deux organes sont liés. Les réunions que j’ai eues avec eux étaient vraiment lunaires. C’est à moi qu’on demandait des contacts pour aller parler à différents clubs. Je travaille dans le sport, mais aussi dans le monde du travail avec différents groupes et entreprises. Lorsqu’on est sérieux sur un sujet et qu’on souhaite améliorer les choses, il faut se doter de moyens d’y parvenir. Ils pourraient par exemple avoir des formateurs de lutte contre les discriminations qui se verraient confier un budget pour mettre en place des projets. Ça rejoint mon action au sein d’entreprises dans le privé. La conclusion que j’en tire, c’est que le monde du football n’a pas forcément envie de lutter contre l’homophobie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous préciser pourquoi vous affirmez que les réunions que vous avez eues avec la ligue ont été les pires de votre vie ?

M. Ouissem Belgacem. La lutte contre l’homophobie est forcément un sujet qui me touche. J’ai joué au Toulouse Football Club pendant six ans. Je suis allé jusqu’aux États-Unis pour essayer de vivre de ma passion. Finalement, le constat était un peu le même. En fait, je n’ai pas senti d’empathie sur le sujet pendant les échanges. J’ai pu discuter avec le directeur de la communication RSE de la LFP. Je ne comprends pas qu’une ligue puisse me demander si je connais des personnes à l’AS Monaco, à Toulouse ou ailleurs qui pourraient éventuellement les aider à organiser une réunion. Ils ont forcément des contacts au sein des clubs.

En fait, la LFP et la FFF misent tout sur quelques associations. J’ai vraiment l’impression que c’est pour dire : « Vous ne pourrez pas dire qu’on n’a rien fait sur le sujet. Nous avons fait une action cette année ». C’est louable de la part de ces associations, dont la plupart sont bénévoles. Sont-ils formés et outillés pour accompagner la jeunesse ? Le temps où un footballeur n’était qu’un footballeur est révolu. Les joueurs sont désormais des leaders d’opinion. Ils ont des millions de followers sur les réseaux sociaux. Ils sont écoutés par une partie de la France, parfois même davantage que les politiciens. Si on n’aide pas ces jeunes-là à déployer les valeurs qui doivent prévaloir en France, ça peut rapidement devenir très compliqué.

Je suis peut-être un peu négatif, mais je constate que les choses n’ont pas avancé - ou très peu - malgré mon livre et la série documentaire. C’est donc un peu décourageant. En plus, j’ai entendu des discours de haine dans chaque club où je suis passé. J’aime à penser que les clubs qui m’ont ouvert les portes sont certainement les plus ouverts d’esprit. Les autres ont préféré que je ne vienne pas filmer les séances.

Qu’est-ce que ça dit de l’état du football français ? Je pense que l’homophobie dans le football est l’angle mort des discriminations. Ils n’ont pas envie de s’en préoccuper ; peut-être par crainte que ça déplaise aux supporters, aux coachs ou aux joueurs. En tout cas, il y a un écart entre les valeurs que la France est censée porter et celles que le football français défend aujourd’hui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous comprenons qu’il n’y a pas de volonté de traiter la question. Quels sont les dispositifs à mettre en place afin de mieux travailler en termes de prévention ? En termes de sanctions, on est à ce jour très loin de ce qu’il faudrait mettre en place afin que les mêmes comportements ne se reproduisent pas. De notre côté, nous souhaiterions plutôt travailler sur la prévention afin d’éviter l’homophobie.

M. Ouissem Belgacem. Je vous rejoins. De toute façon, je ne suis pas forcément favorable aux sanctions. Je vous invite à regarder mon documentaire. En fait, les jeunes réagissent très bien à mes conférences. On voit le chemin qu’ils peuvent parcourir en l’espace d’une intervention. C’est tellement incroyable qu’on se demande pourquoi ce n’est pas fait partout, chaque année et dans chaque club. Qu’attend-on pour le faire ?

Je ne comprends pas qu’une industrie telle que celle du football en France, qui brasse des milliards chaque année, n’ait pas une enveloppe budgétaire allouée à la lutte contre l’homophobie. J’ai joué pour l’équipe de Tunisie. J’ai connu le racisme. J’ai souvent vu des campagnes contre le racisme. De grands spots publicitaires ont été réalisés avec les stars de l’équipe de France. En revanche, il n’y a pas grand-chose en ce qui concerne l’homophobie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Auriez-vous une estimation du budget qui est alloué à la lutte contre l’homophobie au sein des différentes fédérations, en particulier dans le rugby et le football ?

M. Ouissem Belgacem. On m’a dit qu’il n’y avait pas de budget dans le football. Lors de l’avant-dernière journée de Ligue 1 et de Ligue 2, les joueurs portent des brassards de couleur arc-en-ciel. À titre personnel, je pense que c’est une très mauvaise initiative qui ne fait qu’amplifier la fracture. Je suis toujours invité sur les plateaux à ce moment-là. En fait, les joueurs ne comprennent pas pourquoi ils doivent les porter. On ne peut pas faire de la communication ou du marketing s’il n’y a pas eu de formation en amont. C’est la même chose en termes de prévention. Lorsque les joueurs comprendront pourquoi ils portent ces brassards, il y aura peut-être une avancée. En attendant, ça ne crée que des polémiques.

On m’a dit que ces maillots étaient ensuite mis en vente et que l’argent récolté servait à financer les associations qui organisent quelques ateliers par an. Je ne sais pas s’il existe un budget dédié. Si tel est le cas, il est de toute façon très faible. Je pense qu’il devrait y avoir une stratégie cohérente qui parte de la fédération pour se diffuser dans les clubs. Ces derniers n’ont pas forcément tous les moyens d’avoir un référent LGBT. En tout cas, la personne qui s’occupe de la lutte contre les discriminations pourrait au moins suivre une formation sur ce sujet précis.

La FFF et la LFP affirment que les choses avancent et que l’homophobie recule. Pour autant, les faits ne mentent pas. En France, aucun joueur de football ne fait son coming out, que ce soit dans les centres de formation ou au niveau professionnel. En revanche, c’est le cas dans d’autres pays tels que l’Angleterre ou l’Australie, qui sont des sociétés différentes. Sur le Vieux continent, les cultures méditerranéennes sont certainement plus machistes et virilistes. Je pense que notre pays et le football se voient plus progressiste qu’ils ne le sont réellement.

M. Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs. Les choses sont un peu plus simples du côté du rugby. La ligue et la fédération nous ont vraiment ouvert les bras, notamment dans le cadre de la Coupe du monde. Notre association existe depuis 2006. Notre club est constitué de joueurs qui viennent jouer au rugby le samedi matin. Il a la particularité d’être inclusif, c’est-à-dire LGBT-friendly. Jusqu’à présent, il n’y avait que des hommes qui venaient, mais les choses ont changé il y a quelques années avec l’arrivée de femmes au sein du club. Nous nous ouvrons donc à la mixité. Le problème, c’est que nous ne pouvons pas jouer en équipe mixte.

Il y a huit ans, nous nous sommes demandé comment porter la parole des Coqs festifs à une échelle un peu plus large. Il n’y a par définition pas de discriminations au sein du club. Nous sommes un espace de protection pour les personnes qui nous rejoignent. Nous avons modestement développé une marque : « Rugby is my pride », qui avait pour but de promouvoir nos actions et nos luttes contre les discriminations.

Nous n’avons pas de moyens, mis à part les petites subventions de sponsors ou les cotisations de nos joueurs. Nous nous sommes donc rapprochés de la Ligue nationale de rugby (LNR) il y a quelques années. Elle gère notamment le Top 14, la Pro D2 et le Supersevens, qui est le tournoi de rugby à sept. Ils développaient justement un programme intitulé « Célébrons la diversité ! ». Ce projet reposait sur plusieurs piliers : le racisme, l’égalité femme-homme, le handicap et la lutte contre la LGBT-phobie.

Nous avons donc travaillé ensemble. Ils ont également lancé un programme intitulé « Plaquons l’homophobie ! ». Un sondage anonyme a été effectué auprès de tous les professionnels de la LNR : joueurs, entraîneurs et encadrants. Même s’il date un peu, ce sondage est disponible sur leur site Internet. Il ressort de cette enquête que 75 % des personnes interrogées, quelle que soit leur orientation sexuelle, pensaient qu’il serait effectivement très difficile de faire un coming out dans le rugby français aujourd’hui. Et ce, en raison des peurs, des appréhensions ou de l’homophobie apparente dans les clubs.

La Ligue nationale de rugby a ainsi tracé une ligne arc-en-ciel lors des phases finales du Top 14. Elle a mis le rainbow flag sur les écrans avec la promotion d’un film lors de la finale de 2018. Depuis lors, ils font des ateliers de sensibilisation au sein des clubs professionnels. Ça concerne essentiellement le Top 14 et la Pro D2. Il s’agit simplement d’ouvrir le débat. Il convient de rappeler qu’il n’y a à ce jour qu’un seul joueur qui ait fait son coming out au sein du rugby professionnel. Il s’agit de Jérémy Clamy-Edroux.

Au sein des équipes féminines, ce sujet n’est pas forcément tabou. Ça semble ne pas être un problème. Certaines joueuses qui s’assument complètement ne souhaitent pas forcément être médiatisées pour ce motif. C’est donc un sujet sur lequel nous travaillons en lien avec la LNR. En ce qui concerne la Fédération française de rugby, qui gère notamment les équipes féminines et masculines ainsi que les clubs de loisirs, ils ont créé la CADET, une commission chargée de la lutte contre les discriminations, il y a deux ans.

Cette commission s’est immédiatement attaquée à un autre problème : la transphobie. Il faut savoir que World Rugby, l’instance qui gère les règles de ce sport à l’échelle mondiale, a préconisé de ne pas faire jouer les joueurs et joueuses trans. Autrement dit, un joueur homme devenu femme ne pouvait pas jouer dans une équipe féminine. Certains pays tels que l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande ont décidé d’appliquer cette réglementation.

La FFR, via la CADET, s’est penchée sur le sujet en interrogeant des médecins et des scientifiques. A priori, ça ne constituerait pas un problème puisque ça ne concerne que 0,5 % de personnes. Ils ont donc décidé de faire des tests. Ils conduisent une expérimentation depuis quelques années avec une joueuse ambassadrice : Alexia Cérénys, qui joue en équipe féminine au niveau élite. A priori, ça ne pose absolument aucun problème.

Nous avons ensuite travaillé avec la FFR et la CADET sur un petit tournoi pour la lutte contre les discriminations. C’était à Marcoussis, sur les terrains de l’équipe de France. La résonance ayant été positive, ils ont proposé de s’associer avec la LNR, la FFR, World Rugby et la Coupe du monde autour du programme « Rugby is my pride » et de développer un programme plus important à l’occasion de la Coupe du monde.

Nous avons obtenu des moyens en provenance des sponsors officiels de la Coupe du monde : Société Générale, MasterCard et Education First. Ça nous a permis de produire un film de sensibilisation contre l’homophobie en mai dernier. Un symposium a été organisé hier en présence de madame la ministre des sports ainsi que des présidents de la FFR et de la LNR, le président français de World Rugby et celui de la Coupe du monde.

Des ateliers et des échanges se sont tenus pendant toute la journée sur les sujets de discriminations, de lutte contre l’homophobie et la transphobie, et de l’égalité femme-homme au sein du rugby. Ces échanges ont été extrêmement positifs. World Rugby est toujours un peu hésitant et fermé sur la question des joueurs et joueuses trans, mais a accepté d’entrer dans les négociations.

Par ailleurs, le nouveau président de la FFR, Florian Grill, a annoncé hier que les matchs seraient systématiquement arrêtés en cas de racisme ou de chants homophobes. Il a notamment briefé les arbitres, qui ne peuvent pas forcément avoir conscience de tout ce qui se passe dans les tribunes. Quoi qu’il en soit, les matchs seront systématiquement interrompus le cas échéant. C’est donc un point extrêmement positif. D’ailleurs, sa position est unanimement suivie au sein de la LNR puisque ce genre de chose n’a absolument pas sa place dans les stades de rugby.

Nous allons également organiser ce week-end un tournoi intitulé « Pride Rugby Cup », qui va se tenir une nouvelle fois sur les terrains de l’équipe de France. Dix équipes, dont huit masculines et deux féminines, vont promouvoir la mixité. Comme je l’indiquais, il ne nous est toujours pas possible de jouer en mixte en rugby loisirs. C’est l’occasion de passer ce message en présence de toutes les instances de ce sport.

La question s’est également posée de savoir ce qu’il convenait de faire par la suite. Un programme dit Héritage va débuter au terme de la Coupe du monde. Il s’agit de faire bouger les choses progressivement afin que les mentalités évoluent et qu’on ne voie plus dans le rugby des comportements qui n’y ont pas leur place.

M. Vincent Étienne, vice-président du club de rugby Les Coqs festifs. Alban gère les relations avec les institutions du rugby en France. J’ai commencé le rugby à l’âge de 6 ans et j’ai arrêté au moment où il fallait que je me concentre sur mes études. Lorsque j’ai voulu reprendre, étant donné que j’avais fait mon coming out entre-temps, j’ai très vite ressenti que je n’étais pas le bienvenu dans le club de la ville où j’ai grandi. Je suis arrivé chez les Coqs festifs en cherchant un club un peu plus inclusif.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites avoir rapidement ressenti que vous n’étiez pas le bienvenu ou que vous dérangiez ?

M. Vincent Étienne. À partir du moment où vos coéquipiers ne souhaitent pas que vous entriez dans le vestiaire, il est difficile de se sentir à l’aise dans son propre club. Je n’y suis jamais retourné après cet épisode-là. Aujourd’hui, je sais que cette espèce d’ambiance homophobe s’est un peu calmée parce que l’un des entraîneurs est ouvertement gay. C’est peut-être une question générationnelle.

Toujours est-il qu’il m’a fallu me tourner vers les Coqs festifs pour trouver un endroit où je pouvais me sentir à l’aise avec ma sexualité. Sans pour autant mettre ce sujet en avant au quotidien, il a tout de même fallu que je me demande comment pratiquer le sport que j’aime sans être discriminé. Je me suis posé cette question avant même d’avoir une identité sexuelle. Je ne sais pas s’il existait à cette époque-là des organismes vers lesquels j’aurais pu me tourner, mais le coach ne m’a pas vraiment aidé.

Il convient de souligner que la lutte contre la LGBT-phobie ne peut pas aller sans lutter contre la misogynie. Je pense que l’homophobie et la LGBT-phobie descendent surtout d’une misogynie intégrée. Pourquoi le terme « enculé » est-il une insulte ? Parce que la personne enculée est pénétrée. C’est l’idée qu’une femme est un objet pénétré et souillé dans lequel un homme se vide. On ne pourra pas remédier à la LGBT-phobie sans lutter contre la misogynie et cette image selon laquelle être une femme et être pénétré sont dégradants. C’est la raison pour laquelle je pense que ces luttes vont de pair.

M. Rayhanne Abderrahim Amghar, joueur du club de rugby Les Coqs festifs. Pour ma part, j’ai pratiqué des sports individuels pendant très longtemps. Je ne me posais pas encore ce type de questions parce que j’étais très jeune. Lorsque j’ai pris conscience de mon orientation sexuelle, j’ai fait mon coming out assez jeune. Ce n’était pas forcément évident parce qu’un enfant reste tout de même très naïf. Je pensais très sincèrement qu’il n’y aurait pas de problèmes, mais les choses ne se sont malheureusement pas passées comme ça. J’ai eu droit aux moqueries et au rejet dans les vestiaires. Je ne comprenais pas parce que je n’avais pas choisi d’être homosexuel.

J’ai tout de même continué le sport, mais je me douchais en rentrant chez moi. J’ai ensuite arrêté le sport pendant plusieurs années avant de reprendre une activité physique. Je ne cherchais pas forcément un club LGBT, mais je cherchais plutôt un club de rugby qui acceptait tous les niveaux. L’un de mes amis, qui faisait partie des Coqs festifs, m’a proposé de venir faire un essai. J’ai adoré dès le premier entraînement. Je me suis entraîné et j’ai progressé avec les nouveaux. Au rugby, on est aussi une famille. Pour moi, ça a vraiment été une révélation. Ça fait maintenant sept ans que j’ai rejoint les Coqs festifs et j’y suis très heureux.

Malheureusement, de manière générale, je pense qu’il y a encore un énorme travail à accomplir. Il nous est déjà arrivé d’entendre sur un terrain : « On ne va pas perdre contre des pédés ! Ce n’est pas possible ! » Ce qui m’a vexé et choqué, c’est que le capitaine de l’équipe adverse a jugé notre niveau sportif en fonction de notre orientation sexuelle. Ça n’a aucun sens. L’orientation sexuelle n’a clairement aucun rapport avec la performance sur le terrain.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quel club s’agissait-il ?

M. Rayhanne Abderrahim Amghar. C’était à Montreuil. C’était il y a longtemps, mais je pourrais retrouver le nom de ce club sans problème. Nous faisons aussi un travail lors de la « troisième mi-temps ». C’est le moment d’échanger avec les adversaires autour d’une bière. Lorsqu’on avait droit à ce type de réflexions, je me fermais à la conversation. Aujourd’hui, je profite de cette troisième mi-temps pour essayer d’échanger et de comprendre pourquoi certains pensent qu’un homosexuel serait plus faible sur un terrain de rugby.

La réponse est généralement : « J’ai dit ça pour motiver mes troupes. Bien sûr que je ne le pense pas ! » Quoi qu’il en soit, ça reste un problème. Aujourd’hui, je sais me protéger. Ça me fait donc beaucoup moins mal. Par contre, j’ai toujours tendance à me mettre à la place de l’opprimé. Pour un jeune qui aurait intégré le club récemment et qui entendrait ça, ce type de propos pourrait lui faire beaucoup de mal. Heureusement que tout le monde ne pense pas comme ça ! La majorité de nos adversaires sont très respectueux, mais ça peut arriver. C’est la raison pour laquelle je pense que, même si les choses avancent, il y a encore un gros travail à faire.

Mme Inès Lafaurie, joueuse du club de rugby Les Coqs festifs. Je suis une femme trans. Je suis né garçon et je deviens femme. Je suis chez les Coqs festifs depuis trois ans et je suis membre du conseil d’administration depuis cet été. Mon entrée chez les Coqs festifs n’était pas une évidence. À l’issue du premier confinement, je cherchais un club de sport afin de pratiquer le rugby et ne plus me sentir isolée. Je souhaitais surtout évoluer dans un environnement accueillant, et non hostile. En sachant que ça coïncidait avec la période lors de laquelle je commençais les démarches pour ma transition.

Les Coqs festifs m’ont proposé une journée d’essai. J’ai adoré le premier entraînement, mais je n’ai pu m’inscrire que l’année suivante en raison du deuxième confinement. J’ai grandi avec un père fan de rugby, qui a été joueur et entraîneur de son équipe. J’ai donc toujours été imprégnée par le rugby pendant mon enfance. Pour autant, j’étais convaincue que ce n’était pas un milieu pour moi. J’ai pris conscience de ma sexualité différente assez tôt.

Pendant la période de l’adolescence, il m’était difficile de faire face à des personnes qui voyaient en moi ce que je n’avais pas encore achevé de comprendre. C’était même très perturbant. La question des vestiaires pendant les cours d’EPS a toujours été très compliquée. J’ai majoritairement pratiqué la natation pendant ma jeunesse. Dans l’eau, on est seul dans sa tête et on n’a pas besoin des autres. En plus, on se change dans une cabine, c’est-à-dire un espace clos pour soi.

Je trouvais le monde du rugby viriliste et très violent. J’étais persuadée de ne jamais pouvoir y trouver ma place. J’ai expliqué ma situation à Alban avant mon entraînement d’essai. J’avais beaucoup d’appréhension parce que c’était la première fois que j’allais faire du sport en public en tant que femme trans. Je lui ai posé un certain nombre de questions. Il m’a répondu que je serais le premier joueur trans de l’équipe, mais qu’il n’y aurait pas de problème.

Lorsque je suis arrivée, on m’a demandé spontanément si je souhaitais avoir un vestiaire séparé afin de me changer plus tranquillement. J’ai trouvé ça merveilleux. J’ai refusé parce que je préfère faire partie de l’équipe. J’ai énormément pris confiance en moi grâce au soutien et à la solidarité que j’ai trouvés au sein de la famille des Coqs sportifs. Il est arrivé qu’il y ait des incidents, voire des insultes à mon égard, en raison de mon identité de genre et de mon apparence physique. Pour autant, j’ai toujours été soutenue par le club.

Je suis notamment extrêmement reconnaissante au club de m’avoir soutenue sur la question de la mixité, qui est interdite par la FFR. Lorsque j’ai rejoint le club, l’affiliation à la FFR était en négociation. Nous évoluions alors dans une fédération qui autorisait les clubs mixtes. L’année suivante, j’étais en pleine démarche de changement de prénom à l’état civil lorsque le club a été affilié à la FFR. Lorsque j’ai appris que la fédération nationale interdisait les clubs mixtes, j’ai décidé de me contenter du changement de prénom et de ne pas changer le marqueur de genre. Et ce, afin de ne pas être interdite de compétition et de matchs. À l’époque, je n’avais même pas la certitude de pouvoir m’entraîner.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Jouez-vous actuellement avec les garçons ou les filles ?

Mme Inès Lafaurie. Je joue avec les garçons. Je précise qu’il n’y avait aucune femme dans l’équipe avant mon arrivée. Depuis cette année, il y a de plus en plus de joueuses. En tant que membre du conseil d’administration, j’en suis ravie et j’aimerais inciter plus de femmes à nous rejoindre. Toujours est-il que je joue avec les garçons. D’ailleurs, ça a posé problème en avril dernier, à l’occasion d’un tournoi européen en Angleterre. Les règles de la fédération anglaise sont très strictes et inflexibles. Les femmes trans n’ont pas le droit de jouer avec les femmes. Je n’avais donc pas le droit de jouer avec les équipes féminines.

C’était encore plus frustrant parce que des joueuses d’une autre équipe parisienne, contre laquelle on joue régulièrement, sont venues nous voir après un match afin de me demander si je souhaitais m’inscrire avec elles pour ce tournoi. J’ai été obligée de leur répondre que ce n’était pas possible. À la fin de ce tournoi, j’ai eu le droit à des insultes de la part d’un joueur d’une équipe adverse.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Où jouent les Coqs festifs ?

M. Alban Vandekerkove. Nous sommes au stade Pershing, à Vincennes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous devez avoir de nombreux vestiaires.

M. Alban Vandekerkove. Oui, surtout que nous sommes à peu près 70 par entraînement. Nous avons donc plusieurs vestiaires. L’arrivée de femmes au sein du club nous a incités à demander plus de vestiaires. Une femme est venue nous voir pour inscrire son fils trans, qui est mineur. Nous ajoutons donc des vestiaires en fonction des différents profils qui rejoignent le club.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je comprends, mais ça constitue une véritable problématique. La plupart des collectivités manquent de vestiaires. Il ne peut donc pas forcément y avoir de vestiaires dédiés en sus de ceux qui existent pour les hommes et les femmes.

Mme Inès Lafaurie. Nous avons depuis cette année des vestiaires femmes séparés de ceux des hommes. Ça ne pose aucun problème. Je suis accueillie au sein du vestiaire femme comme toutes les autres joueuses de l’équipe.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des échos de ce qui se passe au sein d’autres clubs qui n’ont pas forcément les structures municipales dont vous disposez ?

M. Éric Arassus. En fait, il y a une attribution de créneaux entre les hommes et les femmes. À Paris, 85 % des créneaux sont pour les hommes et 15 % pour les femmes. À Lyon, c’est 50-50. L’adjointe au sport de Lyon a fait des budgets genrés. Désormais, pour obtenir des subventions et des créneaux, il faut rendre des comptes sur les VSS. Je pense que ce serait vraiment nécessaire à Paris. En sachant que les femmes ont peu de créneaux sportifs. C’est une question d’équité entre les femmes et les hommes. Comme Vincent le disait tout à l’heure, les femmes sont assez invisibilisées dans le sport en général, en particulier dans les médias. On a notamment pu le constater lors de la Coupe du monde de football féminin.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais savoir comment vos clubs respectifs ont réagi lorsque vous leur avez fait état des discriminations que vous avez subies.

M. Vincent Étienne. Pour ma part, j’ai la chance d’avoir une famille assez impliquée au niveau associatif dans la ville dont je suis originaire. Ils ont donc des relations avec le maire, l’adjoint au maire et les conseillers municipaux. J’avais pu faire remonter l’information. Il était de notoriété publique que le président du club était relativement homophobe et raciste. D’ailleurs, il a dû démissionner quelques années plus tard et pas parce qu’il a été poussé vers la sortie. Ceci dit, étant donné qu’à peine une quinzaine de personnes s’identifiaient comme étant LGBT, c’était finalement un sujet mineur pour la municipalité.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Aucun signalement n’a été effectué plus haut, c’est-à-dire au niveau de la fédération, lorsque vous avez dénoncé la discrimination dont vous avez été victime ? Que s’est-il passé par la suite ? Rien ?

M. Vincent Étienne. En fait, il ne s’est absolument rien passé. J’essaie de prendre du recul au regard du contexte. L’entraîneur était très bon et l’équipe très performante. Je pense qu’il y a eu une volonté de laisser les choses courir afin de ne pas affecter les résultats sportifs du club, les sponsors, qui permettent de limiter les subventions de la municipalité etc. D’autant que la commune a tout misé sur le rugby. C’est peut-être le seul village de 5 000 habitants qui compte quatre terrains de rugby. Il y a eu peut-être une volonté politique de ne pas freiner la progression de l’équipe et donc de mettre les problèmes sous le tapis.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous si les choses ont évolué au sein de ce club ?

M. Vincent Étienne. J’ai eu l’occasion d’y retourner il y a environ un mois. Le nouveau président du club était mon surveillant lorsque j’étais au collège. Il était donc informé de mon coming out. La génération actuelle est peut-être un peu plus sensibilisée. D’ailleurs, le coach des poussins est ouvertement gay. Il assiste aux entraînements et aux matchs avec son mari. Je pense que c’était lié à un problème générationnel.

Je viens d’une commune rurale francilienne qui est tout de même située à proximité de la ville. Ce type de problèmes est plus fréquent en ruralité, où le seul homosexuel d’un village est souvent considéré comme un pestiféré. Toujours est-il que les choses ont évolué aujourd’hui. Tant mieux ! Je m’en réjouis pour ceux qui vont pouvoir vivre leur sexualité de manière épanouie. 

M. Rayhanne Abderrahim Amghar. Il n’y a pas eu de signalement officiel en ce qui me concerne. On a essayé d’en parler de manière informelle lors de la troisième mi-temps. Pour ma part, je n’en ai pas parlé à mon président ni au conseil d’administration à l’époque. Clairement, c’est quelque chose que je découvrais. Je ne savais même pas que ça pouvait exister. C’est peut-être mon côté naïf. J’ai pu échanger avec quelques joueurs adverses lors de la troisième mi-temps. Ils ont essayé de dédramatiser les choses avec des plaisanteries. Ils m’ont dit que c’était simplement une manière d’encourager les joueurs et qu’il n’y avait aucune homophobie derrière ces propos.

Mme Inès Lafaurie. Le premier incident dont je me souviens au sein du club s’est déroulé lors d’une soirée. J’ai subi du harcèlement et des menaces de violences sexuelles. Des personnes du club ont réagi afin que l’individu me laisse tranquille. J’ai envoyé un message pour rassurer tout le monde dès que je suis rentrée chez moi. J’ai expliqué mon point de vue sur les événements. Ils m’ont tous soutenue et défendue. Ils m’ont dit de les en informer immédiatement si ça se reproduisait. Tout le club prend systématiquement ma défense en cas d’incident. À Birmingham, un rappel a été effectué auprès du club dont le joueur m’avait insultée à la fin du tournoi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre agresseur était-il du club ?

Mme Inès Lafaurie. Non, pas du tout. C’était une soirée événement organisée par le club. Il s’agissait d’un client du bar extérieur au club. Nous étions tous en maillot du club et identifiables comme des joueurs du club. Il y avait également des banderoles et des flyers du club.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment est-ce que les choses se passent dans d’autres fédérations sportives ?

M. Éric Arassus. Ça ne se passe pas très bien. Les violences sexistes et sexuelles constituent un point important qui n’est pas encore légiféré. Même dans le milieu LGBT, on a beau dire qu’on propose des endroits sûrs dans lesquels on peut se sentir en sécurité, je pense que tout le monde n’est pas au clair sur la notion de consentement et qu’il y a un travail à faire sur le sujet. En interne, il y a tout de même eu quatre dépôts de plainte l’année dernière. Ça concerne des suspicions de viol et des choses assez lourdes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous préciser ?

M. Éric Arassus. L’officier de police judiciaire de Paris Centre est une personne identifiée référente de l’association FLAG !. Il nous a indiqué qu’il existait des sujets récurrents au sein de certaines associations de notre fédération avec des comportements comme ceux que vient de décrire Inês. Lors de soirées, il y a un processus d’alcoolisation et certains produits sont utilisés. Ça peut aboutir à des agressions sexistes et sexuelles.

D’ailleurs, nous devons prévoir un budget au traitement de ces sujets pour obtenir l’agrément ministériel. Pour cela, il faudrait que l’on soit un peu mieux subventionné. Ça implique de former des gens et d’avoir une politique publique plus incitative. Nous devons travailler sur la notion de consentement dans le milieu gay. Il y a donc un travail à faire en la matière. Je pense notamment à l’association En avant toutes !, qui peut former sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu LGBT.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À l’époque où vous étiez encore joueur de football, avez-vous été témoin de dysfonctionnements, monsieur Belgacem, en avez-vous signalé ? Aujourd’hui, vous vous rendez dans un certain nombre de clubs. Vous arrive-t-il de recueillir des témoignages de faits de discrimination, d’homophobie ou de racisme ?

M. Ouissem Belgacem. Non, je n’en ai pas vu. Je pense qu’on est encore au stade précédent. Je suis la preuve vivante qu’il y a des gays dans le football professionnel en France. Ceci dit, étant donné qu’il n’y a aucune perspective de pouvoir vivre les choses sereinement, personne ne se risquerait à effectuer un signalement, en sachant que les enjeux financiers sont tellement grands et les carrières tellement brèves. En plus, l’adolescent cherche à se focaliser sur le football.

Lorsque je fais des conférences, je me pose des questions sur le langage corporel de certains. Certains me suivent sur les réseaux sociaux. Pour autant, le but n’est pas de les identifier puisque je sais qu’il en existe dans chaque club. L’objectif est de créer un environnement dans lequel ils se sentiront un jour à l’aise, que ce soit pour faire un signalement ou leur coming out. Pour autant, la route me semble longue.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous d’autres recommandations à nous transmettre ?

M. Éric Arassus. Oui. Pour dégager des moyens de lutter contre l’homophobie et la LGBT-phobie, on pourrait par exemple taxer les paris sportifs, qui drainent énormément d’argent. Aujourd’hui, on sent que les choses avancent, mais c’est lent et laborieux. On pourrait utiliser une partie de l’argent du sport business pour des politiques publiques de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Il n’y a pas que la Fédération française de football qui soit à des années-lumière de nous. On pourrait parler du basket et du volley-ball. Je précise que nous avons une quarantaine d’associations qui représentent chaque sport. Pourtant, elles ont peu de contacts avec leur propre fédération.

Aujourd’hui, il faut que le CNOSF engage chaque sport à faire un travail de lutte contre la LGBT-phobie. C’est très bien que le rugby le fasse, tout comme la fédération pionnière en la matière : le roller derby. Néanmoins, ce n’est pas suffisant. On pense qu’une incitation est vraiment nécessaire. On évoquait tout à l’heure les Jeux olympiques et paralympiques, que l’on souhaite inclusifs. Pour autant, nous avons besoin d’une démarche globale.

M. Ouissem Belgacem. J’entends ton point, mais je ne suis pas certain que ce soit un problème d’argent. Du moins, pas dans le football. Je pense que ça relève davantage d’une question de volonté. Si on souhaite véritablement avancer, on ne pourra pas faire l’économie de créer ce département de lutte contre les discriminations au sein de la Fédération française de football avec des référents dans chaque club. Ça requiert également des prises de position claires et fortes de la part du président de la FFF. En l’occurrence, ce que j’ai entendu de sa part il y a encore quelques semaines ou quelques mois est assez effrayant.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’a-t-il dit ?

M. Ouissem Belgacem. Selon ses dires, il n’y aurait pas d’homophobie dans le football et ce ne serait pas vraiment un sujet. Il faudrait également engager les acteurs principaux du football en France, c’est-à-dire les joueurs phares de Ligue 1. Ils sont davantage écoutés que le président de la fédération. Si on n’arrive pas à mobiliser les joueurs de l’OM ou du PSG, ça va être compliqué.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites que vous avez 40 associations au sein de la fédération. Pourriez-vous nous citer quelques exemples de fédérations qui ne sont pas du tout engagées dans la lutte contre les discriminations, le racisme ou l’homophobie ? Contactez-vous ces fédérations pour leur faire des propositions et ce, sans obtenir de réponse de leur part ?

M. Éric Arassus. En 2018, nous avons organisé les Gay Games. Cet événement a accueilli 10 500 personnes à Paris. Nous avions demandé à chaque association représentative de contacter sa fédération d’appartenance. Ça a parfois amené à des situations ubuesques. Nous avons eu des contacts avec la personne déléguée à la situation de handicap. Je rappelle que le fait d’être LGBT n’est pas un handicap aujourd’hui !

Il arrive qu’il n’y ait pas de contact et que les fédérations ne nous répondent pas. C’est notamment le cas du volley-ball et de l’aïkido. Ces fédérations-là font la politique de l’autruche. Aujourd’hui, les choses se font à deux vitesses dans le sport. Le rugby obtient des résultats en ce qui concerne le sport professionnel mais le sport amateur et de loisirs est complètement déconnecté de tout ça. 

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner monsieur Lappartient ainsi que d’autres personnes. Il nous disait que lorsque l’Agence nationale du sport finance certaines fédérations, il n’y a pas véritablement d’obligation de formation ou de sensibilisation sur ces questions-là. Pensez-vous qu’il serait utile de formaliser les choses en les rendant obligatoires par voie réglementaire ou législative ?

M. Éric Arassus. J’en suis convaincu. Il faut avancer sur ces sujets-là. Il doit y avoir un référent LGBT-phobie dans chaque fédération, qui ne doit pas être la personne qui traite le racisme et l’antisémitisme. Il doit y avoir un référent dédié, formé, qui fasse des interventions et qui ait un budget spécifique. En 2023, on ne peut plus dire que ce problème n’existe pas. S’il n’y a pas de coming out au sein d’une fédération, c’est parce que le nécessaire n’a pas été fait pour en créer les conditions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous connaissez la cellule Signal-Sports puisque vous y avez eu recours. Plusieurs personnes auditionnées ont évoqué l’idée d’avoir des instances à l’extérieur du ministère des sports et des fédérations afin de recueillir la parole des victimes. J’aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Éric Arassus. L’association Colosse aux pieds d’argile le fait. À ma connaissance, il y a peu de personnes dédiées et formées sur ces sujets-là. Si on ne connaît pas cette association, on ne sait pas vers quel intermédiaire se tourner. C’est encore plus difficile en dehors de Paris. Tout le monde n’a pas accès à la bonne information. C’est la raison pour laquelle il serait utile d’avoir une instance intermédiaire. En l’occurrence, pour avoir accès à la cellule Signal-Sports, nous avons dû passer par le cabinet d’Amélie Oudéa-Castéra…Et il n’y a que quatre personnes dédiées à cette cellule ce qui démontre que les moyens ne sont pas mis en oeuvre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avons pas d’autres questions. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez des informations supplémentaires susceptibles d’intéresser cette commission d’enquête. Merci à vous.

La commission procède à l’audition de M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des sports, des Jeux olympiques et paralympiques, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la vie associative, et Mme Magali Lacroze, journaliste, co-auteurs de Le Livre noir du sport – Violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation, … Tout ce qu’on ne dit jamais (2020).

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent monsieur Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des sports, des Jeux olympiques et paralympiques, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la vie associative ainsi que madame Magali Lacroze, journaliste. Vous êtes coauteurs d’un ouvrage intitulé Le Livre noir du sport : violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation… Tout ce qu’on ne dit jamais, publié en 2020.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Pourriez-vous, dans un propos liminaire, partager avec nous les principaux constats que vous dressez dans cette étude et les préconisations que vous auriez à formuler en lien avec le champ de cette commission d’enquête ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Patrick Karam et Mme Magali Lacroze prêtent serment.)

Mme Magali Lacroze, journaliste, co-auteure de Le Livre noir du sport : violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation… Tout ce qu’on ne dit jamais. Je vous remercie de nous donner l’opportunité de vous rapporter les témoignages, les faits, l’enquête et l’analyse. Il a fallu un travail de plus d’un an pour écrire ce livre, qui a été publié en 2020. Ce qui me frappe aujourd’hui est que tout est encore actuel. Ce matin, à la radio, j’entendais des actualités sur des faits de racisme dans le sport, plus précisément, dans le football. Un entraîneur ne voyait pas en quoi il était grave de proférer des propos racistes. Il disait qu’il n’y avait pas de racisme dans le sport et que ce n’était que du chambrage.

Quelques jours plus tôt, des champs homophobes ont été entendus et repris par certains joueurs pendant un match OM-PSG, mais la suspension a été minime. Beaucoup de choses se télescopent avec l’actualité. À la fin du mois d’août, lors de la Coupe du monde de football féminine, la victoire de l’Espagne a été marquée par le baiser forcé du président de la fédération espagnole à une joueuse, qui a exprimé immédiatement son non-consentement.

On a dit qu’elle mentait, qu’elle avait tort et une plainte a été déposée à son encontre. Finalement, le président a démissionné vingt-et-un jours plus tard. Le problème, c’est que cette histoire prévaut sur la victoire de l’Espagne. La parole se libère dans certains clubs. Même si beaucoup de choses ont été faites, il reste encore beaucoup à faire, y compris au niveau de la justice.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous détailler ce que vous entendez par « la parole se libère dans certains clubs » ?

Mme Magali Lacroze. C’est ce qui ressort des témoignages que nous avons obtenus. Il y a à certains endroits des gens qui sont là pour accompagner la parole et essayer de comprendre ce qui s’est passé. Le problème, c’est que la justice ne sanctionne pas les viols qui sont déclarés. Par conséquent, même si la parole peut se libérer, il n’y a pas de suite. D’où le sentiment de victimisation qui prévaut.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des exemples ?

Mme Magali Lacroze. Je pense notamment à une femme qui est cadre dans le rugby. C’était il y a trois ans. Un jour, elle découvre le premier témoignage d’une jeune femme expliquant avoir été victime de viols. Personne ne sait comment réagir. Elle prend sa voiture afin d’aller voir comment les choses se passent dans le club. Finalement, la jeune fille ne voudra pas porter plainte. Elle rentrera chez ses parents à l’étranger en abandonnant ses études. C’est un échec pour cette femme qui a tenté de l’aider. Par la suite, elle a pris ces déviances à bras-le-corps. À chaque fois qu’une dénonciation ou un témoignage survient, elle rencontre les directeurs de club pour les confronter à la parole des joueuses. Pour autant, c’est quelque chose d’infime puisque cette personne se bat toute seule.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il faut que nous comprenions votre témoignage. C’était donc il y a trois ans. Qui est cette personne ? De quel club de rugby s’agitil ?

Mme Magali Lacroze. Non, c’était au niveau de la fédération nationale. Cette personne va de club en club pour voir ce qui s’y passe et confronter les éventuels acteurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. A-t-elle fait un signalement ?

Mme Magali Lacroze. Oui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Auprès de qui l’a-t-elle fait ? Quelles ont été les suites de cette affaire ? Où est l’entraîneur ?

Mme Magali Lacroze. Il y a eu une suite. En fait, elle m’a parlé de plusieurs affaires. Je me souviens notamment d’une affaire où l’entraîneur a finalement été suspendu et déplacé. En revanche, si la personne ne portait pas plainte, elle ne pouvait rien faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je comprends bien, cette personne de la fédération nationale a eu vent d’agressions sexuelles et de viols dans certains clubs. Elle va donc voir ce qui se passe localement. Quelle est la procédure ? Est-ce qu’elle prévient le dirigeant du club en question avant de faire un signalement au niveau de la fédération nationale ? Que se passe-t-il ensuite ? Le fait de déplacer un entraîneur ne règle pas le problème. Y a-t-il des déclenchements de procédures administratives et judiciaires ? Ou alors, est-ce que ça s’arrête tout simplement à la procédure administrative, avec une suspension, avant que la personne rejoigne un autre club ?

Mme Magali Lacroze. Je n’en sais pas plus, mais c’est très compliqué lorsqu’il n’y a pas de plainte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Normalement, dans une telle situation, un responsable ou président de fédération a la possibilité de déclencher l’article 40, qui entraîne systématiquement une instruction. Même si la victime ne porte pas plainte, une enquête est censée être effectuée. C’est pour cette raison que j’aimerais comprendre ce qu’elle fait.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je précise qu’il y a également la cellule Signal-Sports du ministère des sports. Elle est accessible, aussi bien aux victimes qu’aux différentes personnes qui encadrent le monde sportif. Par conséquent, qu’il s’agisse d’une personne de la fédération ou d’un coach sportif, il est donc possible de faire un signalement sur Signal-Sports.

Mme Magali Lacroze. Je ne fais que vous rapporter son témoignage. D’ailleurs, c’était à l’époque du témoignage de madame Abitbol. Ça effrayait encore plus de gens, notamment les jeunes, que d’en parler. Des personnes sont là pour essayer de comprendre, recevoir des témoignages et accompagner. Mais il y a souvent une incompréhension des cadres dirigeants des clubs, qui protègent parfois les agresseurs potentiels. C’est ce qui ressort des témoignages que j’ai pu recueillir à différents niveaux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous citer le nom du club ?

Mme Magali Lacroze. Non.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous faites-vous la porte-parole d’une personne lorsque vous nous relatez cette histoire ?

Mme Magali Lacroze. Non, je ne suis pas porte-parole. Je suis journaliste. Je relate des faits et des témoignages.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous évoquez le cas de cette personne de la Fédération française de rugby. Vous racontez la chronologie des faits, qui remontent à trois ans.

Mme Magali Lacroze. Elle a notamment créé une commission au sein de la fédération pour lutter contre ces violences.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De qui s’agit-il ?

Mme Magali Lacroze. Elle s’appelle Laëtitia Pachoud. Son nom figure dans le livre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous avouerais que je n’ai pas terminé de le lire. C’est un gros pavé. Je l’ai commencé cet été, mais j’ai été accaparée par bon nombre de choses en parallèle.

M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, co-auteur de Le Livre noir du sport : violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation… Tout ce qu’on ne dit jamais. Pourquoi ai-je choisi de dédier au sport ma carrière administrative, mon métier et mon mandat ? Au-delà de mon amour pour le sport, je considère que le sport est un outil extraordinairement puissant pour rassembler, donner des cadres et sauver des jeunes.

À titre personnel, mon père ne parle que le créole et l’arabe. En Guadeloupe, je me battais tous les jours dans la rue. J’ai été docteur en sciences politiques et délégué interministériel. J’ai eu une carrière administrative et j’ai un mandat en même temps. Si je suis ce que je suis, c’est parce que j’ai rencontré au karaté un sensei qui m’a remis sur le droit chemin. Le sport répare. Il ne faut pas oublier que vous avez des bénévoles qui y consacrent leurs journées, leurs nuits et leur temps. Il me semblait important de préciser le contexte de mon intervention et de mon engagement.

Magali Lacroze a raison : il y a un sujet sur le sport. Nous voyons des témoignages sortir depuis plusieurs années. Ils font la une de l’actualité, puis ils retombent. En revanche, dans le monde anglo-saxon, on constate que ces témoignages-là portent des politiques publiques, ce qui n’est pas le cas en France. Je voudrais lister quelques questions qui me semblent extrêmement importantes.

Dans ce livre, il est notamment question de sexisme et de tout ce qui peut s’y apparenter. Nous avons également parlé de violences sexuelles. Ce sujet demeure central. Le ministère a mis en place des outils, et en particulier le contrôle de l’honorabilité qui descend jusqu’aux bénévoles. Des individus sont écartés des clubs. On peut parfois changer un nom afin de ne pas être reconnu dans le logiciel. Mais globalement, ça fonctionne. À l’intérieur du champ des fédérations, il y a des formations spécifiques.

Je pense notamment à une association extraordinaire qui s’appelle Colosse aux pieds d’argile. Pour le coup, elle a soulevé un certain nombre de tabous. D’ailleurs, ce n’est pas la seule association à l’avoir fait. C’est important parce que ça met les uns et les autres en état de choc. Lorsqu’ils interviennent, la parole se libère, comme j’ai pu le constater dans un CREPS. En sachant que la parole ne peut se libérer que s’il y a de la confiance.

Il est vrai qu’il y a une sorte d’omerta. Elle a été très forte et très puissante. Elle existe toujours sur ces violences sexuelles. Parfois, les parents ne donnent pas crédit à la parole des enfants. Certains parents ont tendance à minimiser les choses face à un grand entraîneur. Nous le relatons dans cet ouvrage. L’entraîneur a une autorité naturelle sur l’enfant. Il a peut-être plus d’autorité que les parents eux-mêmes, que les enseignants, etc. Cette autorité-là assujettit l’enfant.

C’est un point extrêmement important. Parfois, elle assujettit même l’adolescent, voire l’adulte. Il y a un phénomène d’emprise. D’ailleurs, lorsque des viols se sont produits de manière répétée, on constate une forme d’amnésie. Lorsque la personne violée retrouve la mémoire au bout d’un certain nombre d’années, ça peut avoir des conséquences extrêmement graves sur sa santé. C’est la raison pour laquelle des livres sont publiés. C’est lié à cette prise de conscience.

Sur la question des violences sexuelles, il y a aujourd’hui des outils et les choses ont avancé. L’omerta est plus compliquée. Des agents de l’État sont formés pour repérer des situations. Au sein des fédérations sportives, il y a des conseillers techniques sportifs (CTS). Les directeurs techniques nationaux (DTN) et tous les CTS derrière eux sont vigilants sur cette question.

La directrice des sports, Fabienne Bourdais, a été nommée déléguée ministérielle sur les violences sexuelles à la suite d’un rapport de l’inspecteur général qu’il serait utile que vous vous procuriez sur les violences sexuelles. C’est ce rapport qui a tout déclenché. Je ne suis pas autorisé à vous dire de quoi il s’agit, mais il me paraît important que vous ayez ce rapport. Il pose des bases et remet un certain nombre de choses en perspective.

Fabienne Bourdais a mis en place ces dispositifs-là et les a suivis pendant longtemps. Il y a donc une vraie sensibilité qui s’est développée. Est-ce que ça signifie qu’il n’y a plus de violences sexuelles ? Non, ça peut continuer. En sachant que ça se tient dans le cadre d’une relation particulière et d’une emprise qui se noue entre un entraîneur et un sportif.  

 Il y a une question qui n’est pas réglée aujourd’hui. Je veux ici lancer un signal d’alarme. Ce n’est pas faute de l’avoir dit publiquement, notamment à l’occasion de la parution de l’ouvrage. Je n’ai été interrogé que sur la radicalisation, phénomène d’atteinte à la laïcité. Nous avons répondu aux questions tout en évoquant également l’homophobie, qui constitue un autre phénomène.

L’homophobie, ce n’est pas simplement quelques banderoles ou des chants que l’on constate dans les stades. C’est le phénomène visible. Pour régler ce problème, il faut mettre autour de la table des organisations de supporters et avoir avec ces dernières un dialogue donnant-donnant. Or, ce n’est pas fait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous entrons dans le cœur du sujet. Un certain nombre de choses ont été faites. Des rapports ont été rédigés. L’objectif de notre commission d’enquête est de déterminer les dysfonctionnements et les failles qui expliquent qu’on ne parvient pas à avancer sur ces sujets aujourd’hui. Quels sont selon vous ces dysfonctionnements et ces failles ?

M. Patrick Karam. Là, nous parlons de l’homophobie. Laissez-moi terminer sur ce sujet. Je vais lister un certain nombre de choses, puis nous répondrons à vos questions. Si je réponds à vos questions au fur et à mesure, je vais perdre le fil de mon développement. Le vrai sujet aujourd’hui, c’est l’homophobie au quotidien.

En sachant que des jeunes se suicident. Je précise que l’homophobie est moins violente en ce qui concerne les filles, même si elle leur porte préjudice. Parfois, une jeune fille le ressent de manière très frontale et très violente. Pour autant, il y a une forme de tolérance en la matière. En revanche, en ce qui concerne les garçons, c’est de la violence qui s’exprime. C’est l’exclusion du groupe social.

Je prends l’exemple d’un garçon qui a été dans un club toute sa vie et qui y a des amis. Il fait des sorties avec eux. À l’adolescence, son orientation sexuelle se fait plus marquée. Il est tout de suite mis dans une posture d’accusé. Si jamais son orientation sexuelle est découverte, il n’a plus sa place dans le clan. C’est extrêmement violent dans les sports collectifs. L’épreuve de la douche et du vestiaire est extrêmement traumatisante. Il arrive souvent que certains d’entre eux finissent par quitter le club, voire se suicider.

Le taux de suicide est extrêmement important. Il y a un phénomène de passage à l’acte. Le nombre d’études documentées n’est peut-être pas suffisant en la matière. Ça nécessite un vrai travail d’expert parce qu’il y a mille raisons de passer à l’acte lorsqu’on est adolescent. Cette raison-là me paraît extrêmement importante. Ce passage à l’acte est lié au fait d’avoir quitté son groupe. Parfois, il y a même des coming out forcés avec les parents. Ce sujet est vraiment central.

Je le dis de manière très solennelle : nous pourrions adapter et décliner les outils que l’État a mis en place pour la lutte contre les violences sexuelles dans le champ de l’homophobie. Or, ce n’est pas fait. On n’a pas mesuré le poids, la portée, les implications et les conséquences de l’homophobie dans le sport au quotidien. Les réflexions homophobes qui lui sont faites marquent un jeune.

Que fait-il pour se protéger ? Il a deux solutions : soit il explose, il finit par tout lâcher, s’enferme et sa vie devient difficile ; soit il décide de faire de la surenchère en jouant davantage à l’homophobe. Magali a cité un certain nombre d’exemples dans l’ouvrage.

Concernant l’homophobie, je considère donc que rien n’est réglé. Au-delà de quelques banderoles, il y a tout ce qui se passe au quotidien et qui a des conséquences tragiques sur des jeunes. À un moment donné, il va falloir que cette question-là soit réglée. Il s’agit de mettre en place des outils.

Il y a également la question de la religion et des phénomènes extrêmes dans le sport. Il peut s’agir de phénomènes d’extrême droite ou liés à la religion et son impact dans le sport. Ça peut aller jusqu’à des atteintes aux valeurs de la laïcité et de la République. Je ne veux pas confondre ces atteintes-là avec les phénomènes de radicalisation. Il ne faut pas confondre les deux et ne pas les confondre non plus avec le communautarisme, même s’il existe certaines passerelles.

Lorsque Daesh est arrivé en 2014, ils demandaient à s’inscrire dans des clubs de sport. Ça concernait notamment le football mais surtout des sports de combat. Ils souhaitaient s’inscrire pour se former. À cette époque-là, il y avait effectivement des fichiers de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Des radicalisés s’étaient effectivement inscrits. Ça a été très suivi par toutes les cellules qui travaillaient sur cette question du sport et de la radicalisation.

S’il y a un pas à ne jamais franchir, c’est de considérer une fille qui porte le voile comme étant radicalisée. Par contre, refuser de serrer la main des garçons, quitter son groupe, tenir des propos complotistes et commencer à appeler à la haine constituent des faisceaux d’indices qui montrent un basculement vers la radicalisation. Il faut donc être très attentif. Ça requiert une formation très pointue pour ceux qui analysent le sujet au sein des fédérations.

La séance est suspendue.

M. Patrick Karam. Il est absolument nécessaire d’organiser une audition de Julien Pontes de Rouge direct. Il s’agit de l’ancien président de Paris Football Gay, ce club qui avait rencontré un adversaire qui refusait de jouer face à lui au motif qu’ils étaient homosexuels. Il s’agissait en l’espèce d’un club dit « musulman ». Il faudrait également organiser une audition de Stop homophobie avec Terrence Katchadourian. C’est lui qui fait le plus de procès. C’est l’association référente en matière d’homophobie. D’ailleurs, ces deux organisations travaillent ensemble. C’est la raison pour laquelle il me semble extrêmement important de les auditionner.

Pour terminer sur le sujet de l’homophobie, le fait générateur est le culte de la virilité. Plus ce culte existe dans le sport, plus les faits d’homophobie se produisent et se répètent. Nous avons un sujet avec certaines formations, notamment dans le football, où il peut y avoir une parole libérée sur l’homophobie. Il y a donc un vrai sujet de formation, de signalement et de sanction. En sachant que ceux qui se plaignent sont virés.

Vous devez vous souvenir de l’affaire de Monsieur Lemaire, le footballeur. On constate que dans le sport, il n’y a quasiment pas de coming out pendant la carrière d’un sportif. C’est un sujet sur lequel il faut lutter. Ils craignent de perdre le soutien du public, les sponsors, les amis et de ne pas être sélectionnés. Pour le coup, sur ce sujet l’omerta est vraiment très puissante. À une époque, lorsqu’on demandait aux dirigeants du monde sportif s’il y avait des homosexuels dans leur club ou dans leur fédération, la réponse était non. À mon sens, cette omerta constitue un sujet sur lequel il convient d’avancer.

S’agissant des phénomènes d’atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République, ce sont des sujets importants sur lesquels on ne doit pas baisser la garde. Le sport peut être un lieu de recrutement. Il existe un phénomène d’éducateurs radicalisés recruteurs qui influencent des jeunes. C’est extrêmement préoccupant. Lorsqu’un parent met son enfant dans un club, ce n’est pas pour qu’il dérive. Il s’agit au contraire de le protéger. Il y a effectivement des dérives. Elles sont marginales mais nous devons tout faire pour les combattre. Il ne peut pas y avoir d’omerta. Nous refusons l’omerta et c’est la raison pour laquelle nous avons publié ce livre.

Ensuite, il y a les phénomènes de violence, de racisme, etc. Il faut savoir que le racisme entre joueurs, c’est-à-dire entre licenciés, est beaucoup plus faible que dans le reste de la société. Par contre, il y a un racisme extrêmement frontal des supporters. Des outils sont mis en place pour le mesurer, à la fois en France et à l’étranger. Une expérimentation a commencé avec un club parisien avec une émanation de SOS Racisme. Ils ont un accord avec des clubs, dans lesquels ils sont invités pendant les compétitions pour filmer de manière anonyme. Ça permet de récolter des preuves.

Il faut absolument éradiquer le racisme qui existe au niveau des supporters. Pour le coup, ça blesse les joueurs ; et pas uniquement dans le football. C’est la raison pour laquelle j’ai dit tout à l’heure qu’il y avait un travail à faire avec les organisations de supporters. On peut les diaboliser, mais on ne peut pas les dissoudre. On ne peut pas empêcher des supporters de trouver leur identité à travers un club et des matchs. On peut faire des interdictions de stade individuelles en cas de phénomènes violents ou déviants. En revanche, on ne peut pas déposer plainte contre tout un stade. Il faut donc régler ce problème avec les organisations. Je ne dis pas que c’est facile et que nous y parviendrons. En revanche, nous pouvons apporter des solutions.

La manipulation de compétitions sportives est un problème qui a également été documenté. Magali a fait un véritable travail de recherche sur cette partie-là. Certains joueurs se font piéger parce qu’il y a des paris en temps réel à l’autre bout du monde qui permettent de gagner de l’argent.

La première question est aujourd’hui celle de l’homophobie. C’est un sujet central. La deuxième question est celle des atteintes à la laïcité et aux valeurs de la République. Le phénomène de radicalisation est extrêmement documenté. L’État a longtemps considéré que c’était une priorité puisqu’il s’agissait d’un outil pour enrôler des jeunes. Mais il y a des phénomènes qui sont devenus masqués. Lorsqu’on impose de se baigner habillé pour des raisons religieuses, le joueur qui ne souhaite pas le faire se fait tabasser.

On constate que certains cherchent à imposer leurs propres normes. Je vais simplement vous donner quelques exemples. Aujourd’hui, la fédération française de volley-ball est confrontée à une fronde directe d’un certain nombre de clubs. Après enquête, les clubs ont tous fait marche arrière en disant : « On nous a instrumentalisés ». Ceux qui ont signé disent l’avoir fait sans avoir lu. Le problème, c’est que ça a des conséquences sur le terrain.

Là, je vais parler des compétitions départementales de basket-ball. La moitié des arbitres sont mineurs. Ils sont menacés et agressés. Le fait pour un arbitre de faire respecter le règlement de la fédération de basket-ball et de ne pas faire jouer un match l’expose tout comme les dirigeants. Beaucoup de fédérations disent vouloir réglementer ce sujet au nom de la délégation de service public dont elles bénéficient pour organiser les compétitions. Le problème, c’est que l’État ne les accompagne pas dans la mise en œuvre. En l’occurrence, l’État pourrait apporter une réponse simple. Monsieur Attal a considéré que ce n’était pas aux proviseurs de décider d’interdire l’entrée des filles en abaya. Il appartient à l’État de le faire. Autrement, on exposerait les proviseurs à des conséquences : des violences, des parents agressifs, etc. Moi, je considère que le sport est co-constructeur d’éducation.

Il convient donc de protéger les dirigeants, les éducateurs et les arbitres contre ceux qui veulent leur faire la peau parce qu’ils ont interdit qu’un match se tienne en raison du port du voile dans une compétition. Là, je ne parle pas de la pratique sportive. La délégation porte sur l’organisation des compétitions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous venez de rappeler beaucoup de choses. Je vais vous poser une question qui n’a peut-être pas de lien direct avec votre livre. Vous avez évoqué l’homophobie et d’autres phénomènes constituant des délits qui existent aujourd’hui au sein des fédérations et du mouvement sportif.

Vous êtes vous-même vice-président de la région Île-de-France, en charge des sports. Je sais par exemple que la ville de Lyon conditionne aujourd’hui les subventions aux clubs sportifs à l’organisation de formations ou de sensibilisations sur les violences sexistes et sexuelles (VSS). Si elles ne sont pas suivies, il n’y a plus de subventions. J’aimerais savoir ce que la région Île-de-France a mis en place pour lutter contre ces phénomènes.

M. Patrick Karam. Nous souhaitons que d’autres collectivités nous imitent sur ce sujet. Sur les questions tenant à la laïcité et aux valeurs de la République, nous avons mis en place avec Valérie Pécresse une charte laïcité et valeurs de la République, dont elle m’avait confié la rédaction. Cette charte a été signée par tous les bénéficiaires de subventions de la région Île-de-France. Il ne faut pas oublier le contexte de l’époque, où Daesh appelait à la violence, à infiltrer les clubs, à se former au combat, à prendre des armes à l’intérieur des fédérations de tir sportif, etc. Cette charte a été signée par 4 980 structures bénéficiaires depuis juillet 2017.

Nous sommes la première région à avoir mis en place une formation sur le sujet. Les 73 ligues et les comités régionaux avec lesquels nous participons ont participé à des formations spécifiques créées par la région Île-de-France. Il s’agit de formations très précises afin de ne pas confondre les phénomènes. Le premier jour se fait avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) est consacré à la laïcité et aux valeurs de la République. Le deuxième jour se fait avec des organisations spécialisées travaillant sur la prévention de la radicalisation. Nous avons donc donné des outils et les moyens de faire des signalements.

Nous avons mis en place un vrai plan. Tout d’abord, j’ai demandé à toutes les ligues et comités régionaux de travailler sur un document extrêmement important. Il s’agit des dix engagements de la charte régionale d’éthique et de déontologie du sport en Île-de-France. Je leur ai demandé de consacrer une partie de leur budget, dont la région est le premier financeur, à la formation et à l’information de leurs clubs. Nous avons surtout passé des accords, notamment sur la question des violences sexuelles avec Colosse aux pieds d’argile, qui intervient dans les clubs, à la demande des ligues régionales, et dans les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps).

Dans un autre secteur, qui était de mon ressort à l’époque, nous avons financé des opérations de testing sur tous les sujets : racisme, homophobie, etc. Ensuite, des associations financées par la région déposaient des plaintes afin de poursuivre les contrevenants. Ça a donné lieu à des sanctions pénales.

Nous avons des conventions sur l’olympiade avec le mouvement sportif. De mémoire, on compte 73 ligues et comité ainsi qu’une vingtaine de fédérations sportives. Nous avons conditionné les subventions et leur montant à l’action déployée sur un certain nombre d’outils. Nous souhaitons par exemple qu’il y ait plus de femmes. Ils doivent nous dire chaque année ce qu’ils ont mis en œuvre pour augmenter la pratique des femmes et pour faire en sorte qu’elles soient mieux formées.

En 2022, nous avons financé 127 000 formations au sein des ligues et des comités. Il peut s’agir de formations d’éducateurs, de dirigeants, etc. Il y a notamment des modules sur ces questions-là. Il faut absolument qu’ils soient engagés sur ce sujet. Nous avons également financé des plans de développement de la pratique sportive et parasportive ainsi que des plans de prévention de toutes formes d’incivilités, de violences et de discriminations. Nous nous appuyons pour cela sur un certain nombre d’associations soutenues par la région.

Nous avons signé une convention pluriannuelle sur l’olympiade. Les acteurs subventionnés ont une obligation de résultat. Ils doivent nous dire ce qu’ils ont mis en place pour lutter contre les violences sexuelles, combien d’actions de formation ont été suivies, ce qu’ils ont fait, quels outils ils ont développés, avec quels référents, etc. C’est la même chose dans tous les secteurs. Ils doivent nous rendre des comptes.

Je vous avouerais que c’est fait pour un certain nombre de fédérations, mais que c’est plus compliqué pour d’autres qui comptent un plus grand nombre de personnes. Nous leur demandons de faire signer cette charte par l’ensemble des clubs afin que ces derniers s’engagent. Avant la formation sur le terrain avec l’éducateur, ils doivent parler de ce sujet, ouvrir le débat et signaler qu’il existe des outils. Nous avons demandé de publier des numéros et de mettre en place des référents dans l’ensemble des ligues et comités régionaux.

Sur ces questions-là, la région Île-de-France ne fait aucune concession. Avec Valérie Pécresse, nous considérons que le sport répare. Les déviances qui peuvent se produire doivent être signalées et combattues avec la plus grande fermeté. Face à ce type de situations, on ne fait pas de cadeaux ! Si on constate au sein d’un club une dérive qui n’a pas fait l’objet d’un signalement, on coupe les crédits.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est assez clair. Les subventions accordées par la région Île-de-France sont fléchées vers la formation. Vous leur demandez de consacrer une partie du budget à la formation, notamment sur les violences sexistes et sexuelles, le racisme et les discriminations. Est-ce qu’un contrôle a lieu chaque année au moment de la demande de subvention ?

M. Patrick Karam. Les ligues et les comités régionaux nous donnent leurs fiches d’action afin de nous montrer ce qu’ils ont fait et mis en place. Au terme des quatre années, nous allons évaluer tout le travail qui a été effectué. En fait, ce sont des subventions que nous reconduisons à l’identique afin que les ligues et les comités régionaux puissent travailler. À la fin, nous allons faire une évaluation, en sachant qu’il y a une obligation de résultat, et non plus seulement de moyens. Les services vont mesurer ce qui a été mis en place dans le cadre de cette olympiade. Ils vont regarder tous les outils qui ont été déployés. En fonction de cela, ils vont me faire des propositions de maintien, de baisse ou de hausse des budgets.

Par ailleurs, il y a un sujet qui représente un axe de travail que l’État devrait prendre en compte. Nous avons un problème d’équipement en Île-de-France. Il y a une carence en la matière puisque le taux d’équipement est de 55 % par habitant. On est même derrière la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique. C’est moi qui vous le dis en tant qu’Antillais, militant des outre-mer, ancien président du Conseil représentatif des outre-mer, ancien délégué interministériel, ancien président du collectif DOM. J’ai fait des centaines de procès en lien avec des discriminations liées au racisme.

En tant que militant engagé, Valérie Pécresse et la région Île-de-France m’ont donné les moyens d’agir. À ce jour, nous avons financé environ 2 100 équipements. À chaque fois que nous finançons un équipement, nous obligeons le maire à avoir une pratique féminine. Pour augmenter la pratique féminine, il faut que l’équipement en question puisse être utilisé par des femmes. On finance en particulier des vestiaires féminins. Sur les femmes, il y a une obligation de résultat. Sur les personnes en situation de handicap, il y a une obligation de moyens.

Si le maire souhaite avoir 10 % de subventions supplémentaires, il doit demander à ses clubs de mettre en place une pratique pour les personnes en situation de handicap. Nous avons financé des milliers de fauteuils pour les sportifs, des minibus accessibles, des formations, etc. Le handicap est par nature protéiforme, qu’il soit mental ou physique. Il faut pour cela que des personnes soient formées. Les ligues sont donc obligées de flécher un certain nombre de formations afin d’avoir des éducateurs et des dirigeants capables de les accepter. Ces choses qui sont simples à faire mériteraient d’être dupliquées ailleurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai plusieurs questions sur le domaine des VSS. Tout d’abord, quelle appréciation avez-vous aujourd’hui des dispositifs de prévention mis en place au niveau des fédérations ? Vous évoquez ce sujet dans votre livre, notamment en lien avec les dysfonctionnements de traitement des plaintes. Une dualité s’est souvent exprimée au sein de cette commission. Premièrement, il est difficile pour les victimes de témoigner parce qu’elles ne se sentent pas dans un cadre de confiance. Deuxièmement, les dispositifs de signalement actuels sont internes au mouvement sportif. Ça rend les choses plus difficiles pour que les victimes puissent témoigner.

Auriez-vous des propositions à formuler en la matière ? On parle beaucoup du traitement une fois que les violences sont survenues. Quels dispositifs pourrait-on mettre en place au niveau préventif afin d’éviter que des agressions aient lieu ? Je pense notamment à la question des entraîneurs qui sont parfois déplacés d’un club à un autre sans forcément être sanctionnés.

M. Patrick Karam. Ce n’est plus possible ! Aujourd’hui, un fichier permet d’identifier les auteurs d’actes de violence, y compris de violences sexuelles. Il existe pour tous les éducateurs professionnels. Je pense qu’il est opérationnel et régulièrement mis à jour.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui, mais ça fonctionne lorsqu’il y a une plainte et une instruction. En revanche, il existe des cas pour lesquels il n’y a pas de plaintes. De notre côté, nous n’avons en tout cas pas les mêmes échos.

M. Patrick Karam. C’est un sujet assez complexe. Aujourd’hui, l’honorabilité des entraîneurs professionnels est systématiquement interrogée chaque année. C’est la même chose en ce qui concerne les bénévoles. Ça constitue une véritable progression. Il a fallu mettre en concordance les fichiers de l’État et ceux des fédérations. Un vrai travail a commencé en la matière. On ne peut pas dire qu’il n’y a rien et qu’on ne peut rien y faire. Ce serait faux. Il y a encore des violences et nous évoquerons tout à l’heure d’autres outils qui pourraient être mis en place. Un progrès considérable a été réalisé, notamment depuis l’époque de l’omerta.

Vous avez dit que la victime n’avait pas confiance. En fait, c’est pire que ça. Elle peut faire l’objet d’une amnésie traumatique, c’est-à-dire oublier ce qui s’est passé. Lorsqu’on a subi des violences à l’âge de 11 ou 12 ans, c’est traumatisant. La victime peut oublier, mais ça revient lorsqu’elle atteint l’âge de 30 ans. Il y a aussi la question de la crédibilité de la parole de la victime. À l’époque, on remettait systématiquement en cause sa parole. Je pense qu’il y a aujourd’hui une meilleure sensibilité des agents de l’État, ce qui n’était pas le cas avant.

Ensuite, il y a les formations. Pour qu’un entraîneur soit identifié, il y a ce fichier, mais il y a également CADINT pour « cadres interdits ». C’est la liste de tous ceux qui ne peuvent pas travailler dans le champ de la jeunesse. Il existe un fichier pour la jeunesse et un autre pour le sport. Je ne sais pas s’ils ont été harmonisés ces dernières années, mais ce n’était pas le cas à l’époque. Les règles n’étaient pas les mêmes, ce qui constitue un problème.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui a accès à ces fichiers ?

M. Patrick Karam. L’État, c’est-à-dire les agents qui traitent ces questions-là. Lorsque vous saisissez un nom, tout est vérifié automatiquement. Seul le fichier B2 n’est pas automatique. Je ne sais pas si les choses ont avancé entre-temps. J’évoque une situation datant de 2020. Vous nous demandez ce qui est fait aujourd’hui. Tous les outils sont là, y compris les outils de formation des agents du ministère des sports. Il faut savoir qu’il n’y a plus d’agents territoriaux. Pardonnez-moi de le dire un peu crûment, mais il y a tout de même un sujet aujourd’hui. N’y voyez pas pour autant une critique du gouvernement actuel. Toujours est-il que ces agents qui avaient développé une expertise sur le terrain ont aujourd’hui différentes missions et différentes autorités de tutelle, ce qui rend les choses très compliquées.

Par ailleurs, il y a la question des formations. On a formé et sensibilisé à une époque. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Je précise que je ne doute pas de la ministre des sports. En tant que vice-président de la région Île-de-France, j’ai pu avoir un certain nombre de désaccords sur quelques sujets, mais nous nous parlons et nous avançons ensemble. Il me semble qu’elle est extrêmement compétente et engagée sur ces questions de dérives.

Je n’avais pas du tout la même approche avec sa prédécesseure. La ministre a une multitude de sujets à gérer, mais je pense qu’il faut faire un effort sur la formation. Il y a des élections fédérales, mais également régionales et départementales. Il y a souvent une permanence au niveau des clubs. À chaque fois qu’une nouvelle équipe arrive, il y a une perte de sensibilisation, de formation et d’expertise.

En termes de prévention, il faut imposer quelques règles simples. À aucun moment un entraîneur ne peut entrer dans la douche des enfants. Il y a également des entraîneurs qui emmènent les enfants en voiture. Peut-être mais peut-être pas. Pour autant, on ne peut pas mettre en place une suspicion généralisée. Il faut en effet rendre hommage à l’immense majorité des entraîneurs, qu’ils soient bénévoles ou professionnels, complètement engagés dans leur mission. Néanmoins, il y a quelques dérives. Pour quelques personnes qui peuvent dériver sans être identifiées, il faut que nous parvenions à mettre en place quelques outils simples.

Il faut remettre la formation dans les fédérations aujourd’hui, au niveau des cadres dirigeants. Avec les DTN, l’État a des conseillers techniques sportifs au sein des fédérations. Ils ont des missions diverses et variées. Pourquoi la mise en place de dispositifs sur ces sujets ne figurerait-elle pas dans leur fiche de poste avec des outils à suivre et des primes en fonction des résultats ? Ce serait extrêmement important. Il doit y en avoir 1 300 ou 1 400 là où ils étaient 1 600 auparavant. En sachant qu’ils sont au cœur des fédérations.

Peu de choses échappent aux CTS qui s’occupent du haut niveau. Il y a également les CTS au niveau local et régional. Ce sont les yeux et les oreilles de l’État. Il faut les former et leur rappeler qu’ils sont obligés de faire des signalements. Ça doit figurer clairement dans la fiche de poste. Quelle est la sanction si on ne fait pas un signalement au titre de l’article 40 ? Rien ! Il n’y a pas de sanction. C’est aussi un problème.

Le dernier point, c’est qu’en cas de dérive, il ne faut pas se contenter d’une sanction judiciaire. Il faut immédiatement engager une action administrative et une action disciplinaire. Les trois procédures peuvent aller de pair. Le mouvement sportif ne peut pas dire : « On attend la décision du tribunal pour prononcer une sanction disciplinaire ».

Je voudrais vous faire part d’une anecdote. Je précise que je ne vous dévoilerai pas les noms puisque je ne suis pas autorisé à le faire. J’ai récemment reçu trois boxeuses. Elles font partie d’un club de boxe. L’une d’entre elles, qui compte quelques titres, vivait avec un boxeur en début de carrière professionnelle qui gagne ses combats par KO. Elle l’a quitté. Alors qu’elle parlait avec un autre homme du club, le boxeur est arrivé et l’a tabassée. Une autre femme a voulu intervenir. Les autres hommes n’ont rien fait, si ce n’est regarder la scène. Il a frappé la deuxième boxeuse qui venait aider la première. Il aurait pu la tuer ! Une troisième femme est arrivée. En tout, trois femmes ont été frappées ce jour-là.

Que s’est-il passé ? Le club refusait de prendre des sanctions disciplinaires en disant qu’il y avait eu un signalement et que la mère de l’une d’entre elles était allée déposer plainte. Il s’agit d’un club connu qui produit beaucoup de champions. Il a été mis en garde à vue. On attend le procès et le verdict. Non ! Je leur ai demandé ce qu’elles souhaitaient que je fasse. Elles m’ont répondu qu’elles ne souhaitaient plus qu’il fasse partie du club. J’ai appelé les dirigeants du club afin qu’ils le fassent sortir.

J’ai ajouté : « Si vous ne le faites pas, étant donné qu’il y a une procédure en cours, je vais faire un signalement sur le fait que vous ne les avez pas défendues ». Elles ne voulaient pas que je le signale, mais il y avait une obligation de résultat. Finalement, il n’est plus dans son club. Il a été mis dehors. La sanction disciplinaire doit être systématique. En fait, ce qui a été mis en place n’est pas une sanction. Il ne peut plus venir le temps que le tribunal prenne une décision. C’est donc une suspension pour les protéger.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai plusieurs questions. Je vais commencer par le club de boxe, qui n’a pas fait de signalement. Il n’y a pas eu non plus d’enquête administrative pouvant déboucher sur une sanction à l’encontre de ce sportif qui faisait partie du club. J’entends que vous êtes intervenu directement, mais pourriez-vous nous préciser ce qui a été fait par le club ?

Vous avez ensuite évoqué la question du contrôle d’honorabilité. Nous ne sommes pas du tout dans une logique qui consisterait à mettre tout le monde dans le même sac et dire que rien ne va. On a plutôt pour objectif d’identifier des dysfonctionnements afin d’améliorer les choses. D’ailleurs, nous prenons parfois exemple sur ce qui fonctionne bien dans certains clubs et moins bien dans d’autres.

Le contrôle d’honorabilité a été mis en place et a le mérite d’exister. En revanche, plusieurs fédérations et clubs nous ont fait état de la difficulté à mettre en place ce contrôle d’honorabilité. Il leur est difficile de contrôler les bénévoles qui interviennent au sein de leur club ou de leur fédération. Comment faire en sorte que ce dispositif soit plus simple ? Qui contrôle le bon déroulement de ce contrôle d’honorabilité ?

Dans le cadre d’un autre contrôle, un responsable de Creps nous a dit : « Ça prend tellement de temps de demander les fichiers au département que nous ne l’avons pas fait cette année ». Ils ont donc recruté sans procéder à ce contrôle. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’obligation aujourd’hui. Il n’y a pas de contrôle. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et l’Agence nationale du sport (ANS) nous ont dit qu’il n’y avait pas de hiérarchie ni d’obligation de résultat dans le cadre du versement de subventions.

Enfin, vous évoquez la question de la sensibilité des agents de l’État et de leur formation. Je suis convaincue qu’un grand nombre d’agents de l’État sont très compétents et formés mais comment vérifie-t-on quand il y a des mouvements au sein d’un conseil d’administration que les gens ont bien été formés, y compris les bénévoles ? Il y a également la question de la formation des familles, qui sont souvent laissées en dehors de ce périmètre.

Nous avons eu l’occasion d’auditionner l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) la semaine dernière. Certains d’entre eux sont des cadres de l’État. Pourtant, la notion de consentement n’était pas si claire. Ils nous ont rapporté un fait d’agression, mais la personne en cause a simplement été déplacée. Il reste donc des choses à améliorer. Quels sont les mécanismes à mettre en place afin qu’il y ait une automaticité ? Vous venez de décrire la situation d’un club dans lequel il y a eu des agressions physiques. Or, personne n’a fait de signalement au sein de ce club. En fait, si la mère de l’une d’entre elles n’avait pas porté plainte, il n’y aurait pas eu de signalement.

M. Patrick Karam. Je pense ne pas avoir été suffisamment précis en ce qui concerne ce club. J’ai été prévenu par le président de la Fédération française de boxe. Je l’ai appelé après avoir vu les trois victimes ainsi que la mère de l’une d’entre elles. Dominique Nato a immédiatement lancé une procédure disciplinaire. Par contre, dans l’attente de cette procédure disciplinaire, il faut que le club prenne ses responsabilités et suspende ce boxeur à titre conservatoire. Par conséquent, la main de la fédération n’a pas tremblé dans cette affaire-là.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce que vous venez de dire est très important. En sachant que nous avons auditionné plusieurs personnes qui ont systématiquement fait valoir la notion de présomption d’innocence tant que la personne n’a pas été déclarée coupable. Il serait donc compliqué de prendre des mesures à titre conservatoire. Or, vous nous confirmez que c’est tout à fait possible.

M. Patrick Karam. Je vous confirme qu’il est effectivement possible de prendre des mesures à titre conservatoire. J’ai déjà entendu cette fable et elle est absolument inaudible pour moi ! À partir du moment où il y a un fait, il faut protéger les licenciés du club, les victimes ainsi que d’éventuelles futures victimes. L’État a sa propre vitesse d’action, mais les fédérations et les clubs peuvent aller plus vite, notamment en suspendant une personne à titre conservatoire.

Ce n’est pas une sanction, mais une mesure de protection. Le mis en cause peut effectivement contester les faits. En l’occurrence, ce boxeur avait une armée d’avocats. Il a assisté à la conciliation que le club avait voulu organiser avec les victimes. Moi je ne fais pas de conciliation. J’ai dit aux dirigeants du club : « Il ne peut pas y avoir de conciliation. Vous avez commis une faute. Vous auriez dû faire ce signalement vous-mêmes. Vous n’aviez pas à attendre qu’on le signale ».

Certaines personnes, qui ne sont pas formées, pensent en toute bonne foi qu’il faut attendre le jugement avant de réagir. Je pense donc qu’il y a une formation à faire en la matière. C’est ce qu’enseignent les formations que nous avons mises en place dans notre région. D’ailleurs, nous demandons aux ligues de le faire et elles ont aujourd’hui des outils pour le faire.

Il peut effectivement y avoir des trous dans le contrôle d’honorabilité. Je suis désolé de le dire, mais il est très facile de procéder à un contrôle. Il est faux de dire que c’est complexe. Le directeur de CREPS qui vous a dit ça, il mérite…Il y a plusieurs types de personnel à contrôler. Le contrôle doit notamment être fait systématiquement pour ceux qui sont en contact permanent avec les enfants. S’agissant des cuisiniers, des jardiniers, etc., je plaide pour qu’ils soient contrôlés. Vous avez raison, il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une possibilité. On n’a pas le B2, mais le B3.

Que l’on soit dans une fédération ou dans un accueil collectif de mineurs (ACM), c’est le même phénomène. Il y a des ACM sportifs, qui doivent donner lieu à un contrôle d’honorabilité. Il faut le rappeler systématiquement aux clubs qui organisent des ACM sportifs car on l’oublie parfois. Vous consultez le logiciel GAM/TAM, vous saisissez les différents renseignements et vous recevez d’éventuelles alertes dès le lendemain matin. C’est renseigné à la fois sur le logiciel GAM/TAM et le fichier CADINT. En revanche, le problème qu’on rencontre notamment pour les ACM d’une certaine durée, c’est qu’il faut compter quelques jours avant que le fichier envoyé à Nantes (le B2 et le B3 du casier judiciaire) puisse revenir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Existe-t-il une liste des personnes qui doivent faire l’objet du contrôle d’honorabilité ?

M. Patrick Karam. Oui. Le fichier CADINT concerne les cadres interdits qui ne peuvent se retrouver ni en ACM ni dans le sport. À l’époque, il avait été demandé la fusion de ces deux fichiers CADINT sport et CADINT jeunesse. En 2020, ça n’avait pas été fait. Ces deux fichiers, Cadint sport et Cadint jeunesse, ont-ils été fusionnés à ce jour ? CADINT jeunesse concerne tous les ACM tandis que CADINT sport concerne tous ceux qui se retrouvent dans le sport. Si cela n’a pas été fait il faut le faire, d’autant que les règles n’étaient pas les mêmes. La vraie difficulté, c’est que les règles de suspension ne sont pas les mêmes selon qu’on se trouve dans le champ de la jeunesse ou celui du sport. Un travail a été mené à l’époque, mais j’ignore s’il a abouti. Il consistait à uniformiser toutes les procédures. C’est un point qui me paraît important. Lorsque l’accès à un ACM vous est interdit, cette interdiction devrait également s’appliquer au sport.

Aujourd’hui, ce n’est pas fait pour des gens qui sont là de manière occasionnelle. Ils ne sont pas contrôlés systématiquement. Il s’agit d’une recommandation, et non d’une obligation. Vous avez eu raison de signaler qu’il y a des gens qui passent et qui partent. On pourrait peut-être les contrôler. Encore une fois, c’est une procédure très rapide. Une difficulté existe lorsque des gens ne sont pas reconnus par l’État. Il suffit d’une erreur sur le nom ou la date de naissance.

Un autre cas concerne les étrangers qui viennent entraîner, etc. Comment procéder à un contrôle d’honorabilité pour ces personnes-là ? En sachant qu’il s’agit de vérifier leur passé afin que des délinquants sexuels ne puissent pas se retrouver dans des clubs. Il reste donc un certain nombre de sujets à co-construire. Globalement, c’est un système qui fonctionne.

Ça pourrait constituer un exemple pour l’Éducation nationale. Étant donné que ce phénomène se produit dans tous les secteurs, je suis pour le moins étonné qu’il n’y ait pas de signalements au sein de l’Éducation nationale. Est-ce que ça signifie qu’il n’y a pas d’outils mis en place ni de contrôles sur le sujet ? Pour autant, je ne jette absolument pas l’opprobre sur nos enseignants, qui réalisent un travail colossal. Pour autant, il se pourrait là aussi qu’un certain nombre de personnes méritent de faire l’objet d’une interdiction d’enseigner.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’en reviens à ma question sur ce contrôle d’honorabilité. Vous avez cité ceux qui sont en contact permanent avec les enfants, notamment les entraîneurs. Il y a aussi tout un écosystème qui gravite autour de ces mineurs. A-t-on une liste des personnes dont il convient de procéder au contrôle de l’honorabilité ?

M. Patrick Karam. Oui, il y a des listes recommandées par l’État. L’État publie chaque année une liste avec le personnel prioritaire et les catégories accessoires. Ça existe un peu partout, mais ces listes ne sont pas nominatives. Étant donné que j’ai un retard de trois ans sur cette question-là, j’ignore si le contrôle des catégories accessoires est obligatoire ou simplement recommandé. Ce sont tout de même des sujets qui bougent énormément. Je peux vous dire que le ministère des sports ne reste jamais les bras croisés. La Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (Djepva) du ministère de l’Education nationale non plus. Les dispositifs de l’État sont en constante évolution.

Ne croyez pas que tout soit figé dans les fédérations. Généralement, les problèmes ne remontent pas auprès du président de fédération. Ça se joue plutôt au niveau local. C’est un vrai sujet aujourd’hui. En l’occurrence, les présidents de fédération ont tellement à perdre sur ces sujets que des signalements seraient effectués s’ils avaient le moindre doute ; surtout les cadres.

Nous avons rencontré des cas de figure où un club ne souhaitait pas virer une personne. L’individu en question n’était donc pas mis dans la catégorie du public prioritaire à contrôler. Or, il peut s’agir d’une personne qui est constamment en contact avec des enfants.

En l’occurrence, la personne était déclassée parce que le club savait très bien qu’elle ne passerait pas le contrôle. Pour autant, n’allez pas croire que c’est un phénomène massif. Dans les faits, c’est plutôt marginal. Je ne voudrais pas que des accusations infondées puissent être portées sur ce sujet. Néanmoins, ça peut arriver. D’où la question des solutions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est marginal, mais le risque zéro n’existe pas. L’objectif est de formuler des propositions afin d’éviter certaines situations et d’améliorer les choses. La solution ne serait-elle pas finalement de rendre obligatoire le contrôle de l’honorabilité pour toutes les personnes qui gravitent au sein d’un club ?

M. Patrick Karam. Vous avez mis le doigt sur la vraie question. La réponse est oui. Autrefois, il y avait une inspection générale de la jeunesse et du sport qui est devenue par la suite l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Il y avait une expertise sur ces questions-là. Certains sont devenus administrateurs de l’État. Dans leurs rapports, ces inspections demandaient ces contrôles systématiques. Et ce, malgré toutes les difficultés que ça pouvait engendrer. Lorsque le président de fédération prend la liste des bénévoles, des licenciés, etc. et qu’il la confronte aux fichiers de l’État, ça soulève la question de la concordance des fichiers et de leur mise à jour régulière.

C’est un sujet extrêmement complexe. Si on ne donne pas au mouvement sportif les moyens de le faire, je crains qu’on n’y parvienne pas. Vous connaissez le nombre de clubs et de licenciés en France. Les outils mis en place ont beaucoup évolué et il serait bien qu’ils soient déclinés ailleurs. Dans le champ de la jeunesse et celui du sport, des outils mis en place sont de plus en plus suivis avec des indicateurs. Il faut simplement que les formations se poursuivent et que des objectifs soient fixés dans la lettre de mission des CTS.

Au niveau territorial, il faut que les agents de l’État fassent eux-mêmes des formations. Il faut également que les CTS fassent des formations à l’intérieur des clubs. Finalement, au regard du nombre de licenciés, on constate que ça fonctionne plutôt bien. Ceci dit, il peut y avoir des dérives, des violences et des drames humains. Des vies sont effectivement brisées, mais il serait bien qu’on puisse avoir la même exigence dans d’autres secteurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner l’Agence nationale du sport. L’État lui a transféré une partie de ses compétences et de ses moyens pour financer et organiser le sport. Vous avez dit que sa pertinence et son efficacité restaient à démontrer. Estimez-vous que les choses aient évolué ? Vous avez peut-être pu suivre leur audition.

M. Patrick Karam. Honnêtement, compte tenu de mes journées extrêmement chargées, je n’ai pas eu le temps de le faire. En ce qui concerne l’ANS, il faut comprendre que le ministère des sports a gardé toute la partie régalienne. C’est eux qui pilotent. Dieu merci ! Par contre, ce qui est plus ennuyeux dans cette nouvelle gouvernance même si on a une ministre un peu musclée à la tête du ministère des sports... La région verse des subventions et ce sont ses agents qui instruisent les dossiers. En cas de problème dans la mise en œuvre des objectifs, par exemple en matière de formations, ces derniers le constatent immédiatement et nous pouvons peser et décider de diminuer les dotations car il y a une unité.

À titre personnel, je ne suis pas certain que l’ANS constitue un levier et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est extrêmement complexe pour les fédérations. Le dialogue de gestion est perpétuel entre l’ANS et la Direction des sports. Les fédérations ne savent plus à quel saint se vouer. C’est d’une complexité absolument effroyable ! Lorsqu’un élu local souhaite une subvention, il essuie systématiquement un refus et ce, sans que le moindre motif soit invoqué. Il ignore comment ça fonctionne et considère que ça ne marche pas.

Parmi les critères pris en compte par l’ANS pour financer un équipement, il y a simplement le critère de localisation dans une zone de revitalisation urbaine (ZRU) ou un quartier prioritaire de politique de la ville (QPV). Ça n’a pas de sens puisque l’ensemble de l’Île-de-France est carencé. Que demande l’ANS en contrepartie des subventions ? Rien. Je vous ai cité tout à l’heure la liste de ce que je demande aux maires.

C’est notamment le cas pour le football. Il y a notamment un terrain synthétique qui pose problème compte tenu du taux d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Pourquoi ? Lorsqu’il fait chaud et que les enfants tombent et se relèvent, ils sont pleins de granulats. Ça fait des années que l’Union européenne affirme qu’elle va faire évoluer le règlement REACH qui ne fonctionne pas. Valérie Pécresse a interrogé l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui lui a répondu que la toxicité n’était pas prouvée. Et ce, sans pour autant garantir qu’il n’y a pas de problème.

Nous avons donc appliqué le principe de précaution en arrêtant le subventionnement. On ne va pas au-delà de 16 milligrammes de HAP par kilo. Des analyses sont faites en termes de taux de toxicité des HAP. Nous sommes la région avec les normes les plus exigeantes au monde. Ça figure dans nos conventions avec les fédérations de football et de rugby. Je me demande pourquoi l’État ne reprend pas ce dispositif. Il s’agit de donner des subventions en échange de règles à respecter.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est au fabricant de gérer cette partie-là.

M. Patrick Karam. Non, justement. Compte tenu des règles actuelles, pour faire un terrain synthétique, le fabricant achète des granulats en Asie du Sud-Est, en Europe centrale ou orientale. Alors, le taux de HAP explose. En France, il existe un label de respect des normes pour la production de cette filière bien identifiée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Lors d’un appel d’offres, il y a généralement un ou deux fournisseurs qui répondent présent. À partir du moment où un fabricant référencé répond à un appel d’offres, il paraît normal qu’on lui fasse confiance.

M. Patrick Karam. Lorsqu’il n’existe aucune norme, les fabricants font ce qui les arrange. Depuis 2017, nous leur imposons des règles à respecter et ça fonctionne. Tous les terrains synthétiques que j’ai inaugurés en ma qualité de vice-président respectent strictement nos normes. Le fabricant répond à des exigences en affichant le taux de toxicité, de HAP et de métaux lourds.

Il y a également une question liée à l’environnement. Avec les anciennes normes, les granulats se répandent dans l’environnement. Nous avons demandé la mise en place de barrières avec des évacuations. Il s’agit donc d’imposer des règles auxquelles les gens doivent se plier. Or, contrairement à l’Île-de-France, lorsque l’ANS finance un équipement, elle n’impose pas d’obligation en termes de pratique féminine, de critères sur la pratique des personnes en situation de handicap, etc. Je pourrais aussi vous parler du haut niveau.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons également interrogé l’ANS sur le haut niveau. J’aimerais donc avoir votre vision sur le sujet. Nous avons effectivement identifié que les subventions de l’ANS n’étaient pas forcément soumises à des obligations. Par exemple, toutes les fédérations n’ont pas de comité d’éthique à ce jour alors qu’il s’agit pourtant d’une obligation. Pour dire les choses un peu brutalement, l’ANS a-t-elle selon vous une utilité dans cet empilement de structures existantes ?

M. Patrick Karam. Je vais répéter ce que j’ai déjà dit publiquement. La réponse est non. D’ailleurs, c’est un vrai problème. Les fédérations ont peur. Certaines se sont exprimées sous couvert d’anonymat dans Le Monde et ont affirmé que ça ne fonctionnait pas, qu’il y avait des orientations d’un côté et des orientations de l’autre et que c’était un vrai casse-tête !

En ce qui concerne le haut niveau, il y a un homme qui est sanctuarisé en France. Le Président de la République nous a vendu Claude Onesta comme étant l’homme qui allait nous faire gagner des médailles. Il faut compter dix ans pour construire une génération. En l’occurrence, l’État n’a pas fait le nécessaire. Qui a-t-on appelé pour recadrer les choses après la contre-performance en athlétisme ? On a appelé le président de la fédération d’athlétisme et non Claude Onesta.

Le dialogue sur le haut niveau est extrêmement complexe. Ce n’est pas parce qu’un homme a brillé en tant qu’entraîneur de handball qu’il sait pour autant répondre à toutes les questions. Chaque situation a des spécificités. Il est hallucinant de penser qu’un seul homme peut tout résoudre ! Les réponses se trouvent au sein des fédérations. Il faut leur donner les moyens de faire les choses. Or, ce n’est pas ce qui a été fait.

Les CTS sont des agents de l’État. Il y a eu une volonté de les transférer ces dernières années. Ils sont détachés par l’État et ont un statut de fonctionnaire. Aujourd’hui, tout le monde a compris que les CTS ne seront peut-être plus sous la responsabilité hiérarchique de l’État après les Jeux olympiques. Comment contrôlera-t-on alors la mise en œuvre des politiques publiques ? Ils sont les yeux et les oreilles de l’État au sein des fédérations et doivent le rester.

Qui est en première ligne face aux problèmes de violence, si ce n’est les CTS ? Il ne faut pas dire que ça n’a pas marché mais il faut mieux les utiliser. Ce système date des années 1960, après la contre-performance des Jeux olympiques de Rome. Ça a conduit la France à devenir quatrième ou cinquième nation au monde. Le système des CTS fonctionne. Aujourd’hui, on va les fragiliser et les déstabiliser. En plus, l’État va se priver de moyens de surveillance, de contrôle et d’action au sein des fédérations.

Il y a effectivement des choses à améliorer dans ce statut. Pour autant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Je peux vous garantir que les fédérations qui s’en ouvrent auprès de moi sont extrêmement critiques, tant sur l’ANS que sur le rôle de Claude Onesta. Quelle que soit la qualité de l’homme, je considère que c’est aujourd’hui une faillite dont il convient de tirer les conséquences.

La ministre m’a dit que la situation serait évaluée après les Jeux olympiques. Je ne voudrais pas qu’on se retrouve dans une situation où il n’y aurait plus de ministère des sports, plus de contrôles etc. En Île-de-France, nombre de mes collègues portent le secteur du sport. Si on n’a plus de ministère des sports parce qu’on a transféré tout ça à l’ANS, le bateau sera ivre ! Il suffit de demander aux maires ce qu’ils en pensent et vous aurez la réponse.

Mme Magali Lacroze. Pour ma part, je souhaiterais revenir sur un point. En tant que journaliste, je relate des propos ; je ne formule pas des recommandations. Je vois ce qui se passe et à quel point la parole peut être contenue. À partir du moment où les référents qui sont là pour recueillir la parole font partie d’un club ou d’une fédération, il est tout de même très difficile d’aller les voir pour dénoncer les agissements d’un entraîneur phare, par exemple.

En l’occurrence, une jeune fille est allée voir un référent en disant que son entraîneur l’avait agressée. Une commission de discipline s’est réunie entre soi. La jeune fille était seule face au corps des dirigeants et des entraîneurs. À la sortie de cette commission, l’une de ses amies lui a conseillé de téléphoner à une avocate spécialiste des violences dans le sport. Le dossier a pu avancer grâce à cette personne extérieure. L’avocate m’a dit à quel point ça avait fait du bien à cette jeune fille de parler à quelqu’un d’extérieur. Ça lui a enfin permis de dire les choses. Il est donc problématique que ça reste dans un cercle fermé.

M. Patrick Karam. Je partage complètement cet avis. Cette remarque est tout à fait juste. En fait, un club est une famille dans laquelle on ne dénonce pas les agissements des uns et des autres. Il faut absolument trouver d’autres outils pour recueillir la parole. Ça peut être au niveau de la fédération ou de la ligue, prendre la forme d’un numéro d’appel, etc.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous rappelle qu’il y a la cellule Signal-Sports pour cela.

M. Patrick Karam. Oui, mais les gens n’y ont pas recours.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourquoi ?

M. Patrick Karam. Certains ont pu le faire, mais c’est trop impersonnel. Ils ne savent pas sur qui ils vont tomber. Ils se demandent ce qui va se passer.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il s’agit d’une cellule dédiée spécifiquement aux signalements.

M. Patrick Karam. C’est à la suite d’un rapport de l’inspection générale.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. En sachant que des associations telles que Colosse aux pieds d’argile recueillent la parole et accompagnent les victimes.

M. Patrick Karam. Là, par contre, c’est excellent. Colosse aux pieds d’argile intervient avec le témoignage fort d’un « colosse », qui a lui-même été violé et qui le dit sans honte. Ça met tout le monde en état de choc. Ensuite, les gens viennent le voir pour faire des signalements. Je pense également à Véronique Lebar, la présidente du comité éthique et sport, qui arrivait avec une armada de psychologues et de juristes pour accompagner les personnes. Ces deux dimensions de prise en charge juridique et psychologique sont essentielles.

En fait, il y a vraiment une spécialisation du traitement de ces questions-là. Il y a eu des signalements et la parole s’est libérée. C’est une bonne chose. Il n’y a jamais eu autant d’affaires de violences sexuelles que ces dernières années. La parole s’est libérée et que le ministère a mis en place des outils. Néanmoins, pour reprendre une expression créole, à l’intérieur d’un club, « chien pas manger chien » : les chiens ne se mangent pas entre eux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si la cellule Signal-Sports est impersonnelle, comme vous le dites, que proposez-vous alors ?

M. Patrick Karam. Il faut garder Signal-Sports, qui est un outil important. En plus, ça dépend des fédérations, des engagements des uns et des autres et de la formation qu’ils ont reçue. Ce sujet dépend des cadres qui suivent les choses. À titre personnel, je pense qu’une visite médicale avec une infirmière ou un médecin aide à libérer la parole. Il me semble qu’on se livre plus spontanément à quelqu’un du corps médical. Ces professionnels sont tenus au secret médical, qui ne doit pas pour autant empêcher le signalement.

Je pense qu’il faut effectuer des regroupements en termes de formation sur le terrain. Il serait trop compliqué de le faire au niveau des clubs. Il faudrait regrouper des clubs avec des associations engagées sur la question. Le plus important, c’est qu’une personne soit capable de déclencher un signalement. La prise de parole lors du premier témoignage est cruciale pour savoir si on va parler ou non. On va dans le mur si on n’a pas prévu un accompagnement avec un psychologue et un juriste.

Je sais que Véronique Lebar souhaitait arrêter parce qu’elle n’avait plus de moyens. Elle faisait pourtant un travail remarquable. Il faut accompagner les associations qui se sont spécialisées. Je pense notamment à Stop homophobie, l’association qui fait des dépôts de plaintes. À un moment donné, Terrence Katchadourian souhaitait arrêter d’aller en procès parce qu’il était découragé. Lorsque la région Île-de-France l’a accompagné, ça lui a donné la force de continuer. Lorsque les militants se découragent, il faut que la puissance publique puisse montrer le soutien qui leur est accordé. Ce n’est pas toujours le cas. Ces outils sont essentiels.

À la base, je suis un militant associatif. Valérie Pécresse est venue me chercher pour mon engagement sur certains sujets. Je sais ce que le monde associatif peut apporter. Même si on y trouve de tout, certains outils sont extrêmement importants et on le sait tout de suite. D’ailleurs, on le sait immédiatement. Lorsque vous assistez à une formation de manière anonyme, vous pouvez évaluer ce que fait la personne.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avons plus de questions. N’hésitez pas à revenir vers la commission d’enquête si vous avez de nouvelles informations ou de nouveaux témoignages. Je vous remercie de votre disponibilité.

 

 

La séance s’achève à dix-sept heures.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Quentin Bataillon, Mme Béatrice Bellamy, Mme Sabrina Sebaihi