Compte rendu
Mission d’information
de la conférence des présidents
sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Gilles Bachelier, président, et de M. Laurent Michel, directeur des affaires publiques du groupe Intériale 8
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Yoann La Corte, adjoint à la cheffe de service des risques naturels et hydrauliques, et Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels à la DGPR 16
– Audition, ouverte à la presse, de M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) 27
– Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Sécurité civile et technologies de communication » 37
Jeudi
18 janvier 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 15
2023-2024
Présidence de
Mme Lisa Belluco,
présidente
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La séance est ouverte à neuf heures quarante.
Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.
La mission d’information auditionne Mme Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde.
Mme la présidente Lisa Belluco. Nous reprenons ce matin les travaux de notre mission d’information en recevant Mme Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde, afin de revenir sur les incendies tragiques et très spectaculaires qui ont frappé ce département au cours de l’été 2022.
L’anticipation, la gestion de la crise et les leçons à en tirer ont déjà été abordées lors de la table ronde que nous avons tenue il y a quelques mois en présence d’élus locaux, de représentants de l’État et d’acteurs de la sécurité civile présents sur le terrain pendant l’été 2022. Une délégation de membres de notre mission d’information s’est par ailleurs rendue en Gironde, le 14 décembre, afin d’approfondir les échanges au sujet de ces événements.
Nous accordons une importance particulière aux témoignages de terrain et aux retours d’expérience sur ce drame, afin de mieux comprendre le fonctionnement de notre modèle de sécurité et de protection civiles en période de crise et de réfléchir aux mesures concrètes qui permettraient de le renforcer. Madame Delattre, vous étiez présente au moment des faits et avez été évacuée. Vous avez identifié, à la suite de ce drame, plusieurs pistes d’amélioration et formulé des recommandations que nous sommes très désireux d’entendre.
Nos questions porteront prioritairement sur le contexte et la gestion de la crise en Gironde pendant les incendies, mais nous sommes également intéressés par votre analyse critique de l’organisation de notre système de protection et de sécurité civiles et par vos propositions pour l’améliorer, à la lumière de votre expérience et des constats qui sont les vôtres.
Avant d’en venir aux questions, permettez-moi de rappeler que notre mission est composée de vingt-cinq députés appartenant à tous les groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur M. Didier Lemaire – lequel, étant souffrant, vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Cette audition est enregistrée et accessible sur le site de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.
Madame la sénatrice, pourriez-vous tout d’abord nous relater ce que vous avez vécu pendant l’été 2022, tant d’un point de vue personnel qu’en votre qualité d’élue ?
Mme Nathalie Delattre, sénatrice. Merci, Madame la présidente. Je vous ai fait parvenir la note que j’ai rédigée à la suite des incendies qui ont touché la Gironde. Ce document, que j’ai voulu très pragmatique, balaie différentes problématiques d’importance variable. La sécurité civile n’est pas mon métier, et je n’avais jamais eu l’occasion, avant l’été 2022, d’observer de près le travail des pompiers en situation de crise, dans le cadre de la défense des forêts contre l’incendie (DFCI).
Au Sénat, nous étions alors sur le point d’achever une mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie. Vous avez sans doute rencontré ses membres, qui sont de bien meilleurs connaisseurs de la question que moi. J’ai néanmoins souhaité rédiger cette note à la lumière de ce que j’avais vu, même si un parlementaire n’a aucun rôle à jouer dans le combat contre ce type d’incendies. En effet, lorsqu’un sinistre d’une telle ampleur se produit, c’est le préfet de région qui prend la main, en coordination avec le ou les maires concernés.
Il n’en demeure pas moins qu’après avoir été évacuée, je me suis d’abord rendue au PC sécurité qui se trouvait près de chez moi afin, comme beaucoup d’autres, de proposer mes services bénévolement. Étant sénatrice depuis 2017, je connais bien le territoire et ses élus locaux ; je suis donc restée sur les lieux. J’ai ainsi vécu le quotidien de l’ensemble des décideurs présents dans les PC sécurité girondins. Je me suis rendue dans la quasi-totalité d’entre eux, dans la mesure où trois départs de feu ont eu lieu presque simultanément : l’un dans le Médoc, un autre à Landiras et le dernier à La Teste-de-Buch.
Le 13 juillet 2022, j’ai accompagné en Gironde le ministre de l’intérieur, qui m’a proposé d’effectuer le déplacement en avion. J’ai ainsi rencontré le préfet Alain Thirion, alors directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. Ce dernier m’a informée des premières décisions prises par le ministre, qu’il avait la charge de faire appliquer. Le survol du territoire m’a permis de prendre la mesure de la situation. J’ai constaté que les incendies de Landiras et de La Teste étaient très rapprochés. On ne pouvait pas, à ce moment, exclure qu’ils se rejoignent. De fait, quand ils ont été maîtrisés, ils n’étaient séparés que par une faible distance.
Dès le lendemain de mon arrivée, nous avons été évacués. Le préfet m’a annoncé que je disposais de deux heures pour quitter mon domicile. J’ai alors mesuré à quel point nous étions peu préparés à ce type d’événements – si vous me permettez cette comparaison, lorsque vous partez à la maternité pour un accouchement, vous disposez d’une liste d’effets personnels à emporter dans votre valise pour le séjour. Dans ce contexte de crise, nous n’avons pas reçu de consignes et, pour ma part, je n’ai pas pris tout ce qu’il aurait été nécessaire d’emporter. Je me suis immédiatement rendue au PC sécurité de La Teste-de-Buch. J’y ai passé les journées qui ont suivi – tout en me rendant régulièrement à Landiras – et me suis déplacée avec le PC, puisque, face à la progression de l’incendie de La Teste-de-Buch, il a dû migrer trois fois pour être situé toujours au plus près du feu ; il en a été de même du côté de Landiras.
J’ai porté sur les événements un regard de citoyenne, en contact avec les décideurs. Le recul aidant, j’ai dressé dans ma note un certain nombre de constats. Le premier d’entre eux a trait à la résilience et à la recherche d’efficacité des personnes mobilisées. La coordination de l’action des différents acteurs m’a paru très bonne. La préfète de région a pris la mesure de la crise, a su déléguer à ses sous-préfets et interagir constamment avec eux, ainsi qu’avec le contrôleur général du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et avec les élus locaux.
Des dysfonctionnements ont certes eu lieu, mais chacun a pu s’exprimer et la préfète – ainsi que, de manière plus générale, les représentants de l’État – ont fait preuve d’une grande proximité et se sont efforcés de répondre aux difficultés.
Il a fallu consacrer une attention particulière aux nombreux journalistes, qui ne respectaient pas toujours les consignes et pouvaient mettre en danger les sapeurs-pompiers.
Quant aux habitants, leur réflexe, humain, était de chercher à observer le déroulement des événements, par curiosité ou par souci de leurs biens ou de leurs animaux, lorsque ces derniers n’avaient pas été pris en charge. Personne n’imaginait que les incendies dureraient dix jours, et les conditions n’étaient pas toujours réunies pour que chacun ait pu mettre à l’abri son chat ou son chien, sans parler des animaux d’élevage.
De fait, les habitants se sont rapidement inquiétés pour leurs bêtes, et il a fallu envisager une manière de leur permettre de revenir chez eux pour les récupérer ou les nourrir, tout en préservant leur sécurité. Certains ont prétendu posséder des animaux pour pouvoir simplement récupérer leurs effets personnels. Des individus venant de l’extérieur ont tenté de commettre des vols ou des cambriolages.
Ces situations n’avaient pas été anticipées et posaient des problèmes inédits. Il a été décidé que la police escorterait les demandeurs un à un jusqu’à leur domicile pour vérifier qu’ils l’habitaient bel et bien. Cette procédure, particulièrement longue, a été d’autant plus difficile à appliquer que la police devait gérer concomitamment l’évacuation d’autres secteurs. Il a donc fallu renoncer à cet accompagnement individuel et inciter les propriétaires à évacuer le plus grand nombre d’animaux afin de réduire autant que possible le nombre de personnes ayant besoin de revenir chez elles.
Des entrepreneurs ont également souhaité revenir pour préserver leurs équipements ou leurs marchandises. Il a fallu évaluer les risques au cas par cas.
La plupart des personnes qui n’ont pu se rendre dans le périmètre de sécurité défini par l’arrêté préfectoral s’y sont résignées d’assez bonne grâce et sont restées relativement sereines, pour peu qu’une réponse ait été apportée à leurs questions – y compris les entrepreneurs, bien qu’ils aient perdu leur production ou une partie de leur chiffre d’affaires.
La note que j’évoquais au début de cette audition comprend trois chapitres. Le premier est consacré aux conditions de déploiement des forces et aux interrogations portant sur le matériel employé.
Une croyance locale, qu’entretenaient les pompiers eux-mêmes, voulait que la forêt de La Teste-de-Buch soit trop humide pour être la proie d’un incendie. Or, après deux semaines de canicule, il a suffi qu’un véhicule prenne feu pour qu’elle s’embrase rapidement. La zone où l’incident a eu lieu n’était pas couverte par le réseau téléphonique. Le conducteur du véhicule en flammes a donc perdu un temps précieux avant de pouvoir prévenir les autorités.
À leur arrivée, les pompiers n’ont pas demandé immédiatement l’intervention d’avions ou d’hélicoptères : ils pensaient pouvoir faire face au feu depuis le sol. C’est seulement en fin d’après-midi que la demande a été envoyée ; or, les avions ne décollent pas la nuit, faute de l’équipement nécessaire. Leur décollage a donc dû attendre l’aval du ministre, le lendemain matin. Une dizaine d’avions, soit la grande majorité de la flotte disponible, était déjà sur place à mon arrivée – il n’y avait en effet pas d’autre feu important sur le territoire national. Tous les moyens étaient donc mobilisés pour protéger la Gironde, mais le feu avait déjà considérablement progressé.
Des pompiers professionnels, venus d’autres territoires, sont venus appuyer les pompiers locaux, mais ils ne connaissaient pas nécessairement le terrain, ce qui allait occasionner des difficultés. Tous ont fait preuve d’une volonté de fer : ils perdaient des combats mais, malgré la fatigue, retournaient au feu sans relâche.
Un appel a rapidement été lancé aux pompiers volontaires, mais ceux-ci ont rencontré le même problème qu’une partie des élus locaux. Certains d’entre eux, en effet, sont salariés. Or, il est toujours difficile de faire comprendre à leur employeur que le mandat ou la fonction, en cas d’urgence, prime leur activité professionnelle. Leur présence est importante, car ils savent où résident les personnes fragiles ou isolées. La fine connaissance des élus locaux – qui, pour certains, n’ont pas dormi pendant plusieurs jours –, a permis d’éviter des décès. Nous devons améliorer le statut de l’élu local ou, à tout le moins, réfléchir aux relations entre l’élu local ou le sapeur-pompier volontaire et son employeur dans ces périodes particulières.
La contribution budgétaire des communes aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) est calculée à partir de la situation démographique que l’on connaissait en 2002. Or, depuis cette date, la population de la Gironde s’est accrue en moyenne de 20 000 habitants chaque année, dont un tiers au sein de la métropole, un tiers dans le bassin d’Arcachon et un tiers dans le reste du département. Pour pouvoir exercer son activité dans des conditions correctes, le SDIS a donc dû constamment marchander avec les élus, ce qui n’est pas tenable. Il convient de réévaluer les sommes qui lui sont accordées, tout en prenant en compte les préoccupations des communes qui, ayant perdu des habitants depuis 2002, craignent de voir leur situation se dégrader. Une période transitoire sera sans doute nécessaire.
Le président du département a rapidement mis en avant les problèmes que posaient la mobilisation et la répartition des moyens aériens du SDIS. Les difficultés de ce type doivent être analysées dans le cadre d’un retour d’expérience et non sur le moment, sous peine de créer des polémiques préjudiciables à la bonne gestion de la crise.
Il faut avoir en tête que les avions ne peuvent pas voler lorsque la fumée est trop épaisse et qu’ils doivent être répartis entre les différents territoires touchés. Il faut également assurer le ravitaillement en eau et la fourniture de produits retardateurs de feu. Le personnel spécialisé sait parfaitement ce dont il a besoin et à quel moment il en a besoin. Même si le président du département est aussi président du SDIS, il me semble que, dans ces périodes, nous devons laisser faire les professionnels.
Nous avons besoin d’avions capables de voler la nuit, équipés de détecteurs thermiques, et d’hélicoptères en mesure de faire des lâchers beaucoup plus précis. Immédiatement après les grands incendies, des réflexions ont été lancées sur la répartition des moyens. Je trouve très bienvenue la décision qui a été prise récemment de créer des bases « filles », qui abriteront un certain nombre d’avions et assureront une maintenance aéronautique légère, tandis que la maintenance lourde sera l’apanage de la base « mère », à Nîmes. Cette organisation me paraît de nature à répondre efficacement à des événements tels que ceux que nous avons connus. Lorsqu’on entre dans une période critique, il faut avoir des avions prépositionnés susceptibles d’intervenir rapidement sur des feux naissants. La base mère, quant à elle, nécessite des investissements très lourds et du personnel qu’il faut trouver au sein des armées ; or, le recrutement est rendu difficile par la concurrence des entreprises du secteur aéronautique. On constate de nombreux débauchages d’ouvriers de l’État par le secteur privé. Il est difficile, dans ces conditions, de multiplier les bases mères.
Il nous faut développer une culture commune à l’échelle de l’Europe qui nous conduise à appliquer les mêmes techniques de défense, adaptées à la nature du terrain. Nous devons disposer d’une flotte européenne pour pouvoir engager des actions massives. Les crédits européens devraient être mobilisés pour permettre l’achat groupé des matériels. Les Canadair ont répondu aux attentes à un moment donné, mais ils ne sont pas dotés des dernières innovations technologiques, tels que les détecteurs thermiques. De surcroît, ils sont construits à l’étranger. Pour satisfaire la demande d’achat rapide d’avions, j’appelle à ce que l’on se tourne vers les entreprises européennes. Airbus est disposé, si nous le souhaitons, à passer très rapidement d’une phase projet à une phase conceptuelle. Dassault a présenté au Bourget un projet d’avion bombardier d’eau qui est déjà entré dans une phase conceptuelle et pourrait être prêt très rapidement. Nous devons disposer d’un Buy European Act et développer notre propre filière. Il nous faut faire preuve de résilience et défendre notre souveraineté.
Les drones que la police a mis à disposition ont permis aux pompiers de prendre de bonnes décisions. On trouve des modèles de drones relativement performants pour un coût de 2 500 euros. Il conviendrait d’acquérir un plus grand nombre de ces matériels, qui assurent une veille nuit et jour et peuvent aller au plus près du feu en réduisant l’exposition de nos pompiers au danger.
J’en viens aux questions logistiques. L’armée est intervenue rapidement car elle se trouvait à proximité des feux. Le SDIS a été soutenu par un grand nombre de bénévoles qui ont préparé des sandwiches et des glaces, ce qui a contribué à soutenir le moral des pompiers, dont le nombre s’est élevé jusqu’à 3 000, au plus haut de l’activité. Les élus locaux ont dû trouver des endroits où les loger. L’armée, elle, est autonome et peut intervenir plus vite. Les pompiers de La Teste-de-Buch ont grandement apprécié de pouvoir boire froid grâce à la présence de la tour frigorifique de la criée, alors que cette ressource n’est en principe jamais disponible à proximité d’un grand incendie. L’une des problématiques, à laquelle on ne pense pas toujours, est de maintenir la fourniture aux pompiers de boissons fraîches.
Les bénévoles, engagés notamment dans la défense de la forêt contre les incendies (DFCI), ainsi que les chasseurs, ont proposé d’accompagner les pompiers venant d’autres régions afin de les faire bénéficier de leur connaissance du territoire. Si on les avait autorisés à le faire, cela aurait peut-être permis d’éviter que des véhicules ne se trouvent embourbés dans des terrains marécageux des Landes. Il faut réfléchir à la possibilité de permettre à ces personnes d’embarquer avec un équipage.
Pour ce qui est de la prévention, on constate que la transmission familiale ne se fait plus et que tous les enfants de France ne se promènent plus en forêt. On doit reparler de la prévention à l’école, mais aussi dans un cadre extrascolaire. Il faudra attendre plusieurs années avant que cette démarche ne produise ses effets. Cela étant, elle ne doit pas se limiter au jeune public, mais concerner la société dans son ensemble. Il serait souhaitable que les communes à risque tiennent des stands sur la prévention lors des fêtes municipales. Il faut multiplier les messages, car les gens ne connaissent plus les réflexes à adopter : un couple avait ainsi organisé un barbecue en forêt, à Sauternes, alors même que le mégafeu de Landiras était en cours.
En cas d’évacuation, il serait utile de fournir à la population une liste de recommandations, en particulier sur ce qu’il est indispensable d’emporter. Les gens devraient préparer une mallette contenant les papiers importants. Selon le temps dont ils disposent, ils devraient aussi penser à emporter des objets tels que les bonbonnes de gaz, qui peuvent se transformer en projectiles et propager le feu sur plusieurs centaines de mètres. Il faut aussi avoir les bons réflexes au sujet des animaux. On pourrait par exemple insérer ces recommandations dans les dépliants, distribués à la population, qui présentent les bonnes pratiques en matière de débroussaillement.
Lors du mégafeu de La Teste-de-Buch, l’hippodrome a constitué la dernière zone de repli du PC sécurité. Les propriétaires des 450 chevaux les ont évacués rapidement, de leur propre initiative, vers des haras ou d’autres hippodromes. Cela s’est fait plutôt sereinement.
Le zoo, quant à lui, a été un peu oublié. Le PC sécurité, installé un temps sur le parking du zoo, a été évacué. Les consignes données à ce moment-là n’ont pas été très claires. Au départ, aucune alerte n’a été donnée, ni aucune préconisation formulée. Même si l’on dispose d’un plan de prévention, on ne prend conscience de certaines réalités que lorsque l’événement survient. Pour évacuer un éléphant ou une girafe, il faut un camion spécifique qui se commande six mois à l’avance. Il a donc fallu protéger les animaux, sur place, contre le feu et la fumée. Toutefois, un certain nombre de zoos sont venus spontanément récupérer des animaux au moyen de leurs camions. Des singes sont morts au cours du trajet, sous l’effet de la chaleur, les camions ayant été pris dans les bouchons consécutifs à l’évacuation – la police avait d’autres priorités que de faire la circulation. Finalement, les vents ont tourné et le zoo a été épargné. Les choses n’ont pas été assez anticipées, même si des plans ont été signés avec l’État. On doit en tirer les leçons. Il conviendrait notamment de procéder à des mises en situation.
Sur un autre plan, le cendrier ne fait plus partie des équipements de série des voitures neuves. Or, le jet de mégot est la principale cause des feux de forêt. Un combat est à mener pour rendre les cendriers obligatoires, ce qui pourrait nous épargner quelques incendies – même si certains me rétorqueront que cela peut constituer une incitation à fumer.
Beaucoup d’entreprises n’ont pas été indemnisées parce qu’elles se trouvaient à plus de 300 mètres du feu. Or, les personnes concernées n’ont pas pu entrer dans le périmètre de sécurité et sauver leur production.
Mme la présidente Lisa Belluco. Que pensez-vous du recours à la technique des coupes tactiques ?
Mme Nathalie Delattre. Les pompiers des Landes et de la Gironde n’avaient pas la même doctrine d’intervention. Nous n’avons pas eu à déplorer de victime. Toutes les maisons ont été sauvées, à l’exception de quelques-unes situées au cœur de la forêt. Cela étant, on a assisté à des sautes de feu, inédites, de 1 kilomètre – de grosses « poches » vertes n’ont ainsi pas été touchées. Or, la largeur d’un coupe-feu classique excède rarement 300 mètres. Les coupes tactiques ont permis de rassurer la population et de se donner du temps. Il fallait éviter la jonction des feux de Landiras et de La Teste, et la propagation des flammes au massif forestier des Landes. La décision de recourir à une coupe tactique à ce moment-là m’a paru opportune.
Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie beaucoup pour vos explications et vos recommandations, madame la sénatrice.
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Puis, la mission d’information auditionne M. Gilles Bachelier, président, et de M. Laurent Michel, directeur des affaires publiques du groupe Intériale.
Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons ce matin les travaux de notre mission d’information en recevant les représentants du groupe Intériale, mutuelle des agents du service public, qui se présente comme la première pour les agents du ministère de l’intérieur et les personnels de sécurité civile. Nous sommes heureux d’accueillir M. Gilles Bachelier, son président, M. Laurent Michel, son directeur des affaires publiques, et M. Areski Mérabet, le directeur du collectif de la mutuelle. Messieurs les directeurs, je vous prie d’excuser l’absence de M. le rapporteur, Didier Lemaire, qui est souffrant.
Nous avons eu l’occasion d’aborder les questions relatives au recrutement et à la carrière des personnels, en recevant leurs organisations syndicales représentatives, ainsi que la direction de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), ou en les rencontrant sur le terrain. Nous avons aussi reçu des directeurs de services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et des représentants du Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV), qui nous ont signalé des difficultés ou des inquiétudes relatives aux conditions de travail, à la reconnaissance, à la fidélisation dans la durée ou au statut de ces personnels. Compte tenu de votre connaissance de ces questions, il nous a semblé important de vous entendre également.
Vous pourrez nous rappeler la contribution d’Intériale au fonctionnement de notre système de protection et de sécurité civiles, de façon générale, mais aussi nous faire part de votre analyse critique sur son organisation actuelle et sur les possibilités de l’améliorer. Nous sommes notamment frappés par la diversité des acteurs intervenant dans ce domaine, ce qui appelle sans aucun doute un effort de coordination.
Permettez-moi de préciser que notre mission, créée à l’initiative du groupe Horizons, est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport, que nous espérons rendre au printemps.
M. Gilles Bachelier, président du groupe Intériale. C’est une fierté pour nous de pouvoir contribuer à vos travaux. Intériale est un groupe mutualiste, né en 2008 de la fusion de deux mutuelles du ministère de l’intérieur et de la MGPAT (mutuelle générale des préfectures et de l’administration territoriale). Elle protège environ 500 000 personnes. Nous sommes présents pour les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, mais nous représentons aussi le monde de la jeunesse, puisque nous avons intégré dans nos effectifs la LMDE, qui était sous plan de sauvegarde judiciaire en 2015 – ce qui représente plus de 35 000 jeunes adhérents à titre individuel.
Intériale est un groupe composé de plusieurs entités, dont la tête de pont est sa mutuelle santé et prévoyance. Elle couvre des agents de l’État, au ministère de l’intérieur, de la justice, des armées et de l’éducation nationale. Elle couvre également – il s’agit d’une spécificité que nous tirons de notre histoire – des agents des collectivités territoriales : les policiers municipaux, qui sont la troisième force de sécurité intérieure en France, et les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, dans le cadre de contrats individuels ou collectifs, sous forme de conventions de participation passées entre les collectivités locales et nous-mêmes pour assurer les risques de santé et de prévoyance, au-delà des aspects assurantiels purs. En notre qualité de mutuelle affinitaire, nous avons mis en place un programme d’accompagnement, afin d’aider nos collègues à exercer leur métier dans les meilleures conditions. Nous voulons être force de proposition pour contribuer aux évolutions de la force publique, mais également offrir des solutions pour faciliter l’accès aux métiers.
Le navire amiral est la mutuelle de livre II. Nous avons créé une mutuelle dédiée à la prévention, Prévention plurielle, il y a un peu moins de trois ans, afin de renforcer la prévention proposée dans le cadre de nos offres habituelles. Autofinancée à 100 %, elle vise à accompagner nos collègues, grâce à des programmes de prévention primaire, secondaire et tertiaire, sous forme digitale ou relationnelle, par le biais de conseillers formés au coaching motivationnel. Au-delà des programmes d’accompagnement de prévention classiques, ce sont des systèmes éprouvés, pilotés par nos équipes et qui ont fait l’objet d’une revue par notre comité scientifique. Nous avons notamment défini des programmes d’accompagnement relatifs aux risques psychologiques, qui sont de plus en plus prégnants. Le nombre de suicides est historiquement élevé depuis plusieurs années parmi les personnels du ministère de l’intérieur, et les situations sont également compliquées au sein de la population des agents de l’administration pénitentiaire, comme chez les sapeurs-pompiers. Nous avons formé des collaborateurs pour les accompagner aussi bien face aux risques corporels que psychologiques, qui se sont renforcés depuis la crise du covid.
Nos dispositifs permettent aux personnels d’avoir des contacts privilégiés et de bénéficier de vraies bulles de confidentialité. Dans le cas d’un couple d’adhérents, nous sommes capables d’accompagner le fonctionnaire, son conjoint ou ses enfants en toute discrétion. Au ministère de l’intérieur, nous avons un dispositif qui a été mis en place par le SSPO, le service de soutien psychologique opérationnel. Nos dispositifs sont très complémentaires de ceux prévus par l’État, notamment parce que nous garantissons une confidentialité que ne ressentent pas forcément les fonctionnaires, qui peuvent avoir du mal à se confier, craignant peut-être que leur hiérarchie n’en soit informée.
Les retours sur notre plateforme d’accompagnement sont très intéressants. Nous savons que nous avons sauvé des vies, ce dont nous sommes très fiers. Au sein du ministère de l’intérieur, plus de 1 000 collègues sont suivis, pour des durées allant de six mois à deux ans. Nous accompagnons un parcours de vies – je tiens au pluriel : depuis l’entrée dans l’administration, en passant par la vie familiale et la retraite, jusqu’à la fin de la vie. Nous faisons très attention à conserver le lien social entre les personnes à la retraite qui ont servi l’État et nos concitoyens. Nous avons créé des dispositifs d’accompagnement pour qu’ils puissent devenir des passeurs. Des collègues retraités du GIPS (Groupe d’intervention protection prévention sauvetage et sécurité) sont ainsi très impliqués dans le recrutement et viennent répondre aux problèmes d’attractivité auxquels est confrontée la fonction publique en général.
À côté de cette mutuelle de livre III entièrement dédiée à la prévention – c’est le seul modèle de ce type en France, pour lequel nous avons d’ailleurs été primés par l’Argus de l’assurance en 2022 –, nous avons créé en mai 2021 un think tank, le Continuum Lab, afin de proposer aux acteurs de la sécurité intérieure et de la chaîne pénale, ainsi qu’au monde étudiant, de disposer d’un tiers-lieu, où chacun des métiers peut s’exprimer librement. Nous nous sommes appuyés sur des compétences très précieuses au sein du ministère de l’intérieur : l’Association des hauts fonctionnaires de la police nationale, l’École nationale supérieure de la police, l’Amicale des cadres de la police nationale et de la sécurité intérieure, ou encore l’Association des anciens combattants et résistants du ministère de l’intérieur. Nous avons souhaité accorder une place forte aux femmes, en proposant à l’association Femmes de l’intérieur de nous rejoindre. Le fonds de dotation Amichemi de l’ancien centre des hautes études du ministère de l’intérieur nous a également rejoints.
D’autres structures sont présentes en son sein : Orphéopolis, l’orphelinat mutualiste, l’association FLAG!, qui incarne la diversité, et l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) depuis octobre 2023. Les préfets ou les sapeurs-pompiers y sont, quant à eux, représentés pour des raisons d’indépendance. L’Association nationale des directeurs et directeurs départementaux adjoints des services d’incendie et de secours (ANDSIS) va nous rejoindre en ce début d’année.
La LMDE a été transformée en marque du groupe, qui est incarnée au sein de notre administration, puisque nous avons vingt-cinq administrateurs. J’ai tenu à ce que l’ensemble des métiers que nous représentons soient au tour de table, quels que soient les professions et les grades.
Mme la présidente Lisa Belluco. Avez-vous identifié des éléments qui pourraient expliquer la difficulté à recruter et à fidéliser les sapeurs-pompiers ?
M. Gilles Bachelier. Ces difficultés peuvent sembler paradoxales puisque, d’après une enquête que nous avons menée en 2022, sous l’égide d’Anne Muxel, une spécialiste de la jeunesse, les sapeurs-pompiers exercent le métier le plus apprécié de la jeunesse – 96 % du panel de 16 à 24 ans en avaient une bonne image.
Les collègues sont toutefois confrontés, depuis quelque temps, à des violences exacerbées. Ce n’est que depuis peu que l’on voit des personnes s’en prendre aux sapeurs-pompiers lors de manifestations. Dans le cadre des émeutes, ce n’étaient pas seulement les policiers qui faisaient l’objet d’une défiance, en tant qu’incarnation de l’État ; les sapeurs-pompiers étaient aussi pris à parti, parfois dans des guets-apens. Le fait qu’ils soient assimilés aux forces de l’ordre par certains constitue une nouveauté. La population reste très attachée aux sapeurs-pompiers, et il y a un vrai potentiel de développement. Le jour où les policiers iront vendre des calendriers, on aura fait un grand pas ! D’autres métiers souffrent d’un manque d’attractivité bien plus fort : seuls 2 % des jeunes connaissent celui d’agent pénitentiaire, par exemple.
Des évolutions doivent être apportées au niveau statutaire. Ce qui différencie les sapeurs-pompiers des autres fonctionnaires, c’est leur double rattachement : à la collectivité qui les finance et au préfet dans les situations de crise. Ce double rattachement est une occasion réelle de faire reconnaître le métier, mais il peut être une contrainte dans le mode de fonctionnement et l’organisation, notamment en termes de mutualisation des moyens. Le président de Départements de France a fait remarquer qu’il était très compliqué pour les collectivités de financer des actions importantes vis-à-vis des sapeurs-pompiers du fait du coût que cela représente. Le remplacement d’un camion peut coûter plus de 20 millions d’euros. Les choix sont compliqués, et les collectivités locales ne sont pas forcément capables de mutualiser des moyens au niveau régional.
Par ailleurs, les risques se sont accrus et iront en se renforçant. Les sapeurs-pompiers font face à des crises à répétition, liées au changement climatique. Ils sont également très sollicités pour une multitude de manifestations, comme les policiers.
Enfin, les familles acceptent peut-être moins l’impossibilité de séparer complètement vie professionnelle et vie familiale, ce qui commence à peser au sein de cette profession, comme chez les policiers – je le sais pour l’être moi-même.
M. Laurent Michel, directeur des affaires publiques du groupe Intériale. L’enquête réalisée en septembre 2022 sur l’attractivité et l’image des métiers de la sécurité et de la justice, avec un panel de 3 000 jeunes de 16 à 24 ans, toutes catégories confondues, sur l’ensemble du territoire, montre que ce sont les pompiers qui arrivent en tête, puisque 96 % des répondants en ont une bonne ou une très bonne image – il y a donc, en la matière, peu d’efforts nouveaux à réaliser. À la question de savoir s’ils souhaiteraient exercer ces métiers, ce sont les pompiers également qui arrivent en tête, avec 18 % des sondés qui y répondent favorablement et 37 % qui en auraient peut-être envie.
Les difficultés de recrutement s’expliquent aussi, en partie, par l’organisation départementale des pompiers. Chaque SDIS est autonome dans sa politique de recrutement, de gestion et de fidélisation. Si les instances nationales, comme la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), peuvent communiquer, il n’y a pas, sauf erreur de ma part, de grandes campagnes nationales, comme cela a été le cas pour la police nationale, l’administration pénitentiaire ou l’armée, afin d’attirer les jeunes vers ces filières. Les structures de formation sont également disséminées dans les départements. Il manque peut-être une impulsion nationale de promotion du métier.
Mme la présidente Lisa Belluco. Intervenez-vous dans la formation continue des sapeurs-pompiers ? Comment Intériale contribue-t-elle à l’adaptation de leurs compétences face aux nouveaux enjeux de sécurité civile ?
M. Gilles Bachelier. Nous n’intervenons pas directement dans la formation. Néanmoins, nous intervenons dans les écoles, pour promouvoir l’importance de prendre des garanties complémentaires. Nous essayons d’inciter les jeunes qui embrassent cette carrière à se protéger et profitons de ces rencontres pour mettre en avant des campagnes de prévention des risques. Les casernes sont particulièrement accidentogènes. Nous avons créé des programmes adaptés de renforcement musculaire, dispensés dans le cadre de Prévention plurielle, et permettons à ces fonctionnaires de se faire suivre par des ostéopathes tout au long de l’année. Nous avons également créé des dispositifs pour faciliter la pratique du sport, qui est déjà obligatoire, en remboursant les licences sportives. Nous essayons de les sensibiliser à tous les aspects de prévention, de nutrition, de récupération.
Nous essayons de les amener à réfléchir sur les perspectives de carrière, grâce au Continuum Lab. Il y a quelque temps, un séminaire s’est tenu dans nos locaux, au cours duquel nos collègues de l’Association des hauts fonctionnaires de la police nationale ont mené une réflexion sur l’attractivité du métier et la mobilité des hauts fonctionnaires, notamment des commissaires de police. Nous avons reçu des colonels de sapeurs-pompiers pour essayer de trouver des pistes d’évolution de leur métier. L’idée est de mettre en exergue les bonnes pratiques et d’échanger, de façon à ce que les fonctionnaires territoriaux puissent s’enrichir des belles expériences de l’État et inversement.
L’Ensosp devrait nous rejoindre au sein du Continuum Lab, si bien que les trois plus grandes écoles pourront continuer à échanger sur les bonnes pratiques. Nous avons plusieurs projets pour 2024 afin de continuer à renforcer l’attractivité de ces métiers.
M. Areski Mérabet. Pour favoriser le maintien dans l’emploi, nous intervenons moins en matière de formation que d’information, notamment par l’intermédiaire du document unique, qui est obligatoire, sur les aspects relatifs à la pénibilité. L’une de nos priorités est de mettre en avant la prévention, au service d’une protection sociale complémentaire.
La politique que nous défendons comprend trois niveaux : prévenir, protéger et réparer. La prévention, d’abord, permet de réduire l’absentéisme, la sinistralité, les risques physiques et psychologiques. Au niveau secondaire, on protège : par le biais de contrats collectifs pour la partie statutaire, et par des contrats individuels s’agissant de la partie complémentaire. Pour cela, il faut sensibiliser les chefs de centre à l’importance de mettre en place des couvertures – dans ce domaine, les sapeurs-pompiers sont souvent livrés à eux-mêmes. Si des mutuelles affinitaires comme la nôtre proposent des offres labellisées, d’autres assureurs vendent des couvertures qui ne sont pas adaptées à ce statut et risquent de ne pas correspondre aux besoins.
Mme la présidente Lisa Belluco. Travaillez-vous également avec les sapeurs-pompiers volontaires ? Avez-vous défini une offre spécifique ?
M. Gilles Bachelier. Nous gérons 54 000 pompiers, tous statuts confondus, mais de nombreux fonctionnaires que nous protégeons sont également sapeurs-pompiers volontaires. Nous offrons surtout des contrats de prévoyance, en lien avec différentes structures. Par ces couvertures assurantielles, nous essayons de promouvoir la prévention et de valoriser ces métiers.
La réforme de la protection sociale complémentaire (PSC), annoncée par Amélie de Montchalin il y a quelques années, nous offre une belle occasion de mettre en avant ces enjeux de prévention. Elle prévoit que la totalité des fonctionnaires, de l’État ou territoriaux, puisse bénéficier d’un accompagnement financier de l’État. Plusieurs ministères appliquaient déjà ce principe depuis plusieurs années, mais avec des dispositifs hétérogènes.
Selon le ministère de l’intérieur, la réforme sera mise en place prochainement. Certains ministères et les services du Premier ministre ont lancé des appels d’offres. Le ministère de la justice et les collectivités territoriales vont faire de même. L’objectif est de permettre à l’État et aux collectivités territoriales de participer à la couverture santé et prévoyance. Nous travaillons sur ces questions depuis près de trois ans et sommes prêts à répondre aux appels d’offres, ne serait-ce que pour fidéliser notre population.
Surtout, nous avons voulu que ce qui pouvait apparaître comme une contrainte – les appels à la concurrence peuvent conduire à perdre le marché – soit transformé en atout, pour accompagner les personnes, les protéger et répondre globalement à leurs besoins. Nous ne souhaitons pas que l’accent soit mis uniquement sur l’accompagnement financier. Au contraire, la réforme est l’occasion d’instaurer un accompagnement axé sur la prévention, non seulement par l’État employeur, sur le modèle du privé, mais aussi par des dispositifs complémentaires.
C’est la raison pour laquelle notre groupe s’est structuré de cette façon. Notre objectif est d’apporter notre expertise sur ces métiers, ces populations que nous protégeons depuis de nombreuses années ; d’intégrer cette vision de manière holistique, de protéger les assurés dans tous les champs de prévention, quels que soient les risques ; et de constituer des lieux d’échanges et d’attractivité pour renforcer l’image du groupe. Les structures créées nous permettent de relever tous ces défis.
Pour les collectivités territoriales, la réforme présente de forts enjeux financiers : de nombreuses structures tenteront de se positionner pour récupérer d’importants contrats, que piloteront les centres de gestion. Cela peut paraître un élément facilitateur, mais les SDIS, s’ils entrent dans ce schéma, risquent de souscrire des contrats ne satisfaisant pas nécessairement les besoins, alors qu’ils pourront leur être opposés. Les besoins des fonctionnaires territoriaux – ceux qui travaillent dans des bureaux, au service du public, ou qui accompagnent les personnes âgées ou en situation de handicap – n’étant pas les mêmes que ceux des sapeurs-pompiers, nous préconisons de lancer des appels d’offres spécifiques pour ces différentes catégories.
Cela a également un sens du point de vue actuariel. Compte tenu de l’absentéisme et de l’allongement des arrêts maladie dans la fonction publique territoriale, les coûts de la prévoyance augmentent. Ce n’est pas le cas pour les sapeurs-pompiers volontaires. Leur bon comportement ne doit pas les conduire à contribuer au bien commun pour des risques qui ne les concernent pas. Nous le disons aux collectivités locales qui nous ont accordé leur confiance. Il y a là un virage à ne pas manquer.
M. Areski Mérabet. On dénombrait 254 000 sapeurs-pompiers au 31 décembre 2022, dont 198 800 sapeurs-pompiers volontaires (SPV), soit 78 % des effectifs. Rattachés aux unions départementales, ces derniers perçoivent des indemnités, non des salaires. Nous couvrons le risque lié au décès, mais nous ne garantissons pas un complément de revenu, précisément parce que nous sommes une mutuelle affinitaire. Une telle couverture pourrait en effet conduire les sapeurs-pompiers volontaires à ne plus intervenir en cas d’arrêt de travail classique, ce qui mettrait en difficulté les sapeurs-pompiers professionnels.
M. Laurent Michel. La législation française sur les sapeurs-pompiers volontaires est critiquée par la Commission européenne. Elle est en effet dérogatoire au droit commun européen, dans la mesure où certains sapeurs-pompiers peuvent ne pas respecter l’obligation de repos quotidien. Apporter une garantie totale, statutaire, à l’activité volontaire, en dehors de la profession principale, viendrait fragiliser le modèle des secours. Cela n’exonère pas les sapeurs-pompiers volontaires de la nécessité de disposer d’une couverture du risque métier lié à leur activité. Celle-ci ne peut être assurée que par la partie statutaire, c’est-à-dire les SDIS.
Mme la présidente Lisa Belluco. Comment Intériale accompagne-t-elle les sapeurs-pompiers dans leur retraite ? Disposent-ils de dispositifs particuliers ?
M. Gilles Bachelier. Nous leur proposons des dispositifs sensiblement identiques à ceux des autres professions. Parce que le passage à la retraite peut être perturbant pour les personnes qui ne s’y sont pas préparées, nous avons instauré un dispositif permettant au retraité de s’offrir un avenir. Étant très attachés au lien intergénérationnel et à la transmission, nous avons créé un système de bénévolat, pour que les retraités, qui ont du temps à consacrer aux actifs, conservent le lien avec les personnes en activité.
En tant que mutuelle affinitaire, nous intervenons directement dans les services pour recruter des référents, relais de proximité qui nous tiennent informés aussi bien des problèmes de santé que des événements heureux que rencontrent les agents. En France, nous coordonnons ainsi 1 000 personnes, que nous avons formées et formons régulièrement. Elles sont spécialisées en matière d’action sociale, puisque nous accompagnons des collègues dans le besoin, tant pour financer l’achat d’un fauteuil roulant ou des travaux afin de pallier une situation de handicap que dans le cas d’une séparation. Des enveloppes significatives sont votées chaque année en assemblée générale pour ces dispositifs d’accompagnement dont les collègues font la promotion. Nous avons ainsi instauré des actions de prévention et d’information par les pairs, sur le modèle de la mutuelle des étudiants.
Nous avons donc spécialisé nos collègues retraités pour informer sur notre action sociale, notamment sur les garanties. Cela permet de s’assurer qu’eux-mêmes les utilisent car, bien souvent, elles ne sont pas connues : certains collègues hospitalisés ne nous sollicitent pas, alors qu’ils pourraient bénéficier de services de garde d’enfants et d’animaux ou de ménage.
Si nous assurons ainsi la promotion des services que nous avons mis en place, nous permettons surtout aux retraités de garder un lien social et de faire vivre l’esprit d’entraide et de fraternité qui nous caractérise. Outre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que nous incarnons en tant que mutuelle régalienne, nous voulons conserver la solidarité, dont notre société a tant besoin.
Nous y contribuons fortement, notamment par les travaux du Continuum Lab. L’étude réalisée à partir de l’enquête que j’ai citée nous a permis de disposer d’une photographie du ressenti de la population face à l’ensemble des métiers qu’exercent nos assurés. Souhaitant être force de proposition, nous avons transmis nos recommandations visant à renforcer le lien entre les jeunes et nos institutions à l’Élysée, à l’Assemblée nationale, à Matignon ainsi qu’aux ministères de l’intérieur, de la justice, de l’éducation nationale et de la fonction publique.
Certaines de nos idées seront mises en application : plusieurs maires se sont, par exemple, engagés à organiser une cérémonie citoyenne et à recevoir de jeunes majeurs, en présence de leurs parents, pour leur expliquer ce que représente le fait de devenir citoyen et leur remettre un livret résumant leurs droits et devoirs. Cet échange donnerait également l’occasion de promouvoir les différents métiers avec des représentants de la police, nationale et municipale, de la gendarmerie, de la justice et des sapeurs-pompiers volontaires ou professionnels. Une telle cérémonie constituerait une vitrine, pour bâtir une relation sur une image positive.
L’enquête le montre, la jeunesse témoigne d’une vraie appétence pour ces métiers. Pourtant, les établissements d’enseignement comptent des conseillers qui renseignent sur les parcours, les choix de vie, mais pas de référents sécurité intérieure. Faute de maintenir un lien dans la durée avec ces professions, on se trouve confronté à un problème d’attractivité : on manque de bras dans tous les ministères. Nous voulons contribuer à y remédier par cette dimension sociale et sociétale.
Nous venons ainsi de nouer un partenariat avec le collège Albert Camus de Brunoy et sa principale, Salima Goujdad. Nous avons proposé de créer des classes de sécurité intérieure sur le modèle des classes défense : plusieurs fois par mois, des représentants de forces de sécurité viennent expliquer leur métier à des jeunes de 14 ans, de façon à organiser une transmission dans le temps. Nous avons été reçus à l’Élysée sur ce thème et travaillons pour instaurer le dispositif au niveau interministériel. Nous vous ferons parvenir nos recommandations.
M. Laurent Michel. En 2022, avec le fonds de dotation Amichemi, nous avons organisé six réunions rassemblant des structures du continuum de sécurité, dont deux au sein de SDIS, dans des casernes du Doubs et des Yvelines. Pendant une journée, une quinzaine de jeunes de 16 à 20 ans, sollicités par des missions locales ou des acteurs locaux, ont découvert ces professions successivement avec des décideurs – colonel de gendarmerie, commandant de police, directeur de prison, capitaine d’administration pénitentiaire, représentant du corps préfectoral – et avec des pairs, âgés de 20 à 30 ans, qui ont exposé leur expérience depuis deux ou trois ans. En fin d’après-midi, près de la moitié de ces jeunes disaient avoir rencontré des métiers qu’ils ne connaissaient pas et émettaient le souhait de se renseigner pour intégrer l’une de ces filières.
Cela démontre la nécessité de mettre les jeunes en contact avec ces métiers. Sans les excuser, les violences envers les forces de l’ordre peuvent procéder d’une méconnaissance de ces professions et du ressenti qui en résulte.
M. Gilles Bachelier. Dans le cadre du Continuum Lab, nous avons aussi organisé la remise d’un Prix de mémoire de master distinguant des travaux universitaires relatifs à la sécurité intérieure et à la protection. Nous avons pris connaissance de travaux très intéressants : les jeunes font des constats remarquables sur la situation et sont également force de proposition.
Nous profiterons que l’ANDSIS nous rejoigne l’an prochain pour mettre en avant des thématiques liées aux sapeurs-pompiers. En faisant réfléchir les jeunes sur leurs problématiques, nous pourrons mettre à votre disposition des matériaux nouveaux, au fil du temps.
M. Laurent Michel. Nous vous convions également à la matinée de réflexion que nous organisons le 2 avril sur un thème qui rejoint vos préoccupations : « Le préfet comme organisateur et coordinateur du continuum de sécurité au niveau local dans les crises de sécurité civile ». Le récent cyclone à La Réunion a montré le rôle crucial qu’il joue. La conférence est placée sous l’égide du président du comité scientifique du Continuum Lab, Olivier Renaudie, professeur de droit public à Paris I, spécialiste de la sécurité civile et intérieure.
Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour votre invitation à cet événement. Toutefois, nos travaux devraient être achevés à cette date.
Pour conclure, souhaitez-vous nous faire part d’autres informations ou recommandations sur notre modèle de sécurité civile ?
M. Gilles Bachelier. La réforme de la protection sociale complémentaire constitue un levier fondamental pour intégrer les diverses problématiques qui concernent les sapeurs-pompiers. Nous devons concentrer nos efforts, car le moment est unique et historique : l’État va accompagner les ministères régaliens et les collectivités territoriales vers une meilleure protection des agents. Il a récemment augmenté sa participation à l’accompagnement de la prévoyance de 20 % à 50 %, ce qui signifie que les partenaires sociaux ont été entendus. L’État est au fait de la question et capable d’allouer des moyens. Cette prise de conscience constitue un véritable atout.
Il ne faut toutefois pas considérer seulement l’aspect financier. Nos partenaires sociaux, qui devront piloter ces contrats avec les employeurs, n’ont pas encore pris toute la mesure de l’enjeu, notamment du fait que les mutuelles remportant les appels d’offres deviennent des prestataires : ceux qui connaissent le métier sont pour ainsi dire relégués au second plan. Or, la force du dispositif réside dans sa faculté à créer des synergies entre l’ensemble des parties prenantes. Les baromètres santé réalisés depuis dix ans à partir des données des différentes populations que nous protégeons nous permettent d’établir des comparatifs entre les fonctions publiques d’État et territoriale, entre les différents métiers, les sexes, les âges, et la population nationale. La réforme nous donne l’occasion de mettre cette énorme masse d’informations au service d’un dispositif d’accompagnement au plus près des personnes.
Les déterminants de santé n’étant pas les mêmes selon les régions, nous devons cibler nos actions. On ne gère pas un contrat collectif depuis Paris. Or, ces contrats démarreront bientôt : dans les collectivités territoriales, les employeurs publics et les partenaires sociaux devront se les approprier, bien qu’ils aient de multiples dossiers à traiter – les Jeux olympiques et paralympiques, notamment. Il est nécessaire de sensibiliser les acteurs pour les aider à saisir cette chance, à avancer des solutions et à aller dans le sens d’une réforme de grande ampleur, qui soit véritablement vertueuse.
Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie.
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Puis, la mission d’information auditionne Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Yoann La Corte, adjoint à la cheffe de service des risques naturels et hydrauliques, et Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels à la DGPR.
Mme la présidente Lisa Belluco. Tout d’abord, je vous prie d’excuser l’absence de notre rapporteur, M. Didier Lemaire. Il est souffrant et n’a pas pu se joindre à nos travaux, mais je suis sûre qu’il regardera avec attention l’enregistrement vidéo de nos auditions.
Nous avons le plaisir d’entendre la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, représentée par Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques au sein de cette direction, accompagnée de son adjoint, M. Yoann La Corte, et de Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels.
Notre mission, qui a débuté ses travaux au mois de septembre, a souhaité partir du terrain : elle a déjà entendu les représentants des élus et ceux des professionnels, volontaires, experts et associations agréées de sécurité civile. À présent, nous passons à l’audition de représentants des différents ministères ou administrations concernés par ces questions d’anticipation et de gestion de crise en matière de protection et de sécurité civile. Tel est le cas du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, notamment de votre direction générale, que je connais particulièrement bien, qui est chargée des risques, qu’ils soient naturels ou d’une autre nature – nous souhaitons que vous puissiez nous parler notamment des risques industriels.
Nous avons tenu plusieurs tables rondes spécifiques. Nous avons aussi organisé des déplacements sur le terrain à la suite de catastrophes naturelles ou industrielles récentes, telles que les feux de forêts de l’été 2022 en Gironde, l’incendie de Lubrizol en Seine-Maritime, ou la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes, où nous allons nous rendre en février. Votre regard sur ces événements nous intéresse, parce qu’il s’agit de cas concrets et que le dérèglement climatique pourrait conduire à des crises plus fréquentes, mettant à l’épreuve notre système de sécurité civile.
Vous pourrez nous présenter, de façon générale, les moyens et le fonctionnement de la DGPR, ainsi que son rôle en matière de prévention, d’identification ou de gestion des risques. N’hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système de protection et de sécurité civile et à nous dessiner des pistes d’amélioration, notre objectif étant précisément de faire des propositions en ce sens.
Avant de passer aux questions, permettez-moi de rappeler que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous les groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Cette audition sera accessible en vidéo sur le site internet de l’Assemblée, et fera l’objet d’un compte rendu annexé à notre rapport.
En premier lieu, pouvez-vous présenter la DGPR, rappeler quels sont ses moyens humains et budgétaires, et préciser comment cette direction intègre les enjeux de sécurité civile dans ses différentes activités ?
Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Notre mission est d’identifier, de caractériser et surtout de quantifier les risques auxquels notre société est soumise – nous parlons ici de risques naturels, technologiques et sanitaires, l’environnement ayant des effets sur notre santé. Nous devons aussi jouer un rôle dans la prévention du gaspillage et la gestion de l'économie circulaire.
L’une de nos particularités est d’agir à la fois à court terme, sur la vie quotidienne de nos concitoyens, et à long terme, lorsqu’il s’agit, par exemple, de maîtriser l’urbanisation. Parmi les actions à court terme qui sont liées à l’économie circulaire, citons la limitation de l’usage du plastique ou les bonus réparation. En matière de risques naturels, je peux vous donner l’exemple de l’information des acquéreurs ou des locataires (IAL) de biens immobiliers, destinée à leur signaler l’existence de risques naturels, technologiques ou autres. S’agissant des risques technologiques, le porte-à-porte peut être utilisé pour inciter les gens à renforcer le vitrage de leur domicile, par exemple, quand ils habitent dans une zone soumise à un risque.
Nous œuvrons d’abord à sauver des vies humaines, ce qui nous lie fortement aux services de la sécurité civile, puis à réduire les dégâts matériels et à faciliter un retour aussi rapide que possible à la normale.
Nous travaillons avec de nombreuses parties prenantes, en particulier les collectivités territoriales, compétentes en matière d’urbanisme et dans d’autres domaines où nous cherchons à intervenir. S’agissant des risques technologiques, sur lesquels reviendra ma collègue Delphine Ruel, nous travaillons avec le monde industriel. Nous travaillons aussi, bien sûr, avec d’autres ministères et de nombreux acteurs de la société civile.
Si nous sommes une direction d’administration centrale, nos missions sont essentiellement exercées au travers des directions départementales des territoires (DDT) et des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).
En ce qui concerne les risques naturels, nous avons une activité opérationnelle, qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept : la vigilance crues, Vigicrues. Les services des DREAL peuvent établir des prévisions de crues – ce qui nous a été bien utile lors des inondations récentes dans les Hauts-de-France – à partir des relevés d’hydromètres dont sont équipés les cours d’eau. Nous avons aussi une inspection des ouvrages hydrauliques qui garantit la sécurité des barrages et de tous les systèmes d’endiguement. Ces contrôles sont effectués par des inspecteurs intervenant au niveau de la DREAL, qui disposent d’un pôle d’appui national rattaché à mon service.
Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels à la DGPR. La philosophie est la même pour les risques technologiques que pour les risques naturels et hydrauliques. Nous agissons dans le cadre du code de l’environnement, qui définit les intérêts à protéger, ce qui inclut la vie humaine et l’environnement. La DGPR et ses services déconcentrés régulent, règlementent, autorisent et contrôlent toutes les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), c’est-à-dire des installations « qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients » pour les intérêts protégés. Il s’agit d’éviter des accidents, de réduire les émissions et, plus globalement, de conduire l’industrie à adopter un mode de développement durable.
Le spectre de nos actions est assez large, touchant aussi bien des lieux tels que les stations-service, où tout un chacun peut se rendre fréquemment, que de très gros sites industriels, notamment ceux qui sont classés Seveso et manipulent de grandes quantités de matières dangereuses. Nous nous intéressons aux industries classiques du secteur de la chimie, mais aussi aux installations produisant des énergies renouvelables – éoliennes terrestres et méthaniseurs – ou des énergies nouvelles – distribution et stockage d’hydrogène, ou stockage stationnaire d’électricité en batterie.
Cette politique de prévention des risques technologiques repose sur quatre piliers. Premier pilier : la réduction du risque à la source – l’exploitant doit nous démontrer qu’il l’a réduit à son niveau le plus bas et qu’il le maîtrise. Deuxième pilier : la maîtrise de l’urbanisation autour des sites qui présentent des dangers et inconvénients. Troisième pilier : la gestion de crise et l’organisation des secours s’il se produisait malgré tout un accident. Quatrième et dernier pilier : l’information des citoyens sur les risques auxquels ils sont soumis.
Mme Véronique Lehideux. Je vous propose d’aborder à présent la question des moyens humains et matériels. Selon le programme 217 du ministère, les services centraux et déconcentrés disposent de 3 346 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Quant au programme 181, Prévention des risques, de la loi de finances pour 2024, il prévoit 1,3569 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,3586 milliard en crédits de paiement, tous titres confondus.
Pour conduire nos missions, notamment en ce qui concerne la caractérisation du risque, nous nous appuyons beaucoup sur des opérateurs auxquels nous accordons des subventions pour charge de service public. Notre appui aux collectivités territoriales repose sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier. Nous exerçons aussi la tutelle de certains opérateurs tels que l’Agence de la transition écologique (Ademe), qui représente 65 % de ce budget. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous transmettre les tableaux permettant d’effectuer une comparaison entre 2023 et 2024.
Jusqu’en 2021, le fonds Barnier, de nature extrabudgétaire, était alimenté par la surprime qui finance le régime des catastrophes naturelles, et plafonné aux alentours de 131 millions d’euros. En 2021, ce fonds a été budgétisé, rattaché à l’action 14 du programme 181, et son montant a été porté à 205 millions d’euros, ce qui témoigne de la prise de conscience de la nécessité d’agir face au risque. Le fonds a bénéficié de deux apports supplémentaires pour faire face aux conséquences de la tempête Alex, qui a frappé les Alpes-Maritimes en octobre 2020 : 50 millions d’euros en 2021, puis 30 millions d'euros en 2022. Ces moyens supplémentaires ont notamment servi à financer l’expropriation de biens devenus inhabitables et la délocalisation des habitants hors des zones à risque. La loi de finances pour 2024 prévoit un budget de 225 millions d’euros, marquant la nécessité de prendre en compte les risques liés au changement climatique.
Les missions liées aux risques naturels et hydrauliques mobilisent 1 306 ETPT, dont 460 dans les réseaux Vigicrues.
Mme Delphine Ruel. En 2022, les effectifs techniques de l’inspection étaient de 1 277 ETPT, localisés à 86 % dans les DREAL et à 14 % dans les directions départementales de la protection des populations (DDPP) qui contrôlent certaines ICPE agricoles. Déjà renforcée de 25 postes en 2023, l’inspection va bénéficier de 100 nouvelles recrues en 2024. Ces renforts devraient lui permettre d’accompagner les orientations du Gouvernement : assurer une présence sur le terrain et instruire correctement les dossiers d’investissement industriels et agricoles qui s’inscrivent dans la dynamique de réindustrialisation. Il s’agit de garantir une bonne qualité technique d’inspection, tout en respectant des délais maîtrisés.
Mme Véronique Lehideux. Qu’en est-il de l’articulation de nos politiques publiques avec celles des services de la sécurité civile ? Pour nous, ces politiques sont totalement complémentaires et en interface : il existe un continuum de la prévention à la sécurité civile.
La DGPR participe à la caractérisation, puis à la surveillance des aléas. Nous contribuons à l’« alerte montante » grâce à notre réseau Vigicrues mais aussi par l’intermédiaire d’opérateurs tels que Météo-France, les observatoires sismiques et sismologiques, ou le Centre national d’alerte aux tsunamis (Cenalt), organisme que nous finançons avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). C’est le stade de la vigilance, qui précède l’alerte, durant lequel il s’agit d’informer les autorités de gestion de crise et le grand public.
Lorsque nous atteignons des niveaux de vigilance orange et rouge, nous avons des relations très étroites avec les autorités de gestion de crise, qui reçoivent l’information avant le grand public. Nous avons des liens directs avec le préfet, le commandement des opérations de secours (COS) et le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic). Nous qualifions alors la localisation et l’intensité du phénomène, mais aussi ses conséquences possibles grâce à un travail effectué en amont. Pour les crues, par exemple, nous avons cartographié des zones d’inondations potentielles en fonction de la hauteur d’eau mesurée en certains points, ce qui permet au gestionnaire de crise d’anticiper et d’évacuer les périmètres concernés. Yoann La Corte, qui a travaillé sur la météo opérationnelle des feux de forêt, pourra vous donner des exemples concrets dans ce domaine.
L’interface avec la sécurité civile se fait au moment de bascule entre l’alerte montante, qui correspond à la phase de vigilance et de surveillance, et l’alerte descendante, qui accompagne la phase de gestion de crise. Nous pouvons intervenir ponctuellement de manière croisée immédiatement après la crise, lors de la reconstruction : la sécurité civile est toujours présente, mais on nous demande déjà d’intervenir et de fournir des moyens par le biais du fonds Barnier. Enfin, nous travaillons ensemble au moment des retours d’expérience, systématiques lors des crises importantes qui donnent également lieu à des inspections générales. La DGPR et les services de la sécurité civile ont ensuite à se saisir, parfois en commun, des recommandations faites à l’issue de ces inspections concernant des catastrophes naturelles ou technologiques.
Comme évoqué par Delphine Ruel, nous nous retrouvons aussi avec la sécurité civile sur la thématique de l’information du citoyen. En décembre 2020, Mme Barbara Pompili, alors ministre de la transition écologique, avait lancé une mission visant à formuler des propositions pour renforcer la sensibilisation du grand public aux risques naturels et industriels, présidée par Fred Courant. Dans le cadre de l’application du plan Tous résilients face aux risques, résultant de cette mission, notre premier interlocuteur naturel fut le ministère de l’intérieur, avec la DGSCGC. Par la suite, la Journée nationale de la résilience, instaurée à cette occasion, est devenue une action pleinement interministérielle. Pour que le citoyen devienne acteur de sa propre sécurité, il doit être informé des risques, en prendre conscience et connaître les bons comportements avant, pendant et après la crise.
L’État est tenu à une information préventive qui passe du préfet aux collectivités locales pour arriver aux citoyens. La loi visant à consolider le modèle de sécurité civile tout en valorisant le volontariat des sapeurs-pompiers, dite loi Matras, a permis d’étendre le bénéfice de cette information préventive. Auparavant, seuls en disposaient les territoires concernés par un plan de prévention des risques (PPR) ou un plan particulier d’intervention (PPI). Même si ces plans couvrent une large partie du territoire, certaines zones pouvaient échapper à l’obligation d’information préventive alors qu’elles couraient des risques. Nous avons donc modifié ensemble les textes pour que l’obligation s’applique partout où il existe au moins un risque majeur. À cette occasion, nous avons aussi fait en sorte que l’obligation se traduise dans les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde. Ces mesures sont entrées en vigueur par le biais de la loi Matras et du décret n° 2023-881 du 15 septembre 2023 pris pour l’application de l’article L.125-2 du code de l’environnement.
Mme Delphine Ruel. La réglementation ICPE et la sécurité civile protègent des intérêts qui sont en partie les mêmes. La convergence est donc assez évidente. En outre, le troisième des quatre piliers de la prévention des risques évoqués précédemment – l’organisation des secours et la gestion de crise – est assuré par la sécurité civile comme dans le cas des risques naturels. La réglementation ICPE prescrit à l’exploitant de se doter d’un plan d’organisation interne en cas d’accident. Quant aux secours, ils peuvent faire l’objet d’un PPI pour certains sites.
S’agissant de l’information des citoyens sur les risques auxquels ils sont soumis, j’aimerais apporter deux précisions. Premièrement, les sites Seveso font l’objet de campagnes d’information quinquennales, donc régulières. Deuxièmement, nous nous inscrivons dans la dynamique, décrite par Mme Lehideux, concernant le renforcement de l’information préventive et la participation à la Journée nationale de la résilience. Le nombre d’actions concernant le risque technologique a progressé entre 2022 et 2023, passant de 11 % à 38 %, ce qui montre que notre volonté de mobiliser les acteurs a porté ses fruits.
Mme la présidente Lisa Belluco. Auriez-vous des idées, recommandations ou propositions pour développer la culture du risque parmi les citoyens et les élus ?
Mme Véronique Lehideux. La Journée nationale de la résilience a d’abord été institutionnalisée par la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie. Comme pour toutes les journées de ce type, un travail de fond est effectué pour développer sa notoriété et en faire un temps fort, qui associe toutes les parties prenantes et inclut tous les risques. Au départ centrée sur les risques naturels, elle accorde désormais une place croissante aux risques technologiques.
Nous nous appuyons beaucoup sur notre « constellation » : les associations qui travaillent avec nous sur ces sujets. Entre la première édition et celle de cette année, le nombre d’actions a progressé de plus de 47 %, pour atteindre plus de 3 000 sur l’ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer, qui sont exposés à quasiment tous les risques naturels.
C’est satisfaisant, mais insuffisant : il faut faire en sorte que ces actions aient lieu tout au long de l’année, et que la journée du 13 octobre n’en soit que le temps fort. Nous voulons travailler avec le milieu scolaire, car nous croyons beaucoup à l’éducation des plus jeunes. Cette année, nous allons aussi développer des jeux, des quiz et des publications sur les feux de forêt dans Le Journal de Mickey, par exemple, pour toucher les jeunes avec d’autres médias.
Un travail de fond est effectué auprès des élus par les services déconcentrés et les associations. Pour encourager ces dernières à développer les modules de formation qu’elles ont mis en place, nous avons augmenté le montant des subventions accordées.
M. Yoann La Corte, adjoint à la cheffe du service des risques naturels et hydrauliques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Comme cela a été dit, nous sommes convaincus que la bonne information de nos concitoyens permettra de les rendre acteurs de leur sécurité et de la sécurité collective. Les campagnes qu’évoquait Mme Lehideux s’inscrivent dans cette logique.
L’une, créée en 2016 et consacrée aux pluies intenses et aux inondations, a été largement modernisée et amplifiée en 2022. Elle porte sur le pourtour méditerranéen, où interviennent parfois des phénomènes dits « cévenols » qui peuvent conduire à des crues soudaines et brutales, avec des risques importants pour les personnes et pour les biens. Cette campagne vise donc essentiellement à faire connaître les bons comportements et les sources d’information de référence – comme Vigicrues, service gratuit proposé à tous et destiné à anticiper ces phénomènes dangereux – et à informer nos concitoyens sur le kit d’urgence de soixante-douze heures, qui doit leur permettre de résister s’ils venaient à être bloqués longtemps chez eux avant que les forces de sécurité civile n’interviennent sur le terrain.
Nous envisageons d’étendre cette campagne à l’ensemble du territoire national, compte tenu notamment des événements qui se sont produits en novembre et en janvier dernier dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, en l’axant davantage sur l’ensemble des inondations. En effet, les crues lentes peuvent, elles aussi, avoir des conséquences dramatiques pour nos concitoyens.
Une autre campagne, consacrée aux feux de forêt, est portée par le ministère depuis 2018 et a été amplifiée en 2022 selon une approche de communication situationnelle. Il s’agit, là aussi, de faire prendre conscience à nos concitoyens des bons gestes – qui, en l’espèce, peuvent éviter les feux de forêt, lesquels sont, neuf fois sur dix, d’origine humaine, ce qui signifie que, théoriquement, on pourrait en éviter 90 %, le reste étant causé par la foudre. Cette campagne amplifiée touche l’ensemble du territoire, avec des surpressions de communication dans les zones les plus sensibles. Les feux intervenant durant la saison estivale, où le territoire national accueille de nombreux touristes, parfois étrangers, nous avons également traduit cette campagne en anglais et en espagnol. Pour la saison 2024, qui sera marquée par les Jeux olympiques, nous entendons l’amplifier encore, afin que chacun puisse connaître les bons comportements.
À la suite des incendies de l’été 2022, nous avons réalisé une campagne d’information visant moins que les deux précédentes à produire une information préventive, mais plutôt à faire connaître les obligations légales en matière de débroussaillement, leur intérêt pour les propriétaires concernés et la bonne manière de débroussailler. De fait, il ne s’agit pas là seulement d’entretenir son jardin ou son terrain, et ces travaux peuvent parfois être assez lourds. Nous avons mené dans ce cadre diverse actions, en collaboration étroite avec nos collègues du ministère de l’intérieur et du ministère de l’agriculture et des forêts.
Mme Véronique Lehideux. Nous préparons avec eux ces campagnes que nous finançons, et leur soumettons des maquettes et des stratégies de communication que nous validons ensemble.
Pour revenir à votre question relative au renforcement, j’évoquerai trois points.
Le premier porte sur la formation des élus, particulièrement importante au début de leur mandat. Nous devons utiliser tous les médias à notre disposition pour toucher le citoyen, et c’est notamment l’objet des campagnes visant le grand public, qu’a évoquées M. La Corte. En 2022, nous avons procédé à une refonte importante de Géorisques, plateforme open data très riche en données, dans un souci de pédagogie visant élus et citoyens, qui disposent désormais d’onglets dédiés. Les citoyens peuvent ainsi, en saisissant leur adresse, connaître tous les risques auxquels ils sont exposés près de chez eux, et avoir accès à des fiches d’informations. Ils peuvent même obtenir, moyennant une démarche en ligne, un dossier d’information prérempli destiné aux acquéreurs ou locataires. Un volet destiné aux élus offre également à ces derniers des documents types, de bons exemples et des vidéos.
Nous nous efforçons également d’enrichir nos outils sur le plan éditorial. Ainsi, depuis plus d’un an, Vigicrues, qui existait jusqu’alors sur internet, est disponible gratuitement sous la forme d’une application pour téléphone mobile : au lieu d’aller chercher l’information, on programme désormais des notifications et des avertissements de vigilance. Un autre outil, qui s’est révélé essentiel à l’occasion de la tempête Ciaran, est le dispositif FR-Alert, qui a joué un rôle s’apparentant à de la prévention en incitant la population à se protéger.
À cette occasion aussi, le relais des médias a été essentiel pour nous. Ce relais a, le plus souvent, été spontané, comme du reste lors du cyclone Belal. Dans ce domaine, nous menons un travail de fond, et des partenariats ont été créés pour réaliser des actions de formation, notamment avec le groupe Altice, pour BFM et RMC. M. La Corte et moi-même, ainsi que des collègues de la DGSCGC, avons formé des journalistes aux risques, aux phénomènes et à nos outils, lors de plusieurs sessions de formation. Il faut aussi citer, dans le cadre de la Journée de la résilience, le Résilience Tour, piloté par l’Institut des risques majeures (Irma) et auquel ont participé de nombreuses associations, ainsi que le lancement, dans les locaux de France 3, d’un partenariat avec France 3 régions en vue du déploiement de ces actions. L’implication de ces acteurs qui touchent le grand public est en effet essentielle pour nous, et nous avons travaillé en ce sens avec nos collègues du ministère de l’intérieur et des outre-mer.
M. Yoann La Corte. La sensibilisation des élus est une forme de communication et d’information un peu différente de celles que nous venons d’évoquer. Nous nous sommes attachés à porter un message à destination des élus des territoires, et en premier lieu des maires, ce qui a donné lieu, par exemple, à des webinaires consacrés aux obligations légales de débroussaillement que nous évoquions tout à l’heure, en collaboration étroite avec l’Association des maires de France (AMF). Nous souhaiterions pouvoir renouveler ces initiatives.
Par ailleurs, dans le cadre de travaux sur la stratégie nationale de résilience pilotés par Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), nous collaborons avec ce dernier à la mise en place d’une formation de sensibilisation destinée aux élus sur les risques et menaces de toute nature, dont un volet important porte sur les risques naturels et le changement climatique. Ce travail est réalisé avec l’appui de l’Institut national du service public (INSP), qui construit des modules spécifiques à l’intention de nos élus.
Mme Véronique Lehideux. Nous attachons une attention particulière aux outre-mer et avons déployé, pour la première année, une campagne qui leur est spécifiquement consacrée, en recourant aux langues locales pour nous assurer de toucher tous les sites.
Mme la présidente Lisa Belluco. La campagne sur les obligations légales de débroussaillement a bien fonctionné, à en croire le bien que nous en disait ce matin la sénatrice Delattre, que nous auditionnions, en nous remettant le document relatif à cette obligation, à laquelle elle est soumise en tant qu’habitante de la Gironde.
Une question plus opérationnelle : quel est le rôle des agents de la DGPR – en particulier de ceux des services déconcentrés, mais aussi au niveau central – en cas de crise ? Sont-ils, par exemple, intervenus lors des inondations survenues dans le nord de la France ou lors de l’incendie de l’usine Lubrizol ?
Mme Véronique Lehideux. Les actions sont en effet plus ponctuelles au niveau central, même si j’ai participé à une cellule interministérielle de crise courant novembre 2023. Ce sont donc nos directions départementales des territoires qui sont sollicitées pour participer aux centres opérationnels départementaux (COD).
En matière de risques naturels, le réseau Vigicrues donne lieu à des relations à double niveau : les services de prévision des crues, qui travaillent plutôt selon des logiques de bassins ou de sous-bassins hydrographiques, sont en contact avec les préfets et les autorités de gestion compétentes selon les périmètres concernés, tandis qu’au niveau national, le Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations (Schapi), qui relève de mon service et agrège, tamponne et diffuse l’information, est en contact étroit avec le Cogic et veille à ce que l’autorité qui gère la crise dispose de cette information en amont, avant le grand public et avec la plus grande anticipation.
La modélisation des aléas prend là toute son importance, et ce sont là des travaux que nous menons en continu, afin d’anticiper au maximum la connaissance de l’intensité du phénomène à venir pour donner plus de temps à la gestion de crise.
Mme Delphine Ruel. Pour ce qui concerne les risques technologiques aussi, les interventions ont plutôt lieu au niveau des DREAL, et il est assez rare que la DGPR participe à la cellule interministérielle de crise. La différence avec la gestion des risques naturels est que les risques technologiques relèvent généralement d’un exploitant, qui est le premier responsable de la sécurité de son installation, y compris en cas d’accident. Le rôle d’un inspecteur d’ICPE en cas d’accident technologique est d’être l’appui technique du préfet – il s’agit en général du directeur des opérations de secours –, pour l’aider à comprendre la situation et ses évolutions possibles, en anticipant d’éventuels effets domino et la nécessité de réaliser des prélèvements dans l’environnement – là où se dirige le panache –, et en sollicitant, le cas échéant, des modélisations. Il s’agira donc d’anticiper l’évolution de l’événement et le post-accident, et d’apporter un appui technique au préfet pour gérer la situation.
Mme Véronique Lehideux. Nous intervenons souvent en amont, dans l’anticipation, mais, durant la crise, un référent départemental inondations participe à la cellule de crise. Un réseau animé par le Schapi réunit des référents régionaux et départementaux inondations, qui sont sollicités en cas de crise, où ils ont un rôle de décodeurs du vocabulaire technique et des cartes de zones d’inondations potentielles, afin de s’assurer que les autorités de gestion de crise en auront une bonne lecture.
Après des crises majeures où il est nécessaire de déclarer l’état de catastrophe naturelle, un acteur important pour apporter un appui aux collectivités locales est le référent catastrophe naturelle (Catnat), créé par la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, dite loi Baudu. Ces référents interviennent très souvent en préfecture, mais nous sommes souvent sollicités pour faire le lien et renvoyer des acteurs que nous connaissons vers ces référents. Notre rôle est, dans ce cas, plutôt celui de facilitateur et de passeur d’information. Nous sommes en position d’expert technique, pour fournir les informations qui permettront au ministère de l’intérieur de caractériser le phénomène – par exemple de déterminer s’il s’agit ou non d’une crue décennale.
Mme la présidente Lisa Belluco. Quel regard portez-vous, de l’intérieur, sur le fonctionnement du modèle français de sécurité civile, et pouvez-vous formuler des recommandations ou des pistes d’amélioration de ce modèle, compte tenu notamment de l’évolution des risques ?
Mme Véronique Lehideux. La question est difficile, car il serait au-delà de notre compétence d’évoquer des dispositifs qui ne relèvent pas directement de notre sphère. En tout cas, je constate, depuis que j’occupe mon poste, qu’un certain nombre de choses fonctionnent bien. C’est notamment le cas des FR-Alert, que j’ai évoqués tout à l’heure, et des outils d’alerte précoce créés par le ministère, qui veille beaucoup à la manière dont ils seront appréhendés par les populations.
Un deuxième élément qui, abstraction faite des incendies de 2022, survenus dans un contexte climatologique très fort, me semble très bien fonctionner est la stratégie des feux naissants, qui a porté ses fruits. De fait, la comparaison entre les chiffres des années 1980 et ceux que nous avons connus avant les grands feux de 2022 fait apparaître une baisse très sensible du nombre d’hectares brûlés. L’action conjointe visant à impliquer les citoyens pour qu’ils deviennent acteurs de leur sécurité fonctionne bien.
Pour citer une expérience vécue, je venais de prendre mon poste lorsque l’incendie de la plaine des Maures a éclaté, en plein été. En procédant à l’évacuation d’environ 10 000 personnes, qui étaient en grande partie des vacanciers et ne connaissaient pas le territoire, nous avons constaté qu’il manquait des plans communaux de sauvegarde dans certaines des communes concernées. La DGPR soutient l’action de fond engagée par la direction générale de la sécurité civile pour développer ces plans de sauvegarde, et pour le faire à la bonne échelle, communale ou intercommunale.
Historiquement, il est exact que la sécurité civile est née et a trouvé ses racines dans des cellules ou des noyaux de citoyens volontaires et agissants. Selon les informations dont nous disposons, ces dispositifs sont mis en place assez facilement et avec une certaine souplesse par les maires, et sans doute leur nombre pourrait-il s’accroître, en particulier sur les territoires les plus ruraux et les plus exposés. Le changement climatique nous confrontera à la question de notre capacité à agir pour des territoires qui seront exposés à des risques plus longtemps et sur un périmètre plus étendu. L’adéquation entre l’extension des phénomènes et la capacité d’action risque d’être difficile. Pour prendre l’exemple très récent des inondations survenues dans les Hauts-de-France, nous avons fait appel au mécanisme de solidarité européen pour disposer de pompes. On peut imaginer un renforcement important des capacités de pompage pour renforcer des moyens matériels.
Il me semble toutefois délicat, je le répète, d’en dire plus sur l’organisation de questions qui ne relèvent pas directement de notre service.
Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez beaucoup évoqué vos relations avec le ministère de l’intérieur, qui semblent être bonnes.
Mme Véronique Lehideux. Elles sont très fluides et presque naturelles. Le ministère de l’intérieur est un interlocuteur du quotidien, avec lequel nous entretenons d’excellentes relations.
Mme la présidente Lisa Belluco. A-t-il une bonne appréhension de la totalité des risques que vous couvrez ? En effet, il semble que tout le monde ait désormais une bonne vision des feux de forêt, mais le risque technologique ou les risques de tempête, par exemple, sont-ils aussi bien appréhendés par le ministère de l’intérieur ? Faut-il développer des formations ou d’autres mécanismes interministériels d’acculturation des services, ou la situation actuelle vous paraît-elle satisfaisante ?
Mme Véronique Lehideux. Nous travaillons déjà ensemble dans de nombreuses instances. En matière de vigilance crues, par exemple, il existe un comité de pilotage interministériel, et nous élaborons les textes ensemble. Au-delà des questions actuelles, nous nous projetons aussi dans des évolutions pour l’avenir. La mission d’appui aux politiques de prévention des risques naturels outre-mer (Mapprom), que nous n’avons pas encore évoquée, est une instance relevant de M. Cédric Bourrillet en sa qualité de délégué aux risques majeurs, et qui travaille tant avec le ministère de l’intérieur et des outre-mer qu’avec le nôtre. Dans ce cadre, des feuilles de route ont été élaborées, prévoyant des actions à court terme, comme le plan séisme Antilles sur lequel nous travaillons actuellement, mais aussi, très souvent, un volet consacré au changement climatique, avec par exemple le Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima).
Ce sont là des projets que nous portons ensemble. Comme nous, le ministère de l’intérieur travaille toujours à court et à long terme. Ainsi, l’année dernière, il avait confié à Météo-France une étude pour la partie risques naturels, s’interrogeant sur le positionnement à adopter et sur les évolutions possibles compte tenu de l’ensemble des phénomènes, de leur extension et de leur nouveauté. Le ministère me semble donc prendre pleinement en compte les risques naturels.
Mme Delphine Ruel. C’est également le cas pour les risques technologiques, domaine dans lequel nous avons de nombreuses relations avec la DGSCGC au niveau central de la DGPR. De fait, lorsque nous rédigeons des prescriptions pour une activité, nous consultons toutes les parties intéressées, mais la DGSCGC est généralement l’administration avec laquelle nous avons les échanges les plus nombreux, car nos arrêtés comportent de nombreux points qui les concernent directement, comme la largeur des voies pour les engins et les moyens de défense incendie. Les relations sont donc bonnes au niveau central et nos interlocuteurs suivent parfaitement ces questions, auxquelles ils sont tout à fait sensibles au niveau local, puisque les services départementaux d’incendie de secours (SDIS) sont consultés sur les dossiers d’autorisation ou d’enregistrement. Parfois même, localement, certaines positions souhaiteraient aller plus loin que les prescriptions réglementaires établies après consultation d’experts, comme l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Le ministère est donc tout à fait sensible à ces questions.
Mme Véronique Lehideux. L’un des axes qui nous restent à explorer est celui des apports de nouvelles technologies, de nouveaux capteurs. Comment faire de la détection précoce ? On parle de l’internet des objets, et j’entendais hier évoquer une constellation de nouveaux satellites reliés qui fourniront des informations spécifiques. Quel sera également l’apport de l’intelligence artificielle ? Il y a là des nouveaux domaines, qu’il faudra travailler. Nous ne le faisons pas seuls et nous nous appuyons énormément sur nos opérateurs et sur des laboratoires de recherche, comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l’université Gustave-Eiffel. Nous travaillons également sur un appel à projets dans le domaine de la détection précoce.
M. Yoann La Corte. Nous travaillons en effet en relations étroites avec le ministère de l’intérieur, en particulier dans le cadre de projets visant à mieux utiliser les technologies spatiales ou offertes par les outils d’intelligence artificielle. Nous intervenons ainsi à ses côtés pour un premier appel d’offres qu’il pilote, portant sur la sécurité et la gestion de crise. Nous travaillons aussi, dans le cadre de France 2030, sur un appel d’offres visant à mieux utiliser l’imagerie satellitaire, afin de disposer d’outils permettant à la fois d’anticiper les phénomènes et de les caractériser sur des échelles de temps utiles pour les services opérationnels de gestion de crise. L’enjeu est donc de disposer d’informations fiables, géographiquement précises et rafraîchies sur des pas de temps très courts.
Plus largement, un autre enjeu pour répondre aux besoins opérationnels de nos collègues du ministère de l’intérieur consiste à modéliser les phénomènes naturels dangereux à des échelles géographiques de plus en plus fines, selon ce que nous appelons la « descente d’échelle ».
Mme Véronique Lehideux. Dans le cadre des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le monde est découpé en grandes zones géographiques, et la descente d’échelle est donc essentielle pour nous permettre de caractériser l’aléa et les phénomènes. Nous savons qu’il existe encore des incertitudes, à propos par exemple des pluies intenses – où passera la frontière entre les zones où il pleuvra moins et celles où il pleuvra plus ? S’agira-t-il de tempêtes de type hivernal, comme nous en avons connu, ou de phénomènes de type cévenol, marqués par un phénomène très violent sur une période très courte, succédant à de très longues périodes sans pluie – à la différence de ce qui s’est produit dans les Hauts-de-France, qui ont connu trente jours d’affilée de pluie ininterrompue ? Nous devons nous préparer à ce grand écart entre des phénomènes très différents.
Mme la présidente Lisa Belluco. Ma dernière question portait sur la recherche et l’innovation, mais vous m’avez devancée.
Je vous propose maintenant de vous laisser le mot de la fin : avez-vous encore quelque chose à ajouter ou une appréciation sur notre modèle de sécurité civile ? Vous pouvez également nous envoyer, si vous le souhaitez, une contribution écrite, qui nous sera très utile.
Mme Véronique Lehideux. Il me semble que nous avons évoqué l’ensemble des questions. Pour nous, le travail en complémentarité est essentiel. Nous savons que des travaux majeurs aboutiront pour l’année 2024 : le plan national d’adaptation au changement climatique, document fondateur pour nos politiques publiques, dont est chargé notre ministre, M. Béchu, ainsi que de nombreuses actions qui auront des conséquences sur les actions relevant du domaine de compétence du ministère de l’intérieur et des outre-mer. Nous sommes au début d’un travail encore un peu nouveau, dont la vocation est d’être de plus en plus opérationnel dans le domaine du changement climatique.
Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux.
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Puis, la mission d’information auditionne M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Mme la présidente Lisa Belluco. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est placé sous l’autorité du Premier ministre.
Notre mission d’information a auditionné les représentants des élus, ceux des professionnels et des volontaires, des experts et les associations agréées de sécurité civile notamment. Elle entame aujourd’hui l’audition des représentants des ministères et administrations qui, sous une forme ou une autre, sont concernés par les questions de protection et de sécurité civile. Tel est le cas du SGDSN, qui joue un rôle essentiel et stratégique, à l’échelon national, en matière de sécurité civile, s’agissant de l’analyse des situations, de la prise de décision et de la coordination des actions, notamment en cas de crise majeure.
Notre mission a tenu plusieurs tables rondes et organisé des déplacements sur le terrain à la suite de catastrophes naturelles ou industrielles survenues récemment, notamment en Gironde, après les feux de forêt de l’été 2022, et en Seine-Maritime, après l’incendie de l’usine Lubrizol. Dans les Alpes-Maritimes, nous nous intéresserons aux conséquences de la tempête Alex. Nous ne négligeons pas les risques d’origine sécuritaire ou sanitaire qui, comme l’ont montré les très graves attentats de 2015 et la pandémie de covid-19, peuvent représenter un défi important pour les forces de sécurité civile et les moyens de secours aux personnes.
Monsieur Arany, vous nous présenterez de façon générale les moyens et le fonctionnement du SGDSN, ainsi que son rôle d’impulsion et de coordination en matière de protection et de sécurité civile en cas de crise. N’hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique de l’organisation de notre système et des possibilités de l’améliorer.
Pour votre bonne information, j’indique que notre mission est composée de vingt-cinq députés issus de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et apparentés. Son rapporteur, M. Didier Lemaire, est malheureusement souffrant et ne peut participer à nos travaux ce jour.
Cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu, qui sera annexé au rapport.
Je vous propose de commencer par présenter le SGDSN, en rappelant notamment sa création, son rôle et ses moyens humains et budgétaires, et par préciser de quelle manière il intègre les enjeux de sécurité civile dans ses activités.
M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Je remercie votre mission d’information d’associer le SGDSN à ses travaux. Si la sécurité civile incombe pour l’essentiel au ministère de l’intérieur, assisté de ministères chargés de politiques sectorielles, le SGDSN y est associé de façon surplombante. Son rôle consiste à arrêter la doctrine de gestion des crises majeures et à veiller à la bonne organisation des services du Gouvernement si elles surviennent.
La création du SGDSN remonte à l’entre-deux-guerres, sous l’appellation « Secrétariat général à la défense nationale ». Le général de Gaulle y fut affecté – il y a rédigé Le fil de l’épée. Du petit état-major qu’il était à l’origine – un livre récent intitulé Au cœur de l’État, dont je recommande la lecture, en retrace l’histoire et le présente comme un « ectoplasme administratif » –, le SGDSN a pris en charge un nombre croissant de missions.
Chargé de conseiller l’exécutif, il est composé d’un nombre restreint d’agents – une centaine à l’origine –, issus d’horizons militaires et civils très divers, et travaille en lien avec les services de renseignement. Il s’est récemment étoffé de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), qui compte plus de 500 agents. Chargée notamment de réagir en urgence aux cyberattaques dont la France est la cible, elle aide l’exécutif s’agissant de leur identification, de leur analyse et de leur gestion. Par ailleurs, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), créé en 2021, lutte contre les ingérences étrangères et la manipulation de l’information.
En résumé, le SGDSN conseille et appuie l’exécutif. Il prépare notamment les conseils de défense, qui sont à la main du Président de la République, et offre un éclairage sur la planification de défense et de sécurité nationale.
La sous-direction de la planification de sécurité nationale fait partie de la direction de la protection et de la sécurité de l’État, qui est la composante historique du SGDSN. Parmi ses missions figure la définition de la stratégie nationale de résilience, déployée depuis 2021. Le SGDSN est responsable de la planification gouvernementale relative aux risques et menaces susceptibles d’affecter la vie de la nation.
Il s’agit d’assurer la protection des populations, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République. Le SGDSN assure la coordination de la planification nationale, dont certains aspects sont classifiés, en lien avec les autres ministères, s’agissant des risques de sécurité civile importants tels que les risques naturels – par exemple une crue de la Seine –, les risques technologiques et industriels – par exemple un accident nucléaire ou radiologique majeur – et les risques sanitaires présentant un caractère particulièrement grave – par exemple une pandémie d’Ebola, de variole ou de grippe, relevant toutes d’un plan générique.
Le SGDSN est compétent sur environ quinze plans ministériels, en haut du spectre.
En matière nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC), le plan vise à pallier les difficultés des ministères dans des domaines exigeant un haut degré d’expertise. Il inclut un volet relatif aux explosifs. Le risque peut sembler faible, mais sa réalisation aurait des effets de sidération majeurs sur la population et induirait un nombre de victimes élevé.
Le plan Vigipirate, élaboré à la fin des années 1970, est activé en permanence. Il comporte une centaine de mesures socles, complétées par des mesures additionnelles en fonction du niveau de posture adopté – il en existe trois. Nous sommes récemment redescendus du niveau sommital « urgence attentat », auquel nous étions depuis l’attentat du 13 octobre dernier. Nous avons conseillé à l’autorité politique de laisser passer la période des fêtes et la date anniversaire des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher avant de faire évoluer la posture, d’autant qu’un remaniement du Gouvernement était en gestation.
Le SGDSN élabore la doctrine de planification et d’organisation de la gestion de crise par le Gouvernement. Le 23 janvier 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a signé la directive générale interministérielle (DGI) n° 320 relative à la planification de défense et de sécurité nationale. Elle offre une matrice d’organisation moderne, garantissant un certain degré de modularité et de subsidiarité dans le traitement des crises. Auparavant, nous fonctionnions selon le schéma « Une crise, un plan ». La crise du covid-19 a montré que les crises sont de plus en plus protéiformes et transversales, ce qui exige un traitement agile. Elles sont aussi plus longues, de sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire d’activer tous les plans en même temps. Ce qui importe est d’identifier un socle de mesures en fonction de la nature de la crise et d’activer des modules complémentaires selon sa spécificité.
Cette nouvelle matrice d’organisation identifie huit facteurs de crise majeurs, parmi lesquels trois risques – naturels, technologiques ou industriels et sanitaires – et cinq menaces – agression, attentat, troubles sociétaux graves, cyberattaque et hybrides –, ainsi que douze activités clés indispensables à la vie de la nation. Cet outil est très pratique pour identifier la nature exacte d’une crise et y remédier de la façon la plus efficace possible, en plaçant la sécurité civile au premier plan.
Par ailleurs, nous travaillons au déploiement de la plateforme Athéna, qui sera mise à la disposition de la cellule interministérielle de crise (CIC). Elle offrira un accès rapide aux fiches mesures associées aux grands plans gouvernementaux, grâce à une recherche par mots-clés, ce qui permettra d’identifier, dans les premières heures d’une crise, les mesures à prendre en priorité.
Le 26 septembre 2023, la Première ministre a promulgué la circulaire relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures. Elle vise à encadrer les interactions entre les multiples acteurs, notamment lors de l’organisation d’événements sportifs internationaux tels que la coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Elle est notre boussole.
Elle permet notamment d’organiser les échanges au sein de la CIC. Elle a offert l’occasion de valider les référentiels opérationnels de la CIC et du Centre national de commandement stratégique (CNCS), créé spécifiquement pour suivre le bon déroulement des JOP. Ces documents cadres sont utilisables à tout moment d’une crise, quelle que soit sa nature.
Le SGDSN apporte également un appui aux ministères dans l’organisation d’exercices de gestion de crise majeure. L’organisation successive de la coupe du monde de rugby et des JOP a offert l’occasion de tester l’articulation de la chaîne de commandement liant le CNCS et la CIC. Un exercice a été organisé les 5 et 6 décembre derniers. Nous travaillons sur des scénarios de rupture intégrant une dimension cyber et des manipulations de l’information, tant la communication et la sécurité civile sont des aspects fondamentaux de toute crise.
Par ailleurs, nous assistons les ministères dans la formation des personnels chargés de la gestion de crise. Depuis 2019, le SGDSN déploie un programme de professionnalisation des acteurs de la gestion de crise, qui a permis de former 900 personnes susceptibles d’être mobilisées dans le cadre du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Leurs profils correspondent aux compétences selon lesquelles est organisée la CIC – décision, analyse de situation, communication, anticipation. Leur formation leur a permis d’acquérir les réflexes de base, de sorte qu’ils savent comment gérer une crise et trouver dans les plans les façons d’y remédier.
On dit souvent du plan qu’il est la première victime de la crise. C’est malheureusement assez juste. L’analyse menée à froid n’en permet pas moins d’identifier les cas auxquels on peut être confronté, sans préjudice des effets de surprise, toujours possibles. La planification est de plus en plus pratiquée. Chacun a conscience de la nécessité de bien en maîtriser les outils. Nous menons des formations dans le cadre de l’Institut national du service public (INSP), de l’Institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI) et du cycle des hautes études de service public (CHESP).
En matière d’anticipation, nous nous situons en haut du spectre. Depuis septembre 2021, le SGDSN anime le comité interministériel d’anticipation, qui travaille sur des scénarios classifiés d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Le plan Vigipirate, d’une certaine manière, est un outil d’anticipation permettant d’analyser la menace terroriste. Il est mise à jour tous les six mois et tient compte des vulnérabilités. Très documenté, il permet de définir le meilleur niveau de posture.
Quant aux directives nationales de sécurité (DNS), rédigées par chaque ministère pour son champ de compétence, nous les complétons en améliorant la documentation disponible en matière de planification. Ainsi, nous avons rédigé, dans le cadre de la DGI précitée, un référentiel interministériel dédié à l’anticipation opérationnelle. Composé de modèles faciles d’utilisation améliorant la recherche des informations clés et offrant une aide à la décision, il permet d’organiser la réflexion et le travail en situation de crise.
Mme la présidente Lisa Belluco. En quoi consiste la stratégie nationale de résilience (SNR) ? Comment le modèle français de protection et de sécurité civiles s’y intègre-t-il ? Des évolutions sont-elles prévues ou à l’étude dans ce domaine ?
M. Gabor Arany. À l’été 2021, au lendemain de la crise du covid-19, le SGDSN a été mandaté par le cabinet du Premier ministre pour rédiger la SNR, que nous avons présentée le 21 avril 2022. Ce document permet de mettre en cohérence les dispositifs mis en œuvre par les ministères et ceux qui nécessitent une action interministérielle. Il permet aussi d’identifier les forces et les faiblesses des politiques publiques à cet égard.
Il s’agit en quelque sorte du tableau de bord des vulnérabilités et des travaux menés pour y remédier. À l’heure actuelle, les crises exigent de s’organiser pour tenir dans la durée, collectivement et en profondeur. Un travail d’identification, qui est en réalité un travail d’anticipation, est donc indispensable.
La résilience est une notion un peu galvaudée, à laquelle on peut tout faire dire. Elle est surtout appliquée au changement climatique. Outre ce domaine, nous avons identifié soixante-treize actions couvrant de nombreux sujets, de la transition écologique à la souveraineté alimentaire, en passant par les stocks stratégiques de produits sanitaires ou pharmaceutiques, ou de matériaux critiques tels que les métaux rares. Identifier ces vulnérabilités, recensées par le ministère des armées, ne vise pas à construire une usine à gaz, ni un outil de contrôle de ce que font les ministères, mais à énumérer des actions associées à des indicateurs très concrets et très opérationnels, pour obtenir des résultats et mesurer les progrès réalisés par les services de l’État afin d’en garantir la robustesse.
Il s’agit de s’assurer de la qualité de la réaction gouvernementale en situation de crise, y compris dans le domaine de la sécurité civile. Toutes les actions suivies par le ministère des outre-mer et par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) sont intégrées dans la SNR.
Chaque ministère est amené à rendre compte régulièrement au plus haut niveau, dans le cadre du comité interministériel de la résilience nationale, qui se réunit tous les six mois sous la présidence du directeur de cabinet du Premier ministre. Chaque cabinet ministériel compte désormais un référent résilience – en général le directeur de cabinet – chargé de répartir les tâches au sein du cabinet et de l’administration pour obtenir des résultats.
Il ne s’agit pas stricto sensu d’un outil bureaucratique de contrôle de l’action des ministères, mais d’une stratégie ayant vocation à être déclinée auprès des collectivités territoriales, des opérateurs économiques et des citoyens. Ce travail, en cours, est très enrichissant. Il nous prémunit de toute déconnexion avec le réel et nous permet de répondre véritablement aux attentes de nos concitoyens.
S’agissant plus spécifiquement de la sécurité civile, ses acteurs figurent dans la SNR au même titre que les membres des forces armées : en tant qu’acteurs essentiels contribuant à la résilience de la nation.
Il est fondamental que la SNR soit déclinée auprès des citoyens et comprise par eux, ce qui suppose un important travail de communication. Pendant la campagne électorale et dans ses vœux à la nation, le Président de la République a suggéré d’élaborer un plan de mobilisation civile. Nous nous inscrivons dans le droit fil de cette orientation. Il s’agit de créer de la robustesse et de savoir encaisser les chocs pour rebondir facilement, de construire une résilience permettant de tenir.
Mme la présidente Lisa Belluco. On entend souvent dire que le citoyen est le premier acteur de sa sécurité. Encore faut-il qu’il sache de quoi il s’agit et comment réagir. Dans le cadre de la SNR, quel déploiement de la communication est prévu pour assurer l’information des citoyens ?
M. Gabor Arany. De façon générale, l’État s’efforce de tenir un discours qui n’est pas anxiogène, permettant de prendre conscience de la nature des risques et des menaces tout en restant optimiste et en suscitant de l’espoir. L’objectif est bien de construire un monde meilleur.
La SNR n’est pas un outil figé. Elle peut être augmentée de nouvelles actions. J’en donnerai plusieurs exemples ayant trait à la communication.
Le SGDSN joue un rôle pilote dans la création du guide de la continuité d’activité, qui est un outil offrant concrètement aux collectivités locales et aux entreprises un mode d’emploi pour assurer la continuité de leurs missions ou de leurs prestations. Gratuit et aisément accessible, il servira en cas de nouvelle pandémie appelant des mesures hors normes. Le développement de l’éducation et du travail à distance montre que nous devons, dans de nombreux domaines, repenser nos façons de travailler et de faire société.
La continuité d’activité est essentielle à la protection des intérêts fondamentaux de la nation, s’agissant notamment des opérateurs d’importance vitale (OIV), visés par la directive européenne sur la résilience des entités critiques, dite directive REC, qui devra être transposée en droit interne des États membres au plus tard en octobre de cette année. Elle renforce certaines obligations auxquelles sont soumis les OIV, avec lesquels nous avons une relation quasi contractuelle.
La continuité d’activité est spécialement prise en compte dans les territoires ultramarins, qui cumulent les handicaps, au premier rang desquels l’éloignement de la métropole, et font l’objet d’un effort spécifique de planification dans le cadre de la mission d’appui à la prévention et à la gestion des risques naturels majeurs en outre-mer (MAPROM), à laquelle le SGDSN participe activement.
En matière d’actions de communication, le SGDSN a par ailleurs été mandaté pour fournir aux élus locaux et aux fonctionnaires territoriaux des outils de sensibilisation à la résilience. Depuis six mois, nous travaillons à la concaténation de la documentation disponible en sources ouvertes et à la déclassification de certaines informations, afin d’élaborer ce kit de survie permettant de définir correctement la notion de gestion de crise et d’en identifier les principaux acteurs, dont la cartographie est complexe. Dans une démarche excédant le champ de la sécurité civile, il s’agit d’expliquer en quoi consiste la gestion de crise et quels processus doivent être compris et suivis.
Les crises récentes ont montré – ce propos procède de l’esprit critique dont j’ai été invité à faire preuve – que la politique prend parfois le pas sur les raisonnements tenus à froid. On crée alors de nouvelles organisations, dans un pays dont on peut considérer qu’il est plutôt surorganisé. Un nouveau sujet n’appelle pas nécessairement la création d’une nouvelle organisation ou d’une nouvelle commission. Il est préférable de disposer d’outils de communication permettant d’utiliser un vocabulaire commun et de bien comprendre qui fait quoi, tout particulièrement dans la perspective de l’organisation prochaine des JOP. De façon générale, il arrive souvent, en cas de crise, que les gens ne sachent pas qui contacter – c’est pourquoi nous déployons des programmes formations.
Le document dont l’élaboration est en cours a vocation à être diffusé aussi largement que la boîte à outils des élus du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Il s’agit de déployer une communication à un haut niveau et de la diffuser par de nombreux canaux. Nous travaillons avec plusieurs organismes de formation, dont le Centre national d’enseignement à distance (Cned).
Un autre moyen de renforcer la communication est de simplifier l’accès aux sites gouvernementaux dédiés aux risques et aux menaces, par exemple grâce à un unique portail du Gouvernement incluant les informations relatives à l’engagement citoyen. Le service d’information du Gouvernement (SIG) travaille à l’amélioration du portail existant.
La DGSCGC a refondu le plan familial de mise en sûreté (PFMS), qui prend désormais la forme d’un document de quatre pages recto-verso, facile à transporter et à distribuer. Destiné à tous les publics, il vise à diffuser la culture de la résilience parmi les citoyens. Il sera décliné dans les territoires ultramarins au premier semestre de cette année. Il est d’ores et déjà disponible en version numérique. Il est disponible en plusieurs langues et dialectes.
En 2025, la DGSCGC développera une application agrégeant ce document avec les informations publiées sur le site Géorisques. Nous sommes très favorables à tout travail d’information du citoyen l’aidant à identifier les risques naturels auxquels il estime être confronté. Nous nous inspirons des kits de survie et des méthodes réflexes permettant de tenir dans les soixante-douze premières heures d’une crise, qui sont utilisés dans les pays scandinaves.
Il existe depuis 2022 une journée nationale de la résilience (JNR), intitulée « Tous résilients face au risque », programmée le 13 octobre et organisée par le ministère de l’intérieur avec la participation du SGDSN. Initialement centrée sur la sécurité civile, elle inclura désormais tout le spectre des menaces cyber. De façon générale, nous défendons la revalorisation de l’engagement citoyen. La refonte du service national universel (SNU) offre l’opportunité de le valoriser dans le cadre de la JNR, par le biais d’actions susceptibles de l’enclencher.
Le 20 décembre dernier, lors de la cérémonie de remise des prix de l’édition 2023 de la JNR, nous avons appris que 3 000 actions de sensibilisation aux risques naturels et technologiques ont été initiées en 2023, contre 2 000 en 2022. Le foisonnement des idées, avec la participation des élus locaux, est une évidence. La prochaine JNR devrait bénéficier d’un budget de 1,2 million.
Nous nous intéressons aux actions des autres pays européens – les pays scandinaves en particulier – pour éventuellement nous en inspirer. Il ne faudrait pas que la JNR connaisse le sort d’initiatives comparables, telles que la journée nationale de la sécurité routière. Elle doit être un moment fort permettant d’agir tout au long de l’année de façon concrète et de faire évoluer les mentalités.
Par exemple, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) a organisé au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, un peu dans l’urgence, des sessions d’apprentissage aux gestes qui sauvent, pour inculquer à la population francilienne les bonnes pratiques de prise en charge des victimes en cas de périple meurtrier. Le succès de cette initiative a amené à la généraliser à tout le territoire national. La créativité et la volonté d’agir ne manquent pas. L’enjeu est de les canaliser et de les organiser par le biais d’une communication adéquate pour agir au mieux.
Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué la cartographie assez complexe des acteurs de la sécurité civile. Quel regard portez-vous sur le modèle français de sécurité et de protection civiles ? Cette constellation d’acteurs vous semble-t-elle bien fonctionner ? Les relations entre eux vous semblent-elles fluides ? À défaut, comment les améliorer ?
M. Gabor Arany. La pluralité des acteurs fait la richesse de notre modèle de sécurité et de protection civiles, qui est à la fois très centralisé et très décentralisé. Il s’agit d’une force et d’une richesse, qui apparaît notamment lors de nos échanges avec nos partenaires étrangers, parmi lesquels notre modèle est plébiscité pour son efficacité.
Les sapeurs-pompiers français jouissent d’une excellente réputation. Les multiples projections de renforts français à l’étranger, dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile (MEPC) et du Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC) ou dans un cadre bilatéral, contribuent à l’entretenir.
Le modèle français de sécurité et de protection civiles permet de réagir efficacement aux risques identifiés à l’échelon national en garantissant l’économie des moyens. Nous avons environ 250 000 sapeurs-pompiers, dont 200 000 volontaires. C’est une force. Le passage d’une organisation communale à une organisation départementale à la fin des années 1990 a accru leur professionnalisation et leur spécialisation. La possibilité de faire appel à des renforts à l’échelon interdépartemental démontre notre capacité à mutualiser les efforts et à être efficaces.
Le nombre élevé d’associations agréées de sécurité civile démontre le fort engagement de nos compatriotes à œuvrer au bénéfice d’une cause. Les formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC) sont une force d’intervention à la main de la DGSCGC, capable d’intervenir dans tout le spectre des missions, en métropole et outre-mer ainsi qu’à l’étranger. Elles ont par exemple œuvré, dans le cadre du MEPC, à la lutte contre les feux de forêt en Gironde en 2022 – feux au lendemain desquels le Président de la République a annoncé la création d’une quatrième unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), qui verra le jour en décembre 2024 à Libourne.
Nous constatons qu’il existe une forte aspiration, dans une large part de la population, notamment au sein de la jeunesse, à servir et à se rendre utile en cas de crise. Nous constatons aussi que les populations ont des réactions spontanées de solidarité, dernièrement encore lors des mégafeux de forêt de l’été. Cette forte volonté de mobilisation irrigue les réserves communales et intercommunales, qui sont respectivement au nombre de 379 et de neuf, ainsi que les 230 comités communaux feux de forêt (CCFF).
Tout cela doit être renforcé. La difficulté à constituer ces réserves d’échelon local tient à des raisons statutaires. Organiser une délibération pour en établir le règlement n’est pas chose aisée pour les collectivités locales de petite taille. S’agissant de la rémunération des réservistes, aucun texte ne prévoit leur juste indemnisation. Quant à leur encadrement, les agents de la fonction publique territoriale n’y sont pas toujours formés.
Parmi les bonnes pratiques dont nous avons eu connaissance, je citerai la formation et l’encadrement de ses volontaires par la mairie d’Alfortville, assurés par la BSPP et la Croix-Rouge française. Elle mériterait de figurer dans votre rapport d’information. Certes, les effets de concurrence et d’éviction sont toujours possibles. Il arrive par exemple qu’un sapeur-pompier soit membre d’une association agréée de sécurité civile.
Il serait opportun de se doter d’un observatoire des réserves et des dispositifs de volontariat et d’engagement citoyen pour y voir clair, les structurer et en améliorer la lisibilité. L’examen du projet de loi relatif à la résilience, qui transposera la directive REC, la directive révisant la directive relative à la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, dite directive SRI2, et le règlement sur la résilience opérationnelle numérique (dit DORA), en offrira l’occasion. Il s’agit de compléter la transposition de ces textes par une disposition améliorant l’organisation de la mobilisation civile et de l’engagement citoyen.
Ces réflexions ont été approfondies en mars dernier, à l’issue de la phase 2 de l’exercice interarmées ORION. La commission interministérielle de défense et de sécurité a été réactivée pour renforcer le dialogue civilo-militaire et améliorer la structuration des réserves. Un groupe de travail dédié a été créé en septembre 2023. Il travaille conjointement avec le secrétaire général de la Garde nationale et avec les responsables du SNU. Ce travail de réflexion permet d’identifier les dispositifs les plus prometteurs, tels que le volontariat du service civique (VSC).
Pour améliorer la mise en œuvre de dispositifs d’engagement citoyen mais aussi de dispositifs réglementaires, il serait judicieux, en deçà de la mise en œuvre de l’état d’urgence ou de mesures législatives ou réglementaires hors-norme, de renforcer les niveaux de posture de vigilance et leur adaptation aux niveaux de crise. Il s’agit, sur le modèle de Vigipirate, d’adapter la mobilisation à la nature des crises.
Concrètement, les préfets de zone de défense pourraient disposer à l’échelle zonale, grâce à l’Observatoire précité, d’une cartographie des compétences clés susceptibles d’être mobilisées en cas de crise. Il ne s’agit pas d’établir un fichier nominatif, mais d’identifier et de canaliser les bonnes volontés dans l’éventualité d’une crise.
De nombreux scénarios de crise de rupture, incluant notamment une pandémie, une mise à l’épreuve de notre système énergétique ou une vague de froid, exigent a minima un tel travail de planification de l’engagement des dispositifs de réserve et de volontariat, ainsi que de la mobilisation des services de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises, lesquelles sont aussi susceptibles d’accompagner l’effort.
Le SGDSN mène une réflexion approfondie sur les stocks stratégiques, qui ne se réduisent pas aux stocks de produits sanitaires, comme l’a récemment rappelé le Président de la République. Dans bien des cas, nous dépendons de pays compétiteurs. Nous travaillons donc à relocaliser certaines compétences et certaines industries essentielles. Il faut notamment imaginer à nouveau une politique de stockage maîtrisée.
Certes, tout stock a un coût, mais, après tant d’années passées à considérer que la « mondialisation heureuse » nous permettait de fonctionner sans aucun stock et en flux tendus, et que la diversification des filières d’approvisionnement nous permettrait de satisfaire tous nos besoins, nous prenons conscience qu’il faut au contraire créer ce que nous appelons de l’épaisseur stratégique. Il faut, pour encaisser les chocs et faire preuve de résilience, disposer de matières premières et d’une base industrielle permettant de réagir rapidement.
M. Julien Rancoule (RN). Auteur d’un rapport d’information sur les stocks de munitions pour la commission de la défense nationale et des forces armées, j’abonde en votre sens au sujet de la constitution de stocks. Une réflexion s’impose, d’autant que les crises internationales qui se sont succédées depuis la pandémie de covid-19 ont induit une prise de conscience dans les ministères. Pénurie de médicaments essentiels, incapacité à fournir des masques sanitaires : les exemples sont légion.
S’agissant de l’engagement du citoyen, le Président de la République a fixé, en 2022, l’objectif de former 80 % de la population aux gestes qui sauvent avant la fin du quinquennat. Nous en sommes loin. Existe-t-il des pistes d’amélioration ? Le citoyen a certes la possibilité d’être formé, mais y est-il incité ?
En 2020, le législateur a créé le statut de citoyen sauveteur, tombé dans l’oubli faute d’avoir été mis en valeur. Ne mérite-t-il pas d’être relancé pour que le citoyen soit véritablement le premier maillon de la sécurité civile ?
M. Gabor Arany. Nous travaillons au renforcement de la communication à l’attention des citoyens. Les périodes électorales ne sont pas favorables à l’exercice, qui peut faire l’objet d’une instrumentalisation. Par ailleurs, il suscite au sein de la population un certain agacement, perceptible jusque dans la parole officielle, ce qui le rend d’autant plus difficile.
À titre personnel, j’ai le sentiment que les Français récusent nettement toute naïveté et toute infantilisation. Ils veulent entendre un discours de vérité. Ils ont besoin de connaître les risques et les menaces, et de savoir qu’il existe des moyens de s’organiser pour y faire face. Il n’est pas moins impossible pour l’État de leur dire : « À présent, débrouillez-vous, l’État n’est pas là pour vous protéger, il se retire ». Il faut trouver le bon équilibre entre un discours protecteur à l’ancienne et une conception minimaliste, voire ultralibérale, du rôle de l’État, qui n’a pas cours au SGDSN.
C’est ainsi qu’agit le pouvoir exécutif – le Président de la République lors de ses vœux, la Première ministre lors de ses interventions à ce sujet, les ministres dans leur champ de compétence.
S’agissant des dispositifs de soutien que vous avez évoqué, nous ne sommes pas compétents pour assurer la communication à leur sujet. Nous travaillons à donner, par le biais du portail du Gouvernement et des documents de sensibilisation, une grille de lecture, et à provoquer le déclic permettant de fédérer les énergies. C’est bien beau d’entretenir une solide connaissance de la gestion de crise et de parler de politique, mais ce qui compte, c’est de renforcer notre capacité à agir, de faire nation et de recréer des solidarités par le biais des engagements individuels et du travail collectif. Pour théorique que cette démarche puisse paraître, je suis profondément convaincu de sa nécessité.
Plusieurs lois ont été adoptées. Chacune tente d’améliorer notre modèle de sécurité et de protection civiles. Par ailleurs, elles permettent – ce n’est pas à des parlementaires que je l’apprendrai – d’éveiller le citoyen, notamment en offrant un temps de débat public.
La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, prévoit de généraliser les plateformes communes de traitement des appels d’urgence, permettant, dès l’appel, une vision interservices de la situation. La loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie a permis d’augmenter les capacités de sécurité civile grâce au doublement des colonnes de renfort par rapport à 2022 et à la création d’une quatrième unité de ForMiSC. Le Parlement a toute sa place, aux côtés du Gouvernement, pour s’adresser aux citoyens.
Mme la présidente Lisa Belluco. Certains modèles étrangers de sécurité et protection civiles devraient-ils, selon vous, inspirer la France ?
M. Gabor Arany. Nous nous intéressons au modèle espagnol, qui comporte une unité militaire de sécurité civile par zone de défense. Nous avons l’équivalent sous la forme du contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (CoTRRiM), qui s’inscrivent dans un pacte capacitaire. Dans ce cadre, les préfets de zones de défense identifient les vulnérabilités et les menaces, ainsi que les besoins capacitaires correspondants et les fragilités. En matière de moyens aériens de la sécurité civile, par exemple, l’acquisition de nouveaux Canadair est difficile.
Quant aux pays scandinaves, ils mènent une réflexion approfondie sur la communication aux citoyens, en incluant les niveaux élevés de menace tels qu’un risque d’engagement militaire. L’exercice ORION3 visait à préparer un engagement majeur sous l’aspect de la capacité de la nation à soutenir durablement les efforts des armées, tout en résistant au déploiement de stratégies hybrides par nos compétiteurs. À l’échelon des collectivités locales, l’État réalise un important travail d’accompagnement dans le cadre des plans communaux de sauvegarde (PCS) et des plans intercommunaux de sauvegarde (PICS), pour qu’elles soient davantage associées aux exercices de gestion de crise.
Mme la présidente Lisa Belluco. Nous vous remercions de vos réponses riches et instructives. N’hésitez pas à nous faire parvenir par écrit tout complément d’information qui vous semblerait utile à nos travaux.
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Enfin la mission d’information réunit une table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Sécurité civile et technologies de communication »
Mme la présidente Lisa Belluco. En conclusion de cette journée d’auditions, nous ouvrons à présent une table ronde consacrée aux liens entre sécurité civile et technologies de communication. Le rôle central de ces dernières dans la résolution de crises a en effet été évoqué par nombre d’acteurs auditionnés par notre mission d’information. Par ailleurs, ce sujet est marqué par de nombreuses évolutions et innovations.
Nous nous réjouissons donc de recevoir M. Guillaume Lambert, préfet, directeur de l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), et M. Pierre Casciola, directeur de l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC). Nous vous remercions pour votre présence et votre participation à nos travaux. Nos questions porteront principalement sur les technologies de communication, sur leur utilisation au service de l’anticipation et de la réponse aux enjeux de sécurité civile, ainsi que sur leur évolution. Nous vous invitons également à nous faire part, plus largement, de vos analyses et de votre regard sur notre modèle français de protection et de sécurité civiles, ainsi que sur les défis auxquels il se trouve confronté. N’hésitez pas à vous montrer critiques : notre objectif est de proposer des évolutions et des adaptations de ce modèle.
Notre mission d’information, composée de vingt-cinq députés représentant la diversité politique de notre assemblée, a été créée à la demande du groupe Horizons et apparentés. Mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur ; je vous prie de bien vouloir excuser son absence car il est souffrant. Cette table ronde est enregistrée et sera accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera par ailleurs l’objet d’un compte rendu, lequel sera annexé au rapport que nous espérons rendre au printemps prochain.
Afin d’ouvrir nos échanges, pouvez-vous présenter les structures que vous dirigez ainsi que la manière dont elles contribuent à la protection et à la sécurité civiles ?
M. Guillaume Lambert, préfet, directeur de l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours. L’ACMOSS a été créée récemment, par un décret du 30 mars 2023 pris en application d’une mesure votée par le Parlement dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Cette agence est un établissement public administratif de l’État dont l’objet est la mise en œuvre du programme Réseau radio du futur (RRF). Ce programme est au cœur de la transformation technologique des communications opérationnelles de l’ensemble des services qui participent au continuum de sécurité et de secours, à la gestion des crises et des catastrophes et, plus largement, à la protection des populations. C’est la première fois que l’État crée en son sein un opérateur de réseau mobile dédié au soutien des communications opérationnelles des services de sécurité et de secours.
Ce projet, géré par le ministère de l’intérieur, vise à remplacer les systèmes actuels de communication radio-opérationnelle fondés sur la technologie Tetrapol et développés au début des années 1990. Ces systèmes apparaissent désormais technologiquement trop anciens et fonctionnellement moins riches que les solutions plus modernes dans l’exécution des missions de sécurité et de secours. Il s’agit, somme toute, d’un investissement que l’État renouvelle après plus de trente ans et que la Lopmi permet de financer, puisque le déploiement de ce réseau, auquel nous travaillons au quotidien, représente un effort budgétaire de 700 millions d’euros sur cinq ans, étalé entre 2023 et 2027. L’ouverture des services est prévue cette année.
L’agence dispose, pour 2024, d’un budget initial de 134 millions d’euros et d’un effectif d’une cinquantaine de personnes. Son siège se trouve à Courbevoie, dans le quartier de La Défense.
M. Pierre Casciola, directeur de l’Agence du numérique de la sécurité civile. L’ANSC, que je dirige depuis environ dix-huit mois, a été créée par Guillaume Lambert, qui se trouve à mes côtés. Elle est principalement chargée de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un projet consistant à centraliser, uniformiser et fédérer les systèmes de gestion de l’alerte et des opérations. Je veux parler de tout ce qui se cache derrière le 18 et le 112, à savoir de la réception des alertes et de l’envoi des forces adéquates, avec les bons véhicules et les bonnes compétences, le plus rapidement possible. Historiquement, ce sont des éditeurs privés – quatre éditeurs principalement – qui se partageaient le marché au niveau départemental, les services d’incendie et de secours étant organisés à cette échelon et dépendants des conseils départementaux. Chaque département était souverain et avait d’ailleurs mis en place une solution quasiment unique, configurée de manière très particulière.
Ce projet d’ampleur, dénommé NexSIS 18-112, a vocation à transformer considérablement les outils, les métiers et la manière de travailler au sein des services d’incendie et de secours. Il permettra de façon native une entraide entre départements – certains sont aujourd’hui liés par des accords particuliers, mais sans réel partage d’outils numériques. Un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) pourra, par exemple, transférer un appel à un autre ou répondre à un appel au nom d’un autre. Peut-être aura-t-il même un jour la possibilité d’envoyer des secours pour le compte d’un autre département, mais cette perspective soulève d’autres problèmes, notamment de responsabilité.
M. Guillaume Lambert. Comme l’a rappelé Pierre Casciola, j’ai été à l’origine de l’ANSC et du projet NexSIS, dont la genèse remonte aux attaques terroristes de 2015. Cet événement a fait prendre conscience au gouvernement et au ministre de l’intérieur de l’époque de la fragilité du système de prise d’appel, qui a eu du mal à répondre, le soir du 13 novembre 2015, à l’ensemble des requérants. Tous les systèmes de traitement des appels d’urgence fonctionnaient comme des îles indépendantes les unes des autres ; ils apparaissent anciens et incapables de s’adapter à l’ère de la donnée. Le point commun de nos deux projets est d’ailleurs le passage au protocole internet, l’IP.
NexSIS permet non seulement de rationaliser le traitement des appels d’urgence et d’améliorer le service rendu à la population, mais également d’évoluer vers une approche omnicanale, multimédia, des communications. On ne traite plus simplement une signalisation, un appel téléphonique T2, mais des paquets de données IP permettant d’exploiter autre chose que de la voix. L’outil déployé par l’ANSC au profit des services d’incendie et de secours permet à des masses de données d’arriver nativement dans le système et de s’afficher avant même que l’opérateur décroche. On gagne donc du temps dans le service rendu à la population. Les appels d’urgence sont parfois passés dans des situations d’extrême détresse, où le requérant a du mal à expliquer ce qui lui arrive. Finalement, les innovations technologiques permettent de simplifier et de rendre plus direct l’établissement de la communication entre les personnes ayant besoin de secours et les opérateurs chargés de comprendre leur problème et d’y apporter une réponse opérationnelle forte et rapide.
Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué les grands défis actuels en matière de technologies de communication, puisque c’est l’objet de chacune de vos deux agences.
On nous a parlé de la tempête Alex, qui avait complètement coupé les télécommunications. Pouvez-vous nous donner d’autres exemples de situations de crise dans lesquelles les difficultés de communication ont posé problème ? En quoi vos projets permettront-ils d’apporter des solutions ?
M. Guillaume Lambert. Alors que les événements climatiques extrêmes deviennent plus fréquents, la question de leur impact sur les réseaux de communication doit être prise en compte dans notre réflexion sur le développement d’outils plus modernes de communication opérationnelle. Vous avez cité la tempête Alex, qui avait occasionné le déclenchement d’une alerte rouge. Les pluies torrentielles frappant l’arrière-pays des Alpes-Maritimes ont emporté des routes et coupé tant les flux d’approvisionnement énergétique que les réseaux de fibre optique enterrés sous ces routes, qui permettaient de relier les antennes des opérateurs de réseau mobile aux cœurs de réseau. Dans un tel cas, les technologies de communication sont hors d’usage.
Le point commun de toutes ces technologiques, anciennes comme nouvelles, est qu’elles utilisent de l’électricité. Aussi la question de la sécurisation de l’approvisionnement énergétique est-elle très importante. Elle renvoie à la notion de secteurs d’activité d’importance vitale, consacrée dans le code de la défense par la loi de programmation militaire (LPM). Des arrêtés sectoriels ont été pris, à juste titre, en la matière. Indépendamment des événements climatiques extrêmes, la fragilisation de la production d’énergie, l’hiver dernier, à l’occasion de la révision d’un certain nombre de centrales, a posé la question de l’impact que d’éventuels délestages, qui n’ont pas eu lieu, auraient pu avoir sur la chaîne de la sécurité civile, puisqu’ils auraient affecté tant la capacité de la population à émettre des appels d’urgence que la possibilité, pour les services de sécurité et de secours, d’utiliser les réseaux mobiles et leur réseau de radiocommunication. Le réseau de référence, en service dans l’attente du déploiement du RRF, est aujourd’hui un réseau Tetrapol, l’Infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT). Cette infrastructure radio bas débit a besoin d’électricité pour fonctionner. Elle internalise naturellement une capacité de résilience, grâce à des batteries qui lui permettent de supporter une interruption de l’approvisionnement énergétique pendant une certaine durée, mais cette dernière n’est pas illimitée. Lors de la tempête Alex, les réseaux Tetrapol se sont arrêtés de la même façon que les réseaux mobiles.
L’ACMOSS effectue des retours d’expérience sur chaque événement climatique important. C’est notamment ce que nous avons fait après les tempêtes Ciarán et Domingos, qui ont récemment touché l’Ouest de notre pays. Nous avons voulu vérifier que les dispositifs de résilience prévus nativement dans le projet RRF en cours de déploiement auraient permis de maintenir la continuité des radiocommunications dans un tel contexte.
Je me souviens également des inondations qui avaient submergé la ville de Draguignan, à la suite de pluies torrentielles dans le Var, et mis hors d’état tant les réseaux mobiles que le centre de traitement de l’alerte (CTA) et le centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (CODIS). On voit bien que de tels événements sont susceptibles de perturber le bon accomplissement des missions de sécurité civile. Il convient naturellement de tenir compte de cet aléa quand on réfléchit au déploiement de nouvelles technologies plus fiables et destinées à améliorer le service rendu à la population.
M. Pierre Casciola. Vous l’avez compris, le projet NexSIS concerne les CTA où les pompiers accueillent les appels des requérants et envoient des secours, tandis que le projet RRF sera déployé sur le terrain et permettra aux personnes en opération de communiquer entre elles et avec le central. L’un ne va pas sans l’autre : la continuité du service doit être appréhendée sur toute la chaîne. Quand plus rien ne fonctionne, les sapeurs peuvent toujours faire les choses à l’ancienne, sortir les camions et les porte-voix, mais si un CTA ne peut recevoir d’appels, il ne sert à rien. Si l’on ne sait pas gérer les opérations, il ne sert plus à grand-chose non plus.
Je serais curieux d’avoir un retour d’expérience sur la situation que vivent en ce moment nos compatriotes réunionnais et d’analyser les impacts du cyclone sur le monde de la sécurité civile.
Les enjeux de résilience sont à peu près les mêmes pour nos deux agences : il s’agit de pouvoir communiquer avec le terrain et de permettre au grand public de nous appeler. Beaucoup de choses dépendent aujourd’hui de la résilience des opérateurs de réseau mobile et de leurs antennes, 4G ou 5G, mais aussi évidemment de l’approvisionnement en électricité. Nous devons en outre être capables de sécuriser toutes nos bases de données et nos systèmes informatiques, de plus en plus hébergés par des tiers, des clouders plus ou moins sûrs. Nous devons pouvoir avoir la main sur nos systèmes et contraindre ces tiers à nous garantir une continuité de service allant au-delà du contrat, alors que certains opérateurs préfèrent payer des pénalités plutôt que d’engager des travaux trop importants. Dans toute la chaîne, le juste équilibre reste à trouver.
M. Guillaume Lambert. Je rebondis sur les propos de M. Casciola au sujet des liens qui nous unissent avec certains opérateurs contractuels. Dès lors qu’il s’agit de garantir des communications d’urgence, nous avons parfois besoin que le Parlement légifère pour créer des obligations légales.
C’est ce que vous avez fait dans le cadre de la Lopmi, dont l’article 11 a modifié le code des postes et des communications électroniques pour qu’y soient définies, notamment, les notions de « communication mobile critique à très haut débit », de « réseau de communications électroniques des services de secours et de sécurité » – cette expression désigne le RRF – et d’« opérateur de réseau de communications électroniques des services de secours et de sécurité » – autrement dit l’ACMOSS.
La loi est également venue modifier certaines obligations qui pèsent sur les opérateurs de communications électroniques, désormais tenus de faire droit aux demandes d’itinérance des utilisateurs du RRF sur leur réseau. Je précise que le RRF est fondé sur les technologies 4G et 5G, donc sur des technologies mondiales de téléphonie mobile, assorties de sécurités garanties par la loi. Concrètement, tout opérateur commercial a l’obligation d’accueillir sur ses réseaux mobiles les utilisateurs détenant une carte SIM RRF, ce qui nous assure la couverture la plus large possible. Cette disposition a toute son importance en matière de résilience, car on s’est aperçu que les événements climatiques extrêmes comme la tempête Alex ne touchaient pas de la même façon tous les opérateurs de réseau mobile ; or, il suffit qu’un seul réseau reste disponible pour garantir la continuité des communications.
Par ailleurs, nous avons fait voter une autre obligation légale, celle d’un accès prioritaire de nos communications à ces réseaux mobiles. Pour faire simple, il faut que nos données aient l’équivalent d’un gyrophare sur les véhicules de police ou de secours pour accéder aux réseaux et ne pas être victimes d’une congestion ou d’un ralentissement de la circulation. Si le projet RRF nous permet de passer de l’utilisation d’une infrastructure de réseau radio privée – celle que nous avons actuellement avec la technologie Tetrapol – à un transport de nos communications opérationnelles par des infrastructures publiques, c’est parce que le groupe international chargé de normaliser la téléphonie mobile, le 3GPP (3rd Generation Partnership Project), a adopté à partir de la 4G des spécifications techniques permettant de faire transiter des « communications pour missions critiques » par les réseaux mobiles. Concrètement, il a défini un certain nombre de paramètres techniques à intégrer dans les équipements du réseau, tant au niveau des antennes que dans les cœurs de réseau, qui permettent de différencier les communications provenant d’utilisateurs du RRF de celles émises par tout un chacun. Il s’agit là d’un autre élément de fiabilisation des nouvelles technologies et d’une condition sine qua non pour utiliser ces dernières dans un cadre de sécurité civile.
Présidence de M. Julien Rancoule, secrétaire.
M. Julien Rancoule, président. Je rebondis sur vos propos sur la résilience du RRF. Dans les territoires ruraux, les antennes sont souvent partagées entre plusieurs opérateurs. Lorsque l’une d’elles tombe en panne, ce sont donc tous les réseaux qui deviennent inaccessibles. C’est un cas de figure qui arrive régulièrement dans ma circonscription. Avez-vous prévu un plan B, tel que le recours aux satellites, à moins que certaines contraintes, notamment en matière de sécurité, n’y fassent obstacle ?
M. Guillaume Lambert. Dans le cadre du « New Deal mobile » – l’accord conclu entre l’État et les opérateurs de la téléphonie mobile –, le réseau 4G s’est significativement amélioré en France, en particulier dans les zones blanches, grâce au recours aux sites mutualisés auxquels vous faites référence. Le nombre de zones blanches diminue mais, vous avez raison, si l’équipement mutualisé vient à flancher, il n’y en a pas d’autre pour prendre le relais. Il faut en tenir compte et c’est ce que nous faisons dans le programme RRF. D’abord, nous devons nous assurer que les mécanismes de priorité et de préemption que j’ai évoqués s’appliquent bien sur les sites mutualisés. Cela concerne le cas dans lequel le site est le seul à couvrir une zone où affluent massivement les forces de sécurité et de secours.
Dans le cas que vous mentionnez, Orange et Bouygues Telecom sont tenus, au titre des contrats signés dans le cadre de RRF, de rétablir le service dans les zones où nous en avons besoin. Nous disposons d’un centre d’opérations réseau (NOC) qui nous permet de détecter en temps quasi réel tout incident sur l’intégralité du réseau d’Orange et de Bouygues Telecom dont les antennes relais forment le maillage pour les utilisateurs du RRF, nonobstant l’itinérance nationale.
Si nous détectons un incident sur un site mutualisé, nous déclenchons un ticket d’incident vers Orange et Bouygues pour qu’une unité de réparation soit envoyée sur le site ; nous prévenons immédiatement les services opérationnels de l’indisponibilité du réseau, donc du manque de couverture dans la zone concernée ; nous vérifions s’il y a des opérations en cours dans cette zone. C’est le dispositif immédiat de sauvegarde.
Ensuite, si une opération est en cours, si une catastrophe s’est produite, nous disposons, dans le cadre du marché RRF, de deux outils. D’une part, nous avons conclu avec Orange et Bouygues Telecom un contrat de service pour déployer ce qu’on appelle des véhicules de réponse rapide. À notre demande, partout en France, en moins de six heures, l’opérateur qui sera sélectionné – il s’agit d’un marché subséquent du programme RRF qui n’est pas encore attribué, mais devrait l’être au premier trimestre pour une mise en œuvre du dispositif à la fin de l’année 2024 – déploiera sur site une antenne relais, avec un groupe électrogène et une liaison transfert satellitaire, laquelle prendra temporairement le relais de l’émetteur défaillant.
D’autre part, les services de secours devront acquérir des relais véhiculaires. Ces dispositifs de connectivité à la demande embarqués dans les véhicules d’intervention – le marché en prévoit toute une gamme – permettront tout d’abord d’établir une liaison transfert pour suppléer l’émetteur mutualisé en panne, soit par un dispositif de connectivité renforcée vers un émetteur situé un peu plus loin, soit en utilisant des satellites en orbite basse. Ils permettront en outre de propager autour du véhicule un réseau local wifi – un LAN dans le jargon – ou PPDR (public protection and desaster relief) utilisant la bande 700 mégahertz – il s’agit d’une bande de fréquences dédiée au très haut débit mobile pour la gestion des crises et des catastrophes dont le ministère de l’intérieur est attributaire à titre exclusif. Son spectre n’étant pas très large, elle ne peut pas être notre bande principale d’usage, mais elle peut être utilisée pour propager autour des véhicules d’intervention une connectivité à la demande.
Le retour d’expérience sur la tempête Ciaran dans le département du Finistère montre que les pannes de réseau mobile étaient principalement dues à des ruptures d’approvisionnement énergétique – les réseaux aériens endommagés de distribution d’électricité. La tempête n’a pas eu d’effets importants sur les infrastructures de télécommunication elles-mêmes. L’itinérance nationale a assuré la continuité des communications dans une très grande partie du département. Nous aurions eu besoin de déployer seulement trois dispositifs de ce type pour garantir la continuité dans 100 % du département.
M. Julien Rancoule, président. Avez-vous déjà établi une cartographie de l’implantation de ces outils sur le territoire et un calendrier pour leur mise à disposition ?
M. Guillaume Lambert. Ces outils sont inscrits dans le contrat que je viens d’évoquer. Les relais véhiculaires devant être déployés dans un délai maximal de six heures, l’opérateur devra inévitablement les répartir dans plusieurs sites de stockage sur le territoire. En outre, ces outils nomades présentent l’avantage de pouvoir se déplacer au gré des besoins des services de secours et au fur et à mesure du rétablissement du réseau, garantissant une totale réactivité au plus près du terrain.
M. Julien Rancoule, président. Qui doit financer le déploiement du RRF dans les SDIS ? Les collectivités locales ou le ministère ? Le déploiement sera-t-il simultané sur l’ensemble du territoire ? Quels seront les acteurs concernés, outre les SDIS ?
M. Guillaume Lambert. Le projet RRF est financé par le ministère de l’intérieur pour ce qui concerne la construction du réseau et son déploiement, y compris le subventionnement du coût du service au départ.
Le RRF vise 300 000 abonnés mobiles sur toute la France dans les différents services éligibles. Notre mission est d’apporter des solutions de communication mobile opérationnelle très haut débit à l’ensemble des services de sécurité, de secours, d’aide médicale urgente, de protection d’une population et de gestion des crises et des catastrophes. Cela concerne donc, outre la sécurité civile – qui regroupe les moyens nationaux, les SDIS, des unités militaires et les services du déminage, par exemple –, l’ensemble des services déconcentrés de l’État impliqués dans les actions de gestion de crise, la police, la gendarmerie nationale, les Samu, les agences régionales de santé (ARS), les polices municipales, les douanes, ou encore les unités militaires qui contribuent aux opérations sur le territoire national, comme les unités Sentinelle.
Dans le modèle économique du RRF, le ministère de l’intérieur finance la création du réseau et supporte le coût initial du forfait mobile pour tous les abonnés – le point d’équilibre que nous avons évalué à 300 000 utilisateurs pour déterminer le coût du forfait, équipements et services intégrés compris, ne peut pas être atteint dès le départ. C’est un effort considérable de l’État. Aucune participation n’est demandée aux collectivités locales pour les polices municipales ou les SDIS souscrivant au RRF. En revanche, il leur est demandé, comme à tous les services utilisateurs, de payer une redevance en contrepartie du service fourni. Le financement sera donc assuré par les abonnés au fur et à mesure de leur utilisation du service.
M. Julien Rancoule, président. Qu’en est-il des investissements dans le matériel ?
M. Guillaume Lambert. Je vous présente un exemplaire : un smartphone doté de 4G et 5G, incassable, sur lequel est installée une application qui permet d’établir des communications grâce une poire déportée.
Le terminal est inclus dans le forfait, puisqu’il est paramétré spécifiquement. Pour les pompiers, il permet de réunir le terminal radio Antares et leur smartphone professionnel en un seul équipement qu’ils pourront utiliser comme un bureau mobile lors des opérations.
S’agissant des SDIS, ils pourront financer leur adhésion au service en partie sur leurs dépenses d’investissement, et pas uniquement de fonctionnement. La direction générale des finances publiques (DGFIP) et la direction générale des collectivités locales (DGCL) nous ont confirmé cette possibilité, les terminaux relevant des dépenses d’investissement, une part résiduelle étant financée en dépenses de fonctionnement.
M. Julien Rancoule, président. Les radios dans les véhicules et les bipeurs vont-ils disparaître au profit de smartphones, qui intégreront l’application NexSIS, pour chaque agent ?
M. Guillaume Lambert. Le terminal a vocation à fusionner les différentes applications. Nous travaillons, par exemple, avec les polices municipales pour que l’application de verbalisation électronique soit disponible sur le smartphone.
Il n’est pas indispensable de doter chaque agent. On peut envisager de conserver une dotation collective – pour le centre de secours – et les sapeurs-pompiers emportent le terminal lorsqu’ils partent en opération. Si les SDIS le souhaitent, l’équipement peut être individuel.
M. Pierre Casciola. NexSIS comprend évidemment une application mobile. Les perspectives d’évolution en la matière sont infinies.
Le sapeur-pompier est une espèce très particulière, très attachée aux systèmes hyper-résilients et hyper-efficaces tels que les bipeurs. Les réticences peuvent se comprendre : pour les remplacer par de la 4G ou de la 5G, encore faut-il avoir la garantie que le dispositif va biper au bon endroit, correctement. Il coulera un peu d’eau sous les ponts avant que nous parvenions à remplacer totalement ces réseaux hyper-fiables. En revanche, le sapeur-pompier adhère complètement à la démarche consistant à lui offrir, par le biais de l’application, une autre option que son bipeur. Cela lui permettra peut-être de prendre conscience du fait que cette solution fonctionne et pourrait remplacer le bipeur à une échéance plus brève. C’est un excellent levier. La convergence vers le terminal, qu’il s’agisse d’un smartphone ou d’une tablette, constitue également une opportunité pour mutualiser les coûts.
Il n’est pas question, à ce stade, d’équiper tous les sapeurs-pompiers, mais on verra comment les usages évoluent une fois que le système aura été déployé. En revanche, le remplacement des radios Antares peut s’envisager plus facilement. Tant que les nouveaux outils n’ont pas été utilisés dans les opérations, les services de secours ont du mal à se projeter.
M. Julien Rancoule, président. Je comprends que le déploiement sera progressif afin de faire évoluer la technologie, mais aussi les habitudes.
En ce qui concerne NexSIS, la possibilité de basculer les appels vers une plateforme représente à mes yeux une amélioration notable. Dans mon département, à la suite d’une coupure des télécommunications, le préfet a dû en urgence diffuser des numéros de portable sur les réseaux sociaux pour permettre aux habitants d’alerter les secours. Le transfert des appels au 18 est une grande avancée.
M. Pierre Casciola. À condition de pouvoir accéder au 18 !
Le système que nous construisons repose sur l’entraide interdépartementale. Après quelques années d’attente, NexSIS est opérationnel en Corse-du-Sud. Il est utilisé de façon ponctuelle dans d’autres départements.
Nous avons déjà expérimenté des scénarios d’entraide. Habituellement, un appel à destination du département de Seine-et-Marne qui ne peut aboutir, pour différentes raisons, est traité par ce que l’on appelle le « centre d’alerte des orphelins ». Jusqu’à présent, c’était la brigade de sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) qui assumait ce rôle sans qu’on le sache. Aujourd’hui, ces appels apparaissent sur les consoles de surveillance des opérateurs. L’entraide est complètement inhérente au système pour le volet téléphonique. Elle le sera, moyennant des ajustements dans les accords interdépartementaux, sur le volet opérationnel. Ce n’est pas pour tout de suite, mais il est important de la proposer dès le départ pour que l’usage lui donne la place qu’elle mérite. C’est une vraie révolution, qui répond à une attente des SDIS.
Les accords d’entraide actuels lient principalement des départements frontaliers. Or, en cas de tempête, deux départements frontaliers sont touchés de la même façon. Il serait donc plus pertinent que le département du Nord vienne en aide au département du Var en cas de sinistre important.
M. Julien Rancoule, président. NexSIS et RRF sont des systèmes franco-français. Existe-t-il une coopération européenne pour faciliter les communications et le travail en commun en cas de crise majeure ?
M. Guillaume Lambert. S’agissant du RRF, nous participons à l’initiative BroadNet, financée par la Commission européenne.
L’objectif est de créer un hub d’interconnexion de tous les réseaux radio de sécurité et de secours en Europe. Dans le monde entier, tous les réseaux radio professionnels mobiles (PMR), qui s’appuient sur la norme Tetra (Terrestrial Trunked Radio), vont basculer vers la technologie 4G LTE (Long Term Evolution) pour assurer les communications lors des missions critiques.
Des projets sont lancés au sein de l’Union européenne, en Belgique, en Finlande, en Espagne et en France – pays qui est le plus en avance dans cette transition. L’Union européenne a, dès le départ, anticipé l’intégration native d’une capacité de communication transfrontalière, grâce à un maillage entre les différents cœurs de réseau et serveurs d’application. L’ACMOSS est un opérateur de réseau mobile résilient, mais aussi l’exploitant d’une application de messagerie instantanée avec pédale d’alternat, qui correspond à ce que l’on appelle en anglais le MCPTT (Mission Critical Push to Talk). Il faut mettre en place des interfaces entre les serveurs d’applications (Application Programming Interface, API). Tel est l’objet du projet BroadNet – financé par la direction générale de la migration et des affaires intérieures – auquel nous participons et dans lequel nous jouons un rôle moteur.
M. Pierre Casciola. En ce qui concerne NexSIS, nous sommes conscients de la nécessité d’utiliser les standards technologiques les plus répandus pour permettre l’interopérabilité des différents systèmes. Nous allons observer les différents actes professionnels propres aux pompiers et à la sécurité civile, afin de retenir les bonnes pratiques. Nos centres d’alerte ont aussi vocation à répondre à des appels d’étrangers et à pouvoir les localiser. Nous allons introduire un peu d’intelligence artificielle pour aider les opérateurs à mieux comprendre des appels en langue étrangère. Il y a énormément à faire également en matière d’ouverture des données, d’interfaces de programmation d’applications et d’utilisation des standards, aussi bien pour mieux répondre à des étrangers qui appellent depuis la France que pour les appels qui émanent des zones frontalières. Nos projets intéressent notamment Monaco, le Luxembourg et la Suisse. Peut-être achèteront-ils un jour nos solutions. Mais, en tout cas, ils s’interrogent sur l’interopérabilité.
Nous disposerons toujours d’une capacité minimale permettant de transférer un appel vocal de part et d’autre d’une zone frontalière. Mais il serait intéressant d’en améliorer la qualité et d’y ajouter d’autres données. L’interopérabilité est donc un sujet très important, qui fait l’objet d’échanges réguliers avec nos partenaires, notamment dans le cadre de l’European Emergency Number Association (EENA).
Les SDIS discutent régulièrement avec leurs homologues de l’autre côté de la frontière. Celui des Alpes-Maritimes échange beaucoup avec les sapeurs-pompiers de Monaco, avec lesquels il a conclu des accords d’interopérabilité. Il sera difficile de les maintenir en l’état avec l’arrivée de NexSIS. C’est la raison pour laquelle des discussions sont en cours pour permettre de répondre au mieux aux demandes d’intervention dans la zone proche de la frontière.
M. Julien Rancoule, président. Par-delà la mise en service prochaine du RRF et de NexSIS, quelles sont selon vous les technologies qui mériteraient d’être explorées ? Vous avez mentionné l’intelligence artificielle, mais j’imagine que vous suivez aussi d’autres pistes. La base industrielle française propose-t-elle des solutions et est-elle à même de répondre aux nouveaux défis ?
M. Pierre Casciola. La France peut compter sur un écosystème de start-up très riche, qui travaille énormément sur le thème de la sécurité civile. Il faut que nous leur donnions accès aux données et aux API pour permettre de faire éclore des solutions – bien entendu dans le respect des règles, dont le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Depuis ma prise de fonctions, j’ai rencontré un certain nombre d’entreprises très dynamiques, qui recherchent par exemple la manière d’innover et d’être plus efficace en matière de détection des départs de feux de forêts ou d’incendies en ville grâce à l’analyse d’images, qu’elles soient obtenues par des satellites, des drones ou des caméras de surveillance. En Loire-Atlantique, on étudie des solutions qui permettent de détecter la présence de piétons sur le pont de Saint-Nazaire – qui est réservé aux véhicules –, voire de lancer l’alerte automatiquement.
Il faut donc que nous travaillions avec les écosystèmes privés et publics, mais aussi avec les différentes associations qui jouent un rôle fédérateur en matière d’accès aux données. Nous devons être ouverts afin de favoriser l’émergence d’innovations beaucoup plus rapidement que nous ne pourrions le faire par nous-mêmes. Il nous revient de mettre en place le cœur des infrastructures, mais l’accès aux données de nos applications permettra aux acteurs publics et privés de l’innovation d’apporter une valeur ajoutée le plus rapidement possible pour la sécurité civile. Et ce, avant même que le déploiement de NexSIS soit achevé dans l’ensemble des départements – lesquels se situent à des stades très différents.
M. Guillaume Lambert. En ce qui concerne la communication opérationnelle mobile à très haut débit destinée notamment aux acteurs de la sécurité civile, la modernisation des réseaux à travers le RRF fait appel à trois grands types d’innovations technologiques. Il s’agit tout d’abord de la 5G Stand Alone (5G SA), ensuite de la convergence des réseaux de communications terrestres avec ceux des satellites en orbite basse par le biais de la normalisation 5G et, enfin, de l’utilisation accrue des objets connectés utilisés pour les missions de sécurité civile (Massive Internet of Things – IoT).
Actuellement, nous employons une 5G non Stand Alone, c’est-à-dire des cœurs de réseaux 4G qui fonctionnent avec des antennes 5G. Lorsque ces cœurs seront passés à la 5G continue, nous bénéficierons de l’ensemble des avantages de celle-ci – dont les délais de latence très réduits et la capacité de traiter des grandes masses de données de manière très rapide. Cela permettra de nouveaux usages, dont il faut que nous mesurions l’intérêt pour la sécurité civile. En effet, la 5G a surtout été pensée comme un moyen de soutenir l’industrie 4.0, en particulier les processus de robotisation. Dans le domaine du secours, qui se caractérise par sa verticalité, les apports potentiels de cette nouvelle technique restent à évaluer.
La situation est plus claire s’agissant des réseaux non terrestres, ceux des satellites en orbite basse. La technologie est mature, et les médias ont abondamment relayé combien l’offre américaine de Starlink pouvait être disruptive. Comme je vous l’ai dit, cette technologie est intégrée dans le RRF pour les solutions de réponse rapide et les relais véhiculaires – tout en étant attentifs à la souveraineté des liaisons de transfert satellitaire. Nous autorisons à soumettre des offres seulement les acteurs qui apportent les garanties nécessaires pour avoir suffisamment confiance dans la qualité de leur service et de leurs infrastructures. Compte tenu du nombre de satellites, ces réseaux apportent un véritable complément pour les utilisateurs, sans aucune coupure. C’est assez impressionnant. Cela permet de couvrir davantage de zones, en complétant efficacement les réseaux terrestres.
En outre, ces réseaux satellitaires utilisent les mêmes normes 5G que celles des infrastructures des réseaux terrestres. Un même outil 5G permettra d’employer indifféremment les deux types de réseaux. Cela offrira aussi à la sécurité civile la possibilité d’envisager de communiquer en très haut débit avec ses moyens aériens. Actuellement, nous utilisons des interfaces entre les communications au sol en 4G et la VHF pour les moyens aériens. Les réseaux terrestres ne sont pas adaptés pour les communications vers le ciel, car leurs antennes sont tournées vers le bas et qu’un phénomène d’interférences en limite singulièrement l’usage au-dessus de 150 mètres. Nous pouvons donc seulement communiquer à la voix avec les aéronefs qui évoluent au-dessus de cette altitude. Les solutions apportées par les réseaux non-terrestres permettent d’envisager une communication à très haut débit de bout en bout avec les aéronefs, dès lors que la technologie sera pleinement arrivée à maturité.
La troisième grande innovation technologique concerne les objets connectés. Nous en utilisons déjà certains grâce à la 4G, comme ceux qui servent pour la télémédecine d’urgence. Mais l’enjeu sera d’utiliser un très grand nombre de données – issues par exemple de capteurs de santé ou de drones – en les transmettant de manière fiable vers des centres de traitement éloignés. Le RRF permettra, à cet égard, un usage plus large de ce type d’outils, dès lors bien entendu qu’ils sont pertinents.
En ce qui concerne l’écosystème industriel, le marché du RRF relève de la défense et de la sécurité, et les acteurs retenus sont exclusivement français ou européens. Les titulaires de l’accord-cadre de réalisation sont Orange, Bouygues Telecom Entreprises, Airbus Defense and Space, Capgemini et Eviden. Le projet RRF stimule de manière extrêmement forte l’écosystème industriel du secteur des télécommunications.
M. Julien Rancoule, président. J’aimerais que l’on aborde la question de l’alerte aux populations. Vous avez évoqué FR-Alert. Quelques essais de ce système ont été réalisés récemment et il a servi la semaine dernière à La Réunion. Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce dispositif ? Existe-t-il encore une marge d’amélioration ?
M. Guillaume Lambert. Nous ne sommes pas compétents pour parler de ce projet, qui est mené directement par le ministère de l’intérieur.
J’ai pour ma part suivi sa genèse. Le code des communications électroniques européen, adopté en 2018, a imposé aux États membres de mettre en place des dispositifs d’alerte géolocalisée au profit de la population. C’est ce qui a conduit au projet FR-Alert en France. Précédemment, l’alerte aux populations reposait sur le système d’alerte et d’informations aux populations (SAIP), qui utilisait les sirènes.
Le projet FR-Alert a été rapidement mené, puisqu’il est opérationnel depuis plus d’un an. Il fonctionne selon le principe de la diffusion cellulaire, c’est-à-dire qu’il utilise toutes les antennes relais de l’ensemble des opérateurs afin d’apporter une information aux populations pour les alerter. C’est un système extrêmement puissant – qui permet d’ailleurs à ceux qui reçoivent les messages de mesurer la qualité de la couverture multi-opérée du territoire. D’autres systèmes existent en Europe et ils ont vocation à être harmonisés pour répondre à l’obligation faite aux États membres.
Je vous invite à contacter le lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers Romain Moutard, chef du projet FR-Alert, qui pourra vous fournir des informations beaucoup plus précises.
M. Pierre Casciola. Ayant anticipé votre question, j’ai discuté avec lui ce matin afin de pouvoir vous fournir quelques chiffres, mais il se tient évidemment à votre disposition. Affecté à la direction de la transformation numérique du ministère de l’intérieur, il intervient beaucoup sur les sujets de sécurité civile. Il est en effet responsable du projet FR-Alert, mais aussi de l’expérimentation du numéro unique d’appel d’urgence, prévu par la loi du 25 novembre 2021, dite loi Matras. Nous échangeons régulièrement dans le cadre du projet NexSIS.
Hors tests, le système FR-Alert a été employé vingt-cinq fois pour répondre à des situations très variées – dont la tempête Ciarán et le cyclone Belal. Les retours des citoyens sont plutôt positifs. J’ai pour ma part reçu un message lors d’un test et j’ai trouvé cela assez surprenant, mais aussi rassurant.
M. Guillaume Lambert. Si je peux me permettre une digression, ce point montre qu’il faut aussi éduquer les populations.
Il se trouve que je me suis aussi occupé de l’alerte embarquée dans les véhicules (eCall). Désormais, en cas de déclenchement des airbags, un dispositif appelle automatiquement le 112 et une communication est établie dans l’habitacle. Même les gens qui sont au courant de l’existence de ce système ont du mal à savoir ce qu’il se passe en cas d’accident. Il faut donc sensibiliser les populations aux nouvelles technologies numériques mises au service de la sécurité civile. La seule finalité de ces transformations est de rendre un meilleur service à nos concitoyens, il ne faut donc pas les oublier dans la démarche.
M. Pierre Casciola. FR-Alert a été conçu comme un moyen complémentaire. Trois alertes ont été transmises à l’occasion du cyclone Belal, dont l’une avant l’arrivée de ce dernier. Le premier retour d’expérience montre que celles déclenchées pendant le cyclone ont été moins efficaces, car bien entendu un certain nombre d’antennes étaient hors service. Il faut donc utiliser aussi des moyens plus traditionnels, tels que les sirènes, mais également développer d’autres canaux d’information, tels que les réseaux sociaux. C’est prévu dans la feuille de route, même si cela pose un certain nombre de questions d’interconnexion qui nécessitent de développer des API. Il est également envisagé de passer par des messages diffusés sur les radios et les chaînes de télévision ainsi que dans les réseaux de transport, comme le fait le ministère de la justice pour les alertes enlèvement. Et inversement, ce ministère se renseigne sur la possibilité d’utiliser FR-Alert pour mieux diffuser ces dernières.
Afin d’améliorer sans cesse l’information des populations, des échanges sont aussi en cours avec certains acteurs semi-publics ou privés, comme la division production nucléaire et la division production ingénierie hydraulique d’EDF.
Les standards jouent un rôle clé, car ils permettent l’interopérabilité des différents systèmes dès l’origine.
FR-Alert a diffusé un million de SMS. Le système est certes en cours de déploiement, mais il est déjà massivement utilisé.
M. Julien Rancoule, président. Il est en effet important de souligner que FR-Alert n’est pas l’alpha et l’oméga, mais qu’il complète d’autres dispositifs en service – comme les sirènes du SAIP, assez vieillissantes. Il faudrait d’ailleurs se pencher sur ces différents dispositifs, car on peut s’inquiéter de leur état.
N’hésitez pas à nous transmettre des compléments écrits, notamment en répondant au questionnaire qui vous a été adressé. Ils pourront ainsi être pris en compte dans le rapport de la mission, dont la parution est prévue au printemps.
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La séance est levée à seize heures vingt.
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Membres présents ou excusés
Mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles
Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Julien Rancoule
Excusé. - M. Bertrand Bouyx, M. Didier Lemaire, M. Éric Pauget