Compte rendu

Commission d’enquête
sur l’attribution, le contenu
et le contrôle des autorisations
de services de télévision
à caractère national sur
la télévision numérique terrestre

– Audition, ouverte à la presse, des membres du comité d’éthique et déontologie de l’information du Groupe TF1 : 2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Boyon, conseiller d’État honoraire, ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel              10

 Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des producteurs de programmes télévisuels  23

– Présences en réunion................................44

 


Jeudi
25 janvier 2024

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 8

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Quentin Bataillon,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures.

La commission auditionne des membres du comité d’éthique et déontologie de l’information du Groupe TF1 :

 Mme Marie-Laure Augry, journaliste, ancienne médiatrice des rédactions de France 3

 Mme Edith Dubreuil, magistrate, conseillère honoraire à la cour d'appel de Paris

 M. Philippe Lucet, avocat

 M. Michel Vaquin, ingénieur honoraire des Ponts et chaussées

M. le président Quentin Bataillon. Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de la commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT).

Nous allons entendre les membres du comité d’éthique et déontologie de l’information du groupe TF1 : Mme Marie-Laure Augry, journaliste, ancienne médiatrice des rédactions de France 3, Mme Édith Dubreuil, magistrate, conseillère honoraire à la cour d’appel de Paris, M. Philippe Lucet, avocat et M. Michel Vaquin, ingénieur honoraire des ponts et chaussées, ancien président de Fréquence protestante. Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.

Je vais vous passer la parole pour une intervention de dix minutes maximum, avant notre échange. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé – notamment au sein des groupes audiovisuels – de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

Mme Marie-Laure Augry, journaliste, ancienne médiatrice des rédactions de France 3. J’ai été journaliste à TF1, il y a très longtemps, ainsi qu’à France Télévisions, et médiatrice des rédactions de France 3. Mon expérience au sein du comité est très récente, puisque j’en fais partie depuis le mois de septembre. J’ai accepté cette mission, parce qu’elle me semble importante et qu’elle s’inscrivait dans la droite ligne de ce que j’avais fait comme médiatrice. La médiation joue un rôle important et complémentaire de ce comité. Par ailleurs, à titre personnel, j’ai toujours été très sensible au traitement de l’information et au lien avec les citoyens. Je suis vice-présidente de l’association Journalisme & citoyenneté qui organise les assises du journalisme de Tours, de Tunis et de Bruxelles.

Mme Édith Dubreuil, magistrate, conseillère honoraire à la cour d'appel de Paris. C’est ma formation et mon expérience de juriste qui ont intéressé la direction de TF1 pour me proposer de faire partie du comité Bloche en 2017. Pour résumer mon expérience professionnelle, j’ai commencé par le barreau en 1961 – j’étais la plus jeune des personnes prêtant serment – et j’y suis restée jusqu’en juin 1980. J’ai alors fait le choix d’entrer dans la magistrature, où j’ai occupé des fonctions au parquet, dans l’Essonne, à Nanterre, puis à Paris, à la section de la presse, où j’ai passé neuf ans. Je suis ensuite entrée au siège, où j’ai occupé diverses fonctions. Toujours est-il que je suis revenue à la presse comme vice-présidente en 2000 et que j’y suis restée jusqu’en 2004, pour ensuite me diriger vers d’autres voies, notamment la présidence de cour d’assises, et, pour finir, siéger à la Cour nationale du droit d’asile. J’ai une bonne expérience du contentieux de la presse et je crois que c’est ce qui a intéressé la direction de TF1, en me désignant en 2017. J’en suis donc à mon quatrième mandat, si j’ai bien compté – mais les mathématiques ne sont pas mon fort.

M. Philippe Lucet, avocat. Je suis avocat, depuis 1966, au barreau de Paris, où j’ai exercé un certain nombre de fonctions, la dernière étant d’en assumer le secrétariat général pendant seize ans. J’ai occupé des fonctions déontologiques. À la suite de la renonciation à mes fonctions de secrétaire général, j’ai rejoint un grand cabinet pour y assurer les seules fonctions de déontologue. C’est ainsi que, lors de la création du comité, j’ai été recruté pour mon expérience en déontologie.

M. Michel Vaquin, ingénieur honoraire des ponts et chaussées. J’ai commencé ma carrière dans le corps des ponts et chaussées. J’ai quitté l’administration pour l’entreprise au début des années 1980. J’ai occupé divers postes dans l’industrie et la finance. Pendant un peu moins d’une dizaine d’années, j’ai occupé des fonctions à la direction générale de la société Technicolor, spécialisée dans la production d’images pour le cinéma et l’audiovisuel, et, pendant une quinzaine d’années, j’ai été président de Fréquence protestante. C’est cette double expérience qui a conduit le groupe TF1 à me proposer de me joindre au comité, que j’ai rejoint en même temps qu’Édith Dubreuil et Philippe Lucet, en 2017.

M. le président Quentin Bataillon. Pour votre information, nous avons reçu la semaine dernière les membres du comité d’éthique du groupe Canal + et du groupe M6-RTL.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je vous remercie pour votre présentation et votre présence. Mes premières questions seront simples. Quelles sont les chaînes sous votre juridiction, si j’ose dire ? Combien d’heures d’antenne cela représente-t-il ? Quels sont les moyens mis à votre disposition pour faire respecter la déontologie sur ces chaînes ?

Mme Marie-Laure Augry. Il y a TF1, LCI et TMC, qui fait un peu d’information. Notre comité concerne en effet essentiellement le traitement de l’information et de l’actualité, même si la déontologie touche aussi les programmes, bien sûr.

Nous avons à notre disposition les moyens que nous demandons pour instruire un dossier : des éléments vidéo, des documents, par exemple.

En dehors des saisines extérieures, il existe aussi un principe d’autosaisine des directions de l’information, afin de mener une réflexion commune sur des points qui peuvent être importants ou sensibles, ce qui a été le cas au mois de décembre sur le traitement du conflit israélo-palestinien. Cela permet d’avoir une réflexion entre les membres du comité, en lien avec la médiatrice, qui est la première à recevoir les réactions des téléspectateurs, et les sociétés de journalisme. C’est un aspect non négligeable.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Plus précisément, disposez-vous d’un secrétariat ou d’un budget ?

Mme Marie-Laure Augry. Il y a plusieurs personnes auxquelles nous pouvons faire appel, dont la secrétaire générale, en charge de toutes les relations institutionnelles.

Mme Édith Dubreuil. Nous n’avons pas de moyens personnels à disposition de la part du groupe TF1, qui nous met en contact avec une personne présente à toutes nos réunions avec la direction. C’est elle qui se charge de nous fournir les séquences éventuellement critiquées et tout document ou moyen d’information utile pour nourrir notre réflexion et nos décisions éventuelles. Nous n’avons aucun frais particulier à engager. Comme vous le savez, nos fonctions sont bénévoles.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Combien de fois le comité s’est-il réuni en 2023, en 2022 et en 2021 ?

Mme Marie-Laure Augry. Depuis mon arrivée au mois de juin, nous nous sommes réunis trois fois.

M. Philippe Lucet. C’est en effet à peu près la fréquence de nos réunions, entre trois et quatre fois par an, suivant les nécessités et l’importance de l’actualité.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Vos réunions visent à répondre à des saisines ou à des réactions ? Quel est leur ordre du jour ?

M. Michel Vaquin. À titre d’exemple, je peux vous donner l’ordre du jour de la réunion du 30 novembre 2023.

Le premier échange s’est tenu sur la couverture médiatique du conflit au Proche-Orient, qui a donné lieu à une explication assez approfondie de la façon dont le directeur de l’information et ses équipes travaillent sur un sujet aussi délicat, où la sémantique notamment joue un rôle clé – le choix des mots a ainsi fait l’objet d’une discussion approfondie, qui était très intéressante.

Le deuxième sujet concernait l’initiative du groupe TF1 pour obtenir une certification Journalism Trust Initiative (JTI), un label de qualité créé par Reporters sans frontières qui récompense le respect de normes éthiques et professionnelles dans le journalisme. La procédure est assez lourde avec l’examen de plusieurs critères : l’application de la ligne éditoriale, les mécanismes de correction, la transparence sur l’identité des propriétaires, les conditions de travail pour garantir l’indépendance, le professionnalisme des journalistes – il y a d’ailleurs une charte des journalistes dans le groupe TF1, qui définit la façon très précise la norme éthique que chacun des journalistes du groupe doit appliquer dans l’exercice de son métier –, les sources de revenus. Depuis, TF1 et LCI, ainsi que les sites internet, TF1 Info et MyTF1, l’ont obtenue.

Le troisième point était un échange sur la présentation des états généraux de l’information, lancés à l’initiative du Gouvernement. Cela nous semble un travail très important pour assurer le cœur de notre mission : l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Existe-t-il un rapport d’activité de votre comité depuis 2017 ?

Mme Édith Dubreuil. Si vous voulez parler des saisines dont nous avons eu à connaître, nous pouvons vous les détailler. Nous avons établi un document à partir de 2021 – j’avais cru comprendre que c’était de 2021 à nos jours que cette question pouvait vous intéresser et n’ai donc pas les chiffres de 2017 à 2020. Lors de mon audition au Sénat, j’avais été à même de déclarer que la covid avait eu des effets néfastes quant à l’exercice de notre mission, puisque nous n’avions pas été saisis. J’avais alors expliqué que le vrai professionnalisme du groupe pouvait, à mes yeux et à ceux de mes collègues, expliquer cette absence de saisine. Mais cela n’a pas duré.

En 2021, nous avons en effet été saisis, à l’occasion de réunions avec la direction, d’une réflexion sur la manière qu’il convenait d’observer afin de garantir l’indépendance des rédactions dans le cadre du rapprochement envisagé entre TF1 et M6. Nous étions convenus de rencontrer le comité de M6, présidé par M. Louis de Broissia. Cette réunion avait été fructueuse pour voir comment nos expériences et nos attitudes étaient comparables voire complémentaires. Nous avons également été saisis pour avis par la direction du groupe quant à l’application de l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, interdisant de publier l’image du visage ou tout autre élément identificatoire d’un membre des forces de l’ordre en intervention. Nous avons donné notre avis au cours d’une conversation approfondie avec la direction de TF1.

En 2022, la première saisine est venue d’un téléspectateur – c’est toujours ce qu’il y a de plus intéressant dans notre mission. Il accusait Luc Ferry d’avoir menti sur son curriculum vitæ, quant à son expérience de professeur d’université aux États-Unis, lors d’un duel du dimanche soir avec Daniel Cohn-Bendit. Après recherches, nous avons constaté que ce reproche n’était pas fondé. Nous avons aussi été saisis par la direction d’une réflexion sur les garanties à apporter dans le rapprochement entre TF1 et M6.

En 2023, deux saisines étaient hors de notre champ de compétences. Nous avons reçu une réclamation à propos d’une publicité pour Meetic où deux femmes s’embrassaient – la morale ne faisant pas partie de nos missions, nous n’avons pas eu à nous prononcer. Une autosaisine venait de ma part : je regarde beaucoup LCI, par intérêt mais aussi par sens de notre mission, et j’avais observé que tant Luc Ferry que Dany Cohn-Bendit s’étaient trompés sur le vote et les conséquences de la réforme des retraites, en indiquant que tout cela ne servait à rien, puisque l’âge de départ à la retraite était toujours de 62 ans, alors qu’il semble bien que ce soit 64. Le correctif, à notre demande à tous, a été effectué : il s’est matérialisé par une observation de M. Rochebin, l’animateur de ce duel, qui a été acquiescée par les deux intervenants. Une troisième saisine est venue de la direction sur le conflit au Proche-Orient et ses répercussions sur le territoire national. Cela n’était pas contentieux. Il s’agissait de voir comment TF1, et LCI surtout, avaient donné connaissance des informations sur ce conflit.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Apparemment la médiatrice de TF1 ne vous a jamais saisis.

M. Michel Vaquin. Elle fait partie du comité. Nous la voyons à chaque réunion, en tout cas depuis que la nouvelle médiatrice a été nommée au début de 2023.

Mme Marie-Laure Augry. Pour avoir été médiatrice des rédactions de France 3, je trouve que la présence de la médiatrice au sein de notre comité est une heureuse initiative.

Vous vous dites peut-être que le comité n’est pas beaucoup saisi par rapport à la quantité d’informations diffusées et au nombre d’erreurs possibles. Mais quand un service de médiation existe, il constitue le premier interlocuteur du téléspectateur. Si ce dernier n’est pas satisfait de la réponse qui lui a été apportée, il peut saisir le comité. Une bonne partie des demandes est traitée de manière définitive par le médiateur.

Par ailleurs, dans certains cas, le service juridique de la chaîne est saisi directement – sans passer par le médiateur ni par le comité. Cela arrive tout particulièrement lorsque les saisines émanent d’entreprises ou de personnes qui estiment que la chaîne ne les a pas bien traitées.

Peut-être faudrait-il faire davantage de publicité sur le rôle du comité. Cela étant, son existence est bien signalée sur le site de TF1 et il n’est pas clandestin. Des responsables de la chaîne nous ont dit qu’ils voulaient le faire mieux connaître.

Mme Édith Dubreuil. En outre, certaines réclamations sont adressées directement à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je prends note de ces éléments d’explication.

Avez-vous malgré tout une idée du volume des réclamations reçues par le service de médiation ?

De 2019 à 2021, la pandémie de Covid-19 a suscité beaucoup de passions et de contestations au sujet de la manière d’y faire face. Cela a forcément entraîné énormément de réclamations. Il était sans doute nécessaire que l’on se penche sur le traitement de l’information – ne serait-ce que pour conforter la position des journalistes qui rendaient compte de cet événement.

Je trouve curieux qu’il n’en reste aucune trace au sein du comité d’éthique.

Mme Édith Dubreuil. Je n’ai pas effectué de recherches sur le nombre des saisines antérieures à 2021, car votre questionnaire portait sur les années 2021 à 2023.

Lors de l’épisode sérieux des gilets jaunes, nous avions tous les trois passé une matinée entière à TF1. Nous avions débattu avec la direction de la manière dont ce mouvement était traité et nous avions même été accompagnés par Gilles Bouleau au cours de cette longue visite. J’ai également mentionné ce point lors de mon audition au Sénat.

M. Philippe Frei (RE). Quelles mesures pourraient selon vous être prises pour rendre le bilan de votre activité plus accessible au grand public ?

Comment améliorer la coordination et la communication entre les comités d’éthique et l’Arcom, notamment en ce qui concerne les saisines ? Quelles évolutions faut-il apporter au comité pour cela ?

Quelles sont les mesures susceptibles d’améliorer l’évaluation de l’efficacité des comités d’éthique ?

Mme Marie-Laure Augry. Sans vouloir me défausser, mon expérience au sein du comité est trop limitée pour pouvoir répondre à vos questions. Je sais que des rencontres ont eu lieu avec l’Arcom, mais je n’y ai pas encore participé.

Mme Édith Dubreuil. Nous rendons compte chaque année de notre activité à l’Arcom, comme nous le faisions précédemment au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). C’est incontestable. J’ai moi-même signé les lettres et je dispose de quelques-unes d’entre elles dans mon dossier.

M. Philippe Lucet. Nous avons des relations régulières avec l’Arcom, qui nous auditionne en général une fois par an.

Nous essayons de voir comment ajuster nos travaux pour que l’information leur soit utile. Nous profitons aussi de ces rencontres pour voir ce qu’ils pensent de ce que nous faisons.

Par ailleurs, nous avons accès aux décisions de l’Arcom qui concernent TF1 et nous nous exprimons sur les conséquences que cela peut avoir.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Merci pour vos interventions et pour votre engagement, parce que faire vivre ce comité nécessite du temps.

Vous vous êtes référés à trois valeurs : l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme. Comment jugez-vous la situation globale des médias dans notre pays au regard de celles-ci ? Je ne vous demande pas de vous exprimer au nom du comité d’éthique ou de TF1, mais bien d’un point de vue personnel. Je suppose que lorsque vous délibérez sur un point précis vous avez à l’esprit votre propre analyse de la situation d’ensemble.

M. Michel Vaquin. En ce qui concerne le groupe TF1, même si rien n’est jamais parfait, il nous semble que l’on a affaire à des bons professionnels de l’information. Les échanges que nous avons pu avoir avec eux montrent qu’ils ont le souci permanent de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme.

Voilà pour TF1, mais votre question est plus vaste et porte sur d’autres groupes. J’aurais tendance à répondre que la situation est sans doute différente si l’on en juge par les échos qu’on lit dans la presse. Les choses sont plus compliquées dans tel ou tel groupe et la communication y est moins maîtrisée – voire un peu plus provocante, pour des raisons qui sont évidemment liées à l’audience. Mais il ne revient pas au comité d’éthique de TF1 d’en juger.

Par ailleurs, je remarque qu’il n’y a aucun contrôle dans le domaine des réseaux sociaux. Il existe donc une disproportion entre les médias officiels, sur lesquels pèsent de nombreux contrôles, et ces réseaux, où c’est la jungle. Comme disaient les gilets jaunes : « il y a vos médias et les nôtres » – les leurs étant les réseaux sociaux.

Mme Édith Dubreuil. Je suis entièrement d’accord avec ce qui vient d’être dit.

Je forme le vœu que les réseaux sociaux puissent être quelque peu contrôlés, d’une manière ou d’une autre. Alors que la presse, notamment audiovisuelle, se plie à des contrôles qui donnent satisfaction et produisent des résultats positifs, ces réseaux bénéficient d’une liberté totale et ne font l’objet d’aucun contrôle, ce qui a des effets extrêmement négatifs.

M. Michel Vaquin. En tant qu’ingénieur, j’ajoute qu’avec l’arrivée de ce que l’on appelle l’intelligence artificielle (IA) générative on va ouvrir en grand les vannes aux fausses nouvelles et aux fausses images sur les réseaux sociaux.

C’est un sujet majeur. Aux États-Unis, de grands médias comme le New York Times ont attaqué en justice les entreprises qui fournissent des instruments d’IA générative, car ils savent que leurs contenus vont être littéralement pillés.

Tout cela va se traduire par un déferlement de fausse nouvelles et images sur les réseaux sociaux. Je me permets de suggérer de surveiller ce sujet d’extrêmement près.

M. Jean-Jacques Gaultier (LR). Vous exercez une fonction de veille, alors que l’Arcom joue un rôle plus opérationnel. Je souhaite revenir sur les relations entre cette dernière et le comité d’éthique.

Le traitement de la majeure partie des 50 000 signalements annuels – qui ne concernent pas uniquement TF1 – est évidemment réalisé par l’Arcom. J’ai bien noté que vous êtes entendus à peu près une fois par an par cette autorité. Mais, en sens inverse, êtes-vous informés systématiquement par l’Arcom des signalements qui concernent le groupe TF1 ?

Quel regard portez-vous non seulement sur vos relations avec l’Arcom, mais aussi sur le travail de cette dernière et sur les sanctions qu’elle inflige ?

M. Philippe Lucet. Nous sommes informés des décisions prises par l’Arcom, de manière précise et sans réticence. Il n’y a pas de difficultés sur ce point.

Et la chaîne prend en compte les observations que notre comité est amené à formuler à la suite des décisions de l’Arcom.

Mme Édith Dubreuil. Je pense à deux cas particuliers.

Le 5 septembre 2022, nous avons été saisis de celui de l’émission « Un oeil sur le monde », au cours de laquelle un journaliste du groupe avait affirmé à tort qu’une manifestation contre les sanctions européennes visant la Russie n’avait pas eu lieu. L’Arcom a mis en demeure LCI et a prononcé très récemment une sanction. La secrétaire générale du groupe, Mme Julie Burguburu, a déposé devant le Conseil d’État un recours qui sera prochainement examiné.

Une deuxième affaire concernait l’émission « 24H Pujadas » diffusée le 12 septembre 2022. À cette occasion, M. Pujadas avait présenté une infographie qui comparait les revenus de deux couples, le premier formé par deux salariés rémunérés au Smic, le second bénéficiant d’allocations. Il s’avère que cette présentation comportait une erreur. Elle a été corrigée à la demande de l’Arcom.

M. Michel Vaquin. Florian Philippot avait aussi saisi l’Arcom car il estimait que LCI n’avait pas suffisamment rendu compte d’une manifestation qu’il avait organisée – si je me souviens bien, cette dernière était plus ou moins destinée à soutenir l’agression russe en Ukraine. À la suite de cette plainte, LCI s’était excusée et il avait été invité par la chaîne pour s’exprimer à l’antenne.

Mme Édith Dubreuil. Nous parlons du même sujet. Il s’agit de la manifestation que j’ai citée, mais je ne me souvenais pas que M. Philippot était à l’origine de la réclamation.

Je profite de l’occasion pour signaler qu’une nouvelle convention a été conclue entre l’Arcom et TF1. Elle met à la charge de la chaîne de nouvelles obligations. Nous avons pris connaissance de ce document lors de notre déplacement auprès du groupe TF1 le 14 juin 2023.

TF1 promet d’assurer une pluralité de points de vue lors des émissions de débat réunissant des journalistes, des chroniqueurs et des invités. Il est également prévu d’offrir une visibilité et une publicité appropriées à notre comité, ainsi qu’à ses modalités de saisine. C’était déjà le cas en pratique précédemment, puisque figurait sur le site de la chaîne une adresse de messagerie destinée à permettre aux téléspectateurs de joindre le groupe et de présenter une réclamation.

Cette nouvelle convention prévoit également que TF1 désigne au sein de son conseil d’administration un administrateur – choisi par les administrateurs indépendants – particulièrement chargé de la déontologie et de l’indépendance de l’information. Cette fonction a été confiée à Catherine Dussart, présidente du comité de l’éthique, de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et du mécénat.

Nous sommes régulièrement en contact avec l’Arcom. Nous avons été tous les trois convoqués en décembre, avec d’ailleurs un préavis très court – mais nous n’en sommes pas à un effort près. L’ensemble des membres des comités d’éthique des différentes chaînes étaient présents et nous sommes convenus avec son président Roch-Olivier Maistre de nous réunir au moins deux fois par an. Les réunions entre l’Arcom et ces comités vont donc être plus nombreuses.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Le recrutement de Mme Dussart n’a donc pas été soumis à votre examen. Vous semblez le découvrir. Je m’étonne un peu qu’une responsable de l’éthique vienne s’ajouter au comité d’éthique, mais le groupe TF1 fait comme il l’entend.

LCI s’est spécialisée dans la couverture de l’actualité internationale, notamment en recourant aux services de nombreux chroniqueurs, consultants et intervenants. Avez-vous été saisis sur ce point, car un grand nombre de ces derniers ne sont pas forcément réputés pour avoir une compétence véritablement exhaustive des sujets qu’ils traitent ? Je pense en particulier à l’agression de l’Ukraine par la Russie. Mme Alla Poedie, par exemple, s’affiche sur les réseaux sociaux comme consultante de LCI et manifeste clairement, avec un style qui lui appartient, son souhait d’une victoire ukrainienne – ce qui n’est pas un problème.

Vous êtes-vous interrogés sur l’impartialité et l’intégrité de ces consultants, qui a souvent été mise en cause ?

Mme Édith Dubreuil. Pour ma part, je ne connais pas cette personne et je ne l’ai jamais vue sur le plateau de LCI. Pourtant, je suis beaucoup les émissions de cette chaîne et j’ai en tête les noms d’un certain nombre d’intervenants. Je n’ai pas eu de raisons de douter de leur capacité à fournir des informations au sujet du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Toujours s’agissant de ces chroniqueurs, vous êtes-vous interrogés sur le statut des personnes auxquelles les chaînes du groupe TF1 donnent la parole à titre d’experts ? Vous êtes-vous posé des questions sur la pratique qui consiste à aller d’une chaîne d’information à une autre ou d’un groupe à un autre ? La personne que j’ai citée précédemment apparaît ainsi sur des chaînes de divertissement du groupe Canal+ – en prétendant peut-être disposer aussi d’une expertise dans ce domaine.

Est-ce un sujet de préoccupation pour votre comité, ou bien chacun est-il libre de faire comme il l’entend sans que cela porte préjudice à la crédibilité des émissions du groupe TF1 ?

Mme Marie-Laure Augry. Je regarde assez régulièrement LCI et la personne que vous avez mentionnée n’y est pas omniprésente, même si elle est sans doute venue.

Au tout début du conflit entre l’Ukraine et la Russie, on a en effet pu voir des consultants passer d’une chaîne à l’autre. Mais, assez vite, ces dernières ont en quelque sorte préempté un certain nombre de consultants pour des raisons pratiques ; et, dans le cas de LCI, parce que c’est dans l’ADN de la chaîne.

Je trouve qu’il y a un équilibre entre les différents intervenants et que ces personnes assez spécialisées fournissent une information. On est moins dans la culture de la diffusion virale ou buzz ou dans l’idée de s’entredéchirer. On peut bien évidemment ne pas être d’accord avec certaines analyses, mais il y a quand même la volonté d’apporter des informations. On trouve beaucoup d’anciens militaires parmi ces consultants et les chaînes ont passé des accords avec eux car elles ont estimé que leurs compétences permettaient d’apporter un regard différent de celui des autres invités.

Mme Édith Dubreuil. J’ajoute que sur LCI il est toujours fait état de la qualité de ceux qui interviennent à propos de l’Ukraine. Ce sont des généraux ou des experts de la Russie ou de l’Ukraine.

M. le président Quentin Bataillon. Je vous remercie pour votre contribution. Je vous propose de compléter cette discussion en envoyant au secrétariat tout document que vous jugeriez utile à nos travaux, ainsi que les réponses au questionnaire écrit qui vous a été transmis.

*

La commission auditionne M. Michel Boyon, conseiller d’État honoraire, ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

M. le président Quentin Bataillon. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant M. Michel Boyon, conseiller d’État honoraire et avocat. Au cours de votre carrière, vous avez présidé plusieurs organismes publics, dont Radio France, vous avez été directeur du cabinet du ministre de la culture François Léotard – un moment important pour l’audiovisuel puisque c’est en 1986 qu’a été adoptée la loi relative à la liberté de communication – puis directeur du cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Nous vous recevons aujourd’hui en tant qu’ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), de janvier 2007 à janvier 2013.

Monsieur le président, je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes, avant un échange avec les députés. Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé, notamment au sein des groupes audiovisuels, de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Michel Boyon prête serment.)

M. Michel Boyon, conseiller d’État honoraire, ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel de 2007 à 2013. Je suis toujours très heureux de parler de la télévision numérique terrestre (TNT), dès lors que l’on ne s’éloigne pas trop de la réalité.

Je commencerai par un rappel historique. En 2002, le Premier ministre, M. Jean‑Pierre Raffarin, me convoque et me demande ce qu’il doit faire des dispositions de la loi du 1er août 2000 sur la télévision numérique terrestre : certaines personnes lui conseillent de foncer – c’est notamment le cas de Dominique Baudis, alors président du conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – mais les ministres et les professionnels sont très divisés. J’étais très flatté que le Premier ministre me demande de répondre à une question qui lui incombait. Je lui ai répondu qu’au XXIe siècle, ce n’était plus à l’État de dire comment les Français devaient regarder la télévision.

Après avoir auditionné un grand nombre de personnes au cours de la mission qui m’a été confiée, la TNT m’est apparue comme un procédé techniquement fiable et économiquement acceptable, qui répondait en outre au souhait de la population de disposer de chaînes supplémentaires – toutes les enquêtes d’opinion montraient en effet que les téléspectateurs se plaignaient d’une offre télévisuelle trop ramassée. J’en ai conclu qu’il fallait donner sa chance à la TNT. C’est l’optique que le Gouvernement a retenue. Cela n’a pas fait plaisir à tous les professionnels, qui ont compris que cela serait un facteur de concurrence, alors que certains d’entre eux avaient des positions bien établies.

Je tiens à rendre un hommage très appuyé à Dominique Baudis, qui a bravé de fortes oppositions pour que la télévision numérique terrestre voie le jour ; sans lui, le processus aurait été beaucoup moins rapide et beaucoup moins efficace. Après le dépôt de mon rapport, nous avons travaillé ensemble à la mise en place concrète de la télévision numérique terrestre.

Depuis, la TNT s’est développée et le nombre des chaînes a augmenté – ce dernier point est complexe et mérite d’ailleurs que l’on y réfléchisse –, surmontant toute une série d’innovations techniques, dont la haute définition. Ce procédé de diffusion de la télévision a fait ses preuves et répond à une attente : ce sont des données qu’il faut avoir présentes à l’esprit quand on réfléchit à l’avenir de la TNT.

Je crois beaucoup dans l’avenir de la TNT parce qu’elle présente des avantages considérables – simplicité, gratuité – par rapport à tous les autres modes de diffusion. Surtout, elle permet une régulation efficace sur les chaînes les plus facilement accessibles au public, notamment sur les questions sociétales. S’il n’y avait pas eu la TNT, je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire vis-à-vis des chaînes qui nous auraient envahis par le satellite, par le câble, etc.

La TNT est un trésor qu’il faut préserver. Un nombre important de foyers regardent la télévision exclusivement par ce biais, et pas seulement en milieu rural, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Les chaînes qui ont été lancées en 2012 recueillent désormais 21 % à 22 % de l’audience totale de la télévision, ce qui est bien la preuve que cela répondait à une attente.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. L’objet de la commission d’enquête est de vérifier que les chaînes respectent leurs obligations à l’égard du public et de l’Arcom et dans la procédure d’attribution de l’autorisation d’émettre. Vous avez été un acteur central du processus, peut-être le plus central ; aussi allons-nous revenir avec vous sur les raisons qui ont fait que les chaînes ont obtenu le droit de diffuser. Tout d’abord, quel était votre diagnostic sur le paysage audiovisuel français quand vous avez pris vos fonctions à la tête du CSA ?

M. Michel Boyon. En 2007, mon diagnostic était relativement positif. Le paysage audiovisuel français répondait à la plupart des attentes. Le public y trouvait globalement son compte, si l’on en juge par ses réactions quantitatives et qualitatives. Les Français, même s’ils passent leur temps à râler – il y a toujours un directeur des programmes qui sommeille en eux –, portent une opinion plutôt positive sur la télévision.

Le paysage audiovisuel est bien régulé par rapport à des objectifs de caractère social ou sociétal, pour lesquels la France a été incontestablement pionnière. J’ai d’ailleurs constaté, pendant mes six ans de présidence du CSA, que les autorités étrangères venaient très régulièrement nous consulter pour s’inspirer de nos méthodes et de nos pratiques. Le modèle français est du reste très présent dans certaines contrées, notamment dans l’Afrique francophone où la régulation s’effectue à peu près dans les mêmes conditions qu’en France, avec naturellement les adaptations propres aux particularités de chaque pays.

Il est important de rappeler dans cette enceinte que le paysage audiovisuel respecte ce que l’on peut attendre de lui sur le plan du pluralisme politique, notamment en ce qui concerne les temps de parole, à la fois en régime de croisière et pendant les campagnes électorales. Ce qui a été fait par les CSA successifs depuis l’origine a porté ses fruits.

Pour en revenir à votre question, j’avais donc une opinion positive sur le paysage audiovisuel, qui proposait une grande variété de choix au public, les règles qui avaient été édictées contribuant à l’équilibre de la société et à son bien-vivre. Néanmoins, tout n’était pas parfait. Certaines cases du programme audiovisuel gratuit n’étaient pas encore remplies, par exemple le sport. Nous étions en décalage avec d’autres pays sur ce point.

Plus globalement, la télévision française est, avec la télévision britannique, la meilleure télévision européenne – même si les difficultés de la BBC ont pu un temps me laisser penser que nous allions franchir une étape ; mais je ne veux pas entrer dans cette course à l’échalote. Je n’ai pas d’éléments qui me permettent aujourd’hui de revenir sur ce que j’affirme depuis très longtemps.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. En 2011, la Commission européenne a jugé que les « chaînes bonus » promises aux groupes TF1, M6 et Canal+ par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, en compensation des efforts financiers consentis pour leur passage au tout numérique, étaient illégales au regard du droit européen de la concurrence. En réaction, le CSA lance, le 18 octobre 2011, un appel à candidatures pour six chaînes gratuites en haute définition. Il reçoit trente-quatre candidatures. Les groupes TF1et M6 obtiennent satisfaction puisqu’ils se voient attribuer chacun une des six chaînes. Pouvez-vous préciser quelle a été la procédure d’instruction des dossiers et nous expliquer pourquoi le CSA n’a pas jugé utile de réaliser une consultation publique, pourtant prévue par la loi du 30 septembre 1986, préalablement à l’appel à candidatures ?

M. Michel Boyon. Sur ce dernier point, les textes imposent une consultation publique lorsqu’il n’y en a pas eu dans les trois dernières années ; or il y en avait eu une dix-huit mois avant que le Conseil prenne la décision de lancer un nouvel appel à candidatures. Nous avons considéré que nous pouvions sans grande difficulté nous appuyer sur la précédente consultation. J’insiste sur la nécessité de ne pas trop traîner en matière de télévision parce que le progrès technique y est extrêmement rapide.

Quant aux canaux compensatoires, que l’on appelle les « chaînes bonus », je les ai toujours considérés comme très gravement illégaux. Je n’étais pas aux affaires à l’époque : c’était un point de vue extérieur. J’ai toutefois écrit dans un de mes rapports que c’était une vraie erreur d’avoir imaginé ces canaux compensatoires. Ils sont mort-nés, et c’est très bien.

La disparition des canaux compensatoires a libéré certaines fréquences. À l’époque, la jurisprudence du Conseil d’État était claire : si une fréquence était disponible et que quelqu’un se portait candidat pour l’exploiter, le CSA devait lancer un appel à candidatures. C’est du passé : l’Arcom a désormais le pouvoir de refuser de lancer un appel à candidatures lorsqu’une fréquence devient disponible.

En l’occurrence, des fréquences étaient libres et l’arrêt de la diffusion de plusieurs chaînes rendait la compétition encore plus ouverte. L’examen des dossiers a été fait selon la procédure habituelle ; s’agissant de six chaînes nationales, il a même été fait avec encore plus de rigueur et de soin qu’à l’accoutumée. La première phase d’examen, portant sur la recevabilité des dossiers, a été accomplie avec l’aide de deux groupes de travail consacrés l’un aux télévisions nationales privées et l’autre aux fréquences. Une deuxième phase a ensuite été engagée avec l’examen des dossiers déposés par les différents candidats. Un groupe de travail plus classique, correspondant à la répartition habituelle des compétences entre les différents groupes de travail du CSA, a préparé des éléments pour éclairer les choix du Conseil, sachant que des auditions publiques sont nécessaires avant que celui-ci ne se prononce.

À propos de ces groupes de travail, j’ai été très surpris de lire, dans un rapport rendu par une autre commission d’enquête il y a quelques années, qu’ils nuiraient à la coordination de l’ensemble. Tout cela n’est pas très sérieux. Ces groupes sont composés de gens qui travaillent au même étage de la tour Mirabeau siège du CSA, qui se rencontrent à longueur de journée ; la coordination entre les commissions a toujours parfaitement existé.

Le groupe de travail sur les télévisions privées a donc préparé les auditions. Le Conseil s’est ensuite réuni à plusieurs reprises pour délibérer et pour choisir la liste des candidats auxquels serait proposée une fréquence après la conclusion des conventions. Je dis très clairement et très fermement que toute la procédure s’est déroulée dans les règles, comme les textes le prévoyaient et avec des contraintes supplémentaires que nous avions ajoutées précisément pour se prémunir contre des critiques qui pourraient apparaître une fois la sélection faite par le CSA.

N’étant pas complètement sot ni tombé de la dernière pluie, je me doutais bien que la sélection opérée donnerait lieu à des critiques. Comme toujours, elles sont venues de la part de ceux qui n’ont pas été sélectionnés – c’est la règle du jeu – mais il faut tout de même faire attention à la manière dont on fait des critiques. J’aurais pu admettre des critiques, tout à fait légitimes d’ailleurs, sur les choix qui ont été faits en se fondant sur les programmes, par exemple sur l’utilité ou non d’une chaîne de sport. Mais ces critiques d’une autre nature m’ont tout de même un peu étonné.

Enfin, on reproche au CSA, et pas simplement à propos de la dernière fournée de de chaînes, de ne pas être suffisamment attentif aux projets présentés par des associations. Nous y sommes sensibles. Ainsi, pour les chaînes de la TNT locale diffusées en Île-de-France, nous avons sélectionné des projets présentés par des associations. En revanche, il serait extraordinairement difficile pour une association d’assumer un programme national de télévision car elle devrait pour cela disposer d’un socle financier suffisamment solide, sans même évoquer la question de l’expérience. Nous n’avons pas trouvé de candidature nous permettant de répondre favorablement. Cela n’a pas été fait de gaieté de cœur : si nous avions pu trouver une association présentant un dossier satisfaisant, répondant à l’intérêt du public et suffisamment solide, nous l’aurions peut-être sélectionné.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Selon vous, il n’était pas nécessaire de relancer une consultation si la précédente datait de moins de trois ans. Vous n’auriez donc pas agi dans la précipitation en procédant comme vous l’avez fait. Or, certains ont affirmé que la procédure avait été lancée sous la pression et à la demande de l’exécutif. Pourriez-vous nous dire si vous avez été directement ou indirectement sollicité par le gouvernement de l’époque pour lancer la sélection des candidats ?

M. Michel Boyon. Ma réponse est clairement non : je n’ai subi aucune intervention ni aucune pression de la part du Gouvernement, de la présidence de la République, du Parlement ou de quelque autorité politique que ce soit pour lancer le processus de sélection. Je suis convaincu qu’il en est allé de même pour mes huit collègues, parce que nous nous parlions tout le temps. Si l’un d’entre eux avait été sollicité ou avait été l’objet d’une pression, il se serait précipité pour m’en parler.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Dans l’instruction des dossiers, vous étiez tenus de respecter une stricte impartialité entre les candidats. Or il semblerait que des échanges informels aient eu lieu entre certains membres du CSA et des candidats. En tant que président, en avez-vous été informé et comment avez-vous agi pour endiguer ces pratiques ?

M. Michel Boyon. Je n’ai été saisi d’aucune remarque à ce sujet. Avant même le début du processus, nous nous étions tous mis d’accord pour nous montrer extrêmement stricts sur les contacts avec les différents opérateurs pendant toute la période de sélection.

Toutefois, il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté : le CSA travaille en permanence avec les opérateurs. Il ne reste pas enfermé dans la tour Mirabeau, refusant de parler aux opérateurs pendant les trois ou quatre mois que dure la procédure. Cela n’aurait pas de sens. De nombreux sujets, notamment ceux qui ont trait au pluralisme politique, donnent lieu à des contacts entre des membres du CSA et des éditeurs. C’est tout ce que je peux répondre.

Bien sûr qu’il y a eu des contacts, mais j’avais toute confiance en mes huit camarades et je suis certain qu’ils ont pris les précautions nécessaires pour qu’il n’y ait pas la moindre ambiguïté. Après coup, quand on n’a pas été sélectionné, on peut avoir tendance à raconter n’importe quoi. Pour me faire changer d’avis, il faudrait m’apporter des preuves.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Que répondez-vous à ceux qui ont le sentiment que les grands groupes ont été « servis » – c’est, je crois, le terme qu’a utilisé Frédéric Mitterrand dans son livre La Récréation ?

M. Michel Boyon. Nous nous attendions à ce que les gens se disent, une fois notre sélection connue, que nous avions fait en sorte de prendre deux gros groupes, déjà anciens, deux moyens, plus récents, et deux nouveaux, mais nous ne nous sommes rien dit de tel. Nous avons statué uniquement sur la base des dossiers qui nous ont été présentés avec, à l’esprit, l’intérêt du public et la volonté d’avoir des opérateurs capables de faire ce que l’on attendait d’eux. Cela nous a conduits à accorder une chaîne à M6 et à TF1, mais ce n’était absolument pas pour compenser la perte de canaux qui leur avaient été attribués par la loi.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Pouvez-vous nous confirmer que la viabilité économique a été l’un des critères les plus importants ?

M. Michel Boyon. Bien sûr, la question financière a été un critère essentiel, comme les programmes et la compétence. Nous avons prêté une attention toute particulière au schéma financier que proposait le projet de chaîne dite de la diversité – puisque j’imagine que c’est ce que vous avez en tête. Il se trouve que des actionnaires, et pas n’importe lesquels, s’étaient engagés par écrit à apporter des fonds à la chaîne : il était difficile de ne pas les prendre en compte. Dans mon souvenir, le plan d’affaires était relativement raisonnable, puisqu’il visait un équilibre financier à cinq ans, à 1,8 % d’audience. Ce n’était pas démesuré : si l’on ajoute les résultats d’audience des six chaînes qui ont été lancées en 2012, on arrive à un total de 11 ou 12 % de parts d’audience, et elles ont toutes entre 1,5 et 2 %.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. On nous a dit et répété que la plupart des chaînes de la TNT ne sont pas rentables, dix ans après leur création. Que pouvez-vous répondre à ceux qui, comme M. Patrick Eveno, disent qu’on savait d’emblée qu’elles ne le seraient pas ?

M. Michel Boyon. Je ne sais pas ce qu’apportent les prévisions faites a posteriori. Il y avait un risque, que les candidats ont pris. Nous ne sommes pas dans un système étatique : les éditeurs sont des entreprises. Or une entreprise vit dans un monde économique ; elle a des charges et des obligations et, parfois, elle se trompe. C’est vrai dans tous les domaines, pas seulement dans l’audiovisuel. Par ailleurs, méfions-nous de ce raccourci qui consiste à dire qu’aucune chaîne n’est rentable. Tout dépend de la manière dont on fait le calcul – surtout quand une chaîne fait partie d’un groupe – et de la manière dont on impute les charges de fonctionnement ou d’investissement.

Ce que je constate, c’est qu’il y a toujours des candidats. Si le secteur était vraiment ruiniforme, on en aurait peut-être moins. Nous verrons bien l’année prochaine, au moment du renouvellement des autorisations, s’il y a un grand désert de candidatures. Si tel est le cas, je reviendrai vous dire que je me suis trompé – mais je ne le pense pas.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. On peut aussi faire l’hypothèse qu’avec ces chaînes, les groupes ne viennent pas seulement chercher de l’argent, mais de l’influence.

M. Michel Boyon. Vous avez raison mais, pour ma part, je ne crois pas beaucoup à cette influence par la télévision.

M. Jean-Jacques Gaultier (LR). Pensez-vous que votre nomination à la tête du CSA, autorité indépendante, alors que vous aviez été chef de cabinet d’un Premier ministre, était un gage d’indépendance aux yeux du public ? Ne prenez surtout pas cette question comme une attaque personnelle – votre parcours est remarquable –, mais j’aimerais vous entendre sur cette question de l’indépendance, sachant que votre passage d’une fonction politique à la présidence du CSA en a interpellé certains.

M. Michel Boyon. Il n’est pas illégitime de poser cette question, mais je vous rappelle que je n’ai pas été le seul dans cette situation. Si l’on suit votre logique, je n’aurais pas pu non plus, après avoir quitté le cabinet de M. Raffarin, retourner au Conseil d’État ! J’ai toujours été au service de l’État, depuis mon entrée dans la vie professionnelle en 1970, et j’ai été formé à l’idée qu’il fallait mettre au vestiaire ses convictions et ses préférences politiques – lorsqu’on en a. Pendant les années que j’ai passées au Conseil d’État, je n’ai jamais été accusé de quoi que ce soit, alors que j’ai eu des tas d’affaires électorales à juger, et pas des moindres.

Sur cette question de l’indépendance, qui n’est pas simple, ma réponse est toujours la même : rien ne sert de multiplier les règles et les interdictions, avant ou après l’exercice d’une fonction publique, car l’indépendance est dans la tête. Si on a une tête prête à l’indépendance, tout se passe bien.

Mme Constance Le Grip (RE). J’aimerais demander au serviteur de l’État et à l’acteur essentiel de l’audiovisuel que vous êtes son appréciation du paysage audiovisuel français. Trouvez-vous qu’il parvient à faire vivre le pluralisme politique et la liberté d’expression ? Vous semble-t-il à même de faire face aux nouveaux défis que les chaînes de télévision ont à relever ?

M. Michel Boyon. À la défense du pluralisme et de la liberté d’expression, j’ajouterai un autre enjeu majeur : notre paysage audiovisuel, tel qu’il a été organisé, tel qu’il a fonctionné et tel qu’il a été régulé, a permis le maintien et le développement d’une production télévisuelle et cinématographique française dont nous pouvons être fiers. D’autres pays européens, comme l’Italie et l’Espagne, ont beaucoup de retard sur nous de ce point de vue, même s’ils essaient de le rattraper. Dominique Baudis a fait preuve de beaucoup de prescience.

Le métier de journaliste, de professionnel de l’information, est très difficile à exercer, si on veut le faire avec la conscience qui s’impose. Je me suis toujours dit que l’objectivité n’existe pas, ou plus exactement que c’est une asymptote : il faut y tendre, mais on ne l’atteint jamais. Ce qui importe, c’est l’honnêteté de l’information, et ce n’est pas un hasard si c’est ce mot qui a été retenu dans la loi de 1986. Il est suffisant pour que le régulateur puisse intervenir. Les chaînes sont par ailleurs en train d’imaginer des procédures pour garantir le pluralisme : certaines se sont dotées d’un comité d’éthique, d’autres utilisent des algorithmes...

Je sais aussi que des réflexions sont en cours au sujet du temps de parole des éditorialistes, qui n’est pas comptabilisé, à la différence de celui des personnalités politiques, sauf lorsqu’ils prennent position en faveur d’un candidat ou d’une formation politique : à ce moment-là, l’Arcom intervient. Je crois que le Parlement devrait se saisir de cette question, qui est difficile : nombre d’éditorialistes font leur travail honnêtement et de bonne foi, tandis que d’autres sont plus engagés. On peut leur demander de se montrer plus honnêtes, au sens de la loi de 1986, mais ce n’est pas simple.

Je redoute moins ce phénomène que la désinformation que je qualifierai d’accidentelle ou d’involontaire, et qui tient au fait que les rédactions peuvent se laisser influencer à leur insu par ce qui circule sur les réseaux sociaux. Ce qui me fait le plus peur, ce sont les fake news – je préfère le mot « infox » –, même si l’Europe essaie de trouver des moyens de les combattre.

On a tendance à reconnaître une information délibérément inexacte, mais il est beaucoup plus difficile d’identifier une information erronée involontaire. Cela me préoccupe beaucoup et on n’a pas encore trouvé la parade. Je vous invite à écouter l’émission « Les infox de l’Histoire » de Patrice Gélinet, sur France Info : il montre comment on a fait gober à l’opinion des énormités, qui sont maintenant considérées comme les tables de la loi.

Pour revenir aux éditorialistes, comptons d’abord sur eux. Et s’il faut édicter une règle pour éviter les déséquilibres, faisons-le.

M. le président Quentin Bataillon. C’est le mot « honnêteté » qui a été retenu dans la loi de 1986, vous l’avez rappelé. Que dites-vous du mot « neutralité » ? La neutralité est-elle possible ? Par ailleurs, quel est votre regard sur les dernières saisines de l’Arcom et sur le niveau des sanctions qui ont été prises ?

M. Michel Boyon. Ce n’est pas pour me défiler, mais je préfère ne pas répondre à votre deuxième question, pour des motifs que vous comprendrez, et parce que je n’ai pas tous les éléments me permettant d’en juger.

Pour ma part, je n’aime pas beaucoup le mot « neutralité ». Je lui préfère le mot « impartialité », qui me semble correspondre davantage à ce qu’est l’esprit d’un journaliste et à ses méthodes de travail.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Nous avons évoqué la procédure d’attribution des autorisations. J’aimerais à présent revenir sur la façon dont ces autorisations ont ensuite été mises en œuvre, voire contournées. Dans le cadre de la négociation des conventions avec les chaînes, le CSA avait introduit une clause interdisant toute modification du contrôle direct de la société titulaire de l’autorisation pendant deux ans et demi. Pourquoi deux ans et demi et pas davantage ? Quel était l’objectif visé ? A-t-il été atteint ?

M. Michel Boyon. J’ai été le premier à dire publiquement qu’il fallait introduire une taxation très sévère des profits réalisés à l’occasion de la cession d’une entreprise titulaire d’une autorisation d’émettre audiovisuelle et j’ai regretté que les choses prennent un mauvais pli. Le gouvernement de l’époque a essayé de reprendre cette idée, mais il s’est fait censurer à deux reprises par le Conseil constitutionnel, la première fois parce qu’il avait accroché la taxation à une procédure d’agrément de la cession de l’entreprise par le CSA, qui n’existait pas en droit ; la deuxième fois, parce que sa proposition a été considérée comme un cavalier législatif.

Quand j’ai vu qu’on avait finalement retenu une taxation à 5 %, j’ai été glacé. Lorsqu’en 2011 j’ai évoqué pour la première fois l’idée d’une taxation, dans mon esprit, elle devait être de l’ordre de 50 %, même si je me doutais que le Conseil constitutionnel la jugerait confiscatoire. Quand j’ai vu qu’on l’avait fixée à 5 %, je n’ai rien compris.

Si nous avons retenu un délai minimum de deux ans et demi avant la revente d’une chaîne, c’est pour un motif juridique : l’appel à candidatures ne prévoyait pas cette clause. Et s’il y avait eu des contentieux, je pense que nous aurions perdu.

Nous avons donc réfléchi, hésitant à fixer ce délai à deux ans et demi, trois ans ou cinq ans, et avons discuté avec les entreprises audiovisuelles, qui étaient évidemment toutes très opposées à cette disposition qu’elles pensaient devoir leur porter préjudice – les plus virulentes n’étant toutefois pas celles que l’on pourrait penser aujourd’hui. Le délai retenu de deux ans et demi était une cote mal taillée, faute de sécurité juridique suffisante pour imposer davantage.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Cela accrédite tout de même l’opinion de ceux qui considèrent qu’un appel à candidatures qui ne permettait pas d’aller au-delà de deux ans et demi était peut-être un peu précipité.

M. Michel Boyon. Je ne vois pas du tout le lien. J’ai lu la critique relative à la rapidité dans le rapport d’une autre commission d’enquête et je ne la comprends toujours pas. Je l’ai dit, l’audiovisuel et, de manière générale, tout le secteur des communications et des télécommunications, est en perpétuelle évolution. Si on perd beaucoup de temps chaque fois qu’on engage une procédure, même pour un motif légitime et avec les meilleures intentions du monde, ça ne marche pas. Je récuse donc à 100 % l’idée que le CSA aurait agi dans la précipitation. Je refuse toujours d’attenter au secret de nos délibérations et je suis toujours un peu triste lorsque des membres ou anciens membres du Conseil ne respectent pas ce secret, mais je puis dire que nous étions tous bien d’accord pour aller dans ce sens.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. En quoi la rédaction des appels à candidatures ne permettait pas d’aller au-delà de deux ans et demi ? S’ils étaient bien rédigés, ils devaient permettre d’allonger ce délai. Y a-t-il eu, si ce n’était pas de la précipitation, une erreur dans leur rédaction ?

M. Michel Boyon. Avant de définir ce délai de deux ans et demi, nous en avons parlé avec les candidats. Comme je viens de le dire, certains d’entre eux, et pas nécessairement ceux que l’on pourrait penser, étaient vent debout contre le principe même d’une telle contrainte, que nous avons tout de même tenu à imposer malgré le risque juridique, ne fût-ce que pour accompagner le mouvement qui commençait à prendre forme pour la taxation des plus-values. Pour répondre encore plus directement à votre question, il n’était pas moins illégal de fixer le délai à deux ans et demi qu’à cinq ans, mais il faut parfois faire la part des choses.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Par la suite, le CSA a toujours validé le changement de contrôle capitalistique des chaînes, ce qui semble contradictoire avec une intention régulatrice qui s’est peut-être heurtée à un cadre juridique qui ne lui permettait pas forcément d’être très volontariste. Comment expliquez-vous ce changement de pied – pour ne pas dire de jurisprudence – du CSA à l’égard des changements de prise de contrôle ?

M. Michel Boyon. Je ne peux pas parler de ce qui s’est passé après mon départ.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je comprends.

Les appels à candidatures – manifestement perfectibles – ne précisaient pas le genre de contenus que le CSA espérait voir à la télévision. De fait, le CSA – et c’est là une question que je m’efforce depuis quelques semaines d’introduire dans les travaux de notre commission d’enquête – ne s’est jamais prononcé à propos d’une sorte de « télévision idéale » correspondant à ce qu’il aurait pu considérer comme étant l’intérêt du public, et a laissé toute liberté aux éditeurs candidats dans la formulation de leurs propositions. Pourquoi ce choix ?

M. Michel Boyon. Tout simplement parce que c’est la lettre et l’esprit de la législation. Nous sommes dans un pays de liberté de communication – c’est l’intitulé même de la loi de 1986 – et je suis un peu triste qu’on veuille aujourd’hui faire un code, aussi pratique cela puisse-t-il être. Conservons au moins le terme de « liberté de communication » dans l’intitulé de ce code.

Dans un régime de liberté de communication, ce n’est pas à la puissance publique de dire quel doit être le contenu des chaînes, surtout si ce n’est pas elle qui paie, mais aux opérateurs de faire des propositions et de définir ce qui leur paraît être bon ou répondre à une exigence du public. Ce n’est pas à nous de dire qu’il faut une chaîne de sports, de ballet ou de quelque autre nature que ce soit. Si les projets présentés par les opérateurs nous paraissent répondre à l’intérêt du public et être économiquement viables, tant mieux, mais nous n’avons pas à dire quoi que ce soit à ce propos. Nous n’allons pas dire à la Comédie-Française que nous voulons qu’elle ne représente que des spectacles du XXIe siècle ou, à l’inverse, rien qui soit postérieur à 1650 !

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je comprends la cohérence du raisonnement, mais il existe des contre-exemples. Ainsi, la puissance publique s’arroge le droit – et peut-être le déplorez-vous – de définir ce qui doit pouvoir être visible par tout un chacun, comme certains événements sportifs d’importance qui doivent être diffusés gratuitement sur des chaînes non cryptées.

Vous nous avez également dit que la puissance publique ne payait pas, mais l’une des personnes que nous avons auditionnées nous a donné un montant estimé de la valorisation de l’autorisation de diffusion. Pouvez-vous nous dire ce que pourrait être le coût, à l’époque où vous présidiez le CSA ou aujourd’hui, d’une forme de redevance que les chaînes de télévision paieraient à la puissance publique pour utiliser la TNT, à l’instar d’un restaurant qui paie pour occuper l’espace public ?

M. Michel Boyon. De mon temps, le CSA ne s’était pas du tout lancé dans cet exercice et, si certains fonctionnaires s’y sont amusés, ils ne m’en ont pas parlé, peut-parce que c’était trop difficile ou ne débouchait sur rien de concret. Aujourd’hui, je ne dispose pas des éléments qui me permettraient de répondre à votre question. Je le regrette, mais je n’en sais rien.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Une personne que nous avons auditionnée a cité le chiffre de 3,5 milliards. Cela vous semble-t-il un ordre de grandeur crédible ?

M. Michel Boyon. Pardonnez-moi, mais je n’ai aucune opinion à ce propos.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Cela ne me pose pas de problème. Je vous remercie.

J’imagine que vous avez un avis sur l’évolution actuelle des pratiques de la régulation, notamment sur l’augmentation et la multiplication des sanctions prononcées ces dernières années contre certaines chaînes – on pense rapidement à C8, mais d’autres chaînes peuvent également être concernées. Considérez-vous que cette stratégie est la bonne et qu’elle porte ses fruits, ou au contraire que la multiplication des sanctions indique qu’elle n’est peut-être pas la bonne et qu’il faudrait procéder différemment ou, simplement, durcir le ton ?

M. Michel Boyon. Sur ce point encore, je m’interdis de porter des appréciations sur le régulateur pour des époques où je n’y suis plus, car ce ne serait pas correct. Cependant, la multiplication des sanctions pesant sur un même éditeur invite à s’interroger. Cela signifie-t-il que les sanctions ne sont pas assez efficaces ou qu’on ne les enclenche pas d’une manière appropriée ? Je ne sais, mais si des faits répréhensibles se reproduisent à l’infini, c’est que quelque chose ne va pas.

J’avais obtenu que l’on ajoute à la liste des sanctions celle, peu utilisée mais très mignonne, qui consiste à suspendre les écrans publicitaires pendant une période définie par le régulateur. Cette sanction, que le régulateur a tout à fait le droit de prononcer, me semble beaucoup plus efficace qu’une amende, qui traîne en longueur et donne lieu à des procédures et des polémiques.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Indépendamment de nos différences de sensibilité, je trouve moi aussi très mignonne cette idée de sanction !

Les renégociations et redéfinitions des conventions – dont certaines sont, il est vrai, intervenues après votre sortie de fonctions – vous semblent-elles être une pratique ordinaire et normale, et sur quoi peuvent-elles, selon vous, se fonder ?

M. Michel Boyon. J’ignore s’il s’agit d’une procédure ordinaire, mais il ne me semble pas anormal de remettre sur le tapis des dispositions qui ne paraissent plus appropriées. Toutefois, il faut absolument respecter les règles et s’assurer que les modifications apportées à une convention ne remettent pas en cause la légalité des procédures suivies pour le choix ou l’éviction d’un candidat. C’est, comme dans de nombreux domaines, une question de tact et de modération.

En outre, je ne connais pas les modifications intervenues après mon départ, même si j’en ai vaguement perçu ici ou là quelque écho, et il ne m’appartient absolument pas d’émettre une appréciation personnelle à ce sujet.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. C’est l’objet de cette commission d’enquête que de s’assurer que les chaînes respectent les objectifs qui leur sont fixés et auxquels elles s’engagent dans le cadre des conventions. Certains de ces objectifs concernent les contenus – ce sont les programmes. D’autres sont des objectifs économiques – c’est du moins le cas du critère de viabilité économique que nous évoquions tout à l’heure. Ne considérez-vous pas que, lorsque ces objectifs ne sont pas atteints, c’est-à-dire que le cahier des charges n’est pas rempli et que le lien contractuel entre l’Arcom et l’éditeur est rompu, il faudrait tout simplement retirer l’autorisation ?

M. Michel Boyon. La question doit être posée et je ne serais pas du tout choqué, à condition du moins que le texte de la loi – dont je n’ai plus tous les détails en mémoire – le permette, que l’on prenne une telle décision envers une chaîne qui, délibérément et d’une manière répétée ou prolongée, ne respecterait pas ses engagements.

M. le président Quentin Bataillon. Auriez-vous encore des éléments supplémentaires, des réflexions ou des préconisations à nous communiquer ?

M. Michel Boyon. Vous placez la barre très haut ! Je voudrais au moins vous avoir montré mon amour de la TNT, sur laquelle je veillerai jusqu’à la fin de mes jours, car elle est une garantie.

Le fait de ne pas disposer d’un régulateur, ou que le régulateur existant soit mollasson, a des conséquences sur la sécurité extérieure, comme je l’ai constaté dans certains pays que j’ai fréquentés. Nous n’en sommes pas là en France aujourd’hui, mais on ne sait jamais ce qui peut se produire. De ce point de vue, la TNT sera très précieuse, car le fait que tous les opérateurs émettent depuis l’étranger – et, qui plus est, depuis des pays aux pratiques discutables –, pourrait avoir des conséquences très lourdes pour la sécurité de notre pays.

La TNT a apporté beaucoup de choses en termes de confort du téléspectateur, de qualité des programmes et de soutien à la production audiovisuelle et cinématographique nationale, ainsi qu’en termes sociétaux.

Au CSA, j’ai lancé un processus qui a eu une grande postérité : la signature avec les chaînes de conventions, appelées « chartes » – et qui étaient en réalité de fausses conventions, car elles n’avaient pas de valeur juridique. Les chaînes se sont engagées d’assez bonne grâce dans la définition et la mise en œuvre de ces chartes, qui étaient au nombre de dix ou douze et portaient sur des domaines sociétaux, comme la nourriture, et cela a produit des résultats, aboutissant souvent à une modification de texte législatif ou réglementaire.

Ayant toujours servi l’État, je préfère fondamentalement ce qui est contractuel à ce qui est imposé, car l’application en est relativement plus facile. Les chaînes adhéraient librement à ces chartes, et elles le faisaient toutes, même s’il fallait discutailler pour les y inciter, sans pour autant leur faire du chantage à l’autorisation suivante. Ce système marchait assez bien.

Restons conscients que les entreprises audiovisuelles, qu’elles fassent de la production, qu’elles soient techniques, qu’elles fassent de la programmation ou qu’elles soient éditrices, sont des entreprises, et non pas des administrations ni des services publics. On peut le regretter, mais c’est comme ça ! Quant au service public, qui existe par ailleurs, il est, si je ne me trompe, hors du champ de votre commission d’enquête et je me suis donc abstenu d’en parler. Le CSA a, cependant, toujours un œil attentif sur le service public, qui dans notre pays est fort et sert de modèle à d’autres pays, y compris en Europe. C’est un atout précieux, mais n’oublions pas que même les entreprises publiques sont des entreprises.

Enfin, mieux vaut discuter et tenter de parvenir à des accords librement consentis que vouloir réglementer. J’ai un peu honte de le dire dans cette enceinte, mais nous devons hésiter avant de modifier encore les lois. Ne le faisons pas trop souvent car, bien que le thème soit à la mode et qu’il soit difficile de lutter contre cette tentation, on n’est jamais tout à fait sûr du résultat.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Le cycle du renouvellement des autorisations, qui s’est ouvert et qui aboutira en 2025, est d’une nature inédite pour l’Arcom, car il concernera quinze chaînes. De fait, tous les observateurs considèrent qu’il s’agit, au-delà d’un renouvellement ou d’un examen de candidatures, d’un rapport de négociation, voire d’un rapport de force, en particulier avec le groupe Canal+. Considérez-vous qu’il existe des moyens de neutraliser ou de rééquilibrer le rapport de force pour s’assurer que l’autorité régulatrice puisse prendre une décision en toute impartialité ?

M. Michel Boyon. Je comprends bien votre préoccupation. Je ne sais pas quel système nouveau pourrait éviter ce que vous décrivez. Pardon de radoter – cela m’arrive de plus en plus ! –, mais, comme pour l’indépendance que j’évoquais tout à l’heure, cela se joue dans la tête des gens. Je fais pleinement confiance à Roch-Olivier Maistre et à ses collègues pour essayer d’éviter le rapport de force que vous évoquez. Cependant, il y en aura nécessairement un, car toute discussion entre le régulateur et un éditeur est, d’une manière ou d’une autre, et même si cela se passe en apparence dans de bonnes conditions, un petit rapport de force sur des thèmes plus ou moins importants.

J’avais cependant tendance à considérer – on me le reprochera peut-être et j’ai peut-être tort de le dire – que, pour le CSA, les éditeurs ne sont ni des sujets ni des administrés, mais des partenaires, ce qui signifie qu’ensemble, nous nous efforçons de contribuer à un objectif : l’intérêt général, l’intérêt du public et l’intérêt de la production audiovisuelle et cinématographique française, ainsi que la lutte contre la désinformation et contre toute une série de déviations ou de problèmes de nature sociétale ou sociale auxquels nous sommes de plus en plus souvent confrontés. Il est plus facile d’atteindre ces objectifs en travaillant avec des partenaires qu’avec des gens auxquels on donne des coups de règle.

M. le président Quentin Bataillon. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur notre audiovisuel public, tant intérieur qu’extérieur, sur son évolution, ses attentes et ses missions ? Nous avons beaucoup travaillé sur ces questions au sein de la commission des affaires culturelles, et je tiens à saluer M. Jean-Jacques Gaultier, qui était président de la mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public, et Mme Constance Le Grip, notre rapporteure spéciale pour les crédits liés à l’audiovisuel public. Nous n’avons ici que des amoureux et des défenseurs du service public et de l’audiovisuel public, et le regard de l’ancien président du CSA serait très intéressant pour éclairer, au-delà du travail de cette commission, nos réflexions parlementaires à venir.

M. Michel Boyon. Vous me prêtez, monsieur le président, des qualités que je n’ai pas. Je veux bien admettre que j’ai une certaine expérience, mais les connaissances s’émoussent avec le temps et les dirigeants tournent et changent. Les choses changent d’ailleurs plus dans l’audiovisuel public que dans l’audiovisuel privé, ce qui est aussi un problème. Lorsque je présidais Radio France, le président du service public de la Sarre – institution avec laquelle une réunion annuelle était organisée, dans le contexte sans doute des bons rapports que la France a toujours entretenus avec cette région depuis la guerre –, que je saluais d’un « À l’année prochaine ! », m’a fait observer qu’il ne savait pas, à force de voir valser les présidents de Radio France, si je serais encore là l’année prochaine, tandis que lui y serait encore dans cinq, dix ou quinze ans. C’est un handicap pour l’audiovisuel public. Il n’est certes pas question que la durée des mandats soit illimitée, et ce n’est d’ailleurs pas le cas dans les autres pays, mais du moins la présidence des services publics de télévision en Allemagne, au Royaume-Uni ou ailleurs est-elle plus stable que chez nous.

Je suis néanmoins très fier du service public français, qui a tous les défauts que nous lui connaissons et auxquels les Français, au bistrot ne se privent pas d’ajouter chaque jour de nouveaux éléments – ils ont sûrement raison, et il y a dans la tête de chaque Français une mentalité de directeur de programmes et de président de France Télévisions –, mais qui s’acquitte bien de ses missions, même s’il peut certainement mieux faire dans certains domaines que nous n’éplucherons pas ici.

Il faut toutefois, et c’est fondamental, lui assurer la sérénité financière qu’il n’a plus. On ne s’en rend pas compte, car il a reçu à peu près l’argent dont il avait besoin, mais la part d’incertitude s’accroît. Il faut donc trouver un système, quel qu’il soit, dans lequel le législateur puisse garantir au service public de l’audiovisuel la solidité et la pérennité de ses ressources, faute de quoi tout cela risque, à la longue, de s’étioler.

M. le président Quentin Bataillon. L’importance de la prévisibilité de ces ressources plaide pour la proposition de loi organique que M. Jean-Jacques Gaultier et moi-même avons déposée afin de sécuriser la fraction de TVA destinée à l’audiovisuel public, qui est aujourd’hui l’option qui rassemble le plus largement, afin de lui assurer des ressources claires et sécurisées qui seront un gage d’indépendance pour l’avenir.

Monsieur Boyon, vous pouvez nous envoyer tout document complémentaire qui pourrait éclairer encore les travaux de notre commission d’enquête.

Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et je salue votre engagement au service de l’État durant de nombreuses décennies.

*

La commission auditionne des producteurs de programmes télévisuels :

 M. Thomas Anargyros, président de Mediawan Studio France et membre du comité exécutif du Groupe Mediawan

 M. Fabrice Bailly, président de TF1 Production, accompagné de M. Jules Plat, responsable des affaires publiques du groupe TF1

 Mme Élodie Bernard, co-gérante de Bangumi

 M. Guillaume Charles, président de Studio 89 productions et C Productions (groupe M6)

 Mme Alexia Laroche-Joubert, présidente de Banijay France.

M. le président Quentin Bataillon. Nous auditionnons plusieurs représentants de la production audiovisuelle française : M. Thomas Anargyros, président de Mediawan Studio France et membre du comité exécutif du Groupe Mediawan ; M. Fabrice Bailly, président de TF1 Production, accompagné de M. Jules Plat, responsable des affaires publiques du groupe TF1 ; Mme Élodie Bernard, cogérante de Bangumi ; M. Guillaume Charles, président de Studio 89 productions et C Productions (groupe M6) ; Mme Alexia Laroche-Joubert, présidente de Banijay France.

Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Lors de vos propos liminaires, je vous saurai gré de bien vouloir déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thomas Anargyros, M. Fabrice Bailly, Mme Élodie Bernard, M. Guillaume Charles et Mme Alexia Laroche-Joubert prêtent successivement serment.)

M. Thomas Anargyros, président de Mediawan Studio France, membre du comité exécutif du Groupe Mediawan. Au sein du groupe Mediawan, je dirige l’entité de production d’œuvres patrimoniales – fictions françaises, coproductions internationales, documentaires, films de cinéma –, Mediawan Studio France. En tant que producteurs, nous ne sommes pas partie prenante au renouvellement des fréquences de la télévision numérique terrestre (TNT). Les chaînes de télévision sont nos partenaires et nos clients.

Le groupe Mediawan a été créé en 2015. Il est né de la conviction que nous avions tous les atouts, en France, pour créer un champion européen de la production à dimension mondiale, dans un pays regorgeant de talents, à l’heure où la demande d’œuvres explosait dans le monde entier. Dès le départ, nous avons eu l’ambition de fédérer les meilleurs talents français, puis européens, en leur donnant les moyens et les outils de la création.

Neuf ans plus tard, Mediawan rassemble plus de 1 500 collaborateurs et soixante-dix labels de production dans onze pays – la France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, l’Allemagne grâce à un partenariat avec Leonine Studios, la Finlande, le Canada, les États‑Unis, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Nous avons réussi le pari de construire, depuis la France, l’un des champions du secteur de la production audiovisuelle.

Le groupe est organisé en trois grands métiers : la production de fictions, d’animations, de documentaires, de longs-métrages et de flux ; la distribution, qui est un pilier essentiel pour garantir la maîtrise de nos œuvres ainsi que leur rayonnement, et assurer des revenus que nous réinvestissons dans la création ; l’édition de chaînes thématiques sur le câble et de services de vidéos à la demande (VOD) tels que RTL9, Explore, Manga ou AB1.

Nous sommes fiers d’avoir construit un modèle permettant de faire rayonner et de soutenir la diversité de la production française et européenne, comme le montrent quelques-uns de nos succès : 10 % ; la pépite HPI ; la série Miraculous, les aventures de Ladybug et Chat Noir, récompensée par le Prix du Personnage préféré ; des films d’auteur tels que ceux de Jeanne Herry et de Quentin Dupieux ; le diptyque Les trois mousquetaires ; les émissions « C à vous » et « C dans l’air », diffusées sur France 5. Nous sommes un groupe à la diversité éditoriale affirmée, qui travaille avec tous les diffuseurs et toutes les plateformes.

Au sein de Mediawan Studio France, mon rôle est de superviser l’activité de production des œuvres patrimoniales. J’ai effectué l’essentiel de ma carrière en tant que producteur indépendant et au sein de groupes. J’ai également travaillé au sein de chaînes de télévision publiques et privées. J’ai présidé, pendant huit ans, l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), qui est le principal syndicat du secteur. À ce titre, j’ai participé à la plupart des négociations le concernant.

Le métier de Mediawan Studio France est avant tout la création. Nous imaginons des œuvres de fiction, des documentaires et des films de cinéma pour les chaînes de télévision et les plateformes. Nous accompagnons les talents créatifs dans leur travail. Nous travaillons avec tous les groupes – TF1, France Télévisions, M6, Canal+ et Arte – ainsi qu’avec toutes les plateformes présentes en France.

Mediawan Studio France rassemble un peu plus de trente sociétés de production. L’an dernier, nous avons produit plus de 130 heures de fictions diffusées en prime time. HPI et Les bracelets rouges pour TF1, 10 % et Les rivières pourpres pour France Télévisions, Les papillons noirs pour Arte et Netflix, De grâce pour Arte et Paramount+, La flamme et le flambeau pour Canal+, Escort Boys pour Amazon Prime Video, Mordor club diffusé prochainement sur M6, de même qu’Anthracite sur Netflix, les sept saisons de Tandem diffusées sur France 3 : ces quelques exemples illustrent la diversité de ce que nous produisons.

Le tissu de la production, en France, est très dynamique, très concurrentiel et très riche. De très petites entreprises (TPE) y côtoient des grands groupes internationaux. La diversité de la création, et la diversité en général, en dépend en partie. Dans un contexte de forte internationalisation, nos concurrents sont des studios français mais aussi américains, européens et britanniques, ainsi que les plateformes américaines.

Pour nous, l’enjeu majeur est la préservation de l’exception culturelle et le maintien d’une réglementation équilibrée. Ce qui fait la spécificité de la France et surtout notre force ainsi que notre rayonnement à l’international, c’est d’avoir su placer la création au centre de la législation et de la régulation de l’audiovisuel. C’est aussi d’avoir su s’adapter aux mutations du secteur, en y intégrant les plateformes, grâce à la transposition de la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (SMA) dite « directive SMA » dans le cadre du décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD).

En garantissant l’indépendance des producteurs par le biais de la législation et de la régulation du secteur, le législateur a permis son développement – grâce aux obligations d’investissement –, sa liberté et sa richesse de création – grâce au statut de producteur délégué –, son rayonnement à l’international – grâce à la maîtrise des droits – et, plus généralement, l’émergence d’un véritable savoir-faire français.

Dans le cadre de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la transposition de la directive SMA en droit français a permis de consolider notre secteur, en assurant sa souveraineté culturelle et économique, au cœur de laquelle figure la création. Cela nous préserve en partie – le danger n’est pas écarté – des rachats aux effets délétères auxquels procèdent les plateformes américaines chez nos voisins européens

Dans ce cadre, le renouvellement des fréquences de la TNT, le conventionnement et le contrôle du respect des obligations par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) nous intéresse en tant que producteurs. Pour nous, l’enjeu est de faire en sorte que les diffuseurs en général et les chaînes de la TNT en particulier, qui sont essentiels à la création, continuent d’investir dans la création et de respecter leurs obligations.

Concernant le conventionnement et le respect des obligations, notre principal syndicat, l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), qui représente les producteurs audiovisuels de fictions, de documentaires et de spectacles vivants et souvent d’animation avec le syndicat des producteurs de films d'animation AnimFrance, est chargé de négocier les accords interprofessionnels entre les chaînes et les producteurs dans le cadre des décrets en vigueur. Ces accords sont intégrés au conventionnement ; les obligations sont contrôlées par l’Arcom.

Ces dispositifs existent depuis de nombreuses années. Ils ont fait leurs preuves pour notre secteur. Nous testons l’intégration de nouveaux acteurs conventionnés dans le cadre du décret SMAD. À ce sujet, le rendez-vous de l’année prochaine sera fondamental.

M. Fabrice Bailly, président de TF1 Production. Je suis président de TF1 Production depuis juin 2019 et, par ailleurs, directeur des programmes et des acquisitions du groupe TF1. TF1 Production est une filiale à 100 % du groupe TF1. Sa principale activité est la production de contenus audiovisuels pour les services linéaires et non linéaires du groupe TF1. Nous produisons de 600 à 700 heures de programmes par an. Il s’agit pour l’essentiel d’émissions de flux, dans des genres très divers – divertissement, jeux, émissions de narration, magazines sportifs ou non, documentaires, captations de concerts, formats courts.

TF1 Production a deux autres activités : la prestation technique pour les antennes du groupe TF1 diffusant des événements sportifs, notamment des matchs de football, pour lesquels nous fournissons des plateaux, des moyens techniques et des commentateurs ; la production des bandes-annonces du groupe TF1. TF1 Production compte quatre-vingt-dix-huit employés permanents et produit des émissions aussi variées que « NRJ Music Awards », « 50 minutes Inside », « Auto-Moto », « Téléfoot », « 90’ Enquêtes » et « Danse avec les Stars ».

Mme Élodie Bernard, cogérante de Bangumi. Yann Barthès, Laurent Bon et moi-même sommes cogérants de la société Bangumi, née en 2011 et dont le nom signifie « programme de télévision » en japonais. Cette société de production audiovisuelle française est totalement indépendante. Elle n’est affiliée à aucun groupe de production ni à aucun diffuseur, ce qui la distingue au sein du paysage audiovisuel français (PAF). Elle inclut – nous y tenons – une agence de presse, dont la rédaction est forte de cinquante-six journalistes détenteurs d’une carte de presse.

Nous produisons principalement des émissions de flux. Nous produisons aussi – cela nous tient à cœur – des films documentaires, des reportages et des contenus digitaux pour TMC et France Télévisions ainsi que, dans une moindre mesure, pour Arte et M6. Ces films documentaires et ces reportages sont, comme nos émissions, à l’image de nos passions et de nos valeurs.

Nous avons notamment produit des films à fort impact sociétal, tels que Noirs en France, co-écrit par Alain Mabanckou et diffusé en prime time sur France 2 en 2022. Ce film dur, traversé d’espoir et de fierté, a réuni plus de 2,5 millions de téléspectateurs. Homos en France, co-écrit et raconté par Vincent Dedienne, diffusé en prime time sur France 2 en 2023 à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, montre l’incroyable combat, inachevé, contre l’homophobie. Féminicides, réalisé en collaboration avec la rédaction du journal Le Monde, diffusé en prime time sur France 2 en 2020, alerte sur l’aveuglement collectif de notre société et les failles de nos institutions. Nous sommes très fiers de ces films.

France Télévisions nous garde sa confiance. Nous préparons deux documentaires très forts, l’un sur l’évolution de l’enfance en France et l’autre sur la prise de conscience et de distance avec l’alcool. Par ailleurs, nous avons produit vingt-trois documentaires culturels diffusés en prime time sur France 5, sur Rimbaud, Baudelaire et Céline mais aussi sur Madonna, les Rolling Stones et ET. Ils font aussi notre singularité.

En matière de flux, nous avons été les producteurs du « Petit Journal », qui était présenté par Yann Barthès et diffusé en clair sur Canal+, de « Supplément », qui était un magazine d’information hebdomadaire diffusé en clair le week-end sur Canal+ et présenté par Maïtena Biraben, et de « Stupéfiant ! », émission culturelle hebdomadaire diffusée sur France 2 et présentée par Léa Salamé abordant la culture – toutes les cultures – par le biais de témoignages, de rencontres, d’enquêtes et de reportages.

Depuis 2016, nous produisons « Quotidien », émission d’information et de divertissement diffusée sur TMC du lundi au vendredi. Nous produisons également pour TMC les grands magazines sociétaux de Martin Weill, qui sont des enquêtes et des reportages nationaux et internationaux sur les enjeux majeurs de notre société du XXIe siècle.

« Quotidien » est notre programme emblématique. Il s’inscrit dans la tradition des grands talk-shows d’infotainment ou information-divertissement tels que « Nulle part ailleurs » ou « Le Grand Journal », qui accordent une grande place au reportage et au décryptage. Ces deux heures d’antenne chaque soir, en direct et en public, forment un programme ambitieux bénéficiant d’une liberté de ton totale ainsi que de moyens humains et techniques importants.

Le pari d’un grand rendez-vous exigeant, mêlant reportages, interviews, information, humour et parodie, a convaincu le groupe TF1 il y a sept ans. Sa confiance n’a jamais faibli. Il nous offre une liberté sans faille et les moyens de proposer chaque soir ce rendez-vous ambitieux.

Chaque saison, nous recevons près de 600 invités, français et internationaux, issus de la société civile, de la culture, de la politique, du sport et du divertissement. Le choix d’une émission de qualité est récompensé : « Quotidien » est le talk-show ou émission de débat le plus regardé. Il réunit plus de 2 millions de téléspectateurs chaque soir.

Bangumi est une société indépendante et libre, qui travaille avec plusieurs diffuseurs. Tous nous donnent leur confiance et nous laissent une entière liberté dans nos choix éditoriaux et artistiques. Même si nous produisons de nombreuses heures de programmes, Bangumi est sans doute, par sa logique et par son mode de fonctionnement, plus proche de l’artisanat que d’une démarche industrielle, tout aussi respectable par ailleurs.

M. Guillaume Charles, président de Studio 89 productions et C Productions. Au sein du groupe M6, dont je suis membre du directoire, je suis chargé des antennes et des contenus télévision, ce qui inclut les services de streaming. Je m’exprime ici au titre de mes fonctions de président de Studio 89 et de C productions.

Studio 89 et C productions sont deux sociétés de production internes au groupe M6. Détenues à 100 % par le groupe, elles produisent des contenus pour les chaînes et les services du groupe M6. Chacune a sa spécificité.

Studio 89 produit surtout des émissions de divertissement, telles que « Top Chef », « Un dîner presque parfait » et des jeux de connaissance tels que « Qui peut nous battre ? ». C productions repose sur un modèle hybride de production. Elle édite les grands magazines d’information du groupe, tels que « Capital », « Zone Interdite » et « Enquête exclusive », et recourt à des producteurs extérieurs, tels que Tony Comiti Productions, pour obtenir les contenus. Elles éditent respectivement près de 650 heures et près de 450 heures de contenus par an. Ces contenus sont produits en interne ou, pour les trois-quarts d’entre eux, en partenariat avec des sociétés indépendantes.

Mme Alexia Laroche-Joubert, présidente de Banijay France. Je suis présidence de Banijay France depuis septembre 2023. Banijay est un groupe international créé il y a quinze ans. Nous sommes présents dans vingt et un pays, sous 130 labels. Notre siège social est en France. Notre actionnariat est européen et principalement français.

En France, nous rassemblons dix-sept sociétés produisant du flux – divertissement, magazines, télé-réalité, documentaires, fictions. Nous travaillons avec tous les diffuseurs et toutes les plateformes de streaming. Chaque semaine, nous avons un contact avec environ 38 millions de Français par le biais des programmes que nous produisons.

En tant que producteur indépendant, nous considérons qu’il est crucial de préserver la multiplicité des acteurs de la diffusion. Si le secteur de la diffusion est consolidé, le marché de la production est très atomisé : 4 700 producteurs vendent leurs contenus à cinq groupes audiovisuels – France Télévisions, TF1, M6, Canal+ et dans une moindre mesure Altice. Il est essentiel pour nous de conserver des acteurs différents, tout en capitalisant sur ceux qui, installés, connaissent le marché et ont les moyens d’investir.

Pour investir dans nos programmes et préserver le tissu créatif de la production indépendante, il leur faut des moyens. La publicité, pour quatre d’entre eux, est vitale. Nous sommes à leurs côtés pour sensibiliser les pouvoirs publics à l’importance de la déréguler, d’autant que les plateformes de streaming et les plateformes digitales telles que YouTube les attaquent sur ce terrain. Disney et Netflix ont lancé des offres avec publicité ; Amazon s’apprête à en faire autant, ce qui risque de déstabiliser le marché compte tenu de sa puissance en matière de données, acquise par le biais de sa plateforme de commerce électronique.

La concurrence s’intensifie aussi en raison de l’apparition de la télévision connectée, qui favorise l’essor des chaînes Free Ad-Supported TV (Fast) chaînes de télévision linéaires gratuites diffusées en streaming et sponsorisées par les régies. Par ailleurs, la diversité des programmes ne doit pas reposer uniquement sur les acteurs privés. La disparition de la redevance audiovisuelle ne doit pas avoir pour effet de priver de moyens et de visibilité le service public de l’audiovisuel, dont les missions sont inchangées.

M. le président Quentin Bataillon. Ce n’est pas le rapporteur de la mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public que je fus, ni son président Jean-Jacques Gaultier, qui vous contrediront. Il faut sécuriser le budget de l’audiovisuel public pour donner à celui-ci de la visibilité. À défaut, les programmes en pâtiront. Pour que l’audiovisuel public investisse et innove, pour qu’il soit compétitif, il lui faut de la visibilité. Jean-Jacques Gaultier et moi-même, avec de nombreux collègues, y travaillons.

J’aimerais vous poser quatre questions.

Quels sont les enjeux et les pistes en matière de protection des actifs culturels stratégiques ? La précédente ministre de la Culture et de la communication a élaboré une feuille de route à ce sujet, en lien avec le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

La chronologie des médias vous semble-t-elle satisfaisante à l’aune des enjeux qui sont les vôtres ?

Le secteur audiovisuel, qu’il soit public ou privé, vous semble-t-il ouvert à la diversité et à l’émergence de productions nouvelles ? S’agit-il d’un marché assez fermé, où les sociétés ont leurs habitudes d’achat, ou d’un marché florissant où une société de production jeune et indépendante peut se faire une place en proposant des contenus innovants avec l’aide initiale d’un ou de plusieurs partenaires ?

Quel regard portez-vous sur les conventions conclues entre l’Arcom et les chaînes de la TNT en matière de production audiovisuelle et cinématographique ? Les demandes de l’Arcom en matière de conditions de convention vous semblent-elles satisfaisantes, s’agissant notamment du niveau d’investissement et de la diversité ? La situation doit-elle être améliorée ou maintenue telle quelle ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. En tant que producteurs indépendants, nous considérons qu’il faut préserver notre atout en matière de création de valeur : la création d’œuvres et de formats, diffusés sous forme de fictions ou en flux. Il s’agit de notre principal combat face aux diffuseurs. Nous subissons des attaques des plateformes de streaming, qui veulent capter les droits. Nous ne nous battons pas dans l’indifférence des autorités, qui ont protégé par décret les investissements de la production indépendante et dépendante, ce qui confère à la France une place à part.

Les plateformes de streaming tentent de contourner la difficulté. Plus les détenteurs de droits des œuvres seront nombreux à aller chez les Américains, plus l’exception culturelle française et la place des programmes en langue française seront attaquées, ce qui amoindrira notre capacité, en tant que tissu créatif et de production, à exister et à faire rayonner la France à l’international.

Sur la chronologie des médias, des accords ont été conclus. Nous y sommes attentifs, car ils nous permettent de revendre certains de nos programmes. Je laisse les représentants des diffuseurs s’exprimer plus amplement à ce sujet. En la matière, nous sommes surtout spectateurs.

S’agissant de la capacité des nouveaux acteurs à se faire une place sur le marché de la production audiovisuelle, il faut du courage pour créer une société de production. Une consolidation du marché est en cours, qui incite les acteurs de petite taille à chercher une épaule, qui peut être Mediawan ou Banijay. Cela leur donne accès à des catalogues et à de la trésorerie.

La grande évolution des dix dernières années est la forte hausse des dépenses de recherche et développement (R&D). En France, nous dépensons 5,5 millions par an en R&D. Sur trente programmes développés, un ou deux passeront à l’antenne. La perte en ligne est énorme. Être un jeune producteur de flux et de fiction est difficile. Quant à la production de documentaires, elle est en situation d’extrême précarité, a fortiori avec les mouvements récents en faveur d’une réévaluation des salaires. C’est pourquoi nous nous développons et incitons les jeunes et petits producteurs à nous rejoindre.

Les accords avec l’Arcom ont été signés par les diffuseurs et par les producteurs. Ils offrent un cadre, qui nous est opposé mais auxquels nous nous plions. La prise en compte de nos intérêts s’est améliorée.

Il y a un enjeu de distribution. Un producteur qui investit dans le développement d’une œuvre cherche à en conserver les droits et à la distribuer. Pour être un bon distributeur, il faut avoir une vision internationale, donc avoir des bureaux à l’étranger. Notre société Banijay Rights, basée à Londres, emploie quatre-vingt-dix salariés. Nous sommes présents sur tous les continents. Sans cette indépendance de distribution, le film Marie-Antoinette, dans lequel nous avons investi énormément d’argent par le biais de notre société de distribution, aux côtés de Canal+, et que nous avons vendu dans 147 territoires, n’aurait pas été produit.

Nous avons encore des combats à mener. Pour nous, la préservation des droits et de la distribution est essentielle.

M. Guillaume Charles. La question pourrait se poser de savoir pourquoi le diffuseur que nous sommes produit certains contenus. L’internalisation de la production a deux causes.

D’abord, il s’agit de conserver la maîtrise de notre ligne éditoriale, s’agissant notamment de nos magazines d’information. En tant que directeur de publication, nous sommes responsables des contenus diffusés sur nos antennes. Nous avons de nombreux partenaires, notamment des agences de presse. Pour des raisons notamment juridiques et de signalétique, il importe de conserver la maîtrise de notre ligne éditoriale.

Ensuite, il s’agit de conserver la maîtrise des droits d’auteur, s’agissant notamment des émissions de divertissement. Il y a vingt ans, la télévision faisait l’objet d’une exploitation linéaire – je caricature un peu. De nos jours, l’exploitation a lieu en amont, par exemple dans le cadre d’avant-premières le jour de la diffusion, et en aval, dans le cadre de la télévision de rattrapage à sept et parfois vingt-huit jours, et de l’exploitation à plus long terme de nos catalogues.

Par ailleurs, l’exploitation se développe sur de nouveaux réseaux, notamment les réseaux de distribution alternative tels que YouTube et les réseaux sociaux. Pour un diffuseur qui, comme nous, finance souvent très en amont les contenus diffusés sur nos antennes, il importe de conserver la maîtrise des droits et d’être à même d’exploiter les diverses diffusions.

Par ailleurs, le monde de l’audiovisuel évolue très vite. Certaines plateformes n’existaient pas il y a quelques années. Nous devons donc adapter en permanence l’exploitation des droits. À cette aune, certaines négociations prennent du temps. Elles n’en permettent pas moins aux producteurs comme aux diffuseurs d’anticiper le mieux possible les exploitations futures, que nous ne maîtrisons pas toujours à leur apparition. En ce sens, nous prônons une part de dépendance, que nous inscrivons dans le cadre de nos obligations, à défaut de nos stratégies, et une part internalisée.

C’est vrai aussi pour le cinéma. Avec SND (Société nouvelle de distribution), le groupe M6 produit et distribue de grands films, comme celui consacré à l’abbé Pierre, ce qui ne nous empêche pas de vendre des droits à des concurrents. Un grand nombre de films de la SND sont ainsi diffusés, par la suite, sur le service public. Tout cela n’est pas antinomique : on peut internaliser tout en ayant des partenariats créatifs avec des sociétés externes.

J’insiste sur ce point : il est impossible, quand on est une chaîne de télévision, d’être suffisamment créatif tout seul. Il n’y a qu’à regarder les antennes des différents groupes pour s’en convaincre : beaucoup de formats ont été créés par des sociétés de production, qui mènent des investissements de recherche et développement (R&D). Nous ne pouvons pas, je le dis haut et fort, nous passer de la production indépendante. Elle a une créativité et un savoir-faire que nous ne maîtrisons pas, même si nous avons des impératifs de maîtrise des droits.

La chronologie des médias a évolué, après une négociation très longue. Les nouveaux acteurs qui sont apparus, comme les plateformes, ont non seulement des obligations mais aussi, en matière de droits, des fenêtres de diffusion. Nous veillons, du côté des chaînes gratuites, à ce qu’il y ait toujours une protection pour les fenêtres gratuites – je rappelle que tous les acteurs qui nous précèdent dans la chronologie sont payants. Nous avons, pour notre part, un mode de financement par la publicité, et nous pouvons ainsi nous adresser au plus grand nombre. Si nous sommes capables de diffuser l’Euro 2024, c’est parce qu’il y a en France des droits – et des obligations – pour les chaînes gratuites. Elles peuvent ainsi diffuser du cinéma et de grandes compétitions sportives. Sinon, il faudrait imaginer un monde dans lequel tout deviendrait payant. La chronologie des médias doit permettre de protéger l’exploitation gratuite dans l’intérêt du plus grand nombre de Français.

S’agissant de l’émergence de nouvelles sociétés de production, il y a une sorte de paradoxe. Il existe beaucoup de sociétés de production, ce qui montre que la barrière d’entrée n’est pas si haute qu’on pourrait le croire. De nombreuses petites sociétés produisent qui un documentaire, qui un programme, mais un mouvement de consolidation a lieu, parfois au niveau mondial – comme l’a dit Alexia Laroche-Joubert, des formats développés dans un pays peuvent ensuite voyager. Néanmoins, je préfère ne pas trop m’exprimer à ce sujet, car nous sommes moins concernés que d’autres, comme Banijay.

Les conventions font l’objet d’âpres discussions – il y a parfois de la concurrence pour les autorisations – mais je considère que le dialogue est constructif. En général, une chaîne discute avec un syndicat qui représente tout le monde de la production. Celui-ci est relativement fragmenté, mais bien organisé pour ce qui est des négociations. Les conventions assurent un équilibre et vont un peu plus loin que le régime minimum. Elles sont particulièrement surveillées par l’Arcom, et nous les respectons, évidemment.

Mme Élodie Bernard. J’ajouterai simplement que la propriété intellectuelle est très importante. Il faut donc la préserver.

Je me sens très différente de mes camarades ici présents : nous sommes une petite société, principalement tournée vers le flux. Nous ne jouons pas vraiment dans la même catégorie. Les clients ne sont pas nombreux : il y a TF1, le groupe M6, Altice ou France Télévisions. Nous faisons, néanmoins, beaucoup de développement pour les plateformes : nous essayons un peu de nous ouvrir, mais c’est très nouveau pour nous – nous avons mis beaucoup de temps à nous y mettre.

M. Fabrice Bailly. Le marché de la production a totalement explosé ces vingt dernières années : le nombre de sociétés a plus que triplé à la suite de l’apparition des chaînes de la TNT, mais aussi des plateformes de streaming et des réseaux sociaux. Le groupe TF1 travaille ainsi avec énormément de producteurs, très différents.

J’en viens à la question de l’intégration. La filiale dont je m’occupe, TF1 Production, produit essentiellement du flux et représente environ 13 % des investissements du groupe pour les émissions de ce type : cela reste minime, et nous voulons travailler avec tous les acteurs de la profession. Étant donné que TF1 Production est au service de l’antenne, nous sommes situés au même niveau que tous les autres producteurs : nous devons être performants et économiquement viables.

S’agissant de la chronologie des médias, il est important de préserver la fenêtre gratuite, qui est essentielle pour le grand public. Il faut trouver un accord permettant aux acteurs nationaux qui financent beaucoup les films de préserver leur fenêtre.

TF1 a pu conclure avec les syndicats de producteurs un accord équilibré, gagnant-gagnant, qui satisfait tout le monde. Nous restons ouverts à un dialogue permanent avec les sociétés de production pour aller dans le bon sens sur le plan économique et investir toujours davantage afin d’alimenter les chaînes.

Mme Alexia Laroche-Joubert. Nous avions calculé lors du projet de fusion entre TF1 et M6 la répartition entre la production indépendante et la production dépendante. Les cases stratégiques, l’access prime time ou avant-soirée et le prime time soit la soirée, étaient globalement trustées par les productions internes des sociétés de diffusion. En ce qui concerne l’access prime time, 90 % de la production était indépendante en 2016 à TF1 ; en 2021, cette part n’était plus que de 1 %, et c’est encore pire avec l’arrivée du troisième feuilleton. Du côté de M6, on en était à 72 % en 2016 pour le flux en prime time et à 54 % en 2021. Je tempère donc un peu ce qu’ont dit mes camarades.

La production dépendante permet un canal privilégié de conversation avec le diffuseur, mais elle conduit parfois à des programmes moins risqués. Les producteurs indépendants que nous sommes travaillent sur des programmes qui le sont un peu plus. Par ailleurs, les coûts réels des programmes sont arbitrés un peu différemment.

M. Fabrice Bailly. Alexia Laroche-Joubert parle d’œuvres patrimoniales. Pour ce qu’elle appelle l’access prime time, c’est-à-dire la tranche entre dix-huit et vingt heures, nous avons deux feuilletons quotidiens, « Ici tout commence » et « Demain nous appartient ». Je souligne, par ailleurs, que nous respectons totalement la part de production indépendante fixée dans le cadre des accords interprofessionnels, qui est actuellement de 70 % pour le financement des œuvres patrimoniales.

M. Guillaume Charles. J’ajoute simplement que « La Meilleure boulangerie de France », produite par Alexia Laroche-Joubert, est tous les jours en access sur M6.

M. Thomas Anargyros. La question des actifs stratégiques est évidemment cruciale pour les producteurs. Elle a été traitée au cours des deux dernières années par un certain nombre de dispositions, notamment des décrets et des accords interprofessionnels, lesquels ont été conclus avec quasiment tous les diffuseurs – un seul diffuseur hertzien n’a pas conclu d’accord interprofessionnel en matière de production patrimoniale. Il faudra regarder dans les mois qui viennent le résultat auxquels ces mesures conduisent.

Pour ce qui est de la chronologie des médias, nous n’avons pas grand-chose à dire de notre côté. Nous produisons beaucoup de longs-métrages – entre quinze et vingt films par an. La chronologie des médias permet le financement et l’exploitation des films, mais c’est un sujet qui n’est peut-être pas encore complètement réglé, en ce qui concerne les chaînes payantes et les chaînes gratuites.

Pour ce qui est de la création patrimoniale, principalement la fiction, les diffuseurs et les plateformes n’ont aujourd’hui pas d’autre choix que d’essayer d’avoir les meilleurs projets possible. Certains groupes ont eu l’espoir de créer des champions de la production, ce qui paraissait assez logique – et totalement respectueux de la réglementation – puisqu’il y a, dans ce qu’ils diffusent, une part dite dépendante. Je pense, par exemple, à ce que fait Newen en matière de feuilletons, du côté de TF1. Néanmoins, du point de vue de la diversité de l’offre, l’intérêt des groupes n’est pas de faire travailler spécifiquement leur filiale de production, mais de trouver le meilleur projet, qui va marcher le mieux possible. C’est ce qui permet d’avoir un grand nombre de sociétés de production, qui travaillent sur des fictions, des documentaires, etc.

Le paysage s’est structuré suivant un mouvement qui est mondial. Longtemps, seuls les États-Unis considéraient que l’audiovisuel et le cinéma étaient à la fois un art et une industrie ; en France, c’était globalement un artisanat et un art. Mais le système de réglementation français fait que des producteurs indépendants, de différentes tailles, continuent de naître, de grandir et de devenir des groupes ou de se vendre à des groupes. Ce phénomène est favorable à l’ensemble de l’écosystème.

Nous avons besoin, pour notre part, d’un service public doté d’un financement pérenne et qui soit fort, ainsi que d’éditeurs privés forts. Malgré toutes les difficultés qui ont pu exister, notre écosystème, composé de chaînes historiques, de chaînes de la TNT et de producteurs, avance depuis très longtemps de concert, sur un chemin commun. Les plateformes américaines, en revanche, ont leur propre agenda.

S’agissant de l’Arcom, je crois que le système actuel fonctionne très bien. Les décrets et les accords interprofessionnels permettent de trouver un point d’équilibre entre les besoins de chacun, étant entendu que les accords sont intégrés au conventionnement et que les obligations font l’objet de vérifications de la part de l’Arcom. Globalement, le système fonctionne, d’une façon vertueuse.

M. le président Quentin Bataillon. Merci pour vos interventions. On voit bien que les obligations en matière de production, au sein des conventions, sont extrêmement importantes. C’est un aspect qu’il ne faut pas négliger.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Merci pour cette présentation de l’environnement économique dans lequel vous travaillez. Je suis un garçon beaucoup plus prosaïque : je m’intéresse au contenu de la télévision et je commencerai par une question très générale. Qu’est-ce qu’une télévision de qualité selon vous ?

M. Thomas Anargyros. Les critères sont tellement subjectifs qu’il est complexe de vous répondre. En outre, il n’y a pas une télévision, mais plusieurs. On n’attend absolument pas la même chose de TF1 et d’une petite chaîne de la TNT.

En tant que citoyen, que peut-on attendre des chaînes ? De la création, du divertissement, de l’information et, dans tous ces domaines, de la diversité et une objectivité générale – cela va ensemble en matière d’information. S’agissant de la création, j’ajoute un élément auquel nous sommes assez sensibles à Mediawan : nous essayons de faire en sorte que des sujets concernant la diversité, dans son ensemble, et les minorités, visibles ou non, soient de plus en plus présents dans nos œuvres patrimoniales, afin qu’un certain nombre de programmes soient eux-mêmes, d’une certaine façon, un véritable miroir de ce qu’est la France d’aujourd’hui.

M. Fabrice Bailly. J’ajouterai qu’une télévision de qualité est diversifiée et rassemble. Une des fonctions du groupe TF1 est de rassembler les Français autour de grands événements sportifs, de grands divertissements ou de grandes fictions, la plupart du temps patrimoniales. Pour moi, cela fait partie de la définition d’une télévision de qualité.

Mme Alexia Laroche-Joubert. Nous vivons dans une démocratie. Plus la télévision permet l’expression de tous et l’identification de tous, sur le plan individuel ou familial, mieux c’est. Par ailleurs, les producteurs, de flux et de fiction, ont besoin de diversité, parce que cela permet de produire pour toutes les chaînes, pour tous les publics, pour tous les types de contenus – du divertissement, de la téléréalité ou des magazines d’information.

Une concentration a lieu du côté des chaînes de télévision, c’est vrai, mais l’arrivée des streamers ou programmes diffusés sur Internet à la demande a probablement apporté un peu d’air quant aux programmes qui peuvent être proposés. Je pense, par exemple, aux fictions de genre, qui n’étaient pas diffusées sur des antennes plus traditionnelles. Autre élément à prendre en compte, le public de la télévision est vieillissant, et on ne propose pas exactement le même type de programmes à ce public. Les chaînes d’information ont doublé leur audience en quelques années, ce qui est probablement lié.

Mme Élodie Bernard. La qualité des programmes est également très importante pour Bangumi. Nous préférons produire moins, mais mieux.

Tout cela est, néanmoins, très subjectif et il existe plusieurs publics, qui ne s’intéressent pas aux mêmes choses. Il n’y a aucun croisement de public pour certaines émissions.

Nous souhaitons donner du sens à ce que nous faisons, informer, être utiles, ce qui compte aussi, et divertir, tout cela intelligemment. C’est un peu notre feuille de route.

M. Guillaume Charles. Une télévision de qualité est gratuite – c’est une spécificité importante des groupes ici présents, et il faut la protéger. On l’a vu l’an dernier, avec les trous d’air concernant la publicité ; chez certains voisins, elle a énormément diminué. Nous faisons face à une nouvelle concurrence, pour l’attention des téléspectateurs mais aussi dans le domaine de la publicité. Il convient, je le répète, de préserver une télévision gratuite de qualité.

La qualité est très subjective. Nous nous sommes largement construits, au sein du groupe M6, autour de l’innovation en matière de télévision, dans tous les genres. Une émission telle que « Qui veut être mon associé » est un Ovni télévisuel qui permet de parler d’économie, d’entrepreneuriat, d’énergie positive et de plein d’autres choses.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. J’entends vos réponses, notamment en ce qui concerne la volonté d’avoir de la diversité et de fédérer, en particulier à TF1. L’ennui, si je puis dire, c’est que le rapport de l’Arcom au sujet de la représentativité de la télévision souligne que 74 % des personnes mises en scène ou visibles appartiennent aux catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+), alors que celles-ci ne représentent que 28 % de la société. Est-ce une question sur laquelle vous travaillez ? Avez-vous une stratégie pour proposer des produits permettant de traiter le déséquilibre ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je produis des programmes qui mettent en avant des Français et représentent l’intégralité de notre société, comme le font « Koh-Lanta » et « Miss France ». Nous avons aussi des programmes qui mettent en avant la diversité liée à certaines minorités, comme « Drag Race », que nous produisons pour France Télévisions – en la matière, les chaînes et les producteurs sont associés. Nous cherchons évidemment à coller au public qui nous regarde. Je trouve que les chaînes, privées ou publiques, sont extrêmement vigilantes dans ce domaine.

M. Fabrice Bailly. TF1 s’engage vraiment en faveur de la représentation de la diversité et de la richesse de la population française, en renforçant l’exposition dans les programmes, par le casting, de personnes issues de tous les milieux sociaux, d’origines et d’âges variés et en situation de handicap. Cela se voit particulièrement dans nos feuilletons quotidiens, « Ici tout commence » ou « Demain nous appartient », qui mettent en avant des personnages issus de la diversité, mais aussi dans nos fictions événements, en ce qui concerne le handicap, avec « Lycée Toulouse-Lautrec », « Handiland » ou « Les Bracelets rouges ». S’agissant des divertissements, le casting est toujours plus représentatif de la diversité de la société.

Le groupe TF1 a pris de nombreux engagements auprès de l’Arcom, dont certains se répercutent sur les producteurs. Nous sensibilisons chaque année les sociétés de production d’émissions – magazines, jeux, divertissements ou téléréalité – à la nécessité d’offrir une meilleure représentation de la diversité. Les conventions de développement de fictions françaises pour TF1 intègrent une clause par laquelle le producteur s’engage à proposer au diffuseur un casting qui comporte notamment des comédiens représentant la diversité de la population.

M. Guillaume Charles. Les engagements du groupe M6 en matière de représentation de la diversité sont également importants. Nous avons pris des engagements spécifiques en matière de fiction, de nombreux métiers – et pas seulement ceux des CSP+ – sont présentés dans nos magazines d’information, nous avons des émissions emblématiques telles que « L’Amour est dans le pré », et nous avons réalisé des documentaires portant, par exemple, sur le monde agricole. Nous montrons la diversité des métiers et des situations particulières. Par ailleurs, M6 est la chaîne la plus jeune du paysage audiovisuel français, après Gulli. Au-delà des obligations qui peuvent exister, nous avons pour obsession permanente d’être le reflet de notre public. Nos fictions quotidiennes traduisent notre volonté de diversité, de parité et de représentation de certains handicaps, visibles ou non. C’est une ambition très forte, y compris à titre personnel, pour le casting de nos différentes émissions.

M. Thomas Anargyros. Je suis un peu plus partagé. Je pourrais énumérer tous les programmes produits par Mediawan, en matière de fiction, de documentaires et de flux, dans lesquels les enjeux des minorités et de la diversité sont présents. Cela dit, il faut regarder les éléments issus de l’Arcom que vous avez cités et qui sont vrais depuis très longtemps. On sait, par ailleurs, que la situation est très différente aux États-Unis et au Royaume-Uni. Nous devons donc nous emparer collectivement de la question, qui n’est pas facile. Il ne faut pas se cacher qu’il y a des enjeux en matière d’audience, et donc de recettes publicitaires, pour les chaînes privées. On ne peut à la fois dire qu’on a besoin d’acteurs privés forts et attendre d’eux qu’ils soient prêts à ne pas faire d’audience. En matière de minorités visibles, de discrimination positive, de représentation de la diversité de la société à l’écran, on n’est pas au rendez-vous. La télévision reflète la société française, mais pas complètement, ou pas assez.

M. Jean-Jacques Gaultier (LR). L’importance de la production indépendante pour une télévision de qualité a été rappelée. Il existe aujourd’hui beaucoup de producteurs indépendants, mais on observe, cela a été dit, un phénomène de consolidation ou de concentration, parfois avec des capitaux extraeuropéens. La concurrence accrue des plateformes y pousse, de même que l’augmentation des coûts d’acquisition et de production, les investissements massifs à réaliser, dans des programmes amortis au niveau mondial, et les difficultés d’accès aux contenus, dans certains cas, en matière de fiction ou de programmes sportifs. Or comment peut-on concilier des capitaux extraeuropéens et une gouvernance française ? La question des crédits d’impôt, des aides du CNC et des aides régionales se pose alors. Comment garantir l’indépendance si on ne détient pas la majorité du capital ?

M. Thomas Anargyros. Mediawan – je pense que la question s’adresse en grande partie à nous – est un groupe français : c’est une réalité juridique qui a été confirmée par le CNC et l’Autorité de la concurrence. Nous sommes une entreprise française, sous un contrôle français, qui est entre les mains de nos trois cofondateurs, Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, qui paient leurs impôts en France, comme Mediawan. Nous avons fait le choix, il y a trois ans, de sortir de la Bourse et de faire appel à des investisseurs identifiés, parce que nous voulions renforcer le contrôle exercé par les trois cofondateurs et donner à la création française et européenne les moyens de ses ambitions. Des financements sont alors venus du monde entier – des États-Unis, d’Europe et de fonds français. Tout ce que nous gagnons est investi dans la création – rien n’est reversé aux actionnaires. Tout est mis au service des talents et du rayonnement de la culture française.

Le système de contrôle que je viens d’évoquer est, de notre point de vue, extrêmement vertueux. Nous y croyons beaucoup, et chacun peut constater son succès. Par ailleurs, notre stratégie est totalement cohérente avec les combats menés par le groupe : Mediawan a été très actif dans ceux visant à faire participer les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) américaines à l’exception culturelle française, à maintenir un équilibre entre les producteurs et les diffuseurs, à protéger la propriété intellectuelle des œuvres, à maintenir des systèmes d’aide vertueux et attractifs pour la profession et à investir dans le déploiement, en France, de formations et de studios attractifs pour l’ensemble de la profession et de l’écosystème.

Mediawan a la chance d’avoir des investisseurs de premier plan. Notre actionnariat est essentiellement constitué du fonds d’investissement KKR, de BPIFrance, c’est-à-dire l’État, de la Mutuelle d’assurance du corps de santé français (MACSF), de nos trois cofondateurs et de certains producteurs du groupe. Je n’ai pas les proportions exactes en tête, mais nous respectons à 100 % la législation française et l’activité du groupe Mediawan est extrêmement positive pour la création et l’écosystème de la production en France.

M. Jean-Jacques Gaultier (LR). Je me réjouis de ces précisions. Il était important que vous puissiez les apporter, car de telles questions sont souvent posées quand on parle de la production indépendante et en particulier de Mediawan. Nous sommes fiers d’avoir des champions français.

Les programmes de flux ont souvent de gros succès d’audience – selon certains chiffres, ils représentent 40 % de l’audience et 30 % de l’offre. Comme il n’y a pas d’aide du CNC, en l’absence de valeur patrimoniale, comment éviter une baisse des investissements dans les programmes de flux du côté des éditeurs ?

M. Guillaume Charles. C’est aussi une question d’offre. Les grands groupes ont diffusé des séries américaines pendant un certain temps, puis ces produits ont connu une raréfaction, parce que des acteurs mondiaux qui ont des plateformes de distribution directe ont émergé. Énormément de créations françaises et de flux ont alors vu le jour. M6, par exemple, diffuse plus de flux et de magazines d’information qu’il y a quatre ou cinq ans. On ne sent pas une baisse de la demande du côté des chaînes. Les plateformes, quant à elles, ont fait beaucoup de fiction, mais leur prochain mouvement concerne le flux. Un programme tel que « Popstars », qui a fait les beaux jours de M6, sera prochainement sur une plateforme américaine qui fait aussi de la distribution. La concurrence va aussi se développer en matière de flux, et nous aurons donc à résister dans ce domaine.

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je vous remercie d’avoir souligné que le secteur du flux est davantage en risque que celui de la fiction, car, à la différence de ce dernier, il n’est pas protégé. La production de flux est certes moins onéreuse, même si les investissements restent conséquents, et plus rapide que celle de fiction – ce qui explique l’intérêt des chaînes linéaires et des streamers –, mais les négociations avec nos camarades historiques des chaînes linéaires restent difficiles. Le rapport de force est en effet largement en leur faveur puisque, d’une part, les prix de vente n’augmentent pas alors que nous assumons seuls l’inflation, notamment due à l’augmentation des rémunérations des techniciens, dont nous sommes solidaires, et que, d’autre part, nous nous sommes alignés verticalement sur une extension des droits – que ce soit pour l’AVOD (Advertising video on demand – vidéo à la demande financée par la publicité), la SVOD (Subscription video on demand – vidéo à la demande par abonnement) ou la FAST (Free ad supported TV – télévision gratuite financée par la publicité) – sans que cette extension ne soit accompagnée automatiquement de rémunérations complémentaires.

La baisse de nos marges sur les flux est donc très forte avec les chaînes historiques, mais elle l’est également avec les streamers. Leur mode de fonctionnement particulier leur permet en effet de capter l’intégralité des droits. Ils considèrent qu’en relançant la production d’un programme, ils deviennent propriétaires des droits de propriété intellectuelle, à moins qu’il s’agisse de marques qui les ont précédés, comme « Popstars », ou d’un groupe puissant comme le nôtre qui est parvenu à garder ses droits. Toutefois, le cas le plus courant est celui où les streamers captent l’intégralité des droits puisque les producteurs ne sont pas protégés par leurs engagements en faveur de la production indépendante. Dans ce cas, la rémunération est fixe et s’établit au maximum à 10 % du prix de production, avec de nombreuses exclusions. Ce montant est correct mais, pour certaines sociétés, il couvre à peine les frais généraux. Le flux peut ainsi devenir une variable d’ajustement, ce qui arrive par exemple lorsque l’équipe de France est éliminée d’une coupe du monde : les droits sportifs sont tellement élevés que c’est le flux qui paye l’addition afin que la chaîne puisse respecter ses engagements sur la fiction.

M. le président Quentin Bataillon. Ce débat intéresse tout particulièrement l’administrateur du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) que je suis.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je voudrais reprendre le fil de ma question sur la représentativité des classes sociales. Madame Laroche-Joubert, vous avez donné l’exemple de différents programmes – « Miss France », « Les Marseillais », « Koh Lanta » – mettant en scène des participants des classes populaires. Ces émissions ne véhiculent-elles pas une vision un peu stéréotypée ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je n’ai pas donné l’exemples des « Marseillais », car ce programme n’est plus diffusé. J’ai le sentiment que vous voulez évoquer la téléréalité. J’entends souvent des reproches sur la représentation des femmes et le sexisme dans la téléréalité alors que les femmes y sont ultrapuissantes. Leur participation relève de leur choix et, souvent, elles deviennent des héroïnes qui gagnent très bien leur vie et qui parlent haut et fort. Elles sont tout aussi respectables que les femmes qui participent à d’autres programmes. C’est important de le souligner en réponse à ceux qui les victimisent ou les rabaissent. Le mouvement de la téléréalité, que j’ai commencé il y a vingt ans, a contribué à la représentativité d’une jeunesse qui déserte la télévision. Nous travaillons beaucoup avec nos camarades de W9 du groupe M6 sur des programmes qui s’adressent à ce public.

M. Guillaume Charles. Les magazines d’information et les documentaires nous permettent de parler de toutes les France, et pas seulement les CSP+, et de mettre en lumière certains problèmes de société. Je vous invite par exemple à regarder ce dimanche le magazine « Zone interdite » intitulé « Employés, précaires et fonctionnaires : la France qui travaille mais qui galère ».

Mme Alexia Laroche-Joubert. Il s’agit pour moi d’un combat personnel. J’ai récemment signé la charte Stop au sexisme et je suis membre de Pour les femmes dans les médias (PFDM). J’ajoute que depuis mon arrivée, j’ai nommé deux femmes à la tête de sociétés du groupe ; que j’ai supprimé quasiment tous les critères de sélection de Miss France ; que presque autant de femmes que d’hommes ont gagné « Koh Lanta » ­– y compris une femme de plus de 50 ans ; que c’est une femme, Elisabeth Quin, qui est aux manettes de l’émission « 28 minutes » ; que nous avons accompagné Hélène Mannarino pour son premier prime time, que nous sommes un des rares producteurs à faire travailler une femme, Patricia Rimond des Anges, sur des prime time en multicam pour « Fort Boyard » et « La carte aux trésors ».

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je salue votre volontarisme dans le domaine de la représentation des femmes, ainsi que les résultats que vous avez obtenus. J’espère qu’un jour, vous ferez preuve du même volontarisme dans le domaine de la représentation de l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, et pas seulement des CSP+.

M. Thomas Anargyros. La représentativité est une question importante et nous avons encore du travail à faire, surtout dans la fiction et le cinéma, moins dans le documentaire. Toutefois, je ne suis pas sûr qu’une chaîne de télévision doive imposer tel ou tel sujet pour les programmes de création. Représentativité et création ne doivent pas forcément être mélangées.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Vos programmes, et principalement vos émissions de téléréalité, sont-ils scriptés ou scénarisés ? Par exemple, identifiez-vous des profils qui rendraient l’émission plus rentable si les candidats y correspondant gagnaient ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. La téléréalité existe en France depuis 2001 et, aujourd’hui, il en existe différents types – enfermement, factual entertainment ou suivi d’une personne, ou même un programme comme « Une saison au zoo », produit sur le service public. Non, nous ne scénarisons pas. Le propre de la téléréalité est de transposer une réalité à la télévision. Les participants, en général, ne se connaissent pas et ne sont pas des comédiens. Aucun scénariste n’écrit de dialogues ou de rebondissements. Pour certains programmes de téléréalité très spécifiques, comme les jeux d’aventure, nous prévoyons des stimuli : nous créons des situations auxquelles les personnes réagiront, sans savoir comment puisqu’elles sont complètement libres de leurs pensées, de leurs mouvements et de leurs actions.

M. Thomas Anargyros.  Nous ne produisons pas de téléréalité.

M. Fabrice Bailly. Aucun programme de flux n’est scripté sur TF1. Je rejoins les propos d’Alexia Laroche-Joubert.

Mme Alexia Laroche-Joubert. Le respect de l’équité pour un jeu d’aventure comme « Koh Lanta », qui en est à sa vingt-quatrième édition, est essentiel. Nous ne savons pas qui va gagner au moment où les candidats débarquent sur l’île. Cette émission est tellement scrutée qu’une éventuelle manipulation de l’éditeur ou du producteur aurait déjà été révélée.

M. Guillaume Charles. Les émissions de jeu, comme « Pékin Express », sont encadrées par un règlement dont l’application est contrôlée par un huissier et dont nous sommes très respectueux. Il n’y a ni script ni manipulation.

Mme Alexia Laroche-Joubert. Le propre de ce genre de programme est la surprise : le téléspectateur, tout comme nous, doit être surpris lorsque le gagnant est annoncé. Il n’existe aucun intérêt économique à manipuler le jeu.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Si l’éditeur d’une des émissions que vous produisez fait l’objet de remontrances de la part de l’Arcom, comment en êtes-vous informés ? Quels échanges ces remontrances peuvent-elles susciter ?

M. Thomas Anargyros. Nous n’en avons pas l’expérience, je ne peux donc pas vous répondre.

M. Fabrice Bailly. TF1 Production n’a connu qu’une seule intervention de l’Arcom qui est intervenue en 2023 à propos de l’émission « 90’ Enquêtes », dans laquelle une personne s’était reconnue alors que son visage était flouté. Aucune sanction ni mise en demeure ne nous a été adressée, mais nous avons renforcé les mesures de floutage pour les prochaines diffusions.

Mme Alexia Laroche-Joubert. Nous avons connu quelques interventions, pour « Touche pas à mon poste ! » (TPMP), ainsi que pour « Fort Boyard », en 2017, à propos de la cellule capitonnée – que nous avons retirée – et pour « Lego Masters », concernant l’utilisation du terme « Lego ».

M. Guillaume Charles. Les sociétés internes de production de M6 n’ont fait l’objet d’aucune mise en garde ou mise en demeure l’an dernier. Studio 89 n’en a pas connu depuis 2018. C’est sans doute le résultat de nos efforts de maîtrise éditoriale. Lorsque l’Arcom intervient, nous mettons en place, en tant que diffuseur, un dialogue avec la société de production afin d’apporter les modifications nécessaires, qui peuvent porter sur le mode de production ou sur le programme lui-même. Ces actions correctives sont menées rapidement.

Mme Élodie Bernard. Nous n’avons, à notre connaissance, reçu aucune mise en garde ou mise en demeure.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Madame Laroche-Joubert, je me permets de vous relancer : quels échanges les remontrances de l’Arcom ont-elles suscités entre l’éditeur et vous ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je ne peux vous parler que de « Fort Boyard », car j’étais à la tête de la société qui produit l’émission. Nous avons eu des échanges avec France Télévisions à la suite desquels nous avons décidé de retirer la cellule afin de ne pas choquer certaines associations, qui y voyaient une signification qui n’était pas celle à laquelle nous avions pensé.

M. Guillaume Charles. Concernant « Lego Masters », le logo a été changé et le mot « Lego », bien qu’appartenant au langage courant, n’apparaît que dans le titre et a été remplacé dans le programme par le mot « brique » afin d’éviter toute confusion.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je vais prendre un exemple plus précis : après que Cyril Hanouna s’en fut pris à un député dans « Touche pas à mon poste ! », la chaîne C8 a été condamnée à 3 millions d’amende – un record. Quelles réactions cette amende a-t-elle suscitées chez vous ? Une procédure a-t-elle été mise en place pour éviter que cela ne se reproduise ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je n’étais pas en poste à l’époque. L’Arcom condamne un éditeur, qui doit s’acquitter des sommes à payer. J’ignore la teneur des échanges entre la chaîne et le producteur H2O à la suite de cette condamnation.

Depuis ma nomination, je n’ai connu aucune alerte ou intervention de l’Arcom. Quant à Cyril Hanouna, je remarque que ses prises de position sur les événements du 7 octobre 2023 ont été saluées. Son émission accueille désormais des personnes comme Ségolène Royal ou Pascale de la Tour du Pin, ainsi que plusieurs autres, toutes respectées et dont certaines sont titulaires d’une carte de presse.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Vous confirmez donc qu’aucune procédure particulière n’a été mise en place par la production pour s’assurer que cela ne se reproduise pas ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je vous répondrai de façon plus générale sur la relation entre l’éditeur et le producteur concernant le respect de la réglementation. Pour les productions enregistrées, nous travaillons en concertation avec les éditeurs et leur service dédié lors de toutes les étapes – développement éditorial, tournage et postproduction. Pour les productions diffusées en direct, nous plaçons quelqu’un, souvent en régie de la chaîne, pour s’assurer du respect de la réglementation.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Comment réagiriez-vous si un cas semblable à celui des faux policiers de la brigade de répression de l’action violente motorisée (Brav-M) se posait à vous ? Quelles sanctions envisageriez-vous ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je n’ai pas à m’exprimer sur un cas survenu alors que je n’étais pas à la tête de la société. Le producteur s’est déjà largement exprimé – cela a été raconté sur France Télévisions.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Au risque d’être désagréable, je vous rappelle que vous avez prêté serment de dire la vérité, y compris en réponse aux questions que vous ne jugeriez pas pertinentes. Vous êtes en responsabilité : quelles sanctions prendriez-vous si un tel cas se reproduisait ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je laisserais à l’Arcom le soin de prononcer des sanctions et j’essaierais de comprendre le pourquoi du comment. Le producteur s’est excusé et aucun événement similaire ne s’est reproduit depuis.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Disposez-vous d’éléments matériels qui vous laissent penser qu’une procédure robuste a été mise en place afin d’éviter ce genre d’erreur – si c’est une erreur ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Les équipes à la tête de TPMP sont très conscientes de la nécessité de vérifier les informations. Elles ont probablement été induites en erreur. Je rappelle que le travail se fait main dans la main avec l’éditeur de programmes : des personnes suivent les sujets traités, en amont et pendant le direct. Il y a donc peu de raison que cela se reproduise.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Est-ce que vos contrats avec les éditeurs comportent des dispositions leur permettant de se retourner contre vous dans un cas comme celui-ci, où une amende de 3 millions – une somme importante même pour une chaîne de télévision – a été prononcée ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Nos contrats prévoient un engagement à respecter la réglementation en vigueur, mais, à ma connaissance, ils ne contiennent pas de telles dispositions. Les chaînes sont responsables de leur antenne.

M. Guillaume Charles. Cela peut être inclus dans les clauses sur l’exploitation paisible et le respect de la réglementation. En tant qu’éditeur, nous devons être en mesure de diffuser un programme dans des conditions satisfaisantes. Nous assumons notre responsabilité. Comme tous les grands groupes, des comités de visionnage et un service juridique vérifient en amont les productions qui nous sont fournies et il existe de nombreux modes de contrôle, pour la signalétique, les questions juridiques ou d’identité.

M. Fabrice Bailly. Une équipe de conformité « antenne » s'assure que les programmes respectent toutes les contraintes en matière de protection du public et d’éthique. Elle est également chargée d’appliquer aux programmes la signalétique adaptée et travaille en étroite collaboration avec les sociétés de production, dès le début des projets et jusqu'à la diffusion, pour garantir, éclairée par les avis et les recommandations de l’Arcom, que les règles de protection édictées par cette dernière dans les conventions avec les chaînes soient respectées.

Mme Alexia Laroche-Joubert. L’échange avec les éditeurs est constant et régulier. Nous réalisons avec eux un travail quotidien, par exemple pour flouter ou retirer des plans.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Madame Bernard, je voudrais revenir sur une séquence, qui avait fait beaucoup réagir, au cours de laquelle deux influenceuses avaient été stigmatisées de façon sexiste en raison de leurs prises de position sur la réforme des retraites en février 2023. Comment a réagi la maison de production ?

Mme Élodie Bernard. Nous n’avons reçu aucune mise en demeure concernant cette séquence.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Je vous ai interrogée sur les réactions suscitées par cette séquence.

Mme Élodie Bernard. Je ne fais pas partie de la rédaction. Ils en ont sans doute discuté, mais je ne connais pas la teneur de ces discussions.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Il est intéressant de constater, s’agissant surtout d’une société de production qui a pour ambition d’avoir un fort impact social, qu’en dehors d’une éventuelle saisine de l’Arcom, elle ne se penche pas sur des cas comme celui-ci. C’est dommage

Les téléspectateurs ont le sentiment de voir des programmes qui se ressemblent tous, ce que les chercheurs que nous avons auditionnés corroborent en l’expliquant par la nécessité pour les sociétés de production de réaliser des investissements sans risque. Avez-vous l’impression de participer à l’homogénéisation des programmes ou, au contraire, à leur diversification ?

M. Thomas Anargyros. Le fonctionnement du système audiovisuel veut que ce sont les éditeurs de services linéaires et non linéaires qui décident quels programmes parmi ceux proposés par les producteurs seront diffusés. Nous ne déterminons pas leur ligne éditoriale.

Par ailleurs, je n’ai pas connaissance des éléments fournis par les chercheurs que vous avez auditionnés, mais j’observe que la diversité des programmes a été multipliée par cent en vingt ans – certes peut-être pas toujours pour le meilleur.

M. Fabrice Bailly. Le téléspectateur dispose aujourd’hui d’une « hyper-offre », qui se développe encore davantage avec l’arrivée des plateformes numériques : jamais autant de contenus inédits ont été produits chaque année en France.

Le groupe TF1 cherche une très forte complémentarité entre ses chaînes afin d’offrir des programmes très différents à chaque moment de la journée. Ainsi, vendredi soir dernier, nous diffusions un divertissement sur TF1, une fiction française inédite sur TMC, un documentaire inédit sur TFX et une série américaine sur TF1 Séries Films. En avant-soirée, nous diffusons de la fiction française sur TF1, « Quotidien » sur TMC, un jeu réalité sur TFX et une série américaine sur TF1 Séries Films.

M. Aurélien Saintoul, rapporteur. Les contrats vous liant aux éditeurs contiennent-ils des clauses sociales – par exemple sur le nombre d’intermittents, le montant des salaires, le nombre de personnes présentes sur le plateau ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Il y a des clauses contractuelles et des clauses réglementaires, mais, en tant qu’entreprise privée, nous sommes maîtres d’œuvre et produisons des programmes dans les meilleures conditions. Le service public audite nos comptes et dispose à ce titre de nombreuses informations, mais cet audit intervient après la phase de production.

Nous respectons une grille des salaires, qui est actuellement en discussion, et nous payons d’ailleurs, dans certains secteurs comme le flux, au-delà des minima. Cela ne relève pas d’une demande de l’éditeur. Il s’agit de respecter le droit du travail et ses règles.

M. Thomas Anargyros. L’ensemble des acteurs respectent le cadre très précis du droit du travail et des conventions collectives.

M. le président Quentin Bataillon. Avez-vous quelque chose à ajouter en guise de conclusion ?

Mme Alexia Laroche-Joubert. Je voudrais vous faire part des préconisations auxquelles nous avons réfléchi au sein de Banijay. Il nous semble important que vous contribuiez à un écosystème qui protège la création. L’enjeu pour nous tous est de préserver la création française face à la puissance de la culture anglo-saxonne. Il faut favoriser la protection des droits des producteurs, car ce sont eux qui supportent la création et le développement. Je le rappelle, pour vingt ou trente projets développés, deux au maximum iront à l’antenne. Il est également important de reconsidérer le flux, qui est vu trop souvent comme le parent pauvre du secteur : il est porteur de créations exportables, participe au tissu économique – nous engageons 52 000 intermittents par an – et contribue à la représentation réelle de la société. Au moment de la pamdémie liée à la Covid-19, le flux a été le premier employeur d’intermittents et a contribué à proposer de l’évasion aux téléspectateurs alors confinés chez eux. Il faut préserver la belle représentativité des programmes et le pluralisme éditorial en favorisant la diversité des éditeurs et la stabilité de ceux qui existent. N’oublions pas, pour conclure, que notre métier est un métier d’industriel qui demande des investissements considérables sur le long terme.

M. Thomas Anargyros. J’ai parlé de nos préconisations dans mon propos liminaire.

M. le président Quentin Bataillon. Mesdames, messieurs, nous vous remercions. Vous pourrez nous transmettre tous les documents que vous jugerez utiles.

 

La séance s’achève à dix-huit heures quarante.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Quentin Bataillon, M. Philippe Frei, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Saintoul, Mme Sophie Taillé-Polian

Excusé. – M. Ian Boucard