Compte rendu
Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Eva Boyer et de M. Mathias Prat, société Biotope SA. 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Thomas, ingénieur écologue. 14
– Présences en réunion................................29
Mercredi 13 mars 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 5
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Huguette Tiegna,
Vice-présidente de la commission
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La séance est ouverte à quinze heures trente-cinq.
La commission auditionne Mme Eva Boyer et M. Mathias Prat, société Biotope SA.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Chers collègues, j’ouvre la réunion de notre commission d’enquête. Notre président, Jean Terlier, vous prie de l’excuser de ne pas pouvoir la présider cette semaine.
Nous poursuivons le cycle de nos auditions consacrées au volet environnemental du chantier de l’A69. Je souhaite la bienvenue aux deux collaborateurs de la société Biotope, madame Éva Boyer, responsable de la société pour la région Occitanie, et monsieur Mathias Prat, directeur technique.
Madame, monsieur, l’objet de notre commission d’enquête est d’examiner le montage juridique et financier de l’autoroute A69. Cet objet nous conduit à examiner les documents annexes à la convention de concession signée entre l’État et Atosca. Votre société a conduit pour le compte d’Atosca les études visant à l’évaluation écologique du projet d’A69, et visant à prévenir et compenser les impacts du projet, ce qui explique votre présence devant nous aujourd’hui.
Avant de commencer, je rappelle que notre audition est publique, et qu’elle est retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Éva Boyer et M. Mathias Prat prêtent serment.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. La société Biotope a œuvré pour le compte du concessionnaire Atosca. Il apparaît que vous avez accompli un travail considérable, recensé dans un document d’un volume de plusieurs centaines de pages.
Je vous ai transmis un questionnaire préalablement à votre audition. Ce questionnaire pourra servir de trame, d’une part aux réponses que vous apporterez au cours de cette audition, et d’autre part aux réponses écrites que vous nous transmettrez à son issue. Il nous permet aussi d’évoquer la manière avec laquelle vous avez conduit vos études, et obtenu les résultats que vous avez transmis à Atosca.
Nous vous interrogerons en outre sur votre appréciation de ces résultats et des avis des différentes autorités - si vous en avez une. Je songe notamment à l’Autorité environnementale, ou encore au Conseil national de protection de la nature (CNPN).
Je souhaite également soulever un point au travers de cette audition. Je ne tiens pas à ce que nous nous limitions à ce sujet, mais il mobilise de nombreuses personnes actuellement. Le concessionnaire a centré sa communication sur le principe selon lequel cinq arbres seraient plantés pour un arbre abattu.
Après avoir mené des recherches conséquentes sur ce sujet, je découvre que cette déclaration relève uniquement d’une stratégie de communication. De mon point de vue, elle ne repose sur aucune assise juridique. Ce point est important, dans la mesure où cette communication a été reprise par de très nombreux médias, des élus locaux, des élus nationaux et même par un ministre. Il est donc très important que nous puissions lever toute ambiguïté sur ce sujet. L’étude des documents démontre que la compensation repose sur la notion de surface arborée, et non pas sur le nombre d’arbres abattus puis replantés.
En outre, l’arrêté départemental du 2 mars 2023 portant autorisation environnementale au titre de l’article L.181-1 du code de l’environnement de la mise à 2×2 voies de l’A680 entre Castelmaurou et Verfeil évoque également des formules compensatoires, utilisant une formule sur laquelle nous pourrons revenir. L’utilisation d’un argument aussi ténu par le concessionnaire, et qui ne me semble pas avéré juridiquement, démontre pour plusieurs d’entre nous la fragilité de ce dossier dans son volet environnemental. Nous pourrons donc évoquer ce point.
M. Mathias Prat, société Biotope SA. En tant que directeur des opérations de Biotope, j’assume un rôle au niveau national. Dans le cadre de ce projet, j’accompagne les équipes locales sur l’ensemble des sujets relatifs à la satisfaction du client, à la qualité, au respect des standards et à la sécurité.
Mme Éva Boyer, société Biotope SA. Au titre de responsable d’agence, j’ai participé en partie à la rédaction de certaines études consacrées à ce projet. J’ai également accompagné des équipes dans l’élaboration du dossier.
Dans un premier temps, nous souhaitons vous présenter la société Biotope, ses structures, ses domaines d’activité, son histoire, les études qu’elle mène et la portée de ses actions. Dans un deuxième temps, nous reviendrons sur le déroulement de notre intervention sur le projet de l’A69.
Biotope est une société de conseil en ingénierie écologique et de conservation de la nature. Elle a été créée en 1993 par quatre personnes passionnées d’écologie. Aujourd’hui, elle occupe la première position en Europe dans le domaine de l’ingénierie écologique. La société Biotope regroupe 25 agences en France métropolitaine. Elle est également implantée dans plusieurs pays et sur plusieurs continents (Afrique, Asie et Amérique du Sud). Aujourd’hui, près de 800 collaborateurs de Biotope sont répartis à travers le monde.
Notre métier est assez varié. Nous proposons des services diversifiés sur le thème de la biodiversité et de la nature. Ces services pourraient être classés en quatre grandes catégories. La première regroupe les études d’impacts sur l’environnement. Il s’agit précisément du type d’étude que nous avons menée pour le dossier de l’A69. La deuxième concerne les enjeux de gestion des espaces naturels et des aires protégées. La troisième porte sur le conseil stratégique aux entreprises en matière de biodiversité et de climat. La quatrième catégorie recouvre des missions d’assistance aux politiques publiques des collectivités ou des pays.
Outre nos activités de bureau d’étude, nous réalisons également des actions de communication, d’édition (principalement de livres naturalistes), de formations externes, et nous développons de nouvelles technologies. À titre d’exemple, nous travaillons sur la surveillance et le contrôle de la biodiversité et de l’eau.
Biotope œuvre pour tous les secteurs économiques, publics et privés. Nous intervenons d’une part auprès d’entreprises du domaine des transports, de l’énergie, de la construction, de l’agriculture ou encore du tourisme. D’autre part, nous travaillons avec des collectivités territoriales, les services de l’État, la Banque publique de développement, des agences gouvernementales ou encore des organisations non gouvernementales.
L’intégralité du capital de Biotope est détenue par ses salariés. Cette spécificité nous confère une totale indépendance, qui est un pilier fondamental de notre identité. Nos équipes sont composées de spécialistes hautement qualifiés, qui travaillent en étroite collaboration avec les acteurs locaux, les entreprises et les autorités publiques. Cette collaboration vise à une véritable prise en compte de la biodiversité dans les projets et les politiques publiques.
Pour être plus proches de nos clients et acquérir une connaissance fine des territoires que nous devons étudier, nous pouvons nous appuyer sur un réseau de 25 agences réparties en France métropolitaine. Nous pouvons également nous appuyer sur toutes les compétences naturalistes requises. Nous travaillons à la fois sur les impacts des projets d’aménagement et sur la gestion et la conservation de la nature.
À titre personnel, j’ai été chef de projet avant d’occuper un rôle de responsable d’agence. J’ai travaillé sur des études d’impact et sur des sujets plus institutionnels, par exemple sur le schéma départemental des espèces naturelles sensibles d’un département. J’ai également mené une étude prospective d’adaptation au changement climatique.
Biotope est aujourd’hui un des plus gros contributeurs de données naturalistes en France. En 2023, 400 000 données ont par exemple été collectées et transmises au muséum national d’histoire naturelle. Le muséum les a ensuite renvoyées vers des bases de données d’envergure mondiale, notamment vers celle de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services – IPBES). En matière de biodiversité, l’IPBES est l’équivalent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce partage de données vise à favoriser la connaissance, ce qui de notre point constitue la première étape indispensable à la protection de la biodiversité.
Nous sommes pleinement conscients des défis environnementaux auxquels nous sommes tous confrontés, et de notre responsabilité dans la recherche de solutions et la réalisation d’expertises. C’est pourquoi nous nous engageons en toute transparence pour une amélioration continue de nos méthodes de travail, dans le respect des réglementations les plus strictes en matière d’environnement. Concrètement, nous mettons en place une veille réglementaire pour être tenus informés des dernières réglementations et jurisprudences. Nous mettons en place des cycles de formation et des outils à la disposition de nos équipes, afin qu’elles puissent être le plus à jour possible sur les méthodologies qu’elles utilisent quotidiennement.
La société Biotope étant intégralement détenue par ses salariés, chaque décision qu’elle prend lui appartient. Une de ses principales missions consiste à évaluer les impacts environnementaux des projets qui lui sont confiés, qu’ils le soient par des entités privées ou publiques. Sa diversité de clientèle témoigne de sa capacité à fournir des analyses objectives, qui sont essentielles pour une évaluation précise de chaque projet. Notre indépendance est le fondement de notre crédibilité. Sans elle, notre capacité à réaliser des évaluations impartiales serait compromise.
Il est essentiel de comprendre que, conformément à la réglementation française, la prise en charge financière des études environnementales est assumée par le porteur de projet. Cette obligation légale ne minimise en aucun cas l’intégrité de notre travail. Biotope s’assure que chaque projet d’aménagement est évalué avec la même intention, le même professionnalisme, et indépendamment de son commanditaire.
Les porteurs de projet, nos clients, nous commandent des études. Il leur appartient ensuite d’appliquer ou non nos recommandations. S’ils les retiennent, ils les présentent alors au service instructeur qui les analyse. Nos clients choisissent de retenir ou non les demandes des services de l’État, en fonction de paramètres qui leur sont propres. Nous ne sommes donc pas décisionnaires.
Notre rôle se limite à évaluer les impacts d’un aménagement sur la biodiversité, et non pas de juger la valeur globale de ces derniers. Plus largement, notre rôle ne consiste pas à évaluer l’intérêt d’un projet. Cette approche nous permet de rester concentrés sur notre objectif : fournir des analyses précises et fiables, qui soient les plus robustes en fonction des moyens alloués, afin d’alimenter la réflexion et de permettre une prise de décision la plus éclairée possible. Autrement dit, notre rôle est de fournir au service de l’État ou à la société civile des éléments permettant aux décideurs de déterminer la suite d’un aménagement.
Notre position s’appuie sur la rigueur scientifique et l’impartialité. Ces principes guident chacune de nos études. Pour conclure sur cette présentation générale, nous vous demandons solennellement de n’instrumentaliser ni le travail de Biotope ni les éléments que nous apporterons aujourd’hui en répondant à vos questions.
Je souhaite à présent évoquer l’intervention de Biotope sur le projet de l’A69. Vers 2012, nous sommes intervenus dès les premières étapes du projet, c’est-à-dire lors des travaux préalables à la déclaration d’utilité publique (DUP). À cette date, une étude d’impact avait été menée pour caractériser cette DUP. Nous avons alors été missionnés par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) d’Occitanie pour réaliser les inventaires faune-flore, en même temps que les bureaux d’étude Asconit et Écotone.
Les inventaires ont été réalisés entre 2012 et 2015. Egis-environnement était alors chargé de la réalisation de l’étude d’impact global, et de l’assemblage des différents rapports d’expertises. La DUP a ensuite été publiée en 2018. En 2020, Biotope a été sollicitée par la société NGE Guintoli. Atosca est fréquemment évoqué dans ce dossier. Néanmoins, Biotope a plutôt été missionnée par NGE Guintoli, qui est le constructeur. Bien qu’il s’agisse sensiblement des mêmes personnes, Atosca n’était pas notre client.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Pouvez-vous préciser la date à laquelle vous avez été missionnés par NGE Guintoli ?
M. Mathias Prat. L’entreprise NGE Guintoli nous a missionnés lorsqu’elle a commencé à constituer un dossier de candidature au marché de construction-concession.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. J’aimerais connaître précisément cette date.
Mme Éva Boyer. Nous ne sommes pas en mesure de vous la transmettre aujourd’hui.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je vous remercie de nous la communiquer ultérieurement.
Mme Éva Boyer. NGE Guintoli nous a contactés en 2020 dans le cadre de sa candidature au marché de construction et de concession. Cette entreprise souhaitait conduire des inventaires de faune et de flore complets avant d’être retenue, afin de gagner du temps sur la constitution des actions d’ordre réglementaire. Biotope a alors été désignée pour réaliser ces inventaires.
NGE Guintoli nous a également sollicités pour appuyer sa candidature sur des sujets plus généraux. Nous avons été invités à élaborer une prédéfinition des besoins compensatoires, ainsi qu’une définition des premières mesures « Éviter, Réduire, Compenser » (mesures ERC, destinées à être mise en place dans la construction des dossiers réglementaires). Pendant cette phase préalable de cadrage, Biotope a produit pour NGE de nombreuses notes consacrées à différentes thématiques.
Cette phase de conseil a notamment conduit à la mise en œuvre d’une campagne complémentaire de sondages de délimitation des zones humides. Plus d’une centaine de sondages supplémentaires ont alors été réalisés au mois de mai 2021. En octobre 2021, NGE Guintoli a été retenu par l’État. Le constructeur a donc engagé les phases suivantes des dossiers réglementaires, et il a sollicité Biotope pour la rédaction de l’état initial issu de l’inventaire. Parmi ces dossiers se trouvaient le dossier « dérogations espèces protégées », le volet naturel de l’étude d’impact, le dossier « loi sur l’eau, partie zones humides » et le dossier « défrichement ».
Il est important de comprendre que l’élaboration de ces dossiers n’a pas été réalisée en vase clos par Biotope et NGE Guintoli. Les échanges avec les services de l’État ont été nombreux. Des réunions thématiques consacrées à chaque dossier et à chaque sujet ont été organisées avec la direction départementale des territoires (DDT) du Tarn et la Dreal Occitanie. Ces réunions, qui se sont tenues à l’automne 2021, visaient à consolider l’expertise et l’analyse présentée dans ces dossiers. Elles visaient également à procéder à un point avec les services de l’État sur les inventaires naturalistes, afin de déterminer s’ils étaient suffisamment complets.
Une première version des dossiers réglementaires a été déposée au mois de janvier 2022. Les retours de la DDT et de la Dreal sur cette version nous ont conduits à en proposer une deuxième en mars 2022. Des visites de terrain ont été organisées en avril 2022 avec la DDT et l’Office français de la Biodiversité (OFB). Ces visites consacrées à la faune, à la flore et aux zones humides ont conduit la DDT et l’OFB à identifier un besoin de sondages supplémentaires en zone humide. Il est également apparu nécessaire de réaliser des études complémentaires sur certains groupes faunistiques, notamment les oiseaux.
À titre d’information, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) demande au titre de la compensation une équivalence fonctionnelle ou surfacique, avec un rapport de 150 %. Or, la DDT a demandé au constructeur de remplir ces deux critères à la fois. Cette demande a ensuite été incluse dans la construction de la stratégie compensatoire.
Au mois de mai 2022, les avis officiels de la DDT, des commissions locales de l’eau (CLE), de l’OFB et de la Dreal ont été communiqués. Une nouvelle version du dossier a donc été produite au mois de juin 2022. En juin 2022 également, l’OFB, la DDT et la Dreal nous ont transmis un deuxième avis. La dernière version des dossiers a donc été produite au mois d’août 2022. L’avis de l’Autorité environnementale et celui du Conseil national de protection de la nature (CNPN) ont été réceptionnés en septembre et octobre 2022. NGE Guintoli a préparé des éléments de réponses, avec une contribution de Biotope pour les sujets de faune, de flore et de zones humides. Ces éléments étaient alors destinés à répondre aux questions et remarques des différentes entités.
En synthèse, ce résumé vise à expliquer que dès le départ, les expertises ont fait l’objet d’un cadrage réglementaire et méthodologique avec les services de l’État. Pendant tout le délai de rédaction des études, ceux-ci ont exprimé leurs attentes. Chaque étape a donc été menée en étroite collaboration avec ces services, qui ont partagé leur avis et validé chaque étape. In fine, des études portant sur des projets d’une telle ampleur doivent nécessairement être conduites selon cette méthode. Chaque étape doit faire l’objet d’une validation par les services de l’État.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. J’aimerais obtenir une réponse à ma question sur la communication du concessionnaire. Celui-ci a indiqué que cinq arbres seraient replantés pour chaque arbre abattu. Comment évaluez-vous les capacités de captation du carbone d’un jeune arbre par rapport à un arbre plus ancien ? En outre, quelle est la réalité juridique et financière du remplacement des arbres abattus ? Quelles sont les compensations prévues ? Enfin, disposez-vous de la maîtrise foncière de ces zones de compensation ?
Je vous invite également à préciser vos propos avec un des points de l’arrêté départemental du 2 mars 2023, portant autorisation environnementale en application de l’article L.181-1 du code de l’environnement de la mise à 2×2 voies de l’A680 entre Castelmaurou et Verfeil. Dans son article 7-3 (mesures compensatoires), il est indiqué que « la présente autorisation est subordonnée au versement d’une indemnité forfaitaire arrondie à 24 797 euros, équivalente aux travaux de reboisement compensateurs au fonds stratégique de la forêt et du bois, avant le délai d’une année à compter de la notification de la présente autorisation ». Cette somme doit donc être versée au fonds de la forêt du bois.
Enfin, je souhaite revenir sur la question des zones humides, et plus particulièrement sur le sujet des jacinthes de Rome. Près du château de Scopont, une zone est entièrement consacrée à ces fleurs. Avez-vous évalué la manière par laquelle elles seront véritablement protégées ? Avez-vous notamment évalué comment elles seront alimentées en eau ? Quels sont vos constats sur ce sujet ?
Mme Éva Boyer. Nous ne maîtrisons pas la communication d’Atosca. Lorsque nous évaluons les impacts sur les espèces et leur habitat de vie, notre raisonnement se base sur la surface. Il ne repose donc pas sur le nombre d’arbres abattus ou replantés. Par conséquent, nous ne pouvons pas fournir aujourd’hui une estimation du nombre d’arbres abattus, ou du nombre d’arbres qui seront replantés, d’autant que les plantations recouvrent plusieurs sujets, notamment les zones de compensation, les espèces arboricoles et les plantations paysagères, sur lesquelles nous n’avons pas de visibilité.
Au total, la surface du milieu boisé impacté s’élève à un peu moins de 14 hectares. Cette notion de milieu boisée doit être comprise dans une acception assez large, puisqu’elle recouvre par exemple des haies arborées, des alignements d’arbres ou encore des boisements. Dans le même temps, la surface du milieu compensé atteint 67 hectares.
Par ailleurs, la question posée sur la maîtrise foncière doit être adressée à Atosca. Notre société n’est pas du tout positionnée sur ce sujet.
Enfin, lorsque nous estimons des impacts sur des habitats d’espèces, nous nous référons à la loi qui interdit la destruction des espèces protégées et de leurs habitats. Or, l’indemnité financière que vous avez évoquée est liée à la loi sur les dossiers de défrichement. La disposition relève du code forestier, et non pas du code de l’environnement. La surface considérée comme un boisement par le code forestier doit faire l’objet d’un dédommagement. Ce dédommagement se cumule à ce que nous avons identifié au titre d’habitat boisé et de support de vie d’une espèce.
M. Mathias Prat. Dans le cas d’un dossier de défrichement, le calcul de la compensation est automatique et il est défini par les administrations. Sur la base des surfaces impactées, il détermine un montant devant être directement reversé au fonds. Cette décision n’implique donc aucune intervention des bureaux d’étude.
Mme Éva Boyer. Dans les questionnaires que vous nous avez transmis, vous demandez pourquoi les espaces adjacents au château de Scopont n’ont pas été pris en considération dans nos études. Ils l’ont pourtant été. Nous avons évoqué ces prairies, et notamment celle consacrée aux jacinthes de Rome. Celle-ci est située plus au Sud de l’ouvrage. Or, nous avons identifié que la zone d’alimentation de la zone humide provient du Nord, et qu’elle pourrait potentiellement être coupée par l’autoroute.
Nous avons donc proposé des mesures de réduction, notamment la mise en place d’ouvrage de transparence hydraulique. Cette zone humide ne sera pas impactée directement, mais elle restera dans tous les cas alimentée en eau. Enfin, il me semble qu’un recours sur le fond est en cours sur ce sujet. Il appartiendra donc à la justice de rendre une décision ultérieurement.
M. Mathias Prat. Je confirme que cette zone humide a bien été prise en compte dans nos études et dans la démarche ERC. Elle n’est pas exposée à des impacts directs, mais à des impacts indirects. Des mesures de réduction ont donc été prises en considération pour maintenir l’alimentation de toute cette zone.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Je rappelle que les parlementaires ne sont pas compétents pour s’immiscer sur des sujets judiciaires en cours.
Je souhaite à présent lire les questions transmises par le président de la commission, monsieur Jean Terlier. Sa première question est la suivante : « Au-delà des différents volets environnementaux sur les zones humides, la faune et la flore, estimez-vous que, de manière globale, votre travail pour le compte d’Atosca permet au concessionnaire de disposer de toutes les informations d’ordre écologique dont il a besoin, et de largement atténuer et compenser les effets de l’autoroute A69 sur l’environnement ? ».
Monsieur Terlier m’a également transmis la question suivante : « Vous êtes-vous entretenus avec l’Autorité environnementale, l’OFB ou encore le Conseil national de protection de la nature, qui ont émis des avis très critiques à l’encontre des effets environnementaux du projet et des mesures proposées pour son atténuation ? »
Mme Éva Boyer. Nous estimons que les études menées depuis 2020 pour Atosca permettent de disposer d’une bonne estimation des impacts de l’autoroute sur les compartiments biologiques analysés (c’est-à-dire tous les groupes de faune, de flore et les zones humides). S’agissant de la deuxième question, nous avons produit un mémoire en réponse aux avis de l’Autorité environnementale, de l’OFB et du CNPN. En revanche, je ne crois pas que nous nous soyons entretenus directement avec les auteurs de ces notes. Certaines de leurs remarques ont conduit à la mise en œuvre d’expertises complémentaires. Celles-ci ont été indiquées dans les mémoires en réponse.
M. Mathias Prat. Les deux mémoires en réponse ont permis au service instructeur et aux préfets de rédiger les arrêtés préfectoraux d’autorisation environnementale. Ces deux mémoires ont donc permis d’enclencher la suite des processus. Sauf erreur de ma part, ils ont également été fournis à l’enquête publique avec l’ensemble du dossier.
Mme Éva Boyer. Ces mémoires sont effectivement inclus dans les annexes.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous avez constitué ces différents dossiers pendant l’automne 2021, c’est-à-dire pendant la négociation du contrat de concession. Avez-vous anticipé l’éventualité que cette négociation menée par l’État et Atosca n’aboutisse pas ?
M. Mathias Prat. Bien entendu. En outre, le risque lié à une telle éventualité pèse essentiellement sur le futur concessionnaire. En tant que prestataires de service, nous avons répondu à une demande de prestation. Nous aurions été intégralement rémunérés, indépendamment du résultat de ce marché.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). D’après vos propos, NGE a souhaité répondre à l’appel d’offres de concession avec une mise à jour complète de l’état des lieux. S’agissait-il d’une demande des services de l’État, ou au contraire d’une démarche volontaire de sa part ?
M. Mathias Prat. Je crois qu’il s’agissait d’un choix de NGE.
Mme Éva Boyer. NGE a choisi de lancer cette procédure en amont. Pour autant, les derniers inventaires dataient de plusieurs années. Par conséquent, de nouveaux inventaires auraient dû être mis en œuvre pour déposer une nouvelle étude d’impact et évaluer les enjeux.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). D’autres bureaux ont-ils été sollicités pour répondre à l’appel d’offres lancé en 2021 ?
Mme Éva Boyer. Certainement. Pour autant, nous ne sommes pas informés sur ce point.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Le 12 mars, nous avons auditionné un climatologue, un géographe, un économiste et un chercheur dans le domaine des transports. Ceux-ci ont rappelé l’importance de baser les choix politiques sur des faits scientifiques, et non pas sur des opinions. Prendre en considération ces faits est essentiel pour rendre un projet acceptable aux yeux du public. D’après eux, le projet de l’A69 est un parfait contre-modèle de ce qui devrait être normalement mis en œuvre. D’un point de vue scientifique, les zones humides répondent à des critères précis. J’aimerais donc savoir comment vous les avez définies pour pouvoir ensuite procéder à un diagnostic.
Mme Éva Boyer. Notre définition des zones humides se base sur un arrêté de 2008, dans lequel trois critères peuvent être pris en considération. La zone peut se définir par la présence de végétation humide. Elle peut également se définir par un milieu au sein duquel la végétation naturelle ne peut pas s’exprimer. Dans ce cas, il est nécessaire de réaliser des sondages pédologiques pour détecter d’éventuelles traces d’oxydo-réduction. Ces traces indiquent que de l’eau a été retenue pendant une certaine durée. Dans ce cas, nous pouvons conclure que la zone examinée est bien une zone humide. Enfin, le troisième critère se base sur la proportion dans le milieu considéré de plantes indicatrices de zone humide.
Notre travail suppose d’établir en premier lieu une cartographie des habitats naturels. Nos botanistes se rendent donc sur le terrain pour cartographier et représenter ces habitats. La loi définit un certain nombre d’habitats humides. Dès lors, nous évaluons combien sont présents dans la liste que nous avons établie. La liste de l’arrêté énumère également des habitats pour lesquels un sondage pédologique doit être effectué. Le sondage permet alors de déterminer s’il s’agit d’un habitat humide ou non.
En fonction du nombre de sondages réalisés, nous pouvons identifier une délimitation plus ou moins précise de la zone humide. Si le nombre de sondages est insuffisant, nous optons alors pour une maximisation. Dans ce cas, nous considérons que l’ensemble de la parcelle est une zone humide.
Nous réalisons par ailleurs une étude des fonctions de ces zones humides, conformément à ce que les SDAGE demandent aujourd’hui. Ces zones exercent trois grands types de fonctions. La première est hydrologique. Elle permet par exemple de retenir les crues ou de recharger les nappes. La deuxième est biogéochimique, et elle est destinée à épurer les divers polluants présents dans le sol. La troisième est biologique, et elle est liée au support de l’espèce. Toutes les zones humides peuvent exprimer ces trois fonctions. Toutefois, elles le font dans des proportions plus ou moins importantes selon les perturbations et leur situation dans le paysage.
Dans une zone humide située par exemple dans un champ agricole, la fonction biologique ne s’exprimera pas du fait de la faible biodiversité présente. Pour une zone située près d’un cours d’eau, la fonction hydraulique s’exprimera avec beaucoup plus d’intensité. En cas de crue, elle contribuera alors à ralentir le ruissellement. Enfin, une zone humide de plateau alimentée par des ruissellements exprimera davantage la fonction biogéochimique. Elle captera tous les sédiments et polluants issus de la ville et des champs agricoles. Nous définissons donc les fonctions et les niveaux d’expression de chaque zone humide étudiée. Ce travail permet ensuite de disposer d’une base pour évaluer la compensation.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Pouvez-vous préciser le nombre de sondages que vous avez réalisés ?
Mme Éva Boyer. Nous avons effectué 685 sondages, dont 188 en 2022 sur demande de la DDT et de l’OFB. Ceux-ci jugeaient alors nécessaire la mise en œuvre de compléments sur les sites de compensation identifiés.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Estimez-vous que 685 sondages étaient suffisants au regard du nombre d’hectares à tester ?
Mme Éva Boyer. Si le nombre de sondages ne permet pas délimiter précisément les contours d’une zone, nous procédons à une maximisation. Nous considérons alors que l’ensemble de la parcelle est une zone humide. Par conséquent, nous estimons que ce nombre de sondages est suffisant.
M. Mathias Prat. La compensation dépendra en outre de cet effet de maximisation que nous avons appliqué.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je souhaite revenir sur le sujet de la compensation. Confirmez-vous que celle-ci ne repose pas sur la plantation de cinq arbres pour un arbre abattu, et qu’elle se base bien sur la notion de surface ? En outre, confirmez-vous que le repérage et l’inventaire de l’ensemble des espèces présentes sur cette surface n’ont pas été réalisés, et que la compensation est donc une compensation globale ?
Confirmez-vous avoir indiqué que 67 hectares seraient requis pour permettre cette compensation, sans pour autant disposer de la maîtrise foncière de ces zones ? Par ailleurs, le questionnaire que nous vous avons transmis mentionne des ratios de compensation de 500 % pour les zones humides d’intérêt majeur, de 200 % pour les zones humides de fort enjeu, et de 150 % pour les zones humides de moindre enjeu. Pourriez-vous préciser la manière dont ces ratios ont été déterminés ?
Si une telle compensation était par ailleurs réalisable près des zones humides affectées, de quelle manière et par qui ces zones seraient-elles identifiées ? Quelles seraient les modalités de suivi des zones humides affectées et issues de compensations ? Enfin, disposons-nous de la maîtrise foncière pour les compensations de zones humides, et quel est le nombre de zones de compensation que vous estimez nécessaire ?
Mme Éva Boyer. Je ne suis pas en mesure de répondre à la question posée sur la plantation de cinq arbres pour chaque arbre abattu. Nous ignorons si cet énoncé est exact, dans la mesure où notre raisonnement se base sur la notion de surface.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Une telle mesure serait toutefois valable si un travail avait été mis en œuvre pour identifier chacun des arbres abattus. Avez-vous réalisé ce travail ?
Mme Éva Boyer. Non. Lorsque nous nous rendons sur un milieu, nous estimons la surface ou le linéaire pour y lister les espèces observées. Nous ne les identifions donc pas de manière individuelle.
Par ailleurs, nous ne sommes pas positionnés sur le sujet de la maîtrise foncière. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Confirmez-vous toutefois que le besoin a été estimé à 67 hectares ?
M. Mathias Prat. En effet.
Mme Éva Boyer. La question des ratios a été directement évoquée entre la DDT et NGE. Sauf erreur de ma part, elle était également incluse dans le cahier des charges de l’appel d’offres de l’État. Il était indiqué que le ratio de compensation devait être supérieur pour les zones humides à fort enjeu. La DDT a de nouveau transmis cette volonté à NGE. Le ratio de 150 % correspond au minimum imposé par le SDAGE. NGE a proposé des ratios supérieurs à ceux de la DDT, qui correspondent à ceux que vous avez évoqués précédemment. Les services de l’État en ont donc pris acte.
Vous avez également demandé si une telle compensation serait réalisable à proximité des zones humides affectées. Le SDAGE impose la mise en place de la compensation au sein du même bassin versant. La recherche des sites de compensation s’est donc basée sur ce critère. Le cas échéant, les sites proposés seraient invalidés.
La question suivante portait sur la manière avec laquelle les zones susceptibles d’accueillir la compensation peuvent être identifiées. Nous avons fourni un cahier des charges détaillant la typologie de sites à identifier pour une restauration de zone humide. Ensuite, Atosca, ses partenaires et des syndicats de bassins versants ont proposé un certain nombre de sites. Nous en avons également proposé au terme d’une analyse paysagère que nous avions réalisée, sans toutefois disposer d’informations de nature foncière. Ces informations ont été adressées à Atosca. Puis, nous avons réalisé des pré-diagnostics et des sondages sur zones humides sur l’ensemble des sites proposés par Atosca. Certains d’entre eux ont alors été écartés.
S’agissant des modalités de suivi des zones humides affectées, le cahier des charges de l’appel d’offres de l’État et la DDT imposent l’application du protocole « milieu humide – évaluation – observation » (MEO). Ce protocole est aujourd’hui mis en place sur les zones humides.
Enfin, je ne suis pas en mesure de répondre à la question posée sur la maîtrise foncière. Je vous invite à l’adresser à Atosca.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous avez évoqué la mise en place d’ouvrages de transparence hydraulique. Pouvez-vous préciser à quoi correspond ce type d’ouvrages, et combien ont été prévus ?
Mme Éva Boyer. Nous sommes écologues. Sur ce point, nous avons donc travaillé avec les équipes de NGE et d’Atosca. Celles-ci nous ont indiqué qu’il était possible d’assurer une transparence des écoulements hydrauliques à ce niveau.
Nous avons donc pris acte de cette information, et je ne suis pas en mesure détailler davantage ma réponse. Je pense toutefois que ces ouvrages sont décrits dans le dossier du CNPN.
M. Mathias Prat. Nous partageons des recommandations. Elles sont ensuite intégrées par les ingénieurs du génie civil, qui les mettent en place en fonction de leurs contraintes. À cet endroit, les contraintes sont liées à des problématiques de sécurité routière. Le cahier des charges doit être respecté, ce qui implique de recréer une transparence hydraulique pour permettre l’alimentation de la zone humide.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Au cours de précédentes auditions, certains intervenants ont expliqué que le projet de l’A69 initié il y a 30 ans est aujourd’hui dépassé. Au regard du travail qui vous a été confié, pouvez-vous considérer que le dossier a fait l’objet d’une mise à jour en matière de sujets écologiques et de solutions de compensation ? Par ailleurs, avez-vous préconisé d’autres types de compensations pour les zones humides ?
Mme Éva Boyer. Les sujets environnementaux ont bien fait l’objet d’une mise à jour. Toutes les études de faune et de flore ont été renouvelées à partir de 2020.
S’agissant de l’évaluation des impacts, nous avons travaillé sur chacune des étapes en collaboration avec les services de l’État. Nous avons également mené un travail de veille réglementaire sur les réglementations et jurisprudences existantes. Toutes les mises à jour sur ces sujets ont donc bien été prises en considération.
Enfin, les recommandations et mesures que nous avons proposées sont celles qui apparaissent dans le dossier. De notre point de vue, elles permettraient d’atteindre l’équivalence écologique.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Au mois de janvier 2023, l’OFB a constaté une intervention de Biotope sur les cavités des arbres impactés sur le tracé. Qui était le commanditaire de cette intervention, et pour quelle raison a-t-elle eu lieu avant la délivrance des autorisations environnementales de mars 2023 ?
M. Mathias Prat. Nous établissons de nombreuses références avant les phases de chantier. Un passage sur site a donc été organisé, et certains travaux ont été menés sur les arbres.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Biotope a donc pris en charge ces travaux.
Mme Éva Boyer. Effectivement, et nous les avons menées pour le compte d’Atosca.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Pour quelle raison êtes-vous intervenus avant la délivrance des autorisations environnementales de mars 2023 ?
M. Mathias Prat. Une procédure avait été mise en œuvre. Par conséquent, nous vous proposons de vous reporter aux comptes rendus dont elle a fait l’objet. Ces comptes rendus sont très détaillés. Vous pouvez les solliciter auprès de la préfecture, qui avait organisé l’étude de ce cas et la résolution du sujet à l’issue des interventions.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. La société Biotope a-t-elle été sollicitée pour réaliser le reclassement ou le déclassement du bois de la Crémade ?
Mme Éva Boyer. Nous ne sommes pas intervenus sur le site.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Quels commentaires pouvez-vous partager sur les conclusions de l’expertise de monsieur Jacques Thomas ?
Ses conclusions, qui sont parues dans la presse, prétendent que des erreurs importantes auraient été commises d’une part dans l’identification de la nature des zones humides, et d’autre part sur la non-équivalence des fonctionnalités du site de compensation des zones humides. Elles indiquent également que le plan de gestion des sites de compensation ne serait pas complet. Selon vous, ces conclusions sont-elles susceptibles de remettre en cause les mesures de compensation ?
M. Mathias Prat. Ces éléments font actuellement l’objet d’une procédure judiciaire, et il appartient à la justice de rendre un avis.
Mme Éva Boyer. En outre, il est toujours difficile de commenter les propos d’un bureau d’étude concurrent du nôtre. J’ai lu cet article. Les raisons pour lesquelles monsieur Jacques Thomas considère que notre étude est insuffisante sont très peu détaillées. Or, ces éléments sont nécessaires pour que nous puissions apporter une réponse construite sur le terrain judiciaire.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Par conséquent, nous pourrions de nouveau vous auditionner après l’audition de monsieur Jacques Thomas. Vous pourriez alors préciser votre réponse.
Mme Huguette Tiegna, présidente. L’organisation des auditions doit-être évoquée avec M. le président et Mme la rapporteure. Aujourd’hui, je ne suis pas en mesure d’indiquer si M. Prat et Mme Boyer seront de nouveau auditionnés. Je les remercie pour ces éclairages, et je propose de clore cette audition.
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La commission auditionne M. Jacques Thomas, ingénieur écologue.
Mme la présidente Huguette Tiegna. Je souhaite la bienvenue à monsieur Jacques Thomas, ingénieur écologue, responsable d’une société en ingénierie écologique, qui a le statut de société coopérative, ce qui doit être assez rare dans ce milieu.
Monsieur Thomas, je vous prie d’excuser l’absence du président de notre commission d’enquête, monsieur Jean Terlier, retenu aujourd’hui par d’autres obligations.
C’est la deuxième fois que vous venez devant l’Assemblée nationale, puisque je vous ai récemment auditionné lorsque j’étais rapporteure de la pétition contre l’A69. Vous êtes en effet l’auteur d’une étude qui conteste les diagnostics et mesures de compensation environnementale, mentionnés dans les avis préalables à la convention de concession. Aussi nous allons vous entendre sur cette étude.
Je rappelle que notre audition est publique, et retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Jacques Thomas prête serment.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Monsieur Thomas, vous faites partie des opposants au chantier de l’autoroute. Si je ne fais pas erreur, vous fondez votre opposition sur votre expérience professionnelle d’ingénieur écologue, et c’est sur cette base que vous avez contesté le dossier de demande d’autorisation environnementale déposé par Atosca.
Lorsque j’évoque ce dossier, je ne songe pas au respect des délais de procédure, mais au contenu qui fonde les constats juridiques, notamment sur certaines espèces protégées et sur les zones humides. Nous connaissons l’importance des zones humides dans un contexte d’évolution du climat pouvant conduire à une aridification des sols. Nous en sommes particulièrement conscients en Occitanie, du fait des problèmes auxquels se heurtent actuellement les Pyrénées-Orientales.
Je vous ai adressé un questionnaire, auquel vous pourrez répondre ultérieurement par écrit. Vous pourrez alors ajouter tout élément qui vous semblerait utile pour les travaux de notre commission.
M. Jacques Thomas. Je suis effectivement issu d’une formation scientifique d’écologue, et surtout de pédologue. Mon expertise porte sur les sols, et plus particulièrement sur les sols humides et hydromorphes. Je travaille sur ce sujet depuis près de trente ans.
J’ai bâti un groupe de sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) et de sociétés coopératives et participatives (Scop), que je dirige. Celles-ci assurent des missions de bureau d’étude-expertises et de missions d’opérateur de compensation. Par conséquent, je dispose d’une dizaine d’années d’expérience dans la mise en place de compensations pour les industriels dans le Sud-Ouest de la France. Enfin, ce groupe réalise aussi des actions de médiation environnementale. Il mène des travaux d’éducation auprès de différents publics, qu’il s’agisse de propriétaires de milieux naturels, de collectivités ou encore d’élus.
De 1995 à 2007, j’ai été membre du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) de l’ancienne région Midi-Pyrénées. J’ai également été expert nommé par le préfet de région de Loire-Atlantique dans le cadre du dossier de Notre-Dame des Landes. Mon intervention portait alors sur les questions de compensation de zones humides. Je tiens à préciser que j’ai bien été nommé par le préfet. Je n’étais donc pas présent au titre de militant, comme l’a prétendu erronément monsieur Jean Terlier. De la même manière, j’avais été désigné il y a dix ans par le président Thierry Carcenac pour assurer la maîtrise d’œuvre des travaux de réparation de la zone humide de Sivens.
Sur un plan local, je collabore avec la société publique locale d’aménagement (SPLA) « Les portes du Tarn ». Je travaille sur la création de zones humides dans le cadre d’un projet de zone d’aménagement concerté (ZAC).
Enfin, j’ai été jusqu’à très récemment président de l’association française pour l’étude du sol. Cette société savante académique créée en 1934 rassemble les communautés de chercheurs et professionnels en sciences du sol.
J’ai été maire adjoint d’une des communes riveraines à l’emprise de l’autoroute. Étant habitant de ce territoire, je connais ce dossier de l’A69 depuis près de vingt ans. Or, je ne souhaitais pas mêler à ma vie privée et des interventions au titre d’expert ou de prestataire sur ce sujet. J’estimais que du fait de cette position, mon intervention n’aurait peut-être pas été crédible.
Des opposants au projet m’ont toutefois sollicité pour que j’examine ce dossier, qui leur paraissait alors très opaque. Ils estimaient que mon expertise pourrait les aider à mieux l’appréhender. Cette demande m’a été plus particulièrement adressée par maître Alice Terrasse, que je connaissais déjà.
Je m’étais déjà trouvé face à elle dans le cadre de recours en justice, pour lesquels je portais des dossiers pour le compte de clients. Maître Alice Terrasse n’ayant pas identifié de faille dans mes expertises, elle a peut-être considéré qu’elles étaient de bonne qualité. J’ai accepté d’examiner le dossier, et j’ai été surpris à de très nombreuses reprises en lisant les 208 pages rédigées par la société Biotope. Par ailleurs, l’équipe de Vinci est venue solliciter mon aide pendant la période de consultation destinée à identifier un concessionnaire. J’ai décliné cette offre, puisque je ne souhaitais pas travailler sur ce dossier.
Mon expertise se limite au volet de la loi sur l’eau et sur les zones humides. La notion de zone humide est sacralisée par certaines personnes, tandis que d’autres la considèrent comme un obstacle à lever. Par conséquent, mes propos sur ce sujet génèrent nécessairement des mécontentements et des réactions souvent binaires. Pour autant, je souhaite expliquer aujourd’hui quelles sont les zones humides existantes sur ce site, pour quelles raisons elles sont nécessaires, et de quelle manière une compensation devrait être prise en compte (si celle-ci devait être mise en œuvre).
La notion de zone humide renvoie à un sol saturé en eau. Elle doit donc être distinguée de la notion de plan d’eau. Par exemple, une mare ne peut pas être qualifiée de zone humide. Généralement, la saturation du sol en eau passe inaperçue. Elle devient visible en cas d’inondation, bien qu’une inondation ne relève pas d’une zone humide.
M. Jacques Thomas partage des documents en séance.
Ce document représente la coupe d’un terrain perpendiculaire à une rivière. Dans une zone humide, l’eau transite de différentes manières. Elle transite en premier lieu sous forme de précipitation. Une partie de cette eau va ensuite ruisseler. Sur les sols agricoles mal gérés et donc imperméabilisés, ces ruissellements sont notamment de plus en plus importants. Normalement, l’eau s’infiltre dans le sol, et le plus souvent en profondeur, qui dépend toutefois de l’état d’imperméabilité du sous-sol.
Dans certains cas, des écoulements hypodermiques se produisent dans les premiers mètres du sol. Ces écoulements sont dus à une eau qui ne parvient pas à s’infiltrer en profondeur, notamment à cause de la teneur en argile du sol. Dans le Lauragais, cette teneur est d’environ 30 %. L’eau qui ne parvient pas à s’infiltrer va donc rester en subsurface, et va par endroit saturer le sol.
Lorsque le sol est saturé en eau, et que celle-ci modifie son aspect, nous utilisons alors la notion d’hydromorphie. Ces phénomènes qui se produisent sur l’ensemble de notre territoire caractérisent le fonctionnement d’une zone humide de type soligène. L’eau s’écoule dans le sol de manière gravitaire, par opposition à beaucoup d’autres types de zones humides qui existent en France métropolitaine.
Dès les premières pages de son étude, la société Biotope explique que les principaux mouvements d’eau qui génère les zones humides du bassin sont des mouvements de type alluvial. C’est-à-dire que la rivière humecterait les sols de part et d’autre de son cours. Pour qu’une nappe d’accompagnement du cours d’eau puisse s’établir, le niveau d’eau devrait se situer de zéro à un mètre de profondeur. Le plus souvent, il doit être compris entre vingt et cinquante centimètres de profondeur par rapport au terrain naturel.
Or, le Lauragais, le Girou et le Bernazobre sont des cours d’eau extrêmement encaissés. À titre d’exemple, le Girou atteint un mètre de profondeur au niveau de sa source, à Puylaurens. Il est donc déjà trop bas pour pouvoir générer un phénomène d’alimentation par nappe alluviale. À hauteur de Cuq-Toulza, il atteint deux mètres de profondeur, puis cinq mètres à Verfeil.
Cette situation est due à des travaux de calibration du cours d’eau lancés dans les années 1980. Ces travaux destinés à éviter les débordements ont conduit à percer des couches de terrain. Ils l’ont rendu de plus en plus érosif, et ils ont fragilisé le lit mineur de ce cours d’eau. Si la société Biotope avait analysé la nature du Girou et la profondeur du cours, elle aurait conclu qu’elle ne pouvait qualifier cette zone de zone humide de type alluvial.
Or, toute l’introduction de son dossier se base sur ce principe. Biotope évoque des zones humides de type-plateau, sans toutefois expliquer la provenance de l’eau. Ce point fragilise très largement son raisonnement, puisqu’une erreur commise sur la provenance de l’eau empêche de bien identifier les zones humides présentes sur le territoire. Dans ces conditions, il n’est pas possible d’établir un diagnostic précis.
De manière étrange, cette confusion se rétablit lorsque Biotope dresse un tableau des zones humides connues. Dès lors, le rapport s’inverse. Biotope indique alors que près de 90 % des surfaces inventoriées seraient de type-plateau ou de nappe perchée soligène, et qu’environ 10 % seraient de type alluvial, ce que je conteste dans tous les cas, puisque ce type de zone humide ne peut pas exister du fait des conditions géologiques et sédimentaires du terrain, ainsi que de l’incision des cours d’eau présents.
J’observe donc ce qui pourrait être éventuellement qualifié de supercherie, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur. Biotope devrait dans tous les cas vérifier l’état de son diagnostic, dont les conséquences sont fâcheuses. En premier lieu, il ne permet pas d’identifier correctement les zones humides présentes dans le paysage. Surtout, il génère des confusions quant aux impacts des infrastructures sur ces zones. Faute de connaître exactement la provenance de l’eau, il n’est pas possible de déterminer si l’infrastructure entraînera des répercussions sur l’alimentation de la zone concernée.
L’inventaire des zones humides est également problématique. Biotope commence par indiquer que la doctrine de l’État sera respectée, et indique que : « afin de délimiter une zone humide grâce aux critères pédologiques, l’examen des sols doit porter prioritairement sur des points à situer de part et d’autre de la frontière supposée de la zone humide ». Ces points correspondent aux sondages pédologiques qui doivent être réalisés afin de déterminer la présence éventuelle de traitements d’hydromorphie.
Dans le dossier et les cartes qui référencent les points positifs ou négatifs des sondages pédologiques, il apparaît que ces sondages sont très peu nombreux. A minima, ils sont insuffisants pour pouvoir dresser un polygone. Biotope a expliqué que la surface serait maximisée à l’échelle de la parcelle, et qu’elle ne se donnerait donc pas les moyens de véritablement déterminer la limite. Cette approche est totalement contraire à la doctrine de l’État. En début de paragraphe, Biotope avait pourtant mentionné la méthode qui serait mise en œuvre. Elle n’a finalement pas respecté ses propres consignes, ce que j’estime désastreux.
Par ailleurs, une norme de l’Association française de normalisation (Afnor) fixe la quantité de sondage à réaliser selon la superficie du terrain pour établir une cartographie suffisamment précise. Une précision au 5000e correspondrait au niveau de précision nécessaire pour un document d’aménagement et une analyse des impacts de l’infrastructure. En prenant en compte ce critère, il apparaît alors que les 600 sondages menés par Biotope représentent 25 % seulement de l’effort requis par cette norme Afnor. Par conséquent, j’estime que les moyens mis en œuvre pour réaliser des sondages performants ont été insuffisants.
De plus, ce déficit se cumule à un faible niveau d’expertise pour la reconnaissance d’une zone humide dans ce type de paysage.
Ces éléments traduisent la présence d’un problème dans l’inventaire des zones humides connues ou devant l’être sur cet espace. Ce problème aura nécessairement des répercussions sur les surfaces, sur le jugement des surfaces impactées, et sur la qualité des mesures compensatoires à mettre en œuvre.
La société Biotope s’appuie systématiquement sur un raisonnement de type alluvial, ce qui conduit à envisager des mesures de compensation qui privilégient d’hypothétiques remontées de nappes d’eau à proximité des cours d’eau. Cette approche peut aussi conduire à considérer qu’un débordement de rivière créerait une zone humide alluviale, ce qui est parfaitement impossible.
À titre d’exemple, le site de compensation de Cuq Toulza comprend un bassin avec talus. La parcelle S18 située à une centaine de mètres serait susceptible de devenir une parcelle de compensation de zone humide. À cet endroit, la profondeur du Girou atteint deux mètres. En outre, cette parcelle ne correspond pas véritablement à une zone humide. Le fossé n’indique pas non plus d’indices de zones humides. Il est pourtant situé cinquante centimètres plus bas. Enfin, aucun écoulement d’eau susceptible d’engorger la parcelle n’est identifié au pied du talus.
Pour mettre en place une éventuelle zone humide sur ce site, Biotope propose de décaisser le sol sur trente ou cinquante centimètres. Ce décaissement permettrait de se rapprocher du lit mineur de la rivière. Il devrait en outre faire remonter l’eau, ce qui est impossible. Surtout, un fossé est déjà présent à cinquante centimètres de profondeur, et il ne présente aucun indice de zone humide.
Par ailleurs, l’espace du parc du château de Scopont est situé en zone humide. Cet espace abrite une grande station de jacinthes de Rome. Contrairement à ce que prétend Biotope, elle n’a pas été prise en compte parmi les zones humides impactées. Elle a été citée dans l’inventaire des stations du dossier du CNPN. Elle a toutefois été très vite écartée, puisqu’elle se situe au-delà de l’emprise de l’autoroute, à 200 mètres de distance. Elle n’a donc pas été formellement prise en compte parmi les zones impactées, alors qu’elle l’est totalement.
La prairie à jacinthes de Rome la plus proche de la rivière est située à deux mètres ou deux mètres cinquante au-dessus du lit mineur. Un fonctionnement de type alluvial à cet endroit n’est donc pas possible. L’eau provient de l’amont, là où se trouve justement le projet d’autoroute. Madame Boyer a indiqué que le besoin d’une mesure de réduction des impacts à cet endroit avait été signalé à Atosca. Je conteste toutefois la mesure qui repose sur un ouvrage de prétendue transparence des arrivées d’eau.
Cet ouvrage est composé d’un film-géotextile équipé de drains. Sa capacité à collecter des eaux se limiterait à une très faible épaisseur du sol. Les eaux qui alimentent la station proviennent d’un Talweg, où un pont et un petit rond-point devraient être construits. Or, rien n’est prévu à cet endroit pour conduire les eaux vers la prairie. Pourtant, une infrastructure qui permettrait ce déplacement aurait pu être mise en place. Manifestement, il est prévu de renvoyer les eaux le plus rapidement possible vers le Girou, en étant dans le même temps déconnecté des prairies.
Pour toutes ces raisons, je conteste formellement l’effet positif que pourrait avoir cette mesure de réduction d’impact. Elle pourrait éventuellement avoir des effets sur le premier bois, ce qui n’est toutefois pas certain. À cet endroit, le terrain est haut et accidenté, et les écoulements d’eau doivent être très limités. Il aurait été souhaitable d’étayer ces propositions par un examen de fosses pédologiques, et par des mesures des capacités d’infiltration des sols et de leur conductivité hydraulique.
Pourtant, aucune investigation de cette nature n’a été incluse dans le dossier, ce qui à mon sens constitue une grave lacune. Nous ne disposons d’aucun diagnostic sur les mesures de conductivité horizontale ou verticale de ces sols. Seules deux dimensions ont été prises en compte, d’une part la surface, et d’autre part le revêtement porteur de végétaux indicateurs. Le véritable fonctionnement d’une zone humide qui repose sur des transferts d’eau dans le sol et le sous-sol n’a pas été pris en considération.
Cette mesure de décaissement MC15 est présente sur les onze sites. Finalement, la seule véritable mesure d’action hydraulique sur les espaces de compensation consiste à décaper le sol pour se rapprocher d’une hypothétique nappe d’eau. Bien entendu, une telle opération serait assez facile à mettre en œuvre pour une équipe du génie civil, et elle serait peu coûteuse. Elle serait en revanche parfaitement inefficace pour remettre en eau une nappe perchée ou une zone humide soligène,
Je démontre par ailleurs que 40 % des surfaces de mesures compensatoires disparaîtront du dossier. Cette suppression est liée au bassin de rétention des eaux d’inondation. Fort heureusement, le projet prévoit de compenser les effets délétères de l’ouvrage, et notamment du remblai, qui accentueront les inondations en interrompant les écoulements d’eau. À cet effet, il est prévu de construire des zones de compensation d’inondation. Or, j’ai découvert un cumul entre, d’une part des espaces de compensation de zones humides proposées par Biotope, et d’autre part les bassins de compensation d’inondation issus du dossier des hydrologues, ce que le dossier de Biotope ne mentionne pas.
Sur ce point, le dossier des hydrologues est solide. En revanche, l’arrêté préfectoral de mars 2023 indique que « les fonds de ces zones humides de compensation doivent se situer au-dessus du niveau des nappes en hautes eaux pour ne pas les drainer ». Dans ces conditions, et alors que l’ouvrage empêche les écoulements latéraux d’humecter le sol en petite profondeur, il n’est pas possible de créer une zone humide.
Bien entendu, la première disposition est conforme à l’autorisation préfectorale. Cependant, elle ne permettra pas de créer une zone humide. La deuxième disposition n’est pas conforme, et elle ne permettra pas non plus de créer une zone humide. Avec un niveau inférieur de quelques dizaines de centimètres inférieur à celui de la nappe de hautes eaux, la création aboutit à un plan d’eau. Il ne s’agit donc pas d’une véritable zone humide, puisque la végétation qui s’implantera à cet endroit ne sera pas une végétation de sols saturés. De plus, les sols s’assécheront très rapidement en été faute d’arrivée d’eau pour maintenir la saturation de la zone.
Ce type de dispositif couvre 22 hectares sur les 55 hectares proposés pour la compensation, soit un rapport de 40 %. Par conséquent, 40 % des zones humides mentionnées par Biotope ne peuvent pas être des espaces de compensation de zones humides. Il convient d’y ajouter les espaces destinés à la création de zones humides alluviales. Cette compensation n’est également pas envisageable, puisque la rivière atteint plus d’un mètre de profondeur. Dans le meilleur des cas, et avec beaucoup de prudence, je suis donc convaincu qu’il ne sera pas possible de créer 18 hectares de compensation de zones humides.
Certains sites déjà situés en zone humide figurent parmi les propositions de mesures compensatoires. Ces sites ont été décapés sans qu’un diagnostic sur la conductivité hydraulique ou sur le bien-fondé de ce décapage ait été préalablement réalisé. Je considère donc que des zones humides seront également détruites au sein des zones humides de compensation. Cette conséquence paradoxale générera de nouveaux besoins de compensation, à hauteur de 9 ou 10 hectares.
Je ne suis pas la première personne à avoir soulevé ces points. Les équipes de l’OFB, du CNPN, de l’Autorité environnementale, de la DDT, de la Dreal et des syndicats de bassin ont déjà alerté Atosca et Biotope sur le caractère illusoire des mesures proposées. À titre personnel, je ne suis pas persuadé qu’Atosca ait répondu aux questions des services de l’État sur le bien-fondé des compensations de zones humides.
Outre les surfaces de compensation, madame Boyer a aussi évoqué la nécessité de compenser les fonctions. Elle a évoqué devant cette commission trois types de fonctions, qui sont les fonctions hydrologiques, biogéochimiques et les fonctions liées aux habitats biologiques. Ce travail sur les fonctions est rendu obligatoire par la méthode nationale d’évaluation des fonctions, réalisée par l’OFB et le muséum national d’histoire naturelle. Cette méthode complexe vise à synthétiser les fonctions perdues dans les sites détruits, et à les mettre en perspective avec celles restaurées ou compensées dans les sites de compensation.
Plutôt que de présenter un travail basé sur une analyse du rapport entre chaque site détruit et la compensation associée, Biotope a créé trois grands ensembles. Alors que des zones humides ou saturées en eau devraient être créées, nous observons l’absence de gain ou la quasi-absence de gain pour les fonctions hydrologiques. Le travail sur la fonctionnalité hydrologique constitue pourtant la première étape d’un travail de restauration, de création ou de réhabilitation d’une zone humide.
Biotope annonce un gain mille fois supérieur pour les fonctions biogéochimiques, ce qui indique que ce dossier n’a fait l’objet d’aucune relecture sérieuse. À titre d’information, la plupart des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) estiment que si tous les agriculteurs français pouvaient rehausser de 4 ‰ la teneur de leurs sols en matière organique, nous parviendrions à absorber toutes les émissions excédentaires de CO2 issues des activités en France.
Un taux de 4 ‰ est très différent d’un taux de 1 pour 1 million, qui correspond au chiffre de 1062.8. Je ne comprends pas d’où provient une erreur aussi grossière, qui traduit un problème de compréhension des fonctions biogéochimique, et qui se cumule à un problème de compréhension des fonctions hydrologiques des zones humides.
Au total, quatre fonctions sont perdues, alors que les dossiers indiquent qu’une seule sera compensée. Par conséquent, la majorité des fonctions seront définitivement perdues. Le rédacteur de cette grille d’analyse conforme à la méthodologie nationale d’évaluation des zones humides prouve que les mesures compensatoires proposées par Atosca ne sont pas opérantes.
Enfin, je souhaite terminer en partageant quelques éléments juridiques. Depuis la remise de mon rapport en novembre ou décembre 2023, j’ai pris connaissance d’une partie des plans de gestion de ces sites. Je m’attendais initialement à consulter des plans conformes à la norme NF X10-900-génie écologique, portant sur les méthodologies de conduite de projet pour les zones humides. Cette norme datant de 2012 a été élaborée par l’Afnor et une commission de normalisation. Elle a fait l’objet d’une enquête publique et elle a été contrôlée par trois ministères.
Cette norme qui précise la manière avec laquelle un plan de gestion doit être rédigé a été revisitée et de nouveau validée en 2022. Or, les documents remis en janvier et examiné en commission préfectorale début février correspondent à des copier-coller de dossiers déjà remis avec le dossier d’autorisation environnementale. Ils ne contiennent aucune nouvelle information. Ils sont également trop vastes, et ils ne permettent pas de mener à bien des projets de restauration et de réhabilitation des sites concernés.
Dans la mesure où il s’agit d’une norme, et non pas d’une doctrine de l’État, j’observe un véritable problème. D’après la jurisprudence, le refus d’appliquer une norme doit a minima faire l’objet d’une explication. Il est également nécessaire de préciser pour quelles raisons la méthodologie envisagée sera plus performante que celle prévue par la norme. Par conséquent, les plans de gestion proposés sont totalement imprécis. Ils ne permettent pas de mettre en œuvre un dispositif de cahier des charges pour commander des entreprises, et pour fournir des consignes à un maître d’œuvre. Je note donc un problème méthodologie très important dans le travail d’Atosca et de Biotope sur ce dossier.
Mme Huguette Tiegna, présidente. La critique que vous venez d’établir porte-t-elle sur la dernière étude réalisée par Atosca ? Se base-t-elle au contraire sur des travaux antérieurs ?
En outre, les représentants de la société Biotope ont été invités par cette commission à s’exprimer sur vos critiques parues dans la presse. Ils ont alors rappelé que vous étiez un de leurs concurrents. Pourriez-vous éclairer les parlementaires sur ce point ?
M. Jacques Thomas. Je m’amuse d’entendre que Biotope me mentionne au titre d’un de ses concurrents. Je travaille avec huit collaborateurs, alors que la société Biotope en regroupe plus de huit cents. Je peux être considéré comme un concurrent uniquement dans la mesure où mon niveau d’expertise est largement supérieur. Lorsque je suis à Notre-Dame-des-Landes, un dossier consacré aux zones humides avait été rédigé par Biotope. Or, leur expertise était déjà d’un niveau déplorable.
Concernant votre première question, ma critique se fonde sur le dossier soumis à enquête publique. Manifestement, une partie des échanges avec les services de l’État a été prise en compte dans ce dossier. J’ai également pu accéder aux avis réservés remis par les différentes instances, depuis l’Autorité environnementale jusqu’à la DDT du Tarn. Depuis mon champ d’expertise, j’approuve pleinement ces réserves. Toutes convergent vers des lacunes directement liées au dossier des zones humides. J’ai révélé ce point aujourd’hui, mais les services de l’État avaient déjà réalisé un très bon travail sur ce sujet.
Par conséquent, je m’étonne d’entendre qu’une série d’échanges et d’allers et retours entre Atosca et les services de l’État aient permis d’améliorer ce dossier. Je m’interroge sur ce qui a véritablement été amélioré. Dans tous les cas, ce dossier mériterait un approfondissement substantiel. Il serait alors très différent de celui qui a été soumis à une enquête publique, et qui m’a été remis.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Madame Boyer et monsieur Prat ont évoqué une mise à jour de ce dossier. J’aimerais savoir si cette mise à jour était antérieure à votre critique. Pour pouvoir le confirmer, j’ai besoin que vous m’indiquiez une date.
M. Jacques Thomas. Je vous transmettrai cette date par écrit, ainsi que l’ensemble des références des pièces que j’ai examinées. Pour autant, j’ai eu connaissance d’échanges entre le préfet du Tarn et le propriétaire du château de Scopont. Ces échanges indiquent que la mesure de réduction d’impact pour la station la plus importante du Sud du Tarn (la jacinthe de Rome) n’avait pas été prise en considération dans le dossier. Ce point d’amélioration n’avait donc pas été inclus dans la nouvelle version.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je souhaite vous poser plusieurs questions sur l’analyse de type alluvial. De votre point de vue, ces conclusions résultent-elles d’un manque de déplacements sur le terrain ou d’une absence de test ? Une autre explication est-elle envisageable ?
D’après vous, ne pas avoir effectué une bonne analyse de la nappe perchée et du type alluvial compromet intégralement les solutions de compensation, la compensation étant très différente en fonction de la nature de la nappe concernée.
Par ailleurs, j’ai interrogé la société Biotope sur le nombre d’hectares requis par rapport aux zones humides concernées. Celle-ci a évoqué le chiffre de 67 hectares. Vous avez avancé celui de 57 hectares. Savez-vous si nous disposons de la maîtrise foncière sur ces zones de compensation, outre le fait qu’une erreur d’analyse ait pu être commise ?
Enfin, Biotope indique finalement dans son rapport que près de 90 % des surfaces inventoriées seraient de type-plateau ou de nappe perchée soligène, et qu’environ 10 % seraient de type alluvial. Ce dernier constat a-t-il des répercussions sur le nombre d’hectares de compensation ? Modifie-t-il votre appréciation sur les 45 % de zones qui, de votre point de vue, ne pourraient pas être compensés ?
M. Jacques Thomas. En premier lieu, le diagnostic de Biotope s’est beaucoup basé sur des diagnostics antérieurs, notamment ceux réalisés pour l’enquête de la déclaration d’utilité publique (DUP). Pour autant, les collaborateurs de Biotope se sont déplacés sur le terrain. À mon sens, cette confusion résulte de l’inexpérience des jeunes personnes qui ont mené ces travaux. Je côtoie notamment un professeur spécialiste de zones humides qui connaît l’une d’entre elles. Il m’a indiqué que celle-ci avait peut-être suivi au maximum une heure de cours sur ce sujet.
De mon point de vue, nous sommes donc face à un problème de moyens. Les personnes qui ont mené cette étude n’étaient pas expertes du domaine. Le maître d’ouvrage n’a pas garanti les moyens intellectuels et d’investigation suffisants pour effectuer des relevés pédologiques ou des mesures sur les transferts d’eau. Ces types de travaux sont très subtils, et in fine, ils sont très coûteux.
Lorsque j’ai travaillé sur la création de trois hectares de zones humides sur la ZAC de Saint-Sulpice-la-Pointe, les travaux de génie civil requis étaient très conséquents. Je songe par exemple à la création de fosses avec des pelles mécaniques, ou encore aux appareillages des sites pour mesurer les transferts d’eau. Tous ces travaux ont dû être menés avant de prendre une décision sur l’opportunité de mettre en place des mesures. Compte tenu du nombre de mètres carrés à couvrir, le coût d’une telle opération est donc relativement cher.
Par conséquent, recourir à de tels moyens pour compenser une surface de 36 hectares conduirait à augmenter de manière significative le coût de cette autoroute. Pour autant, il est tout à fait logique qu’une mesure de compensation de milieu naturel ou d’atteinte à la biodiversité soit coûteuse. Or, les mesures proposées dans le dossier ne le sont pas. NGE peut parfaitement maîtriser une extension de la mesure MC15 et décaisser ces terrains de 30 centimètres. Le coût d’une telle opération serait alors peu élevé.
En revanche, prévoir une maîtrise foncière dans le bassin versant, travailler sur les écoulements d’eau, ou travailler sur le ratio infiltrations-ruissellements-écoulements hypodermiques pour améliorer la saturation en eau oblige à établir des accords sur le foncier. Cette approche requiert également des travaux hydrauliques, par exemple sur les fossés. Elle serait extrêmement intelligente, mais aussi extrêmement complexe à mettre en œuvre. Je comprends donc que Biotope se soit limitée à la distribution de sites de compensations essentiellement inclus dans la DUP. Le foncier est alors beaucoup plus simple à maîtriser.
Le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) oblige à mettre en place des compensations dans le bassin versant. Toutefois, il ne spécifie pas que celles-ci doivent se trouver à quelques centaines de mètres de l’ouvrage. Biotope s’est fixé cette obligation pour rester au sein de la DUP.
Il m’est déjà arrivé de travailler sur des compensations situées à une distance de plusieurs kilomètres, en amont ou en aval du point d’impact. Dans la mesure où la masse d’eau concernée était équivalente, le SDAGE estimait alors que ses prescriptions étaient respectées.
Par ailleurs, je ne suis pas en mesure de répondre à la question posée sur la maîtrise foncière. J’ignore pour quelle raison je n’ai pas pu consulter les plans de gestion de certains sites. L’absence de maîtrise foncière empêche-t-elle d’approfondir les mesures compensatoires sur ces espaces ? Compte tenu des éléments produits, il est réaliste d’estimer à 10 ou 11 hectares la surface actuellement envisagée, compte tenu de ce qui a été soumis à la commission des mesures compensatoires organisée début février à la préfecture de Toulouse.
Enfin, la confusion entre les zones humides de type alluvial et de type nappe perchée fausse nécessairement l’identification de ces zones. Elle biaise la compréhension des phénomènes susceptibles de les altérer, ce qui par conséquent conduit à réduire les espaces impactés. De plus, ce type de raisonnement mène à des aberrations sur les conditions techniques nécessaires aux chantiers de réhabilitation ou de restauration des zones humides sur les espaces de compensation.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Monsieur Jean Terlier, président de la commission d’enquête, m’a transmis une question qu’il souhaitait vous poser. Je vais vous la lire : « Votre avis sur les études environnementales conduites pour le compte d’Atosca est relativement sévère. Pour autant, comment expliquez-vous que des personnes ayant peu ou prou la même formation que vous, une expérience professionnelle de 20 ans et un mode de raisonnement sans doute similaire aboutissent à des conclusions éloignées des vôtres ? Est-ce à dire, selon vous, que l’ingénierie écologique est une discipline encore balbutiante, ou que, comme dans l’industrie, il peut être demandé à des cabinets de consultants d’orienter leur diagnostic dans un sens souhaité par leur client ? Est-ce votre impression, sur l’A69 ? »
M. Jacques Thomas. Monsieur Jean Terlier commet une erreur manifeste. Les personnes qui ont mené cette expertise sur le terrain ne disposaient pas de vingt ans d’expérience. Dans le meilleur des cas, leur expérience se limitait à deux ou trois ans. Elles disposaient en outre d’une culture généraliste d’écologue, mais pas de pédologue ou d’hydrogéologue.
Cette divergence est uniquement due à leur incapacité à avoir identifié ce qui aurait dû être examiné, et les endroits appropriés. De manière générale, la société Biotope est très peu compétente pour les analyses d’écoulement d’eau dans les zones humides. Le dossier qu’elle avait remis pour le cas de Notre-Dame-des-Landes était déjà très mauvais, et ce n’est pas la première fois que je dois intervenir après ses collaborateurs. Des erreurs grossières avaient également été commises dans l’étude menée sur la station douanière du Pas de la Case.
Les équipes de Biotope disposent d’une culture d’écologues, de naturalistes et de spécialistes des espèces protégées. En revanche, elles ne disposent pas d’une culture de génie écologique en matière de fonctionnalité des écosystèmes (terrestres et au sol). Toutefois, nous ne pouvons pas leur reprocher ce manque de compétences spécifiques. De manière générale, la pédologie et l’hydro-pédologie sont des disciplines très peu connues. Il existe peu d’experts de ces domaines en France. Pour autant, toute société qui souhaiterait mobiliser leurs compétences peut les contacter.
En outre, je rappelle qu’un grave problème s’était produit il y a dix ans dans ce département. Pour le projet de barrage de Sivens, une expertise avait été menée afin de délimiter la zone humide. Dix ans plus tard, cette zone avait de nouveau été expertisée sur demande de la DDT.
La DDT avait alors réalisé un extraordinaire cahier des charges, qui est un modèle du genre en France. Fin 2021 ou début 2022, elle avait lancé un appel d’offres auquel un cabinet pédologue avait répondu. Son étude sur le sujet avait duré un an, alors qu’elle avait duré trois jours dix ans auparavant. Cet écart significatif s’expliquait d’une part par la mise en œuvre de moyens considérables, et d’autre part par une véritable application des normes en vigueur. Il est très étonnant que cette même DDT n’ait pas été aussi exigeante pour le dossier de l’A69, et à l’égard d’un espace susceptible de devenir conflictuel. La temporalité et les personnes concernées étaient pourtant les mêmes.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous mentionnez un mauvais diagnostic dû à un manque de maîtrise des concepts scientifiques de zones humides. Vous jugez également contestable la méthode mise en œuvre pour établir une cartographie et des relevés. L’offre de compensation proposée vous paraît insuffisante, et vous indiquez que la norme Afnor sur la méthodologie de la conduite du projet n’a pas été respectée.
Considérez-vous que ces erreurs ou ces manquements pourraient conduire à mise en cause de l’autorisation environnementale, les mesures de compensation étant prévues à l’article 3.5.2 de l’arrêté préfectoral ? La totalité du projet pourrait-elle être remise en cause ?
M. Jacques Thomas. Je ne suis pas juriste, et j’ignore dans quelle mesure les points que je soulève pourraient conduire à une mise en cause judiciaire du projet. Je note toutefois que si ce projet se poursuit, et que la mise en œuvre des mesures de compensation n’est pas modifiée, nous n’obtiendrions pas les résultats attendus, qui, normalement, devraient être évalués au travers de mesures de suivi.
Atosca a évoqué une obligation de résultat, ainsi que la possibilité de revenir sur le sujet dans plusieurs années si ces mesures s’avéraient inefficaces. Une telle position est parfaitement contraire à la doctrine : « éviter, réduire, compenser ». Les mesures de compensation devraient être efficientes au plus tard au démarrage des travaux. Ces travaux ont été lancés il y a près d’un an, et rien n’a encore été mis en œuvre en matière de restauration de zones humides. Dans cette perspective, nous pourrions effectivement nous retrouver dans plusieurs années. Si personne n’oblige le pétitionnaire à de véritables améliorations, nous constaterions alors le même niveau d’incompétence.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Si je vous suis, le recours sur le fond qui a été engagé pourrait rendre obsolète l’autorisation environnementale.
M. Jacques Thomas. En effet. Ces éléments importants ont été mis en évidence et remis au juge par maître Alice Terrasse.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Il est urgent pour mes collègues d’envisager la mise en place d’un moratoire sur ce projet. Un recours sur le fond pourrait être validé par le tribunal, et il serait alors dramatique d’avoir lancé ces travaux.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Je souhaite rappeler que le débat est bien entendu possible sur les enjeux environnementaux. En revanche, les parlementaires ne peuvent pas interférer sur des sujets qui font actuellement l’objet d’une procédure judiciaire.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). La compensation permet aux porteurs du projet de se dédouaner de leurs responsabilités en matière d’impact sur l’environnement. Or, la mesure MC15 utilisée par Biotope vise à simplifier la mise en œuvre de ces compensations. De plus, elle répond à l’enveloppe budgétaire qu’Atosca a souhaité consacrer à ce dossier. Vous avez indiqué qu’elle était toutefois inadaptée aux zones humides devant être compensées, et qu’elle pourrait conduire à en détruire d’autres.
Quelles sont les méthodes qui auraient pu être mises en œuvre pour écarter le risque de destruction d’autres zones humides ?
Par ailleurs, estimez-vous qu’il s’agisse d’un choix délibéré de la part du bureau d’étude ?
M. Jacques Thomas. J’ignore s’il s’agit d’un choix délibéré, et je ne souhaite pas faire de procès d’intention sur la mise en œuvre des moyens déployés pour cette étude. Cependant, la généralisation de la mesure MC15 aurait été adaptée à la restauration et à la réhabilitation de zones humides alluviales dégradées. Ce serait le cas si nous nous trouvions dans le cas d’une rivière ayant perdu des capacités au niveau de sa nappe d’accompagnement. Le contexte est différent, puisque le niveau des eaux est inférieur de plusieurs mètres au terrain naturel. À moins de positionner des fosses profondes de plusieurs mètres, il ne sera jamais possible d’atteindre une nappe qui satisferait à la création d’une zone humide.
Il convient donc de s’interroger sur ce qui devrait être préconisé. Au sein du bassin versant, les arrivées d’eau doivent être gérées vers les zones de compensation. La mise en œuvre de cette approche serait beaucoup plus conséquente et beaucoup plus coûteuse. Elle impliquerait de créer de petits barrages seuils dans les fossés, ou encore des bassins d’infiltration destinés à ralentir l’écoulement des eaux dans le bassin versé. Nous pourrions imaginer le lancement d’un appel à contribution sur l’ensemble des collines environnantes. Cet appel porterait alors sur la mise en place de ces ouvrages de petite taille, mais qui sont aussi très nombreux.
Dans le Lauragais, il est probable qu’une goutte d’eau qui tombe dans un champ parvienne très rapidement à atteindre la rivière la plus proche. Pour favoriser des zones humides dans ces espaces, il est donc nécessaire de retarder les eaux. Or, tous ces travaux sont bien plus complexes à mettre en œuvre que le décaissement de milliers de mètres carrés de terrain pour lesquels la maîtrise foncière est garantie.
Pour autant, ils sont réalisables et ils ont déjà été effectués en France. De plus, ils seront à mon sens de plus en plus fréquents du fait du réchauffement climatique. Nous devrons basculer vers une économie en eau sur les bassins versants. Ces zones humides, et plus généralement tous les sols où la présence d’eau est suffisante, contribuent à l’abaissement de la température. Ils jouent un rôle en matière d’hydrométrie et de cadre de vie de ces régions, en permettant notamment à une végétation particulière de pousser.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Biotope a évoqué des ratios de compensation de 500 % pour les zones humides d’intérêt majeur, de 200 % pour les zones humides de fort enjeu, et de 150 % pour les zones humides de moindre enjeu. D’après Biotope, ces ratios ont été proposés par Atosca. Les connaissez-vous, et si oui, quelle est votre opinion sur ce sujet ?
Vous avez indiqué qu’initialement, vous ne souhaitiez pas travailler sur ce dossier de l’A69. Vous n’avez donc pas proposé votre candidature. Savez-vous quelles sont les autres personnes qui s’étaient alors portées candidates ?
M. Jacques Thomas. J’ignore quelles sont les personnes qui se sont portées candidates. Concernant les ratios, la loi oblige en premier lieu à compenser a minima à l’identique. En Haute-Garonne, le SDAGE fixe ce ratio à 150 %. Dans d’autres bassins, il s’élève à 200 %. J’ai découvert dans le dossier ceux que vous venez de mentionner. Un pétitionnaire peut toujours proposer des compensations supérieures pour s’assurer qu’elles seront bien validées.
Je serai beaucoup plus favorable à une compensation plus modeste, basée sur un taux de 100 % ou 150 %, mais qui serait véritablement mise en œuvre. Celle-ci reposerait alors sur la base de critères factuels mesurés, qui pourraient faire l’objet d’un suivi pendant plusieurs années.
Pour le dossier de Notre-Dame-des-Landes, j’avais été sollicité pour cette raison. Les mesures compensatoires proposées par Biotope étaient très opaques, et sujettes à un important conflit. Lorsque j’ai détaillé le dossier, les équipes de Vinci ont pris peur en comprenant quel serait le coût des mesures compensatoires à mettre en œuvre. Le coût pour le suivi des appareillages imposés par le préfet se serait alors élevé à environ 500 000 euros par an.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Estimez-vous que cette surenchère des ratios de compensation ait pu être utilisée pour remporter l’appel d’offres ? Avez-vous déjà observé de tels agissements dans le cadre de vos pratiques professionnelles ? D’après Biotope, ces ratios auraient été proposés par Atosca.
M. Jacques Thomas. Je ne dispose pas d’informations sur ce sujet. À titre personnel, il me semble un peu étrange d’évoquer ces éléments avant d’avoir engagé le travail à réaliser. En outre, le taux de 500 % s’appliquerait à une très petite surface. Initialement, l’obligation de 150 % s’étend sur 22 hectares impactés, soit 36 hectares au total. Il s’agit du seuil légal minimum pour répondre aux obligations du SDAGE.
Outre les engagements pris sur des ratios supérieurs, il conviendra surtout de vérifier si les fonctions de ces zones ont été véritablement rétablies. Or, j’ai expliqué précédemment que sur les quatre fonctions détruites, une seule le serait. Les propos tenus par madame Boyer ou par monsieur Prat permettent d’aboutir à cette conclusion. Ce point leur a probablement échappé, de la même manière qu’ils n’ont pas noté l’interdiction de cumuler zone inondable et zone humide.
De tels manquements sont graves. Ils aboutissent à une contradiction manifeste entre les obligations juridiques de l’arrêté préfectoral et les options techniques proposées par Atosca, qui conduiront à une perte directe de 40 % de l’effort de compensation.
Mme Huguette Tiegna, présidente. De votre point de vue, les problèmes que vous avez soulevés sont-ils dus à un cahier des charges non abouti ? Sont-ils dus à un manque de compétences du bureau d’étude qui a travaillé sur ce sujet ?
Par ailleurs, qu’est-ce qui d’après vous devrait être mis en œuvre pour véritablement améliorer les mesures de compensation ?
M. Jacques Thomas. Lorsqu’un bureau d’étude s’engage sur un projet, il doit faire preuve de sincérité et mobiliser les moyens nécessaires pour répondre aux demandes de son client. Or, Biotope n’a pas mis en place les moyens requis pour se prononcer sur cette gestion des zones humides. J’ignore quel était le contenu du cahier des charges, ou encore quel accord Atosca et Biotope ont pu établir. J’ignore également sur quelles bases et à partir de quelles consignes Biotope a pu formuler son offre. Ces questions ne me regardent pas. En revanche, j’observe que les moyens techniques nécessaires à cette étude n’ont pas été réunis.
Cette situation résulte d’un problème plus général en France, qui excède largement le cadre de l’autoroute A69. Ce problème affecte l’autonomie et la sincérité des bureaux d’étude. Dans le cadre d’une étude d’impact, il appartient au pétitionnaire de solliciter les services d’un bureau étude. Celui-ci va donc rémunérer le bureau, et in fine rédiger et signer le rapport. Par conséquent, une entreprise de grande taille qui souhaite alimenter son chiffre d’affaires sera nécessairement tentée d’écouter les recommandations de son client.
Il existe donc un problème de sincérité, dû à la dépendance du bureau d’étude par rapport à son pétitionnaire. Dans d’autres pays, la relation financière entre les pétitionnaires et les bureaux d’études est gérée par de tierces personnes ou de tiers organismes.
Lorsque j’ai été nommé pour travailler sur le dossier de Notre-Dame des Landes, je devais rendre des comptes à un panel de scientifiques réunis en conseil par le préfet de région. J’étais alors rémunéré par Vinci et par l’État. Cependant, Vinci ne pouvait pas influencer mon travail, qui pendant un an consistait à passer l’équivalent de trois soutenances de thèse devant ce conseil scientifique. Je disposais donc d’une certaine autonomie, et je pouvais partager mes positions avec Vinci en toute transparence. Dans le même temps, j’étais contraint d’être le plus honnête possible vis-à-vis de ce conseil, qui réunissait notamment certains de mes anciens professeurs. Mon maître d’ouvrage était alors obligé d’honorer sa commande.
J’identifie en outre un autre problème. Lorsqu’un projet fait l’objet d’un très grand nombre d’avis réservés, par exemple de la part de l’Autorité environnementale, du CNPN, de la Dreal ou encore de la DDT, je ne comprends pas qu’une réunion de consensus ne soit pas organisée. Le pétitionnaire devrait s’expliquer sur le contenu du projet, sur ses lacunes et sur la manière avec laquelle il a été construit. Ainsi, je pense que nous progresserions en efficacité sur la gestion des grands sites. Si nous disposions de cette capacité à écouter les services de l’État, nous éviterions également l’apparition de conflits potentiels. Ces services qui sont tout à fait compétents seraient alors en mesure d’améliorer les projets.
J’appelle donc les députés à envisager cette possibilité, c’est-à-dire l’organisation de réunions de consensus en cas d’avis réservés. Un tiers de confiance pourrait être désigné pour assurer un rôle d’intermédiaire entre les bureaux d’études et les décisionnaires. Ce rôle pourrait par exemple être confié à la Caisse des dépôts et consignations.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Mme Boyer a évoqué la possibilité de répondre à votre critique parue dans la presse, à condition d’obtenir des éléments plus détaillés. Elle apportera donc peut-être une réponse sur ce sujet.
M. Jacques Thomas. Mes arguments et mon rapport ont été fournis à maître Alice Terrasse, et ce rapport est inclus dans le recours sur le fond. J’ignore donc si un débat public pourrait être engagé sur ce dossier.
Mme Huguette Tiegna, présidente. Je vous remercie et je propose de clore cette audition.
La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.
Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, Mme Huguette Tiegna
Excusé. – M. Jean Terlier