Compte rendu
Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69
– Audition, ouverte à la presse, de M. Nyls de Pracontal, président de la commission espèces et communautés biologiques du Conseil national de la protection de la nature 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Étienne Frejefond, directeur régional pour l’Occitanie de l’Office français de la biodiversité et de M. Yvain Benzenet, chef de service régional adjoint. 14
– Présences en réunion................................30
– Annexe 1 : Avis du 13 février 2024 du déontologue de l’Assemblée nationale à M. Jean Terlier 31
– Annexe 2 : Avis du 22 mars 2024 du déontologue de l’Assemblée nationale à M. Jean Terlier 34
Mercredi 20 mars 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 6
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Jean Terlier,
Président de la commission
— 1 —
La séance est ouverte à quinze heures trente.
La commission auditionne M. Nyls de Pracontal, président de la commission espèces et communautés biologiques du Conseil national de la protection de la nature.
M. Jean Terlier, président. Chers collègues, nous poursuivons nos auditions consacrées au volet environnemental du chantier de l’A69. Je souhaite la bienvenue à M. Nyls de Pracontal, président de la commission espèces et communautés biologiques du Conseil national de protection de la nature (CNPN).
Monsieur, le CNPN a rendu le 12 septembre 2022 un avis négatif sur le projet d’autoroute A69, considérant qu’aucune raison majeure d’intérêt public ne justifiait le projet. L’objet de votre audition est principalement de nous exposer ce qui a motivé cet avis, qui est consultatif et non contraignant. Notre commission reconnaît sans réserve l’expertise du CNPN ; c’est pourquoi il est important de vous entendre aujourd’hui.
Avant de commencer, je rappelle que notre audition est publique et qu’elle est retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Nyls de Pracontal prête serment.)
M. Jean Terlier, président. Ma première question concerne à la fois la méthode et le principe qui ont sous-tendu l’avis émis par le CNPN. Votre avis, bien que succinct avec ses six pages – ce qui ne représente en aucun cas un jugement de ma part – peut néanmoins être considéré comme dense et substantiel. Cependant, j’ai été quelque peu étonné de constater que le CNPN critique, dans ses commentaires, les justifications économiques et sociales invoquées pour le projet de l’autoroute A69.
Je ne souhaite évidemment pas limiter la liberté d’expression des naturalistes, ni contester le lien entre économie et écologie. Cependant, ne pensez-vous pas que l’avis du CNPN aurait dû se limiter aux impacts environnementaux du projet ? Je rappelle que la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 assigne au CNPN une mission d’expertise sur la biodiversité et les écosystèmes, et non une mission d’évaluation générale, qui me semble relever davantage de l’Autorité environnementale.
Ma seconde interrogation porte sur vos potentiels engagements militants que les membres de la commission d’enquête auraient à connaître.
Je souhaiterais également savoir si vous considérez, en dépit des désaccords sur le projet, que l’ensemble des procédures a été respecté. Pouvez-vous aussi nous indiquer quelle est la proportion d’avis favorables et défavorables qui sont donnés par le CNPN sur des projets d’infrastructures de cette ampleur ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer comment vos avis sont élaborés, c’est-à-dire par quel processus, selon quels délais et si la décision a été collégiale ?
Mme Christine Arrighi, rapporteure de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69. Le CNPN est, en application de l’article 14 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, une instance d’expertise scientifique. Outre son rôle d’expertise sur la biodiversité terrestre, aquatique et marine, il donne un avis sur les projets de textes législatifs ou réglementaires et sur les interventions humaines dans les milieux naturels. Il est intervenu à ce titre sur le projet de l’A69, infrastructure qui traverse une zone riche en biodiversité.
Le CNPN accomplit un travail discret, mais extrêmement important, à un moment où chacun admet que la défense de la biodiversité est inséparable de la lutte contre le dérèglement climatique pour le maintien de la vie sur terre. Nous sommes à quelques mois de la COP 16 sur la biodiversité et notre pays ne peut, d’un côté, dans une instance internationale, proclamer son attachement à la biodiversité et, de l’autre, agir sur son territoire contre celle-ci.
Or c’est bien ce que représente à mon sens l’A69 : un chantier qui artificialise à nouveau des espaces agricoles et naturels, assèche des zones humides et menace la faune et la flore, alors que nous devons mettre en place l’application de la règle de zéro artificialisation nette (ZAN). Ce projet a été conçu à une époque où la menace sur le vivant n’était manifestement pas une préoccupation centrale. Or la protection de l’environnement se fonde non seulement sur des convictions, mais aussi sur du droit.
Votre audition va donc nous permettre de faire un point sur l’impact de l’A69 sur la biodiversité. L’avis du CNPN est certes consultatif – même si nous préférerions qu’il soit prescriptif – mais il n’en est pas moins le résultat d’un travail approfondi par des scientifiques dont le législateur a lui-même reconnu l’expertise, puisqu’il l’a consacrée par une loi.
M. Nyls de Pracontal, président de la commission espèces et communautés biologiques du Conseil national de la protection de la nature. Le CNPN est une institution créée en 1946 et régie par le code de l’environnement, qui fixe le champ de sa mission. Son régime a été révisé en 2016 par la loi relative à la biodiversité, qui a substantiellement modifié sa composition en y nommant des personnes intuitu personae plutôt que des représentants de structures. En 2020, dans le cadre des simplifications des procédures administratives environnementales, une décentralisation d’un nombre conséquent d’avis du CNPN a été opérée vers les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN). Ceux-ci sont nos équivalents dans toutes les régions de France et prennent désormais en charge environ la moitié des avis précédemment centralisés au niveau national.
Le CNPN est composé de 60 membres nommés par le ministre chargé de l’environnement, après appel à manifestation d’intérêt. Par conséquent, toute personne peut se porter candidate. Nous avons en outre trois commissions, dont une en instance plénière, qui se réunit onze fois par an en présentiel à La Défense et se prononce sur les projets de loi, de décrets et d’arrêtés ainsi que sur les stratégies nationales concernant des espèces à enjeu telles que le loup ou l’ours.
Deux commissions spécialisées complètent l’instance plénière : la commission des espaces protégés, qui s’occupe des créations d’aires protégées telles que les parcs régionaux ou nationaux et les réserves naturelles nationales ; la commission des espèces et communautés biologiques, que je préside. Cette dernière, composée de 42 membres, est saisie sur les dérogations relatives aux espèces protégées (DEP) en cas de construction d’infrastructure ou d’aménagement urbain, ou quand interviennent des manipulations d’espèces protégées qui peuvent être sollicitées par les scientifiques ; elle se prononce enfin sur les plans nationaux d’action (PNA) pour les espèces menacées.
En 2022, nous nous sommes réunis onze fois en présentiel et avons remis 16 avis sur des PNA, 113 avis sur des DEP hors aménagement et 205 avis sur des DEP liées à des infrastructures ou des aménagements.
Le nombre de dossiers que nous traitons dans ma seule commission ne permet pas de tous les examiner lors de la réunion en présentiel de la commission. Nous tenons en effet une commission en présentiel chaque mois, à l’exception du mois d’août, et durant l’année 2022, nous avons examiné 32 dossiers.
Le dossier qui nous occupe aujourd’hui n’est pas passé en commission, ce qui répond partiellement à votre interrogation sur la collégialité de l’avis. Lorsque nous sommes réunis, nous recevons le porteur de projet, le bureau d’étude-conseil associé ainsi que l’instructeur de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou de la direction départementale des territoires (DDT). Nous disposons alors d’environ une heure et demie par dossier pour approfondir l’examen. Cependant, ce n’est possible qu’environ 32 fois par an.
Ce dossier aurait mérité un tel traitement et je crois me souvenir que nous avions proposé d’en décaler le dépôt. En effet, nous disposons de deux mois pour rendre un avis, délai après lequel un avis tacite favorable est émis. Cependant, il nous a été confié pendant l’été et nous ne tenons pas de commission en août. Il nous fallait rendre un avis pour le 11 septembre, mais nos commissions sont généralement organisées lors de la dernière semaine du mois. Nous ne pouvions l’examiner fin septembre. Or il aurait largement mérité de passer en commission, car ceux que nous choisissons d’y étudier sont les plus emblématiques et les plus problématiques, et présentent un réel enjeu politique.
Nous avons donc tenté de proposer un décalage de dépôt, car une fois que le dossier commence par être instruit par la direction de l’eau et de la biodiversité (DEB), le délai de deux mois pour rendre un avis commence à courir. La majorité des avis qui ne passent pas en commission sont confiés à deux rapporteurs et, ensuite, le vice-président et moi-même relisons et validons tous les avis qui sortent. Par conséquent, je signe – ou mon vice-président lorsque je suis indisponible – tous les avis issus de la commission.
Tous les avis signés par la commission des espèces et communautés biologiques le sont de ma main, ce qui ne signifie pas nécessairement que j’en sois l’auteur. Je les lis et les valide, sur la forme comme sur le fond, puis ils sont mis à la disposition de l’administration et rendus publics sur le site internet « avis-biodiversité », où les avis de toutes nos commissions sont accessibles au public presque en temps réel. Ces avis visent à fournir un éclairage à l’administration pour l’aider dans ses décisions et à informer le public lors des consultations publiques.
Le CNPN est par ailleurs très vigilant en cas de conflit d’intérêt. Notre règlement intérieur y fait référence et nous signons une déclaration qui nous engage à nous déporter ou à nous signaler dès lors que surgit un enjeu, quel qu’il soit, notamment de proximité. Sur le plan personnel, je tiens à préciser que je n’ai eu aucun lien, ni de près ni de loin, avec les structures qui se sont politiquement ou médiatiquement engagées sur ce projet. Je me sens donc très éloigné de ce que j’ai pu lire dans la presse sur les liens supposés que j’avais ou que j’aurais pu avoir, ce qui est assez facilement vérifiable auprès des structures concernées.
S’agissant de la proportion d’avis défavorables et favorables, je vous renvoie à notre bilan annuel. Pour l’année 2022, l’ordre de grandeur correspond à environ 55 % d’avis favorables et 45 % d’avis défavorables en première lecture. Parfois, le message d’un avis défavorable appelle à revoir les dossiers et à apporter de nouveaux arguments. En effet, nous appelons parfois de nos vœux que les dossiers nous soient à nouveau présentés, ce qui permet d’observer les progrès réalisés par les pétitionnaires à la suite des recommandations.
En 2022, une trentaine de dossiers sont revenus devant notre commission pour un second avis. Certains sont même repassés une troisième ou une quatrième fois et en ce cas, la proportion d’avis favorables augmente pour ces dossiers. Nous constatons avec satisfaction que les dossiers s’améliorent nettement, notamment sur la prise en compte des enjeux de biodiversité.
Quant à notre légitimité à émettre des avis sur des sujets d’ordre économique, social ou sociétal, la loi oblige, lorsqu’une DEP est mobilisée, à remplir trois conditions cumulatives. D’abord, le projet d’infrastructure doit répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) ; ensuite, toutes les solutions alternatives doivent avoir été objectivées et démontrées ; enfin, le projet ne doit pas porter atteinte au maintien des populations en bon état de conservation. S’agissant de la première condition, la RIIPM – et le Conseil d’État le confirme régulièrement – demande de mettre en balance les enjeux du projet vis-à-vis des enjeux de biodiversité. Il est rappelé que la biodiversité constitue également un enjeu public majeur, soutenu par des politiques publiques ambitieuses.
La nuance n’est pas simple à appréhender avec la déclaration d’utilité publique (DUP), qui est rendue par un préfet et qui intervient en amont des impacts environnementaux. Concrètement, l’administration juge de l’intérêt public d’un projet dans un territoire donné. La DUP peut permettre des expropriations, mais à ce stade, les études d’impact n’ont pas encore été réalisées. Il n’est donc pas possible d’attribuer à la DUP le rôle de la RIIPM, établie sur la base de l’étude d’impact et des enjeux environnementaux. Des limites se posent donc dans cet exercice d’interprétation, préalable à décision de l’administration et éventuellement d’un juge. Nous sommes néanmoins tout à fait fondés à donner un avis, même si la RIIPM constitue une interprétation. Dans la démarche de DEP, il est de notre devoir d’examiner cette notion et de fournir un avis en conséquence. Il s’agit d’ailleurs d’une obligation réglementaire.
Dans le cas évoqué aujourd’hui, un faisceau d’informations nous a fondés à remettre un avis défavorable et assez critique sur la RIIPM. En effet, nous n’avons jamais motivé un avis défavorable exclusivement sur le fait que la RIIPM n’était pas justifiée, mais des indices nous permettent d’évaluer si un dossier remplit tous les critères.
Dans ce cas précis, ce dossier ne nous semblait pas constituer une RIIPM en raison du manque d’argument et de conviction apportés à notre endroit. Par exemple, il n’était pas démontré de manière suffisamment convaincante que l’attractivité du territoire serait favorisée par l’autoroute. L’amélioration de la sécurité routière nous paraissait toutefois assez évidente, mais la nécessité d’une mise à 2 fois 2 voies n’était pas clairement démontrée dans les arguments présentés. De plus, l’augmentation de la vitesse entraîne une hausse de la consommation de CO2, ce qui pose des questions quant au respect de la neutralité carbone. L’artificialisation des sols s’éloigne quant à elle considérablement de l’objectif d’intérêt général sur la ZAN.
Nous nous prononçons également sur l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité en fonction de l’impact attendu sur les espèces, leurs habitats et leurs fonctions écologiques et nous remarquons que nous en sommes assez éloignés dans ce dossier. L’ensemble de ces informations fonde donc notre conviction et, de notre point de vue, les arguments n’étaient pas convaincants au moment où le dossier a été présenté.
Ensuite, nous avons étudié les autres sujets qui fondent l’octroi d’une DEP, tels que les alternatives, qui constituent une condition réglementaire et un exercice attendu. Selon moi, la difficulté de cet exercice réside dans le fait de justifier l’intérêt du choix ou de la typologie du projet si tard dans la procédure. En effet, le concessionnaire est déjà choisi, développe son projet et, ensuite, l’exercice de DEP lui demande de justifier que son choix est le bon. La temporalité n’est pas idéale et je comprends le point de vue du concessionnaire ainsi que des élus qui ont soutenu ou soutiennent le projet. En effet, la réalisation d’une nouvelle autoroute a déjà été identifiée comme la solution la plus adéquate pour atteindre les objectifs déterminés, mais la réglementation demande de prouver que ce choix est le meilleur possible du point de vue des impacts sur la biodiversité. Par conséquent, nous étudions les alternatives, qui ne correspondent pas qu’aux barreaux routiers.
Dans cet exercice de dérogation, il est toujours nécessaire de nous démontrer que le type de projet retenu est celui du moindre impact environnemental. Des arguments un peu plus étoffés auraient donc été nécessaires pour démontrer à quel point cette autoroute représente le meilleur des choix possibles et a un impact limité sur la biodiversité. Ce dossier ne correspond toutefois pas à un cas isolé. Évaluer si un choix est le meilleur est une étape qui arrive parfois après des années d’études.
Par exemple, le contournement Ouest de Strasbourg était un projet important il y a quelques années, qui visait à désengorger la ville et réduire la pollution. Il serait maintenant intéressant d’évaluer si les objectifs ont été atteints et, manifestement, ils ne l’ont pas été tout à fait. Il est donc nécessaire d’amener des garanties préalables, davantage que des intentions, car lorsque le projet est réalisé, il est difficile de le réorienter.
Dans ces dossiers de grandes infrastructures routières portées par l’État, nous sommes attentifs aux efforts fournis en parallèle pour s’engager dans l’objectif de la ZAN. Ce n’est d’ailleurs pas un objectif du seul CNPN, tout comme l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité : ces objectifs sont inscrits dans la loi et sont les chemins qu’il convient d’emprunter.
Ce dossier, symptomatique de tous les grands projets d’infrastructures routières, manque de réflexion, ce que nous aurions pu comprendre il y a vingt ou trente ans. Par exemple, la réflexion a manqué sur la désimperméabilisation ou la renaturation de sols, en compensation de ceux artificialisés par le projet et va à l’encontre des objectifs fixés par la loi. Nous regrettons qu’aucun effort d’imagination et d’action ne soit déployé pour essayer de se rapprocher de cet objectif de la ZAN, qui n’est certes pas simple à atteindre.
Nous aimerions cependant que ces grands projets, qui peuvent parfois paraître anachroniques, intègrent une réflexion sur la manière de faire autrement. S’il n’est pas possible d’agir autrement, de solides réflexions doivent alors être menées sur la manière de minimiser l’ensemble des impacts d’une telle infrastructure. Cependant, celles-ci manquaient au dossier et il est étrange qu’elles aient été évacuées dans le cadre d’un projet porté par l’État et les collectivités alors que je suis convaincu qu’il est possible d’apporter des réponses, du moins partielles. Nous nous sommes penchés sur le dossier en août ou septembre 2022 et, de notre point de vue, il n’était pas abouti, tant sur la forme que sur le fond.
Par ailleurs, ce projet impacte singulièrement beaucoup de terres agricoles qui ont été considérées comme artificialisées. La loi « climat et résilience » de 2021 définit pourtant ce que sont des terres artificialisées et les terres agricoles n’en font pas partie. De plus, les considérer comme artificialisées revient à les comparer à un parking de supermarché, ce qui est loin d’être le cas d’un point de vue naturel. Cela revient également à considérer qu’elles ne présentent pas le potentiel de renaturation très rapide de ces milieux agricoles, notamment à la faveur de changements de pratiques. Enfin, ces espaces agricoles regroupent aussi des espèces protégées.
De notre point de vue, la présentation même des impacts sur ces milieux agricoles n’est pas adéquate, étant donné qu’elle induit l’inexistence d’enjeu à ces endroits, ce qui n’est pas le cas. Ces espaces sont en constante dynamique et, en fonction de leur histoire, de l’environnement et des pratiques, ils peuvent retrouver une plus grande naturalité et certains fonctionnements en quelques années seulement. Nous avons donc identifié une difficulté de compréhension à ce sujet avec le bureau d’étude ou le pétitionnaire. Celle-ci dégrade complètement l’appréciation que nous pouvons avoir des impacts généraux sur le projet, car même si ce ne sont pas des zones d’altitude ou de magnifiques tourbières en très bon état, les impacts doivent être appréciés au bon niveau afin de pouvoir éviter au maximum et de réduire au besoin.
En outre, il était compliqué de valider les mesures d’évitement, de réduction et de compensation qui avaient été proposées dans le cadre de ce dossier. Les guides nationaux de l’État définissent ce que sont ou non des mesures d’évitement, de réduction, de compensation et d’accompagnement et les mesures proposées dans le dossier en 2022 ne constituaient pas des mesures d’évitement au sens de la typologie. Nous avions donc proposé de les reclasser en mesures de réduction, mais l’intérêt de la doctrine éviter-réduire-compenser (ERC) réside dans le fait de tout investir sur l’évitement. En effet, plus on investit sur l’évitement, moins on aura à compenser. Par conséquent, si un projet contient très peu de mesures d’évitement, il sera nécessaire de beaucoup réduire et de beaucoup compenser. Rappelons que la compensation présente des difficultés techniques et des difficultés pour mobiliser les ressources foncières ainsi qu’atteindre l’objectif de zéro perte nette de biodiversité.
Les études scientifiques – notamment celle du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) parue ce mois-ci – montrent qu’il est encore très difficile d’atteindre les objectifs de zéro perte nette de biodiversité en faisant de la compensation. Il faut donc se montrer extrêmement prudent sur la compensation, car elle ne fonctionne pas de manière optimale. Les études de suivi des mesures compensatoires montrent en effet, année après année, que les objectifs fixés ne sont pas atteints. Notre regard est nourri de ces retours d’expérience qui, en France et dans le monde, contraignent à relativiser la certitude que nous pourrions avoir sur notre capacité à recréer de la nature. Ce n’est en effet pas si simple et les contraintes auxquelles font aujourd’hui face les habitats naturels et les espèces, renforcées par les changements globaux, alimentent l’incertitude d’atteindre l’objectif de zéro perte nette. Nous insistons donc pour concentrer les efforts sur l’évitement, car nous n’avons pas la certitude de parvenir à atteindre les objectifs de compensation.
M. Jean Terlier, président. J’aimerais que vous puissiez faire parvenir à notre commission le pourcentage d’avis favorables et défavorables émis sur des projets similaires, c’est-à-dire sur des projets routiers ou autoroutiers.
Vous avez en outre mentionné l’absence de solutions alternatives comme un des éléments ayant conduit à rendre un avis négatif. Je suis un peu surpris, car vous avez dit avoir rendu votre avis le 13 septembre 2022, alors qu’un arrêt a été rendu par le Conseil d’État sur la DUP le 5 mars 2021. Il dispose la chose suivante : « Contrairement à ce qui est soutenu, l’étude d’impact comprend une analyse suffisante de la solution alternative examinée par le maître d’ouvrage, consistant en un aménagement sur place en 2 fois 2 voies de la route nationale 126. Elle précise les avantages et les inconvénients de cet aménagement et expose ainsi les raisons pour lesquelles le projet présenté a été retenu ».
Je suis donc surpris, car ce texte dit que les solutions alternatives ont été envisagées et qu’elles sont bien présentes. En revanche, votre avis indique postérieurement le contraire et ce critère vient abonder l’avis négatif. De plus, ce projet a un impact sur 300 hectares, et non sur 500 hectares, dont 100 seulement sont artificialisés et 200 vont faire l’objet de renaturation de dépendances vertes, comme s’y engage le concessionnaire. Il me semble que celui-ci a fourni un effort conséquent pour limiter au maximum l’artificialisation des sols et j’aimerais avoir votre avis à ce sujet.
Un autre élément me choque au sujet de l’attractivité. Vous auriez peut-être pu solliciter celles et ceux qui, sur le territoire, ont la compétence économique, comme la communauté d’agglomération de Castres-Mazamet, la communauté de communes Sor et Agout, la chambre de métiers et de l’artisanat, la chambre de commerce et d’industrie ou la chambre d’agriculture. Je pense qu’ils vous auraient tous indiqué que cette question de l’attractivité est bien présente à tous les niveaux.
Je connais plus particulièrement la situation du service public de la justice au tribunal judiciaire de Castres, dont, à la différence du tribunal judiciaire d’Albi, la rentrée solennelle se fait sans président et sans procureur parce qu’il est difficile de venir sur le bassin de Castres-Mazamet. Ces tribunaux sont pourtant à équidistance, mais l’un dispose d’une autoroute, contrairement à l’autre actuellement. La question de l’attractivité est très claire et celles et ceux qui habitent le territoire et qui ont la compétence économique auraient pu vous le préciser.
S’agissant des terrains agricoles, nous savons aujourd’hui – mais vous ne le saviez peut-être pas alors – qu’une centaine d’exploitations sont impactées. Les syndicats agricoles et la chambre d’agriculture nous ont indiqué qu’il n’y avait que 3 % de contentieux devant le juge de l’expropriation. On nous a également dit qu’une des raisons pour lesquelles le taux de recours et de contentieux devant le juge de l’expropriation était si faible réside dans le fait que le concessionnaire avait joué le jeu sur les compensations agricoles au profit des agriculteurs et des exploitations agricoles impactées. Au moment où vous rendez votre avis, ces éléments étaient parfaitement connus et vous auriez dû, selon moi, émettre un avis peut-être plus mesuré sur les questions d’attractivité ou sur l’absence d’études alternatives. Il me semble que votre avis n’est pas en adéquation avec ce qui était connu à l’époque sur le territoire.
M. Nyls de Pracontal. Sur les 55 dossiers inscrits dans le bilan de 2022 relatif aux infrastructures linéaires, 31 ont reçu un avis favorable et 24 un avis défavorable. Ce bilan a été présenté en commission plénière de janvier 2024 et sera bientôt mis en ligne.
Je rappelle par ailleurs que nous sommes tous bénévoles au CNPN et que nous y consacrons du temps quand nous le pouvons, ce qui explique que nous nous impliquons uniquement sur les documents qui nous sont fournis pour étude. Nous n’avons en effet ni le temps ni le mandat de nous rendre sur place comme l’Autorité environnementale, qui dispose d’ailleurs de capacités de travail supplémentaires, en secrétariat notamment. Nous n’allons pas non plus chercher des informations complémentaires, car nous n’en avons matériellement ni le temps ni le besoin. De plus, nous nous basons sur le dossier qui nous est fourni et qui doit être complet. Il est donc tout à fait possible que certains documents nous échappent. De manière générale, nous demandons tout de même à l’administration de nous transmettre les autres avis qui auraient éventuellement été fournis ou produits avant les nôtres par l’Autorité environnementale locale ou nationale, l’Office français de la biodiversité (OFB) ou une autre structure. Ces différents avis offrent d’autres perceptions et des regards croisés sur le dossier.
En ce qui concerne le dossier de DUP de 2021, il s’agit d’une question de point de vue, car le Conseil d’État n’observe pas exactement les mêmes éléments que nous. Il compte en outre en son sein peu d’écologues qui permettraient de porter un regard un peu équilibré. À nouveau, nous travaillons avec nos sensibilités dans le cadre du CNPN et nous avons peut-être un tropisme axé sur la protection de la nature, ce qui est toutefois conforme à notre mandat. Je suis d’ailleurs assez heureux quand les avis ne sont pas tous identiques, car l’État dispose d’avis différents et opère un choix final.
En effet, nous rendons des avis à la demande du ministre pour ce qui concerne notre périmètre d’action, mais ensuite, le préfet ou le ministre pose un choix avec l’ensemble des sensibilités ou des expertises dont il dispose. Disposer d’avis complémentaires et de regards différents sur un projet constitue selon moi une force pour fonder une décision finale.
M. Jean Terlier, président. C’est effectivement le ministre et, après, le pouvoir judiciaire, de manière indépendante, qui se prononcent.
M. Nyls de Pracontal. Nous ne commentons pas les décisions du Conseil d’État, qui a en quelque sorte une fonction de juge de paix. J’accepte parfaitement les règles du jeu et nous ne les remettons pas en cause. Le Conseil d’État a sa propre lecture, qui est une lecture d’interprétation et la jurisprudence sur la RIIPM montre qu’en fonction des juridictions, les avis peuvent être très différents.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous nous avez indiqué, comme l’a fait l’Autorité environnementale, que le délai de réponse s’élevait à deux mois. Concrètement, un délai de trois mois a été raccourci à deux mois par la loi ; il va contraindre encore davantage la phase d’instruction préalable à ces avis. Vous nous dites par ailleurs que le dossier est arrivé en plein été et que vous aviez proposé un décalage du dépôt. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Ensuite, vous nous avez fait état des obligations réglementaires et de la question relative à l’artificialisation des sols, qui est un sujet extrêmement important et que le législateur a aujourd’hui consacré dans la loi, avec l’objectif de zéro artificialisation nette des sols. Vous avez également indiqué que l’appréciation de la qualité des terres agricoles, considérées comme artificialisées, avait des impacts sur le potentiel de renaturation et sur la compensation. Combien d’hectares de ces terres agricoles ont-ils été considérés comme artificialisés et quelles sont les conséquences à attendre sur la compensation de ces terres en zone de renaturation ? Avez-vous une idée de la maîtrise foncière qu’Atosca peut avoir sur l’ensemble de ces zones, que ce soit des terres agricoles ou des zones humides ?
Enfin, je voulais quand même répondre à une affirmation qui est sans cesse répétée, ce qui n’en fait pas une vérité, sur l’absence d’un magistrat à Castres. Nous avons interrogé des magistrats de Toulouse ainsi que la présidente du tribunal administratif et il apparaît que ce n’est pas parce que Castres est enclavé qu’il n’y a pas de nomination de magistrat. Ils nous disent qu’ils seraient tout à fait à même d’aller à Castres en prenant le train.
M. Jean Terlier, président. Je vous propose de venir discuter avec les magistrats de Castres.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. À votre vérité, j’oppose la mienne et je pense qu’elle n’est pas plus contestable que la vôtre.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). Je comprends que le rôle du CNPN est de se prononcer sur les interventions humaines en milieu naturel dans un objectif de protection des milieux et des espèces. Or, en lisant votre avis, je comprends que vous étiez quasiment en incapacité de le faire au vu des lacunes du dossier, telles que des inventaires insuffisants en termes de flore, de faune ou de caractérisation des habitats naturels, la négligence de la présence de vie en milieu cultivé sur des terres agricoles, l’absence des enjeux liés à l’aménagement foncier et agricole, la minimisation par l’étude des impacts en matière d’habitabilité des milieux avoisinant l’autoroute, etc.
Je trouve ce constat atterrant, mais je pense que le problème principal concerne les mesures ERC, qui font l’objet d’erreurs manifestes. En effet, vous évoquiez le fait que le concessionnaire présentait des mesures d’évitement, alors qu’elles relèvent en réalité de la réduction. Vous avez pointé l’absence d’état initial de la faune et de la flore, ce qui explique que le gain potentiel pour les espèces visées ne peut pas être évalué. Vous avez surtout indiqué qu’au moment de votre avis en septembre 2022, l’ensemble des mesures de compensation n’était pas trouvé, caractérisé et sécurisé comme il doit l’être normalement. Il n’est donc pas possible de conclure qu’il n’y aura pas de perte nette de biodiversité. L’écologue Jacques Thomas a par ailleurs indiqué que les pertes de zones humides ne seraient pas compensées.
Sauf erreur de ma part, les mesures de compensation sont censées avoir été trouvées, caractérisées et sécurisées avant le démarrage du chantier. Ce n’était donc pas le cas en 2022. Est-ce le cas aujourd’hui ? Vos remarques ont-elles été prises en compte ? J’ai en outre l’impression qu’on ne vous a pas donné les moyens d’effectuer votre travail. Confirmez-vous cette difficulté due aux manques du dossier ? Existe-t-il une explication ? Je pensais naïvement que l’information nécessaire à la remise de votre avis vous était fournie.
Le délai supplémentaire que vous évoquiez pour consulter votre commission, vu l’importance structurante du dossier, ne vous a pas été accordé. Avez-vous reçu une justification ? Enfin, comment expliquez-vous que ce dossier ait reçu une autorisation environnementale au vu de tous ces manques ? Le cadre du droit environnemental est-il bien respecté ?
M. Nyls de Pracontal. Je ne pense pas qu’il existe de mauvaises intentions au sujet de la demande de décalage du dépôt de dossier. Lorsque celui-ci entre dans la mécanique administrative, le délai de deux mois commence à courir. Nous avons simplement alerté rapidement la DEB pour indiquer qu’un décalage de l’envoi de ce dossier par l’administration locale serait idéal afin d’attendre fin septembre et recevoir le pétitionnaire. Je pense simplement que le dossier avait été envoyé et qu’il n’était plus possible de faire marche arrière.
S’agissant du nombre d’hectares artificialisés, je m’en tiens au dossier reçu à l’époque de la consultation de ce projet, mais je ne sais pas s’il a évolué. En effet, nous sommes saisis sur un dossier, rendons un avis, mais ne connaissons pas la suite administrative dont il fait l’objet. Par conséquent, nous ne savons pas lesquelles de nos recommandations seront, par exemple, reprises dans l’arrêté environnemental d’un préfet. Nous ne savons d’ailleurs pas si le dossier va être finalement accepté ou refusé.
Nous n’avons donc pas connaissance de la suite de la procédure, à part si l’administration demande, sur la base de notre avis défavorable, un mémoire en réponse au pétitionnaire, dont nous ne sommes toutefois pas destinataires. L’administration peut alors décider que les réponses sont satisfaisantes et que nos remarques ont été couvertes par les réponses du porteur de projet, ce qui permet au dossier de poursuivre sa vie administrative. Dans d’autres cas, les réponses ne sont pas encore satisfaisantes du point de vue de l’administration – ou elles sont satisfaisantes mais l’administration souhaite une confirmation du CNPN – et celle-ci demande un nouveau passage en CNPN. Dans ce cas, nous avons accès au mémoire de réponse, sur lequel nous nous prononçons. Ce passage est parfois utile lorsque l’administration a besoin d’un avis favorable. D’ailleurs, elle a tout à fait le droit de ne pas reprendre nos recommandations.
Je ne sais donc pas si le projet a évolué ou pas depuis la version de 2022 sur le nombre d’hectares, car nous n’avons pas été saisis à nouveau, à la suite de cet avis défavorable. Il était question à l’époque de 356 hectares d’emprise définitive et de 135 hectares d’emprise temporaire dans le cadre des travaux.
S’agissant des terres agricoles, l’aménagement foncier agricole forestier environnemental (Afafe) correspond généralement à un remembrement. Concrètement, les grandes infrastructures linéaires découpent le paysage agricole et un arrangement est trouvé entre la chambre d’agriculture, la DDT et les agriculteurs pour réorganiser les parcelles. Un Afafe peut avoir des impacts encore plus importants qu’une route, car il modifie les chemins et les haies existant autour de ces chemins. Cependant, il passe souvent en dessous des radars et n’est pas traité dans la même temporalité que le projet. Le porteur confie en outre cette tâche à la chambre d’agriculture et à la DDT.
L’Afafe et le projet autoroutier sont intimement liés mais n’ont pas la même temporalité. Celle-ci ne permet pas d’avoir une réelle vue d’ensemble et d’apprécier la cohérence globale du projet. Nous n’avons donc pas connaissance de tous les impacts induits par le projet, même si nous pouvons comprendre qu’il n’est pas forcément possible matériellement de tous les inscrire dans un seul et même dossier. Une appréciation des enjeux à la bonne échelle est toutefois nécessaire, ces routes impliquant d’autres aménagements que nous ne voyons pas et, par conséquent, des impacts sur les espèces et les fonctions écologiques.
À l’époque, une partie des mesures compensatoires et du foncier pour la compensation n’avait pas encore été trouvée ou faisait l’objet de discussion. À nouveau, nous ne sommes pas dogmatiques en la matière, car nous savons à quel point la situation est tendue sur la disponibilité du foncier. Certains territoires ne disposent plus de ressource foncière pour la compensation, ce qui n’est toutefois pas le cas dans le projet en question. Néanmoins, la loi rappelle que les mesures compensatoires doivent être mobilisées au moment où le projet se lance, ce qui n’est presque jamais appliqué. Cependant, comme nous ne revoyons pas les dossiers, nous ne pouvons pas nous contenter d’intentions. Nous devons vérifier l’absence de perte nette de biodiversité, ce qui nécessite de connaître la localisation des parcelles concernées et ce qu’elles accueillent afin de recréer de la biodiversité. Nous essayons donc d’évaluer la proportion de mesures compensatoires déjà mobilisées pour chaque projet et nous rappelons dans nos recommandations qu’il sera nécessaire de les trouver rapidement. Nous déléguons en quelque sorte cette responsabilité aux services de l’État, mais dans le cas du projet A69, les arguments relatifs à la compensation n’étaient pas suffisamment mûrs.
Par ailleurs, le dossier comprenait tout ce que le pétitionnaire voulait nous mettre à disposition avec le bureau d’étude. Nous avions donc la possibilité de rendre un avis, même si nous aurions volontiers pris en compte des informations supplémentaires. Ce dossier de demande de dérogation comptait tout de même 600 pages, auxquelles s’ajoutent 600 pages d’annexes. De plus, l’étude d’impact représentait plusieurs milliers de pages. Il peut donc nous arriver de passer à côté d’informations, car nous nous impliquons dans ces dossiers pendant notre temps libre. En outre, plus les délais sont réduits pour obtenir une autorisation environnementale, plus certains éléments importants peuvent être éclipsés, ce que nous regrettons.
Je fais partie de cette commission depuis 2017 et je constate que celles et ceux qui jouent le jeu, c’est-à-dire qui mobilisent la DEP dans l’esprit de la loi et des objectifs, parviennent à leurs résultats. En revanche, il arrive que certains souhaitent avancer rapidement et soient rattrapés par les nécessités réglementaires. Nous comprenons par exemple que des dossiers non aboutis nous parviennent, car les délais des programmations européennes de financement doivent être tenus, mais aller trop vite s’avère parfois contre-productif.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous soulignez que le maître d’ouvrage considère les milieux agricoles comme artificialisés, en contradiction avec les définitions reconnues légalement de l’artificialisation des sols. Quelles sont les conséquences résultant de cette qualification inadéquate, notamment par rapport au nombre d’hectares à compenser ? Ce procédé minimise-t-il le nombre d’hectares à compenser et la nature des compensations à réaliser ? Je vous pose cette question, notamment car nous allons auditionner la chambre d’agriculture et des agriculteurs.
M. Nyls de Pracontal. La loi « climat et résilience » de 2021 définit l’artificialisation comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que son potentiel agronomique par son occupation ou son usage, ce qui explique que des milieux agricoles ne relèvent pas de cette catégorie.
Des inventaires sont réalisés et les enjeux sont hiérarchisés. De cette manière, les zones agricoles de type conventionnel, c’est-à-dire un peu intensif, n’occupent pas le haut de la liste des zones à enjeux de biodiversité. Certains ont alors tendance à ne pas trop les considérer et quelques dossiers proposent même de ne pas les compenser. Nous rappelons alors que ces zones sont des terrains dynamiques, car la nature peut rapidement s’y réinstaller dans sa complexité et sa diversité. Ce potentiel de réactivation doit donc être pris en compte. Par exemple, des politiques essaient de favoriser des agricultures moins intensives et un changement de pratique peut conduire la diversité biologique à s’exprimer de façon très différente dans ce type d’endroits. Considérer ces zones comme ne présentant pas d’enjeu exonère de la recherche de mesures de compensation, ce qui n’est pas acceptable de notre point de vue. Ces habitats sont en effet vivants malgré tout et il y existe encore des espèces protégées.
L’impact global de dimensionnement était donc quelque peu biaisé, puisqu’une terre agricole qui ne vaut rien ne nécessite pas de mesures de compensation. Cette manière de réfléchir ne respecte pas tout à fait l’esprit de la loi : c’est pourquoi nous rappelons que les milieux agricoles ne sont pas des zones artificialisées et qu’ils doivent être pris pour ce qu’ils sont et ce qu’ils pourraient être. Une telle zone sera moins riche qu’une tourbière ou qu’un coteau calcaire, mais ces habitats restent naturels même s’ils sont exploités d’une façon intensive. Ces habitats nécessitent donc d’être pris en compte pour leur potentiel de restauration.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous souvenez-vous du nombre d’hectares qui ont été considérés comme artificialisés ? Si vous n’avez pas la réponse, vous pourrez nous la transmettre dans le cadre de vos réponses écrites parce qu’il est très important de connaître la valeur donnée aux terres agricoles dans ce dossier.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). L’avis semble considérer que la RIIPM n’est pas justifiée, voire même que le projet va à l’encontre de l’intérêt général sur certains points, notamment sur la question de l’artificialisation d’une partie d’un champ naturel d’expansion des crues du Girou. J’aurais voulu comprendre pourquoi ce point est important.
De plus, cette RIIPM n’a-t-elle pas été, selon vous, délivrée de manière un peu abusive ? En tous cas, n’a-t-on pas l’impression que des intérêts économiques privés ont été privilégiés par rapport à des données d’intérêt général ?
M. Jean Terlier, président. Le juge administratif aura la charge d’apporter la réponse à la question de ma collègue.
M. Nyls de Pracontal. Notre appréciation est orientée par un faisceau d’informations et peut être interprétée de différentes manières. De notre point de vue, artificialiser des zones d’expansion de crue n’est pas forcément un choix très pertinent. Nous savons où va l’eau lors des inondations et les champs d’expansion de crue jouent à la fois un rôle social, sans doute économique, mais évidemment environnemental. Contraindre à nouveau l’eau, notamment au vu des résultats plus ou moins efficaces que l’on connaît dans cette région et ailleurs, pose question. Cependant, il n’existe peut-être pas d’autres choix et l’intérêt réside dans le fait de démontrer qu’il s’agit du meilleur des choix possibles. À titre personnel, je ne suis pas sûr qu’il le soit.
Je suis par ailleurs ennuyé pour répondre à votre dernière question, car nous nous sommes prononcés avec notre propre regard. Nous essayons de mettre en balance les enjeux du projet avec ceux de la biodiversité, ce qui n’exclut pas l’existence d’enjeux économiques ou d’attractivité. Finalement, il revient au juge, ou à l’administration, de répondre à la question. Nous avons fait part de notre perception de la situation dans le contexte qui est le nôtre, tandis que d’autres ont des éléments supplémentaires de réponse à apporter. Ensemble, ils permettent à ceux qui ont à prendre les décisions d’opérer un choix de la façon la plus éclairée possible.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). La notion d’enclavement est revenue lors d’autres auditions et s’est avérée ne pas constituer un concept scientifique. Elle s’avère être très relative et subjective, comme l’a rappelé M. Milanesi, qui est économiste à l’université Paul Sabatier. Certes la décision revient au ministre ou au préfet, mais je voulais souligner l’importance de reposer le choix sur des faits scientifiques, et non sur des opinions.
Ce scientifique nous a expliqué que l’agglomération Castres-Mazamet n’est ni enclavée ni une zone défavorisée, mais un territoire attractif qui ne perd pas d’habitants. Avez-vous, au CNPN, des critères pour décrire l’enclavement d’un territoire ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet sur l’axe entre Toulouse et le Sud du Tarn ? Pourquoi l’argument selon lequel l’autoroute serait nécessaire pour améliorer la sécurité sur le trajet ne vous semble-t-il pas pertinent ?
M. Nyls de Pracontal. Je ne saurais pas définir l’enclavement, qui est une notion sujette à interprétation. Les porteurs de projet doivent nous démontrer que le choix opéré est le meilleur à différents égards : si l’enclavement est désigné comme le sujet central, est-ce que le choix de l’autoroute comme nouvelle infrastructure est le bon choix ? Nous devons être convaincus que le projet va bien répondre à l’objectif initial et qu’il est le choix du moindre impact environnemental. Y avait-il d’autres options pour désenclaver cette région-là ? Certainement, et la démonstration catégorique et définitive que ce choix-là était le meilleur et présentait le moindre impact environnemental nous a manqué.
Lorsqu’un porteur de projet est une entreprise qui construit des routes, comment peut-on lui demander d’objectiver que le choix de la route n’est peut-être pas le bon ? Comment pourrait-il justifier que le rail constitue peut-être une très bonne solution, moyennant d’autres investissements ? Il aurait également pu dire qu’en 2022, il était peut-être nécessaire de se tourner vers d’autres types de déplacements et qu’il fallait sortir du « tout routier ». Cependant, son travail est de construire une autoroute et il doit nous convaincre qu’il fait le meilleur choix. Il faut se donner tous les moyens d’avoir regardé toutes les options possibles, mais crédibles, en prenant en compte les enjeux techniques, géotechniques, de coûts et de biodiversité.
M. Jean Terlier, président. Je me permets de rappeler que, préalablement, le projet a été déclaré d’utilité publique. Ce n’est bien donc pas le seul concessionnaire qui décide de ce projet.
M. Nyls de Pracontal. Je renvoie plutôt la responsabilité à l’État dans l’affaire, mais je voulais expliquer quelle était la difficulté rencontrée par un porteur de projet. Par exemple, il est très difficile pour un développeur éolien de dire que l’hydroélectricité constituerait le meilleur choix.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous avez dit que le dossier n’était pas abouti sur la forme et sur le fond, ce qui semble démontrer que vous n’avez pas eu l’ensemble des documents nécessaires pour bien appréhender le dossier. Nous avons l’impression qu’il a été monté rapidement pour obtenir une réponse rapide, mais que tous les documents nécessaires n’ont pas été transmis. Pouvez-vous valider cette impression ou non ?
M. Nyls de Pracontal. Je valide notre avis défavorable et nous avons travaillé avec ce que nous avions. Lorsque le dossier a été étudié en août 2022, il ne répondait pas à toutes les exigences réglementaires demandées. Il nous manquait des documents et, si nous les avions tous eus, l’avis aurait certainement été différent. Nous n’évaluons pas l’opportunité ou non du projet, mais s’il s’agit du bon projet au sens du moindre impact environnemental, si ce projet est le meilleur projet pour répondre aux objectifs, si les inventaires sont bien réalisés, si la séquence ERC est bien menée et si, à l’arrivée, nous pouvons garantir l’objectif de zéro perte nette de biodiversité. 45 % des dossiers qui sont passés en 2022 ont également reçu un avis défavorable et certains porteurs sont revenus en améliorant substantiellement leur dossier pour répondre au cadre.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Si cela avait été sérieux, vous auriez pu avoir un retour de dossier, travailler avec les éléments concrets et remettre un avis favorable, du moins si le cadre avait été respecté.
M. Jean Terlier, président. Nous sommes bien d’accord que vous répondez sur la base des documents qui vous sont communiqués, mais qu’à ce stade, il ne vous a pas manqué de documents. Vous n’avez pas été empêchés et vous n’avez pas été gênés. La procédure a été parfaitement respectée, ce qui vous a conduit à rendre votre avis, qui est certes défavorable, mais aucun document manquant ne vous aurait empêché de rendre un avis.
M. Nyls de Pracontal. Je confirme que le dossier était complet. Enfin, il ne l’était pas au sens des éléments à nous apporter pour nous convaincre d’émettre un avis favorable.
*
La commission auditionne M. Étienne Frejefond, directeur régional pour l’Occitanie de l’Office français de la biodiversité et M. Yvain Benzenet, chef de service régional adjoint.
M. Jean Terlier, président. Nous poursuivons nos auditions sur le montage juridique et financier de l’autoroute A69.
Je souhaite la bienvenue à M. Étienne Frejefond, directeur régional de l’Office français de la biodiversité d’Occitanie et à M. Yvain Benzenet, chef de service régional adjoint.
Messieurs, l’impact environnemental du chantier de l’A69 a fait l’objet d’un travail considérable de la part du concessionnaire comme des services de l’État, qui ont instruit les demandes de déclaration d’utilité publique et d’autorisations environnementales. L’OFB a toutefois donné un avis très réservé sur de nombreux volets des dossiers préalables à la DUP et à l’autorisation environnementale de l’A69. Votre audition de ce jour va nous permettre de comprendre comment vous avez travaillé sur ces dossiers avec les différents services de l’État, le cas échéant avec le concessionnaire Atosca, et quelle évaluation vous portez en définitive sur l’impact environnemental de ce chantier.
Avant de commencer, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
Messieurs, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Étienne Frejefond et M. Yvain Benzenet prêtent serment.)
Avant de passer la parole à notre rapporteure, Mme Christine Arrighi, je souhaiterais vous poser trois questions.
La première concerne les avis que vous avez rendus : pourriez-vous nous indiquer, de votre point de vue et d'un point de vue juridique uniquement, si l'ensemble des étapes de ce projet sont respectueuses du droit et des procédures prévues en l'espèce ?
Ma deuxième question vise à savoir s’il est fréquent que l'OFB se prononce sur des projets d'infrastructures comme celui de l’A69. Si tel est le cas, émet-il autant de réserves que sur ledit projet de l'autoroute A69 ? En d'autres termes, le dossier de l’A69 est-il particulièrement dommageable pour l'environnement, plus dommageable que d'autres projets, ou bien se situe-t-il dans la moyenne de ce que vous analysez habituellement ?
Enfin, la dernière question fait le lien avec la deuxième. Vous le savez, tout projet d'infrastructures, d'aménagements, de logements, d'équipements a un impact sur la nature ; avec l'affinement des connaissances scientifiques qui nous montre l'interaction de l'ensemble des espèces qui composent le vivant, n'est-il pas inévitable que l'Office émette des avis négatifs ou des réserves sur tout projet ?
Après ces trois questions, Madame la rapporteure, je vous cède la parole.
Mme Christine Arrighi, rapporteure de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69. Je remercie M. Étienne Frejefond et M. Yvain Benzenet d’être parmi nous cet après-midi. Je suis d’autant plus sensible à leur présence que l’OFB a subi récemment des attaques injustes lors de la crise agricole, alors que l'Office n'est responsable en rien du modèle économique à l'origine de cette crise et que son rôle est essentiel au regard des enjeux de notre temps. Rappelons par exemple que l’extinction de la biodiversité signifie l’effondrement des pollinisateurs, qui rendent un service gratuit à nos producteurs fruitiers ou horticoles.
L'OFB a été saisi du projet de l'A69 et, comme le CNPN, a rendu un avis très réservé sur de nombreux volets des dossiers de DUP et d'autorisation environnementale. Les réserves que vous avez émises ont constitué la trame du questionnaire que je vous ai adressé et dont mes collègues ont eu copie ; je souhaite que cette commission d’enquête soit exemplaire au niveau de la transparence ; l'ensemble des questions que je pose sont en conséquence communiquées aux membres de la commission d'enquête.
Il s'avère que, d'après l'Office, l’attention portée à la faune, à la flore, aux impacts hydrauliques et à la réalité des mesures de compensation nécessiterait d'être approfondie.
Il s'est agi de remarques suffisamment nombreuses pour qu'on ne puisse qualifier, à la période où vous les avez émises, le projet d'A69 d’écologiquement exemplaire.
Globalement, estimez-vous que vos remarques ont été suivies et que le chantier devient plus acceptable pour la préservation de l'environnement ou que vos réserves demeurent d'actualité ?
Par ailleurs, estimez-vous que les références mêmes par lesquelles nous envisageons les projets d'aménagement ne mériteraient pas d'être revues ? Peut-on considérer, par exemple, que planter de jeunes arbres rend les mêmes services écosystémiques qu'abattre les anciens, cela dans un contexte où nous avons découvert, grâce à cette commission d'enquête, que l'engagement d'Atosca de planter cinq arbres pour un arbre abattu n'était en fait qu'un simple slogan publicitaire, puisque rien dans le contrat n'y fait référence et que, par ailleurs, les zones de compensation ne sont pas définies, qui plus est, sans maîtrise foncière suffisante ? Nous venons aujourd'hui d'apprendre que les terres agricoles ont été qualifiées d'artificialisées, ce qui fausse donc les mesures compensatoires à prendre.
Peut-on également créer une zone humide nouvelle qui remplacerait une zone humide ancienne, issue de l'évolution de la nature au cours des siècles ? N'est-ce pas le triptyque ERC, donc « éviter, réduire, compenser », fixé par la loi, qu'il faudrait réviser ?
Je vous ai adressé un questionnaire, auquel vous pourrez répondre ultérieurement par écrit, bien entendu, en ajoutant tous les éléments que vous souhaiteriez utiles pour cette commission. Vous pouvez vous en servir comme trame à nos échanges ou, éventuellement, si vous avez évidemment d'autres thèmes à suggérer, les aborder dans ce cadre.
M. Étienne Frejefond, directeur régional pour l’Occitanie de l’Office français de la biodiversité. Merci, monsieur le président et madame la rapporteure. Je vous propose de nous présenter rapidement et de resituer l'OFB, notamment sur son aspect historique, à même d’expliquer les différents avis émis. Nous pourrons ensuite nous intéresser à l'intervention de l'OFB, à la fois sur la DUP et sur la phase d'autorisation environnementale.
Je suis Étienne Frejefond, ingénieur des ponts et des eaux et forêts, directeur de l'OFB Occitanie depuis 2024. En 2020, j’étais directeur adjoint du secteur. Mon rôle consiste à garantir les moyens, la priorisation, la façon dont nous abordons les dossiers et dont les équipes s'engagent. J'ai souhaité aujourd'hui être accompagné d'un collaborateur qui a suivi les principales phases du projet A69, initié en 2016.
Vous le savez probablement, l’OFB est un établissement public d'État créé en 2020 par fusion de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui a apporté sa compétence du milieu terrestre, et de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), en charge du milieu aquatique et du milieu marin. La fusion des deux entités permet de couvrir tous les champs du milieu naturel.
Il convient de préciser que l’AFB est elle-même issue de l'Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), dont la compétence se limitait aux milieux aquatiques. C’est la raison pour laquelle les premiers avis ont été émis par l’Onema, avant de l’être par l’OFB, dont le champ s’est progressivement élargi.
L’OFB est un établissement public chargé de la protection et de la restauration de la biodiversité en métropole et dans les outre-mer. Cinq grandes missions lui sont assignées : police de l'environnement et police sanitaire de la faune sauvage, connaissance et expertise pour asseoir ses missions de police, appui à la mise en œuvre des politiques publiques, gestion ou appui aux gestionnaires d'aires protégées, sensibilisation et mobilisation autour des sujets de biodiversité.
Au total, l’OFB regroupe 3 000 agents, à raison de 280 en Occitanie, dont un certain nombre spécialisé sur les avis techniques.
Pour répondre plus précisément à la question sur l'implication de l'OFB dans les phases de DUP et d'autorisation environnementale, il faut retenir que l'Office produit un certain nombre d'avis, d’ailleurs transmis au secrétariat de la commission et accessibles dans le détail. Ces avis forment l'appui technique que l'OFB peut apporter aux services de l'État. Une note technique du ministère, produite en 2019, apporte un cadre précis, au titre des instructions de police administrative.
Les avis techniques portent sur la prise en compte des milieux naturels et de la biodiversité, c’est-à-dire la caractérisation de l'aire d'étude, l'estimation des incidences, les mesures proposées au titre de l’ERC. En revanche, ces avis ne se prononcent pas sur l'opportunité du projet ou sur son intérêt général. Il s’agit bien de l'état des lieux, des incidences et des pistes d’accompagnement.
D'un point de vue juridique, ce sont des avis simples et facultatifs. Vous ne les retrouvez pas dans les dossiers d'enquêtes publiques. Ils sont produits uniquement sur sollicitation des services de l'autorité administrative, que ce soit la DDT ou la DREAL, selon les volets. Nous le verrons par la suite, ces avis ont une portée relative, ils sont assis sur une expertise et ils interviennent pour un certain nombre de phases du projet sur sollicitation de l'autorité administrative.
Nous pouvons recevoir des sollicitations en phase amont, pour des cadrages préalables avant le dépôt du dossier de DUP ou d'autorisation environnementale. C’est un peu l‘équivalent d'un appui au porter à connaissance de l’État. Nous fournissons un certain nombre d'éléments aux services de l'État pour qu'ils puissent les transmettre aux pétitionnaires, en considérant que le sujet est important.
La phase d'examen de l'autorisation environnementale ressort du champ de notre expertise pour le compte de la DDT ou de la DREAL et ensuite du pétitionnaire. Nous intervenons aussi en aval, et c’est le cas ici, lorsqu’un projet évolue et que les services de l’État attendent une expertise de l'OFB sur un certain nombre d'éléments techniques après la signature de l'acte administratif.
D'une manière générale, la sollicitation de l'OFB est systématique pour les grands projets d'infrastructure, qui constituent les dossiers les plus complexes à instruire, principalement du fait de leur volume. Nous sommes sollicités sur des questions très techniques en termes de continuité écologique, par exemple sur des projets d'hydroélectricité.
S’agissant du projet d’A69, la technicité n’apparaît pas très élevée, mais le dossier revêt une large ampleur. Des dizaines de cours d’eau sont interceptés, il y a un grand linéaire, une grande surface impactée, une variété de milieux. Les dossiers, épais de centaines voire de milliers de pages, apparaissent complexes et sont par nature évolutifs. Je ne connais pas les chiffres relatifs au nombre de projets d’infrastructures autoroutiers de ce type, qui restent peu nombreux, sur lesquels nous sommes consultés, mais nous en comptons un certain nombre.
En 2023, nous avons produit 991 avis techniques à l'échelle de l'Occitanie, qui vont du tout petit avis pour une pêche de sauvegarde ou un petit aménagement jusqu'à un parc photovoltaïque de 20 hectares ou à des grandes infrastructures comme l'A69, la liaison vers Gimont ou encore le contournement de Nîmes.
Je rappelle qu’il n'y a pas d'avis défavorable ou même réservé de l'OFB au sens où nous ne sommes pas décisionnaires. Nous apportons des éléments aux services de l'État. En revanche, cette expertise, en tout cas cette analyse technique destinée à l'autorité administrative, met en évidence un certain nombre de cadrages méthodologiques, d'écarts par rapport à ces cadrages ou encore de points justifiant une certaine attention.
Aujourd'hui, vous ne verrez jamais un avis de l'OFB signé « avis défavorable pour telle raison ». L’avis indique plutôt que nous avons effectué notre examen et que des compléments sur tel ou tel élément méritent d’être apportés.
L’Onema a produit un premier avis au moment de la DUP, le 8 avril 2016, sur la prise en compte des enjeux liés aux milieux aquatiques et zones humides. Notre avis précise ainsi que la continuité écologique des cours d'eau et la définition des mesures « éviter, réduire, compenser » forment des éléments essentiels. Il s’agit presque d’un message préventif, puisque le dossier, à ce stade, ne laisse voir qu’une approche globale. Le pétitionnaire apporte ses éléments au dossier au fur et à mesure de ses études.
Viennent ensuite les trois phases que j’évoquais précédemment, c’est-à-dire le cadrage classique, intervenu en 2021. Il reprend la liste de l’intégralité des enjeux dont nous avons connaissance et au sujet desquels nous alertons les services de l’État, qui se rapprochent ensuite du pétitionnaire.
En avril 2022, un premier avis est émis sur la version initiale du dossier déposé par le pétitionnaire. L’avis liste une série de remarques méthodologiques. Les services de l’État intègrent probablement d’autres avis intermédiaires et se retournent une nouvelle fois vers le pétitionnaire.
Nous répondons à la deuxième sollicitation en juillet 2022, ce qui nous permet de lister les différentes évolutions. Certains éléments peuvent ne pas avoir évolué, mais le pétitionnaire a fait part de considérations méthodologiques et a apporté un certain nombre de réponses. Il s’agit de notre dernier avis avant l’autorisation environnementale.
L’autorité administrative intègre les avis qu’elle reçoit et délivre au final son autorisation.
Nous sommes saisis une troisième fois, du fait que certains éléments ont été pointés, notamment sur les mesures compensatoires nécessitant une nouvelle approche.
En 2023, le pétitionnaire affine les mesures compensatoires et l’autorité administrative nous consulte à plusieurs reprises puisque nous produisons au total 19 avis, que vous trouvez synthétisés dans le document transmis à votre secrétariat. Ces avis portent sur les évolutions des propositions liées aux mesures compensatoires.
Il convient de noter ici le volume du dossier, l’évolution du projet et la complémentarité des réponses apportées. C’est une difficulté pour le pétitionnaire, pour le service instructeur, pour les entités consultées et pour l’OFB. Le dossier de base n’est pas toujours remis à jour, puisque l’opération s’avère impossible. Il convient donc d’être capable d’une certaine gymnastique intellectuelle.
Pour répondre à vos questions relatives au respect du droit, monsieur le président, je redis que l’avis de l’OFB est sollicité en appui des services de l’État à certaines étapes. Vu de l’extérieur, la procédure semble respectée, mais seule l’autorité administrative peut l’attester. La procédure s’appuie sur un cadrage, des avis techniques, un dialogue, des mémoires en réponse au pétitionnaire. Au final, interviennent la consultation et l’avis.
Vous souhaitez savoir si nous sommes consultés sur les grands projets. Techniquement, les services instructeurs ont besoin de s’appuyer sur notre connaissance du terrain et nos expertises des milieux aquatiques. Je constate qu’ils nous consultent à des moments un peu critiques.
Faisons-nous toujours preuve d’autant de réserves ? J’avoue ne pas être en mesure de vous fournir de statistiques. Concrètement, pour les projets très techniques, la séquence ERC reste difficile à mettre en œuvre. Notre rôle consiste aussi à conseiller, apporter des compléments aux services instructeurs afin que le dossier s’améliore tout au long de la vie du projet.
La phase de cadrage ou d’état des lieux reste très importante. Une bonne anticipation du porteur du projet facilite le respect de la séquence ERC. Ici, le dossier est volumineux, ce qui représente une difficulté.
J’aborde maintenant les questions posées par Mme la rapporteure. Nos avis ne contiennent pas stricto sensu de réserves ; ce sont des avis techniques. Sur la DUP d’ailleurs, nous n’avions pas beaucoup de remarques.
Nos avis sont-ils suivis ? Nous produisons à un moment une expertise relative à un dossier. C’est surtout le cas lors de la phase préalable à l’autorisation environnementale. Nous émettons donc un certain nombre de recommandations ou d’alertes, à travers lesquelles nous estimons que la méthodologie ne s’avère pas être la bonne. Je peux reprendre l’exemple des densités de sondages pédologiques pour déterminer les zones humides, sujet qui a suscité un long débat.
Le pétitionnaire a la capacité de répondre aux services instructeurs en expliquant qu’il procède à un choix, qui n’est peut-être pas celui préconisé, notamment par l’OFB. Néanmoins, il justifie son choix. Il est toujours possible de proposer des méthodes différentes, mais, à un moment donné, un arbitrage s’impose. Si je reprends l’exemple que je viens de citer, le pétitionnaire considère qu’il faut maximiser les zones humides susceptibles d’être impactées en raison d’une précision moindre. Auquel cas, nous émettons un nouvel avis qui montre que certaines zones humides ne le sont finalement pas. Un dialogue s’installe avec les services de l’État et le pétitionnaire, au cours duquel nous supprimons un certain nombre de zones humides ou de mesures de compensation. Le projet évolue, nous retirons ces zones dès lors que la partie contradictoire a estimé que la démarche était acceptable.
Nos avis interviennent à un certain moment du projet et, in fine, le pétitionnaire rédige son rapport. L’autorité administrative en tient compte ou pas. À l’arrivée, nous ne nous positionnons jamais pour savoir si toutes les recommandations de l’OFB ont bien été prises en considération. Sinon, nous sortons de notre rôle de conseil et d’expertise.
L’autorité administrative doit également intégrer tous les autres avis ou toutes les autres considérations. Je relisais ce matin une recommandation anecdotique en rapport avec le retard de fauche, un sujet pertinent pour les pollinisateurs et pour la biodiversité. Il peut donc y avoir une considération de sécurité, sans qu’elle ne soit retenue pour autant.
Je cherche surtout à expliquer que l’avis technique apporte sa contribution, mais que la décision revient à l’autorité administrative. L’OFB ne se positionne pas pour savoir si tous les avis ont été pris en compte. Dans la vie du dossier, nous signalons les éléments qui n’ont pas été pris en considération et nous notons ceux qui l’ont été.
Faut-il revoir le modèle ERC ? Il convient de mentionner tous les aménagements induits que le pétitionnaire ne maîtrise pas nécessairement. Si nous parlons d’échanges de parcelles, de haies qui sortent de l’emprise, il y a forcément un impact induit, qui n’est pas à la main du pétitionnaire et qui passe donc sous le radar de la séance ERC. Je ne connais pas la solution et je ne suis pas sûr que les services de l’État la connaissent, en raison de la temporalité. C’est une vraie difficulté.
La compensation ne se veut pas parfaite, surtout lorsque nous souhaitons recréer des milieux de manière artificielle pour remplacer ceux qui ont été détruits. Nous ne savons pas toujours bien imiter la nature. Ici aussi, une difficulté se pose, d’ordre technique.
Les milieux à enjeux forts du projet laissent voir une marge en termes de sécurité et de surfaces compensées. Je ne dis pas que tout fonctionnera à la fin.
L’autre filet de sécurité est celui du suivi et de l’obligation de moyens, qui doit démontrer que la solution proposée est susceptible de fonctionner. Si tel n’est pas le cas, il s’avère obligatoire de proposer des mesures complémentaires ou de réfléchir à une autre solution. Nous pouvons considérer qu’entre-temps, nous avons perdu toutes les fonctionnalités de la zone humide ou tout ce que n’a pas produit la compensation. Nous avons continué à aggraver la dette biologique. Mon propos consiste à dire que la compensation ne marque pas la fin de toute opération, puisqu’un suivi est ensuite mis en œuvre.
J’espère ne pas avoir oublié de répondre à toutes vos questions, sinon n’hésitez pas à y revenir.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Évidemment, je vais être conduite, en référence au questionnaire que je vous ai envoyé, à reprendre ce que vous venez de nous dire, monsieur le directeur. Je vous remercie pour vos précisions, notamment celles du cadre règlementaire de l'OFB, puisque la question environnementale, comme je ne cesse de le dire, ce sont des convictions, mais c'est surtout du droit.
Vous nous avez rappelé que vous aviez rendu déjà un avis en avril 2022 en disant que la démarche d'évaluation environnementale était jugée insuffisante. Effectivement, vous ne qualifiez pas votre avis de très réservé ou de réservé, mais vous dites quand même que la démarche d'évaluation environnementale est jugée insuffisante.
Sur la base d'informations ou d'éléments qui vous ont été fournis, vous avez rendu un nouvel avis en juillet 2022, dans lequel vous précisez que les sondages pédologiques supplémentaires demeurent insuffisants pour caractériser avec précision les interfaces de zones humides, de milieux secs et que certains secteurs demeurent caractérisés à l'échelle de la parcelle, avec de probables erreurs d'appréciation induites par une confusion entre zones inondables et zones humides.
Je voudrais insister sur ce point, puisque nous avons déjà organisé des auditions sur cette question, notamment avec Biotope et l'écologue Jacques Thomas. Pouvez-vous expliquer les raisons qui peuvent justifier ces erreurs d'appréciation ? Quelles peuvent en être les conséquences au regard du projet, puisque compenser une zone humide ou une zone inondable n'est pas du tout la même chose.
Par ailleurs, avez-vous une idée, au titre de cette compensation, de la maîtrise foncière prévue dans le projet pour compenser l'un ou l'autre et la proportion de l'erreur que vous avez constatée à la troisième reprise ? Nous ne sommes plus au tout début du projet, puisque votre dernier avis date de décembre 2023, comme vous l'avez rappelé. Il précise que les mesures compensatoires sur les milieux culturaux ne respectent pas le critère de plus-value écologique. Vous mentionnez également la non-éligibilité d'une partie des mesures compensatoires sur les milieux humides.
C'est un sujet que vous avez mentionné dès le début de l’étude du projet d’A69, qui a donné lieu, semble-t-il, à une discussion et à des échanges avec l'État ou peut-être directement avec le pétitionnaire. Pouvez-vous clarifier vos propos sur ce point ?
En décembre 2023, vous constatez toujours la même situation. Un vrai sujet se pose. Nous avons reçu quelques photos en relation avec ces sujets d'inondation et de zones humides, et avons déjà observé les premiers impacts sur le terrain aujourd'hui. Assurez-vous un suivi par rapport à ces constats de dégradations, observés en décembre 2023, qui n'ont pas été corrigées au fur et à mesure ?
M. Jean Terlier, président. Je passe la parole à nos collègues qui souhaitent également vous poser des questions.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). Ma question s’inscrit dans la continuité de celle de Mme la rapporteure. Tout d'abord, j'ai bien compris, en écoutant votre présentation, qu’il existait tout un processus de dialogue et que vous n'étiez pas responsables de l'arbitrage. Je voudrais quand même savoir si vous considérez que l'ensemble des remarques que vous avez formulées en phase préalable d'analyse et de constitution du dossier pour l'autorisation environnementale ont été prises en compte et suivies de fait.
S’agissant des mesures « éviter, réduire, compenser », estimez-vous que les conditions de bonne mise en œuvre soient ici réunies ? Plus précisément, j’insiste sur la question des zones humides. Le Conseil national pour la protection de la nature, dans son avis de septembre 2022, indiquait que les mesures de compensation n'étaient pas toutes trouvées, caractérisées et sécurisées. Vous-même, vous vous montrez très critique sur la pérennité des mesures compensatoires, en particulier celles concernant les zones humides.
Vos remarques ont-elles été prises en compte ? Ces mesures compensatoires, notamment pour les zones humides, ont-elles été bien trouvées, caractérisées et sécurisées au début du chantier, comme cela doit être le cas ?
M. Étienne Frejefond. En ce qui concerne la qualité de la détermination des zones humides, nous pointons des résultats qui n’apparaissent pas cohérents dans les premières productions. Je ne vais pas m'avancer, je ne suis pas dans le jugement du bureau d'études.
Le fait est qu'à l'arrivée, l’OFB alerte sur une méthodologie en précisant qu'il faut une densité de sondage, qu'il faut la renforcer au risque de manquer de précision ou d’induire en erreur le pétitionnaire dans la détermination, le fonctionnement et l’emprise des zones humides.
Manifestement, le pétitionnaire répond « J'entends et je maintiens le fait que j'ai une densité me permettant de cartographier par excès. Je vais déterminer davantage de zones humides, je vais être un peu imprécis sur les limites et, par précaution, je vais me montrer plus large ». C’est le premier impact.
Ce faisant, il peut aussi dégrader la compréhension du fonctionnement d’une zone humide.
Nous émettons nos remarques. Le pétitionnaire revoit sa copie et il refait un certain nombre de sondages complémentaires à l'arrivée. Il intègre un certain nombre d’éléments et améliore un peu le dossier, même s’il n’est pas parfait.
Nous sommes toujours en phase d’avis auprès de la DDT. Une petite expertise est menée aux endroits qui ne semblent pas cohérents, ce qui permet de lever des doutes, nés de l’imprécision de certains sondages mal conduits. La démarche élimine des zones humides et, de facto, des zones de compensation.
En 2022, des mesures compensatoires sont proposées, sans aboutir entièrement. En 2023, pour chaque mesure compensatoire, en tout cas celles sujettes à caution, les services de l’État nous ont consultés avant d’invalider certaines d’entre elles.
M. Yvain Benzenet. Je ne me souviens plus des chiffres, mais il faut retenir que les mesures compensatoires s’attachaient à des espaces où la création de zones humides présentait de faibles chances en raison de l’absence d’apport d’eau. Le bureau d’études est parti du postulat que l’apport d’eau s’effectuerait par débordement des cours d’eau. Or, la configuration des cycles, avec des cours d’eau très encaissés, laisse penser que l’apport restera très ponctuel, selon des crues d’occurrence de cinq à dix ans, une période insuffisante pour la création d’une zone humide. C’est la raison pour laquelle nous préconisons plutôt une restauration des zones humides dégradées déjà existantes.
M. Étienne Frejefond. À la fin de l’année 2023, la compensation s’établit à 370 %, d’après ce qui semble faisable. Le suivi et la réalité du terrain nous apporteront un éclairage.
Le dialogue et l’amélioration du projet ont permis d’éliminer une cinquantaine d’unités de compensation, jugées peu réalistes.
Nos avis sont-ils pris en considération ? Ils le sont d’une certaine manière, ils sont intégrés puisque le pétitionnaire, nécessairement, revoit sa copie. Les services de l’État dialoguent avec le pétitionnaire et contribuent à faire évoluer la situation.
Discutons-nous directement avec Biotope ou Atosca ? En aucun cas... L’OFB sert à alimenter les services instructeurs et non pas à conseiller la maîtrise d’ouvrage ou à assister la maîtrise d’œuvre. Nous accompagnons l’État, à qui il revient d’intégrer toutes les contraintes du projet.
Les mesures de compensation sont-elles bien sécurisées ? L’OFB n’est pas en mesure de répondre à la question. Il existe deux façons de les sécuriser. D’abord, à travers des obligations environnementales, ensuite via les acquisitions foncières. Ici aussi, l’OFB conseille l’État. Ensuite, le pétitionnaire doit être capable d’acquérir des parcelles, ce qui n’est pas évident. Sinon, des Obligations réelles environnementales (ORE) s’imposent sur un certain nombre de sites de compensation. Il convient enfin de définir un plan de gestion. Tout ce processus est aujourd’hui à l’œuvre. Depuis le mois de décembre 2023, nous n’avons pas reçu de nouvelles sollicitations sur ce sujet.
M. Jean Terlier, président. Au regard des éléments en votre possession, vous parlez d’une compensation des zones humides à hauteur de 370 %, décidée par le concessionnaire. Est-ce ce que vous évoquez ?
M. Étienne Frejefond. Oui, c’était le cas en 2023.
M. Jean Terlier, président. Le suivi nous permettra de savoir si les compensations envisagées à cette hauteur seront effectives ou pas.
M. Étienne Frejefond. À la date de décembre 2023, c’est bien ce qui figure dans le dossier, dans l’état des compléments apportés par le pétitionnaire et que nous transmettent les services de l’État. Dans notre avis de 2023, nous mentionnons les petits gains écologiques, au sujet desquels la compensation apparaît difficile à mettre en œuvre. Ce taux de 370 % reste théorique. Nous verrons quelle sera la situation à l’arrivée, puisque l’exercice s’avère difficile.
M. Jean Terlier, président. Oui, d’où les marges importantes qui sont décidées.
M. Étienne Frejefond. Dans le cadre du schéma directeur d’aménagement de la gestion des eaux, nous sommes censés compenser la perte de zones humides à hauteur de 150 %.
Ces 370 % apparaissent-ils suffisants ? Je ne veux pas me prononcer, je ne le sais pas.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vos informations appellent évidemment d'autres questions. En décembre 2023, il restait 32 zones invalidées. Est-ce bien le cas ? En tous les cas, il existe des zones invalidées, ce qui soulève une contradiction par rapport aux études de Biotope et de Setec. Nous avons auditionné les représentants de Biotope et nous écouterons prochainement ceux de Setec. En ce qui concerne les conséquences du plan de gestion sur les questions des zones humides, nous recevrons également les présidents en charge des syndicats d’aménagement et de gestion des eaux.
Vous avez fait état de la différence entre les zones inondables et les zones humides. Par ailleurs, la vallée du Girou ne présente aucun risque d’inondation du fait de son encaissement. Certains endroits correspondent bien à des zones humides et non pas à des zones inondables.
En matière de biodiversité, je pense particulièrement à une zone riche de jacinthes de Rome, qui ne pourra pas subsister si l’on confond les zones inondables et les zones humides, ce qui semble être le cas.
En décembre 2023, avez-vous continué à invalider des constatations qui ont pu être faites ? À quelle hauteur ? En tout état de cause, si vous ne connaissez pas le chiffre exact, je vous invite à le préciser dans vos réponses au questionnaire.
Vous parlez de la surveillance liée aux plans de gestion. Que savez-vous aujourd’hui de la mise en œuvre desdits plans de gestion, qui résultent de l’arrêté interdépartemental des préfets du Tarn et de Haute-Garonne ? Ces plans doivent être appliqués dans un délai très court.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Au début du mois d’octobre 2023, vous avez effectué plusieurs contrôles sur le chantier de l’A69. Si l’OFB constate des faits non conformes à la règlementation, que doit-il lancer comme mesure ? Y a-t-il eu une demande d'ouverture d'enquête préalable auprès du parquet, éventuellement ? Si non, pourquoi ?
M. Étienne Frejefond. Nous vous préciserons les chiffres des zones invalidées. À la fin de l’année 2023, 51,53 unités de compensation représentaient 310 % de la dette écologique en relation avec les milieux humides. Presque 50 % des sites ont été exclus des mesures de compensation en raison du principe de réalité, considérant que la démarche n’était pas tenable. En effet, procéder à un abaissement du terrain naturel pour reconstituer une zone humide fonctionnelle semble peu probable. Notre chiffre intègre bien l’exclusion des initiatives qui paraissent peu réalistes.
M. Yvain Benzenet. Je complèterai en disant que nous n’avons pas invalidé ces zones. Nous avons informé les services de l’État que, techniquement, ces mesures s’accompagnaient d’un fort risque d’échec.
M. Étienne Frejefond. Vous avez posé une question sur les plans de gestion, mais je ne sais pas y répondre.
M. Yvain Benzenet. Après avoir étudié d’autres projets de ce type, les plans de gestion comportent des mesures de suivi ou des inventaires naturalistes qui courent sur plusieurs années. Nous travaillons dans le domaine du vivant et même en utilisant la bonne technique au bon endroit, le milieu naturel ne réagit pas toujours comme nous l’avons anticipé. Ces mesures de suivi permettent de mettre en place des actions correctives ou montrent que nous nous sommes trompés, justifiant de déployer une autre mesure compensatoire.
M. Étienne Frejefond. En matière de contrôle, l’OFB peut être saisi sur des contrôles administratifs ou sur des procédures judiciaires. Il s’agit de deux procédures très différentes. Nos prérogatives de police administrative, définies par le code de l’environnement, s’exercent sous l’autorité du préfet. Il ne revient pas à l’OFB de décider, en début d’année, de contrôler les agriculteurs sur un sujet précis ou bien Atosca sur un autre. Nous parlons bien d’une stratégie nationale de contrôle, déclinée dans chaque département. Dans ce cadre, les agents de la DDT, de la DREAL ou de l’OFB exercent un contrôle administratif.
Ces contrôles administratifs peuvent conduire à relever des manquements par rapport à l’arrêté d’autorisation environnementale et donnent lieu à un rapport. Il revient ensuite à l’autorité administrative de décider d’une mise en demeure et d’enclencher une action de police administrative.
Lors d’un contrôle, ou après avoir reçu un signalement ou une plainte, nous pouvons opter pour la responsabilité de police judiciaire. La procédure est très différente puisque les prérogatives de police judiciaire des inspecteurs de l’environnement dépendent de l’autorité du procureur. Ce dernier est le seul habilité à communiquer.
Toute infraction constatée doit être obligatoirement signalée au procureur. Il décide ensuite de la conduite de la procédure. Si vous souhaitez en savoir davantage, je vous invite à poser vos questions au parquet.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). En cas de manquements, la préfecture doit mettre en demeure le concessionnaire de respecter les règles, si je ne me trompe pas. La préfecture a-t-elle mis en demeure Atosca sur les points que vous avez relevés ? Quelles ont été les conclusions ? Y a-t-il eu des infractions et des sanctions ?
M. Jean Terlier, président. Je me permets de rappeler que nous échangeons sur le montage juridique, administratif et financier du projet de l’A69. Nous ne parlons pas de l’analyse des procédures judiciaires ou administratives pendantes. Je tiens à apporter ces précisions. Je suis désolé de vous le rappeler, chère collègue.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Nous parlons quand même des contrôles environnementaux.
M. Étienne Frejefond. S’agissant de la mise en demeure, je vous renvoie à l’autorité administrative, placée sous l’autorité du préfet. L’OFB ne réalise pas de mise en demeure.
Nos contrôles administratifs montrent un certain nombre d’écarts, qui ont fait l’objet de constats et de rappels à manquement administratif.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Pourrions-nous avoir communication de ces rapports de manquement administratif afin de les prendre en compte dans nos auditions ?
M. Jean Terlier, président. Je pense qu’il faut les demander à l’autorité administrative, c’est-à-dire la préfecture.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Nous n’y manquerons pas.
M. Jean Terlier, président. Je n’en doute pas. Souhaitez-vous poser d’autres questions ?
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Bien entendu, nous demanderons tous ces éléments à l’autorité administrative en charge du respect de la règlementation puisque vous émettez vos alertes sur la base du droit, étant chargé de la police administrative.
Je reviens aux milieux humides. Nous savons que nous ne planterons pas cinq arbres pour un arbre. Qui plus est, le puits de carbone que représente un arbre de cent ans n’est même pas comparable à celui de cinq petits arbustes.
Nous n’avons pas la bonne évaluation des mesures compensatoires pour les terres agricoles, les zones humides et les zones inondables. Nous savons aussi que le dossier ne montre pas suffisamment de maîtrise foncière.
Vous avez indiqué, en avril 2022, que « la pérennité des actions de compensation devait être assurée par la mise en place d’une obligation réelle environnementale sur quatre-vingt-dix-neuf ans ». Or, le dossier complété à la date de décembre 2023 ne retient pas cette remarque. Il propose une durée de cinquante-cinq ans, qui correspond à celle de la concession autoroutière.
À votre avis, pourquoi cette recommandation n’a-t-elle pas été suivie par Atosca ? Sur quel fondement juridique peut-il le faire ?
En dernier lieu, je souhaitais vous interroger sur la classification de certaines zones à haute valeur environnementale. Êtes-vous intervenus à la demande de l’autorité administrative sur la zone de la Crémade pour apporter une classification différente ?
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Sur le dossier A69, les citoyens n'ont plus la possibilité, depuis fin mars 2023, de solliciter vos services pour venir constater des manquements aux prescriptions de l'arrêté préfectoral. Au lieu d'adapter le dispositif d'alerte pour limiter votre sollicitation, le contact a été rompu subitement. Qui a pris cette décision ? Comment l’expliquez-vous ? Considérez-vous que l'OFB peut réaliser cette mission en tout à indépendance sur le dossier de l’A69 ?
M. Étienne Frejefond. Je réponds d’abord à la question relative à la durée et à la pérennité des actions de compensation. Le code de l’environnement prévoit une durée de compensation identique à celle de l’impact. L’OFB donne un conseil, sachant que la durée est longue pour une autoroute. Nous indiquons que l’obligation réelle environnementale (ORE) s’impose comme l’élément le plus sécurisant en l’absence de maîtrise foncière. Il était donc logique de notre part de conseiller la durée maximale d’une ORE, soit quatre-vingt-dix-neuf ans.
Vous dites que la durée de la concession court sur cinquante-cinq ans. L’autorité administrative peut reprendre, lors d’un renouvellement de concession, une obligation pour le concessionnaire. Elle a toute liberté d’apprécier la situation. La durée correspond à une recommandation. Je pense que les gestionnaires routiers ont aussi des recommandations sur le sujet. Il faut interroger l’autorité administrative. Je ne vois pas de difficulté. Il est logique de faire une telle proposition.
Tout n’entrera peut-être pas dans le cadre de l’ORE ; des acquisitions foncières sont en effet susceptibles d’être décidées. Nous émettons nos préconisations lorsque nous sommes sûrs qu’elles seront acceptées. D’autres chemins se dessinent à l’arrivée.
La question ne consiste pas à savoir sur quel fondement Atosca s’appuie. Il y a un choix assumé derrière.
Nous ne sommes pas intervenus dans la classification du bois de la Crémade comme zone à fort enjeu environnemental. Il me semble qu’un écologue a été mandaté par le pétitionnaire, à qui revient d’ailleurs cette responsabilité.
Vous indiquez que les citoyens n’ont plus la possibilité de solliciter l’OFB. L’Office peut recevoir des signalements, donnant lieu à une procédure judiciaire conduite sous l’autorité du parquet. Le parquet peut vouloir centraliser les signalements et les plaintes, ce qui me semble logique.
Procédons-nous à nos constats en toute indépendance ? Bien entendu. Nos agents ont prêté serment et sont commissionnés, mais ils ne contrôlent pas tout. Le même constat vaut pour les avis techniques. Nous priorisons les enjeux les plus forts. En matière judiciaire, les enquêtes se mènent sous l’autorité du parquet.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je voudrais insister sur ma dernière question et sur ses incidences environnementales. Dans votre rapport de décembre 2023, vous indiquez qu’en l’état actuel, les mesures compensatoires demeurent insuffisantes et qu’il en résultera une démarche d’évaluation environnementale incomplète, conduisant à une incidence résiduelle notable du projet sur plusieurs espèces d’intérêt patrimonial.
Pouvez-vous nous préciser la portée de cet avis ? Surtout, quelles sont ces espèces d’intérêt patrimonial ?
M. Yvain Benzenet. Nous pourrons vous apporter les précisions. De mémoire, ce point concerne les espèces liées au milieu agricole, comme les espèces bocagères.
Effectivement, l’incidence résiduelle nette demeure négative en défaveur du projet puisque nous n’avons pas eu les mesures compensatoires attendues.
L’autre partie relative à ces insuffisances était celle de la pérennité des mesures mises en œuvre pour l’ensemble des milieux. Nous avons considéré qu’il n’y avait pas de concomitance entre la durée de validité des mesures compensatoires et la durée d’une incidence résiduelle.
M. Jean Terlier, président. Je tenais à vous remercier, Messieurs, pour la qualité de vos réponses, qui permet d’éclairer les travaux de la commission. N’hésitez pas à nous faire part de vos compléments par écrit.
J’apporte une précision avant de lever la réunion pour vous indiquer, à la demande de Mme Karen Erodi, que le compte rendu de la réunion constitutive de notre commission sera rectifié. Cette rectification permettra d’y reprendre ses propos sur un potentiel conflit d’intérêts me concernant. Ma réponse sera également formulée.
Par ailleurs, le compte rendu de la présente réunion intègrera en annexe les deux réponses complètes du déontologue à me sollicitations, portées à la connaissance de l’ensemble des membres de la commission.
Madame Erodi, vous souhaitez prendre la parole.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Nos travaux dans cette commission d'enquête sont suivis et représentent un enjeu pour nous, députés, mais aussi pour des milliers de nos concitoyens, qu'ils soient pour ou contre ce projet d'autoroute. La démocratie, telle que nous la concevons, ne nous empêche aucunement d'être partisans ou d'avoir une opinion. Cela ne doit pas être remis en cause.
En tant que Tarnais, M. le président a son avis, j'ai le mien sur ce projet d'autoroute. Ils sont connus de tous.
C'est louable et nous devons respecter les opinions de chacun et chacune. Par ailleurs, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser une seule zone d'ombre et de doute planer sur nos travaux. Il en va de la crédibilité de la représentation nationale.
Malheureusement, le 15 février dernier, cette crédibilité a été mise à mal. En effet, une remise en cause de la présidence de notre collègue M. Terlier fut soulevée par de nombreux collectifs et par moi-même lors de la réunion constitutive à l'annonce de M. Terlier de briguer la présidence de la commission. Sa proximité avec le groupe Fabre et le fait que son épouse soit salariée par ce groupe posaient des questions.
À cette réunion, lors de mon intervention, j'ai soulevé un possible conflit d'intérêts concernant la présidence de M. Terlier. Cette déclaration ne figure pas dans le compte rendu de cette réunion constitutive de notre commission d'enquête parlementaire, alors que mon cabinet l'a transmise aux services de l'Assemblée le 16 février dernier à 11 heures 33. Excusez-moi d'être aussi précise, mais les dates sont importantes.
La réponse de Monsieur Terlier à mon intervention n'y figure pas non plus, ni la mienne d'ailleurs. Je l'ai notifié aux membres de la commission dans un souci de transparence vis-à-vis de nos concitoyens. À cette heure, le compte rendu de cette réunion est toujours aussi laconique et ne reflète toujours pas la réalité des échanges qui ont eu lieu le 15 février dernier, ce qui pour moi et beaucoup d'autres pose un sérieux problème.
Pour en revenir à cette réunion constitutive, lors de la réponse de M. Terlier sur mes doutes et interrogations sur ce possible conflit d'intérêts, il a cité un extrait de l'avis du déontologue qu'il a saisi lui-même. C'est là où nous divergeons.
Le président n'aurait pas dû citer un extrait, mais nous lire l'intégralité conformément à l'article 80-3-1, alinéa 3 du règlement de l'Assemblée nationale, qui dit que les demandes de consultation et les avis donnés sont confidentiels et ne peuvent être rendus publics que par le député concerné et dans son intégralité.
Cela sera réitéré par M. Terlier le 16 février sur les réseaux sociaux dans un communiqué de presse daté du 15 février dans lequel il donne un extrait de l'avis du déontologue. J’ai saisi par mail les membres de la commission afin de demander que cet avis soit rendu public dans son intégralité, comme l'exige le règlement, et soit joint au compte rendu de la réunion constitutive, ce que conteste M. Terlier, car ma demande serait postérieure à ladite réunion. À la lecture de l'avis du déontologue, qui nous a été transmis hier, soit plus de deux mois après, on constate que celui-ci date du 13 février, que vous l'aviez donc avant la réunion constitutive.
Le devoir de transparence aurait voulu qu'il soit connu de tous lors de notre réunion constitutive et dans son intégralité, non pas des extraits choisis qui vont dans le sens que vous voulez donner à cet avis, qui, soit dit au passage, est rendu sur des éléments donnés par l'élu lui-même au déontologue. On peut se permettre de s'interroger sur le fait qu'il y ait des choses à cacher, volontairement ou pas, au déontologue, afin que cet avis aille dans le sens souhaité.
Je veux bien que le président joue l'arbitre des élégances partout dans les médias en disant qu'il a fait le choix de se porter président pour nous empêcher de dévier de l'objectif premier de cette commission d'enquête et nous chaperonner, en quelque sorte, pour ne pas dire nous mettre un peu sous tutelle. Mais j'aurais aimé, comme d'autres avec moi, que M. Terlier soit sincère avec ses collègues.
Enfin, je conclurai, monsieur le président, madame la rapporteure, chers collègues, au vu des éléments nouveaux parus dans la presse ces derniers jours qui attestent que le Groupe Fabre est actionnaire d'Atosca. Mes questions seront simples et directes.
Le compte rendu de la réunion constitutive va-t-il être, oui ou non, modifié avec l'ensemble des éléments ? Allez-vous saisir à nouveau le déontologue en lui donnant l'ensemble des éléments déclaratifs sur l'ensemble de la situation ?
Nous exigeons des personnes auditionnées de prêter serment et de dire la vérité. J'ai une question. Saviez-vous, monsieur le président, que le groupe Fabre était actionnaire d'Atosca ou pas ? Je pose cette question à bon escient, car si vous étiez au courant et que vous n'avez pas fourni ces informations au déontologue, cela voudrait dire que vous avez délibérément caché les éléments importants à porter à la connaissance du déontologue. Si oui, nous souhaitons que son avis soit transmis et qu'il y ait une nouvelle saisine de votre part.
Bien que rien ne vous y oblige pour l'instant, je souhaite que vous vous déportiez de la présidence de la commission pour qu'elle travaille sereinement et sans aucun doute. Je vous remercie. »
M. Jean Terlier, président. Effectivement, vous avez formulé une demande de rectification, tout à fait légitime, pour porter à la connaissance de tout un chacun les propos que vous avez tenus sur le fait que vous ne souhaitiez pas que je sois président de cette commission. Ces propos, comme cela vous a été indiqué, seront repris et consignés dans le compte rendu n° 1, qui sera rectifié. J’ajouterai également mes propos puisque je vous ai répondu, en vous épargnant la lecture des quatre pages de l'avis du déontologue. Nous ferons évidemment la communication de tous ces éléments.
Sur le fond, madame Erodi, vous avez eu la communication intégrale de cet avis du déontologue. Vous avez pu prendre connaissance de tout cela. Qu'est-il indiqué ? Vous auriez pu avoir l'honnêteté intellectuelle de le dire. Il est indiqué très clairement que les fonctions de mon épouse ne sont pas de nature – ce n'est pas moi qui le dis, c'est le déontologue – à constituer un quelconque conflit d'intérêts et donc à m'empêcher de me porter à la présidence de la commission d'enquête. Vous avez pu le lire et vous auriez pu avoir l'honnêteté intellectuelle de dire qu'il n'y avait absolument aucune difficulté.
Des révélations sont effectivement intervenues il y a quelques jours. Je vous ai dit, vous avez eu l'information puisque nous en sommes entretenus, que dès lors que je considérais que ces nouvelles révélations étaient susceptibles d’avoir un impact sur une partie de son avis, je solliciterais une nouvelle fois le déontologue et je communiquerais à l'ensemble des membres de la commission son avis complémentaire. Cela ne change strictement rien sur le fait que le déontologue a clairement indiqué que les fonctions occupées par mon épouse au sein des laboratoires Pierre Fabre ne sont pas constitutives d'un conflit d'intérêts et ne s'opposent absolument pas à ce que je puisse présider cette commission d'enquête.
Vous avez fait cette demande, je vous oppose ma réponse en vous disant que je continuerai à présider cette commission d'enquête, ne vous en déplaise.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Je donne lecture d’un article de la réponse du déontologue : « En effet, votre épouse est salariée du groupe Pierre Fabre qui n'est manifestement pas partie au contrat de concession signé entre l'État et la société Atosca, filière du groupe NGE, relatif au projet d'autoroute A69. Bien que le groupe Pierre Fabre ait notoirement soutenu la création, il n'est, à ma connaissance, pas impliqué directement dans la conclusion du montage juridique et financier de ce projet d'autoroute ».
M. Jean Terlier, président. Madame Erodi, lisez la suite, lisez la fin du compte rendu. Vous l’avez. L’avis est public. Vous constaterez qu’à la suite de ce vous venez d’évoquer, et qui fera certainement l’objet d’une modification de la part du déontologue, il est clairement indiqué que les fonctions exercées par mon épouse ne sont pas constitutives d’un quelconque conflit d’intérêts. Par conséquent, cette situation ne s’oppose pas au fait que je préside la commission d’enquête. Ayez l’honnêteté intellectuelle de lire le compte rendu dans son intégralité. Vous auriez pu le faire. Vous l’avez parfaitement à l’esprit. Nous voyons bien, une nouvelle fois, qu’il s’agit d’une entreprise de diffamation.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Pas du tout. C’est la transparence de la République.
M. Jean Terlier, président. Nous savons bien que vous êtes coutumière du fait. Vous êtes en possession de l’ensemble des avis et vous recevrez les compléments d’information. J’espère que vous reprendrez vos esprits en considérant qu’il n’y a absolument pas de conflit d’intérêts.
Nous pouvons lever la séance. Je vous remercie.
La séance s’achève à dix-huit heures cinq.
Présents. - Mme Christine Arrighi, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean Terlier, M. Jean-Marc Zulesi
Avis du 13 février 2024 du déontologue de l’Assemblée nationale à M. Jean Terlier
Monsieur le Député,
À la suite de notre entretien du 7 février 2024, au cours duquel vous m’avez fait part de votre souhait de solliciter les fonctions de président de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 – dont la création a été jugée recevable, le 31 janvier dernier, par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire –, vous m’avez transmis, le 9 février suivant, plusieurs documents relatifs à l’activité professionnelle de votre épouse.
Vous me demandez ainsi si, compte tenu des intérêts que votre conjointe détient, il existe une difficulté d’ordre déontologique à ce que vous sollicitiez les fonctions de président de la commission d’enquête précitée.
Soumis à un délai de réflexion resserré pour examiner cette question au regard de l’objet précis de cette commission d’enquête, il m’est possible de vous indiquer les éléments suivants.
Aux termes de l’article 80-1 du Règlement de l’Assemblée nationale, « un conflit d’intérêts est entendu comme toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif du mandat ».
Par conséquent, le quatrième alinéa de l’article 80-1-1 du même Règlement prévoit que, « lorsqu’un député estime que l’exercice d’une fonction au sein de l’Assemblée nationale est susceptible de le placer en situation de conflit d’intérêts, il s’abstient de la solliciter ou de l’accepter ». Cette décision relève par conséquent de votre libre appréciation.
Pour ma part, il me revient de conseiller les députés et, le cas échéant, de formuler des recommandations, conformément à l’article 80-3-1 du Règlement de l’Assemblée nationale qui prévoit que « le déontologue peut être saisi par tout député qui souhaite, pour son cas personnel, le consulter sur le respect des règles relatives au traitement et à la prévention des conflits d’intérêts ainsi que de celles définies dans le code de déontologie [– étant précisé que] les demandes de consultation et les avis donnés sont confidentiels et ne peuvent être rendus publics que par le député concerné et dans leur intégralité ».
Afin de me permettre d’apprécier si un tel conflit d’intérêts est susceptible ou non d’être caractérisé, vous m’avez transmis, d’une part, le curriculum vitae de votre épouse, ainsi que, d’autre part, une fiche récapitulant ses différentes missions au sein du groupe Pierre Fabre, notamment en lien avec une des marques appartenant à ce groupe.
En substance, les missions de votre épouse se sont focalisées, selon les informations dont vous me faites part, sur la stratégie et le marketing des différentes gammes de produits de cette marque, ainsi que la communication événementielle, institutionnelle et numérique de ladite marque. À l’heure actuelle, elle assure la gestion et l’organisation des congrès et manifestations scientifiques du groupe Pierre Fabre.
Le présent avis se concentre dès lors sur les questions soulevées par les missions professionnelles de votre épouse compte tenu de l’objet de la commission d’enquête dont vous envisagez de solliciter les fonctions de président.
La proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69, présentée le 27 octobre 2023 par Mme Christine Arrighi et plusieurs autres députés du groupe écologiste – NUPES, expose, en son article unique, l’objet de cette commission d’enquête, « chargée d’enquêter d’une part sur les liens existants entre la société ATOSCA et les décideurs politiques français ainsi que sur les soutiens directs et indirects accordés par le Gouvernement français aux entreprises impliquées dans ce projet et, d’autre part, sur les paramètres juridiques et financiers du projet, singulièrement du contrat de concession ».
L’exposé des motifs de cette proposition de résolution précise que « l’analyse du montage juridique et financier du projet fait apparaître que l’État a choisi de confier la concession autoroutière de l’A69 à la société ATOSCA, détenue à 60 % par deux sociétés de capital risque de droit luxembourgeois. Par ailleurs, la durée de la concession envisagée est de 55 ans, durée durant laquelle l’État s’interdirait toute possibilité de renégociation du contrat ou toute nouvelle mise en concurrence.
L’accessibilité aux informations pour les citoyens est par ailleurs entravée puisque les annexes au contrat de concession sont consultables uniquement sur rendez‑vous et à Paris‑La Défense ».
Par ailleurs, le rapport sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69, déposé par Mme Christine Arrighi le 2 février dernier, ajoute que « la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 ”. L’intitulé comme l’objet de la proposition de résolution sont précis : il s’agit d’éclaircir les liens existants entre la société concessionnaire ATOSCA et certains responsables politiques, membres du Gouvernement ou élus locaux, et d’avoir connaissance du montage juridique et financier de ce projet d’autoroute ».
En l’état des informations dont je dispose, il ne me semble pas que les responsabilités professionnelles de votre épouse soient susceptibles de susciter un conflit d’intérêts dans l’hypothèse où vous solliciteriez les fonctions de président de cette commission d’enquête.
En effet, votre épouse est salariée du groupe Pierre Fabre, qui n’est manifestement pas partie au contrat de concession signé entre l’État et la société ATOSCA, filiale du groupe NGE, relatif au projet d’autoroute A69. Bien que le groupe Pierre Fabre ait notoirement soutenu la création de cette autoroute, il n’est, à ma connaissance, pas impliqué directement dans la conclusion du montage juridique et financier de ce projet d’autoroute.
En outre, à supposer que le groupe Pierre Fabre puisse entrer dans le champ de cette commission d’enquête, il me semble que les fonctions exercées par votre épouse ne présentent qu’un lien distendu avec l’objet de la commission d’enquête. En effet, les responsabilités liées à la communication institutionnelle, à travers ses volets événementiel, marketing et numérique, d’une marque du groupe Pierre Fabre ne présentent a priori pas de rapport particulier avec le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69, non plus que la coordination et la gestion des congrès et manifestations scientifiques de ce groupe. Les éléments dont je dispose actuellement ne me permettent pas non plus d’établir la participation de votre épouse à des actions de communication ou de représentation d’intérêts du groupe Pierre Fabre auprès des pouvoirs publics en faveur de la construction de cette autoroute.
Enfin, la seule circonstance que votre épouse travaille pour le groupe Pierre Fabre et soit à ce titre susceptible de profiter des éventuels bénéfices de ce projet d’autoroute ne me semble pas constitutive d’un conflit d’intérêts, dans la mesure où ces hypothétiques impacts positifs sont de nature à concerner l’ensemble des entreprises et des habitants du secteur desservi par cette autoroute, et donc une large catégorie de personnes excédant le seul groupe Pierre Fabre et ses salariés.
Dès lors, compte tenu des prérogatives d’un président de commission d’enquête, et sous réserve d’éléments nouveaux suggérant que les activités professionnelles de votre épouse ont ou ont eu trait à la conclusion du montage juridique et financier de ce projet d’autoroute et aux liens unissant les différentes parties à ce dernier, le risque que l’exercice de votre mandat soit influencé ou puisse paraître influencé par la profession de votre épouse et que son caractère indépendant, objectif et impartial soit mis en doute, autrement dit qu’un risque de conflit d’intérêts soit caractérisé, me paraît circonscrit.
Par ailleurs, la circonstance que vous ayez déjà pris position, de façon claire et réitérée, en faveur de ce projet d’autoroute n’est pas constitutive, par elle-même, d’un conflit d’intérêts. Une telle prise de position relève en effet de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat, qui est garantie par la Constitution, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-767 DC du 5 juillet 2018, et ce aussi longtemps qu’elle ne résulte pas de l’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés dans les conditions rappelées ci-dessus.
Je vous invite néanmoins, si ce n’est déjà fait, à informer publiquement vos collègues de la profession de votre épouse afin de satisfaire à l’article 80-3 du Règlement de l’Assemblée nationale qui énonce que pour « prévenir tout risque de conflit d’intérêts, un député qui estime devoir faire connaître un intérêt privé effectue une déclaration écrite ou orale de cet intérêt. » Je vous incite donc à faire une telle déclaration d’intérêts dès le début de la séance au cours de laquelle vous seriez désigné comme président de la commission. Je vous invite à faire de même lors de vos interventions ultérieures si la situation vous paraissait l’imposer. Cette déclaration orale d’intérêts vous permettra ainsi de renseigner vos collègues, de façon actualisée et plus précise, sur les responsabilités professionnelles de votre épouse mentionnées dans votre déclaration d’intérêts et d’activités déposée auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Je reste à votre disposition pour échanger avec vous et vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression de mon entière considération.
Jean-Éric GICQUEL
Avis du 22 mars 2024 du déontologue de l’Assemblée nationale à M. Jean Terlier
Monsieur le Député,
À la suite d’un premier avis en date du 13 février 2024, vous attirez mon attention sur des éléments d’information publiés dans la presse le 14 mars 2024, selon lesquels la société « Tarn Sud Développement », qui compte parmi ses actionnaires l’entreprise « Pierre Fabre », employeur de votre épouse, détient, depuis le mois d’août 2023, 5,3 % du capital de l’entreprise « ATOSCA », à laquelle la construction et l’exploitation du projet d’autoroute A69 ont été confiées en avril 2022.
Vous me demandez ainsi si ces éléments d’information nouveaux sont de nature à modifier mon appréciation s’agissant du risque d’un conflit d’intérêts susceptible d’affecter vos travaux en qualité de président de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69.
Comme je vous l’ai indiqué dans mon précédent courrier, aux termes de l’article 80-1 du Règlement de l’Assemblée nationale, « un conflit d’intérêts est entendu comme toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif du mandat ».
En l’espèce, il ne me semble pas que la prise de participations de l’entreprise « Pierre Fabre » au sein du capital de l’entreprise « ATOSCA », par le truchement d’une société intermédiaire – dont la chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Tarn et une douzaine d’autres entreprises locales seraient également actionnaires –, soit de nature à vous placer en situation de conflit d’intérêts à raison de vos fonctions de président de la commission d’enquête susmentionnée.
En effet, si le groupe « Pierre Fabre » – qui n’est pas signataire du contrat de concession – a indirectement acquis une participation, fût-elle minoritaire, dans le capital de la société concessionnaire « ATOSCA », et s’il détient donc bien un intérêt matériel, même marginal, dans ce projet d’autoroute, la seule circonstance que votre épouse soit salariée de l’entreprise « Pierre Fabre » ne vous place pas, en elle-même, en situation de conflit d’intérêts, compte tenu, notamment, du lien distendu que les fonctions exercées par votre épouse ont avec l’objet de la commission d’enquête, comme je vous l’ai indiqué dans mon avis du 13 février dernier.
Par ailleurs, dans la mesure où, selon vos indications, ni vous ni votre épouse ne détenez de participations au sein du groupe « Pierre Fabre », il n’apparaît pas que les intérêts financiers indirectement détenus par ce groupe dans la société concessionnaire « ATOSCA » soient de nature à entraîner, pour votre épouse ou vous-même, un bénéfice matériel direct et certain, au-delà des hypothétiques impacts positifs de la construction de l’autoroute A69, que j’ai déjà mentionnés dans mon précédent avis, et qui seraient susceptibles de rejaillir, le cas échéant, sur l’ensemble des entreprises et des habitants du secteur desservi par cette autoroute, et donc sur une large catégorie de personnes excédant le seul groupe « Pierre Fabre » et ses salariés.
En tout état de cause, il est à rappeler que les fonctions de président de la commission d’enquête ne peuvent faire obstacle ni aux prérogatives de la commission ni à celles de son rapporteur. En effet, c’est à ce dernier, et à lui seul, qu’il incombe d’écrire le rapport de la commission soumis ensuite au vote de la commission. En outre, en application de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, seul le rapporteur a la capacité d’exercer sa mission sur pièces et sur place et d’obtenir la communication de tous documents de service, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs.
Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’en l’état des informations dont je dispose, le risque que l’exercice de votre mandat parlementaire soit influencé ou puisse paraître influencé par la profession de votre épouse ou par les prises de participations de l’entreprise qui l’emploie, et que son caractère indépendant, objectif et impartial soit mis en doute, autrement dit qu’un risque de conflit d’intérêts soit caractérisé, ne me paraît pas établi.
J’insiste enfin sur le fait que la seule circonstance que vous ayez déjà pris position, de façon claire et réitérée, en faveur de ce projet d’autoroute n’est pas constitutive, par elle-même, d’un conflit d’intérêts. Une telle prise de position relève en effet de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat, qui est garantie par la Constitution, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-767 DC du 5 juillet 2018, et ce aussi longtemps qu’elle ne résulte pas de l’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés dans les conditions rappelées ci-dessus. 3/3
Je vous invite néanmoins de nouveau, si ce n’est déjà fait, à informer publiquement vos collègues de la profession de votre épouse afin de satisfaire à l’article 80-3 du Règlement de l’Assemblée nationale qui énonce que pour « prévenir tout risque de conflit d’intérêts, un député qui estime devoir faire connaître un intérêt privé effectue une déclaration écrite ou orale de cet intérêt. »
Je vous ai incité à faire une telle déclaration d’intérêts dès le début de la séance au cours de laquelle vous avez été désigné comme président de la commission. Je vous invite à faire de même lors de vos interventions ultérieures si la situation vous paraissait l’imposer. Cette déclaration orale d’intérêts vous permettra ainsi de renseigner vos collègues, de façon actualisée et plus précise, sur les responsabilités professionnelles de votre épouse mentionnées dans votre déclaration d’intérêts et d’activités déposée auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Je reste à votre disposition pour échanger avec vous et vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression de mon entière considération.
Jean-Éric GICQUEL