Compte rendu
Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre délégué chargé des transports 2
– Présences en réunion................................28
Mardi 4 juin 2024
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 31
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Philippe Frei,
Vice-Président de la commission
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La séance est ouverte à dix heures cinq.
M. Philippe Frei, président. Chers collègues, nous poursuivons nos auditions consacrées à l’autoroute A69. Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Baptiste Djebbari, ancien député et ancien ministre délégué chargé des transports.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence devant notre commission. La genèse du chantier de l’autoroute A69 remonte aux premières manifestations d’intérêt pour un élargissement de la RN126, il y a près de cinquante ans, et aux études concrètes commencées il y a environ trente ans. De nombreux ministres des transports ont donc eu à gérer ce dossier, et vous en êtes l’un des derniers. Vous avez exercé vos fonctions de ministre de septembre 2019 à mai 2022, une période postérieure à la parution de la déclaration d’utilité publique (DUP) de l’A69, mais avant la parution des arrêtés portant autorisation environnementale. Vous avez joué un rôle très important dans ce dossier, car vous avez été, au nom de l’État, autorité concédante, le signataire de la convention de concession. Vous étiez également signataire de l’annexe 21 relative aux concours publics. Nous présumons donc que vous n’avez pas apposé votre signature à une convention de concession instruite par vos services, analysée par votre cabinet et finalement par vous-même, sans y accorder l’attention qu’elle méritait, même si nous savons qu’un ministre des transports gère une large palette de dossiers.
Je laisserai à madame la rapporteure le soin d’exposer le sens qu’elle souhaite donner à votre audition. Pour ma part, je vois dans votre présence devant nous un signe supplémentaire de la transparence qui existe autour de ce dossier.
Je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale. Conformément à l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais maintenant vous demander de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire « Je le jure ».
(M. Jean-Baptiste Djebbari prête serment)
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Monsieur Djebbari, je vous remercie de votre présence devant notre commission d’enquête. Comme l’a mentionné le Président, vous avez été ministre à un moment déterminant pour le projet de l’A69, ayant signé la convention de concession et l’annexe 21. Vous avez ainsi entériné la décision du Gouvernement, au terme d’un long processus, de mettre en concession un axe routier à la charge des usagers, en lieu et place de la gratuité assurée par la solidarité nationale sur la RN126. Votre mandat ministériel coïncide largement avec la période d’élaboration de cette convention de concession, justifiant pleinement votre présence aujourd’hui. Depuis 2017, vous appartenez à une majorité ayant endossé la stratégie nationale bas carbone. Avec la loi d’orientation sur les mobilités (LOM), la loi sur la biodiversité et la loi climat et résilience, cette majorité s’est engagée à répondre aux enjeux écologiques contemporains.
Cette intention n’était-elle qu’un paravent ? On pourrait le penser, et l’autorisation de lancer l’A69 en est une illustration éclatante de mon point de vue. Cette infrastructure va provoquer une augmentation des émissions de CO2 et participer de l’artificialisation des sols, en contradiction avec la politique gouvernementale. Nos précédentes auditions ont montré que ce projet a été mal étudié, sur des bases fragiles, qu’il s’agisse de l’autorisation environnementale, de la notion d’enclavement, de son utilité économique et sociale pour le bassin castrais-mazamétain, ou de la raison impérative d’intérêt public majeur.
Ce qui est pour moi dommageable, voire impardonnable, c’est d’avoir apposé votre signature sans une réflexion globale sur l’ensemble des mobilités, leur coordination et complémentarité pour desservir un bassin de population et d’emploi. L’objectif de la loi d’orientation sur les mobilités est de combiner les modes de transport et de favoriser ceux qui sont les plus décarbonés. Pourtant, le Gouvernement a continué à raisonner en silo, en comparant route et autoroute, et en négligeant complètement la modernisation de la desserte ferroviaire de Castres.
Ainsi, au lieu de prendre en compte une réflexion globale incluant les spécificités territoriales, une décision d’un État centralisateur a eu lieu, rappelant les pratiques des années 1980, sans tenir compte des exigences contemporaines. Vous avez ignoré la multiplication des épisodes climatiques extrêmes, sur lesquels le monde scientifique nous alerte. Ce dernier s’est d’ailleurs largement exprimé contre ce projet d’autoroute à travers plusieurs tribunes, dont l’une a mobilisé plus de deux mille scientifiques, incluant plusieurs membres du GIEC, du Haut Conseil pour le climat et de l’Académie des sciences. Cette décision centralisatrice se manifeste tout particulièrement lors des auditions des élus locaux. Qu’ils soient favorables ou non au projet, ils reconnaissent sous serment ne pas être informés de l’ampleur des mesures compensatoires, ne pas connaître les tarifs des péages qui seront appliqués, découvrir par la presse les montages financiers du dossier et, par la commission d’enquête, l’existence d’un projet de ferme solaire de 40 mégawatts. Je souhaite à cet égard vous interroger, monsieur le ministre : pourquoi cette information, qui a des incidences sur la vision globale du projet soumis à autorisation environnementale, a-t-elle été occultée du débat public ? Par ailleurs, à quel moment avez-vous eu connaissance d’une division par dix des concours publics, y compris de l’apport de la partie RN126 à hauteur de 75 millions dans ces concours publics, qui ne sont d’ailleurs pas valorisés dans le cadre du contrat ?
Je vous ai donc adressé un questionnaire, que j’ai transmis à mes collègues de la commission d’enquête, afin qu’ils connaissent le sens que je souhaite donner à votre audition comme pour toutes les autres auditions, de sorte que cette commission d’enquête illustre la transparence que l’on aurait souhaité voir dans le contrat de concession. Je vous engage donc à fournir le maximum de réponses dès aujourd’hui ou ultérieurement, par écrit, en ajoutant tout élément que vous jugerez utile pour notre commission. Je m’arrête ici et reprendrai la parole après vos interventions, ainsi que celles de mes collègues qui pourront vous poser des questions.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre délégué aux transports. Monsieur le Président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir accueilli. J’ai suivi vos auditions avec beaucoup d’intérêt et je souhaite contribuer au débat dans un souci de transparence en apportant des éléments sur les points techniques et politiques. Avant de répondre au questionnaire, permettez-moi de formuler quelques remarques préliminaires. Tout d’abord, je tiens à souligner la genèse du projet, un vieux projet de territoire, comme souvent avec les projets d’infrastructures au sens large. Il s’agit de conjuguer des éléments parfois contradictoires, tels que l’attractivité légitime et le développement d’un territoire. Messieurs Martin Malvy, Marc Censi et Dominique Perben l’ont rappelé dans leurs interventions respectives. Les auditions ont également été éclairantes à cet égard. L’impératif écologique est évidemment central, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, et j’y reviendrai. La rareté des deniers publics conduit l’État et les collectivités à prononcer des arbitrages, ce qui a été fait à plusieurs reprises dans ce dossier. Pour simplifier, puisque les sujets ont déjà été longuement évoqués lors des auditions, une première concertation publique au milieu des années 2010 a conduit à une décision ministérielle en 2010, figeant le principe d’une autoroute concédée à deux fois deux voies. À ce moment-là, plusieurs choix étaient possibles : améliorer l’axe existant de la RN126 par crédit budgétaire, ce qui, d’expérience, prend énormément de temps et ne produit pas la même qualité de service, ou opter pour une mise à deux fois deux voies, offrant un niveau de sécurité supérieur et un outil plus performant au service du territoire. C’est cette décision qui a été prise en 2010, suivie d’une enquête publique en 2016-2017 et d’autres étapes administratives, permettant d’arriver à la période que j’ai connue comme député, puis comme ministre.
Je souhaite également évoquer la philosophie qui a guidé notre action en tant que membres de la majorité et du Gouvernement concernant le développement des transports. La philosophie adoptée dès 2017 a consisté à mettre en pause les grands projets pour se concentrer sur les projets du quotidien et favoriser les initiatives les plus écologiques. Cela s’est concrétisé par la nomination d’un comité d’orientation des infrastructures transpartisan, qui a travaillé à l’élaboration de la LOM. Cette loi a été promulguée le 26 décembre 2019. Ce comité a examiné tous les projets, qu’ils soient ferroviaires, routiers, aériens, relatifs à toutes les formes de mobilité. Il s’est attaché, d’une part, à développer les modes de transport les plus écologiques – nous pourrons revenir à l’envi sur le bilan de ce gouvernement, notamment en matière de transport ferroviaire, qui, à mon avis, est inédit dans l’histoire de ce pays – et d’autre part, il a soutenu les projets qui faisaient le plus consensus au niveau local.
Nous avons débattu dans cette optique de quatre projets autoroutiers : Machilly-Thonon, le projet de l’A154, le contournement Est de Rouen et l’autoroute entre Toulouse et Castres. Ce dernier projet, à ce moment-là, et je crois encore maintenant, faisait le plus consensus au niveau local. Le dernier élément de cette philosophie consistait à crédibiliser la trajectoire budgétaire. Pendant longtemps, de nombreux élus ont fait des promesses, souvent qualifiées de promesses de Gascons, qui ont vu des projets être annoncés mais jamais réalisés. Nous avons voulu recenser les projets, les prioriser et les crédibiliser sur le plan budgétaire. Cela a été fait dans un rapport annexé à la LOM, qui reprend les projets et met en face les crédits budgétaires, qui ont été exécutés depuis pour la plupart des projets. C’est cette philosophie que nous avons posée. C’est dans ce cadre que le débat démocratique s’est tenu et c’est ainsi qu’au ministère, j’ai organisé le travail en suivant ce qui avait été voté au Parlement.
Il a été rappelé lors des auditions que la déclaration d’utilité publique a été signée le 19 juillet 2018. Par la suite, la LOM a été votée le 26 décembre 2019. Arrivé au ministère au début de septembre 2019, j’ai eu la responsabilité de mettre en œuvre les décisions démocratiquement votées, notamment celles traduites dans la LOM. C’est dans ce contexte que j’ai demandé à mes services de commencer à instruire le dossier de mise en concession de l’autoroute entre Toulouse et Castres. Ce travail, initié en mars 2020, s’est poursuivi pendant un peu plus d’un an, de manière totalement indépendante, par les services de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), que vous avez reçus à trois reprises. J’ai suivi attentivement leurs auditions. Ce travail a permis à la DGITM de se forger une opinion sur ce qu’était le meilleur projet. La DGITM a été appuyée par les services territoriaux compétents, notamment la Dreal d’Occitanie, les experts techniques et scientifiques du Cerema, ainsi que la direction des routes du Sud-Ouest, qui connaît bien ce territoire. Ensuite, au cours de l’été 2020, la DGITM a mis en place une commission consultative à vocation interministérielle afin de lui soumettre l’avis les appels d’offres. Cette dernière a rendu, à titre consultatif, un classement des offres, cherchant à identifier la mieux-disante.
Au début de septembre 2021, j’ai reçu une note de mes services proposant le concessionnaire pressenti, le groupement que vous connaissez bien. Cette proposition n’a suscité aucune remarque de ma part. Le Premier ministre a annoncé publiquement cette décision le 21 septembre 2021. Par la suite, le projet de contrat a été envoyé à l’Autorité de régulation des transports, puis au Conseil d’État, qui l’a validé tel qu’il était proposé. Le contrat a été signé en avril 2022 par moi-même, et contresigné par la ministre chargée de l’écologie, le ministre chargé des finances et le Premier ministre de l’époque, que vous recevrez plus tard dans la journée. Tel a été le parcours administratif de ce dossier.
Je tiens à souligner que, pour les dossiers d’instruction de marché public, les services travaillent en toute indépendance. Je profite de l’occasion pour saluer la très grande qualité des hauts fonctionnaires du ministère que vous avez entendus et qui, chaque jour, parfois dans des situations difficiles, font preuve d’une grande probité et d’un professionnalisme exemplaire.
Cela me permet de commencer à répondre aux questions, même si j’ai déjà partiellement répondu. Je ne reviendrai pas sur le projet en lui-même, car vous l’avez beaucoup évoqué, mais nous pourrons y revenir au cours des questions. Il s’agit en fait de deux projets, comme vous l’avez rappelé à plusieurs reprises, et nous concentrons notre propos sur la nouvelle liaison autoroutière.
La première question portait sur la manière dont j’ai suivi le dossier. J’ai précisé que je l’ai suivi à la fois comme député et comme ministre, mais je suis prêt à y revenir si nécessaire. Il est important de noter que les quatre projets autoroutiers que j’ai mentionnés étaient prévus dans la trajectoire, et qu’au moment de la signature du contrat, le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres était celui qui faisait le plus consensus entre les responsables politiques locaux. Les différents intervenants que vous avez pu entendre ici montrent que cette réalité est tangible et toujours actuelle.
À la question suivante, vous me demandez comment j’ai pris connaissance du dossier. J’ai suivi l’histoire de ce projet ancien, comme beaucoup, à travers la presse, en tant que député puis comme ministre. J’ai été informé des avis de l’Autorité environnementale et du Conseil national de protection de la nature après mon départ du ministère en mai 2022, à la fin du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Dans la troisième question, vous me demandez si j’ai eu des échanges avec les représentants du groupe Fabre dans le cadre de ce projet. En l’occurrence, la réponse est négative.
Vous me demandez ensuite qui a pris la décision finale en septembre 2021.
J’ai rappelé le cheminement administratif et politique du projet, un continuum de décisions publiques : la décision ministérielle de 2010, la déclaration d’utilité publique (DUP) de 2018 et le contrat de concession de 2022.
Vous me demandez si j’ai échangé avec la société retenue pour la concession. Je n’ai eu aucun échange avec cette société, ni pendant la concession, ni durant l’appel d’offres, ni après, étant donné que j’ai quitté mes fonctions en mai 2022, un mois après la signature du contrat de concession. Nous avons également affirmé ici, en toute transparence, que l’État se désintéresse de l’identité du gagnant. Ce qui importe pour l’État, c’est l’intérêt général, en validant le meilleur projet, c’est-à-dire le mieux-disant. C’est ainsi que le dossier a été traité par les services du ministère des Transports.
À la question numéro 6, vous faites référence aux trois soumissionnaires de l’appel d’offres (NGE, Vinci et Fayat), et vous demandez les raisons qui ont conduit le gouvernement à retenir l’offre de NGE. Là aussi, les auditions ont été assez éclairantes à ce sujet. Les critères de sélection étaient clairs et objectifs. Il y avait cinq critères principaux pour déterminer l’offre la plus avantageuse. Premièrement, les concours publics recherchés devaient être les moins élevés possible, car il est dans l’intérêt général de minimiser la charge pour le contribuable. Deuxièmement, les tarifs de péage devaient être identiques à ceux prévus lors de l’enquête publique qui a eu lieu entre fin 2016 et début 2017. Troisièmement, la qualité technique, environnementale et sociale du projet était un critère essentiel. Je suis conscient que nous pourrions avoir des divergences de vue sur ces sujets, mais c’était un critère objectif recherché dans l’offre la mieux-disante. Je note également que l’autorisation environnementale a été délivrée le 1er mars 2023, après que les services compétents ont vérifié le respect de la séquence « éviter, réduire, compenser », en ayant pris connaissance du dossier et de tous les avis formulés. Quatrièmement, la robustesse financière était un critère déterminant. Enfin, la qualité du service rendu à l’usager, avec une orientation vers la décarbonation, était également prise en compte. Je pourrais revenir en détail sur ce sujet, car il est indéniable que la route restera, pour encore quelques années, voire quelques décennies, un mode de transport incontournable et complémentaire aux autres. L’effort que nous avons entrepris vise clairement à orienter la route vers sa décarbonation. Je cite un exemple concret, imputable à mon mandat : en 2019, il n’existait pratiquement aucune borne de recharge électrique dans les aires de service des autoroutes du réseau concédé et fin 2022, 85 % de ces aires étaient équipées. Depuis 2023, ce taux est passé à 100 % - je peux d’ailleurs en bénéficier en tant qu’usager.
À la question numéro 7, vous me demandez dans quelle mesure ce projet autoroutier n’est pas en contradiction avec la politique de la majorité mise en place en 2017. J’ai répondu que nous avions philosophiquement décidé d’opérer la complémentarité des transports et de consacrer une part très importante des crédits à la décarbonation, en privilégiant les modes les plus écologiques, notamment les lignes ferroviaires, et en décarbonant les modes de transport les plus polluants, à savoir la route, tant pour les véhicules légers que pour les véhicules lourds. Je pourrai détailler davantage la politique publique que nous avons menée de manière interministérielle à cet égard. Je ne perçois aucune contradiction, mais au contraire une cohérence. Nous aurons certainement ce débat.
À la question numéro 8, vous me demandez si le projet a été réévalué à la lumière notamment des nouvelles connaissances en matière environnementale et des conséquences du Covid. Je rappelle que ce projet est ancien, avec une DUP datant de 2018 et une enquête publique de 2016-2017. Il a été traité de manière relativement récente, en intégrant les meilleures recommandations environnementales. Nous en débattrons certainement dans un instant. Concernant les conséquences du Covid, nous n’avions pas de références préalables. En 2020, nous avons constaté une chute du trafic, particulièrement dans le secteur routier concédé, avec une diminution d’environ 20 % du chiffre d’affaires des concessionnaires autoroutiers, représentant certainement plusieurs milliards d’euros. Le risque de trafic s’est donc matérialisé, tout comme le risque sur les taux, ces derniers s’étant envolés au début de la guerre en Ukraine, ce qui complique le financement des projets. Pour revenir à la question, nous avons analysé les effets du Covid sur le trafic. Nous avons observé des restructurations dans les différents modes de transport. Par exemple, dans les transports en commun des grandes agglomérations, il y a plutôt moins de personnes le lundi et le vendredi, ce qui pose d’ailleurs un problème de soutenabilité du modèle économique des transports en commun. Cependant, sur les axes routiers, même si nous observons aussi des variations infra-hebdomadaires, la fréquentation a retrouvé un niveau similaire à celui de 2019.
Face aux choix individuels de mode de transport des citoyens – certains continuent à prendre l’avion – nous pouvons soit mettre en place des restrictions, notamment aux libertés individuelles, comme certains le suggèrent dans le débat public, soit accompagner la décarbonation de manière rapide et efficace. C’est ce que nous avons initié lors du précédent quinquennat et poursuivi avec l’actuelle majorité, même relative.
Quant à la question numéro 9 sur la modernisation de la liaison ferroviaire et, plus généralement, sur l’action dans le domaine ferroviaire, je suis assez serein. J’ai traité ce dossier à la fois comme député et comme ministre. Nous avons adopté une loi sur le ferroviaire. Le débat avait commencé avec la proposition de fermer plusieurs milliers de kilomètres de petites lignes ferroviaires à travers le territoire. En tant que rapporteur de ce texte, j’avais demandé une étude détaillée de chaque voie, itinéraire par itinéraire, afin de modéliser le coût de la pérennisation à long terme de ces infrastructures, et non pas simplement leur réparation. Cette démarche nous a permis d’obtenir un état des lieux factuel, de voter le sauvetage de l’ensemble des petites lignes ferroviaires de France et d’engager un processus de contractualisation avec chacune des régions. Ainsi, nous avons signé un protocole avec la région Occitanie le 17 décembre 2020, pour un montant de 774 millions d’euros. Ce financement apporte de la visibilité à l’ensemble des petites lignes du territoire, y compris celle reliant Toulouse à Castres, dotée de 6 millions d’euros. Cette somme peut paraître modeste mais des travaux importants avaient déjà été réalisés entre 2009 et 2013. Au total, près de 800 millions d’euros ont été investis sur l’ensemble du territoire occitan, avec une attention particulière portée au quart Nord-Est de la région. Je vous transmettrai le détail par écrit. L’action pour le ferroviaire a été menée à différents niveaux territoriaux pour les petites lignes mais aussi au niveau national. J’ai mentionné une action inédite, et je mets au défi quiconque de trouver un précédent dans l’histoire du système ferroviaire français : la SNCF a été recapitalisée à plusieurs reprises, 35 milliards d’euros de dettes ont été repris, et une nouvelle perspective a été offerte aux transports du quotidien. Nous avons développé les RER métropolitains, nous avons sauvé les petites lignes du territoire, nous avons relancé le fret ferroviaire et les trains de nuit et nous avons signé des protocoles avec l’ensemble des régions pour les petites lignes ferroviaires. Je suis tout à fait ouvert au débat politique sur ce sujet, madame la rapporteure.
À la question n° 10, vous revenez sur le débat concernant la définition de l’enclavement. Ce débat politique ne s’est pas noué à partir d’une définition, mais à partir de l’expression d’un territoire, de ses élus, de ses entreprises, et d’un consensus en faveur de l’autoroute concédée dès lors que le débat public a été lancé à la suite de la décision ministérielle. Je le répète, ce projet d’autoroute concédée était le plus consensuel en 2018 lorsque la DUP a été publiée, et encore en 2020 lors du lancement de l’instruction pour l’appel d’offres. Malgré le débat politique, il reste aujourd’hui très largement soutenu par une grande majorité des élus des territoires. Les responsables politiques se doivent donc d’entendre cette réalité et de la traduire politiquement, tant dans la loi votée ici en ces murs qu’à travers son parcours administratif.
Vous m’interrogez également sur le coût éventuel d’un renoncement au projet. Une fois le projet lancé, comme c’est le cas aujourd’hui, le coût d’un renoncement est à la fois économique, social et politique. Économiquement et socialement, il faudrait indemniser ceux qui ont lancé le projet. Politiquement, l’État, alors même que le projet est majoritairement soutenu par les élus du territoire, reviendrait sur sa parole, ce qui pourrait participer à l’enclavement du territoire pour de nombreuses années. Cela me paraît augurer d’une mauvaise politique.
Pour finir, je réponds à quelques-unes des questions qui ont été posées et qui ont fait l’objet de nombreuses discussions dans cette commission. M. Balderelli est revenu largement, ainsi que l’ensemble des acteurs concernés, sur les tarifs, la façon dont les tarifs plafonds sont consacrés dans une loi tarifaire, leur évolution, et sur les mécanismes de répartition de clauses à bonne fortune pour rembourser les concours publics et éventuellement procéder à des baisses de tarifs. Il a également abordé le montage juridique et financier du dossier. Je pourrais, à ma mesure, tenter d’apporter quelques éclairages supplémentaires.
Vous évoquez le projet solaire, qui est, si j’ai bien compris, un engagement volontaire du groupement. Ce dernier est venu s’expliquer à plusieurs reprises sur le sujet. Administrativement, ce projet est complexe. Il sera possible, par exemple, d’installer des panneaux photovoltaïques sur les boucles de diffuseurs du domaine autoroutier, mais cela nécessitera toute la procédure administrative qui a été rappelée par les services. Par ailleurs, ces projets volontaires devront obtenir une autorisation environnementale, qui n’a pas encore été demandée. Le chiffre d’affaires généré par ces activités de production d’énergie renouvelable représenterait environ 0,3 % du chiffre d’affaires envisagé. Ce chiffre d’affaires est de toute manière soumis à la régulation économique et aux clauses de modération tarifaire prévues dans le contrat. Les différents acteurs du dossier ont exprimé très clairement ces points.
Sur les concours financiers annexes, je vous rappelle les différents critères. Les études antérieures prévoyaient un concours financier de l’ordre de 230 millions d’euros. Le jeu concurrentiel a permis de réduire ce montant à 23 millions d’euros, ce qui a été considéré comme une bonne nouvelle, montrant un bon usage des fonds publics. Je pense que chacun ici peut s’exprimer sur le fait que l’instruction a été réalisée pour choisir le meilleur dossier. Un des critères objectifs était en l’occurrence la minimisation des concours publics, et indirectement la charge pour les contribuables (ménages ou entreprises).
Enfin, je souhaite aborder la question des 75 millions d’euros. J’ai toujours du mal à appréhender pleinement ce sujet. Plusieurs sujets sont à considérer. Premièrement, quelle est la qualification juridique de ces 75 millions d’euros, qui représentent des apports en nature à l’ouvrage autoroutier ? Ces 75 millions d’euros correspondent à des dépenses passées et à une partie du trajet futur, ce qui répond à la définition juridique des apports en nature. Le deuxième sujet concerne l’évaluation de la valeur socio-économique du projet. J’ai examiné les scénarii qui aboutissent selon le cas à une valeur socio-économique d’une centaine de millions d’euros ou à près de huit cents millions d’euros. Or, la décision économique d’un projet repose sur l’obtention d’une valeur positive. Même si l’on incluait 75 millions dans ce calcul, cela ne remettrait donc pas en cause décision du projet. Il me semble, madame la rapporteure, que l’on raisonne comme si l’on souhaitait apporter cette somme en concours public pour valoriser l’infrastructure à long terme. Or, vous le savez, l’infrastructure reste la propriété de l’État et elle n’est pas valorisable à long terme puisqu’elle est rendue en l’état avec une valeur réputée nulle. Ces 75 millions d’euros ne sont donc pas valorisables. Vous adoptez un raisonnement quelque peu capitaliste sur ce sujet, ce qui m’étonne de votre part… Il s’agit probablement d’un sujet intéressant mais je n’ai pas compris où vous vouliez exactement en venir avec la réintroduction de ces 75 millions d’euros dans les concours publics. Je ne vois d’ailleurs pas en quoi cela changerait l’équilibre général du projet.
Voilà ce que je peux dire pour l’instant. Je reste à votre disposition pour la suite de cette discussion.
M. Philippe Frei, président. Merci, monsieur le ministre, pour toutes vos réponses et l’éclairage que vous apportez à nos travaux. madame la rapporteure, souhaitez-vous reprendre la parole ?
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je vous remercie pour les éléments détaillés et approfondis que vous avez partagés. Il est évident que soit ce dossier vous a beaucoup marqué, soit que vous y avez longuement réfléchi. Vous avez mentionné, au début de votre intervention, que le choix se posait entre la RN126 et l’autoroute. Ma question, que j’ai déjà soulevée, concerne l’absence de prise en compte de la desserte ferroviaire dans l’évaluation globale des mobilités, notamment lors du choix effectué par monsieur Dominique Perben. J’en ai la certitude, ayant posé deux fois par écrit la question au ministère concernant les études produites sur les alternatives à l’A69 : aucune étude de ce genre n’a eu lieu au cours de la période 2006-2007. La décision prise par le ministre à l’époque reposait donc uniquement sur une considération financière : soit l’État payait et la solidarité nationale intervenait, soit les usagers supportaient les coûts. La décision a été que les usagers devaient payer. Ce n’est qu’ultérieurement à cette décision que quelques vagues études, et uniquement sur la RN126, ont été produites au moment de la DUP, sans jamais envisager une alternative ferroviaire. Je comprends votre argument selon lequel les mobilités ne peuvent être contraintes et que les usagers choisissent librement leur mode de transport, que ce soit la voiture ou l’avion. Cependant, il est possible de les orienter dans le cadre d’une politique de transport globale.
Nous n’allons pas approfondir ce débat ici, bien que le sujet me tienne particulièrement à cœur, tant en tant qu’écologiste et rapporteure du rapport spécial sur les transports, notamment concernant la question de l’aérien eu égard à la distorsion économique par rapport au ferroviaire. Je reviens donc sur l’A69. Que ce soit pour les analyses socio-économiques, la raison impérative d’intérêt public majeur ou la DUP, l’étude d’une desserte ferroviaire était obligatoire. Elle aurait dû être menée. Par ailleurs, l’étude mentionnée dans le cadre de la DUP sur la RN126 existe, mais elle est assez vague. C’est précisément pour cette raison que des élus opposés à l’autoroute et sollicitant la région qui y a contribué partiellement, ont financé une étude alternative à l’époque pour évaluer le coût d’une réhabilitation de la RN126. Tous les élus, à l’époque, étaient favorables à une RN126 réaménagée, qu’ils soient aujourd’hui favorables ou non à l’autoroute A69. Depuis le parti Socialiste jusqu’au parti En Marche, ils nous ont tous confirmé leur soutien à une réhabilitation de la RN126 et qu’ils n’étaient pas favorables à une concession autoroutière. Bien qu’ils se soient accommodés de la décision de l’État, ce n’était pas ce qui ressortait des délibérations transmises par le conseil départemental du Tarn, la région ou diverses collectivités territoriales.
Vous affirmez que les pouvoirs publics ont répondu à une demande des entreprises. Certes, mais les études réalisées par la Chambre de commerce et d’industrie, qui fait partie du pacte actionnarial, concernent un millier d’entreprises sur les 36 000 du Tarn. La représentativité des entreprises soutenant l’autoroute A69 n’est donc pas significative.
Enfin, concernant la population, on nous dit qu’il y aurait une légitimité démocratique autour de ce projet, puisque les élus favorables à l’autoroute ont été élus sur la base de la défense de ce projet. Je l’entends, mais ce n’est pas parce qu’on détient une légitimité démocratique à un moment donné que l’on doit éviter le débat et les interpellations qui découlent de l’évolution de la situation climatique. Ce projet, qui date de trente ans, aurait mérité d’être réexaminé. Or après la DUP, cette analyse aurait pu avoir lieu. Vous auriez pu réévaluer ce projet dans le cadre de la demande d’autorisation environnementale, de la saisine de la Commission nationale de protection de la nature et de l’avis de l’Autorité environnementale. Vous aviez également de nombreuses occasions de réexaminer ce dossier, y compris lors de la mise en place du Conseil d’orientation des infrastructures (COI). Ce qui m’étonne, c’est que ce dossier, initialement classé en priorité numéro deux, est soudainement passé en priorité numéro un dans la liste des dossiers pour lesquels vous étiez interpellé par les élus. Vous affirmez ne pas avoir été en relation avec le groupe Pierre Fabre durant ce dossier, vous êtes bien le seul, monsieur le ministre ! Tous les élus, qu’ils soient locaux, nationaux, députés, et même les ministres, ont été interpellés par le groupe Pierre Fabre, qui ne s’en est jamais caché. Vous êtes bien le seul à ne pas avoir été sollicité par ce groupe. Peut-être ne savait-il pas que vous étiez le ministre chargé des transports…
M. Jean-Baptiste Djebbari. À l’impossible nul n’est tenu !
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Sur cette espèce d’unanimité autour de l’autoroute A69, je suis désolée de vous le dire, mais depuis longtemps, tout le monde ne soutient pas ce projet. Vous aviez la possibilité, au regard des engagements pris en 2017, traduits par la LOM, la mise en place du COI, et la loi Climat et résilience, de réexaminer tous ces projets. D’ailleurs, votre successeur, que nous avons auditionné, nous avait bien dit que ces projets seraient réévalués à la lumière du dernier avis du COI. Dans le scénario numéro 3, comme monsieur Jean-Marc Zulesi, qui présent ici, le sait très bien, nous avions de nouveau le catalogue de tous les projets portés par les élus. C’est le scénario numéro 2 qui a été voté à l’unanimité, car il s’agissait d’une composition transpartisane. Il ne reprend pas le catalogue de tous les projets portés par les élus locaux, mais réexamine l’ensemble des projets et de la stratégie en matière de transports au regard des urgences climatiques signalées par les scientifiques. Ces derniers nous alertent régulièrement, au niveau national, européen et mondial, à propos des urgences climatiques. Récemment, dans une tribune dans The Guardian, les scientifiques ont exprimé leur inquiétude et leur désarroi face à l’inaction des gouvernements, y compris en France. Nous avons d’ailleurs été condamnés à plusieurs reprises pour notre inaction en matière climatique. Je referme ma parenthèse… Cette distorsion entre les textes, les volontés affichées et la décision prise pour l’A69 est sujette à interrogations. Vous aviez également la possibilité de réexaminer le projet sur la base de la note produite par vos services concernant le concessionnaire présenté.
J’ai également demandé à obtenir la note d’analyse des réponses des soumissionnaires ainsi que la note d’analyse qui vous a été communiquée sur le concessionnaire choisi – dont vous me confirmez qu’elle existe. J’en viens donc aux critères qui ont permis de choisir un concessionnaire plutôt qu’un autre. Peu importe selon vous le soumissionnaire choisi, pourvu qu’il ait répondu aux critères et qu’il offre le meilleur service pour le meilleur prix. Mais justement, la question est de savoir quel est ce meilleur prix, car aujourd’hui nous ne le savons toujours pas. J’ai à nouveau interrogé la DGITM à ce sujet. Peut-être avez-vous eu cette information puisque vous me répondez que c’était la meilleure offre en termes de prix, mais nous n’avons pas les tarifs des péages. En effet, les représentants du ministère chargé des transports savent très bien répondre – ou pas – aux questions qui leur sont posées. Ils nous expliquent que les tarifs seront établis deux mois avant l’ouverture et la mise en service. Je suis donc conduite m’interroger sur les tarifs plafonds dans la mesure où ces derniers sont, la plupart du temps, retenus –et les concessionnaires auraient tort de s’en priver, sachant que l’ART m’a confirmé que la majeure partie du temps, ce sont les tarifs plafonds qui sont choisis. Il est à noter que nous disposons uniquement, dans le contrat de concession, des taux moyens et non pas des tarifs plafonds. Je tiens à le répéter car certains affirment constamment que tout est écrit dans le contrat, mais ce n’est pas le cas pour ce sujet précis.
Sur la robustesse du dossier, vous me dites ne pas comprendre où je veux en venir avec les 75 millions d’euros d’apports en nature. Vous êtes pourtant parfaitement conscient du lien avec la valorisation socio-économique. Vous voyez donc très bien où je veux en venir. Cette valeur était à un moment donné de 508 millions d’euros puis elle est passée à 98 millions d’euros après l’intervention du Commissariat général à l’investissement. Cela représente une réduction significative par rapport à ce qui avait été annoncé, mais il est indiqué que le concessionnaire assumera le risque. Puis, de manière inattendue, nous nous retrouvons avec une nouvelle évaluation de la valeur socio-économique, calculée par le concessionnaire. Personne ne s’étonne que cette valeur soit soudainement divisée par 10, sans intégrer les 75 millions d’euros précités. Si ces 75 millions avaient été intégrés, nous aurions dépassé les 100 millions, ce qui aurait nécessité une contre-expertise, compte tenu d’un décret de 2013. Ainsi, l’analyse juridique de ces 75 millions d’euros, qui sont des apports en nature, revêt une importance et un intérêt significatifs par rapport à la réglementation applicable aux marchés. Monsieur le ministre, il ne s’agit donc pas d’une analyse capitalistique, mais d’une analyse réglementaire. De plus, l’évaluation est calculée sur 115 ans, ce qui m’interpelle… Les concours publics ont été ramenés à un dixième de leur valeur, l’évaluation est calculée sur 115 ans, et personne au ministère ne s’interroge sur ce miracle d’une évaluation significativement rehaussée du fait de l’abaissement significatif de certains montants et d’un calcul sur 115 ans. Je n’ai toujours pas compris et je n’ai toujours pas reçu de réponse à ce sujet. L’ART, que j’ai encore interrogée la semaine dernière, m’a indiqué que son expertise ne portait pas spécifiquement sur ce sujet. Il faudra donc réinterroger le ministère, qui ne fournit pas de réponses très claires à cette question.
Quant à l’orientation de la politique des transports, je comprends que vous défendiez votre bilan. Il est évident que la responsabilité de la politique ferroviaire ne repose pas uniquement sur les Gouvernements en place depuis 2017 ou 2022. La situation de la SNCF est le fruit d’une longue histoire de délaissement du ferroviaire et d’endettement, en lien avec des choix de développement accéléré des lignes à grande vitesse. Je me réjouis que nous puissions aujourd’hui redécouvrir l’importance des trains de proximité et des TER, car 85 % des usagers prennent des trains de proximité. En travaillant sur la grande vitesse, on ne travaille que pour les plus riches.
J’en reviens à l’A69. D’après des calculs approximatifs, un trajet en véhicule particulier entre Castres et Toulouse reviendrait à environ 20 euros. Le tronçon s’étend de Castres à Verfeil, mais j’ai plutôt considéré un trajet entre Castres et Toulouse car j’imagine difficilement que Verfeil puisse devenir une grande métropole. Le tarif serait de 26 euros pour les véhicules utilitaires légers et de 60 euros pour les poids lourds – il n’existe aucune information particulière à leur sujet mais généralement, les tarifs de péage pour les camions correspondent au triple de celui des véhicules particuliers. Qui devra supporter le coût de 20 euros pour gagner entre 15 et 35 minutes de trajet ? Personne n’est capable de fournir des informations précises à ce sujet. Les uns calculent jusqu’au péage de l’Union, d’autres jusqu’à Toulouse, d’autres encore jusqu’à Verfeil – d’après l’ART. Qui va pouvoir payer 20 euros par jour, soit 100 euros par semaine et 400 euros par mois, pour emprunter cette autoroute ? Ceux qui auront leurs frais remboursés par leurs entreprises, comme les deux cents cadres dont le groupe Pierre Fabre annonce qu’ils effectuent ce trajet quotidiennement. Deux cents personnes pour une autoroute, cela ne représente pas grand monde... À moins que d’autres entreprises ou des artisans ne soient en mesure de prendre en charge ces frais. Mais que feront les artisans ? Ils répercuteront ce coût sur leurs clients, perdant ainsi en compétitivité. Quant aux entreprises de transport, elles répercuteront également ces frais sur leurs clients ou accepteront de réduire leurs marges. Pour gagner 15 minutes, nous en arriverons à une situation où ce sera soit le client, soit l’usager, soit l’entreprise qui supportera ce surcoût. Tout cela pour gagner du temps, car c’est le critère déterminant de cette stratégie de transports : l’objectif est d’aller le plus vite possible, le plus loin possible. Est-ce compatible avec les orientations que vous aviez mises en œuvre dans le cadre de la LOM ?
Je souhaite revenir sur un sujet abordé par la Chambre d’agriculture à travers une motion déposée en 2021. Il y apparaît que le choix du tracé de l’autoroute qui a été retenu est celui qui génère le plus de délaissés. Estimez-vous qu’il existe un lien entre le choix du tracé et les fermes solaires ? On m’informe que tout était prévu dans le contrat pour que, quelques mois plus tard, Tarn Sud Développement voie le jour et que les entreprises locales participent au pacte actionnarial. Pourquoi cela n’a-t-il pas été réalisé et pourquoi cela n’a-t-il pas été mentionné lors de la signature du contrat de concession ? Étiez-vous au courant, monsieur le ministre ? Tout était prévu concernant les fermes solaires, qui s’inscrivent dans la politique de production d’énergie renouvelable du Gouvernement. Pourquoi s’en cacher ? Pourquoi ne pas l’annoncer ? Étiez-vous informé, monsieur le ministre, qu’il était prévu de produire 40 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation d’une ville moyenne ? Ce n’est pas seulement pour les bornes installées sur les autoroutes. Aujourd’hui, on nous dit que cela n’a pas commencé, et qu’il faudra ensuite obtenir des autorisations environnementales. Pardon mais l’autorisation environnementale préalable à la signature du contrat de concession aurait dû inclure ces éléments. J’entends bien qu’aujourd’hui, il ne pourra pas y avoir de fermes solaires sans autorisation environnementale, mais l’autorisation environnementale sur le projet autoroutier a été donnée sans que cette information ait été communiquée. Dans ces conditions, son avis est-il éclairé ? Qu’en est-il du débat public qui s’est tenu en août ? Ce débat avec les habitants n’a certainement pas été éclairé. Vous allez certainement prétendre le contraire et j’attends votre réponse sur ce point.
Je souhaitais aborder un dernier point concernant les conditions financières. Vous avez évoqué la guerre en Ukraine et la situation liée au Covid, qui ont pu avoir des conséquences sur la soutenabilité et la robustesse du projet. Je me suis procuré les comptes de la société TIIC, qui fait partie du pacte actionnarial d’Atosca. Ce document est rédigé en anglais. Il y est fait état des comptes au 31 décembre 2022 et des fondements juridiques d’une demande potentielle d’indemnisation. Je vous en propose une traduction en le lisant :
« Parallèlement, le contractant et le concessionnaire travaillent toujours [ce qui signifie que ce n’est pas nouveau] sur une demande potentielle d’indemnisation de l’État français en raison de la situation économique actuelle, résultant de la guerre en Ukraine et de l’environnement logistique et économique post-Covid, qui a principalement un impact sur les coûts de construction du contractant. Néanmoins, l’augmentation des coûts de construction est entièrement supportée par l’entrepreneur par le biais de clauses d’endossement du contrat.
Dans une moindre mesure, le concessionnaire a également été impacté lors du bouclage financier, avec une augmentation significative des taux d’intérêts entre avril 2021 et avril 2022 [le contrat a été signé en avril 2022, et ces éléments n’étaient donc pas ignorés]. D’où le travail commun entrepris par les parties.
À cet égard, le concessionnaire et l’entrepreneur travaillent avec des conseillers externes pour préparer les fondements juridiques d’une telle réclamation et les montants associés à inclure. Le processus devrait être long, mais il n’affecte pas l’exécution des travaux de construction, toujours prévue en mars 2023. Il est prévu par ailleurs que 5,3 % maximum de l’actionnariat total soit cédé à Opale Invest, qui est devenu actionnaire avec diverses sociétés locales dirigées par le groupe Pierre Fabre. »
Sur ce sujet précis, j’ai interrogé Monsieur Gerlinger, le directeur général d’Atosca, qui m’a confirmé que cette demande a été faite et était à l’instruction du ministère. J’ai demandé la communication de cette demande et interrogé le ministère sur l’état d’avancement. Ma question, pour ce qui vous concerne, est que tout cela s’est produit avant la signature du contrat. Vous ne pouviez pas ne pas en avoir connaissance. Vous allez donc pouvoir m’éclairer également sur ce point.
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je vais aborder les questions dans l’ordre inverse, en commençant par les tarifs, le pacte d’actionnariat et les éventuelles demandes d’indemnisation. Concernant les tarifs, cela me permet de revenir sur votre première question. Il me semble que les explications ont été suffisamment claires sur ce point. Dès le début de l’instruction, un tarif de péage fictif est fixé en 2020. Ce tarif a ensuite évolué en fonction de l’inflation réelle ou selon un mécanisme d’indexation de l’inflation future. Sont également pris en compte des indices spécifiques aux travaux publics, qui varient selon la phase de vie du projet. Nous connaissons la loi tarifaire et les mécanismes d’indexation, mais il est impossible de prévoir l’inflation de 2024 et en 2025, ou l’évolution des indices de travaux publics. Par conséquent, il est impossible de déterminer le tarif plafond qui s’appliquera en 2024. La loi exige que le concessionnaire publie ses tarifs deux mois avant la mise en service de l’ouvrage, prévue pour le printemps 2025. C’est donc ce qui est prévu. Tout le monde a bien compris que les tarifs ne peuvent être connus à l’avance en raison de l’incertitude sur l’inflation, mais des projections peuvent être réalisées. Vous avez désormais accès à l’ensemble des éléments non grisés, ce qui vous permet de faire des simulations.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. C’est la réponse qui m’est toujours donnée. J’ai demandé quels seraient les tarifs en fonction d’hypothèses sur le taux d’inflation. Il ne serait pas compliqué de faire ce calcul. Je n’ai pourtant pas eu de réponse.
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je suis convaincu que vous obtiendrez les informations nécessaires, car effectivement ces calculs ne sont pas très compliqués, sur la base d’une loi tarifaire et d’hypothèses d’inflation. Par définition, il s’agira de projections. Nous ne connaissons pas encore les tarifs car nous ignorons l’évolution de l’inflation et des coûts des travaux publics à venir.
En ce qui concerne la potentielle indemnisation, je comprends de manière générale que les entreprises qui subissent le contrecoup de l’inflation énergétique et les perturbations des chaînes d’approvisionnement voient leurs coûts de travaux augmenter. Elles sont fondées à penser que leur rentabilité diminuera et elles cherchent donc à rediscuter les conditions de projets en cours. Je ne sais pas si une discussion est en cours avec la DGITM mais je sais ce que nous a dit l’ART et je sais ce que prévoit la loi. La loi précise que le contrat fixe la loi tarifaire et que si cette dernière est modifiée, entraînant une indemnisation, l’équilibre du contrat serait modifié, ce qui impliquerait de saisir l’ART. Ce que nous avons fait pour le contrat et ce serait également le cas pour un avenant. Si l’ART était saisie, comme l’a rappelé son président Thierry Guimbaud, elle se prononcerait défavorablement à propos de cet avenant. Une entreprise privée peut déposer des demandes d’indemnisation, mais le contrat et la loi tarifaire ont vocation à s’appliquer. Bien sûr, il y a des augmentations de coûts, notamment pour les travaux, mais si cette hausse devait être prise en compte, cela devrait se faire par un avenant. Cet avenant nécessiterait l’avis de l’ART, qui a déjà déclaré devant vous sous serment qu’elle rendrait un avis défavorable.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Il est possible de passer outre…
M. Jean-Baptiste Djebbari. Certes, mais comme vous le savez, les avis, même non conformes, sont pris en grande considération par les décideurs politiques.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Sauf quand c’est l’Autorité environnementale !
M. Jean-Baptiste Djebbari. J’entends que vous souhaitiez faire évoluer le cadre juridique et législatif pour rendre certains avis consultatifs conformes, et cela pourrait faire partie de vos propositions. Cependant, en l’état actuel du droit, c’est ce cadre qui prévaut.
Enfin, sur le transfert de risques, il est essentiel de bien comprendre les implications de ces décisions et de les intégrer dans le cadre juridique existant. Dans le cadre d’une autoroute concédée, on concède la maîtrise d’ouvrage et on transfère les risques, notamment ceux liés au trafic et au coût des travaux. Ce contrat a été établi à une époque où l’inflation n’était pas au niveau de celle de 2022. Le transfert des risques sur les coûts et le trafic est reconnu par l’ART, et la partie privée qui a signé le contrat, avec son plan de financement et ses retours espérés, doit respecter les termes du contrat. Je comprends que chacun cherche à défendre ses intérêts, mais la loi stipule que toute demande d’indemnisation nécessite un avis de l’ART, qui a déjà annoncé qu’elle exprimerait le cas échéant un avis défavorable.
Quant à la robustesse de l’offre et les 75 millions d’euros précités, la valeur socio-économique du projet est un indicateur permettant à l’investisseur de juger de la pertinence du projet. Si cette valeur est positive, le projet est généralement considéré comme viable. En revanche, si elle est négative, le projet n’est généralement pas retenu. Dans toutes les hypothèses, même les plus pessimistes, qui incluent des scénarii dégradés en termes de trafic et de coûts des travaux, la valeur socio-économique ressort à 98 millions. Même en réinjectant les concours publics, la valeur resterait positive et la décision de réaliser le projet resterait valide. Les divergences d’évaluation proviennent des différents interlocuteurs : l’État et le concessionnaire ont mené leurs propres analyses pour estimer la valeur socio-économique du projet. Le concessionnaire aboutit à une valeur plus élevée en raison d’optimisations de travaux qu’il a réalisées, notamment sur les déblais et remblais, comme mentionné précédemment. Il a opté pour des hypothèses de trafic légèrement plus optimistes que celles précédemment débattues. Le transfert de risques s’opère de manière normale et réglementaire.
Concernant les 115 ans, je n’ai pas d’explication précise. J’ai écouté divers intervenants se référer au guide méthodologique qui préconise de se prononcer sur cette durée pour avoir une référence commune. La seule explication de bon sens que je perçois est qu’un ouvrage de type autoroutier est prévu pour durer une centaine d’années d’existence. Peut-être que ces référentiels ont été conçus pour évaluer, sur la durée de vie de l’ouvrage, la valeur socio-économique qu’il génère. Il est possible que ces référentiels puissent évoluer mais il est souhaitable de pouvoir comparer les projets sur la base d’un référentiel commun. En tout état de cause, le guide méthodologique préconise d’utiliser les 115 ans comme référence commune pour l’étude des projets.
En ce qui concerne les trains de proximité, les tarifs et le pouvoir d’achat, plusieurs points méritent d’être développés. Lorsqu’une autoroute concédée est mise en place, il existe toujours une alternative gratuite au trajet autoroutier payant. Cette alternative gratuite a été d’ailleurs améliorée par divers travaux d’aménagement, y compris sur la route départementale. Concernant le pouvoir d’achat, il existe toujours une alternative gratuite par la route nationale ou départementale, en parallèle avec l’option payante. Il est vrai que les tarifs diffèrent entre les véhicules légers et les véhicules plus polluants, mais des tarifs réduits sont proposés aux utilisateurs réguliers. Des abonnements sont offerts pour les transports quotidiens. Il est vrai que généralement, le tarif varie du simple au triple entre les véhicules légers et les poids lourds : il est de l’ordre de 10 centimes par kilomètre pour les véhicules légers et de 30 centimes par kilomètre pour les poids lourds. Les tarifs prévus pour chaque classe de l’autoroute concédée se situent dans la moyenne, voire légèrement en dessous par rapport à des réseaux concédés comparables créés récemment.
Sur les délaissés et les fermes solaires, je rappelle que ces engagements sont volontaires. Ils sont soumis à des régimes administratifs quelque peu différents, car les autorités administratives compétentes varient. Les processus d’autorisation diffèrent également. Chacun s’est exprimé sur la volonté commune de maximiser l’utilisation de ces espaces pour installer des fermes photovoltaïques, visant à produire de l’énergie propre sur des terrains qui ne peuvent pas être exploités d’une autre manière. Cela me semble être une politique énergétique judicieuse, favorisant la production d’énergie verte et contribuant à la souveraineté énergétique du pays. Dans le détail, les régimes d’autorisation administrative s’appliquent et l’engagement reste volontaire. Les recettes générées par cette activité énergétique sont intégrées aux recettes régulées. De ce point de vue, l’organisation est bien structurée, mais je comprends que nous ayons des visions légèrement différentes sur le sujet.
Quant au caractère démocratique du projet et sa réévaluation, je souligne que ce projet a suivi un parcours démocratique. Une concertation publique a eu lieu au milieu des années 2000, permettant d’acter une position de l’État en 2010. Une enquête publique a été menée entre fin 2016 et début 2017, ce qui a débouché sur une DUP. Ce projet a été débattu démocratiquement dans une période assez récente, si l’on considère que les discussions sur la LOM remontent à 2018-2019. Une commission d’orientation des infrastructures transpartisane a examiné toutes les options et a soutenu les projets les plus écologiques – de nombreux projets ferroviaires ont ainsi été soutenus – et ceux qui faisaient l’objet du consensus politique local le plus large. Un consensus ne signifie pas l’unanimité, mais en démocratie, les décisions sont prises à la majorité. Ce projet d’autoroute concédée était celui qui recevait le soutien le plus important des élus et des acteurs locaux concernés.
Bien évidemment, tous les élus des territoires souhaiteraient que la route nationale passe en deux fois deux voies en quinze ans. Cependant, la réalité budgétaire montre que les travaux se réalisent de manière incrémentale, en raison de la rareté des deniers publics, et dans des délais qui dépassent largement la durée des mandats électifs. Dans le territoire où j’ai été élu, par exemple, la route entre Limoges et Poitiers, la RN147, a vu des aménagements consentis au cours des vingt dernières années, à un rythme qui ne permettrait d’achever l’élargissement à deux fois deux voies qu’en 2200... Pour accélérer ce genre de projet et améliorer la performance, la sécurité, la rapidité et la connectivité, il est alors nécessaire de recourir à des financements alternatifs. Autour de l’étoile toulousaine, la majorité des tronçons sont des autoroutes : Albi, Montauban, Agen, Pamiers, Castelsarrasin, Carcassonne. Le tronçon entre Toulouse et Castres reste, ou restait, non desservi par un aménagement rapide et sécurisé.
Je pense qu’il était légitime, du point de vue des élus locaux, de préserver l’attractivité de leur territoire en se dotant d’un outil d’accélération, à savoir le recours à l’autoroute concédée.
Quant au groupe Pierre Fabre, je regrette qu’il ne m’ait pas contacté directement. Pourtant, j’apprécie le rugby et l’équipe de Castres ! Bien que n’ayant pas été contacté directement, j’étais au courant de son soutien public au dossier. Il a d’ailleurs apporté une idée intéressante : il a observé un différentiel de croissance de ses activités à Castres par rapport à une implantation à Toulouse ou à Paris, de l’ordre de 300 % sur une longue période. On peut imaginer que la connectivité de Castres à la métropole toulousaine favorise une implantation à long terme de ce groupe, dans un contexte de transformation du territoire, de réindustrialisation et de recherche de souveraineté, avec la participation de grandes entreprises comme celle-ci.
En ce qui concerne le pacte actionnarial, l’État se concentre sur deux aspects, pour répondre à vos questions. Premièrement, l’État souhaite maintenir la stabilité de l’offre pendant deux ans, période durant laquelle les risques sont les plus importants, notamment au niveau des travaux. Il convient donc que le pacte d’actionnaire soit maintenu durant cette période. Deuxièmement, l’État contrôle les entrées et sorties et permet une cession relativement modeste, de l’ordre de 10 % du capital, avec son autorisation. En l’occurrence, la révision du pacte actionnarial a concerné environ 6 % du capital, cette part ayant été attribuée à des acteurs locaux, comme ceux qui sont venus vous l’expliquer. L’État s’intéresse au pacte actionnarial sous l’angle de la stabilité et dans le cadre de son contrôle, afin d’exercer le meilleur contrôle possible dans l’intérêt de l’ouvrage, des usagers et des acteurs du territoire.
Je ne suis pas certain d’avoir répondu à toutes vos questions, mais j’ai couvert l’essentiel de vos interrogations. Je pourrais entrer dans un débat plus approfondi sur la problématique des transports, mais cela serait trop long. Je m’engagerai avec plaisir dans cette discussion à une autre occasion.
M. Philippe Frei, président. Monsieur le ministre, nous allons maintenant aborder les questions des députés, avec l’accord de madame la rapporteure. Je souhaiterais auparavant vous interroger sur la question de la sélection par l’État, en particulier sur les motivations ayant conduit au choix d’Atosca en tant que concessionnaire et constructeur de l’autoroute. Pour justifier ce choix, le Gouvernement, par la voix de Jean Castex, avait précisé que de nombreux critères avaient été pris en compte durant la phase de sélection, tels que la qualité technique, environnementale et sociale du projet, le prix du péage, ou encore le niveau de participation financière des collectivités. Vous avez vous-même évoqué ces critères lors de vos réponses précédentes. Je considère que cette vaste gamme de critères démontre que l’État a pris soin de ne rien laisser au hasard pour choisir le projet présenté par le concessionnaire le plus approprié. Parmi ces critères, pourriez-vous nous indiquer si une hiérarchie a été établie pour l’appréciation par l’État ou si tous ces critères ont été considérés à parts égales dans le processus de sélection ?
M. Jean-Baptiste Djebbari. Les critères portent effectivement sur les concours publics, les tarifs de péage (identiques à ceux de l’enquête publique de 2016-2017), la qualité de l’insertion environnementale, sociale et technique du projet, la robustesse financière – l’État souhaite avoir affaire à un acteur sérieux, capable de supporter ces aléas – et la qualité des services rendus aux usagers dans un contexte de décarbonation de la route, car c’est bien le sujet écologique majeur que nous avons abordé. Concernant le poids des critères, je renvoie à l’audition technique de Monsieur Balderelli, qui est, par définition, l’expert sur le sujet. Il a déjà formulé plusieurs hypothèses sur le poids des critères. Ce que l’État recherche dans cette instruction et dans l’attribution d’un appel d’offres à un concessionnaire, quel qu’il soit, c’est l’intérêt général de la commande publique. L’État, en tant qu’acheteur public, doit minimiser les dépenses publiques tout en obtenant le meilleur service possible. Cela implique de réduire les concours publics, tant de l’État que des collectivités, et donc le recours aux ressources issues de l’impôt national et des impôts locaux, et de maximiser la qualité de l’offre pour le meilleur prix. L’État ne recherche ni l’offre la moins chère, ni la moins-disante, mais la mieux-disante. Cela permet d’avoir l’ouvrage le plus écologique possible, offrant le service le plus performant possible aux usagers tout en utilisant le moins de ressources publiques possible. Je pense que Monsieur Balderelli pourra préciser les poids attribués à chacun de ces critères au cours de l’instruction des réponses à l’appel d’offres
M. Philippe Frei, président. Nous passons à présent aux questions des membres de la commission.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous avez été auditionné au Sénat le 6 mai 2021 dans le cadre de la commission sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières. Cette commission visait à enrichir la réflexion sur l’avenir des concessions d’autoroutes, qui doivent prendre fin entre 2031 et 2036. En lisant le compte rendu de cette audition, j’ai ressenti une certaine perplexité. Lors de cette audition, vous avez présenté aux sénateurs plusieurs pistes de travail et notions qui vous semblaient importantes à l’époque. Cependant, nous ne retrouvons pas ces éléments dans le dossier de l’A69, malgré son caractère louable.
Je vais donc aborder la question de la durée des concessions. Vous déclariez : « À trop vouloir protéger les contrats du passé, nous risquerions d’accroître les déconnexions avec les attentes des Français... Je veux dire combien nous sommes ouverts à la réflexion sur un futur modèle moderne de gestion des autoroutes concédées et des réseaux au sens large, ainsi que sur la place de l’État. Il n’est pas impossible de concevoir de nouvelles concessions qui seraient davantage multimodales et tournées vers les enjeux écologiques et sociaux auxquels j’ai fait référence » ou encore : « Les enjeux aujourd’hui sont donc différents : décarboner nos routes, qui engendrent l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre. »
Certes, vous pourriez rétorquer que vous avez été nommé ministre délégué aux transports le 6 juillet et que l’annonce du concessionnaire a eu lieu le 20 septembre, limitant ainsi votre influence sur le dossier. Néanmoins, votre phrase « À trop vouloir protéger les contrats du passé, nous risquerions d’accroître les déconnexions avec les attentes des Français » a particulièrement retenu mon attention. Vous évoquez, je suppose, les contrats de concession signés il y a plusieurs décennies. Cependant, en examinant de près celui de l’A69, une fois le secret des affaires levé, ne pensez-vous pas qu’il ressemble à un contrat du passé, avec un peu de préoccupation environnementale ?
Après avoir fait le tour de l’ensemble des largesses accordées au concessionnaire Atosca, tels que les 111 millions d’euros d’apport en nature et des collectivités, une durée de concession de 55 ans, et l’utilisation de parcelles pour y implanter des fermes photovoltaïques, ne pensez-vous pas que l’État est une fois de plus lésé dans cette affaire ? Monsieur le ministre, n’y a-t-il pas une contradiction abyssale entre vos déclarations aux sénateurs en commission d’enquête en 2021 et la décision de concéder un projet autoroutier pour 55 ans en 2020 ? Autrement dit, ne s’agit-il pas d’une forme de démagogie de la part du Gouvernement de défendre la décarbonation et de parler d’un enjeu écologique, tout en actant la construction d’une autoroute qui détruit un écosystème et artificialise 400 hectares de terres ?
Je souhaite également vous demander de confirmer si vous avez eu une discussion formelle avec le Premier ministre, monsieur Jean Castex, sur le projet de l’autoroute A69, entre la date de votre prise de fonction et celle à laquelle le Premier ministre a annoncé que NGE était retenu dans le cadre de l’appel d’offres. Vous avez répondu par la négative. De même s’agissant des dirigeants du groupe Pierre Fabre.
Par ailleurs, lors de votre audition au Sénat, vous avez affirmé qu’il était nécessaire d’aller plus loin en matière écologique, notamment pour déployer des bornes électriques. Or, nous avons appris, après la levée du secret des affaires, qu’Atosca souhaitait exploiter certaines parcelles pour y installer des fermes photovoltaïques, afin d’alimenter, entre autres, des bornes de recharge sur le parcours de l’autoroute. Étiez-vous au courant de ce projet d’une manière ou d’une autre ? Si oui, depuis quand ?
Monsieur le ministre, connaissez-vous la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015 ?
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je vais répondre de manière précise à ces questions distinctes. Vous avez raison de souligner, madame la députée, que je m’intéressais déjà au sujet des autoroutes avant d’être ministre, et ce pour plusieurs raisons. Il est vrai que les concessions historiques, qui représentent l’essentiel du réseau routier concédé, arrivent pour la plupart à échéance entre 2031 et 2036. Anticiper cette nouvelle génération de contrats nécessite au moins cinq à sept ans de préparation pour déterminer les actions à entreprendre. Contrairement à ce qui est souvent affirmé dans le débat public, ces autoroutes ne sont pas privatisées ; elles sont concédées, le patrimoine restant celui de l’État. Ces autoroutes sont restituées à l’État, qui doit alors décider de la marche à suivre. L’État peut choisir de les exploiter lui-même, comme il le fait pour le réseau routier national. Le réseau routier concédé représente environ 9 000 kilomètres d’autoroutes, tandis que les routes nationales gérées par l’État couvrent environ 12 000 kilomètres, voire un peu plus selon les modes de calcul. Il est tout à fait envisageable qu’en 2031, l’État décide, pour des raisons politiques qui peuvent s’entendre, de gérer directement le réseau routier. Il est également possible qu’il opte pour d’autres solutions, comme des partenariats public-privé. En tout cas, tout cela doit être organisé car le réseau fonctionne bien tel qu’il est. Le cadre de régulation a beaucoup évolué. Vous avez mentionné la loi de 2015, qui a notamment instauré un cadre de régulation beaucoup plus strict pour les nouvelles concessions. Ce cadre s’applique encore aujourd’hui, avec la création de l’ART, un meilleur encadrement de la rentabilité et l’intégration de clauses à meilleure fortune dans ces nouveaux contrats.
En tant que député, j’ai réfléchi à l’avenir de ces concessions sous divers aspects, notamment financier, mais surtout en termes d’acceptabilité et de ce que l’on pouvait financer avec les recettes générées par les autoroutes. Le principe actuel est que la route finance la route. Nous pouvons envisager une organisation différente à l’avenir. J’avais déjà réfléchi à cette question, notamment sur le plan de la gouvernance. Actuellement, les régions jouent un rôle majeur, étant les autorités organisatrices de la mobilité et souvent co-financeurs des grands projets. Il ne me semble pas aberrant de penser que, dans un futur proche, les régions puissent être impliquées dans la gouvernance, voire devenir actionnaires à des niveaux à définir, de ces projets. Ce sont des pistes de réflexion que je trouve pertinentes. Je constate que le ministre des Transports actuel s’est saisi de cette question et envisage, soit par voie de commission, soit par voie de convention citoyenne, de commencer à réfléchir à l’avenir des concessions. C’est un débat d’intérêt général essentiel à mener.
Je confirme que le contrat bénéficie de l’ensemble des évolutions légales et réglementaires, notamment celles de 2015, que vous avez mentionnées. Il inclut des clauses de meilleure fortune et de partage des recettes plus importantes qu’attendues, ainsi que des conditions de modulation et de régulation économique, notamment sur la durée endogène du projet. Si les recettes s’avéraient beaucoup plus importantes que prévu, la durée de la concession serait réduite contractuellement. Il y a eu beaucoup de critiques concernant le refinancement de ces concessions. Aujourd’hui, un mécanisme de partage des recettes attendues du refinancement de l’infrastructure est en place. Si le concessionnaire ou le groupement qui opère refinance pour étendre la maturité de la dette et obtient de meilleures conditions économiques, il est obligé de partager les recettes de ce refinancement. En résumé, ce contrat bénéficie des meilleures pratiques actuelles, légales et réglementaires, en matière de partage de la valeur.
Je vous confirme que je n’ai jamais été approché par le groupe Pierre Fabre, ni rencontré NGE durant l’instruction de l’appel d’offres, ni même après. C’est parfaitement exact. J’ai cependant discuté de tous les projets de transport avec le Premier ministre à de nombreuses reprises, car je le consultais régulièrement pour faire un point sur divers sujets. Ce projet faisait partie d’un ensemble plus large, notre action principale étant orientée vers le mode ferroviaire, qui représentait environ la moitié du budget du ministère des transports. Cependant, nous abordions régulièrement tous les sujets avec le Premier ministre.
Sur le projet d’aménagement, j’ai déjà répondu à de nombreuses reprises. En ce qui concerne la loi de 2015, je vous confirme que je la connais bien. Cette loi introduit une évolution dans la régulation économique des concessions et s’est pleinement appliquée dans l’instruction de ce dossier, ainsi que dans la mise en concession de l’autoroute entre Toulouse et Castres.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous connaissez la loi dite Macron, votée en 2015, lorsque le Président de la République n’était pas encore en fonction. Cette loi visait, entre autres, à limiter les super-profits potentiels en révisant les tarifs de péage à la baisse ou en réduisant la durée des concessions. Actuellement, compte tenu de la conception du contrat de concession de l’autoroute A69, pensez-vous réellement que la loi Macron de 2015 soit pleinement respectée ?
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je vois parfaitement à quoi vous faites référence. Ce contrat de concession, comme d’ailleurs pour les autres concessions actuelles, est prévu pour une durée de 55 ans. L’État, ainsi que l’ensemble des décideurs publics, recherchent la stabilité. Le mécanisme de création de valeur est régulé par les dispositifs que j’ai mentionnés précédemment, tels que les plus-values, la durée endogène, etc. Il est effectivement prévu qu’en cas de surperformance financière de l’objet concédé, il soit possible de réduire la durée de la concession. Cependant, le contrat est initialement prévu pour 55 ans. Cette durée correspond à la norme actuelle des concessions, bien que parfois elle puisse être plus longue, allant jusqu’à 65 ou 70 ans. Cette durée permet d’obtenir la visibilité nécessaire pour obtenir des financements bancaires pour ces projets coûteux et de très long terme. Elle permet également de transférer le risque tout en maintenant un niveau de risque acceptable pour l’ensemble des parties prenantes. Je confirme que je connais cette loi et que cet objet concédé a pleinement bénéficié des avancées en termes de régulation et d’encadrement économique des recettes de la concession depuis 2015 et au‑delà.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). J’ai une dernière question. Le 21 février 2020, le président de notre commission a exprimé sa satisfaction après avoir reçu un courrier de votre part. Ce courrier indiquait que vous aviez initié une procédure de mise en concession de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse. Cette décision, d’une grande importance, ouvre la voie aux appels d’offres pour les concessions. Elle s’inscrit dans la continuité du volet administratif, marqué par la déclaration d’utilité publique de fin 2018, et du volet financier, avec l’inscription du financement dans la LOM, votée à la fin de 2019. Il semble que vous ayez été sensible à la présentation du dossier par monsieur Jean Terlier, car cette décision est intervenue seulement deux mois après le vote du financement. Monsieur Terlier lui-même ne s’attendait pas à une telle rapidité. Dans cette commission, nous avons la certitude qu’à partir 2020, tout le monde a voulu avancer à marche forcée sur ce dossier. Cela rejoint les observations de ma collègue, madame Christine Arrighi, qui a souligné que la question de l’alternative ferroviaire n’a pas été étudiée ni même prise en compte. Pourquoi une telle précipitation, monsieur le ministre ? Pourquoi avoir accéléré la procédure pour la mise en route rapide de ce projet ? Avez-vous subi des pressions pour ne pas réexaminer le dossier de l’A69 ? Si oui, de la part de qui et quelles étaient ces pressions ?
M. Jean-Baptiste Djebbari. Nous parlons d’un projet ancien, qui remonte aux années 1970-1980, soit il y a environ cinquante ans. On s’étonne qu’une majorité, ayant cinq ans pour agir, lance un tel projet à la suite d’un débat démocratique. Je rappelle que la LOM a été débattue pendant de longs mois au Parlement, puis votée et promulguée le 26 décembre 2019. Elle avait donc matière à s’appliquer. On nous dit souvent, et à juste titre, que la démocratie française manque d’efficacité. Partout où cela était possible, nous avons cherché à être efficaces. Nous avons donc mis en œuvre de manière diligente ce que le Parlement a décidé. C’est pourquoi nous avons lancé l’instruction dans le trimestre suivant la promulgation de la loi. J’ai signé le protocole avec la région Occitanie le 17 décembre 2020 pour 774 millions d’euros concernant l’ensemble des petites lignes ferroviaires. Les discussions avec la région sont complexes, notamment en raison des clefs de cofinancement et des accords sur les projets, mais nous avons signé des protocoles avec toutes les régions, fixant les clefs de répartition pour les petites lignes ferroviaires de France, pour un montant actuel qui avoisine les 6,5 milliards d’euros. Nous avons fait preuve de diligence sur tous les sujets. Lorsque des projets d’autoroutes en concession devaient être débattus ou instruits, nous l’avons fait de manière diligente. De même, pour les protocoles concernant les lignes ferroviaires, nous avons agi avec diligence. En ce qui concerne la région Occitanie, cela s’est traduit par deux sujets : la mise à l’instruction au premier trimestre de 2020 de l’autoroute concédée entre Castres et Toulouse, et la signature d’un pacte ferroviaire pour 780 millions d’euros le 17 décembre 2020. Il ne s’agit pas de précipitation, mais d’une volonté d’efficacité dans l’action sur l’ensemble des sujets de mobilité.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Sans étude…
M. Jean-Baptiste Djebbari. Les études existent. En matière ferroviaire, nous avons dépassé le stade des études en posant des actes concrets. Nous avons pris des mesures significatives, notamment en réformant la SNCF. D’aucuns estimaient que c’était absolument impossible. Nous avons garanti le caractère public de l’entreprise et repris 35 milliards d’euros de dettes, ce qui n’est pas négligeable. Nous investissons plus de 3 milliards d’euros dans le réseau, ce qui est considérable comparé au milliard d’euros investi en 2012 à l’époque de l’accident de Brétigny. Vous pouvez discuter de l’intensité de l’action gouvernementale dans le domaine ferroviaire. Je ne partage d’ailleurs pas l’avis de madame la rapporteure selon lequel les TGV seraient uniquement à l’usage des riches, le train Ouigo étant un contre-exemple. Nous avons cherché à être efficaces sur tous les dossiers et à compléter les autres modes de transport de la manière la plus cohérente possible.
M. Jean Terlier. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre présence à cette commission d’enquête. Il est essentiel de pouvoir vous entendre, car vous avez joué un rôle central dans la réalisation de ce chantier autoroutier. Actuellement, plus de 50 % des crédits sont engagés. Je souhaite exprimer ma gratitude, et à travers moi, celle de l’ensemble des habitants du Tarn et notamment du Sud du département, qui soutiennent ce projet autoroutier à une immense majorité. Vous avez rappelé qu’il découle d’un long processus démocratique, remontant à au moins trente ans. Les élus de la communauté d’agglomération Castres-Mazamet, de celle du Sor et Agout, du département et de la région ont tous œuvré pour la réalisation de ce projet autoroutier. Il est important de souligner que c’est sous la précédente majorité que nous avons changé de paradigme. Vous l’avez clairement indiqué : nous avons inscrit dans la LOM le financement de ce chantier autoroutier de l’A69, en y consacrant des crédits spécifiques, alors qu’auparavant, les crédits n’étaient jamais identifiés. Ce changement de méthode est significatif, et je tenais à le souligner et à vous en remercier.
Pour répondre à ma collègue qui a évoqué une précipitation, il est évident que la période de Covid et la sortie de cette crise ont eu des impacts. Malgré la LOM et la DUP, certains pensaient qu’aucune entreprise ne soumissionnerait à cet appel d’offres en raison des risques perçus. C’est l’ancien Premier ministre, Jean Castex, que nous auditionnerons cet après-midi, qui a impulsé la démarche et permis la réalisation et l’aboutissement de ce projet d’autoroute, désormais en chantier. Bien que je n’aie pas de question spécifique, j’ai écouté mes collègues discuter des mécanismes de régulation des profits, avec des clauses sur la durée des contrats notamment qui assurent un équilibre entre le concessionnaire et le concédant. Il est intéressant de constater, à travers cette commission d’enquête, que l’État a fait un choix judicieux. Le ministère des transports et l’ART nous ont clairement indiqué que les prévisions de coûts des travaux et de trafic sont optimistes. Le transfert des risques au concessionnaire semble plutôt bénéfique à l’État, avec une subvention d’équilibre divisée par dix sans compromettre l’équilibre économique du contrat. Ce contrat de concession, auquel vous avez participé, illustre bien le désenclavement d’un bassin d’emploi de plus de 80 000 personnes, attendu depuis plus de trente ans. Le coût pour les usagers, bien que critiqué, reste dans la norme, voire légèrement inférieur pour les personnes physiques. Le concessionnaire choisi a été le mieux-disant en termes d’exigences environnementales. Le nouveau système sans barrière de péage et la réduction de l’artificialisation des sols en sont des exemples concrets.
Aujourd’hui, je pense que nous avons affaire à un projet abouti, même s’il fait l’objet de contestations pour lesquelles les procédures sont en cours devant les juridictions administratives. Jusqu’à présent, tous les recours ont échoué, mais il en reste encore devant ces juridictions. Parallèlement à cela, nous constatons des violences inouïes et quotidiennes de la part des opposants à l’autoroute A69. Chaque jour, des entrepreneurs de travaux publics me rapportent que leurs engins de chantier ont été incendiés et que leurs salariés ont été victimes de jets de pierre par des individus cagoulés, actuellement présents dans une ZAD. Ces violences, inouïes et quotidiennes, suscitent une exaspération croissante parmi la population du Sud du Tarn, qui a patiemment attendu l’aboutissement d’un long processus démocratique et administratif. Aujourd’hui, une minorité d’individus écologistes radicalisés tente, par la violence, de remettre en cause ce processus démocratique. Vous avez également souligné que la longueur de ce processus démocratique pose question. Peut-être devons-nous envisager des pistes d’amélioration à ce sujet. Je souhaiterais également connaître votre avis sur ces contestations violentes qui se manifestent quotidiennement dans le Sud du Tarn et qui nous inquiètent particulièrement en vue d’une manifestation co-organisée par les Soulèvements de la Terre, prévue ce week-end dans le sud du Tarn.
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je m’associe à cette condamnation des violences. Cette commission participe à un acte de transparence en dégonflant les rumeurs et les soupçons les plus infondés. C’est un bon exercice de transparence. Ce projet est ancien, complexe, et renvoie à des débats politiques et à des actes administratifs. Je comprends tout cela. Vous avez raison de dire que l’un des sujets de la difficulté d’acceptabilité des projets en France est la durée nécessaire pour leur réalisation. Aujourd’hui, pour n’importe quel grand projet d’infrastructures en France, il faut compter environ douze ans. Pour les autoroutes, c’est encore plus long. Dans un contexte où les populations bougent beaucoup, après douze ans, il est possible que sur le même territoire, les caractéristiques démographiques aient évolué et que les coalitions politiques aient été modifiées en raison du non-cumul des mandats. Cela entraîne une forme d’inacceptabilité des dossiers, accentuée par les recours et la judiciarisation de la vie politique d’une manière générale. Tout cela rend les projets de moins en moins acceptables du fait de leur durée. Je suis convaincu que l’efficacité dans la démocratie du développement des infrastructures les plus vertes possible en France, notamment sur les sujets énergétiques, ne peut pas s’accommoder de temps de réalisation aussi longs. On constate d’ailleurs que nous sommes beaucoup plus lents à réaliser ces projets que les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, qui sont aussi des démocraties dans lesquelles les contestations locales ont aussi leur place. Nous avons là un vrai sujet à traiter, comme nous avons tenté de le faire dans différentes lois votées ici, à l’Assemblée nationale, sur la réalisation des projets d’infrastructure. Il faut garantir la bonne information publique et la qualité du débat politique, mais il est également nécessaire d’accélérer le temps de réalisation des projets pour éviter les difficultés que vous avez citées.
Je partage les autres propos tenus. Nous n’avons pas abordé la question péage sans barrière, appelée flux libre. Nous pourrons en discuter ultérieurement. Actuellement, nous disposons déjà d’autoroutes en fonctionnement qui nous fournissent un premier retour d’expérience ainsi que des pistes d’amélioration. De manière générale, le flux libre fonctionne et continuera à s’améliorer. Cela s’inscrit dans une logique de progrès et permet d’obtenir des performances écologiques à moindre coût. Par exemple, l’accélération ou la décélération d’un poids lourd au moment du péage entraîne une surconsommation d’environ un litre de carburant. Sur le partage des fruits de la concession, vous avez mentionné les mécanismes de durée endogène, la modération tarifaire et le partage des fruits du refinancement. Tous ces éléments contribuent à une régulation économique efficace de cette infrastructure et des futures, au-delà des seules concessions autoroutières.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous n’avez pas répondu à une de mes questions, que je reformule donc. Lors de votre précédente audition au Sénat, vous avez affirmé qu’il était nécessaire de progresser davantage en matière écologique, notamment en déployant des bornes de recharge électrique. Or il apparaît que dans le cadre du contrat de concession qui nous concerne, nous avons découvert, après la levée du secret des affaires, qu’Atosca, par l’intermédiaire d’une société, envisage d’exploiter certaines parcelles pour y installer des fermes photovoltaïques. Ces installations viseraient, entre autres, à fournir de l’énergie aux bornes de recharge le long de l’autoroute. Étiez-vous informé de ce projet de fermes photovoltaïques d’une manière ou d’une autre ? Si oui, depuis quand ?
M. Jean-Baptiste Djebbari. Le sujet a été largement débattu. Il s’agit d’un engagement volontaire du concessionnaire dans le cadre du contrat. Des autorisations sont nécessaires auprès de diverses autorités sachant que les projets d’énergie renouvelable se situent en partie sur le domaine de l’autoroute concédée et en partie sur des terrains dits « délaissés ». Le concessionnaire vous a exposé les projets actuels comparés à ceux envisagés lors de la signature du contrat. Certaines obligations sont contractuelles, et d’autres relèvent de l’engagement volontaire. En l’occurrence, il s’agit d’un engagement volontaire.
Entre 2019 et 2022, alors que j’étais au ministère des transports, nous avons mené une action majeure concernant l’électrification des aires de service sur le réseau routier concédé et non concédé, afin de favoriser l’émergence des véhicules électriques. Pour le coup, nous avons fait preuve de diligence et d’efficacité : en 2019, il n’existait pratiquement aucune borne électrique sur les stations et aires de service du réseau autoroutier concédé ; à la fin de 2022, 85 % des aires étaient équipées et aujourd’hui, elles le sont intégralement. Je soutiens fermement que nous accompagnons largement la transition énergétique des infrastructures de transport pour permettre l’électrification des véhicules, afin que chacun participe à sa juste mesure. D’ailleurs, dans le cadre des moyens consacrés à la décarbonation en réponse à la crise du Covid, nous avons sollicité la participation volontaire des concessionnaires existants, à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros, pour l’électrification des aires de service. Ce travail de régulation politique s’applique tant dans le cadre des contrats qu’en dehors de ceux-ci, lorsque l’intérêt général le commande, comme c’est le cas pour la décarbonation.
Les fermes photovoltaïques correspondent à un engagement volontaire dont j’ai bien compris qu’il était sujet à débat. Contractuellement, cet engagement reste volontaire et peut se concrétiser ou non, selon des procédures réglementaires distinctes, qu’il s’agisse des installations qui se trouveront sur le tracé de l’autoroute concédée ou en dehors. Je vous renvoie à l’application du droit. Les recettes attendues, bien que marginales, ont été évoquées par toutes les parties comme représentant environ 0,3 % du chiffre d’affaires attendu. Ces recettes, même minimes, sont intégrées dans la régulation économique et participent aux mécanismes de partage que nous avons précédemment mentionnés.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je reviens sur les propos que vous avez tenus. Le système de flux libre fonctionne, mais il s’est accompagné de nombreuses amendes dès son ouverture, comme au Portugal, qui est très avancé dans ce domaine. D’autres expériences montrent son efficacité, mais le défenseur des droits est souvent sollicité à propos de ces dispositifs. Je tiens à le souligner.
Par ailleurs, je partage votre condamnation partagée unanimement ici des violences à l’égard des salariés. Cependant, je m’étonne que les violences policières ne soient pas condamnées de la même manière par tous les participants de cette commission, notamment lorsqu’elles émanent d’un préfet sans autorisation légale d’intervenir. Il serait pertinent de condamner à la fois les violences contre les salariés et celles commises dans un État de droit par un préfet sans autorisation légale.
J’ai des questions précises, concernant notamment les 75 millions d’euros. J’y reviens car je considère que vous n’avez pas répondu. La qualification juridique des 75 millions d’euros est importante car elle détermine l’application ou non de certains textes de loi relatifs au droit des contrats. Si, par exemple, une route nationale financée par des contribuables était versée en apport en nature dans un contrat de concession, il serait inconcevable de considérer que le concours public est nul. La réponse qui m’est constamment donnée est qu’il s’agit d’une dépense du passé mais au moment du contrat de concession, cette somme est bien évaluée à 75 millions d’euros, ajustée d’ailleurs en fonction de l’inflation pour son évaluation dans l’inventaire. Cela démontre que la qualification juridique de cet apport en nature constitue un concours public. Les conséquences de cette qualification sont significatives, notamment en ce qui concerne le caractère obligatoire ou non des contre-expertises. Je ne peux pas adhérer à votre position sur cette question.
Sur les critères de choix du concessionnaire, monsieur Balderelli nous avait effectivement indiqué que les coefficients de pondération comportaient un quart consacré à l’optimisation en matière des travaux.
Or, monsieur Gerlinger, dans le cadre d’une pétition qui a entraîné un débat devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, nous avait informé qu’une meilleure proposition avait été formulée grâce à une optimisation des travaux en réutilisant des terres pour réaliser des remblais. Puis nous avons découvert, à l’occasion, non dans ce contrat, mais dans le cadre de l’examen d’un autre dossier, l’existence d’un schéma régional des carrières. Ce schéma, sous l’autorité du préfet et après une enquête publique menée en août – période souvent choisie par l’État (avec la période de Noël) pour organiser des enquêtes publiques afin de favoriser un débat citoyen riche – mentionnait un apport de 2,6 millions de tonnes de graviers sur le chantier de l’A69. Interrogé à ce sujet, Monsieur Gerlinger a nié cette information, affirmant que ce ne serait jamais 2,6 millions de tonnes, mais il a confirmé qu’un apport de matériaux était prévu. Cette information n’avait pas été communiquée non plus à l’Autorité environnementale, notamment l’évaluation du transport de ces matériaux et des émissions de gaz à effet de serre correspondantes, car il avait été initialement indiqué que suffisamment de matériaux seraient réutilisés sur le chantier pour optimiser financièrement et écologiquement le projet. Cela ne me convient pas non plus.
Passons à l’alternative gratuite, il est vrai qu’elle existe mais elle est financée par les contribuables du Tarn. En effet, la route nationale, financée par la solidarité nationale, sera intégrée à la voirie départementale et sera donc à la charge des contribuables tarnais. Ainsi, les habitants devront payer pour emprunter l’autoroute et, s’ils ne peuvent pas se permettre de l’emprunter, utiliseront « gratuitement » une route qu’ils auront financée par le biais de la solidarité départementale. Cette alternative n’est donc pas totalement gratuite. Nous avons interrogé monsieur Ramond, le président du conseil départemental du Tarn, qui nous a indiqué qu’il travaillait actuellement sur le financement de l’entretien de cette route nationale, qui sera intégrée à la voirie départementale. Par conséquent, cette alternative n’est pas complètement gratuite.
En ce qui concerne les fermes solaires, je me suis déjà exprimée en faveur du développement des énergies renouvelables et de l’utilisation potentielle de terrains délaissés, à condition qu’ils ne soient pas destinés à la renaturation. Or dans le cadre de cette autoroute, selon l’arrêté interdépartemental des préfets du Tarn et de la région Occitanie, il est prévu d’utiliser ces terrains délaissés. Je souligne une nouvelle fois que l’Autorité environnementale a été consultée sur la base d’éléments incomplets, et qu’en l’occurrence son avis aurait pu être différent. Certes, des autorisations environnementales seront nécessaires pour les fermes solaires, mais au moment du rendu de son avis, l’Autorité environnementale n’était pas informée de ce projet. Elle n’a donc pas pu prendre en compte, entre autres, les motions de la Chambre d’agriculture, qui indiquait que le tracé choisi produisait le plus de terrains agricoles délaissés. L’Autorité environnementale n’a donc pas pu émettre un avis éclairé sur ce sujet faute d’information. Je vous repose la question : à quel moment avez-vous été informé de ce projet de ferme solaire ? Si vous en avez l’information avant la signature du contrat – j’espère que c’était le cas – pourquoi l’avoir dissimulée ? Dans l’annexe 12 du contrat, pages 6 et 21, cette information concernant le projet de ferme solaire et de production d’énergie renouvelable a été grisée. Pourquoi avez-vous permis que cette information, extrêmement importante pour l’Autorité environnementale, les collectivités locales et le débat citoyen, soit grisée ?
Je suis étonnée par la réponse que vous avez donnée à ma collègue madame Karen Erodi concernant la durée de la concession. En effet, dans l’avis de l’ART du 25 janvier 2022, la durée du contrat est mentionnée. L’Autorité recommande dans son rapport d’envisager toutes les adaptations permettant de réduire la durée des engagements contractuels de l’État dans le secteur autoroutier. Bien que cela soit un peu long, je tiens à le lire : elle relevait en effet « qu’un horizon contractuel très long, en accroissant le transfert de risques et en privant la puissance publique des avantages d’une mise en concurrence plus régulière [c’est-à-dire selon une périodicité inférieure à 55 ans], pouvait s’avérer très coûteux. D’une part, des engagements contractuels sur une durée très longue amplifient les risques assumés par le secteur privé et conduisent à un coût du capital plus élevé. D’autre part, ils contraignent la puissance publique à négocier de gré à gré toute évolution du contrat avec son partenaire privé, et ne lui permettent pas de bénéficier des mécanismes régulateurs du marché. » Cela s’illustre avec les contrats signés en 2006 et le protocole de 2015, pour lequel nous avons eu beaucoup de difficultés à obtenir des informations. Je poursuis : « Toute adaptation permettant de réduire la durée des engagements contractuels devrait donc être sérieusement envisagée, et le choix de la durée finalement retenue solidement étayé. L’Autorité constate que pour la concession de l’autoroute A69, le concédant a retenu une durée contractuelle de 55 ans. Il ressort de l’instruction que cette durée a été établie en tenant compte des pratiques usuelles. Ainsi le concédant se réfère aux durées de financement généralement retenues pour ce type de projets d’infrastructures, qui sont de 30 à 40 ans après refinancement, celui-ci intervenant après la mise en service et la montée en charge des trafics, soit environ 10 ans après la signature du contrat, et aux exigences supposées des prêteurs qui demanderaient une durée de concession supplémentaire de 5 à 15 ans après l’amortissement du prêt, ainsi qu’aux éléments constitutifs de l’autoroute dont les pratiques de marché anticipent un amortissement sur une durée longue, souvent proche, voire supérieure à 55 ans. Il semble ainsi que le concédant [et c’est là que je ne comprends pas votre réponse] ait perpétué le mode contractuel auquel il a usuellement recours, sans envisager d’y apporter des adaptations permettant de limiter la durée de ses engagements et sans mener d’analyses économiques justificatives. » Je passe ensuite directement à la conclusion : « Les autorités [le concédant] ne devraient donc pas exonérer le concédant de réinterroger ses propres pratiques en termes de durée des contrats de concession autoroutière, ni de concevoir des mécanismes pour s’éviter des écueils d’engagement contractuel trop longs. » Merci donc de me donner votre éclairage par rapport à celui de l’ART.
Je reviens enfin sur la demande reconventionnelle qui a été faite et que j’ai découverte en anglais dans un document du 31 décembre 2022 de la société TIIC. Au moment de la signature du contrat, étiez-vous au courant de cette demande reconventionnelle de la société Atosca ? Il est indiqué : « à cet égard, le concessionnaire et l’entrepreneur travaillent avec des conseillers externes pour préparer les fondements juridiques d’une telle réclamation et les montants associés à inclure. »
M. Philippe Frei, président. Monsieur le ministre, avant de vous laisser répondre et de clore nos débats, je souhaite revenir sur les cases grisées qui préoccupent particulièrement madame la rapporteure. Nous avons des divergences d’opinion sur ce sujet.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Parce que vous n’êtes pas curieux !
M. Philippe Frei, président. Je suis curieux et convaincu que rien n’est dissimulé.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Si la commission d’enquête n’avait pas eu lieu, vous ne seriez pas au courant.
M. Philippe Frei, président. Ces cases sont grisées car il s’agit d’un processus inhérent au droit des affaires, et rien n’est dissimulé. Je suis conscient que nous n’avons pas le même point de vue, mais je tiens à rappeler que dans ce dossier, rien n’est caché. Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je vais reprendre votre dernière question concernant la demande reconventionnelle de TIIC, qui affirme collaborer avec des conseillers externes. Je vous confirme qu’au moment de la signature du contrat, nous n’avions pas reçu de demande reconventionnelle. Par ailleurs, si une telle demande, impliquant une indemnisation, devait survenir après la signature du contrat en avril 2022, l’ART serait obligatoirement saisie. L’ART a clairement indiqué devant vous que cet avenant recevrait un avis négatif de sa part, avis qui serait très probablement suivi par le Gouvernement. Nous suivons généralement les recommandations de l’ART. Je comprends parfaitement qu’une société privée puisse consulter des conseils pour formuler des demandes reconventionnelles à l’État. Cela relève de la pratique courante dans le monde des affaires. Cependant, dans ce contrat spécifique, signé en l’état, toute demande reconventionnelle d’un acteur privé perturbant l’équilibre du contrat entraînerait une saisine de l’ART, qui émettrait un avis défavorable.
Le retour d’expérience sur le flux libre commence par ailleurs à être significatif, avec une courbe d’apprentissage en constante progression. Je n’ignore pas les questions relatives aux amendes et aux recours. L’A13 et l’A14, sur l’ensemble de leur parcours normand, seront entièrement mises en flux libre. Cela s’inscrit dans une dynamique historique, avec une amélioration progressive des conditions de circulation au fil des ans et des mois.
En ce qui concerne les 75 millions d’euros, nous avons affaire à une question de qualification juridique, comptable et financière. Le sujet abordé concerne la concession d’autoroutes qui relèvent toujours du patrimoine de l’État. Les 75 millions d’euros évoqués n’ont aucun impact sur la quantification de la valeur socio-économique du projet. En effet, quel que soit le mode de calcul, ce projet présente une valeur nette positive, ce qui en général justifie sa réalisation.
Concernant les concours publics, je souhaite apporter une clarification. Je ne m’oppose pas à une réflexion future sur ce sujet, mais il est important de préciser que ces concours, tels qu’ils sont entendus ici, représentent les fonds réels, en euros, consacrés au projet par l’État et les collectivités, à hauteur de 50/50, soit 23 millions d’euros. Il s’agit de la dette véritablement affectée au déploiement de ce projet, qui s’élève à un peu plus de 175 millions d’euros, ainsi que des fonds propres investis par les actionnaires. Je comprends parfaitement la discussion intellectuelle, juridique et opérationnelle autour du terme de concours public, mais je ne perçois pas quel effet cela aurait eu sur la vie du contrat et son équilibre économique général. Je le répète, quels que soient les sujets, cela n’a aucun impact sur la décision ni sur les fonds réellement investis, car ces éléments existent déjà et sont intégrés dans une structure existante. En termes de valeur patrimoniale potentiellement valorisable, il s’agit du patrimoine de l’État, aujourd’hui comme dans 55 ans.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. La question a son importance pour le caractère obligatoire d’une contre-expertise.
M. Jean-Baptiste Djebbari. Je respecte votre raisonnement, bien que je sois en désaccord, et j’essaie simplement de présenter des perspectives différentes.
En ce qui concerne les poids des critères (un quart pour les travaux, un quart pour le trafic et la moitié pour l’ingénierie financière), quelques remarques s’imposent. D’abord, sur la question des carrières, il est nécessaire de mettre à jour le schéma des carrières. Les membres du groupement ont exprimé des observations sur les déblais et remblais. Ils ont semble-t-il trouvé des solutions d’optimisation sur site pour minimiser les déblais et remblayer sur place, ce qui réduit le recours à des matériaux externes à quelques dizaines de milliers de tonnes, loin des 2,6 millions initialement prévus. Ce sujet est très opérationnel. La vie des projets est ainsi faite : parfois, des améliorations et optimisations sont trouvées, parfois des dégradations surviennent. Le transfert des risques, notamment sur les travaux, s’applique pleinement ici, heureusement dans un sens plus écologique au cas présent.
Sur l’alternative gratuite, je comprends parfaitement votre raisonnement. Nous vivons dans une République décentralisée où les compétences sont réparties entre les différents échelons départementaux et régionaux. Chaque échelon assume la charge de ses compétences. L’État, pour sa part, a compensé quasiment à l’euro près les charges de décentralisation en procédant à des dégrèvements sur diverses taxes, notamment la taxe financière. Je pense pouvoir affirmer sereinement que l’État a rempli ses obligations sur ce sujet.
Pour ce qui est des fermes photovoltaïques, ce projet n’était pas caché. La partie grisée, est liée au secret des affaires. En l’occurrence, l’article L. 151-1 du code du commerce utilise une acception particulièrement large du secret des affaires. Peut-être que le législateur reviendra un jour sur cette notion, mais cela relèvera d’une discussion complexe, car c’est la vie économique de la nation qui en serait transformée. Je comprends néanmoins le sujet. En l’occurrence, vous avez eu accès à tous les éléments dégrisés. Si je saisis bien, cet élément revêt une dimension à la fois économique, car il s’agit de recettes, et actionnariale, étant donné qu’il s’agit d’un projet avec des actionnaires ou des partenaires extérieurs qui n’étaient pas encore impliqués à ce moment-là du projet. C’est probablement pourquoi les services ont décidé de griser ces informations. Vous avez eu accès à tous les documents et avez pu soulever ces questions lors de cette commission d’enquête, ce qui contribue à une transparence utile. Cependant, ces différents projets feront l’objet d’un régime d’autorisation distinct, ce qui permettra un contrôle sur leur valeur socio-économique et environnementale.
Quant à l’avis de l’ART sur les durées de concessions de 20 ans plutôt que de 55 ans, je pense que c’est un sujet intéressant qui renvoie à la future génération des contrats de concessions. Je ne partage pas l’avis de l’ART sur ce point, et ce n’est pas non plus l’avis des services. Cela dépend de ce que l’on entend faire en termes de concessions et des volumes d’investissement. Les longues durées compensent généralement de gros investissements. On est passé d’un régime où l’on construisait 300 kilomètres d’autoroutes nouvelles par an à un régime où l’on ne construit plus que 50 kilomètres tous les trois ans. Certains peuvent s’en accommoder, d’autres peuvent s’en désespérer, mais ces données sont assez objectives. La réduction de la durée des concessions anticipe le fait que la nouvelle génération de concessions nécessitera moins d’investissements, couvrira moins de kilomètres à créer ou à entretenir, et impliquera donc des durées d’amortissement plus courtes. Je pense que l’avis de l’ART repose sur ces considérations. Nous n’avons pas beaucoup de retours à ce sujet. Un objet autoroutier a une durée de vie de cent ans, et nous en sommes aujourd’hui à une cinquantaine d’années. D’ici quarante ans, nous pourrons observer une dégradation significative de ces infrastructures. Nous avons déjà constaté ce phénomène sur le réseau ferroviaire, où la dégradation n’est pas linéaire, mais plutôt exponentielle. Il est possible que cela soit également le cas pour le réseau autoroutier. Il est important de rester agnostique sur ce sujet. Je constate que l’avis de l’ART repose sur le fait que les objets autoroutiers sont moins fréquents, de taille plus réduite, nécessitent moins d’investissements et peuvent alors bénéficier de durées plus courtes. Cette logique et cette philosophie méritent d’être débattues. Personnellement, je suis toujours ouvert au débat. Voilà ce que je pouvais dire sur ce sujet.
Je pense que cela conclut les réponses que je pouvais vous apporter aujourd’hui.
M. Philippe Frei, président. Merci, monsieur le ministre. Chers collègues, je vous remercie pour votre présence. Je remercie également monsieur Jean-Baptiste Djebbari d’avoir éclairé nos travaux et répondu à ces nombreuses questions de manière précise.
La séance s’achève à douze heures cinq.
Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, Mme Karen Erodi, M. Philippe Frei, M. Jean Terlier, M. Jean-Marc Zulesi