Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Demarty, ancien directeur général de l’agriculture et du développement rural et ancien directeur général du commerce à la Commission européenne              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS 19

– Présences en réunion.................................36


Lundi
3 juin 2024

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 30

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Rodrigo Arenas,
Vice-Président de la commission

 


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La séance est ouverte à seize heures cinq.

La commission procède à l’audition de M. Jean-Luc Demarty, ancien directeur général de l’agriculture et du développement rural et ancien directeur général du commerce à la Commission européenne.

M. Rodrigo Arenas, président. Monsieur Jean-Luc Demarty, nous sommes heureux de vous accueillir dans cette commission d’enquête. Vous avez occupé les fonctions de directeur général de l’agriculture et du développement rural et de directeur général du commerce à la Commission européenne.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Luc Demarty prête serment.)

M. Jean-Luc Demarty, ancien directeur général de l’agriculture et du développement rural et ancien directeur général du commerce à la Commission européenne. Le concept de souveraineté alimentaire me laisse quelque peu perplexe : parvenir à l’autosuffisance est positif, mais si tous les pays font de même, l’horizon est l’autarcie et cette perspective me paraît peu enviable. Je préfère la notion de sécurité alimentaire, qui recouvre en français la sécurité d’approvisionnement – l’un des cinq objectifs fixés par le traité de Rome à la Politique agricole commune (PAC) – et en anglais, sous le vocable safety, la sûreté des aliments distribués aux consommateurs.

Mon propos liminaire s’organisera en deux temps, le premier portant sur l’agriculture et le second sur les accords de libre-échange, même si cette expression de « libre-échange » me semble inexacte.

Il importe de poser le bon diagnostic sur l’état de l’agriculture et des industries agroalimentaires françaises. L’agriculture française souffre d’un problème de compétitivité à l’intérieur de l’Union européenne. Depuis une quinzaine d’années, l’excédent du commerce extérieur agroalimentaire de la France reste stable, à hauteur de 8 milliards d’euros ; en revanche son profil a beaucoup évolué : en 2008, la France enregistrait un excédent de 4 milliards par rapport à l’Union européenne et de 4 milliards par rapport au reste du monde ; en 2023, la France dégage un excédent de 10 milliards sur ce dernier poste mais accuse un déficit de 2 milliards par rapport aux autres pays de l’Union européenne. Au passage, ces chiffres montrent que les accords de libre-échange ne pénalisent pas l’agriculture française.

La perte de compétitivité de l’agriculture française en Europe résulte de plusieurs facteurs. Tout d’abord, la surtransposition des normes de l’Union européenne joue un rôle évident : que l’on pense à l’acétamipride, insecticide autorisé jusqu’en 2035 en Europe et pour lequel l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) recommande une simple baisse des seuils d’utilisation, que la France a interdit dans une loi de 2016 relative à la biodiversité ; cette décision pèse sur la compétitivité de la filière betteravière et sucrière française alors que notre pays devrait être le mieux placé sur le marché du sucre en Europe.

Il se révèle extrêmement compliqué de construire des bâtiments d’élevage, sujet qu’aborde le projet de loi d’orientation agricole actuellement dans la navette parlementaire. Ce problème explique une grande partie des difficultés rencontrées par le secteur de la volaille et il s’étend à l’industrie agroalimentaire, dont les constructions sont empêchées par des délais impossibles à tenir – je pense notamment à la mésaventure vécue par une entreprise française importante, qui a renoncé à s’installer dans la région de Rennes et à y créer des emplois.

Des excès bureaucratiques sont à déplorer en France, même s’il peut également y en avoir à l’échelle européenne : l’exemple des quatorze textes sur les haies est bien connu depuis la crise agricole du début d’année.

Mon opinion va à contre-courant du discours dominant, mais la taille moyenne des exploitations françaises est insuffisante. La version du projet de loi d’orientation agricole adoptée par l’Assemblée nationale fixe un objectif de 500 000 exploitations qui me laisse pour le moins perplexe.

L’instauration des 35 heures a beaucoup dégradé le commerce extérieur de notre pays : les secteurs agricoles riches en main-d’œuvre comme les fruits et légumes ou l’élevage – notamment l’abattage, phase essentielle de la chaîne de production – ont pâti d’une hausse du coût du travail qui a pesé sur leur compétitivité.

La productivité globale des facteurs, travail comme capital, de l’agriculture française stagne alors qu’elle a progressé d’environ 10 % en Europe depuis 2010.

Les réformes de 1992, 2003 et 2009 de la PAC furent positives : le revenu agricole moyen par actif familial dans l’Union européenne est passé de 30 % à 60 % du salaire moyen de l’ensemble de l’économie entre 2005 et 2024 ; en France, ce taux atteint même 90 %. Selon l’Insee, la valeur ajoutée brute réelle par actif a crû d’environ 25 % depuis 2010 et d’environ 50 % depuis 2000, malgré une contraction enregistrée en 2021. Il ne faut toutefois pas oublier que les agriculteurs travaillent beaucoup plus et prennent davantage de risques que le reste de la société. J’émets un avis bien plus nuancé sur la réforme de 2013, qui contient certes des avancées intéressantes mais qui amorce une renationalisation de la PAC.

Enfin, je regarde avec sévérité le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la fourchette », qui ont été très mal calibrés.

Afin d’éviter des répétitions, je reprends totalement à mon compte les propos tenus lors de son audition par Mme Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe du Trésor, sur les aspects techniques des accords de libre-échange. Il serait opportun de nommer ces derniers « accords de commerce » ou « traités de commerce », comme on le faisait aux XVIIIe et XIXe siècles, car l’expression « libre-échange » fait accroire que tout est ouvert, ce qui n’est absolument pas le cas.

Après l’échec, à mon avis définitif, de la grande négociation multilatérale du cycle de Doha en 2008, l’Union européenne s’est tournée vers la négociation d’accords commerciaux avec des partenaires de grande taille. Ces accords comportent un chapitre méconnu mais très important consacré au développement durable, lequel couvre les principales conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui vont au-delà du socle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi que tous les accords multilatéraux environnementaux, notamment la Convention sur la diversité biologique et l’accord de Paris. Le nouveau modèle de traité de l’Union européenne intègre des clauses essentielles, qui portent sur les droits humains ou sur la non-prolifération des armes de destruction massive : si l’autre partie ne les respecte pas, l’Union peut décider de la suspension de l’application de l’accord, en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Depuis 2020, tous les traités signés par l’Union européenne doivent faire de l’accord de Paris une clause essentielle : là encore, la violation caractérisée de celui-ci pourrait entraîner la suspension de l’application de l’accord commercial.

Plusieurs accords – l’Accord économique et commercial global (CETA), qui est entré en vigueur, ou celui avec le Mercosur, dont le processus de négociation est suspendu – ont défrayé la chronique. Pourtant, les accords de libre-échange – que j’ai négociés pour plusieurs d’entre eux – ont beaucoup profité à l’agriculture et à l’industrie agroalimentaire européennes, puisque l’excédent commercial de l’Europe a progressé de 10 milliards à environ 70 milliards dans ce secteur, cette augmentation ayant suivi une courbe continue. Ces accords sont venus opportunément corriger la perte de compétitivité de l’agriculture française par rapport à ses partenaires européens. Contrairement à ce que l’on entend, l’agriculture ne joue jamais le rôle de variable d’ajustement ; les négociateurs prennent toujours le plus grand soin des produits européens sensibles, voire très sensibles : il y a des contingents tarifaires extrêmement limités et, au-delà, des droits de douane dissuasifs qui fonctionnent comme des plafonds ; en outre, on prévoit un plafond implicite cumulé pour l’ensemble des contingents tarifaires et des accords commerciaux passés, présents et futurs pour ces produits sensibles.

Les négociateurs sont très prudents, si bien que les effets catastrophiques annoncés ne se produisent pas, même pour le CETA ; d’ailleurs, si l’Europe avait importé de la viande bovine au niveau prévu par l’accord, le total n’aurait jamais représenté que 0,6 % de la consommation européenne.

M. Rodrigo Arenas, président. Vous avez fortement critiqué les dernières réformes européennes, notamment le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la fourchette ». Quelles réformes aurait-il fallu mener pour renforcer la compétitivité tout en respectant les accords internationaux comme celui de Paris ?

Les auditions ont confirmé l’extrême dépendance de la production agricole française aux protéines de soja : la législation brésilienne oblige les propriétaires terriens, notamment ceux du Mato Grosso, État brésilien qui produit beaucoup de soja, à préserver 80 % de l’espace forestier utilisé en Amazonie pour lutter contre le changement climatique, 20 % pouvant être dédié à la culture du soja. Ce type de législation nationale, contesté par les producteurs locaux, est-il trop contraignant ou devrions-nous nous en inspirer et limiter notre production ? Une telle clause se retrouve-t-elle dans les accords signés avec des pays tiers ou est-elle contraire aux intérêts communs ?

M. Jean-Luc Demarty. Je ne conteste pas la nécessité d’adopter des législations compatibles avec l’accord de Paris et encourageant la décarbonation progressive de l’agriculture. Toute la question tient au dosage et au rythme des évolutions. L’Union européenne est d’ailleurs revenue sur certaines mesures, à mes yeux excessives : les modifications opérées il y a deux mois sont bienvenues et rééquilibrent l’économie générale du Pacte vert ; sans elles, la production européenne se serait contractée, peut-être au point de menacer à terme l’autosuffisance de l’Union européenne – la consommation de viande ne diminue pas beaucoup, donc une contraction de la production aurait eu des conséquences néfastes.

L’Union européenne émet 7 % des gaz à effet de serre mondiaux ; l’agriculture représente 13 % de ces émissions à l’échelle européenne et 20 % en France. Si nous agissions tout seuls, nous pénaliserions notre production sans aucun effet bénéfique sur le climat. Dans le domaine agricole, il ne se passe d’ailleurs pas grand-chose en matière de lutte contre le changement climatique depuis l’accord de Paris. Depuis 1990, l’Union européenne a diminué de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre en équivalent de dioxyde de carbone – les émissions de méthane et de dioxyde d’azote sont plus polluantes que le dioxyde de carbone et pénalisent le bilan de l’agriculture ; depuis 2010, la baisse ralentit. Comment faire en sorte que les grands pays du monde avancent ensemble pour ne pas pénaliser l’agriculture européenne ? Il nous faut trouver un équilibre entre les objectifs de compétitivité, de production, d’adaptation au changement climatique et de lutte contre celui-ci.

J’ai exercé différentes fonctions entre 1977 et 2019, de spécialiste de la politique agricole au ministère de l’économie et des finances français jusqu’à directeur général du commerce à la Commission européenne, en passant par le cabinet de Jacques Delors pendant dix ans, tant à Paris qu’à Bruxelles. La balance commerciale de l’Union européenne est structurellement déficitaire dans le domaine des protéagineux ; nous avons besoin de soja car nous ne pouvons pas en produire suffisamment, contrairement au colza et au tournesol qui présentent l’inconvénient de contenir beaucoup plus d’huile – de l’ordre de 45 % contre seulement 20 % pour le soja. Nous encourageons la production de protéines non oléagineuses comme les pois, les fèves et les féveroles : la France exporte une partie de sa production, car elle est largement autosuffisante dans ce secteur. Pour produire de la volaille, du porc et, dans une moindre mesure, du bœuf et du lait, nous avons besoin de tourteaux de soja, que l’on importe du Brésil, de l’Argentine ou des États-Unis ; être autosuffisant en matière de soja est une chimère.

Un règlement européen sur la déforestation entrera en vigueur à la fin de l’année, une fois résolus les quelques problèmes techniques qu’il reste à surmonter. Le principe de ce texte est sain puisqu’il prohibe l’utilisation de produits issus de la déforestation ; l’Union européenne ne pourra plus importer de soja issu de la forêt primaire amazonienne. Elle doit également penser à protéger ses propres forêts, même si les risques sont moins élevés. Le ratio fixé par la législation brésilienne me paraît tout à fait pertinent et nous ne cherchons absolument pas à le remettre en cause. Une première phase de négociation avec le Mercosur a été conclue avant que je ne quitte la Commission européenne : la France s’oppose à l’accord, lequel ne pourra être définitivement conclu que si le Mercosur accepte l’ambitieux protocole sur la déforestation soumis par l’Union européenne et si l’accord de Paris devient une clause essentielle. Au-delà des problèmes politiques que pose l’accord avec le Mercosur en France, il ne pourra y avoir d’accord définitif que si ces deux conditions sont remplies ; les négociations sont actuellement suspendues et ces deux points ne sont pas réglés.

M. Rodrigo Arenas, président. Les bons chiffres que vous avez cités concernant notre excédent commercial et la compétitivité française et européenne auraient-ils été les mêmes si l’on avait tenu compte du coût environnemental associé ? Devrions-nous intégrer dans les traités de commerce le coût écologique et social de nos relations commerciales, à l’heure où les mesures satellitaires permettent de suivre l’exploitation des milieux forestiers, mais aussi marins ?

M. Jean-Luc Demarty. Sur le plan social, je répète que les conventions clés de l’OIT font partie de tous nos accords commerciaux depuis 2009. Quatre d’entre elles n’ayant pas été ratifiées par la Corée, nous avions lancé contre ce pays, à la fin de mon mandat, une procédure bilatérale de règlement des différends, appelée panel, dans laquelle les arbitres ont conclu que la Corée devait ratifier ces conventions ; elle l’a fait pour trois d’entre elles et est en train de le faire pour la quatrième. Ces conventions concernaient les syndicats, la négociation collective et le travail forcé. Ce dernier fait l’objet d’une législation européenne récemment adoptée en vertu de laquelle aucun produit qui en est issu, en tant que tel ou dans ses composantes, ne peut être importé en Europe. Elle n’est pas forcément facile à appliquer, mais elle pourrait avoir un effet, par exemple sur l’importation du polysilicone fabriqué en Chine qui entre dans la composition des panneaux solaires et dont on dit qu’il vient en partie du travail forcé des Ouïghours.

Quant au coût écologique, les émissions de gaz à effet de serre proviennent essentiellement de la production de méthane par les ruminants – une contrainte technique qui peut être progressivement réduite par un changement d’alimentation et une hausse des rendements – et des émissions de N2O par les engrais azotés, qui nécessitent elles aussi une réflexion technique. S’y ajoute la question de la biodiversité. En tout cas, la politique agricole commune fait dépendre l’éligibilité aux aides directes du respect des bonnes pratiques agricoles et environnementales (BCAE). Il s’agit de respecter les législations européennes en matière de bonnes pratiques agricoles et agronomiques, mais aussi sociales. Cela existe depuis longtemps. On ne peut donc pas du tout dire que les bons résultats dont j’ai parlé ont été obtenus en massacrant l’environnement.

M. Rodrigo Arenas, président. Ce n’était évidemment pas le sens de mon propos.

Prenons l’exemple des algues vertes en Bretagne, liées à l’élevage de porc : on peut en chiffrer le coût – réhabilitation des plages, soin des populations concernées. Même chose pour l’augmentation de la taille des cheptels. Chaque fois, ce sont l’impôt des Français ou les subventions européennes qui paient. Dispose-t-on d’une estimation équivalente s’agissant de nos relations avec les pays d’autres continents, dans lesquelles les critères, vous l’avez dit, sont les mêmes ?

M. Jean-Luc Demarty. Ces pays sont contraints de respecter les accords multilatéraux environnementaux lorsque nous concluons des accords de libre-échange avec eux, puisque cela fait partie du chapitre sur le développement durable. Le font-ils toujours ? C’est une autre question. Par ailleurs, comme je l’ai indiqué, l’accord de Paris sur le climat va devenir une clause essentielle de tous nos accords. Le sujet est donc très largement couvert.

Je connais bien le dossier des algues vertes – j’habite désormais en Bretagne, dans mon ancienne résidence secondaire. La directive « nitrates » date du début des années 1990 mais, jusqu’en 2008, la France ne l’a pas appliquée sérieusement. Sa condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne, y compris à des amendes, a réveillé les autorités. Des mesures importantes ont alors été prises pour arrêter les émissions de nitrates.

Celles-ci n’ont pas grand-chose à voir avec la taille des exploitations, comme vous semblez le suggérer. Il est tout à fait possible de produire du porc intensif – ou de la volaille intensive – de manière propre. Il suffit de récupérer le lisier ou de ne l’épandre qu’en quantité acceptable pour servir d’engrais.

De ce point de vue, la Bretagne est devenue beaucoup plus vertueuse, mais il y a encore des algues vertes, même si leur présence a diminué. Ne s’expliquent-elles pas par d’autres causes que les nitrates ? Quoi qu’il en soit, tout cela prend beaucoup de temps.

M. Rodrigo Arenas, président. Avoir été condamnés et payer des amendes, voilà qui nous renseigne sur le coût environnemental dont je parlais.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Au sein de la Commission européenne, vous avez été directeur général de l’agriculture et du développement rural de 2000 à 2010, puis du commerce extérieur de 2011 à 2019. Pourriez-vous nous rappeler ce qui vous a amené à occuper ces importantes fonctions ?

M. Jean-Luc Demarty. C’est une question un peu surprenante, mais intéressante. Je suis très heureux de pouvoir vous expliquer cela.

Je viens d’un milieu rural. Ma famille est issue d’une très longue lignée d’agriculteurs en Champagne – concernant l’agriculture, mon cœur est donc à la fois en Champagne et en Bretagne : d’un côté, céréales et grandes cultures classiques, y compris betterave et sucre ; de l’autre, élevage. J’ai toujours été très intéressé par l’agriculture, en particulier par la politique agricole. Je suis polytechnicien, mais j’ai fait l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts : je suis ingénieur civil du génie rural, des eaux et des forêts. Depuis que je suis étudiant, j’ai toujours rêvé de réformer la PAC. C’était ma vocation.

J’ai eu l’occasion d’exercer un rôle d’influence de plus en plus important, dans différentes fonctions. Entre 1977 et 1981, j’ai été spécialiste de référence des questions de politique agricole au ministère de l’économie et des finances. Je suis entré au cabinet de Jacques Delors, où j’ai vécu la réforme des quotas laitiers. Je l’ai ensuite suivi à Bruxelles, où j’étais son conseiller agricole. Nous avons piloté la première très grande réforme de la PAC, celle de 1992, qui a mis fin à un système de soutien par les prix totalement à bout de souffle – ceux qui voudraient y revenir en ont oublié les effets pervers. À chaque réforme, la Commission européenne a proposé soit une dégressivité, soit un plafonnement des aides par agriculteur, toujours rejetés par le Conseil des ministres – le Parlement n’est colégislateur que depuis 2009 et le traité de Lisbonne.

Quand Jacques Delors est parti, je suis resté à la Commission et j’y ai fait ma carrière, mais j’ai toujours été très indépendant, ce qui m’a parfois valu des critiques de mes collègues français. J’ai toujours fait ma carrière sur la base de la compétence. C’est ainsi que je suis devenu directeur du budget et des finances à la direction générale de l’agriculture, puis directeur général adjoint, en 2000, enfin directeur général, en 2005. En 2011, je suis devenu directeur général du commerce extérieur parce que j’avais fait mes preuves en tant que chef négociateur agricole dans la négociation du cycle de Doha.

Voilà quels ont été mon parcours et ma vocation : j’ai été intéressé par tout cela très tôt et j’ai toujours été d’une grande indépendance d’esprit.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’en reviens à votre propos introductif. Personne dans cette commission d’enquête n’a défendu l’équivalence entre souveraineté alimentaire et autarcie. La production nationale devrait être capable de couvrir au maximum les besoins de la consommation nationale ; mais, pour un certain nombre de produits, l’autarcie n’est pas possible. L’idée est de produire ce que l’on peut produire au lieu de l’importer. Vous dites que, si tout le monde était autosuffisant, ce serait l’autarcie et que cela ne serait pas forcément une bonne chose. Pouvez-vous développer cet aspect ? Partagez-vous le point de vue que nous a exposé Pascal Lamy, qui se revendique – je ne crois pas trahir ses propos – de la théorie des avantages comparatifs de Ricardo ?

M. Jean-Luc Demarty. Je ne suis pas très éloigné de Pascal Lamy, ce n’est pas un secret. Il était le directeur de cabinet de Jacques Delors quand je faisais partie de ce cabinet et nous sommes restés assez proches. Nous ne sommes pas forcément d’accord sur tout et nous n’avons pas exactement la même sensibilité politique aujourd’hui. La théorie des avantages comparatifs de Ricardo fonctionne, mais, dans le domaine dont nous parlons, avec des nuances. En agriculture, la sécurité d’approvisionnement est importante. Je ne suis donc pas du tout contre l’autosuffisance. Je dis simplement qu’un cumul des autosuffisances partout amènerait à l’autarcie, qui induit un certain manque d’efficacité.

Cela dit, il n’y a pas de raison que la France, un pays agricole qui devrait être compétitif partout, ne soit pas autosuffisante pour presque tous les produits. L’exception, ce sont les sources de protéines comme les tourteaux de soja. Si notre niveau d’autosuffisance a baissé en fruits et légumes tempérés ou en volaille, c’est lié à des problèmes de compétitivité et, à mon avis, à des erreurs. Il faudrait pouvoir redresser la situation, mais ce n’est pas simple.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je vais essayer d’aborder la question sous un angle différent.

Dans une interview que vous avez donnée à Ouest-France il y a quelques jours, vous déclariez ceci : « les accords de libre-échange, dont aucun ne comporte de clauses miroirs intégrales » – je souhaiterais que vous nous expliquiez la différence entre clauses miroirs intégrales et partielles –, « ont été un grand succès pour l’agriculture européenne et française, faisant passer l’excédent agroalimentaire de l’Union européenne de 10 à 70 milliards d’euros en quinze ans » – je doute qu’au niveau de la France la progression soit équivalente –, « avec les clauses miroirs partielles déjà mentionnées. Les clauses miroirs intégrales semblent avoir été taillées sur mesure pour empêcher la conclusion de l’accord Mercosur » – c’est, si je comprends bien, une critique de votre part. « En effet, elles sont à la fois inutiles, puisque les produits sensibles européens sont très bien protégés par des contingents tarifaires restrictifs, et non négociables. » Vient alors la phrase qui m’a le plus surpris : « L’hypocrisie est à son comble si l’on considère que même avec des clauses miroirs intégrales et sans contingents tarifaires protecteurs, la production européenne de viande et de sucre serait balayée par celle du Mercosur, de loin la plus compétitive du monde. » En d’autres termes, même si les clauses miroirs étaient en place, elles n’auraient pas d’effet sur le déficit de compétitivité de l’agriculture européenne par rapport à celle du Mercosur.

M. Jean-Luc Demarty. Sur les clauses miroirs, j’ai aussi publié plus récemment une tribune dans Ouest-France.

Les clauses miroirs paraissent a priori tout à fait logiques. Si nous étions en libre-échange total, des clauses miroirs intégrales devraient s’imposer. Mon message est le suivant : si, avec le Mercosur, la libéralisation était totale, avec ou sans clauses miroirs, nous serions totalement écrasés. C’est pour cela qu’il faut se protéger et protéger nos produits sensibles.

Comme M. Jourdain faisant de la prose sans le savoir, nous appliquons en réalité déjà des clauses miroirs partielles : tous les produits qui entrent en Europe, qu’ils soient sous accord commercial ou soumis aux règles simples de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), doivent respecter nos normes sanitaires et phytosanitaires.

Le contrôle du respect de cette obligation est-il suffisant ? Il repose sur chaque État membre, la Commission européenne étant quant à elle responsable de l’audit des systèmes des États membres, mais aussi de l’audit des pays tiers : comme l’a très bien expliqué Mme Lacoue-Labarthe devant vous à propos du certificat sanitaire, il s’agit de vérifier de temps en temps que les garanties données par ces derniers correspondent bien à la réalité. Les moyens consacrés à ces contrôles sont-ils suffisants ? On peut en discuter.

Voilà pour l’aspect sanitaire et phytosanitaire. Pour le reste, sont en jeu le respect des conditions de production et des conditions environnementales. Sur le premier point, je rappelle que l’importation de viande engraissée à partir d’hormones ou d’antibiotiques est strictement interdite en Europe, même s’il n’en subsiste pas de traces. Il faut, là aussi, s’assurer d’avoir les bonnes garanties. En ce qui concerne le respect par les pays tiers de l’interdiction concernant les antibiotiques, il y a un peu de retard à l’allumage. Les règlements applicables aux contrôles viennent seulement d’être adoptés. Il y a encore des progrès à faire.

Nous protégeons beaucoup le secteur agricole pour ce qui est des produits sensibles – à juste titre –, de sorte que les pays tiers ont peu d’accès au marché pour leur production de ce type. Il est difficile de leur demander de respecter entièrement l’ensemble de nos conditions pour un accès aussi limité, y compris les conditions environnementales – sauf celles qui relèvent de l’accord de Paris sur le climat : si le défaut de conditions environnementales suffisantes chez eux est clairement incompatible avec cet accord, alors il y a un problème et ils devraient agir.

Enfin, les aides directes au revenu versées par l’Union européenne aux agriculteurs – 40 milliards d’euros, dont 7 milliards en France – ont pour objectif principal de combler l’écart de coût de production entre les pays tiers et l’Union européenne et le font plutôt largement. De ce point de vue, nous sommes donc couverts, sauf peut-être vis-à-vis du Mercosur – raison pour laquelle, si l’accord est conclu un jour, il faudra y inclure une protection très forte. Elle figure d’ailleurs dans les textes déjà négociés concernant les produits sensibles : les contingents tarifaires pour le bœuf, la volaille et le sucre – les trois produits les plus sensibles – tournent autour de 1 % de la consommation globale de l’Union européenne.

Il existe un plafond global implicite pour les contingents tarifaires applicables aux produits les plus sensibles dans tous nos accords commerciaux bilatéraux, passés, présents et futurs. Ce plafond, de 4 %, n’est pas sorti du chapeau : il correspond aux 4 % que l’Union européenne était prête à mettre sur la table lors de la négociation de l’accord du cycle de Doha – dont j’étais le chef négociateur –, en 2008, et qui avaient été validés par le Conseil des ministres à Genève. Cette négociation étant morte – même si sa mort n’est pas actée, il est clair que jamais plus il n’y aura de négociation tarifaire globale de ce type –, il est évident que nous n’allons pas plus loin que ce à quoi nous étions alors prêts.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez semblé considérer qu’une certaine sécurité encadre les importations qui ont lieu dans le cadre de ces accords, notamment pour les produits phytosanitaires. Vous avez affirmé que les normes applicables aux importations étaient aussi exigeantes que les normes européennes.

Dans son rapport d’enquête sur le sujet, notre collègue Dominique Potier note que, pour les substances qui ne sont plus approuvées au niveau européen, la LMR (limite maximale de résidus) est abaissée à la limite de quantification, mais que la Commission européenne peut ensuite la relever au nom d’une tolérance à l’importation « afin de répondre aux besoins du commerce international » en vertu du règlement (CE) n° 396/2005. De fait, cette possibilité est utilisée.

Il est interdit d’utiliser des hormones dans l’élevage d’animaux destinés au marché européen – encore faut-il pouvoir contrôler le respect de cette interdiction –, mais le CETA ne contient rien sur les farines animales – j’ai posé la question à Stéphane Travert. Dès lors, peut-on considérer que le niveau d’exigence sanitaire imposé aux productions françaises est respecté par les produits importés ?

M. Jean-Luc Demarty. En ce qui concerne les produits phytosanitaires, ma réponse à votre question sera « oui, mais ». Du fait de l’accord de l’OMC sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires, on ne peut pas strictement interdire l’importation de produits obtenus en utilisant des pesticides. Ce sur quoi on peut agir, c’est la limite maximale de résidus. C’est pour cela que l’on procède de cette manière.

Deux cas de figure existent. Premièrement, des produits autorisés dans les pays tiers mais interdits en Europe pour des raisons de santé. Pour ces produits, on travaille sur la base du seuil de détection, qui est de 0,001 milligramme par kilogramme, pour fixer la LMR. En général, ce seuil étant très bas, cela aboutit à l’interdiction de facto du produit.

Deuxièmement, des produits utilisés dans les pays tiers et qui ne posent pas forcément de problème pour la santé, mais qui ne sont pas autorisés en Europe parce que cela n’aurait pas de sens en dehors des zones tropicales, par exemple ; cela coûte très cher de monter un dossier et les industries du secteur phytosanitaire ne souhaitent pas nécessairement dépenser autant d’argent pour faire autoriser en Europe des produits qui n’y sont pas employés. Pour ces produits, les exportateurs en Europe peuvent demander la fixation d’un seuil maximal de résidus. Rien n’oblige à la leur accorder. L’Union européenne, se fondant sur l’avis de l’EFSA, peut alors fixer un seuil supérieur à la limite de détection, mais soigneusement défini pour éviter des problèmes.

S’agissant des farines animales, leur utilisation est interdite en Europe, ce qui ne veut pas dire qu’il est interdit de vendre des marchandises produites en y ayant recours.

Au moment de la crise de la vache folle, ce ne sont pas les farines animales qui ont posé problème, mais la manière dont elles étaient produites au Royaume-Uni. Le fait que de nombreux bovins aient contracté la maladie de la vache folle et qu’un nombre limité mais déjà trop important de personnes aient été atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a conduit les autorités à prendre une décision extrême, à savoir l’interdiction de ces farines. Cela montre bien qu’en cas de risque pour la santé humaine, par exemple si des cas de vache folle étaient constatés dans les pays tiers, nous adopterions des mesures de protection – soit l’interdiction des importations de viande bovine provenant des pays touchés, soit des mesures particulières dépendant de l’âge des animaux, puisqu’il apparaît que la maladie se développe essentiellement chez les vaches les plus vieilles. Il est donc tout à fait possible techniquement de prendre des mesures, mais il n’a pas été jugé utile de négocier une interdiction de commercialisation des viandes dont la production a nécessité l’utilisation de farines animales.

Du reste, les Canadiens n’exportent pas leur viande bovine vers l’Union européenne, car il n’est pas rentable pour eux de produire sans recourir aux hormones et aux antibiotiques pour engraisser le bétail. L’absence d’exportations ne tient pas au caractère provisoire du CETA, contrairement à ce qu’a dit un représentant du secteur lors de vos auditions.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous êtes prêt à accepter que l’on nourrisse du bétail avec des farines animales à condition que ces dernières soient produites dans des conditions sécurisées. Je ne comprends pas pourquoi la Commission européenne a fait le choix, à l’époque où vous étiez dans les rouages du processus de décision, d’interdire cette pratique au motif que nous étions incapables de garantir une production sécurisée des farines alors même que nous acceptons d’importer des viandes produites avec ces farines provenant de pays comme le Canada, où l’on ne peut rien contrôler. Vous parliez tout à l’heure de compétitivité ; or il s’agit clairement d’une distorsion de concurrence ! Il est incroyable d’interdire par principe aux éleveurs européens d’utiliser des farines animales – une décision que je ne remets nullement en cause – tout en étant capables de trouver un compromis acceptant le recours à ces farines, dans certaines conditions, par les éleveurs canadiens. Vous avez certes souligné que les quantités importées étaient négligeables, mais c’est le principe que je conteste.

Cela rejoint le débat que nous avons eu sur les produits phytosanitaires. Le règlement européen prévoit la possibilité de relever, pour les besoins du commerce, les valeurs maximales résiduelles de substances interdites au sein de l’Union européenne. J’ai le sentiment que certaines logiques commerciales priment tant sur les intérêts de la production agricole au niveau européen que sur la sécurité alimentaire de nos concitoyens.

M. Jean-Luc Demarty. Sur ce dernier point, je ne suis pas sûr que vous m’ayez bien écouté. Le relèvement des valeurs maximales résiduelles autorisées au-delà des seuils de détection n’est possible que pour des produits interdits en Europe – parce que l’objet de leur utilisation n’a aucun sens, du point de vue agronomique, sur notre continent – mais ne posant absolument aucun problème pour la santé humaine. Les agriculteurs européens ne sont pas défavorisés puisque ces produits n’ont aucun intérêt en Europe.

Si nous avons interdit, en Europe, le recours aux hormones – depuis 1987 – et aux antibiotiques à des fins d’engraissement – depuis un peu moins longtemps –, c’est parce que nous considérons que ces produits présentent des risques pour la santé humaine. Tel n’est pas le cas des farines animales. En dépit d’un problème de compétitivité, nous estimons qu’en proposant des contingents tarifaires serrés, nous pouvons difficilement demander aux pays tiers de s’aligner complètement sur nos conditions de production. S’il devait y avoir des risques pour la santé, nous prendrions bien entendu les mesures qui s’imposent, comme je l’ai indiqué tout à l’heure.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je ne suis pas ici pour faire votre procès, mais je n’arrive pas à comprendre votre logique. Si nous avons interdit les farines animales lors de l’épisode de la vache folle, c’est bien que nous avons considéré qu’il y avait un risque pour la santé. Aujourd’hui, nous interdisons cette pratique au sein de l’Union européenne au motif qu’elle serait dangereuse pour la santé mais nous acceptons d’importer des viandes en provenance du Canada, où ces farines sont autorisées, en arguant qu’il n’y aurait aucun risque. Je ne vois pas où est la cohérence !

Par ailleurs, si je comprends bien vos propos, vous acceptez le fait que les traités de libre-échange puissent entraîner des distorsions de concurrence, mais vous soulignez que les contingents détaxés sont suffisamment limités pour ne pas menacer l’agriculture européenne. Or, quand on fait la somme de tous les contingents accordés, on arrive à des quantités susceptibles de déstabiliser le marché.

M. Jean-Luc Demarty. Non, ces quantités sont trop faibles – moins de 4 % de la consommation domestique – pour déstabiliser le marché. Personne ne m’a encore convaincu du contraire.

En revanche, je suis très sévère à l’encontre des mesures de libéralisation totale en faveur de l’Ukraine, qui, elles, ont déstabilisé le marché, notamment de la volaille et du sucre. Cela a été une très mauvaise décision. Si j’avais été directeur général du commerce extérieur au moment où ces mesures ont été prises, je m’y serais opposé en me battant comme un lion – et je peux vous dire que j’ai perdu peu de batailles… Peut-être fallait-il faire quelques concessions au titre du soutien à l’Ukraine, mais sûrement dans des proportions beaucoup plus limitées.

En 2021 puis en 2024, la Commission européenne a publié une modélisation complète des effets des accords de libre-échange, réalisée sur la base d’un modèle d’équilibre général très sophistiqué mis au point par l’université de Wageningue, aux Pays-Bas, et d’un modèle d’équilibre partiel de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette publication montre que l’ensemble des accords commerciaux restant à négocier n’auront pas d’effet négatif sur l’agriculture européenne, et qu’ils auront même plutôt un effet légèrement positif. Même pour les produits les plus sensibles, l’effet sera négligeable. Je rappelle que le contingent de viande de volaille proposé dans l’accord avec le Mercosur, qui sera déployé en sept ans, représente moins que l’augmentation de la consommation de cette viande en Europe en un an. Pour la viande bovine, l’effet ne sera pas nul, mais loin d’être catastrophique : on prévoit une baisse de la production européenne de l’ordre de 0,5 % ou 1 % et une évolution des prix de l’ordre de 2 %. Tout cela sera gérable si l’on met en place des compensations ad hoc pour les producteurs de viande bovine, en particulier pour les élevages extensifs.

On oublie souvent que l’accord avec le Mercosur ne se limite pas aux questions agricoles. Non seulement nous nous protégeons bien dans le domaine agricole, contrairement à ce que l’on raconte, mais nous avons aussi des intérêts offensifs globaux très importants. Ainsi, nos indications géographiques sont protégées dans tous nos accords commerciaux, y compris dans l’arrière-cour des États-Unis, qui n’aiment pas du tout cela. C’est un résultat exceptionnel.

Rappelons aussi que le Mercosur est une des rares zones avec lesquelles la France a un excédent commercial important, de l’ordre de 4,5 milliards d’euros annuels pour les biens et services. L’Union européenne, qui avait également un excédent très élevé avec le Mercosur, a vu son solde commercial se réduire et sa part de marché diminuer de moitié en vingt ans, puisqu’elle est passée de 35 % à 18 % au bénéfice des Chinois. Or, dans le reste des pays d’Amérique latine auxquels nous sommes liés par des accords de libre-échange – le Venezuela ainsi que la Bolivie, moins importante sur le plan économique, sont les deux seuls pays avec lesquels nous n’avons pas conclu d’accord –, nous avons pu maintenir nos parts de marché.

Enfin, pour avoir bien connu la crise de la vache folle, je peux vous confirmer que les farines animales ont été interdites dans l’urgence parce qu’il y avait un risque pour la santé humaine – quelques personnes étaient atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob – et que le système de production de ces farines au Royaume-Uni posait problème. Nous avons donc pris la décision radicale d’interdire leur utilisation dans l’alimentation animale ; il sera très difficile d’y revenir, bien que je ne sois pas sûr que cette mesure soit toujours pleinement justifiée. À mon sens, il n’y a pas de problème de santé humaine, et s’il devait y en avoir un, nous le réglerions. Il s’agit purement et simplement d’une question de compétitivité. N’oublions pas que nous versons 40 milliards d’euros d’aides directes aux agriculteurs européens, dont 7 milliards aux agriculteurs français, pour compenser les écarts de coûts de production avec le reste du monde. Dans ce contexte, quand nous accordons aux pays tiers des accès très faibles à nos marchés, nous ne pouvons pas leur demander de s’aligner complètement sur nos conditions de production.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Entre 2017 et 2019, année au cours de laquelle vous avez quitté vos fonctions de directeur général du commerce extérieur à la Commission européenne, la France s’opposait-elle déjà au traité commercial avec le Mercosur ?

M. Jean-Luc Demarty. Si je me souviens bien, lorsque la négociation ou la prénégociation de ce traité a commencé, en juin 2019, à la fin de mon mandat, le président Macron y était plutôt favorable.

Mme Joëlle Mélin (RN). Au cours de mes huit années de mandat de députée européenne, j’ai été, à un moment donné, membre de la délégation pour les relations avec les pays de la Communauté andine. Nous avons dû nous prononcer sur un rapport d’étape visant à dresser le bilan de cinq années de mise en œuvre provisoire d’un traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne d’une part, la Colombie et le Pérou d’autre part. Or il est apparu assez vite que cet accord commercial se caractérisait par un déséquilibre très important, puisque certains organes bruxellois avaient parlé de « primarisation » de l’économie de ces deux pays tandis que l’Europe en avait, quant à elle, tiré profit. Ayant quitté ensuite la délégation, je n’ai pas pu continuer de suivre ce dossier, mais cette expérience me pousse à vous poser une question. Dans un cas de déséquilibre aussi flagrant que celui-là, c’est-à-dire lorsqu’un accord ne peut, en matière agricole, aucunement être qualifié de gagnant-gagnant, la Commission européenne applique-t-elle une doctrine particulière afin d’éviter que les dérives ne perdurent ou ne s’aggravent ?

M. Jean-Luc Demarty. Considérez-vous que l’accord avait été défavorable à la Colombie et au Pérou ?

Mme Joëlle Mélin (RN). C’était l’avis général. On avait constaté que ce traité se soldait, au bout de cinq ou six ans d’application provisoire, par un franc déséquilibre : il n’était absolument pas gagnant-gagnant. Que fait la Commission européenne dans ce cas ?

M. Jean-Luc Demarty. Je ne suis pas informé de cette situation. Si ces pays tiers étaient profondément insatisfaits, j’imagine qu’ils auraient demandé une renégociation de l’accord. En cas de problème sérieux, ils auraient aussi pu invoquer les clauses de sauvegarde qui y figurent généralement – ce qu’ils n’ont pas fait, à ma connaissance. Je sais en revanche que nous avons gagné, à l’OMC, une procédure contre la Colombie au sujet de l’application par cette dernière de mesures antidumping sur les frites congelées. Dans ce contentieux, la Colombie a perdu sur toute la ligne. C’était d’ailleurs la première fois que l’accord provisoire multipartite visant à remplacer, pour les cinquante-six pays qui l’ont signé, l’organe d’appel de règlement des différends de l’OMC venait à s’appliquer.

N’étant plus directeur général, je ne dispose pas d’un accès privilégié aux informations. Je vous invite à vous reporter au rapport annuel de la Commission européenne analysant chacun des accords commerciaux. Le dernier a été publié en octobre 2023 : vous y trouverez sûrement des éléments actuels sur la mise en œuvre du traité conclu avec la Colombie et le Pérou.

M. Jordan Guitton (RN). Vous avez déclaré dans la presse : « La libéralisation provisoire totale des importations de poulet, de céréales et de sucre d’Ukraine est une erreur majeure. Il faut revenir d’urgence sur cette mesure. » Est-ce bien vous qui avez prononcé ces phrases ?

M. Jean-Luc Demarty. C’est bien moi. Je persiste et je signe.

M. Jordan Guitton (RN). Je suis plutôt d’accord avec vous. Pourquoi ne sommes-nous pas revenus, depuis, sur cette libéralisation prétendument provisoire permettant à des produits ukrainiens de traverser les frontières et d’entrer sans règles sur notre marché ? Y a-t-il un manque de volonté politique ? La situation s’explique-t-elle par un contexte géopolitique qui ne change pas ?

M. Jean-Luc Demarty. À ma connaissance, un règlement visant à plafonner les importations de volailles, de sucre et d’œufs ukrainiens a été adopté récemment au titre de la clause de sauvegarde. Il ne s’agit donc plus d’une libéralisation totale. Ce plafond a été fixé en référence à la moyenne des importations constatées pendant la seconde moitié de l’année 2021 et les années 2022 et 2023 – j’aurais préféré que la période de référence couvre l’intégralité des années 2021 à 2023.

La question se posera de nouveau cette année. À mon sens, il faudra continuer de limiter ces importations, car la libéralisation totale était une erreur très sérieuse. J’espère que les plafonds fixés s’avéreront suffisamment protecteurs tout en permettant de donner des marges de manœuvre à l’Ukraine. Cela dit, la libéralisation du commerce de volailles profite essentiellement à un oligarque, M. Kosyuk, et à sa société MHP qui, à mes yeux, ne fait plus vraiment de l’agriculture… Contrairement à ce que certains disent, il n’existe pas d’agriculture industrielle dans l’Union européenne ; on ne peut pas en dire autant du modèle promu par ce monsieur, qui est d’ailleurs en train d’installer des mégapoulaillers en Croatie, ce qui risque aussi de déstabiliser le marché. Là encore, nous devons agir et j’espère que la Croatie ne décidera pas de subventionner M. Kosyuk en lui faisant profiter des fonds structurels européens en faveur de l’investissement.

M. Jordan Guitton (RN). Le marché du sucre a été déstabilisé tant par cette libéralisation que par la décision de mettre un terme à la dérogation dont bénéficiaient les néonicotinoïdes dans notre pays. Je suis choqué de voir l’Allemagne continuer d’utiliser certains de ces produits sous forme de pulvérisations alors que la France les a interdits en 2016. Que pensez-vous de cette situation ?

M. Jean-Luc Demarty. C’est lamentable. L’acétamipride continue effectivement d’être utilisé en Europe. L’EFSA est en train de réévaluer la situation mais, à ma connaissance, elle ne proposera pas d’interdire cette molécule, qui restera donc autorisée au niveau européen jusqu’en 2035. L’agence européenne recommandera simplement de baisser le plafond de résidus autorisés pour un certain nombre de fruits et légumes, mais pas pour les céréales ni pour la betterave.

Si l’acétamipride est proscrit dans notre pays, c’est parce que nous avons voté en 2016 une loi interdisant tous les néonicotinoïdes alors que certains sont encore autorisés en Europe. Il n’est pas question ici de dérogation, mais de surtransposition.

M. Jordan Guitton (RN). N’y voyez-vous pas un échec du ministre de l’agriculture actuel, qui est peut-être allé un peu vite en besogne ? Il a tout de suite parlé d’interdiction et d’indemnisation, sans vouloir s’adapter à la réalité comme l’ont fait d’autres pays européens qui continuent d’autoriser des produits interdits en France. Du fait de cette surtransposition, nos agriculteurs subissent finalement une double concurrence déloyale, tant avec les pays tiers qu’au sein du marché intérieur européen.

M. Jean-Luc Demarty. Cette situation résulte d’une loi votée en 2016. Je ne crois pas que le ministre de l’agriculture actuel était déjà en poste à cette date, pas plus que le ministre de la transition écologique actuel. Il faudrait plutôt regarder qui était au pouvoir en 2016 et qui a cru bon de pousser à l’adoption d’une loi interdisant tous les néonicotinoïdes, dont certains, évalués par l’EFSA et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), étaient encore utilisés en Europe, ce qui montre que leur nocivité est limitée. Il s’agit, comme toujours, d’un arbitrage entre des coûts et des avantages. Il me semble justement que votre commission auditionnera cette semaine le ministre de l’agriculture de l’époque : vous aurez donc l’occasion de lui poser la question.

J’ai trouvé toujours étonnant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) soit chargée non seulement d’évaluer les risques – ce qui est tout à fait normal –, mais également d’adopter les règlements qui autorisent ou interdisent des produits. Cette seconde mission relève normalement du pouvoir politique : au niveau européen, par exemple, elle incombe à la Commission européenne, y compris pour les médicaments. La seule autre agence au monde chargée à la fois de l’évaluation des risques et de la décision politique est l’Environmental Protection Agency (EPA), mais cette dernière est placée sous l’étroit contrôle du Congrès des États-Unis.

M. Jordan Guitton (RN). J’aimerais vous interroger sur l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Vous avez parlé tout à l’heure des clauses miroirs ; or il est assez choquant que les agriculteurs néo-zélandais utilisent encore l’atrazine, un produit phytosanitaire interdit en France depuis 2003. Voilà encore un problème d’égalité devant les normes et de concurrence déloyale ! Pourquoi n’a-t-on pas remis en cause, dans le cadre de ce traité, l’utilisation de cette molécule ?

M. Jean-Luc Demarty. J’ai déjà répondu à cette question de manière générale.

L’atrazine a été interdite pour des raisons sanitaires. Cela signifie que tout produit importé qui contiendrait cette molécule au-delà du seuil de détection de 0,001 milligramme par kilo serait interdit. Il n’y a donc pas de problème de santé.

En matière de compétitivité, j’ai déjà expliqué la logique tout à l’heure : l’accès accordé aux marchandises les plus sensibles telles que les produits laitiers et la viande bovine, pour lesquels la Nouvelle-Zélande est extrêmement compétitive bien que nous le soyons aussi raisonnablement, est très limité. Nos agriculteurs sont donc bien défendus, tant par les aides directes qu’ils perçoivent que par l’étroitesse de l’accès ouvert aux produits importés. Au vu de ce dernier élément, on ne peut pas demander aux Néo-Zélandais d’aligner complètement leurs pratiques sur les nôtres, sachant que la santé est également bien protégée.

À ce propos, nous avons accordé à la Nouvelle-Zélande un contingent tarifaire supplémentaire assez limité de 30 000 tonnes de viande ovine, mais cette mesure est assez largement optique car il existe déjà un énorme contingent datant de l’époque où le Royaume-Uni était membre de l’Union européenne. Nous importons donc de la viande ovine néo-zélandaise à droits nuls, mais dans des quantités nettement inférieures à ce contingent. Aussi sommes-nous déjà, depuis très longtemps, dans une situation similaire à une libéralisation totale : le contingent supplémentaire n’aura aucun effet.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous venez de répéter que l’agriculture européenne était très aidée. Pourriez-vous dresser un état des lieux des aides publiques versées par le Canada à son agriculture ?

M. Jean-Luc Demarty. Tous les grands pays aident leur agriculture. Je n’ai pas de chiffres précis sur le Canada, mais ce pays le fait plutôt moins que d’autres. Il a conservé un système de quotas pour la production laitière, notamment au Québec, et pour la production de volailles. En dehors de ce mécanisme, il ne verse pas à son agriculture d’aides budgétaires significatives. Il est très compétitif en matière de viande bovine – mais les animaux sont élevés à coups d’hormones et ces produits n’entrent donc pas chez nous –, de blé, de blé dur et de colza. Peut-être devriez-vous interroger à ce sujet le ministre de l’agriculture français, que vous allez bientôt auditionner, mais je ne pense pas que le niveau des aides versées au Canada soit un élément déterminant.

Les États-Unis, en revanche, aident beaucoup leurs agriculteurs, d’une manière qui entraîne beaucoup de distorsions de concurrence et dont la conformité aux règles de l’OMC est discutable – c’est le moins qu’on puisse dire. Ainsi, en 2018, Trump a introduit de nouvelles aides pour soutenir les agriculteurs américains confrontés aux conséquences négatives des mesures prises contre la Chine.

L’Union européenne n’est donc pas la seule à aider ses agriculteurs. Je souhaite qu’elle continue de le faire : les agriculteurs le méritent car leur revenu, même s’il a augmenté, reste insuffisant. Renforcer la compétitivité de l’agriculture française devrait permettre de l’améliorer.

Quant à l’évolution de la PAC, je suis favorable au maintien d’un système d’aides directes, qui devront inévitablement être davantage corrélées à la protection de l’environnement, à condition d’assurer un bon équilibre avec les autres préoccupations. La France gagnerait en outre à ce que nous instaurions un principe de dégressivité ou de plafonnement des aides par exploitation, notamment dans la perspective de l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’Union européenne.

En revanche, contrairement à ce que certains prétendent, il ne serait pas du tout dans l’intérêt de la France d’instaurer un système d’aides par emploi, d’abord parce que la moitié des agriculteurs européens travaillent en Pologne et en Roumanie, ensuite parce qu’une telle mesure serait très difficile à appliquer : le nombre précis d’emplois agricoles dans chaque État membre n’étant pas connu, le risque de fraude serait réel.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le média Radio-Canada, notant que le président Donald Trump dénonçait les aides publiques dont bénéficiait l’agriculture canadienne, rappelait que ces subventions représentaient un peu moins de 10 % de la recette brute des agriculteurs en 2018, soit un niveau comparable aux montants versés en France. Pendant les négociations relatives au CETA, au cours desquelles vous avez joué un rôle central, vous justifiiez ce traité et les distorsions de concurrence associées par le fait que notre agriculture était plus aidée que les autres. Cet argument reposait-il sur une étude sérieuse ?

M. Jean-Luc Demarty. Libre à vous de vous référer à l’expertise de Donald Trump, qui était connu pour prononcer une dizaine de mensonges par jour. Je n’ai pas connaissance des chiffres exacts mais je serais très surpris que l’aide publique dont bénéficie l’agriculture canadienne soit aussi élevée que vous l’indiquez.

Quand bien même elle le serait, je n’y verrai d’ailleurs pas un facteur décisif. Concentrons-nous sur les faits : depuis la signature du CETA en 2016, l’excédent agroalimentaire français vis-à-vis du Canada a plus que doublé, passant d’environ 300 millions à 700 millions d’euros. Les exportations de fromage ont augmenté de 60 %, celles de vins et spiritueux de 25 %, et le marché européen n’a pas été submergé par des flots de viande bovine canadienne, tout simplement parce qu’il ne serait pas rentable, pour les éleveurs canadiens, d’exporter de la viande non hormonée en Europe.

Puisque vous semblez mettre en cause l’effet positif des accords de libre-échange pour la France, je rappelle qu’ils lui ont permis de maintenir son excédent agroalimentaire global autour de 8 milliards d’euros, malgré une dégradation de 6 milliards d’euros de son solde commercial avec le reste de l’Europe. Le bilan aurait certes été encore meilleur si la France avait été plus compétitive, puisque sur les 60 milliards d’excédents supplémentaires dégagés par l’Europe, seuls 10 % ont bénéficié à la France alors qu’elle compte pour 15 % à 20 % dans la production agroalimentaire de l’Union européenne.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le chiffre avancé par Radio-Canada est tiré d’un rapport de l’OCDE datant de juin 2018.

M. Jean-Luc Demarty. Il importerait de savoir si ces subventions étaient liées ou non à une difficulté particulière. Pour sa part, l’Union européenne verse chaque année 40 milliards d’euros d’aides, dont 7 milliards destinés aux agriculteurs français.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il s’agissait de la moyenne des trois années précédant la publication du rapport.

La majeure partie de la dégradation de la balance commerciale française trouve son origine dans le marché unique. Si je partage votre constat concernant les surtranspositions et les distorsions de concurrence que nous pouvons nous infliger à nous-même par ce biais, il faut cependant y ajouter une dimension sociale : le revenu moyen n’est pas le même en France qu’en Espagne ou, a fortiori, dans les pays l’Est, qui exercent ainsi une concurrence directe contre laquelle nous ne pouvons rien. Comment la Commission analyse-t-elle cette situation et quelles solutions a-t-elle envisagées pour y remédier ?

M. Jean-Luc Demarty. Le problème du coût du travail en France n’est un secret pour personne. Il suffit d’observer l’évolution de notre balance commerciale depuis le début des années 2000, c’est-à-dire l’entrée en vigueur des 35 heures : alors qu’elle était jusqu’alors en équilibre, elle s’est dégradée pour afficher un déficit structurel de 60 milliards d’euros, qui atteint même désormais 100 milliards. L’industrie agroalimentaire de la France en a évidemment pâti, ainsi que ses diverses activités agricoles, grandes utilisatrices de main-d’œuvre.

D’après un rapport récent de l’institut Rexecode, la durée annuelle du travail en France est, en moyenne, inférieure de 122 heures à celle de l’Allemagne, soit un écart d’environ 7 %. En comptant les heures travaillées tout au long de la vie, le différentiel atteint même 15 %. Il n’est donc pas étonnant que nous ayons des problèmes. On ne peut cependant pas demander au reste de l’Europe de travailler moins pour faire plaisir aux Français.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La période que vous évoquez a aussi été celle de l’élargissement de l’Union européenne, c’est-à-dire de l’entrée au sein du marché unique de pays qui ont aggravé les distorsions de concurrence. Vous proposez de rogner sur les rémunérations et d’augmenter le temps de travail des travailleurs du secteur agricole, en vue de nous aligner sur des pays où le Smic est à 400 euros par mois – je grossis volontairement le trait. Malheureusement, nous achevons nos travaux sans avoir entendu de réponses étayées sur cette question.

Plusieurs acteurs du débat public défendent l’instauration d’une priorité d’achat pour les productions nationales, notamment dans la commande publique. Qu’en pensez-vous ?

Le Parlement français a aussi tenté à plusieurs reprises d’empêcher l’étiquetage français – un emballage arborant le drapeau français, par exemple – de produits importés et simplement transformés en France. Cette volonté s’est toujours heurtée au règlement concernant l’information au consommateur. Pourquoi ne peut-on pas faire évoluer la réglementation européenne sur cette question ?

M. Jean-Luc Demarty. Sur ce dernier point, je vous rejoins : l’étiquetage doit faire apparaître l’origine réelle du produit. Utiliser un drapeau français alors que le produit vient d’ailleurs n’est pas acceptable – je ne suis d’ailleurs pas certain qu’une telle pratique ne puisse pas être contestée avec les instruments juridiques existants.

Quant aux effets de l’élargissement, il est certain que la Pologne a profité de son adhésion à l’Union européenne pour se moderniser et améliorer sa situation. Elle affiche ainsi un excédent agroalimentaire supérieur à celui de la France. Ce constat vaut toutefois aussi pour l’Espagne, qui n’a pas intégré l’Europe récemment. De la même façon, la Belgique, où le coût du travail est un peu supérieur à celui de la France, est parvenue à améliorer sa balance commerciale globale et à stabiliser sa balance commerciale au sein de l’Union européenne, ce qui suggère que la France a d’autres problèmes à régler que ce seul facteur.

M. Rodrigo Arenas, président. Les surtranspositions auxquelles vous faites référence pourraient être assimilées aux politiques volontaristes de certaines collectivités territoriales qui décident d’agir au-delà de ce que la loi leur impose, notamment en matière de santé publique : ces politiques peuvent être justifiées par des considérations sanitaires, notamment dans le domaine de l’utilisation des pesticides ou des farines animales. C’est d’ailleurs le rôle du politique que de choisir de protéger la population, même quand la loi permet certaines pratiques.

Vous avez indiqué vous inscrire dans une logique ricardienne, en vertu de laquelle le prix du produit n’est pas lié à l’équilibre entre offre et demande, mais au coût de production. À ce titre, le modèle de développement promu par les PAC successives – dont nul ne nie qu’elles ont permis de nourrir nos concitoyens et d’améliorer le niveau de vie de certains agriculteurs –, qui consiste à utiliser certains fertilisants et pesticides de manière intensive pour garantir la productivité, vous paraît-il soutenable sur le long terme ? Je songe notamment à l’appauvrissement des sols qu’il induit et aux relations de dépendance qu’il nous conduit à établir avec les pays dont nous importons les matières premières nécessaires à la fabrication desdits fertilisants.

Vous avez aussi évoqué les conditions de travail qui prévalent dans les pays avec lesquels nous entretenons des relations commerciales. Vous paraîtrait-il pertinent, nécessaire et utile d’instituer un revenu minimum garanti pour les paysans ? Plusieurs études montrent qu’ils ne parviennent pas à vivre de leur travail, ce qui a des conséquences sociales parfois terribles.

M. Jean-Luc Demarty. Les agriculteurs doivent percevoir un revenu correct – ce qui n’est pas encore le cas, même s’il s’est amélioré. Je ne crois pas, en revanche, qu’on puisse fixer un revenu minimum par voie législative ou réglementaire.

M. Rodrigo Arenas, président. La puissance publique intervient déjà fortement pour influer sur l’équilibre des marchés puisque l’Europe et la France versent chaque année des milliards d’euros pour aider les agriculteurs à subsister dans une économie ouverte. Cet effort ne pourrait-il pas être consacré à leur garantir un revenu digne ?

M. Jean-Luc Demarty. Des aides directes au revenu, découplées, sont déjà versées aux actifs agricoles, qui sont libres de produire ce qu’ils veulent sur les terres qu’ils exploitent. La question d’une meilleure répartition de ces aides se pose indubitablement, mais je ne vois pas très bien comment on pourrait fixer un revenu minimum agricole : une telle option ne me semble pas réaliste dans une économie de marché, qui est la seule hypothèse dans laquelle je me place.

Pour en venir à votre première question, il faut bien sûr promouvoir une utilisation raisonnable et raisonnée des fertilisants. L’état des terres est loin d’être satisfaisant partout et l’enjeu est réel : un équilibre doit être trouvé entre, d’une part, la rentabilité et la productivité et, d’autre part, la biodiversité et la protection des sols à long terme. N’étant pas un spécialiste de ces questions, je ne peux pas vous donner d’informations supplémentaires, mais il est évident que la question mérite d’être creusée.

*

*     *

Puis la commission procède à l’audition de M. Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS.

M. Rodrigo Arenas, président. Nous accueillons M. Stéphane Layani, président-directeur général de la société d’économie mixte d’aménagement et de gestion du marché d’intérêt national de Rungis (SEMMARIS).

Monsieur Layani, compte tenu du rôle du marché d’intérêt national (MIN) de Rungis, il était naturel que nous vous recevions dans le cadre de cette commission d’enquête sur la perte de souveraineté alimentaire de la France, dont le rapporteur est M. Grégoire de Fournas et le président M. Charles Sitzenstuhl, que je supplée aujourd’hui en tant que vice-président de cette commission – le député de Paris que je suis étant par ailleurs très intéressé par la SEMMARIS.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Layani prête serment.)

M. Stéphane Layani, président-directeur général de la société d’économie mixte d’aménagement et de gestion du marché d’intérêt national de Rungis. La perte, réelle ou supposée, de la souveraineté alimentaire de la France est un vaste sujet aux contours multifactoriels, polysémiques et protéiformes.

Sans chercher à dresser un tableau général de la souveraineté agricole française, je m’en tiendrai à une approche qui est liée à mes fonctions de président-directeur général de la SEMMARIS et qui est fondée sur l’observation de deux évolutions : celle des rapports de force au sein de la distribution de produits alimentaires d’une part, celle de la consommation des vraies gens d’autre part. Ma conviction est qu’il ne peut y avoir de souveraineté alimentaire sans l’existence de services publics alimentaires tels que Rungis et les marchés de gros.

Créé par le général de Gaulle il y a une cinquantaine d’années dans le but de réunir dans un même lieu l’offre et la demande de produits alimentaires frais de façon structurée, organisée et planifiée, Rungis est le plus grand marché de gros du monde.

D’une manière générale, les MIN valorisent les productions agricoles de qualité dispersées dans nos terroirs, favorisent l’accès au marché des agriculteurs et distribuent des produits frais au juste prix. Le regroupement des acteurs du commerce de gros et des produits alimentaires en un même lieu permet la libre concurrence et offre une diversité de débouchés aux producteurs. C’est un modèle complètement différent de celui de la grande distribution, dont l’objectif premier est d’obtenir les prix les plus bas possible sans se préoccuper de l’origine et de la qualité des produits, de leurs conditions de production ni du revenu des agriculteurs qui en découle.

À Rungis, 3 millions de tonnes de produits alimentaires transitent chaque année et sont consommées par 18 millions de personnes, principalement en Île-de-France. Près de 60 % des produits alimentaires frais consommés dans la région Île-de-France passent par le marché avant d’arriver au consommateur final. Toutes les filières sont représentées : fruits et légumes, produits de la mer et d’eau douce, produits carnés, produits laitiers et gastronomiques, produits horticoles et autres. Près de 10 % des produits agricoles qui transitent par le MIN sont vendus à l’export ; cela concerne principalement des produits laitiers et gastronomiques. Sur le plan économique, le MIN de Rungis représente un atout considérable pour notre pays : il engendre environ 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires et permet le maintien de 100 000 emplois dans toute la chaîne agroalimentaire.

Il joue un rôle important dans la souveraineté alimentaire du pays en permettant de valoriser toutes les productions françaises qui se mangent directement, sans transformation. Sorte de courroies de transmission reliant le champ à l’assiette, les grossistes constituent un maillon essentiel entre des milliers de producteurs et des milliers de détaillants. À Rungis, 25 000 acheteurs négocient chaque nuit avec 1 200 entreprises différentes ; les prix sont fixés chaque jour ; les cours, transparents et publiés par l’État, résultent de l’offre et de la demande. Cette transparence, qui est l’ADN des marchés de gros, permet d’atteindre le tarif le plus juste et le plus équilibré pour l’ensemble de la chaîne alimentaire.

Être souverain, pour nous, c’est avant tout ne pas dépendre. C’est être capable de nourrir la ville en toutes circonstances, qu’il y ait une pandémie ou un siège. C’est être en mesure de trouver les produits dont les Français ont besoin ou envie, car ce sont eux qui choisissent. C’est aussi cela, notre obligation de service public. Pour reprendre l’analogie tirée de la science politique, on se tourne vers la souveraineté lorsqu’elle a disparu. En la matière, c’est d’abord une souveraineté populaire avant d’être une souveraineté nationale.

L’objectif n’est pas seulement de garantir un approvisionnement suffisant en produits de base agricoles tels que le blé, la betterave, les oléagineux, le lait ou le sucre. Il s’agit aussi de préserver la diversité, la qualité et la traçabilité des produits bruts qui se consomment sans être transformés, ainsi que de promouvoir des filières durables, au sens originel du terme, avec leurs indications géographiques protégées (IGP) et leurs savoir-faire. Véritables acteurs de la souveraineté alimentaire en France, les marchés de gros fournissent près de 70 000 acheteurs indépendants, majoritairement des commerces de proximité qui valorisent les produits plutôt que de les placer en tête de gondole et de lancer des campagnes promotionnelles assourdissantes, avec des chefs d’entreprise qui se critiquent les uns les autres à la radio.

L’écosystème des marchés de gros permet de valoriser la diversité de la production française et de réduire la standardisation de l’offre développée dans l’agroalimentaire et la grande distribution. Pour défendre la souveraineté alimentaire, on ne peut pas se contenter de réguler les rapports de plus en plus conflictuels entre la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC), les agriculteurs étant pris en otage.

Cet écosystème offre aussi l’occasion de maintenir toutes les typologies d’exploitations agricoles, dont l’existence est une spécificité et un atout de l’agriculture française. Le MIN de Rungis est d’ailleurs un débouché majeur pour la production agricole et alimentaire française : 61 % des produits – toutes saisons confondues – sont d’origine française, dont 100 % du fromage, 95 % du cochon, 70 % des produits de la mer et 60 % des fruits et légumes en saison, hors agrumes et produits exotiques. C’est remarquable ! La France importe surtout des produits qui n’existent pas sur son sol ou dont nous avons besoin en contre-saison.

À mon sens, le maintien d’un réseau de marchés de gros est structurant pour répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire. Je pense même qu’il faudrait obliger les producteurs et les distributeurs à négocier sur les MIN afin d’assurer la transparence et des rapports de force équitables. Solution alternative à la grande distribution en matière d’approvisionnement, ces marchés valorisent et structurent l’offre locale. C’est le cas de Rungis, où toutes les coopératives agricoles sont représentées, où les grossistes – parfois eux-mêmes producteurs – sont très souvent mandataires d’exploitants agricoles français et au sein duquel le carreau des producteurs de fruits et légumes d’Île-de-France réunit une centaine d’exploitations.

La contractualisation annuelle entre les petits producteurs et des mégacentrales d’achat est une loi d’airain pour les agriculteurs : ceux-ci ne peuvent pas peser à égalité dans ces discussions annuelles obscures qui s’apparentent souvent à un interrogatoire musclé. Dans le système actuel, la partie agricole n’a pas son mot à dire : de ce point de vue, rien n’a changé. Le législateur doit favoriser une négociation tripartite transparente qui repose sur la loi de l’offre et de la demande. On pourrait s’inspirer de la pratique anglo-saxonne de la construction du prix par marche en avant (pricing forward) : on constaterait très vite que les prix de marché remédient aux insuffisances des discussions bilatérales.

Au-delà des mots, j’ai voulu apporter une contribution concrète au renforcement de notre souveraineté alimentaire au moyen du projet Agoralim, que j’ambitionne de construire dans le Val-d’Oise. Alors même que son rôle dans la souveraineté alimentaire française est primordial, le marché de Rungis fait face à de nombreux enjeux, en particulier les besoins alimentaires croissants des Franciliens, la saturation immobilière et la complexification des flux logistiques soumis aux défis environnementaux. Ces facteurs nécessitent de repenser l’organisation de la distribution en créant une nouvelle place en Île-de-France pour le commerce de gros alimentaire. Complémentaire de Rungis, le projet Agoralim permettra de renforcer nos capacités productives et d’optimiser la distribution des produits alimentaires frais.

Si nous renonçons à ce projet, la part de marché du service public alimentaire faiblira puisque la population augmente et que les besoins alimentaires vont croissant. Les centrales d’achat de la grande distribution, nos concurrentes directes, remplaceront notre offre par des produits bon marché et importés de pays où les conditions de production et les normes sociales ne sont pas les mêmes qu’en France. Agoralim permettra de répondre aux besoins alimentaires croissants des Franciliens et à leur appétence de plus en plus marquée pour les produits locaux. Un écosystème intégrera des activités de production agricole dans le triangle de Gonesse. Il sera respectueux de l’environnement et ses débouchés seront assurés et pérennisés : vente sur le carreau, restauration collective, transformation, valorisation des invendus par le biais d’une cantine solidaire pour limiter le gaspillage alimentaire.

Les MIN sont le seul outil public permettant d’alléger notre dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur. Mais l’unique moyen de parvenir à une plus grande indépendance à long terme passe par une compréhension de la manière dont notre modèle agricole rencontre les besoins des consommateurs. Pour comprendre les enjeux de souveraineté alimentaire, il importe d’analyser en détail la structuration de la production française, mais également l’évolution de la consommation des Français.

S’agissant de la production, rappelons quelques chiffres. Longtemps appelée le grenier de l’Europe, la France dispose d’une agriculture séculaire riche de savoir-faire. Dans le classement européen, notre pays occupe la première place pour le blé, le maïs, la betterave à sucre et les oléagineux, et la deuxième pour le lait et les ovins. En revanche, il n’arrive qu’en troisième position pour les fruits et légumes, qui constituent le premier poste de consommation des ménages, soit 26 % des produits alimentaires consommés par les Français – ce qui représente 126 kilogrammes en moyenne par an et par habitant. Nous avons donc une marge de progression concernant la production de fruits et légumes sur notre territoire. Ce constat apparaît de manière encore plus nette lorsque l’on s’intéresse aux exportations de produits alimentaires. Notre pays reste un grand exportateur de vin – les recettes, en la matière, ont atteint 19 milliards d’euros en 2022 – et il est très présent dans le commerce des céréales, des produits d’épicerie et des produits laitiers. En revanche, la France n’a exporté que pour 5,7 milliards d’euros de fruits et légumes en 2022.

Riche et reconnue, notre agriculture doit donc progresser dans ce domaine pour répondre aux enjeux de souveraineté. Nous ne produisons plus assez de fruits à noyau tels que les pêches, les abricots, les cerises ou les prunes. Ces productions étaient relativement stables dans les années 1990. La récolte s’était élevée, en 1990, à 450 000 tonnes pour les pêches et à 200 000 tonnes pour les abricots. La situation a évolué sous l’effet du changement climatique, des maladies, des ravageurs et des réglementations phytosanitaires. En 2020, la récolte était tombée à 200 000 tonnes pour les pêches et à 100 000 tonnes pour les abricots. Et ne parlons pas des cerises !

Or la demande est toujours là. De fait, pour répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire, il convient d’analyser l’évolution de la consommation. La restauration hors domicile (RHD) occupe désormais une place déterminante : 88 % des Français consomment des produits alimentaires en dehors de chez eux ; nos concitoyens prennent un repas sur cinq hors de leur domicile. Cette consommation conditionne les marchés amont, notamment la formation des prix. Lorsque le coût matière n’excède pas 2 euros par repas à l’hôpital, il est évident que les intendants doivent jongler avec les prix : ceux-ci resteront la variable d’ajustement, quand bien même on changerait les règles des marchés publics. Quant aux 85 % de Français qui achètent des produits alimentaires frais en grande distribution, ils sont mécaniquement à la recherche de produits importés.

Il ne faut pas confondre souveraineté et autarcie. Le commerce, le négoce, les échanges internationaux ne datent pas d’hier. C’est grâce à eux que, tous les matins, nous pouvons déguster un thé, un café, un chocolat, ou que nous pouvons consommer des fruits exotiques – dont les Français raffolent. Nous sommes devenus dépendants de productions importées qui peuvent être soumises à des chocs externes – tels que des crises sanitaires ou climatiques – et à des décisions politiques susceptibles de conduire, du jour au lendemain, à des pénuries ou à de fortes hausses de prix.

Je voudrais vous livrer quelques pistes qui pourraient nous permettre de renforcer notre souveraineté alimentaire, même si elles sont étroites et incertaines.

D’abord, il faut réfléchir à la fois à une politique de la demande et à une politique de l’offre. Il convient de faire en sorte que la production soit adaptée à la demande des consommateurs. La compréhension des besoins de ces derniers et de leurs pratiques d’achat est structurante pour une bonne organisation de la chaîne en amont. L’exemple de la viande bovine me frappe. Nous sommes fiers de notre Salon de l’agriculture et de son ring, qui nous poussent à développer des usines à viande tournées vers le steak haché, mais celles-ci sont de moins en moins adaptées à la restauration traditionnelle. Notre goût immodéré pour la viande rouge nous oblige à exporter la moitié de la bête vers le Maghreb.

Il nous faut aussi une agriculture de l’offre : le renforcement des capacités de production agricole constitue un axe majeur de la consolidation de notre souveraineté alimentaire. Il faut reterritorialiser nos capacités de production et nos outils de transformation. Il faut aussi assurer des débouchés pérennes à cette production relocalisée dont tous les intervenants de la chaîne alimentaire doivent être acteurs et solidaires.

À cet égard, le système coopératif offre une solution adaptée aux difficultés des exploitations de très petite taille et la politique des projets alimentaires territoriaux (PAT) doit être poursuivie. Mais les marchés de gros ont aussi un rôle majeur à jouer : il faut les rendre incontournables dans les négociations commerciales entre agriculteurs et distributeurs, qui doivent devenir permanentes au lieu d’être annuelles. C’est le moyen de sortir de ce colloque singulier entre des producteurs de plus en plus désarmés et des mégacentrales d’achat surconcentrées qui exercent parfois à l’échelle de l’Union européenne et non à celle de la France.

Les tiers de confiance, tels les grossistes, apportent de la valeur ajoutée ; s’ils étaient inutiles, ils auraient disparu depuis longtemps. La loi devrait, me semble-t-il, permettre à la restauration collective de faire appel à l’Union des groupements d’achats publics (UGAP) pour ses achats sur les marchés de gros. C’est la seule manière de permettre aux cantines, aux hôpitaux et aux maisons de retraite de réintroduire de la qualité, du bio et du local conventionnel de qualité dans leurs repas.

Le renouvellement des générations d’agriculteurs, autre défi à relever, passe par le rétablissement de l’attractivité des métiers agricoles et, par conséquent, par la juste rémunération des agriculteurs. Je serais favorable à un réaménagement des transferts de la Politique agricole commune (PAC) de façon à rémunérer autrement la contribution des agriculteurs aux paysages, à la biodiversité, à la décarbonation et à la préservation du patrimoine gastronomique français. Il n’est pas normal que l’Italie parvienne à faire classer plus d’IGP que la France – il y a là un enjeu d’efficacité administrative et d’incitation.

L’accroissement de notre souveraineté alimentaire passera aussi par l’amélioration de la compétitivité des filières agricoles, qui garantira à nos concitoyens le bénéfice d’une alimentation à un prix accessible, diversifiée et de qualité. Quelque 77 % des Français considèrent que le prix est le principal facteur de choix des produits, ce qui incite à réfléchir aux différentes formes d’exploitation et à l’utilisation du foncier. La rentabilité et le prix dépendent de la taille des entreprises agricoles, de l’innovation et de l’accès à la ressource, mais aussi des exportations, relais de croissance indispensable pour maintenir un équilibre global sur le marché intérieur.

La souveraineté alimentaire ne se décrète pas mais suppose des actes. Elle consiste à ne pas dépendre, ce qui implique de renforcer notre capacité à fournir et à se fournir.

M. Rodrigo Arenas, président. S’agissant de la sécurité alimentaire – qui dépend, en Île-de-France, du bon fonctionnement du MIN de Rungis –, les services du Premier ministre ne devraient-ils pas être renforcés en matière de planification et de gestion des crises ?

Si le train des primeurs, qui relie Paris à Perpignan, devait disparaître, 20 000 à 25 000 camions supplémentaires circuleraient sur les routes de France. Or, la SEMMARIS aurait, semble-t-il, un projet de terminal multimodal, dont les travaux commenceraient fin 2024 – ou, selon d’autres annonces, en avril 2025 – et qui viserait à porter à 20 % la part du ferroviaire dans les approvisionnements, ce qui reviendrait à supprimer 60 000 camions de la circulation. Que pouvez-vous nous dire de ce projet et de l’avenir du train des primeurs ?

Pourriez-vous aussi nous apporter des précisions sur Agoralim ? Par ce projet, vous semblez vouloir renforcer la relation directe du producteur et de l’acheteur, selon le modèle dit B to B (business to business). Le marché de Rungis est-il seulement un lieu où se rencontrent un producteur et un acheteur ou joue-t-il également un rôle essentiel dans la formation des prix ? Les récentes actions des agriculteurs nous feraient pencher pour la seconde hypothèse.

M. Stéphane Layani. Le marché de Rungis est un opérateur d’importance vitale (OIV) au sens de la loi, ce qui signifie que la gestion de crise fait partie intégrante de notre travail. Nous sommes en liaison avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, le préfet de zone et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Je ne vais pas dévoiler notre plan de gestion de crise mais je peux vous dire que nous sommes en mesure d’alimenter Paris en toutes circonstances, en jouant sur les stocks et la logistique. Nous travaillons en étroite collaboration avec le SGDSN pour faire face aux difficultés qui peuvent se présenter. Nous avons ainsi pu poursuivre notre activité dans des circonstances particulières : outre les événements récents que vous avez évoqués, on peut citer les épisodes neigeux, la crise des Gilets jaunes et, surtout, la pandémie de covid-19. Durant la crise sanitaire, nous avons continué à nourrir les Français malgré le télétravail généralisé et les autres difficultés rencontrées. C’est ce qui fait de Rungis une ligne rouge. Nous créons des cellules de crise lorsque cela se révèle nécessaire ; nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de l’intérieur et des outre-mer, le ministère des armées et les services du Premier ministre.

J’ai beaucoup défendu le train des primeurs lorsque, en 2018, la SNCF a manifesté l’intention de l’arrêter pour des raisons de rentabilité – les wagons repartant vides vers Perpignan. Nous nous sommes battus avec Jean Castex, alors Premier ministre, pour le faire repartir. En dépit de difficultés politiques et techniques – octroi de sillons réservés, croisement de voies avec les trains de voyageurs franciliens le matin, etc. –, nous y sommes parvenus. C’est alors que la Commission européenne a décidé d’interdire à Fret SNCF d’assurer cette activité, l’entreprise ayant reçu des aides de l’État. La SEMMARIS subit les conséquences de cette décision qui, au demeurant, est sans doute parfaitement légitime.

Lorsque le train des primeurs a été arrêté la première fois, j’ai décidé de réfléchir au business model du fret ferroviaire des produits frais. On a compris que l’unité de travail était désormais le container ou la remorque. Il est très difficile de maintenir le train traditionnel que l’on charge de palettes ou de cagettes à grand renfort de ressources humaines, et celui-ci ne correspond plus aux attentes.

Or la gare construite en 2010 est inadaptée : prévue pour 400 000 tonnes, elle n’en a jamais reçu que 200 000 les meilleures années – et plutôt 100 000 ces derniers temps. Nous venons, au terme d’un appel d’offres, de choisir l’opérateur qui gérera la gare multimodale, laquelle permettra à des remorques de camions de monter sur les trains et à des containers d’être traités à Rungis. Si nous parvenons à obtenir toutes les subventions européennes, nationales et régionales – nous sommes déjà assurés de recevoir une aide dans le cadre des contrats de plan État-région –, nous espérons construire cette nouvelle gare multimodale à l’échéance 2026. Elle permettra d’accueillir six à huit trains par jour. La ligne partira d’abord de Perpignan pour remonter à Rungis, mais nous pensons qu’il faut l’étendre au sud de la Méditerranée et au nord de l’Europe, jusqu’à Rotterdam, et étendre son usage au transport de produits industriels. On oublie souvent que ce sont Apple et le téléphone portable qui ont tué le train des primeurs, car les gens lisent désormais le journal sur leur portable alors qu’autrefois le transport du Monde et de la presse papier en général vers le sud de la France assurait une petite rentabilité à la ligne sur le trajet du retour. Je suis assez optimiste mais cela ne marchera que si le projet est soutenu à l’échelle européenne ; nous pourrons ainsi échapper aux difficultés que nous avons rencontrées avec Fret SNCF.

Le site internet agoralimdirect.fr est une marketplace B to B que nous avons choisie et que nous allons nous efforcer d’aider. Son objectif est de collecter des produits locaux dans toutes les exploitations situées dans un rayon de 100 kilomètres autour de Paris et de les distribuer principalement aux restaurateurs, ainsi qu’à tous les détaillants qui souhaitent les revendre. Ces projets sont très enthousiasmants, mais il faut aider ces entreprises jeunes et fragiles qui manquent parfois de haut de bilan. Nous allons donc nous efforcer de les accompagner pour que le local puisse se développer en Île-de-France.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Pouvez-vous nous rappeler quelle est la part totale des importations à Rungis et détailler ce chiffre par secteur ?

M. Stéphane Layani. Je ne suis pas venu avec tous les chiffres mais je peux vous les transmettre.

Rungis vend 61 % de produits d’origine française, toutes saisons confondues. La proportion est pratiquement de 100 % pour le fromage et de 95 % pour le cochon. Nous sommes également très bons pour les produits de la mer, dont 70 % sont français, grâce notamment aux crustacés. Pour ce qui concerne les fruits et légumes, si l’on exclut les productions non concurrentielles, à savoir les agrumes et les produits exotiques, on parvient à 60 % de produits français, ce qui est un très bon taux.

Dans le détail, cela pèche certes pour certains produits mais, dans l’ensemble, la proportion de produits français est très bonne à Rungis et encore meilleure sur les marchés de gros. Les marchés de production situés à Angers, à Nantes, à Châteaurenard et à Toulouse ont pour objectif principal de massifier des productions locales et de les faire remonter auprès du consommateur parisien.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Avez-vous également les chiffres pour la viande bovine et la volaille ?

M. Stéphane Layani. Pour la viande bovine, nous sommes plutôt bons, avec une proportion d’environ 60 % de produits français, sachant que notre segment de clientèle est essentiellement constitué par la boucherie traditionnelle et la restauration et que, les Franciliens mangeant plutôt les parties arrière du bœuf – ils veulent de la viande rouge, du steak, de l’entrecôte et de la côte de bœuf – et cuisinant de moins en moins de daubes, de bourguignons et, plus généralement, de plats en sauce, les parties avant sont exportées, principalement en direction des pays du sud de la Méditerranée.

En revanche, nous importons la viande ovine dans une proportion élevée.

Quant à la volaille, nous sommes très bons pour les produits de qualité avec près de 80 % d’origine française pour la volaille de qualité label rouge, mais la volaille découpée est plutôt importée – les cuisses et hauts de cuisse n’entrent pas vraiment dans le champ de notre métier.

Pour ce qui est de la viande en général, donc, nous avons de bons chiffres. Je précise que le terme de viande bovine ne désigne que le bœuf, et pas le veau.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Avez-vous le chiffre concernant la viande ovine ?

M. Stéphane Layani. Pour la viande ovine, les résultats sont catastrophiques, avec une proportion de viande d’origine française qui doit avoisiner 40 %. Nous sommes assez bons, en revanche, pour la viande caprine. Ces chiffres sont transparents : nous les tenons à votre disposition.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez apporté un début d’explication à propos de la viande bovine mais, à l’échelle nationale, les importations sont plutôt de l’ordre de 20 %, contre 40 % à Rungis selon vos chiffres.

Pour ce qui est des fruits et légumes, vous avez nuancé les chiffres en ne prenant en compte que les fruits en saison et en excluant les fruits exotiques mais, pour l’ensemble de la France, on obtient les mêmes chiffres sur l’année, fruits exotiques inclus, malgré les variations liées à la saisonnalité.

La proportion de produits français est bien inférieure à la moyenne nationale pour la viande ovine et, même si ce n’est pas le cas pour le porc, pour lequel vous annoncez des chiffres supérieurs, on peut dire que, d’une manière générale, on importe davantage à Rungis qu’à l’échelle nationale.

M. Stéphane Layani. Je ne sais pas d’où vous tirez vos chiffres mais, selon les travaux que nous avons menés avec notre équipe statistique, l’autosuffisance alimentaire est bien meilleure à Rungis, sur tous les segments, que dans le reste de la France.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Nous étudierons les chiffres avec attention. Vous n’avez pas indiqué de pourcentage concernant la volaille dans son ensemble, qu’elle soit haut de gamme ou découpée.

Avez-vous une idée de l’évolution des chiffres que vous avez cités ?

M. Stéphane Layani. Les chiffres sont en amélioration pour la viande et restent constants pour les fruits et légumes, le fromage et le cochon.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Rungis n’a pas fermé pendant la crise sanitaire, chose intéressante pour notre commission d’enquête qui a relevé une certaine fragilité des approvisionnements alimentaires durant cette période. Avez-vous noté des difficultés à cet égard ?

M. Stéphane Layani. Nous n’avons pas connu de difficultés. Notre préoccupation principale, le 15 mars 2020, a consisté à faire basculer les productions de la restauration vers la grande distribution et vers les détaillants traditionnels et les supérettes qui restaient ouverts. La seule difficulté que nous avons constatée était une pénurie d’huile, produit qui ne fait pas partie du cœur de l’activité de Rungis ; on m’a demandé d’en trouver, ce que j’ai fait.

Nous avons été capables de faire face à la crise. Nous n’avons pas eu à jeter autant de produits qu’on aurait pu le penser. Nous avons permis à l’agriculture locale de sortir ses produits des champs grâce à un outil commercial mettant en relation l’entreprise et le consommateur (B to C), dénommé « Rungis livré chez vous », qui a été très utile aux personnes confinées, notamment aux personnes âgées. Nous n’avons pas connu de rupture d’approvisionnement mais avons tout de même été confrontés à un problème majeur. En effet, la marée a connu de grandes difficultés en raison de la fermeture des marchés de plein vent et des restaurants – où le poisson est majoritairement consommé –, mais cela ne concerne pas vraiment l’agriculture au sens strict du terme.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Ce secteur a trait à la souveraineté alimentaire et entre donc pleinement dans le champ de notre commission d’enquête.

Dans une interview au Figaro, le 24 février, vous avez déclaré que Rungis n’était pas concerné par les lois Egalim. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Stéphane Layani. Il y a là deux sujets différents. Le premier tient aux particularités du marché des fruits et légumes. Nous vendons chaque année 1,4 million de tonnes de ces produits périssables dont les cours évoluent chaque jour et qui se présentent sous de très nombreuses références – si Rungis n’existait pas, on ne trouverait que les produits standardisés des centrales d’achat. Compte tenu de la multitude de références et du grand nombre d’acheteurs et de vendeurs, on ne peut pas entrer dans les cadres fixés par Egalim.

Par ailleurs, les 25 000 clients de Rungis sont principalement des gens de marché et des détaillants de petits commerces, des primeurs et de petits restaurateurs, trop nombreux – comme les vendeurs – pour qu’il soit possible de contractualiser. Le fait de soumettre les marchés de gros à la loi Egalim conférerait un nouvel avantage à la grande distribution car nos petites entreprises, qui emploient pour la plupart une dizaine de salariés – les grossistes sont, en effet, essentiellement des PME et Rungis ne compte qu’une seule entreprise cotée – seraient, pour la plupart, incapables de gérer la charge administrative induite par Egalim. Il est donc normal que nous ayons bénéficié d’une dérogation.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Quelles sont la nature et l’ampleur des contrôles dont font l’objet les importations de Rungis, notamment pour ce qui concerne l’étiquetage ?

M. Stéphane Layani. Nous avons la chance de disposer sur le marché de tous les services de contrôle de l’État, tels la DDPP (direction départementale de la protection des personnes), les douanes et les services vétérinaires, qui sont présents quotidiennement. Nous apprécions les contrôles car ils nous prémunissent contre les problèmes et les scandales. Ainsi, nous n’avons pas été inquiétés lors de l’affaire Spanghero. Il arrive que des fraudes se produisent, mais elles font l’objet de sanctions, en application du règlement intérieur de notre marché. Nous sommes très sévères à l’endroit des auteurs d’activités de francisation, qui sont du reste très rares.

Il ne faut pas oublier que les marchés de gros sont nés en même temps que la grande distribution. Lorsque le général de Gaulle et Michel Debré ont créé les MIN, en 1962, le petit épicier de Landerneau se développait grâce au libre-service. Dans les années 1970, les marchés de gros étaient des marchés de dégagement : la nourriture premium était vendue par la grande distribution, le reste allant vers le marché de gros. Puis, la grande distribution se livrant à une guerre des prix sans merci, le commerce de proximité parisien, protégé des grandes surfaces par la loi Royer, s’est différencié par une politique de qualité et de prix.

Ce qui, depuis 1990, caractérise Rungis, c’est la qualité de ses produits, souvent porteurs d’IGP. Nous vendons certes à des consommateurs de toutes catégories, mais le commerce de proximité, qui ne peut pas se différencier par le prix, le fait par la qualité. Il en va de même pour les marchés de plein vent et les marchés forains d’Île-de-France, qui sont plébiscités par la population et qui fonctionnent essentiellement avec Rungis. Les vendeurs n’ont pas intérêt à jouer car ce qu’ils vendent, c’est la qualité des produits.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Depuis le début de votre mandat, c’est-à-dire depuis maintenant douze ans, les approvisionnements en produits français sont-ils allés dans le bon ou dans le mauvais sens ?

M. Stéphane Layani. Monsieur Tanguy, je ne répondrai à aucune question personnelle.

M. Rodrigo Arenas, président. La question de M. Tanguy était, si j’ai bien compris, de savoir si l’approvisionnement de Rungis provient majoritairement de produits issus de l’agriculture ou de l’élevage hexagonaux.

M. Stéphane Layani. Les choses vont dans le bon sens. Nous menons constamment, chaque année, des opérations de communication sur les terroirs français, de l’Auvergne à la Normandie – la dernière portait sur la coquille Saint-Jacques normande, plébiscitée par les Français. La situation s’améliore mais, en fin de compte, ce sont les consommateurs qui décident et qui choisissent les produits, en fonction de plusieurs critères, le principal étant le prix pour 77 % des Français.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Monsieur Layani, je vous confirme que ma question n’était en rien personnelle.

L’objet de notre commission d’enquête est d’établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire française. Je pose donc à nouveau ma question, à laquelle vous n’avez absolument pas répondu : quel était, en 2012, au début de votre mandat, l’approvisionnement en produits français des filières que vous avez citées et quelle a été la tendance générale ? S’agissant des fruits et légumes, par exemple, y avait-il plus de produits d’origine française avant 2012 ?

M. Stéphane Layani. Les chiffres démontrent que la situation s’est améliorée.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). C’est bien, mais en tant qu’élu de la nation et membre de cette commission d’enquête, j’aimerais connaître ces chiffres et leur évolution depuis 2012.

M. Rodrigo Arenas, président. Je relaie la demande de M. Tanguy : pouvez-vous nous transmettre les chiffres relatifs à l’évolution de l’approvisionnement en produits français depuis le début de votre mandat ? Ils seront distribués à chacun des membres ; il n’y a pas là sujet à polémique.

M. Stéphane Layani. Je vous les transmettrai, bien évidemment.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Monsieur Layani, vous disposez d’un statut particulier et d’importantes attributions territoriales et patrimoniales qui sont liés aux missions d’intérêt général ou d’intérêt public qui ont présidé à la création du MIN sous de Gaulle et Debré. Pouvez-vous nous préciser la nature de ces missions ainsi que les évolutions qu’elles ont connues ?

M. Stéphane Layani. Les MIN ont été créés par la loi et par le décret de 1962. Dans les années 1990, une disposition particulière a été intégrée au code de commerce pour préciser que les marchés de gros sont des services publics alimentaires qui ont pour objet de valoriser les productions agricoles et de permettre les échanges en fonction de l’offre et de la demande. La loi de 2015 a confirmé l’attribution par l’État d’une mission d’intérêt général.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Afin d’assurer la souveraineté alimentaire de la France, ces missions doivent-elles être, selon vous, précisées, modifiées, étendues ? Le nouveau projet que vous avez évoqué pourrait-il s’intégrer dans l’éventuel élargissement de ces missions ?

M. Stéphane Layani. Rungis et les marchés de gros sont les seuls services publics alimentaires à la disposition de l’État. Quel que soit leur mode de gestion, ils ont d’abord pour objet de s’assurer de l’approvisionnement régulier et continu des agglomérations. Ils visent également à permettre le négoce et l’échange de produits alimentaires dans un cadre transparent et selon des conditions commerciales propres à un marché. Ils ont, enfin, pour finalité de créer des infrastructures indispensables à l’exercice de ces activités. Aujourd’hui, le MIN de Rungis assume l’ensemble de ces fonctions.

Nous pourrions améliorer les textes sur trois points.

Premièrement, il faudrait ouvrir l’UGAP aux grossistes. Ainsi, les intendants de la restauration collective dans les écoles, les hôpitaux, les crèches, les prisons, les maisons de retraite pourraient facilement se fournir en produits français, locaux, bio et de qualité sans avoir à lancer eux-mêmes des marchés publics. Un tel système serait simple et réglerait l’éternel problème du non-respect des quotas de produits de qualité imposés par la loi Egalim.

Deuxièmement, pour surmonter l’aporie qui caractérise le système de la contractualisation obligatoire entre producteurs et grande distribution, il conviendrait de rendre obligatoire le recours à un tiers de confiance, tel que les marchés de gros, pour certains aliments, notamment les produits frais – évidemment, les produits de l’industrie agroalimentaire tels que le Nutella et le Coca-Cola ne seraient pas concernés.

J’ai constaté hier, à la lecture du Journal du dimanche, que Renaud Dutreil et Michel Biero défendaient peu ou prou le même point de vue que le mien. Pourquoi, en effet, imposer une discussion bilatérale alors qu’il serait plus simple de permettre aux enseignes de la grande distribution d’acheter directement des produits frais auprès des agriculteurs sur les marchés de gros ? Cela redonnerait de la valeur aux produits, ce dont bénéficieraient les agriculteurs.

Troisièmement, nous défendons le projet Agoralim, qui vise à reterritorialiser l’agriculture en Île-de-France, en restaurant des productions disparues telles que l’asperge d’Argenteuil ou la cerise de Montmorency. Au vu de l’ampleur des investissements nécessaires pour construire les infrastructures, il faudrait prolonger la mission de la SEMMARIS.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Avez-vous eu des échanges avec le Gouvernement ou d’autres autorités au sujet de ces propositions, avant ou après la crise agricole et l’examen du projet de loi d’orientation agricole ? Si c’est le cas, quelle a été leur réponse ?

M. Stéphane Layani. En tant que service public, nous échangeons en permanence avec les pouvoirs publics, aussi bien le département du Val-de-Marne, la région Île-de-France et la métropole du Grand Paris que l’État, y compris sur le projet Agoralim, qui jouera un rôle structurant dans la distribution de produits à l’échéance 2035-2040.

Je n’ai pas travaillé avec les pouvoirs publics, avant cette audition, sur la proposition consistant à permettre l’accès des grossistes à l’UGAP. De même, c’est votre commission d’enquête qui m’a fait penser qu’il faudrait ouvrir aux marchés de gros le colloque singulier entre la grande distribution et les producteurs.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous affirmez que ce sont les consommateurs qui choisissent, ce qui m’étonne. Certes, vous tenez compte de la demande, mais vous n’êtes pas, j’imagine, un acteur passif. Vous disposez d’un pouvoir de marché, vous choisissez l’offre. Vous mentionnez d’ailleurs des opérations de valorisation des produits du terroir. Comment concevez-vous votre rôle, en tant qu’offreur, pour améliorer la souveraineté alimentaire ? Eu égard à votre pouvoir de marché, que feriez-vous si on vous chargeait d’accroître le taux d’approvisionnement en produits français ? On peut imaginer que, compte tenu de la place que vous occupez dans l’alimentation de l’immense hinterland francilien, vous avez eu l’occasion, au cours de vos douze ans de mandat, d’œuvrer au rétablissement de filières en déshérence. Avez-vous échangé sur la souveraineté alimentaire avec votre prédécesseur ? L’approche en la matière a-t-elle évolué depuis le début des années 2010 ?

M. Stéphane Layani. J’ai beaucoup discuté avec mon prédécesseur – qui est malheureusement décédé la semaine dernière. Nous étions très proches et partagions la même compréhension du système.

Rungis est saturé, le taux d’occupation du marché excédant 98 %. Les 1 200 grossistes concessionnaires, qui sont les fournisseurs du MIN et les clients de la SEMMARIS, sont en concurrence pour revendre quotidiennement leurs produits à près de 25 000 clients. Comme toutes les sociétés gestionnaires de ce type de marché – c’est une caractéristique du système –, la SEMMARIS n’est pas en mesure de décider ce que l’on achète et ce que l’on n’achète pas.

Toutefois, conformément à notre conception de la gestion publique, nous nous sommes efforcés d’orienter les nouvelles entreprises qui arrivent à Rungis. Ainsi, lorsque la demande était au bio, nous avons créé le pavillon du bio, qui a constitué la première halle d’Europe dédiée à ce type de produits. Nous avons également développé l’offre de produits gastronomiques. À chaque fois que c’est possible, nous apportons notre concours. Ainsi, nous avons offert aux producteurs de viande française et au carreau des producteurs d’Île-de-France des surfaces supplémentaires et des outils adaptés à leurs besoins.

L’offre française s’est nettement améliorée depuis les années 2010. Pour poursuivre dans cette voie, nous construisons un référentiel avec l’Afnor (Association française de normalisation) afin de noter les produits en fonction de leur impact sur l’environnement, de l’origine des émissions de carbone, etc. J’ai décidé de favoriser, parmi les entreprises qui souhaitent s’installer à Rungis, celles qui respectent des critères d’origine, de qualité et de transport des produits, mais aussi de durabilité et de décarbonation des modes de production. Cette mesure est en train d’être mise en œuvre. Pour autant, nous ne disposons pas d’un outil qui permettrait d’interdire à une entreprise, fût-elle étrangère, de s’installer sur le marché de gros.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Si j’ai bien compris, vous n’avez pas de pouvoir de décision à l’égard des grossistes déjà installés à Rungis. Cela vous a-t-il gêné au cours de votre mandat, par exemple en présence de pratiques s’écartant de ce que vous estimez bon pour Rungis et le modèle français ? Souhaiteriez-vous que le législateur intervienne ou cela vous placerait-il en porte-à-faux ?

Dans quel cadre les concessions sont-elles attribuées ? Disposez-vous d’un pouvoir de sanction face à des comportements déviants ou insatisfaisants, notamment celui d’exclure une entreprise ?

Vous avez employé le terme de « système », qui est revenu à plusieurs reprises, dans la bouche de grossistes, d’intermédiaires et de distributeurs que nous avons auditionnés pour expliquer – ou excuser – un certain nombre de pratiques. Ces personnes nous ont affirmé qu’il y a toujours eu des arrangements, des façons de procéder, une absence de contractualisation dans certaines filières. Si les grossistes et les distributeurs considèrent que les transactions over the counter (de gré à gré) arrangent tout le monde, tel n’est pas l’avis des agriculteurs, qui estiment que l’on pourrait appliquer d’autres méthodes.

M. Stéphane Layani. Nous ne sommes pas privés de tout moyen d’action. La SEMMARIS est chargée de faire appliquer le règlement intérieur du MIN et assure le secrétariat du comité technique consultatif (CTC) placé auprès d’elle. Depuis 2012, nous avons adopté des règles pour garantir que le schéma commercial de Rungis corresponde aux attentes des consommateurs, en proposant davantage de produits français, locaux et bio. Toutefois, le marché étant occupé à 98 %, il est difficile de remplacer des concessionnaires qui y sont installés depuis une cinquantaine d’années.

Si cela correspondait véritablement à la volonté de la représentation nationale, il serait naturellement possible d’adopter des mesures en ce domaine. Toutefois, je me méfie des effets qu’aurait, sinon un Gosplan, du moins une action planificatrice sur un marché aussi considérable que celui de Rungis, qui, au demeurant, fonctionne bien et donne satisfaction aux consommateurs. D’après les dernières enquêtes, parmi les 89 % de Français qui connaissent Rungis, 93 % sont satisfaits des produits qui y sont vendus. Il me paraît plus important de garantir la diversité de l’offre que d’engager une action prétorienne.

Je ne suis pas opposé à la contractualisation, j’y suis même très favorable, mais celle-ci n’a pas la même valeur selon que les deux parties discutent d’égal à égal ou que l’une des deux a le pouvoir de fixer les remises, les promotions et les commissions logistiques. Un assuré se sent-il vraiment libre lorsqu’il signe avec une grande compagnie d’assurances un contrat d’adhésion qui comporte des milliers de clauses ? Je comprends que les agriculteurs soient attachés à la contractualisation, puisqu’elle leur garantit des revenus. Elle représente pour eux, dans de nombreux cas, un mal nécessaire, mais il faut garder à l’esprit ses effets négatifs.

Quatre ou cinq centrales d’achat disposent d’un pouvoir de monopsone – autrement dit, elles détiennent un monopole sur les achats. Les agriculteurs ne peuvent donc discuter avec elles sur un pied d’égalité. Le législateur est intervenu à juste titre au moyen des lois Egalim, qui ont fonctionné. Toutefois, si l’on veut garantir un revenu juste aux agriculteurs, il faudra recourir à d’autres modalités de fixation des prix que la contractualisation. Or, en économie, la loi de l’offre et de la demande est la plus solide à long terme.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le marché étant faussé, puisqu’il constitue un monopsone ou un quasi-monopsone, en quoi la loi de l’offre et la demande est-elle efficace ?

La contractualisation peut en effet être préjudiciable aux agriculteurs s’ils n’ont pas de pouvoir de négociation, notamment en présence de contrats très complexes. Nous pourrions toutefois envisager d’obliger les parties à conclure des contrats courts. Lors de leur audition, les représentants de Lidl ont vanté les mérites de ces derniers, critiquant implicitement les contrats de leurs concurrents, qui, par leur complexité, pénalisent les agriculteurs.

M. Stéphane Layani. Lorsqu’ils sont convoqués, une fois par an, pour fixer les prix avec les agriculteurs, les représentants de l’industrie agroalimentaire tirent les prix vers le bas, parce que les grandes et moyennes surfaces (GMS) fonctionnent grâce aux produits alimentaires de fond de rayon. La relation qu’ils entretiennent avec les GMS étant à sens unique, les producteurs sont contraints de mettre tous leurs œufs dans le même panier.

Dans les marchés de gros, en revanche, les producteurs, qui y sont parfois installés, y vendent leurs produits à une multitude d’acheteurs. Si les agriculteurs étaient réorientés vers ces marchés, ils pourraient diversifier leur clientèle et échapper à leur dépendance. Le fait d’avoir un grand nombre de clients confère une certaine liberté. En outre, en augmentant la part de produits agricoles transitant par les marchés de gros, nous réduirions notre dépendance alimentaire à l’égard de l’étranger.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). L’hebdomadaire Marianne a fait état de tentatives d’internationalisation du MIN. Si ces affirmations sont fondées, où en sont ces projets, quels objectifs visent-ils et quel intérêt présentent-ils pour la souveraineté alimentaire française ? J’aurais du mal à comprendre, eu égard à votre mandat, que vous choisissiez de vous tourner vers l’international et de partager vos pratiques avec d’autres pays.

La presse évoque notamment des tentatives d’internationalisation en direction de la Russie, entre 2014 et 2015. Ces affirmations sont-elles fondées ? Le cas échéant, le gouvernement de l’époque a-t-il soutenu ces démarches ou s’y est-il opposé ? Je rappelle qu’à l’époque, la souveraineté alimentaire était déjà une source de tension avec le régime russe qui, en réponse à des sanctions européennes, avait décrété un embargo sur des produits tels que le lait, les céréales ou les pommes, entre autres exemples.

M. Stéphane Layani. La question est légitime. Toutefois, je ne commenterai pas l’article de Marianne.

La SEMMARIS gère des infrastructures : elle construit des entrepôts sous froid, des routes, des péages, elle crée les conditions permettant au marché de Rungis de fonctionner. Le modèle de Rungis constitue une réussite enviée à l’international.

Nous exportons ce modèle d’infrastructure essentielle dans le monde entier. Cette politique donne de très bons résultats. Nous menons essentiellement une activité de conseil et vendons des études de faisabilité dans des pays en développement. À la demande des autorités locales, nous pouvons également fournir une assistance à la maîtrise d’ouvrage en vue de la construction d’une infrastructure essentielle. C’est dans ce cadre que nous avons développé un accord de licence qui donne lieu au versement de royalties.

Nous contractons avec la Chine, le Vietnam, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, Abou Dhabi et le Bénin. Au Bénin, nous sommes passés de l’étude de faisabilité à la construction d’un marché à proximité de Cotonou. Nous aidons nos collègues béninois à trouver les opérateurs qui permettront de le faire fonctionner. Il n’est évidemment pas question, dans ce cadre, d’importer ou de vendre des produits.

Il est vrai qu’en 2014 nous avons conclu un accord de licence avec le Premier ministre russe. Dans ce cadre, nous avons mené à son terme l’étude de faisabilité. Toutefois, après que la Russie a décrété un embargo qui portait notamment sur nos exportations de viande et de pommes, nous avons arrêté de travailler avec ce pays, à la demande des autorités françaises. Une fois l’accord échu, nous ne l’avons pas renouvelé.

M. Jean-Philippe Tanguy. Le modèle de Rungis étant un succès, on pourrait considérer que sa duplication dans des pays concurrents ou ennemis de la France est susceptible de conférer un avantage à ces derniers, même si elle ne donne lieu à aucun échange de produits. Quelle est la nature de vos relations avec le Maroc, pays certes ami de la France, mais aussi concurrent, à certains égards ?

Étiez-vous à l’initiative de la coopération avec la Russie, ou celle-ci répondait-elle à un souhait de l’un ou l’autre gouvernement ? La question n’est pas retorse : un pays peut être l’ami de la France en 2010 puis son adversaire en 2020.

M. Rodrigo Arenas, président. Je vous rappelle, monsieur Layani, qu’il convient d’aborder ces questions sous l’angle exclusif de la souveraineté alimentaire.

M. Stéphane Layani. Notre organisation fonctionne bien. Quand la France réussit, il est important de le faire savoir et d’exporter ses modèles. Cela ne signifie pas que les pays qui seront dotés de ce type d’infrastructures seront en mesure de nous concurrencer directement. Cela leur permettra simplement de gérer et de structurer leurs filières alimentaires comme nous le faisons nous-mêmes.

Comment ces collaborations se nouent-elles ? La plupart du temps, des délégations étrangères viennent en France et, sur le conseil des chambres de commerce ou du ministère, visitent le marché de Rungis. Elles en sont généralement impressionnées et reconnaissent que leur pays ne possède rien de tel. Nous leur proposons alors de les aider à se doter d’une organisation similaire.

La souveraineté alimentaire justifierait-elle de ne pas accompagner nos collègues étrangers qui souhaitent développer une infrastructure équivalente à la nôtre ? Je ne le crois pas. Il est normal, par exemple, qu’ADP exporte son savoir-faire en Turquie ou ailleurs.

Il me semble essentiel de promouvoir notre modèle de marché de gros, qui offre un confort aux autorités publiques et valorise sans doute mieux qu’ailleurs les terroirs français. Une centaine d’IGP, tels l’agneau de pré salé, le cresson de Méréville, le bleu de Termignon, auraient disparu si elles n’avaient pas été valorisées par le MIN de Rungis. Notre modèle et notre réseau les protègent. Souvent, un lien très fort unit l’agriculteur à son commissionnaire, son concessionnaire ou son grossiste ; leur relation ne se résume pas à une question d’argent. Rungis est indispensable aux secteurs des fruits et légumes, du fromage, du poisson et de la viande fraîche ; plus généralement, il est indispensable à la souveraineté alimentaire française.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Pourriez-vous nous communiquer, sous un délai relativement bref – nos travaux touchant bientôt à leur fin – vos taux d’importation par produit sur dix ans ?

M. Stéphane Layani. Je vous les fournirai sans difficulté.

M. Rodrigo Arenas, président. Le développement de « mini-Rungis » en Île-de-France vous paraît-il souhaitable ? Permettrait-il d’assurer l’approvisionnement d’établissements publics tels que les écoles et les Ehpad par le recours à la commande publique ? Par ailleurs, cela pourrait-il contribuer à reconstituer une ceinture de maraîchage et d’élevage qui a disparu sous l’effet de l’étalement urbain ?

M. Stéphane Layani. Si nous souhaitons reterritorialiser l’agriculture en France, il est nécessaire de faire revivre la production maraîchère. Celle-ci a disparu de l’Île-de-France au profit des cultures de céréales et de betterave. Le carreau des producteurs d’Île-de-France a beau traiter 60 % des productions de la région, celles-ci ne représentent que 2,5 % des besoins alimentaires des Franciliens. Nous nous efforçons de valoriser l’offre locale grâce aux plateformes Agoralim et Agoralim direct. D’autres méthodes existent, auxquelles nous sommes ouverts ; la région Île-de-France crée par exemple des légumeries pour la restauration collective et les cantines scolaires.

Pour remédier à la « diagonale du vide » qui existe en région, il importe de créer davantage de petits marchés de gros, au-delà des vingt-cinq existants. C’est ainsi que les commerces de proximité se revitaliseront. Nous souhaitons investir en ce sens en différents points du territoire, dont l’Île-de-France ; nous avons un projet assez proche de ce que vous suggérez mais il serait prématuré de le dévoiler. La logistique est un volet essentiel de la souveraineté alimentaire : il faut trouver le produit, le sourcer et l’acheminer vers le consommateur. Dans un contexte marqué par la saturation des canaux, il faut trouver d’autres méthodes pour fournir la ville.

M. Rodrigo Arenas, président. Si ce type de réseau voyait le jour, il serait soumis à la commande publique, qui diffère de la contractualisation traditionnelle. Serait-ce soutenable économiquement ?

M. Stéphane Layani. À Rungis, nous pensons qu’il vaut mieux entretenir des relations commerciales régulières et apaisées que de recourir à la contractualisation. Les grossistes du MIN traitent, tout au long de l’année, avec les mêmes producteurs. Il n’est nul besoin de dramatiser les négociations, comme d’autres le font, à tel point qu’ils doivent faire appel à un médiateur des négociations commerciales. Personne ne réclame l’institution d’un médiateur des marchés de gros !

M. Rodrigo Arenas, président. Les règles de la commande publique ne contreviendraient pas, selon vous, au modèle traditionnel du MIN de Rungis ? Elles sont à vos yeux complémentaires des vôtres et seraient acceptables pour tous ?

M. Stéphane Layani. Oui. Les grossistes tels que Pomona, Sysco, Transgourmet et Metro pratiquent la contractualisation, et nous sommes prêts à le faire.

Pour ce qui est de la restauration collective, il existe une solution simple, qui est de lui donner accès à l’UGAP, laquelle lancerait des appels d’offres pour son compte. Ainsi, dans les spots que nous aurions choisis, les restaurants collectifs pourraient s’approvisionner sur les marchés de gros. Ils choisiraient les produits sur catalogue, ce qui résoudrait la difficile question de la provenance des denrées.

M. Rodrigo Arenas, président. Monsieur Layani, nous vous remercions. Si vous disposez de compléments d’information, n’hésitez pas à nous les faire parvenir en sus des documents que vous vous êtes engagés à nous transmettre.

 

La séance s’achève à dix-neuf heures cinquante.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Rodrigo Arenas, M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, Mme Joëlle Mélin, M. Serge Muller, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. – M. Charles Sitzenstuhl, Mme Mélanie Thomin