Compte rendu
Commission spéciale
chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement
des malades et de la fin de vie
– Audition du Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé, et du Dr Pierre Gabach, adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service des bonnes pratiques 2
– Présences en réunion..................................7
Mardi
23 avril 2024
Séance de 18 heures 30
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo,
présidente
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La réunion commence à dix-huit heures quarante.
La commission spéciale auditionne le professeur Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé, et le docteur Pierre Gabach, adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service des bonnes pratiques.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons les représentants de la Haute Autorité de santé, qu’il nous importe d’entendre à propos de la substance létale et sur le sujet du court et du moyen terme.
Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé. La Haute Autorité de santé a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Elle a pour mission d’évaluer la qualité du système de santé selon trois valeurs cardinales : l’indépendance, la rigueur scientifique et la transparence. Ses trois domaines d’activité sont l’évaluation des technologies de santé, des médicaments, des dispositifs et des actes médicaux, ainsi que les recommandations de bonne pratique, et enfin l’évaluation des établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux.
Les travaux de la Haute Autorité sont régis par des dispositions législatives, en particulier l’article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale qui lui confie vingt-deux missions. L’article 18 du projet de loi ajoute une vingt-troisième mission consistant à élaborer des recommandations de bonne pratique relatives aux substances létales. L’article 6, quant à lui, rappelle l’ensemble des critères requis pour entreprendre une démarche d’aide à mourir. Il introduit la notion de pronostic vital à court ou moyen terme.
La Haute Autorité dispose d’une expertise sur ces sujets. Elle a déjà produit des recommandations sur les modèles de directive anticipée, les soins palliatifs et, dans la préparation de la loi Claeys-Leonetti, la sédation profonde et continue. Aujourd’hui, elle est appelée à se prononcer, d’une part sur les bonnes pratiques dans l’utilisation des substances létales, et d’autre part sur la définition du moyen terme, puisque la ministre de la santé lui a demandé d’éclairer les professionnels de santé sur ce point. En revanche, la Haute Autorité n’a vocation ni à se substituer au débat sociétal, ni à aborder la question éthique consubstantielle à l’évaluation de la qualité du système de santé.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je souhaite entendre votre avis sur la pertinence des conditions d’éligibilité à l’aide à mourir. J’aimerais aussi vous interroger sur la procédure d’aide à mourir développée au chapitre 3 du titre II du projet de loi. Enfin, avez-vous des préconisations sur la composition et le rôle de la commission de contrôle et d’évaluation ?
M. Didier Martin, rapporteur. Quelle évaluation faites-vous de l’usage des directives anticipées qui, de l’avis général, ne donne pas satisfaction ? Par ailleurs, les parlementaires qui ont évalué la loi Claeys-Leonetti ont rencontré des difficultés à connaître les modalités de la sédation profonde et continue. Que pouvez-vous en dire ? Enfin, pour revenir à notre projet de loi, nous avons besoin de votre expertise sur le plan personnalisé d’accompagnement.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Ma première question porte sur l’article 6 qui pose comme critère d’éligibilité à l’aide à mourir une affection grave ou incurable engageant le pronostic vital à court ou moyen terme. Estimez-vous nécessaire d’inscrire un délai dans le projet de loi, voire de citer les affections concernées ?
Quant à l’aptitude de la personne à manifester sa volonté libre et éclairée, pensez-vous les garanties apportées par le projet de loi nécessaires et suffisantes ? Comment évaluer le libre consentement ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. La Haute Autorité serait-elle en mesure de produire des recommandations sur la procédure collégiale d’aide à mourir, comme elle l’avait fait en 2018 sur les substances létales ? Selon quels arguments la Haute Autorité a-t-elle recommandé une évaluation psychologique ou psychiatrique du patient, avec le consentement de celui-ci ?
Concernant les alinéas 7 et 8 de l’article 11, pensez-vous pertinent de définir, pour les professionnels de santé présents lors de l’administration de la substance létale, la conduite à tenir en cas de difficulté ? Cette conduite doit-elle tendre à hâter le décès ?
Enfin, revient-il à la Haute Autorité de définir les critères d’évaluation par les médecins de la volonté libre et éclairée ? La question de la compétence ou de l’expertise se posera-t-elle lorsqu’il reviendra à un infirmier d’évaluer cette volonté, dans le cas où aucun médecin n’est présent ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. La Haute Autorité dispose-t-elle de tous les éléments pour évaluer, aux côtés de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les substances létales utilisées pour l’aide à mourir ? Les représentants de l’Ordre des pharmaciens ont soumis l’idée d’une définition du produit létal. L’estimez-vous pertinente et, si oui, avez-vous une suggestion ? Enfin, que penseriez-vous d’une codification de la sédation profonde et continue ?
Pr Lionel Collet. Les critères d’éligibilité à l’aide à mourir, définis à l’article 6, me paraissent extrêmement précis. La Haute Autorité a contribué à définir le court terme, qui est simple et se rapporte à l’état physiologique du patient : son décès est une question de jours. En revanche, la Haute Autorité ayant été saisie seulement hier de la question du moyen terme, elle ne saurait produire immédiatement une définition. Celle-ci n’existe pas, actuellement, dans le droit comparé à l’échelle internationale. Nous allons devoir formuler une définition originale, ce qui ne va pas sans difficulté.
À titre personnel, madame Maillart-Méhaignerie, je ne suis pas favorable à l’inscription d’un délai dans la loi. J’estime qu’il revient aux professionnels de santé de l’apprécier au cas par cas. Fixer un délai mènerait à des imprécisions, voire des contentieux.
Je ne puis répondre aux questions sur l’évaluation des directives anticipées et de la sédation profonde et continue. La Haute Autorité n’a pas pour mission d’effectuer une veille et un suivi de ce type de dispositifs.
Il convient de donner au terme de substance létale une définition précise. D’ailleurs, il est complété, dans le projet de loi, par l’expression « destinée à entraîner le décès rapidement ». Il reviendra à la Haute Autorité de s’assurer que ces substances produiront l’effet désiré tout en préservant la qualité des derniers moments de la personne, c’est-à-dire en lui épargnant toute souffrance.
Dr Pierre Gabach, directeur adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service des bonnes pratiques. La Haute Autorité élabore des recommandations seulement lorsqu’elle est saisie d’une question. Ces recommandations sont établies de manière collective : 80 à 100 personnes, représentant tous les courants de pensée scientifiques, sont impliquées dans la réunion d’un consensus menant à une recommandation. La saisine sur le moyen terme est intervenue hier ; la recommandation de la Haute Autorité sera publiée à la fin de l’année 2024.
Je considère, à titre personnel, qu’une codification de la sédation profonde et continue est nécessaire, de même que la mise en place d’un dispositif de suivi. Concernant le plan personnalisé d’accompagnement, j’estime qu’il doit consister en une déclinaison spécifique du plan personnalisé de coordination des soins, sur lequel la Haute Autorité a publié en 2019 une recommandation qui servira de base à celle qu’elle émettra sur le plan personnalisé d’accompagnement.
Pr Lionel Collet. En réponse à la question de madame Maillart-Méhaignerie sur l’opportunité de mentionner les pathologies, je pense qu’il ne faut pas restreindre la réflexion aux affections les plus couramment citées – certains cancers, des maladies neurodégénératives et des insuffisances cardiaques ou respiratoires graves. De nombreuses autres affections correspondent à l’exigence d’une maladie incurable et d’un pronostic vital engagé à moyen terme. Il serait préjudiciable que des pathologies soient éliminées par une formulation rigoriste alors qu’elles répondent aux critères de l’article 6 du projet de loi.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. J’aimerais une réponse à ma question sur la commission de contrôle et d’évaluation.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous rappelle, messieurs, que vous pourrez apporter des précisions complémentaires par écrit si nécessaire.
Pr Lionel Collet. Notre groupe de travail s’appuiera sur l’expérience de certains pays en avance sur ces questions.
M. Jean-Pierre Pont (RE). L’article 7 du projet de loi précise que le patient sera informé sur son état de santé, l’évolution des traitements et les dispositifs d’accompagnement. Ces derniers concernent-ils la phase finale ?
Le texte évoque l’ingestion et l’injection comme les deux modes d’administration de la substance létale. Pensez-vous qu’il faille apporter davantage de précision ?
Mme Natalia Pouzyreff (RE). J’aimerais connaître vos recommandations en matière de coordination entre les services. Pensez-vous nécessaires une révision et un élargissement du dispositif d’appui à la coordination ? Faut-il accorder plus de centralité aux équipes mobiles ? Quelle garantie apporter pour la prise en charge pluridisciplinaire au moment où le diagnostic est posé ?
Mme Marie-France Lorho (RN). Comment expliquer le faible recours aux directives anticipées en dépit d’une meilleure communication depuis 2005 ? Comment améliorer leur visibilité dans le dossier du patient ? Enfin, quelle est leur légitimité depuis que le Conseil constitutionnel a jugé, en 2022, qu’elles pouvaient ne pas être respectées ?
M. René Pilato (LFI-NUPES). Disposez-vous de données concernant la souffrance réfractaire à mettre en rapport avec la question du moyen terme ?
M. Philippe Juvin (LR). Un rapport rédigé en Oregon a fait état de la très relative efficacité d’un protocole comprenant un mélange valium, digoxine, morphine, tricycliques ou bêta-bloquants, et phénobarbital. Considérez-vous un tel protocole satisfaisant ? À partir de combien de temps estimez-vous qu’un professionnel de santé doit intervenir, lorsque la mort tarde à venir ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Les directives anticipées semblent ignorées dans la procédure d’aide à mourir. Pensez-vous que celles qui sont établies dans les mois précédant une éventuelle dégradation cognitive du patient peuvent être prises en compte ?
M. Laurent Panifous (LIOT). La collégialité inscrite à l’article 8 du projet de loi vous satisfait-elle ? Quelle appréciation portez-vous sur les procédures prévues pour recueillir l’avis des différents professionnels ?
M. Sébastien Peytavie (Écolo-NUPES). Dans la mesure où les députés sont tenus d’examiner le projet de loi en séance publique à partir du 27 mai, ils doivent être éclairés dès à présent sur la notion de moyen terme. Pourriez-vous livrer quelques éléments de définition, bien que la Haute Autorité ait été saisie sur ce sujet tout récemment ?
M. Jean-François Rousset (RE). Concernant le mode d’administration de la substance létale, il faut envisager son efficacité mais aussi penser aux professionnels amenés à accomplir cet acte. Ne serait-il pas judicieux de mentionner dans la loi que la perfusion, éventuellement mise en œuvre par le patient lui-même s’il en est capable, est le mode d’administration à privilégier ?
Mme Brigitte Liso (RE). Serait-il possible que le délai de validité de trois mois après l’acceptation de l’aide à mourir puisse être assoupli et renouvelable, compte tenu de la difficulté à définir un délai à moyen terme ?
M. Gilles Le Gendre (RE). Je regrette que nous ayons à nous prononcer sur ce projet de loi alors que l’éclairage de la Haute Autorité sur le moyen terme n’interviendra qu’en fin d’année. Par ailleurs, je découvre avec étonnement que la question de la substance létale n’est pas réglée. Pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont sera défini le protocole épargnant les souffrances connexes, et nous confirmer que le choix de la substance n’est pas arrêté ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Est-il pertinent de poursuivre l’examen du projet de loi en l’absence d’une définition claire du moyen terme ?
Mme Annie Genevard (LR). J’aimerais savoir ce que vous inspire l’article 8 selon lequel le second médecin peut émettre un avis sans avoir vu le patient. Ensuite, que penser de la possibilité de déléguer à un tiers la réitération d’une demande d’aide à mourir ? Enfin, quel est votre avis sur l’administration de la substance létale par une personne désignée par le malade ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Le législateur est appelé à se prononcer sur la loi sans que la composition du produit létal soit déterminée. Quelles informations pouvez-vous communiquer sur ce point ?
La prescription et l’administration d’un produit létal seront-elles considérées comme des actes médicaux entrant dans la nomenclature générale des actes professionnels alors que, selon l’étude d’impact, l’euthanasie et le suicide assisté ne sont pas, juridiquement et éthiquement, des actes médicaux ?
Pr Lionel Collet. Je considère le terme d’administration adapté, et il ne revient pas à la Haute Autorité de se prononcer plus avant en préconisant tel ou tel mode d’administration.
Les expériences internationales ont montré que certains protocoles d’aide à mourir n’entraînent pas une mort aussi rapide que souhaitée. Il s’agit d’une situation très différente de la sédation profonde et continue. Le but de celle-ci, tel qu’il apparaît dans la loi Claeys-Leonetti, est de conduire à un niveau de conscience épargnant la souffrance jusqu’au décès naturel. Sa mise en œuvre ne saurait, à mon sens, être étendue au-delà du court terme, c’est-à-dire de quelques jours. Sur le moyen terme, la Haute Autorité sera tenue de recommander une manière d’utiliser une substance létale qui évite la souffrance et provoque la mort dans les délais les plus brefs.
Concernant les directives anticipées, la logique du texte qui vous est soumis est très claire. Elle suppose que le malade puisse être en mesure de formuler un avis éclairé jusqu’au moment de l’administration du produit létal. La Haute Autorité n’a pas à se prononcer sur le maintien ou non de cette disposition.
Dr Pierre Gabach. La Haute Autorité aura pour difficile tâche de se prononcer sur le choix des produits létaux et sur les méthodes d’administration. Cependant, je rappelle qu’elle se déterminera en fonction de ce qui aura été écrit dans la loi.
Nous ne disposons pas d’élément permettant d’évaluer le recours aux directives anticipées. À l’évidence, il est faible. Il nous apparaît nécessaire de forger des outils de communication entre les professionnels et des outils de coordination des soins, notamment informatiques. Notre pays accuse un certain retard sur ce point. Ces questions, d’ailleurs, devraient être anticipées dans la loi.
À propos de la douleur réfractaire, la sédation profonde n’est pas toujours continue ; elle peut être transitoire. La recommandation de la Haute Autorité décrit précisément les échelles de douleur dont se servent les médecins. Par ailleurs, pour la sédation profonde et continue, la Haute Autorité a validé la possibilité de recueillir l’avis d’un second médecin à distance et à partir des données transmises par le premier médecin.
Mme Annie Genevard (LR). Vous n’avez pas répondu sur la possibilité de déléguer l’administration de la substance létale à un membre de la famille.
Pr Lionel Collet. Cette question relève de la recommandation sur les bonnes pratiques. Elle sera examinée dans ce cadre. Je n’ai pas répondu non plus à la question sur la nomenclature, parce qu’elle ne relève pas de notre périmètre.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie pour ces échanges.
La réunion s’achève à dix-neuf heures trente.
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Excusé. – M. Raphaël Gérard