Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des coordinatrices d’intimité : Mme Monia Aït El Hadj, Mme Paloma Garcia Martens, Mme Najoua Ferréol et Mme Noëmy Soffys 2
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des directeurs de casting de l’association des directeur.rice.s de casting (ARDA) : M. David Bertrand et Laurent Couraud, co-présidents ; Mme Béatriz Coutrot, Mme Julie David, Mme Julie Gandossi, directrices de casting et M. Emmanuel Thomas, directeur de casting 18
– Présences en réunion................................39
Jeudi
30 mai 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 5
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Erwan Balanant,
Président de la commission
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La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission procède à l’audition de coordinatrices d’intimité : Mme Monia Aït El Hadj, Mme Paloma Garcia Martens, Mme Najoua Ferréol et Mme Noëmy Soffys.
M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour remédier à cette situation que nous déplorons tous. L’un des aspects majeurs de cette commission concerne l’accompagnement des scènes touchant à l’intimité sur les tournages.
Dans un premier temps, nous allons vous laisser vous exprimer sur un propos liminaire. Ensuite, la rapporteure Francesca Pasquini et moi-même poserons une série de questions, suivies éventuellement par celles de nos collègues. Nous nous donnons environ une heure pour cette discussion.
Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier, comment vous l’imaginez, comment vous le vivez et quelles difficultés cette jeune profession peut rencontrer ?
Cette audition est ouverte à la presse et est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues dans une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité Je vais vous inviter, une par une, à activer votre micro et à lever la main droite en disant : « Je le jure. »
(Mme Monia Aït Hadj, Mme Paloma Garcia Martens, Mme Najoua Ferréol et Mme Noëmy Soffys prêtent serment.)
Mme Noëmy Soffys, coordinatrice d’intimité. Je suis coordinatrice d’intimité depuis environ un an et demi. Cependant, ce n’est pas mon premier métier. Initialement, j’étais directrice de casting, profession que j’exerce depuis 2012 en région Auvergne-Rhône-Alpes. Je travaillais également sur les plateaux de cinéma en tant que chargée de figuration depuis cette même année. Ce nouveau métier de coordinatrice d’intimité m’est apparu en 2023 grâce à une série de Netflix qui a sollicité mes services en raison de mon expérience auprès des comédiens, acquise sur près de quinze ans. Mon parcours inclut aussi du coaching, notamment en sophrologie, discipline dans laquelle je me suis formée. Après cette première collaboration avec Netflix, les événements se sont assez enchaînés rapidement, mais j’ai pris le temps de me former sur les questions de violence dans le cinéma. Je suis également devenue secouriste en santé mentale et, grâce à des formations américaines, j’ai appris les processus et protocoles nécessaires aux bonnes pratiques de ce métier. Toutefois, j’observe des différences notables entre la pratique à l’étranger et celle qui prévaut en France.
Mme Najoua Ferréol, coordinatrice d’intimité. Je suis coordinatrice d’intimité depuis plus de deux ans. À l’origine comédienne et réalisatrice, j’ai beaucoup travaillé dans le théâtre et à la réalisation de courts-métrages et d’un documentaire. Mon parcours vers la coordination d’intimité a débuté par hasard. Alors que je préparais un film, le réalisateur m’a demandé d’assumer cette responsabilité en raison de mon expérience en tant que coach d’acteurs et que metteur en scène. J’ai ainsi été amenée à préparer des jeunes femmes pour une scène de rapprochement intime entre femmes. À l’issue de cette expérience, on m’a vivement conseillé de me diriger vers cette profession. J’ai commencé par suivre de petits modules de formation aux États-Unis, puis j’ai obtenu une certification avec IDC Professional. Principalement dispensée par des comédiens, comédiennes, maîtres d’armes et autres professionnels du métier, elle m’a permis d’acquérir des compétences spécifiques. Cependant, je tiens à souligner que ce que j’ai appris n’est pas entièrement adapté au contexte du cinéma français. En effet, bien que de nombreux aspects soient similaires, l’approche américaine est davantage axée sur la dimension juridique, dimension moins présente en France. Je pense que notre travail repose avant tout sur la nuance et l’écoute, et se rapproche davantage du coaching et de l’approche de l’humain.
Mme Paloma Garcia Martens, coordinatrice d’intimité. Je travaille dans le milieu du cinéma depuis 2009. J’ai occupé divers postes, notamment dans l’habillage, le costume, et j’ai également été comédienne. Entre 2021 et 2022, je me suis formée à la coordination d’intimité auprès de plusieurs organismes anglo-saxons. Ce rôle présente de nombreux défis en France, en raison d’une méconnaissance généralisée et d’une minimisation des risques associés aux scènes de sexe. Un tabou persiste autour de la vulnérabilité des acteurs dans ces scènes.
De plus, un vide réglementaire et juridique entoure l’encadrement de celles-ci en France. Dans les pays où des protocoles ont été instaurés, ces derniers sont soutenus par des syndicats puissants, qu’il s’agisse de syndicats d’interprètes ou du secteur cinématographique. Ils possèdent une puissance suffisante pour interrompre des tournages en cas de problème. Ils mettent à disposition des hotlines, des lignes d’écoute spécifiques pour les interprètes, permettant ainsi de suspendre les tournages, si nécessaire. Ce levier est extrêmement important. En France et en Belgique, en revanche, aucun syndicat ne dispose d’un tel pouvoir. Le fonctionnement des productions est entièrement différent, tout comme l’économie du secteur, en raison d’un apport significatif de fonds publics. Contrairement à l’industrie anglo-saxonne, l’économie du cinéma en France repose sur des mécanismes distincts, et les leviers de pouvoir se situent à des endroits différents, ce qui engendre des défis spécifiques. La perception du risque est autre également, car la francophonie n’aborde pas cette notion de la même manière que les Anglo-Saxons. Qu’il s’agisse de risques financiers, de réputation ou même physiques sur un plateau, les Anglo-Saxons, avec leur culture juridique, sont plus enclins à engager des poursuites pour mauvaise pratique ou pour mise en danger. Ils sont beaucoup plus protocolaires et mettent en avant ces aspects en raison des impacts potentiels sur leur réputation, leur capital, les pertes financières ou les assurances. En France, au contraire, nous considérons le métier du cinéma plus comme un artisanat que comme une industrie, avec de nombreuses spécificités qui nous permettent de dépasser les lois de protection des travailleuses et des travailleurs. Il existe une véritable culture informelle du travail dans ce secteur, que ce soit sur les scènes ou dans la manière dont nous traitons les corps des personnes vulnérables. Il y a un déni de cette vulnérabilité et, comme nous n’avons ni la culture ni le problème des Anglo-Saxons, aucune réglementation ne nous incite à résoudre cette question. C’est ainsi que j’interprète le problème actuel.
Mme Monia Aït El Hadj, coordinatrice d’intimité. Je suis coordinatrice d’intimité depuis quatre ans. J’ai d’abord exercé comme juriste avant de me réorienter vers le cinéma. Après avoir terminé une école de cinéma, j’ai découvert ce métier aux États-Unis en 2018-2019 et j’ai décidé de m’y former. Comme ce n’était pas possible en France, je me suis formée auprès d’un organisme américain. J’ai été la première à exercer cette profession en France et j’ai dû convaincre les productions françaises de son utilité, mais j’ai rencontré beaucoup de réticences, car ceux qui connaissaient ce métier le considéraient comme typiquement américain. On me disait souvent : « Nous n’avons pas cette mentalité anglo-saxonne, un peu puritaine. Nous n’avons pas les mêmes problèmes, le corps et l’intimité ne sont pas des tabous pour nous. » J’ai donc ressenti beaucoup de réticences au départ. Les premiers à me faire confiance ont été Netflix, car ils connaissaient déjà ce métier aux États-Unis et utilisaient déjà des coordinateurs et des coordinatrices d’intimité. Grâce à eux, j’ai pu développer mon réseau et commencer à travailler.
Au début, je travaillais principalement pour des productions étrangères en France. Aujourd’hui, la situation commence à s’inverser. Les difficultés que j’ai rencontrées en France ne sont pas liées à l’adaptation de pratiques anglo-saxonnes, car avec l’arrivée des plateformes et le développement des séries, les méthodes de travail techniques tendent à se ressembler. Le véritable obstacle réside dans la mentalité. En France, l’auteur-réalisateur détient les pleins pouvoirs et il est très compliqué de négocier certaines demandes ou le refus de certaines scènes. Il est même compliqué de solliciter la présence d’une coordinatrice ou d’un coordinateur d’intimité. On part du principe que, comme chacun possède son intimité propre, il est simple de la reproduire sur un plateau de tournage. Les comédiens, souvent vulnérables, souhaitent travailler et, si vous refusez, d’autres accepteront de réaliser ce que vous ne voulez pas faire. Il est donc difficile de poser des limites dans notre secteur, surtout lorsque le réalisateur a les pleins pouvoirs. Refuser peut entraîner une mise à l’écart ou un remplacement par quelqu’un d’autre. Cependant, je constate une différence entre mes débuts et aujourd’hui. Il est vrai que notre métier reste largement méconnu, malgré l’adoption, lors du dernier festival de Cannes, d’un texte par les partenaires sociaux du cinéma. Ce texte prévoit l’intervention d’un ou d’une coordinatrice d’intimité pour toutes les scènes intimes. Néanmoins, nous rencontrons encore de nombreux techniciens qui ne connaissent pas notre métier.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce métier est relativement récent. Pourriez-vous nous expliquer brièvement son origine et comment il est arrivé en France ? En effet, vous avez des pratiques qui sont encore récentes. J’ai également compris qu’il n’existe pas de formation spécifique à ce métier en France et que vous vous êtes tournées vers les pays anglo-saxons pour vous former. Existe-t-il une formation commune dans ces pays anglo-saxons ?
Vous avez évoqué la différence de pratiques entre la France et l’étranger. Il est intéressant de comprendre que cette différence découle du fait que, dans les pays anglo-saxons, elles s’inscrivent dans un cadre juridique bien établi, avec des contrats, ce qui n’est pas le cas en France. Vous offrez plutôt un accompagnement aux acteurs et aux actrices. Concrètement, je voudrais savoir comment cela se passe lorsque vous arrivez sur un plateau de tournage. Qui demande votre présence ? Les acteurs et les actrices engagés, la production ou les réalisateurs ? Par exemple, Madame Garcia Martens, vous avez travaillé avec Iris Brey sur Split, et c’était à sa demande que vous étiez présente. Lorsque vous intervenez sur un tournage, êtes-vous présente depuis la lecture du scénario jusqu’à la fin du tournage ?
De plus, comme nous avons pu le comprendre à travers vos interventions, ce métier est-il perçu comme dérangeant en France ? En effet, vous avez un droit de regard et pouvez demander des modifications de certaines scènes en fonction des échanges avec les personnes impliquées. Est-il facile pour vous de travailler dans ce contexte ? Les réalisateurs et metteurs en scène, qui ont souvent le plein pouvoir, acceptent-ils toujours votre présence sur un tournage ?
Mme Monia Aït El Hadj. Il y a beaucoup de questions.
M. le président Erwan Balanant. Je vous propose de commencer par y répondre. Il est possible que nous nous réservions le droit de vous relancer et de vous demander des précisions. J’ai déjà des questions sur les aspects juridiques, mais je les poserai au fur et à mesure, en fonction des cas concrets.
Mme Monia Aït El Hadj. Vous mentionnez un accompagnement orienté vers les comédiens. Ce n’est pas tout à fait exact, car il existe une différence entre le coaching et la coordination. Nous ne sommes pas des coachs d’acteurs. Chacun peut avoir sa propre méthode, mais notre objectif est de développer cette profession en tant que coordination. Nous soutenons aussi bien la mise en scène que les comédiens et les comédiennes, en coordonnant avec tous les départements d’un projet les aspects d’intimité ou de nudité. Il ne s’agit pas simplement de coacher les comédiens et de leur indiquer comment jouer des scènes d’intimité. C’est un point que je considère comme assez important.
Concernant la genèse de ce métier, il est vrai qu’il a été officiellement créé en 2018 dans les studios HBO aux États-Unis. Le système de production américain diffère complètement du système français. Aux États-Unis, toutes les productions sont réalisées par de grands studios, tandis qu’en France, il existe une multitude de petites sociétés de production, ce qui modifie considérablement le rapport de force. Ce métier a été créé officiellement pour la deuxième saison de la série The Deuce, où l’actrice principale ne souhaitait plus être en relation directe avec son metteur en scène pour les scènes d’intimité. Par la suite, il a bénéficié de la visibilité apportée par le mouvement #MeToo et l’affaire Weinstein. Il existait déjà auparavant, mais pas sous une forme officielle. Ce que nous faisons aujourd’hui était auparavant réparti entre différents départements, comme les costumes ou la mise en scène, chacun essayant de se débrouiller comme il pouvait.
Mme Paloma Garcia Martens. Le recours à nos services dépend de la raison pour laquelle on fait appel à nous. Le projet avec Iris Brey illustre une volonté politique et artistique très claire de travailler avec la coordination d’intimité. Dans ce cadre, c’est la réalisatrice ou le réalisateur qui sollicite notre intervention auprès de sa production et prend contact avec nous. Dans ce cas, nous sommes souvent appelés dès l’écriture du scénario pour apporter notre regard sur certaines scènes en tant que consultants. Il est important de comprendre que notre rôle ne consiste pas à modifier un scénario. Nous coordonnons l’information et partageons avec la production les limites des comédiens et des comédiennes, et elle décide ensuite de les prendre en compte ou non. Nous proposons des solutions, mais nous ne signons pas les scénarios. Nous ne détenons pas de pouvoir décisionnel. Notre seul pouvoir réside dans nos recommandations. Nous ne sommes pas productrices et nous n’avons pas la capacité d’arrêter un tournage ou d’empêcher un comédien ou une comédienne de montrer une partie de son corps qu’il ou elle avait initialement décidé de ne pas exposer. Ainsi, notre seul pouvoir actuel est de quitter un projet si nous ne pouvons plus garantir un minimum de sécurité, même si la sécurité absolue n’existe pas. Nous intervenons en tant que conseillères.
M. le président Erwan Balanant. Qui vous emploie ? Est-ce le comédien, la comédienne ou la production ? Le droit français est explicite : en tant qu’employeur, on doit garantir la protection, la sécurité et la santé de son employé. Si c’est la comédienne ou le comédien qui vous emploie, un problème se pose, car il n’existe pas de lien de subordination entre la production et l’employé de la production, à savoir le comédien ou la comédienne. En revanche, si vous êtes employé par la production, vous êtes en situation de subordination avec une délégation de tâches du producteur. Comment cela se passe-t-il concrètement ? C’est une question importante, puisque notre objectif, en tant que législateurs, est de créer un cadre légal adapté à la réalité des tournages français, car nous savons bien que la structuration de l’économie et de l’industrie cinématographique française diffère de celle des États-Unis.
Mme Francesca Pasquini, rappporteure. Qui vous rémunère ? Aux États-Unis, les scènes sont encadrées en amont par des contrats. Cela confère-t-il davantage de pouvoir et cela permet-il, contrairement à la France, de refuser non seulement de quitter le lieu de tournage, mais aussi d’imposer que le tournage ne se déroule pas de cette manière ?
Mme Noémy Soffys. Dans un monde idéal, le scénario est écrit, les scènes sont détaillées, et on peut anticiper ce qui sera tourné. Cela permet de discuter en amont dans un but de sécurisation des scènes. Je travaille dans le milieu du cinéma depuis presque quinze ans et, depuis de nombreuses années, notamment après la période Covid, j’observe une augmentation des tournages qui commencent sans scénario abouti. Même en casting, je rencontre fréquemment des scénarios où nous devons présenter des comédiens en essai pour des scènes non dialoguées. Ce problème s’étend également à la contractualisation des scènes d’intimité, où il est essentiel de définir très clairement ce qui sera tourné.
M. le président Erwan Balanant. Je comprends bien, mais qui vous emploie aujourd’hui ?
Mme Monia Aït El Hadj. Notre lien de subordination est avec le producteur, car il existe une distinction entre celui qui souhaite notre présence sur un plateau et celui qui établit notre contrat de travail. Or, dans 100 % des cas, le contrat de travail est conclu entre nous et le producteur. Même si la demande d’intervention d’une coordinatrice d’intimité émane d’une comédienne ou d’un réalisateur, c’est toujours le producteur qui nous rémunère. En France, le milieu artistique a du mal à comprendre que le producteur est l’employeur, y compris pour les comédiens et comédiennes, et qu’il a une obligation de sécurité envers tous, ce qui inclut notre métier. Nous ne sommes jamais employés par un comédien, une comédienne ou toute autre personne.
M. le président Erwan Balanant. On pourrait aussi imaginer qu’une comédienne ou un comédien ayant une certaine notoriété, engagé sur un tournage important, puisse bénéficier de l’accompagnement d’un coach travaillant en collaboration avec vous.
Mme Monia Aït El Hadj. En effet, et souvent, les comédiens et comédiennes disposent de répétiteurs ou de coachs. Cependant, ces professionnels interviennent généralement en amont, lors de la préparation, et ne sont pas fréquemment présents dans l’intimité du tournage. En tout cas, je n’ai jamais croisé quelqu’un qui faisait cela.
M. le président Erwan Balanant. Avez-vous déjà travaillé sur la réécriture de contrats pour intégrer explicitement les scènes d’intimité et établir un consentement écrit, avec des scènes précisément décrites ? Vos contrats incluent-ils des descriptions détaillées comme : « scène I, intérieur jour, baiser » ?
Mme Monia Aït El Hadj. Non, et aux États-Unis, il n’en va pas non plus ainsi car les clauses liées à la nudité ne se trouvent pas dans le contrat, mais dans un autre document, appelé nudity rider, qui est une annexe au contrat principal. Il est donc erroné de penser qu’aux États-Unis, lorsqu’un comédien signe son contrat, toutes les clauses d’intimité sont déjà incluses. Cela ne fonctionne pas de cette manière.
M. le président Erwan Balanant. D’accord, mais il existe une clause avec la description.
Mme Monia Aït El Hadj. Non, l’annexe en question n’est pas incluse au moment de la signature du contrat. Elle intervient ultérieurement. Les syndicats ont obtenu que cet avenant soit obligatoirement signé au moins quarante-huit heures avant le tournage de la scène d’intimité. Cela change tout. Vous pouvez signer votre contrat de comédien aujourd’hui et, si la scène d’intimité est prévue dans trois mois, vous n’avez pas besoin d’avoir dès maintenant tous les détails de cette scène dans le contrat initial. Cela figurera dans le nudity rider.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quand un acteur reçoit le scénario, quel est le détail aux États-Unis des scènes d’intimité qu’il devra jouer dans le film ? Qu’est-il indiqué ?
M. le président Erwan Balanant. Supposons que je sois embauché pour un film et que je découvre ensuite une scène dans laquelle je doive être violé. Dans ce cas, je n’aurais peut-être pas signé le contrat.
Mme Monia Aït El Hadj. Selon les scénarios, certaines scènes d’intimité sont très détaillées, tandis que d’autres le sont moins. Il est seulement indiqué : « Ils font l’amour passionnément. » Or cette expression ne signifie rien de précis en termes de nudité ou de position. Nous devons donc détailler ces aspects. Cela fait souvent partie de nos discussions, et c’est pour cette raison que nous sommes ici. Nous demandons à la mise en scène de préciser ce qu’elle entend par cette scène.
Mme Noëmy Soffys. Une comédienne dont je ne mentionnerai pas le nom a une clause de non-nudité dans chacun de ses contrats. Cette clause est respectée pour chaque production qu’elle entreprend, ce qui ne l’empêche pas de participer à des scènes d’intimité, tant que cette condition est respectée. Cependant, même avec cette clause de non-nudité inscrite dès le départ, des tensions peuvent surgir sur le tournage. Au nom de la création, certaines situations peuvent se produire, et cette comédienne a été perçue comme une diva lorsqu’elle a affirmé que, selon les termes de son contrat, elle ne montrerait pas sa poitrine. Le réalisateur a bien compris la situation et n’a pas insisté sur le moment. Toutefois, pour les besoins du film, il a pris des plans où elle apparaissait poitrine dénudée, en lui garantissant de ne pas les utiliser dans le montage final. Or il s’est avéré qu’elle s’est retrouvée par hasard en salle de montage avec la chef-monteuse et a constaté que ces rushs allaient être montés. Elle a dû se battre une seconde fois en personne face à la chef-monteuse – j’insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une femme et non d’un homme. À ce moment, elle a été littéralement insultée. La chef-monteuse soutenait que ces rushs étaient indispensables à la qualité du film. Ainsi, même si une clause est inscrite dans le contrat, la question se pose : que peut faire une jeune comédienne lorsqu’elle intervient en salle de montage pour dire qu’elle ne veut pas que ce soit monté ? Quelle sera la conséquence sur sa carrière ? C’est toute la question et tout l’enjeu.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. J’aimerais comprendre la différence de pratiques entre un ou une coordinatrice d’intimité aux États-Unis et en France. Cette question me semble importante, car certaines mesures appliquées aux États-Unis ne peuvent être mises en place ici, alors qu’elles le sont aux États-Unis. Cependant, même là, il existe des limites, car les scènes ne sont pas toujours décrites en profondeur. Quels sont vos souhaits pour améliorer l’exercice de cette profession en France ? Exprimez-vous librement. Partagez vos observations sur les tournages, en indiquant ce qui, selon vous, mérite d’être amélioré. Donnez-nous des exemples concrets de bonnes et de mauvaises pratiques pour que nous puissions mieux comprendre la situation.
Mme Paloma Garcia Martens. La différence entre les pratiques aux États-Unis, au Canada et en France réside principalement dans l’attention portée aux nudity riders qui doivent être signés quarante-huit heures à l’avance. Aux États-Unis, nous sommes en contact permanent avec les agents et les protocoles de plateau fermé sont bien mieux respectés qu’en France, en raison d’un rapport différent aux protocoles et à l’autorité. Dans cette structure hiérarchique, nous nous situons en dessous de la productrice exécutive ; nous jouons un rôle satellite, mais clairement identifié comme tel. Nous avons également plus de latitude pour dire à un réalisateur ou une réalisatrice : « Écoute, les limites du rider ne sont pas respectées, il faut changer. » Parfois, nous disposons de plus de temps pour des pratiques de l’ordre du coaching, bien que cela dépende des situations. En France, je travaille personnellement avec des preuves écrites. Nous n’avons pas d’annexes de contrat, sauf exception comme avec Split, en raison de la volonté d’Iris Brey, mais ce n’était pas légalement nécessaire. En revanche, j’écris en amont les limites des comédiens et comédiennes de manière très claire. Je mets en copie le réalisateur, les producteurs, les assistants à la mise en scène et les départements concernés, afin qu’il existe une preuve écrite des accords établis et que tout le monde soit en phase sur ce que l’on fait ou pas. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir de flexibilité en fonction du consentement de la personne. J’insiste sur le fait que le consentement peut être modifié jusqu’au moment du tournage. Nous trouvons des solutions, car un contrat sexuel est de toute façon illégal. Il est essentiel de comprendre qu’une annexe de nudité signée ne constitue pas une obligation de tourner la scène. Elle sert avant tout de protection pour les interprètes, leur évitant ainsi l’ajout de scènes imprévues à la dernière minute. Elle protège également la production, en leur permettant d’utiliser une doublure pour les actes que l’interprète, bien qu’ayant initialement accepté, ne souhaite plus réaliser. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas d’une obligation d’achat. Je le rappelle aux producteurs et aux productrices : cette mesure vise à protéger les interprètes.
M. le président Erwan Balanant. C’est aussi pour protéger la production : si les choses sont cadrées, on ne perd pas de temps, il n’y a pas d’accident de tournage, etc.
Mme Paloma Garcia Martens. Il existe une grande différence entre cette clause de nudité non respectée et d’autres aspects. Le problème principal réside dans l’absence de pratique du consentement sur les plateaux de cinéma, et plus largement dans la société. Sur un plateau, la responsabilité se dilue. On nous convoque et on nous attribue toutes les responsabilités, alors qu’il ne m’appartient pas d’éduquer tout le monde à la bienveillance et à la bienséance. Nous nous retrouvons souvent dans des situations où il est nécessaire de rappeler à une personne en position de pouvoir que son statut empêche ses subordonnés d’exprimer clairement leurs limites. Or je ne suis pas moi-même en position de pouvoir dans ce contexte.
Il n’existe pas de solution miracle, mais plusieurs mesures peuvent être envisagées. Premièrement, il est essentiel d’éduquer sur la nature réelle de notre rôle. Deuxièmement, il faut établir des règles claires concernant les modalités et le cadre de notre engagement. Troisièmement, une éducation permanente sur la résolution des conflits sur un plateau est indispensable, ainsi que sur la manière de prendre soin de son bien-être, y compris psychologique. Le burn-out, les problèmes d’addiction et les horaires intenables sont des réalités dans le milieu du cinéma, rendant difficile le maintien d’une vie de famille saine. La santé mentale en souffre considérablement. Les comédiens et comédiennes présentent une santé mentale cinq à dix fois pire que la population générale. Et cela ne concerne pas que les acteurs ; les techniciens et techniciennes sont également touchés. Nous évoluons dans une bonbonnière où les problèmes sont niés et minimisés, et où la responsabilité est diluée. Je suis heureuse de constater que ce problème est pris à bras le corps, mais les solutions actuelles demeurent insuffisantes. Nous n’éduquons pas les personnes sur les plateaux et nous ne leur fournissons pas d’outils concrets pour résoudre les conflits et respecter leurs limites. Nous déléguons constamment la responsabilité. La hiérarchie est extrêmement forte et puissante, et les conséquences en sont dramatiques. Les listes noires existent bel et bien. Des comédiens et comédiennes m’ont confié que leurs agents leur ont demandé de taire les violences qu’ils avaient subies. Ces agents, pourtant censés les représenter et soutenir leurs intérêts, leur demandent de se taire pour le bien du film, mais en réalité pour préserver leur propre portefeuille et garantir que leurs clients puissent être réengagés. J’ai eu des témoignages de comédiennes me rapportant que certains comédiens les ont menacées de viol sur le plateau, devant tout le monde. Lorsqu’elles ont contacté leurs agents, ceux-ci leur ont répondu de garder cela pour elles, de passer à autre chose et d’aller boire un café. Voilà où nous en sommes.
M. le président Erwan Balanant. Cela explique peut-être le peu d’entrain qu’ont suscité chez les victimes un certain nombre de nos convocations.
M. Michaël Taverne (RN). Dans les pays anglo-saxons, il existe un véritable encadrement des pratiques. On ne fait pas ce que l’on veut. Je reprends vos propos : en France, il y a un déni de vulnérabilité. L’auteur-réalisateur détient tous les pouvoirs. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de valoriser davantage votre fonction, qui semble méconnue, et de mettre en place un cadre juridique pour mieux protéger les acteurs ? Actuellement, la situation est assez anarchique. Aux États-Unis, par exemple, les scènes intimes sont détaillées et il existe une obligation de prévenir quarante-huit heures à l’avance, ce qui n’est pas le cas en France. Pensez-vous qu’une évolution du cadre juridique serait bénéfique pour mieux protéger les acteurs et éviter des situations problématiques ? La carrière est une chose, mais le choc psychologique est, à mon avis, bien plus important. Estimez-vous qu’il faille encadrer juridiquement ces dispositifs de manière plus stricte ?
M. Emeric Salmon (RN). Si j’ai bien compris, vous vous êtes formées de manière autodidacte, en vous inspirant des pratiques observées aux États-Unis. Je ne sais pas si vous avez effectué un séjour là-bas pour étudier ces méthodes. Ne serait-il pas pertinent de mettre en place des formations en France pour développer davantage votre métier ? Avez-vous des suggestions à ce sujet, peut-être par le biais de syndicats professionnels ou par vous-mêmes, étant donné votre expérience dans ce domaine ?
Vous avez mentionné la différence de judiciarisation entre les États-Unis et la France. Aux États-Unis, dès qu’un problème survient, il y a un procès, ce qui peut parfois sembler excessif à nos yeux. Pourriez-vous approfondir l’intérêt de cette judiciarisation ? En France, comme vous l’avez souligné, la situation semble plus permissive et moins judiciarisée.
M. le président Erwan Balanant. Si vous avez des exemples de procès aux États-Unis sur ces sujets, cela peut être intéressant.
Mme Graziella Melchior (RE). Vous êtes peu nombreuses en France, probablement en raison de l’absence de formations spécifiques. Je partage la préoccupation de mon collègue à ce sujet. Je pense également que, dans un budget de production cinématographique, le financement de votre travail reste relativement modeste. Cela ne devrait donc pas dissuader un producteur de faire appel à vos services. Les conséquences d’un manque d’accompagnement étant considérables, il est crucial de souligner l’importance de votre rôle. Nous avons compris que vous intervenez en amont du projet, notamment sur le scénario. Cependant, vous avez également évoqué la post-production. Vous sembliez indiquer que vous n’étiez pas toujours impliquées dans le montage final. Votre contrat est-il strictement limité à la période de tournage ou est-il prévu que vous interveniez au-delà ?
Mme Najoua Ferréol. Notre métier n’est pas reconnu dans la convention collective. Lorsque nous sommes sollicitées, c’est souvent par la production et nous avons le statut de conseillers techniques à la mise en scène. Nous intervenons uniquement pour les scènes spécifiques, bien que nous soyons parfois consultées au préalable sur le scénario et les scènes en question. En ce qui me concerne, on me fournit les scènes et on me demande de les analyser. Mon rôle consiste à identifier les moments qui n’ont pas été suffisamment étudiés. Par exemple, des scènes impliquant des contacts physiques, comme embrasser un enfant, ne sont pas toujours considérées comme relevant de l’intimité. Je mets ces éléments en exergue. Je rencontre ensuite la production et le réalisateur. Selon les moyens de la production, nous discutons longuement de notre rémunération, ce qui peut ressembler à une négociation commerciale. Par la suite, je suis présente uniquement lorsque la préparation de la scène nécessite une chorégraphie que nous élaborons avec les comédiens. Nous travaillons en laboratoire sur la manière de réaliser la scène. Il ne nous appartient pas de dicter la manière de jouer la scène, mais nous proposons des exercices qui permettent aux comédiens de découvrir par eux-mêmes des techniques et des ressorts pour ces scènes. Enfin, je suis présente le jour du tournage de la scène, généralement en retrait.
Je sais que notre position est délicate et parfois mal perçue. Je me présente donc toujours en amont pour que l’on sache que je ne suis pas une pièce rapportée. Je me définis comme un filet de sécurité, intervenant uniquement en cas de problème. Ce n’est pas à moi d’interrompre les scènes, mais aux comédiens de signaler un souci, qu’il s’agisse d’une pause nécessaire pour respirer, boire un verre, rediscuter la scène ou en raison d’un geste non conforme aux protocoles établis. J’ai également demandé à être présente lors des montages. Certains réalisateurs ont accepté, mais je n’étais pas rémunérée pour cela, c’était presque à titre amical. En revanche, pour les grosses productions sur lesquelles j’ai travaillé, on m’a simplement refusé l’accès, estimant que je n’avais pas à intervenir.
Mme Paloma Garcia Martens. En ce qui concerne la judiciarisation, je ne suis pas convaincue qu’il faille adopter un modèle américain. Toutefois, il est impératif qu’il y ait des conséquences et des répercussions en cas de débordements. Une forme de réparation collective est également nécessaire. Est-ce que cela doit passer par une procédure judiciaire ? Je n’en suis pas certaine. En revanche, disposer de règlements et d’outils à utiliser en collectivité me semble plus utile car, entre la loi et la pratique, le fossé est souvent important. Il est donc préférable de se concentrer sur ce qui aura un impact direct sur le terrain.
En ce qui concerne les contrats, les nudity riders et la spécificité des scénarios, je pense qu’il s’agit d’une fausse bonne idée. Je suis favorable aux avenants aux contrats, car il est essentiel d’établir des limites en amont, comme un cadre. Cependant, exiger qu’un scénario soit extrêmement détaillé avant le tournage me semble irréaliste. Un scénario est un texte de travail qui évolue de manière organique, ce qui est tout à fait normal. Imposer une telle exigence risquerait de nous mettre toute l’industrie à dos et de nous décrédibiliser. Il serait plus utile de faire signer des avenants et de garantir la présence d’une coordinatrice ou d’un coordinateur d’intimité, qui pourrait s’entretenir individuellement avec chaque comédien. Si une scène n’est pas très détaillée, la coordinatrice d’intimité pourrait demander des précisions en amont indiquant les limites générales de chaque comédien. Il est également important de reconnaître que ces limites peuvent évoluer le jour même du tournage. La présence de la coordinatrice d’intimité est essentielle pour veiller au respect de ces limites. Pour moi, l’essentiel réside dans la pratique. La présence d’une coordinatrice d’intimité est primordiale. Il est nécessaire de signer des documents, mais ceux-ci devraient être plus généraux pour ne pas entraver les metteurs en scène ou les comédiens et comédiennes. À la fin, ces derniers doivent pouvoir dire : « Je suis tout à fait à l’aise avec cela », et nous devons pouvoir nous adapter en cas de besoin.
Concernant les formations, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Il est essentiel de créer une formation française, francophone, car il est prohibitif de se former aux États-Unis. J’ai déboursé dix mille euros pour ma formation, et je n’ai plus un sou. Je continue à me former, cela ne s’arrête jamais. Cependant, ces formations sont en anglais, ce qui exclut les personnes ne maîtrisant pas parfaitement cette langue. À quoi bon former des personnes qui n’auront pas de travail ou qui se disputeront des miettes, faute de réglementation incitant les productions à les engager ? Nous risquons de nous retrouver avec des coordinatrices d’intimité prêtes à tout pour conserver leur emploi. Cela signifie une perte d’impartialité, car elles feront ce qu’on leur demande, y compris de la mise en scène. C’est un grand danger, car elles risquent de faire n’importe quoi. Il faut d’abord instaurer des réglementations et une formation, éventuellement une certification, qui prennent en compte les acquis et les compétences. Nous devons éviter un système élitiste où seules les personnes ayant les moyens financiers pourraient accéder à ces formations. La première étape est donc la réglementation et l’éducation.
M. le président Erwan Balanant. Sur ce sujet, nous partageons une vision commune. Hier, nous avons constaté que les responsables des enfants adoptent une démarche similaire à la vôtre. L’idée est que cette obligation va devenir impérative. Cependant, notre rôle consiste également à encadrer cette obligation. Vous avez mentionné la distinction entre la loi et la pratique, mais la réglementation est une forme de loi et il est nécessaire de la structurer. En réalité, un écosystème doit se créer autour de cette question. Concernant le rôle de coordinatrice d’intimité, il est évident que vous ne pouvez pas être perçues comme les méchantes sorcières sur le tournage, qui empêchent le tournage de se dérouler. Tout cela doit s’articuler avec les autres métiers impliqués dans la sécurité et la santé de l’ensemble de l’écosystème.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il est évident que ce métier présente de nombreuses difficultés. Un élément m’a particulièrement marquée, madame Ferréol, lorsque vous avez pris la parole. Vous préparez les scènes avec les comédiens en amont et, lors du tournage, si le niveau de consentement initialement convenu et travaillé avec vous n’est plus respecté, c’est au comédien ou à la comédienne de signaler qu’il ou elle n’est plus d’accord. Par ailleurs, quelle est votre relation avec les référents harcèlement qui sont présents sur les tournages ?
Mme Najoua Ferréol. Le moment du tournage est particulièrement délicat. En tant que comédienne, je peux en témoigner. C’est une période où les exigences sont nombreuses, et le temps, étant de l’argent, impose une grande rapidité d’exécution. Parfois, des incidents, voire des accidents peuvent survenir. Dans le feu de l’action, la mise en scène peut décider d’ajouter des éléments imprévus, ce qui peut dévier du plan initialement convenu. Je suis consciente de ces imprévus et j’essaie de les gérer en intervenant directement avec le réalisateur lorsque cela est possible. Cependant, cette intervention est toujours complexe. Notre position est délicate, nécessitant nuance et discrétion. Lors de mon travail préalable avec les comédiens et comédiennes, je leur rappelle qu’ils ont la liberté, au moment de jouer, de signaler si quelque chose ne leur convient pas. Généralement, cela se traduit par un geste pour arrêter la scène et en discuter. Discuter sur le plateau est toujours difficile, car le temps est compté. Nous évoluons dans un univers où la diplomatie est essentielle. Les comédiens ont ce droit, car nous préparons les scènes à l’avance, en les considérant comme des chorégraphies.
En tant que comédienne, je suis profondément ancrée dans le mouvement et le corps. Mon expérience dans le sport et les nombreuses connaissances que j’ai acquises sur le corps et le mouvement m’ont appris que la préparation des scènes nécessite de nombreux exercices. Ceux-ci sont ensuite stylisés et, par le mouvement, désexualisés. Dans mes séances, j’essaie d’apprendre aux comédiens et comédiennes à se toucher, notamment lorsque le toucher est nécessaire. Cela implique une série d’exercices variés. Je m’adapte constamment, car ce qui fonctionne pour une personne peut ne pas fonctionner pour une autre. Nous restons toujours dans le domaine de l’humain. C’est pourquoi j’attends avec impatience ces journées de travail autour des scènes. Nous travaillons toujours à partir de la scène, et mon approche se concentre exclusivement sur le physique. Mon rôle consiste à protéger l’émotionnel tout en me focalisant sur le physique.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce qui m’intéresse, c’est la possibilité pour un comédien de refuser une scène, qu’elle soit convenue ou non. Vous êtes sur le tournage en tant que coordinatrice d’intimité, vous avez discuté de cette scène et vous connaissez les limites des comédiens. Cependant, il arrive que, malgré les accords initiaux, un comédien ne souhaite plus tourner la scène comme prévu. Quel pouvoir a un comédien ou une comédienne de dire non ? Et quel rôle joue le coordinateur ou la coordinatrice d’intimité pour soutenir ce refus, même si la scène avait été convenue auparavant ?
Mme Monia Aït El Hadj. Personnellement, je ne cherche pas à être discrète sur un plateau, bien au contraire. J’ai de nombreuses conversations préalables avec les comédiens et comédiennes, ce qui me permet de connaître leurs limites, même si celles-ci peuvent évoluer. Le jour J, des modifications peuvent survenir. Par exemple, si une modification intervient et que je sais déjà que mon comédien m’a exprimé une limite précise, je dois être capable d’aller voir le réalisateur pour rééquilibrer cette relation déséquilibrée. Si un comédien éprouve des difficultés à dire non et que je n’interviens pas, je perds mon utilité. Je peux alors dire au réalisateur : « Écoute, il m’avait dit qu’il ne voulait pas montrer ses fesses, trouvons un plan B ou un plan C, discutons d’une alternative. » Jusqu’à présent, je n’ai jamais rencontré de réalisateur insistant pour voir les fesses d’un comédien, mais cela pourrait arriver. Il est donc essentiel que je sois capable de rappeler les limites exprimées par les comédiens. Bien entendu, je n’ai pas le pouvoir d’interdire ou d’arrêter une scène. Cependant, j’ai l’obligation d’informer la production, le premier assistant et d’autres personnes disposant de ce pouvoir, afin qu’ils puissent dire au réalisateur : « Voilà les limites, comment procédons-nous ? »
M. le président Erwan Balanant. Là, dans la chaîne de hiérarchie du cinéma, vous allez voir le premier assistant ?
Mme Monia Aït El Hadj. Non, parce qu’il y a une différence entre le plateau et après, dans la hiérarchie, bien entendu, c’est le producteur.
M. le président Erwan Balanant. Vous allez voir le producteur, si jamais ça tourne mal.
Mme Monia Aït El Hadj. Bien sûr, mais sur un plateau, il n’est pas présent tous les jours. Donc, il a un représentant qui est le directeur de production.
M. le président Erwan Balanant. Ma question portait sur le rôle du premier assistant réalisateur. Vous avez mentionné qu’il restait, mais ce n’est pas la production, ce n’est pas la même chose.
Madame Paloma Garcia Martens. Le premier assistant ou la première assistante est responsable de la sécurité sur le plateau. C’est pourquoi nous avons pour mission d’intervenir dès que nous constatons un problème. Bien que nous n’ayons pas l’autorité d’un producteur ou d’une productrice pour arrêter le tournage, nous pouvons nous adresser au metteur en scène ou à la metteuse en scène et, si nécessaire, au premier assistant ou à la première assistante.
Il est important de souligner que la formation est essentielle dans notre métier. Bien que le mouvement et l’aspect physique occupent une partie de notre travail, 80 % de notre rôle concerne la communication, la diplomatie et la pédagogie. Il s’agit de savoir comment aborder un metteur en scène ou une metteuse en scène qui se bat depuis cinq ans pour réaliser son film avec des moyens limités et pour qui chaque scène est d’une importance capitale. Dans ce contexte, il est crucial de gérer des situations où le tournage coûte trois cent mille euros par jour et de dire que quelque chose ne va pas. Nous devons également être formées à la gestion des conflits et à la reconnaissance du consentement non verbal. Il est essentiel de détecter si une personne n’est pas en mesure de donner son consentement, ce qui nécessite une formation spécifique. Bien que nous n’ayons pas le pouvoir d’un producteur ou d’une productrice, nous possédons des compétences et une expertise qui nous permettent, si nécessaire, de quitter le plateau.
M. le président Erwan Balanant. Si vous quittez le plateau, c’est toujours un peu compliqué, parce que c’est un échec.
Mme Paloma Garcia Martens. Lorsqu’on travaille en tant que régleur de cascades, il est impératif de garantir la sécurité des acteurs et des cascadeurs. Prenons l’exemple d’une séquence où un personnage doit tomber d’une voiture et rouler au sol. Après une analyse de risque, il est convenu qu’il faut installer un matelas au sol, ainsi que des genouillères et des jambières pour protéger les participants. Tout le monde est d’accord sur ces mesures de sécurité. Cependant, une fois sur le plateau, la production peut décider de les ignorer, estimant que les protections ne sont pas nécessaires pour le plan. Dans ce cas, la santé physique du cascadeur, de la cascadeuse ou même du comédien est mise en danger. En tant que régleur de cascades, je symbolise la sécurité sur le plateau. Si je ne peux pas garantir cette sécurité, je refuse de faire semblant. Il est essentiel de montrer à la production que je ne suis pas là pour simplement obtenir un label de sécurité sans substance. Si mes recommandations ne sont pas respectées, je préfère quitter le projet, car la responsabilité incombe alors à la production. Il est impossible de résoudre tous les problèmes de sécurité sur tous les projets. Je refuse de travailler sur des projets où mes recommandations ne sont pas prises en compte, car cela met en danger les participants. Ma réputation et mon poste sont en jeu. On se demandera à quoi sert une coordinatrice d’intimité si elle ne peut pas protéger les personnes vulnérables. Le seul pouvoir que nous avons est de partir lorsque les conditions de sécurité ne sont pas respectées.
M. le président Erwan Balanant. Vous avez été formées et avez visionné de nombreux films comportant des scènes d’intimité. Pourriez-vous citer des exemples de films ? Évidemment, celui de Marlon Brando et de Maria Schneider est bien connu, illustrant un abus extrême. Quelles autres scènes de cinéma impliquant de la nudité sont connues pour s’être déroulées dans des conditions désastreuses pour les acteurs et l’équipe de tournage ? Il y en a plusieurs, mais qu’en est-il récemment ? Cette question est un peu dérangeante, mais elle est importante pour que chacun prenne conscience que certaines scènes, que l’on imagine comme étant d’une beauté absolue et de grandes réussites cinématographiques, sont en réalité des sources de souffrance terrible pour les acteurs et les actrices.
Mme Paloma Garcia Martens. On peut déjà citer La Vie d’Adèle. J’étais présente sur le tournage en tant qu’habilleuse costumière. Je ne parlerai pas à la place des comédiennes, mais elles ont déjà exprimé que cela avait été douloureux et difficile. Cependant, certains éléments sont intéressants, comme dans les années 1960, avec le film Roméo et Juliette où deux comédiens de 14 ans ont été trompés. On leur a dit qu’ils devaient se dénuder, mais que ce ne serait visible qu’en transparence, en contre-jour. Finalement, leurs corps nus ont été exposés et ils ont porté l’affaire devant les tribunaux, sans obtenir gain de cause. Il s’agissait de mineurs dans les années 1960. De plus, il y a l’exemple de Sharon Stone dans Basic Instinct. Le réalisateur lui avait fait croire qu’elle devait enlever sa culotte car celle-ci reflétait la lumière et que ce serait mieux sans. Elle a donné son consentement, mais celui-ci était vicié, car elle ignorait la véritable raison de cette demande. Elle l’a très mal vécu, au point de presque perdre, voire de perdre la garde de son enfant, car cela avait été perçu comme posant un problème de moralité. Ces incidents ne sont pas isolés. Il est important de comprendre que les comédiens et comédiennes parlent très rarement de ces expériences. Par exemple, pour La Vie d’Adèle, les révélations sont intervenues des années après. La majorité des comédiens avec qui je travaille ont des histoires d’horreur à raconter, mais ce sont des récits qui ne peuvent être partagés ici.
Mme Noëmy Soffys. Au-delà de mentionner des films célèbres qui attirent l’attention de tous, il est important de souligner que de nombreuses violences ordinaires ne se situent pas forcément là où on les imagine. Dans les récits que je peux entendre, il existe également beaucoup de violences émotionnelles et psychologiques, qui ne sont pas nécessairement liées à la nudité. Bon nombre de comédiens m’ont raconté que la violence se manifestait aussi par des jouissances simulées, par exemple sur les tournages, où on leur demande de produire des sons, d’imiter des situations intimes, de reproduire des comportements qu’ils ont avec leurs conjoints. Ces situations, bien que ne relevant pas de la nudité, sont extrêmement traumatisantes et peuvent sérieusement pénaliser leur carrière professionnelle par la suite. Il est vrai que l’attention se porte souvent sur les grandes stars dont tout le monde parle, mais il existe également des violences ordinaires sur tous les plateaux de tournage. Ces abus résultent souvent de maladresses, en raison d’un manque de préparation ou d’une méconnaissance de la manière de gérer ces scènes. Les réalisateurs peuvent être mal à l’aise avec ces situations, ce qui ne signifie pas qu’ils sont malveillants. Il est important de noter qu’il existe beaucoup de bonne volonté et un désir de bien faire, mais simplement une absence de savoir-faire. L’industrie n’est pas entièrement mauvaise ; il y a vraiment de bonnes personnes qui tentent de mettre en place des conditions correctes pour toute l’équipe.
M. le président Erwan Balanant. Nous n’en doutons pas, bien évidemment. Nous cherchons simplement à pointer certains aspects, mais nous sommes des amoureux du septième art et nous savons qu’il recèle de très belles choses, de très belles histoires.
Mme Noëmy Soffys. Pour que nous soyons acceptés en tant que coordinateurs d’intimité sur un plateau de tournage, il est essentiel d’obtenir l’adhésion de toute l’équipe. À cet effet, il faut tenir compte des conditions de tournage extrêmement difficiles dans lesquelles nous évoluons. Nous faisons face à une surcharge d’heures supplémentaires, une pression psychologique intense et une fatigue considérable. Les heures supplémentaires ne sont pas toujours rémunérées et les tournages démarrent parfois sans scénario, plaçant les équipes sous une pression constante. Pour obtenir l’adhésion de l’ensemble des équipes, que ce soit sur les questions des violences sexistes et sexuelles, la protection des acteurs ou les enjeux écologiques, il est impératif de repenser le travail et le travailleur sur le plateau.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Comment définiriez-vous l’intimité ? Et comment cette notion est-elle préservée dans un scénario et lors d’un tournage ? Jusqu’à présent, nous avons surtout évoqué des tournages impliquant des adultes. Cependant, votre définition de l’intimité pourrait également suggérer que votre présence est nécessaire sur des tournages avec des mineurs.
Mme Monia Aït El Hadj. La notion d’intimité est assez subjective et varie selon chaque individu, chaque projet, la nationalité des comédiens et comédiennes, ainsi que la mise en scène. Il existe néanmoins des standards internationaux incluant la nudité, qu’elle soit partielle, totale ou en transparence, les actes de sexualité simulée, les contacts physiques et d’autres interactions entre adultes et enfants qui ne relèvent pas de la sexualité, comme un câlin, un toucher ou une mère allaitant son bébé. L’intimité peut également concerner une personne ayant des cicatrices ou une personne portant un voile et devant travailler cheveux découverts. Nous nous adaptons à la manière dont chaque comédien ou comédienne perçoit son intimité. Travailler l’intimité sur un projet français diffère d’un projet japonais ou africain. En ce qui concerne les mineurs, il existe un vide juridique. Bien que le travail des mineurs soit soumis à une commission de la DRIEETS, celle des enfants du spectacle, aucune réglementation spécifique ne traite de l’intimité. Nous devons souvent négocier avec la mise en scène pour déterminer ce que les mineurs peuvent ou non faire. Les producteurs sont tenus de soumettre un dossier à cette commission lorsqu’ils font appel à des mineurs, mais il arrive fréquemment que ce ne soit pas la version finale du scénario qui soit soumise. La commission doit statuer sur la moralité du rôle, mais la moralité en termes d’intimité reste très vague et dépend largement de la commission. Cette dernière est souvent débordée, notamment en région parisienne, et ne dispose pas toujours des dernières versions des scripts. Rien n’est précisé concernant ce que les mineurs peuvent jouer en termes d’intimité et de nudité. C’est à nous qu’il revient de fixer des limites, bien que ce ne soit pas à la coordination d’intimité de le faire. Et ce serait beaucoup plus simple si un texte disait : en dessous de 16 ans, pas de sexualité simulée, pas de nudité de telle partie et telle partie. Ce serait vraiment plus simple.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Nous évoquons des notions, non des définitions précises. Ce qui m’a conduit à cette réflexion, c’est votre intervention. Si nous disposions d’une définition claire de ce que pourrait être l’intimité, en fonction des âges et des publics, peut-être le lien entre maladresse et intention serait-il plus facile à établir.
Mme Noémy Soffys. La définition de l’intimité restera toujours relativement large et il est essentiel, comme dans tous les métiers, de s’adapter au projet. Par exemple, j’ai récemment été sollicitée pour encadrer une comédienne qui, selon le scénario, aura 15 ans, mais qui en réalité en a 18. Elle devra jouer des difficultés émotionnelles importantes. La productrice m’a clairement indiqué que nous serons dans une notion d’intimité bien plus vaste que sa simple intimité personnelle. L’engagement et l’implication dans le rôle nécessitent également la présence d’une coordinatrice ou d’un coordinateur d’intimité dans des contextes inattendus. Il est nécessaire de faire preuve d’intelligence collective lors de la lecture d’un projet. Par exemple, une accolade entre frères et sœurs ne nécessite pas forcément de la coordination d’intimité, même s’il y a un contact physique. En revanche, une scène avec une forte implication émotionnelle, même sans nudité ou contact physique, peut nécessiter une telle coordination. J’appelle donc au bon sens. Il est crucial d’encadrer les choses, car les personnes ont besoin de directives claires. Cependant, il ne faut pas oublier que le bon sens est la base d’un travail collectif sain dès le départ.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Avez-vous l’habitude de travailler également dans le spectacle vivant, la mode, la publicité ?
Mme Monia Aït El Hadj. J’ai travaillé pour l’Opéra national de Paris et l’Opéra comique. Notre profession doit absolument se développer dans le monde du spectacle vivant. Les discussions que j’ai souvent avec ces productions révèlent que les théâtres nationaux, étant subventionnés, disposent des moyens nécessaires. Cependant, il existe une différence notable entre l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel et celle du spectacle vivant. Nous, nous évoluons dans une véritable industrie. En matière de budget, notre secteur dispose de ressources financières conséquentes. Ainsi, lorsque les producteurs abordent ce sujet avec moi, je ne considère pas que ce soit un problème. Certes, il s’agit d’une ligne budgétaire supplémentaire, mais le cinéma et l’audiovisuel bénéficient d’un soutien significatif.
M. le président Erwan Balanant. Pour le spectacle vivant, c’est un peu plus compliqué.
Mme Monia Aït El Hadj. C’est beaucoup plus compliqué et le système de subvention n’est pas aussi étendu que pour le cinéma, via le CNC.
M. le président Erwan Balanant. Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, a annoncé l’obligation de l’accompagnement des enfants sur les tournages. Pensez-vous qu’il faille également rendre obligatoire la présence de votre profession sur les tournages dès que des scènes de nudité figurent dans le scénario ? Je reconnais qu’un scénario peut évoluer et qu’il est possible d’en imaginer un initialement sans scène de nudité. Toutefois, lorsque tout le monde est d’accord et que ces scènes sont finalement intégrées, la question de votre présence ne se pose pas. On pourrait envisager de rendre obligatoire l’accompagnement par votre métier pour chaque film comportant une scène d’intimité.
Mme Paloma Garcia Martens. Je suis convaincue que la carotte est préférable au bâton. En effet, il serait pertinent d’imposer une obligation pour les scènes de sexe simulé, avec une forte présence de nudité. Cependant, si nous commençons à imposer notre présence sur les plateaux alors que tout le monde est déjà à bout, nous risquons de saboter notre travail. Personne ne voudra nous fournir les informations nécessaires. Il s’agit plutôt d’apporter une aide lors des scènes d’intimité. L’obligation devrait se situer en amont, avec une lecture de scénario par un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité, qui pourrait ensuite identifier les passages nécessitant un accord préalable.
Récemment, j’ai travaillé sur un projet comportant des scènes avec des figurantes dans une maison close à la fin du XIXe siècle. Bien que ces figurantes soient habituées à travailler avec la nudité, il était tout de même utile de définir un cadre. Le lendemain, nous avons travaillé avec une comédienne dans une équipe très réduite. Elle était très à l’aise et, finalement, il y a eu moins de nudité que prévu. Ma présence sur le tournage n’était pas indispensable. En revanche, en amont, j’ai discuté avec l’équipe costume et le metteur en scène pour proposer plusieurs options. Une scène s’est même tournée sans moi, mais tous les outils étaient en place et j’avais parlé avec la comédienne pour clarifier les choses.
Je ne souhaite pas que nous nous tirions une balle dans le pied dans une industrie déjà très réticente à notre venue. Cependant, des recommandations, des financements ou des incitations seraient bénéfiques. Il serait toutefois pertinent de fixer un seuil pour la sexualité simulée explicite. Définir ce qu’est une scène explicite, c’est-à-dire si des parties intimes apparaissent à l’écran, pourrait justifier notre présence. Cela ne concerne pas seulement le confort et le bien-être des comédiens et comédiennes, mais aussi le consentement de l’équipe technique. Il se peut que les comédiens et comédiennes travaillent ensemble depuis vingt ans et que le fait de tourner une séquence d’agression sexuelle simulée leur semble anodin, mais, pour une équipe technique, subir pendant trois heures des hurlements et observer cette violence répétée est énorme. Il est donc essentiel de prévoir un accompagnement à ce niveau, de savoir précisément ce qui est tourné, à quel moment, et ce qui est prévu au découpage. Cela permet à chacun de prendre soin de soi dans ce contexte. Il ne s’agit pas seulement des limites et des besoins des comédiens et comédiennes, mais aussi de l’impact de ce type de séquence sur une équipe technique présente sur le plateau. Par exemple, la femme à la perche, située à deux centimètres des hurlements ou même de la nudité, est directement concernée. Parfois, je dois rappeler aux comédiens et comédiennes de se rhabiller entre les prises. Ils peuvent répondre qu’ils sont très à l’aise, ce qui est compréhensible. Cependant, il est important de rappeler que nous sommes sur un lieu de travail. Bien que l’absence de pudeur puisse être positive, il faut considérer que des personnes qui travaillent n’ont pas nécessairement envie de voir une poitrine exposée. Il est donc crucial de repositionner le curseur et de maintenir un cadre respectueux pour tous.
Mme Monia Aït El Hadj. On compare souvent notre métier à la coordination de cascades. Actuellement, la coordination de cascades n’est obligatoire dans aucun texte de loi. Cependant, aucun producteur ou metteur en scène ne songerait à chorégraphier une scène de bagarre sans faire appel à un régisseur de cascades. Alors, pourquoi, lorsqu’il s’agit de scènes d’intimité, cela suscite-t-il autant de questions ?
Mme Najoua Ferréol. Je souhaite revenir sur la question abordée précédemment concernant les référents violences, harcèlements sexuels et sexistes (VHSS). Il est vrai que nous sommes souvent confondues avec eux, mais notre rôle diffère significativement, car nous intervenons de manière épisodique sur les plateaux, tandis que les référents VHSS ont des responsabilités spécifiques et continues. Nous avons reçu une formation approfondie sur le consentement et diverses pratiques, notamment la communication non violente. Cependant, lorsque je suis sur un plateau, il est fréquent que l’on vienne rapidement me solliciter ou me parler. Nous sommes à l’écoute et pouvons rediriger les personnes en détresse vers la cellule d’écoute Audiens ou encore vers les référents VHSS. Néanmoins, nous nous trouvons souvent dans une position délicate, entre deux feux, sans savoir exactement où nous situer par rapport à ces responsabilités.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pensez que votre présence pourrait être souhaitable aussi au moment du casting ?
Mme Monia Aït El Hadj. L’étape du casting soulève de nombreuses questions, car elle peut donner lieu à des pratiques complètement aberrantes. Actuellement, nous intervenons en soutien au département costume, notamment pour les aider à rédiger des annonces de casting qui soient un peu moins sexualisées, par exemple. Nous pourrions également intervenir directement lors des castings, bien que nous préconisions de limiter au maximum les demandes relatives à la nudité ou à la sexualité. En effet, il est inutile de demander aux candidats de se dénuder ou de simuler des actes lors des castings.
Mme Noémy Soffys. J’ai acquis une perspective unique au cours de cette dernière année, avec des contrats à la fois dans le casting et dans l’intimité. Une anecdote que je relate fréquemment illustre à quel point cette problématique est systémique. J’ai dû « caster » des jeunes femmes pour un rôle nécessitant de la nudité. Je tiens à préciser que je ne demande jamais de nudité en présentiel lors des castings. Jamais, en tout cas, je n’ai reçu de demandes de producteurs ou de réalisateurs pour obtenir de telles images. Deux comédiennes, ne pouvant se rendre en présentiel, ont été invitées à m’envoyer ce que l’on appelle des tapes, c’est-à-dire des vidéos d’essais qu’elles filment elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’une tierce personne. Dans mon courriel, j’avais spécifié qu’il fallait jouer la scène de telle manière, dans telles conditions, et qu’à aucun moment, je ne souhaitais de nudité dans cette scène. À ma grande surprise, et sous le choc, en ouvrant les deux vidéos, j’ai constaté que les deux femmes en question apparaissaient seins nus. Elles avaient précisé dans leur courriel : « J’ai bien compris qu’il ne fallait pas de nudité, mais comme cela ne me pose aucun problème, je te l’envoie quand même sous cette forme. » J’ai alors pris conscience que le problème ne résidait pas uniquement dans la demande, mais qu’il venait également des comédiens et des comédiennes, qui pensent encore aujourd’hui qu’il est nécessaire de se dénuder pour obtenir un rôle, au sens propre du terme. Il me semble donc indispensable de mener une pédagogie générale à ce sujet. Il est crucial que tous les réalisateurs s’accordent pour affirmer qu’en casting, ils ne veulent pas de nudité et que cela ne donnera pas davantage de chances d’obtenir un rôle.
Mme Paloma Garcia Martens. Nous intervenons dans une hiérarchie et un rapport de pouvoir profondément déséquilibrés. Le moment du casting représente l’étape la plus déséquilibrée et la plus dangereuse du processus. C’est à ce moment précis qu’il devient extrêmement difficile pour une personne de donner son consentement de manière éclairée et libre. En coordination d’intimité, nous préconisons donc l’absence totale de nudité et de sexualité simulée. Pour les call-backs, c’est-à-dire les rappels après une première audition, nous pouvons éventuellement envisager une scène de danse avec un partenaire. Cependant, le casting demeure le pire moment pour garantir le respect du consentement. Je tenais à souligner cet aspect crucial.
M. Denis Masséglia (RE). Serait-il possible de légiférer pour interdire la nudité à ce moment ?
Mme Paloma Garcia Martens. Oui, absolument.
M. le président Erwan Balanant. Cela nous fournit une magnifique transition pour les personnes qui nous regardent, car c’est le sujet de notre prochaine audition. Avant de conclure et de suspendre la séance, je tiens à vous remercier sincèrement pour les informations précieuses que vous nous avez fournies. Nous sommes disposés à recevoir des contributions écrites si vous souhaitez compléter vos propos. Il est évident que des questions de réglementation peuvent être abordées par le biais de conventions collectives et que des aspects doivent être améliorés. En tout cas, notre démarche ne vise pas à adopter une attitude puritaine en interdisant ou en légiférant systématiquement, mais plutôt à sécuriser l’écosystème pour les techniciens, la production, ainsi que pour les comédiens et les comédiennes.
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La commission procède à l’audition de l’association des directeur.rice.s de casting (ARDA) : M. David Bertrand et Laurent Couraud, co-présidents ; Mmes Béatriz Coutrot, Julie David et Julie Gandossi, directrices de casting, et M. Emmanuel Thomas, directeur de casting.
M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs, non seulement dans le cinéma, mais également dans le spectacle vivant et la mode. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour remédier aux situations que nous déplorons tous. Un aspect délicat de notre enquête concerne le temps du casting. Nous avons déjà constaté que c’est un moment critique. Lors de l’audition des coordinateurs d’intimité, une personne a qualifié ce moment de moment de tous les dangers. En effet, il s’agit d’une relation non contractuelle au début du casting, où plusieurs personnes cherchent des rôles et sont en demande. Dans un premier temps, nous souhaitons que vous présentiez votre association. Expliquez-nous en quoi consiste précisément votre métier, car il s’agit d’une profession comportant des responsabilités spécifiques et des pratiques que vous avez en partie encadrées vous-mêmes.
Nous allons également aborder la question spécifique des castings impliquant des enfants et des adolescents. Notre rapporteure posera une série de questions après votre exposé introductif, ainsi que des questions plus détaillées. Je vous remercie pour les documents que vous nous avez transmis et que nous avons étudiés hier soir. Ils nous permettront de rebondir et de vous interroger de manière très précise.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’une délégation italienne, intéressée par ce sujet, est également présente. Je les remercie pour l’intérêt qu’ils portent à nos travaux. L’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et de commencer nos échanges, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. David Bertrand, M. Laurent Couraud, Mme Béatriz Coutrot, Mme Julie David, Mme Julie Gandossi et M. Emmanuel Thomas prêtent successivement serment.)
M. David Bertrand, co-président de l’association des directeur.rice.s de casting (Arda). Pour comprendre l’histoire du casting en France, il est essentiel de commencer par évoquer une pionnière, Margot Capelier, surnommée la reine du casting. Elle a révélé de nombreux talents, dont Isabelle Huppert et Juliette Binoche. On faisait appel à son regard pertinent, à sa curiosité et à son amour des comédiens, trois qualités essentielles pour notre métier. Dès 1966, elle a travaillé sur des films comme La Grande Vadrouille de Gérard Oury. Son nom est officiellement associé au métier de casting dans des génériques de films tels que Trois couleurs de Krysztof Kieslowski en 1993 et La Reine Margot de Patrice Chéreau. De nombreuses directrices de casting actuelles ont été ses assistantes, car c’est la seule formation établie pour exercer ce métier. Le 25 octobre 2001, Stéphane Foenkinos, alors directeur de casting, a déposé en préfecture les premiers statuts de l’Association française des responsables de distribution artistique (Arda) et neuf membres fondateurs ont posé les bases de cette association pour revendiquer un statut à part entière dans le cinéma français, à une époque où cette profession n’était reconnue dans aucune convention collective. Une première charte a vu le jour pour respecter une déontologie nécessaire à leur fonction. Le 19 janvier 2012, nous sommes enfin apparus dans la convention collective nationale de la production cinématographique en tant que cadres premiers assistants à la distribution des rôles, ce que nous sommes encore aujourd’hui. Dans cette convention, nous sommes définis en fonction du scénario et en collaboration avec le producteur et le réalisateur. Nous sommes chargés de rechercher et de proposer des interprètes correspondant aux différents rôles. À ce titre, nous déterminons avec la production les moyens techniques et humains nécessaires à l’accomplissement de nos missions et pouvons être engagés pour des études préalables. L’Arda se propose aujourd’hui de définir et de promouvoir le métier de directeur de casting en France afin de défendre et d’améliorer les conditions techniques, artistiques et déontologiques dans lesquelles nous exerçons nos compétences.
Ce lundi 27 mai, sous l’impulsion de Judith Godrèche et suite aux récentes révélations concernant le casting de mineurs dans certains films, l’association a adopté, lors de son assemblée générale annuelle, une seconde charte déontologique spécifique au casting de mineurs. Votée à l’unanimité des membres présents, elle impose désormais une formation aux violences et harcèlement sexuels et sexistes (VHSS) pour devenir ou rester adhérent. Lors d’une première rencontre avec la délégation générale du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), nous avons discuté de l’élaboration d’un cahier des charges pour la mise en œuvre d’une formation. Cette dernière permettrait de réfléchir à la validation d’une certification de qualification professionnelle (CQP) ou des compétences acquises. L’une des réflexions porte sur la commission paritaire nationale emploi et formation (CPNEF) de l’audiovisuel, qui pourrait gérer cette formation sur la base d’un corpus commun, en s’appuyant sur les fiches métiers disponibles sur le site de cette commission. Par ailleurs, un groupe de travail au sein de l’association, en collaboration avec les syndicats, élabore notre demande d’intégration dans la convention collective en tant que directeurs et directrices de casting. Cette définition a été obtenue au sein de l’Académie des arts et des techniques du cinéma et de l’Académie César, et la branche direction de casting est effective à partir de cette année. Afin que cette profession obtienne un cadre définitif et soit reconnue pour ses qualifications professionnelles, tant artistiques que techniques, en tant que chefs de poste à part entière dans les conventions collectives, nous sollicitons aujourd’hui, par votre intermédiaire, un échange avec les ministères du travail et de la culture.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quelles sont les règles encadrant l’organisation d’un casting ? Quelles différences existent entre les castings dans le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle, la mode et la publicité, qui sont les périmètres de notre commission d’enquête ? En ce qui concerne le cadre, existe-t-il des règles spécifiques en termes de lieu et d’horaire ? Nous avons constaté que certains castings posaient problème, car ils se déroulent en dehors d’un cadre de travail normal. Existe-t-il un flou juridique à ce stade, étant donné que les comédiens ne sont pas encore engagés mais simplement candidats pour un film ? Quel est ce cadre précis ? Lorsqu’ils se présentent pour un casting, à quel endroit doivent-ils se rendre ? Cette information est-elle déterminée dans la fiche qu’ils reçoivent lors de la demande de poste ? Est-il fréquent que le cadre indiqué sur cette fiche soit finalement modifié ?
M. Laurent Couraud, co-président de l’association des directeur.rice.s de casting (Arda). En termes de cadre, nous avons mis en place un système avec les productions, qui sont nos employeurs. Nous disposons d’un lieu dédié qui peut se situer au sein de la production ou ailleurs, par exemple dans un bureau de préparation. Ce cadre prévoit l’envoi de convocations aux comédiens et comédiennes via leurs agents ou directement, s’ils n’en ont pas, avec les textes à apprendre, le lieu et l’horaire du rendez-vous. Ce processus est normalement bien établi et assez encadré. Nous pouvons changer de lieu en fonction des productions, étant donné que nous sommes intermittents et que nous travaillons avec plusieurs productions. Certains d’entre nous disposent également de studios de casting, ce qui leur permet de travailler toujours au même endroit. J’ai l’impression que les différences entre le cinéma, la télévision et le théâtre ne sont pas significatives. Les auditions de théâtre se déroulent généralement sur un plateau de théâtre, mais elles suivent également des horaires précis et des convocations claires, sans débordement. Pour les castings d’enfants, les auditions se tiennent en dehors des heures de cours, principalement le mercredi après-midi et le samedi.
M. le président Erwan Balanant. À qui êtes-vous liés contractuellement ? À la production ?
M. Laurent Couraud. Nous sommes embauchés par la production pour un travail donné sur une période donnée.
M. le président Erwan Balanant. Embauchés par la production, vous avez un lien de subordination direct avec elle. La production demande ce casting et le lien de subordination est direct avec vous. Cependant, une question importante se pose car il n’y a aucun contrat au moment du casting. La comédienne qui se présente n’a ni contrat ni garantie. Comment encadrer cet aspect ? Faut-il établir des règles et des chartes éthiques pour votre profession ? Vous nous avez transmis un document récent à propos duquel je me suis demandé s’il nous était parvenu à cause de l’audition d’aujourd’hui et si vous l’aviez rédigé pour cette occasion, ou bien s’il s’agit d’un travail que vous avez mis en place et sur lequel vous réfléchissez depuis un certain temps.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Si j’ai bien compris, cette charte déontologique est une deuxième version de celle qui existait au préalable.
M. David Bertrand. Cette réflexion découle directement des révélations concernant certains films et la manière dont se déroulaient les castings pour enfants. La prise de parole de Judith Godrèche nous aussi a incité à agir. Nous devons la remercier pour son courage, car c’est grâce à elle que nous sommes ici aujourd’hui. En apprenant ce qui avait été révélé, notre urgence était d’établir un cadre qui, manifestement, faisait défaut pour certains castings. Certains se prétendent directeurs de casting, mais on ne sait qui ils sont. En réponse à cette parole forte, nous avons travaillé à consulter nos partenaires et à élaborer une deuxième charte déontologique dédiée aux castings de mineurs. Cette nouvelle charte ne remplace pas celle de l’Arda, sur laquelle elle s’appuie et qu’elle mentionne en préambule. Julie Gandossi, Julie David et Béatriz Coutrot ont coordonné les opérations, consulté les agents et tous nos partenaires pour aboutir à ce résultat. L’assemblée générale (AG) extraordinaire s’est tenue le lundi 27 mai dernier et nous avons voté cette charte à l’unanimité. Concernant la temporalité, c’est bien l’AG qui a déterminé notre réaction, et c’est la parole de Judith Godrèche et ses révélations qui ont été le déclencheur. Pour ce qui est des castings, nous ne prétendons pas être des directeurs de ressources humaines (DRH). Cependant, lors d’un entretien, que ce soit avec un CV ou dans toute situation d’emploi, il n’y a pas de déclaration préalable. De même, lorsqu’un candidat se présente devant un recruteur, il n’est pas déclaré.
M. le président Erwan Balanant. Un vrai problème se pose. Lorsqu’un directeur des ressources humaines conduit un entretien d’embauche, il doit respecter des règles strictes, notamment en matière de non-discrimination. Ces règles peuvent parfois sembler contradictoires avec les exigences de certains métiers. Par exemple, dans le domaine artistique, il peut exister des discriminations naturelles lorsqu’on recherche un comédien ou une comédienne.
J’ai pris connaissance de votre charte. Sur votre document, il est indiqué « documents de travail, ne pas diffuser ». Je ne l’ai donc pas encore transmis à nos collègues parlementaires. Est-il possible de le diffuser à nos collègues parlementaires ?
M. David Bertrand. Oui.
M. le président Erwan Balanant. Je précise donc aux membres de la commission que nous transmettrons ces documents, car ils me semblent pertinents.
Cette charte s’applique aux mineurs de 0 à 18 ans. Pour vous, qu’est-ce qu’un local adapté à un casting ?
Mme Béatriz Coutrot, directrice de casting. Pour les castings d’enfants, il est impératif de prévoir une salle d’attente pour accueillir les familles, ce qui n’est pas systématiquement le cas. Cette nécessité s’applique également aux castings d’adultes, car il est essentiel de disposer d’un espace où les candidats peuvent patienter. Idéalement, une salle d’attente attenante à la salle de casting permet de les avoir à proximité. Ainsi, si un enfant ressent le besoin de rejoindre ses parents pour une raison quelconque, il peut le faire en toute sécurité. De plus, cela offre la possibilité aux parents de visiter le studio ou la salle où se déroulera le casting, afin qu’ils se familiarisent avec les lieux et se sentent à l’aise.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quelles sont, selon vous, les spécificités d’un casting réalisé auprès d’enfants ? Je lis dans votre charte que vous préconisez la présence de deux personnes en salle de casting, ainsi que d’un référent enfant à l’extérieur. J’aimerais connaître votre avis sur ce point. À mon sens, et d’après ce que nous avons entendu lors des auditions précédentes, il est essentiel d’avoir des personnes spécifiquement formées pour accompagner les enfants. En effet, il n’existe pas de socle de formation commun en France pour les coachs d’enfants. Ceux-ci se forment certes à la psychologie, mais il n’existe pas de formation spécifique ni de réglementation pour ce métier. Il me semble donc nécessaire que les deux personnes présentes en salle soient formées pour travailler avec des enfants et que ce ne soient pas des individus quelconques. Il en va de même pour la personne située à l’extérieur. Quelles réflexions vous ont conduits à décider que le référent enfant serait à l’extérieur de la salle de casting et non à l’intérieur ? Il me semble que les deux personnes présentes à l’intérieur sont le référent enfant et une autre personne. Pourriez-vous clarifier qui sont ces personnes préconisées dans la charte ?
Mme Béatriz Coutrot. Le responsable enfant est celui qui intervient sur le tournage. La ministre de la Culture a annoncé que la présence d’un responsable enfant devenait obligatoire dès lors qu’un enfant était prévu sur le plateau de tournage. Selon nous, la spécificité du casting enfant réside dans le fait que nous avons affaire à un non-professionnel. L’enfant n’est pas un comédien de métier, il n’a pas de formation professionnelle, il ne possède pas la technique de jeu ni les outils nécessaires, il n’a pas appris à jouer, c’est un enfant. Or on ne s’adresse pas de la même manière à un enfant qu’à un adulte. Il nous arrive de réaliser des castings d’adultes non-professionnels. Dans ce cas, notre approche diffère également, mais face à un enfant, il nous semble primordial de toujours revenir à lui, à son désir d’être présent, à son consentement et de nous assurer qu’il comprend bien ce qu’il est en train de faire. Il est essentiel qu’il comprenne ce que nous lui disons, que nous nous mettions à son niveau, à sa hauteur, et que nous revenions constamment à son envie d’être là. Il est impératif qu’il se sente en sécurité, libre et en aucun cas obligé de faire quoi que ce soit. Évidemment, cela vaut aussi pour les comédiens adultes, mais ces derniers connaissent mieux ce cadre dans la plupart des cas. Les adultes ont été formés à cela, et il nous paraît important de toujours revenir à l’enfant et à sa non-professionnalisation. Il est présent en tant qu’enfant, indépendamment de son expérience, même si certains ont déjà de l’expérience.
M. le président Erwan Balanant. Dans votre charte, à la page 3 de la fiche outil VHSS, vous stipulez : « Aucune nudité ou semi-nudité ne doit être permise en aucun cas et à aucune étape du casting. Aucune photo de l’artiste nu ou montrant l’artiste engagé dans un acte sexuel ne doit lui être demandée. Aucune simulation d’acte sexuel, aucun acte sexuel ou geste portant atteinte à l’intimité ne doit être demandé ou subi lors d’une audition. » Cette règle s’applique aux mineurs. Pensez-vous qu’elle devrait également s’appliquer aux majeurs ?
Mme Julie David, directrice de casting. Nous nous sommes appuyés sur la fiche outil VHSS pour le casting en général. Ces documents, destinés également aux adultes, nous ont été transmis suite à la publication du kit édité par le collectif 50/50 il y a déjà plus d’un an.
M. le président Erwan Balanant. Vous suggérez donc qu’il n’existe actuellement aucune interdiction légale concernant la nudité dans les castings, que ce soit pour des adultes ou des mineurs. Pensez-vous qu’il serait envisageable de l’interdire et de l’inscrire dans la loi d’une manière ou d’une autre ?
Mme Julie David. Absolument.
M. le président Erwan Balanant. C’est un engagement fort, surtout quand on sait ce qui a pu se passer pendant de longues années. Cependant, je constate que, dans votre protocole, peut-être en raison d’une écriture encore jeune, il est mentionné que, lors d’un casting, un comédien ou une comédienne ne doit pas être obligée de se déshabiller en partie ou totalement, sauf en cas d’accord entre les parties et sous réserve de la présence d’une tierce personne connue des deux parties. Cela me semble contradictoire. Je pense qu’il est possible d’imaginer une solution pour régler cette question.
Mme Julie Gandossi, directrice de casting. Ce que vous citez fait partie de la charte que nous avions avant de travailler sur la charte pour les mineurs. Actuellement, nous sommes en train de revoir ensemble la charte que nous avions à l’époque.
M. le président Erwan Balanant. Il s’agit donc bien d’un document de travail.
Mme Julie Gandossi. Oui, et ayez en tête qu’il est en train d’être modifié.
M. le président Erwan Balanant. C’est notre métier de législateurs que de lire les textes et de les écrire. En relisant celui-ci, j’ai tout de suite senti une contradiction forte sur ce point.
Mme Julie Gandossi. À l’époque, il était nécessaire d’obtenir l’accord de plusieurs parties pour accéder à ce type de démarche en casting. Cela n’était ni imposé ni découvert le jour de l’arrivée. En tant que membres de l’Arda, nous avons tous signé cette charte et nous nous engagions à communiquer un maximum d’informations lorsque nous devions montrer certaines choses.
M. le président Erwan Balanant. Actuellement, pour se proclamer directeur de casting, est-il nécessaire d’être obligatoirement adhérent à votre association ? Quelles sont les règles pour exercer en tant que directeur de casting ? Nous avons entendu, lors de l’audition de Judith Godrèche par la délégation aux droits des enfants et par la délégation aux droits des femmes, qu’aujourd’hui, n’importe qui peut se déclarer directeur ou directrice de casting. M. Emmanuel Thomas, quel est votre avis sur cette situation ?
M. Emmanuel Thomas, directeur de casting. Je souhaite prendre la parole pour illustrer concrètement l’absence de formation spécifique dans notre domaine. Mon parcours en est un exemple significatif : j’ai une formation de base en tant qu’aide-soignant en réanimation et en urgence. J’ai intégré le milieu du casting grâce à ma détermination, après avoir étudié les arts du spectacle et travaillé comme professeur de théâtre. Ainsi, il n’existe pas de formation formelle pour ce métier.
Je tiens également à aborder la question du casting dans son ensemble. Nous parlons souvent des castings pour les premiers rôles, mais il est important de considérer également les seconds rôles, les petits rôles, les silhouettes parlantes, les silhouettes muettes et la figuration. En tant que directeur de casting associé en région Auvergne-Rhône-Alpes, ma mission au sein de l’Arda consiste à rechercher ces différents profils. Il existe une différence notable, tant sur le plan salarial que sur celui de l’apparition à l’écran et de l’identification au scénario. La règle concernant la nudité ne doit pas s’appliquer uniquement aux premiers rôles, mais à l’ensemble des personnes visibles à l’écran.
M. le président Erwan Balanant. Cela me semblait assez logique. Demain matin, à la fin de mon mandat, si, passionné de cinéma, je décide d’être directeur de casting, je peux l’être ?
M. Laurent Couraud. Effectivement, chacun peut se prétendre directeur de casting ou agent artistique, car il n’existe plus de législation en la matière. Cependant, il est impératif de souligner que nous avons tous été assistants et que nous avons tous appris ce métier et ses codes. Si quelqu’un arrive sans aucune connaissance de ces codes, ce sera problématique, mais tout le monde ne peut pas adhérer à l’Arda. Nous recevons des demandes et, en fonction des profils, nous les acceptons ou non. Il existe en effet des moutons noirs au sein de notre congrégation et ceux-ci n’ont pas leur place à l’Arda.
M. le président Erwan Balanant. Vous fonctionnez un peu comme dans le système américain, où les chefs opérateurs ont un syndicat et procèdent par cooptation.
M. Laurent Couraud. Exactement, il y a cooptation.
M. le président Erwan Balanant. Souhaiteriez-vous qu’une certification soit mise en place pour votre profession et qu’elle soit particulière pour les mineurs ?
M. David Bertrand. Nous réfléchissons avec le CNC sur une certification ou une reconnaissance des compétences acquises. Lorsque j’ai proposé ma candidature à la présidence de cette association, j’ai insisté auprès des membres sur l’importance d’une formation spécifique pour notre métier, afin que nous soyons reconnus à notre juste valeur. Il est essentiel que ceux qui souhaitent exercer cette profession puissent accéder directement à ces formations, et non par défaut.
Ce métier naît souvent d’une passion et d’un désir profond. Il est également lié au monde du théâtre et du jeu, notamment pour les comédiens. Beaucoup d’entre nous ont fréquenté des écoles de théâtre et suivi des formations qui nous permettent de comprendre de l’intérieur ce que signifie passer un casting. Il est crucial d’être vigilants à cet égard. Dans ma salle de casting, je pense toujours à ce que ressent un acteur qui sort de chez lui, ayant appris un texte sans connaître grand-chose du film, et qui se demande ce qu’on attend de lui ce jour-là. Il est souvent stressé, il cherche du travail et une reconnaissance, et il est désireux de s’exprimer. Il est donc fondamental de prendre en compte ces éléments lorsqu’on les reçoit. Le cinéma, et peut-être d’autres types de castings, nous permettent, avec le temps et les ressources disponibles, d’organiser des rendez-vous d’environ quarante minutes. Cela nous donne le temps d’exposer nos attentes, de recevoir les acteurs et de travailler ensemble pour développer un échange fructueux, afin de pouvoir ensuite répondre aux attentes du réalisateur ou de la réalisatrice. Notre objectif est de ne pas laisser les actrices et acteurs quitter notre salle de casting frustrés, car ce métier, déjà très difficile, est source de frustration permanente. Ce travail est intime et chacun se découvre à travers lui. Il y a des aventuriers, mais par exemple je ne sais pas si des formations spécifiques existent pour devenir député. Dans notre métier, l’apprentissage se fait souvent par l’assistanat, sans formation formelle, mais avec un fort rapport culturel. Nous possédons une formation spécifique, que ce soit dans le jeu ou la réalisation, et c’est pour notre point de vue particulier que l’on fait appel à nous. Nous sommes consultés sur de nombreux aspects. À l’Arda, nous nous efforçons de filtrer les candidatures, car beaucoup de personnes, après avoir réalisé deux films, souhaitent intégrer notre association en tant que directeur ou directrice de casting. Cependant, cela ne fonctionne pas ainsi. Le processus est trop rapide pour mener une enquête approfondie auprès des professionnels et des agents sur le comportement des candidats lors des castings et des essais. Nous devons également interroger les comédiens sur leur expérience et la reconnaissance qu’ils obtiennent. Notre métier est à la fois technique et profondément humain, avec des enjeux artistiques importants. En tant qu’assistants, nous improvisons souvent, mais nous devenons confirmés lorsque les comédiens, les agents, les producteurs et les réalisateurs reconnaissent notre travail. Cela engendre parfois des frustrations au sein de l’association, mais nous devons maintenir notre exigence de qualité. Nous encourageons les aspirants à continuer de travailler et de s’exercer, car leurs compétences seront un jour reconnues, leur permettant ainsi d’intégrer l’Arda.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je ne suis pas du métier, ayant été enseignante avant de devenir députée. Comme vous l’avez mentionné, il n’existe pas de formation spécifique pour devenir député. Nous nous formons souvent sur le terrain, avec les difficultés que cela implique. Si notre commission d’enquête existe aujourd’hui, c’est précisément en raison des dysfonctionnements constatés, notamment lors du processus de sélection. Ce moment, souvent qualifié de flou, est revenu à plusieurs reprises : on ne sait pas toujours ce qui se passe et les personnes chargées d’accueillir notamment des enfants ne sont pas toujours formées de manière adéquante. Des faits récents nous ont été rapportés à ce sujet. Si nous vous recevons aujourd’hui, c’est parce que certains aspects ne fonctionnent pas correctement. Cela ne signifie pas que vous manquez de bonne volonté pour changer les choses, la charte du 27 mai en témoigne. Vous êtes dans le métier depuis bien avant cette date, et les faits rapportés par Judith Godrèche aux parlementaires montrent que, malgré les discussions, les problèmes persistent. Tout le monde était au courant de ce qui se passait. Vous avez mentionné que certaines personnes sollicitent leur adhésion à l’Arda et que vous refusez celles qui ne répondent pas aux critères de votre congrégation. Cela montre que vous êtes conscients des dysfonctionnements et que des personnes sont inaptes à remplir les exigences de votre charte.
Nous devons éviter de tourner autour du pot, car notre objectif est de comprendre les dysfonctionnements et de déterminer les actions nécessaires pour aller dans la bonne direction, tant pour les majeurs que pour les mineurs. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et à qui vous refusez l’entrée dans votre association ? Est-ce en raison de rumeurs selon lesquelles, lors de castings pour adultes ou mineurs, les choses ne se passent pas bien ? Ou avez-vous des preuves concrètes de ces dysfonctionnements ou de certains faits ? Si oui, sont-ils pénalement répréhensibles et constituent-ils une des raisons pour lesquelles vous leur refusez l’entrée à l’Arda ?
M. David Bertrand. Nous identifions des signaux faibles dans tous les corps de métiers et collaborons avec les deux principales associations d’acteurs en France, à savoir l’ADA et l’AAFA. Ces associations possèdent des pôles dédiés au harcèlement, aux agressions et aux viols, chargés de recueillir des témoignages. Dès que plusieurs témoignages convergent à propos d’une personne, ils nous en informent. La difficulté réside dans le fait que nous ne disposons pas d’outils pour communiquer ces informations, car nous n’avons pas le droit de rendre justice nous-mêmes sans preuve. Cependant, comme nous l’apprenons en formation VHSS, nous pouvons mener des enquêtes de rumeur, c’est-à-dire vérifier auprès des personnes concernées ce qui se passe. Nous apprenons à repérer ces signaux faibles grâce aux formations, et j’espère qu’aujourd’hui tout le monde est capable de les identifier. Ces signaux peuvent être de petits détails, parfois de simples pressions, comme l’abus de pouvoir inhérent à ce genre de situation. Par exemple, proposer un rôle en échange de faveurs, ce qui se produit malheureusement dans tous les domaines. Nous suivons ces petits signaux dès le départ et avertissons les associations concernées. Cela nous permet parfois d’obtenir des résultats concrets. Nous sommes ainsi amenés, par exemple, à écrire nous-mêmes et à utiliser l’article 40 du code de procédure pénale pour envoyer des signalements à la DRIEETS ou au procureur de la République. Nous menons nos enquêtes, mais nous manquons d’un outil pour communiquer entre nous et prévenir que quelqu’un dans ce milieu présente des signaux faibles, même s’il n’a encore rien fait. Or ces signaux faibles se confirment généralement.
Dans le cas de l’Arda, certaines personnes présentent des signaux faibles qui nous incitent à rester en communication avec nos partenaires, comme le SFAAL, l’ADA, l’AAFA et le collectif 50/50. Dans le cas de personnes qui ont rejoint l’Arda il y a longtemps et qui, en chemin, ont pu dévier ou faire l’objet d’enquêtes, nous leur demandons de partir. Les statuts de l’association précisent clairement que l’on peut être radié pour diverses raisons. Nous pouvons vous communiquer ces statuts. Dès que plusieurs acteurs ou actrices nous signalent qu’ils ne participent plus à certains castings, nous devons nous poser des questions et agir rapidement. La foi en ce que nous faisons de bien est notre seul cadre car, en général, tout se passe bien. Cependant, il existe des cas à éviter. C’est justement pour prévenir ces situations que nous avons sollicité notre participation à cette commission. Nous avons en effet besoin d’un cadre légal et juridique pour empêcher les rares déviations qui rendent la situation intenable.
Par ailleurs, les problèmes systémiques vis-à-vis des femmes ne relèvent pas du casting ni du cinéma. Ils sont profondément ancrés dans nos sociétés et résistent encore aujourd’hui au mouvement de parole des femmes. Remettre en cause nos structures politiques et sociales est un acte féministe et politique. Nous parlons de notre métier car nous avons une parole publique grâce à certains acteurs et actrices. Cependant, un travail profond doit être mené dans toute la société, en commençant par les familles. La culture du viol existe et imprègne tous les domaines de compétence de notre pays et probablement de la planète entière.
M. le président Erwan Balanant. Vous avez évoqué l’article 40 du code de procédure pénale. N’étant pas une autorité constituée, vous n’avez pas la possibilité de mettre en œuvre cet article. Comment procédez-vous actuellement ? Lorsque vous disposez de faits, de signaux faibles et parfois de signaux faibles qui deviennent flagrants, quelle est votre démarche ? Existe-t-il une lacune juridique ?
M. Laurent Couraud. Nous agissons de manière très claire dès qu’un problème survient. Dès que nous recevons des informations, nous contactons le comité central d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT), en la personne de Didier Carton, qui a la possibilité de contacter les productions et de les alerter en cas de problème. Nous ne pouvons que passer le relais. Il est également important de noter que, si un acteur ou une actrice ne dépose pas plainte, aucune action n’est possible. Cela rend la situation très complexe pour les acteurs et actrices qui hésitent à porter plainte, par crainte de répercussions sur leur carrière, comme le risque d’être blacklistés sans raison valable. Cette situation reflète les modes de fonctionnement du passé.
M. Emmanuel Thomas. C’est également vrai pour les techniciens et les techniciennes, car la production exerce une relation de subordination avec nous. Par exemple, les vidéos que nous utilisons pour les castings appartiennent à la production. Nous avons un contrat de travail qui nous lie à eux et qui stipule qu’elles ne peuvent être fournies ailleurs. Ainsi, nous nous référons au CCHSCT et au syndicat. Nous pouvons également nous adresser à la DRIEETS, qui peut déposer un article 40 du code de procédure pénale.
Mme Julie Gandossi. L’intervention de Julie Godrèche a permis de libérer la parole des enfants dans les salles de casting. Nous avons ainsi été contactés par de nombreux parents qui, bien qu’ils n’aient pas souhaité porter plainte pour préserver la carrière de leurs enfants, ont partagé de nombreux témoignages. Avec l’aide de Didier Carton, un dossier a été constitué et nous avons déposé un article 40. Les choses évoluent. Il est important de comprendre que la parole des enfants dans les castings devait être libérée. Ce ne sont pas seulement les techniciens ou les comédiens adultes qui sont concernés, mais aussi les comédiens mineurs qui ont des choses à dire. Nous avons joué un rôle d’écoute et d’orientation, ce qui a conduit à la création de cette charte et de notre pôle casting mineur, qui agit désormais comme référent sur certaines questions.
M. le président Erwan Balanant. La question de la carrière et du lien de vulnérabilité est omniprésente dans ce milieu, mais elle ne se limite pas à la sphère de notre commission d’enquête. Le cinéma est le miroir de la société. Notre collègue Graziella Melchior travaille sur #MeToo armée et l’initiative #MeToo santé a fait l’actualité hier. Aujourd’hui, il n’existe pas de statut pour les lanceurs d’alerte. Je vais être direct : j’ai déposé un article 40 du code de procédure pénale concernant les images que j’ai vues du casting du film de Jacques Doillon. En tant qu’auteur du texte sur le harcèlement scolaire, j’ai été effaré par ces images. Comment peut-on demander de continuer à un enfant qui dit non une fois et qui se met à pleurer ? Comment est-ce possible ? M. Thomas, votre parole nous intéresse, car j’ai cru comprendre d’après votre CV que vous aviez participé à ce film. Peut-être pas sur ces castings-là, je l’espère.
M. Emmanuel Thomas. En tant que directeur de casting associé au sein de l’Arda, je me conforme à une charte déontologique stricte. En revanche, la directrice ou le directeur de casting à Paris ne l’a pas respectée et n’était pas adhérente de l’Arda. Par ailleurs, il serait également nécessaire de considérer la parole des hommes.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Mme Gandossi, vous affirmez que, récemment, à la suite des déclarations de Judith Godrèche, la parole s’est libérée parmi les enfants ayant participé à des castings. Ces enfants auraient notamment subi des violences, car si la parole se libère, ce n’est pas pour dire que tout s’est bien passé. Certains parents se sont adressés à vous, confirmant que leur enfant avait été victime de violences sur un tournage, mais ils refusent de porter plainte par crainte pour la carrière de leur enfant. Lorsqu’un adulte choisit de ne pas porter plainte, c’est une décision personnelle. Cependant, pour un enfant, j’espère que tous les signalements que vous avez reçus ont conduit à des dépôts de plainte de votre part.
Mme Julie Gandossi. Nous avons mis en place de nombreuses mesures et nous avons été bien entourés, car nous avons pris ce problème très au sérieux au sein de l’Arda. Nous avons cherché à comprendre ce que nous pouvions ou ne pouvions pas faire. Le problème ne réside pas dans le tournage, mais concerne un agent non représenté par le SFAAL. À ce jour, je ne sais pas encore ce que je peux dire, car l’enquête est en cours. Je resterai donc très vigilante pour protéger tout le monde. Il me semble cependant essentiel d’avoir une licence pour les agents artistiques, notamment ceux qui travaillent avec des enfants. Actuellement, n’importe qui peut devenir directeur de casting et, de la même manière, n’importe qui peut devenir agent d’enfants. Or un agent d’enfants passe beaucoup plus de temps avec un enfant qu’un directeur de casting, dont l’intervention est ponctuelle et en amont des projets, sur une très courte durée. Dans notre salle de casting, nous voyons de nombreux enfants, que ce soit dans le cadre de castings sauvages ou en agence. Lors des castings sauvages, les parents n’ont souvent aucun repère et ne savent pas comment cela va se dérouler, hormis les paillettes et l’attrait du milieu. Le déroulement d’un casting peut donc varier considérablement en fonction de la personne avec qui l’enfant arrive et de la salle où il se trouve.
Nous avons élaboré une charte pour les enfants, accompagnée de notices destinées aux familles et aux producteurs, afin de clarifier les règles fondamentales d’un casting. Il est essentiel que les enfants comprennent leurs droits dans ce contexte. Un enfant a le droit de refuser de participer à un casting, de venir avec l’envie de réussir et même de perdre ses moyens devant nous, sans que cela le pénalise à vie. S’il ne réussit pas aujourd’hui, cela ne signifie pas qu’il est définitivement écarté. Il peut se tromper une fois et revenir plus tard avec une nouvelle motivation. L’important est que la parole de l’enfant soit respectée. La représentation des enfants par des agents est également une étape cruciale, notamment pour les tournages. Un agent compétent peut offrir des conseils précieux et assurer la protection de l’enfant. Cependant, il est nécessaire de distinguer un bon agent d’un agent lambda. Autrefois, il existait une licence pour les agents, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
M. le président Erwan Balanant. Je lis à la première page de votre notice famille « Le bien-être de votre enfant reste au centre du casting. À tout moment, il a le droit de dire : stop, je n’ai plus envie, je n’aime pas être filmé, je ne veux pas répondre, recommencer, etc. Le/la directeur/directrice de casting se doit de le respecter. » Vous êtes clairs à ce sujet, et c’est très bien. Nous transmettrons également les notices à l’attention des familles et des producteurs que nous avons reçues. Pour ma part, et je pense que madame la rapporteure partage cet avis, je trouve que ces engagements sont forts et clairs.
M. Emeric Salmon (RN). Tout d’abord, concernant votre profession, lorsque vous êtes contacté par une production, avez-vous une obligation de résultat ou de moyen ? En d’autres termes, avez-vous le droit de dire que vous ne trouvez personne correspondant à la demande ? Quelles contraintes s’ensuivent dans votre métier ? Ensuite, en lien avec le sujet que nous venons d’aborder, lors de l’audition du collectif 50/50 lundi, une personne a mentionné qu’elle organisait des castings pour enfants en utilisant la méthode de la porte ouverte, permettant ainsi aux parents d’entendre ce qui se dit. Est-ce une pratique que vous recommandez ou que vous souhaitez rendre obligatoire ? Enfin, lors de l’audition précédente, nous avons évoqué des situations où des comédiens ou comédiennes adoptent des pratiques contraires aux bonnes mœurs pour tenter de réussir un casting. Un exemple cité concernait un casting réalisé par cassette, où il avait été expressément demandé de ne pas inclure de scènes de nudité. Toutefois, une personne avait montré sa poitrine. Comment réagiriez-vous face à ce type de comportement ? Disposez-vous de protocoles spécifiques pour gérer de telles situations ?
Mme Graziella Melchior (RE). Je comprends bien que votre association est vertueuse et que vous avez modifié votre charte avec une réelle volonté de progresser. Si j’étais parent d’un enfant, je ne saurais pas si le casteur fait partie de votre association ou non ; je ne saurais donc pas à qui j’ai affaire. Je suppose qu’un enfant passe par plusieurs castings et entre différentes mains. Lorsque vous recevez un enfant ou une famille, et cela peut aussi s’appliquer aux adultes, les prévenez-vous que tout le monde ne respecte pas forcément votre charte ? Les mettez-vous en garde en leur conseillant de demander à voir la charte lorsqu’ils vont à un autre casting ? Jouez-vous un rôle de prévention à ce sujet ? Ensuite, puisque je comprends que tout le monde peut devenir directeur de casting, même monsieur Erwan Balanant, ma question est la suivante : quelqu’un vérifie-t-il à un moment donné si les casiers judiciaires des directeurs de casting sont vierges d’infractions sexuelles ou autres ?
Mme Julie David. Sophie Lainé Diodovic nous a récemment parlé de sa méthode de porte ouverte, qui, selon elle, provient des États-Unis. Elle commence à la tester. Pour ma part, je ne l’ai jamais pratiquée. Il arrive parfois que des enfants souhaitent arrêter. Dans ce cas, il est très simple de leur dire : « C’est toi qui choisis : si tu veux qu’on arrête, on retourne voir maman, si cela te rassure. Tu reviendras après, etc. » Jusqu’à présent, je n’ai jamais rencontré de problème et j’ai toujours reçu de bons retours des parents.
Concernant la nudité, je n’ai jamais reçu ce que l’on appelle des tapes, des vidéos. Malheureusement, lorsque nous publions des annonces pour rechercher des enfants, il arrive que des adolescentes ou même des parents nous envoient des photos d’enfants mineurs dans des poses quelque peu suggestives. En tant que mères, nous prenons immédiatement notre clavier pour envoyer des messages à caractère préventif, en disant : « Vous ne savez jamais qui est derrière. Ne faites jamais cela sans l’accord de vos parents et surtout ne le faites jamais. » Même les photos en maillot de bain sur la plage, nous n’en voulons pas, même si elles montrent les enfants en train de jouer ou de construire un château de sable. La photo en maillot de bain est inutile. Nous n’en voulons pas. Ce n’est pas ainsi que l’on met en valeur l’enfant. Une jolie petite photo lorsqu’il souffle ses bougies ou les photos de classe nous conviennent parfaitement. Nous essayons autant que possible de sensibiliser les parents et nous avons ajouté dans la notice aux familles qu’il est impératif de ne pas le faire.
M. Laurent Couraud. Dans nos contrats, nous avons également une charte. Il n’existe pas d’obligation de résultat, ce qui signifie que si, à un moment donné, nous ne parvenons pas à trouver ce que nous cherchons, ils feront appel à une autre personne pour reprendre le casting. Il n’y a donc pas d’obligation stricte. Par ailleurs, nous sommes engagés pour une période déterminée avec un cahier des charges stipulant que nous devons identifier un certain nombre de rôles.
Mme Julie Gandossi. Nous sommes embauchés à la semaine, avec des contrats hebdomadaires et un tarif spécifique. Il est essentiel que vous compreniez que nous sommes embauchés et licenciés chaque semaine, selon un tarif hebdomadaire. Nous signons pour un certain nombre de semaines et, en fonction de cela, les semaines peuvent être déroulées ou anticipées. Nous n’avons pas d’objectif de résultat précis. Si nous ne l’atteignons pas, quelqu’un d’autre prendra notre place. Il est important de noter que le casting des enfants dépend énormément du calendrier de la DRIEETS. En effet, le travail des enfants étant interdit, nous devons obtenir des dérogations pour le casting des enfants via la DRIEETS. Cette dérogation nécessite un dossier qui est traité pendant un mois. Il y a une date de dépôt et une date de commission, avec des documents spécifiques à fournir dans ce dossier. Une fois étudié, un retour est possible. En tant que directeurs de casting pour enfants, nous sommes souvent contraints par ces dates. On joue également sur ces délais pour nous rémunérer moins. Plus nous nous rapprochons de la date, moins nous avons de temps. C’est important car les commissions se tiennent souvent en amont par rapport aux dates de tournage, ce qui impose une exigence de temps.
M. Emmanuel Thomas. Ce dossier qui doit être déposé à la DRIEETS avec tous les documents concerne non seulement les rôles principaux mais aussi les figurants. Il nous arrive aussi de signer nos contrats de travail après avoir commencé à travailler. Il est essentiel de rappeler aux productions le cadre légal spécifique, notamment l’article L. 4121-1 du code du travail. Il impose à l’employeur, en l’occurrence la production, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Bien que cette obligation ait été particulièrement mise en avant durant la période de la Covid, elle s’applique également en dehors de cette période. Il ne faut pas oublier que les productions, en tant qu’employeurs et chefs d’entreprise, doivent respecter cet article.
Mme Béatriz Coutrot. Nous évoquions précédemment les personnes dont nous percevons des signaux faibles et les actions possibles à entreprendre. Selon moi, il incombe également aux producteurs, qui emploient ces personnes, de prêter attention à ces signaux. Si nous les entendons, ils doivent les percevoir également et décider s’ils souhaitent ou non faire appel à ces individus pour travailler. Il est essentiel de les responsabiliser à ce sujet.
Mme Julie Gandossi. Nous pouvons refuser un projet parce que nous ne sommes pas en accord avec ce qui sera mis en place, notamment en l’absence de précepteur sur le tournage, alors qu’un enfant est déscolarisé pendant trente ou quarante jours et envoyé à l’étranger sans encadrement adéquat. Au début du casting, il est essentiel de garantir un encadrement rigoureux. Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que, lorsque nous refusons un projet en raison d’un manque d’encadrement pour l’enfant, nous savons pertinemment que quelqu’un d’autre acceptera ce projet par la suite. Comment encadrer cette situation ? Si nous refusons un projet pour des raisons déontologiques, comment assurer que la suite soit correctement encadrée ? Si ce n’est pas nous, il y aura toujours quelqu’un qui acceptera le projet, souvent par nécessité de cumuler des heures, de maintenir son statut d’intermittent ou simplement de travailler. Cette personne ne sera pas forcément compétente, passionnée ou respectueuse de la charte déontologique.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Comment se déroule le processus de sélection des scènes lors d’un casting ? En tant que directeur de casting, avez-vous votre mot à dire sur les lieux où se déroulent ces castings ? Dans certaines situations dysfonctionnelles, des castings ont été organisés la nuit ou dans des chambres d’hôtel. Cela s’est produit, il faut le reconnaître, aussi bien pour des mineurs que des majeurs. Dans ces circonstances, où se trouvaient les directeurs de casting ? Étaient-ils informés de ce qui se passait ? Quelle est leur part de responsabilité lorsque les choses dérapent ?
Mme Béatriz Coutrot. Les scènes de casting sont choisies avec le réalisateur ou la réalisatrice.
M. le président Erwan Balanant. Pas avec le producteur ?
Mme Béatriz Coutrot. Rarement. Certains producteurs s’investissent dans l’aspect artistique. Cependant, nous n’avons jamais discuté des scènes d’essai avec eux. Cela se fait lors de la phase préparatoire du casting, en lien direct avec le réalisateur ou la réalisatrice. À la première étape du casting, nous ne plongeons pas dans le cœur du sujet du film. Nous en restons à des scènes plutôt quotidiennes et légères, ce qui nous permet déjà d’avoir une idée du profil de l’enfant que nous avons en face de nous. Si des sujets sensibles doivent être abordés, nous les présentons en amont aux parents et aux agents. En cas de scène difficile dans le scénario, nous nous engageons, au sein de l’Arda, à en parler en amont, à assurer une transparence totale, à faire lire les scènes concernées si elles existent, et à fournir des informations aux parents et agents sur la mise en scène de ces scènes, ce que l’enfant vivra réellement, ce qu’il verra, etc.
Lors de la phase de call-back, deuxième étape du casting où intervient le réalisateur ou la réalisatrice, il peut arriver que nous changions la scène parce qu’il ou elle a besoin de voir d’autres aspects qui n’ont pas été observés lors de la première étape. Cela se fait toujours en concertation avec nous, les directeurs de casting, et parfois avec l’intervention du coach, qui apporte son expertise et peut proposer des exercices en lien avec l’approche du personnage.
La responsabilité du directeur de casting est engagée lorsqu’un casting n’a pas lieu dans une salle dédiée. S’il est prévenu, il est responsable. S’il sait que le casting se déroule dans une chambre d’hôtel, ce qui nous paraît aujourd’hui inconcevable, il doit intervenir. Si vous avez des exemples récents, c’est très alarmant. Cela fait partie de la notice VHSS : il est interdit aujourd’hui de réaliser un casting dans un lieu non dédié, que ce soit une chambre d’hôtel ou un appartement. Le lieu doit être spécifiquement destiné à cet usage.
M. David Bertrand. Si ces pratiques persistent, c’est que personne n’a réellement compris. Il est donc impératif d’adopter un discours plus ferme. Si des castings se déroulent encore le soir dans des chambres d’hôtel, il faut envoyer un message clair ou financer des encarts publicitaires. C’est interdit et cela ne devrait pas exister. Les castings doivent se dérouler dans un lieu professionnel, généralement en production. On ne peut pas organiser des castings chez soi. Ces pratiques ont souvent eu lieu dans l’improvisation, l’urgence et par loyauté envers diverses obligations. Vous savez de quoi il est question. Parfois, ces pratiques dépassent nos valeurs. Si nous continuons à en parler aujourd’hui, cela signifie que certaines personnes ne veulent pas entendre.
Comment leur faire comprendre ? Lorsqu’il y a une mise en garde, c’est très important. Nous n’avons pas suffisamment répondu à vos questions sur la mise en garde et le casier judiciaire. À une époque, pour être agent, il fallait une licence et la vérification du casier judiciaire était une condition. Cette exigence a été supprimée sous la présidence de M. Sarkozy, lorsque la réglementation s’est alignée sur une norme européenne. Nous étions les seuls en Europe à exiger cette licence incluant le casier judiciaire. La mise en garde à l’attention des parents est essentielle. Comment communiquer sur le fait que, lorsqu’un enfant attend dans une salle de casting parce que sa grand-mère est partie se garer pendant quarante-cinq minutes, je ne le reçois pas si je suis seul ? Ces situations surviennent parce que les parents ou les grands-parents, qui souvent agissent pour les parents qui travaillent en journée, font confiance aveuglément à notre autorité. Cette autorité n’a pas lieu d’être ; ce sont eux les référents, pas nous. Je pratique la politique de la porte ouverte. Bien que je ne fasse plus de castings d’enfants, j’insiste pour que cette pratique soit respectée sur mes films. Cela fonctionne très bien. On se sent mieux, car en cas de problème, l’enfant n’est pas seul sous pression. Un casting est en effet une situation stressante pour un enfant. Cette mise en garde à l’attention des parents est donc capitale : ne faites pas n’importe quoi avec vos enfants.
Souvent, des paroles fortes sont évoquées concernant les conséquences des dysfonctionnements familiaux. Nous ne pouvons évidemment pas les réparer, mais nous devons nous en tenir strictement à ce qui est écrit dans la charte. Si vous ne le voyez pas, nous en sommes conscients, et il est donc impératif de cesser de nous accorder une confiance excessive. Vous êtes les référents de vos propres enfants. Ce message doit désormais être transmis en permanence. C’est pourquoi la fiche est très importante. Lors de chaque convocation pour un casting d’enfants, il est essentiel d’envoyer une fiche à l’attention des parents, leur indiquant de ne pas faire n’importe quoi, notamment en évitant toute nudité.
Nous sommes constamment confrontés à des situations où nos noms sont utilisés sur les réseaux sociaux pour obtenir des photos d’enfants, de jeunes femmes ou de jeunes hommes dénudés. Comment réagir ? Nous avons des réseaux et nous communiquons avec l’Arda pour dire de ne pas répondre. Chaque annonce de casting devrait comporter le nom du responsable du casting et peut-être même un numéro de téléphone pour vérifier l’authenticité de la personne, car nous recevons parfois des mails prétendument envoyés par nous-mêmes pour des castings que nous ne réalisons pas. De nombreuses personnes malveillantes gravitent autour des castings, car elles savent que certains sont prêts à tout, en l’absence de diplôme. La compétition pour être le premier ou la première à réussir est intense, et c’est sur cette base que se manifestent ces dysfonctionnements.
M. Laurent Couraud. La charte ne concerne que les personnes de l’Arda. Il existe aussi des directeurs et directrices de casting qui travaillent très bien et qui, eux, ne souhaitent pas être membre de l’Arda. C’est un peu compliqué.
M. Emmanuel Thomas. Dans notre charte, en tant que membres de l’Arda, il est stipulé très précisément que « nous devons être vigilants quant au pouvoir que confère notre métier. Par conséquent, nous ne saurions tolérer ni ambiguïté ni pression psychologique ou physique de la part de l’un d’entre nous ». Aujourd’hui, autour de cette table, nous sommes six personnes qui, chaque matin, se réjouissent d’exercer notre profession. Il est important de souligner les dysfonctionnements, mais il faut également reconnaître que, dans de nombreux cas, tout se passe bien.
M. le président Erwan Balanant. Dans les sociétés, on se souvient surtout des dysfonctionnements. On rédige alors des textes, des règlements et on décide de politiques publiques pour remédier à ces problèmes. Cependant, il est important de reconnaître que de nombreuses choses fonctionnent bien.
M. Francesca Pasquini, rapporteure. Je voulais recueillir votre avis sur le fait que des coordinatrices d’intimité et des référents enfants puissent être présents dans les moments de casting.
Mme Julie David. Il me semble que la présence d’un responsable enfant sur les tournages revêt une grande importance, car il assure la sécurité et le bien-être de l’enfant sur une période significative. Nos castings, en général, ne durent qu’une demi-heure. Les parents sont présents dans la salle adjacente, ce qui n’est pas toujours le cas lors des tournages, car ils ont leurs propres obligations professionnelles. Pour ce qui est du responsable enfant pendant les castings, je ne vois pas l’utilité de sa présence sur une période aussi courte. Ayant également été coach sur les tournages, je souligne l’importance de la présence du responsable enfant pour rappeler les consignes et maintenir un rythme adapté. Un enfant n’est pas un adulte et n’a pas la même capacité de concentration.
Les enfants sont habitués à maintenir leur concentration et à bénéficier de récréations à l’école. Ce rythme scolaire demeure essentiel pour eux. Par exemple, un goûter le matin et un autre à quatre heures et demie sont indispensables. Si mes filles manquent ces moments, elles ne se sentent pas bien. Le responsable des enfants sur le tournage doit constamment rappeler à tous que nous travaillons avec des enfants. Nos rendez-vous dépassent rarement une heure. Même lors des call-backs, nous faisons des pauses, car nous connaissons notre métier et comprenons les besoins des enfants. Les rendez-vous durent généralement une demi-heure.
M. le président Erwan Balanant. L’idée, telle qu’exprimée dans votre charte, est qu’il y ait toujours un référent présent. Votre collègue nous a expliqué qu’elle préférait organiser des portes ouvertes en l’absence des parents. Elle a justifié cette préférence par des raisons qui semblent valables, notamment la pression que les parents peuvent exercer sur leurs enfants. En effet, si un enfant subit une pression parentale et que, dans les faits, il n’est pas réellement intéressé par une activité, un film ou même une carrière, il ne l’exprimera pas en présence de ses parents. En revanche, en leur absence, il pourrait se sentir libre de le dire. Cette approche semble donc tout à fait pertinente.
Mme Julie Gandossi. Dans la charte, la proposition de Sophie Lainé Diodovic concernant la porte ouverte est entendue. Ce que nous proposons, c’est d’être toujours deux dans la salle de casting en plus de l’enfant. Ces deux personnes ne doivent pas nécessairement être un responsable ou un référent ; il peut s’agir d’un assistant. En fait, ce que nous disions aux productions, ce que nous demandions, c’est d’avoir deux personnes dans la salle de casting, que ce soit un assistant ou un stagiaire, afin que l’enfant ne se sente pas obligé. La présence de deux personnes permet une parole plus efficace et rassure l’enfant, évitant ainsi un face-à-face intimidant. Cela nous permet également de recueillir plusieurs éléments en cas de problème. Dans notre charte, nous demandons la présence de deux personnes en plus de l’enfant dans la salle. La question de la porte ouverte ou fermée dépend des enfants, car certains ne se sentent pas à l’aise si les parents entendent. Pour moi, il est important de fermer la porte lors du travail avec l’enfant, car certains n’ont pas envie de faire le casting. Il m’arrive de dessiner avec eux pendant quinze ou vingt minutes et de leur dire de ne rien dire à leurs parents. Ensuite, j’appelle l’agent pour informer que cet enfant, s’il n’était pas représenté par un agent et n’avait pas envie de faire un casting, ne sera pas rappelé. Nous savons alors qu’il n’est pas intéressé, mais que ses parents peuvent le forcer. Il nous est arrivé à toutes de dessiner ou de manger des bonbons dans la salle de casting sans auditionner l’enfant lorsqu’il ne le souhaite pas.
J’ai été très choquée au début de ma carrière en casting avec des enfants. J’ai observé une mère et son enfant qui refusait de participer. Elle lui a dit : « Mais si, tu vas y aller, tu l’as très bien fait. » Puis, elle lui a donné une claque en ajoutant : « Et maintenant, tu viens. » À ce moment-là, j’ai immédiatement pris l’enfant et je lui ai dit : « Ne t’inquiète pas, nous allons faire des dessins, ce sera un moment formidable et tu ne repasseras plus jamais de casting. Je ferai tout mon possible pour que cela se passe ainsi pour toi. » Ensuite, j’ai contacté l’agent et j’ai dénoncé la situation.
M. Laurent Couraud. J’estime que la présence de coordinatrices d’intimité lors des castings n’est pas justifiée, car leur rôle intervient une fois que les comédiens et comédiennes ont été sélectionnés. En effet, aucune scène d’intimité n’est réalisée pendant un casting, ce qui rend leur intervention superflue à ce moment précis.
M. le président Erwan Balanant. Nous allons aborder une série de questions délicates, notamment concernant des films mentionnés dans le cadre de procédures judiciaires. Lorsqu’une commission d’enquête est constituée, nous adressons une demande au garde des Sceaux, qui nous informe de l’existence de procédures en cours sur les faits concernés. M. Thomas, vous avez travaillé sur le film de Catherine Corsini, lequel a été marqué par des dysfonctionnements, et vous avez démissionné.
M. Emmanuel Thomas. Je tiens à préciser que je n’ai pas démissionné. Un accord a été trouvé entre la production et moi. C’est également sur ce point que je considère que les productions doivent faire preuve de bienveillance. En tant que technicien et intermittent du spectacle, si vous démissionnez, votre attestation employeur mensuelle (AEM) est barrée, ce qui vous fait perdre vos droits. C’est là que la situation devient problématique, car la production exerce un véritable pouvoir sur les techniciens. Je suis à votre écoute et j’essaierai de répondre à vos questions, mais je suis conscient que nous sommes à la limite de ce qui est acceptable.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. M. Thomas, vous avez demandé à être auditionné par cette commission d’enquête concernant des faits dont vous avez été témoin, mais que nous ne pouvons évoquer en détail en raison de procédures en cours. Pouvez-vous néanmoins nous exposer les types de violences ou de dysfonctionnements affectant tant les majeurs que les mineurs lors du casting ? Plusieurs collègues souhaitent également intervenir sur ce sujet et souhaitent apporter à cette commission d’enquête des éléments sur des dysfonctionnements potentiellement systémiques, que vous observez fréquemment. Ces informations pourraient nous aider à élaborer, en complément de votre charte, un cadre plus sécurisant pour tous.
M. Emmanuel Thomas. J’ai des exemples précis de dysfonctionnements que je souhaite évoquer. Il ne s’agit pas seulement du film de Catherine Corsini. J’ai participé à une trentaine de films et, en tant que technicien sur le plateau, j’ai été témoin de nombreux incidents. Cela commence dès la figuration et la cantine. Par exemple, un figurant ne reçoit pas le même repas qu’un technicien ou qu’un acteur. Or il est stipulé que nous devons avoir un traitement égal. Pour vous parler de certains dysfonctionnements, je suis désolé, cela me touche profondément, car j’estime avoir vécu des situations que je n’aurais pas dû vivre sur certains tournages. Par exemple, sur un autre film, une directrice de production a accepté qu’un enfant mineur dorme chez le réalisateur. C’était un dysfonctionnement. Il y a aussi les fausses feuilles d’émargement concernant les horaires des enfants. Lorsqu’un enfant arrive, il doit signer une feuille d’émargement. Combien de fois m’a-t-on demandé de mentir sur les horaires et de signer cette feuille d’émargement ? En tant que technicien non cadre, j’obéis à une directrice de production qui elle-même obéit à la production. Il est impératif de sensibiliser les productions sur leur responsabilité légale. Par exemple, lorsque la directrice de production ou la productrice est référente en matière de harcèlement, comment voulez-vous dénoncer des faits, sachant que c’est votre employeur ? J’ai également été témoin d’une scène de sexe entre une mineure et un adulte non déclarée à la brigade de protection des mineurs et à la DRIEETS. Cela se produit régulièrement, avec deux feuilles de service différentes. Ces exemples illustrent des dysfonctionnements graves qui nécessitent une prise de conscience et des actions concrètes pour garantir le respect des lois et la protection des personnes impliquées dans les productions cinématographiques.
Une feuille de service est un document envoyé la veille à toute l’équipe de tournage pour déterminer les horaires d’arrivée des différentes équipes, telles que l’habillage, le maquillage, la coiffure, ainsi que l’équipe machino. Cette décision est prise la veille, généralement au moment du repas, par le second assistant réalisateur, qui consulte chaque département pour fixer les horaires d’arrivée et estimer le temps de préparation nécessaire le matin. Sur la plupart des tournages, des feuilles de service sont envoyées à la DRIEETS, mais celles-ci ne correspondent pas toujours aux feuilles reçues par les techniciens. Il arrive même que la DRIEETS ne les reçoive pas.
Pour apporter une véritable solution, il est essentiel de reconnaître que le cinéma, c’est du temps et de l’argent. Si nous souhaitons changer les choses, il est impératif d’investir dans la justice. La Cour des comptes a précisé dans un rapport de 2022 qu’il y avait eu une baisse de 15 % des effectifs des inspecteurs du travail et un taux de vacances de 22 % en 2023. J’ai entendu parler d’une inspectrice qui, lors de sa première visite sur un plateau de tournage, a passé une journée entière à comprendre le fonctionnement d’un tel environnement. Il est nécessaire de les former, de les éduquer et de sanctionner les manquements. Si nous voulons que les choses évoluent, il faut que les productions soient tenues responsables. Je suis conscient que cette position peut me rendre impopulaire et potentiellement réduire mes opportunités de travail, mais je préfère travailler avec des personnes bienveillantes. Il est crucial de s’attaquer au nerf de la guerre, à savoir l’argent. Des inspections régulières sur les plateaux de tournage doivent être effectuées et des sanctions doivent être appliquées en cas de non-respect des règles.
M. le président Erwan Balanant. Nous devons impérativement mettre en place des mesures de contrôle tout en veillant à une régulation efficace. Il est inacceptable de tolérer certaines pratiques bien documentées et connues, qui ne devraient en aucun cas exister. La réalité ne peut pas être ainsi déformée.
M. Emmanuel Thomas. Ce qui se passe actuellement est inacceptable : une équipe est présente, observe et laisse faire. Cela s’est produit et j’espère que cela ne se reproduira plus. Le film Maria de Jessica Palud, qui a été projeté à Cannes, en est un exemple frappant.
M. David Bertrand. Pour votre commission, il est essentiel de consulter les associations des directeurs de production, les producteurs, ainsi que l’association des premiers et premières assistantes. Ce sont elles qui gèrent nos castings. Par ailleurs, il est impératif d’inclure le SFAAL, car certaines actrices représentées par des agents ne se sentent ni en sécurité ni protégées. En effet, au sein des listes de certains agents, on retrouve des agresseurs ou des individus faisant l’objet de suspicions. Dès lors, ces actrices ne peuvent plus se sentir protégées par leur agent. Les agents doivent prendre conscience que, même en l’absence de plainte avérée, une rumeur persistante doit entraîner le retrait temporaire des personnes concernées de leurs listes. Cela permettrait aux actrices et acteurs agressés de se sentir en sécurité au sein de leurs agences. Sinon, la confiance est rompue. Il est donc nécessaire d’interroger le SFAAL et tous les agents en France sur cette question. La loyauté qui nous unit sur un plateau de tournage est primordiale. Nous devons agir rapidement et éviter toute vulnérabilité, car le temps perdu compromet la qualité et l’ambition artistique du film. Les premiers assistants, les premières assistantes et la direction de production jouent aussi un rôle crucial. En cas de problème sur le plateau, nous nous tournons vers un directeur ou une directrice de production, qui, avec la délégation du producteur, assume la responsabilité de nombreux aspects, y compris les heures supplémentaires et le déroulement général des opérations. Ce sont eux et elles qui observent ce qui se passe sur le plateau et qui peuvent également choisir de ne pas voir, car il est nécessaire d’avancer.
Lorsqu’un incident survient sur le plateau, que faire en l’absence de plainte ? Cache-t-on quelqu’un dans un placard, en continuant à donner des directives à des techniciens qui se retrouvent sur le plateau comme des zombies, répondant à des instructions qu’ils ne souhaitent pas suivre parce que le réalisateur ou la réalisatrice est caché dans un placard et qu’on ne veut pas le voir ? Subir ces situations relève du harcèlement. Outre-Atlantique, on arrêterait ce tournage. Combien de temps allons-nous supporter ce film ? Allons-nous le monter ? Le proposer en festival ? Crier dans les festivals « Non aux agresseurs » ? C’est toute une chaîne qu’il faut interrompre. Aux États-Unis, le réalisateur ou la réalisatrice peut être remplacé au pied levé, car le cinéma y est plus axé sur le divertissement et moins sur la notion d’auteur. En France, la toute-puissance de l’auteur pose un problème de remplacement, mais nous devrions être capables de remplacer un réalisateur de grand talent par un collègue de la même ligne. Pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire ? Il est inacceptable de faire subir à une équipe loyale, qui a besoin de travailler, la présence d’un agresseur sur le plateau. C’est le début du harcèlement.
Les conditions financières jouent également un rôle. Nous pouvons déjà anticiper, au vu de la somme allouée au casting, que cela se passera mal sur l’ensemble du tournage. Si des directeurs et directrices de production mésestiment notre fonction, ils risquent de faire de même avec de nombreuses autres fonctions également. Cela peut marquer le début du harcèlement, notamment lorsque nous sommes sous-payés ou pressurisés par manque de temps. Nous souhaitons accomplir notre travail par passion artistique ou par fidélité envers les auteurs. Les productions et la direction de production revêtent une importance capitale. Il est essentiel qu’elles soient entendues pour envisager des modes de fonctionnement différents.
M. le président Erwan Balanant. Je vous rassure, toutes les personnes que vous avez citées seront entendues.
M. David Bertrand. Il existe une sorte de fantasme autour du pouvoir d’un directeur de casting. Autrefois, il n’y en avait qu’un, puis cinq. La carrière d’un comédien pouvait alors dépendre de ces cinq personnes et il était crucial de ne pas se les aliéner. Actuellement, nous sommes plus de cent vingt, ce qui réduit considérablement la pression. Nous avons moins ce pouvoir sur la carrière de quelqu’un. Notre statut devient plus sain, car dès lors que le cinéma et l’audiovisuel sont devenus une industrie par choix politique, il a fallu mobiliser beaucoup plus de personnes pour exercer ce métier. Cela a diminué le pouvoir individuel et assaini les relations professionnelles. Cependant, les conditions de travail se dégradent régulièrement. Un film qui se réalisait en neuf ou dix semaines se tourne désormais en six. Il est impératif de revenir à des conditions normales, car la pression actuelle risque de nous pousser à harceler d’autres personnes, ce qui n’est pas conforme à nos valeurs. La chaîne de production, composée de centaines de personnes sur un plateau, pourrait finir par être contaminée par ce système.
On nous dit parfois « Oh, je trouverai bien quelqu’un qui fera cela pour 500 ou 1 000 euros. » Pour quinze rôles dans une série, la directrice de production finit par demander à sa sœur ou à sa fille de publier des annonces sur Internet, cherchant quelqu’un qui soit capable de monter à cheval pour un rôle important. Nous ne sommes pas respectés dans cette fonction. Dès lors, selon qu’on nous parle d’argent ou d’envie artistique, nous savons si cela se passera bien ou non. C’est véritablement une question de reconnaissance.
Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Combien d’adhérents compte Arda ?
M. Laurent Couraud. Quatre-vingt-sept.
M. le président Erwan Balanant. Nous allons rencontrer le CNC très prochainement pour obtenir des chiffres précis. Il est en effet essentiel que nous connaissions le nombre de films produits en France, car notre industrie cinématographique repose sur un modèle particulier, fortement financé par des fonds publics et privés. Nous interrogerons également les financeurs et les investisseurs des films, cela nous semble primordial.
Un problème économique se pose-t-il dans le cinéma français ? Ce n’est pas un jugement de valeur sur la qualité des films, car il y a de nombreux bons films, mais peut-être une surproduction. J’ai l’impression que beaucoup plus de films se tournent qu’auparavant et que nous en consommons également davantage. L’économie du cinéma français n’est peut-être pas complètement adaptée à cette réalité. Il faut aussi considérer l’économie des plateformes, qui suivent souvent des modèles américains avec des productions différentes. En France, le réalisateur est le patron sur le plateau, tandis qu’aux États-Unis, la production a plus de pouvoir et peut décider de changer de réalisateur à tout moment, sans problème. Cette différence dans la structuration économique du milieu cinématographique pourrait-elle mener à la précarité ? Les techniciens, auteurs, réalisateurs, comédiens et comédiennes sont-ils de plus en plus précaires ? La précarité conduit à la vulnérabilité, nous le savons bien.
M. Laurent Couraud. Votre analyse est pertinente. La précarité dans ce secteur est en augmentation. Par ailleurs, le nombre de films est en croissance exponentielle si l’on prend en compte le cinéma, les plateformes de streaming, la télévision et les web-séries. Tous ces médias se sont multipliés et les réseaux sociaux jouent également un rôle important en diffusant du contenu.
M. David Bertrand. Personnellement, je souscris pleinement à la proposition du collectif 50/50 d’externaliser certains postes, si nécessaire. Nous devons observer l’évolution des rôles de référent et de responsable enfant. Si les résultats ne sont pas convaincants, il serait pertinent de reconsidérer l’allocation des ressources financières, notamment en envisageant l’externalisation du poste de référent harcèlement, qui pourrait être confié, par exemple, au CCHSCT. De même, pour le poste de responsable enfant, une externalisation pourrait être envisagée, à condition qu’elle ne dépende pas de la production, mais vienne peut-être de la DRIEETS. Il serait judicieux de revenir sur le CPNEF pour former ces personnes, afin qu’elles ne soient pas uniquement des référents régisseurs, casting ou chefs de file. Il est surtout impératif que le rôle de référent ne soit plus attribué aux producteurs ou productrices, car leur engagement est trop important. Il est devenu impossible pour eux d’assumer cette fonction sans compromettre leur impartialité, ce qui a conduit à des situations de protection excessives, dépassant la simple loyauté, et cela vaut également pour les directeurs de production.
M. le président Erwan Balanant. Je vous entends, mais le producteur est l’employeur et, dans notre pays, l’employeur, comme le dispose l’article L. 4121-1 du code du travail, est le garant de la sécurité et de la santé de ses employés. Nous le répétons et continuerons à le répéter. À ce titre, si certains producteurs ou certaines productions sont défaillants sur ce point, il est essentiel de les nommer. Je suis désolé de lancer ce pavé dans la mare, mais si vous avez des noms, il faut les citer.
M. Emeric Salmon (RN). M. Bertrand, vous avez conclu votre propos liminaire en formulant une demande auprès du ministère. Pourriez-vous clarifier ce point, car je n’ai pas saisi précisément ce que vous demandiez ?
M. David Bertrand. Sur les conventions collectives, les discussions sont souvent très longues. Nous passons beaucoup de temps à parler de nos métiers, à faire en sorte que les syndicats puissent appuyer nos demandes, et ensuite, les décisions se prennent entre partenaires sociaux, éventuellement dans le cadre des nouvelles conventions collectives. Par exemple, nous avions un rendez-vous en mai qui a été reporté parce que d’autres corporations passent avant nous. Nous ne voulons pas attendre sept ans. Je suis prêt à le faire pour ceux qui viendront après nous, mais puisqu’il s’agit d’une urgence, il faut que les politiques nous soutiennent également. Nous dépendons autant du ministère de la culture que du ministère du travail. Si vous pouviez nous aider, mais que nous travaillions ou non ensemble sur ces sujets, nous avons besoin des syndicats, des partenaires sociaux, mais aussi de vous, car vous êtes à notre écoute et nous entendons ce sur quoi vous travaillez. Si ces structures ne sont mises en place que dans sept ou huit ans, nous ne nous en sortirons pas. Il s’agit de questions urgentes. Judith Godrèche a exprimé une urgence, et nous devons également veiller à ce que des effets rapides se manifestent. Nous pouvons continuer à franchir ces étapes et nous y travaillons, mais votre intervention serait vraiment appréciée.
M. le président Erwan Balanant. Nous partageons votre volonté d’avancer rapidement. Judith Godrèche a accompli un acte courageux en dénonçant plusieurs faits ici même. Pour autant, cela fait vingt ans que des dénonciations sont formulées. La législation sur le droit du travail existe et peut certainement être améliorée, notamment en ce qui concerne la réponse pénale et la définition de l’outrage sexiste jusqu’au viol. C’est précisément pour cela que nous sommes ici, afin que les pouvoirs publics mettent en place des politiques publiques adéquates. Il est également essentiel que le système se transforme et prenne conscience de certains dysfonctionnements, car en vous écoutant, il apparaît clairement que, si nous passions l’après-midi avec vous, nous continuerions à découvrir de nouveaux éléments. Nous sommes au début de ces auditions et nous allons les poursuivre avec détermination. Vous pouvez compter sur nous, ainsi que sur tous les parlementaires de cette commission d’enquête, pour avancer, aller jusqu’au bout et formuler des propositions fortes afin que les choses changent. Et il faut qu’elles changent.
M. Laurent Couraud. Nous sommes prêts et nous n’avions rien à nous reprocher. Allez taper au bon endroit.
M. David Bertrand. Même si nous avions des choses à nous reprocher, il est essentiel que chacun d’entre nous procède à une remise en question. Cette démarche est aujourd’hui largement souhaitée par tous, en raison du débat actuel qui nous touche et des questions qui nous traversent. Si auparavant nous avons perçu certains problèmes sans réagir, faute de moyens intellectuels ou de présence d’esprit, aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous permettre cette inaction. Il est impératif que cette prise de conscience se diffuse non seulement dans le monde du cinéma, mais également dans toutes les strates de la société.
La séance s’achève à douze heures cinquante.
Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Erwan Balanant, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Sarah Legrain, M. Denis Masséglia, Mme Graziella Melchior, Mme Francesca Pasquini, M. Emeric Salmon, M. Michaël Taverne
Excusé. – M. François Cormier-Bouligeon