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N° 286 rect.

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÉME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2022.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273)

TOME VII

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

TRANSPORTS AÉRIENS

PAR M. Damien ADAM

Député

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 Voir le numéro : 273

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Un budget annexe marqué par la reprise progressive du trafic aérien

A. Une hausse des recettes portée PAr la reprise du trafic

1. Des prévisions de recettes en augmentation

2. Un recours modéré à l’emprunt

B. des dépenses tournées vers l’avenir

1. Les trois programmes du budget annexe

a. Le programme « Navigation aérienne » (n° 612)

b. Le programme « Soutien aux prestations de l’aviation civile » (n° 613)

c. Le programme « Transports aériens, surveillance et certification » (n° 614)

2. Les dépenses de personnel

3. Les dépenses d’investissement et de fonctionnement

II. Un effort de décarbonation du secteur à accroître

1. Accélérer le développement des carburants d’aviation durables

2. Optimiser les trajectoires de vol

3. Sensibiliser les consommateurs pour modifier les comportements

4. Encourager le report modal de l’aérien vers le ferroviaire

a. Renforcer l’interdiction des trajets en avion en cas d’alternative en train

b. Améliorer l’intermodalité entre le train et l’avion

c. Développer les énergies renouvelables sur les délaissés aéroportuaires

5. Agir au niveau national, mais également européen et international

III. Les jets privés : un mode de déplacement devenu symbolique qu’il convient de mieux encadrer

1. Un moyen de transport polluant utilisé par une minorité de personnes

2. Mieux réglementer l’utilisation des jets privés

a. Renforcer la fiscalité de l’aviation privée

b. Prévoir des objectifs plus ambitieux d’incorporation de carburants durables

c. Accroître la transparence sur l’utilisation des jets

Examen en commission

liste des personnes auditionnées

 


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   Introduction

Le transport aérien sort d’une crise sans précédent liée à l’épidémie de la covid-19. Le trafic aérien français, après avoir chuté de 70 % en 2020 et de 61 % en 2021 par rapport à 2019, a progressivement augmenté pour atteindre, en août dernier, 90 % de son niveau enregistré en août 2019.

Dans ce contexte inédit, les mesures de soutien public mises en place dès le début de la crise sanitaire ont été indispensables à la préservation d’un secteur qui représentait 4,3 % du produit intérieur brut, 1,165 million d’emplois et 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019. Tous les acteurs concernés en conviennent : en l’absence de telles mesures, une très large partie du secteur aérien français aurait aujourd’hui disparu. Le dispositif d’activité partielle a par ailleurs permis un fonctionnement relativement efficace de l’écosystème aérien cet été, en comparaison des difficultés rencontrées dans de nombreux pays européens.

Le projet de budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) s’inscrit dans ce contexte de sortie de crise. Il vise à faire face aux effets persistants de la crise sur les recettes et les dépenses du BACEA, à favoriser la reprise du trafic aérien tout en poursuivant la transition écologique de l’aviation civile.

Après deux années prioritairement consacrées à la survie économique du secteur, la question de la décarbonation du transport aérien est plus que jamais d’actualité.

Responsable de près de 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et de 5 à 6 % de ces émissions en France, le secteur aérien est en effet soumis à une pression importante pour réduire son empreinte environnementale.

Pour le transport aérien plus que pour n’importe quel autre secteur économique, la réussite de la transition écologique devient un enjeu de survie dans le monde décarboné de demain.

Or, il n’existe pas de solution qui serait à elle seule suffisante pour atteindre l’objectif de neutralité carbone du transport aérien en 2050. Une panoplie d’outils doit être mobilisée, parmi lesquels on peut citer le recours à des carburants d’aviation durables (SAF en anglais, pour « sustainable aviation fuel »), l’optimisation des trajectoires de vol, le renouvellement de la flotte par des avions moins consommateurs de kérosène ou encore le report modal vers des moyens de transport moins polluants. La mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse des compagnies aériennes, des aéroports, des constructeurs aéronautiques, mais également des citoyens, à travers une évolution des pratiques, est également essentielle. Enfin, le transport aérien étant par essence mondial, les mesures prises au niveau national doivent s’accompagner d’un renforcement de la réglementation européenne et internationale.

Le rapporteur pour avis propose, dans le présent avis budgétaire, quelques pistes afin d’accélérer la décarbonation du secteur aérien. Il aborde par ailleurs la question plus spécifique des jets privés, dont l’utilisation parfois abusive a suscité une récente polémique, et préconise des mesures pour mieux les encadrer.


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I.   Un budget annexe marqué par la reprise progressive du trafic aérien

La mission « Contrôle et exploitation aériens » retrace dans le cadre d’un budget annexe les activités de prestation de services de la direction générale de l’aviation civile (DGAC). Comme tous les budgets annexes, le BACEA est présenté à l’équilibre, ses dépenses étant principalement financées par les recettes issues de l’activité des services et, le cas échéant, par le recours à l’emprunt.

Après deux années marquées par une baisse importante des recettes compensée par un recours massif à l’emprunt, le projet de budget pour 2023 s’inscrit dans un contexte toujours incertain.

A.   Une hausse des recettes portée PAr la reprise du trafic

1.   Des prévisions de recettes en augmentation

Les ressources du BACEA sont principalement issues du secteur de l’aviation civile, qu’elles prennent la forme de redevances pour services rendus ou de recettes fiscales. Elles dépendent très fortement du trafic aérien.

Les prévisions de recettes sous-jacentes au projet de loi de finances (PLF) pour 2023 sont réalisées en faisant l’hypothèse d’un niveau de trafic aérien qui atteindrait, en 2023, 97 % du niveau constaté en 2019, avant la crise de la covid-19 ([1]).

Le montant total des recettes, hors recours à l’emprunt, est estimé à 2 232,4 millions d’euros, soit une augmentation de 560 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022 (+ 34 %).

Évolution des recettes du budget annexe

(en millions d’euros)

Source : DGAC

Les recettes du BACEA devraient donc connaître une forte hausse en 2023 par rapport à 2022. Ces prévisions doivent toutefois, cette année encore, être considérées avec la plus grande prudence en raison de l’incertitude liée à l’évolution de la crise sanitaire dans les prochains mois.

Les principales redevances et taxes se décomposent de la manière suivante :

– Les redevances de navigation aérienne ([2]) couvrent les coûts afférents à la navigation aérienne, dans le cadre de la réglementation européenne.

Au total, ces redevances sont estimées à 1 746,4 millions d’euros en 2023, en hausse de 33,6 % par rapport à la LFI 2022 (+ 439,4 millions d’euros).

Plus précisément, les prévisions de recettes issues des redevances de la navigation aérienne en métropole s’élèvent à 1 711,7 millions d’euros, composées de la redevance de route à hauteur de 1 481,7 millions d’euros et de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) pour 230,3 millions d’euros. En outre-mer, les recettes de la navigation aérienne atteindraient 34,3 millions d’euros en 2023, dont 24,3 millions d’euros de RSTCA et 10 millions d’euros de redevance océanique ;

– Les redevances de surveillance et de certification ([3]) couvrent notamment les activités de délivrance d’autorisations et d’agréments aux compagnies aériennes, aux aéroports, aux personnels, aux organismes de sûreté, etc. Le produit de ces redevances est estimé à 25,5 millions d’euros au titre de l’exercice 2023, soit 1,4 million d’euros de plus qu’en LFI 2022, ce qui correspond à une hausse de 5,9 % ;

– La taxe d’aviation civile ([4]) est assise sur le nombre de passagers ou la masse de fret embarqué pour l’ensemble des vols commerciaux, à l’exception des vols en correspondance. Le produit attendu de cette taxe est estimé à 444,3 millions d’euros en 2023, ce qui correspond à une hausse de 118,9 millions d’euros par rapport à la LFI 2022 (+ 37 %).

Prévisions de recettes du budget annexe, hors emprunt

(en millions d’euros)

 

LFI 2022

PLF 2023

Écart PLF 2023 / LFI 2022

Évolution PLF 2023 / LFI 2022

Redevances de navigation aérienne, dont :

1 307,00

1 746,36

439,36

33,6 %

- Redevances de route

1 087,00

1 481,76

394,74

36 %

- RSTCA - métropole

190,00

230,30

40,30

21 %

- ROC et RSTCA - outre-mer

30,00

34,30

4,30

14 %

Redevances de surveillance et de certification 

24,12

25,55

1,42

6 %

Taxe de l’aviation civile

325,40

444,32

118,92

37 %

Contribution Bâle-Mulhouse

5,41

5,56

0,15

3 %

Autres recettes (frais de gestion, cessions d’actifs immobiliers…)

9,97

10,60

0,64

6 %

TOTAL hors emprunt

1 671,90

2 232,39

560,49

34 %

Source : Projet annuel de performance du BACEA

2.   Un recours modéré à l’emprunt

Alors que la DGAC était engagée depuis plusieurs années dans une politique ambitieuse de désendettement, la baisse sans précédent des recettes liée à la diminution du trafic pendant la crise sanitaire l’a contrainte à recourir massivement à l’emprunt pour lui permettre de faire face à ses dépenses, notamment de personnel. La reprise du trafic lui permet d’envisager un désendettement à compter de 2023.

Après des années d’augmentation régulière de la dette, le budget annexe a connu une phase de désendettement entre 2014 et 2019. L’encours de dette du budget annexe a ainsi diminué de 48 % sur cette période, permettant de revenir à la fin de l’année 2019 à un niveau d’endettement jamais atteint depuis fin 2000 (667 millions d’euros d’encours de dette à fin 2019). Les efforts ont été particulièrement conséquents en 2018 et 2019, ces deux années étant marquées par une absence de recours à l’emprunt et des remboursements d’emprunt supplémentaires par rapport à ceux prévus en LFI, ce qui a permis à la DGAC d’aborder la crise sanitaire dans une situation financière assainie.

Face à l’ampleur inédite de la crise sanitaire, les efforts de désendettement menés jusqu’en 2019 n’ont pas permis d’éviter un recours massif à l’emprunt. La chute brutale du trafic aérien et la mise en œuvre des reports de paiement des taxes et redevances aériennes ont conduit à un niveau de recettes en 2020 inférieur de 60 % à la prévision sous-jacente à la LFI de l’année.

Le recours à l’emprunt est devenu une nécessité pour permettre au budget annexe de faire face à ses dépenses incompressibles. Le niveau de dette a ainsi bondi de 667 millions d’euros fin 2019 à 2,71 milliards d’euros prévus fin 2022.

Au regard des hypothèses de reprise du trafic, l’équilibre du BACEA nécessitera un recours à l’emprunt modéré en 2023, estimé à 256,6 millions d’euros, soit 452,9 millions d’euros de moins par rapport à la LFI 2022, où l’emprunt s’élevait à 709,5 millions d’euros.

L’emprunt souscrit en 2023 conduit à une augmentation des dépenses liées à la dette à hauteur de 18,7 millions d’euros par rapport à la LFI 2022.

Compte tenu des charges financières et du remboursement d’emprunt portés par le BACEA, celui-ci amorcerait son désendettement dès 2023, avec un encours de dette culminant à 2,6 milliards d’euros fin 2023, ce qui correspond à une diminution de 110 millions d’euros par rapport au montant attendu fin 2022. L’encours de dette nette fin 2027 s’établirait à environ 1,1 milliard d’euros.

Évolution de la dette du BACEA

(en milliards d’euros)

 

Légende : 2015 à 2021 : exécution ; 2022 : prévision d’exécution ; 2023 = PLF23 ; 2024-2027 = prévisions indicatives.

Source : DGAC

B.   des dépenses tournées vers l’avenir

Les dépenses du BACEA sont estimées à 2 489 millions d’euros en crédits de paiement dans le PLF 2023, contre 2 381,4 millions d’euros en LFI 2022, soit une hausse de 107,6 millions d’euros (+ 4,5 %).

Si l’on exclut les dépenses de remboursement d’emprunt, les crédits de paiement du budget annexe s’élèvent à 2 121,8 millions d’euros dans le PLF 2023.

Prévisions de dépenses du BACEA

(en millions d’euros)

 

LFI 2022

PLF 2023

Crédits adoptés

Crédits demandés

AE

CP

AE

CP

Programme 612
Navigation aérienne

573,3

581,8

574,5

592,6

Programme 613
Soutien aux prestations de l'aviation civile

1 754,5

1 754,5

1 483,8 *

1 483,8 *

Programme 614
Transports aériens, surveillance et certification

45,1

45,1

45,5

45,5

Total

2 373,0

2 381,4

2 103,8 *

2 121,8 *

* Hors remboursement lié à l’emprunt.

Source : questionnaire budgétaire.

1.   Les trois programmes du budget annexe

Les crédits du budget annexe sont répartis en trois programmes budgétaires.

a.   Le programme « Navigation aérienne » (n° 612)

Le programme « Navigation aérienne » recouvre les activités de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA), service à compétence nationale. Ses services sont regroupés en cinq centres de contrôle en-route et neuf centres régionaux chargés du contrôle d’approche et du contrôle d’aérodrome. Avec près de 1 000 000 km2, la DSNA gère l’un des espaces aériens les plus vastes d’Europe. Elle emploie près de 7 400 personnes sur l’ensemble de ces sites, dont 4 800 contrôleurs aériens et 1 300 personnels en charge de la maintenance.

Le plan stratégique de la DSNA à horizon 2030, en cours d’élaboration, précisera les grands axes de transformation de la direction, déclinés dès 2023 en plans d’actions. Ces plans devront notamment permettre à la DSNA de gagner en performance opérationnelle et en résilience, un objectif particulièrement crucial quand on sait que ses services ont été à l’origine de plus de la moitié des retards provoqués par les services de contrôle européens en 2020. Un autre axe de transformation essentiel tient à la modernisation des technologies, notamment à travers la poursuite du déploiement du système de contrôle 4-Flight dans les cinq centres de contrôle en‑route, qui permettra d’augmenter les capacités et la qualité du contrôle aérien.

Dans le PLF 2023, ce programme est doté de 574,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 592,6 millions d’euros en crédits de paiement, contre 573,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et 581,8 millions d’euros en crédits de paiement en LFI 2022.

b.   Le programme « Soutien aux prestations de l’aviation civile » (n° 613)

Le programme « Soutien aux prestations de l’aviation civile » regroupe les fonctions support de la DGAC (ressources humaines, suivi budgétaire, politique immobilière et systèmes d’information). Ce programme comporte également les charges financières de la mission et les remboursements d’emprunts, ainsi que la subvention attribuée à l’École nationale de l’aviation civile (ENAC).

La DGAC poursuit ses efforts de maîtrise des dépenses à travers la modernisation et la mutualisation des fonctions support et le développement de l’audit interne. Le PLF 2023 prévoit en outre une stabilité des effectifs, avec un schéma d’emplois nul. La masse salariale s’adaptera aux besoins liés à la reprise du trafic aérien, grâce à des recrutements dans le corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, des réductions d’effectifs étant prévues au sein des fonctions support.

Malgré ces efforts de maîtrise des dépenses, le BACEA pourrait être amené à emprunter 256,6 millions d’euros en 2023 (voir supra).

Au sein du programme 613, l’ENAC est le seul opérateur de la mission budgétaire. Outre des ressources propres, son budget est assuré par une subvention pour charges de service public de la DGAC, qui finance les dépenses de personnel et une partie des dépenses de fonctionnement. En complément, une dotation en fonds propres est également versée et couvre une partie des opérations d’investissement de l’école. Cette subvention s’élève à 97,8 millions d’euros en 2023, un montant en légère augmentation par rapport à 2022 (+ 0,8 million d’euros).

Les crédits du programme 613 progressent de 5,5 % entre la LFI 2022 et le PLF 2023.

c.   Le programme « Transports aériens, surveillance et certification » (n° 614)

Le programme « Transports aériens, surveillance et certification » regroupe les activités de la DGAC en matière de contrôle de la conformité à la réglementation, notamment internationale et européenne, des activités de transport aérien. Sont ainsi concernées la sécurité et la sûreté du transport aérien (notamment au regard des nouvelles menaces que peuvent constituer les drones ou le survol de régions en conflit), mais aussi la réduction des nuisances générées par l’aviation, notamment les nuisances sonores et les émissions polluantes, ou encore la protection des droits des passagers, en particulier en cas de retard important.

Les crédits consacrés à ce programme s’élèvent à 45,5 millions d’euros dans le PLF 2023, contre 45,1 millions d’euros en LFI 2022.

2.   Les dépenses de personnel

Les crédits de personnel s’élèvent, dans le PLF 2023, à 1 282 millions d’euros, soit une augmentation de 67,9 millions d’euros par rapport à la LFI 2022. Ce montant tient compte du schéma d’emplois, de l’évolution du point d’indice et de l’ouverture des négociations d’un nouveau protocole social pour 2023-2027.

Sur la période 2023-2027, le schéma d’emplois s’établit à + 324 équivalents temps plein. Il permettra d’assurer le recrutement d’ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne afin de disposer d’un effectif qualifié dès 2028, compte tenu de la durée de formation des ingénieurs et de la vague massive de départs à la retraite prévue à la fin de la décennie. Ce schéma a également vocation à préserver les ressources expertes nécessaires pour faire face aux enjeux de sécurité, de sûreté, de modernisation technologique et de transition écologique et pour achever la réforme de la modernisation des fonctions support.

Par ailleurs, la hausse des dépenses de personnel s’explique par la mesure de revalorisation du point d’indice de la fonction publique de 3,5 %, entrée en vigueur le 1er juillet 2022, mais qui produira ses effets en année pleine en 2023.

Enfin, la DGAC ouvrira dans les prochains mois une négociation collective avec les représentants du personnel. Les discussions avec les partenaires sociaux avaient formellement débuté au dernier trimestre 2019 et se sont poursuivies au premier trimestre 2020. L’objectif de ce protocole était de poursuivre et d’améliorer la performance de la DGAC tout en assurant la sécurité et la sûreté optimales du trafic, le tout sur une période de cinq ans (2020-2024). Ces négociations, interrompues par la crise sanitaire, vont désormais reprendre. Elles doivent permettre de mettre en œuvre les mesures d’amélioration de la performance dans les meilleures conditions.

3.   Les dépenses d’investissement et de fonctionnement 

Hors remboursement d’emprunt et dépenses de personnel, les dépenses du BACEA s’élèvent à 839,82 millions d’euros dans le PLF 2023, soit une hausse de 20,4 millions d’euros par rapport à la LFI 2022.

Cette progression des dépenses est poussée par l’augmentation des dépenses de fonctionnement (+ 24,3 millions d’euros). Celle-ci s’explique par les surcoûts liés à l’inflation (+ 10 millions d’euros), par l’accompagnement du fonctionnement opérationnel de la DSNA (+ 6,1 millions d’euros) ainsi que par la hausse des coûts liés au financement d’Eurocontrol (+ 3,2 millions d’euros). L’année 2023 se caractérisera également par la poursuite de la transformation de la DGAC, grâce à la mise en œuvre de la modernisation de ses fonctions support (+ 4,7 millions d’euros). Enfin, la subvention pour charges de service public de l’ENAC doit progresser afin de couvrir la revalorisation du point d’indice (+ 0,8 million d’euros). Les charges financières, quant à elles, sont en léger recul (- 0,5 million d’euros) du fait d’un emprunt moins important que l’année précédente.

Enfin, les dépenses d’investissement, qui atteignent 321,75 millions d’euros en crédits de paiement dans le PLF 2023, connaissent une quasi-stabilisation par rapport à la LFI 2022 (- 3,9 millions d’euros). Ces dépenses d’investissement, en particulier dans les systèmes de navigation aérienne, permettent à la DGAC de poursuivre la modernisation de ses équipements et de répondre aux enjeux de sécurité et de performance environnementale et opérationnelle de la navigation.

II.   Un effort de décarbonation du secteur à accroître

Au niveau mondial, les émissions du transport aérien représentent environ 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cette part est plus importante en France, où elle est estimée à 5 à 6 % des émissions, selon la direction générale de l’aviation civile (DGAC).

Des études scientifiques récentes, présentées dans un rapport de la Commission européenne du 23 novembre 2020 ([5]) et dans le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (Giec), estiment que l’impact total sur le climat de l’aviation est trois fois plus important que l’impact du seul CO2, avec toutefois des marges d’incertitude importantes. L’aviation serait responsable de phénomènes physico‑chimiques qualifiés d’« effets non-CO2 », principalement dus aux nuages provenant de l’aviation (traînées de condensation) et aux émissions d’oxydes d’azote (NOx). Par ailleurs, les conditions dans lesquelles les émissions sont effectuées, c’est-à-dire en haute altitude, seraient susceptibles de modifier l’impact radiatif des gaz rejetés. Pour le dire autrement, le pouvoir « réchauffant » de ces gaz est susceptible d’être supérieur, pour une quantité de molécules donnée, à celui de gaz émis dans d’autres conditions.

La décarbonation du transport aérien constitue donc un enjeu majeur dans la lutte contre le changement climatique.

De nombreux leviers sont disponibles pour accélérer la transition écologique de ce secteur : le recours à des carburants d’aviation durables (SAF en anglais, pour « sustainable aviation fuel »), l’optimisation des trajectoires de vol, le renouvellement de la flotte par des avions moins consommateurs de kérosène, le report modal vers d’autres moyens de transport lorsque cela est possible, etc. La mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse des compagnies aériennes, des aéroports, des constructeurs aéronautiques, mais également des citoyens, à travers une évolution des pratiques, est essentielle.

1.   Accélérer le développement des carburants d’aviation durables

L’utilisation de carburants d’aviation durables (SAF) constitue le principal levier de décarbonation de l’aviation à horizon 2050. Ces carburants durables permettent en effet d’obtenir 80 à 90 % de réduction des émissions de CO2, par rapport au kérosène.

Sans attendre le projet de règlement européen « Refuel », qui définit au niveau européen une trajectoire d’incorporation de SAF à horizon 2050, la France s’est dotée d’une feuille de route destinée à encourager la production et la mise sur le marché de ces carburants, avec un objectif de 2 % d’incorporation de SAF en 2025 et de 5 % en 2030. Depuis le 1er janvier 2022, l’objectif d’incorporation est fixé à 1 % et, s’il n’est pas atteint, la taxe incitative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports (Tiruert) est désormais due. Seuls les biocarburants dits avancés, c’est-à-dire n’entrant pas en compétition avec l’alimentation humaine et animale, sont éligibles.

La compagnie EasyJet utilise d’ores et déjà un mélange de carburants contenant 0,5 % de SAF pour ses vols nationaux et internationaux. Auditionné par le rapporteur pour avis, son directeur général a confirmé que la compagnie était en mesure de se procurer tous les volumes de SAF prévus dans sa feuille de route de décarbonation publiée le 26 septembre 2022, grâce à un contrat signé pour les cinq prochaines années avec l’entreprise Q8Aviation, l’un des principaux fournisseurs européens de carburéacteur. L’année dernière, EasyJet a été la première compagnie aérienne à effectuer des vols au départ de l’aéroport de Gatwick en utilisant un mélange de carburants contenant 30 % de SAF. La compagnie utilise des SAF avancés de deuxième génération, fabriqués à partir de divers types de biomasse non alimentaire. Cela inclut des matières premières telles que les huiles de cuisson usagées, les graisses animales, la paille, les eaux usées, etc, en conformité avec le mandat d’incorporation français.

Toutefois, la compagnie britannique semble faire figure d’exception, l’utilisation de SAF restant aujourd’hui tout à fait exceptionnelle. Entre le 1er janvier et le 31 juillet 2022, 7,2 millions de litres de carburants durables ont été mélangés aux carburants d’aviation fossiles, ce qui représente 0,2 % de la consommation du secteur aérien sur cette même période, selon les chiffres communiqués au rapporteur pour avis par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

Au niveau global, l’offre de SAF est encore très insuffisante pour répondre à la demande des compagnies et d’Air France KLM en particulier. Ce constat, dressé par la compagnie nationale, est partagé par la DGAC qui note que « le marché des SAF peine à se structurer et la production est encore quasi inexistante ». Dès lors, les transporteurs aériens se voient facturer, depuis le 1er janvier 2022, le montant de la taxe par les fournisseurs de carburants, les capacités de production, en particulier sur le territoire français, étant largement insuffisantes pour atteindre l’objectif d’incorporation de 1 %.

Par ailleurs, le coût actuel des SAF – comparé au kérosène classique – représente une barrière majeure à leur développement. En effet, ils sont aujourd’hui quatre à dix fois plus chers que le kérosène classique.

Dans ce contexte, il est urgent d’accentuer le soutien public à la production de SAF afin de favoriser la structuration d’une filière viable, l’essor des investissements et la massification de la production. En plus d’œuvrer à la décarbonation du secteur aérien, cette filière contribuera à la création d’emplois et renforcera l’indépendance énergétique de la France. En outre, contrairement à l’hydrogène, les SAF ne nécessitent pas de modifications d’infrastructures conséquentes et sont miscibles dans le réseau classique d’approvisionnement en kérosène des aéronefs.

Conscients de cet enjeu, les États-Unis déploient depuis plusieurs mois un soutien public massif à l’achat et à la production de SAF, comme en témoigne une proposition adoptée par le Congrès (SAF Bill) en mars 2021, qui vise à faire du pays le leader mondial des SAF et de l’aviation décarbonée.

La France, qui est depuis toujours l’un des pays pionniers de l’aviation, doit donc aujourd’hui investir massivement pour ne pas se faire distancer dans la production et l’utilisation de ces carburants d’avenir.

Plusieurs initiatives ont été prises en ce sens. Ainsi, un appel à projet intitulé « développement d’une filière de production française de carburants aéronautiques durables », doté d’une enveloppe maximale de 200 millions d’euros, a été lancé en juillet 2021 dans le cadre du plan France Relance. Financé par le quatrième programme d’investissements d’avenir, cet appel à projet intervient à deux niveaux : d’une part pour des travaux de démonstration visant des projets dont le niveau de maturité est encore faible, et d’autre part pour les travaux d’ingénierie préalables à la décision d’investissement visant des procédés de fabrication plus matures. Les conclusions de cet appel à projet, qui s’est terminé le 29 septembre dernier, sont toujours en attente. Face à l’urgence de développer une filière opérationnelle de production de carburants d’aviation durables en France, il convient d’accélérer les délais de mise en place des aides pour permettre le lancement des projets lauréats au plus vite.

Dans le prolongement de cet appel à projet, les aides prévues dans le cadre du volet aéronautique du plan France 2030 pourraient être mobilisées pour amplifier le soutien de l’État à l’émergence d’une filière française de production de carburants d’aviation durables. Après la mise en place de démonstrateurs et d’études préindustrielles, une nouvelle phase doit être engagée dès maintenant pour permettre l’industrialisation des projets. Les aides doivent désormais contribuer au financement d’usines de production.

Les investissements prévus par le cadre du plan France 2030 sont en effet cruciaux pour permettre le développement rapide des capacités de production de SAF en France. Un certain nombre de projets ont d’ores et déjà été engagés. On peut ainsi citer l’étude Hynovera, qui constitue un préalable à un projet de production d’e‑carburant dans le Sud de la France intitulé « neocarb valley ». Le projet BioTJet vise quant à lui à construire et mettre en route, à horizon 2027, la première unité industrielle française de production de biokérosène avancé, à partir de biomasse durable composée de résidus issus majoritairement de la sylviculture locale et de déchets de bois en fin de vie. Le projet Reuze, enfin, comporte une étude destinée à produire 68 000 tonnes d’e-carburant par an à partir d’hydrogène vert, lui-même produit à partir d’électricité renouvelable associée au CO2 capté sur le site d’ArcelorMittal de Dunkerque.

La France dispose à l’heure actuelle de trois lieux de production de SAF. La bioraffinerie de la Mède dans les Bouches-du-Rhône et celle de Grandpuits en Seine-et-Marne (cette dernière sera mise en service en 2024) produiront plus de 200 kilotonnes de biocarburants par an. La raffinerie de Normandie, située à Gonfreville-l’Orcher en Seine-Maritime, a également commencé à produire des biocarburants. Le développement de ces sites de production sur notre territoire doit aujourd’hui accélérer.

Au-delà des SAF, la décarbonation du transport aérien doit s’appuyer sur l’innovation technologique et la capacité de nos industries à être à l’origine de technologies de rupture. À cet égard, le plan de relance aéronautique, lancé en juin 2020 et doté de 15 milliards d’euros, doit permettre à la France de concevoir puis de produire les avions et les hélicoptères propres de demain.

Ce plan a permis d’intensifier le soutien de l’État aux efforts de recherche et de développement de la filière, à hauteur de 1,6 milliard d’euros sur la période 2020‑2022. La DGAC a indiqué au rapporteur pour avis que l’intégralité de ce 1,6 milliard a été engagée en soutien à 230 projets portant sur l’avion de ligne ultra sobre, les nouveaux moteurs ultra efficaces, l’hybridation électrique, l’avion à hydrogène, les hélicoptères ultra sobres et hybrides/électriques, la compatibilité des aéronefs avec tous les carburants d’aviation durables ou encore l’optimisation des opérations aériennes pour réduire la consommation de carburant.

Par ailleurs, le volet aéronautique du plan France 2030 apporte 400 millions d’euros de crédits complémentaires dédiés aux acteurs émergents de l’aéronautique. Un premier appel à projet, doté de 100 millions d’euros, a été lancé en avril dernier pour soutenir des innovations susceptibles d’alimenter rapidement le marché de l’aviation bas carbone, comme les avions légers électriques ou hybrides, réalisables à plus court terme que les avions de ligne bas carbone. Une première vague de projets lauréats sera sélectionnée d’ici la fin de l’année.

À cet égard, les perspectives de décarbonation de l’aviation à horizon 2035 concernent tout d’abord le développement d’avions court-courriers à propulsion à hydrogène. Ces avions pourraient être commercialisés à partir de 2035, ce qui correspond à la date la plus optimiste avancée aujourd’hui par Airbus. Ensuite, la piste d’avions électriques hybrides, fonctionnant grâce à des batteries électriques et du carburant, pour de très courtes liaisons ou des liaisons régionales, est étudiée par l’industrie. Enfin, le recours accru aux carburants d’aviation durables pourrait concerner l’ensemble des vols, avec un objectif actuellement fixé à 5 % de SAF en 2030 par la feuille de route destinée à encourager la production et la mise sur le marché de ces carburants.

2.   Optimiser les trajectoires de vol

L’optimisation des trajectoires de vol constitue un enjeu environnemental non négligeable puisqu’elle permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien de 6 % à 10 % lors des phases de décollage, d’approche et d’atterrissage. En réduisant la consommation de kérosène, elle présente également un intérêt économique dans la mesure où l’achat de carburant représente environ le quart des coûts d’exploitation d’une compagnie aérienne.

Aussi, les services de la navigation aérienne de la DGAC cherchent à développer des trajets plus directs, notamment au décollage et à l’atterrissage, grâce au déploiement de la procédure satellitaire RNAV ([6]) de guidage des appareils qui favorise les descentes et les montées continues, plutôt que par paliers. Il convient de noter que l’optimisation de la trajectoire de vol est complémentaire d’autres mesures d’écopilotage déjà mises en place par les compagnies aériennes, comme le roulage sur un moteur ou la réduction de l’utilisation des volets de braquage.

Si l’ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur pour avis se sont montrés favorables au développement d’une telle procédure de guidage, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) a regretté ses difficultés de mise en œuvre. En effet, les descentes continues concentrent le trafic aérien au-dessus de quelques points virtuels à partir desquels l’avion effectue sa descente selon une trajectoire très précise. Or, si la situation de la très grande majorité des populations habitant à proximité des aéroports sera améliorée en termes de réduction de la pollution et du bruit, l’impact est moins certain pour ceux dont les habitations se situent sous ces points virtuels.

Tout en mesurant l’impact que peut avoir une telle mesure sur des riverains qui aujourd’hui ne souffrent pas ou peu de nuisances sonores, le rapporteur pour avis regrette le retard pris dans le déploiement des nouvelles procédures de vol, celles-ci présentant un réel intérêt au niveau global. Elles constituent en effet un enjeu local stratégique pour réduire le bruit et améliorer la qualité de l’air.

Les taux de réalisation des procédures d’approche en descente continue restent aujourd’hui très faibles. Hormis à l’aéroport de Nice‑Côte d’Azur, il semblerait que les services locaux de la navigation aérienne rencontrent des difficultés pour présenter les résultats qui peuvent être escomptés de l’optimisation des procédures de vol. Selon l’Acnusa, cette situation est source de tensions locales et les projets n’avancent pas au rythme souhaité, par exemple autour des aéroports de Paris-Orly, Lille, Toulouse‑Blagnac ou Nantes‑Atlantique.

Des feuilles de route doivent donc être présentées au plus vite aux parties prenantes. Les concertations avec les compagnies aériennes et les aéroports, puis avec les collectivités territoriales et les associations, doivent s’engager sans tarder.

Il convient en outre de veiller à ce que les riverains affectés par le bruit des avions lors du décollage ou de l’atterrissage puissent bénéficier d’aides à l’insonorisation. Ces aides sont financées par la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) acquittée par les compagnies aériennes. Or, la baisse du trafic aérien liée à l’épidémie de la covid-19 s’est traduite par une perte de recettes de TNSA. De ce fait, les délais pour l’attribution des aides à l’insonorisation, déjà particulièrement longs, se sont encore accentués.

Aussi, afin de pouvoir lancer au plus vite les travaux d’insonorisation des habitations des riverains affectés par les nuisances sonores, une avance de l’État en faveur du dispositif d’aide à l’insonorisation, qui soit ensuite remboursable, progressivement, sur les recettes de la TNSA, pourrait être accordée. Une telle avance permettrait de compenser en partie la perte des recettes de la taxe et d’assurer la continuité des opérations de travaux d’insonorisation.

Les aides à l’insonorisation doivent en outre permettre d’aider dès maintenant les habitants dont les logements se situent au-dessous des points virtuels liés à la descente en continu. L’avance de l’État permettrait d’anticiper et de démarrer au plus vite les travaux nécessaires chez les personnes concernées.

3.   Sensibiliser les consommateurs pour modifier les comportements

Le développement des carburants d’aviation durables et les progrès technologiques constituent les principales solutions pour décarboner le transport aérien. Toutefois, même en présence d’investissements massifs, cette transition ne peut se faire du jour au lendemain. Plusieurs années sont encore nécessaires avant que les « avions verts » deviennent majoritaires dans le ciel.

C’est pourquoi la baisse des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien doit également s’appuyer sur un changement des comportements. Chacun, à son échelle, doit prendre conscience de l’impact des trajets en avion sur le climat et, lorsque cela est possible, limiter ses voyages en avion.

Il convient donc d’améliorer l’information des consommateurs.

Afin de valoriser les moyens de transport les moins émetteurs, l’article L. 1431-3 du code des transports dispose notamment que « toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de déménagement doit fournir au bénéficiaire de la prestation une information relative à la quantité de gaz à effet de serre émise par le ou les modes de transport utilisés pour réaliser cette prestation ». Cette obligation d’information s’applique au transport aérien.

Par ailleurs, des calculateurs d’émissions de CO2 contribuent à améliorer l’information des voyageurs en leur permettant de calculer eux-mêmes l’impact de leur voyage sur le réchauffement climatique. La plupart de ces calculateurs permettent également de compenser ces émissions en soutenant financièrement un projet écologique. Cette possibilité de calculer et de compenser l’impact de son voyage est désormais offerte par la plupart des compagnies aériennes européennes. Lors de la réservation du billet par internet, il est possible de cocher une case afin de garantir un vol neutre en carbone, ou de suivre un lien qui renvoie à un organisme privé partenaire pour compenser les émissions de CO2 de son vol.

L’éco-calculateur de la DGAC ([7]), disponible en ligne, permet de calculer la consommation de kérosène par passager équivalent (c’est-à-dire pour un passager) et les émissions de gaz à effet de serre associées, en distinguant les émissions liées au vol de celles résultant de la production et de la distribution de carburant. Si cet éco-calculateur fait aujourd’hui référence, il existe aujourd’hui de nombreux calculateurs, qui affichent parfois des résultats très différents selon qu’ils émanent des acteurs du transport aérien ou d’associations environnementales, avec des résultats pouvant aller de 1 à 7,5 sur certains vols long-courriers.

Calculer les émissions de gaz à effet de serre d’un vol est en effet complexe puisque de nombreux facteurs entrent en jeu comme le modèle de l’avion, son taux de remplissage ou les conditions météorologiques. Certains organismes, comme l’association de défense de l’environnement belge Greentripper, prennent aussi en compte d’autres facteurs de calcul tels que le forçage radiatif, qui ne sont pas repris par tous les calculateurs.

Au-delà du seul calcul des émissions liées aux trajets aériens, l’Agence de la transition écologique (Ademe) a mis en place un simulateur intitulé « nos gestes climat » qui permet aux citoyens de prendre conscience de leur empreinte carbone sur une année ([8]). Celle-ci est calculée à partir d’un questionnaire portant sur différentes catégories (transport, alimentation, logement, services publics, numérique). La partie consacrée aux transports comprend des questions sur le nombre de trajets effectués en avion et les distances parcourues en kilomètres. Après environ dix minutes de test, un « parcours action » permet de prioriser les éco‑gestes permettant de réduire son empreinte carbone, en faisant la part des choses entre les « petits gestes » pour le climat (remplacer ses ampoules, éteindre les appareils en veille…) et les « grands gestes » (réduire les trajets en véhicule thermique, consommer moins de viande…) qui ont un impact significatif. Un tel simulateur permet aux citoyens de prendre conscience du fait que les trajets en avion dégradent considérablement leur empreinte carbone et constituent de loin le premier poste d’émissions de CO2.

Le rapporteur pour avis estime qu’il convient d’aller plus loin afin de sensibiliser davantage les citoyens aux émissions de gaz à effet de serre provoquées par le transport aérien. Il propose ainsi de créer une plateforme internet, également déclinée en application mobile, présentant le « budget carbone aérien » par an de chaque citoyen. Le consommateur pourrait ainsi suivre l’évolution de son budget carbone annuel, ainsi que la consommation en carbone de chacun de ses trajets en avion effectués au départ ou à l’arrivée de France. Lorsque les données sont disponibles, il serait possible d’affiner la consommation en fonction des compagnies aériennes et du type d’avion. Le voyageur pourrait ainsi adapter sa mobilité en fonction de son budget carbone aérien, sachant que cette « consommation carbone » pourrait être lissée sur plusieurs années.

En appelant au sens des responsabilités, la mise en place de cette plateforme grand public devrait contribuer à limiter l’usage de l’avion.

4.   Encourager le report modal de l’aérien vers le ferroviaire

Il ne suffit pas de sensibiliser les voyageurs aux émissions de gaz à effet de serre produites par le transport aérien. Il faut également qu’ils puissent facilement remplacer leur voyage en avion par un moyen de transport moins polluant, ce qui suppose d’encourager le report modal de l’aérien vers le ferroviaire.

a.   Renforcer l’interdiction des trajets en avion en cas d’alternative en train

L’article 145 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience », interdit les liaisons aériennes régulières, à l’intérieur du territoire français, lorsqu’il existe une alternative ferroviaire sans correspondance de moins de 2 heures 30 minutes.

Le décret d’application de cet article, notifié à la Commission européenne le 17 novembre 2021, n’a toutefois toujours pas été publié. Celle-ci a en effet décidé de soumettre le projet de décret à un examen approfondi, qui a pour effet de suspendre son application le temps de l’examen. Tout en reconnaissant que l’objectif visé par la mesure est bien de contribuer à la lutte contre le changement climatique par l’utilisation de modes de transport émettant moins de CO2, la Commission a évoqué un possible risque de distorsion de concurrence entre transporteurs selon leur modèle économique (transporteurs de point à point ou transporteurs organisés en réseau et hubs).

À la suite d’échanges avec la Commission, une nouvelle version du projet de décret a pu être proposée en juin 2022. Ce projet permet de juger au mieux de la qualité de l’alternative ferroviaire existante, selon que la liaison aérienne a vocation à desservir un centre-ville ou des plateformes aéroportuaires de correspondance comportant en leur sein une gare exploitant des trains à grande vitesse (c’est-à-dire les aéroports de Roissy Charles-de-Gaulle et de Lyon-Saint-Exupéry). Du fait de leur rôle important pour les trajets en correspondance au départ de France, ces aéroports constituent en effet une destination en soi pour les voyageurs. La nouvelle rédaction du décret valorise donc indirectement l’existence d’une plateforme de correspondance multimodale et la qualité du service ferroviaire qui la dessert.

Le rapporteur pour avis espère que le décret d’application pourra être publié dans les meilleurs délais, le retour de la Commission européenne étant attendu d’ici la fin de l’année 2022.

Il convient néanmoins de noter que le décret ne conduirait pas, à offre ferroviaire constante, à l’interdiction d’autres liaisons que celles dont l’exploitation a d’ores et déjà été interrompue par Air France, et qui n’ont pas été reprises par un autre transporteur, à savoir les trois liaisons entre l’aéroport de Paris-Orly d’une part et ceux de Bordeaux, Nantes et Lyon d’autre part.

Aussi, le rapporteur pour avis propose d’aller plus loin en prévoyant d’interdire les trajets aériens lorsqu’il existe une alternative en train de moins de trois heures. Cette interdiction ne concernerait pas les avions décarbonés. Elle pourrait entrer en vigueur au plus tard en 2030 et s’appliquerait également aux vols en correspondance. Elle permettrait par exemple de supprimer les liaisons aériennes entre Paris et Marseille et entre Paris et Toulouse, ce qui suppose au préalable la création d’une ligne de train à grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse et la réduction du temps de trajet entre Paris et Marseille à moins de trois heures.

b.   Améliorer l’intermodalité entre le train et l’avion

L’interdiction de certains vols lorsqu’il existe une alternative en train suppose d’améliorer l’intermodalité entre le train et l’avion.

En effet, le fait que seules trois liaisons aériennes seront interdites en application de l’article 145 du projet de loi « climat et résilience » est en partie lié à la mauvaise qualité des correspondances entre l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle et les gares parisiennes. Ainsi, la DGEC a indiqué au rapporteur pour avis que, parmi les huit liaisons aériennes citées dans la notification initiale du projet de décret d’application à la Commission européenne :

– les liaisons entre Paris-Charles de Gaulle, d’une part, et Bordeaux et Nantes, d’autre part, seront exclues du champ de la mesure en raison d’un temps de trajet ferroviaire supérieur à 2h30 pour rejoindre la gare située au sein de l’aéroport de Paris‑Charles de Gaulle (avec des temps de trajet respectivement autour de 3h30 et 3h) ;

– les liaisons entre Paris-Charles de Gaulle, d’une part, et Rennes et Lyon, d’autre part, ainsi que la liaison Lyon-Marseille, seront également exclues de la mesure en l’état actuel de l’offre ferroviaire. En effet, même si les trajets ferroviaires peuvent offrir des temps de parcours inférieurs à 2h30, ils ne permettent pas d’accéder suffisamment tôt le matin à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle (ou de Lyon-Saint-Exupéry dans le cas de la ligne Lyon-Marseille), ou d’en partir suffisamment tard le soir.

Aussi, l’amélioration des connexions vers les aéroports est indispensable afin de pouvoir élargir, selon les termes du projet de décret, l’interdiction prévue à l’article 145 précité à d’autres liaisons aériennes.

Cela suppose tout d’abord une amélioration de l’offre ferroviaire, avec des fréquences suffisantes et des horaires satisfaisants, notamment pour les besoins des correspondances.

Ensuite, l’offre commerciale de billets combinés doit être plus attractive et mieux articulée entre le train et l’avion. Les compagnies aériennes ont développé depuis plusieurs années des produits commerciaux intermodaux couplant trajets en train et en avion. Ainsi, au départ d’Orly, le produit « Train + Air » d’Air France concerne quinze gares dont celles de Bordeaux, Lyon et Nantes. Les synergies entre la SNCF et les compagnies aériennes, notamment Air France, doivent être renforcées, en termes d’horaires mais également de prise en charge des bagages.

Il convient par ailleurs d’améliorer la connexion entre les aéroports et les gares parisiennes. Le prolongement de la ligne de métro 14 jusqu’à l’aéroport d’Orly en 2024, puis la ligne 18, mais également le CGD Express, qui doit relier l’aéroport Charles de Gaulle à la gare de l’Est début 2027, ou encore la ligne de métro 17 qui doit desservir cet aéroport en 2030, y contribueront.

Les aéroports se sont saisis de cette question de l’intermodalité. Ainsi, le plan stratégique « 2025 Pioneers » du groupe ADP vise à aménager leurs plateformes en combinant les modes de transport (urbains, régionaux, longue distance, bus et véhicules électriques, mobilités douces…). L’objectif fixé dans ce plan est d’augmenter de 50 % le nombre de passagers en correspondance train-avion à Paris‑Charles de Gaulle et de le doubler à Paris-Orly.

c.   Développer les énergies renouvelables sur les délaissés aéroportuaires

La suppression de certaines liaisons aériennes mais également le regroupement de petits aéroports posent la question de l’utilisation des délaissés aéroportuaires.

Le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, présenté en Conseil des ministres le 26 septembre 2022, comporte des dispositions permettant de favoriser l’installation de panneaux solaires aux abords des autoroutes et des routes à grande circulation (article 7), sur les délaissés routiers dans les communes de montagne (article 10), ainsi que dans les friches et les bassins industriels de saumure saturée (article 9). L’article 11 du projet de loi propose en outre de rendre obligatoire l’équipement en panneaux solaires des parkings extérieurs de plus de 2 500 m2 sur au moins la moitié de leur surface.

Dans le prolongement des dispositions prévues par le projet de loi, le rapporteur pour avis propose de favoriser l’installation de panneaux solaires sur les délaissés aéroportuaires.

Certains aéroports ont déjà saisi cette opportunité. Ainsi, le syndicat mixte de l’aéroport Deauville Normandie a souhaité mettre à disposition les terrains délaissés de l’aérodrome et les terrains annexes pour la construction d’un parc photovoltaïque. À la suite d’un appel d’offres lancé en 2020, le groupe EDF Renouvelables a été chargé, en mars 2021, de l’implantation de ce parc. De par sa localisation particulière, les panneaux seront non réverbérants, pour éviter tout éblouissement des pilotes. La centrale solaire s’étendra sur 45 hectares et produira plus de 60 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation de 29 000 personnes. Il s’agit d’un projet emblématique puisque, en dehors de quelques grands projets, la surface moyenne des fermes solaires est de dix hectares.

5.   Agir au niveau national, mais également européen et international

La France a pris des mesures ambitieuses au niveau national afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien.

Outre les différentes mesures décrites ci-dessus, les compagnies aériennes ont désormais l’obligation de compenser les émissions dues aux vols domestiques par le financement de projets de compensation carbone, en application de l’article 147 de la loi « climat et résilience » précitée. Cet article définit le cadre légal français de la compensation carbone, en indiquant les quatre grands principes de cette compensation que sont la mesurabilité, la vérifiabilité, l’additionnalité et la permanence ([9]). Pour l’année 2022, les exploitants doivent compenser 50 % de leurs émissions domestiques, puis 70 % en 2023 et 100 % de leurs émissions dès 2024.

Ce mécanisme vise à aller au-delà d’un impact neutre sur l’environnement, puisqu’il encourage les projets vertueux pour les écosystèmes forestiers et agricoles en favorisant le financement de projets disponibles dans le cadre du label bas carbone. La DGEC estime ainsi que, lorsque le dispositif sera pleinement effectif, l’équivalent d’un million de tonnes de CO2 devrait être compensé ou séquestré en France via cette obligation.

Le transport aérien étant par essence mondial, les efforts entrepris au niveau national doivent s’accompagner d’une action renforcée aux niveaux européen et international.

Le système européen d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (ou EU-ETS), fondé sur le principe du pollueur-payeur, impose depuis 2012 aux exploitants aériens de restituer des quotas d’émissions pour toute tonne de CO2 émise lors d’un vol à l’intérieur de l’Espace économique européen. Une réforme ambitieuse de ce dispositif est en cours de négociation dans le cadre du paquet de propositions « Fit for 55 ». La France a joué un rôle clé dans les négociations avec l’adoption en juin 2022, sous présidence française, d’une orientation générale qui prévoit notamment la suppression progressive des quotas gratuits pour l’aviation entre 2024 et 2027.

La croissance du trafic aérien se concentrera au cours des prochaines décennies au sein des pays émergents et en développement, c’est pourquoi il convient également de renforcer la régulation internationale du secteur.

Le mécanisme mondial de compensation des émissions de CO2 de l’aviation internationale (Corsia) a été adopté lors de la 39ème Assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 2016. Ce dispositif consiste à atteindre à compter de 2021 une croissance neutre en carbone pour l’aviation internationale, en compensant intégralement les nouvelles émissions de carbone générées à compter de cette date par rapport aux émissions de 2019. Cette compensation s’effectue par l’achat d’unités résultant de projets de réduction ou de séquestration de carbone. Le recours à une année récente pour la fixation du niveau de référence n’est pas très ambitieux, étant donné que les émissions de l’aviation ont doublé entre 1990 et 2019. Toutefois, cet accord a le mérite de s’appliquer à une grande partie des émissions de l’aviation internationale et donc à un volume d’émissions plus important que celles de l’Union européenne.

Le mécanisme Corsia se déploie en deux phases :

– jusqu’en 2026, il concerne uniquement les 107 États qui se sont déclarés volontaires au 1er janvier 2022 ;

– à partir de 2027, le dispositif s’appliquera de façon universelle, à l’exception d’un certain nombre d’États exemptés en raison de leur niveau de développement, de leur insularité ou de leur faible poids dans le trafic mondial.

Bien qu’imparfaite, la régulation internationale du transport aérien vient de connaître une avancée récente qu’il convient de saluer. Les 193 États membres de l’OACI se sont en effet prononcés en faveur de l’objectif de neutralité carbone du transport aérien en 2050, lors de la journée de clôture de leur assemblée générale le 7 octobre 2022. Cette décision devrait se traduire par un soutien accru des États à la décarbonation du transport aérien.

III.   Les jets privés : un mode de déplacement devenu symbolique qu’il convient de mieux encadrer

1.   Un moyen de transport polluant utilisé par une minorité de personnes

Le secteur de l’aviation privée est assez hétérogène et repose sur différents modèles commerciaux. Il convient ainsi de distinguer :

– les vols commerciaux, c’est-à-dire les vols commercialisés par des sociétés d’aviation d’affaires au bénéfice de passagers achetant une prestation de transport (chefs d’entreprise, professionnels ou particuliers). Ils représentent la majorité des vols effectués en jet privé ;

– les vols non commerciaux, effectués par des propriétaires privés d’avions les utilisant à des fins professionnelles, personnelles ou de loisir.

D’après les données fournies par la DGAC, 73 870 mouvements domestiques, 89 698 mouvements vers l’Europe et 12 671 mouvements vers d’autres destinations ont été enregistrés en 2021 ([10]). La majorité des vols sont intra‑européens et la moitié d’entre eux couvrent une distance inférieure à 500 kilomètres.

Le nombre de vols effectués en jet privé a augmenté depuis la crise sanitaire. Comme le note l’Acnusa dans son rapport d’activité de 2022, « dans la crise qui a frappé l’aviation civile, l’aviation d’affaires a renforcé son offre en proposant des services personnalisés et sécurisés aux usagers habituels de la classe affaires », si bien que « depuis le mois de juin 2021, le nombre des mouvements d’aviation d’affaires est supérieur en Europe à ce qu’il était avant la crise sanitaire ». 

En termes de pollution, ces vols représentent en France 0,4 million de tonnes de CO2 par an, soit un peu moins de 2 % des émissions de l’aviation, d’après les chiffres communiqués au rapporteur pour avis par la DGEC. Si les émissions globales du secteur de l’aviation privée représentent un volume relativement limité, elles sont en moyenne dix fois plus élevées par passager que pour un vol classique. Au niveau européen, les émissions des jets privés ont augmenté de 31 % entre 2005 et 2019, plus rapidement que les émissions de l’aviation en général, qui ont augmenté de l’ordre de 25 % sur la même période ([11]).

L’industrie de l’aviation privée justifie la valeur ajoutée de ce secteur par le service qu’il rend en termes de gain de temps lors des déplacements professionnels et en offrant des liaisons point à point peu desservies par les lignes commerciales. En réalité, il apparaît que la grande majorité des vols ont lieu sur des lignes très régulièrement desservies par les compagnies aériennes classiques (entre Londres, Paris, Genève, Zurich et Nice pour l’Europe), et qu’une partie non négligeable des vols a lieu pour le loisir, avec des pics d’utilisation en été et pour des destinations de tourisme de luxe comme Ibiza, Cannes et Olbia en Sardaigne.

2.   Mieux réglementer l’utilisation des jets privés

Les utilisateurs de jet privé ne doivent pas donner le sentiment qu’ils ne contribuent pas suffisamment aux efforts demandés à l’ensemble des Français pour réduire leur consommation énergétique. C’est pourquoi, en attendant la mise en place d’une concertation au niveau européen, la France peut adopter dès maintenant un certain nombre de mesures afin de limiter l’impact négatif de ce mode de transport sur le climat.

a.   Renforcer la fiscalité de l’aviation privée

Une augmentation de la fiscalité sur les trajets effectués en jet privé paraît aujourd’hui inévitable pour des raisons d’acceptabilité et de justice sociale. Le haut niveau de revenus des utilisateurs de ce mode de transport les rend en outre peu sensibles à une augmentation du prix des vols.

Il convient néanmoins de rappeler que la fiscalité du kérosène est très encadrée juridiquement. Les vols commerciaux internationaux sont exonérés de taxe sur le kérosène, en application de la Convention de Chicago et des recommandations de l’OACI en matière de taxes et de redevances. Il est en revanche juridiquement possible de taxer le carburant pour les vols commerciaux nationaux. En outre, la taxe de solidarité sur les billets d’avion s’applique aux vols commerciaux mais pas à l’aviation non commerciale. Ces contraintes prises en compte, il est néanmoins possible d’augmenter la fiscalité et de couvrir l’ensemble des jets privés en combinant trois types de mesure :

– une augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), désormais dénommée « fraction de l’accise sur les énergies, perçue en métropole sur les produits énergétiques, autres que les gaz naturels et les charbons », pour les vols non commerciaux effectués en jet privé.

En effet, si le tarif de la TICPE de l’essence d’aviation est aujourd’hui aligné sur le tarif de l’essence routière, en application de l’article 59 de la loi de finances pour 2021, le tarif de la taxe reste inférieur pour les carburéacteurs. Il convient de l’aligner à son tour sur le niveau de la taxe en vigueur pour l’essence routière, soit 76,83 euros par mégawattheure ;

– un assujettissement à la TICPE du kérosène utilisé pour les vols commerciaux effectués en jet privé sur le territoire national. Le tarif de la taxe pourrait être identique à celui s’appliquant à l’essence routière ;

– une majoration de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), désormais dénommée « tarif de solidarité de la taxe unique sur le transport aérien de passagers » pour l’ensemble des vols commerciaux effectués en jet privé.

Cette taxe s’élève aujourd’hui, pour la classe affaires, à 20,27 euros pour les vols effectués au sein de l’Union européenne et à 63,07 euros pour les vols hors de l’Union européenne. À titre de comparaison, son montant est respectivement de 2,63 euros et 7,51 euros pour les vols en classe économique. Elle pourrait être portée, pour les voyages effectués en jet privé, à respectivement 100 euros et 400 euros, grâce à la création d’une nouvelle catégorie de condition de transport dans la classification de la TSBA.

Le renforcement de la fiscalité portant spécifiquement sur les trajets en jet privé permettra ainsi de mettre davantage à contribution les personnes les plus aisées financièrement lorsqu’elles utilisent un moyen de transport fortement émetteur de gaz à effet de serre.

Toutefois, la clientèle de l’aviation privée étant relativement peu sensible au prix, une augmentation de la fiscalité ne sera pas à elle seule suffisante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les voyages en jet privé.

b.   Prévoir des objectifs plus ambitieux d’incorporation de carburants durables

La France prévoit un objectif de 2 % d’incorporation de SAF dans le carburant des avions en 2025 et de 5 % en 2030, conformément à la feuille de route pour le déploiement des biocarburants aéronautiques durables. Cette trajectoire est à la fois ambitieuse et réaliste, notamment au regard des faibles capacités de production actuelles et du coût de ces carburants, qui est quatre à dix fois plus élevé que celui du kérosène classique.

Des objectifs plus élevés pourraient néanmoins être définis pour les trajets effectués en jet privé. En effet, la décarbonation des jets privés doit être plus rapide que le reste de l’aviation, dans la mesure où les émissions par passager de ces petits avions sont aujourd’hui dix fois supérieures à celles des avions de ligne. En outre, la clientèle étant moins sensible au prix, l’incorporation d’une grande quantité de SAF permettrait une transition écologique rapide de ce type d’aviation. Enfin, la mise en place de mandats d’incorporation ambitieux pour les voyages effectués en jet privé contribuerait à inciter fortement les industriels du secteur de l’énergie à accroître massivement leur production de SAF, en présence de débouchés tangibles.

L’obligation d’incorporation de SAF pourrait être de 50 % pour les jets privés en France en 2025. Elle concernerait également la flotte de la République, qui doit être exemplaire.

c.   Accroître la transparence sur l’utilisation des jets

Une responsabilisation des utilisateurs de jet privé à travers un renforcement de la transparence et l’introduction de nouvelles obligations dans le champ de la responsabilité sociale des entreprises apparaissent pertinentes.

Un préalable consisterait à rendre publique la déclaration des émissions de CO2 pour les vols effectués en jet privé.

Par ailleurs, la transparence des voyages d’affaires effectués en jet privé peut être accrue par le biais de la responsabilité sociale des entreprises.

À cet égard, l’article 138 de la loi « climat et résilience » précitée a précisé le contenu de la déclaration annuelle de performance extra-financière des entreprises, prévue à l’article L. 225-102-1 du code de commerce. Cette déclaration doit contenir des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit. Ces informations « comprennent les postes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de l’activité et sont accompagnées d’un plan d’action visant à réduire ces émissions, notamment par le recours aux modes ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux biocarburants dont le bilan énergétique et carbone est vertueux et à l’électromobilité ».

Il est proposé d’inclure les trajets effectués en jet privé dans les informations devant figurer dans la déclaration annuelle de performance extra-financière des entreprises. Chaque trajet devrait ainsi être justifié par l’absence d’alternative raisonnable. Le plan d’action visant à réduire ces émissions pourrait en outre préciser les mesures prises par l’entreprise afin de réduire le recours à ce mode de transport au strict nécessaire.

Par ailleurs, l’article 138 de la loi « climat et résilience » a créé un nouvel article L. 229-25-1 dans le code de l’environnement qui impose qu’un bilan national des plans d’action visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre des activités de transport soit rendu public chaque année par le Gouvernement. Ce bilan, qui analyse l’efficacité globale attendue de ces plans d’action au regard des objectifs de la stratégie bas-carbone, pourra mettre en lumière les efforts réalisés par les entreprises pour réduire leurs émissions liées aux transports.

 


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   Examen en commission

Après avoir auditionné M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le 27 septembre 2022, M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, le 4 octobre 2022, Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de la transition énergétique, le 5 octobre 2022, et Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État chargée de l’écologie, le 12 octobre 2022, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » le mercredi 19 octobre 2022, matin, après-midi et soir (voir tome XI de l’avis 286 rect. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/plf_2023).

À l’issue de cet examen, elle a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission modifiés. Elle a également émis un avis favorable à l’adoption des crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » non modifiés.

 

 


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   liste des personnes auditionnées

(par ordre chronologique)

 

Table ronde avec les associations environnementales

 Réseau action Climat *

M. Pierre Leflaive, responsable « Transports »

 The shift project *

Mme Béatrice Jarrige, économiste et cheffe de projet « Mobilité longue distance »

 Association Aero-Decarbo

M. Clément Jarrossay, ingénieur aéronautique et membre du conseil d’administration de l’association

M. François Robert, membre de l’association Aero-Decarbo, contributeur au rapport « Pouvoir voler en 2050 »

Association « Transport et environnement »

M. Lucien Mathieu, directeur en France

Mme Jo Dardenne, directrice « Aviation »

Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa)

M. Gilles Leblanc, président

M. Philippe Gabouleaud, secrétaire général

Air France *

M. Aurélien Gomez, directeur des affaires parlementaires et territoriales

Mme Marianne Sieg de Maintenant, directrice des affaires institutionnelles et internationales

Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (Fnam) *

M. Laurent Timsit, délégué général

Easy Jet *

M. Bertrand Godinot, directeur général

Mme Hélène Julien, directrice de la clientèle

Union des aéroports français (UAF) *

M. Thomas Juin, président

M. Nicolas Paulissen, délégué général

Groupe Aéroports de Paris (ADP) *

M. Augustin de Romanet, président-directeur général

M. Mathieu Cuip, adjoint au directeur des affaires publiques

Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)

M. Laurent Michel, directeur général

Direction générale de l’aviation civile (DGAC)

M. Marc Borel, directeur général adjoint, directeur du transport aérien

Mme Marie-Claire Dissler, secrétaire générale

Airbus *

M. Marc Hamy, vice-président « Affaires corporate »

Mme Anne-Sophie de La Bigne, directrice des affaires civiles

Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) *

Mme Anne Bondiou Clergerie, directrice « Recherche, développement et innovation »

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 


([1]) En unité de service, sur la base d’un scénario de trafic médian publié par Eurocontrol en octobre 2021.

([2]) Art. R. 134-1 et s. du code de l’aviation civile.

([3]) Art. L. 611-5 du code de l’aviation civile.

([4]) Art. 302 bis K du code général des impôts. Elle est complétée par la « contribution Bâle-Mulhouse », qui est son équivalent pour cet aéroport.

([5]) Analyse actualisée des incidences sur le climat de l’aviation, en dehors des émissions de CO2, et mesures stratégiques potentielles, en application de l’article 30, paragraphe 4, de la directive relative au système d’échange de quotas d’émission, 23 novembre 2020, COM (2020) 747 final.

([6])  « Aera navigation » ou navigation de surface.

([7]) https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/  

([8]) https://nosgestesclimat.fr/  

([9])  Article L. 229-55 et suivants du code de l’environnement.

([10]) Les données dont dispose la DGAC portant sur les « jets privés » ne sont pas exhaustives. En effet, seuls les terrains de la compétence de l’Acnusa fournissent des données détaillées sur l’aviation non commerciale. Ces données sont complétées par des données de « plans de vol », qui ont également leurs limites (les vols effectués selon les règles de « vol à vue » n’ont pas l’obligation de déclarer de plan de vols). S’agissant du périmètre, les données présentées portent sur les vols opérés à bord de « petits jets », c’est-à-dire de 19 places maximum. Ces vols incluent des vols relevant du transport aérien privé comme du transport aérien public, mais excluent les vols réalisés en turbopropulseurs et en hélicoptère. Enfin, l’aviation d’affaires « commerciale » n’étant pas aisément dissociable de l’aviation d’affaires « non commerciale », les données disponibles sont des totaux. À noter qu’Eurocontrol, souvent utilisé comme source s’agissant de l’aviation d’affaires, regroupe également ces deux catégories, faute de disposer de l’information.

([11])  « Private jets : can the super rich supercharge zero-emission aviation ? », Transport et Environnement, mai 2021.