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N° 341

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 273)
de finances pour 2023

TOME IV

JUSTICE

JUSTICE ET ACCES AU DROIT

 

PAR MME Sarah TANZILLI,

Députée

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 Voir les numéros : 292 – III – 30

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2022 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 67 % des réponses au questionnaire thématique étaient parvenues à votre rapporteur pour avis qui souhaite remercier le Gouvernement et les services de l’État de leur diligence.

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

PremiÈre partie : les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2023

I. Une augmentation consÉquente des crÉdits allouÉs à la justice judiciaire, nécessaire pour rattraper le retard

A. La hausse des crÉdits du programme Justice judiciaire finance les revalorisations et les recrutements nÉcessaires pour renforcer le service public de la justice

1. Renforcer les effectifs en juridiction

2. Revaloriser les rémunérations des personnels des services judiciaires

3. Maintenir une budgétisation réaliste des frais de justice

B. la Conduite et le pilotage de la justice

C. le Conseil supÉrieur de la magistrature

II. La hausse des crÉdits pour l’accÈs au droit et l’aide aux victimes doit renforcer les partenaires de l’État dans la mise en œuvre de ces politiques publiques

A. l’aide juridictionnelle

B. L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

C. L’aide aux victimes

D. La mÉdiation familiale et les espaces de rencontres

Seconde partie :  AccÈs au droit et accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales

I. Un renforcement des moyens budgÉtaires pour favoriser l’accÈs au droit des personnes vicTimes de violences intrafamiliales

A. Multiplier les points d’entrée pour favoriser la prise en charge des victimes

1. Les différents professionnels susceptibles d’être en contact avec les victimes s’organisent pour les accueillir

2. La formation des personnels au contact des victimes

B. Des dispositifs pour protÉger les victimes de violences intrafamiliales qui montent en puissance

1. L’ordonnance de protection

2. Le dispositif du téléphone grave danger (TGD)

3. Le bracelet anti-rapprochement (BAR)

II. Maintenir un effort budgÉtaire important pour faire CESSER les violences intrafamiliales

A. Des moyens renforcÉs pour les acteurs de la chaÎne de prise en charge

1. Augmenter les moyens des associations qui accompagnent les victimes de violences intrafamiliales est essentiel pour garantir le fonctionnement des dispositifs de protection

2. Multiplier les lieux adaptés pour recueillir la parole des victimes

B. Continuer À faire de la protection des victimes une prioritÉ

1. Renforcer la prise en charge des conjoints violents

2. Améliorer encore la coordination entre les différents acteurs

3. Informer les victimes de leurs droits

EXAMEN EN COMMISSION

Personnes entendues

 

 


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Mesdames, Messieurs,

Ce budget s’inscrit dans la continuité des deux précédents budgets en proposant une hausse significative des moyens accordés aux services judiciaires. Le programme 166 Justice judiciaire voit ainsi ses crédits augmenter de 7,8 %. Pour renforcer les juridictions, ce budget crée 1 220 postes supplémentaires pour les services judiciaires, dont 200 postes de magistrats et 191 postes de greffiers. Cela constitue la première étape d’un plan de recrutement ambitieux qui verra le recrutement de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers supplémentaires sur le quinquennat. 

Ce budget traduit également la volonté d’améliorer les conditions d’exercice des personnels des services judiciaires : une enveloppe de près de 30 millions d’euros financera la revalorisation de l’indemnité des magistrats à hauteur de 1 000 euros brut par mois en moyenne à partir d’octobre 2023. Dans la continuité des efforts accomplis en 2022, les greffiers voient eux aussi leur traitement indiciaire et leurs indemnités revalorisées. 

Les efforts en faveur des associations d’aide aux victimes se poursuivent, avec une augmentation de 6,4 % des crédits qui leur sont alloués. Ces associations sont des partenaires indispensables de l’État pour assurer un accompagnement des victimes tout au long de leur parcours judiciaire.

*

Votre rapporteure a choisi d’orienter ses travaux cette année sur l’accès au droit et l’accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales.

Rappelons tout d’abord que l’ambition du gouvernement de lutter plus efficacement contre les violences intrafamiliales se traduit par une perspective budgétaire extrêmement ambitieuse confirmée dans ce budget : le budget à l’attention des associations d’aide aux victimes de violences intrafamiliales augmente de 11,8% pour cette année, permettant de doubler l’enveloppe budgétaire annuelle allouée aux violences intrafamiliales entre 2020 et 2023.

L’une des clés pour faire progresser l’accès au droit des personnes victimes réside dans la multiplication des points d’entrée : elles doivent pouvoir se rendre dans les locaux des forces de l’ordre ou dans les points-justice et trouver une personne formée pour l’accueillir et l’orienter en fonction de ses besoins.

Le déploiement de lieux d’accueil spécialisés pour recueillir des enfants, comme les unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) dans les hôpitaux et les salles Mélanie dans les locaux des forces de l’ordre est en bonne voie. La libération de la parole des mineurs doit être une priorité, alors que le nombre de mineurs victimes de violences sexuelles chaque année est estimé à 160 000 et qu’au regard des témoignages collectés par la CIIVISE, il semble que dans 8 cas sur 10, les violences soient commises dans le cercle familial.  

Les dispositifs pour protéger les personnes victimes de violences conjugales comme l’ordonnance de protection et le téléphone grave danger se sont largement diffusés après le Grenelle des violences conjugales en 2019. Des ajustements peuvent encore être apportés au bracelet anti-rapprochement, qui suscite encore certaines réticences au vu des alarmes intempestives qu’il déclenche parfois. 


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   PremiÈre partie :
les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2023

Quatre programmes sur les six qui composent la mission Justice sont examinés par la rapporteure pour avis :

– le programme 166 Justice judiciaire ;

– le programme 101 Accès au droit et à la justice ;

– le programme 310 Conduite et pilotage de la justice ;

– et le programme 335 Conseil supérieur de la magistrature.

Les crédits consacrés au fonctionnement de la justice et à l’accès au droit s’élèvent en 2023 à 5 996 millions d’euros en autorisations d’engagement (+ 14,6 %) et 5 547 millions d’euros en crédits de paiement (+ 7,2 %).

Tableau récapitulatif des crédits ouverts en loi de finances pour 2022 et dans le projet de loi de finances pour 2023

 

LFI 2022

PLF 2023

Variation
LFI 2022 / PLF 2023

(en millions d’euros)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Justice judiciaire

3 921

3 849

4 516

4 148

+15,2%

+7,8%

Accès au droit et à la justice

680

680

712

712

+4,7%

+4,7%

Conduite et pilotage de la politique de la justice

619

638

764

682

+23,4%

+6,9%

Conseil supérieur de la magistrature

13,8

5,3

4,1

5

-70,3%

-5,7%

TOTAL

5 232,8

5 172,3

5 996

5 547

+14,6%

+7,2%

Source : documents budgétaires.

Le programme Justice judiciaire représente 75 % de ces crédits, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Répartition des crédits ouverts par le projet de loi de finances pour 2023 par programme

Source : commission des Lois, à partir des documents budgétaires.

I.   Une augmentation consÉquente des crÉdits allouÉs à la justice judiciaire, nécessaire pour rattraper le retard

Les crédits alloués aux différents programmes qui financent les juridictions judiciaires, les opérateurs et les administrations centrales augmentent significativement, à l’exception de ceux dédiés au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), ce qui s’explique par une ouverture d’autorisations d’engagement exceptionnelle au cours de l’exercice budgétaire précédent.

A.   La hausse des crÉdits du programme Justice judiciaire finance les revalorisations et les recrutements nÉcessaires pour renforcer le service public de la justice

Le programme Justice judiciaire est composé de sept actions. Il finance à la fois le traitement des contentieux civils, la conduite de la politique pénale et la formation.

Les crédits du programme s’élèvent dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 à 3 921 millions d’euros en AE et 4 516 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 7,8 % des crédits de paiement. Cette hausse significative des crédits s’explique notamment par le renforcement des effectifs en juridiction, les revalorisations indemnitaires des magistrats et des greffiers, mais aussi par le dynamisme des frais de justice. 

1.   Renforcer les effectifs en juridiction

Le schéma d’emplois prévoit une augmentation de 1 220 emplois en 2023, contre 40 en 2022. L’écart entre les créations de postes dans la loi de finances initiale pour 2022 et le PLF pour 2023 doit cependant être mis en perspective avec la pérennisation de 605 emplois en cours de gestion en 2022.

Ces 1 220 emplois se répartissent ainsi :

– 208 postes de magistrats : une partie de ces postes supplémentaires concerne les auditeurs de justice, qui arriveront donc en juridiction en 2025, après leur formation par l’École nationale de la magistrature (ENM) ;   

– 575 personnels d’encadrement, dont 300 juristes assistants, 261 personnels d’encadrement et 20 assistants spécialisés ;  

– 191 postes de greffiers ;

– 216 postes de catégorie B administratifs et techniques ;

– 50 postes de catégorie C administratifs et techniques.

Le schéma d’emploi montre que le renforcement se fait en priorité sur les services régionaux, qui accueilleront 1 015 emplois sur les 1 220 créés, ce qui témoigne de la volonté d’envoyer les magistrats au plus près des justiciables.

Ces créations d’emplois constituent une première étape : sur le quinquennat, l’objectif est de créer 1 500 emplois de magistrats et 1 500 emplois de greffiers. Le renforcement des juridictions en moyens humains est, pour la rapporteure, une nécessité vitale, comme l’illustrent les taux de vacance de postes chez les greffiers (une moyenne de 7 %) et chez les magistrats (estimé à 3,5 % en 2022). Elle salue cette première étape et sera vigilante à la progression des effectifs tout au long du quinquennat.

Enfin, les moyens des écoles de formation sont renforcés, en prévision des recrutements importants prévus sur le quinquennat. L’École nationale de la magistrature (ENM), opérateur du programme, bénéficiera d’une augmentation de sa subvention pour charges de service public de 2 millions d’euros, pour la porter à 35,2 millions d’euros. Son plafond d’emplois est également rehaussé de 26 emplois (dont 8 magistrats et 6 personnels d’encadrement), dans la perspective de former des promotions de 600 élèves dans les prochaines années (contre 450 élèves magistrats en 2023).

2.   Revaloriser les rémunérations des personnels des services judiciaires

Les crédits de titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel, augmentent de 8,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Plusieurs mesures de revalorisations sont prévues.

Le traitement des magistrats sera rehaussé à partir d’octobre 2023 d’un montant moyen de 1 000 euros bruts par mois, soit une enveloppe de 29,2 millions d’euros en 2023. En année pleine, cette revalorisation devrait coûter 117 millions d’euros. Cette revalorisation se fera sous deux formes : une augmentation des primes forfaitaires, calculées en pourcentage du traitement brut de base, et une augmentation des primes modulables, attribuée de manière variable en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de la juridiction.

 Le traitement versé aux auditeurs de justice devrait également être revalorisé pour qu’il soit aligné sur celui des élèves de l’Institut national du service public, pour un coût total de 1,3 millions d’euros en 2023.  

Diverses mesures de revalorisation sont prévues pour les greffiers et les directeurs de greffe, dont une revalorisation du régime indiciaire des greffiers à partir d’octobre 2023, pour un montant de 1,75 million d’euros, et une revalorisation de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) à partir de juillet 2023, pour un montant de 5 millions d’euros. Cette revalorisation s’inscrit dans la continuité du relèvement du niveau de l’IFSE opéré en gestion au cours de l’année 2022. Ces mesures sont essentielles pour mettre les rémunérations des greffiers, qui appartiennent à la catégorie B, au niveau des personnels de catégorie équivalente qui travaillent dans les autres ministères, mais aussi pour garantir l’attractivité d’un corps dont le taux d’absentéisme est élevé.

Enfin, plusieurs mesures catégorielles interviendront pour les autres agents du ministère de la Justice, notamment les agents de catégorie C.

La rapporteure salue ces mesures de revalorisation qui sont un signal fort envoyé aux membres du corps judiciaire, en plus des recrutements importants annoncés sur le quinquennat. Elle sera attentive à leur mise en œuvre pour éviter toute déception parmi les fonctionnaires concernés.  

3.   Maintenir une budgétisation réaliste des frais de justice

Les crédits dédiés aux frais de justice dans le présent projet de loi de finances s’élèvent à 660,4 millions d’euros en AE et CP.

● Les frais de justice représentent les dépenses engagées par les magistrats et les personnes agissant sous leur direction ou leur contrôle au cours des procédures judiciaires, comme les officiers de police judiciaire. Ils représentent 58 % des dépenses de fonctionnement du programme 166.

Le montant alloué aux frais de justice pénale représente 92 % de l’enveloppe globale des frais de justice. Ces frais, dont l’article R 92 du code de procédure pénale dresse la liste, comprennent notamment les honoraires versés aux différents collaborateurs (experts, huissiers de justice, administrateurs ad hoc, personnes chargées des enquêtes sociales ou de personnalité…), les frais de mise sous séquestre, ou encore les frais résultant de certaines techniques d’enquête et de surveillance.

● Les crédits alloués aux frais de justice sont en augmentation de 2 % dans le projet de loi de finances pour 2023 (+ 12 millions d’euros). Cette hausse s’inscrit dans la continuité de l’évolution du budget alloué aux frais de justice ces dernières années : la consommation des crédits a ainsi augmenté de 23,7 % entre 2017 et 2021. Cette hausse continue s’explique notamment par des exigences probatoires de plus en plus élevées, ainsi que par la revalorisation l’année dernière des honoraires versés aux experts.

En 2021, la dynamique des frais de justice était soutenue par l’augmentation de trois postes en particulier : les analyses et expertises médicales (+ 17,5 %), les traductions et interprétariat (+ 17,5 %) et les scellés gardiennages (+ 16,7 %).

● Depuis 2021, un plan de maîtrise des frais de justice a été mis en œuvre par la direction des services judiciaires et les chefs de cour, selon trois axes principaux :

– la sensibilisation des acteurs ;

– l’animation du réseau de l’ensemble des acteurs de la justice ;

– le renforcement de la maîtrise des frais sur certains segments, comme le gardiennage des scellés et l’interprétariat.

L’objectif n’est pas de contraindre les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions, mais d’optimiser la dépense.

S’agissant de l’interprétariat, les économies attendues sont liées au déploiement d’un logiciel de traduction automatique dans les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Les traductions faites par le logiciel sont ensuite revues par une personne physique.

S’agissant du gardiennage, qui représente en moyenne 28 millions d’euros chaque année, des conventions passées avec les fouriéristes dans les départements devraient produire des effets dès 2024.

● Le montant des crédits alloués aux frais de justice dans le projet de loi de finances est une estimation au regard des consommations passées : les magistrats, qui sont prescripteurs des actes, ne sont pas tenus par une enveloppe globale.

Or, l’enveloppe allouée aux frais de justice a été, par le passé, régulièrement sous-budgétée, c’est-à-dire que les crédits prévus en loi de finances initiale étaient insuffisants pour couvrir les besoins intervenus au cours de l’exercice budgétaire. À partir de 2021, un réel effort a été opéré pour que la fixation du budget initial repose sur une estimation plus fiable de ces besoins, comme l’illustre le tableau ci-dessous. 

Écart entre l’enveloppe ouverte au titre des frais de justice dans les lois de finances initiale depuis 2019 et les crédits consommés au titre des frais de justice

(en millions d’euros)

2019

2020

2021

2022

2023

Prévision

505,2

490,8

618,3

648,5

660,4

Exécution

531,8

544

613,2

nc

nc

Écart

+ 26,6

+ 53,2

-5,1

nc

nc

Source : commission des Lois.

La rapporteure salue cette trajectoire, ainsi que la budgétisation crédible et réaliste des frais de justice, qui offre la vision la plus juste possible à la représentation nationale.  

B.   la Conduite et le pilotage de la justice

Le programme 310 est composé de sept actions, dont la gestion de l’administration centrale, l’action informatique ministérielle et les politiques ressources humaines transverses.

Il finance donc les directions ministérielles, mais aussi le secrétariat général, qui coordonne l’action des directions et agit comme interface avec les directions interministérielles. Le programme comprend les crédits dédiés au financement de grands projets informatiques, tels que Astrea (refonte du système d’information du casier judiciaire des personnes morales) ou Portalis (nouveau système d’information pour la chaîne civile). Les crédits consacrés aux projets immobiliers, comme la poursuite des travaux de rénovation du site de Vendôme et la poursuite de la sécurisation du site Olympe de Gouge, sont également inscrits dans ce programme. 

Les crédits du programme s’établissent en 2023 à 764 millions d’euros en AE et à 682 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 23,4 % en AE et 6,9 % en CP. 

Ces moyens supplémentaires renforcent l’action du ministère de la Justice sur plusieurs points.  

● L’augmentation des crédits du titre 2 finance la création de 132 emplois supplémentaires pour le secrétariat général. Ils viendront renforcer les équipes chargées du développement du numérique et celles qui sont chargées des ressources humaines, renforcement indispensable au vu des recrutements importants prévus pour les années à venir. Une partie de l’augmentation découle également de la revalorisation du point d’indice de la fonction publique intervenue en juillet 2022.

● Les crédits dédiés à l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ), auparavant contenus dans l’action 9 Action informatique ministérielle, sont maintenant isolés au sein de l’action 5, Développement des techniques d’enquêtes numériques judiciaires. Ils financent la plateforme numérique d’interceptions judiciaires : en 2021, 50 143 interceptions judiciaires ont été effectuées. L’action 5 est dotée de 32 millions d’euros en AE et de 45,6 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 12 % en CP par rapport à la LFI pour 2022. Cette augmentation doit notamment permettre d’adapter la plateforme aux évolutions technologiques.

● L’action informatique ministérielle représente 47,2 % des dépenses du programme, soit 361 millions d’euros en AE et 314 millions d’euros en CP. Les crédits consacrés à l’informatique du ministère de la Justice ont augmenté de 84,2 % en AE et de 46,4 % en CP depuis 2020 (en neutralisant les effets de périmètre). Cela finance des dépenses d’investissement pour des achats de matériels, ainsi que des opérations de maintenance. L’action porte notamment les crédits du plan de transformation numérique (PTN), soit 154,3 millions d’euros en CP. Ce plan a été lancé en 2018 pour moderniser les infrastructures et l’accompagnement apporté aux usagers internes et aux utilisateurs externes. Cette action rémunère également 585 ETPT.

● Enfin, parmi les moyens consacrés aux politiques RH transverses, les crédits dédiés à la petite enfance augmentent de 30,3 % (aide à la parentalité, places en crèches) et s’établissent à hauteur de 9,5 millions d’euros. Cela participe au bien-être des agents du ministère et à l’attractivité des postes.  

Trois opérateurs du ministère de la Justice sont également financés par le programme 310 : l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) et l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ). Leurs moyens sont renforcés, avec 15 ETPT supplémentaires pour l’AGRASC, qui ouvre deux antennes régionales, et 19 ETPT supplémentaires pour l’APIJ, pour faire face à son surcroît d’activité.

C.   le Conseil supÉrieur de la magistrature

Le programme 305 Conseil supérieur de la magistrature regroupe les crédits qui financent à la fois les dépenses de personnel du CSM et ses dépenses de fonctionnement, soit 4,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et 5 millions d’euros en crédits de paiement demandés pour l’exercice 2023.

Cela représente une diminution de près de 70,5 % des autorisations d’engagement du programme par rapport aux AE ouvertes par la loi de finances pour 2022.

Cet écart important s’explique par la signature en 2022 d’un nouveau bail pour les locaux du CSM pour une période de neuf ans. La totalité des AE nécessaires au paiement des loyers jusqu’en 2031 avait été ouverte en LFI pour 2022, soit 9,6 millions d’euros.

Le programme rémunère à la fois les 22 membres du CSM et les 24 ETPT du secrétariat général. Les dépenses de personnel sont en hausse de 4,4 % par rapport à la loi de finances pour 2022, notamment pour prendre en compte l’évolution du point d’indice.

II.   La hausse des crÉdits pour l’accÈs au droit et l’aide aux victimes doit renforcer les partenaires de l’État dans la mise en œuvre de ces politiques publiques

Le programme 101 est composé de quatre actions. Il est doté pour 2023 de 712 millions d’euros en AE et CP, soit une augmentation de 4,7 % par rapport aux crédits ouverts par la LFI 2022.

A.   l’aide juridictionnelle

L’action qui porte les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle représente 90 % des crédits du programme, soit 641 millions d’euros.

L’enveloppe prévue pour l’aide juridictionnelle augmente de 4,2 % par rapport à la LFI pour 2022 : cette hausse s’explique en partie par l’effet progressif des revalorisations de l’unité de valeur utilisée pour calculer la rétribution des avocats concernés.

Le budget de l’aide juridictionnelle stricto sensu est estimé pour 2023 à 500 millions d’euros. Le nombre de personnes admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle est estimé pour 2023 à 1 150 000 personnes, soit une augmentation de 11,2 % par rapport au nombre de personnes admises en 2018.  

L’action comprend également :

– les crédits versés aux avocats au titre de leurs autres interventions (par exemple l’intervention de l’avocat pour les personnes gardées à vue), soit 102 millions d’euros prévus pour 2023 ;

 les crédits versés aux avocats en vertu d’un mécanisme de contractualisation locale (16 millions d’euros en 2023) ;

Les barreaux peuvent conclure avec les tribunaux judiciaires auprès desquels ils sont établis une convention triennale, appelée convention locale pour l’aide juridique (CLAJ). Ces conventions contiennent des clauses qui garantissent l’assistance d’un avocat dans les procédures juridictionnelles et non juridictionnelles, incluant notamment la mise en place de permanences, et permettent de prendre en compte les spécificités locales, en prévoyant des procédures spécifiques pour tel ou tel contentieux par exemple. Une dotation complémentaire à celle versée au titre de l’aide juridictionnelle est prévue pour les barreaux qui concluent ces conventions. Le montant total dédié à cette dotation complémentaire dans le PLF 2023 est de 16 millions d’euros, un montant en hausse de 18,5 % par rapport à 2022 (13,5 millions d’euros) qui s’explique par le succès du mécanisme.

– les crédits versés à l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA), pour son rôle de coordination dans les dotations versées aux caisses des avocats (100 000 euros). 

B.   L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

L’action 2 Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité finance les structures garantes de l’accès au droit sur l’ensemble du territoire : les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et le réseau judiciaire de proximité, composé des maisons de justice et du droit (MJD).

Les CDAD sont présidés par le président du tribunal judiciaire, et placés sous la vice-présidence du procureur de la République du même tribunal. Sont également membres de droit les représentants des collectivités locales, les représentants des professionnels du droit dans le département (avocats, huissiers de justice, notaires) et les associations œuvrant dans le domaine de l’accès au droit et de l’aide aux victimes.

Le PLF pour 2023 prévoit une enveloppe de 14,7 millions d’euros pour l’action 2, soit une augmentation de 19,7 % des crédits par rapport à la LFI 2022. Une proportion importante de cette augmentation de crédits est consacrée aux CDAD (1,5 million d’euros sur l’enveloppe des 2,4 millions d’euros supplémentaires). 

La majeure partie de cette enveloppe finance les CDAD et les points-justice (qui comprennent les MJD) répartis sur l’ensemble du territoire, pour un montant de 12 millions d’euros. Si la contribution du ministère de la justice représente une majorité du budget de fonctionnement des CDAD (77 % en moyenne de leur budget total), les préfectures ou les collectivités peuvent également les financer. La hausse du budget prévue en 2023 doit notamment permettre d’accroître les capacités des permanences existantes et l’augmentation du nombre d’intervenants.

Les points-justice accueillent les justiciables pour les informer, les orienter vers les structures compétentes, ou encore les aider à accomplir certaines démarches nécessaires à l’exercice de leurs droits. Il existait 2 020 points-justice en 2021, dont 148 MJD. Trois nouveaux points-justice devraient ouvrir en 2023.  

Il existe également un numéro unique de l’accès au droit, le 3039 : l’usager qui l’appelle est mis directement en relation avec le point-justice le plus proche géographiquement parlant. Le nombre d’appels mensuels, depuis la mise en service en septembre 2021, s’élève à 4 900. 

C.   L’aide aux victimes

L’action 3 finance les crédits versés aux associations d’aide aux victimes, mais également certains dispositifs de protection des victimes, comme le dispositif permanent d’assistance téléphonique (le « 116 006 »), géré par la fédération France Victimes.

L’objectif est de soutenir et d’accompagner juridiquement, socialement et psychologiquement les victimes tout au long de la procédure judiciaire, jusqu’à l’indemnisation. La politique d’aide aux victimes est mise en œuvre par un réseau d’associations locales et coordonnée par des fédérations d’associations d’aide aux victimes ainsi que des associations nationales. Plus de 360 000 victimes d’infractions pénales ont été accueillies, informées et orientées par ces associations en 2021.

Les associations d’aide aux victimes sont ainsi fortement mobilisées pour mettre en œuvre les dispositifs de protection attribués aux personnes victimes de violences conjugales, comme le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement (éléments développés dans la seconde partie du rapport)

L’action 3 représente 43 millions d’euros dans le PLF pour 2023, soit une hausse de 6,8 % par rapport à la loi de finances pour 2022. Cela s’inscrit dans la trajectoire d’augmentation continue des moyens accordés aux associations d’aide aux victimes depuis 2012, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Source : éléments transmis à la rapporteure par le service de l’accès au droit et à la Justice et de l’aide aux victimes.

L’enveloppe comprend notamment 6,4 millions d’euros pour financer les associations agréées qui tiennent des permanences dans les bureaux d’aide aux victimes (BAV), qui sont situés au sein même de chaque tribunal judiciaire.

La rapporteure se réjouit que les moyens accordés aux associations d’aide aux victimes soient renforcés : ce sont des relais indispensables pour garantir une prise en charge adaptée aux besoins des victimes.

D.   La mÉdiation familiale et les espaces de rencontres

Les crédits alloués à la médiation familiale, qui vise à trouver des solutions amiables aux litiges familiaux, et aux espaces de rencontre, qui permettent de maintenir le lien entre parents et enfants, s’élèvent à 13,7 millions d’euros pour 2023, soit une hausse de 11,7 % par rapport à la LFI 2022.

Les crédits soutiennent à la fois les associations locales de médiation familiale (6,37 millions d’euros, soit une hausse de 19,1 % par rapport à 2022) et les associations qui gèrent des espaces de rencontre (7,21 millions d’euros). Le partenariat avec les fédérations et les associations nationales bénéficie de 140 000 euros, soit une enveloppe stable par rapport à 2022.

Il convient de noter que la médiation est interdite lorsque des violences ont été commises au sein du couple ou sur un enfant. 

L’article 44 du projet de loi de finances prolonge l’expérimentation qui rend obligatoire de tenter la médiation préalable dans certaines affaires familiales.

Cette expérimentation a débuté en 2017 dans onze tribunaux judiciaires. En instaurant l’obligation de médiation familiale préalable, elle vise à la fois à promouvoir les modes alternatifs de règlement des conflits et à diminuer le nombre de requêtes devant le juge aux affaires familiales. Un premier bilan réalisé en juin 2022 a conduit à la décision de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2024 et d’élargir le nombre de tribunaux judiciaires concernés à 44.

Le coût total de prolongation de l’expérimentation, estimé à 7,77 millions d’euros en année pleine, devrait être partagé entre la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui le financerait à hauteur de 4,9 millions d’euros, et le ministère de la justice, qui verserait 2,87 millions d’euros.


   Seconde partie :
AccÈs au droit et accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales

Les violences au sein de la famille sont un phénomène d’ampleur. En 2021, 41,6 % des victimes prises en charge par les associations d’aide aux victimes – ce qui représente 149 506 personnes – étaient des femmes reçues pour des faits de violences intrafamiliales. À cela s’ajoutent les mineurs victimes de violences commises par des membres de leur famille : les travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) estiment que chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles. Si la proportion de violences commises dans le cadre familial n’est pas connue, dans l’appel à témoignages lancé par la CIIVISE, 8 victimes sur 10 étaient des victimes d’inceste.

Or, le nombre de personnes accueillies par les associations ou par les forces de l’ordre ne représente qu’une partie du phénomène, puisque certaines victimes ne signalent pas les violences qu’elles subissent, d’autant plus lorsqu’il s’agit de violences sur mineurs. Selon les statistiques de l’INSEE, en 2019, 14 % seulement des victimes de violences conjugales avaient déposé plainte, et 30 % des victimes cohabitant avec leur conjoint avaient effectué une démarche médicale ou sociale après les faits ([1]). Ces chiffres datent de 2019, avant la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales : la rapporteure a pu constater, lors de ses auditions, que de réels efforts avaient été faits pour favoriser le dépôt de plainte et la libération de la parole, efforts qui sont de nature à augmenter la proportion de signalements.  

I.   Un renforcement des moyens budgÉtaires pour favoriser l’accÈs au droit des personnes vicTimes de violences intrafamiliales

Les moyens budgétaires alloués aux dispositifs d’accès au droit et d’accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales ont été considérablement augmentés au cours des dernières années. L’objectif est à la fois de multiplier les points d’entrée, pour favoriser la libération de la parole des victimes, mais aussi de diffuser les différents dispositifs de protection (ordonnance de protection, téléphone grave danger, bracelet anti-rapprochement) et d’encourager leur utilisation.

A.   Multiplier les points d’entrée pour favoriser la prise en charge des victimes

Les points d’entrée dans lesquels les victimes peuvent se signaler et chercher un accompagnement se sont multipliés et font intervenir divers professionnels.  

1.   Les différents professionnels susceptibles d’être en contact avec les victimes s’organisent pour les accueillir

La multiplication des endroits et des moyens de contacter un professionnel de santé, une association d’aide aux victimes ou les forces de l’ordre favorise l’exercice par les victimes de leurs droits. L’objectif est qu’une personne victime de violences intrafamiliales puisse se confier et être ensuite orientée vers l’interlocuteur adapté à sa situation.

● Les associations d’aide aux victimes sont des partenaires indispensables de la Justice. Elles accueillent les victimes de violences, leur proposent un accompagnement pluridisciplinaire et apportent des solutions d’hébergement.

Il existe à la fois des associations généralistes, qui viennent en aide à toutes les victimes, et des associations d’aide aux victimes spécialisées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences.

En 2021, selon les documents budgétaires ([2]), le budget consacré aux associations d’aide aux victimes spécialisées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences s’élevait à 2,5 millions d’euros, soit une progression de 10 % par rapport à 2020. Les associations locales généralistes ont reçu, la même année, 2,4 millions d’euros pour financer leurs actions de soutien des victimes de violences intrafamiliales. 

Ces associations ont des locaux, mais interviennent également dans les points justice : en 2021, les associations (généralistes et spécialisées) étaient intervenues dans 452 points-justice. Certains CDAD ont également mis en place des points-justice spécialisés dans l’accueil et l’orientation des personnes victimes de violences conjugales.

Elles peuvent aussi être sollicitées par le procureur de la République, en application de l’article 41 du code de procédure pénale.

Enfin, il existe un numéro de téléphone dédié aux femmes victimes de violences, le 3919, géré par la Fédération Nationale Solidarité Femmes.

● Les forces de l’ordre constituent un maillon essentiel de la chaîne de prise en charge des victimes de violences au sein des familles, à la fois lors de l’accueil des victimes au sein des commissariats et des gendarmeries, mais aussi au cours de leurs interventions.

Pour l’accueil dans les locaux des forces de l’ordre, doivent être valorisés tous les dispositifs qui garantissent à une victime de violences intrafamiliales de ne pas avoir à verbaliser le motif de sa venue, et de pouvoir le signaler discrètement. Des solutions simples existent, par exemple des gommettes affichées à l’accueil que la victime peut désigner du doigt sans verbaliser l’objet de sa demande, ce qui permet à l’agent d’accueil d’assurer une prise en charge immédiate et individualisée. Une personne victime amenée à attendre ou à devoir expliquer devant des témoins la raison de son déplacement pourrait être découragée.

Divers outils ont été développés pour aider les agents chargés de l’accueil des victimes à les orienter : le ministère de l’Intérieur a ainsi développé une grille de questions pour évaluer la situation de danger d’une victime de violences conjugales. Ce questionnaire vise à obtenir des informations plus précises sur le contexte des violences (fréquence des violences, accès ou non de la victime à ses documents administratifs, volonté de contrôle de la part de l’auteur des violences…) pour améliorer et accélérer la prise en charge de la victime. 

Des solutions alternatives à l’accueil physique en commissariat ou en gendarmerie existent. Le portail de signalement des violences sexuelles et sexistes, inauguré en novembre 2018, a évolué à compter d’avril 2021 pour devenir la plateforme numérique d’accompagnement des victimes (PNAV). Cette plateforme a pour objectif de faciliter les signalements et les dépôts de plaintes dans certains contentieux, notamment celui des violences conjugales. La personne qui se connecte sur la plateforme est ainsi mise en relation, de façon anonyme, avec un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie formé à l’accompagnement et à l’écoute des victimes. Le nombre de signalements réalisés depuis le 1er janvier 2022 a augmenté de 40 % par rapport à 2021 sur la même période, ce qui témoigne de la montée en puissance de cette plateforme et de l’intérêt majeur qu’elle présente pour faciliter l’action des victimes.   

● Les professionnels de santé sont également des professionnels clés dans l’accueil et l’orientation des personnes victimes de violences intrafamiliales. Lors des consultations, ils peuvent être amenés à repérer des signaux envoyés par une personne victime de violences intrafamiliales.

L’article 226-14 du code pénal prévoit que la révélation par un médecin ou tout autre professionnel de santé d’une information à caractère secret n’est pas susceptible d’être sanctionné dans certains cas précis. Si le professionnel de santé constate des violences au sein d’un couple de nature à mettre la vie de la victime en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en capacité de se protéger au regard de l’emprise exercée sur elle par l’auteur des violences, alors il peut procéder à la levée du secret médical et le signaler au procureur de la République.

Un vademecum a été élaboré à destination des professionnels de santé : diffusé en octobre 2020, il comporte notamment une fiche d’évaluation du danger immédiat et de l’emprise et une fiche décrivant le circuit juridictionnel du signalement.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a facilité la levée du secret professionnel, en précisant que le professionnel de santé peut signaler des violences conjugales même en l’absence de l’accord de la victime. La mise en œuvre de cette disposition mériterait d’être évaluée, pour comparer l’évolution du nombre de signalements réalisés par des professionnels de santé depuis son entrée en vigueur et étudier la répartition géographique des signalements. Une analyse plus approfondie pourrait ensuite être conduite, pour vérifier que la rédaction est suffisamment protectrice pour les professionnels de santé : c’est indispensable pour qu’ils procèdent à une levée du secret médical lorsqu’ils l’estiment nécessaire.

2.   La formation des personnels au contact des victimes

La multiplication des points d’entrée accessibles aux victimes de violences intrafamiliales doit s’accompagner d’un effort de formation des professionnels en contact avec les victimes.

L’objectif est de former les professionnels non seulement à détecter les signaux, mais aussi à bien orienter les personnes victimes. Depuis 2013, il existe une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), qui élabore des outils de formation sur les violences au sein du couple à destination des professionnels les plus concernés. Elle met à disposition une mallette pédagogique comprenant plusieurs kits de formation, pour former les professionnels aux particularités des violences conjugales, mais aussi pour les aider à adapter leurs pratiques professionnelles. La MIPROF intervient aussi en matière de formation initiale, notamment pour les futurs officiers de police judiciaire.

La rapporteure considère qu’il est indispensable de former l’ensemble des professionnels concernés à l’accueil et l’orientation des victimes de violences intrafamiliales. Elle insiste par ailleurs sur l’importance de former les prestataires extérieurs qui sont amenés à être en contact direct avec les victimes, comme c’est le cas pour les sociétés qui gèrent les plateformes du téléphone grave danger et le bracelet anti-rapprochement.

La problématique de la formation des professionnels est encore plus prégnante s’agissant des violences commises sur les mineurs. Au vu des chiffres rappelés plus haut, il est fondamental que chaque professionnel en contact avec des mineurs, qu’il s’agisse des enseignants ou des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) par exemple, soit en capacité de détecter les potentiels signes de violences, de recueillir la parole de l’enfant et d’alerter ensuite les personnes compétentes. Pour cela, un recours plus large au protocole NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) pourrait être envisagé. Ce protocole est destiné aux forces de l’ordre et aux intervenants sociaux lorsqu’ils s’entretiennent avec des enfants ayant été maltraités. Composé de plusieurs étapes, il a pour objectif de diminuer la tendance des personnes menant l’entretien à formuler des suggestions, pour que l’enfant donne un récit le plus détaillé possible. 

Vu la prévalence des violences sexuelles commises sur les mineurs et la gravité de ces actes, il semble absolument fondamental que chaque enfant soit interrogé sur ce sujet, pour lui donner un espace de parole – d’autant que les mineurs victimes de violences commises par des membres de leur propre famille sont encore plus démunis en l’absence de référents de confiance vers qui se tourner.

La sensibilisation au recueil de la parole des enfants est une politique publique qui doit être menée de façon interministérielle, en impliquant notamment les ministères chargés de l’Éducation nationale et de la Santé, ainsi que l’ensemble des associations qui œuvrent dans le domaine de l’enfance.

B.   Des dispositifs pour protÉger les victimes de violences intrafamiliales qui montent en puissance

Les dispositifs de protection des victimes comme l’ordonnance de protection ou les téléphones grave danger se sont largement diffusés depuis 2019. De mieux en mieux connus par les victimes, qui s’en saisissent de façon plus régulière, leur usage se généralise progressivement.

1.   L’ordonnance de protection

L’ordonnance de protection a été créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Pour délivrer une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales, qui statue sur la demande d’ordonnance de protection, doit considérer que deux éléments sont caractérisés : des violences vraisemblables, et un danger vraisemblable pour la victime ou l’un ou plusieurs de ses enfants (article 515-11 du code civil).

Le juge aux affaires familiales peut prononcer diverses mesures de protection de la victime vraisemblable (interdiction d’entrer en contact, stage de responsabilisation de l’auteur vraisemblable…) et d’organisation de la séparation du couple (attribution du logement à la victime vraisemblable, détermination de la résidence habituelle des enfants…). Cette ordonnance constitue une première réponse pour toutes les victimes de violences conjugales, puisque la loi n’a pas conditionné sa délivrance au dépôt d’une plainte ou à l’existence d’une procédure pénale parallèle

Un rapport de l’Inspection générale de la Justice daté d’octobre 2019 ([3]) faisait le constat, s’agissant de l’ordonnance de protection, d’un mécanisme « inexploité », d’un outil « insuffisamment identifié et rarement utilisé par les victimes de violences conjugales les plus graves ainsi que par les acteurs de terrain ».

Depuis ce rapport, plusieurs modifications substantielles ont été apportées au mécanisme de l’ordonnance de protection pour accroître le recours des justiciables au mécanisme.

Initialement, l’article 515-11 du code civil prévoyait que le juge aux affaires familiales statuait dans les « meilleurs délais » : le délai moyen entre la date de la saisine et celle de la décision s’établissait alors à 42 jours. L’article 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a imposé un délai de six jours entre la fixation de la date de l’audience et la délivrance de l’ordonnance de protection. Ce délai est aujourd’hui globalement respecté, avancée soulignée par le rapport d’information sur la mise en application de la loi de 2019 ([4]).

La loi a également modifié l’article 515-10 du code civil pour préciser explicitement que l’ordonnance de protection « n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable » : ce n’était pas un prérequis, mais certaines juridictions exigeaient, pour accepter une demande, que celle-ci soit accompagnée d’une plainte. Or, l’ordonnance de protection est une mesure civile, qui ne dépend pas des démarches entreprises par les victimes sur le plan pénal.

En juin 2020, un comité de suivi de l’ordonnance de protection (CNOP) a été mis en place, pour accompagner les juridictions dans le développement de l’ordonnance de protection et suivre son déploiement. Il a publié un premier rapport d’activité en juin 2021 ([5]), qui réalise un état des lieux du prononcé de l’ordonnance de protection et un suivi de l’application de la loi du 28 décembre 2019.

Le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie, prévu à l’article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, prévoit dans certaines procédures une rétribution garantie pour l’avocat. Aucune demande d’aide juridictionnelle n’a besoin d’être déposée, l’examen de l’éligibilité du demandeur se faisant a posteriori. L’article 19-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 dresse la liste des procédures concernées : toute personne demandant ou contestant la délivrance d’une ordonnance de protection est concernée par le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie, ce qui favorise l’exercice de leurs droits par les personnes victimes de violences conjugales.

Les moyens mis en œuvre pour favoriser le développement de ce mécanisme ont contribué à une augmentation du nombre d’ordonnances de protection demandées, et accordées ces dernières années, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

Évolution du nombre de demandes d’ordonnances de protection et du taux d’acceptation entre 2018 et 2021

 

2018

2019

2020

2021

Nombre de demandes d’ordonnance de protection en France

3 411

4 141

5 718

5 921

Taux d’acceptation totale ou partielle d’ordonnance de protection sur le nombre de décisions ayant statué sur la demande

61,8 %

64,1 %

66,7 %

67,8 %

Source : Ministère de la Justice, direction des affaires civiles et du sceau.

Les chiffres transmis par la direction des affaires civiles et du sceau montrent également une évolution à la hausse du taux d’acceptation totale ou partielle d’ordonnance de protection : l’outil est donc à la fois plus demandé, avec une augmentation des demandes de 73,4 % entre 2018 et 2021, et plus souvent accordé.

La rapporteure salue les moyens déployés pour favoriser le recours à l’ordonnance de protection. Il lui apparaît essentiel de continuer à communiquer largement sur ce dispositif, pour que toutes les personnes victimes de violences conjugales puissent s’en saisir lorsque c’est pertinent. Elle est également favorable à une analyse approfondie de l’une des préconisations du CNOP : l’intégration des frais de signification au défendeur de la décision d’acceptation de l’ordonnance de protection en frais de justice. En effet, cette mesure semble à même de garantir l’effectivité de la décision de justice.

2.   Le dispositif du téléphone grave danger (TGD)

Le dispositif du téléphone grave danger a été expérimenté à partir de 2009 dans plusieurs cours d’appel, puis généralisé en 2014 à l’ensemble du territoire.

Les conditions de remise du téléphone sont prévues par l’article 41-3-1 du code de procédure pénale : le téléphone peut être accordé par le procureur de la République à une personne victime de violences de la part de son conjoint, pour une durée de six mois renouvelable. La victime doit donner son consentement et ne pas cohabiter avec l’auteur des violences.

Une fois le téléphone accordé, il est remis à la victime par une association d’aide aux victimes, qui lui présente le dispositif et vérifie le bon fonctionnement du téléphone. Lorsque la victime déclenche l’alerte, elle est mise en relation avec une plateforme de téléassistance gérée par Allianz, un prestataire externe qui évalue la situation et alerte éventuellement les forces de l’ordre en cas de situation dangereuse. Les associations suivent la personne détentrice d’un TGD tout au long de la mesure pour assurer un accompagnement pluridisciplinaire et adapter les mesures de protection à l’évolution de la situation de la victime. 

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a élargi les cas possibles d’attribution d’un TGD aux situations dans lesquelles l’auteur des violences est en fuite ou la demande d’ordonnance de protection n’a pas encore fait l’objet d’une décision. 

Les différents interlocuteurs de la rapporteure ont confirmé que les juridictions s’étaient emparées du dispositif, comme en témoigne la hausse significative du nombre de TGD déployés.

Ainsi, au 1er août 2017, 543 téléphones étaient déployés sur le territoire. Au 2 septembre 2022, 4 367 TGD étaient déployés sur le territoire, dont 2 183 affectés à une victime. Cela représente une hausse de 700 % du nombre de TGD déployés en cinq ans. 

L’objectif à atteindre pour fin 2022 est fixé à 5 000 téléphones déployés.  

Le dispositif est intégralement financé par le programme 101 : son évolution suit la hausse du nombre de TGD déployés. Une partie de l’enveloppe est consacrée à financer les téléphones, l’abonnement et le fonctionnement de la plateforme, soit 6 millions d’euros. Le coût moyen mensuel du marché conclu avec le prestataire chargé de gérer le dispositif est estimé à 500 000 euros.

Le budget de l’accompagnement des victimes porteuses de TGD par les associations a considérablement augmenté depuis 2017, comme le montre le tableau ci-dessous.

Évolution des crÉdits de paiement pour l’accompagnement des bÉnÉficiaires de tÉlÉphones grave danger entre 2017 et 2022

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Crédits de paiement pour l’accompagnement des bénéficiaires de TGD

0,4

0,66

0,77

1,04

1,47

2,2

Source : réponse au questionnaire budgétaire transmis par la rapporteure.

Le PLF 2023 prévoit 2,2 millions d’euros afin de maintenir cet accompagnement essentiel pour assurer le bon fonctionnement du dispositif.

3.   Le bracelet anti-rapprochement (BAR)

La loi du 28 décembre 2019 mentionnée supra a créé le dispositif du bracelet anti-rapprochement (BAR). Il est délivré sur décision d’un magistrat du siège : soit par un juge d’instruction, soit par un juge des libertés et de la détention (article R 24-14 du code de procédure pénale). La décision du juge fixe la distance d’alerte, c’est-à-dire la distance minimale que doit respecter le porteur du bracelet avec la personne protégée, et la distance de pré-alerte, qui représente le double de la distance d’alerte. Dès que le porteur d’un bracelet s’introduit dans la zone de pré-alerte, le téléopérateur est averti et l’enjoint de s’éloigner. La distance d’alerte ne peut être inférieure à un kilomètre ou supérieure à dix kilomètres (article R 24-18 du code de procédure pénale).

La plateforme de téléassistance est gérée par un prestataire extérieur, Stanley, dont les agents ont été formés par l’association France Victimes à la prise en charge des victimes de violences conjugales. Les crédits consacrés au bracelet anti-rapprochement dans le budget de l’administration étaient de 4,7 millions d’euros en AE et CP en 2022 et sont prévus pour 2023 à hauteur de 11,5 millions d’euros en AE et CP, soit une hausse de 144 %, permettant de mettre en œuvre le développement de ce dispositif.  

Le rôle d’accompagnement par les associations d’aide aux victimes est similaire à celui décrit dans le cadre de la remise d’un TGD. Les crédits dédiés au financement des associations qui interviennent auprès des personnes dont le conjoint s’est vu imposer le port d’un BAR étaient de 200 000 euros en 2021, puis de 500 000 euros en 2022. 

Au 1er août 2022, 1 313 BAR avaient été prononcés par les juridictions, dont 661 au stade post-sentenciel et 13 dans le cadre d’une ordonnance de protection. À cette date, 798 BAR étaient actifs. 

Ce dispositif, complémentaire du TGD, peut être délicat à mettre en œuvre dans certaines zones : à Paris, où le métro quadrille toute la zone, un déplacement en transport en commun du conjoint violent peut déclencher l’alerte sans que celui-ci soit réellement en train d’approcher la victime. En zone rurale, les communes sont parfois trop petites pour pouvoir mettre en œuvre de façon satisfaisante les zones d’alerte. Or, la multiplication de fausses alertes peut être une réelle source d’angoisse pour la personne victime et accroître le sentiment d’emprise, déjà entretenu par ce dispositif. La mise en place du BAR doit donc se faire lorsque toutes les conditions sont réunies, en particulier en cas de risque d’une particulière gravité ou, comme le font déjà largement les juridictions, en post-sentenciel. 

II.   Maintenir un effort budgÉtaire important pour faire CESSER les violences intrafamiliales

Les avancées constatées depuis le Grenelle des violences conjugales ne sont qu’une étape pour atteindre l’objectif de mieux prendre en charge les victimes et, à terme, faire cesser les violences intrafamiliales.

A.   Des moyens renforcÉs pour les acteurs de la chaÎne de prise en charge

Les moyens alloués aux associations d’aide aux victimes ont considérablement augmenté ces dernières années, ce qui permet de financer plusieurs dispositifs particulièrement intéressants pour garantir l’accès au droit des personnes victimes de violences intrafamiliales. 

1.   Augmenter les moyens des associations qui accompagnent les victimes de violences intrafamiliales est essentiel pour garantir le fonctionnement des dispositifs de protection

Le budget consacré à l’aide aux victimes de violences intrafamiliales atteint 16,1 millions d’euros dans le PLF 2023, soit une augmentation de 11,8 % par rapport à la LFI 2022 et de 100 % par rapport à la LFI 2020, qui y consacrait 8 millions d’euros.

L’augmentation des frais de justice mentionnée supra va en partie soutenir les partenariats avec les unités médico-judiciaires et la mise en place d’enquêtes sociales sur les violences intrafamiliales.

Si cette hausse significative du budget mérite d’être saluée, plusieurs dispositifs mis en œuvre par les associations d’aide aux victimes mériteraient d’être particulièrement soutenus. 

● Un administrateur ad hoc représente un mineur dans une procédure en cours (civile, pénale ou administrative) lorsque ses tuteurs légaux ne sont pas en capacité de le faire, ou lorsque leurs intérêts sont contraires à ceux du mineur. Il a une mission procédurale : il agit pour le mineur au cours de la procédure, en prenant connaissance du dossier pénal, en se constituant partie civile au nom de l’enfant, ou encore en mandatant un avocat. Il accompagne aussi le mineur tout au long de la procédure, lui explique toutes les étapes et est présent à tous les rendez-vous judiciaires.

Seules les associations disposant d’une habilitation spéciale peuvent exercer les missions d’administrateur ad hoc. La fédération France Victimes estime qu’un tiers de ses adhérents disposent de cette habilitation.

Les indemnités sont versées aux administrateurs en fonction des missions qui leur sont attribuées. À titre d’exemple, le tarif pour l’accompagnement d’un mineur à une audience du tribunal pour enfants en matière correctionnelle est de 75 euros, et celui pour une instruction criminelle avec ouverture d’une information devant le juge d’instruction est de 450 euros. Ces indemnités sont financées par le programme 166 au titre des frais de justice.

Alors que le nombre d’administrateurs ad hoc a tendance à stagner, voire diminuer, aucune revalorisation de ces indemnités n’a eu lieu depuis 2007, ce qui n’est pas de nature à inverser cette tendance. Or, le mécanisme de l’administrateur ad hoc est essentiel pour assurer que les enfants puissent exercer leurs droits à un moment où, privés de leurs tuteurs légaux, ils sont particulièrement vulnérables. La rapporteure souhaite donc qu’un travail sur l’évolution de l’indemnité versée aux administrateurs ad hoc soit lancé : le Garde des Sceaux a confirmé lors de son audition du 25 octobre qu’un travail sur la rémunération et le statut des administrateurs ad hoc était en cours.

Un dispositif d’évaluation approfondie a été mis en place à partir de 2015. Il se distingue de l’évaluation précoce réalisée par les forces de l’ordre. Le questionnaire vise à obtenir des renseignements sur les caractéristiques de la victime, sa vulnérabilité et les risques, pour déterminer les besoins spécifiques de protection ou de mesures spéciales pendant la procédure pénale.

L’évaluation approfondie de la situation des victimes (EVVI) est réalisée sur réquisition du parquet par une association d’aide aux victimes agréée. Il existe des trames et des questionnaires type. Une fois l’évaluation réalisée, l’association rédige un avis qui est adressé au parquet, au magistrat saisi, voire au service enquêteur. 

En 2021, 23 431 entretiens ont été réalisés au titre de ce dispositif, pour 17 449 victimes. Le budget versé aux associations au titre de ces entretiens en 2021 s’élevait à 1,6 million d’euros, provenant du programme 101. Le montant des crédits alloués à ce dispositif en 2023 n’a pas été communiqué à la rapporteure, mais les chefs de cour d’appel avaient demandé plus de 2,3 millions d’euros de crédits.

La rapporteure considère que ce dispositif doit être plus largement diffusé : il est de nature à améliorer la prise en charge des victimes grâce à une connaissance plus fine de leur situation. Il est absolument essentiel que les crédits nécessaires soient versés aux associations, qui sont l’élément principal de mise en œuvre du dispositif. 

● De 2017 à 2022, les crédits dédiés à la prise en charge psycho-traumatique des victimes de violences intrafamiliales sont passés de 1,3 million d’euros à 4 millions d’euros, soit une hausse de 207 %. Ces crédits, versés aux associations d’aide aux victimes, financent à la fois un premier soutien après la survenance de l’évènement et les prises en charge de long terme. Il est indispensable que ce soutien budgétaire soit maintenu.

2.   Multiplier les lieux adaptés pour recueillir la parole des victimes

Améliorer les conditions de recueil de la parole des victimes est essentiel pour les inciter à se confier au plus tôt sur les violences dont elles sont l’objet.

Les dispositifs adaptés existent déjà : il s’agit maintenant de les multiplier pour assurer un maillage territorial fin. S’agissant du recueil de la parole des enfants, deux outils peuvent être mis en avant.

Depuis plusieurs années, les salles dites « Mélanie » se développent au sein des gendarmeries et des commissariats. Ce sont des salles spécialement aménagées et dédiées aux enfants victimes pour les mettre en confiance. Une caméra et du matériel de sonorisation sont installés pour enregistrer la parole de l’enfant et lui éviter d’avoir à répéter son récit.

Plus récemment, des unités d’accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED) ont remplacé les unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques : ces unités, installées dans les services pédiatriques, prennent en charge les enfants de manière pluridisciplinaire. L’audition de l’enfant par un officier de police judiciaire se déroule en présence d’un professionnel médico-social formé et elle est filmée.

Pour assurer le déploiement des UAPED sur le territoire, 270 000 euros avaient été ouverts en 2022. Les données transmises à la rapporteure montrent que le déploiement des unités sur l’ensemble du territoire est en bonne voie. Une enveloppe de 40 000 euros est prévue dans le présent projet de loi de finances pour continuer ce déploiement. 

C’est le ministère de la Santé et des solidarités qui finance une part majoritaire du fonctionnement des UAPED. Le ministère de la Justice finance lui les actes de médecine réalisés dans ces UAPED grâce aux crédits du programme 166. 

Des lieux dédiés à la prise en charge des victimes majeures existent déjà : ce sont les unités médico-judiciaires, des structures de médecine légale qui accueillent les personnes victimes d’une agression sur demande d’une autorité judiciaire. Elles sont en partie financées par le ministère de la Justice selon un mécanisme similaire à celui des UAPED :  les actes de médecine légale réalisés dans les UMJ sont inclus dans l’enveloppe des frais de justice. Les UMJ bénéficient par ailleurs de subventions par le ministère de la Justice pour assurer les opérations de création, d’agrandissement et de renforcement. Une enveloppe de 20 millions d’euros y avait été consacrée en 2022.

Ces unités sont fondamentales pour accompagner les victimes, objectiver les violences subies et apporter les éléments de preuve indispensables à la condamnation des auteurs. Or, ces unités, comme les professions médico-sociales en général, éprouvent des difficultés à recruter des professionnels : la rapporteure alerte sur la nécessité pour le ministère de la Justice de se saisir du sujet en partenariat avec le ministère de la Santé et des Solidarités. 

Enfin, certaines associations développent des lieux d’accueil spécialisés. En Seine-Saint-Denis, un lieu d’accueil et d’orientation pour les jeunes femmes de 18 à 25 ans victimes de violences sexistes ou sexuelles a été ouvert en septembre 2019. Elles bénéficient d’une prise en charge pluridisciplinaire et sont orientées en fonction de leurs besoins.

Ce type de lieu, très spécialisé, est de nature à encourager les personnes victimes de violences à se confier, accélérant d’autant leur prise en charge par des professionnels compétents. La rapporteure souligne la pertinence de ce type de lieu pour encourager les victimes à exercer leurs droits mais également pour assurer un accompagnement pluridisciplinaire des victimes.

B.   Continuer À faire de la protection des victimes une prioritÉ

Une protection efficace des personnes victimes de violences intrafamiliales passe également par un travail sur d’autres axes, notamment la prise en charge des conjoints violents.

1.   Renforcer la prise en charge des conjoints violents

L’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales doit comporter un volet de prise en charge des conjoints auteurs de violences. Cette prise en charge est d’abord nécessaire pour réduire les risques de récidive. Elle est aussi essentielle pour garantir l’effectivité des mesures d’éviction prononcées par le juge ainsi que le maintien au domicile conjugal de la victime et, le cas échéant, de ses enfants. Si des lieux alternatifs ne sont pas accessibles aux conjoints violents, la tentation de revenir au domicile conjugal peut être d’autant plus forte.

Après le Grenelle des violences conjugales en 2019, il a été décidé d’ouvrir des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA). Trente centres ont été ouverts sur le territoire depuis. Ces centres proposent un module de responsabilisation de l’auteur face à ses actes, mais également un module d’accompagnement médico-social et un module médico-social. Au 1er trimestre 2022, 3 357 personnes ont été orientées vers les CPCA. À cela s’ajoute la mise en place d’un mécanisme de recherche de solutions d’hébergement en urgence lorsqu’un auteur de violences conjugales fait l’objet d’une mesure d’éviction du domicile conjugal.

Dans cette perspective, la rapporteure est tout à fait favorable à l’expérimentation conduite par la direction de l’administration pénitentiaire et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) sur le contrôle judiciaire avec placement probatoire du conjoint violent en phase présentencielle. Cette procédure, qui permet d’imposer aux conjoints violents de résider dans un lieu déterminé, constitue une alternative à la détention provisoire. Les conjoints violents font également l’objet d’un accompagnement psychologique, social, sanitaire et éducatif dans des structures spécialisées.

Ce dispositif avait d’abord été expérimenté à Nîmes et Colmar ; il a ensuite été étendu à huit autres juridictions. Il est financé par la direction de l’administration pénitentiaire.

2.   Améliorer encore la coordination entre les différents acteurs

● Des référents pour les violences intrafamiliales (VIF) ont été recrutés dans les tribunaux, initialement pour une durée de trois mois. Ces référents ont pour missions, entre autres, de développer les partenariats institutionnels, d’assister les chefs de juridiction dans la conduite des politiques de lutte contre les VIF et de diffuser les informations sur les dispositifs mis en place par le ministère à ce sujet. Les tribunaux, début 2022, ont demandé la pérennisation de ces postes. En juin 2022, 105 postes de référents (postes de contractuels de catégorie A) ont finalement été pérennisés, pour un coût d’1,5 million d’euros. Les postes sont devenus des contrats de projet de trois ans.

L’objectif de la direction des services judiciaires est d’avoir un référent VIF dans chaque tribunal judiciaire.

● Des outils de gouvernance territoriale ont été mis en place. Dans une circulaire datée du 7 septembre 2021([6]), le Garde des Sceaux rappelle sa volonté, déjà exprimée dans une dépêche datée du 27 mai 2021, d’avoir au sein de chaque juridiction un comité de pilotage unique dédié aux violences intrafamiliales (COPIL VIF). Ce comité, coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, associe les magistrats du parquet référents, les magistrats du siège concernés, mais aussi les associations concernées, les services de police et gendarmerie, et les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Selon les territoires, les représentants des unités médico-judiciaires et des avocats peuvent également y participer. Ce comité est l’instance de suivi des situations individuelles estimées à risque.

La rapporteure salue la mise en place de cette instance de coordination, qui impulse une dynamique au sein d’un territoire et qui favorise la coopération entre les différents partenaires de la lutte contre les violences intrafamiliales, dans la mesure où la prise en charge des victimes de ce type de violences implique l’intervention simultanée ou successive d’une pluralité d’acteurs de nature très différente.

Dans la même circulaire, le Garde des Sceaux explicite la volonté du Premier ministre d’avoir une instance de pilotage unique sur la lutte contre les violences conjugales : cette instance, selon les spécificités territoriales, peut être soit le comité local d’aide aux victimes, soit le comité départemental de prévention de la délinquance.

● Enfin, des circuits particuliers de traitement des violences conjugales ont été mis en place. Le tribunal de Créteil est ainsi devenu « juridiction pilote » en 2019 pour la mise en œuvre d’un protocole d’urgence, visant à accélérer le traitement de ces dossiers. Cette procédure a ensuite été élargie à l’ensemble des juridictions. Selon les chiffres transmis à la rapporteure, en novembre 2021, 123 juridictions avaient mis en place une filière de l’urgence.

3.   Informer les victimes de leurs droits

Pour que les victimes de violences intrafamiliales puissent exercer leurs droits, elles doivent être informées sur les dispositifs permettant de se signaler et d’être protégées.

Pendant la crise sanitaire, lors des confinements qui se sont succédé en France, le fait que des personnes soient confinées avec leurs conjoints violents a suscité la crainte que la période favorise l’explosion de violences au sein des familles. Plusieurs campagnes de communication ont été mises en place à grande échelle pour faire connaître les dispositifs accessibles aux victimes de violences : le numéro gratuit et anonyme 3919 (déjà mentionné supra), la plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles (PNAV), l’application App-Elles (qui alerte les proches et contacte les services de secours en cas de besoin) ainsi que le numéro pour les enfants victimes de violences (119). Un système d’alerte pour les victimes de violences conjugales dans les pharmacies a également été mis en place.

La forte mobilisation pour garantir un accès continu aux dispositifs d’écoute et de signalement a favorisé une forme de « libération de la parole confinée », comme l’explique la MIPROF dans un rapport publié en juillet 2020 ([7]). Cette première tendance est confirmée par les chiffres définitifs du ministère de l’Intérieur : le signalement de violences intrafamiliales a ainsi augmenté de 9 % sur l’année 2020. 

La rapporteure considère qu’il faut s’appuyer sur les dispositifs mis en place pendant les confinements et organiser régulièrement des campagnes d’information et de sensibilisation sur les violences conjugales. 

De plus, dans la droite ligne des recommandations faites par la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) dans ses conclusions intermédiaires publiées en mars 2022, elle soutient le lancement d’une campagne de prévention nationale sur les violences sexuelles commises sur les mineurs, avec un volet sur les violences intrafamiliales. Le Ministre a confirmé lors de son audition par la commission des lois le 25 octobre 2022 que le sujet était prioritaire et que le groupement d’intérêt public Enfance en danger porterait une telle campagne en 2023.  

 

 

    

   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mardi 25 octobre, la Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice : Justice et accès au droit » (Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/18NOB4

Puis, la Commission examine les crédits de la mission « Justice ». Suivant la préconisation des rapporteurs pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » non modifiés. La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 44 non modifié.

 

 

 


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   Personnes entendues

 

À Paris

– M. Jérôme Bertin, directeur général

– Mme Isabelle Sadowski, directrice juridique et de la coordination de l’aide aux victimes

– Mme Bénédicte Mast, président de la commission Accès au droit

– Mme Émilie Guillet, chargée d’affaires publiques

– M. Édouard Durand, co-président

– M. Benoît Legrand, secrétaire général  

– Mme Élisabeth Moiron-Braud, ancienne secrétaire générale

– Mme Catherine Raynouard, cheffe de service et adjointe au directeur

– M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint

– M. Philippe Caillol, chef du service de l’accueil au droit et à la justice et de l’aide aux victimes

– M. Jean-Yves Hermoso, chef du service des finances et des achats

– M. Roland de Lesquen, chef de service, adjoint au directeur

– Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe au directeur

– Mme Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale

– M. Nils Monsarrat, secrétaire général

– Mme Nelly Bertrand, membre du bureau national

– Mme Cécile Mamelin, vice-présidente

– M. Ludovic Friat, secrétaire général

– M. Jean-Jacques Pieron, délégué FO Justice

– Mme Ernestine Ronai, responsable

– Mme Abigaïl Vacher, chargée de projets

 

À Lyon

– M. Jean-François Barre, vice-bâtonnier

– Mme Liliane Daligand, présidente

– Mme Élisabeth Liotard, directrice

– Mme Marie-Hélène Kleinmann

– M. Michael Janas, président

– M. Nicolas Jacquet, procureur de la République  

 

– Mme Valérie Durand-Roche, directrice

– M. Laurent Fanton, chef du service de médecine légale 

– M. Franck Douchy, commissaire général

– M. Pascal Colinot, commandant de police et chef de l’unité départementale de protection de la famille

 

 


([1]) Sécurité et société – Insee Références – Édition 2021.

([2]) Document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2023 – Politique de l’égalité entre les femmes et les hommes.

([3]) Rapport de l’Inspection générale de la Justice – Mission sur les homicides conjugaux, octobre 2019.

([4]) Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, enregistré le 14 octobre 2020.  

([5])  Rapport d’activité du comité national de l’ordonnance de protection.

([6])  Circulaire présentant la circulaire du Premier ministre relative à la gouvernance territoriale en matière de lutte contre les violences conjugales, direction des affaires criminelles et des grâces, 7 septembre 2021.

([7]) « Les violences conjugales pendant le confinement : évaluation, suivi et propositions » - Mission interministérielle pour la protection des femmes conte violences et la lutte contre la traite des êtres humains, juillet 2020.