N° 479
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2022.
PROPOSITION DE LOI
visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation et assurer l’avenir du fabriqué en France,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),
présentée par Mesdames et Messieurs
Julien DIVE, Marie‑Christine DALLOZ, Josiane CORNELOUP, Isabelle VALENTIN, Mansour KAMARDINE, Nicolas FORISSIER, Thibault BAZIN, Frédérique MEUNIER, Raphaël SCHELLENBERGER, Francis DUBOIS, Alexandre VINCENDET, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Émilie BONNIVARD, Véronique LOUWAGIE, Hubert BRIGAND, Pierre VATIN, Marc LE FUR, Jean‑Luc BOURGEAUX, Nathalie SERRE, Jean‑Yves BONY, Stéphane VIRY, Jean‑Pierre VIGIER, Jean‑Pierre TAITE, Vincent ROLLAND, Isabelle PÉRIGAULT, Yannick NEUDER, Meyer HABIB, Dino CINIERI, Virginie DUBY‑MULLER,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Chaque jour, les consommateurs français achètent 100 millions de produits de grande consommation (PGC) : alimentation, produits d’hygiène, piles électriques, détergents. Depuis des années, l’attention des décideurs publics s’est concentrée à juste titre sur une montée en gamme de ces biens, pour la majorité essentielle au quotidien des Français : meilleure rémunération de l’amont agricole, décarbonation, efficacité énergétique des usines, circularité des emballages, sécurité sanitaire, réduction des additifs et bienfaits pour la santé.
La question de la souveraineté industrielle en matière de production de ces produits s’est posée de manière évidente lors du premier confinement de la crise sanitaire en 2020, lorsque les craintes relatives à leur disponibilité ont conduit à les définir comme des produits de première nécessité.
Dans les prochains mois, la question principale pourrait être celle du simple maintien de la présence de ces produits dans les rayons des grandes surfaces à dominante alimentaire et de la poursuite de l’activité des usines qui les produisent sur le territoire français.
Les fabricants de produits de grande consommation sont très fragilisés en France, pour quatre raisons principales.
Tout d’abord, depuis 2013, les industriels ont été en déflation. Année après année, ils ont vendu aux enseignes de la grande distribution leurs produits moins chers que l’année précédente. Cette perte de plusieurs milliards d’euros sur des marchés stables en volume a engendré une baisse drastique de leur rentabilité, contribuant à faire de la France l’un des pays les moins rentables d’Europe.
Ensuite, depuis 2021, les entreprises font face à une inflation sans précédent du coût des matières premières agricoles et industrielles (énergie, transport et emballages). Or la hausse de 3,5 % en moyenne obtenue par les industriels de l’alimentaire en 2022 (ceux des catégories non alimentaires continuant de flirter avec la déflation) n’aura couvert qu’un tiers de leurs besoins réels.
Par ailleurs, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, cette inflation post‑covid s’est transformée en hyperinflation, qui a conduit les acteurs de la chaîne d’approvisionnement à réagir en signant sous l’égide des ministres une charte d’engagements. Elle dresse un cadre de renégociation des prix de cession des produits alimentaires afin de garantir une juste rémunération et la pérennité des divers maillons de la chaîne.
Enfin, plutôt que de jouer la carte de la solidarité nationale, certaines enseignes de la grande distribution de produits de grande consommation ont préféré tenter l’aventure de l’ « évasion juridique ». Pour échapper à l’application du droit français, garant du développement durable de l’ensemble des maillons de la chaîne d’approvisionnement dans l’intérêt de tous, ces enseignes délocalisent l’achat des produits de certains industriels (en Belgique pour Leclerc, en Espagne pour Carrefour, aux Pays bas pour Système U). Outre que ces enseignes se considèrent comme n’étant pas soumises au droit français, au mépris des textes votés par la représentation nationale, elles créent une distorsion de concurrence avec les autres distributeurs qui ont fait le choix du respect des dispositions du droit français en général, de la loi Egalim 2, adoptée à l’unanimité, en particulier.
Cette proposition de loi, élaborée après concertation avec l’Institut de liaisons des entreprises de consommation (Ilec), vise à établir un cadre réglementaire pour les deux années à venir, complétant l’expérimentation Égalim1 et la loi Égalim2 en corrigeant les effets de bord et les insuffisances avérées, afin d’éviter des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement des PGC.
Le premier article vient confirmer le caractère de lois de police reconnu par la jurisprudence en ce qui concerne les dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce, en rappelant, en introduction de celui‑ci, que ses dispositions s’appliquent à toute relation contractuelle dès lors que les produits qu’elle vise sont commercialisés en France. Il s’agit ici de lutter contre le phénomène d’évasion juridique qui consiste, pour certaines enseignes, à délocaliser la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France.
Le deuxième article vient mettre fin à la destruction de valeur dans le secteur des produits d’hygiène et des détergents en remédiant aux effets collatéraux non voulus des lois Égalim1 et 2, admis par toutes les parties prenantes, à commencer par les parlementaires, sur la base d’évidences chiffrées. Il étend à tous les PGC l’encadrement des promotions dans les conditions prévues dans l’article 125 de la loi ASAP, l’interdiction de discrimination et l’individualisation de la valeur des contreparties prévues par Égalim2. Les produits d’entretien, non protégés par les dispositifs d’Égalim1 et Égalim2, ont vu leurs taux promotionnels exploser, pour atteindre en moyenne plus de 45 %, soit plus du double de celui des produits alimentaires. Le Code de commerce reconnaissait précédemment que l’ensemble des produits de grande consommation étaient soumis aux mêmes principes de négociation. Selon l’article L. 441‑4, les PGC sont « des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation ». En ce qui concerne l’extension de l’encadrement des promotions, il s’agit de reprendre la proposition n° 12 du rapport de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale (septembre 2019).
Le troisième article vise à adapter le Code de commerce pour prendre en compte la situation exceptionnelle à laquelle est confrontée la chaîne d’approvisionnement afin là encore d’éviter les faillites des opérateurs du maillon de la transformation. Il s’agit de prévoir des dispositions explicites sur le prix applicable en l’absence d’accord au 1er mars. Ainsi que l’a établi la CEPC dans son avis 10‑05, en cas d’échec des négociations annuelles au 1er mars, il ne devrait plus y avoir ni commande du distributeur, ni livraison de produits. Cette règle viendrait clarifier une situation dans laquelle, en cas d’échec des négociations commerciales, il est généralement considéré que le maintien des livraisons par le fabricant devrait se faire au prix de l’année précédente pendant une période de préavis de plusieurs mois. Dans une période d’hyperinflation, une telle pratique crée un fardeau économique insupportable pour l’industriel et une désincitation à trouver un accord pour le distributeur.
Enfin, le quatrième article vient compléter la disposition de la loi Egalim 2 relative au mécanisme de transparence, dit de l’option 3, sur la valorisation de la part de matières premières agricoles dans l’évolution du tarif des industriels. La rédaction actuelle consiste à faire intervenir un tiers indépendant qui va attester de la véracité de l’évolution de la part de matière première agricole dans le tarif proposé, en comparaison avec le tarif précédent. Dans le cadre des travaux de l’observatoire des négociations commerciales, le médiateur des relations commerciales agricoles préconise de modifier ces dispositions en faisant intervenir le tiers indépendant avant la conclusion du contrat, afin de se conformer au principe de transparence, tout en conservant le mécanisme d’attestation postérieure au contrat, afin de répondre à l’objectif de sanctuarisation du coût de la matière première agricole.
proposition de loi
Article 1er
Le chapitre préliminaire du titre IV du livre IV du code de commerce est ainsi modifié :
1° Son intitulé est ainsi rédigé : « Dispositions générales » ;
2° Est ajouté un article L. 440‑2 ainsi rédigé :
« Art. L. 440‑2. – L’ensemble des dispositions relevant du présent titre s’applique à toute relation commerciale dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés ou destinés à être commercialisés sur le territoire français. Toute clause contraire est réputée non écrite ».
Article 2
I. – Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Le 4° du I de l’article L. 442‑1 est ainsi rédigé :
« 4° De pratiquer, à l’égard de l’autre partie, ou d’obtenir d’elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles prévues par la convention mentionnée à l’article L. 443‑4‑8 en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence » ;
2° Le III de l’article L. 441‑4 est complété par les mots : « ainsi que chacune des obligations réciproques et leur prix unitaire ».
II. – Le A du II de l’article 125 de la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique est complété par les mots : « ainsi que des produits listés à l’article D. 441‑9 du code de commerce. »
Article 3
Le IV de l’article L. 441‑3 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La convention mentionnée au I est conclue pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier. Lorsqu’elle est conclue pour une durée de deux ou de trois ans, elle fixe les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé. Ces modalités peuvent prévoir la prise en compte d’un ou de plusieurs indicateurs disponibles reflétant l’évolution du prix des facteurs de production. En l’absence d’accord au 1er mars, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur ».
Article 4
Le 3° du I de l’article L. 441‑1‑1 du code de commerce est ainsi rédigé :
« 3° Soit prévoient, sous réserve qu’elles fassent état d’une évolution du tarif du fournisseur du produit mentionné audit premier alinéa par rapport à l’année précédente, l’intervention d’un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé d’attester la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés mentionnés au premier alinéa du présent I. Dans ce cas, le fournisseur transmet au tiers indépendant les pièces nécessaires à cette attestation. Celle‑ci est fournie dans le mois qui suit l’envoi des conditions générales de vente. Dans le cadre de cette option, une seconde attestation est fournie par le tiers indépendant portant sur le respect du II de l’article L. 443‑8 du code de commerce qui impose que la négociation ne porte pas sur la part de cette évolution.