N° 672
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 décembre 2022.
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre les dérives
des influenceurs sur les réseaux sociaux,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),
présentée par
MM. Arthur DELAPORTE, Boris VALLAUD et
les membres du groupe Socialistes et apparentés (1),
députés.
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(1) Mesdames et Messieurs : Joël Aviragnet, Christian Baptiste, Marie‑Noëlle Battistel, Mickaël Bouloux, Philippe Brun, Elie Califer, Alain David, Arthur Delaporte, Stéphane Delautrette, Inaki Echaniz, Olivier Faure, Guillaume Garot, Jérôme Guedj, Johnny Hajjar, Chantal Jourdan, Marietta Karamanli, Fatiha Keloua Hachi, Gérard Leseul, Philippe Naillet, Anna Pic, Christine Pires Beaune, Dominique Potier, Valérie Rabault, Claudia Rouaux, Isabelle Santiago, Hervé Saulignac, Mélanie Thomin, Cécile Untermaier, Boris Vallaud, Roger Vicot.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis l’apparition de la télé‑réalité dans les années 2000 et la diffusion des émissions « Loft Story » puis la « Star Academy », la part des divertissements dont l’objectif est de suivre le quotidien de candidats jusque‑là anonymes a considérablement augmenté. En 20 ans, le petit écran a donc connu une succession d’émissions et autant de candidats qui sont devenus des personnages célèbres pour le grand public, et particulièrement auprès des jeunes. À l’issue de leur carrière télévisuelle, ces « nouvelles stars » ont, ces dernières années, utilisé de manière croissante les réseaux sociaux comme source de revenus, à travers des partenariats avec des marques qu’elles et ils valorisent.
En parallèle, la multiplication et la démocratisation de l’édition de contenus liée à l’expansion des réseaux sociaux ont conduit à l’émergence de personnalités publiques qui, à l’instar des candidats de téléréalité évoqués précédemment, sont particulièrement populaires auprès du jeune public notamment.
Cette monétisation de la diffusion de contenu sur des pages de célébrités a causé des dérives graves, en particulier sur des enjeux de santé publique et d’addiction, auxquelles la présente proposition de loi entend apporter une réponse.
Ces deux catégories de célébrités, qui tirent des revenus de la valorisation de leur image en partenariat avec des marques, forment donc une nouvelle forme de travailleurs des réseaux sociaux : les influenceurs.
La notoriété acquise par ces influenceurs étant volatile en raison de l’apparition de figures nouvelles de manière régulière, les influenceurs doivent fidéliser leurs abonnés pour créer une communauté, qui peut être monétisée comme un public cible d’une diffusion d’un contenu à caractère commercial. Leur chiffre d’affaires peut parfois être considérable.
Par le biais d’agences spécialisées d’un système oligopolistique dont la plus connue dans le milieu de la télé‑réalité en France est Shauna Events, les marques rémunèrent ces influenceurs pour promouvoir leurs produits en espérant bénéficier d’achats de leurs communautés virtuelles.
Plus le nombre d’abonnés est important, plus les marques sont prêtes à payer des cachets importants, jusqu’à plusieurs milliers d’euros pour une « story » éphémère de 24 heures.
Ces gains d’un côté et cette visibilité offerte à un public jeune et nombreux de l’autre attirent les convoitises et provoquent des dérives depuis quelques années dont les pouvoirs publics ont du mal à se saisir.
Le milieu de la télé‑réalité ou des personnalités d’Instagram, Tiktok et Snapchat est le plus souvent inconnu pour les décideurs publics qui observent parfois cela avec une incompréhension mâtinée de dédain.
Pourtant, la quantité de programmes de téléréalité a plus que bondi. Dans une enquête consacrée aux 20 ans du milieu de l’ex‑CSA ([1]), on apprend ainsi qu’en 10 ans, entre 2010 et 2019 la diffusion de programmes de téléréalité sur les chaînes nationales a augmenté de 262 %, certaines chaînes en dépendant quasi‑exclusivement.
Avec des audiences pouvant grimper à plus d’un million de téléspectateurs par jour (pour Les Anges ou Les Marseillais) ces programmes constituent des cibles commerciales de choix pour les annonceurs qui cherchent à cibler la catégorie des « femmes responsables des achats de moins de 50 ans » selon le terme qui peut représenter jusqu’à 20 % des audiences d’une émission (par exemple, Marseillais Asian Tour sur W9 ([2])).
Ainsi installées durablement dans le paysage audiovisuel français, ces émissions produisent autant de comptes Instagram, Tiktok ou Snapchat qu’il n’y a de candidats. Or, compte tenu des audiences précédemment évoquées, les communautés des candidats peuvent se compter en millions d’abonnés. Nabilla, ancienne candidate des Anges, a 8 millions d’abonnés sur Instagram, Jessica et Julien des Marseillais, 6 millions, Maéva et Manon de la même émission plus de 3 millions. Sur le réseau social Tiktok, de nombreux influenceurs comptabilisent autant d’abonnés : Ogee, 2,2 millions, Louisegrtt, 1,9 million…
Ces influenceurs diffusent en continu sur les réseaux sociaux des posts commerciaux aux objets aussi divers que la vente de coques de téléphone, de vêtements, de produits de beauté, de voyages à gagner… Si, en théorie, ces posts doivent être clairement indiqués comme sponsorisés afin d’en informer les publics, il existe de nombreux exemples de dissimulation.
Pire, des contenus destinés à la vente sont parfois plus problématiques que la promotion d’un simple rouge à lèvres : cryptomonnaies, opérations de chirurgie esthétique, produits de contrefaçon, produits du dropshipping vendus des dizaines d’euros contre quelques euros sur des sites bien connus, pronostics de paris sportifs, formations prises sur le compte personnel de formation (CPF) pour lesquelles une loi vient d’ailleurs d’être adoptée par le Parlement ([3]).
Parfois légales, parfois frauduleuses (vente de carte de stationnement pour personne en situation de handicap, faux permis, faux jeux concours…), ces publicités peuvent être dangereuses pour les acheteurs. Les témoignages de consommateurs lésés s’accumulent de manière inquiétante et plusieurs vigies citoyennes ont d’ailleurs collecté de nombreux exemples d’abus, comme le site Signal Arnaques, le compte « Vos stars en réalité » sur Instagram, « Le radis irradié » sur Youtube ou encore le collectif AVI. Par exemple, l’influenceur Dylan, 1,5 million d’abonnés sur Instagram faisait encore en novembre 2022 la promotion de « gélules qui guérissent les cellules cancéreuses ».
Il est temps que les influenceurs prennent leurs responsabilités pour les contenus qu’ils produisent et pour lesquels ils sont rémunérés. Elles et ils doivent avoir conscience que la vente en ligne est soumise à des règles qu’il convient de respecter : il est anormal que des consommateurs achètent des produits en confiance qui se révèlent défectueux ou issus de sites vitrines, souvent temporaires, sans mentions légales ou service consommateur ou encore qui n’arrivent jamais.
Le cadre légal mais surtout son application entourant le statut des influenceurs sont largement insuffisants malgré les sommes en jeu et l’intérêt public du sujet. S’ils disposent parfois de contrats de travail, la diversité des régimes applicables ne permet pas d’éviter les éventuels abus.
Cette proposition de loi apporte une première pierre à l’architecture juridique d’un phénomène qu’il est nécessaire de mieux encadrer, et de façon urgente.
Néanmoins, aucun texte ne pourra se substituer à l’insuffisance des moyens accordés par l’État aux services de répression des fraudes, des douanes, à la Justice et aux services de lutte contre la cybercriminalité et de police judiciaire pour éradiquer ce fléau. Cette proposition est également un appel solennel au Gouvernement à prendre la mesure de l’intérêt à agir pour l’État et d’y mettre les moyens adéquats. Si nous saluons la création du site signal.conso.gouv.fr il faut désormais aller plus loin.
Ainsi, l’article unique crée une nouvelle sous‑section au sein du code de la consommation. Celle‑ci propose un statut d’influenceur pour un cadre juridique de la vente issue de contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux. Elle encadre les ventes par promotion des influenceurs en interdisant certains placements de produits sur les réseaux sociaux, compte tenu des intérêts de santé et d’ordre publics et sanctionne la violation de ces interdictions des mêmes peines que celles applicables à l’escroquerie dans le code pénal.
Elle prévoit que chaque photo ou vidéo contenant un placement de produit doit en contenir la mention explicite pendant l’intégralité de la diffusion du post sur l’image – c’est à dire en incrustation – et contraint les influenceurs à indiquer sur leurs posts si les produits sont issus de dropshipping (livraison directe) pour mieux informer le consommateur. Enfin, un décret en Conseil d’État précisera les modalités d’application de ces dispositions.
proposition de loi
Article unique
La section 3 du chapitre II du titre II du livre Ier du code de la consommation est complétée par une sous‑section 9 ainsi rédigée :
« Sous‑section 9
« Promotion de produits, actes ou prestations réalisée par les influenceurs
« Art. L. 122‑26. – Toute personne physique ou morale qui fait la promotion directement ou indirectement de produits, actes ou prestations contre rémunération, y compris lorsque celle‑ci est constituée par des avantages en nature, de manière active sur les réseaux sociaux et qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique dispose d’une audience pouvant influencer la consommation du public exerce l’activité d’influenceur.
« Art. L. 122‑27. – I. – Sont interdits, pour les personnes mentionnées à l’article L. 122‑26, la promotion sur les réseaux sociaux des produits, prestations et actes suivants :
« 1° Les produits pharmaceutiques, dispositifs médicaux et actes de chirurgie, à l’exception du relai des campagnes de santé publique du Gouvernement ;
« 2° Les placements ou investissements financiers et actifs numériques entraînant des risques de perte pour le consommateur ;
« II. – Sont également interdits, sauf lorsque le public est explicitement informé par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion que ceux‑ci sont réservés aux personnes majeures, la promotion :
« 1° D’abonnements à des pronostics sportifs ;
« 2° D’inscriptions à des formations professionnelles ;
« 3° Des jeux d’argent et de hasard.
« III. – La violation des dispositions du présent article est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
« Art. L. 122‑28. – I. – La promotion de produits, actes ou prestations réalisée par les personnes mentionnées à l’article L. 122‑26 doit être indiquée par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion.
« II. – Lorsque la promotion porte sur la vente d’un produit ou d’un service dont l’influenceur n’est que l’intermédiaire du fournisseur effectif, celui‑ci informe l’acheteur potentiel de l’identité de ce dernier. Les personnes mentionnées à l’article L. 122‑26 doivent s’assurer de l’absence de fictivité du produit ainsi que du respect par le vendeur initial des conditions générales de vente.
« Art. L. 122‑29. – Les dispositions de la présente sous‑section sont précisées par décret en Conseil d’État. »
([1]) La téléréalité a 20 ans, évolution et influence, CSA, janvier 2021.
([2]) Ibid.
([3]) Loi du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires.