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N° 980

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans les territoires d’Outremer,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Emeline K/BIDI, Frédéric MAILLOT, Soumya BOUROUAHA, Moetai BROTHERSON, JeanVictor CASTOR, Steve CHAILLOUX, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Karine LEBON, JeanPaul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Yannick MONNET, Marcellin NADEAU, Stéphane PEU, Davy RIMANE, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, JeanMarc TELLIER, Jiovanny WILLIAM, Hubert WULFRANC,

député‑e‑s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La nécessité de cette proposition de loi émerge d’un constat alarmant. Dans nos territoires d’Outre‑mer, les ultramarins sont minoritaires à occuper des postes d’encadrement dans la fonction publique d’État.

En effet, les enquêtes Emploi réalisées par l’Insee sur des données recueillies de 2014 à 2019 estiment qu’il y a une surreprésentation des cadres « hexagonaux ». Ainsi, seuls 11 % de fonctionnaires sont réunionnais contre 45 % d’hexagonaux. La situation est similaire pour la Martinique (10 % contre 40 %), la Guadeloupe (10 % contre 34 %) et la Guyane (6 % contre 25 %).

De plus, comme l’avait mentionné le Sénat dans un rapport d’information datant de 2009, un paradoxe « domien » existe ; les jeunes diplômes locaux peinent à accéder aux emplois qualifiés offerts localement. La question de l’emploi en Outre‑mer perdure, ce qui rend nécessaire cette proposition de loi.

Le niveau d’études justifiant la présence des « hexagonaux » à des postes d’encadrement pourrait s’entendre. Il n’en reste pas moins qu’à diplôme équivalent, des discriminations persistent. Ainsi, toujours selon l’enquête emploi de l’INSEE, à La Réunion, 60 % des fonctionnaires issus de l’Hexagone qui ont un Bac+2 ou +3 occupent un poste d’encadrement, contre seulement 35 % des ultramarins.

Dans nos territoires ultramarins, la fonction publique est le secteur professionnel qui recrute par excellence. On ne compte ainsi pas moins de 71 000 travailleurs de la fonction publique à La Réunion, 37 000 en Guadeloupe et 38 000 en Martinique en 2018.

Sans même parler de préférence régionale, il est aujourd’hui urgent d’œuvrer pour, d’une part un rééquilibrage des affectations des fonctionnaires de catégorie A et B et d’autre part le retour de nos ultramarins diplômés. L’exil est trop souvent un choix contraint en raison d’un manque d’offres de formations mais aussi d’opportunités. L’histoire nous prouve également que les migrations de nos populations ultramarines ont été contraintes et soutenues par les pouvoirs publics. Qu’il s’agisse du BUMIDOM des années 1963 à 1981 ou du CNARM de 1965 à aujourd’hui, les politiques publiques sont surtout fléchées pour le départ, mais ne sont pas suffisamment pensées pour une intégration de notre population locale sur des postes à responsabilité.

Nous pouvons également rappeler concernant l’éloignement, que la Convention Européenne des Droits de l’Homme, garantit à l’article 8 le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. Les fonctionnaires ultramarins travaillant loin de leur territoire sont souvent contraints à vivre éloignés de leur famille, séparés de leurs enfants et conjoints, privés de leurs droits à une vie privée et familiale. Ces situations ont des conséquences sur l’état de santé des personnes et familles concernées, elles engendrent de la souffrance et parfois des drames humains.

Aujourd’hui, le dispositif mis en place permettant de pallier l’éloignement est la continuité territoriale. Dans un contexte inflationniste où le prix des billets d’avion ne fait qu’augmenter, rallier l’Hexagone et les Outre‑mer devient de plus en plus compliqué. La continuité territoriale n’est donc pas une réalité et une solution viable à cet enjeu que constitue le retour durable des fonctionnaires ultramarins sur leur territoire.

La lutte contre la « fuite des cerveaux » constitue un autre enjeu de cette proposition de loi. En effet, l’Hexagone attire plus de 42 % des jeunes diplômés des Outre‑mer ce qui contribue à accentuer la crise sociale dans ces territoires. Plus d’un quart des 18‑24 ans (soit 27 % environ) ont migré vers l’Hexagone pour leurs études ou pour y trouver un emploi, selon une enquête de l’INED sur les Départements et Régions d’Outre‑mer. Cette « fuite de cerveaux » se voient principalement parmi les plus diplômés. Ceux qui trouvent un emploi après leurs études sur le continent y restent, les autres rentrent, ce qui accentue la crise sociale de l’emploi dans les territoires ultramarins. Ces départs vers l’Hexagone viennent aussi des idées reçues selon lesquelles il y serait plus facile d’étudier ou de trouver un emploi. Ainsi la moitié des jeunes adultes ultramarins se disent prêts à quitter leur territoire sils trouvent un emploi ailleurs. Ils seraient ainsi 67 % à envisager de partir de Martinique, 58 % de Guadeloupe, 56 % de Guyane et 41 % de la Réunion.

Cette « fuite des cerveaux » et cette volonté de la jeunesse ultramarine à vouloir partir témoignent d’un manque d’attractivité des territoires Outre‑mer, qu’il semble urgent de solutionner, au risque de voir la démographie de ces territoires mise à mal comme c’est déjà le cas en Martinique.

La circulaire du 3 avril 2017 relative à la mise en œuvre de la politique d’égalité, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité dans la fonction publique ambitionne d’assurer une égalité effective entre les agents publics. Pourtant, la réalité des faits reste alarmante. Les cas de marginalisation et de discrimination de la population locale au profit de cadres hexagonaux restent monnaie courante et posent problème tant sur le plan social qu’économique.

Dans son rapport de septembre 2019 portant sur l’égalité devant les services publics et la non‑discrimination dans les Outre‑mer, le Défenseur des Droits souligne la discrimination envers les fonctionnaires dans le cadre de leurs carrières professionnelles au sein des services publics. Il alerte notamment sur le fait que : « Dans le cadre professionnel, les discriminations liées à l’origine sont rapportées principalement par les ultramarines et les ultramarins de naissance, et dans une moindre mesure par les métropolitaines et les métropolitains venus s’installer en outre‑mer. Comme l’illustrent les exemples du rapport, l’origine ethnique, indiquée par le faciès, le nom ou le lieu de résidence, ainsi que les préjugés qui lui sont associés, constituent des facteurs importants de discrimination lors d’une procédure d’embauche. »

Si la circulaire du 3 avril 2017 rappelle que : « la fonction publique se doit d’être exemplaire en matière d’égalité et d’être à l’image de la société », ce rapport nous rappelle combien l’objectif d’égalité reste encore à améliorer.

Alors que les centres des intérêts moraux et matériels (CIMM) doivent permettre aux fonctionnaires originaires des Outre‑mer de faciliter leur demande de mutation, l’application de leur prise en compte reste aléatoire et contestable, comme le prouvent encore les inégalités de traitement dans les demandes d’indemnités temporaires de retraite (ITR). Relevant d’une construction essentiellement jurisprudentielle dont les nouveaux critères, non exhaustifs et non cumulatifs, ont été rappelés par voie de circulaires administratives, il est aujopurd’hui essentiel de donner aux CIMM une assise légale et de les alléger de critères réversibles pouvant entraîner des erreurs d’appréciation de la part de l’administration. L’exemple du critère d’ouverture d’un compte bancaire dans le territoire visé est à ce titre très éloquent. 

La proposition de loi s’inspire du dispositif existant en Nouvelle‑Calédonie qui vise à promouvoir et à protéger l’emploi local adopté en 2010. Conscients du statut particulier de la Nouvelle‑Calédonie, il apparaît néanmoins que des leçons peuvent être tirées de son expérience et transposées de manière adaptée aux collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Cette proposition de loi est ainsi nécessaire afin de promouvoir et renforcer l’effectivité de l’emploi et les mutations des fonctionnaires issus des territoires ultramarins.

L’article liminaire a une visée politique. Elle s’érige en tant que loi expérimentale pour assurer l’effectivité de l’emploi et de la mutation des personnes d’origine ultramarine.

L’article 1er instaure un observatoire des emplois locaux en Outre‑mer qui définit son objet et ses obligations.

Les articles 2 et 3 visent à favoriser l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans leur territoire et donnent aux centres d’intérêts moraux et matériels une assise légale.

L’article 4 prévoit que pour les fonctionnaires d’État ultramarins, le stage peut être effectué dans leur territoire, comme c’était d’ailleurs le cas jusqu’en 2022.

 


proposition de loi

Article liminaire

La présente loi instaure, dans les conditions prévues à l’article 37‑1 de la Constitution du 4 octobre 1958, des dispositions expérimentales pour une durée maximum de quinze ans. L’objet de cette loi est de garantir la priorité de l’emploi des personnes justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins au sein de la fonction publique d’État dans les territoires dont ils sont issus.

Article 1er

Est créée une autorité administrative indépendante, appelée Observatoire des emplois locaux en Outre‑mer, qui veille au respect des dispositions concernant l’emploi des fonctionnaires d’État justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins.

L’Observatoire des emplois locaux en Outre‑mer dispose d’un pouvoir de sanction pécuniaire à l’encontre des administrations qui n’appliquent pas lesdites dispositions.

L’Observatoire des emplois locaux en Outre‑mer veille à ce que les informations concernant les emplois dans la fonction publique d’État dans les territoires d’Outre‑mer soient prioritairement diffusés aux agents justifiant des liens précités et ayant candidaté à un poste équivalent dans les cinq années précédant l’édition de l’offre d’emploi.

L’Observatoire des emplois locaux en Outre‑mer apprécie les situations notamment au regard des critères listés et qualifiés de déterminant pour les centres des intérêts moraux et matériels.

Les modalités de création, de composition et de fonctionnement de l’Observatoire des emplois locaux en Outre‑mer sont déterminées par décret.

Un rapport d’activité est remis au Parlement chaque année après la ratification de cette loi, évaluant l’efficience du dispositif mis en place afin d’apprécier en opportunité le maintien de celui‑ci.

Article 2

L’article L. 512‑18 du code général de la fonction publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, l’emploi et le retour des fonctionnaires justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins sont garantis. »

Article 3

I. – Le code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° Au 4° de l’article L. 512‑19, les mots : « matériels et moraux » sont remplacés par les mots : « moraux et matériels tels que précisés à l’article L. 512‑19‑1 » ;

2° Après le même article, il est inséré un article L. 512‑19‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 512191.  I. – Les critères déterminant le centre des intérêts moraux et matériels sont :

« 1° le lieu de résidence des père et mère, des enfants, du conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou à défaut des parents les plus proches de l’agent ;

« 2° le lieu et la durée de résidence de l’agent avant l’entrée dans l’administration ;

« 3° le lieu de naissance de l’agent ;

« 4° le lieu de naissance des enfants de l’agent ;

« 5° l’état de santé et l’âge des ascendants et descendants directs de l’agent et de son conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;

« 6° les études effectuées sur le territoire considéré par l’agent ou ses enfants ;

« 7° la maîtrise ou la compréhension suffisante de la langue régionale nécessaire à l’interaction avec les administrés locaux ;

« 8° la connaissance historique, économique et sociologique du territoire ;

« 9° le bénéfice antérieur d’un congé bonifié ;

« 10° la fréquence des demandes de mutation vers le territoire considéré ;

« 11° la fréquence des voyages que l’agent a pu effectuer vers le territoire considéré ;

« 12° la durée des séjours dans le territoire considéré ;

« 13° les affectations professionnelles ou administratives qui ont précédé son affectation actuelle ;

« 14° les biens fonciers situés dans le territoire où l’agent justifie des liens suffisants et dont il était propriétaire avant son départ du territoire ou bien dont il est devenu propriétaire par donation ou succession ;

« 15° le lieu d’inscription de l’agent sur les listes électorales ;

« 16° tous autres éléments d’appréciation pouvant en tout état de cause être utiles aux gestionnaires.

« II. – L’ordre des critères énoncés au I prend en compte leur importance et leur priorité. Ces critères donnent lieu à une bonification sous forme de points, leur pondération est précisée par décret. »

Article 4

L’article L. 327‑1 du code général de la fonction publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes recrutées au sein de la fonction publique d’État dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution bénéficient d’un droit garanti à effectuer leur stage dans le territoire où elles ont été reçues au concours. »

Article 5

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.