Description : LOGO

N° 1159

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer le principe de la continuité territoriale en OutreMer,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Olivier SERVA, Max MATHIASIN, Estelle YOUSSOUFFA, Stéphane LENORMAND, JeanLouis BRICOUT, Paul-André COLOMBANI, Jean-Félix ACQUAVIVA, Laurent PANIFOUS, Michel CASTELLANI, Béatrice DESCAMPS,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le principe de la continuité territoriale est un « serpent de mer » du paysage institutionnel ultramarin. Si chaque français d’Outre‑Mer devrait pouvoir bénéficier de tarifs raisonnables dans sa mobilité entre l’Hexagone et son territoire d’origine afin d’étudier, se former, se soigner, se rapprocher de ses proches, accompagner un défunt, cela est loin d’être le cas.

Fiction juridique créée pour les liaisons maritimes entre la Corse et l’Hexagone le 1er janvier 1976, elle a été étendue trois ans plus tard aux liaisons aériennes et déclinée, malheureusement dans une moindre mesure, pour les territoires d’Outre‑Mer en 2003([1]).

Le dispositif Corse, anciennement géré par l’État à travers l’OTRC (Office des transports de la Région de Corse), l’est aujourd’hui par un établissement public à caractère industriel et commercial, à savoir l’OTC (Office de Transports de la Corse), rattaché à la Collectivité territoriale de Corse. Cet établissement, par une délégation de service public, demande à des compagnies aériennes d’aligner des tarifs préférentiels pour les résidents corses. En échange, ces compagnies reçoivent une compensation financière à travers la dotation de continuité territoriale.

S’agissant des trajets Outre‑Mer - Hexagone, les tarifs des billets sont historiquement élevés et les prix atteignent des niveaux inégalés auparavant. Entre février 2022 et février 2023, les prix des billets d’avion, toutes destinations confondues, au départ de la Guadeloupe ont augmenté de 47,9 %, de 45,2 % au départ de la Martinique, de 28,9 % au départ de la Guyane, de 24,4 % au départ de Mayotte et de 24,9 % au départ de La Réunion ([2]). De Paris vers les Antilles, le prix du billet d’avion en classe économique est bien supérieur à 1 000 euros pour l’été 2023.

Si cette augmentation est marquée par un phénomène mondial d’hyperinflation qui influe sur les tarifs de l’ensemble des lignes aériennes mondiales, il n’en demeure pas moins que la cherté des tarifs aériens en Outre‑Mer est, depuis toujours, peu soutenable pour les ménages concernés. Cette situation contraint les ultramarins à adopter des stratégies d’évitement. Dans un rapport fait au nom de la Délégation Sénatoriale aux Outre‑Mer par les sénateurs Catherine CONCONNE et Guillaume CHEVROLLIER ([3]), le recteur de Guyane, Philippe DULBECCO, faisait la déclaration suivante : « De nombreux personnels obtiennent des arrêts maladie de complaisance juste avant ou juste après des vacances scolaires, afin d’échapper aux tarifs prohibitifs de la haute saison. On ne peut que regretter de telles pratiques, mais elles sont compréhensibles pour des personnels souvent loin de leurs familles et qui n’ont d’autres choix que l’avion pour se déplacer. »

Plusieurs facteurs expliquent ces tarifs élevés :

– La présence de monopoles ou quasi‑monopoles sur certaines lignes. Ex : Cayenne/Pointe‑à‑Pitre ou Cayenne/Fort‑de‑France où la seule compagnie en présence est Air France ;

– Le poids de la saisonnalité avec une augmentation des tarifs de 25 % en Juillet/Août pour les liaisons long‑courrier Paris/Outre‑Mer contre 14 % pour les long‑courriers internationaux au départ de Paris sur cette même période([4]) ;

– Des années de politiques publiques peu ambitieuses et sous‑dotées en matière de continuité territoriale entre les Outre‑Mer et l’Hexagone. Alors que les Corses bénéficient d’un accompagnement budgétaire à la continuité territoriale de 257 €/habitant, les îles Baléares, les Canaries et Ceuta de 223 €/habitant, Madère et les Açores de 34 €/habitant, les Outre‑Mer bénéficient de 16 €/habitant ([5]).

Dans un contexte hyper inflationniste, l’insuffisance des moyens déployés au respect de ce principe se ressent d’autant plus pour les Français d’Outre‑Mer.

Ce dernier constat commande une refonte des dispositifs d’aide à la continuité territoriale, notamment LADOM (L’Agence de l’Outre‑Mer pour la Mobilité) qui a d’ailleurs fusionné cette année avec la DIEFCOMVI (Délégation Interministérielle pour l’Egalité des chances des Français d’Outre‑Mer et la Visibilité des Outre‑Mer). Aujourd’hui, les missions de LADOM sont cantonnées, à travers le passeport mobilité, à l’accompagnement à la mobilité des demandeurs d’emploi et des étudiants dans le cadre de leur formation initiale ou professionnelle ou encore, à travers l’ACT (Aide à la Continuité Territoriale), au financement du billet d’avion des personnes les plus défavorisées résidant en Outre‑Mer (quotient familial du foyer de rattachement inférieur ou égal à 11 991 euros). Il serait opportun de se saisir de la mise en place de LADOM 2024 afin d’étendre le public éligible aux actifs souhaitant se former et aux candidats au retour au pays.

Outre ces freins à la mobilité, certaines familles confrontées à la maladie, font face à des difficultés financières lorsqu’elles doivent se rendre dans l’Hexagone pour y faire soigner leur enfant.

En effet, lorsqu’un parent résidant dans un territoire d’Outre‑mer ou en Corse reçoit le diagnostic d’une maladie, parfois mortelle pour son enfant, tels que certains cancers pédiatriques, et que cette maladie est impossible à traiter sur son territoire faute de structure ou de spécialiste, il doit, dans les 24 heures, faire ses bagages et partir en France Hexagonale avec son enfant.

Qu’il soit salarié ou indépendant, le parent doit cesser immédiatement son activité. S’il est salarié, il peut conserver son salaire quelques jours ou quelques semaines le temps de faire valoir ses congés payés s’il en a. S’il se fait prescrire un arrêt de travail (95 % des actifs sont arrêtés pour « syndrome dépressif lié à la pathologie d’un enfant »), il peut percevoir des indemnités journalières (IJ) de la sécurité sociale durant environ deux mois, délai généralement constaté avant qu’un contrôle de la sécurité sociale mette fin à son arrêt de travail au motif : « C’est votre enfant qui est malade, pas vous ».

Qu’il soit indépendant ou salarié, le parent se retrouve donc sans revenu de son activité, soit dès l’annonce du diagnostic, soit dans un délai d’environ deux mois.

Après six à huit mois de traitement de son dossier, il peut bénéficier :

– Soit de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ;

– Soit de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP).

L’AJPP ne peut être versée qu’au parent qui avait une activité professionnelle ou était indemnisé par Pôle emploi puisqu’elle compense l’obligation de cesser ponctuellement son activité professionnelle.

L’AJPP est cumulable avec l’AEEH de base dont le montant est de 142,70 euros / mois. Le total de l’AJPP se situe au maximum entre 1 516,38 euros et 1 635,20 euros.

Quant à l’AEEH, elle peut atteindre un total compris entre 955,23 euros et 1 280,76 euros pour la cinquième catégorie de complément (pour un enfant atteint d’une leucémie par exemple) et entre 1 353,60 euros et 1 830,75 euros pour la sixième catégorie de complément (cas les plus graves nécessitant la présence d’une tierce personne à temps plein).

Les deux allocations ne se cumulent pas (sauf pour l’AEEH de base qui peut s’ajouter à l’AJPP). La CAF choisit donc l’allocation la plus avantageuse pour le parent en fonction de sa situation et de la situation de l’enfant malade.

Avec son allocation, l’AEEH ou l’AJPP, le parent accompagnant doit faire face à des frais multipliés par deux puisqu’il doit se loger à Paris ou proche banlieue (les rares structures de logement d’accueil sont saturées et d’une durée très limitée), payer l’emprunt ou le loyer du logement sur son territoire et les charges qui y sont associées (eau, électricité, chauffage, impôts), payer les assurances des deux biens, un forfait téléphonique pour appeler sa famille restée Outre‑mer, se nourrir, se déplacer, se vêtir, prévoir des petits extras pour l’enfant malade, soit un minimum de 2 700 euros de charges de base incompressibles. Il a donc un reste à charge non financé d’au moins 1 000 euros par mois.

Dans ces circonstances, seul le cumul de l’allocation journalière de présence parentale et de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé de base et son complément peut permettre au parent accompagnant d’assumer ses frais fixes élémentaires et d’alléger la charge mentale qui pèse sur lui à l’heure où son enfant a besoin qu’il lui soit entièrement dévoué.

Un autre sujet sur lequel le principe de continuité territoriale peine à s’appliquer : celui de l’accès à l’achat de produits en ligne à des prix abordables.

L’inflation rend particulièrement exorbitants les achats en ligne en Outre‑mer puisqu’aux prix des produits et frais de port s’ajoutent, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les droits de douane, les frais de douane et l’octroi de mer. En effet, sur le plan fiscal, les territoires ultramarins sont considérés comme des territoires tiers même dans leurs relations avec l’Hexagone. C’est la raison pour laquelle les échanges sont considérés comme des importations ou des exportations.

Ce régime fiscal créée une inégalité territoriale que ne corrige actuellement qu’à la marge l’exonération de la TVA prévue en application de la Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la Directive 2006/112/CE et la Directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens. Cette exonération ne concerne en effet que les biens d’une valeur intrinsèque qui n’excède pas 22 euros et uniquement lorsque l’importation est réalisée en Guadeloupe, à La Réunion ou en Martinique.

Certes, une franchise de taxe existe pour les colis d’une valeur inférieure à 400 euros dans les départements et régions d’Outre‑mer (DROM) mais elle ne concerne que l’envoi, depuis l’Hexagone, de colis non commerciaux entre particuliers tel qu’un cadeau par exemple. Cela ne concerne pas les achats en ligne sur un site commercial.

Augmenter l’exonération de TVA pour l’achat de produits en ligne d’une valeur inférieure à 150 euros serait une mesure forte pour l’égalité territoriale et pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens ultramarins dont le taux de pauvreté est 2,4 à 5,5 fois supérieur, selon les territoires, au taux observé en France hexagonale.

Aussi, cette proposition de loi tend à jouer sur plusieurs leviers : renforcer l’accompagnement des ultra‑marins – actifs, candidats au retour au pays, bénéficiaires du dispositif d’ACT (Aide à la continuité territoriale) – dans leur mobilité, faciliter l’accès à la vente en ligne dans les Outre‑Mer et accompagner la mobilité des familles faisant face à la maladie d’un enfant. L’ensemble de ces mesures vise à garantir la continuité territoriale entre l’Hexagone et les Outre‑Mer.

Le titre IER vise à renforcer l’accompagnement des actifs dans leur mobilité.

L’article 1er vise à intégrer dans les missions de LADOM, l’accompagnement des candidats au retour au pays dans leur mobilité. Il crée, en outre, un « passeport mobilité retour au pays » pour les ultramarins résidents dans l’Hexagone et dont les centres d’intérêts moraux et matériels sont dans leur territoire d’origine. Il crée un « passeport mobilité actif » destiné à accompagner dans la mobilité à la formation continue.

Le titre II a pour objectif d’étendre le dispositif d’aide à la continuité territoriale.

L’article 2 propose une refonte des montants de l’aide à la continuité territoriale par territoire.

Le titre III vise à faciliter l’accès à la vente à distance.

L’article 3 exonère de TVA l’achat de produits en ligne d’une valeur inférieure à 150 €.

Le titre IV vise à accompagner la mobilité des familles faisant face à la maladie d’un enfant.

A cette fin, l’article 4 prévoit le cumul entre l’allocation journalière de présence parentale avec le complément et la majoration de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé pour les parents résidant dans un territoire d’Outre‑mer ou en Corse.

L’article 5 prévoit les dispositions relatives à la compensation de la charge pour l’État et la sécurité sociale.

 

 

 

 

 


proposition de loi

TITRE IER

Accompagner les ACTIFS dans leur mobilitÉ

Article 1er

Le chapitre III du titre préliminaire du livre VIII de la première partie du code des transports est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 1803‑6, sont insérés des articles L. 1803‑6‑1 et L. 1803‑6‑2 ainsi rédigés : 

« Art. L. 1803‑6‑1. – L’aide destinée aux personnes actives vivant sur le territoire hexagonal et dont les centres d’intérêts moraux et matériels sont en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion, La Polynésie Française, Saint‑Barthélemy, Saint‑Barthélemy, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, Wallis‑et‑Futuna, est appelée « passeport pour le retour au pays » et a pour objet le financement d’une partie des titres de transport.

Cette aide est attribuée aux personnes actives vivant sur le territoire de France hexagonale et pouvant justifier d’une promesse d’embauche ou d’une création d’activité dans les territoires susvisés. »

« Art. L. 1803‑6‑2. L’aide destinée aux personnes actives est appelée « passeport pour la mobilité des actifs » et a pour objet le financement d’une partie des titres de transport.

Cette aide est attribuée aux personnes actives inscrites dans un programme de formation en continue lorsque l’inscription à ce programme est justifiée par l’impossibilité de suivre un cursus de formation en continue, pour la filière d’étude choisie, dans la collectivité de résidence mentionnée à l’article L. 18032.

Cette situation est certifiée dans des conditions fixées par voie réglementaire. »

2° Après le 1° de l’article L. 1803‑10 il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Contribuer au retour des résidents ultramarins dans leur collectivité d’origine ; »

TITRE II

ÉTENDRE LE DISPOSITIF d’AIDE A LA CONTINUITE TERRITORIALE

Article 2

Après l’article L. 1803‑4 du code des transports, insérer un article L. 1803‑4‑1‑1 ainsi rédigé : 

« Art. L. 1803411. – Le montant de l’aide à la continuité territoriale de l’outre‑mer vers la métropole ou de la métropole vers l’outre‑mer, prévue à l’article L. 1803‑4 du code des transports, est fixé comme indiqué au tableau ci‑dessous :

 

« 

Collectivité de départ ou de destination

Montant d’aide dans la limite des frais exposés

 

 

Guadeloupe

950 €

 

 

Martinique

950 €

 

 

Guyane

975 €

 

 

La Réunion

950 €

 

 

Mayotte

1070 €

 

 

Saint‑Barthélémy

990 €

 

 

Saint‑Martin

990 €

 

 

Saint‑Pierre‑et‑Miquelon

1060 €

 

 

Iles de Wallis‑et‑Futuna

1235 €

 » 

 

Polynésie Française

935 €

 

 

Nouvelle‑Calédonie

980 €

 

TITRE III

FACILITER L’ACCÈS A LA VENTE A DISTANCE

Article 3

Après le premier alinéa du 2° du II de l’article 291 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Cet arrêté vise les biens compris dans un envoi dont la valeur intrinsèque n’excède pas 150 €, lorsque l’importation est réalisée dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. »

TITRE IV

ACCOMPAGNER LA MOBILITÉ DES FAMILLES FAISANT FACE À LA MALADIE D’UN ENFANT

Article 4

Le 7° de l’article L. 544‑9 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Cette disposition n’est pas applicable au bénéficiaire de l’allocation journalière de présence parentale résidant dans une collectivité régie par l’article 73 de la Constitution, ou dans la collectivité de Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ou de Corse ; »

Article 5

I. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1]) Loi programme pour l'Outre-mer no 2003-660, 21 juillet 2003

([2]) CONCONNE Catherine, CHEVROLLIER Guillaume, Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux Outre-Mer, 30 Mars 2023, p.7

([3]) CONCONNE Catherine, CHEVROLLIER Guillaume, Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux Outre-Mer, 30 Mars 2023, p.29

([4]) CONCONNE Catherine, CHEVROLLIER Guillaume, Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux Outre-Mer, 30 Mars 2023, p.28

([5]) CONCONNE Catherine, CHEVROLLIER Guillaume, Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux Outre-Mer, 30 Mars 2023