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N° 1213

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à limiter l’activité de microentrepreneur
exercée à titre principal,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marine HAMELET, Franck ALLISIO, Philippe BALLARD, Pierrick BERTELOOT, Frédéric BOCCALETTI, José BEAURAIN, Jorys BOVET, Pascale BORDES, Bruno BILDE, Emmanuel BLAIRY, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Roger CHUDEAU, Annick COUSIN, Caroline COLOMBIER, Nathalie Da CONCEICAO CARVALHO, Jocelyn DESSIGNY, Edwige DIAZ, Frédéric FALCON, Grégoire de FOURNAS, Jordan GUITTON, José GONZALEZ, Géraldine GRANGIER, Christian GIRARD, Daniel GRENON, Alexis JOLLY, Hélène LAPORTE, Hervé de LÉPINAU, Katiana LEVAVASSEUR, Christine LOIR, Nicolas MEIZONNET, Michèle MARTINEZ, Matthieu MARCHIO, Pierre MEURIN, Serge MULLER, Lisette POLLET, Laurence ROBERT‑DEHAULT, Philippe LOTTIAUX, Angélique RANC, Michaël TAVERNE, Stéphane RAMBAUD, Jean-Philippe TANGUY, 

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le régime d’auto‑entrepreneur, créé en 2008, renommé « micro‑entrepreneur » en 2016, permet de créer une activité au régime fiscal avantageux, à l’issue de démarches administratives simplifiées. Pensé à l’origine à partir d’un idéal‑type, véritable portrait‑robot de l’entrepreneur individuel débutant, il faut reconnaître qu’il s’agit toujours de ce point de vue d’un véritable « pied à l’étrier », puisqu’il permet encore aujourd’hui à ceux qui le veulent de se lancer dans l’entreprenariat, sans être soumis aux contraintes qui pèsent sur d’autres entreprises de plus grande taille, déjà bien installées sur leurs marchés, et réalisant un chiffre d’affaires plus important.

Toutefois, de la même manière que ce régime possède des atouts pour dynamiser notre économie, il est légitime d’en critiquer les dérives. On peut en citer trois : l’effet de seuil, la distorsion de concurrence et l’épineuse question du salariat déguisé.

Premièrement, l’effet de seuil : Pour continuer à profiter du régime de la micro‑entreprise, un auto‑entrepreneur doit respecter des plafonds annuels de chiffre d’affaires. Ces plafonds, de l’ordre de soixante‑dix à cent‑soixante‑dix milliers d’euros selon la catégorie de l’activité exercée, peuvent dissuader l’auto‑entrepreneur de dépasser le seuil fixé, afin de pouvoir continuer à bénéficier du statut, alors même que son entreprise pourrait continuer à se développer si elle changeait de régime fiscal.

Deuxièmement, la distorsion de concurrence : l’allègement des charges sociales et fiscales, l’exonération puis la franchise de TVA, l’absence d’obligation de souscrire une assurance décennale… ces avantages du statut de l’auto‑entrepreneur permettent à ceux qui le possèdent d’abaisser considérablement leurs prix, tout en conservant leurs marges. Dans certains secteurs comme le bâtiment, cela conduit à une concurrence déloyale au détriment des artisans traditionnels. La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) alerte depuis 2008 sur ces inégalités, qui ont eu par le passé des conséquences aussi sur la sécurité des consommateurs, car l’auto‑entrepreneur, entre 2008 et 2014, n’était pas obligé de s’inscrire au registre national des métiers (RM) ou au registre du commerce et des sociétés (RCS). Leurs clients n’avaient donc aucun contrôle sur les qualifications requises et se retrouvaient démunis face à l’absence d’obligation de garanties.

Troisièmement, le salariat déguisé : une situation au sein de laquelle un indépendant travaille pour une entreprise dans des conditions semblables à celles d’un salarié. Or, par définition jurisprudentielle, le statut de l’indépendant ne serait se confondre avec celui du salarié. Dans un arrêt du 4 mars 2020, la Cour de Cassation a en effet estimé que les critères du travail indépendant tiennent notamment à la possibilité de se constituer sa propre clientèle, à la liberté de fixer ses tarifs et à celle de définir les conditions d’exécution de sa prestation de service. A l’inverse, dans le cadre d’un contrat de travail, le lien de subordination repose sur le pouvoir de l’employeur de donner des instructions, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner le non‑respect des instructions données. Dans le cas jugé, la Cour de cassation, qui a depuis eu l’occasion de réaffirmer sa jurisprudence dans une décision du 25 janvier 2023, a décidé de requalifier en contrat de travail la relation contractuelle entre la société Uber et un chauffeur. Il est urgent que le Gouvernement reconnaisse le salariat des chauffeurs Uber, dont les activités d’affaires publiques et d’influence font par ailleurs l’objet d’une commission d’enquête à l’Assemblée Nationale.

Cette utilisation détournée du régime de l’auto‑entrepreneur appelle une solution radicale que nos concitoyens attendent depuis trop longtemps déjà. Elle appelle également à un changement de paradigme, refondé sur l’âge de nos concitoyens et leur nationalité française, dans l’objectif d’encourager l’entreprenariat des jeunes et leur entrée dans la vie active. La puissance publique doit en effet mieux aider les jeunes actifs français à entreprendre en France, pour les dissuader d’aller le faire à l’étranger.

Afin d’y parvenir, il existe d’autres moyens que le régime de l’auto‑entrepreneur, dont il est urgent de limiter les effets pervers. Jusqu’à l’âge de trente ans, la solidarité intergénérationnelle justifierait l’exonération d’impôt sur le revenu, pour inciter tous les jeunes actifs à fonder leur famille en France, et pour ceux qui souhaitent entreprendre, la suppression de l’impôt sur les sociétés pendant les 5 premières années les encouragerait à rester en France pour monter leur entreprise.

Dans un premier temps, la présente proposition de loi vise à limiter l’activité de micro‑entrepreneur exercée à titre principal en s’inscrivant dans les réflexions portées par différentes sensibilités politiques depuis la création du régime en 2009. Cette proposition transpartisane entend ainsi limiter dans le temps l’utilisation du statut d’auto‑entrepreneur.

Dès 2010, c’est d’abord Jean Arthuis, le président de la commission des finances du Sénat, qui avait présenté un amendement en ce sens, dans le cadre de l’examen de la loi du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. En 2013, la ministre de l’Artisanat Sylvia Pinel avait à son tour porté cette initiative, en y ajoutant un seuil, fixé à 19 000 euros de chiffre d’affaires deux années consécutives, à l’issue desquelles ces auto‑entrepreneurs basculeraient dans le régime classique de création d’entreprise. Le Gouvernement avait alors fait marche arrière et enterrer cette mesure, mort‑née.

Force est de constater à ce titre le changement de politique survenu en 2014 avec la nomination comme ministre de l’Economie puis l’élection à la Présidence de la République en 2017 d’Emmanuel Macron. Le statut de l’auto‑entrepreneur est renforcé une première fois avec l’instauration du régime unique de la micro‑entreprise, par la loi n° 2014‑626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel » (qui supprime cependant la dispense d’immatriculation de l’auto‑entrepreneur au RCS ou au RM). Le statut de micro‑entrepreneur devient ensuite l’une des pierres angulaires du projet de « startup nation » porté par le Président de la République, au moment où le terme "ubérisation" fait son apparition dans le dictionnaire « Le Petit Larousse 2017 », qui le définit comme : la « remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des platesformes de réservation sur Internet ». Il est intéressant de constater que cette ancienne définition est aujourd’hui juridiquement fausse au titre de la décision n° 374 du 4 mars 2020, dit « arrêt Uber », rendue par la Cour de Cassation. Enfin, il convient de noter que la loi n° 2022‑172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante entrée en vigueur le 15 mai 2022, en créant un statut unique pour l’entrepreneur individuel, n’a apporté à ce sujet aucune réponse.

Constatant ainsi que « l’uberisation » a conduit au dévoiement indéniable et croissant du régime de micro‑entrepreneur, et en s’appuyant sur les dernières avancées jurisprudentielles en matière de salariat déguisé, l’article unique limite à trois ans le bénéfice de ce régime micro‑social spécifique, pour les micro‑entrepreneurs qui exercent leur activité à titre principal. Les salariés, retraités et étudiants qui s’inscriraient en tant que micro‑entrepreneur à titre complémentaire, pour accroitre leur pouvoir d’achat, conserveraient ce statut sans limitation de durée.


proposition de loi

Article unique

I. – L’article L. 613‑8 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À l’exception des bénéficiaires recourant au régime prévu par la présente section dans le cadre d’une activité accessoire, le bénéfice du régime est accordé pour une durée de trois ans. »

II. – Le I est applicable à compter du 1er janvier 2025.