N° 1259
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 mai 2023.
PROPOSITION DE LOI
visant à faciliter et revaloriser l’insertion par le travail indépendant,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Hubert JULIEN‑LAFERRIÈRE,
député.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Il y a plus de quatre ans, l’article 83 de la loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a introduit, à titre expérimental, une 5e catégorie de structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) : les entreprises d’insertion par le travail indépendant, ou EITI.
L’objectif initial de ce dispositif qui s’inscrit pleinement dans l’économie sociale et solidaire (ESS), précisé par le décret n° 2018‑1198 du 20 décembre 2018 relatif à l’expérimentation de l’élargissement des formes d’insertion par l’activité économique au travail indépendant, était de promouvoir le travail indépendant comme vecteur d’emploi et d’inclusion auprès d’un public dit fragile en l’ouvrant à l’insertion par l’activité économique (IAE). Jeunes peu ou pas diplômés et très peu qualifiés, personnes ayant des difficultés à s’adapter aux codes de l’entreprise ou à une relation de subordination, familles monoparentales devant combiner organisation du temps de travail et contraintes liées à la garde des enfants, personnes ayant connu une rupture de parcours (décrochage, handicap, accident du travail, éloignement durable du monde de l’entreprise…) et ayant besoin de reprendre progressivement une activité, personnes aux situations personnelles complexes (problèmes de logement, santé, mobilité…), personnes au chômage de courte et longue durée et/ou bénéficiaires du RSA : de nombreuses personnes éloignées de l’emploi, qui ne trouvent pas leur place dans le salariat, aspirent au travail indépendant.
Début 2023, la France compte près de 2,2 millions d’auto‑entrepreneurs et les travailleurs indépendants représentent plus de 10 % de la population active. Pourtant, en l’absence d’un cadre sécurisé et d’un accompagnement socio‑professionnel des travailleurs indépendants les plus éloignés de l’emploi, ce statut peut mettre en difficulté les personnes qui s’en emparent. C’est ce que l’on constate avec plusieurs grandes plateformes de mise en relation (Uber, Deliveroo…) qui ne mettent pas en place de garde‑fous pour que les travailleurs indépendants puissent sécuriser leur activité.
Pour autant, nul ne peut contester le fait que ce nouveau modèle économique a, en l’espace d’une décennie, bouleversé le monde du travail et la vision qu’une partie des catégories les plus fragiles de la population s’en faisait. Le travail indépendant peut être une opportunité pour celles et ceux qui, du fait de leurs profils et de leurs contraintes personnelles et professionnelles spécifiques, ne peuvent ou ne veulent plus retourner dans le modèle salarial classique, notamment les plus fragiles. L’insertion par le travail indépendant répond également aux aspirations d’un nombre croissant de personnes éloignées de l’emploi qui ne se projettent pas dans une activité salariée (aspiration à plus de liberté, fierté d’être entrepreneur, revalorisation de soi grâce au statut d’indépendant, cumul d’expériences variées…). Or, l’outil du travail indépendant, combiné à un accompagnement socio‑professionnel global personnalisé et une aide à la gestion de son activité, est un support robuste à la professionnalisation et à la sécurisation des parcours.
Lancées de manière effective en 2019, les EITI avaient alors pour but de répondre à un besoin non couvert par les autres structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). Quatre ans après, il est donc possible d’en dresser le bilan. Expérimentées pour trois ans puis reconduites pour deux ans fin 2021 à la faveur de la crise sanitaire, elles ont été un véritable succès dans l’insertion des publics fragiles. Venant compléter l’arsenal existant des SIAE, elles ont permis à plus de 4 000 personnes rencontrant des difficultés sociales et/ou professionnelles, de pouvoir exercer une activité professionnelle en bénéficiant d’un accompagnement socio‑professionnel personnalisé et d’un service de mise en relation avec les clients.
Précisément, les travailleurs indépendants en insertion accèdent à un accompagnement global qui repose sur 4 piliers :
– Accompagnement social pour lever les freins à l’emploi (difficulté d’accès au logement, santé, mobilité…) ;
– Accompagnement à la gestion de la micro‑entreprise pour gérer en totale autonomie l’activité d’indépendant (déclaration des cotisations sociales, gestion du budget, gestion du planning, développement du portefeuille clients…) ;
– Mise en activité : mise en relation avec des clients pour réaliser des prestations ponctuelles ;
– Accès à des formations intégralement prises en charge pour développer son employabilité et définir son projet professionnel.
La réalisation de prestations ponctuelles, combinée à un accompagnement socio‑professionnel global, permet à ces indépendants de développer leurs compétences, leur estime de soi et de créer du lien social.
Près d’une quarantaine d’EITI opérant dans divers secteurs d’activité ont ainsi été créées entre 2018 et 2023. Lulu dans ma rue, première EITI conventionnée en 2019, accompagne plus de 300 personnes éloignées de l’emploi à réaliser des services de proximité chez des particuliers. L’Accélérateur accompagne quant à elle une centaine de jeunes éloignés de l’emploi, via la mise en relation avec des entreprises pour la réalisation de prestations ponctuelles, notamment sur des secteurs en tension. De nombreuses structures, opérant déjà dans l’insertion par l’activité économique, se sont emparées de l’EITI pour compléter leur offre d’insertion (All Inclusive, Germinal…). Ces structures permettent à la fois d’adresser les besoins de publics éloignés de l’emploi pour lesquels l’insertion par le salariat n’est pas adaptée, et de faire entrer dans une dynamique d’insertion des personnes non connues des services de l’emploi et de l’insertion.
À l’issue du parcours d’insertion, d’une durée moyenne de 18 mois, les travailleurs indépendants en insertion accèdent à des sorties dynamiques : emploi durable, emploi de transition, sortie positive.
Les EITI, qui bénéficient par cet agrément d’aides financières versées par travailleur indépendant durant deux années au maximum et au montant fixé par une convention avec les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), constituent autant d’outils d’inclusion pertinents et de leviers pour l’insertion.
Depuis le lancement de l’expérimentation en 2019, les EITI enregistrent un taux de sortie dynamique élevé et permettent d’accompagner des publics peu ciblés par les autres SIAE.
L’expérimentation prévue par la loi n° 2018‑771 et prolongée par la loi n° 2021‑1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 prend cependant fin au 31 décembre 2023. La présente proposition de loi vise ainsi à pérenniser le dispositif.
En outre, il apparaît clairement que la protection sociale des travailleurs indépendants, incluant ceux contractant avec les EITI, est extrêmement lacunaire. Ainsi que le souligne le rapport du Haut Conseil au Financement de la Protection Sociale (HCFiPS) du 24 septembre 2020, un nombre important d’entre eux bénéficie d’une couverture sociale bien trop faible : absence d’indemnités maladie, pensions de retraite plus faibles que pour les salariés, pas ou peu de couverture au titre des accidents du travail.
Près de 40 % des microentrepreneurs ne valident aucun droit à la retraite. Par ailleurs, le système de prélèvement social dont ils relèvent est bien trop complexe et peu adapté à ce public souvent précaire et peu informé sur ses droits sociaux. En sus de sa complexité, ce système propre aux indépendants se caractérise par des prélèvements supérieurs à ceux des salariés pour une protection moindre.
Malgré la suppression du Régime social des indépendants (RSI) depuis le 1er janvier 2020 et l’intégration de la Sécurité sociale des indépendants (SSI) au sein du régime général, les règles de cotisation sociales sont restées inchangées pour les indépendants et ne sont donc pas alignées sur celles des salariés.
Cette inégalité de protection sociale entre salariés et indépendants pourrait être corrigée en rattachant ces derniers au régime général, ainsi que le propose le Haut Conseil dans son rapport. Dans un premier temps, comme le suggère le HCFiPS, ce rattachement pourrait concerner les travailleurs indépendants des plateformes. Le droit de la sécurité sociale permet, en effet, de rattacher au régime général des salariés des catégories de travailleurs qui ne sont pas salariées, via l’article L. 311‑3 du code de la sécurité sociale. Après bilan, ce rattachement pourrait être étendu à d’autres catégories de travailleurs indépendants.
Il paraît ainsi aussi juste que nécessaire de renforcer autant que possible l’équité entre salariés et indépendants en matière de protection sociale. Alors que la frontière entre travail salarié et travail indépendant tend à se brouiller de plus en plus, les non‑salariés, de plus en plus nombreux, devraient bénéficier des systèmes de gestion performants du régime général et de la même protection sociale que les salariés. La présente proposition de loi propose ainsi de rattacher au régime général les personnes contractant avec les EITI via les dispositions de l’article L. 311‑3 du code de la sécurité sociale.
L’article 1er complète le code du travail afin d’introduire les entreprises d’insertion par le travail indépendant (EITI) parmi les structures d’insertion par l’activité économique pouvant conclure des conventions avec l’État.
L’article 2 abroge l’article 83 de la loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui en instaurait l’expérimentation.
L’article 3 modifie le code de la sécurité sociale pour rattacher les travailleurs indépendants contractant avec les entreprises d’insertion par le travail indépendant (EITI) au régime général de la Sécurité sociale.
L’article 4 gage la présente proposition de loi.
proposition de loi
Article 1er
Le titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 5132‑4 est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° Les entreprises d’insertion par le travail indépendant. »
2° La section 3 du chapitre II est complétée par une sous‑section 7 ainsi rédigée :
« Sous‑section 7
« Entreprises d’insertion par le travail indépendant
« Art. L. 5132‑15‑3. – Les entreprises d’insertion par le travail indépendant permettent à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, d’exercer une activité professionnelle en leur permettant de bénéficier d’un service de mise en relation avec des clients et d’un accompagnement.
« Les entreprises d’insertion par le travail indépendant contractent avec des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières pour leur donner accès à une activité professionnelle dans les conditions prévues à l’article L. 8221‑6 du code du travail et pour les accompagner, selon des modalités spécifiques, afin de faciliter leur insertion sociale et professionnelle.
« Art. L. 5132‑15‑4. – L’État peut conclure des conventions avec des entreprises d’insertion par le travail indépendant prévoyant, le cas échéant, des aides financières imputées sur les crédits de l’insertion par l’activité économique votés en loi de finances, selon des modalités définies par décret.
« Seuls les contrats conclus avec des personnes éligibles à un parcours d’insertion par le travail indépendant dans les conditions fixées à l’article L. 5132‑3 du code du travail ouvrent droit aux aides financières, selon des modalités définies par décret. »
Article 2
L’article 83 de la loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est abrogé.
Article 3
Après le 38° de l’article L. 311‑3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 39° ainsi rédigé :
« 39° Les personnes mentionnées à l’article L. 5132‑15‑3 du code du travail. »
Article 4
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.