N° 1963
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023.
PROPOSITION DE LOI
visant à accélérer et contrôler le verdissement des flottes automobiles,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Damien ADAM,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Pour parvenir à relever les défis de la transition automobile, lʼengagement des entreprises est indispensable. Chaque année, les entreprises achètent plus de la moitié des voitures neuves : elles ont une grande influence sur la demande de nouveaux véhicules. Ces voitures étant revendues après trois ou quatre ans dʼutilisation, elles contribuent par ailleurs à façonner lʼoffre sur le marché de lʼoccasion, sur lequel se fournissent neuf ménages sur dix. Le verdissement des flottes automobiles professionnelles constitue donc un levier majeur de transition des deux facettes du marché automobile. C’est d’ailleurs un axe identifié par le Secrétariat général à la Planification écologique.
Dans ce contexte, la loi dʼOrientation des mobilités et la loi climat et résilience ont complété et rehaussé les obligations de « verdissement » du parc automobile professionnels. À partir de 2022 et jusquʼen 2030, les groupes privés à la tête de grandes flottes (≥ 100 véhicules légers) doivent inclure une part minimale croissante de véhicules à faibles émissions (50 gCO2/km) dans le cadre du renouvellement annuel de leurs parcs : 10 % à partir de 2022, 20 % à partir de 2024, 40 % à partir de 2027 et 70 % à partir de 2030.
Ces dispositions, bien que très pertinentes, sʼavèrent insuffisantes. Cʼest le constat qui découle dʼun rapport publié en mars 2023 par lʼONG Transport & environment (T&E), élaboré sur la base dʼune analyse des données officielles du système dʼimmatriculation des véhicules (SIV). En lʼabsence de mécanisme de contrôle et de sanction, la loi nʼest pas suivie dʼeffet : en 2022, 66 % des entreprises visées nʼétaient pas en ligne avec lʼobligation dʼincorporer au moins 10 % de véhicules à faibles émissions dans le cadre du renouvellement de leurs flottes. De même, la quasi‑totalité dʼentre elles ignorent lʼobligation légale de reporting prévue par la loi.
De plus, les objectifs de verdissement à atteindre apparaissent en deçà des capacités du secteur. En effet, les objectifs fixés par la loi Climat et Résilience visent les « véhicules à faibles émissions », correspondant aux véhicules dont les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques sont inférieures ou égales à 50 gCO2/km. Afin de réhausser les ambitions de verdissement des flottes automobiles, la présente proposition de loi vise, dans la fixation des taux à atteindre, non plus cette catégorie de véhicules, mais les véhicules à « très faibles émissions » qui correspondent aux véhicules utilisant lʼélectricité, lʼhydrogène ou une combinaison des deux ainsi que les véhicules rétrofités selon certaines normes. Cette distinction tend notamment à exclure les véhicules hybrides rechargeables, appartenant à la catégorie des véhicules à faibles émissions. Si la vente de ces véhicules durant la décennie 2020‑2030 participe à la réalisation des objectifs fixés par la loi climat et résilience, cette technologie de transition va peu à peu s’effacer pour laisser place au véhicule 100 % électrique en perspective de l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique en 2035. Il est alors nécessaire d’anticiper la mise en œuvre de cette obligation par le rehaussement et la redéfinition des objectifs de verdissement des flottes automobiles des entreprises.
Dans leur forme actuelle, les obligations de verdissement manquent donc leur ambition dʼassurer une transition des parcs automobiles professionnels à la hauteur des enjeux : en 2022, seuls 6,5 % des véhicules légers neufs intégrés au sein de ces parcs étaient électriques, sans différence significative entre les entreprises visées par la loi et les autres. À titre de comparaison, les achats de véhicules neufs entièrement électriques s’élevaient à 13,8 % à la même période pour les particuliers, soit une augmentation des ventes de 131,5 % par rapport à l’année précédente. Ce bilan est dʼautant plus problématique que le niveau dʼambition final (70 % à partir de 2030) apparaît désormais insuffisamment élevé au regard de la fin de vente des véhicules thermiques en 2035 décidée au niveau européen.
Partant de ce constat, il apparaît nécessaire de réformer les obligations de verdissement et de réhausser les objectifs de renouvellement du parc automobile, devant concerner les véhicules à « très faibles émissions ». Cʼest le sens de la présente proposition de loi.
La mise en œuvre de la réforme proposée générerait dʼimportants bénéfices en termes de transition climatique et énergétique et de politique industrielle et de justice sociale. En ce sens, elle sʼinscrit parfaitement dans le travail actuel de planification écologique mené par les pouvoirs publics.
Concrètement, la proposition de loi repose sur trois orientations :
Premièrement, l’article 1er fixe une trajectoire de renouvellement des parcs automobiles privés pour atteindre 95 % de véhicules à très faibles émissions dès 2030. Elle fixe de nouveaux seuils intermédiaires :
– 20 % à partir du 1er janvier 2024 ;
– 40 % à partir du 1er janvier en 2026 ;
– 65 % à partir du 1er janvier en 2028 ;
– 95 % à partir du 1er janvier 2030.
Ces obligations sont applicables aux entreprises détenant une flotte de plus de 100 véhicules (seuil défini dans la loi actuelle), cyclomoteurs et motocyclettes légères de puissance maximale supérieure ou égale à 1 kilowatt, quadricycles et véhicules utilitaires légers. Les entreprises de location de véhicules détenant plus de 100 véhicules sont également soumises à ces obligations, y compris les entreprises de location de véhicules de courte durée.
Ensuite, elle exclut les véhicules à faibles émissions (hybrides rechargeables) du périmètre dʼapplication de ces obligations, de manière à ce que, pour ces entreprises, seuls les véhicules à très faibles émissions soient pris en compte dans lʼatteinte de ces objectifs. Enfin, elle harmonise ces objectifs avec ceux incombant aux centrales de réservation des taxis et véhicule de tourisme avec chauffeur (VTC).
Deuxièmement, l’article 2 renforce les modalités de transparence et de contrôle. Il ajoute à la délcaration de performance extra‑financière des entreprises l’obligation de déclarer le niveau d’atteinte des objectifs définis à l’article 1er de la présente loi, pour les entreprises qui y sont soumises (entreprises de plus de 500 employées, cotées sur un marché réglementé, dont le bilan est supérieur à 20 millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires net est supérieur à 40 millions d’euros). Il introduit ensuite une obligation de transmission à l’autorité administrative des informations relatives à la mise en œuvre de ces obligations pour les entreprises qui y sont soumises, dont le pourcentage de véhicules à très faibles émissions parmi les véhicules ayant fait l’objet d’un renouvellement durant l’année précédente. Enfin, un mécanisme de sanction est instauré en cas de manquements à ces obligations, se traduisant par une amende allant jusqu’à 10 000 € et jusqu’à 20 000 € en cas de récidive.
Troisièmement, elle introduit un mécanisme de sanction proportionnée pour les entreprises assujetties qui ne respectent pas les objectifs qui leurs sont fixés à l’article 1 : une amende progressive allant jusquʼà 1 % du chiffre d’affaires français à l’article 3 et une restriction dʼaccès aux marchés publics à l’article 4.
proposition de loi
Article 1er
I. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° L’article L. 224‑10 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– après le mot : « tonnes », sont insérés les mots : « , ou de quadricycles légers, ainsi que les centrales de réservation mentionnées à l’article L. 3142‑1 du code des transports qui mettent en relation un nombre de conducteurs supérieur à un seuil fixé par décret, » ;
– les mots : « faibles émissions définis au III de l’article L. 224‑7 » sont remplacés par les mots : « très faibles émissions au sens du III de l’article L. 224‑7 du présent code » ;
b) Au 1°, le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 20 % » et, à la fin, la date : « 1er janvier 2022 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2024 » ;
c) Au 2°, le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 40 % » et, à la fin, la date : « 1er janvier 2024 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2026 » ;
d) Au 3°, le taux : « 40 % » est remplacé par le taux : « 65 % » et, à la fin, la date : « 1er janvier 2027 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2028 » ;
e) Au 4°, le taux : « 70 % » est remplacé par le taux : « 95 % ».
2° L’article L. 224‑11 est abrogé.
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2025.
III. – Les conditions d’application du présent article sont définies par décret.
Article 2
I. – Le deuxième alinéa du III de l’article L. 225‑102‑1 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles comprennent également les modalités par lesquelles la société atteint les objectifs de renouvellement du parc automobile définis à l’article L. 224‑10 du code de l’environnement. »
II. – Lʼarticle L. 224‑12 du code de lʼenvironnement est ainsi rédigé :
« Art. L. 224‑12. – I. – Les personnes redevables des obligations prévues aux articles L. 224‑7 à L. 224‑10 transmettent à l’autorité administrative les informations relatives à la mise en œuvre de ces obligations, dont le pourcentage de véhicules à très faibles émissions parmi les véhicules ayant fait l’objet d’un renouvellement durant l’année précédente. Ces données sont rendues publiques par les services de l’État dans un format ouvert librement utilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.
« II. – Un décret prévoit les conditions dans lesquelles les personnes mentionnées au I du présent article rendent annuellement compte du respect de leurs obligations.
« III. – Dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, pour les personnes redevables des obligations prévues à lʼarticle L. 224‑10, l’autorité administrative sanctionne les manquements à l’établissement ou à la transmission des informations mentionnées au I par une amende n’excédant pas 10 000 €, montant qui ne peut excéder 20 000 € en cas de récidive. »
Article 3
Après l’article L. 226‑6 du code de lʼenvironnement, est inséré un article L. 226‑6‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 226‑6‑1. – Est puni d’une amende qui peut atteindre un montant maximal de 1 % du chiffre d’affaires français hors taxes du dernier exercice clos réalisé par l’entreprise coupable de l’infraction le fait, pour toute personne redevable des obligations prévues à lʼarticle L. 224‑10, de ne pas atteindre les obligations qui lui sont fixées lors du renouvellement annuel de son parc de véhicules. Cette amende peut être assortie de la peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l’article 131‑35 du code pénal. Le montant de l’amende est proportionné à la gravité de lʼécart à lʼobjectif dʼincorporation de véhicules à très faibles émissions constaté, avec un plafond fixé à 5 000 euros par véhicule à très faibles émissions manquant pour atteindre les obligations précitées. »
Article 4
I. – Le code de la commande publique est ainsi modifié :
1° Après lʼarticle L. 2141‑7‑1, il est inséré un article L. 2141‑7‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2141‑7‑1‑1. – Lʼacheteur peut exclure de la procédure de passation dʼun marché les personnes soumises à lʼarticle L. 224‑10 du code de lʼenvironnement qui ne satisfont pas aux obligations prévues audit article et à l’article L. 224‑12 du même code, pour lʼannée qui précède lʼannée de publication de lʼavis de concession ou dʼengagement de la consultation. » ;
2° Après lʼarticle L. 3123‑7‑1, il est inséré un article L. 3123‑7‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3123‑7‑1‑1. – Lʼautorité concédante peut exclure de la procédure de passation dʼun contrat de concession les personnes soumises à lʼarticle L. 224‑10 du code de lʼenvironnement qui ne satisfont pas aux obligations prévues audit article et à l’article L. 224‑12 du même code, pour lʼannée qui précède lʼannée de publication de lʼavis dʼappel à la concurrence ou dʼengagement de la consultation. ».
II. – Les dispositions des articles L. 2141‑7‑1‑1 et L. 3123‑7‑1‑1 du code de la commande publique sont applicables aux marchés publics et aux contrats de concession pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis dʼappel à la concurrence a été envoyé.
III. – Le présent article entre en vigueur au 1er janvier 2026.