N° 2150
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 février 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à prévenir les ingérences étrangères en France,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Sacha HOULIÉ, M. Thomas GASSILLOUD, Mme Constance LE GRIP,
députés et députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France est une grande puissance politique, militaire, économique, scientifique, culturelle et démocratique. Ce statut l’expose à des agressions ou tentatives de déstabilisations protéiformes émanant de l’étranger, visant à infléchir ses positions, à saper sa cohésion nationale, à connaître ses intentions ou encore à voler ses savoir‑faire. Des puissances étrangères peuvent profiter d’une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe, même si le retour de la guerre sur notre continent a permis une prise de conscience collective quant à la nécessité de protéger notre souveraineté, dans toutes ses dimensions.
En matière de lutte contre les ingérences étrangères, les services de renseignement et, au‑delà, la puissance publique, peuvent activer différents dispositifs d’entrave. Il s’agit notamment des techniques de renseignement, des mesures d’ordre diplomatique, des sanctions pénales, des mesures d’ordre économique, du dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation et, plus récemment, des dispositions de la loi « séparatisme » du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. La loi de programmation militaire pour les années 2024‑2030 permet également désormais au ministre des Armées de s’opposer au recrutement par un État ou une entreprise étrangère de militaires nationaux détenteurs de savoir‑faire militaires opérationnels rares.
Toutefois, bien qu’efficaces, ces outils demeurent parfois insuffisants au regard de l’intensification de la menace que font peser les ingérences étrangères sur l’exercice de la souveraineté nationale.
Dans son rapport annuel d’activité 2022‑2023, la Délégation parlementaire au renseignement a préconisé de regrouper dans un même texte les nouvelles mesures législatives permettant de renforcer notre dispositif de prévention et d’entrave aux ingérences ou tentatives d’ingérences étrangères.
C’est l’objet de la présente proposition de loi qui, nonobstant les dispositions réglementaires et mesures administratives de nature à compléter notre arsenal juridique, vise à protéger notre pays et à déployer notre riposte démocratique face aux ingérences étrangères.
L’article 1er instaure un dispositif législatif rendant obligatoire l’enregistrement des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère. Inspirée de la législation en vigueur aux États‑Unis (FARA) et plus récemment au Royaume‑Uni (National Security Bill), la création de ce registre, dont la gestion sera confiée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) vise d’une part à limiter les tentatives d’ingérence étrangère sur l’action publique française et d’autre part, à renforcer l’information des responsables publics et des élus sur la nature de leurs interlocuteurs étrangers. La création de ce registre s’accompagne d’un régime de contrôle, reposant sur les prérogatives de la HATVP et d’un régime de sanctions pénales en cas de non‑respect de l’obligation de déclaration.
L’article 2 prévoit que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur l’état des menaces qui, en raison d’ingérences étrangères, pèsent sur la sécurité nationale. Ce rapport pourra faire l’objet d’un débat au Parlement. Il est en effet nécessaire que les réponses apportées aux menaces qui pèsent sur notre démocratie fassent l’objet d’un débat public, transparent et transpartisan. Le Parlement est l’enceinte naturelle et légitime de ce débat.
L’article 3 prévoit d’élargir les finalités qui permettent aux services de renseignement, sur autorisation et pour assurer la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, de recourir à la technique de renseignement dite de l’algorithme. Alors que celle‑ci ne peut être mise en œuvre actuellement que dans le but de prévenir le terrorisme (finalité 4 de l’article L. 811‑3 du code de la sécurité intérieure), elle pourrait désormais l’être aussi pour défendre et promouvoir l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale (finalité 1) ainsi que les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère (finalité 2). Cette technique autorise, de manière encadrée, la mise en œuvre de traitements automatisés destinés à détecter des connexions et navigations sur Internet qui sont susceptibles de révéler l’existence d’une menace. En matière de contre‑espionnage et de contre‑ingérence, elle serait ainsi de nature à renforcer les capacités de détection précoce de toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence pouvant nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation. Cette extension de la technique de l’algorithme aux finalités 1 et 2 est proposée à titre expérimental pour une durée de trois ans.
L’article 4 modifie le code monétaire et financier pour élargir aux ingérences étrangères le périmètre de la procédure des gels d’avoirs, aujourd’hui limitée à la lutte contre le terrorisme. Il est proposé de pouvoir recourir à cette procédure contre toute personne physique ou morale se livrant à des actions en lien avec une puissance étrangère qui visent à nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation.
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proposition de loi
Article 1er
La loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifiée :
1° Après la section 3 bis du chapitre Ier, il est inséré une section 3 ter ainsi rédigée :
« Section 3 ter :
« Répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger
« Art. 18‑10‑1. – Un répertoire numérique est créé pour l’inscription des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger. Il recense toute personne physique ou morale exerçant pour le compte d’une entité étrangère et aux fins de promouvoir ses intérêts, une activité visant à influencer la décision publique, la conduite des politiques publiques ou les résultats de tout scrutin prévu par le code électoral.
« Art. 18‑10‑2. – Le répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger est rendu public par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
« Art. 18‑10‑3. – Pour l’application de la présente section, les obligations prévues aux articles 18‑3 et 18‑5 sont également applicables aux représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandat étranger.
« Art. 18‑10‑4. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’assure du respect des obligations prévues à l’article 18‑10‑3. Aux fins de contrôler leur respect, elle peut faire usage des dispositions de l’article 18‑6.
« Lorsqu’elle constate un manquement à l’article 18‑10‑3, elle adresse au représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger concerné une mise en demeure, qu’elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations.
« Art. 18‑10‑5. – Le fait, pour un représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, les informations qu’il est tenu de communiquer à cette dernière en application de l’article 18‑10‑3 est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Art. 18‑10‑6. – La communication des informations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en application de la présente section dispense le représentant d’intérêts de l’obligation de communiquer ces mêmes informations au titre de l’article 18‑2.
« Art. 18‑10‑7. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, définit les modalités de mise en œuvre des dispositions de la présente section. »
2° À la seconde phrase du 5° du I de l’article 20 ; après la référence : « article 18‑2, » sont insérés les mots « les relations avec les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, au sens de l’article 18‑10‑2. ».
Article 2
Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 111‑3 ainsi rédigé :
« Art. L. 111‑3 – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juillet de chaque année, un rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Ce rapport, qui fait état des menaces résultant d’ingérences étrangères, peut faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. »
Article 3
I. – L’article L. 851‑3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du I est ainsi modifié :
a) Les mots : « seuls besoins de la prévention du terrorisme » sont remplacés par les mots : « seules finalités prévues aux 1°, 2° et 4° de l’article L. 811‑3 » ;
b) Sont ajoutés les mots : « ou toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère » ;
2° À la première phrase du premier alinéa et au second alinéa du IV, les mots : « à caractère terroriste » sont supprimés.
II. – L’article L. 851‑3 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant du I du présent article, est applicable jusqu’au 31 décembre 2026. A compter du 1er janvier 2027, l’article L. 851‑3 du code de la sécurité intérieure est applicable dans sa rédaction en vigueur à la date de la publication de la présente loi.
III. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application du présent article au plus tard le 30 juin 2026.
Article 4
Le chapitre II du titre VI du livre V du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le 1° de l’article L. 562‑1, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis : « Acte d’ingérence » : l’intervention délibérée d’une personne physique ou morale étrangère visant à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, à la sécurité économique, aux systèmes d’information, à la sincérité des processus électoraux et à diffuser intentionnellement de fausses informations de nature à perturber le fonctionnement régulier des institutions ou le débat démocratique ».
2° Au 1° de l’article L. 562‑2, après le mot : « terrorisme », sont insérés les mots : « ou des actes d’ingérence ».