N° 2577
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer les mesures de soutien aux familles et à encourager la natalité,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Fabien DI FILIPPO, M. Thibault BAZIN, Mme Sylvie BONNET, M. Jean-Luc BOURGEAUX, M. Xavier BRETON, M. Hubert BRIGAND, M. Pierre CORDIER, Mme Christelle D’INTORNI, M. Julien DIVE, M. Francis DUBOIS, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Nicolas FORISSIER, Mme Annie GENEVARD, M. Patrick HETZEL, M. Mansour KAMARDINE, M. Yannick NEUDER, Mme Christelle PETEX, Mme Isabelle VALENTIN, M. Jean-Pierre VIGIER,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La chute des naissances se poursuit en France, comme le confirme le dernier bilan démographique de l’Insee. À l’exception de 2021 (léger rebond après les confinements liés au Covid‑19), le nombre de naissances baisse chaque année depuis 2011. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre de naissances a chuté de 6,6 % en France en 2023, passant sous la barre symbolique des 700 000, soit une baisse d’environ 7 % par rapport à l’année 2022.
Notre pyramide démographique annonce donc un vieillissement rapide et conséquent de la population française dans les années à venir. Les coûts induits par ce vieillissement vont être importants, notamment celui de nos régimes de retraite mais aussi celui de la prise en charge de nos aînés en situation de dépendance. Encourager l’arrivée de nouvelles générations, alors qu’il est aujourd’hui de plus en plus compliqué d’avoir et d’élever des enfants, est primordial.
D’après une enquête de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), le nombre moyen d’enfants souhaité est de 2,39, alors que le taux de fécondité actuel en France est d’1,8 enfant par femme, et près de 67 % des personnes ayant eu un enfant en voudraient ou en auraient voulu au moins un de plus.
Ce décalage entre le désir d’enfants et la natalité s’explique notamment par l’affaiblissement continuel de la politique familiale depuis plus de dix ans qui a conduit la majorité des familles, notamment de la classe moyenne, à être abandonnées financièrement. Les quinquennats de M. François Hollande et de M. Emmanuel Macron ont en effet été marqués par de nombreux rabots budgétaires, qu’il s’agisse de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, de la baisse du quotient familial ou encore de la baisse de la prestation d’accueil du jeune enfant. À cela s’ajoute une conjoncture économique incertaine, marquée par une forte inflation peu favorable à l’accueil de nouveaux enfants.
Selon l’INSEE, au‑delà de quatre enfants, 43 % des familles sont pauvres contre 24 % pour celles avec trois enfants et 16 % pour les familles avec deux enfants.
Lors de sa conférence de presse le 16 janvier dernier, le Président de la République a défendu un « réarmement démographique », en proposant un plan de lutte contre l’infertilité et un « congé naissance » de six mois mieux payé que le congé parental.
Ces propositions seront sans doute très insuffisantes pour relancer la natalité dans notre pays.
Selon M. Laurent Toulemon, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined), les mesures natalistes les plus incitatives sont les mesures structurelles, « qui facilitent la vie des parents » et qui permettent que l’accueil d’un enfant ne constitue pas pour eux « un sacrifice insurmontable ». Les mesures ponctuelles, notamment celles qui consistent à donner un bonus financier lors d’une naissance restent peu efficaces, car « les gens savent que faire des enfants impliquent des dépenses sur le long terme ».
Cette proposition de loi vise donc à mettre en place des mesures fortes et durables, susceptibles de lever les freins qui empêchent ceux qui souhaitent agrandir leur famille de le faire.
Parmi les biens particulièrement coûteux mais indispensables à l’accueil d’un enfant, et auxquels certains ne peuvent prétendre, ou seulement au prix de grands sacrifices, se trouvent le logement ainsi que le véhicule.
Beaucoup de Français freinent leur désir d’enfant car leur logement ou leur véhicule ne sont pas adaptés à l’arrivée d’un nouvel enfant, et que l’acquisition d’un nouveau logement ou d’une nouvelle voiture pèserait trop lourd dans leur budget, ou les prêts dont ils auraient besoin ne leur sont pas accordés.
Selon une enquête réalisée par l’Unaf (Union nationale des associations familiales) auprès de 11 000 familles, le logement constitue un frein à la concrétisation d’un désir d’enfant pour 34 % des Français.
Les taux d’intérêts, ou taux d’emprunt, ont largement augmenté en 2023 jusqu’à atteindre 6,11 % sur 25 ans. Cette tendance est légèrement revue à la baisse depuis janvier 2024, mais ces taux particulièrement élevés entraînent un effondrement des crédits immobiliers au fil des mois (- 46 % entre août 2022 et août 2023).
Après le refus radical du Haut Conseil de stabilité financière d’assouplir les règles d’octroi du crédit immobilier, le ministre de l’économie M. Bruno Le Maire a annoncé vouloir mettre en place un prêt à taux bonifié pour redynamiser le marché français de l’immobilier en permettant à certains ménages d’emprunter à un coût bancaire inférieur à ceux du marché, pour un taux qui pourrait s’établir autour de 2 %. Ce prêt à taux bonifié serait octroyé sous conditions de ressources, et la différence entre ses conditions et celles du marché serait prise en charge par l’État.
Cette proposition de loi met quant à elle en place un prêt à taux bonifié de 2 % pour toute famille ayant deux enfants et achetant un logement au titre de la résidence principale, sans condition de revenu.
Concernant les véhicules, le taux moyen des offres de crédit auto a augmenté graduellement depuis début 2022, passant de 3,90 % mi‑mai 2022 à 5,74 % mi‑mai 2023.
D’après une récente étude de l’INSEE, les dépenses des Français liées au transport s’élèvent à 4 703 euros par an. La part de la voiture est prépondérante, puisqu’elle représente un coût annuel de 3 805 euros : 1 459 euros par an pour l’acquisition, 1 110 euros pour le coût du carburant, et 672 euros pour l’assurance du véhicule. L’entretien et les frais associés (dépenses en péage, stationnement, etc.) arrivent à hauteur 564 euros par an. Les ménages Français dépensent ainsi 11 % de leur revenu dans leur voiture.
Face à des frais si élevés, 65 % des Français estiment que le moment n’est pas propice à l’achat d’une voiture. 32 % des Français ont renoncé à l’achat d’un véhicule cette année, tandis que seulement 15 % envisagent d’acheter une voiture dans les douze prochains mois.
Plusieurs aides gouvernementales à l’acquisition d’un véhicule existent : bonus écologique, leasing social, microcrédit « véhicules propres », ou encore prêt à taux zéro mobilité » (PTZ‑m) pour les personnes résidant dans ou à proximité d’une zone à faibles émissions mobilité (ZFE‑m). Toutes ces aides sont accordées sous condition de ressources.
Parce que l’arrivée d’un enfant peut nécessiter l’achat d’un véhicule plus grand, et que cela représente un coût particulièrement important, cette proposition de loi met en place un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule familial peu polluant, neuf, pour toute famille ayant au moins deux enfants, sans condition de ressources.
En complément de ces aides à l’acquisition d’un logement ou d’un véhicule, d’autres mesures de soutien visant à redonner du pouvoir d’achat aux familles au quotidien doivent être prises, notamment au niveau fiscal.
Pour être efficace, la politique familiale doit s’inscrire dans la durée et concerner tous les Français.
La politique menée depuis 2012 a été comprise comme un signal négatif à l’intention des familles et comme un désengagement de l’État de sa politique traditionnelle d’aide aux familles.
Ainsi, le quotient familial a vu son plafond fortement abaissé par la loi n° 2012‑1509 de finances pour 2013. Cet abaissement a directement pénalisé près de 800 000 foyers appartenant essentiellement à la classe moyenne.
Il est essentiel de corriger cette injustice et de revenir à des montants plus proches des plafonnements antérieurs à la loi de finances pour 2013, et réévalués en fonction de l’inflation élevée de ces dernières années.
Le quotient familial n’est pas une aide sociale mais un dispositif visant à soutenir les familles et à encourager la natalité. Il constitue, par sa redistribution horizontale envers les familles, le fondement de notre politique familiale, assurant à un foyer avec enfant une juste compensation financière par rapport à un foyer qui n’en a pas
La présente proposition de loi relève le plafonnement général à 2 750 euros. L’avantage maximum en impôt procuré par la part de quotient familial attachée au premier enfant à charge accordée aux contribuables célibataires ou divorcés vivant seuls ayant des enfants à charge est quant à lui relevé de 4 500 euros.
Cette proposition de loi supprime également la modulation du montant des allocations familiales selon les ressources de la famille introduite à compter du 1 er juillet 2015.
Les allocations familiales constituaient jusqu’en 2015 la prestation qui réalisait le principe d’universalité qui fonde la politique familiale. La réforme des allocations familiales a porté atteinte au sens même de cette prestation dont l’objectif premier est de compenser financièrement le coût de l’éducation des enfants, et de témoigner du soutien de la collectivité en faveur des familles avec plusieurs enfants à charge. Au contraire, la modulation a fait porter sur les familles un effort de solidarité qui n’a pas été exigé des ménages aisés sans enfants et envoyé un signal particulièrement négatif aux familles, en établissant des différences entre les enfants selon le milieu dans lequel ils naissent.
La dynamique défavorable de la fécondité depuis maintenant une décennie doit nous inciter à réagir. La fin de la modulation selon les revenus du foyer constituerait un message souhaitable de soutien aux familles autant qu’il redonnerait de la cohérence et de la lisibilité à cette prestation. Cette mesure bénéficierait à plus d’un demi‑million de français dont 255 000 qui, aujourd’hui, reçoivent un montant à 50 % du taux plein et 270 100 qui ne reçoivent que 25 % de ce montant, et permettrait de redonner du pouvoir d’achat, notamment aux classes moyennes.
De plus, selon le rapporteur d’une proposition de loi récemment présentée au Sénat, tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales, le coût annuel de la suppression de la modulation des allocations familiale est évalué à 830 millions d’euros par la DSS : or, en 2024, le solde de la branche famille devrait être excédentaire de 800 millions d’euros. La fin de la modulation des allocations familiales serait donc soutenable pour la branche.
Enfin, les frais engagés pour la garde des enfants constituent un sujet de préoccupation important pour les parents.
Les femmes doivent bien souvent arbitrer entre la reprise d’une activité et des frais de garde très importants, peu compensés quand elles travaillent, et qui s’additionnent avec les frais propres aux enfants.
Depuis 2023, la garde d’enfants de moins de six ans hors du domicile (crèche, garderie) ouvre droit à une déduction d’impôt de 50 % dans la limite de 3 500 euros par enfant et par an, contre 2 300 euros auparavant. Cette proposition de loi porte cette limite à 5 000 euros.
Cette mesure serait une aide et une marque de reconnaissance envers les familles, et participerait à la lutte pour l’égalité des sexes, puisque les femmes sont encore aujourd’hui les plus touchées par les difficultés liées à la garde des enfants, et que c’est plus souvent elles qui doivent choisir entre leur carrière et leur rôle de mère.
De plus, l’argent qui ne sera pas dépensé pour la garde des enfants, participera à augmenter le pouvoir d’achat des familles notamment au profit des classes moyennes à qui l’on demande en permanence des efforts toujours plus conséquents. Les parents pourront ainsi utiliser cet argent afin d’offrir un meilleur niveau de vie à leurs enfants.
Enfin, actuellement, la garde d’enfants de plus de six ans permet de bénéficier d’un crédit d’impôt uniquement si l’enfant est gardé à domicile.
Cette proposition de loi étend le bénéfice de cette déduction fiscale pour les enfants de plus de six ans même lorsqu’ils sont gardés hors du domicile.
L’article 1 de la présente proposition de loi met donc en place un prêt bonifié (à 2 %) pour les crédits immobiliers portant sur l’achat d’une résidence principale pour toute famille à partir de deux enfants, pour les primo accédants ou secundo accédants, sans conditions de revenus.
L’article 2 instaure un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule familial neuf peu polluant.
L’article 3 met fin à la modulation des allocations familiales.
L’article 4 relève le plafonnement général du quotient familial à des montants plus proches des plafonnements antérieurs à la loi de finances pour 2013, et réévalués en fonction de l’inflation élevée de ces dernières années, soit 2 750 euros (contre 1 759 euros actuellement).
L’article 5 relève le crédit d’impôt pour garde d’enfants de 3 500 à 5 000 euros.
L’article 6 étend le crédit d’impôt relatif aux frais de garde d’enfants de plus de six ans, qui s’applique aujourd’hui uniquement si l’enfant est gardé à domicile aux frais de garde à l’extérieur du domicile, et ce jusqu’à 10 ans.
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proposition de loi
Article 1er
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de la consommation est complété par une section 10 ainsi rédigée :
« Section 10
« Prêts bonifiés pour les familles
« Art. L. 313‑65. – L’État met à disposition des familles ayant deux enfants ou plus à charge un prêt bonifié au taux de 2 %, sans condition de ressources, lorsqu’elle acquiert sa résidence principale en accession à la première propriété ou lorsqu’elle acquiert en première propriété les droits réels immobiliers de sa résidence principale dans le cadre d’un bail réel solidaire.
« Pour une même opération d’accession, il ne peut être accordé qu’un seul prêt bonifié au sens du présent article. »
Article 2
Un décret permet aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ayant préalablement signé une convention avec l’État de délivrer des prêts à taux zéro mobilité aux ménages ayant deux enfants ou plus pour l’acquisition d’une voiture particulière Crit’Air 1, neuve, et pour l’acquisition d’une voiture particulière électrique, neuve, pour toute famille à partir de 2 enfants, sans condition de revenus.
Article 3
Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les troisième, avant‑dernier et dernier alinéas de l’article L. 521‑1 sont supprimés ;
2° Le second alinéa de l’article L. 755‑12 est supprimé.
Article 4
Au premier alinéa du 2 du I de l’article 197 du code général des impôts, le montant : « 1 759 € » est remplacé par le montant : « 2 750 € » ;
Article 5
À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 200 quater B du code général des impôts, le montant : « 3500 € » est remplacé par le montant : « 5000 € ».
Article 6
À la première phrase du premier alinéa de l’article 200 quater B du code général des impôts, le mot : « six » est remplacé par le mot : « dix ».
Article 7
I. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.