N° 2582
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à mettre fin aux pratiques d’arbitrage de dividendes,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Charlotte LEDUC, Mme Christine ARRIGHI, M. Philippe BRUN, M. Karim BEN CHEIKH, M. Éric COQUEREL, M. Charles DE COURSON, Mme Karine LEBON, Mme Mathilde PANOT, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Nicolas SANSU, Mme Eva SAS, M. Jean-Marc TELLIER, M. Boris VALLAUD,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi vise à mettre un terme aux pratiques d’arbitrage de dividendes qui sont utilisées aujourd’hui à des fins de fraude et d’évasion fiscales. L’évasion fiscale est un fléau majeur qui coute chaque année entre 80 et 120 milliards d’euros aux finances publiques. C’est deux fois le budget de l’éducation nationale et plus de 8 fois le budget du ministère de la justice. Si notre pays veut relever les grands défis qui se dressent devant lui d’une manière socialement juste et acceptable, il est nécessaire de récupérer cet argent. Mettre fin aux pratiques d’arbitrage de dividendes est donc un pas dans cette direction.
En octobre 2018, l’enquête dite des « CumEx Files » réalisée par 19 médias européens a révélé l’ampleur des pertes fiscales dues à cette pratique. En 2021, la perte est estimée à 140 milliards d’euros sur 20 ans pour les états européens. La France est le pays le plus touché avec 33 milliards de manque à gagner sur 20 ans.
L’arbitrage de dividendes est une technique répandue d’optimisation fiscale qui profite aux actionnaires possédant des actions en France. Les banques françaises le pratiquent à grande échelle afin de permettre à leurs clients étrangers d’éviter la retenue à la source de 30% sur les dividendes par l’administration fiscale. Deux techniques principales existent.
Le « CumCum » : Un actionnaire transfère des titres ou des droits à une entité établie en France (montage « interne ») ou dans un pays avec lequel la France a signé une convention fiscale favorable (montage « externe) – souvent une banque car la fiscalité sur les sociétés est plus avantageuse que celle sur les particuliers – juste avant de recevoir des dividendes afin d’éviter la fiscalisation à la source. La banque rend ensuite l’action et les dividendes au propriétaire moyennant une commission (la banque est donc complice !).
Le « CumEx » : des actionnaires étrangers multiplient les échanges d’actions juste avant le versement des dividendes. L’administration fiscale n’est alors plus en mesure de déterminer qui détient l’action. Ensuite, les actionnaires demandent tous le remboursement de la retenue d’impôts à l’administration (alors que la retenue d’impôt n’a été effectuée qu’une seule fois par l’administration, voire jamais).
Ces pratiques représentent donc un contournement manifeste de la loi puisque les mécanismes mis en œuvre visent à tromper l’administration fiscale et à percevoir des remboursements indus (dans le cas des CumEx). Pourtant, elles continuent à être utilisées à grande échelle par les actionnaires et les banques françaises. Les échanges de titres, mais également de produits dérivés de ces titres, sont donc massivement utilisés à des fins d’évasion fiscale. La présente proposition vise donc à mettre fin à ces pratiques.
Depuis les révélations de 2018, que s’est-il passé ? Un collectif citoyen mené par notre collègue M. Boris Vallaud a déposé plainte dès octobre 2018 et le Parquet National Financier (PNF) a ouvert une enquête. La justice fait donc sa part du travail comme le montre les perquisitions menées par le Service d’Enquête Judiciaire des Finances (SEJF) et le PNF au printemps dernier dans les locaux français de 5 banques : Société générale, BNP Paribas, Exane (filiale de BNP Paribas), Natixis (groupe BPCE) et HSBC. La décision du Conseil d’Etat du 8 décembre 2023 a certes annulé les retenues à la source sur les dividendes réclamées par l’administration fiscale. Mais cela ne dédouane pas les banques et ne leur assure pas l’impunité. La procédure pénale se poursuit. La décision du Conseil d’Etat montre d’ailleurs qu’il est temps que le législateur agisse pour définir une règle claire et inflexible en matière d’arbitrage de dividendes afin d’éviter à l’avenir les feuilletons juridiques interminables.
La présente proposition de loi reprend les amendements qui ont été défendus ces dernières années, notamment par la Sénatrice Nathalie Goulet, pour combler les lacunes de notre arsenal législatif. Il s’attaque à tous les types de montages, même les plus sophistiqués, supprime la limite des 90 jours autour de la date de versement des dividendes et précise tous les cas où la retenue à la source doit s’appliquer. Enfin, cette proposition de loi permet d’appliquer automatiquement la retenue à la source de 30% pour tous les flux financiers partants à l’étranger. Charge ensuite à la personne établie dans un pays ayant une convention fiscale favorable avec la France de prouver qu’elle est bien la bénéficiaire effective de ce versement afin d’obtenir le remboursement de la retenue à la source. Cette personne ne peut donc plus servir d’intermédiaire pour un tiers résidant dans un pays n’ayant pas de convention fiscale favorable avec la France. De même, la proposition de loi s’attaque aux pratiques de « CumEx » en conditionnant les possibilités de remboursements à une vérification de l’administration fiscale.
La prise de conscience du danger que représente l’arbitrage de dividendes est aujourd’hui mondiale. La Belgique a fait évoluer son droit dès 2019 pour combattre les montages « CumEx ». C’est désormais au contribuable de prouver qu’il a droit à l’exonération de la retenue à la source sur les dividendes et non à l’administration fiscale de vérifier si les conditions pour l’obtenir s’appliquent. Les délais autorisés pour les audits et contrôles fiscaux des dossiers dans lesquels un abattement ou une réduction de l’impôt sur les dividendes a été octroyé ont également été doublés en 2023. L’administration fiscale peut ainsi effectuer des contrôles supplémentaires et enquêter sur les omissions fiscales dans les cas complexes d’arbitrage de dividendes. L’Allemagne a également agi en introduisant dans son droit de nouvelles dispositions visant à contrer les stratégies d’arbitrage de dividendes. Les organisations internationales se sont, elles aussi, emparées du sujet. L’OCDE juge ainsi dans son rapport « Fraude fiscale aux dividendes, Renforcer la sensibilisation aux montages d’arbitrage de dividendes » publié en décembre 2023, que « des modifications de la législation peuvent également s’avérer nécessaires ». C’est donc dans un contexte international favorable à une réglementation plus stricte de ces pratiques que nous souhaitons permettre à notre administration fiscale de disposer de nouveaux outils pour lutter contre l’arbitrage de dividendes.
Tout l’intérêt du dispositif que nous présentons aujourd’hui est qu’il permet de combattre efficacement les pratiques d’arbitrage de dividendes sans passer par une renégociation longue et incertaine des conventions fiscales signées par la France avec ses partenaires internationaux.
Une proposition de loi en tous points identique à celle-ci a été déposée au Sénat par la Sénatrice Nathalie Goulet et un ensemble transpartisan de Sénateurs. De nombreux groupes politiques, aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, sont favorables à ces mesures. Une majorité est donc possible sur ce texte et montrerait à nos concitoyennes et concitoyens l’importance que leurs représentants attachent à la justice fiscale.
L’article 1er supprime la notion des 90 jours autour de la date de versement des dividendes et élargi les cas où la retenue à la source doit s’appliquer. Cet article propose également un mécanisme qui permet de combattre l’instrumentalisation des conventions fiscales à des fins d’évitement de l’impôt. En effet, la retenue à la source de 30% est appliquée automatiquement pour tous les flux financiers partants à l’étranger. Charge ensuite à la personne établie dans un pays ayant une convention fiscale favorable avec la France de prouver qu’elle est bien le bénéficiaire effectif de ce versement afin d’obtenir le remboursement de la retenue à la source.
L’article 2 soumet au taux majoré de prélèvement à la source applicable aux flux de revenus payés dans des pays ou territoires non coopératifs l’ensemble des cas définis dans l’article 1. Il permet également de s’attaquer aux schémas « CumEx » en interdisant qu’un remboursement de la retenue à la source ai lieu sans que l’administration fiscale ai pu au préalable vérifier de l’effectivité de cette retenue.
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proposition de loi
Article 1er
L’article 119 bis A du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le 1 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
– les mots : « , dans la limite du montant correspondant à la distribution de produits de parts ou d’actions mentionnée au b, » sont supprimés ;
b) Les a et b sont ainsi rédigés :
« a) Le versement est conditionné, directement ou indirectement, à, ou son montant est établi en tenant compte de, la distribution de produits d’actions, de parts sociales ou de revenus assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis, ou des revenus et risques attachés à ces titres ;
« b) Le versement est lié, directement ou indirectement :
« – à une cession temporaire desdites parts ou actions réalisée par la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France au profit, directement ou indirectement, de la personne qui est établie ou a sa résidence en France ;
« – ou à une opération donnant le droit ou faisant obligation à la personne qui est établie ou a sa résidence en France de revendre ou de restituer, directement ou indirectement, lesdites parts ou actions à la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France ;
« – ou à un accord ou instrument financier ayant, directement ou indirectement, pour la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France, un effet économique similaire à la possession desdites parts ou actions. » ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Lorsque les revenus mentionnés au I sont versés à une personne qui est établie ou a sa résidence dans un État ou territoire ayant signé avec la France une convention d’élimination des doubles impositions qui ne prévoit pas ou exonère de retenue à la source ces revenus, l’établissement payeur des revenus applique, lors de la mise en paiement, la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis.
« Le bénéficiaire des revenus mentionnés au premier alinéa du présent II peut obtenir le remboursement de la retenue à la source s’il apporte la preuve qu’il en est le bénéficiaire effectif et que la distribution de ces revenus dans cet État ou territoire a principalement un objet ou un effet autres que d’éviter l’application d’une retenue à la source ou d’obtenir l’octroi d’un avantage fiscal.
« L’établissement payeur des revenus mentionnés au même premier alinéa adresse chaque année à l’administration fiscale, par voie électronique et au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les versements ont été effectués, une déclaration mentionnant le montant, la date, l’émetteur et le destinataire de chacun des versements. »
Article 2
L’article 187 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au 2, après le mot : « et », sont insérés les mots : « pour les revenus mentionnés à l’article 119 bis A » ;
2° Il est ajouté un 3 ainsi rédigé :
« 3. Le remboursement d’une retenue à la source ne peut avoir lieu qu’après constat par l’administration fiscale qu’une retenue a effectivement eu lieu. »