N° 2663

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une prévoyance collective obligatoire pour tous les salariés,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Astrid PANOSYAN-BOUVET, M. Cyrille ISAAC-SIBILLE, M. Paul CHRISTOPHE, M. Antoine ARMAND, Mme Fanta BERETE, Mme Laurence CRISTOL, Mme Annie VIDAL, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Jean-Marc ZULESI, M. Christophe MARION, Mme Maud GATEL, M. Jean-Luc FUGIT, M. Vincent LEDOUX, M. Éric POULLIAT, Mme Maud PETIT, Mme Christine DECODTS, M. Didier LE GAC, M. Karl OLIVE, M. Anthony BROSSE, M. Yannick HAURY, Mme Pascale BOYER, M. Frédéric PETIT, M. Stéphane VOJETTA, M. Luc LAMIRAULT, M. Bertrand SORRE, Mme Lysiane MÉTAYER, Mme Sophie ERRANTE, Mme Jacqueline MAQUET, M. Pascal LECAMP, Mme Amélia LAKRAFI,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que la prévoyance couvre les risques parmi les plus lourds de la vie, elle est très mal connue et surtout loin d’être accessible à tous. Elle est pourtant l’assurance qui nous permet ainsi qu’à notre famille, de compenser la perte de revenu liée à une incapacité temporaire ou permanente de travailler, une invalidité ou bien un décès du fait d’un accident de la vie. Elle complète le régime de protection obligatoire qui reste limité et que nous surestimons souvent très largement.

Aujourd’hui 5,5 millions d’actifs ([1]) – salariés, fonctionnaires, indépendants – ne disposent pas d’une couverture prévoyance satisfaisante. Nombre d’entre eux exerçent souvent un métier pénible exposé à une forte usure professionnelle et à une rémunération modeste. Ils sont donc à la fois les plus à risque d’un accident de la vie, ceux pour lesquels la perte de revenu associée est la plus dramatique et les moins à même de s’en prémunir. Pour eux, le niveau de protection de la Sécurité sociale permet à peine de couvrir les frais d’obsèques et encore moins de compenser la perte d’un revenu familial en plus de la douleur du deuil. De même, les indemnités journalières ne suffisent pas à garantir un revenu de remplacement.

Ce défaut de couverture tient notamment d’une part, au fait que la souscription à une prévoyance complémentaire collective par les employeurs n’est obligatoire que pour les cadres. En effet, elle ne l’est pas pour les actifs non‑cadres et en l’absence d’une couverture collective, la seule solution est le recours à une assurance individuelle, qui est peu accessible en raison de son coût très élevé. D’autre part, ce manque de couverture s’explique aussi par une méconnaissance générale des Français de la prévoyance qui la confondent souvent avec la complémentaire santé.

Parce que faire société, c’est aussi faire en sorte que personne ne soit laissé sur le bord du chemin à cause d’un accident de la vie, il est du devoir de la collectivité d’aider les près de 3,5 millions ([2]) de salariés du secteur privé encore non couverts à se prémunir contre les accidents de la vie, quels que soient leur statut de cadre / non‑cadre, leur secteur d’activité ou la taille de leur entreprise, grâce à l’instauration de l’obligation pour les employeurs de proposer à leurs salariés un contrat de prévoyance collective. Outre le bénéfice clair pour le salarié, la prévoyance obligatoire pourrait être un attribut fort de l’attractivité de la marque employeur dans un contexte de tensions croissantes sur le recrutement et la fidélisation des équipes.

Cette proposition de loi s’inspire des principes d’application des accords nationaux interprofessionnels (ANI) précédents comme l’ANI de 1947 sur la prévoyance des cadres et l’ANI de 2013 sur la complémentaire santé obligatoire pour tous. À l’image de l’ANI prévoyance des cadres, elle conserve le principe d’un montant de cotisation fixé à un minimum de 1,5 % de la rémunération inférieure au plafond de la sécurité sociale. Sur le modèle de la complémentaire santé pour tous, elle prévoit également une prise en charge pour moitié au moins par les employeurs du financement de cette couverture pour les salariés non‑cadres.

Comme les risques couverts par la prévoyance et la sinistralité varient en fonction des métiers, la branche et l’entreprise – de même que pour la complémentaire santé – semblent les lieux de négociation et de décision les plus pertinents pour adapter les couvertures en fonction des spécificités des métiers.

Cette proposition de loi est une première étape qui se concentre sur la protection des salariés. Pour les fonctionnaires, la loi Transformation de la Fonction publique d’août 2019 a acté le principe d’une prévoyance complémentaire pour tous dans les trois fonctions (État, territoriale, hospitalière) d’ici à 2026. Enfin, concernant les travailleurs indépendants, qui sont de plus en plus nombreux en raison d’une aspiration grandissante à être son propre patron et du développement de l’entrepreneuriat comme vecteur d’inclusion sociale pour des personnes éloignées de l’emploi, il convient d’initier une réflexion globale sur la portabilité des droits de la protection sociale, y compris complémentaire, tout au long de la vie professionnelle afin d’assurer à chacun un panier minimal de protection.

Ce texte prévoit ainsi dans ses deux premiers articles l’instauration de l’obligation pour les employeurs de faire bénéficier leurs salariés d’une prévoyance à adhésion collective. L’article 1er dispose que les organisations syndicales et patronales doivent engager avant le 1er janvier 2025 des négociations au niveau de chaque branche dans lesquelles les salariés ne bénéficient pas d’une prévoyance ou disposent de garanties insuffisantes en la matière afin de déterminer notamment le contenu et les niveaux des garanties de l’assurance, la répartition de la charge des cotisations entre l’employeur et le salarié ou encore les modalités de choix de l’assureur. L’article 1er prévoit également, entre le 1er février 2026 et le 1er avril 2027, dans les entreprises pourvues d’un ou plusieurs délégués syndicaux et non couvertes par une couverture collective en matière de prévoyance, une négociation visant à instaurer une telle couverture offrant des garanties conformes aux stipulations de la convention ou de l’accord de branche ou, à défaut, satisfaisant aux critères fixés par la loi. L’article 2 introduit l’obligation pour les employeurs de proposer à leurs salariés une prévoyance complémentaire collective à adhésion obligatoire à compter du 1er avril 2027 dont le montant de la cotisation, fixé à un minimum de 1,5 % de la rémunération inférieure au plafond de la sécurité sociale, est pris en charge pour moitié au moins par l’employeur. Un décret précisera les conditions dans lesquelles certains salariés pourront se dispenser de l’obligation de couverture.

Afin de lutter contre la méconnaissance de la prévoyance, l’article 3 vise à introduire l’obligation d’un droit à l’information sur cette couverture.

Suivant le principe de portabilité des droits, une personne licenciée peut bénéficier à titre gratuit des garanties de complémentaire santé et de prévoyance souscrites par l’entreprise dont elle a été licenciée jusqu’à 12 mois à compter de la date de cessation de son contrat de travail. Pourtant un récent arrêt de la Cour de Cassation du 15 février 2024 dispose que l’organisme assureur n’est pas obligé de prendre en charge les garanties d’un salarié licencié si l’assureur résilie son contrat avec son ancienne entreprise. L’article 4 dispose ainsi que l’organisme assureur doit assurer le maintien des couvertures complémentaire santé et prévoyance pour les salariés licenciés même en cas de résiliation du contrat avec l’entreprise qui les employait.

Enfin, l’article 5 prévoit l’obligation pour les organismes complémentaires d’informer toute personne qui souhaite dénoncer son contrat de complémentaire santé de la résiliation concomitante, lorsque cela est le cas, de son contrat de prévoyance.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Avant le 1er janvier 2025, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels engagent une négociation, afin de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire des risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III de l’article L. 911‑7‑2 du code de la sécurité sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d’accéder à une telle couverture avant le 1er avril 2027.

La négociation porte notamment sur :

1° La définition du contenu et du niveau des garanties ainsi que la répartition de la charge des cotisations entre employeur et salariés ;

2° Les modalités de choix de l’assureur. La négociation examine en particulier les conditions, notamment tarifaires, dans lesquelles les entreprises peuvent retenir le ou les organismes assureurs de leur choix, sans méconnaître les objectifs de couverture effective de l’ensemble des salariés des entreprises de la branche ;

3° Le cas échéant, les modalités selon lesquelles des contributions peuvent être affectées au financement de l’objectif de solidarité, notamment pour l’action sociale et la constitution de droits non contributifs ;

4° Le délai, au moins égal à dix‑huit mois à compter de l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord et expirant au plus tard le 1er avril 2027, laissé aux entreprises pour se conformer aux nouvelles obligations conventionnelles ;

5° Le cas échéant, les adaptations dont fait l’objet la couverture des salariés relevant du régime local de prévoyance complémentaire des départements du Haut‑Rhin, du Bas‑Rhin et de la Moselle défini à l’article L. 325‑1 du code de la sécurité sociale, en raison de la couverture garantie par ce régime.

II. – À compter du 1er février 2026 et jusqu’au 1er avril 2027, dans les entreprises pourvues d’un ou plusieurs délégués syndicaux et qui ne sont pas couvertes selon l’une des modalités mentionnées à l’article L. 911‑1 du code de la sécurité sociale par une couverture collective à adhésion obligatoire des risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III de l’article L. 911‑7‑2 du même code et applicable au plus tard le 1er avril 2027, l’employeur engage une négociation sur ce thème.

Cette négociation se déroule dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre III du livre II de la deuxième partie du code du travail.

Article 2

Après l’article L. 911‑7‑1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 911‑7‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 91172. – I. – Les entreprises dont les salariés ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire des risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès déterminée selon l’une des modalités mentionnées à l’article L. 911‑1 dont chacune des catégories de garanties et la part du financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III du présent article sont tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture minimale par décision unilatérale de l’employeur, dans le respect de l’article 11 de la loi n° 89‑1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques. Les salariés concernés sont informés de cette décision.

« II. – Le montant de la couverture minimale mentionnée au I est au moins égal à 1,5 % de la part de rémunération inférieure au plafond annuel de la sécurité sociale. La couverture minimale mentionnée au I comprend la prise en charge totale ou partielle des risques décès, incapacité et invalidité.

« III. – L’employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès.

« Les salariés en contrat à durée déterminée ou en contrat de mission peuvent se dispenser, à leur initiative, de l’obligation d’affiliation si la durée de la couverture collective à adhésion obligatoire dont ils bénéficient en matière de risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès est inférieure à un seuil fixé par décret.

« Un décret fixe, en outre, les catégories de salariés pouvant se dispenser, à leur initiative, de l’obligation de couverture, eu égard à la nature ou aux caractéristiques de leur contrat de travail ou au fait qu’ils disposent par ailleurs d’une couverture de ces risques.

« IV. – Le I entre en vigueur à compter du 1er avril 2027. »

Article 3

I. – Toute personne a le droit d’obtenir un relevé de sa situation individuelle au regard de l’ensemble de la couverture des risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès. Les conditions d’application du présent I sont définies par décret.

II. – Dans des conditions fixées par décret, à partir d’un certain âge et selon une périodicité déterminée par le décret prévu au I, chaque personne reçoit, de chaque régime auquel elle est ou a été affiliée, une estimation indicative globale du montant des prestations d’assurance auxquelles elle ou ses proches pourraient avoir droit en cas d’incapacité, d’invalidité ou de décès.

Article 4

Après le 6° de l’article L. 911‑8 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 7° ainsi rédigé :

« 7° Le maintien des garanties est assuré par l’organisme assureur même en cas de résiliation du contrat avec l’employeur ».

Article 5

Après l’article L. 113‑15‑3 du code des assurances, il est inséré un article L. 113‑15‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 113-15-4. – Pour les contrats de couverture des risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès, l’assureur informe l’assuré, notamment en cas de couplage d’un contrat de complémentaire santé, des conséquences qu’emporte la résiliation de son contrat. »

 

 


([1])  14ème baromètre de la prévoyance, CTIP/CREDOC, 2021, et Améliorer la prévoyance des actifs, un impératif social, Groupe Vyv en partenariat avec la FNATH, 2023 – 15-20% des 62-65% d’actifs salariés et 70% des 10% d’actifs Travailleurs Non-Salariés (TNS)

([2])  14ème baromètre de la prévoyance, CTIP/CREDOC, 2021, et Améliorer la prévoyance des actifs, un impératif social, Groupe Vyv en partenariat avec la FNATH, 2023 – 15-20% des 62-65% d’actifs salariés et 70% des 10% d’actifs Travailleurs Non-Salariés (TNS)