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N° 2671

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à inscrire dans le code de la défense la dissuasion nucléaire au service des intérêts vitaux de la Nation et sous son contrôle exclusif,

(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Olivier MARLEIX, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Thibault BAZIN, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, Mme Anne-Laure BLIN, Mme Sylvie BONNET, Mme Émilie BONNIVARD, M. Jean-Yves BONY, M. Ian BOUCARD, M. Jean-Luc BOURGEAUX, M. Xavier BRETON, M. Hubert BRIGAND, M. Fabrice BRUN, M. Éric CIOTTI, M. Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Christelle D’INTORNI, Mme Marie-Christine DALLOZ, M. Vincent DESCOEUR, M. Fabien DI FILIPPO, M. Julien DIVE, M. Francis DUBOIS, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Pierre-Henri DUMONT, M. Jean-Jacques GAULTIER, Mme Annie GENEVARD, M. Philippe GOSSELIN, Mme Justine GRUET, M. Victor HABERT-DASSAULT, M. Meyer HABIB, M. Michel HERBILLON, M. Patrick HETZEL, M. Philippe JUVIN, M. Mansour KAMARDINE, M. Marc LE FUR, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Emmanuel MAQUET, Mme Alexandra MARTIN (ALPES-MARITIMES), Mme Frédérique MEUNIER, M. Maxime MINOT, M. Yannick NEUDER, M. Jérôme NURY, M. Éric PAUGET, Mme Isabelle PÉRIGAULT, Mme Christelle PETEX, M. Alexandre PORTIER, M. Aurélien PRADIÉ, M. Nicolas RAY, M. Vincent ROLLAND, M. Raphaël SCHELLENBERGER, M. Vincent SEITLINGER, Mme Nathalie SERRE, Mme Michèle TABAROT, M. Jean-Pierre TAITE, M. Jean-Louis THIÉRIOT, Mme Isabelle VALENTIN, M. Pierre VATIN, M. Antoine VERMOREL-MARQUES, M. Jean-Pierre VIGIER, M. Stéphane VIRY,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« En ce qui concerne la Défense dans son ensemble, je tiens à vous dire qu’il faut que cette défense de la France soit française. C’est une idée qui ne nous a pas toujours été très familière ces dernières années, je le sais. Il est indispensable qu’elle le redevienne. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. ».

Charles de GAULLE (1890‑1970), Discours au Centre des hautes études militaires, 3 novembre 1959.

 

Aujourd’hui encore la vision développée en 1959 par le général de Gaulle, devenu Président de la République quelques mois plus tôt, trouve toute sa force. Un discours clair, simple, compréhensible par tous : les Français, nos alliés, nos ennemis…

Politique mise en œuvre rapidement puisque dès son arrivée au pouvoir le Général de Gaulle a fait accélérer les travaux de mise au point de la bombe atomique entamés par la IVème République.

Une première bombe « A » française est testée en plein désert saharien à Reggane en février 1960. Immédiatement dans la continuité commencent les études pour la construction d’une bombe à hydrogène, la première explose à Mururoa en Polynésie en août 1968.

Moins de 10 ans après le discours devant le Centre des hautes études militaires, la France est dotée de l’arme nucléaire et construit ou entame la construction des vecteurs de ses trois composantes (les avions Mirage‑IV de Dassault, les travaux de construction d’un missile SSBS (sol‑sol‑balistique‑stratégique) et ceux d’un sous‑marin nucléaire Le Redoutable).

Au fil des années, la doctrine nucléaire s’est affirmée et renforcée autour de trois grands axes :

– la dissuasion nucléaire ne protège que les intérêts vitaux du pays. La définition de ces derniers est laissée à l’appréciation du chef de l’État, mais il est généralement admis que le territoire, la population et la souveraineté de la France en constituent le cœur. La dissuasion serait susceptible de jouer quels que soient les moyens employés par l’adversaire – autrement dit, la force nucléaire n’est pas seulement destinée à empêcher une attaque nucléaire ;

– au cas où un adversaire se méprendrait sur la définition de ces intérêts vitaux, ou semblerait s’approcher du "seuil" de ces intérêts, la France se réserve la possibilité de délivrer un ultime avertissement, c’est‑à‑dire une frappe unique (au moyen d’une ou plusieurs armes), sans doute sur un objectif militaire, destinée à convaincre l’adversaire de cesser son agression et ainsi à « rétablir la dissuasion » ;

– à titre de garantie ultime, la force de dissuasion doit pouvoir exercer des dommages inacceptables sur le territoire adverse supérieurs à ce que serait l’enjeu du conflit, et ce en toutes circonstances, c’est‑à‑dire même après une « première frappe » nucléaire adverse sur le sol français.

Dès février 2020, le Président Emmanuel Macron dans un discours sur la stratégie de défense et la dissuasion nucléaire, devant les officiers de l’École de guerre a affirmé : « Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne. Dans cet esprit, je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective. Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. Ce dialogue stratégique et ces échanges participeront naturellement au développement d’une véritable culture stratégique entre Européens. »

Répondant à une question sur le fait de savoir si la France était prête à européaniser sa capacité de dissuasion nucléaire, le Président Macron a de nouveau indiqué fin avril 2024 dans la continuité de son discours prononcé en Suède en février 2024 : « Nous avons une forme de protection, l’Otan. Comme je l’ai dit à la Sorbonne, il faut maintenant aller plus loin, construire une défense européenne crédible. Ça peut signifier déployer des boucliers antimissiles, mais il faut être sûr qu’ils bloquent tous les missiles, et dissuadent de l’utilisation du nucléaire. Être crédible, c’est avoir aussi des missiles de longue portée qui dissuaderaient les Russes. Et il y a l’arme nucléaire : la doctrine française est qu’on peut l’utiliser quand nos intérêts vitaux sont menacés. J’ai déjà dit qu’il y a une dimension européenne dans ces intérêts vitaux, sans les détailler car cette dissuasion concourrait à la crédibilité de la défense européenne. Je suis pour ouvrir ce débat, qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible. La France gardera sa spécificité mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen. »

Lors de son audition par la Commission de la défense, en février2023 en clôture du cycle initié par la Commission sur la dissuasion nucléaire, M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement (DGA) a rappelé quelques chiffres sur le coût de la dissuasion : « 325 milliards d’euros ont été consacrés à la dissuasion pour la période 20192023. La loi de finances initiale pour 2022 y dédiait 5,3 milliards d’euros et le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 5,6 milliards d’euros de crédits de paiement. La part des crédits consacrés à la dissuasion dans le budget de la mission défense hors pensions reste stable : 12,8 % en 2023 pour 12,9 % en 2022. En 2023, 4,65 milliards d’euros seront dédiés au maintien et au renouvellement des composantes, auxquels s’ajoutent 211 millions d’euros consacrés aux études (programme 144). »

Dans le cadre de la loi de programmation 2024‑203, plus de 50 Milliards d’€ seront consacrés à la dissuasion nucléaire : elle constitue donc plus que jamais selon les mots même du Président de la République en février 2020 « la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux ». Les Français consentent donc à payer un prix élevé et nécessaire pour assurer leur sécurité et leur indépendance stratégique.

Les propos sibyllins du Président de la République, l’interprétation qui en a été fait par une partie de la presse surtout, ont semé le doute dans les esprits. Si une lecture large, notamment européenne des intérêts vitaux avait d’emblée été posée par Michel Debré, alors ministre de la défense, en 1972 : («…Si la dissuasion est réservée à nos intérêts vitaux, la limite de ceuxci est nécessairement floue… la dialectique de la dissuasion se nourrit d’une relative incertitude. La France vit dans un tissu d’intérêts qui dépassent ses frontières. Elle n’est pas isolée. L’Europe occidentale ne peut donc… manquer de bénéficier de la stratégie française. Toute nationale qu’elle soit, notre force nucléaire de dissuasion est un élément qui ne peut manquer de compter pour la prévention d’une crise en Europe »), personne n’a jamais envisagé que la mise en œuvre de la dissuasion puisse être autre que nationale.

L’objet de cette proposition de loi présentée par les députés les Républicains est d’affirmer de manière claire et définitive que la dissuasion nucléaire est au service de la protection des intérêts vitaux de la Nation mais surtout que la mise en pratique de cette dissuasion s’exerce exclusivement sous contrôle national excluant toute procédure de codécision ou de double clé.

 


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proposition de loi

Article unique

Au début de la section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la partie 1 du code de la défense, est ajouté un article L. 1411‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 14111 A.  La dissuasion nucléaire est au service de la protection des intérêts vitaux de la Nation et s’exerce sous contrôle national exclusif ».