N° 2678

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les symboles haineux dans l’espace public,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Arthur DELAPORTE, M. Boris VALLAUD, M. Olivier FAURE, M. Mickaël BOULOUX, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, M. Roger VICOT,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans les rues de Paris, un samedi ordinaire, des militants d’extrême droite néonazis arborent des ornements faisant ouvertement référence à la gloire du nazisme en toute impunité. En défilant ainsi, cagoulés, drapeaux de croix celtiques en mains - bien que moins connues que la croix gammée nazie dite svastika, elles n’en sont pas moins un symbole raciste d’expression de la suprématie blanche – ces individus défient non seulement notre Histoire mais aussi la République. Chaque année, des groupuscules néo‑nazis, français ou venus d’ailleurs en Europe, défilent au début du mois de mai pour exprimer leur haine, en toute impunité. Des personnalités politiques ont pu être prises en photo à leur insu avec ces suprémacistes blancs revendiqués.

À Marseille, au stade Vélodrome, lors d’un match de foot, quelques supporters d’extrême droite brandissent leurs drapeaux avant de porter des cris racistes et des saluts nazis. 

Dans une salle de vente aux enchères à Caen, des objets de la Milice française, police politique et militaire sous le régime de Vichy, sont mis en vente comme on échangerait des œuvres d’art. Sur le site internet du commissaire‑priseur, nous pouvons apprendre qu’entre les documents de propagande de la Milice ou des croix de guerre 39/40 Vichy, des uniformes de la Milice « modèle 1941 » ont été adjugés vendus à plus de 2 000 €. Caen, ville martyre qui a payé de la vie de ses habitants et par une destruction massive de ses bâtiments le prix de la libération, doit donc accueillir près de 80 ans plus tard un marché où la spéculation sur des objets abjects. L’association Le Souvenir français chargée de faire vivre la mémoire des combattants de France a d’ailleurs vivement contesté cette vente, la qualifiant d’insulte à la République et à notre mémoire. 

La résurgence de l’extrême droite dans nos démocraties libérales et les idéologies de haine associées sont particulièrement préoccupantes. Les sites de vente d’objets liés aux nazis pullulent et contribuent à renforcer la fascination malsaine pour l’idéologie criminelle qui y est liée. Des individus n’hésitent pas à exhiber des tatouages faisant l’apologie du Troisième Reich dans nos rues et dans nos stades dans un sentiment d’impunité. 

Ces comportements salissent bien sûr le devoir de mémoire et les millions de morts tués par la mécanique de la haine mais contribuent aussi, aujourd’hui, à la propagation d’une idéologie haineuse qui bafoue nos principes républicains. 

Notre droit, s’il encadre certains usages de symboles n’interdit pas en soi la détention et la vente de symboles et objets racistes et nazis. Dans sa partie réglementaire, notre Code pénal prévoit à l’article R 645‑1 une amende pour l’exhibition et le port de signes qui rappellent le régime nazi ou qui ont été adoptés par des criminels contre l’humanité condamnés par la Justice pour de tels faits. Pourtant, de nombreux vides juridiques existent et permettent à des adorateurs d’extrême droite de poursuivre leur entreprise idéologique dangereuse. 

Ainsi, le professeur Jacques Henri Robert rappelle‑t‑il que « les armées de terre et de l’air et la marine militaire du troisième Reich n’ont pas été flétries de cette manière, de sorte que le port de leurs uniformes échappe à la prohibition de l’article R. 6451, à la condition toutefois qu’on en ôte la croix gammée qui était appliquée sur les casquettes des gradés. On trouve d’ailleurs dans le commerce de tels uniformes dont la publicité photographique est diffusée, même en France, sur internet, avec la mention “Conformément à la loi en vigueur, les insignes relatifs au IIIe Reich ont été masqués sur les photos” ».

En Europe, le droit peut ainsi être plus strict et plus particulièrement le droit allemand dont le code pénal interdit l’usage de tous les symboles nazis ou de la propagande d’organisations et d’associations anticonstitutionnelles aux articles 86, 86a et 130. 

On le sait, la propagande par le symbole a été l’un des moyens d’intimidation des nazis et de l’infiltration des masses, il ne serait pas acceptable qu’elle puisse ressurgir par des moyens détournés. L’impact du symbole était d’ailleurs parfaitement décrit par Serge Tchakhotine « Le mécanisme en est le suivant : toute parole violente, parlée ou écrite d’Hitler, toute menace, s’associait dans l’esprit de ses auditeurs à ses symboles qui devenaient peu à peu les signes évocateurs de ses paroles, de ses menaces ; rencontres partout, ils agissaient constamment sur les masses, ils ranimaient sans cesse l’inclination favorable à Hitler ». 

Il est nécessaire, afin de faire face, de renforcer notre droit tout en garantissant que les œuvres historiques ou à vertu pédagogique ne soient pas concernées par cet encadrement. Une proposition de loi déposée au Sénat en 2010, puis en 2014 déjà, venait interdire les ventes d’objets nazis. Ce texte est malheureusement resté lettre morte. 

Ainsi, l’article unique de cette proposition de loi vise à établir une liste des organisations, associations ou personnes dont la propagande ou la vente d’objets affiliés seraient interdites au nom de la défense de nos valeurs et de l’entente entre les peuples. 

 

 


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proposition de loi

Article unique

Le chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal est complété par une section 8 ainsi rédigée :

« Section 8

« De la propagande des organisations, associations ou personnes portant atteinte aux valeurs de la République et à l’entente entre les peuples 

« Art. 431-31.  Par décret pris en conseil des ministres, après avis d’un comité scientifique dont la composition est définie par décret, est fixée une liste établissant les uniformes, insignes, drapeaux, emblèmes portant atteinte aux valeurs de la République et à l’entente entre les peuples. Cette liste est actualisée chaque année.

« Sont entendus comme portant atteinte aux valeurs de la République et à l’entente entre les peuples, les uniformes, insignes, drapeaux, emblèmes des organisations, associations ou personnes appelant à la haine, à la discrimination, à la violence en raison de l’origine, du sexe, de l’identité de genre, des opinions politiques, de l’appartenance à une religion et par n’importe quel moyen. 

« Est puni de six mois de prison et 3 750 € d’amende le fait, sauf pour les besoins d'un film, d'un spectacle ou d'une exposition comportant une évocation historique ou scientifique, de détenir ou porter ou d’exhiber en public et de proposer ou procéder à la vente d’un uniforme, un insigne, un drapeau ou un emblème d’une organisation ou d’une personne ayant été reconnue comme portant atteinte aux valeurs de la République et à l’entente entre les peuples. »