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N° 523

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

portant sur la reconnaissance et la condamnation de
la grande famine de 19321933, connue sous le nom d’ « holodomor », comme crime contre l’humanité,

présentée par

Mme Anne GENETET,

députée.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre 1930 et 1933, plusieurs régions agricoles de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) - parmi lesquelles le Kazakhstan, le Caucase du Nord et l’Ukraine - ont connu une effroyable famine. Celle‑ci a été à l’origine de la mort d’entre 7 et 8 millions de personnes.

En Ukraine, cette famine, causée artificiellement, s’est distinguée par son ampleur. Systématisée par les autorités soviétiques, elle faucha la vie d’environ 4 millions de paysans.

L’épisode a débuté en novembre 1929, avec l’annonce par la Pravda de l’avènement du « Grand tournant », à l’origine de la collectivisation forcée et de la « dékoulakisation », décidées par Joseph Staline. Leurs objectifs ? L’industrialisation rapide de l’URSS et le contrôle des campagnes. La répression s’est alors mise en place : expropriations, arrestations et déportations massives des propriétaires terriens, désormais désignés sous l’appellation « koulak ». Des entreprises agricoles collectives ont été instaurées, et ont pris la forme de fermes nationalisées (sovkhozes) et de coopératives (kolkhozes). Placées sous l’autorité de l’État, environ 30 % de leurs récoltes étaient prélevées.

En Ukraine, en réponse à ces réquisitions démesurées et à une répression croissante, la paysannerie s’est soulevée dès le début de l’année 1930. Craignant la résurgence d’un nationalisme ukrainien, les autorités soviétiques ont accusé les paysans révoltés d’être des saboteurs et des ennemis du prolétariat. Des brigades ont alors été envoyées pour mater les émeutes, fouiller les fermes, et confisquer récoltes, bétails et semis, ce qui eut des conséquences désastreuses sur la récolte suivante. Alors que des foyers isolés de « difficultés alimentaires » ont commencé à être répertoriés dès cette période, les autorités soviétiques ont réquisitionné près de 43 % de la récolte ukrainienne l’année suivante. En 1932, face à une situation alimentaire aggravée, un exode rural de masse a débuté. Par ailleurs, les collectes n’ont plus atteint les niveaux fixés.

Entre fin octobre 1932 et janvier 1933, les autorités ont intensifié la répression et instauré un blocus. Des patrouilles ont ainsi été mises en place, condamnant les personnes à rentrer chez elles, à être emprisonnées ou déportées en Sibérie et dans les camps du Goulag. La vente des billets de chemin de fer a été suspendue et les paysans privés de leur passeport. En outre, de nouvelles mesures ont été mises en place pour les districts « mis au tableau noir » : retrait des produits manufacturés et alimentaires, remboursement immédiat des crédits, arrêt du commerce, imposition exceptionnelle. À la fin du mois de janvier 1933, la moitié des kolkhozes et villages ukrainiens – 11 000 sur 23 000 – étaient ciblés.

« Grenier de blé » devenu « terre de sang », le paroxysme de ce crime de masse a été atteint dans les premiers mois de 1933 : chaque jour, des milliers de paysans ukrainiens sont morts, affamés. La famine instaurée artificiellement a alors pris l’appellation d’Holodomor : « l’extermination par la faim ».

En parallèle de cette tragédie, entre 1930 et 1933, plusieurs millions de tonnes de céréales ukrainiennes confisquées ont continué à être exportées. Les réserves de l’État soviétique, plusieurs millions de tonnes également, n’ont quant à elles pas été touchées. En février 1933, les autorités soviétiques ont débloqué une aide dérisoire et destinée en priorité aux villes, également touchées par les disettes, afin d’éviter des émeutes d’ouvriers.

Bien que de rares témoignages parvinrent à l’Ouest à l’époque, la chute de l’URSS et l’ouverture de l’accès à certaines archives ont permis de lever le voile et le silence sur cette période dramatique. Le 24 mars 2005, le ministère des Affaires étrangères français, interrogé par le sénateur Jean‑Pierre Vial sur l’absence de reconnaissance de ce crime contre la paysannerie ukrainienne, avait répondu qu’il appartenait aux États concernés de donner une interprétation historique, politique et juridique de ces événements tragiques. Or, en 2006, le parlement de l’Ukraine a voté pour la reconnaissance de la famine ukrainienne de 1932‑1933 comme génocide contre le peuple ukrainien. Cette reconnaissance incarne le consensus au sein de la population concernant la qualification de ces crimes de masse. Le 23 octobre 2008, le Parlement européen, dans sa résolution « sur la commémoration de l’Holodomor, la famine artificiellement provoquée en Ukraine (1932‑1933) », a quant à lui reconnu l’ « Holodomor (famine artificielle de 1932‑1933 en Ukraine) comme un crime effroyable perpétré contre le peuple ukrainien et contre l’humanité ». Le 21 octobre 2022, dans le contexte de crimes de guerre commis par la Russie, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, M. Dmytro Kuleba, a appelé les parlements des nations qui soutiennent l’Ukraine à reconnaître l’Holodomor.

La présente résolution vise à la reconnaissance par les autorités françaises de cette famine forcée de la paysannerie ukrainienne comme crime contre l’humanité, et à la condamnation des actes commis, caractérisés par une extermination et des violations massives des droits humains et des libertés.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 341 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 7 de la Convention portant statut de la Cour pénale internationale, adoptée à Rome le 17 juillet 1998,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948,

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950,

Vu la Déclaration conjointe publiée au cours de la 58e session plénière de l’Assemblée générale des Nations unies sur le 70e anniversaire de l’Holodomor en Ukraine, soutenue par soixante‑trois États, dont l’ensemble des vingt‑cinq États membres de l’Union européenne de l’époque,

Vu la loi ukrainienne relative à l’Holodomor de 1932‑1933 en Ukraine, adoptée le 28 novembre 2006,

Vu la résolution 1481 (2006) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires,

Vu la déclaration du Président du Parlement européen, du 21 novembre 2007, à l’occasion du 75e anniversaire de la famine en Ukraine Holodomor,

Vu la déclaration finale et les recommandations de la 10e réunion de la commission de coopération parlementaire Union européenne‑Ukraine, adoptées le 27 février 2008,

Vu la résolution du Parlement européen du 23 octobre 2008 sur la commémoration de l’Holodomor, la famine artificiellement provoquée en Ukraine de 1932‑1933,

Considérant que la collectivisation forcée imposée par le régime soviétique de Joseph Staline a entraîné la mort de millions de personnes, notamment parmi les minorités ethniques de l’ex‑Union soviétique ;

Considérant la mise en place par les autorités soviétiques d’une famine forcée en Ukraine, à l’origine de la mort de près de quatre millions d’Ukrainiens ;

Constatant le caractère intentionnel de détruire en tout ou partie la paysannerie ukrainienne, en confisquant les récoltes et les semences, en intensifiant la répression et en instaurant un blocus ;

Considérant que les autorités soviétiques ont occulté, déformé ou supprimé des éléments d’information sur la famine et les crimes de masse perpétrés à l’encontre des Ukrainiens en 1932 et 1933, et que les autorités russes actuelles continuent de limiter l’accès aux archives mentionnant ces événements ;

Considérant que l’emploi du terme de « grande famine » passe sous silence la responsabilité du régime soviétique dans cette famine intentionnellement provoquée ;

Considérant que cette « grande famine » a été reconnue comme crime contre l’humanité par le Parlement européen ;

Considérant que la reconnaissance des crimes contre l’humanité perpétrés au cours de l’histoire de l’Europe devrait permettre d’éviter la répétition de crimes semblables à l’avenir ;

Considérant le devoir d’honorer la mémoire des victimes de crimes commis par des régimes totalitaires en reconnaissant leurs souffrances et la nature des actes commis ;

Considérant que l’année 2022 consacre le 90e anniversaire de l’un des plus grands crimes du début du XXe siècle ;

1. Invite le Gouvernement français à reconnaître officiellement la famine forcée et planifiée par les autorités soviétiques à l’encontre de la paysannerie ukrainienne en 1932 et 1933 comme crime contre l’humanité ;

2. Invite le Gouvernement à condamner publiquement le crime contre l’humanité commis par les autorités soviétiques contre la population rurale ukrainienne en 1932 et 1933 ;

3. Invite le Gouvernement français à encourager sur la scène internationale un libre accès aux archives relatives à l’Holodomor commis en Ukraine de 1932 à 1933 afin de permettre aux historiens de poursuivre leurs recherches visant à établir et documenter les faits.