N° 1399
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juin 2023.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
pour une stratégie nationale de prévention sur le « chemsex »,
présentée par
Mme Brigitte LISO,
députée.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le « chemsex », phénomène consistant à avoir des relations sexuelles sous l’emprise de drogues ([1]), semble se propager à une célérité inédite et inquiétante en France, en particulier chez les jeunes.
L’objectif de cette pratique est principalement d’initier, de faciliter, de prolonger, ou d’améliorer les rapports sexuels, à travers les effets psychoactifs des molécules consommées.
On estime que le « chemsex » concernerait a minima 100 000 à 200 000 personnes en France ([2]).
Si elle est apparue il y a une quinzaine d’années, cette pratique se développe, exposant les consommateurs à de graves dangers.
En effet, les substances ingérées entraînent le plus souvent une désinhibition et des effets dévastateurs pour la santé physique et psychologique : psychoses sévères, dépression, addiction, dépendance, incontinence temporaire ou définitive.
Lorsqu’elles ne sont pas prises par voie nasale ou en cachet, ces drogues peuvent aussi être consommées par voie intraveineuse, entraînant parfois des abcès et plaies, des risques bactériens, ou encore une détérioration des veines, favorisant l’apparition de nécroses.
Certains de ces dommages sont irréversibles et peuvent même, lors de consommations en quantité importante, entraîner la mort.
Si la tragique et médiatique « Affaire Palmade » a fait connaître ce phénomène au grand public, il convient de rappeler que le « chemsex » n’est pas circonscrit à une catégorie isolée de Français urbains et favorisés.
Le « chemsex » séduit des publics de plus en plus jeunes, venus de tous milieux et de tous les territoires. Nos concitoyens, parfois mineurs, se procurent facilement les substances désirées en ligne ou dans des milieux festifs, sans en connaître la moindre composition, leur provenance ou les risques encourus.
La plupart de ces drogues sont des produits du quotidien, bon marché, détournés de leur usage. C’est le cas, par exemple, du GBL (gamma‑butyrolactone), un décapant chimique pour les jantes utilisé dans les garages. Coupé avec de l’eau par les consommateurs, il devient un puissant euphorisant.
Si le « chemsex » se concentre encore dans les grandes métropoles, les villes moyennes et communes rurales sont désormais également concernées en raison d’une diversité des substances, accessibles un clic. L’usage des applications de rencontre fait également de ces sites une nouvelle plateforme de diffusion du « chemsex », et isole d’autant plus les consommateurs en détresse ([3]).
L’étendue du phénomène est telle que certains jeunes ne conçoivent plus leur sexualité en dehors du « chemsex ».
Par ailleurs, alors que cette pratique était principalement localisée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec un ou d’autres hommes (HSH) ([4]), elle, s’est, en quelques années étendue progressivement aux personnes hétérosexuelles ([5]).
Compte tenu de la complexité des cas rencontrés et souvent par manque de temps, les centres de dépistage et centres d’addictologie n’ont pas la capacité de gérer et prendre en charge les « chemsexers » en détresse en proposant des parcours de soins adaptés.
Avec le « chemsex », la France fait face à un problème de santé publique. En témoignent les signaux inquiétants recueillis par les services de maladies infectieuses ou services d’addictologie. En outre, le manque d’études et de recul scientifique sur l’ampleur du phénomène, notamment sur les nouvelles « sous‑populations » touchées et le caractère tabou du sujet dans l’opinion limitent les possibilités d’intervention des décideurs publics.
Sans intervention résolue de l’État en la matière, la situation risque de devenir incontrôlable et poser un problème de santé publique majeur.
Dans ce contexte, la présente proposition de résolution appelle les pouvoirs publics à construire une politique nationale permettant de lutter efficacement contre les dangers du « chemsex » : identifier le phénomène dans ses formes actuelles, informer le grand public des risques pour la santé, en particulier les jeunes, et soutenir l’ensemble des acteurs de terrain impliqués dans la prise en charge des « chemsexers ».
La feuille de route santé sexuelle 2021 – 2024 du Ministère de la Santé avait pour ambition de mettre en place une série de mesures de prévention et de formation au sein des structures sanitaires. Pour autant, l’étendue et la dangerosité du phénomène appellent à une action plus rapide et résolue de l’État, sur le plan logistique, humain comme financier.
Une politique nationale devra être déclinée dans chaque territoire avec l’appui des Agences Régionales de Santé et des collectivités, afin de construire les réponses les plus adaptées, selon les besoins locaux.
proposition de rÉsolution
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la stratégie nationale de santé sexuelle 2017‑2030 et la feuille de route établie pour son application de 2021 à 2024,
Vu le rapport portant sur l’usage de drogue dans le cadre du « chemsex », remis au ministre de la santé le 17 mars 2022,
Considérant que, depuis 2020, les remontées de terrain font part d’une explosion des pratiques sexuelles sous drogues, ou « chemsex », sans qu’aucune étude ne permette à ce jour d’évaluer précisément le nombre de personnes concernées,
Considérant que les rendez‑vous de suivi des risques liés au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) permettent également de sensibiliser aux risques associés au « chemsex », en identifiant de potentielles situations à risque et en les prenant en charge le cas échéant,
Considérant que des villes comme Paris ont mis en place de manière autonome leur propre parcours de prévention et qu’il appartient à l’État d’en évaluer l’efficacité et de proposer des expérimentations dans d’autres villes afin de renforcer l’agilité dans la conduite des politiques publiques sur le « chemsex »,
Invite le Gouvernement à :
1. Établir un état des lieux épidémiologique précis du « chemsex », afin de mieux comprendre les déterminants d’un phénomène en apparente expansion et y répondre de manière adaptée et ciblée.
2. Sensibiliser et informer largement, et développer, en lien avec les associations, une offre de formation à destination de l’ensemble des personnels appelés à être en contact avec les « chemsexers », en premier lieu les professionnels de santé, mais également les personnels judiciaires, scolaires et universitaires ainsi que les forces de l’ordre.
3. Pleinement intégrer l’enjeu du « chemsex » aux différents dispositifs et actions de prévention combinée. La prescription de la prophylaxie pré‑exposition ou des traitements comme prévention), les rendez‑vous de suivi des risques VIH, tout comme les différents dépistages et campagnes de vaccination devront permettre d’identifier de potentielles situations à risque, et les prendre en charge, le cas échéant. La prévention et la sensibilisation au « chemsex » pourront être abordées pendant la consultation gynécologique proposée aux 15‑18 ans ainsi qu’à l’occasion des bilans de prévention mis en place aux âges clefs de la vie.
4. Accompagner les associations et les structures de terrain en première ligne tels que les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic les centres addictologie) et maison des adolescents pour renforcer l’accessibilité de la détection et de la prise en charge physique comme psychologique des « chemsexers », dans une logique d’ « aller‑vers » et en garantissant la confidentialité des personnes suivies.
5. Encourager les parcours de prévention dans des villes volontaires, en lien avec les collectivités locales, sur le modèle, par exemple, de ce qui a été initié à Paris.
6. Mettre en place des campagnes de prévention « hors les murs » (lieux de fête, espaces publics, lycées, etc.) avec Santé Publique France et les associations.
7. Collaborer avec les plateformes, sites et applications de rencontre afin de bâtir avec elles une stratégie de prévention visant à sensibiliser les utilisateurs aux risques du « chemsex », repérer les comportements à risque et identifier les situations de détresse.
([1]) Les effets recherchés sont l’euphorie, la désinhibition, l’empathie, l’augmentation de la sensualité, la performance sexuelle.
([2]) Rapport « chemsex » rendu le 17 mars 2022, par le Pr A. Benyamina, au ministre chargé de la santé.
([3]) Comme l’a pointé l’étude « Apaches, Attentes et PArcours liés au CHEmSex » publiée en mai 2019 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, « le chemsex est aussi porté par l’usage croissant des nouvelles modalités de rencontre (sites internet et applications de rencontres géolocalisées), (…) ces changements favorisent la diffusion potentielle du chemsex à des publics diversifiés et renforcent l’invisibilité des personnes potentiellement en difficulté ».
([4]) Les études estiment que la pratique du chemsex concernerait 20 à 30 % des HSH.
([5]) L’étude sur les facteurs de risques addictologiques dans le cadre du chemsex intitulée « Sea, Sex & Chems » révèlait en 2021 que, sur 1 100 personnes pratiquant le chemsex, 16,5 % sont des femmes et 5,4 % des hommes hétérosexuels.