N° 2048
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 janvier 2023.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions à l’environnement,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Naïma MOUTCHOU,
députée.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Il faut un parquet européen face à la criminalité organisée transfrontalière, précisément parce que le crime lui, est transfrontalier, et dans toutes ses manifestations les plus redoutables. La poursuite des criminels doit être pilotée par un parquet européen ». Le vibrant appel lancé par M. Robert Badinter devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, le 11 février 2014, a trouvé un écho favorable avec la création du parquet européen, entré en fonction le 1er juin 2021.
En instaurant un organe commun de poursuite adapté aux formes les plus graves de criminalités qui traversent les frontières, le Parquet européen permet de remédier aux conséquences du morcellement de l’espace pénal européen. Sa vocation initiale est de lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union, dont les montages complexes justifient une coordination des services nationaux impliqués (fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, corruption et blanchiment d’argent notamment).
Dès les travaux préparatoires à sa création, la perspective d’un élargissement de ses compétences à d’autres formes de criminalité portant atteinte à des intérêts communs a été avancée. L’article 86 paragraphe 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit une telle extension à la lutte contre la criminalité grave à dimension transfrontalière, dont les domaines sont définis à l’article 83 paragraphe 1 du TFUE selon cette liste exhaustive : terrorisme, traite des êtres humains et exploitation sexuelle des femmes et des enfants, trafic illicite de drogues, trafic illicite d’armes, blanchiment d’argent, corruption, contrefaçon de moyens de paiement, criminalité informatique et criminalité organisée. Le même article précise qu’ » en fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant d’autres domaines de criminalité qui remplissent les critères visés au présent paragraphe ».
La question de l’élargissement du champ de compétence du Parquet européen se pose particulièrement pour la criminalité environnementale.
La criminalité environnementale a été classée par les Nations‑Unies et l’agence Interpol au quatrième rang des activités criminelles les plus importantes au monde (avec un taux de croissance annuel estimé à deux ou trois fois celui de l’économie mondiale) et serait la première source de financement des groupes armés et terroristes. Les atteintes à l’environnement comme les grandes pollutions sont par nature transnationales. Le préjudice qu’elles peuvent causer à l’économie ainsi qu’aux populations concernées est parfois colossal, sans compter les liens avec le crime organisé qui s’est spécialisé de longue date dans certains secteurs particulièrement lucratifs, tels que les trafics de déchets, où le risque pénal est bien plus faible qu’ailleurs.
Dans les affaires à dimension transfrontalière d’atteintes à l’environnement, la coopération intergouvernementale ne suffit plus. L’affaire dite du « Dieselgate » en est la preuve ; nous devons renforcer notre réponse pénale.
Le Président de la République a déclaré, le 13 février 2020, à l’occasion de sa visite de la Mer de Glace, que le combat pour l’environnement sera le combat du siècle. Quelques semaines plus tard, en mai 2021, le Parlement européen adoptait une résolution allant dans le sens de l’extension des compétences du Parquet européen aux infractions environnementales, résolution reprise depuis par le groupe « Renew Europe ». C’est un premier pas bienvenu, appuyé ensuite par le discours sur l’État de l’Union du 15 septembre 2022 par Mme Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, qui a rappelé l’importance du « Pacte vert pour l’Europe ».
La mise en œuvre de ce « Pacte vert européen » (qui correspond à un tiers du budget de l’Union européenne) nécessite, pour être crédible, une répression accrue des infractions environnementales graves. En effet, cette manne financière « verte » est une opportunité pour tous les acteurs économiques, y compris les fraudeurs qui ne manqueront pas de chercher par tous les moyens à en tirer profit. D’où la nécessité de renforcer les contrôles sur les moyens financiers, mais aussi la réponse de la justice européenne en cas d’infraction.
Le Parquet européen, par sa capacité à coordonner lui‑même les enquêtes et les poursuites dans les dossiers transnationaux, est aujourd’hui l’organe européen le mieux placé pour lutter contre les atteintes les plus graves à l’environnement. Il est aussi le seul à pouvoir définir une politique pénale européenne dans ce domaine où les dispositifs de détection et de signalement des infractions devraient être renforcés au niveau national.
Dans le double contexte de crise sanitaire et de lutte contre le changement climatique, la création d’un parquet vert européen permettrait d’afficher plus clairement encore la volonté des Européens de faire de la protection de l’environnement une de leurs grandes priorités d’action pour les prochaines décennies. Une fenêtre s’ouvre avec la révision en cours de négociation de la directive de 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. L’extension des compétences du parquet européen aux infractions environnementale serait d’autant plus pertinente dans la mesure où la convention judiciaire d’intérêt public et les procédures de compliance ont été étendues aux questions environnementales. L’Europe et l’écologie sont au cœur de nos préoccupations. En écho aux aspirations des jeunes générations pleinement engagées dans la cause environnementale, nous devons voir plus loin et œuvrer pour donner une nouvelle dimension à la justice pénale européenne. Cette démarche est aussi un message d’espoir.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d’étendre les compétences du Parquet européen à la criminalité environnementale.
proposition de résolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée en matière d’établissement du Parquet européen,
Vu la directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal,
Vu le règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 relatif aux transferts de déchets,
Considérant l’ampleur et la progression de la criminalité environnementale ;
Considérant la dimension souvent transfrontalière de cette forme de criminalité ;
Considérant la gravité des dommages causés par ces atteintes à l’environnement sur les écosystèmes et la santé humaine ;
Considérant le caractère potentiellement irréversible de ces atteintes ;
Rappelant le rôle essentiel du Parquet européen dans la lutte contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne,
Rappelant les possibilités d’élargissement des compétences du Parquet européen prévues dès sa conception,
Soulignant la nécessité d’une approche coordonnée pour faire face aux activités criminelles transfrontalières liées à l’environnement,
Soulignant la nécessité d’améliorer la mise en œuvre et l’application de la législation environnementale de l’Union,
Soulignant la nécessité d’augmenter le budget et les effectifs du Parquet européen pour lui permettre d’être un régulateur crédible dans tous ses domaines de compétence,
Invite à lutter plus activement et collectivement contre les formes graves de criminalité environnementale revêtant une dimension transfrontière ;
Appelle les États membres à reconnaître la criminalité environnementale comme une menace réelle et sérieuse nécessitant une réponse judiciaire efficace et coordonnée au niveau européen ;
Appelle à renforcer la coopération entre les États membres en matière de collecte et d’échange d’informations sur les affaires de criminalité environnementale, afin de faciliter une réponse judiciaire rapide et efficace ;
Souhaite la création d’un Parquet européen vert, moyennant l’extension des compétences du Parquet européen conformément à l’article 86, paragraphe 4, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Insiste sur la nécessité de communiquer plus activement sur les missions du Parquet européen pour que celles‑ci trouvent un écho chez les citoyens des pays membres de l’Union.