N° 2049
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 janvier 2023.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à préserver l’interdiction des plantes issues des nouvelles techniques génomiques, et garantir une souveraineté des paysans sur leurs propres semences,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par Mesdames et Messieurs
Lisa BELLUCO, Sébastien PEYTAVIE, Nicolas THIERRY, Marie POCHON,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Présenté par la Commission européenne le 5 juillet 2023, un projet de règlement visant à soustraire les organismes issus des nouvelles techniques génomiques (NTG) du cadre réglementaire régissant les organismes génétiquement modifiés dans l’Union européenne est en discussion à l’échelle européenne. Concrètement, il consiste à déréglementer la culture et la vente de plantes obtenues via des NTG. Certains États Membres espèrent son adoption définitive avant les nouvelles élections, en juin prochain.
La connaissance de la structure des génomes et de la fonction des gènes de nombreuses plantes a connu des avancées importantes ces dernières années. En particulier, des techniques d’éditions du génome ont été développées, et permettent d’obtenir des mutations ciblées sur des gènes identifiés.
Les NTG consistent à modifier de façon ciblée l’information génétique d’un organisme. Elles recouvrent différentes techniques, notamment :
– la cisgénèse (pour un gène entier) ou l’intragénèse (pour un fragment d’ADN), consiste en l’insertion d’une copie exacte de séquences déjà présentes dans le patrimoine génétique de l’espèce (ou d’une espèce compatible) ;
– la mutagénèse dirigée, qui consiste en la modification ciblée de l’information génétique par ajout (addition), suppression (délétion) ou échange de nucléotides (remplacement) en un site déterminé de la séquence du génome de l’organisme receveur.
Pour le moment, les plantes obtenues via des NTG sont réglementées par la directive 2001/18/CE ([1]) relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Cette directive définit un OGM comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ([2]) ». Contrairement aux techniques antérieures de sélection des variétés par les paysans et les sélectionneurs « traditionnels », ces différentes techniques sont largement encadrées par cette directive, qui établit des règles protectrices concernant la culture d’OGM, en termes d’évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage.
Depuis son arrêt du 25 juillet 2018 ([3]), la Cour de justice de l’Union Européenne a jugé que seuls pouvaient être exemptés de ces contraintes « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Aussi, les plantes obtenues via des NTG sont définies juridiquement comme des OGM réglementés, et dont la culture est proscrite dans de nombreux pays européens. C’est cette réglementation qui est aujourd’hui remise en cause, par la proposition de règlement de la Commission.
Le projet de règlement envisage une dérégulation totale de la majorité de plantes obtenues via NTG. Ces plantes seraient considérées comme équivalentes aux plantes issues de la sélection conventionnelle. Au regard des critères choisis par la Commission, la majorité des plantes obtenues via NTG (plus de 90 %) ([4]) appartiendraient à cette catégorie.
Nous sommes donc en présence de technologies nouvelles, qui pourraient ne plus être interdites si la réglementation européenne venait à évoluer. Comme face à chaque développement d’une nouvelle technique ou technologie, le politique a pour tâche de se prononcer sur l’opportunité de son utilisation. Avoir la capacité de faire n’implique pas de devoir faire, ni même le droit de faire : la technique doit être étudiée précautionneusement, c’est‑à‑dire scientifiquement et démocratiquement, au travers d’une analyse bénéfice‑risque, et ce pour s’assurer qu’elle puisse être utilisée dans l’intérêt de toutes et tous – ou ne pas l’être.
Il existe un débat quant à savoir si ces plantes obtenues via des NTG sont, ou ne sont pas des OGM. Les avis à ce sujet sont contradictoires, en fonction de la définition de ce qui est présenté comme « naturel ». Car cette naturalité figure dans la définition des OGM ([5]). Pour les uns, une modification du génome qui aurait pu se passer spontanément est naturelle – en ce sens, les plantes obtenues via des NTG pourraient ne pas relever de la catégorie des OGM. D’autres considèrent qu’avoir provoqué cette modification accélérée, ciblée, dans une certaine mesure, incontrôlée (si elle manque sa cible) du génome ne permet pas de la considérer comme naturelle ([6]).
Ce débat ne saurait être tranché sans une définition commune de ce qui est naturel ou non, et sans une réflexion sur la normativité de cette naturalité. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de décider si les plantes obtenues par les NTG sont ou ne sont pas de la même nature que les OGM depuis longtemps encadrés, pour savoir si elles doivent ou non continuer à être réglementées. En effet, les arguments justifiant la réglementation voire l’interdiction des OGM à base de transgénèse sont valables pour les plantes obtenues via des NTG – qui doivent de ce fait rester aussi encadrées que le sont les OGM.
Les plantes obtenues via des NTG doivent, comme les OGM, être prohibées au nom des principes de précaution et d’action préventive.
« La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive ([7]) ». Le deuxième alinéa de l’article 191 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne fait donc des principes de précaution et de l’action préventive des principes à valeur fondamentale.
Ces principes sont également inscrits dans notre Constitution, au travers des articles 3 et 5 de la Charte de l’environnement : « Article 3. Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. […]
Article 5. Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ([8]) ».
S’agissant du nouvel emploi d’une technologie modifiant le patrimoine génétique d’espèces largement cultivées, et utilisées pour l’alimentation humaine et animale, il existe trois risques en particulier :
– que ces plantes obtenues via des NTG déséquilibrent certains écosystèmes, par exemple en remplaçant des espèces ou des variétés locales, en réduisant la biodiversité génétique, ou en menaçant certains insectes – en particulier si la modification génétique a pour fonction de faire générer aux plantes des pesticides. Une étude commandée par la Commission européenne souligne les dangers que peuvent représenter les « nouveaux OGM » pour la biodiversité, y compris cultivée ([9]) ;
– que des erreurs de ciblages aboutissent à des modifications génétiques incontrôlées ;
– que cette technologie présente des risques pour la santé humaine liés à ces aliments transformés.
Sur ces risques, le Conseil économique social et environnemental (CESE) confirme que : « tout au long des travaux et auditions, peu de résultats d’évaluations ou d’études démontrant leur innocuité ou nocivité ont pu être présentés. Certains travaux sont en cours mais aucune expertise large et consolidée ne semble actuellement disponible. ([10]) ». Dans la même veine, si l’INRA‑CIRAD‑IFREMER explique que « les analyses s’accordent sur le fait qu’il n’est pas possible de mettre en évidence des relations de cause à effet entre l’utilisation de Plantes Génétiquement Modifiées et l’apparition de problèmes environnementaux ou sanitaires […] elles se refusent néanmoins à conclure que ces relations seraient inexistantes : elles insistent sur la complexité des phénomènes et les incertitudes qui en résultent ([11]) ».
Or, en application de principe de précaution, la charge de la preuve incombe bien à ceux voulant autoriser le déploiement d’une technologie mise en débat, et non l’inverse. Cette charge est d’autant plus lourde lorsqu’il existe des risques d’irréversibilité, par exemple que des populations de plantes locales soient remplacées par ces nouvelles populations, au détriment de l’agrobiodiversité : mieux vaut prévenir un dommage s’il peut être irréversible.
C’est la raison pour laquelle on retrouve une prudence plus forte encore du côté du Comité consultatif national d’éthique : « Cependant, les conséquences à long terme sur les espèces, les écosystèmes, voire l’alimentation, restent méconnues et justifient une attention soutenue ([12]) ».
En l’absence d’études satisfaisantes, prouvant l’innocuité des plantes obtenues via des NTG pour notre santé et notre environnement, il est préférable, comme pour les OGM, de ne pas permettre leur culture, en application du principe de précaution.
Ce principe est particulièrement bafoué par le manque de précision du projet de règlement. Dans son avis publié le 29 novembre 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et son groupe de travail « biotechnologie » a révélé de nombreuses lacunes du document, en particulier son manque de clarté et l’absence de scientificité de certaines affirmations. L’agence note par exemple :
– » Le document technique indique que des catégories de plantes qui seraient équivalentes en type, taille et nombre de variations ou modifications génétiques seraient équivalentes en type de caractères et niveau de risques. Ce postulat n’a pas de justification scientifique » ;
– » Le GT propose que ces critères d’équivalence, basés uniquement sur les aspects moléculaires, qui de plus sont insuffisamment justifiés, prennent en compte les caractères des plantes et leurs éventuels risques. » ;
– » Si l’objectif recherché par un tel seuil est clair, le GT considère que le nombre de 20 choisi comme seuil maximal de modifications génétiques acceptées pour qu’une plante NTG soit considérée équivalente à une plante conventionnelle n’est pas justifié. »
L’application des principes de précaution et d’action préventive nécessite de justifier les choix réglementaires opérés : c’est précisément l’élément qui fait défaut ici.
Plutôt que de chercher à autoriser les plantes obtenues via des NTG, une meilleure application des principes de précaution et d’action préventive devrait plutôt nous conduire à encadrer davantage la culture et la vente d’OGM, encore possible en Europe. Actuellement, le maïs transgénique MON810 peut être cultivé au sein de l’Union, même si chaque pays peut s’y opposer concernant son propre territoire, de sorte que seuls le Portugal et l’Espagne le cultivent : c’est le mécanisme de la clause de sauvegarde ([13]). L’importation de produits transgéniques est autorisée pour l’alimentation animale, et représente 70 % des importations de ce secteur en Europe.
Tout comme les OGM, les plantes obtenues via des NTG sont largement rejetées par nos concitoyens.
Les Français restent très opposés aux OGM, ainsi qu’aux plantes obtenues via des NTG. En effet, en 2012, selon un sondage IFOP, 79 % des personnes interrogées estimaient que les OGM étaient inquiétants ; 38 % se déclaraient même « très inquiètes » ([14]).
Si le sujet des OGM a été assez peu remis sur le devant de la scène au cours de cette dernière décennie, l’opposition demeure vive : selon un sondage réalisé par Kantar Publique ([15]), une majorité écrasante (92 %) des Français souhaite que la présence de « nouveaux OGM » soit indiquée sur les emballages de produits alimentaires. 77 % souhaitent par ailleurs que ces derniers fassent l’objet d’une réglementation stricte au niveau européen, c’est‑à‑dire la même que celle appliquée aux OGM – ce qui est l’objet de ce projet de résolution.
De fait, une pétition lancée par Pollinis contre l’autorisation des plantes obtenues via des NTG a déjà recueilli plus de 500 000 signatures ([16]).
Malgré cette inquiétude de nos concitoyens, il n’y a pas de garantie de traçabilité et d’étiquetage concernant les plantes obtenues via des NTG.
Si le projet de règlement mentionne cette traçabilité, il n’y est question que de traçabilité vis‑à‑vis des agriculteurs, et non des consommateurs ; en outre, les modalités pour l’assurer ne sont pas précisées. Car cette traçabilité paraît extrêmement difficile, voire contradictoire avec la nature même des plantes obtenues via des NTG. Comme le rappelle le Comité consultatif national d’éthique : « Au plan réglementaire, se pose notamment la question de l’identification, par principe non décelable, de telle ou telle modification génomique induite par CRISPR‑Cas9 : dès lors, comment garantir la traçabilité, par exemple, d’un végétal modifié, en l’absence d’une obligation de traçabilité documentée ? ([17]) ». Si le principe est d’apposer des modifications génétiques qui auraient pu aléatoirement intervenir, comment détecter cette modification, qui d’ailleurs peut elle‑même évoluer ?
L’avis de l’OPECST à ce sujet était plus ambiguë « Plusieurs invités de l’audition estiment que les variétés obtenues par NBT ne peuvent a priori être distinguées des variétés obtenues par sélection classique, sur la base de leur génome. […] Une approche matricielle ou multiparamétrique, qui ne se concentre pas que sur le gène d’intérêt, pourrait permettre de remonter à l’origine de la variété – cela fait encore l’objet de travaux de recherche. ([18]) ».
Cette ambiguïté n’est pas acceptable : notre droit européen exige une bonne information de nos concitoyens, en particulier au travers de l’article 169 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne. Dans la même veine, « Le CESE recommande une traçabilité et un étiquetage systématiques afin de garantir la transparence, condition d’une information complète et loyale, de la liberté de choix et de la confiance des parties prenantes. […] Cette obligation doit conditionner l’autorisation de commercialisation ([19]) ». Si cette traçabilité et l’étiquetage associé ne peuvent être assurés, il ne saurait y avoir de production et de commercialisation des plantes obtenues via des NTG ; faute de quoi nos concitoyens ne pourraient pas même choisir de ne pas consommer ces produits.
Enfin, si des plantes obtenues via des NTG ne peuvent pas faire l’objet de suivi, il sera impossible de savoir à quel point elles remplacent des espèces ou des variétés dans l’environnement ; il sera impossible également d’employer des moyens de lutte contre leur propagation, comme ils existent contre les espèces exotiques envahissantes.
L’adoption en l’état du règlement sur les plantes obtenues via des NTG permettrait une appropriation du vivant par les géants de la semence.
Le vivant doit rester un commun, au service de toutes et tous, écosystèmes compris : il devrait être impossible de s’accaparer une variété entière d’une espèce, végétale, animale, ou autre – encore moins pour des acteurs privés. À cela s’ajoute que l’accaparement d’espèces et de semences conduit à une aliénation des paysans, qui n’ont plus la maîtrise de leurs moyens de production, et deviennent dépendants des semences que « possèdent » les grands groupes qui les leur vendent. Ces mêmes groupes qui, sous prétexte d’invention, s’approprient des espèces ou variétés des pays moins avancés : c’est le phénomène de biopiraterie.
Concernant les NTG, puisque les semences sont modifiées, les entreprises ayant procédé à cette modification pourront se prévaloir d’une propriété intellectuelle sur ces organismes. À cela s’ajoute que toute biotechnologie présente des risques d’hybridation. Même les paysans qui ne font pas le choix de se tourner vers les plantes obtenues via des NTG pourraient voir leurs cultures corrompues par ce biais. Cultivant des plantes obtenues via des NTG sans le vouloir, ils seraient alors, ou bien hors‑la‑loi en produisant des aliments qu’ils n’ont pas choisi de faire pousser, ou bien obligés de verser des royalties aux multinationales pour s’acquitter du droit de cultiver ce qui était auparavant leurs propres semences. Cela concerne en particulier des paysans en agriculture biologique, qui ne pourraient garantir l’absence d’OGM dans leurs champs et leurs récoltes, ne pouvant ainsi respecter le cahier des charges de l’agriculture biologique qui proscrit les OGM.
Au‑delà même des paysans, la plupart des entreprises semencières sont menacées, car l’autorisation des plantes obtenues via des NTG risque de favoriser les plus grandes firmes. C’est ce qu’indique le CESE dans ses recommandations : « Le modèle économique de propriété intellectuelle sur l’utilisation des NTG au service des objectifs des politiques publiques doit être évalué dans un cadre européen qui refuse la brevetabilité du vivant. Sinon, nos PME n’auront pas accès à la technologie et nous encourrons un risque de verrouillage des ressources génétiques. » Le risque est donc tout à la fois celui de l’oligopole sur les semences que celui de la déprise des paysans sur leur moyen de production le plus essentiel.
Le règlement sur le matériel de reproduction végétal, présenté de façon concomitante, va nuire à l’autonomie des paysans et paysannes.
Le même jour que le texte relatif aux NTG, la commission a présenté un second texte, sur les MRV (matériel de reproduction végétale), c’est‑à‑dire des semences, tubercules, stolons, greffons, mais aussi des cultures cellulaires et autres matériels de micropropagation.
L’objectif de ce texte est de « garantir, pour tous les types d’utilisateurs, un matériel de reproduction des végétaux de haute qualité et une grande diversité de choix, adaptée aux conditions climatiques actuelles et futures prévues, qui contribueront à leur tour à la sécurité alimentaire, à la protection de la biodiversité ». L’idée serait de simplifier le droit européen en la matière car il relève aujourd’hui de plusieurs textes distincts.
Il s’agit en réalité de modifier les conditions d’inscription au « Catalogue » rebaptisé « Registre des variétés », sans remettre son existence en question. En plus des critères « distinction, homogénéité et stabilité (DHS) » est ajouté le critère de « durabilité », c’est‑à‑dire que ces semences participent à une production agroalimentaire « plus durable ». Les nouvelles variétés devront présenter des améliorations sur le rendement, la tolérance au stress biotique ou abiotique, la réduction des besoins en intrants externes, l’utilisation plus efficace des ressources naturelles, le stockage ou la transformation et les caractéristiques qualitatives et nutritionnelles.
Le texte propose aussi de réguler les conditions de cultures de certaines variétés inscrites qui peuvent avoir des « effets agronomiques indésirables », comme les Variétés Rendues Tolérantes aux Herbicides (VRTH). La Commission pourrait prendre en ce sens des actes délégués ou actes d’exécution qui échappent au contrôle du Parlement européen. Il est aussi prévu de légiférer par règlement (d’application obligatoire) ne permettant pas d’interprétations nationales, contrairement aux directives précédemment d’usage sur ce sujet.
Cette simplification n’a d’autre but que d’harmoniser le marché européen pour les géants du secteur.
Les acteurs des semences paysannes ne sont pas en phase avec ce texte qui restreint toujours leurs possibilités d’échanges entre eux et alourdit nettement la charge administrative et bureaucratique déjà importante pour celles et ceux qui voudraient produire et vendre des MRV. Ce faisant, les petits « opérateurs » des MRV seront pénalisés, surtout dans les pays qui avaient établi des dérogations nationales pour les réseaux de conservation et pour les échanges de semences entre agriculteurs.
Ainsi, d’un côté les plantes obtenues via des NTG vont ouvrir la voie à davantage d’accaparement du vivant, et de l’autre ce règlement menace l’autonomie semencière des paysans et paysannes en répondant à la seule demande des multinationales.
Tout comme les OGM, les plantes obtenues via des NTG ne tiendront pas leurs promesses, et constituent une maladaptation au changement climatique.
L’une des promesses faites autour des plantes obtenues via des NTG, comme autour des OGM avant elles, est de permettre de nous adapter au changement climatique et de lutter contre la faim dans le monde.
Concernant d’abord la promesse environnementale : ces modifications ont pour but affiché notamment de réduire les besoins en eau des plantes, dans un contexte où notre pays connaît une baisse de 14 % de l’eau disponible. Malgré cet objectif, il est possible de parler, les concernant, de « maladaptation », c’est‑à‑dire de transformations opérées pour s’adapter au changement climatique et qui conduit (de manière non intentionnelle) à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire.
Les OGM, là où ils ont été cultivés, n’ont pas tenu cette promesse. Car la plupart du temps, il s’agit de créer des Variétés Rendues Tolérantes aux Herbicides (VRTH), ou de plantes produisant leur propre insecticide (comme le MON810). Plutôt que de mettre en place un système agricole basé sur des mécanismes respectueux du vivant, comme c’est le cas de l’agriculture biologique et paysanne, les multinationales « bricolent » le vivant pour l’adapter à des besoins supposés. Le système agro‑industriel à base de produits pesticides et d’intrants n’est pas remis en cause, alors qu’il entraîne l’effondrement de la biodiversité et la mort des sols. Une agriculture du court terme, une agriculture mortifère pour la nature, les consommateurs et les agriculteurs. De ce point de vue, cette proposition de résolution européenne s’inscrit dans la continuité de la proposition de résolution contre la ré‑autorisation du glyphosate ([20]).
À ce stade, rien n’indique que les plantes obtenues via NTG seraient durables, résistant à des stress hydriques ou à des hausses de température. Ces caractéristiques ne reposent pas sur un gène mais sur une combinaison et une interaction entre de nombreux gènes. Au‑delà de la plante elle‑même, la résistance à la sécheresse ou tout autre trait lié à la durabilité dépend surtout de facteurs environnementaux externes, en particulier la qualité du sol, les conditions climatiques, la biodiversité locale et les pratiques agricoles, facteurs sur lesquels les manipulations génétiques n’auront aucune prise.
Mais étant présentées comme une solution face à la raréfaction de la ressource en eau, les plantes obtenues via des NTG risquent de ne pas permettre de mettre en œuvre la transition agro‑écologique pourtant nécessaire. Cette crainte est bien perçue par le CESE :
« L’utilisation des plantes issues des NTG ne doit pas obérer la nécessaire réflexion sur les modèles agricoles qui répondront aux attentes des consommateurs de demain, qui accompagneront la transition agro‑écologique et permettront de relever les défis climatiques et géopolitiques qui nous attendent ».
Puisqu’une « solution » est mise en œuvre, de nombreux acteurs pourront s’en prévaloir pour ne pas activer des leviers que l’on sait sûrs et efficaces pour réussir la transition agricole. Ces solutions sont celles fondées sur la nature : garder nos sols vivants, désartificialiser les sols pour permettre à l’eau de s’infiltrer dans les nappes et de s’y conserver, reméandrer les cours d’eau et planter des haies dans le même but, préserver la biodiversité pour se préserver des ravageurs. Comme l’explique M. Pierre Gilbert, dans son ouvrage Géomimétisme, réguler le changement climatique grâce à la nature, les solutions fondées sur la nature ont cet avantage de ne jamais être mauvaises : leurs conséquences sont connues, et efficaces. Parier sur la nature, c’est faire preuve de prudence. Mettre en œuvre d’autres solutions, au détriment de celles fondées sur la nature, c’est prendre le risque de mal s’adapter aux changements globaux (climat, biodiversité, etc.).
La diversité génétique des espèces cultivées est un gage de résilience des systèmes alimentaires ; or, les plantes obtenues via des NTG conduiront à une standardisation des semences et des cultures, ce qui ne permet pas de s’adapter à des conditions écologiques et climatiques changeantes. De ce point de vue, la sélection traditionnelle est bien plus efficace que cette sélection technologique. La sélection traditionnelle, faite par les humains, est plus longue, mais pense la plante entière sans la réduire à un ou plusieurs gènes spécifiques. À l’inverse, les OGM ont encore renforcé la monoculture de quelques espèces, et tout porte à croire que les NTG leur emboîteront le pas.
Interrogé à ce sujet par l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), M. Denis Couvet ([21]), expliquait ainsi que « Les plantes génétiquement modifiées sont un succès commercial considérable. Elles couvrent actuellement 200 millions d’hectares. Il est donc possible de dresser un bilan, même si, j’en conviens, le passé ne préjuge pas de ce qu’il adviendra. 90 % de ces plantes, en termes de surface cultivée, relèvent de quatre espèces : le maïs, le soja, le coton et le colza. 90 % de ces plantes correspondent à deux caractères : tolérance au glyphosate et production de BT. La diversité n’est donc pas fameuse ([22]) »
Enfin, l’une des grandes promesses des OGM était de contribuer à mettre un terme à la faim dans le monde. Ces plantes allaient avoir une valeur nutritionnelle supérieure, les rendements être bien supérieurs. Malheureusement, cette promesse n’a pas été tenue. De fait, aujourd’hui, 10 % de la surface cultivée du globe l’est avec des OGM – et la faim dans le monde ne régresse plus : en 2022, 9,2 % de la population mondiale (735 millions de personnes) a souffert de faim chronique, contre 7,9 % en 2019 ([23]). Tout ceci était malheureusement attendu, dans la mesure où la faim dans le monde n’est pas causée par un manque structurel de production alimentaire, mais par des difficultés d’accessibilité à cette nourriture, ou par l’instrumentalisation politique ou militaire de la faim. Et même si l’enjeu était quantitatif, travailler pour réduire les 10 millions de tonnes de gaspillage alimentaire serait bien plus efficace que de produire des OGM.
Les plantes obtenues via des NTG constituent le cheval de Troie d’une transformation débridée du vivant.
L’ensemble de ces arguments sont valables pour les plantes obtenues via des NTG concernées par le règlement en cours de discussion à l’échelle européenne (les NTG1). À cela, il faut ajouter le risque que, si ces premières plantes obtenues via des NTG venaient à être autorisés, d’autres techniques pourraient l’être.
Car il existe d’autres technologies que les multinationales de la semence pourraient vouloir breveter et utiliser pour en commercialiser les produits. Il y a d’abord, les autres plantes obtenues via des NTG (NTG 2) et les Plantes génétiquement modifiées (PGM), pour l’instant elles aussi encadrées par la directive de 2001. Aux plantes génétiquement modifiées doivent être ajoutées les techniques relatives aux animaux. Leur développement inquiète le Comité consultatif national d’éthique :
« Dans le monde animal, plusieurs applications sont en cours de développement dans la perspective de transmettre, par exemple, des gènes délétères à des espèces dites nuisibles afin de les éradiquer ou, au contraire, d’introduire des gènes de résistance dans des populations d’espèces menacées par des infections bactériennes, fongiques ou virales ; leurs conséquences à long terme sur l’écosystème restent néanmoins totalement inconnues. Dans le domaine de l’élevage, d’autres situations expérimentales visant à amplifier les démarches classiques de modification génétique du bétail, sont appliquées de longue date dans un but de rentabilité commerciale, mais négligent la question du bien‑être animal. ([24]) »
Les NTG1 constituent un cheval de Troie. Si elles venaient à être autorisées, il serait par la suite plus facile d’autoriser ces autres techniques. Les NTG1 constituent donc une porte d’entrée de l’ensemble des NTG, et des autres OGM. Par précaution, il ne faut donc pas ouvrir cette brèche que constitue l’autorisation des NTG1.
Aucun pays de l’Union ne pourrait interdire la culture de plantes produites via les NTG.
Une seule variété d’OGM a été autorisée, pour la culture et la vente, au sein de l’Union européenne. En application de l’article 191 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, de très nombreux pays (tous sauf l’Espagne et le Portugal) ont eu recours à la cause de sauvegarde : « Les mesures d’harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l’environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l’Union. »
Or, le règlement proposé par la commission ne prévoit aucune possibilité de recourir à cette clause pour permettre aux États Membres de ne pas autoriser la culture de plantes issues des NTG. Plusieurs pays se sont pourtant opposés au nouveau règlement relatif aux NTG (la Croatie, la Hongrie), d’autres se sont abstenus (Autriche, Bulgarie, Allemagne, Slovaquie, Slovénie, Pologne, Roumanie). Considérant l’ensemble des éléments avancés, il ne doit pas être possible d’imposer aux pays qui ne souhaitent pas cultiver ces NTG de le faire.
proposition de résolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Charte de l’environnement de 2004, composante du bloc de constitutionnalité depuis la révision constitutionnelle de 2005, en particulier ses articles 3 et 5,
Vu l’article 11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu les articles 169, 191, 192 et 193 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement,
Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 juillet 2018, « Confédération paysanne e.a. contre Premier ministre et ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt »,
Vu l’avis du 29 novembre 2023 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à l’analyse scientifique de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européenne du 5 juillet 2023, relative aux nouvelles techniques génomiques (NTG) – Examen des critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1, et en particulier l’avis du Groupe de travail « Biotechnologie »,
Considérant la proposition de règlement du parlement européen et du conseil concernant la production et la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux dans l’Union, modifiant les règlements (UE) 2016/2031, 2017/625 et 2018/848 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 66/401/CEE, 66/402/CEE, 68/193/CEE, 2002/53/CE, 2002/54/CE, 2002/55/CE, 2002/56/CE, 2002/57/CE, 2008/72/CE et 2008/90/CE du Conseil (règlement sur les matériels de reproduction des végétaux) ;
Considérant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 ;
Considérant que les principes de précaution et d’action préventive justifient une application analogue de la directive 2001/18/CE aux organismes génétiquement modifiés et aux plantes obtenues via des nouvelles techniques génomiques ;
Considérant que les plantes obtenues via des nouvelles techniques génomiques ne constituent pas une solution, ni pour faire face au changement climatique, ni pour faire face à la persistance voire à la recrudescence de la faim dans le monde ;
Considérant le lien entre culture de plantes obtenues via des nouvelles techniques génomiques, augmentation de l’utilisation de produits phyto‑sanitaires et réduction de la biodiversité ;
Considérant l’absence de garantie de traçabilité des plantes obtenues via des nouvelles techniques génomiques, et ce faisant l’absence d’étiquetage pour informer le consommateur ;
Considérant les risques d’hybridation, et ce faisant d’accaparement des semences paysannes et traditionnelles par des multinationales dépositaires de nouveaux brevets ;
Considérant que de nombreux organismes génétiquement modifiés sont encore cultivés et importés au sein de l’Union européenne ;
Salue la décision du Gouvernement français de recourir à la clause de sauvegarde pour interdire la culture du maïs transgénique MON810 en février 2008 ;
Demande au Gouvernement de se mobiliser diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin que les plantes produites via les nouvelles techniques génomiques demeurent au moins aussi encadrées que le sont aujourd’hui les organismes génétiquement modifiés ;
Demande au Gouvernement de se mobiliser diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin de prévenir une surcharge administrative pesant sur les paysans et paysannes cultivant du matériel hétérogène biologique, et afin de ne pas entraver l’échange de semences entre paysans et paysannes ;
Demande au Gouvernement de se mobiliser diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin de bannir les organismes génétiquement modifiés ainsi que les variétés rendues tolérantes aux herbicides du territoire européen, s’agissant des productions comme des importations.
([1]) Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
([2]) Idem, article 2, définition 2.
([3]) Voir arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 25 juillet 2018, « Confédération paysanne e.a. contre Premier ministre et Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt ».
([4]) Commission européenne, Etude ICF, « Data gathering and analysis to support a Commission study on the Union’s options to update the existing legislation on the production and marketing of plant reproductive material », p.20, 2021.
([5]) « Un [OGM est un] organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle », voir infra, note n°2.
([6]) Voir par exemple la décision de la CJUE de 2018, ou encore le Comité consultatif nationale d’éthique qui considère « essentiel de considérer comme OGM les plantes, champignons et animaux dont le génome a été ainsi transformé ».
([7]) Traité de fonctionnement de l’Union Européenne, article 191, alinéa 2.
([8]) Charte de l’Environnement, article 3 et 5.
([9]) Commission européenne, Etude ICF, « Data gathering and analysis to support a Commission study on the Union’s options to update the existing legislation on the production and marketing of plant reproductive material », p.20, 2021.
([10]) Rapport du CESE, « Les attentes et les enjeux sociétaux liés aux nouvelles techniques génomiques » page 18.
([11]) Comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer (mars 2018). « Avis sur les nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes ».
([12]) Avis 133 du Comité Consultatif National d’Ethique « Enjeux éthiques des modifications ciblées du génome : entre espoir et vigilance », septembre 2019.
([13]) Voir article 191, Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne.
([14]) https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/1989-1-study_file.pdf
([15])https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiDpv_BgY2DAxWVVKQEHUPzAwMQFnoECBAQAQ&url=https%3A%2F%2Fkantarpublic.com%2Fdownload%2Finspiration%2F114%2F2022-07-06-les-francais-et-les-nouveaux-ogms.pdf&usg=AOvVaw3PLOTO5VPqlXQcwjY_DsWy&opi=89978449
([16]) Pétition contre l’autorisation des nouveaux OGM, https://mobilisation.pollinis.org/nouveaux-ogm-caches/
([17]) Voir infra.
([18]) Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les nouvelles techniques de sélection végétale en 2021 : avantages, limites, acceptabilité.
([19]) Rapport du CESE, « Les attentes et les enjeux sociétaux liés aux nouvelles techniques génomiques ».
([20]) Proposition de résolution européenne n°1671, relative au non-renouvellement de l’autorisation du glyphosate au sein de l’Union européenne.
([21]) Denis Couvet est professeur au Muséum national d'histoire naturelle, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, membre de l'Académie d'agriculture et du Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies HCB.
([22]) Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les nouvelles techniques de sélection végétale en 2021 : avantages, limites, acceptabilité.
([23]) Voir le rapport des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale, publié le 12 juillet 2023.
([24]) Voir infra