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N° 2607

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à agir pour garantir l’accès à la procréation médicalement assistée ,

 

présentée par

Mme Clémence GUETTÉ, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Karim BEN CHEIKH, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Raquel GARRIDO, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Karine LEBON, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Eva SAS, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’assistance médicale à la procréation permet aux couples hétérosexuels, aux couples de femmes et aux femmes non mariées d’avoir un enfant. Initialement réservée aux couples hétérosexuels, la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique en a élargi les possibilités d’accès, dissociant maternité et conjugalité. En germe dans la loi actuelle, s’opère une révolution de la filiation, proclamée comme fait social et non biologique. À ce jour, cette loi bioéthique n’est qu’une promesse : celle de l’égalité d’accès pour tous et toutes aux droits sexuels et reproductifs. Permettre aux femmes d’avoir un enfant, si elles le veulent, et quand elles veulent, est un objectif d’égalité et d’émancipation majeur. Force est de constater qu’en l’état, l’égalité, comme principe républicain, n’est pas garantie.

Cette possibilité est portée à bout de bras par des professionnels de santé en nombre restreint. Ainsi, il n’existe sur le territoire national que 31 centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos), seuls endroits où le recueil et la conservation des gamètes sont possibles, notamment afin de permettre la procréation médicalement assistée (PMA).

La loi bioéthique a bouleversé leurs missions de deux manières.

D’abord par la levée de l’anonymat des donneurs. Si des craintes ont pu apparaître quant à d’éventuelles conséquences négatives de cette mesure sur le nombre de donneurs, elles se sont avérées injustifiées. Des campagnes régulières de l’Agence de biomédecine permettent de recruter de nouveaux donneurs. Le nombre de donneurs de sperme a ainsi augmenté en 2022, puis est resté stable lors de l’année 2023. Cependant, des barrières légales et réglementaires à l’action des Cecos les empêchent d’organiser le recueil des dons de manière optimale. Ainsi, ils ne peuvent mener que des opérations de sensibilisation envers le grand public, quand d’autres organismes aux missions similaires, comme l’établissement français du sang (EFS), peuvent contacter les donneurs par SMS, par téléphone ou par des campagnes de diffusion par courriel pour les inviter à se rendre dans les centres de don.

Ensuite, l’ouverture de la PMA à de nouveaux publics a entraîné un afflux de demandes. De ce fait, les délais d’attente déjà conséquents ont été augmentés. Ainsi, le dernier communiqué de l’agence de biomédecine du 14 décembre 2023 note que « le délai moyen de prise en charge pour une AMP avec don de spermatozoïdes à l’échelle nationale (depuis la prise du rendez‑vous jusqu’à la première tentative) s’allonge à 15,8 mois sur le premier semestre 2023, contre 14,4 mois au deuxième semestre 2022 ». Pour ce qui est des tentatives d’aide médico-psychologique (AMP) avec un don d’ovocytes, « le délai d’attente moyen sur le territoire depuis la prise de rendez‑vous jusqu’à la première attribution de gamètes est de 23,8 mois au premier semestre 2023, contre 23 mois en moyenne sur le deuxième semestre 2022 ».

Ces délais ont des conséquences négatives, notamment la poursuite de pratiques qui avaient cours avant l’ouverture légale de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Ainsi, de nombreuses femmes continuent à recourir au don de sperme hors des circuits légaux via des groupes Facebook, ou à accomplir des parcours de PMA payants à l’étranger. Après l’annonce politique majeure de la loi bioéthique, les moyens de la mise en œuvre de la PMA pour toutes n’ont pas été mis sur la table.

Si ces pratiques sont généralisées, elles concernent particulièrement des femmes racisées, en raison de l’appariement pratiqué dans les Cecos. Ce dispositif n’est pas encadré par la loi mais par un arrêté du 30 juin 2017 : « un appariement entre le couple receveur et le donneur ou la donneuse de gamètes prenant en compte les caractéristiques physiques et les groupes sanguins du couple receveur est proposé, dans la mesure du possible et si le couple le souhaite ». Dans les faits, l’appariement est la norme, et les receveurs n’en sont pas forcément informés et ne peuvent parfois pas s’y opposer.

Certaines dispositions pourraient permettre de faire face à ces difficultés, comme l’encadrement légal de l’appariement, l’élargissement des capacités d’action des Cecos ou l’ouverture de la possibilité de mener des campagnes de recrutement de donneurs au‑delà de l’agence de biomédecine.

Reste l’enjeu du manque de moyens du secteur de l’assistance médicale à la procréation.

Lors de la mise en œuvre de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, le gouvernement a débloqué 1 million d’euros supplémentaire pour les Cecos, puis 8 millions d’euros lorsqu’il est apparu que ce montant était largement insuffisant. « À nous de nous assurer que ce droit se concrétise vite pour tous les futurs parents. Aux établissements habilités à pratiquer la PMA, j’ai annoncé ce jour que 8 millions d’euros supplémentaires leur seront alloués. Une condition : réduire les délais d’attente à moins de 6 mois », a ainsi affirmé M. Olivier Véran, alors ministre de la santé.

Deux ans et demi plus tard, comme en atteste le dernier communiqué de l’agence de biomédecine, ces moyens apparaissent tout à fait insuffisants au regard des délais actuels. Ces chiffres sont corroborés par de nombreux témoignages.

Trois mois après la promulgation de la loi, on pouvait ainsi lire dans le Dauphiné libéré : « “Le gouvernement a été focus sur le slogan de la PMA pour toutes, sans être en capacité d’entendre la réalité du terrain", regrette Virginie Rio du collectif BAMP, une association qui informe sur les sujets relatifs à l’infertilité et accompagne des patients dans leur parcours de PMA. "Les centres fonctionnent pour accueillir des couples hétérosexuels. Avec l’ouverture de la PMA pour toutes, il y a eu une hausse des besoins sans moyens supplémentaires. Il y a un manque d’anticipation du gouvernement", déplore également Anne‑Sophie Duperray, co‑fondatrice de l’association Mam’enSolo, qui fait entendre la voix des femmes célibataires souhaitant s’engager dans un parcours de PMA. »

Un an plus tard, en novembre 2022, Ouest France confirmait que le problème n’était pas réglé. « L’afflux important de demandes depuis l’ouverture de la PMA pour toutes n’est pas en adéquation avec les ressources humaines et matérielles des centres », y témoignait Mme Claire De Vienne, médecin référente en assistance médicale à la procréation à l’agence de la biomédecine.

Ainsi, les différents personnels impliqués (secrétaires, médecins biologistes ou cliniciens, psychologues, sages‑femmes, infirmiers) se retrouvent dans l’incapacité de proposer des délais de rendez‑vous raisonnables, entravant la possibilité de concevoir un enfant pour les femmes qui le désirent.

La volonté de très nombreuses femmes de recourir à la PMA montre que ce droit était largement plébiscité et attendu. N’oublions pas qu’il a été durement acquis après une longue navette parlementaire, contre l’avis de membres actuels du gouvernement et malgré les mobilisations de l’extrême droite.

Il convient par ailleurs de rappeler que l’ouverture pleine et entière de la PMA à toutes les personnes en capacité de procréer nécessiterait des ajustements à la loi bioéthique du 2 août 2021, comme la possibilité pour un couple de femmes d’utiliser son propre matériel génétique, c’est‑à‑dire pour une femme d’utiliser les ovocytes de sa compagne ou conjointe, ou la possibilité pour les personnes transgenres, lorsque cela est possible, de procréer à l’aide de leurs propres gamètes, ce qui entraînerait un nouvel afflux de publics supplémentaires dans les Cecos. L’effectivité du droit de conservation des gamètes pour les personnes transgenres, prévu par la loi, doit également être garantie dans tous les Cecos, ce qui n’est pas le cas à cette heure. Enfin, une meilleure formation des professionnels de santé est aussi nécessaire et doit inclure une déconstruction des représentations stéréotypées de la parentalité, dont sont toujours victimes les femmes seules et les couples de femmes.

La présente proposition de résolution a ainsi pour objectif de rappeler l’importance de garantir l’accès à la PMA pour toutes et d’inviter le gouvernement à agir en ce sens.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la loi n° 2021‑1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique,

Vu le plan ministériel pour la procréation, l’embryologie et la génétique humaines 2022‑2026,

Considérant l’allongement du délai moyen de prise en charge pour une assistance médicale à la procréation ;

Considérant l’engagement du ministre de la santé à porter le délai d’attente à six mois pour tous les publics pris en septembre 2021 ;

Considérant l’importance d’en finir avec les déserts médicaux et de garantir l’égalité des populations ;

1. Réaffirme l’objectif de réduire les délais d’attente pour l’assistance médicale à la procréation à moins de six mois ;

2. Invite le Gouvernement à accroître considérablement les moyens matériels et humains dédiés à l’assistance médicale à la procréation ;

3. Invite le Gouvernement à planifier la formation des personnels et l’ouverture de centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme en nombre suffisant sur tout le territoire national en fonction des besoins ;

4. Invite le Gouvernement à harmoniser les pratiques d’aide médico‑psychologique à l’échelle nationale afin d’assurer l’égalité des populations et une meilleure transparence ;

5. Invite le Gouvernement à donner aux centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme les moyens d’action nécessaires à l’amélioration des parcours de don.