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N° 2656

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à abandonner la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. PierreHenri DUMONT,

député.

 

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France peut se targuer de disposer d’un cadre législatif vieux de plus d’un siècle ayant permis l’éclosion d’une vie associative riche, diverse et respectueuse de l’ordre public.

Suite à l’adoption d’une résolution du Parlement européen, le 17 février 2022, la Commission européenne a décidé de porter une proposition législative visant à « aider les associations et autres organisations à but non lucratif dans l’Union en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur, la protection de leurs droits fondamentaux et la promotion d’un espace démocratique de l’Union. »

Cette proposition législative prend la forme d’une directive aux ambitions manifestement grandes mais aux objectifs plutôt obscurs.

Déjà en 1992, la Commission avait présenté un texte visant à créer une forme juridique européenne d’association, à savoir l’association européenne. Le succès de la proposition fut tel qu’elle la retira, certes tardivement, en 2005.

C’est donc sous un jour nouveau que la Commission a décidé d’agir en matière d’associations en promouvant cette fois‑ci un modèle d’associations transfrontalières européennes.

La Commission prend prétexte de l’inexistence de dispositifs permettant de réaliser des associations transnationales. Ce n’est pas exact puisqu’il existe depuis plusieurs dizaines d’années la coopération territoriale européenne (Interreg) ou encore les groupements européens de coopération territoriale (GECT).

À l’appui de son raisonnement, la proposition législative souligne que 185 000 associations pourraient voir le jour grâce à la nouvelle forme juridique ainsi créée.

Il n’a pas été possible de connaître les bases du raisonnement de la Commission puisque l’étude d’impact présentée se réduit à six pages et a réuni soixante participants.

La proposition directive s’organise autour de trois axes : la création d’une forme juridique nouvelle d’association à but non lucratif appelée association transfrontalière européenne (ATE), la création de règles d’enregistrement dans chaque État membre pour ce nouveau type d’association, et, enfin, la simplification des modalités de transfert de siège social entre États membres.

La pertinence du texte proposé est telle que nul n’en revendique la paternité, jusqu’au commissaire européen l’ayant pourtant présentée.

Il est certain que la proposition comporte imprécisions, ambiguïtés et zones d’ombre sur lesquelles le législateur européen semble avoir manqué de vigilance.

Les objectifs ne sont pas clairs : s’agit‑il d’encourager le développement du monde associatif ou celui l’économie sociale et solidaire ? l’objectif est‑il de remédier à la méconnaissance de principes fondamentaux (liberté associative) de tout État de droit ou bien d’un État en particulier (la Hongrie) ?

La base légale du texte suscite elle aussi de sérieux questionnements. Les articles 50 et 114 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) traitent du marché unique alors même que l’objet concerné se trouve être les associations à but non lucratif.

Appuyer le projet de directive sur le marché intérieur est loin d’être neutre. Eu égard à la compétence exclusive de l’Union en matière de marché intérieur, une telle base juridique porte le risque de déposséder chaque État membre de compétences sur un sujet aussi essentiel que la sauvegarde de l’ordre public.

Une autre interrogation concerne la forme juridique ainsi créée par le texte. S’agit‑il de mettre en place un nouveau statut qui s’intégrera alors dans l’ordre juridique de chacun des États membres ou bien de rapprocher un statut existant pour le faire coïncider avec la proposition de directive ? Le texte dit l’un et l’autre.

Ce qui constitue néanmoins la source de notre plus grande inquiétude est la mise en cause du modèle associatif français et les dangers à l’ordre public et à la sécurité nationale.

Par sa formulation ambiguë en matière d’harmonisation, le texte présenté pourrait renverser l’écosystème associatif français reposant sur la loi de 1901 et que la loi de 2021 a confortée.

Le modèle français repose sur un subtil équilibre entre une inspiration libérale et républicaine et la nécessaire garantie de l’ordre public. Les autorités préfectorales y veillent à travers l’enregistrement, le contrôle d’activité et les modalités fiscales relatives aux associations.

C’est un système vieux de plus d’un siècle et qui, à l’épreuve du temps, a montré sa résistance, ses atouts et sa capacité à préserver vie associative et sécurité publique.

La proposition de la Commission fait feu de tout bois et, sous couvert faciliter l’exercice des associations, elle désarme les autorités qui ne pourront plus vérifier l’activité des associations.

L’État membre dans lequel s’enregistrera l’association sera libre du choix des pièces à demander aux fondateurs de la structure. Une fois ces pièces vérifiées à la création, il ne sera plus possible aux autres États membres de les redemander.

Il n’est pas possible de confier la responsabilité de la sécurité de nos citoyens à d’autres États membres. Chaque État décide en son sein des règles qui garantissent la protection de sa population. La France doit pouvoir disposer du droit de vérifier précisément l’activité des structures qui agissent sur son territoire.

Outre les risques d’ingérences étrangères, il est à craindre qu’un tel texte devienne un véhicule pour blanchir de l’argent, financer le terrorisme et pratiquer l’optimisation fiscale avec l’aval des autorités européennes.

Les conditions de création des associations et les règles régentant leur vie financière sont telles que des dérives seront inévitables. Acquisition douteuse de patrimoine immobilier et mise en concurrence des dispositions fiscales entre pays européens seront possibles.

Et l’ajout par le Parlement européen des syndicats, associations cultuelles et partis politiques à la liste des acteurs autorisés à créer des ATE annonce des dérives.

La France dispose de règles de financement électoral strictes et qui répondent à des dérives passées constatées. Le texte européen vient réduire à néant la transparence et l’exigence de probité.

Il n’est même pas demandé aux créateurs de l’association de disposer de la citoyenneté européenne. Comment pourra‑t‑on empêcher des acteurs étrangers aux intentions néfastes de s’associer et de profiter des failles béantes que ce texte ouvre ?

Alors que le Parlement européen a connu en son sein un scandale inouï avec le Qatargate, il ouvre la voie à de nouveaux scandales à répétition. Comme s’il n’avait pas tiré les leçons de cette humiliante expérience.

La France a resserré les mailles du contrôle en 2021 pour faire face au repli communautariste et à la percée de l’islamisme radical qui a endeuillé notre pays de nombreux attentats.

La proposition de directive vient contrarier cette volonté du législateur français en complexifiant considérablement les modalités de dissolution des associations, quand bien même le motif d’ordre public le justifierait.

Une association dissoute dans un pays sera libre de se reconstituer dans un autre pour poursuivre son activité dans le premier pays. Si les autorités judiciaires françaises se saisissaient de la question, elles seraient contraintes d’interroger la Cour de Justice de l’Union européenne et de laisser opérer l’association contestée en attendant un arrêt de la Cour.

Un débat juridique ne peut pas être un motif pour permettre à des associations pratiquant l’entrisme de prospérer et de semer les graines de la division.

Plus inquiétant encore, le texte européen prétend définir la notion de criminalité grave. Sous prétexte d’encourager la vie associative, l’Union européenne s’immisce dans notre droit pénal et excède très largement son champ de compétences.

Présentée conjointement avec la proposition de directive, une proposition de règlement prévoit la constitution de registres numériques. Ces registres contiendraient l’ensemble des informations relatives aux associations.

L’idée paraît de prime abord judicieuse mais se transforme en usine à gaz dans la forme envisagée. Aucune condition d’interopérabilité ne sera exigée et le coût financier de cette superstructure sera à la charge des États membres.

Voici donc un système numérique qui fonctionnerait en vase clos à l’heure de la globalisation de l’information. Au regard du nombre d’associations, il deviendrait un mastodonte exigeant des systèmes d’information robustes. La tâche est déjà délicate mais la Commission a décidé de la complexifier en exigeant la mise en place des registres dès 2025.

La France dispose de registres associatifs au sein de ses différentes préfectures. C’est un système simple, efficace et décentralisé. Par ailleurs, il s’agit d’un système sûr qui ne peut pas être exploité par des acteurs malveillants. Un système d’information centralisé est la garantie de tentatives de piratages répétés.

Là encore l’Union européenne vient s’immiscer dans un domaine qui ne la concerne pas et pour lequel elle n’apporte aucune plus‑value, bien au contraire.

Refuser par ailleurs la prise en charge du coût de développement de ce système d’information est très contestable. Il s’agit de nouvelles exigences européennes et pour autant elle refuserait d’en assumer le poids financier le reportant sur les États membres.

Il paraît évident que des États de moindre taille ne seront pas en mesure de prendre en charge un coût aussi exorbitant. Dès lors, il est à craindre que les systèmes d’information diffèrent d’un État membre à un autre avec des préoccupations de sécurité et une absence d’interopérabilité.

Que pourra faire l’Union lorsqu’un acteur malveillant ou une puissance étrangère se sera emparé de données insuffisamment protégées et disposera d’un moyen de pression redoutable sur un État européen ?

Ce texte européen est une initiative très mal avisée qu’il convient de remettre sur le métier, voire même d’abandonner purement et simplement.

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant que la France dispose d’une législation ancienne en matière de vie associative assurant le bon fonctionnement d’un écosystème tout en assurant la préservation de l’ordre public et la sécurité nationale ;

Considérant que les règles applicables au milieu associatif français tiennent compte des spécificités de chaque secteur concerné et de la nécessité de s’assurer de la réalité de l’activité des associations et de la probité de ses membres ;

Considérant que les pouvoirs publics doivent disposer de la capacité de dissolution de tout groupement associatif donc les activités présenteraient un danger réel et manifeste ;

Considérant par la proposition de législation considérée l’Union européenne étend son champ de compétence de manière disproportionnée ;

Considérant que la base juridique à l’appui de la proposition est inadaptée puisqu’elle traite du marché intérieur alors que l’objet visé concerne des associations à but non lucratif ;

Considérant que la proposition de directive ne présente pas les garanties juridiques suffisantes pour éviter une utilisation malveillante de la nouvelle forme juridique des associations transfrontalières européennes ;

Considérant que les dispositions fiscales et patrimoniales contenues dans le texte sont de nature à créer des effets d’aubaine et à empêcher la transparence en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ;

Considérant que la création de registres des associations contenue dans la proposition de règlement est de nature à représenter un coût administratif et financier conséquents et comporte des risques de manipulations des fichiers par des acteurs étrangers ;

Invite le gouvernement à s’opposer à l’adoption de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les associations transfrontalières européennes et à promouvoir une initiative de reconnaissance mutuelle entre États membres volontaires dans ce domaine.