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N° 2715

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

sur l’action de l’Union européenne et de la France face à la dérive liberticide et belliciste de la Fédération de Russie,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mmes Natalia POUZYREFF, Anne GENETET, Constance LE GRIP,

députées.

 

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

A l’issue d’une élection présidentielle dont le résultat était attendu, Vladimir Poutine se maintient au pouvoir en Russie pour un mandat de six ans. Il a officiellement obtenu 87,28 % des suffrages d’après la Commission électorale. C’est le cinquième mandat présidentiel de Vladimir Poutine depuis l’an 2000, avec pour seule parenthèse quatre ans entre 2008 et 2012, durant lesquels il a exercé de facto le pouvoir en qualité de premier ministre.

De fait, ce troisième mandat consécutif depuis 2012 a été rendu possible par la révision de la constitution russe adoptée en juillet 2020, permettant à Vladimir Poutine de rester Président jusqu’en 2036. Les modifications constitutionnelles concernées ont été adoptées dans le cadre d’une procédure accélérée ad hoc qui n’est pas prévue par la Constitution russe.

Les conditions d’une élection libre, pluraliste et démocratique n’étaient pas réunies à l’occasion de l’élection présidentielle qui s’est déroulée du 15 au 17 mars 2024 dans la Fédération de Russie. Une élection doit permettre aux citoyens de se prononcer sur un choix de candidats reflétant une diversité d’options politiques. Force est de constater que depuis l’invasion de l’Ukraine, la liberté d’opinion a reculé en Russie. De récentes législations répressives ont conduit à l’éradication de toute opposition crédible et l’interdiction de fait des médias indépendants.

Les candidats opposés au régime et à la guerre en Ukraine ont été écartés de l’élection présidentielle, privant le peuple russe des moyens d’exprimer ses préférences et aspirations pour l’avenir. Une élection libre ne saurait reposer uniquement sur des candidats sélectionnés par le pouvoir en place dans un simulacre de scrutin démocratique.

Un mois plus tôt, le 16 février, Alexeï Navalny, militant anti‑corruption et principale figure d’opposition à Vladimir Poutine, succombait aux conditions de détention inhumaines d’une colonie pénitentiaire aux confins de la Sibérie. Sa mort a provoqué une onde de choc considérable en Russie et ailleurs dans le monde. Le Kremlin est tenu pour responsable de la mort d’Alexeï Navalny.

Des dizaines, voire des centaines, d’opposants purgent des peines de prison, pour certains soumis à un régime d’une sévérité extrême. Pour ne citer que quelques exemples, Vladimir Kara‑Murza, déjà deux fois empoisonné, a été condamné à 25 ans de prison pour motifs politiques. Ilia Iachine a été condamné à huit ans et demi de prison pour avoir exprimé des doutes quant à certains actes de guerre commis en Ukraine, et Oleg Orlov, figure de la lutte en faveur des droits de l’Homme, deux ans et demi pour avoir « jeté le discrédit sur les forces armées russes ».

Aux prisonniers politiques, il convient d’ajouter de nombreux citoyens, arrêtés pour avoir rendu hommage pacifiquement à Alexeï Navalny ou pour avoir protesté contre la tenue du scrutin alors que les conditions d’une élection libre, pluraliste et démocratique n’étaient pas réunies.

Face à cette répression brutale, il appartient au parlement français, et à l’Assemblée nationale en particulier, d’affirmer son soutien et tendre la main au camp pro‑démocratie en Russie.

Cette élection est également contraire aux engagements internationaux de la Russie et, plus généralement, en rupture avec les principes du droit international.

Ainsi, la Russie a décidé de ne pas inviter la mission d’observation du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), conduisant à ce que l’élection se déroule hors de toute observation internationale impartiale.

Plus encore, en violation flagrante du droit international, la Russie a organisé de prétendues « élections » dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie : dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol, ainsi que dans une partie des régions de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson. Comme l’a rappelé le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la France ne reconnaît et ne reconnaîtra jamais les résultats et condamne également l’installation par la Russie de bureaux de vote dans les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, de même que dans la région de Transnistrie, sans le consentement des autorités géorgiennes et moldaves.

Sur la scène internationale, la Russie pratique une politique d’agression et du fait accompli. Dès 2008, la Géorgie a été victime d’une attaque dans ses frontières. En Moldavie, la Transnistrie échappe à l’autorité du gouvernement et est en proie à des tentatives sécessionnistes orchestrées par Moscou. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine a été précédée par une déstabilisation de l’État ukrainien et une remise en cause de son intégrité territoriale avec l’annexion de la Crimée en 2014 et l’instrumentalisation des séparatistes du Donbass. Les États baltes, membres de l’Union européenne où résident d’importantes communautés russes, sont également la cible de tentatives d’intimidation russes. Ainsi, la Russie a récemment émis un avis de recherche contre la Première ministre Kaja Kallas pour « actions hostiles contre la mémoire historique ». En Lituanie, l’opposant russe Leonid Volkov, ancien bras droit de Navalny, a été violemment agressé le 13 mars 2024. Des exécutions extra‑judiciaires sont commises sur le sol européen, comme l’assassinat du pilote déserteur de l’armée russe Maxim Kouzminov, en février dernier en Espagne.

Surtout, Moscou redouble d’agressivité à l’égard de la France. Depuis des années, le pouvoir russe attise les sentiments anti‑français en Afrique subsaharienne francophone et favorise des régimes prorusses hostiles à notre pays. La Russie mène une guerre hybride contre la France, qui s’est considérablement intensifiée ces derniers mois. Le Kremlin orchestre une campagne de cyber‑attaques, désinformation, manipulation d’une ampleur inédite.

Par‑delà la guerre menée par la Russie en Ukraine, la Russie est engagée dans une guerre idéologique contre « l’Occident collectif », ses valeurs, ses institutions. L’idéologie poutinienne vise à faire advenir un ordre international « post‑occidental » tel que défini dans son Adresse annuelle à l’Assemblée fédérale de Vladimir Poutine du 1er mars 2018. L’homophobie d’État mise en place par la Fédération de Russie, attestée par l’inscription par la Cour suprême russe du « mouvement international LGBT + » sur sa liste des organisations « terroristes et extrémistes », est une expression de cette lutte idéologique menée par le Kremlin.

Déjà régie par un système autoritaire, la Fédération de Russie dérive rapidement vers une dictature belliciste à l’international. Il appartient à la Représentation nationale de la condamner et affirmer son soutien aux acteurs pro‑démocratie de la société civile russe.

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu ses résolutions antérieures sur la Russie, notamment la résolution adoptée le 30 novembre 2022 affirmant le soutien de l’Assemblée nationale à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie,

Vu la Déclaration officielle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères du 18 mars 2024 sur les résultats de l’élection présidentielle en Russie,

Vu la constitution de la Fédération de Russie et les obligations internationales en matière de droits de l’homme que la Russie s’est engagée à respecter,

Vu la déclaration universelle des droits de l’homme, la convention européenne des droits de l’homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Vu la Résolution 2519 (2023) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à l’examen de la légitimité et de la légalité de la dérogation ad hominem à la limitation des mandats en faveur du Président en exercice de la Fédération de Russie,

Vu la Résolution du Parlement européen sur l’assassinat d’Alexeï Navalny et la nécessité d’une action de l’Union europénne pour soutenir les prisonniers politiques et la société civile opprimée en Russie (2024/2579(RSP)),

Vu la Résolution du Parlement européen du 25 avril 2024 sur les élections présidentielles non démocratiques en Russie et leur extension illégitime aux territoires occupés (2024/2665(RSP)),

Considérant le caractère illégal de la révision de la constitution de la Fédération de Russie adoptée en 2020 et ayant permis à Vladimir Poutine de briguer un troisième mandat présidentiel successif ;

Considérant les entorses systématiques à la liberté d’expression, la répression de toute opposition démocratique, l’anéantissement de la liberté de la presse, de la liberté de manifestation, l’oppression de la société civile russe, les violations des droits humains en Russie ; 

Considérant que les conditions d’une élection libre, pluraliste et démocratique n’étaient pas réunies à l’occasion de l’élection présidentielle qui s’est déroulée du 15 au 17 mars 2024 dans la Fédération de Russie ;

Considérant la responsabilité du gouvernement russe dans la mort d’Alexeï Navalny ;

Considérant que des centaines de personnes ont été arrêtées pour avoir rendu hommage pacifiquement à Alexeï Navalny ;

Considérant la répression implacable et les peines d’emprisonnement d’une extrême sévérité infligées pour motifs politiques à des centaines d’opposants, notamment, mais sans s’y limiter, à Vladimir Kara‑Murza, Ilia Iachine et Oleg Orlov ;

Considérant plus généralement les tentatives d’empoisonnement, les violences physiques et meurtres perpétrés contre des opposants ou déserteurs en dehors du territoire de la Fédération de Russie, en particulier sur le sol européen ;

Considérant l’homophobie d’État mise en place par la Fédération de Russie, attestée par l’inscription du mouvement international LGBT + sur sa liste des « terroristes et extrémistes » ;

Considérant les violations massives du droit international par la Fédération de Russie, en particulier l’annexion de la Crimée en 2014 et l’agression armée contre l’Ukraine, en date du 24 février 2022 ;

Considérant les tentatives de déstabilisation mises en œuvre par la Fédération de Russie et atteintes à l’intégrité territoriale de la Géorgie, de l’Ukraine et de la Moldavie ;

Considérant que Vladimir Poutine fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la cour pénale internationale pour des crimes de guerre commis en Ukraine ;

Considérant les conclusions du Conseil européen du 21 mars 2024 sur l’utilisation des produits des avoirs russes gelés au sein de l’Union européenne pour financer le soutien militaire à l’Ukraine ;

Considérant les textes adoptés par le Conseil de l’Union le 21 mai 2024 – la décision PESC 2024/1470 et le règlement 2024/1469 – visant à mobiliser les bénéfices générés par les avoirs russes gelés et les affecter à hauteur de 90 % à la Facilité européenne pour la paix qui finance le soutien militaire de l’Union à l’Ukraine et de 10 % à la Facilité pour l’Ukraine qui met en œuvre l’assistance macro‑économique à ce pays ;

Considérant que les autorités russes ont organisé un simulacre d’élection dans les territoires ukrainiens occupés, mais aussi dans les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, de même que dans la région de Transnistrie de la République de Moldavie, sans le consentement des autorités de Géorgie et de Moldavie ;

Considérant la multiplication des menaces et insultes proférées par des responsables politiques russes à l’encontre de la France ;

Considérant la guerre idéologique menée par la Russie visant à faire advenir un ordre international « post‑occidental » tel que défini dans l’adresse annuelle à l’Assemblée fédérale de Vladimir Poutine du 1er mars 2018 ;

Considérant la guerre hybride menée par la Fédération de Russie contre la France et ses partenaires européens, sous forme de campagnes de désinformation, cyber‑attaques et tentatives d’ingérence ;

1. Dénonce les nombreuses atteintes aux principes du pluralisme et aux standards démocratiques à l’occasion de l’élection présidentielle qui s’est déroulée du 15 au 17 mars 2024 en Russie ;

2. Déclare illégale la tenue du scrutin et illégitime l’élection présidentielle russe de 2024 dans les territoires ukrainiens occupés de Crimée, de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijjia, ainsi qu’en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Transnistrie ;

3. Condamne avec la plus grande fermeté́ les violations massives et systématiques des principes démocratiques, des libertés fondamentales et de l’État de droit en Russie, notamment la répression pour des motifs politiques de toute forme d’opposition ;

4. Tient le régime de Vladimir Poutine pour responsable de la mort d’Alexeï Navalny ;

5. Appelle le Gouvernement et l’Union européenne à tout mettre en œuvre pour obtenir la libération des prisonniers politiques incarcérés en Russie ;

6. Affirme son soutien aux acteurs pro‑démocratie de la société civile russe ;

7. Appelle le Gouvernement à renforcer la protection des opposants politiques russes résidant sur le sol national et leurs familles ;

8. Appelle le Gouvernement à garantir le statut juridique et soutenir l’activité des journalistes et médias indépendants russes opérant sur le sol français ;

9. Condamne avec la plus grande fermeté les mesures discriminatoires à l’encontre des personnes LGBT+ et les propos homophobes tenus par des responsables politiques russes ;

10. Réitère sa ferme condamnation de l’agression armée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et l’ensemble des violations du droits international commises par la Fédération de Russie ;

11. Réaffirme son soutien indéfectible à la République d’Ukraine et son attachement à la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de ce pays dans ses frontières internationalement reconnues ;

12. Appelle le Gouvernement et l’Union européenne à :

– prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre les opérations de guerre hybride et tentatives d’ingérence menées par la Russie contre la France et ses partenaires européens ;

– mettre en œuvre rapidement les textes adoptés par le Conseil de l’Union le 21 mai 2024 visant à utiliser les profits d’aubaine générés par les avoirs souverains russes gelés du fait des sanctions afin de financer l’aide à l’Ukraine ;

– prendre toutes les mesures utiles pour renforcer l’effectivité des sanctions adoptées contre la Fédération de Russie, ses dirigeants et autres entités et individus russes visés.