N° 1817
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 octobre 2023.
PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales,
(Procédure accélérée)
(Renvoyé à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉ
au nom de Mme Élisabeth BORNE,
Première ministre,
par Mme Catherine COLONNA,
ministre de l’Europe et des affaires étrangères
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Une convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales a été signée le 15 juin 2022 à Chisinau. Elle a vocation à régir les relations fiscales entre la France et la Moldavie, actuellement marquées par l’absence de convention en la matière, la Moldavie ayant dénoncé en 1998 le traité en vigueur entre la France et l’Union soviétique du 4 octobre 1985 qui s’appliquait jusqu’alors.
Son texte est pour une très large partie conforme au modèle de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)([1]) et prend en compte les derniers standards internationaux issus des travaux relatifs à l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices (BEPS)([2]), notamment en matière de coopération administrative, sous réserve des aménagements liés aux spécificités de la législation des États contractants.
La convention comprend un titre, un préambule, trente articles ainsi qu’une annexe dont les principales stipulations sont commentées sous les articles correspondants de la convention :
Le préambule reprend les derniers standards internationaux issus de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (CML)([3]). Il rappelle également l’attachement des États à la promotion des relations économiques et à l’amélioration de leur coopération en matière fiscale.
L’article 1er précise que la convention s’applique aux résidents d’un État contractant ou des deux États contractants.
L’article 2 énumère les impôts sur le revenu couverts par la convention. Celle‑ci ne couvre pas l’imposition de la fortune. En effet, la Moldavie ne disposant pas d’impôt sur la fortune, il n’y a pas de risque de double imposition et la France peut appliquer son droit interne sans restriction en la matière.
En ce qui concerne la France, sont expressément mentionnés l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, les contributions sur l’impôt sur les sociétés, les contributions sociales généralisées (CSG) et les contributions pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). En ce qui concerne la Moldavie, la convention mentionne expressément l’impôt sur le revenu. La convention prévoit qu’elle s’appliquera également aux impôts identiques et analogues qui seraient établis après la date de signature et qui s’ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient.
L’article 3 énonce, conformément à l’usage, les définitions nécessaires à l’interprétation de certains termes utilisés dans la convention. En l’absence de telles définitions, les termes ont le sens que leur attribue le droit fiscal de l’État qui applique la convention, étant précisé que le sens donné par le droit fiscal prévaut sur celui donné par les autres branches du droit de l’État concerné.
S’agissant de la définition du territoire français, le paragraphe 1 de l’annexe liste les collectivités territoriales d’outre‑mer auxquelles s’applique la convention.
L’article 4 définit la notion de résidence, laquelle constitue un critère essentiel tant pour bénéficier des avantages prévus par la convention que pour la répartition des droits d’imposer entre les deux États, conformément au modèle de l’OCDE. Il prévoit en outre des règles de départage en cas de conflit de résidence. Par ailleurs, cet article permet de limiter le bénéfice des avantages conventionnels aux seules personnes assujetties à l’impôt et non exonérées. L’article précise enfin que les personnes morales de droit public des deux États et les sociétés de personnes françaises sont considérées comme résidentes pour l’application de la convention.
L’article 5 définit la notion d’établissement stable selon les derniers standards du modèle de convention fiscale de l’OCDE et est conforme aux options retenues par la France dans le cadre de la CML.
Le paragraphe 4.1 contient une clause d’anti‑fragmentation permettant d’empêcher une entreprise ou un groupe d’entreprises étroitement liées de fragmenter un ensemble cohérent d’activités en plusieurs opérations pour se prévaloir du caractère préparatoire ou auxiliaire de chacune d’entre elles et faire obstacle à la caractérisation d’un établissement stable.
Les paragraphes 5 et 6 permettent de faire échec aux schémas visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable notamment dans le cadre des accords dits de commissionnaire, en reprenant la nouvelle définition du modèle de l’OCDE de l’agent dépendant et en stipulant qu’une personne agissant exclusivement ou presque exclusivement pour des entreprises qui lui sont étroitement liées n’est pas considérée comme un agent indépendant.
Pour l’application des dispositifs anti‑abus de l’article 5, le paragraphe 8 reprend la définition la plus récente d’une personne ou entreprise étroitement liée. Enfin, s’agissant de l’établissement stable de chantier, le seuil de caractérisation est fixé à neuf mois.
L’article 6 définit la notion de biens immobiliers et prévoit l’imposition des revenus de ces biens immobiliers au lieu de situation de ces derniers, conformément au modèle de l’OCDE.
L’article 7 précise les règles d’attribution et de détermination des bénéfices des entreprises qui seront imposables uniquement dans l’État de résidence de l’entreprise qui les réalise, exception faite des bénéfices rattachables à un établissement stable dont l’imposition revient à l’État dans lequel cet établissement stable est situé. Ces stipulations correspondent au dernier standard du modèle de l’OCDE.
L’article 8 prévoit que les bénéfices provenant de l’exploitation, en trafic international, de navires et aéronefs ne sont imposables, conformément à la pratique conventionnelle française, que dans l’État contractant du siège de direction effective de l’entreprise.
L’article 9 règle, conformément au principe de pleine concurrence et au modèle de l’OCDE, le cas des transferts de bénéfices entre entreprises associées. Ainsi, lorsqu’une administration procède au rapatriement des bénéfices d’une entreprise associée d’un État contractant afin d’appliquer le principe du prix de pleine concurrence, l’autre État procède à un ajustement corrélatif du bénéfice de l’autre entreprise associée concernée.
L’article 10 pose le principe d’une imposition partagée des dividendes dans l’État de résidence de leur bénéficiaire et dans l’État de leur source.
Le plafond conventionnel de l’impôt pouvant être prélevé à la source est fixé à 10 % du montant brut des dividendes. Ce taux est toutefois ramené à 5 % en cas de participation d’au moins 10 % détenue sur une période continue de 365 jours incluant le jour du paiement des dividendes.
Le paragraphe 2 de l’annexe accorde quant à lui aux organismes de placement collectif (OPC) les avantages conventionnels en matière d’intérêts et de dividendes à proportion des porteurs de parts résidents de l’un des deux États contractants ou à proportion des personnes résidentes d’un autre État lié à l’État de source par un accord d’assistance administrative visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
L’article 11 pose le principe d’une imposition partagée, mais limite l’imposition dans l’État de source à hauteur de 5 % du montant brut des intérêts. L’imposition exclusive dans l’État de résidence est toutefois prévue dans certains cas, liés à la qualité du bénéficiaire (État contractant, collectivités locales, personne morale de droit public ou banque centrale de l’État mais uniquement lorsqu’il s’agit d’intérêts perçus dans ce dernier cas) ou à la nature de l’opération (intérêts payés au titre de créances ou prêts garantis, assurés ou financés par un État).
L’article 12 prévoit une imposition partagée des redevances, mais limite l’imposition dans l’État de source à hauteur de 6 % du montant brut des redevances. La définition des redevances est restreinte, conformément au modèle OCDE de convention fiscale. Ainsi, en sont exclues les rémunérations de toute nature payées pour l’usage ou la concession de l’usage d’un équipement industriel, commercial ou scientifique.
L’article 13 définit le régime applicable aux gains en capital. Il contient des stipulations conformes au dernier modèle de convention fiscale de l’OCDE s’agissant des gains tirés de l’aliénation de biens immobiliers et de biens mobiliers faisant partie de l’actif d’un établissement stable.
S’agissant des gains en capital associés au transport international, la convention prévoit un régime d’imposition aligné sur celui des bénéfices tirés de l’exploitation, en trafic international, d’aéronefs et de navires, soit une imposition exclusive dans l’État de situation du siège de direction effective.
De plus, la convention permet l’imposition par l’État de situation des biens immobiliers, des plus‑values de cession des titres de sociétés à prépondérance immobilière détenus pendant une période de 365 jours. Les autres gains non visés spécifiquement, notamment les gains de cession de valeurs mobilières, font l’objet d’une imposition exclusive dans l’État de résidence du cédant, conformément au modèle OCDE.
L’article 14 reprend les règles fixées dans le modèle de l’OCDE en retenant le principe de l’imposition exclusive des salaires dans l’État d’exercice de l’activité. S’agissant des rémunérations du personnel naviguant et maritime en trafic international, la France et la Moldavie ont retenu une imposition à la résidence, conformément au modèle de l’OCDE.
L’article 15 prévoit, conformément au modèle de l’OCDE, une imposition dans l’État de résidence de la société des rémunérations que cette dernière verse à ses membres en qualité de membres du conseil d’administration ou de surveillance.
L’article 16 prévoit, conformément au modèle de l’OCDE, que les revenus versés directement ou indirectement dans le cadre de leurs activités aux artistes et sportifs, ainsi qu’aux mannequins, sont imposables dans l’État où ces activités sont exercées. Si ces revenus sont attribués à une autre personne que l’artiste, le sportif ou le mannequin, ils sont également imposables dans l’État d’exercice de la prestation. Toutefois, lorsqu’un État finance principalement de telles activités, il conserve le droit d’imposer les revenus correspondants.
L’article 17 relatif aux pensions met en place une imposition exclusive à la résidence des pensions versées au titre de l’exercice d’un emploi antérieur, conformément aux standards de l’OCDE.
L’article 18, conformément à la pratique française, définit le régime d’imposition des rémunérations et pensions des agents publics en prévoyant un principe d’imposition exclusive dans l’État qui verse les revenus. Ces revenus sont toutefois imposables exclusivement dans l’État de résidence si les services y sont rendus et si le bénéficiaire en est un résident et en possède la nationalité sans posséder en même temps la nationalité de l’État de source, conformément à la pratique conventionnelle française.
Toutefois, cet article ne s’applique pas aux sommes reçues au titre de services rendus dans le cadre d’une activité d’entreprise exercée par l’État, l’une de ses subdivisions ou une personne morale de droit public. Pour ces activités, les dispositions des articles 14 à 17 propres aux revenus d’activités s’appliquent.
L’article 19 permet d’exonérer, dans l’État où ils séjournent, et sous certaines conditions tenant notamment à l’objet du séjour, les subsides reçus de l’étranger par les étudiants, les apprentis et les stagiaires.
Le point 3 de l’annexe à la convention précise que les personnes accomplissant un volontariat international en entreprise (VIE) entrent dans le champ d’application de cet article.
L’article 20 concerne le régime fiscal des revenus qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la convention. Conformément au modèle de l’OCDE, ces revenus ne sont imposables que dans l’État de résidence de leur bénéficiaire, à moins qu’ils ne soient rattachables à un établissement stable que celui‑ci possède dans l’autre État.
L’article 21 règle les modalités d’élimination de la double imposition. La France élimine la double imposition par l’octroi d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français. Ce dernier, en fonction du type de revenus, est égal soit à l’impôt étranger plafonné à l’impôt français, soit à l’impôt français. Cette méthode retenue par la France depuis 1990 permet d’éviter les cas de double exonération tout en permettant l’application des dispositifs anti‑abus de droit interne.
Ainsi, la France élimine d’une part la double imposition par l’octroi d’un crédit d’impôt égal à l’impôt étranger plafonné pour les revenus soumis à l’impôt sur les sociétés (bénéfices d’entreprises et plus‑values provenant de l’aliénation de biens mobiliers rattachables à un établissement stable) ainsi que pour les dividendes, intérêts, redevances, gains en capital (plus-values immobilière et plus‑values de cession de parts de sociétés à prépondérance immobilière), rémunérations des administrateurs de sociétés, revenus des artistes, sportifs et mannequins (hors financement public). Pour les autres revenus, notamment les salaires, l’élimination de la double imposition est effectuée par l’octroi d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français. Ils sont néanmoins compris dans l’assiette taxable afin de préserver la progressivité de l’impôt.
La Moldavie quant à elle élimine la double imposition en retenant la méthode du crédit d’impôt égal à l’impôt français lorsque la convention prévoit que le revenu peut être taxé en France. Ce crédit d’impôt est imputable sur l’impôt moldave correspondant à ce revenu, mais reste plafonné à l’impôt moldave. S’agissant des revenus pour lesquels la convention prévoit une taxation exclusive en France, en l’absence de stipulation spécifique au présent article, la Moldavie accorde une exemption totale d’impôt.
L’article 22 comporte les clauses de non‑discrimination généralement prévues dans les conventions conclues par la France. Elles ont notamment pour objet d’interdire les discriminations liées à la nationalité pour les personnes physiques lorsqu’elles se trouvent dans une situation identique, notamment au regard de la résidence, mais également d’éviter que l’imposition d’un établissement stable dans un État ne soit établie de façon moins favorable que celle des entreprises de cet État. Cet article n’est pas limité aux impôts visés par la convention et comporte une disposition prévoyant que les clauses de non‑discrimination ou de la nation la plus favorisée d’autres accords ne sont pas applicables en matière fiscale.
L’article 23 reprend les stipulations du modèle de l’OCDE relatives aux procédures amiables de règlement des différends, conformément au standard minimum issu du projet BEPS. Ainsi, le contribuable a la possibilité de saisir l’autorité compétente de l’un ou l’autre État, dans les trois ans de la taxation dont il a fait l’objet. Il est aussi prévu que les autorités compétentes s’efforcent de résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes auxquels peuvent donner lieu l’interprétation ou l’application de la convention. Enfin, une procédure d’arbitrage est prévue par la convention en cas de désaccord persistant entre les autorités compétentes des deux États.
L’article 24 reprend le dernier standard de l’OCDE en matière d’échange de renseignements.
Le paragraphe 1 établit le champ de cet échange de renseignement. Il précise notamment que celui‑ci n’est pas limité aux impôts couverts par la convention. Les paragraphes suivants encadrent ce dispositif et prévoient des limites strictes, notamment en termes de confidentialité et d’utilisation des données transmises.
L’article 25 organise l’assistance en matière de recouvrement des créances fiscales, conformément au modèle de l’OCDE. Cet article permet par exemple d’écarter des limites pouvant exister dans le droit interne de l’État requis (règles de prescription, privilèges), afin de lui permettre d’accéder aux demandes de l’État requérant.
L’article 26 dispose que la convention ne porte pas atteinte aux privilèges fiscaux des représentations diplomatiques ou consulaires et des membres des délégations permanentes auprès d’organisation internationales. Le paragraphe 2 prévoit que les membres des représentations diplomatiques ou consulaires et les membres des délégations permanentes auprès d’organisations internationales sont considérés comme résidents de leur État d’envoi et imposables uniquement dans cet État, mais seulement dans la mesure où ils y sont soumis à l’impôt sur l’ensemble de leurs revenus.
L’article 27 permet de refuser l’octroi des avantages conventionnels en cas de situation abusive. Il reprend le standard minimum prévu à l’article 7 de la convention multilatérale BEPS (règle du critère des « objets principaux »). Cette règle anti‑abus permet de refuser le bénéfice de la convention fiscale, compte tenu de l’ensemble des éléments de fait propres à la situation, lorsque l’un des principaux objets d’un montage ou d’une transaction est de bénéficier des avantages offerts par cette convention.
L’article 28 prévoit, conformément à la pratique française, que les États contractants peuvent mettre en place des procédures prévoyant les conditions d’octroi des avantages conventionnels (demande d’attestation de la résidence).
L’article 29 précise la date d’entrée en vigueur de la convention et la prise d’effet de ses dispositions à l’égard des différents impôts.
L’article 30 prévoit les modalités permettant à l’un des deux États de dénoncer la convention fiscale.
Telles sont les principales observations qu’appelle la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, signée à Chisinau le 15 juin 2022.
– 1 –
projet de loi
La Première ministre,
Sur le rapport de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères,
Vu l’article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui sera chargée d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.
Article unique
Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, signée à Chisinau le 15 juin 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Fait le 31 octobre 2023.
Signé : Élisabeth BORNE
Par la Première ministre :
La ministre de l’Europe et des affaires étrangères, |