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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2023.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2024 (n° 1680),
PAR M. Jean-René CAZENEUVE,
Rapporteur général
Député
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ANNEXE N° 30
JUSTICE
Rapporteur spécial : M. Patrick Hetzel
Député
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SOMMAIRE
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Pages
Principales observations du rapporteur spécial
I. Le programme 166 : la Justice judiciaire au cœur de la hausse des moyens du ministère
A. Des dépenses de personnel en progression soutenue
1. Un schéma d’emplois particulièrement dynamique
2. 120 millions d’euros alloués à des mesures catégorielles
1. La dynamique des frais de justice
2. Des moyens de fonctionnement en hausse de 46,7 millions d’euros en crédits de paiement
3. Les dépenses d’investissement immobilier du programme
II. Le programme 107 : une stabilité relative des crédits pour l’Administration pÉnitentiaire
A. Vue d’ensemble du programme 107
B. une hausse des moyens de l’administration pÉnitentiaire
1. Le plan « prisons » : 18 000 nouvelles places de détention d’ici à 2027
2. La sécurité des établissements pénitentiaires
3. La prévention de la récidive et la réinsertion des personnes placées sous-main de justice
a. Les crédits alloués à l’aménagement des peines
b. Les moyens en faveur de l’insertion des personnes placées sous main de justice
III. le programme 182 : protection judiciaire de la jeunesse
A. Des crÉdits en hausse du fait de la progression des dÉpenses de personnel
B. Hors dépense de masse salariale, les crédits affichent une augmentation modérée
C. Bilan de la réforme du code de justice pénale des mineurs
IV. le programme 101 : AccÈs au droit et À la justice en hausse de 3 % en 2024
A. La progression continue des crédits alloués à l’aide juridictionnelle
B. la poursuite de la hausse des crédits alloués à l’accès au droit et à l’aide aux victimes
V. le programme 310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice
VI. Le programme 335 : Conseil supÉrieur de la magistrature
L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 72 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances. |
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Principales observations du rapporteur spécial Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit pour la mission Justice une dotation à hauteur de 14,24 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 12,16 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). Il s’agit donc d’un budget en forte augmentation, à hauteur de + 13,72 % en autorisations d’engagements et + 5,10 % en crédits de paiement. Hors contribution au compte d’affectation spécial (CAS), les crédits de paiement du ministère de la justice s’établissent à 10,08 milliards d’euros, en augmentation de 503 millions d’euros, soit une hausse de 5 %. La part prévisionnelle du budget de la Justice dans le budget de l’État pour 2024 s’établit à 2,4 % ([1]). Rétrospectivement, depuis 2017, les crédits du ministère de la justice auront augmenté de 3,2 milliards d’euros en valeur absolue, ce qui représente une hausse de 46 %. Pour autant, malgré ces augmentations budgétaires quasi continues depuis une dizaine d’années, les récents états généraux de la justice ont dressé le constat accablant d’une justice dans un état de délabrement avancé. Le rapporteur spécial rappelle d’ailleurs que, selon le dernier rapport de la commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) la France continue de figurer parmi les pays, à PIB comparable, qui investissent le moins dans leur justice ([2]). Dans son discours de Poitiers, le 18 octobre 2021, le Président de la République faisait lui-même le constat d’un manque d’esprit de système dans la modernisation de l’institution judiciaire, et d’une perte de confiance des citoyens face à la dégradation du service rendu. Cette intervention, qui marquait le lancement des états généraux, faisait suite à une interpellation du Président de la République par les deux plus hauts magistrats du pays : le procureur général près la Cour de cassation et la Première présidente de la Cour de cassation, à l’époque M. François Molins et Mme Chantal Arens. Cela étant, la trajectoire du projet de loi de finances pour 2024 reste strictement conforme à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour la période 2023-2027 (LOPJ), présentée dans la continuité des travaux engagés par les états généraux de la justice et du plan d’action présenté par le Garde des Sceaux le 5 janvier 2023, et adoptée définitivement le 11 octobre 2023. Pierre angulaire de la LOPJ, la hausse du budget prévisionnel du ministère de la justice s’établit d’ici 2027 à 1,89 milliard d’euros en valeur absolue, soit + 21,23 %, hors inflation ([3]).
Évolution prévisionnelle des crédits de paiement
Source : article 1er de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, adopté définitivement le 11 octobre 2023. Les principaux points d’attention budgétaires portent sur quatre grands ensembles :
Les créations nettes d’emplois du ministère de la justice ont été fixées par la LOPJ à 10 000 équivalents temps plein (ETP) d’ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires, y compris 605 équivalents temps plein recrutés en gestion pour l’année 2022 au titre de la justice de proximité. Pour 2024, 1 961 ETP supplémentaires sont prévus au budget, dont 1 307 à destination des services judiciaires afin de renforcer l’équipe autour du magistrat. Le rapporteur spécial note que les discussions sont en cours concernant la catégorie d’emploi des greffiers, principales revendications de ces personnels depuis juin 2023. L’ensemble de la masse salariale progresserait en 2024 de 365 millions d’euros pour s’établir à 5 053 millions d’euros. Le rapporteur spécial souligne que le poids des dépenses de personnel, y compris la contribution au CAS Pensions, est relativement stable dans le temps ([4]).
Hors titre 2, les crédits demandés pour 2024 s’élèvent à plus de 5 milliards d’euros.
Le budget consacré aux frais de justice s’accroît de 14 millions d’euros pour s’établir à 674 millions d’euros, soit une hausse de + 2 % par rapport au PLF 2023. Après une hausse de + 155,2 millions d’euros entre 2019 et 2023, l’accentuation des moyens se poursuit. Même si l’on peut constater une amélioration notable sur la période de la budgétisation des frais de justice, l’importance de la consommation a rendu nécessaire en 2022 un dégel de la réserve de précaution ou des redéploiements. Et, par ailleurs, cette consommation dynamique n’a pas empêché une dégradation des charges à payer en 2022. Le rapporteur spécial insiste sur la nécessité d’optimiser la dépense afférente aux frais de justice, et rappelle le besoin pressant de disposer rapidement d’une évaluation des impacts du plan d’action de maîtrise des frais de justice, engagé par le ministère en 2021, alors que selon les réponses au questionnaire budgétaire, les premiers effets notoires ne sont attendus que début 2024, ce qui reste très important.
Pour lutter contre la surpopulation carcérale, qui atteint de nouveau des niveaux records ([5]), le Gouvernement a annoncé en 2018 la mise en place du programme immobilier « 15 000 » qui vise à créer 15 000 places d’ici 2027. Pourtant, à la fin de l’année 2022, seules 2 441 places avaient été mises en service alors que 7 000 devaient initialement l’être. Par ailleurs, les 8 000 places qui devaient être construites et livrées entre 2022 et 2027, seront finalement échelonnées sur la période 2025-2027 ([6]). Cela met en doute le réalisme de ces prévisions, d’autant que la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice a ajouté 3 000 places supplémentaires à cet objectif initial. Pourtant, face à ce bilan, le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une baisse des dépenses d’investissement de l’administration pénitentiaire de 7,7 % en AE et de 20 % en CP. Au-delà des problématiques de contestations locales, le rapporteur spécial est convaincu que ces chiffres témoignent des difficultés rencontrées par le ministère de la Justice dans le pilotage et le suivi de ces grands programmes immobiliers. Les projets immobiliers de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse subissent d’ailleurs des aléas comparables.
Sur la période 2023-2027, le second plan de transformation numérique vient prendre le relais d’une démarche engagée en 2018. Pour 2024, sont prévus 188 millions d’euros en AE et 149 millions d’euros en CP. Le rapporteur spécial souligne la nécessité de mener à bien ce chantier fondamental, mais ne peut que faire siens les constats de la Cour des comptes. Celle-ci a récemment mis en lumière les limites d’un plan qui, plus qu’une réelle transformation, a surtout été jusqu’à présent « un plan de rattrapage témoignant d’une insuffisance du renforcement de la fonction informatique du ministère, de choix contestables dans les priorités des projets et d’un manque de suivi budgétaire » ([7]).
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Évolution des crÉdits de la mission justice (en millions d’euros)
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
Évolution des crédits de paiement du ministère de la justice (en millions d’euros)
Source : projets annuels de performances 2016 à 2024.
Évolution du plafond d’emplois de la mission Justice (en ETPT)
Source : informations annexes du projet de loi de finances pour 2024. PrÉvision et exÉcution des frais de justice (en millions d’euros)
Source : commission des finances, d’après les réponses aux questionnaires et les documents budgétaires. Évolution comparée de la dépense consacrée à l’AJ et du nombre d’admissions à l’AJ depuis 2017
Note de lecture : l’axe des ordonnées est exprimé en centaines pour ce qui est du nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle, et en millions d’euros pour ce qui est des crédits. Source : commission des finances. |
La mission Justice comprend l’ensemble des moyens humains, matériels et financiers dont dispose le ministère de la justice. La mission comporte six programmes, dont trois programmes « métier » qui concourent respectivement à l’organisation et au fonctionnement des juridictions, des services pénitentiaires ainsi que des services de la protection judiciaire de la jeunesse. Deux programmes transversaux retracent les moyens de la politique d’accès au droit et à la justice ainsi que les fonctions d’état-major et législatives. Enfin, un programme finance le Conseil supérieur de la magistrature.
– le programme 166 Justice judiciaire, qui porte les crédits alloués au fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire ;
– le programme 107 Administration pénitentiaire, portant le budget de la direction de l’administration pénitentiaire ;
– le programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse, qui porte les crédits de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.
– le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice, qui rassemble les moyens de l’état-major, des directions législatives et des services d’intérêt commun du ministère ;
– le programme 101 Accès au droit et à la justice, qui finance la politique de soutien à l’accès au droit et la justice.
Comme le montre le diagramme ci-après, environ 80 % des crédits de la mission sont concentrés sur l’administration pénitentiaire et la justice judiciaire.
rÉpartition des crÉdits de paiement demandÉs sur la mission Justice en 2023
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires pour 2024.
En revanche, le périmètre de la mission Justice ne comprend pas les juridictions de l’ordre administratif, dont les crédits sont inscrits sur le programme 165 de la mission Conseil et contrôle de l’État, ni les juridictions financières, inscrites sur le programme 164 Cour des comptes et autres juridictions financières
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Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit de porter les crédits de la mission Justice à 14,24 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 12,16 milliards d’euros en crédits de paiement (CP).
Les AE augmenteraient de 13,7 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2023, tandis que les CP progresseraient de 5,1 %.
ÉVOLUTION DES crédits de la mission Justice en 2024
(en millions d’euros)
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Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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LFI 2023 |
PLF 2024 |
Évolution 2023/2024 |
LFI 2023 |
PLF 2024 |
Évolution 2023/2024 |
|||
Programme 166 – Justice judiciaire |
4 516,4 |
4 753,9 |
+ 5,3% |
4 148,8 |
4 544,0 |
+ 9,5% |
||
Programme 107 – Administration pénitentiaire |
5 409,9 |
6 814,0 |
+ 26,0% |
4 927,4 |
5 003,0 |
+ 1,5% |
||
Programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse |
1 109,1 |
1 160,8 |
+ 4,7% |
1 092,7 |
1 126,0 |
+ 3,1% |
||
Programme 101 – Accès au droit et à la justice |
714,0 |
734,2 |
+ 2,8% |
714,0 |
734,2 |
+ 2,8% |
||
Programme 310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice |
764,5 |
768,3 |
+ 0,5% |
682,5 |
747,1 |
+ 9,5% |
||
Programme 335 – Conseil supérieur de la Magistrature |
4,1 |
4,6 |
+ 13,7% |
5,0 |
5,7 |
+ 15,0% |
||
Total |
12 517,9 |
14 235,9 |
+ 13,7% |
11 570,3 |
12 160,0 |
+ 5,1% |
||
Source : projet annuel de performance 2024.
● La forte hausse du montant des autorisations d’engagement demandées pour 2024 est tirée par celles du programme 107 Administration pénitentiaire, et notamment son action 2 Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice, dont les AE des dépenses de titre 3 augmentent de plus de 83 %, ce qui représente 1,3 milliard d’euros. Les variations d’AE sont fréquentes sur cette ligne, et s’expliquent par le renouvellement des marchés délégués de gestion des prisons qui rendent nécessaires l’ouverture d’un montant important d’AE. Ainsi, par exemple, pour 2024, 996,40 millions d’euros d’AE sont prévus pour la troisième étape de la cinquième génération des marchés de gestion déléguée dits MDG24, qui concerne 23 établissements existants et 2 dont l’ouverture est programmée avant 2027 (Inserre ([8]) d’Arras et maison d’arrêt d’Avignon).
Cette hausse s’inscrit plus généralement dans un contexte de progression du budget du ministère de la justice, qui s’est accélérée à compter de l’année 2021 et qui se poursuivra normalement jusqu’en 2027 en application de la LOPJ.
Évolution des crÉdits de paiement de la mission justice
(en millions d’euros)
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
● Hors compte d’affectation spécial (CAS) Pensions, les crédits de paiement de la mission progresseraient de 5,3 % en 2023 pour s’établir à 10,1 milliards d’euros, soit une augmentation de 503 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en 2023. Au total, le budget de la justice (hors CAS Pensions) progresserait de près de 40 % entre 2018 et 2024, et de près de 54 % à horizon 2027.
Cette hausse mérite d’être soulignée dans la mesure où, jusqu’en 2021, les crédits ouverts et exécutés sur la mission sont restés en deçà de la trajectoire fixée par la loi de programmation et de réforme pour la justice pour les années 2018 à 2022 ([9]). Désormais, le montant des crédits de paiement indiqués est rigoureusement identique à celui prévu à l’article 1er de la nouvelle loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée définitivement le 11 octobre dernier.
Il est intéressant de reproduire ici le tableau réalisé par nos collègues de la commission des lois du Sénat, saisie au fond sur ce texte, à partir des données de l’inflation prévue par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Tableau d’évolution de la programmation budgétaire DU BUDGET
DE LA Justice pour les années 2023 à 2027
Source : commission des lois du Sénat.
Le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti a indiqué à l’Assemblée nationale que cette augmentation des moyens devait permettre de financer quatre priorités :
– la réalisation du programme immobilier du ministère de la justice, qui inclut la rénovation, l’entretien et la construction de l’immobilier judiciaire et pénitentiaire - dont la construction de places supplémentaires de prison, dont le coût représente, en 2023, 323 millions d’euros en CP ;
– la conduite de la modernisation des outils numériques du ministère ;
– la revalorisation des rémunérations des agents du ministère, ce qui inclut la hausse de 1 000 euros mensuels pour les magistrats ;
– les recrutements de magistrats, greffiers et assistants de justice en particulier.
● Pour 2022, la progression du budget de la mission avait pour principale origine l’augmentation des crédits hors titre 2 (HT2). En 2023, cette hausse a été principalement tirée par l’augmentation des dépenses de personnel, en raison des efforts réalisés par le ministère cette année en matière de recrutements et de revalorisation des rémunérations de certaines catégories de personnel. Pour 2024, cette tendance se poursuit avec une hausse de 6,8 % des dépenses de T2.
Évolution des crÉdits par titre
(en millions d’euros)
|
LFI 2023 |
Évolution par rapport |
PLF 2024 |
Évolution par rapport |
Titre 2 |
6 679,7 |
+ 9 % |
7 131,1 |
+ 6,8 % |
Hors titre 2 |
4 890,6 |
+ 6 % |
5 028,9 |
+ 2,8 % |
Mission Justice |
11 570,3 |
+ 7,7 % |
12 160 |
+ 5,1 % |
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
Le projet de loi de finances prévoit la création de 1 961 emplois en 2024, dont 36 en faveur des opérateurs de la mission. Ces créations concernent en premier lieu les services judiciaires (1 307 postes) et l’administration pénitentiaire (450 postes).
Sur le quinquennat 2023-2027, 10 000 emplois seront créés ([10]).
Le plafond d’emplois du ministère, conformément aux dispositions de l’article 40 du projet de loi de finances pour 2024, s’élèverait à 94 916 ETPT, en hausse de 2 855 ETPT par rapport au plafond d’emplois pour 2023. Ces hausses concerneraient principalement le programme Justice judiciaire (+ 1 390 ETPT) et l’administration pénitentiaire (+ 507 ETPT).
En outre, 64 millions d’euros financeraient des mesures catégorielles nouvelles, auxquels s’ajoutent 31 millions d’euros au titre de la mise en œuvre de la conférence salariale du 12 juin 2023. Ces crédits permettront notamment le passage des surveillants pénitentiaires en catégorie B et celui des officiers pénitentiaires en catégorie A ainsi que des revalorisations indemnitaires, notamment en faveur des agents de catégorie C.
● Par ailleurs, l’analyse de l’évolution relative des enveloppes allouées à chacun des programmes « métiers » du ministère montre que, la hausse des crédits du programme 107 Administration pénitentiaire et 182 Protection judiciaire de la jeunesse a tendance à être beaucoup moins forte que l’an passé, tandis que la hausse des crédits s’accélère de nouveau pour le programme 166 Justice judiciaire.
progression relative du budget des programmes 107, 166 et 182
(en pourcentage)
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
● Le projet de loi de finances pour 2024 permettra au ministère de la justice de prolonger les actions entreprises ces dernières années pour moderniser le service public de la justice, en particulier avec le déploiement de la justice de proximité, et de conforter les réformes amorcées qui seront conduites dans les prochaines années.
Le projet de loi de finances tire les conséquences des conclusions formulées par le comité des États généraux de la justice dans son rapport Rendre justice aux citoyens, remis au Président de la République le 8 juillet dernier, et traduit également les dispositions de la loi d’orientation et de programmation 2023-2027 du ministère de la justice (LOPJ).
Les constats alarmants dressés à l’occasion de cet exercice inédit de concertation sont largement partagés par le rapporteur spécial, notamment en matière de délais d’instruction et d’attractivité des métiers.
Le comité des États généraux de la justice avait de manière générale dépeint une justice en grande difficulté, marquée par une dégradation de la qualité des décisions. D’un point de vue budgétaire, le rapport remis par ce comité a documenté l’insuffisant investissement dont a pu bénéficier le service public de la justice ces dernières années, et surtout les difficultés de pilotage auxquelles sont confrontés les gestionnaires du ministère.
Ces constats sont par ailleurs cohérents avec les chiffres présentés chaque année par la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe. Le rapport issu du 9e cycle CEPEJ indique ainsi que la France a consacré 4,9 milliards d’euros en 2020 pour le fonctionnement de son système judiciaire, soit 72,50 euros par habitant. Si ce montant est supérieur à la médiane européenne (64,50 euros par habitant), il se situe en deçà de ce seuil s’agissant de la part du PIB consacrée au système judiciaire (0,21 % du PIB en France, contre 0,3 % pour l’ensemble des pays membres de la CEPEJ). Le budget alloué en France au système judiciaire est en outre inférieur à la moyenne des quarante-six États membres de la CEPEJ (78,10 euros par habitant). Ainsi, selon le mode de calcul de la Commission, la France a dépensé 72,50 euros par an et par habitant en 2020, contre 82 euros en Italie, 88 euros en Espagne et 141 euros en Allemagne.
Face à ces chiffres, et en l’absence de publication à date du rapport 2023, le ministère de la justice a souhaité souligner l’effort budgétaire massif consenti depuis cette date, l’augmentation de 8 % du budget en 2021 ayant porté le ratio à 78 euros par habitant. Pour le Gouvernement, l’objectif est bien de s’aligner à terme sur la moyenne européenne.
Le rapport de la CEPEJ a mis également en lumière un manque de moyens humains : la France compte 11 juges pour 100 000 habitants en 2020 (contre 17 juges en moyenne) et seulement 3 procureurs pour 100 000 habitants, contre 11 en moyenne dans les pays voisins.
Malgré la tenue des États généraux de la justice, et le vote de la loi de programmation du ministère, qui ont mis en 2023 la justice sous les feux de l’actualité parlementaire, les fondamentaux ne sont pas modifiés et le projet de budget pour 2024 s’inscrit dans la continuité des exercices précédents.
Les crédits de la mission permettraient, s’agissant des juridictions judiciaires, de soutenir la justice de proximité et les moyens d’enquête de la justice, d’accompagner la mise en œuvre de la réforme du code de justice pénale des mineurs (CJPM) ou encore de moderniser le parc immobilier des juridictions.
S’agissant du patrimoine pénitentiaire, le budget de la mission permettrait de poursuivre et de finaliser la construction de nouveaux établissements dans le cadre du programme de construction de 18 000 nouvelles places de prison, soit les 15 000 places déjà prévues par le « plan 15 000 » et 3 000 places supplémentaires ajouté par les sénateurs au rapport annexé à la LOPJ, et qui seront réalisées sous réserve de la délivrance par les collectivités territoriales des autorisations d’urbanisme nécessaires à la réalisation de la première partie de ce plan.
Les crédits du programme 101 Accès au droit et à la justice sont en grande partie alloués à l’aide juridictionnelle, dont les critères d’éligibilité ont été modifiés par la loi de finances pour 2020 ([11]) et qui a été étendue à certaines procédures non juridictionnelles par la loi de finances pour 2021 ([12]). L’unité de valeur servant de calcul pour la rétribution des avocats a, par ailleurs, été doublement revalorisée, en 2021 ([13]) et 2022 ([14]), pour être portée à 36 euros. La Cour des comptes, dans un rapport du 13 octobre 2023 ([15]), a dénoncé le manque de pilotage de cette aide qui a vu son coût augmenter de 13 % par an depuis 2017. La Cour a mis en exergue les dérives en matière de coûts et de délais de mise en œuvre du système d’information. Elle a par ailleurs proposé une rémunération dégressive des rémunérations des avocats lors de procédures répétitives.
Enfin, le budget du programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice porte les crédits alloués à la modernisation des systèmes d’information du ministère. Un nouveau plan de transformation numérique (PTN) a été engagé pour la période 2023-2027. L’effort sur la sécurisation du réseau est poursuivi, grâce à un plan de renouvellement de plus de 10 000 équipements de réseau et de sécurité pour les 1 500 sites du ministère, débuté en 2020 et devant se terminer en 2025.
Le budget de la justice pour 2024 constituerait ainsi la première traduction des décisions prises en 2023 pour tenter de régler la crise profonde que traverse la justice judiciaire. La hausse des créations d’emplois, notamment de magistrats judiciaires, et les revalorisations de rémunération répondent à des recommandations centrales du rapport du comité des États généraux de la justice, et ont été traduites dans la loi d’orientation d’octobre 2023. Le rapport annexé à la LOPJ prévoit le recrutement de 10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027, dont 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et un « nombre substantiel » d’assistants du magistrat. En cinq ans, le texte rappelle qu’autant de magistrats auront été recrutés que sur les vingt dernières années. Le rapporteur spécial s’en félicite mais s’interroge néanmoins sur la manière dont ces efforts seront mis en œuvre. En effet, s’agissant des postes de magistrats créés en 2024, et comme l’an passé, rien n’indique si ceux-ci concernent des fonctionnaires installés en juridiction ou à l’inverse des auditeurs de justice qui débuteront leur formation à l’École nationale de la magistrature en 2024.
De manière générale, derrière les effets d’annonce, il conviendra d’être attentif à la mise en œuvre de cette loi de programmation. Le rapporteur spécial considère à cet égard qu’en parallèle de la hausse des moyens humains et budgétaires, l’amélioration du quotidien des justiciables et des personnels du ministère suppose de réaliser des progrès considérables en matière de pilotage des politiques publiques de la justice. De véritables marges de progression existent en la matière.
I. Le programme 166 : la Justice judiciaire au cœur de la hausse des moyens du ministère
Le programme 166 représente 37 % des crédits de la mission et finance les moyens alloués aux juridictions de l’ordre judiciaire. Malgré la hausse régulière de leurs moyens, et comme l’ont montré les constats réalisés en 2023, ces dernières restent confrontées à l’allongement des délais de traitement des affaires.
En 2024, les crédits du programme 166 s’élèveraient à 4,75 milliards d’euros en AE et 4,54 milliards d’euros en CP. Les AE progresseraient de 5,3 % (+ 238 millions d’euros) et les CP augmenteraient de 9,5 % (+ 395 millions d’euros) par rapport à 2022.
Évolution des crÉdits du programme 166 Justice Judiciaire
(en millions d’euros)
|
AE |
CP |
|||
|
PLF 2023 |
PLF 2024 |
PLF 2023 |
PLF 2024 |
Évolution 2023-2024 |
01 – Traitement et jugement des contentieux civils |
1 173,6 |
1 289,8 |
1 173,6 |
1 289,8 |
10 % |
02 – Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales |
1 456,6 |
1 528,3 |
1 456,6 |
1 528,3 |
5 % |
03 – Cassation |
71,2 |
78,6 |
71,2 |
78,6 |
10 % |
05 – Enregistrement des décisions judiciaires |
12,6 |
13,0 |
12,6 |
13,0 |
3 % |
06 – Soutien |
1 609,9 |
1 632,0 |
1 242,3 |
1 422,1 |
14 % |
07 – Formation |
177,0 |
196,3 |
177,0 |
196,3 |
11 % |
08 – Support à l’accès au droit et à la justice |
15,5 |
15,9 |
15,5 |
15,9 |
3 % |
Total |
4 516,4 |
4 753,9 |
4 148,8 |
4 544,0 |
10 % |
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
A. Des dépenses de personnel en progression soutenue
Les dépenses de titre 2 du programme s’élèveraient en 2024 à 2,99 milliards d’euros, soit plus de la moitié des crédits du programme, et progresseraient de 241 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2023, pour un plafond d’emploi fixé à 37 522 ETPT.
Hors CAS Pensions, les dépenses de personnel s’établiraient à 2,19 milliards d’euros et progresseraient de 8 % par rapport à 2022.
1. Un schéma d’emplois particulièrement dynamique
Ces crédits financeraient la création de 1 307 emplois supplémentaires en 2023, répartis de la manière suivante :
– 305 emplois de magistrats de l’ordre judiciaire ;
– 513 emplois de personnels d’encadrement ;
– 107 emplois de catégorie B « administratifs et techniques » ;
– 9 emplois de catégorie C « administratifs et techniques » ;
– 340 emplois de catégorie B relevant des métiers du greffe et du commandement ;
– et le rapporteur tient à mentionner ici les 33 emplois pour l’École nationale de la magistrature (ENM), opérateur relevant du programme 166.
L’année 2024 sera marquée par l’arrivée en juridiction d’une promotion importante de 261 auditeurs de justice (en septembre 2024), outre les magistrats recrutés au titre du concours complémentaire, qui devraient faire leur entrée en juridiction en fin d’année.
Il peut être constaté que les recrutements de personnels d’encadrement, qui comprennent les contrats de juristes assistants et assistants spécialisés, seraient élevés en 2024, comme en 2023. Il s’agit d’étoffer les équipes entourant le magistrat, afin d’améliorer la rapidité et la qualité des décisions.
Le rapporteur spécial sera particulièrement vigilant à la manière dont seront répartis les emplois de magistrats. Selon le rapport annexé à la LOPJ, cette répartition devra se faire sur la base d’un référentiel d’évaluation de la charge de travail en cours d’évaluation. Ce travail, déjà entamé, doit se poursuivre afin d’obtenir une vision objective des besoins des juridictions. Trop longtemps repoussée, une première version de cet outil a été établie pour les besoins de la première instance. Il doit être testé sur le terrain pour en valider la pertinence. Par ailleurs, cet outil doit être créé pour les cours d’appel. Il s’agit d’une évolution majeure qui devrait permettre une allocation fine et objective des moyens nouveaux octroyés à l’institution judiciaire.
Le rapporteur confirme par ailleurs son inquiétude quant à la faible augmentation du nombre de places ouvertes au concours de l’ENM au cours des trois dernières années (entre 200 et 285 places pour les trois premiers concours). Les réponses aux questionnaires budgétaires n’étant pas toutes parvenues dans les temps, le chiffre pour 2024 n’est pas connu, ce qui est regrettable. Manifestement, la Chancellerie néglige la représentation nationale dans ses réponses.
Ces emplois sont par ailleurs nécessaires pour réduire le taux de vacance de postes, qui s’élève à 5,5 % pour les magistrats du parquet et à 2,9 % pour l’ensemble des magistrats en 2023.
magistrats en exercice en juridiction et taux de vacance
au 1er septembre 2023
|
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Nombre de magistrats exerçant au siège |
5 958 |
6 084 |
6 182 |
6 220 |
6 272 |
Taux de vacance des postes du siège |
0,95 % |
0 % |
0,18 % |
2,74 % |
1,92 % |
Nombre de magistrats exerçant au parquet |
2 036 |
2 097 |
2 117 |
2 112 |
2 117 |
Taux de vacance des postes du parquet |
0,97 % |
0,47 % |
1,72 % |
5,76 % |
5,53 % |
Nombre total de magistrats exerçant en juridictions |
7 994 |
8 181 |
8 299 |
8 332 |
8 389 |
Taux de vacance global |
0,95 % |
0,10 % |
0,58 % |
3,52 % |
2,86 % |
Source : direction des services judiciaires.
● S’agissant des personnels de greffe, la création de 340 emplois doit être saluée. Le comité des États généraux de la justice a, sur ce sujet, souligné que la dégradation de la situation des juridictions n’était pas sans lien avec la diminution des effectifs réels de personnels de greffe sur la période 2010-2021.
Au total, plus de 1 000 greffiers seront recrutés ou réintégreront les juridictions tout au long de l’année 2024, pour combler les départs prévus (retraites, mobilités, détachements…) et au titre du schéma d’emplois.
Par ailleurs, plus de 1 000 greffiers stagiaires, actuellement en formation à l’ENG ou qui le seront en fin d’année 2023, prendront leurs premières fonctions en 2024 et 2025, à l’issue de la période de formation.
S’il convient d’améliorer les conditions de travail de ces rouages essentiels au fonctionnement des tribunaux, au moment où se déroulent des négociations dans le prolongement de l’accord de méthode du 13 juillet 2023 entre la direction des services judiciaires et les organisations syndicales, le rapporteur spécial ne peut qu’inciter à la prudence vis-à-vis de toute mesure catégorielle nouvelle qui viendrait encore accroître le poids des dépenses de personnel au sein des crédits du programme 166 sans toutefois conduire à un accroissement des emplois financés par le programme.
Entamé début juillet, le mouvement des greffiers aura marqué l’année 2023
Partout en France, ces derniers mois, les greffiers ont mené des actions afin de sensibiliser la population sur leur métier et leurs conditions de travail très dégradées. Les revendications ayant bloqué le passage en comparution immédiate de certaines audiences liées aux émeutes de juin 2023 ne seront en particulier pas passées inaperçues.
Leurs mouvements ont a priori été soutenus par une majorité des professionnels de l’institution judiciaire. Les revendications sont diverses (absence de remplacement des collègues malades, heures supplémentaires non rémunérées, fortes amplitudes horaires, matériels datés, rémunération insuffisante par rapport à celle d’autres fonctionnaires à diplôme équivalent…).
Un accord de méthode relatif à la négociation d’un protocole d’accord sur la revalorisation des métiers de greffe a été signé le 13 juillet 2023 par le directeur des services judiciaires et les quatre organisations syndicales représentatives des fonctionnaires des services judiciaires que sont l’UNSA-SJ, la CGT, la CFDT et FO Justice.
Cet accord ouvre des négociations sur les filières administratives et juridictionnelles des juridictions dans l’objectif de la signature d’un protocole d’accord en octobre 2023 portant sur les points suivants :
– une revalorisation indiciaire et statutaire de la grille de l’ensemble du corps des greffiers prenant la forme, soit du projet de grille présentée au 1er semestre 2023, soit d’une majoration de l’indice à chaque échelon et d’une évolution de la structure de la grille ;
– l’évolution des filières administratives et juridictionnelles au sein des juridictions, intégrant notamment le rôle, la valorisation et l’évolution de chacun des deux corps spécifiques ainsi que des corps communs ;
– une revalorisation statutaire des greffiers, et les différentes formes qu’elle peut prendre ;
– l’accompagnement, en 2024, des agents détachés dans le statut d’emplois de greffier fonctionnel.
Cinq réunions de négociation avec les organisations syndicales signataires ont été convoquées entre début septembre et début octobre.
En pratique, ces professionnels sont responsables du bon déroulement et du respect des procédures. Le rapporteur rappelle ainsi qu’ils sont absolument indispensables pour améliorer la qualité des décisions rendues.
Le rapporteur rappelle que les greffiers sont passés de 9 756 en 2020 à 10 012 en 2023, soit une augmentation de 2,62 %, ce qui est très modeste au regard des besoins.
Les effectifs ont ainsi augmenté dans toutes les catégories, à l’exception de la catégorie C, qui a vu ses effectifs diminuer de 6,17 %, principalement du fait de la politique de requalification d’emplois de catégorie C en emplois de catégorie B poursuivie depuis plusieurs années.
2. 120 millions d’euros alloués à des mesures catégorielles
Le projet annuel de performances du programme prévoit par ailleurs qu’une enveloppe de 120 millions d’euros serait consacrée à des mesures catégorielles, soit le double de l’an passé
Plus précisément, les mesures catégorielles prévues pour 2024 se décomposent de la manière suivante :
– 100 millions d’euros seraient liés aux effets en année pleine des mesures entrées en vigueur en 2023 ;
– 12,7 millions d’euros correspondent à des mesures statutaires : plan de requalification d’agents de catégorie C en B, attribution de 5 points d’indice à chaque échelon ;
– 7 millions d’euros seraient alloués des revalorisations indemnitaires.
S’agissant des magistrats, les mesures catégorielles prévues en 2024 portent sur la revalorisation de la prime forfaitaire (pour 20,9 millions d’euros) et de la prime modulable (pour 7 millions d’euros).
B. Des moyens de fonctionnement en hausse pour tenir compte des créations d’emplois et de l’inflation
Les dépenses HT2 du programme 166 s’élèveraient à 1,77 milliard d’euros en AE et 1,5 milliard d’euros en CP en 2024. Ces crédits seraient quasiment stables en AE et connaîtraient une hausse de 153 millions d’euros en CP par rapport à 2023.
Ils financeraient la progression des frais de justice ainsi que l’augmentation des moyens de fonctionnement des juridictions.
1. La dynamique des frais de justice
Les crédits budgétés sur les frais de justice, en augmentation de 14 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2023, s’élèveraient à 674,30 millions d’euros en AE et CP. Cette hausse est justifiée par la revalorisation des tarifs des experts, afin de renforcer leur attractivité, ainsi que par le renforcement de certaines politiques pénales, dont celle relative à la lutte contre les violences intrafamiliales.
Ces crédits ont augmenté de manière soutenue et ont surtout fait l’objet de sur-exécutions régulières par le passé, ce qui ne semble plus être le cas.
Leur maîtrise demeure malgré tout un point d’attention. Si l’exécution du budget de la mission pour 2022 a démontré que la prévision avait été respectée, l’importance de la consommation a rendu nécessaire un dégel de la réserve de précaution (réserve fixée à 4 % de la LFI jusqu’en 2022 puis établie à 5 % à compter de 2023) ou des redéploiements.
Il convient de préciser que les frais de justice sont difficiles à maîtriser dès lors que la dépense suit les actes de prescription des magistrats et officiers de police judiciaire, dont l’indépendance et la liberté de prescription doivent être préservées.
La direction des services judiciaires a néanmoins lancé un plan d’optimisation en 2021, ayant pour objectif de développer des outils de suivi de la dépense, qui se décline en trois axes :
– l’animation du réseau ;
– la sensibilisation des acteurs de frais de justice ;
– le renforcement des segments les plus générateurs en frais de justice.
Des expérimentations ont dans ce cadre été menées par la direction des services judiciaires afin de réduire leur coût. Celles-ci portent sur le recrutement d’interprètes contractuels au sein d’une quinzaine de cours ou le gardiennage externalisé des scellés. La Cour des comptes ([16]) souligne toutefois que les résultats de ces expérimentations ne sont toujours pas connus. Le rapporteur spécial souligne qu’il est impératif que le fruit de ces expérimentations et les outils développés dans le cadre du plan d’action se concrétisent enfin.
2. Des moyens de fonctionnement en hausse de 46,7 millions d’euros en crédits de paiement
Hors frais de justice, les dépenses de fonctionnement inscrites sur le programme 166 s’élèveraient à 632 millions d’euros en AE et 517 millions d’euros en CP.
● Les dépenses de fonctionnement courant ouvertes en 2024 (222,3 millions d’euros), principalement inscrites sur l’action 6 Soutien du programme 166, augmenteraient de 30 millions d’euros afin de tenir compte de l’inflation et pour financer l’acquisition et le renouvellement de matériel informatique, ainsi que des mesures de réorganisation rendues nécessaire par l’évolution des effectifs.
● Les dépenses afférentes à l’immobilier occupant (364 millions d’euros en AE et 244,7 millions d’euros en CP) diminueraient en AE du fait du réengagement des marchés ministériels de fluides pour 75 millions qui était intervenu en 2023, les AE n’étant pas reconduites.
● S’agissant enfin de l’ENM, opérateur rattaché au programme 166, le projet de loi de finances pour 2024 prévoit de porter la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à 46 millions d’euros (+ 11 millions d’euros). Le rapporteur spécial souligne à cet égard que la capacité de l’ENM à absorber en un temps relativement court les recrutements importants de magistrats annoncés pour les cinq prochaines années est un enjeu auquel il conviendra d’être attentif.
3. Les dépenses d’investissement immobilier du programme
456,3 millions d’euros en AE et 361,8 millions d’euros en CP seraient alloués aux dépenses immobilières de la justice judiciaire. Ces crédits sont respectivement en baisse de 45 millions d’euros et en hausse de 92 millions d’euros par rapport à 2023.
S’agissant des crédits confiés à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) :
– 23,70 millions d’euros complémentaires financeront les opérations de construction du nouveau palais de justice de Lille et les opérations de restructuration et d’extension du palais de justice de Perpignan, lancées en amont de la loi de programmation 2018-2022 ;
– 114,43 millions d’euros complémentaires contribueront aux financements des opérations suivantes, confiées à l’APIJ dans le cadre de la programmation judiciaire 2018-2022 : la création du pôle pénal du tribunal judiciaire de Bobigny, la construction du palais de justice à Cusset, la réhabilitation et extension du palais de justice de Fort-de-France, la restructuration et l’extension du tribunal judiciaire de Meaux ainsi que la restructuration et l’extension du tribunal judiciaire et du conseil des prud’hommes de Toulon.
Par ailleurs, 148,6 millions d’euros en AE et 121,1 millions d’euros en CP relèveraient des opérations menées par les services déconcentrés : celles-ci concerneraient notamment les opérations de mise en accessibilité et de rénovation du câblage des bâtiments des juridictions.
Enfin, 31,4 millions d’euros en AE et 52,9 millions d’euros en CP sont alloués au paiement des loyers des contrats de partenariat conclus par le ministère de la justice, montants sensiblement équivalents à ceux proposés l’an passé.
II. Le programme 107 : une stabilité relative des crédits pour l’Administration pÉnitentiaire
Le programme 107 Administration pénitentiaire représente 41 % des crédits de la mission Justice. Ses crédits sont composés à plus de 60 % de dépense de titre 2. Les dépenses d’investissement du programme (518,7 millions d’euros en 2024) sont principalement allouées à la mise en œuvre du plan « prisons ».
A. Vue d’ensemble du programme 107
Le programme 107 serait doté de 6,8 milliards d’euros en AE et 5 milliards d’euros en CP en 2024. Ces crédits seraient respectivement en hausse de 25 % et de 1,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2023.
Évolution des crÉdits du programme 107 Administration pÉnitentiaire
(en millions d’euros)
|
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||||
|
PLF |
PLF |
Évolution 2023-2024 |
PLF |
PLF |
Évolution 2023-2024 |
01 – Garde et contrôle des personnes placées sous-main de justice |
3 450,9 |
3 659,1 |
+ 6,0% |
3 439,4 |
3 439,4 |
+ 3,8% |
02 – Accueil et accompagnement des personnes placées sous-main de justice |
1 498,4 |
2 720,4 |
+ 81,6% |
1 129,1 |
1 129,1 |
– 2,1% |
04 – Soutien et formation |
460,6 |
434,5 |
– 5,7 % |
434,5 |
434,5 |
– 5,7 % |
Total |
5 409,9 |
6 814,0 |
+ 26,0% |
5 003,0 |
5 003,0 |
+ 1,5 % |
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
La hausse du montant des AE demandées pour 2024 s’explique par l’engagement, de 966,4 millions d’euros pour la passation des marchés de gestion déléguée des prisons dits MGD 2024 (2025-2031). Aucun CP n’est prévu pour ces marchés qui débuteront au 1er janvier 2025.
Les fonctions déléguées, dans le cadre de marchés publics « multi-techniques et multi-services », sont les fonctions d’intendance et de logistique, telles que la restauration (préparation et distribution des repas, respect de la sécurité alimentaire et de l’application des normes d’hygiène), l’hôtellerie, la cantine (possibilité offerte aux personnes détenues d’acheter des denrées, objets ou prestations de service sur la part disponible de leur compte nominatif), le transport, ou encore l’accueil des familles.
Plusieurs générations de contrats se sont succédé depuis 1989. Les marchés publics multi-services se sont progressivement développés depuis 2001.
En 2024, les crédits de titre 2 s’élèvent à 3,2 milliards d’euros en AE et CP, soit une augmentation de 159,27 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Hors CAS Pensions et hors mesures de transfert, les crédits de titre 2 du programme 107 s’élèvent à 2,16 milliards d’euros et progressent de 5,7 % par rapport à la programmation initiale 2023.
Cette hausse s’explique en partie par le schéma d’emplois de la direction de l’administration pénitentiaire ([17]), qui prévoit la création de 447 postes par rapport à 2023 ([18]).
Ce volume se décompose comme suit :
– 208 créations pour permettre l’ouverture des nouveaux établissements ;
– 217 pour permettre la reprise des missions d’extractions judiciaires au ministère de l’intérieur ;
– 22 emplois pour le renforcement de la sécurité des systèmes d’information.
Dans ses réponses au questionnaire budgétaire, l’administration précise que la prévision de recrutements sous-jacente au projet annuel de performances s’établit à 2 891 entrées, dont 2 131 primo-recrutements. Le schéma de recrutement a été actualisé depuis, au plus près des besoins, à 2 546 entrées, afin de permettre le remplacement des départs (2 099 recrutements à ce titre) et la réalisation du schéma d’emplois (447 agents).
Le nombre de recrutements de surveillants contractuels ne peut quant à lui être anticipé. En effet, il dépendra des postes non pourvus aux concours, qui seront alors ouverts au recrutement des surveillants contractuels.
Le rapporteur spécial considère que ces créations d’emplois sont nécessaires, mais il constate que le schéma d’emplois des personnels de surveillance, quoique dynamique depuis plusieurs années, est régulièrement sous-exécuté. Il faut vraiment remédier à cela.
Les créations de postes concerneraient au premier chef les effectifs de la filière de surveillance affectée en établissements, dont le plafond d’emplois s’élève à 35 892,2 ETPT pour 2024, soit les trois-quarts du plafond d’emplois du programme.
Le rapporteur spécial considère que ces créations d’emplois sont bien évidemment nécessaires, mais il constate que le schéma d’emplois des personnels de surveillance, quoique dynamique depuis plusieurs années, est régulièrement sous-exécuté, cette sous-exécution s’étant accrue en 2022. On ne peut que le regretter.
Écart entre la prÉvision et l’exÉcution du schÉma d’emplois des personnels de surveillance de l’administration pÉnitentiaire
(en ETP)
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
Cette sous-exécution traduit les difficultés de recrutement importantes rencontrées par l’administration pénitentiaire et le déficit d’attractivité du métier de surveillant. La direction de l’administration pénitentiaire, interrogée par le rapporteur spécial, indique à cet égard qu’une tendance s’observe depuis plusieurs années, à savoir un taux d’érosion important entre les inscrits et les présents aux épreuves d’admissibilité. Ce taux était de 80 % en 2022 et de 75 % en 2023.
En dépit de la hausse des effectifs depuis 2017, le taux de vacance des postes de surveillant s’élèverait ainsi à 4,2 % à la fin de l’année 2022.
taux de vacance des postes des personnels de surveillance
ETP |
Effectifs théoriques |
Effectifs réels |
Postes vacants |
Taux de vacances de postes |
Décembre 2017 |
28 099 |
26 245 |
1 854 |
6,60 % |
Décembre 2018 |
29 855 |
27 451 |
2 404 |
8,05 % |
Décembre 2019 |
30 371 |
28 740 |
1 631 |
5,37 % |
Décembre 2020 |
31 014 |
29 154 |
1 860 |
5,99 % |
Décembre 2021 |
31 065 |
29 517 |
1 548 |
4,98 % |
Décembre 2022 (projection) |
31 397 |
30 102 |
1 295 |
4,12 % |
Source : réponses au questionnaire budgétaire.
La réforme statutaire d’envergure de la filière de surveillance, annoncée par le Garde des Sceaux et le ministre de la Transformation et de la fonction publiques le 21 février 2023 à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), et dont le coût pluriannuel est évalué à 88 millions d’euros, doit permettre le passage des surveillants de la catégorie C à la catégorie B, et le passage des officiers de la catégorie B à la catégorie A.
Cette réforme entrera en vigueur dès le 1er janvier 2024 et prévoit des revalorisations indiciaires et indemnitaires significatives. Elles permettront de reconnaître la difficulté des métiers pénitentiaires, mais également de renforcer leur attractivité. En outre, la possibilité de recruter des surveillants contractuels sera ouverte et devrait permettre de saturer le schéma d’emplois de la direction chaque année.
Le rapporteur spécial sera donc attentif à ce que le schéma d’emplois de ces personnels soit enfin correctement exécuté.
B. une hausse des moyens de l’administration pÉnitentiaire
Les dépenses hors titre 2 du programme s’élèvent à 3,59 milliards d’euros en AE (+ 53 % par rapport à 2022) ([19]) et 1,78 milliard d’euros en CP (+ 4,5 % par rapport à 2022).
Ces crédits sont consacrés à l’aménagement des peines, à la sécurisation et à la maintenance des sites de l’administration pénitentiaire, à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes placées sous main de justice. Les dépenses d’investissement du programme sont principalement allouées à la poursuite du plan « prisons », dont le retard constaté en 2021 peine à être résorbé.
Plus précisément, le budget immobilier pénitentiaire finance deux types d’opérations : les opérations menées par l’APIJ, relevant du plan « prisons », et les opérations de maintien en condition opérationnelle des établissements pénitentiaires menées par les services déconcentrés. Au titre du plan « prisons », 524,4 millions d’euros en AE et 308 millions d’euros en CP sont demandés pour 2024, contre 569,9 millions d’euros en AE et 417,4 millions d’euros en CP en 2023.
1. Le plan « prisons » : 18 000 nouvelles places de détention d’ici à 2027
Les dépenses immobilières de l’administration pénitentiaire s’élèvent à 713 millions d’euros en AE, en baisse de 7,6 % par rapport à la LFI pour 2023, et 518,7 millions d’euros en CP, en baisse également de 20,3 %.
Ces crédits sont principalement alloués à la mise en œuvre du plan « prisons », dans le cadre duquel est prévue la création « socle » de 15 000 places de détention à horizon 2027. Dans le cadre de la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, le Gouvernement a accédé à la proposition du groupe Les Républicains d’augmenter ce programme pénitentiaire de 3 000 places supplémentaires, portant ainsi l’objectif d’ici 2027 d’un parc pénitentiaire opérationnel de 78 000 places.
Ce plan, dont l’objectif est de limiter la surpopulation carcérale et d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 %, se décompose donc désormais en trois tranches :
– la construction de 7 000 premières places, qui devait intervenir au plus tard en 2022 ;
– celle des 8 000 places restantes entre 2022 et 2027 ;
– les 3 000 places ajoutées à l’objectif initial grâce au débat parlementaire, qui s’inscrivent elles aussi dans l’horizon temporel du quinquennat mais qui ne semblent pas pour l’heure avoir fait l’objet d’un début de programmation opérationnelle.
Ce plan s’inscrit dans une lignée continue de programmes lancés depuis la fin des années 80.
La succession des programmes de construction depuis 35 ans
– en 1988, le programme « 3 000 »
– en 1995, le programme « 4 000 » (achevé fin 2004) ;
– en 2002, le programme « 13 200 » avec l’introduction de partenariats public-privé (révisé depuis et achevé en 2017) ;
– en 2004, le dispositif d’accroissement des capacités de près de 3 000 places ;
– en 2011, le « nouveau programme immobilier » de 7 500 places qui prévoit d’atteindre un parc pénitentiaire de plus de 70 000 places en 2018, revu en 2012 à environ 63 500 places d’ici 2022 ;
– en 2014, le programme « 3 200 » dont la livraison est prévue en 2023 ;
– en 2017, le « plan 15 000 », devenu 18 000 en 2023, dont l’achèvement est prévu en 2027.
Après deux hausses significatives des crédits ouverts en 2021 (+ 41,5 %) et 2022 (+ 14 %), les dépenses immobilières du programme ont progressé plus modérément de 2 % en 2023. Le PLF pour 2024 anticipe quant à lui une très forte diminution des crédits de paiement : – 20,3 %.
D’après le projet annuel de performances, cette ligne budgétaire devrait connaître des variations tout aussi erratiques en 2025 avec – 79 % en autorisations d’engagement, soit un volume de crédits qui chuterait à 148 millions d’euros, avant de rebondir à 1 milliard d’euros en 2026 (+ 575,2 %) !
Si ces variations sont assez classiques pour ce qui est des programmes immobiliers, leur ampleur interroge toutefois. Engager un tel montant d’AE en 2026 indique nécessairement qu’un volume très important de places sera livré bien après l’échéance de 2027, si tant est que les AE soient effectivement à la hauteur en 2026.
Ces retards de livraison sont regrettables, ils ne sont guère étonnants et ne peuvent pas être justifiés par une contrainte budgétaire. Ils résultent avant tout d’un manque de pilotage des crédits d’investissement, systématiquement sous consommés en exécution. On ne peut que le regretter très vivement et demander de nouveau à la Chancellerie de se ressaisir sur la question.
Si la crise sanitaire a accentué les décalages, l’administration rappelle régulièrement que des difficultés propres au domaine pénitentiaire, notamment dans la validation des emprises foncières avec les collectivités territoriales, constituent la principale cause du retard accumulé.
Ces arguments doivent néanmoins être nuancés par le fait que l’administration pénitentiaire, en privilégiant des terrains à proximité des tribunaux, réalise également des arbitrages susceptibles de repousser le lancement d’un projet de construction.
À ces difficultés s’ajoute la fluctuation des coûts des matières premières.
En tout état de cause, le rapporteur spécial souhaite que la construction de ces places supplémentaires intervienne rapidement afin d’améliorer les conditions de détention, de limiter la surpopulation carcérale et de mettre en œuvre une politique pénale efficace.
L’état d’avancement du plan « prisons »
Le Gouvernement a pris acte du retard de livraison des places programmées dans le cadre du plan prison. Les 7 000 places programmées avant la fin de l’année 2022 n’ont pas été construites en intégralité. Au 1er juillet 2023, 14 établissements ont été livrés, représentant 4 281 places brutes, soit 2 771 places nettes.
Le rapporteur spécial regrette que les réponses aux questionnaires budgétaires relatives au plan prison ne lui aient pas été transmises en temps utile. Sont donc reprises ici les informations reprises par la Cour des comptes dans sa note d’exécution budgétaire d’avril 2023, et celles transmises à l’occasion de l’élaboration du rapport d’information du rapporteur sur la planification de la construction de prisons ([20]).
En 2023, 10 nouveaux établissements actuellement en voie d’achèvement, représentant 1 958 places, devaient être livrés. À l’été 2023, seules 330 places l’ont effectivement été, avec la livraison effective des SAS de Valence, Avignon et Le Mans-Coulaines.
D’ici la fin de l’année 2023, 5 nouveaux établissements, représentant 1 328 places nettes, seront livrés selon les dires du ministère : les SAS d’Osny et Meaux (180 places nettes chacune) et le centre pénitentiaire de Caen-Ifs (282 places nettes) cet été, puis le centre de détention de Fleury-Mérogis (408 places nettes) et le centre pénitentiaire de Troyes-Lavau (278 places nettes).
Le compte n’y est donc pas pour 2023, avec 300 places manquantes par rapport aux prévisions de l’an passé.
Ainsi, 24 établissements, soit la moitié de la prévision initiale, seront opérationnels en 2024.
Au final, on ne peut que déplorer le fait que les annonces de places nouvelles ne sont que rarement suivies de constructions effectives. Entre 2010 et 2023, alors que l’on a annoncé à quatre reprises la création de 15 000 place, on n’a finalement abouti qu’à la livraison de 3 000 places.
En définitive, l’échéancier annuel présenté par la direction de l’administration pénitentiaire montre qu’après un pic de livraison qui devrait être atteint en 2023 (1 958 places) la majorité des ouvertures ne sont pas attendues avant 2027 au mieux. Ce calendrier laisse d’ailleurs peu de doute sur le fait que les dernières places seront livrées au-delà de cette échéance – ce qui est désastreux puisque le Président de la République s’était déjà engagé dès 2017 pour la création de 15 000 places supplémentaires d’ici à 2022. Il faudra probablement plus de deux quinquennats pour mener à bien ce projet, ce qui est regrettable et ne permet pas d’avoir une politique carcérale à la hauteur des enjeux.
ÉchÉancier annuel de crÉation de places nettes de prison
2017-2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Total |
Livrées |
Livraison |
Livraison |
Livraison |
Livraison |
Livraison |
Livraison |
Livraison |
2 081 |
360 |
1 958 |
390 |
930 |
1 776 |
8 361 |
15 856 |
Source : réponses au questionnaire budgétaire 2022, hors prise en compte des 3 000 places supplémentaires de la LOPJ.
La création de places nettes résulte de la combinaison de quatre phénomènes qui se compensent pour partie mutuellement :
– un rattrapage des anciens programmes sur les programmes en cours, ce qui rend complexe le rattachement des créations de places nouvelles au dernier plan prison alors que les décisions ont pu être prises antérieurement ;
– la neutralisation des places créées par la suppression de places vétustes ;
– le lancement de travaux de rénovation favorisés par la création de places nouvelles qui permettent de transférer des détenus d’ores et déjà incarcérés ;
– des retards importants dans la concrétisation des programmes.
La lutte contre la surpopulation carcérale prend dans ces cas des allures de fuite en avant. L’horizon s’éloigne à mesure que l’on s’en rapproche.
S’agissant du volume de places opérationnelles, en effet, et malgré le volontarisme affiché, celles-ci s’élevaient à 60 562 contre 60 703 un an auparavant.
Le nombre de places opérationnelles baisse donc de – 0,23 % sur un an glissant. Cette situation se poursuit depuis 2019. Sur cette période, les places opérationnelles ont baissé de – 0,86 %, du fait de la conjugaison des quatre phénomènes précités.
En 2023, le nombre d’écroués détenus dépasse son niveau d’avant la crise sanitaire.
Ainsi, au 1er juillet 2023, la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) comptabilisait 20 189 prévenus, 67 589 condamnés détenus ou non-détenus, et un record absolu de 74 513 détenus en France entière.
De façon mécanique, le taux d’occupation atteint lui aussi des records, avec 122,8 % dans l’ensemble des établissements, et 144,2 % en maison d’arrêt ou en quartier maison d’arrêt au 1er juillet 2023.
Taux d’occupation des Établissements pÉnitentiaires par catÉgorie d’Établissement au 1er janvier 2023
Type d’établissement/quartier |
Nombre de détenus |
Taux d’occupation |
Tous quartiers et établissements confondus |
72 173 |
119 % |
Centre national d’évaluation |
157 |
93 % |
Établissement public de santé national de Fresnes |
57 |
68 % |
Établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs |
211 |
61 % |
Quartier ou centre de détention |
19 115 |
94 % |
Quartier ou centre de semi-liberté |
1 043 |
72 % |
Quartier ou centre pour peines aménagées |
392 |
62 % |
Quartier ou maison centrale |
1 723 |
82 % |
Quartier ou maison d’arrêt |
49 475 |
140 % |
Source : commission des finances, d’après les réponses au questionnaire budgétaire.
Ce taux d’occupation inédit ne peut qu’inquiéter le rapporteur spécial. Au 1er juillet 2021, le taux d’encellulement individuel tous établissements pénitentiaires confondus était de 44,1 % – un niveau bien éloigné de l’objectif de 80 % défini au lancement du plan « prisons » ([21]). Rien ne semble prêt pour soulager les établissements pénitentiaires, ce qui porte préjudice aux détenus et aux personnels. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les métiers de l’administration pénitentiaire ne soient pas attractifs.
La Cour des comptes soulignait également dans sa dernière note sur l’exécution budgétaire de la mission que si les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération sont montés en charge, cette augmentation ne s’est pas traduite par une contraction du nombre de personnes détenues. Au contraire, l’augmentation du nombre de personnes suivies dans le milieu ouvert (174 000 en 2022 contre 163 000 en 2021) a semblé aller de pair avec l’augmentation de la population détenue.
Le rapporteur spécial s’inscrit donc en profond désaccord, non pas avec les constats mais avec les pistes d’amélioration évoquées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son avis paru au Journal officiel le 25 juillet 2023 ([22]). Le développement massif et contraint des alternatives à la privation de liberté en milieu fermé n’est pas une option. Seule une accélération franche des opérations de construction et de rénovation des établissements pénitentiaires sera à même d’améliorer les conditions de détention et de permettre à la société de garder le choix de la peine la plus adaptée aux actes commis, sans que des considérations matérielles ne viennent interférer dans la décision des magistrats.
2. La sécurité des établissements pénitentiaires
En parallèle de la construction de places de prisons, 139,4 millions d’euros en AE et 120,7 millions d’euros en CP seraient alloués à la maintenance et la sécurisation des établissements en gestion publique. Ces crédits augmenteraient de 15 millions d’euros par rapport à 2023.
L’enveloppe finançant la sécurisation passive des sites serait en particulier en forte hausse de 28 millions d’euros et s’établirait à 46,8 millions d’euros, afin de poursuivre le déploiement de dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites. À ce jour, 17 établissements sont complètement équipés d’un dispositif de brouillage.
18,5 millions d’euros seraient par ailleurs alloués au déploiement du programme « mobilité » visant à équiper les personnels de surveillance d’un terminal mobile polyvalent leur permettant de disposer en tout lieu des informations nécessaires pour assurer leurs missions, un montant stable par rapport à la programmation 2023.
Ces crédits sont essentiels pour assurer la sécurité des personnels. À cet égard, le rapporteur spécial constate que le nombre de faits d’agression physique reste élevé, même si l’année 2023 semble marquée par une relative « accalmie » ([23]).
Les violences urbaines de juin 2023 n’ont évidemment pas non plus épargné les structures pénitentiaires de toute nature, que ce soit par des intrusions, des dégradations ou des tirs de mortiers.
3. La prévention de la récidive et la réinsertion des personnes placées sous-main de justice
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ([24]) comportent plusieurs mesures ayant pour objectif de développer les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération, afin de favoriser une réinsertion rapide des personnes placées sous-main de justice. Les efforts engagés ces dernières années en faveur des aménagements de peine et des mesures alternatives à l’incarcération ont par ailleurs vocation à être amplifiées dans la lignée de l’adoption de la loi d’orientation et de programmation 2023-2027.
Concernant le budget, les 34 % de crédits supplémentaires engagés en 2023 en faveur des aménagements de peine et des mesures alternatives à l’incarcération seront maintenus en 2024.
a. Les crédits alloués à l’aménagement des peines
Le rapporteur spécial constate que les peines alternatives à l’emprisonnement se développent. Le pourcentage de personnes condamnées bénéficiant d’une mesure sous écrou de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), d’un placement extérieur (PE) ou d’une semi-liberté reste stable en 2022, à 26,4 %. La cible prévue pour 2024 est fixée à 32 %.
Le taux d’occupation de seulement 47 % des places disponibles en 2022 offre une évidente possibilité de développement des mesures de placement extérieur.
2024 verra d’ailleurs se déployer le dispositif dit « PE360 », véritable outil de pilotage visant à répertorier l’ensemble des places de placement extérieur et de faciliter la gestion de la mesure en lien avec la structure d’accueil, pour favoriser le prononcé de ce type d’aménagement de peine et, ainsi, mieux prévenir la récidive. Cet outil s’ajoute à la mesure de revalorisation du prix de la journée de placement, qui a progressé de 10 euros en 2023 pour permettre aux associations de couvrir les charges de leurs structures d’hébergement.
Les moyens budgétaires mobilisés au bénéfice de ces dispositifs seraient relativement stables en 2024, et s’établiraient à 51,8 millions d’euros. Ces crédits ont vocation à financer :
– le placement sous surveillance électronique (PSE) ;
– le placement à l’extérieur (PE) ;
– le bracelet anti-rapprochement.
b. Les moyens en faveur de l’insertion des personnes placées sous main de justice
Outre l’aménagement des peines, l’administration pénitentiaire alloue des moyens à l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, qu’il s’agisse de personnes réalisant leur peine en milieu fermé ou ouvert. L’Agence nationale du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous-main de justice (ATIGIP), chargée de favoriser l’insertion professionnelle des détenus et le travail en prison, ainsi que les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont les acteurs principaux de cette politique publique.
Là encore, les crédits demandés pour 2024 connaîtraient une grande stabilité, à 112 millions d’euros en AE et 107 millions d’euros en CP.
● 20,5 millions d’euros financent l’insertion professionnelle des personnes détenues. Un nouveau dispositif devrait voir le jour progressivement en 2024, à savoir une évaluation socio-professionnelle systématique à l’entrée en détention. 3,5 millions d’euros sont prévus pour cette nouvelle action qui sera mise en place par l’ATIGIP.
Le rapporteur spécial constate que les outils à disposition de l’administration pénitentiaire pour favoriser la réinsertion des détenus sont en voie de développement et de diversification. Dans le cadre du projet InSERRE ([25]), trois structures expérimentales axées sur la réinsertion par le travail et la formation professionnelle seront ouvertes à Toul, Donchéry et Arras et dotées d’une capacité de 100 à 180 places chacune. Ces établissements ont vocation à accueillir des personnes détenues avec un faible reliquat de peine (1 à 3 ans). Au sein de ces structures, chacun aura accès à un travail ou une formation. Le fonds de transformation de l’action publique a accordé 35 millions d’euros dès 2020 à ce projet. Le projet de Toul devrait voir le jour en 2026.
● La réinsertion des personnes détenues se traduit également par la lutte contre la pauvreté en prison. Les aides matérielles et financières allouées aux personnes sans ressources suffisantes (PSRS) augmenteraient à ce titre d’un million d’euros, afin de financer la revalorisation de 10 euros de l’aide en numéraire qui était fixée, depuis 2013, à 20 euros par mois, et le relèvement du seuil d’indigence, ouvrant droit à l’aide en numéraire, porté de 50 à 60 euros ([26]). Cet effort est pérennisé sur les crédits 2024, qui s’élèveraient à 8 millions d’euros en AE et en CP.
Le rapport regrette cependant que les moyens alloués à la réinsertion des personnes placées sous main de justice ne s’accompagnent pas, pour le moment, de résultats satisfaisants. La part de détenus bénéficiant d’une formation générale ou professionnelle plafonne à 7 % en 2022 : c’est 2 points de moins que l’année précédente. Le taux de personnes détenues travaillant en établissement pénitentiaire s’établit quant à lui à 30,4 %, soit un niveau encore bien éloigné de la cible de 50 % fixée par l’administration à horizon 2025, ratio qui était pourtant atteint au début des années 2000. Si ces résultats sont en partie imputables à la crise sanitaire, le rapporteur spécial estime qu’il est indispensable qu’ils progressent dans les années à venir : la réinsertion des personnes placées sous main de justice est un enjeu fondamental pour donner un sens à la peine et prévenir la récidive, alors qu’au 1er avril 2023, 273 025 personnes placées sous main de justice sont prises en charge par le SPIP, dont 183 649 en milieu ouvert et 89 376 en milieu fermé
III. le programme 182 : protection judiciaire de la jeunesse
Le programme 182 représenterait 9,4 % des crédits de la mission en 2024. Il finance les moyens affectés à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui assure, directement ou par les associations qu’elle habilite et finance, la prise en charge des mineurs et jeunes majeurs qui lui sont confiés par la justice, et qui contrôle l’ensemble des structures publiques et associatives accueillant les mineurs sous mandat judiciaire.
A. Des crÉdits en hausse du fait de la progression des dÉpenses de personnel
Le programme serait doté de 1,16 milliard d’euros en AE et 1,13 milliard d’euros en CP, soit une augmentation modérée par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 à hauteur respectivement de 4,6 % % et de 3 %.
Hors CAS Pensions, ces crédits s’élèveraient à 950 millions d’euros et seraient en hausse de 28 millions d’euros par rapport à 2023.
Évolution des crÉdits du programme 182 PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
(en millions d’euros)
|
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||||
|
PLF 2023 |
PLF 2024 |
Évolution 2023-2024 |
PLF 2023 |
PLF 2024 |
Évolution 2023-2024 |
01 – Mise en œuvre des décisions judiciaires |
937,3 |
979,5 |
+ 4,5% |
918,3 |
948,7 |
+ 3,3% |
03 – Soutien |
122,4 |
135,9 |
+ 11,1% |
124,6 |
131,5 |
+ 5,6% |
04 – Formation |
44,0 |
45,4 |
+ 3,1% |
44,4 |
45,5 |
+ 2,4% |
Total |
1 103,7 |
1 160,8 |
+ 5,2% |
1 087,3 |
1 125,6 |
+ 3,5% |
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
Le budget du programme s’inscrit dans le contexte de la mise en œuvre de la réforme du code de justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur le 30 septembre 2021, qui a refondu la procédure d’instruction applicable devant le juge des enfants et donné un nouveau cadre d’exercice à l’action éducative.
L’activité de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) est par ailleurs guidée par les lignes directrices qui se dégagent des consultations menées dans le cadre des États généraux du placement, dont le rapport a été remis le 3 octobre 2022.
Les dépenses de personnel du programme s’élèveraient à 6 670 millions d’euros en 2024, soit 26 millions d’euros de plus qu’en 2023.
Ces crédits supplémentaires financeraient des mesures catégorielles, à hauteur de 13,6 millions d’euros, et un schéma d’emplois de + 92 ETP, à hauteur de 3,6 millions d’euros.
Les créations de postes programmées pour l’année 2023 portent sur les personnels d’encadrement (35 ETP) et les personnels éducatifs (57 ETP). Le schéma d’emplois s’inscrit dans la continuité des années précédentes, au cours desquelles 338 ETP ont été créés sur la période 2018 – 2022. Pour 2023, le schéma d’emplois était strictement équivalent, à + 92 ETPT, et sa répartition était également identique. Au cours de cette période, les recrutements ont essentiellement permis de renforcer les effectifs en milieu ouvert et de préparer l’ouverture de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF).
B. Hors dépense de masse salariale, les crédits affichent une augmentation modérée
Les crédits hors dépenses de masse salariale affichent une augmentation de 7,9 millions d’euros entre la loi de finances initiale pour 2023 et le projet de loi de finances 2024, et s’établissent à 455 millions d’euros.
Les crédits de l’action 1 Mise en œuvre des décisions judiciaires présentent une hausse de 1 %.
La variation observée s’explique principalement par l’inflation des prix qui entraîne une forte une hausse du coût global de prise en charge des jeunes qui sont confiés à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et supportés par l’action 1, ainsi que par la création de nouvelles structures dans le secteur associatif habilité (SAH) et des premiers paiements versés pour les 12 unités éducatives de jour (UEAJ) et le centre éducatif fermé de Mayotte arbitrés en mesures nouvelles pour le budget quinquennal du programme.
C’est également l’action 1 qui porte le plan de construction de 20 centres éducatifs fermés (CEF), prévu dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
Entre 2024 et 2027, douze nouveaux CEF ayant chacun plus de 12 places doivent ouvrir :
– trois en 2024 : un CEF public à Rochefort (Charente maritime) et deux CEF associatifs à Montsinéry-Tonnegrande en Guyane et au Vernet (Ariège).
– cinq en 2025, tous associatifs à Digne, Amillis (Seine-et-Marne), Bléré (Indre-et-Loire), Bellengreville (Calvados) et Apt (Vaucluse).
– deux en 2026, il s’agit du CEF public de Lure (Haute-Saône) et du CEF associatif de Villeneuve-Loubet (Alpes-maritimes).
– deux en 2027, un CEF public à Liancourt (Oise) et un CEF associatif à Saint Nicolas de la Grave (Tarn-et-Garonne).
Les cinq derniers CEF, dans le Pas-de-Calais, le Nord, la Loire, les Yvelines et la Savoie, sont en attente d’un foncier à fiabiliser pour déterminer un calendrier d’ouverture.
La Cour des comptes a publié en juillet dernier, ses observations définitives sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Cette étude, qui intervient vingt ans après la création de ces CEF, est riche d’enseignements.
La nécessité d’une évaluation approfondie de l’efficacité des CEF et des EPM
La Cour des comptes relève que les places en CEF ne sont occupées qu’aux deux tiers alors que la création « de 22 nouveaux CEF a été engagée sans qu’une analyse des besoins ait été réalisée ». Chaque CEF représente un investissement de 6 millions d’euros d’après la rectification mi-janvier 2023 de la direction du budget. Pour les CEF du secteur public, le coût budgétaire s’est élevé à 28,4 millions d’euros en 2022 selon le PAP 2023. Il faut ajouter une estimation de 2,5 millions d’euros pour le traitement des 51 professeurs de l’éducation nationale affectés aux CEF et le coût des 1 076 heures supplémentaires effectives.
La Cour relève également que les données du ministère de la justice mériteraient d’être fiabilisées, au regard des différences importantes entre les données fournies par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et celles issues des rapports annuels de performance.
La création de EPM, qui avaient pour objets de remplacer les quartiers pour mineurs (QM), a été ralentie de sorte que les deux types d’établissements se cumulent. Le coût d’une journée de détention en EPM, tel que calculé par le ministère de la justice, s’élève à 601 € contre 144 € en QM, en 2021. Le niveau de prise en charge des mineurs dans les EPM est inégal alors que rien n’indique que les mineurs en QM présentent des profils différents selon la Cour. Le coût total des EPM est de 59 M€ alors que les QM mobilisent 31 M€ (sans prendre en compte les investissements immobiliers).
La Cour des comptes reconnaît la nature innovante des CEF et des EPM, mais insiste sur le besoin d’une évaluation globale, faite par le ministère de la justice, par établissement, de l’efficience de ces structures notamment au regard des taux de récidive et de réitération tout en assurant un meilleur suivi des actions de formation et d’insertion compte tenu des moyens importants qui y sont consacrés.
Autre ligne budgétaire du programme, les crédits de l’action 3 Soutien affichent une hausse de 2,4 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Cette hausse s’explique notamment par la croissance des dépenses informatiques en lien avec l’achat prévu de matériel de visioconférence en 2024, ainsi que la facturation de dépenses de fluides bénéficiant aux services éducatifs mais supportées par les Direction Interrégionales.
Enfin, les crédits de l’action 4 Formation sont quant à eux en hausse de 0,23 million d’euros en CP pour financer les formations organisées dans le cadre de l’entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs ainsi que pour amortir les effets induits par l’inflation.
C. Bilan de la réforme du code de justice pénale des mineurs
Le code de justice pénale des mineurs (CJPM) est entré en vigueur le 30 septembre 2021, date à laquelle a été abrogée l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Les éléments de bilan transmis au rapporteur spécial proviennent notamment des indicateurs statistiques mis en place, des groupes de travail et des déplacements réalisés par l’administration centrale au sein des juridictions et des services déconcentrés de la PJJ, et de l’analyse des rapports d’activité des juridictions et des services déconcentrés. Ils laissent apparaître une mise en œuvre de la nouvelle procédure a priori respectueuse des grands principes applicables en matière de justice pénale des mineurs.
Dans 85 % des juridictions, les procédures initiées sous le régime de l’ordonnance de 1945 ont toutes ou quasiment toutes été jugées. Un effort conséquent d’audiences supplémentaires a été réalisé depuis l’entrée en vigueur du CJPM.
Les parquets se sont inscrits dans les orientations de politique pénale fixées par la circulaire de présentation de la réforme du 25 juin 2021. Ainsi, c’est le juge des enfants (JE) qui est majoritairement saisi aux fins d’audience sur la culpabilité, dans 74 % des convocations. La saisine du tribunal pour enfants est réservée aux faits d’une particulière gravité ou complexité.
La procédure dérogatoire de saisine du tribunal pour enfants (TPE) aux fins d’audience unique demeure quant à elle utilisée de manière exceptionnelle, puisqu’elle représente 7 % des convocations aux fins de jugement ([27]).
Au 31 mars 2023, les délais de jugement sont respectés au niveau national :
– délai entre la poursuite et l’audience de culpabilité : 1,9 mois ;
– délai entre l’audience de culpabilité et l’audience de sanction : 6,8 mois ;
– délai entre la poursuite et l’audience de sanction : 9,4 mois.
Toutefois, certaines juridictions de taille importante sont en difficulté pour respecter le délai de jugement pour la tenue de l’audience d’examen de la culpabilité, imposé à trois mois maximum par le CJPM.
Les juridictions se saisissent massivement de la possibilité de juger en audience unique dès la première audience. Ainsi, un tiers des premières audiences sont transformées en audience unique, sur décision du JE ou du TPE.
Le principe de primauté de l’éducatif, avec le prononcé de la nouvelle mesure éducative judiciaire sur le répressif (prononcé de mesures de sûreté et de peines), est respecté tout au long de la procédure, que ce soit au stade antérieur au prononcé de la culpabilité, lors de la période de mise à l’épreuve éducative ou bien encore lors du prononcé de la sanction.
Les nouvelles mesures éducatives judiciaires sont très largement prononcées. Parmi elles, à peine plus d’un tiers est prononcé sans module. Quatre types de modules existent : insertion, réparation, santé et placement. Par rapport à l’ensemble des modules, le module d’insertion, le plus ordonné, représente 34 % des modules, le module de réparation, 33 %, le module de santé, 23 %, le module de placement, 10 %.
L’un des objectifs majeurs du CJPM consiste à réduire l’incarcération des mineurs et en particulier le recours à la détention provisoire. Cet objectif est atteint. La baisse de l’incarcération des mineurs, déjà entamée depuis plusieurs mois avant l’entrée en vigueur du CJPM, s’est poursuivie après le 1er octobre 2021. Au 1er juin 2023, le nombre de mineurs incarcérés s’élève à 671, alors qu’ils étaient 779 au 1er juin 2021. En outre, la proportion de mineurs en détention provisoire a elle aussi diminué : alors qu’elle s’élevait à 77 % au 1er octobre 2021, la part des mineurs en détention provisoire est aujourd’hui de 61 % des mineurs incarcérés.
Le rapporteur spécial se félicite de ces évolutions qui améliorent la cohérence et les bénéfices coûts-avantages de notre système de protection judiciaire de la jeunesse.
IV. le programme 101 : AccÈs au droit et À la justice en hausse de 3 % en 2024
6 % des crédits de la mission sont inscrits sur le programme 101 Accès au droit et à la justice. Celui-ci finance principalement les dépenses d’intervention au profit des justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle, dépense emblématique du ministère, des associations apportant une aide aux victimes d’infraction pénale, des conseils départementaux de l’accès au droit, des associations gérant un espace de rencontre entre parents et enfants et de celles intervenant en matière de médiation familiale.
Les crédits du programme 101 s’élèveraient à 734,2 millions d’euros en 2024 et progresseraient de 2,8 % par rapport à 2023.
Évolution des crÉdits du programme 101 AccÈs au droit et À la justice
(en millions d’euros)
|
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||||
|
PLF |
PLF |
Évolution 2023-2024 |
PLF |
PLF |
Évolution 2023-2024 |
01 – Aide juridictionnelle |
641,1 |
657,1 |
+ 2,5% |
641,1 |
657,1 |
+ 2,5% |
02 – Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité |
14,7 |
16,1 |
+ 9,5% |
14,7 |
16,1 |
+ 9,5% |
03 – Aide aux victimes |
43,0 |
46,5 |
+ 8,1% |
43,0 |
46,5 |
+ 8,1% |
04 – Médiation et espaces de rencontre |
13,7 |
14,5 |
+ 5,9% |
13,7 |
14,5 |
+ 5,9% |
Total |
712,4 |
734,2 |
+ 3,1% |
712,5 |
734,2 |
+ 3,1% |
Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.
A. La progression continue des crédits alloués à l’aide juridictionnelle
Les crédits alloués à l’aide juridictionnelle constituent près de 90 % des crédits du programme et s’élèveraient à 657 millions d’euros en 2024. Ils progresseraient de 16 millions d’euros après une hausse de 29 millions d’euros en 2023 et de 81 millions d’euros en 2022.
Cette augmentation prend en compte :
– la hausse tendancielle de la dépense résultant des diverses réformes qui sont intervenues depuis plusieurs années et dont les effets financiers sont progressifs (cf. infra) ;
– les relèvements annuels du plafond d’admission à l’aide juridictionnelle ;
– la croissance régulière du nombre des gardes à vue, des auditions libres et des présentations devant le procureur de la République ;
– la prochaine revalorisation des interventions réalisées à l’occasion d’un mode alternatif de règlement des différends ;
– la prochaine prise en charge des frais de déplacements des avocats du barreau de Cayenne ;
– l’extension à venir du dispositif des conventions locales d’aide juridique (CLAJ) à la Nouvelle-Calédonie.
– la future mesure de maîtrise de la dépense consistant à réviser les conditions s’appliquant à la dégressivité des rétributions, par exemple dans le cas de contentieux de masse.
Comme indiqué, l’aide juridictionnelle a fait l’objet de diverses réformes menées depuis 2020 :
– l’article 243 de la loi de finances pour 2020 a simplifié les critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle et fondé l’appréciation de la condition de ressources sur le revenu fiscal de référence (RFR), la valeur en capital d’une partie du patrimoine du demandeur, ainsi que la composition du foyer ;
– l’article 234 de la loi de finances pour 2021 a refondu le régime de rétribution des avocats commis d’office pour les missions effectuées au titre de l’aide juridictionnelle. Ce nouveau régime – dit de l’AJ garantie – prévoit notamment que lorsqu’un avocat est commis ou désigné d’office, il peut percevoir la contribution de l’État sans qu’il lui soit nécessaire de justifier de la situation du demandeur. L’examen de l’éligibilité du justiciable est alors réalisé a posteriori. Ce même article de la loi de finances pour 2021 a également étendu le bénéfice de l’aide juridictionnelle à certaines procédures non juridictionnelles et il a par ailleurs revalorisé l’unité de valeur servant au calcul des rétributions perçues par les avocats pour leurs interventions devant les juridictions en la portant à 34 euros ;
– l’article 188 de la loi de finances pour 2022 a complété ces mesures en revalorisant une nouvelle fois l’unité de valeur servant au calcul des rétributions perçues par les avocats, en la portant à 36 euros ;
– l’article 189 de la loi de finances pour 2023 a institué un bureau d’aide juridictionnelle pour instruire les demandes.
Si le comité des États généraux de la justice s’est, en 2002, montré favorable à l’extension de l’accès à l’aide juridictionnelle aux personnes morales, la loi d’orientation et de programmation 2023-2027 ne prévoit pas cette possibilité.
En 2024, la hausse des crédits versés au titre de l’aide juridictionnelle serait principalement tirée par la progression des dépenses de rétribution des avocats (+ 10 millions d’euros, pour un total de 611,7 millions d’euros). Si cette augmentation s’explique par la revalorisation de l’unité de valeur ([28]) , elle résulte également de l’achèvement des affaires qui avaient pris du retard pendant la crise sanitaire, de la réforme de la justice pénale des mineurs ou encore de la hausse du nombre de gardes à vue.
En revanche, la hausse tendancielle des dépenses d’aide juridictionnelle ne s’explique pas par un plus grand nombre d’admissions. Ce dernier est resté, en 2021, en deçà du niveau atteint avant la crise sanitaire.
Évolution comparée de la dépense consacrée à l’AJ et du nombre d’admissions à l’AJ depuis 2017
Note de lecture : l’axe des ordonnées est exprimé en centaines pour ce qui est du nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle, et en millions d’euros pour ce qui est des crédits.
Source : commission des finances.
S’il n’est pas envisagé de revaloriser une nouvelle fois l’unité de valeur servant au calcul de la rétribution des avocats, le décret n° 2023-457 du 12 juin 2023, entré en vigueur le 1er juillet, prévoit une revalorisation de 50 % des tarifs applicables aux professions des autres auxiliaires de justice (commissaires de justice, experts, huissier de justice, notaires…).
Cette mesure était attendue dans la mesure où, comme le rappelait le comité des États généraux de la justice, la nomenclature des rémunérations versées aux notaires et huissiers de justice n’avait pas été modifiée depuis près de 50 ans. Les montants par acte atteignent ainsi des niveaux faibles (10 euros par acte, 22 euros pour un procès-verbal), conduisant de nombreux auxiliaires à ne pas réaliser les démarches nécessaires pour obtenir un remboursement au titre de l’aide juridictionnelle.
Synthèse du rapport de la Cour des comptes relatif à l’aide juridictionnelle
La Cour des comptes a délibéré le 3 juillet 2023 des observations définitives relatives à l’aide juridictionnelle.
Le rapporteur souscrit à l’essentiel des constats et recommandations formulées à cette occasion.
La Cour rappelle tout d’abord que les dépenses liées à l’AJ ont augmenté en moyenne de 13 % par an depuis 2017. Or le ministère n’a pas encore fixé de doctrine claire d’attribution de cette aide et la gestion des procédures présente des défaillances. De plus, le coût et les délais de mise en œuvre du système d’information ont connu de fortes dérives et les grands procès liés aux attentats ont montré que devrait être mise en place la dégressivité des montants versés aux avocats en cas de procédures répétitives.
Le budget consacré à l’AJ a doublé en dix ans, en raison notamment de l’augmentation du nombre de procédures y ouvrant droit et des barèmes permettant son versement. La tenue des grands procès consécutifs aux attentats terroristes de 2015 et 2016 a également donné lieu à un surcroît de dépenses significatif, 54 millions d’euros pour le seul procès des attentats de novembre 2015 à Paris, avec un niveau très élevé de rémunération de certains avocats chargés de nombreuses procédures.
Un nouveau système d’information, le Siaj, dont le coût et les délais de mise en œuvre ont connu une dérive importante, est en cours de déploiement. Il doit contribuer à améliorer la productivité des 169 bureaux d’aide juridictionnelle (Baj), réduire le temps de traitement des demandes et diminuer le coût de gestion de l’aide juridictionnelle. Il doit également permettre de mieux instruire les demandes, notamment s’agissant des contrôles qui ne sont pas pris en charge par le système d’information.
Dans ce nouveau rôle, les bureaux d’aide juridictionnelle doivent être soutenus par le ministère de la justice, qui doit aussi veiller à ce que soit disponible une information plus claire et à jour sur l’aide juridictionnelle.
B. la poursuite de la hausse des crédits alloués à l’accès au droit et à l’aide aux victimes
● L’enveloppe allouée à l’accès au droit s’élèverait à 16 millions d’euros et progresserait de 2,7 millions d’euros par rapport à 2023. Ces crédits supplémentaires bénéficieraient aux 101 conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et aux deux conseils de l’accès au droit (CAD) ouverts en 2022 à Saint-Martin et en Polynésie française, ainsi qu’aux 2 685 points-justice recensés au 31 décembre 2022.
Le ministère prévoit ainsi de renforcer le maillage territorial de ces structures en créant un nouveau CAD en Nouvelle-Calédonie, ainsi que trois nouvelles maisons de justice et du droit (MJD), à Paris, Limoux et à Alès.
● Les crédits alloués à l’aide aux victimes s’élèveraient à 46,5 millions d’euros et seraient en hausse de 3,5 millions d’euros par rapport à 2023. Ces dépenses supplémentaires bénéficieraient principalement aux associations locales d’aide aux victimes, notamment celles tenant des permanences dans les bureaux d’aide aux victimes (BAV).
● S’agissant enfin des crédits alloués à la résolution des conflits familiaux, 0,81 million d’euros supplémentaires seraient ouverts par rapport à 2023. L’augmentation de la dépense se justifie par la croissance régulière du nombre de médiations judiciaires et la prolongation de l’expérimentation rendant obligatoire une médiation préalablement à la saisine du juge pour certaines affaires familiales, La convention d’objectifs et de gestion liant l’État et la caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) pour la période 2013/2018 avait par ailleurs relevé le prix plafond d’un emploi de médiateur et la prestation de service de la CNAF, qui finance 75 % du coût du médiateur. Ces financements, reconduits pour la période 2018-2022, sont maintenus par la nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG) pour la période 2023-2027 que l’État et la CNAF ont conclue le 10 juillet 2023.
Le nombre d’entretiens, séances et réunions de médiation familiale s’est élevé à environ 161 000 en 2022 et a progressé en moyenne annuelle de 4,5 % entre 2011 et 2022.
V. le programme 310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice
Le programme 310, qui concentre les moyens de l’état-major, des directions
législatives et des services d’intérêt commun du ministère, porte également les
crédits de l’important plan de transformation numérique du ministère de la justice, dont il sera essentiellement question ici.
Les crédits du programme 310 s’élèveraient à 768,3 millions d’euros en AE et 747,1 millions d’euros en CP en 2024 et seraient respectivement en hausse de 0,5 % et 9,5 % par rapport à 2023. De surcroît, la maquette du programme a évolué en 2023 avec la création d’une nouvelle action isolant les crédits alloués au développement des techniques d’enquête numériques judiciaires.
Les dépenses de personnel du programme 310 s’élèveraient à 245,7 millions d’euros et augmenteraient de 45 millions d’euros par rapport à 2022.
Ces crédits permettront de financer la création de 112 emplois, afin de permettre notamment l’internalisation de certaines missions numériques. Ces crédits financeront également la revalorisation du point d’indice de la fonction publique intervenue en juillet 2023.
Le plafond d’emplois du programme s’établirait quant à lui à 2 766,5 ETPT et serait en hausse de 136 ETPT par rapport à 2023.
Mais les deux tiers des dépenses du programme sont constitués de dépenses hors titre 2, pour 501 millions d’euros en 2024, un montant en hausse de 40 millions d’euros par rapport à la programmation 2023.
Ces crédits financeraient essentiellement l’entretien des systèmes informatiques et surtout la poursuite des travaux de modernisation engagés dans le cadre du premier plan de transformation numérique du ministère (PTN) déployé à partir de 2018. Ce plan est désormais entré dans sa deuxième phase, avec la présentation par le Garde des Sceaux, le 14 février 2023, des priorités à horizon 2027.
exÉcution du plan de transformation numÉrique
du ministÈre de la justice
(en millions d’euros)
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2018-2023 |
|||||||
|
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Prévisionnel |
84 |
66,2 |
118,6 |
98,4 |
86,3 |
106,6 |
90 |
109,9 |
193,7 |
148,3 |
190,5 |
146,6 |
763,1 |
676 |
Exécuté |
82,4 |
61,5 |
128,1 |
105,1 |
98,7 |
87,1 |
99 |
108,9 |
107 |
69,2 |
118,3 |
130,2 |
633,5 |
1 238 |
Source : réponses au questionnaire budgétaire.
Ce chantier prioritaire pour le ministère de la justice repose désormais sur 3 axes : le soutien des tribunaux et cours d’appel, l’amélioration des logiciels et le projet « zéro papier 2027 ».
● Un plan numérique de soutien immédiat aux juridictions
Cet axe comporte plusieurs mesures, comme le déploiement de techniciens informatiques dans les juridictions. Il s’agit de déployer 100 techniciens informatiques dans les tribunaux dès 2023, en attendant une seconde vague de recrutement en 2024, afin d’offrir à toutes les juridictions un point d’entrée unique pour le traitement des incidents numériques.
Par ailleurs, des audits à 360 degrés dans les juridictions en crise seront menés en 2024 afin d’obtenir une vision globale des difficultés et de procéder à un traitement exhaustif des problèmes.
● La dématérialisation intégrale visée par l’objectif « zéro papier »
L’objectif de cet axe est de permettre de signer électroniquement les décisions, y compris à distance, au civil comme au pénal, de sortir des piles de dossier papier et de transmettre instantanément les pièces et les décisions en version dématérialisée.
Le rapporteur spécial insiste sur l’importance de cet axe, qui permettra de simplifier et d’accélérer le traitement des affaires. Pour ce qui est de la procédure pénale, il s’agit par ailleurs d’une donnée importante dans l’amélioration de la relation police-justice.
● L’amélioration des grands projets applicatifs transversaux
Les principaux projets poursuivis par le ministère en 2024 sont les suivants :
– le programme Astrea de dématérialisation du casier judiciaire a entamé une nouvelle phase en 2021, avec le déploiement d’interconnexions avec les casiers judiciaires d’autres pays de l’Union européenne (UE) s’agissant de condamnations de ressortissants de pays tiers à l’UE. 8,9 millions d’euros lui seraient consacrés par le programme 110 en 2024 ;
– la plateforme Atigip360 visant à doter l’ATIGIP d’un système d’information au service des acteurs de la justice, des acteurs externes et des personnes placées sous main de justice (le coût total du projet depuis son lancement et jusqu’à son terme à la fin de l’année 2025 s’établit à 44 millions d’euros) ;
– le projet ECRIS-TCN permet de mener des échanges d’informations entre les 27 États membres. Il s’agit d’un projet soumis à de nombreuses directives et règlements européens, assez largement piloté par l’Union et qui n’apportera pas de gain financier direct. Il vise à mieux lutter contre la récidive des ressortissants de pays tiers, condamnés au sein de l’Union européenne ;
– le projet NED, qui a pour objectif de dématérialiser les processus de gestion administrative en détention et de proposer de nouveaux services numériques pour les détenus et les familles de détenus (réservation de créneaux de parloirs, réalisation des commandes de cantine). Le coût de ce projet depuis son lancement et jusqu’à sa livraison en 2025 s’élève à 125 millions d’euros ;
– Portalis, le système d’information de la chaîne civile, sera progressivement étendu à de nouveaux contentieux. La généralisation à l’ensemble des conseils de prud’hommes est prévue jusqu’à la fin de l’année 2024, en parallèle d’une expérimentation concernant les affaires familiales. Le coût total du projet, depuis son lancement et jusqu’à son terme en 2026, s’élève à 78,3 millions d’euros ;
– le projet Procédure pénale numérique (PPN) a pour objectif de traiter de manière entièrement numérique une affaire pénale, de la réception de la plainte jusqu’au jugement. Le programme a réussi sa généralisation au milieu de l’année 2023, avec plus de 1,5 million de procédures nativement numériques transmises au ministère. Le coût total prévisionnel du projet s’établit à 110 millions d’euros.
On peut le constater, le numérique occupe une place centrale au sein des crédits du programme 310, et il s’agit d’une stratégie de modernisation absolument prioritaire pour le Gouvernement.
Malgré ce volontarisme, la Cour des comptes n’avait pu que constater que le premier plan de transformation numérique avait essentiellement répondu à la nécessité de rattraper le retard numérique du ministère.
De même, le comité des États généraux de la justice relevait des dysfonctionnements récurrents des infrastructures et applicatifs, l’archaïsme de certains logiciels et l’absence d’anticipation des besoins des utilisateurs.
Le rapporteur spécial partage ces constats et souhaite que des conséquences en soient tirées dans le cadre du déploiement à compter de 2023 du second PTN.
VI. Le programme 335 : Conseil supÉrieur de la magistrature
Le programme 335 permet au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’exercer les missions que lui confient la Constitution et la loi organique du 2 février 1994 en matière de nomination, de discipline et de déontologie des magistrats.
Le programme, composé d’une unique action, serait doté de 4,6 millions d’euros en AE et de 5,7 millions d’euros en CP. Ces crédits seraient en hausse de 13,6 % s’agissant des AE et de 15 % s’agissant des CP en 2024.
Les dépenses de personnel du programme progresseraient de 0,2 million d’euros et s’établiraient à 3,3 millions d’euros, pour tenir compte de l’évolution du point d’indice de la fonction publique et des mesures statutaires prévues en 2024. Les effectifs du CSM seraient par ailleurs stables en 2024 (24 ETPT).
*
* *
Malgré une croissance régulière du budget de la justice depuis une dizaine d’années, avec une franche accélération à partir de 2021, l’institution judiciaire reste encore, la cible de très nombreuses critiques.
Au-delà des justiciables, ce sont également les partenaires des acteurs de la justice qui témoignent régulièrement de leur insatisfaction. Au premier rang de ces partenaires, les forces de sécurité qui se plaignent de leur relation avec la justice.
Après les violentes émeutes qu’a connues le pays à la fin du mois de juin 2023, le rapporteur spécial insiste sur la nécessité d’améliorer encore la qualité et la cohérence de notre réponse sécuritaire et judiciaire. En ce sens, il se félicite de la réactivité de l’institution dans son ensemble, qui a permis un traitement rapide des très nombreux déferrements qui ont suivi les interpellations des auteurs de ces graves troubles à l’ordre public.
Au-delà de cette mobilisation exceptionnelle, qui démontre que l’institution peut bien entendu tenir son rang et faire face aux enjeux vitaux de la société, il est symptomatique que les deux présidents du Conseil supérieur de la magistrature aient en 2022 employé l’expression de « désespérance collective ».
S’il se félicite d’une attention budgétaire soutenue à l’égard du ministère de la justice, le rapporteur spécial insiste plus que jamais sur la nécessité de remettre durablement à flot la justice.
— 1 —
Au cours de sa réunion du 26 octobre 2023, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Justice.
La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.
Le compte rendu sera prochainement consultable en ligne.
Contrairement à l’avis défavorable du rapporteur spécial et après avoir examiné 81 amendements, et adopté les amendements CF2010, CF334 et CF2009, la commission a adopté les crédits de la mission Justice ainsi modifiés.
*
* *
([1]) Le budget général comprend ici les dépenses de l’État par mission, crédits budgétaires et taxes affectées, budgets annexes et comptes spéciaux, hors contributions au CAS Pensions, hors charges de la dette et hors crédits de la mission Remboursements et Dégrèvements, soit un total pour 2024 de 428,8 milliards d’euros.
([2]) Ainsi, selon l’étude de la CEPEJ parue en 2022, la France consacre à la justice un budget de 72 euros par habitant, quand l’Allemagne investit le double avec 140 euros par habitant.
([3]) Selon un calcul de la commission des lois du Sénat, la hausse s’ajusterait à 6,8 % en prenant en compte l’inflation.
([4]) Ainsi, en loi de finances initiale pour 2014, les dépenses de personnel représentaient 61 % des crédits de la mission, quand ce ratio s’établit à 58 % dans le cadre du présent projet de loi de finances.
([5]) En mars 2023, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires atteignait plus de 118 % en moyenne et plus de 140 % en maison d’arrêt.
([6]) Selon les informations de l’annexe jaune au projet de loi de finances pour 2024 « Évaluation des grands projets d’investissement publics », p. 27.
([7]) Point d’étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice, Cour des comptes, janvier 2022.
([8]) Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi.
([9]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
([10]) L’article 1er de la LOPJ prévoit la création nette de 9 395 emplois, car 605 des 10 000 emplois annoncés ont déjà été créés en 2022 au titre de la justice de proximité.
([11]) Article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
([12]) Article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.
([13]) L’article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 a porté de 32 à 34 euros l’unité de valeur.
([14]) L’article 188 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 a porté de 34 à 36 euros l’unité de valeur.
([15]) Cour des comptes, L’aide juridictionnelle, observations définitives, octobre 2023.
([16]) Cour des comptes, Note d’exécution budgétaire de la mission Justice pour l’année 2022, juin 2023.
([17]) Le coût total du schéma d’emplois s’élève à 26,19 millions d’euros en 2024, dont 19,9 millions d’euros au titre de l’extension en année pleine du schéma d’emplois 2023 en 2024.
([18]) Le plafond d’emplois du programme s’établirait à 44 582,54 ETPT, en hausse de 681,52 ETPT par rapport à 2022.
([19]) La hausse des autorisations d’engagement est liée à la mise en place de nouveaux marchés de gestion régulés, comme détaillé supra.
([20]) M. Patrick Hetzel, La planification de la construction des prisons : une inexorable procrastination, rapport d’information, 25 mai 2023.
([21]) La loi prévoit pourtant l’encellulement individuel en maison d’arrêt depuis 1875, contrainte perpétuellement repoussée.
([22]) Avis du 25 juillet 2023 relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
([23]) Du 1er janvier au 31 juillet 2023, 2 733 violences physiques ont été recensées (toutes typologies confondues) contre 4 911 faits en 2022 (en année pleine ?). Les violences commises sans arme demeurent majoritaires (64 % du total violences).
([24]) Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
([25]) Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi.
([26]) Le seuil d’indigence et les différentes aides pouvant être allouées aux PSRS sont définis aux articles D. 333-1 et suivants du code pénitentiaire.
([27]) Chiffre national moyen pour les convocations de l’année 2022.
([28]) Le coût de cette revalorisation est progressif ; il est estimé à 500 000 euros en 2023 et à 2,5 millions d’euros en année pleine. En effet, les nouveaux forfaits s’appliqueront uniquement aux missions résultant d’une admission à l’aide juridictionnelle postérieure au 30 juin 2023.