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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT,
portant modification du corps électoral pour les élections au congrès
et aux assemblées de province de la Nouvelle‑Calédonie,
PAR M. Nicolas METZDORF
Député
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Voir les numéros :
Sénat : 291, 441 et T.A. 102 (2023-2024).
Assemblée nationale : 2424.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 7
PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
A. Le corps Électoral restreint, de l’accord de noumÉa au « gel » de 2007
a. Les origines du corps électoral restreint
b. L’accord de Nouméa et les trois listes électorales
a. La décision du Conseil constitutionnel en 1999 en faveur d’un corps électoral « glissant »
1. Un rôle structurant dans le développement politique et démocratique de la Nouvelle-Calédonie
a. Des élections structurantes pour la vie politique calédonienne
b. Un corps électoral qui a permis le fonctionnement normal et apaisé des institutions
2. Un corps électoral provincial qui, dans sa forme actuelle, s’avère de plus en plus problématique
a. La part croissante des électeurs exclus du scrutin provincial
b. Des situations paradoxales et incohérentes avec l’esprit de l’accord de Nouméa
C. la révision du corps Électoral, une nÉcessitÉ juridique et un impÉratif politique
1. Une priorité politique manifeste accordée au consensus local
a. La recherche d’un accord global entre les acteurs calédoniens depuis la troisième consultation
b. Une priorité également rappelée dans les documents préparatoires
b. Le texte adopté par le Sénat favorise encore un éventuel accord
b. Des positions sur les modalités du dégel désormais à front renversé
II. Examen des articles DU pROJET DE LOI - Mardi 7 mai 2024
À l’heure actuelle, en Nouvelle-Calédonie, plus de 40 000 personnes, pourtant de nationalité française, sont exclues de la liste électorale spéciale permettant de voter aux élections des membres du congrès et des assemblées de province. Cela représente près de 24 % des inscrits sur cette liste.
Une partie d’entre elles sont pourtant présentes en Nouvelle-Calédonie depuis des années, depuis vingt-cinq ans pour les plus anciennement installées. Elles travaillent, payent leurs impôts, sont investies dans la vie culturelle ou associative. En d’autres termes, comme le rappelait le président de l’association « Un cœur une voix » auditionnée par votre rapporteur, il ne s’agit pas simplement de « Blancs de passage, d’Européens de passage » mais de Calédoniens à part entière, pourtant privés du droit de choisir leurs représentants.
Cette situation résulte de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui a procédé au « gel » du corps électoral provincial, fermant ainsi la porte à ce que les Français arrivés en Nouvelle-Calédonie après 1998 puissent être inscrits sur la liste électorale spéciale provinciale après dix ans de résidence sur le territoire. Parce qu’elle aggrave les conséquences du « droit du sang électoral » mis en place par l’accord de Nouméa en 1998, cette réforme exclut aussi du droit de vote aux élections provinciales certains natifs de Nouvelle-Calédonie.
Les non indépendantistes n’ont jamais souscrit à la réforme de 2007, qui a été faite sans consensus local – contrairement aux accords de Matignon et de Nouméa – et sans que les Calédoniens soient consultés.
Ces restrictions s’inscrivaient dans le contexte transitoire de l’accord de Nouméa, qui selon ses propres termes définissait « pour vingt années l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation. ».
Mais vingt-six années se sont écoulées et les trois consultations sur l’autodétermination prévues par cet accord ont eu lieu entre 2018 et 2021. Dès lors, le maintien de ces restrictions dans leur forme actuelle, même au niveau constitutionnel, pose question au regard des engagements internationaux de la France qui garantissent les principes d’égalité et d’universalité du suffrage.
Ce maintien est également intenable politiquement, alors que les consultations prévues par l’accord de Nouméa ont vu le « non » à l’indépendance l’emporter par trois fois. Réviser le corps électoral, c’est faire respecter le choix réitéré des Calédoniens de rester au sein de la République.
Le présent projet de loi constitutionnelle revient donc sur le gel du corps électoral en ouvrant la liste électorale spéciale provinciale à l’ensemble des personnes qui, inscrites sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, y sont nées ou y résident depuis au moins dix ans.
Dans son esprit comme dans son dispositif juridique, ce texte n’est en rien exclusif d’un accord local entre les indépendantistes et les non indépendantistes. Un tel accord est indispensable pour définir les contours du futur statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République – conformément aux résultats des consultations – et apporter enfin la stabilité indispensable au développement du territoire.
En attendant cet accord que votre rapporteur appelle de ses vœux, le projet de loi constitutionnelle permettra d’organiser les prochaines élections provinciales sur une base démocratique renouvelée.
PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
I. la nÉcessitÉ d’une Évolution du corps Électoral spÉcial provincial de nouvelle-calÉdonie, issu de l’accord de noumÉA
Le principe d’un corps électoral restreint est un héritage des accords de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998, justifié par le contexte historique et les spécificités locales de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, dans son périmètre actuel, issu d’une révision constitutionnelle intervenue en 2007 sans consensus local, le corps électoral provincial est profondément illégitime, tant juridiquement que politiquement, alors que les Calédoniens viennent de se prononcer, par trois fois, en faveur du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française.
A. Le corps Électoral restreint, de l’accord de noumÉa au « gel » de 2007
En 1988, dans un contexte de radicalisation de la revendication indépendantiste, et de tensions extrêmes symbolisées par la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa, un nouveau statut a été élaboré pour la Nouvelle-Calédonie, fruit d’un consensus entre les parties locales. Il a été suivi, dix ans plus tard, des accords de Nouméa ([1]) , qui régissent l’organisation du territoire depuis 1998. Le principe d’un corps électoral restreint est issu de ces deux statuts.
1. Le corps électoral restreint en Nouvelle-Calédonie, un principe ancien pérennisé par l’accord de Nouméa
a. Les origines du corps électoral restreint
Fruits d’une négociation entre les indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et des non indépendantistes du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), sous l’égide de l’État, les accords de Matignon, signé le 26 juin 1988, et d’Oudinot, signé le 20 août 1988, organisent un nouvel équilibre institutionnel et fixent le principe d’une consultation sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie à échéance de dix ans.
Le texte n°2 des accords de Matignon-Oudinot, « dispositions institutionnelles et structurelles préparatoires au scrutin d’auto-détermination » pose le principe d’un corps électoral restreint, en prévoyant que « les électeurs et électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire [traduisant juridiquement l’accord de Matignon] ainsi que leurs descendants accédant à la majorité constituent les populations intéressées à l’avenir du territoire. Ils seront donc seuls autorisés à participer jusqu’en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d’accession à la pleine souveraineté ».
Cette disposition n’a finalement pas été mise en œuvre en ce qui concerne les élections aux assemblées de province et au congrès. Toutefois, en ce qui concerne le scrutin d’autodétermination, la loi référendaire du 9 novembre 1988 ([2]) prévoyait, conformément aux accords de Matignon, la tenue d’un scrutin entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, auquel seuls seraient admis à voter les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1988. Il fallait donc avoir résidé au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie pour y prendre part ([3]).
C’est dans ce contexte qu’apparaît la notion de tableau annexe, avec le décret n° 90-1163 du 24 décembre 1990 pris pour l’application de ces dispositions. Ce tableau a vocation à regrouper les électeurs qui, inscrits sur la liste électorale, ne remplissent pas les conditions de domicile prévues par la loi référendaire de 1988.
À l’approche de la date prévue du scrutin, les parties locales se sont finalement accordées sur la nécessité d’éviter un « référendum couperet » pour lui préférer une solution consensuelle négociée.
Pour autant, le principe d’un corps électoral restreint constituait un acquis des accords de Matignon-Oudinot, sur la préservation duquel les parties – FLNKS et RPCR – se sont accordées.
b. L’accord de Nouméa et les trois listes électorales
Le 5 mai 1998, l’accord sur la Nouvelle-Calédonie est signé à Nouméa entre les parties locales et l’État lors de la visite de Lionel Jospin, alors Premier ministre.
L’accord de Nouméa
Il fixe une nouvelle organisation institutionnelle transitoire initialement prévue pour quinze à vingt ans à l’issue de laquelle une à trois consultations locales sur l’accession à la pleine souveraineté du territoire seraient organisées.
Reconnaissant, dans son préambule, « les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière », il prévoit un « rééquilibrage » et pose les bases d’une citoyenneté calédonienne et de la construction d’un « destin commun ».
Ses dispositions organisent :
– la pleine reconnaissance de l’identité kanak,
– le transfert progressif de larges compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie,
– l’organisation, à l’issue de cette période transitoire, d’un à trois référendums sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.
Cet accord pose le principe d’une restriction du corps électoral :
– pour la consultation par laquelle les populations de Nouvelle-Calédonie seront appelées à approuver cet accord par référendum, le 8 novembre 1998 ([4]);
– pour les élections des membres du congrès et des assemblées de province : « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée » ;
– pour les consultations sur l’autodétermination prévues à l’issue de la période prévue par l’accord : « au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées ».
Ces dispositions fondent l’existence des deux listes électorales spéciales mises en place par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et la loi organique statutaire du 19 mars 1999 ([5]) , en plus de la liste électorale générale :
– la liste électorale spéciale pour les élections des membres du congrès et des assemblées de province (aussi appelée liste électorale spéciale provinciale ou LESP) ;
– la liste électorale spéciale pour les consultations sur l’accès à la pleine souveraineté prévues par l’accord (aussi appelée LESC), construite autour de la notion de droit international de « populations intéressées ».
Les conditions d’inscription sur ces listes sont distinctes, comme le montre le tableau ci-dessous. Par conséquent, elles ne comptent pas le même nombre d’inscrits : la liste électorale générale compte actuellement 221 597 électeurs ([6]), la liste spéciale provinciale en compte 178 374 ([7]) et la liste spéciale pour la consultation 184 364 ([8]) .
Les trois listes Électorales en Nouvelle-Calédonie
|
Fondement |
Scrutins |
Liste électorale générale |
Code électoral |
Référendums nationaux Élections présidentielles Élections législatives Élections européennes Élections municipales |
Liste électorale spéciale provinciale |
Articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 |
Élections du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie depuis 1999 |
Liste électorale spéciale pour les consultations |
Article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 |
Consultations sur l’accession à la pleine souveraineté organisées dans le cadre de l’accord de Nouméa (en 2018, 2019 et 2021) |
La liste électorale générale est la liste de droit commun, régie par le code électoral.
Tous les citoyens français qui y figurent peuvent ainsi voter aux référendums nationaux, à l’élection présidentielle, aux élections législatives, aux élections des représentants français au Parlement européen et aux élections municipales ([9]).
L’accord de Nouméa précise les contours du corps électoral spécial provincial.
Dispositions de l’accord de Nouméa relatives au corps électoral provincial
« Comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection, ainsi qu’aux électeurs atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.
La notion de domicile s’entendra au sens de l’article 2 de la loi référendaire. La liste des électeurs admis à participer aux scrutins sera arrêtée avant la fin de l’année précédant le scrutin.
Le corps électoral restreint s’appliquerait aux élections communales si les communes avaient une organisation propre à la Nouvelle-Calédonie. »
(Point 2.2.1 de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998)
Ces dispositions sont mises en œuvre par l’article 188 de la loi organique statutaire de 1999. Selon cet article, sont seules admises à élire les membres du congrès et des assemblées de province les personnes qui, inscrites sur la liste électorale générale de la Nouvelle-Calédonie, satisfont les conditions suivantes :
– soit remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 sur l’accord de Nouméa, c’est-à-dire les électeurs inscrits en 1998 sur la liste électorale générale de la Nouvelle-Calédonie et y étant à cette date domiciliés depuis le 6 novembre 1988 ;
– soit être inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection au congrès et aux assemblées de province ;
– soit avoir atteint l’âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et :
L’accord de Nouméa précise les contours du corps électoral spécial pour les consultations.
Dispositions de l’accord de Nouméa relatives au corps électoral pour les consultations
« Le corps électoral pour les consultations relatives à l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie intervenant à l’issue du délai d’application du présent accord (point 5) comprendra exclusivement : les électeurs inscrits sur les listes électorales aux dates des consultations électorales prévues au 5 et qui ont été admis à participer au scrutin prévu à l’article 2 de la loi référendaire, ou qui remplissaient les conditions pour y participer, ainsi que ceux qui pourront justifier que les interruptions dans la continuité de leur domicile en Nouvelle-Calédonie étaient dues à des raisons professionnelles ou familiales, ceux qui, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie, y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux et ceux qui ne sont pas nés en Nouvelle-Calédonie mais dont l’un des parents y est né et qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux.
Pourront également voter pour ces consultations les jeunes atteignant la majorité électorale, inscrits sur les listes électorales, et qui, s’ils sont nés avant 1988, auront eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ou, s’ils sont nés après 1988, ont eu un de leurs parents qui remplissait ou aurait pu remplir les conditions pour voter au scrutin de la fin de 1998.
Pourront également voter à ces consultations les personnes qui pourront justifier, en 2013, de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie. »
(Point 2.2.1 de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998)
Il est mis en œuvre par l’article 218 de la loi organique statutaire de 1999.
Ainsi, sont inscrits sur cette liste les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de la consultation considérée, et qui remplissent l’une des conditions suivantes :
a) Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 sur l’accord de Nouméa – ce qui implique d’avoir été présent en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998 ;
b) N’étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, remplissent néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation ;
c) N’ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifient que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales ;
d) Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;
e) Avoir l’un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;
f) Pouvoir justifier d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014 ;
g) Être nés avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ;
h) Être nés à compter du 1er janvier 1989 et avoir atteint l’âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.
Ces conditions témoignent de l’exigence d’un lien fort avec le territoire de la Nouvelle-Calédonie, ce lien pouvant naître d’une domiciliation de longue date ou de la présence d’un parent remplissant cette même condition.
2. Après la signature de l’accord de Nouméa, les indépendantistes remettent en question leur signature concernant un corps électoral glissant malgré l’avis du Conseil constitutionnel
a. La décision du Conseil constitutionnel en 1999 en faveur d’un corps électoral « glissant »
Le Conseil constitutionnel, saisi sur la loi organique statutaire du 19 mars 1999, réaffirme le corps électoral glissant : « il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l’élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l’élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l’article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 » ([10]).
Pour le Conseil constitutionnel, cette interprétation ressort non seulement de la lettre de la loi organique, mais elle est aussi « seule conforme à la volonté du pouvoir constituant, éclairée par les travaux parlementaires dont est issu l’article 77 ». De fait, le rapport de la députée Catherine Tasca sur le projet de loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 se borne à préciser que pourront voter « les personnes qui rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection » sans faire mention d’une date limite d’arrivée sur le territoire calédonien ([11]). Il en va de même pour le rapport du sénateur Jean-Marie Girault ([12]).
Enfin, le Conseil ajoute que son interprétation « respecte l’accord de Nouméa ». Le commentaire de la décision paru aux Cahiers du Conseil constitutionnel précise à cet égard que « le Conseil ne pouvait faire prévaloir l’interprétation excluant du corps électoral restreint les personnes inscrites au tableau annexe après 1998. En effet, en raison de son ampleur », cette atteinte au principe d’égalité « n’aurait pu trouver de fondement constitutionnel que dans des stipulations expresses de l’accord de Nouméa faisant définitivement obstacle à la participation des nationaux français installés en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 à l’élection des assemblées de province et du congrès ».
En l’absence de dispositions expresses de l’accord, le Conseil a fait prévaloir l’interprétation la moins attentatoire aux principes constitutionnels.
b. Lors de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, l’État, face à la pression des indépendantistes, gèle unilatéralement et sans consensus le corps électoral spécial provincial
À l’approche de l’année 2008, soit dix ans après l’accord de Nouméa, date à laquelle des personnes arrivées sur le territoire après 1998 commençaient à remplir la condition de dix ans de résidence, la pression des indépendantistes s'accentue afin de modifier en profondeur les équilibres de l’accord.
C’est face à cette pression et aux menaces grandissantes du FLNKS, que l’État modifie la Constitution et prive des milliers de personnes, dont des natifs, du droit de vote dont elles disposaient, instaurant de fait un droit du sang au sein d’un territoire de la République française. Le professeur Olivier Gohin confirmera lors des auditions que « le droit du sang était censé avoir disparu depuis la Révolution française. »
La loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 complète l’article 77 de la Constitution d’un paragraphe précisant que le « tableau annexe » mentionné à l’article 188 de la loi organique statutaire de 1999 est celui « dressé à l’occasion du scrutin [de 1998] et comprenant les personnes non admises à y participer » ([13]).
Par cette loi, l’État français dédit l’avis du Conseil Constitutionnel et consacre ainsi les revendications des indépendantistes avec le principe d’un « gel » du corps électoral spécial provincial.
La loi ferme la porte à la possibilité d’inscrire ultérieurement sur la liste électorale provinciale, au fur et à mesure, les électeurs satisfaisant la condition de résidence de dix ans. En application de cette révision constitutionnelle, seules les personnes qui étaient déjà inscrites au tableau annexe en 1998, c’est-à-dire arrivées sur le territoire avant le 8 novembre 1998, ont pu valablement remplir la condition de dix ans de résidence en 2008 au plus tard.
Sans effet pour les personnes qui remplissaient les conditions pour voter lors de la consultation du 8 novembre 1998 et pour leurs enfants, cette révision constitutionnelle affecte la situation des personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie après 1998 ainsi que celle de leurs enfants qui ont atteint la majorité après le 31 octobre 1998 et justifiant de dix ans de résidence à la date de l’élection.
Il faut insister sur le fait que ce gel n’est pas, contrairement aux accords de Nouméa et de Matignon, le fruit d’un accord local entre indépendantistes et non indépendantistes, comme l’ont rappelé les représentants du groupe Loyaliste ainsi que les signataires de l’accord de Nouméa. Les seuls Calédoniens ayant pu donner leur avis à cette occasion ont été les deux députés et le seul sénateur du territoire !
3. La teneur exacte de l’accord signé en ce qui concerne le corps électoral – glissant ou gelé : « une maladresse de rédaction » ?
Au cours des nombreuses auditions conduites dans le cadre de ses travaux sur ce projet de loi, votre rapporteur observe que les indépendantistes invoquent des oublis ou des erreurs de rédaction dans les textes pour renier l’accord qu’ils avaient pu donner à un corps électoral glissant.
Le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie Roch Wamytan considère que le gel était implicite en 1998 mais a été exclu de la rédaction par une « maladresse de rédaction », avant d’assurer, en tant qu’ancien acteur des négociations, que sans le gel, son camp n’aurait pas signé.
Pour autant, toutes les autres personnes auditionnées, non moins impliquées dans la signature de l’accord de Nouméa, s’inscrivent en faux contre cette position.
Parmi les signataires de l’accord au nom du RPCR, MM. Simon Loueckhote et Bernard Deladrière assurent ainsi avoir signé pour un corps électoral glissant. M. Harold Martin voit dans le gel « une trahison de l’accord de Nouméa » et voit dans sa mise en œuvre le fruit de considérations idéologiques.
Mme Virginie Ruffenach (Le Rassemblement) et M. Bernard Deladrière s’appuient en particulier sur le document d’information distribué par l’État dans le cadre de la campagne référendaire de 1998, et précisant : « La citoyenneté calédonienne bénéficiera à toute personne de nationalité française ayant un lien fort avec la Nouvelle-Calédonie (résidant depuis dix ans sur le territoire), les interruptions pour motifs familiaux ou professionnels étant pris en compte » ([14]) .
L’absence de référence à une date limite d’arrivée sur le territoire, passée laquelle les citoyens français ne pourraient plus espérer avoir la citoyenneté calédonienne sur le fondement de leur durée de résidence, laisse penser que le corps électoral était bel et bien pensé, dans ce document, comme glissant.
B. ÉlÉment clef de l’accord de noumÉa, le corps Électoral spÉcial provincial, dans sa forme actuelle, n’est plus acceptable
L’inscription sur la liste électorale provinciale permet de désigner des élus dans des institutions qui sont au cœur de la vie politique calédonienne. Or la composition actuelle du corps électoral provincial est de plus en plus insatisfaisante, parfois jusqu’à l’absurde.
1. Un rôle structurant dans le développement politique et démocratique de la Nouvelle-Calédonie
a. Des élections structurantes pour la vie politique calédonienne
Les institutions de la Nouvelle-Calédonie, issues de l’accord de Nouméa, comprennent une assemblée délibérante (le congrès), un exécutif (le gouvernement collégial), un Sénat coutumier, un conseil économique, social et environnemental, des conseils coutumiers, trois provinces – Nord, Sud et îles Loyauté – et 33 communes.
Les élections provinciales permettent d’élire non seulement les 76 membres des trois assemblées de province mais aussi, parmi eux, les 54 membres du congrès, qui en sont l’émanation directe. Ils sont élus pour cinq ans, de façon concomitante, au cours d’une élection au scrutin de liste.
Les membres du congrès et des assemblées de province
Le nombre de sièges de chaque assemblée de province et le nombre de sièges dont elles disposent au sein du congrès sont fixés par article 185 de la loi organique statutaire du 19 mars 1999, qui reprend les dispositions de l’accord de Nouméa :
– quatorze membres pour l’Assemblée de la province des îles Loyauté, dont sept membres du congrès ;
– vingt-deux membres pour l’Assemblée de la province Nord, dont quinze membres du congrès ;
– quarante membres pour l’Assemblée de la province Sud, dont trente-deux membres du congrès.
Les assemblées de province et le congrès sont des institutions structurantes pour le territoire calédonien :
– Le congrès est l’assemblée délibérante de la collectivité de Nouvelle-Calédonie. Il dispose en particulier, dans certaines matières énumérées par la loi organique, d’un pouvoir législatif : il vote les « lois du pays », actes dont le contrôle relève du Conseil constitutionnel en raison de leur caractère législatif ([15]). Ses 54 membres élisent aussi les membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (cinq à onze personnes), au scrutin de liste à la proportionnelle des groupes politiques constitués au congrès.
– Les trois provinces sont des collectivités territoriales, dotées d’une compétence de principe ([16]) et en tout état de cause de prérogatives plus étendues que les régions françaises de droit commun, parmi lesquelles le développement économique et touristique, la culture et la protection du patrimoine, la jeunesse et les sports ou encore la protection de l’environnement.
Par ailleurs, l’accord de Nouméa (point 5) et la loi organique statutaire de 1999 offrent au congrès de la Nouvelle-Calédonie des prérogatives spécifiques pour la mise en œuvre du droit à l’autodétermination :
– le congrès pouvait fixer la date de la première consultation sur l’accession à la pleine souveraineté, par une délibération adoptée à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, dans les conditions prévues à l’article 217 de la loi organique ;
– en cas de rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une deuxième consultation sur la même question pouvait être organisée à la demande écrite du tiers des membres du congrès, adressée au haut-commissaire et déposée à partir du sixième mois suivant le scrutin. En cas de nouveau rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation pouvait être organisée dans les mêmes conditions.
Cette prérogative du congrès est désormais caduque, dans la mesure où les trois consultations prévues dans le cadre fixé des accords de Nouméa et de la loi organique du 19 mars 1999 ont été organisées.
Néanmoins, la question des modalités futures d’exercice du droit à l’autodétermination n’est pas obsolète et pourrait être abordée dans un futur accord politique entre Calédoniens. Il n’est pas exclu que le congrès conserve des prérogatives à cet égard et sa composition politique a donc des conséquences sur l’avenir institutionnel du territoire et sa place au sein de la République.
Enfin, les contours de la liste électorale provinciale correspondent à ceux de la citoyenneté calédonienne. Le principe de cette dernière résulte de l’accord de Nouméa : elle « fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale. Elle sera aussi une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l’emploi local » ([17]).
Cette disposition est traduite à l’article 4 de la loi organique statutaire de 1999 : « Il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française qui remplissent les conditions fixées à l’article 188 ».
Outre le droit de vote aux élections provinciales, la citoyenneté calédonienne donne accès à certains droits en matière d’emploi. L’article 24 de la loi organique statutaire de 1999 dispose que « Dans le but de soutenir ou de promouvoir l’emploi local, la Nouvelle-Calédonie prend au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d’une durée suffisante de résidence des mesures visant à favoriser l’exercice d’un emploi salarié, sous réserve qu’elles ne portent pas atteinte aux avantages individuels et collectifs dont bénéficient à la date de leur publication les autres salariés. »
« De telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions à la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et à la fonction publique communale. La Nouvelle-Calédonie peut également prendre des mesures visant à restreindre l’accession à l’exercice d’une profession libérale à des personnes qui ne justifient pas d’une durée suffisante de résidence. »
b. Un corps électoral qui a permis le fonctionnement normal et apaisé des institutions
Il est indéniable que le corps électoral restreint issu de l’accord de Nouméa a permis à la Nouvelle-Calédonie de connaître un fonctionnement démocratique normal et apaisé pendant toute la durée d’application de l’accord. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans son arrêt Py c/ France, voit dans la condition de résidence « un élément essentiel à l’apaisement du conflit » ([18]).
Cinq élections provinciales ont été organisées – en 1999, 2004, 2009, 2014 et 2019 – sans incident majeur et avec la participation des indépendantistes comme des non indépendantistes.
c. Une clé de répartition des sièges au congrès dont le caractère favorable aux indépendantistes ne fait que s’amplifier
Lors de ses auditions, votre rapporteur a voulu approfondir l’un des sujets qui a été débattu au Sénat, celui du déséquilibre de la répartition des sièges au congrès au profit de la province des Îles Loyauté et de la province Nord.
La composition actuelle du congrès est caractérisée par un écart de représentation extrêmement important entre les trois provinces. En effet, la province Sud comprend 75 % de la population calédonienne mais est représentée uniquement par 59 % des élus du congrès.
Il faut aujourd’hui 2,4 fois plus d’habitants en province sud qu’en province des îles pour un élu. En 1998, au moment de l’accord de Nouméa, ce rapport de représentativité n’était que de 1,4, tout comme lors des accords Matignon en 1988. En 1985, lors de la mise en place des régions Sud, Ouest, Est et Îles de Nouvelle-Calédonie dans le cadre du statut « Fabius-Pisani » (septembre 1985) le Conseil Constitutionnel avait lui-même censuré un rapport de représentativité de deux entre le sud et les îles.
Le rapporteur souhaite souligner que les amendements déposés au Sénat allaient dans le même sens que cette révision, un retour aux équilibres de l’accord de Nouméa.
Il semblait au rapporteur que l’intervention du législateur constitutionnel était nécessaire pour réduire cet écart de représentation des trois provinces au congrès de la Nouvelle-Calédonie afin de ne pas s’éloigner de manière outrancière d’un fonctionnement démocratique. Cependant, marqué par une volonté d’aboutir à un vote conforme sur la présente révision constitutionnelle, votre rapporteur n’a pas déposé d’amendement dans ce sens et portera ce sujet dans le cadre des négociations locales.
2. Un corps électoral provincial qui, dans sa forme actuelle, s’avère de plus en plus problématique
a. La part croissante des électeurs exclus du scrutin provincial
Le rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de réforme constitutionnelle de 2007, Didier Quentin, se voulait rassurant : le passage du corps électoral glissant à un corps électoral gelé devait avoir pour conséquence « de réduire le corps électoral de 712 électeurs en 2009 ([19]) et de 4 722 électeurs en 2014 ([20]) ». Il précisait que « le nombre de personnes concernées par la différence d’interprétation peut paraître relativement faible au regard du total des votants » tout en défendant la nécessité d’une intervention du pouvoir constituant au regard des « conséquences pratiques traduites en termes de citoyenneté » et de la « charge symbolique attachée à cette question » ([21]).
Or, force est de constater qu’il s’est lourdement trompé. Le nombre de personnes exclues du corps électoral provincial est largement supérieur aux projections avancées à l’époque.
En 2007, par extrapolation de la moyenne des inscrits sur le tableau annexe les années précédentes (environ 750 par an), le nombre d’exclus supplémentaires du scrutin, par rapport à une absence de gel, avait été estimé à 8 327 électeurs à l’horizon 2019. Cela représente 6 % du corps électoral spécial de 2006.
Or, selon les estimations réalisées en 2023 par le Haut-commissariat, l’intégration sur la liste électorale spéciale des résidents depuis dix ans et des natifs n’y figurant pas déjà augmenterait cette liste de 25 709 électeurs, soit 14 % de la liste provinciale.
En ajoutant à ce chiffre les effectifs des personnes qui résident depuis moins de dix ans en Nouvelle-Calédonie, le nombre total de personnes inscrites au tableau annexe s’élèvent à 42 595 en 2023, soit 23,88 % du total de la liste provinciale.
Cette proportion était bien moindre en 1999.
Les tableaux et graphiques ci-dessous illustrent ces tendances.
évolution du nombre d’inscrits sur la liste spéciale, le tableau annexe et la liste générale depuis l’accord de Nouméa ([22])
|
Liste spéciale |
Tableau annexe |
Liste générale |
Part des exclus |
1998 |
104 078 |
8 868 |
112 946 |
7,9% |
1999 |
108 441 |
8 738 |
117 179 |
7,5% |
2000 |
109 940 |
9 450 |
119 390 |
7,9% |
2001 |
112 618 |
10 271 |
122 889 |
8,4% |
2002 |
114 495 |
12 395 |
126 890 |
9,8% |
2003 |
116 829 |
13 031 |
129 860 |
10,0% |
2004 |
119 546 |
12 575 |
132 121 |
9,5% |
2005 |
122 202 |
13 460 |
135 662 |
9,9% |
2006 |
124 661 |
14 037 |
138 698 |
10,1% |
2007 |
126 829 |
18 957 |
145 786 |
13,0% |
2008 |
130 300 |
19 188 |
149 488 |
12,8% |
2009 |
135 250 |
18 208 |
153 458 |
11,9% |
2010 |
138 762 |
17 926 |
156 688 |
11,4% |
2011 |
141 764 |
18 029 |
159 793 |
11,3% |
2012 |
143 928 |
21 898 |
165 826 |
13,2% |
2013 |
147 002 |
22 431 |
169 433 |
13,2% |
2014 |
152 462 |
23 527 |
175 989 |
15,4% |
2015 |
154 728 |
23 715 |
178 443 |
15,3% |
2016 |
157 151 |
24 335 |
181 486 |
15,5% |
2017 |
160 362 |
28 419 |
188 781 |
17,7% |
2018 |
167 678 |
41 660 |
209 338 |
24,8% |
2019 |
169 635 |
40 957 |
210 592 |
24,1% |
2020 |
173 642 |
41 063 |
214 705 |
23,6% |
2021 |
177 157 |
43 116 |
220 273 |
24,3% |
2022 |
176 461 |
41 679 |
218 140 |
23,6% |
2023 |
178 374 |
42 595 |
220 969 |
23,9% |
Évolution de la part des Électeurs non admis À voter au scrutin provincial (1998-2023)
part des inscrits sur la liste provinciale et des inscrits au tableau annexe parmi le total des Électeurs de la liste gÉnÉrale
Source du tableau et des deux graphiques : commission des Lois avec données ISEE.
b. Des situations paradoxales et incohérentes avec l’esprit de l’accord de Nouméa
Le gel du corps électoral a aussi donné lieu à des situations qui peuvent paraître absurdes et tenir davantage à une absence d’anticipation qu’à un réel choix politique.
● Il exclut du vote plusieurs catégories de personnes qui présentent pourtant un lien certain avec le territoire calédonien :
– Les conjoints de citoyens calédoniens ne bénéficient d’aucune faculté permettant d’accéder à la citoyenneté, même conditionnée à une durée de mariage, ce qui est contraire au droit commun de la nationalité ;
– Les petits-enfants d’un électeur inscrit sur les listes en 1998, contrairement à ses enfants, sont aussi exclus, l’article 188 de la loi organique ne prévoyant une « transmission » du droit de vote que par les parents et non par les grands-parents. Dans son avis consultatif du 7 décembre 2023 sur la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, le Conseil d’État observait ainsi que si ces stipulations demeuraient inchangées, « ce corps électoral connaîtrait à terme une attrition telle qu’il finirait par s’éteindre de façon certaine, privant ces institutions de tout corps électoral » pour conclure « qu’il en résulte nécessairement que les partenaires n’ont pas entendu donner à cette définition du corps électoral une application indéfinie » ([23]). Cela signifie que le corps électoral gelé doit disparaître pour des raisons de démocratie et de survie des institutions.
Cette situation mène de fait à l’exclusion de certains natifs de Nouvelle-Calédonie, d’une part pour les raisons évoquées ci-dessus au sujet des petits-enfants, d’autre part car le gel du corps électoral exclut aussi, par ricochet, les enfants des électeurs inscrits au tableau annexe après 1998 ([24]) (sauf s’ils sont inscrits sur le fondement d’autres critères ([25])). Le professeur Olivier Gohin évoquait ainsi une forme de « droit du sang électoral ».
● La liste électorale spéciale provinciale compte désormais moins d’inscrits que la liste électorale spéciale pour la consultation : le hiatus entre les deux listes serait d’environ 12 000 personnes.
Cette situation est contraire à l’intention initiale des signataires de l’accord. Pour M. Milakulo Tukumuli, président de l’Éveil océanien, cela « peut paraître incompréhensible ». Le corps électoral pour les consultations était initialement pensé comme plus restreint que le corps électoral provincial, eu égard à l’enjeu des scrutins auquel il donne accès, qui engagent durablement l’avenir institutionnel du territoire.
In fine, le corps électoral restreint exclut, aujourd’hui, des personnes qui ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, comme le soulignait l’association française des maires de Nouvelle-Calédonie auditionnée par votre rapporteur.
Les propos de Mme Sonia Lagarde, ancienne députée, maire de Nouméa, qui indiquait au cours de son audition compter au sein du conseil municipal deux personnes exclues du vote mais parfaitement intégrées – en témoigne leur investissement au niveau local – vont dans le même sens.
Pour M. Raphaël Romano, président de l’association « Un cœur une voix » qui milite pour le dégel du corps électoral, « c’est pas des Blancs de passage, des Européens de passage qui sont exclus du corps électoral ; la balance migratoire est déficitaire ».
C. la révision du corps Électoral, une nÉcessitÉ juridique et un impÉratif politique
L’organisation des trois consultations, et plus encore leur résultat, marquent la clôture du processus organisé par l’accord de Nouméa.
Dès lors, la révision du corps électoral spécial provincial, intrinsèquement lié à l’accord et à son caractère transitoire, apparaît indispensable juridiquement et politiquement.
De fait, sans toujours se prononcer sur la méthode retenue, les personnalités politiques auditionnées par votre rapporteur partagent l’avis que le corps électoral ne peut rester en l’état.
1. Une nécessité juridique : réduire l’ampleur des dérogations aux principes constitutionnels justifiées par le caractère transitoire de l’accord de Nouméa
a. Des dérogations à des principes constitutionnels et conventionnels mises en place dans un contexte transitoire bien précis
La restriction du corps électoral constitue une dérogation aux principes d’égalité et d’universalité du suffrage, consacrés par la Constitution et par divers engagements européens et internationaux auxquels la France a souscrit :
– d’une part, l’article 1er de la Constitution qui dispose que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Son article 3 précise que « [s]ont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques » ; selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui fait partie du bloc de constitutionnalité, « [l]a Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation ».
– d’autre part, l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la CEDH qui rappelle que doivent être organisées « des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » ; l’article 14 de la convention européenne des droits de l’Homme, qui interdit les discriminations dans la jouissance des droits et libertés, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies.
Si cette dérogation a été validée par les juges de la CEDH en 2005 dans Py c/ France, la Cour relevait que le système ainsi mis en place « correspond à une phase transitoire avant l’accession à la pleine souveraineté et s’inscrit dans un processus d’autodétermination ». Il faut par ailleurs relever, comme le fait le Conseil d’État dans son avis du 7 décembre 2023 ([26]), que cette décision est intervenue dans un contexte où le corps électoral était encore glissant.
Si la Cour constate que « la condition de résidence poursuit un but légitime » et n’est pas disproportionnée, c’est sur « le fait de n’accorder le droit de vote aux élections des membres du congrès de Nouvelle-Calédonie qu’aux seuls individus pouvant justifier d’une résidence de dix ans au moins sur le territoire », qu’elle se prononce, pas sur le fait de n’accorder ce droit qu’aux seuls individus arrivés avant 1998.
Le rapporteur se demande jusqu'où ira la CEDH, alors que le débat porte désormais sur un corps électoral non plus glissant mais bien gelé. Le rapporteur se demande également, dans l’hypothèse où le retour au corps électoral glissant est acté, si ce dernier ne serait pas également remis en question par la CEDH, étant donné que nous nous trouvons désormais hors de la « phase transitoire » définie par la Cour.
b. La fin du processus défini par l’accord de Nouméa constitue un changement de circonstances qui empêche le maintien de règles dérogatoires
Il est manifeste que la période transitoire prévue par cet accord est terminée, ce qui empêche juridiquement le maintien de règles si profondément dérogatoires.
Selon ses propres termes, l’accord définissait « pour vingt années l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation. ». Or, vingt-six années se sont écoulées et les trois consultations prévues par cet accord ont eu lieu. Cela n’implique pas que l’accord cesse de produire immédiatement des effets juridiques ; mais pour M. Olivier Gohin, ses dispositions justifiées par le caractère inachevé et transitoire du statut n’ont plus lieu d’être.
Telle est l’analyse du Conseil d’État, qui dans son avis du 7 décembre 2023, concède que « les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique » tout en estimant que « la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé » ([27]). Dès lors, « il y a lieu de considérer que certaines de ces dérogations ne sont dès à présent plus strictement nécessaires à la mise en œuvre de l’accord et que, à tout le moins, leur ampleur a vocation à se réduire ». Dans son avis du 25 janvier 2024, il confirme cette analyse en observant que « les règles qui définissent aujourd’hui l’établissement du corps électoral […] présentent un risque nouveau d’entrer en contradiction, d’une part avec les principes constitutionnels […] d’autre part avec les engagements internationaux de la France » ([28]).
Certes, d’un point de vue purement juridique, le caractère constitutionnel des dispositions sur le corps électoral – rappelé par le Conseil d’État, dans la mesure où elles découlent de l’accord de Nouméa qui a lui-même valeur constitutionnelle – les place au-dessus de tout contrôle de constitutionnalité. Saisi d’une réforme constitutionnelle en 2003, le Conseil constitutionnel a décliné sa compétence en la matière, en rappelant qu’il « ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » ([29]).
Pour autant, le constituant doit tenir compte du droit international et européen : la supériorité de la Constitution dans l’ordre juridique interne n’épuise pas pour autant le débat juridique sur les dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage.
Dès lors, la tenue des élections à corps électoral constant – et donc gelé – fait peser sur cette élection de forts risques juridiques : le décret de convocation des électeurs pourrait être attaqué avec succès devant le juge administratif, de même que le résultat du scrutin, ce qui pourrait conduire à l’annulation des élections ou de leur résultat. De tels recours auraient des chances d’aboutir, selon le professeur Olivier Gohin.
Une telle situation serait dramatique pour la démocratie mais aussi pour l’ensemble des Calédoniens, alors que le territoire a besoin de responsables politiques légitimes et prêts face aux défis économiques, démographiques et institutionnels à venir. C’est pour éviter cette situation qu’une réforme du corps électoral préalable aux prochaines élections est indispensable.
Enfin, plusieurs personnalités politiques auditionnées tels que l’ancien Président de la République François Hollande et le premier ministre Manuel Valls ont partagé leur sentiment que les accords précédents étaient pensés comme devant finir par mener à une forme d’indépendance.
2. Un impératif politique : le respect par l’État du choix des Calédoniens de rester dans la République
La révision du corps électoral constitue aussi la suite logique des trois consultations relatives à l’autodétermination organisées dans le cadre de l’accord de Nouméa.
● Il faut en effet rappeler que si la conformité du gel avec l’intention des signataires de l’accord de Nouméa peut faire débat, le caractère transitoire de ce gel est incontestable : l’organisation des consultations marque la fin de la période transitoire dans laquelle ce gel s’inscrit.
Jamais il n’y a eu d’ambiguïté sur sa durée, qui devait même ne concerner que deux scrutins, comme l’attestent les déclarations de M. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, devant le Parlement réuni en Congrès : « Cette décision concerne exclusivement la période transitoire qui couvrira les élections provinciales et territoriales de 2009 et, le cas échéant, de 2014. Ces dispositions sont donc strictement limitées dans le temps et dans leur objet » ([30]).
Pour l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, le gel du corps électoral était « un mal nécessaire » mais une fois les consultations organisées, « le fleuve retrouverait son cours normal » ([31]).
Le rapport de M. Didier Quentin sur le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 77 de la Constitution rappelait pour sa part, en décembre 2006 : « il convient de conserver à l’esprit le caractère transitoire du processus entamé à Nouméa le 5 mai 1998 […]. Après le référendum d’autodétermination, quel qu’en soit le résultat, un nouveau régime devra être défini pour le corps électoral. C’est la conséquence logique du caractère transitoire du titre XIII de la Constitution. [ …] il [le droit de vote] devra être redéfini à l’aune de la citoyenneté de Nouvelle-Calédonie en cas de maintien dans la République ».
De même, pour le Conseil d’État, le constituant de 1998 et 2007 « ne saurait avoir consenti… au maintien, sans limitation dans le temps, d’un régime électoral qui ne permettrait plus à l’avenir le fonctionnement démocratique normal de l’organisation politique mise en place à la suite l’accord de Nouméa » ([32]).
● La réforme du corps électoral manifeste surtout la reconnaissance de la validité du résultat des consultations et le respect du choix des Calédoniens qui ont, par trois fois, choisi de rester au sein de la République. Ce point a été rappelé, sans surprise, par de nombreuses personnalités non indépendantistes entendues par votre rapporteur dans le cadre de ses travaux.
Si la légitimité politique de la troisième consultation est remise en cause par les indépendantistes, cette revendication n’a pas de fondement en droit ([33]) et n’a jamais été contestée auprès d’une Cour internationale.
Les trois consultations sur l’autodétermination organisées en application de l’accord de Nouméa
La question posée, « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », avait fait l’objet d’un accord entre les partenaires de l’accord sur proposition du Premier Ministre de l’époque, Edouard Philippe. Par cette question, le Premier Ministre avait donc acté un référendum « couperet » plutôt qu’un référendum de projet.
La première consultation, qui a eu lieu le 4 novembre 2018, a vu le « non » l’emporter (56,67 % contre 43,33 % des suffrages), avec un taux de participation de 81,01%.
La deuxième consultation a été organisée le 4 octobre 2020, conformément à la loi organique, à la demande des membres non indépendantistes du congrès. Avec un taux de participation en hausse (85,69 %), elle a vu le non l’emporter une nouvelle fois (53,26 % contre 46,74 %, pour le « non ») malgré un « oui » en forte progression.
Sur demande des élus indépendantistes du congrès de la Nouvelle-Calédonie, la troisième consultation s’est tenue comme prévu le 12 décembre 2021 ([34]) et a vu le « non » l’emporter une troisième fois avec 96,50 % des suffrages et un taux de participation de 43,87 %.
Le résultat des trois consultations fait aussi apparaître les limites de la posture de neutralité absolue, ou d’équidistance ([35]), parfois exigée de l’État : ce dernier se doit d’agir pour garantir le respect du résultat, issu d’une consultation démocratique. Plusieurs personnalités politiques auditionnées par votre rapporteur se sont prononcées en ce sens, comme M. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, ou M. Manuel Valls, ancien Premier ministre.
Si le risque de désordre, voire de contestation violente, émanant des indépendantistes si leurs revendications n’étaient pas prises en compte, est parfois évoqué ([36]) , votre rapporteur déplore que la position des non indépendantistes soit trop souvent passée sous silence.
Pourtant, ces derniers ont à cœur, eux aussi, de défendre leurs intérêts – intérêts qui, de surcroît, se sont exprimés démocratiquement dans les urnes par trois reprises . alors que d’autres ont préféré bouder les élections.
● Enfin, il convient de garder à l’esprit qu’en droit international, trois modalités d’accession à la pleine autonomie sont prévues : l’indépendance, l’association libre à un État indépendant ou l’intégration à un État indépendant ([37]). L’accession à l’indépendance n’est donc qu’une modalité parmi d’autres, le choix « libre et volontaire » devant revenir aux populations du territoire intéressé.
Or, le résultat des trois consultations successives exclut que la Nouvelle-Calédonie prenne le chemin de l’indépendance à court ou moyen terme.
II. un texte mesurÉ qui laisse toutes ses chances À un accord local, que votre rapporteur appelle de ses vœux
Des sujets d’ampleur restent à traiter pour le développement futur du territoire : les institutions, le partage des compétences, le nickel et plus généralement la situation économique. Aussi votre rapporteur appelle-t-il de ses vœux un accord local entre Calédoniens, sous l’égide de l’État.
Compte tenu du résultat des trois consultations, le futur statut du territoire ne pourra s’inscrire que dans le cadre de l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie à la République française.
En attendant un accord, la tenue des élections est indispensable pour redonner du dynamisme et désigner de nouveaux interlocuteurs sur ces différents sujets.
A. la recherche d’un accord entre les partenaires locaux reste une prioritÉ politique qui se traduit dans le texte
Votre rapporteur entend les interrogations sur l’opportunité du projet de loi constitutionnelle, alors même que les discussions entre les parties locales n’ont pas encore permis d’aboutir à un accord global sur le futur statut du territoire.
Pourtant, l’idée selon laquelle le projet de loi, dans sa démarche ou son contenu, mettrait en péril la perspective d’un tel accord, est infondée juridiquement et politiquement : ce texte n’est pas exclusif du dialogue et des solutions politiques que de nombreux acteurs et votre rapporteur lui-même souhaitent.
Surtout, historiquement, comme l’observait le préfet Rémi Bastille au cours de son audition par votre rapporteur, ce n’est pas le temps mais bien une volonté partagée des deux parties qui a permis l’émergence du consensus. Face à l’urgence, les accords de Matignon ont été négociés en quelques jours et ceux de Nouméa en quelques semaines.
Malgré plus de deux ans de discussions, aucun accord n’a pour l’instant été trouvé – l’ancien Premier ministre Édouard Philippe observait lors de son audition, qu’en Nouvelle-Calédonie, « Tout le monde demande du temps mais personne ne s’en sert ». Votre rapporteur déplore quant à lui que l’invocation du nécessaire consensus soit parfois le faux nez de la contestation du résultat des consultations sur l’autodétermination.
1. Une priorité politique manifeste accordée au consensus local
a. La recherche d’un accord global entre les acteurs calédoniens depuis la troisième consultation
Le fait que plus de deux ans se soient écoulés depuis la dernière consultation organisée en décembre 2021 met à mal l’idée selon laquelle le dégel du corps électoral serait imposé par l’État de façon précipitée.
Ce délai a été consacré à la recherche d’un accord, conformément aux dispositions de l’accord de Nouméa qui prévoyait simplement que « Si la réponse [à la troisième consultation] est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».
Après le refus initial du FLNKS de répondre à l’invitation de la Première ministre à initier un nouveau cycle de discussions pour déterminer un nouveau statut, en octobre 2022, l’État n’a pas ménagé ses efforts pour faciliter les discussions et l’émergence d’une solution consensuelle :
– Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, M. Gérald Darmanin, s’est rendu plusieurs fois sur le territoire : du 28 novembre au 4 décembre 2022, du 3 au 5 mars 2023, du 1er au 4 juin 2023, du 24 au 26 juillet 2023 avec le Président de la République, les 24 et 25 novembre 2023 et du 21 au 24 février 2024.
– En avril 2023, des délégations indépendantistes et non indépendantistes ont été reçues par la Première ministre à Paris pour des discussions bilatérales consacrées aux questions institutionnelles.
– Le 1er juin 2023, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et le ministre délégué aux Outre-mer ont présenté, en Nouvelle-Calédonie, un bilan de l’accord de Nouméa ([38]) et un audit de la décolonisation ([39]) pour évaluer la situation actuelle du territoire calédonien et alimenter les discussions quant à son avenir.
– Le 26 juillet 2023, dans un discours à Nouméa, le Président de la République a posé l’échéance d’une révision constitutionnelle au début de 2024.
– Le 7 septembre 2023, l’État a remis aux partenaires de l’accord un « document martyr », destiné à servir de bases aux négociations. Il a été présenté aux délégations indépendantiste et non indépendantiste au cours de la première réunion trilatérale organisée depuis 2019 et a fait l’objet de réunions de travail au Haut-commissariat entre des groupes non indépendantistes et indépendantistes.
Enfin, des rencontres entre formations politiques locales ont été initiées depuis plusieurs mois afin de nourrir les discussions en vue de la conclusion d’un accord global.
– Le mouvement non indépendantiste Calédonie Ensemble, de la droite dite modérée, et les mouvements indépendantistes Union nationale pour l’indépendance (UNI) et l’UC-FLNKS n’ont pu parvenir à se mettre d’accord malgré le fait qu’ils se soient réunis à vingt-cinq reprises entre octobre 2023 et décembre 2023, et ont contribué à l’élaboration d’un document, rendu public, dénommé « Déclaration commune sur les convergences entre calédoniens pour un grand accord ». Ces discussions sont aujourd’hui closes.
– Les mouvements non indépendantistes Les Loyalistes et le Rassemblement, l’UNI, l’UC-FLNKS et l’Éveil Océanien ont engagé le 23 janvier 2024 un cycle de discussions sur l’avenir institutionnel, en indiquant par communiqué que « ces discussions ne remettent pas en cause le calendrier constitutionnel de l’État ». Ces discussions sont toujours en cours.
Pour votre rapporteur, c’est bien le dépôt des textes de loi en décembre 2023 devant le Conseil d’État, et leur présentation au Parlement, qui a encouragé les initiatives locales sur le terrain. Il est regrettable que les indépendantistes de l’UC-FLNKS aient, dans un premier temps, par un communiqué du 28 février 2024, annoncé suspendre leur participation à ces discussions ; très récemment, le président de l’UC Daniel Goa a annoncé reprendre ces discussions avec les Loyalistes et le Rassemblement ([40]) .
b. Une priorité également rappelée dans les documents préparatoires
Bien que ces initiatives n’aient pas encore permis d’atteindre un accord sur le statut futur de la Nouvelle-Calédonie, les documents et déclarations préparatoires au projet de loi constitutionnelle sont sans ambiguïté : la réforme du corps électoral issue du texte aura vocation à s’effacer derrière un éventuel accord qui serait trouvé entre les acteurs politiques locaux avec l’État.
Dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d’État rappelait que la recherche du consensus est « une donnée fondamentale de l’élaboration de l’organisation politique qui prendra la suite de celle issue de l’accord de Nouméa » ([41]).
L’exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle rappelle que c’est « sans préjuger des évolutions du corps électoral qui pourraient résulter d’un nouvel accord entre les partenaires politiques » que « le Gouvernement estime que le gel du corps électoral pour ces élections […] ne répond plus aux exigences démocratiques… ».
Enfin, comme le rappelait M. Gérald Darmanin devant le Sénat : « Le Gouvernement […] est attaché à un accord global sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie, sur la définition de la citoyenneté, et il n’impose rien. » Dès lors, « Si, et seulement si, un accord local sérieux devait se dessiner, nous pourrions reporter une fois encore la date du scrutin […] le temps de soumettre au Parlement un autre projet de loi constitutionnelle, […] ainsi qu’un projet de statut organique […] qui en tireront toutes les conséquences » ([42]).
Ces déclarations se manifestent de façon concrète dans les dispositions du projet de loi constitutionnelle.
2. Plusieurs dispositions du projet de loi constitutionnelle, souvent ignorées par les indépendantistes, manifestent la priorité accordée à la recherche d’un accord politique local
Le projet de loi constitutionnelle organise la priorité des dispositions issues d’un éventuel accord local sur ses propres dispositions.
Or, ce point est de toute évidence trop souvent passé sous silence, au profit de la seule question du dégel du corps électoral, comme l’a concédé le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan ou encore Gérard Sarda, de la Ligue des droits de l’Homme – NC.
Une meilleure connaissance des dispositions du projet de loi constitutionnelle en ce sens pourrait toutefois être de nature à apaiser les tensions et ne peut que tordre le cou à l’idée que le présent texte constitue un « passage en force » ([43]).
a. Le texte initial : la réforme du corps électoral devient caduque ou n’entre pas en vigueur en cas d’accord ([44])
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle, dans sa version déposée par le Gouvernement, prévoit la caducité ou la non-entrée en vigueur des dispositions relatives au corps électoral si un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie est conclu avant le 1er juillet 2024 entre les partenaires de l’accord de Nouméa.
Si cet accord politique était conclu avant la date prévue pour les prochaines élections des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie, le report de ces élections, au plus tard le 30 novembre 2025, pourrait être effectué par simple décret en Conseil d’État afin de permettre la transposition constitutionnelle de l’accord politique local avant celles-ci.
b. Le texte adopté par le Sénat favorise encore un éventuel accord
Sans revenir sur l’esprit général de l’articulation entre le texte et un éventuel accord local, le Sénat a souhaité encourager davantage la possibilité d’un accord local sur l’avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, comme l’a rappelé le sénateur de Nouvelle-Calédonie Georges Naturel auditionné par votre rapporteur.
– Le texte issu du Sénat prévoit ainsi que la constatation de l’accord puisse intervenir au plus tard dix jours avant les élections, ce qui constitue un délai particulièrement souple au regard des nombreuses étapes administratives et logistiques qui auront déjà été réalisées à ce stade : impression des listes d’émargement et des cartes électorales, publication officielle des candidatures, impression, dépôt de la propagande électorale et acheminement de celle-ci aux électeurs…
– Dans l’hypothèse où cet accord politique local serait trouvé sur d’autres critères que ceux du présent projet de loi en ce qui concerne le corps électoral, le Sénat prévoit que les critères d’admission dans le corps électoral puissent être modifiés par une loi organique, sans qu’une nouvelle révision constitutionnelle – plus lourde d’un point de vue procédural – soit nécessaire ([45]). Cette disposition entend manifester « la nécessité de promouvoir la voie d’un accord tripartite consensuel comme mode principal de définition de l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie » ([46]).
c. Un nouveau report des élections provinciales en cas d’accord politique pour permettre sa transcription dans le droit
Eu égard aux délais nécessaires à l’adoption de la présente réforme du corps électoral, la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 ([47]) a reporté le renouvellement des assemblées de province et du congrès, prévoyant que ce dernier devra se tenir au plus tard le 15 décembre 2024. Elle prolonge d’autant les mandats en cours.
Afin de tenir compte des conséquences d’un éventuel accord – qui devra être transposé juridiquement aux plans constitutionnel et organique – le présent projet de loi prévoit des dispositions permettant de reporter une nouvelle fois ces élections :
– Dans la version initiale du texte, le Gouvernement pouvait reporter une nouvelle fois les élections provinciales, au plus tard jusqu’au 30 novembre 2025, par simple décret en Conseil d’État. Ce délai a été validé par le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi constitutionnel ([48]).
– Le Sénat ayant supprimé cette habilitation, un éventuel nouveau report des élections devra faire l’objet d’une loi organique. Afin de tenir compte des délais contraints, il est toutefois prévu que la simple adoption de ce projet de loi organique en Conseil des ministres vaille report du décret de convocation des électeurs le cas échéant.
3. Faute d’accord pour l’instant, le projet de loi constitutionnelle est un texte a minima, alors que d’autres sujets importants restent en suspens
Votre rapporteur tient enfin à souligner, rejoignant ainsi les observations du rapporteur du projet de loi organique portant report des élections Philippe Dunoyer, que le contenu même du projet de loi constitutionnelle – limité à la seule question de la réforme du corps électoral – illustre la volonté du Gouvernement de ne pas se substituer aux acteurs calédoniens et de ne procéder qu’aux seules modifications qui semblent indispensables juridiquement. Il fait siennes les observations de M. Édouard Philippe, pour qui il n’y aura de solution que politique, le droit n’étant qu’un instrument de transcription de cette solution.
Les raisons juridiques pour lesquelles la révision du corps électoral, objet du présent projet de loi, apparaissait nécessaire, ont déjà été exposées ([49]).
Ce serait méconnaître l’ampleur des défis de ce territoire, que de penser que la question se résume à celle du corps électoral provincial. Or, le projet de loi ne traite pas des autres sujets, pourtant cruciaux, qui appelleront à l’avenir des décisions et des accords, car le texte n’entend pas se substituer au nécessaire consensus sur ces thèmes.
Par exemple, au sujet de la répartition des sièges entre les provinces au congrès, le Conseil d’État, dans son avis du 7 décembre 2023, a concédé qu’elle « déroge au principe d’égalité devant le suffrage » tout en estimant que « la situation n’apparaît pas aujourd’hui de nature à justifier une intervention du législateur organique pour modifier la composition du congrès et la répartition des sièges entre les provinces » ([50]). Dès lors, la nécessité juridique d’une révision immédiate ne s’imposant pas, elle n’a pas été intégrée au projet de loi constitutionnelle : « non pour changer à la va-vite la répartition des forces politiques en Nouvelle-Calédonie, malgré les arguments soulevés, car cela donnerait, en l’espèce, le sentiment d’avancer à marche forcée » ([51]).
Il en va de même pour la question du nickel. Ce secteur en crise profonde représente 60 % des emplois directs ou indirects d’un territoire où le filet de l’assurance chômage est loin d’être aussi protecteur que dans le reste de la France.
La répartition des sièges au congrès de la Nouvelle-Calédonie
La répartition des sièges au congrès entre les trois provinces est fixée par l’article 185 de la loi organique : sept pour la province des Îles Loyauté, quinze pour la province nord et 32 pour la province sud.
L’avantage accordé à 1999 par ce système aux provinces nord et des Îles Loyauté, s’est encore accru au regard des évolutions démographiques : la province Nord représente désormais 18,4 % de la population pour près de 28 % des sièges ; la province des îles Loyauté représente 10,6 % de la population pour 13 % des sièges tandis que la province Sud, avec 75 % de la population, ne compte que 59,3 % des sièges.
Le Conseil d’État a rappelé à cet égard que la jurisprudence du Conseil constitutionnel « n’exige pas que la répartition des sièges soit nécessairement proportionnelle à la population de chaque circonscription et n’exclut pas qu’il puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général, ces considérations ne pouvant toutefois intervenir que dans une mesure limitée » ([52]).
B. la rÉforme du corps Électoral, si elle ne fait pas l’unanimitÉ dans la classe politique, est loin de constituer un passage en force
1. Déposé en même temps que le projet de loi organique portant report des élections, le projet de loi constitutionnelle et son contenu étaient annoncés et connus de longue date par l’intégralité des élus calédoniens
L’échéance d’une révision constitutionnelle a été posée par le Président de la République dès le 26 juillet 2023, dans un discours à Nouméa. Il indiquait ainsi : « Il est important et je souhaite qu’une révision de la Constitution de la Ve République puisse intervenir début 2024. Il s’agira d’une révision constitutionnelle dédiée à la Nouvelle-Calédonie parce que votre histoire originale au sein des institutions de la République le justifie » et précisait : « à très court terme, il nous faut avancer sur le dégel du corps électoral pour les provinciales qui doivent se tenir en 2024 » ([53]).
Dans ce contexte, dès le 7 septembre 2023, un « document martyr » était remis par l’État aux partenaires de l’Accord pour servir de base aux négociations ; ce document proposait une durée de résidence de dix ans glissants pour pouvoir voter aux élections provinciales.
Le préfet Rémi Bastille a par ailleurs assuré à votre rapporteur que la rédaction et le calendrier parlementaire d’examen du projet de loi constitutionnel avaient été présentés aux indépendantistes dès la fin de l’année 2023.
Comme l’exprimait le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin au cours de la discussion du présent projet de loi en séance publique au Sénat, « si nous avions voulu accélérer en nous appuyant « simplement » sur le résultat des trois référendums, sur le fait que la Nouvelle-Calédonie a choisi de rester au sein de la France, alors les discussions auraient dû s’arrêter là : nous aurions dégelé le corps électoral dès le lendemain du troisième référendum, sans opérer la moindre distinction avec le reste des Français, pour toutes les listes électorales » ([54]).
2. Si les modalités du dégel sont remises en cause par les acteurs politiques indépendantistes, elles constituent pourtant une concession qui leur a été faite par l’État
Eu égard aux spécificités locales et aux origines du corps électoral restreint, l’ouverture totale du corps électoral n’est généralement pas envisagée comme une option sérieuse : ce n’est pas le principe du corps électoral restreint qui fait débat, ce sont ses modalités : conditions de résidence glissante ou gelée, durée de résidence exigée, combinaison éventuelle avec d’autres critères, etc.
Sur ce point, les auditions réalisées par votre rapporteur et les contributions et prises de positions publiques des uns et des autres mettent en évidence deux constats :
– le principe du dégel du corps électoral est largement défendu, y compris par de nombreux représentants de la société civile. Seuls certains groupes indépendantistes y demeurent opposés ;
– les avis sur les modalités de ce dégel peuvent varier, la durée de résidence retenue étant parfois considérée comme encore trop longue ou devant être modulable en fonction de critères supplémentaires.
a. Une durée de dix ans glissants de résidence d’abord souhaitée par les indépendantistes et jugée trop longue par les non indépendantistes
La durée de résidence de dix ans constitue une concession de l’État aux indépendantistes. En effet, parmi les différentes durées de résidence envisagées, c’est donc la plus exigeante, celle proposée par les indépendantistes, qui l’a emporté.
M. Jean-Pierre Djaïwé, porte-parole du Palika, déclarait ainsi en marge de l’assemblée générale du parti en juin 2023 : « C’est une durée raisonnable pour des Calédoniens qui veulent s’installer et qui vont devenir des citoyens de ce pays. Parce que ce que nous voulons également, c’est former le peuple calédonien » ([55]).
Du côté du FLNKS, un document daté du 4 juin 2023, évoqué devant le Sénat par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, et que votre rapporteur a pu consulter, précise que « s’agissant de la durée de résidence suffisante », que « le FLNKS ne peut accepter une durée inférieure à dix ans » tout en souhaitant « que des travaux soient menés en concertation avec les services de l’État » pour pouvoir se positionner « à l’issue des résultats de ces travaux ».
La formulation, si elle peut apparaître compliquée, illustre bien, au-delà du nombre d’années de résidence requis, une absence d’opposition de principe au dégel du corps électoral.
Le préfet Rémi Bastille a par ailleurs assuré à votre rapporteur que plusieurs réunions s’étaient tenues sur cette base sans que cette durée soit contestée à l’époque et que les projections réclamées par le FLNKS leur avaient déjà été transmises à cette date par les services de l’État.
Du côté des non indépendantistes, si personne n’a indiqué souhaiter le retour au corps électoral de droit commun, l’idée d’une durée de résidence de trois ou cinq ans était avancée, comme a pu le confirmer M. Gil Brial, vice-président de la Province Sud. Cette durée peut paraître faible, aux côtés des dix ans initialement portés par les indépendantistes ; votre rapporteur rappelle toutefois que dans une démocratie, l’imposition d’une durée de résidence minimale à des nationaux dans leur propre pays, constitue déjà en soi une dérogation au droit commun.
L’État, pour sa part, envisageait une durée de sept ans glissants de résidence avant de se rallier au souhait des indépendantistes dans le document martyr.
b. Des positions sur les modalités du dégel désormais à front renversé
● En dépit de leur soutien initial à la durée des dix ans glissants de résidence, les acteurs indépendantistes auditionnés par votre rapporteur s’y déclarent désormais opposés.
Le « dégel » semble raviver des craintes de disparition ou d’assimilation du peuple kanak, dans le contexte historique, rappelé par M. Roch Wamytan, de la colonisation de peuplement en Nouvelle-Calédonie.
L’ouverture du corps électoral provincial aux natifs du territoire ne semble quant à elle pas susciter d’opposition frontale. Par la voie d’un communiqué adressé au président de la commission des Lois et reproduit à la fin du présent rapport, le FLNKS rappelle ainsi qu’il est « favorable à l’inscription des natifs » mais que « l’ouverture de la citoyenneté aux arrivants français pose un réel problème de décolonisation ».
Une partie des critiques s’appuie sur la défense des conditions dans lesquelles le gel aurait été adopté en 2007. Dans le communiqué précité, le groupe FLNKS considère « l’idée selon laquelle le gel a été imposé unilatéralement en 2007 » comme « sujette à des interprétations simplistes et des distorsions de la réalité » alors même que « les compromis politiques passés… ont souvent été le résultat de discussions approfondies et de négociations complexes entre les différents partis politiques ». Par un autre communiqué, adressé directement au rapporteur, le Sénat coutumier évoque « un reniement de la parole donnée par la France, ses présidents et parlement successif, en 1988, 1998 et 2007 ».
● Les non indépendantistes ont une vision opposée. Pour M. Bernard Deladrière, signataire de l’accord de Nouméa au nom du RPCR, sans accord local et sans consultation des Calédoniens, le gel de 2007 a constitué un « double déni de démocratie » ; M. Harold Martin, également signataire de l’accord de Nouméa, y voit une « trahison de l’accord de Nouméa ».
Le ralliement des non indépendantistes aux dix ans glissants procède davantage d’un pragmatisme résigné face à un gel qui n’a que trop duré, que d’une véritable adhésion. Cette modalité est aussi considérée comme correspondant au dernier consensus trouvé au niveau local sur ce sujet ([56]) et bénéficie à ce titre d’une certaine légitimité en l’absence d’accord ou dans l’attente de celui-ci.
Parmi les membres non indépendantistes du gouvernement calédonien, M. Christopher Gyges a rappelé que cette durée de résidence de dix ans constituait en soi une concession faite aux indépendantistes, tandis que la maire de Nouméa Sonia Lagarde a déclaré au cours de son audition y avoir été d’abord opposée avant de s’y rallier, faute de mieux en quelque sorte, pour permettre à des milliers de personnes de voter. Harold Martin s’est dit favorable au texte « faute de grives ». Pour Mme Sonia Backès, les dix ans sont un strict minimum et permettront de passer à autre chose.
Les trois groupes non indépendantistes au congrès, auditionnés par votre rapporteur, se sont déclarés favorables au dégel, tout en ayant des positions parfois nuancées sur d’autres points. Mme Virginie Ruffenach et M. Alcide Ponga (Le Rassemblement) appellent de leurs vœux l’adoption d’un texte conforme pour faire aboutir le dégel, de même que le groupe Calédonie Ensemble, lors de l’audition de MM. Philippe Michel et Philippe Dunoyer, qui continue à appeler à un dialogue local qui permettrait la suspension du projet de loi. Les représentants du groupe Loyaliste jugent quant à eux ce projet « nécessaire mais pas suffisant », Mme Françoise Suve voyant dans le dégel « une exigence démocratique et juridique » ainsi qu’un « juste retour d’équilibre ».
● Le président de l’Éveil Océanien ([57]) Milakulo Tukumuli, évoquait un dégel pour les personnes arrivées depuis au moins dix ans pour les prochaines élections provinciales, complété par la suite par des critères liés à la citoyenneté calédonienne.
3. Les acteurs de la société civile auditionnés par votre rapporteur se montrent également favorables au principe du dégel tout en exprimant des nuances quant à ses modalités
Les divers acteurs issus de la société civile auditionnés par votre rapporteur se sont montrés globalement très favorables au dégel du corps électoral ([58]).
● Les représentants des diverses communautés de Nouvelle-Calédonie ([59]) auditionnés par votre rapporteur – communautés chinoise, arabe, antillo-guyanaise, polynésienne, vietnamienne, indonésienne – se sont tous déclarés favorables au principe du dégel du corps électoral, sans nécessairement se prononcer sur la durée de résidence de dix ans. Les représentants de la communauté wallisienne et futunienne, qui représente à elle seule un quart des exclus du corps électoral, ont rappelé leur très fort attachement à la France et leur soutien au dégel « à 1000 % ».
● Concernant ses modalités, la durée de dix ans est parfois considérée comme à la fois trop longue et insuffisante dans la mesure où elle ne permet pas de prendre en compte l’intégration de l’électeur au territoire qui peut se manifester par des investissements professionnels, financiers, sociaux ou autres :
– Pour les représentants de Nouvelle-Calédonie économique (NC ECO ([60])), le nombre d’années de résidence requises pour l’accès à la liste électorale provinciale devrait être modulable et notamment réduite pour les personnes investissant sur le territoire, sur le modèle des avantages fiscaux ou autres accordés par certains États aux étrangers investissant sur leur territoire. Ils ont rappelé l’intérêt économique qui s’attache à ce que les personnes récemment arrivées bénéficient du droit de vote, dans un contexte où la Nouvelle-Calédonie a besoin de retrouver du dynamisme économique et démographique.
– Pour les représentants de l’Amicale vietnamienne, la période envisagée pourrait être diminuée en fonction de critères liés au centre des intérêts matériels et moraux.
● L’association des citoyens français de Nouvelle-Calédonie considère que les dix ans sont « un bon début » tout en s’inquiétant de la pérennisation de différences de droits dans un cadre non plus transitoire mais permanent.
Les propositions de l’association des citoyens français de Nouvelle-Calédonie
L’association des citoyens français de Nouvelle-Calédonie propose une liste électorale provinciale non restreinte mais, en contrepartie, la dissociation de la citoyenneté calédonienne et du droit de vote aux élections provinciales.
La citoyenneté serait liée à l’inscription sur la liste électorale spéciale pour la consultation.
Ils s’appuient sur une étude, réalisée en 2021 ([61]), qui fait apparaître que les deux tiers des partisans d’une Nouvelle-Calédonie française, 53 % des partisans de l’indépendance et 62 % du total des personnes interrogées considèrent que tout le monde doit voter aux élections provinciales ; en revanche, seule une minorité de personnes dans chaque camp (environ un tiers) considère que l’accès à la citoyenneté devrait être ouvert à tous.
Adopté par la commission sans modification
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 1er ouvre le corps électoral spécial provincial aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis au moins dix années. Il habilite le pouvoir réglementaire à prendre, par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres, des dispositions organiques relatives à l’organisation du prochain scrutin.
Dernières modifications législatives intervenues
La loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 a complété l’article 77 de la Constitution pour procéder au « gel » du corps électoral spécial provincial.
Les modifications apportées par le Sénat
Le Sénat a assoupli, en cas d’accord, la modification des critères d’admission dans le corps électoral en prévoyant qu’elle pourra être effectuée par une loi organique et a supprimé l’habilitation faite au pouvoir réglementaire relative aux mesures à caractère organique relatives à l’organisation du prochain scrutin.
Modifications apportées par la Commission
La commission des Lois a adopté l’article 1er du projet de loi constitutionnelle sans modification.
L’accord de Nouméa, transposé dans le droit positif par la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 et la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ont mis en place trois corps électoraux distincts en Nouvelle-Calédonie : un corps électoral général, un corps électoral spécial pour les élections du congrès et des assemblées de province (dit « provincial ») et un corps électoral spécial pour la consultation.
La loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 a complété l’article 77 de la Constitution pour procéder au « gel » du corps électoral spécial provincial.
Le détail des aspects historiques et juridiques du corps électoral spécial provincial a été exposé dans le A du I du présent rapport.
L’article 1er du projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement prévoit la révision du corps électoral provincial :
● Le I abroge, à cet effet, le dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle de 2007, qui limitait ce corps électoral, pour l’essentiel, aux électeurs arrivés sur le territoire avant 1999 et à leurs descendants.
● Le II crée un nouvel article 77-1 qui prévoit que ce corps « est restreint aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis au moins dix années ».
Est ainsi consacré un nouveau corps électoral toujours restreint, mais désormais « glissant » : la condition de résidence n’est plus figée, comme elle l’était depuis 2007, par référence à une année fixe, ce qui doit permettre à de nouveaux électeurs de rejoindre la liste électorale au fil du temps. Il s’agit d’un retour à l’interprétation du texte de la Constitution faite par le Conseil constitutionnel en 1999 ([62]) et contrecarrée par la loi constitutionnelle du 23 février 2007.
Il convient de relever que si la restriction du corps électoral actuellement en vigueur s’inscrivait dans le cadre politique transitoire de l’accord de Nouméa, le II pérennise la notion de corps électoral restreint, qui n’est plus pensée comme transitoire.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur par le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, le nombre d’inscrits supplémentaires résultant de cette réforme serait de 25 709, se répartissant en proportions à peu près égales entre personnes ayant dix ans de présence sur la liste électorale générale (13 268 personnes) et natifs de Nouvelle-Calédonie (12 441 natifs).
● Le III habilite le pouvoir réglementaire à prendre, par décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres, des dispositions de niveau organique relatives à l’organisation du prochain scrutin de renouvellement du congrès et des assemblées de province :
– la détermination des motifs d’absence du territoire de la Nouvelle-Calédonie qui n’interrompraient pas la durée exigée de domiciliation de dix années ;
– les modalités de révision complémentaire de la liste électorale avant ces élections,
– la possibilité d’inscriptions d’office.
Ce décret doit être pris avant le 1er septembre 2024, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Les sénateurs ont maintenu le principe de la révision du corps électoral, ainsi que les nouveaux critères permettant d’y accéder. Ces critères s’appliqueront, en l’absence de modification ultérieure, à l’ensemble des scrutins pour le renouvellement du congrès et des assemblées de province organisés à l’avenir (I et II de l’article).
Les sénateurs ont toutefois apporté deux modifications substantielles à l’article 1er :
Par un amendement du rapporteur du texte Philippe Bas, sous-amendé par M. François-Noël Buffet ([63]), le Sénat a prévu que les critères d’admission dans le corps électoral pourront être modifiés par une loi organique ([64]), sans qu’une nouvelle révision constitutionnelle soit nécessaire (IV de l’article).
Cette disposition s’appliquerait dans l’hypothèse où un accord politique local serait trouvé sur d’autres critères que ceux énoncés dans le nouvel article 77-1 de la Constitution. Elle entend manifester « la nécessité de promouvoir la voie d’un accord tripartite consensuel comme mode principal de définition de l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie » ([65]) .
Enfin, à l’initiative du rapporteur, le Sénat a supprimé l’habilitation faite au pouvoir réglementaire. Les mesures relatives à l’organisation du prochain scrutin seront donc prises par une loi organique, votée au plus tard le 1er octobre 2024, toujours après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie (III de l’article).
Afin de tenir compte des délais nécessaires à l’organisation du scrutin, qui doit intervenir, en l’état du droit, au plus tard le 15 décembre 2024 ([66]), il est prévu, par dérogation à l’article 46 de la Constitution, que cette loi organique soit votée dans les conditions prévues à l’article 45 pour les textes « ordinaires ». Cette disposition permettra de raccourcir la durée du débat parlementaire.
Votre rapporteur ne peut que constater le caractère baroque de certaines dispositions ci-dessus, au regard de la hiérarchie des normes. La juriste Léa Havard, au cours de son audition, observait ainsi que le point IV permet, de fait, à une loi organique de modifier la Constitution. Le vote d’une loi organique dans les conditions des lois ordinaires constitue, de même, une dérogation à l’article 46 de la Constitution comme le rappelle que le texte lui-même.
Le Conseil constitutionnel s’étant jusqu’à présent toujours refusé à examiner les textes constitutionnels, du fait de la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes, ce constat n’emporte toutefois pas de conséquences juridiques.
La procédure spécifique d’adoption des lois organiques
prévue par l’article 46 de la Constitution
La procédure applicable aux lois organiques se distingue de la procédure ordinaire sur deux points principaux : les délais d’examen et les conditions du dernier mot donné à l’Assemblée nationale.
Comme pour tout texte de nature ordinaire, il s’écoule un délai d’au moins six semaines entre le dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi organique et son examen en séance publique devant la première assemblée saisie, et quatre semaines pour la seconde assemblée saisie. En revanche, en cas de recours à la procédure accélérée par le Gouvernement, aucun délai minimal ne s’applique plus pour les textes législatifs ordinaires alors qu’un délai de deux semaines continue à s’appliquer pour les textes de nature organique entre leur dépôt et leur examen en séance publique dans la première assemblée saisie.
Le Gouvernement peut ensuite utiliser l’ensemble des moyens de procédure à sa disposition dans la navette (convocation d’une commission mixte paritaire, dernier mot donné à l’Assemblée nationale). Toutefois, faute d’accord entre les deux assemblées, la loi organique doit être adoptée par l’Assemblée nationale à la majorité absolue, alors qu’une telle majorité n’est pas requise pour les lois ordinaires.
4. La position de la Commission
La Commission a rejeté l’ensemble des amendements sur cet article, qu’elle a adopté sans modification.
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Adopté par la commission sans modification
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 2 prévoit une entrée en vigueur de l’article 1er au 1er juillet 2024, sauf si un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie est conclu avant cette date. Si un tel accord est conclu après cette date, il habilite le pouvoir réglementaire à procéder à un nouveau report des élections provinciales.
Dernières modifications législatives intervenues
Sans objet.
Les modifications apportées par le Sénat
Le Sénat a adopté des amendements pour encourager la possibilité d’un accord local sur l’avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et renforcer, dans cette hypothèse, le rôle du Parlement.
Modifications apportées par la Commission
La commission des Lois a adopté l’article 2 du projet de loi constitutionnelle sans modification.
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement porte sur les conditions d’entrée en vigueur et, le cas échéant, de caducité de l’article 1er. Il prévoyait, dans sa version initiale :
– une entrée en vigueur de l’article 1er le 1er juillet 2024, sauf si un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie était conclu avant cette date entre les partenaires de l’accord de Nouméa. Dans cette seconde hypothèse, le premier alinéa n’entrerait pas en vigueur ou deviendrait caduc. Le texte précisait qu’il reviendrait au Conseil constitutionnel, saisi à cette fin par le Premier ministre, de constater la conclusion d’un tel accord, dans un délai de huit jours à compter de sa saisine ;
– la possibilité, si cet accord politique était conclu avant la date prévue pour les prochaines élections des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie, de reporter de nouveau ces élections par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres, ce report devant dans ce cas prévoir des élections au plus tard le 30 novembre 2025.
Selon l’avis du Conseil d’État du 25 janvier 2024 sur le texte, cette échéance « dépasse le délai maximal de report accepté jusqu’ici par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sans pour autant être excessivement éloigné » et « paraît justifié[e] pour permettre l’adoption des textes nécessaires à la mise en œuvre de l’accord, que celui-ci soit conclu avant l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle » ([67]) .
Le principe même d’une entrée en vigueur conditionnée n’appelle pas de remarques du Conseil d’État, ce dernier rappelant, dans son avis du 25 janvier 2024 sur le texte, qu’il « n’appartient qu’au pouvoir constituant de décider de la date et des conditions d’entrée en vigueur d’une loi constitutionnelle » ([68]).
Le Sénat a souhaité encourager davantage encore la possibilité d’un accord local sur l’avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et renforcer, dans cette hypothèse, le rôle du Parlement. Il a adopté, à cet effet, trois amendements de son rapporteur.
● D’une part, l’existence d’un accord politique entre les partenaires de l’accord de Nouméa devra être constatée non par le Conseil constitutionnel, mais par les présidents des deux assemblées, saisis à cette fin par le Premier ministre. L’intervention du Conseil constitutionnel répondait à une remarque du Conseil d’État, préconisant « de confier le constat de [l’] existence [de cet accord] à une autorité constitutionnelle indépendante » ([69]). Selon le rapporteur Philippe Bas, le rôle confié aux présidents des deux chambres permet toutefois « de garantir l’indépendance de l’autorité chargée de constater un tel accord - le Parlement n’étant pas partie à celui-ci » ([70]).
● D’autre part, le report des élections, rendu nécessaire pour inscrire cet accord dans le droit, serait effectué par la loi organique et non plus par décret. Toutefois, l’accord pouvant être constaté au plus tard dix jours avant les élections, le texte adopté par le Sénat prévoit, compte tenu de l’urgence qui prévaudrait alors, que la seule adoption en Conseil des ministres de ce projet de loi organique – avant son adoption par les deux assemblées – emporterait par elle-même report du décret de convocation des électeurs pour ce scrutin. Par ailleurs, il n’est plus prévu que les élections ne puissent être reportées au-delà de la date butoir du 30 novembre 2025.
En raison de cette situation d’urgence, et pour permettre une adoption rapide de la loi organique, cette dernière serait également votée dans les conditions prévues à l’article 45 de la Constitution pour les lois ordinaires, c’est-à-dire sans les garanties et délais particuliers, rappelés ci-dessus ([71]), qui s’attachent à l’examen des projets ou propositions de loi organiques.
Enfin, s’agissant du contenu de l’accord politique global, la notion de « destin commun » lui a été ajoutée : cet accord devrait porter sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie en vue d’assurer le destin commun défini par l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998.
La Commission a rejeté l’ensemble des amendements sur cet article, qu’elle a adopté sans modification.
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Par souci de clarté, le tableau ci-après résume les principales évolutions, avant et après l’examen du texte par le Sénat, en ce qui concerne la forme juridique des actes prévus dans le projet de loi constitutionnelle concernant les élections des assemblées de province et du congrès.
Nature juridique des actes relatifs au corps Électoral et aux Élections prÉvus par le projet de loi constitutionnelle
Objet des dispositions |
Projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement |
Projet de loi constitutionnelle issu des travaux du Sénat |
Révision du corps électoral |
Loi constitutionnelle (critères généraux d’admission) et loi organique prise après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
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Loi constitutionnelle (critères généraux d’admission) et loi organique prise après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
En cas d’accord politique entre les partenaires : une simple loi organique peut modifier les critères généraux d’admission |
Mesures nécessaires à l’organisation des prochaines élections |
Décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres, pris après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie avant le 1er septembre 2024 |
Loi organique, votée dans les conditions prévues à l’article 45 (applicable aux lois ordinaires) après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie avant le 1er octobre 2024 |
Report des prochaines élections en cas d’accord politique |
Décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres
(élections reportées au plus tard le 30 novembre 2025) |
- Adoption en Conseil des ministres d’une loi organique (pouvant emporter par elle-même report du décret de convocation) - Vote de la loi organique par le Parlement dans les conditions prévues à l’article 45 (applicable aux lois ordinaires)
(pas de mention d’une date butoir pour l’organisation des élections) |
I. Audition de M. GÉrald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, ET discussion générale - Lundi 29 avril 2024
Lien vidéo : https://assnat.fr/w8Fp5E
Lors de sa réunion du lundi 29 avril 2024, la commission des Lois auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et procède à la discussion générale, sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 2424) (M. Nicolas Metzdorf, rapporteur).
M. le président Sacha Houlié. Monsieur le ministre de l’Intérieur, nous vous avons déjà entendu sur le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, mais il me semblait indispensable de vous recevoir pour évoquer le présent projet de loi constitutionnelle, dont nous examinerons les articles la semaine prochaine. Je rappelle que notre règlement interdit aux membres du Gouvernement de participer à la discussion des articles et des amendements sur les projets de loi constitutionnelle.
Le Sénat a apporté plusieurs modifications à ce projet. Elles concernent notamment les modalités de mise en œuvre d’un éventuel accord entre les parties grâce à une procédure dérogatoire, ainsi que les modalités d’articulation entre entrée en vigueur de la loi et obtention de l’accord. Les mesures d’application devraient en outre être adoptées par le Parlement, au contraire de ce qu’avait initialement prévu le Gouvernement.
Ce texte vous convient-il ? En préconisez-vous une adoption conforme ?
Quel sera le rôle des présidents des deux chambres parlementaires dans la constatation d’un éventuel accord ?
Quelles sont par ailleurs les incidences de la crise du nickel sur le processus politique ?
Enfin, nous avons beaucoup travaillé sur la question des ingérences étrangères. L’Azerbaïdjan a invité de nombreux élus ultramarins et des agents de ce pays sont présents dans notre pays, notamment en Nouvelle-Calédonie. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. Merci de me donner l’occasion de débattre à nouveau avec vous de la Nouvelle-Calédonie, après mon audition au sujet du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie – adopté par le Sénat puis par l’Assemblée nationale – et mon audition, le 9 avril dernier, par le groupe de contact organisé par la présidente de l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi constitutionnelle modifie la composition du corps électoral pour les seules élections provinciales – vous savez qu’il existe trois listes électorales en Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement souhaite un vote conforme. Le texte du Sénat ne nous satisfait pas totalement, mais il est conforme à l’esprit du texte initial comme à la volonté calédonienne et son adoption rapide nous laissera le temps nécessaire pour discuter avec toutes les parties prenantes tout en tenant l’engagement d’organiser les élections avant le 15 décembre 2024.
Le texte prévoit l’intervention des présidents des deux assemblées. Le Gouvernement ne voit rien à y redire : le Parlement – en tout cas, le Sénat – le souhaite, ces autorités morales et politiques sont évidemment les bienvenues dans le processus, et la présidente Braun-Pivet comme le président Larcher s’intéressent aux questions calédoniennes depuis leur entrée en fonctions. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’ils jouent un rôle de médiation ou d’aide ‒ même si c’est bien le Gouvernement qui défend le projet de loi constitutionnelle devant le Parlement.
Le projet de loi organique prévoyant le report des élections provinciales a été voté au Sénat puis à l’Assemblée, alors que nous n’avons qu’une majorité relative à l’Assemblée et que nous sommes très minoritaires au Sénat. Nous avons donc convaincu une grande partie des députés comme des sénateurs ; c’était une prouesse. Le projet de loi constitutionnelle a également été adopté par le Sénat, comme cela a été dit.
Veut-on que la démocratie locale s’exprime en Nouvelle-Calédonie, que les Calédoniens nés de parents calédoniens puissent voter ? Voilà la question qui nous est posée.
Dix années de présence sur le territoire demeureront nécessaires pour voter à des élections locales, conformément à ce qui avait été imaginé par Lionel Jospin dans l’accord de Nouméa – condition modifiée par la suite par le président Chirac pour des raisons politiques qui n’avaient pas grand-chose à voir avec la Nouvelle-Calédonie, mais qui tenaient plutôt au rapport de forces qu’il entretenait avec son ministre de l’Intérieur de l’époque.
Dominique de Villepin avait dit à la tribune du Congrès, à Versailles, que le gel du corps électoral pour les élections provinciales ne valait que pour les deux élections provinciales à venir ; nous arrivons à la troisième. Le corps électoral des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie restera restreint, de façon exceptionnelle par rapport au reste du territoire national mais aussi par rapport aux autres démocraties – je n’en connais pas où des citoyens d’un pays doivent attendre dix ans pour voter à une élection locale. J’ai aussi l’honneur de défendre ce dossier devant les Nations unies, et le C-24 – le Comité spécial de la décolonisation – nous a adressé un satisfecit à ce sujet.
Le Gouvernement n’ignore pas les manifestations organisées ces dernières semaines ; la participation a été très impressionnante : plusieurs dizaines de milliers de personnes pour chacune des parties, près de 10 % du corps électoral calédonien. Je remercie le haut-commissaire, les gendarmes et les policiers qui ont permis que ces manifestations se déroulent dans deux rues séparées de Nouméa et qu’il n’y ait pas d’affrontement. Le dossier peut paraître bien épineux depuis la métropole, et certains pourraient se demander s’il est vraiment utile de convoquer les parlementaires à Versailles pour un changement de corps électoral en Nouvelle-Calédonie ; sur place, on le voit, le sujet est crucial et nous devons tous prendre nos responsabilités.
Mais nous souhaitons surtout donner la priorité à la vie des Calédoniens. Vous avez cité la question économique. Les réserves de nickel, principale richesse de ce magnifique territoire, sont très importantes, mais le secteur est en grande difficulté ; les trois usines fonctionnent difficilement, voire plus du tout. Or le modèle économique et social de l’archipel est fondé sur le nickel : plus de la moitié des emplois, directs et indirects, en dépendent. Et comme le gouvernement est autonome, les systèmes sociaux, sanitaires et économiques en dépendent également. Le Gouvernement de la République française n’a pas de compétence en la matière, mais il verse énormément d’argent depuis longtemps pour soutenir les salaires, les entreprises, notamment les mines, et les collectivités locales.
Je salue le travail de Bruno Le Maire et des présidents des différentes collectivités, notamment le président Mapou et la présidente Backès, pour arriver à un accord sur la filière du nickel. Faut-il fermer une usine, transformer le modèle économique, changer la doctrine du nickel et choisir d’exporter sans transformer sur place ? Des décisions difficiles devront être prises, en lien avec l’État, et pour cela, le Congrès de Nouvelle-Calédonie comme les gouvernements des provinces doivent trouver une nouvelle légitimité grâce à un renouvellement démocratique, donc à de nouvelles élections.
Or chacun constate que le corps électoral gelé n’est plus conforme aux principes de la démocratie. Le Conseil d’État nous a lui-même fortement suggéré qu’un décret de convocation d’un corps électoral non modifié serait probablement attaqué, et les élections annulées. Nous serions alors obligés de revenir vers le Parlement. Plutôt que de jouer cette mauvaise comédie, nous avons préféré prendre nos responsabilités.
Voilà trois ans que nous discutons avec les indépendantistes comme avec les non-indépendantistes pour trouver un accord que nous qualifions de global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Faut-il réformer ces institutions ? Après tout, cinq organes pour un archipel de 300 000 habitants, c’est peut-être excessif. Personne ne disconviendra, je pense, que trois codes de l’environnement, un pour chaque province, ce n’est pas très efficace à l’heure du réchauffement climatique. Mais personne ne s’accorde non plus sur une construction institutionnelle idéale. Faut-il prévoir une autodétermination dans le futur – ni demain, ni après-demain – qui serait conforme aux engagements internationaux de la France mais aussi à nos principes constitutionnels, lesquels prévoient évidemment le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Le Gouvernement y est favorable ; encore faut-il en déterminer les modalités concrètes. La question de la représentativité du corps électoral est là aussi centrale.
Aucune des discussions n’a abouti à un accord global. Le Gouvernement prend donc, comme il l’avait annoncé, ses responsabilités sur la seule question du corps électoral restreint des élections provinciales, la plus urgente puisque les élections devaient se tenir au mois de mai de cette année.
Vous évoquez enfin la question des ingérences étrangères. Il y a en Nouvelle-Calédonie une sorte de tradition en la matière.
Longtemps, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont entretenu avec les courants indépendantistes un lien particulier ; c’est beaucoup moins vrai, voire plus du tout. Je peux témoigner du fait que mes homologues australiens, que j’essaye de rencontrer chaque fois que je me rends en Nouvelle-Calédonie – sept fois ces deux dernières années –, sont très heureux de la présence française dans le Pacifique, souhaitent des partenariats avec nous et se réjouissent de la diplomatie indo-pacifique dessinée par le Président de la République.
Il existe aussi une ingérence asiatique, notamment chinoise, en particulier en matière économique – je pense au nickel, mais aussi à la pêche ou aux câbles sous-marins en Polynésie française.
Nous avons enfin découvert il y a quelques mois une ingérence nouvelle, celle de l’Azerbaïdjan, que l’on pourrait qualifier d’opportuniste – quel est, en effet, l’intérêt de ce pays à être présent dans la zone du Pacifique Sud ? Le lien que l’Azerbaïdjan entretient avec quelques courants indépendantistes, voire avec quelques personnes, ne paraît pas conforme à un idéal politique mais plutôt numéraire. Sur ces liens de toute sorte, la délégation parlementaire au renseignement peut sans doute demander des précisions.
L’Azerbaïdjan, on le voit bien, utilise le dossier calédonien non pas pour le bien de telle ou telle population ou pour soutenir tel ou tel principe démocratique – encore faudrait-il que ce pays en ait, ce qui n’est pas flagrant –, mais pour répondre à la défense des Arméniens par la France. Cette défense est, je crois, tout à notre honneur et l’utilisation de ce dossier par l’Azerbaïdjan nous choque profondément. C’est un cas d’école d’une ingérence telle que la définit votre proposition de loi en cours d’examen au Parlement, monsieur le président.
Il faut dénoncer ces ingérences. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) les contrôle, sous mon autorité, comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) sous celle du ministre des armées. J’ai demandé au haut-commissaire de se saisir de ce sujet. Je sais aussi qu’il y a des débats à ce propos au sein du Congrès de Nouvelle-Calédonie.
La signature de prétendus protocoles politiques entre une partie du courant indépendantiste et la dictature azerbaïdjanaise n’est évidemment pas possible politiquement ni acceptable moralement. Elle nous amène surtout à nous interroger sur la volonté profonde de certains groupes qui semblent voir en l’Azerbaïdjan un modèle politique : ce n’est pas l’avenir que nous souhaitons pour la Nouvelle-Calédonie, et je suis sûr que personne ici ne dira le contraire. Cette ingérence étrangère caractérisée est extrêmement néfaste et nous regrettons que des hommes et femmes politiques français, d’une partie du courant indépendantiste, voient dans l’Azerbaïdjan une planche de salut.
Je redis que le Gouvernement est à la disposition de tous les acteurs calédoniens pour continuer les discussions. Je redis également que le corps électoral demeure restreint pour les élections provinciales, même modifié. Le Gouvernement ne souhaite pas décaler à nouveau ces élections, mais, en cas d’accord sérieux, nous avons la possibilité de les reporter encore jusqu’en novembre 2025. Notre main est toujours tendue pour une discussion trilatérale, à Paris ou à Nouméa. Si cet accord devait se dessiner, pour le bien de la Nouvelle-Calédonie et des Calédoniens, le Gouvernement le reprendrait, à la demande du Président de la République. Mais la procrastination ne fait pas une bonne politique. Les Calédoniens attendent, comme tous les Français et comme tous ceux qui vivent en démocratie, de voter pour les élections locales qui détermineront des questions économiques et sociales cruciales, comme l’aide sociale à l’enfance ou les régulations de l’urbanisme et de l’économie.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Je commence par présenter mes excuses à mes collègues : le rapport n’est pas encore disponible, car je mène encore des auditions en métropole, après de nombreuses autres en Nouvelle-Calédonie. Il le sera la semaine prochaine.
Un peu d’histoire : les accords de Matignon prévoyaient un référendum sur l’indépendance en 1998. Mais les deux grands mouvements politiques de l’époque, le RPCR –Rassemblement pour la Calédonie dans la République – et le FLNKS – Front de libération nationale kanak et socialiste –, ont estimé qu’il était bien trop tôt, après les événements de 1988, pour refaire un référendum sans raviver les tensions. Il a donc été décidé de trouver un accord plus global, un accord de décolonisation. C’est l’accord de Nouméa, qui reconnaît les ombres de la colonisation, et ses lumières, bien évidemment ; il met en avant les dégâts qu’elle a provoqués pour le peuple kanak. C’est aussi un accord de décolonisation au sens où il prévoit d’importants transferts de compétences, faisant de la Calédonie le territoire le plus autonome de la République. Le corps électoral était restreint, puisqu’il fallait dix ans de présence sur le territoire pour voter aux élections provinciales et aux référendums, même si les deux listes électorales étaient différentes.
Cette étape constructive devait mener à trois référendums. À cette époque, personne ne pensait que nous serions capables d’organiser ces trois consultations : tout le monde pensait que ce serait dangereux.
En 2007, de manière unilatérale, sans consensus ni accord global, le président Chirac, en lien avec le président de la province Nord Paul Néaoutyne, a décidé un nouveau gel du corps électoral : il ne fallait plus dix années de présence, mais être arrivé avant novembre 1998. Tous les Français arrivés après cette date, de métropole ou des outre-mer, ne pourraient jamais voter ni aux élections provinciales, ni aux référendums. À l’époque, 7 % de l’électorat était concerné ; c’est un électeur sur cinq aujourd’hui.
Je suis un fervent opposant à ce gel électoral, mais il faut lui reconnaître un avantage : il a légitimé le résultat des référendums, remportés tous les trois par les non-indépendantistes. Je rappelle qu’il suffisait que les Calédoniens votent oui à un seul référendum pour que l’indépendance soit proclamée, mais que l’accord de Nouméa prévoyait que si les trois référendums étaient négatifs, on « [examinerait] la situation ainsi créée ».
Nous y sommes. Gérald Darmanin est venu sept fois en Nouvelle-Calédonie, il y a mené des dizaines de réunions avec les indépendantistes comme avec les non-indépendantistes, il a missionné un préfet chargé uniquement des négociations. Les trois partenaires de l’accord de Nouméa – le Gouvernement, les indépendantistes et les non-indépendantistes – ont passé des centaines d’heures à discuter.
Nous étions proches d’un accord, après être allés très loin dans les négociations. Nous pensions pouvoir conclure un accord global. Je rappelle que les indépendantistes, notamment les plus modérés, ceux de l’UNI-Palika – Union nationale pour l’indépendance-Parti de libération kanak –, avaient déclaré publiquement qu’un retour à l’équilibre de 1998, c’est-à-dire dix ans de présence sur le territoire pour voter, était acceptable. Malheureusement, les indépendantistes les plus durs, les plus radicalisés – j’ose le mot –, ont prévalu au sein du FLNKS, et toutes les avancées que nous avions obtenues ont été remises en cause.
Les élections provinciales étaient prévues en mai, et le corps électoral doit être dégelé, pour les raisons juridiques qu’a rappelées le ministre.
L’article 1er du projet de loi constitutionnelle porte sur le temps de présence nécessaire pour voter. Les non-indépendantistes avaient proposé une période de trois ans glissants, considérant que, puisque nous avons voté trois fois non à l’indépendance, nous étions des Français quasiment comme les autres. M. le ministre, qui avait dans un premier temps coupé la poire en deux en proposant une durée de sept ans de présence sur le territoire, s’est finalement rangé à la proposition des indépendantistes.
Il a aussi accepté la demande des indépendantistes de privilégier un accord global : c’est l’article 2. J’ai l’impression de vivre en métropole ce que nous vivons en Nouvelle-Calédonie : un débat très binaire, qui oppose dégel du corps électoral à un accord global. Mais l’article 2 est magnifique du point de vue juridique, puisqu’il met au-dessus de la loi organique et de la Constitution un accord obtenu en Nouvelle-Calédonie : la loi constitutionnelle devient caduque si les Calédoniens trouvent un accord global jusqu’à dix jours avant les élections provinciales.
Le Gouvernement, représenté par M. Darmanin, a tout fait et continue de tout faire pour que les Calédoniens trouvent un accord global sur un projet d’avenir. Le projet de loi constitutionnelle garantit seulement que si les élections provinciales devaient se tenir sans accord politique, elles auraient lieu avec un corps électoral dégelé, ce que tant la Cour européenne des droits de l’homme que le Conseil d’État ont estimé nécessaire.
Le projet de loi constitutionnelle est très équilibré, peut-être trop, vous diront les non-indépendantistes – je ne le dirai pas, puisque j’en suis le rapporteur. Il devrait faire l’unanimité dans la classe politique, puisqu’il résout le problème juridique tout en permettant un accord jusqu’au bout ; les élections ont déjà été décalées de six mois, mais elles pourraient l’être jusqu’en novembre 2025. L’esprit de recherche du consensus est donc préservé.
Les Calédoniens attendent ces élections depuis longtemps ; ils attendent surtout une traduction concrète de leur vote aux référendums, dont le troisième s’est tenu en 2021. La Calédonie traverse une grave crise économique, liée à l’incertitude institutionnelle comme à la crise du nickel. Nous vivons un déficit migratoire sans précédent : nous perdons 4 000 à 5 000 habitants par an depuis cinq ans, ce qui met nos finances au plus mal. Nous sommes bien loin d’un repeuplement du territoire.
Il faut donc redonner des perspectives aux Calédoniens ; le projet de loi constitutionnelle va dans ce sens.
En ce qui concerne les ingérences étrangères, je rappellerai aussi que l’Union calédonienne, qui n’est pas le parti indépendantiste le plus constructif, a annoncé qu’une délégation se rendrait au Venezuela pour aller y chercher du soutien. On voit que les pays qui soutiennent les indépendantistes les plus radicalisés ne sont pas des modèles de démocratie. Or la plupart des Calédoniens, qu’ils soient indépendantistes ou non, veulent vivre dans une république démocratique.
M. Hadrien Ghomi (RE). Nous abordons un sujet essentiel pour notre histoire comme pour le sens que nous donnons à l’unité du peuple français. Je tiens à féliciter le rapporteur, qui a entendu avec la plus grande impartialité des personnalités calédoniennes indépendantistes comme non indépendantistes. Son travail éclairera au mieux celui de la commission.
Il n’a jamais été question d’exercer par ce texte une quelconque pression sur les parties prenantes en vue d’un accord institutionnel global. L’enjeu est tout autre. Seul un accord entre les partenaires locaux et l’État ouvrira la voie à une solution pérenne ; de ce point de vue, l’article 2 du projet de loi, laissant la porte ouverte au consensus, est fondamental.
L’équilibre historique trouvé lors des accords de Matignon-Oudinot puis de l’accord de Nouméa a mis fin à de graves troubles. Ces accords sont fondés sur le dialogue et sur la considération de l’autre, dans une parfaite égalité qui ne minore l’histoire ou la culture d’aucune des parties : c’est cette harmonie d’un peuple que nous devons appeler de nos vœux.
Il faut distinguer la passion de femmes et d’hommes qui ont su trouver cet équilibre de l’égalité devant le suffrage que nous devons aujourd’hui assurer. Ces passions sont celles d’indépendantistes ou de non-indépendantistes, et tout simplement celles de Français attachés à une identité, à un territoire, à un cadre de vie. C’est ce qui fait la force de la Nouvelle-Calédonie. Mais les équilibres d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Près d’un cinquième du corps électoral de Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui privé de s’exprimer lors des élections provinciales. Certains me diront qu’il s’agit d’un héritage du passé qu’il convient de préserver ; mais pourquoi ? L’histoire évolue, et nous avec. Ces Français peuvent d’autant moins continuer d’être exclus que les compétences des provinces sont extrêmement larges. Cette réforme permettra l’inscription sur les listes électorales de plus de 20 000 personnes.
Le conservatisme nous amènerait à renier une part de ce que nous appelons la démocratie. Il ne s’agit pas d’ouvrir le corps électoral calédonien aux quatre vents, mais d’y intégrer les Français qui résident sur ce territoire depuis plus de dix ans ! Cette durée est de surcroît déjà un compromis important de la part des loyalistes, qui demandaient initialement une durée de trois ans.
Il faut aussi écarter tout manichéisme : l’ensemble des Calédoniens se réclamant des Kanaks ne sont pas automatiquement indépendantistes, comme ceux que l’on appelle des Caldoches ne sont pas tous des loyalistes.
Les travaux du Sénat ont abouti à une rédaction équilibrée, qui permettra à cette réforme de se faire dans de bonnes conditions pour l’ensemble des parties prenantes à l’accord global sur l’accord institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Le groupe Renaissance soutiendra ce texte.
M. Stéphane Rambaud (RN). Les règles déterminant le corps électoral restreint chargé d’élire les représentants aux assemblées de province et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, fixées par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, sont devenues inadaptées du fait des évolutions démographiques intervenues depuis. Ce corps comprend les personnes installées en Nouvelle-Calédonie en 1998 et justifiant de dix années de résidence, ainsi que leurs enfants, mais pas leurs autres descendants ni leur conjoint. Initialement prévu pour être glissant, ce corps électoral a été gelé par la révision constitutionnelle du 23 février 2007. Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie après 1998 en sont donc exclues.
Ce corps électoral restreint est menacé d’extinction. Le nombre d’électeurs inscrits sur les listes générales, mais privés de droit de vote aux élections des assemblées de province et du Congrès, est ainsi passé de 8 000 en 1999, soit 7,5 % du corps électoral général, à 42 500 en 2023, soit un électeur sur cinq. Un dégel est plus que nécessaire avant les prochaines élections territoriales et provinciales, dans l’attente d’un accord politique régissant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Le nouveau corps électoral restreint doit comprendre les natifs du territoire et les autres résidents français justifiant d’une durée de séjour suffisante pour manifester leur attachement à la Nouvelle-Calédonie. Un nouveau statut doit fixer des conditions d’accès satisfaisantes à la citoyenneté locale. Dans cette attente, le présent projet de loi constitutionnelle doit être adopté : telle est la position que défendront les députés du groupe Rassemblement national, afin que des citoyens français puissent exercer un des droits les plus fondamentaux, celui de voter.
La question du statut de la Nouvelle-Calédonie demeure néanmoins ; nous n’avons qu’une confiance mesurée dans la capacité du Gouvernement à la résoudre. La Nouvelle-Calédonie est française depuis 1853 et les Calédoniens ont exprimé leur volonté qu’elle le reste à cinq reprises, en 1958, 1987, 2018, 2020 et 2021. Même si le cycle des référendums d’autodétermination est désormais clos – et doit le rester pour plusieurs dizaines d’années –, la Nouvelle-Calédonie doit désormais se consacrer à son développement économique et social.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Dans le débat qui nous occupe, deux principes d’égale valeur s’affrontent : d’une part, le droit universel de participer au suffrage – à cet égard, le gel électoral issu des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa ne saurait perdurer, puisqu’il exclut des élections locales près de 20 % des personnes pouvant voter à l’élection présidentielle ; d’autre part, le droit des Néo-Calédoniens de mener à son terme le processus d’autodétermination enclenché en 1988 et confirmé en 1998.
Comment concilier ces deux principes ? Aucun consensus ne se dégage en Nouvelle-Calédonie. Si le référendum de 2021 respectait le formalisme légal, ses conditions d’organisation ont suscité des crispations et heurté une partie de la population locale, mettant en péril le cadre de discussion apaisé bâti depuis des décennies. Certains choix, notamment de calendrier, ont fait douter de l’impartialité de l’État et de sa volonté d’apaiser les tensions.
Pour la première fois dans l’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie, une réforme constitutionnelle est susceptible d’être adoptée sans accord local préalable. Cela ne peut que susciter des troubles, attisés de surcroît par des ingérences étrangères inacceptables, en particulier de la part de l’Azerbaïdjan.
Notre boussole doit être l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa, qui ont permis aux populations locales de discuter de leur avenir dans un cadre apaisé, sans pression abusive, avec un État impartial veillant à éviter les impasses. Il faut donc absolument rétablir le dialogue, malgré les difficultés et les réticences. Un nombre croissant de voix s’élèvent à Paris, au-delà de notre famille politique, pour demander la création d’une mission impartiale destinée à faciliter les négociations entre les parties afin d’aboutir à un accord global, indissociable du projet de loi constitutionnelle. Nous devons adopter une méthode apte à conjurer les tensions grandissantes – les dernières manifestations ont révélé combien le clivage était important au sein de la société néo-calédonienne. La méthode ne saurait consister à faire passer un projet de loi constitutionnelle à tout prix. Nous ne soutiendrons donc pas le texte.
M. Philippe Gosselin (LR). Mon groupe est attaché à l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie à la France, confirmée par les référendums de 2018, 2020 et 2021.
Nous sommes arrivés au terme du processus issu des accords de Matignon et de Nouméa, qui visait à reconnaître les ombres et les lumières de l’histoire pour forger, enfin, un destin commun. Après de trop nombreux drames, il fallait « faire la paix », pour reprendre les mots de Michel Rocard, et aller de l’avant.
Si le processus prend fin, la méthode qui l’a guidé, elle, doit perdurer : la recherche permanente du consensus. Cette marque de fabrique, bâtie vaille que vaille, a toujours appartenu aux acteurs locaux. Le Parlement s’est contenté d’y jouer un rôle limité, celui de greffier des équilibres fragiles trouvés localement, même lorsque les accords avaient des conséquences pour l’ensemble de la nation. L’avenir de la Nouvelle-Calédonie appartient d’abord aux habitants de ce territoire et dépendra des accords qu’ils concluront entre eux.
Trois référendums ont certes confirmé le maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République, mais aucun accord ne saurait exclure une communauté ou une autre. Égalité, vivre-ensemble, destin commun : quelles que soient les solutions juridiques retenues, ces principes sont plus que jamais d’actualité.
Les inquiétudes sont nombreuses. L’industrie du nickel est en grande difficulté. Elle fut longtemps la pierre angulaire de l’économie de l’île, mais a aussi suscité des fantasmes ; or la dure réalité se rappelle à nous. La démographie de l’île ne cesse par ailleurs de chuter, démentant les craintes, entretenues par certains, d’un peuplement exogène massif. Il faut y voir l’expression des inquiétudes d’une population qui se cherche.
Pour en revenir au projet de loi constitutionnelle, il n’est pas acceptable que près d’un électeur sur cinq soit exclu du vote aux élections provinciales et au Congrès. Les principes constitutionnels d’égalité et d’universalité du suffrage doivent s’imposer face à un régime dérogatoire qui devient de plus en plus attentatoire. Il est inenvisageable d’organiser de nouvelles élections provinciales sans dégel du corps électoral – le Conseil d’État ne dit pas autre chose. Fallait-il pour autant, comme le fait le projet de loi, décorréler ce sujet d’un accord plus large ? L’idéal aurait été que les parties concluent localement un accord, mais, malgré certains signaux faibles de part et d’autre, celui-ci se fait attendre. Les tensions sont exacerbées : le 13 avril, quelque 40 000 personnes ont défilé en deux cortèges opposés. C’est phénoménal ! À cela s’ajoutent des ingérences étrangères : après la Chine, l’Azerbaïdjan s’invite au grand jour, par opportunisme, ajoutant de la confusion et de l’instabilité à une situation déjà suffisamment tendue.
Qu’en conclure ? Un processus est enclenché et doit être mené à son terme. À l’Assemblée nationale comme au Congrès, les élus du groupe Les Républicains voteront donc en faveur du projet de loi constitutionnelle. Nous formons néanmoins le souhait qu’un accord soit conclu sur place ; il pourrait être facilité par la création d’une mission impartiale à laquelle l’Assemblée et le Sénat seraient associés. Accompagnons ce destin commun pour renouer avec la croissance économique et démographique, pour assurer le développement et l’avenir du territoire, mais aussi, et avant tout, pour restaurer la confiance en soi et en les autres.
Mme Aude Luquet (Dem). Les Calédoniens ont besoin de sérénité et de stabilité, non seulement pour apaiser les tensions entre leurs différentes sensibilités, mais aussi pour assurer la prospérité d’une île qui affronte des difficultés économiques préoccupantes, notamment du fait de la crise du nickel.
Pour une très grande majorité des indépendantistes, le gel du corps électoral constitue le cœur de l’accord de Nouméa : de leur point de vue, il est inenvisageable d’y toucher sans traiter de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Au-delà des postures, toutefois, le dégel du corps électoral pour les personnes nées sur l’île et celles qui y résident depuis au moins dix ans est relativement admis par toutes les parties, à l’heure où ce corps se réduit et exclut toujours plus de natifs. Rappelons que la proportion des électeurs inscrits sur la liste électorale générale, mais privés de droit de vote pour les élections des assemblées de province et du Congrès, est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023. Sur les 25 000 personnes concernées par le dégel, 14 000 sont natives de Nouvelle-Calédonie. Sans modification des règles, cet écart ne pourra que s’accentuer.
Le Conseil d’État a rappelé que le corps électoral spécifique résultant de l’accord de Nouméa dérogeait aux principes d’égalité et d’universalité du suffrage et qu’il devait être transitoire. Il estime ainsi que « les règles qui définissent aujourd’hui l’établissement du corps électoral de la liste spéciale pour l’élection du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie présentent un risque nouveau d’entrer en contradiction, d’une part avec les principes constitutionnels mentionnés […], d’autre part avec les engagements internationaux de la France […] ». Il nous faut donc avancer, sans laisser des combats partisans et politiciens propres à la métropole polluer des enjeux fondamentaux pour la démocratie calédonienne.
La recherche d’un consensus et d’une réforme institutionnelle profonde décidée par les Calédoniens doit être notre principal objectif. Veillons à ne pas replonger l’île dans une crise politique qui aggraverait la crise économique. Nous ne sommes pas à l’abri d’un boycott des élections par ceux qui voient le dégel du corps électoral comme un passage en force alors que nous voulons tous l’apaisement. Du point de vue technique, le dégel nécessitera que les communes participent à la modification des listes électorales. Mais qu’adviendra-t-il si certaines bloquent le processus ?
M. Arthur Delaporte (SOC). C’est avec la plus grande inquiétude que le groupe Socialistes et apparentés aborde l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, fruit de la seule volonté du Gouvernement. Nous arrivons au terme de la période prévue par l’accord de Nouméa : notre assemblée aurait pu y voir un rendez-vous avec l’histoire. Or nous nous apprêtons à examiner un texte qui rompt avec la pratique institutionnelle et avec les fragiles équilibres trouvés à l’occasion des accords de Matignon de 1988 et de l’accord de Nouméa de 1998, tous deux orchestrés par des Premiers ministres socialistes, Michel Rocard et Lionel Jospin.
La crise institutionnelle couve. La gestion des événements par le Gouvernement est loin d’atteindre l’objectif premier qui devrait être le nôtre : l’apaisement. Nous regrettons la méthode que vous avez choisie, par laquelle un texte précipite la modification du corps électoral au détriment d’un accord global entre les parties calédoniennes. Ce faisant, vous retirez de la balance du dialogue un des éléments clés. Surtout, cette réforme pourrait entraîner une modification de la Constitution avant tout accord.
Nous partageons l’analyse du Conseil d’État, selon laquelle l’accord de Nouméa « constitue, aux termes du point 5 de son préambule, une “solution négociée, de nature consensuelle”, qui a mis en place “l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation” […] ».
En l’absence de négociation et de consensus, les conditions ne sont pas réunies pour modifier le corps électoral. Nous devons redoubler de vigilance pour que le processus de décolonisation soit abouti et complet ; il serait intolérable que le projet de loi constitutionnelle mette en cause ce processus et l’autodétermination. Aussi le texte doit-il être retiré. Le maintenir serait prendre le risque d’un embrasement généralisé – nombre des acteurs que nous avons auditionnés nous ont alertés à ce sujet.
Lors de l’examen du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, nous avons recommandé – en vain – de prendre tout le temps nécessaire et d’adopter le délai supplémentaire suggéré par le Conseil d’État en nous laissant la possibilité de réunir des élections jusqu’en novembre 2025. Je vous appelle à écouter les forces vives locales, monsieur le ministre. Comme l’ont écrit Lionel Jospin et Michel Rocard dans une tribune en 2008 : « Plus que jamais, il faut parler, diagnostiquer sans complaisance les injustices qui persistent et y porter remède, rechercher ce qui rassemble et discuter de ce qui divise. L’État, partenaire politique des accords, en charge de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, doit assurer une mission permanente de dialogue. »
Pour préparer l’avenir et réparer les blessures du passé, nulle précipitation n’est nécessaire. Les récentes manifestations, qui ont mobilisé près de 20 % du corps électoral, s’ajoutent à la crise du nickel. Les tensions politiques et économiques témoignent d’une réactivation de la bipolarisation – autant de signes que le texte divise plus qu’il ne rassemble. Les soupçons quant à la neutralité de l’État concernant le dégel du corps électoral prouvent que le texte va trop loin. La théorie des apparences doit l’emporter.
Je soutiens la proposition, formulée dans le rapport d’étape de la mission d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer, de créer une mission impartiale dans le but d’aboutir à un accord global. Cela suppose de suspendre la réforme constitutionnelle envisagée, pour retrouver le chemin du dialogue. Il est urgent de laisser le temps aux parties de construire une solution négociée, pacifique et durable. La prise en main du dossier par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer n’est pas propice à des négociations sereines – ce n’est pas vous que je critique, monsieur le ministre, mais le passage du niveau primo-ministériel au niveau ministériel. Nous devons avancer sereinement ; malheureusement, vous ne semblez pas en prendre le chemin.
Mme Félicie Gérard (HOR). Le groupe Horizons et apparentés tient à rappeler son attachement à la Nouvelle-Calédonie et à l’obtention d’un consensus pour déterminer l’avenir politique et institutionnel de celle-ci. Le projet de loi constitutionnelle vise à encourager le dialogue et à trouver un terrain d’entente entre les parties prenantes de l’accord de Nouméa, afin d’assurer une paix sociale durable.
La Nouvelle-Calédonie ne compte pas moins de trois listes électorales : la première, pour les élections du Président de la République, des maires et des députés ; la deuxième, pour les élections provinciales ; la troisième, pour les consultations relatives à l’autodétermination. Les deux dernières sont restreintes aux habitants ayant une durée de résidence suffisante sur le territoire. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l’accord de Nouméa, en 1998, ont le droit de voter aux élections provinciales. Cela a entraîné une situation paradoxale : les natifs de Nouvelle-Calédonie peuvent voter aux consultations référendaires, mais non aux élections provinciales – pas plus que leurs petits-enfants. L’évolution démographique est telle que les personnes exclues des élections provinciales représentent 19,3 % des électeurs – soit près d’un sur cinq – , contre 7,5 % en 1999.
Dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d’État considère que les dispositions actuelles dérogent aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage et qu’il convient de les modifier « afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps ». Il est donc nécessaire d’instaurer un corps électoral provincial glissant.
Résolument attachés aux principes fondateurs de notre démocratie, les députés du groupe Horizons et apparentés estiment que le dégel partiel du corps électoral est nécessaire et qu’il doit s’inscrire dans la continuité de l’accord de Nouméa. La période de résidence de dix ans, retenue par le projet de loi constitutionnelle, nous semble équilibrée : elle correspond à la durée proposée au moment de la rédaction de cet accord fondateur.
Enfin, nous saluons le caractère subsidiaire du texte : il ne s’appliquera qu’en l’absence d’accord entre les parties concernant l’avenir institutionnel et politique de la Nouvelle-Calédonie.
Nous voterons donc le projet de loi constitutionnelle, et nous appelons de nos vœux la construction d’un accord respectueux de chacun, garantissant les principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
M. Jean-Victor Castor (GDR-NUPES). Le point 5 du document d’orientation de l’accord de Nouméa précise qu’après trois réponses négatives aux référendums, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette “irréversibilité” étant constitutionnellement garantie ». Dialogue et consensus, telle est l’essence des accords relatifs à la Nouvelle-Calédonie.
Votre projet de loi constitutionnelle renie l’esprit de ces accords. Le corps électoral constitue la base de la citoyenneté calédonienne et fait intégralement partie de l’organisation politique instaurée par l’accord de Nouméa. Les restrictions qui lui sont apportées constituent une garantie de paix civile. En mettant en cause de façon unilatérale l’irréversibilité constitutionnelle de l’organisation politique issue de l’accord de 1998, vous revenez fracturer le pays et réveiller les antagonismes. Votre méthode va à contre-courant de celle qui a été adoptée depuis les accords de Matignon de 1988. Que cherchez-vous, monsieur le ministre ? Pensez-vous que c’est par un passage en force qu’une solution pérenne et pacifique sera trouvée en Nouvelle-Calédonie ?
L’accord de Nouméa a consolidé la stabilité de l’archipel en établissant, dans son préambule, la nécessité de poser les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie permettant au peuple d’origine de constituer, avec les hommes et les femmes qui y vivent, une communauté humaine affirmant un destin commun.
Le premier alinéa du projet de loi constitutionnelle remet fondamentalement en cause la notion de communauté de destin prévue par l’accord de Nouméa. La création d’un corps électoral glissant menace un équilibre encore fragile, construit grâce à la bonne volonté de chacune des parties et garanti par la neutralité de l’État. En modifiant cet équilibre, vous provoquerez une minorisation irrémédiable du peuple kanak et des Calédoniens d’origine, du fait du poids croissant des nouveaux électeurs de passage – car vivre dans un territoire pendant dix ou quinze ans ne signifie pas obligatoirement vouloir y lier son destin. Il est courant que des personnes s’établissent dans nos pays pour un temps plus ou moins long, mais ne considèrent cet épisode que comme une parenthèse dans leur vie. En l’occurrence, elles ne souhaitent pas établir de communauté de destin en Nouvelle-Calédonie. Pourtant, si un corps électoral glissant était instauré, ces personnes de passage décideraient de l’avenir de l’île.
Le déséquilibre démographique qui s’ensuivrait est une des préoccupations de l’ONU, qui rappelle que, dans le contexte spécifique des territoires non autonomes, dont fait partie la Nouvelle-Calédonie, « [l]es puissances administrantes devraient veiller à ce que l’exercice du droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l’immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu’elles administrent ». L’avenir de Kanaky-Nouvelle-Calédonie doit emprunter le chemin du consensus, hérité de l’histoire. Une nouvelle organisation ne peut être instaurée que par la voie consensuelle, afin de définir plus précisément le périmètre de la citoyenneté calédonienne. Des propositions ont été faites à cette fin : l’ouverture du corps électoral aux natifs, ou encore la constitution d’une mission de médiation politiquement neutre, qui devra s’atteler à rétablir les conditions d’un vrai dialogue et l’impartialité de l’État.
Malheureusement, votre Gouvernement préfère une méthode à marche forcée qui renie l’esprit des accords pour la paix. Il est hypocrite : il dit vouloir dialoguer mais refuse d’en prendre le temps. Vous voulez obtenir un accord rapidement, sous la pression. Vous dites aux indépendantistes : « Signez, ou on passera par la loi constitutionnelle. » Il s’agit d’une attitude on ne peut plus coloniale, prétentieuse et risquée. En agissant de la sorte, vous ne résoudrez rien ; au contraire, vous recréerez les conditions du chaos. Vous devrez en assumer la responsabilité.
M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Vingt-six ans après l’accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie se trouve dans une situation très instable, tant sur le plan politique qu’économique.
Ce problème politique, fruit d’une histoire particulière – coloniale, conflictuelle, puis apaisée – entre l’île et la République, est complexe. Il impose de faire preuve d’humilité, tout autant que de détermination collective. Les députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires n’ont aucune intention de mettre de l’huile sur le feu. Cela ne nous empêchera pas d’affirmer les principes et la vision qui nous animent, afin de contribuer, bien modestement, au cheminement vers la paix et vers une solution politique partagée.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis est un rendez-vous manqué. L’absence d’accord politique nous conduit en effet à discuter d’une révision constitutionnelle qui n’est ni consensuelle, ni soutenue majoritairement dans l’île. Ce n’est pas ainsi que nous dessinerons un destin commun pour la Nouvelle-Calédonie tel que le souhaitaient les rédacteurs de l’accord de Nouméa. Les risques de statu quo sont réels et le renoncement ne saurait être une solution. Aussi notre groupe espère-t-il ardemment la poursuite du dialogue et des négociations.
Ce projet de loi contient un mécanisme de caducité au cas où un accord serait trouvé après son adoption. Doit-on y voir une porte ouverte ou un ultimatum ? Selon leur camp, les acteurs interprètent différemment cette question à haut risque. Nous regrettons qu’ait été choisie une méthode à marche forcée en dépit de fortes réserves – exprimées en particulier par le FLNKS, qui rejette le texte. Le dialogue ne semble pas mûr ; les positions des loyalistes et des indépendantistes semblent encore trop tranchées et éloignées ; le destin commun n’est pas défini. Aussi ce projet de loi arrive-t-il beaucoup trop tôt. Notre groupe estime qu’il faut prendre le temps nécessaire au dialogue plutôt que de légiférer sans accord politique préalable.
Si nous reconnaissons qu’il est nécessaire de modifier le corps électoral pour tenir compte de l’évolution démographique, il reste à résoudre une question sensible : les modalités d’application d’un dégel permettant à de nouveaux électeurs de participer aux élections provinciales. Le critère des dix ans de résidence retenu par le projet de loi suscite encore trop de réticences, bien que des espaces de compromis semblent exister. Le fait même de dissocier la question du corps électoral d’un accord plus global pose problème.
Au fond, ce projet de loi constitutionnelle constitue une solution subsidiaire, que personne ne peut raisonnablement considérer comme une résolution définitive et apaisée du blocage actuel. Nous réitérons notre appel à un accord global entre l’ensemble des parties signataires de l’accord de Nouméa, dans le but de rassembler, de tracer un destin favorable, d’assurer la stabilité institutionnelle de la Nouvelle Calédonie et de contribuer à son émancipation. Monsieur le ministre, quel est l’état des discussions entre les acteurs ? Il est important que l’Assemblée nationale en soit informée pour délibérer de manière éclairée, en son âme et conscience.
Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). De façon inquiétante, les discours sur la Nouvelle-Calédonie semblent oublier les épisodes tragiques que l’île a connus. Le Gouvernement pense pouvoir légiférer sur ce territoire en passant en force, comme il en a pris l’habitude dans de nombreux domaines. Cette méthode brutale, qui refuse la recherche d’un consensus, est dangereuse. Vous donnez l’illusion du dialogue pour transposer un modèle colonial.
Je tiens à rappeler que l’ONU a classé la Nouvelle-Calédonie parmi les territoires à décoloniser et que votre projet de loi constitutionnelle touche à des considérations de droit international qui appellent à la plus grande prudence. Le Gouvernement ne peut agir en Nouvelle-Calédonie en faisant fi des événements historiques récents et de l’extrême violence dans laquelle le territoire fut plongé dans les années 1980. On oublie trop souvent que les insurrections et les guerres civiles sont le fruit de basculements ténus. Comme disait Romain Gary : « La vérité, c’est qu’il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase. » Il est impossible de savoir quelle goutte d’eau provoquera le débordement. Et si cette goutte, c’était une réforme du corps électoral imposée par le Gouvernement alors même que des négociations sont en cours ?
La Nouvelle-Calédonie a connu plusieurs séquences insurrectionnelles au cours de son histoire, dont l’épisode tragique de la grotte d’Ouvéa qui a causé la mort de dix-neuf Kanaks et de deux militaires. De cet événement est resté un serment, voulu par Michel Rocard : les responsables politiques ne devraient plus jamais mêler la Nouvelle-Calédonie à la politique nationale. Pourtant, vous avez organisé le troisième référendum d’autodétermination à quelques mois des élections présidentielle et législatives, malgré un boycott massif.
Le présent projet de loi constitutionnelle témoigne que vous n’avez rien appris d’Ouvéa ni du boycott des indépendantistes. Le consensus n’est pas une des options possibles ; il est l’unique chemin sur lequel le Gouvernement doit s’engager, aussi long et sinueux soit-il. Telle doit être notre boussole politique. Le 23 mars dernier, le FLNKS, réuni en congrès, a voté une motion de politique générale qui « condamne la méthode de passage en force du Gouvernement français » et « exige le retrait définitif du projet de loi constitutionnelle ». Il y réaffirme « l’illégitimité de la troisième consultation du 12 décembre 2021 en raison de la non-participation du peuple kanak ».
Les députés du groupe Écologiste défendront toujours le temps long de la discussion et du compromis, plutôt que les délais contraints qui permettent de balayer les contestations d’un revers de main. Nous défendrons toujours le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe d’autodétermination. C’est pourquoi nous voterons contre le projet de loi constitutionnelle.
Que pensez-vous qu’il se passera, monsieur le ministre, quand le Gouvernement aura fait voter la réforme du corps électoral, effaçant toute possibilité d’accord tripartite ? En l’absence de consensus, quelle sera la prochaine étape, alors que la Nouvelle-Calédonie connaît des mobilisations colossales ? Sachez entendre ces questions empreintes d’une grande inquiétude.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Luquet, je ne doute pas que la majorité des maires indépendantistes sont des républicains et des démocrates ; ils appliquent la loi, comme à l’occasion du troisième référendum, que les indépendantistes voulaient boycotter mais auquel les maires de cette famille politique ont prêté leur concours en ouvrant les bureaux de vote et en assurant le bon déroulé de la consultation, jouant ainsi leur rôle d’agent de l’État. Si un boycott s’organisait contre l’élaboration des listes électorales, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie pourrait désigner une délégation spéciale ayant pour mission de remplacer les maires, ceux-ci s’exposant à des poursuites de l’autorité judiciaire, compétente en matière d’état civil.
Monsieur Castor, vous avez affirmé que vivre dix ou quinze ans dans un territoire ne donnait pas forcément le droit de participer à la vie politique de celui-ci et aux élections locales, mais vous appartenez à un groupe politique qui défend le droit de vote des étrangers aux élections municipales : si je vous suis bien, un étranger résidant depuis deux ou trois ans à Tourcoing ou à Paris pourrait voter aux élections municipales, mais un citoyen français de Nouvelle-Calédonie n’aurait pas le droit de voter aux élections locales. Votre argument, spécieux, manque de pertinence mais pas d’idéologie ; votre position s’oppose à l’intérêt général, lequel commande à chaque citoyen français de participer à la vie locale.
Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). On pourrait faire le même raisonnement dans l’autre sens !
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, car je parle des citoyens français. Je soutiens le vote des nationaux à toutes les élections et je suis opposé à l’inscription des étrangers sur les listes électorales municipales.
Vous avez parlé de proportion de personnes autochtones ; pour ma part, je me refuse à toute essentialisation et je n’aborde pas la question du droit de vote aux élections locales sous l’angle de la couleur de peau ou de l’origine ethnique. Monsieur Ghomi, je vous remercie d’avoir souligné le fait que de nombreux Kanaks étaient opposés à l’indépendance quand de nombreux Caldoches, ou Blancs, ou Européens soutiennent cette dernière.
Monsieur Acquaviva, vous pensez nécessaire l’obtention d’un consensus général sur les questions institutionnelles. Je m’étonne de cette position, contraire à celle que vous avez défendue lors du débat sur l’évolution du cadre constitutionnel corse. En effet, les représentants du camp nationaliste, auquel vous appartenez, n’ont cessé de m’expliquer qu’il fallait se plier au fait politique majoritaire en Corse ; or, en Nouvelle-Calédonie, les trois référendums ont repoussé la perspective de l’indépendance et ont validé le maintien du territoire calédonien dans la République française, fait majoritaire renforcé par l’élection de deux députés, MM. Dunoyer et Metzdorf, opposés à l’indépendance. Pourquoi ne devrions-nous pas nous plier à ce fait majoritaire ? Il n’y a pas de consensus total en Nouvelle-Calédonie, non plus qu’en Corse ; pourtant, le Gouvernement s’est rangé derrière M. Gilles Simeoni lorsque celui-ci a refusé qu’une minorité décide de l’avenir institutionnel de la Corse. Pourquoi en irait-il différemment en Nouvelle-Calédonie ?
Vous voulez, comme Mme Regol, prendre du temps ; nous sommes d’accord avec cette demande, mais aucun de vous ne propose une solution au problème auquel nous sommes confrontés. En cas d’absence d’accord, jusqu’à quand devons-nous repousser les élections ? Les Néo-Calédoniens pourront-ils un jour participer à des scrutins locaux ? Si des élections sont organisées, sur quelle base convoquons-nous les électeurs ? Le Conseil d’État a affirmé qu’il n’était pas possible d’organiser des élections sur le fondement des listes électorales actuelles, monsieur Delaporte.
Vous avez évoqué Ouvéa, madame Regol ; laissez-moi vous dire que je trouve le parallèle pour le moins excessif. Les indépendantistes ont proposé que le corps électoral soit constitué des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis au moins dix ans et leurs représentants Roch Wamytan et Victor Tutugoro ont signé un protocole d’accord, que je vous ai transmis par le biais du groupe de contact ; nous sommes donc très loin du drame d’Ouvéa, au cours duquel des personnes ont perdu la vie. Que feriez-vous à notre place ? Organiseriez-vous des élections que vous savez illégales ? Prolongeriez-vous éternellement les mandats des élus provinciaux et du Congrès ? C’est peut-être la fonction de l’opposition de critiquer le Gouvernement sans rien proposer de concret ; néanmoins, ma responsabilité est de tenter de trouver la voie du consensus et du compromis – encore faut-il être au moins deux autour de la table. Le rapporteur a justement rappelé les efforts consentis par le Président de la République et le Gouvernement, qui ont pris des positions contraires à celles de leurs alliés électoraux sur place.
Monsieur Gosselin, j’ignore ce qu’est une mission impartiale. Je ne vois aucun inconvénient à ce que le président du Sénat s’intéresse à ce dossier et souhaite y jouer un rôle, mais il a défendu le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française, donc en quoi serait-il impartial ? Si de nouvelles personnes souhaitaient apporter leur pierre à l’édifice calédonien, je soutiendrais leur démarche, mais il me semble que l’État joue déjà le rôle de l’acteur impartial, puisqu’il a réuni autour de lui, quelles que soient les majorités, les parties prenantes. L’objectif est la paix publique, le retour de la démocratie et le développement économique et social de la Nouvelle-Calédonie, car tel est l’intérêt général de ce territoire et de la France.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Monsieur Le Gall, votre interrogation est juste. Vous dites que deux principes universels sont en jeu dans le dossier calédonien, à savoir la démocratie et la décolonisation. Ce dernier terme n’est pas un synonyme d’indépendance, car l’ONU définit quatre voies possibles pour sortir de la colonisation : l’indépendance, l’intégration totale à l’ancienne puissance administrant le territoire, la libre association ou tout statut négocié entre les citoyens de l’ancienne colonie et l’ancienne métropole. Avec les trois référendums et l’accord de Nouméa, la question de la décolonisation a été traitée. L’autonomie de la Nouvelle-Calédonie est très large et les indépendantistes sont surreprésentés dans les cinq institutions locales, puisqu’ils en contrôlent quatre ; le corps électoral est restreint et a même été gelé pour les trois référendums. Peut-on concevoir processus de décolonisation plus achevé ? Dans ce contexte, les non-indépendantistes ont demandé le retrait de la Nouvelle-Calédonie de la liste onusienne des territoires à décoloniser.
La question de la décolonisation a été traitée, mais pas celle de la démocratie puisque le corps électoral reste gelé. L’objectif du projet de loi constitutionnelle est de résoudre cette deuxième question. Plusieurs intervenants ont regretté que le Gouvernement précipite le dégel du corps électoral, alors que les discussions ont duré trois ans et que l’article 2 du texte prévoit du temps supplémentaire pour parvenir à un accord global. La Nouvelle-Calédonie connaît une crise économique : 20 000 personnes, soit 10 % de la population, ont quitté le territoire, dont les caisses sont vides. L’incertitude institutionnelle joue un grand rôle dans cette situation. Nous devons donc accélérer, car les gens ont besoin de visibilité. Vous êtes nombreux à craindre que le projet de loi mette en péril la paix et crée des tensions, mais, pour ma part, je constate une invisibilisation des loyalistes. D’ailleurs, pensez-vous que ces derniers se précipiteraient à la table des négociations si le Gouvernement retirait le texte – par exemple si la clause des dix ans glissants, issue de l’équilibre des accords de Nouméa, était remplacée, sur le fondement de l’article 2, par une durée de vingt ou de vingt-cinq ans glissants ?
N’invisibilisez pas les loyalistes ! Le texte reflète les demandes des indépendantistes, mais, dans le dossier calédonien, il n’y a pas que l’État et les indépendantistes : des gens ont refusé l’indépendance lors des référendums et ils tiennent à être écoutés et entendus. Le Gouvernement ne pouvait pas présenter de texte plus équilibré ; j’en suis le rapporteur alors que je suis presque en désaccord avec le fond de ses dispositions. J’ai l’impression que vous défendez la nécessité de trouver un consensus pour faire avancer la revendication indépendantiste. Si les Calédoniens avaient approuvé l’indépendance lors des référendums, auriez-vous défendu la voix loyaliste et l’importance du consensus ? J’en doute.
M. le président Sacha Houlié. Vous avez été plusieurs à mentionner l’annexe aux propositions du FLNKS, qui date du 4 juin 2023 et qui fait mention du dégel du corps électoral à dix ans. Ce document a été transmis au groupe de contact et à la commission des lois du Sénat et il vous sera envoyé à l’issue de cette réunion afin que vous disposiez du niveau d’information nécessaire au bon examen des amendements la semaine prochaine.
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II. Examen des articles DU pROJET DE LOI - Mardi 7 mai 2024
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Lors de sa réunion du mardi 7 mai 2024, la Commission examine les articles du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 2424) (M. Nicolas Metzdorf, rapporteur).
M. le président Sacha Houlié. La discussion générale ayant eu lieu la semaine dernière en présence du ministre de l’intérieur et des outre-mer, nous passons directement aux amendements.
Avant l’article 1er
Amendement CL31 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). La Nouvelle-Calédonie est dans un processus de décolonisation reconnu par l’Organisation des Nations unies et par le peuple français. La question du corps électoral pour les élections territoriales ne peut être comprise en dehors de ce cadre, parce que le droit à l’autodétermination des peuples doit être garanti. Les conditions d’organisation du troisième référendum ont été contraires au principe d’émancipation prévue par l’accord de Nouméa. Peut-on considérer valable le vote d’autodétermination d’un peuple en l’absence même de ce peuple ?
Le projet de loi qui nous est soumis est un nouveau coup de force du Gouvernement, qui sape les conditions d’une discussion apaisée sur l’avenir institutionnel du territoire. C’est totalement irresponsable, parce que le Gouvernement attise les braises d’un incendie que personne ne souhaite et qui nous ferait revenir quarante ans en arrière.
Après le maintien du troisième référendum et la nomination d’une loyaliste au Gouvernement, ce dernier sort, une nouvelle fois, du rôle impartial qu’il devrait tenir en prenant fait et cause pour les non-indépendantistes. Ce projet de loi est un outil utilisé par l’État pour établir un rapport de force au détriment des tenants de l’indépendance.
Nous demandons donc, avec cet amendement, que le processus d’émancipation de la Nouvelle-Calédonie soit garanti par la tenue d’un référendum dont le contenu doit être déterminé par un accord des parties prenantes, dans l’esprit de paix et de consensus de la poignée de main. C’est là l’enjeu de notre débat parlementaire mais, alors que nous devons réaffirmer la primauté d’un accord des parties, le projet de loi constitutionnelle va à l’encontre de cet objectif.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Monsieur Lachaud, merci de vous être rendu en Nouvelle-Calédonie. Vous vous proposez avec cet amendement de garantir le processus d’émancipation, mais la Nouvelle-Calédonie a déjà tranché cette question. L’accord de Matignon et l’accord de Nouméa ont abouti, en effet, à trois référendums successifs, en 2018, 2020 et 2021, dont seul le premier était obligatoire. Le troisième, que vous dénoncez, a été organisé à la demande des indépendantistes mêmes, qui n’en ont pas contesté les résultats au niveau international.
Le peuple concerné par le droit à l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie est le peuple calédonien dans sa diversité, qui s’est mobilisé par trois fois et a voté trois fois « non » à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Si vous voulez inscrire dans un projet de loi constitutionnelle un amendement visant à dire que la Nouvelle-Calédonie doit continuer à s’émanciper alors qu’elle vient de le refuser et d’acter son maintien dans la République, je ne peux que donner un avis défavorable.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Essayons d’avoir une discussion sereine et apaisée. L’indépendance n’est pas l’émancipation. Ce que les Calédoniens ont refusé par trois fois, c’est l’indépendance et, la troisième fois, le peuple premier n’a pas pris part au vote. Vous pouvez parler ainsi du peuple calédonien parce que le peuple premier, parce que les Kanaks ont accepté, à Nainville-les-Roches, en 1983, que ceux qu’ils appellent les « victimes de l’histoire » participent au processus d’autodétermination. C’est un fait unique dans l’histoire de la colonisation qu’un peuple colonisé accepte que les colons participent au processus d’autodétermination.
C’est bien cette volonté, notamment de la part de Jean-Marie Tjibaou, qui a permis les accords de Nouméa. Or ces accords ne sont pas terminés : ils prévoient que, lorsque trois référendums ont eu lieu, les responsables politiques se réunissent et analysent la situation. Rien n’impose de modifier aujourd’hui les accords de Nouméa car ils existent et s’appliquent.
Ce qui importe maintenant, c’est de travailler à cet accord global, c’est-à-dire travailler sur le corps électoral, sur la citoyenneté calédonienne et sur le processus d’émancipation. Faire l’un sans l’autre, c’est rompre avec les accords de Nouméa, accords de décolonisation qui ont suivi les accords de Matignon qui étaient, quant à eux, des accords de paix. Renier les accords de Nouméa, c’est renier le processus de décolonisation, et c’est inacceptable. Il importe, dès lors qu’un texte constitutionnel porte sur le corps électoral, d’y inscrire l’objectif d’émancipation de la Calédonie.
M. Philippe Dunoyer (RE). La question est consubstantielle à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et l’exercice du droit à l’autodétermination devra faire l’objet de discussions dans la perspective d’un accord que nous sommes nombreux à vouloir.
L’amendement excède toutefois l’objet du texte, qui ne porte que sur le dégel du corps électoral, en proposant d’une manière un peu abrupte d’inscrire dans nos débats l’émancipation – terme qui ne me paraît du reste pas être le plus approprié. Le droit à l’autodétermination future soulève de nombreuses questions – faudra-t-il se fixer sur une question binaire ou sur un projet, faudra-t-il des majorités qualifiées ? Ce sera tout l’objet de nos discussions, et l’on ne saurait se satisfaire de l’annonce de référendums sur une trajectoire d’émancipation. En outre, le Gouvernement a d’emblée bien précisé que la seule question qui devait être abordée était celle du dégel du corps électoral, afin de ne pas aller au-delà de ce qui a été annoncé aux acteurs politiques calédoniens.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Les non-indépendantistes ont toujours refusé ce qui avait été décidé à Nainville-les-Roches par les seuls indépendantistes. Nous n’avons pas besoin d’être acceptés chez nous. Vous nous traitez de colons et dites que des Calédoniens qui sont là depuis cinq, six ou sept générations ont besoin de se faire accepter par un peuple premier pour pouvoir voter. C’est une contradiction étrange avec votre doctrine au niveau métropolitain.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL20 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Reprenant un principe des accords de Matignon-Oudinot, dont le texte n° 1 s’intitule « La condition d'une paix durable – L’État impartial et au service de tous », cet amendement vise à compléter l’avant-dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée : « Pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par l’accord mentionné à l’article 76 de la Constitution, l’État préserve les conditions du dialogue et de l’émergence d’un consensus par le respect d’une stricte posture d’impartialité. »
Du point de vue de certains acteurs en effet – et c’est ce qui bloque avec cette réforme constitutionnelle –, l’État a pu, ces dernières années, volontairement ou non, paraître partial. Adopter cet amendement restaurerait l’esprit de l’accord de Nouméa, qui garantit l’absence de tout parti pris et la stricte impartialité qui doit prévaloir pour que l’État soit le médiateur utile et le facilitateur de l’accord.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Il ne faut pas confondre impartialité et neutralité. Au football, l’arbitre est impartial, mais quand une équipe gagne par trois buts à zéro, il est bien obligé de reconnaître qu’elle a gagné. Si l’impartialité de l’État, c’est donner aux indépendantistes ce qu’ils n’ont pas obtenu dans les urnes, il y a un problème. L’État impartial doit faire appliquer le choix souverain des Calédoniens exprimé par trois référendums. Avis défavorable.
M. Arthur Delaporte (SOC). La comparaison n’a pas grand sens et nous parlons de choses sérieuses. L’impartialité de l’État est un impératif. Il ne s’agit pas ici des trois référendums : l’objet du texte est de définir un corps électoral spécial pour élire les membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie aux élections provinciales. Ce qui est reproché à l’État, c’est d’avoir donné l’impression qu’il n’écoutait pas tout le monde et, surtout, qu’il avait pris une position. Il faut entendre ce reproche, car même s’il n’y a que l’apparence d’un problème de neutralité, cela devrait suffire à nous faire inscrire dans la Constitution ce principe fondamental de l’un des accords les plus importants de l’histoire récente de la République.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Si nous allons sur ce terrain, alors c’est avec ce texte constitutionnel que l’État redevient impartial, car il était partial dans le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. L’accord de Nouméa prévoyait en effet un corps électoral glissant ; ce corps électoral a été gelé unilatéralement en 2007. Et l’accord de Nouméa prévoyait que le résultat d’un seul référendum suffisait pour donner l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie, alors qu’il en fallait trois pour pouvoir envisager qu’elle reste dans la République : c’était de la partialité en faveur de l’indépendance.
Vous vous asseyez un peu vite sur ces trois référendums. Les Calédoniens ont choisi trois fois de rester français, et l’on interdit à des Français présents depuis vingt-cinq ans et à leurs enfants de voter. En les réintégrant dans le corps électoral, on acte le choix des Calédoniens. Avis défavorable.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, ne tordez pas l’histoire. Le corps électoral issu de l’accord de Nouméa n’a été un corps glissant que pour dix ans, afin d’intégrer les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie entre les accords de Matignon de 1988 et l’accord de Nouméa de 1998. Il était prévu dès le début que le corps électoral soit gelé à cette échéance. Comment expliquer, sinon, que le président Chirac décide unilatéralement de le geler et que Jacques Lafleur, alors sénateur, s’abstienne ? Le corps électoral a été gelé jusqu’à la fin des accords de Nouméa et ces accords ne seront terminés que lorsqu’il y aura un accord global, que vous le vouliez ou non. Des personnes qui sont en Nouvelle-Calédonie depuis cinq générations, même si elles n’ont pas colonisé elles-mêmes, et qu’elles aient choisi d’y aller ou non, comme les bagnards, sont les héritières d’un système colonial.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL21 et CL34 de M. Arthur Delaporte, CL16 de Mme Mathilde Panot et CL17 de M. Bastien Lachaud (discussion commune)
M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit ici de mettre en place les conditions de la suite. L’un des éléments cardinaux de ce qui a fonctionné jusqu’à présent est la mission de dialogue créée en 1988, après les événements tragiques de la grotte d’Ouvéa, par Michel Rocard, qui s’est saisi de ce dossier au moment même où il devenait Premier ministre : comprenant que la situation était inextricable, il a mobilisé des acteurs qui, par leur posture d’impartialité, leur capacité à parler à l’ensemble des acteurs et leur caractère transpartisan, étaient en mesure de négocier avec toutes les parties pour retrouver le chemin d’un dialogue jusqu’alors considéré comme impossible.
C’est cet esprit que l’amendement tend à transposer. Le rapport d’étape de la mission d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer préconise lui aussi la création d’une mission impartiale, possiblement à l’initiative du Parlement – mais la voie est ouverte à d’autres options. La restauration d’une mission du dialogue n’a rien d’abscons ni d’impossible. Les trois anciens Premiers ministres que nous avons auditionnés la semaine dernière nous ont d’ailleurs dit qu’elle était non seulement utile, mais également nécessaire.
L’amendement CL34, plus précis, reprend les préconisations formulées la semaine dernière par M. Jean-Marc Ayrault : selon lui, une mission de dialogue devrait proposer les lignes d’un compromis politique sur les aspects institutionnels, économiques et internationaux du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, le respect de l’identité kanak et les mécanismes de l’autodétermination. Cela permettrait de prendre en compte les résultats des trois référendums, même si le fait que les conditions de tenue du troisième soient contestées pose un vrai problème.
Comme le souhaitent l’ensemble des parlementaires présents, il faut restaurer le dialogue, que l’adoption du présent projet de loi constitutionnelle pourrait menacer.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Notre responsabilité, historique, est de préserver la paix civile en Nouvelle-Calédonie, qu’ont permise les accords de Matignon-Oudinot puis de Nouméa. Cette paix, qui dure depuis plusieurs décennies, est précieuse et fragile. Gardons-nous d’attiser les braises de la division et de la haine et d’ouvrir de nouvelles blessures sur les vieilles cicatrices des années 1980, qui n’ont pas fini de se refermer.
En 1988, après le massacre de la grotte d’Ouvéa, une mission de dialogue avait créé les conditions pour l’élaboration des accords. Envoyons une nouvelle mission.
Le principe d’impartialité commande au minimum à l’État de ne pas prendre parti pour un camp – il ne l’a jamais fait depuis les années 1980, malgré les différences de couleur des gouvernements successifs. Or ce minimum n’est plus garanti depuis la reprise en main de la question au ministère des outre-mer par Sébastien Lecornu, puis par Gérald Darmanin à l’intérieur.
Le principe d’impartialité commandant à l’État de créer les conditions du dialogue et du consensus, il est indispensable qu’une mission de dialogue se rende sur place pour réunir tout le monde autour d’une même table. Nous devons aboutir à un accord global pour construire un destin commun aux citoyens et citoyennes calédoniens, et cela avant l’adoption du présent texte.
La composition de la mission de dialogue devrait être confiée au Sénat et à l’Assemblée nationale, comme le prévoit l’amendement CL16 ; elle pourrait à défaut être décidée librement par le Gouvernement, comme le prévoit l’amendement de repli CL17.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Le dialogue en Nouvelle-Calédonie n’a pas besoin d’une mission : il se poursuit depuis trois ans, sans se résumer à la question du corps électoral. Il prend du temps, comme c’est normal pour des sujets importants.
Par ailleurs, il ne serait pas pertinent sur le plan juridique d’inscrire la création d’une telle mission de dialogue dans la Constitution de la République. Avis défavorable.
M. Philippe Gosselin (LR). Au terme des trois référendums, le processus des accords de Nouméa et de Matignon est mort, mais leur esprit ne l’est pas pour autant : il nous réunit aujourd’hui et nous avons bien conscience qu’il faudra continuer à vivre ensemble sur ce territoire.
La période coloniale avait sa part d’ombre, mais aussi de lumière, pour reprendre l’image gravée dans le marbre de l’accord de Nouméa. Je m’inscris en faux contre la représentation qu’en a donnée M. Lachaud : non, les descendants d’un bagnard arrivé sur l’île il y a cinq générations ne sont pas les héritiers du système colonial ! (Exclamations.) Les indépendantistes eux-mêmes ont reconnu que les deux parties comptaient des victimes. Ne niez pas la réalité de l’histoire.
Pour moi, comme je l’ai dit la semaine dernière dans le cadre de la délégation aux outre-mer, peut-être faut-il envisager de changer de négociateur et d’instituer une mission impartiale ; mais en aucun cas, contrairement aux signataires des amendements, je n’en fais un préalable à la modification du corps électoral.
Enfin, ces amendements entrent dans un niveau de détail qui n’a pas sa place dans un projet de réforme constitutionnelle.
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Le rapporteur nous dit que les discussions se poursuivent depuis trois ans en Nouvelle-Calédonie, mais nous y avons passé une semaine et ce n’est pas ce qui nous est apparu. Les partis indépendantistes comme les partis autonomistes demandent la création d’une mission afin de renouer un dialogue serein et apaisé. Cette demande est largement majoritaire et me semble nécessaire.
Monsieur Gosselin, on peut reconnaître à la fois l’héritage colonial et la volonté de vivre ensemble sur l’île, l’un n’empêche pas l’autre. Je rappelle que l’intégration des territoires d’outre-mer dans la République résulte du fait colonial. On ne saurait nier cet héritage colonial, qui perdure à différents niveaux, mais il ne faut pas pour autant opposer deux populations du même territoire. Trouvons un point médian, pour permettre à ce territoire d'avancer sereinement.
M. Arthur Delaporte (SOC). Le rapporteur prétend, en substance, que l’accord de Nouméa est mort. Pourtant, l’accord ne prendra fin que lorsque nous serons entrés dans l’étape d’après, donc parvenus à un consensus sur la suite. Or les discussions ont été interrompues, notamment à cause de la présentation du projet de loi constitutionnelle.
Dès lors que le consensus n’est pas réuni et qu’une des parties prenantes demande l’intervention d’un tiers, une mission de dialogue devient nécessaire. La délégation transpartisane qui s’est rendue sur place attend également que vous écoutiez cette demande. Votre rôle, monsieur le rapporteur, implique de rapporter les demandes des différentes parties prenantes.
M. Gosselin doute que cette disposition ait sa place dans la Constitution, mais est-ce le cas du reste du texte ? Il contient tout de même des choses un peu baroques, et les modalités de cette réforme sont inédites. Des articles ont déjà été introduits dans la Constitution qui n’y avaient pas forcément leur place : ils y ont été placés pour signaler leur importance. En outre, les notions d’impartialité et de dialogue sont déjà centrales dans les articles relatifs à la Nouvelle-Calédonie insérés dans la Constitution ces trente dernières années.
M. le président Sacha Houlié. Monsieur Delaporte, il y a beaucoup de choses inédites dans la Constitution pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie. Mais il est un fait que le processus de Nouméa est arrivé à son terme, et qu’une révision constitutionnelle est nécessaire.
Je vous rappelle en outre que les deux chambres ont déjà créé un groupe de contact concernant la Nouvelle-Calédonie et que nous n’avons pas pour coutume d’inscrire la création d’une mission dans la Constitution.
M. Yoann Gillet (RN). Tout le monde demande le dialogue. Vous-même, Monsieur Lachaud, soulignez le besoin d'apaisement, mais depuis le début de la discussion vous ne cessez de jeter de l’huile sur le feu et d’opposer les uns aux autres. Un tel sujet ne devrait pas faire l’objet d’une telle instrumentalisation politique. La Nouvelle-Calédonie mérite mieux.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Oui, la Nouvelle-Calédonie mérite un débat de meilleure qualité que celui que vous lui offrez.
J’ai commencé par évoquer la table ronde de Nainville-les-Roches car elle a fondé tous les accords qui ont suivi. Les Kanaks, les indépendantistes, ont alors accepté que les personnes issues de la colonisation pouvaient avoir le statut de « victimes de l’histoire ». C’est unique à l’échelle mondiale : un peuple premier a ainsi inclus les colons et leurs descendants dans le processus de décolonisation. Nous devons préserver cette volonté. Votre projet de loi et votre refus d’y inscrire une mission de dialogue nous en empêchent.
Enfin, monsieur le rapporteur, monsieur Gosselin, si vous aviez lu les amendements de La France insoumise, vous sauriez que nous ne demandons pas l’inscription de la mission dans la Constitution, mais dans le projet de loi.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 1er : (art. 77 et art. 77-1[nouveau] de la Constitution) : Redéfinition du corps électoral et prise de décrets en Conseil d’État sur les mesures nécessaires à l’organisation des élections
Amendements de suppression CL18 de M. Arthur Delaporte et CL8 Mme Mathilde Panot
M. Arthur Delaporte (SOC). Les membres du groupe Socialiste sont hostiles à cette réforme constitutionnelle. Les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa ont permis de construire un processus de façon patiente, durable, avec l’ensemble des parties prenantes. La présente réforme constitutionnelle rompt avec cette logique qui prévalait depuis trente-cinq ans : elle résulte d’une initiative unilatérale de l’État, à laquelle les indépendantistes sont particulièrement hostiles. Nous demandons donc de supprimer cet article et déposerons la semaine prochaine une motion de rejet préalable sur ce texte.
Vous prévoyez ici de dégeler le corps électoral. Si tout le monde convient qu’une réflexion sur son élargissement est légitime, la réforme ne peut pas passer avant l’accord global : ce serait faire passer la charrue avant les bœufs. Il nous reste du temps ; profitons-en pour faire advenir le dialogue.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous demandons le retrait pur et simple de ce texte inacceptable, qui constitue un passage en force du Gouvernement. La fin de la période ouverte par l’accord de Nouméa avait déjà été viciée par le maintien coûte que coûte du troisième référendum en 2021, alors que l’État s’était engagé à le reporter à 2022, par la voix d’Édouard Philippe, alors Premier ministre.
L’accord de Nouméa prévoit qu’en cas de réponse négative au troisième référendum, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Nous devrions en être là, mais le Gouvernement enchaîne les coups de semonce, en imposant son calendrier. La recherche du consensus nécessite du temps et un dialogue apaisé. Tout au contraire, ce projet de loi cherche à déséquilibrer le corps électoral par un élargissement massif. Qui accepterait une hausse de 14 % du nombre d’électeurs, juste avant une élection, en dépit du désaccord des forces politiques ? Personne.
Nous ne défendons pas un gel perpétuel du corps électoral, qui conduirait d’ailleurs à son extinction. Nous demandons simplement que le dégel se fasse dans le cadre d’un accord global entre les acteurs calédoniens.
Ce projet de loi engage les conditions de la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Personne ne veut revenir quarante ans en arrière. Je reviens de Nouméa, où j’ai rencontré des femmes et des hommes inquiets, des responsables politiques et coutumiers qui craignent que l’adoption du présent texte n’allume un incendie que personne ne saura éteindre. Nous avons la responsabilité d'œuvrer pour la paix. Or, pour trouver un accord, il faut donner du temps au temps. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Je suis très marqué par cet amendement. Ce que vous voulez supprimer, c’est l’article 1er qui permettra à des Calédoniens installés depuis vingt-cinq ans de voter. C’est rejeter les valeurs fondamentales de la République française.
À vous écouter, on croirait que les 14 % de nouveaux électeurs seraient des gens arrivés tout droit de métropole, qui ne connaissent rien à la Nouvelle-Calédonie. Or il s’agit de citoyens qui résident sur place depuis plus de dix ans, qui travaillent, paient leurs impôts, sont investis dans la vie culturelle et associative. Vous leur refusez le droit de voter aux élections locales. (Exclamations.) Vous avez l’outrecuidance de demander à priver des milliers de Calédoniens de droit de vote. C’est inadmissible. Avis défavorable.
Mme Aude Luquet (Dem). Sur place, le dialogue se poursuit depuis 2021. Vous y êtes allé une journée. Moi, c’est sur ma famille qui est installée là-bas depuis plus de trente ans que je compte pour savoir ce qui s’y passe.
Vous faites fi de l’avis du Conseil d’État, qui rappelle que le maintien des restrictions du corps électoral risque d’être incompatible avec les engagements internationaux de la France. La situation actuelle constitue un déni de démocratie. Aujourd’hui, un électeur sur cinq ne peut pas voter ; ce sont pourtant des gens qui résident depuis plus de dix ans en Nouvelle-Calédonie, qui travaillent, qui paient des impôts, qui sont intégrés à la vie calédonienne. Faisons confiance aux Calédoniens, quelles que soient leurs idées, pour construire ensemble un consensus qui permettra la stabilité et la sérénité.
Enfin, la situation économique non plus ne permet pas de repousser le dégel du corps électoral. Les inquiétudes sont fortes, de nombreux emplois sont supprimés, des entreprises sont liquidées ; le secteur du nickel est confronté à des difficultés. N’exportons donc pas les conflits qui agitent la métropole en Nouvelle-Calédonie.
M. Philippe Gosselin (LR). Sur place, l’inquiétude est en effet palpable. Le territoire connaît des difficultés économiques et sociales dramatiques, amplifiées par l’exode de la population et la chute démographique.
Nous parlions tout à l’heure de détails techniques qui n’avaient pas leur place dans la Constitution. Mais ici, nous sommes en train de débattre de droits fondamentaux, de la capacité de citoyens français à s’exprimer dans des élections locales et nationales. Dans son avis rendu en décembre dernier, le Conseil d’État précise que 19,28 % du corps électoral est privé de son droit de vote. Cela ne peut pas continuer ; on ne peut pas envisager de nouvelles élections provinciales sans un dégel du corps électoral. Peut-être aurait-il fallu faire autrement, mais le processus est maintenant engagé et il faut le mener à son terme.
En parallèle, il faut absolument poursuivre les efforts en faveur d’un accord global, incluant aussi les questions économiques, sociales et démographiques.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL1 de M. Tematai Le Gayic, CL29 de M. Bastien Lachaud et CL30 de Mme Mathilde Panot (discussion commune)
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Le 16 novembre 2023, le Gouvernement interrogeait le Conseil d’État : « Le Gouvernement estime nécessaire de moderniser les règles électorales pour répondre aux exigences démocratiques élémentaires, notamment au regard des obligations conventionnelles de la France. Dans cet esprit, les évolutions démographiques et notamment celle du poids relatif de la population des trois provinces appellent-elles des évolutions de la composition du corps électoral ou du cadre électoral en vigueur ? »
L’enjeu de ce texte est donc le respect par la France de ses obligations conventionnelles. Or les Nations unies, dont la France est un membre fondateur, indiquent dans leur résolution du 11 décembre 1980 que les États ayant des territoires colonisés doivent prendre les mesures nécessaires pour « décourager ou prévenir l’afflux systématique dans les territoires sous domination coloniale d’immigrants et de colons venus de l’extérieur, qui bouleverse la composition démographique de ces territoires et peut être un obstacle majeur à l’exercice véritable du droit à l’autodétermination et à l’indépendance par les habitants de ces territoires. »
Quelqu’un a dit que le peuple calédonien avait voté. Qui est le peuple calédonien aujourd’hui, dans le contexte actuel de décolonisation ? Ensuite, j’entends parler d’un droit fondamental. Mais alors, pourquoi ne dégelez-vous pas totalement le corps électoral ? Comme pour tout citoyen français, six mois de résidence devraient suffire pour pouvoir voter. Si ce n’est fait pas aujourd’hui, c’est parce qu’il faut respecter le processus de décolonisation !
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’amendement de repli CL29 propose une sortie par le haut de la crise politique provoquée par le Gouvernement. Il vise à ouvrir le corps électoral des élections territoriales – soit 180 000 électeurs – aux natifs de Nouvelle-Calédonie, soit un peu plus de 10 000 personnes. Cette proposition pourrait être acceptée aussi bien par les indépendantistes que par les non-indépendantistes comme un premier pas vers la construction d’un code de la citoyenneté pouvant être négocié par les acteurs calédoniens dans le cadre d’un accord global. Si la citoyenneté calédonienne avait été annoncée dans l’accord de Nouméa, rien n’a été fait depuis pour la définir juridiquement. Or ce n’est pas à nous, qui sommes à 22 000 kilomètres de la Nouvelle-Calédonie, de le faire.
Rendez-vous compte qu’accepter d’inscrire les natifs sur les listes des élections territoriales, c’est déjà beaucoup – non pas seulement en raison de leur nombre, mais parce que c’est reconnaître un droit du sol pour la citoyenneté calédonienne. Cela n’a jamais existé, puisque les votants actuels sont ceux qui étaient résidents au moment de l’accord, quelle que soit leur origine.
L’amendement CL30 vise le même objectif mais ne mentionne pas le code de la citoyenneté.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Je constate que la doctrine politique de La France insoumise change en fonction de l’hémisphère. En métropole, elle demande que les étrangers puissent voter mais en Nouvelle-Calédonie, nous devrions nous satisfaire accepter que les résidents présents depuis plus de dix ans, qui sont Français comme les Calédoniens, ne puissent pas voter ? Dans l’autre hémisphère, on ne marche pas sur la tête ! Avis défavorable.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous n’avancerons pas tant que le rapporteur n’acceptera pas l’existence du fait colonial en Nouvelle-Calédonie. La France n’a jamais connu de colonisation : on ne peut donc pas comparer les deux situations. Lorsqu’elle a pris possession du territoire, en 1853, il y avait entre 800 000 et 1 million de Kanaks. Soixante-dix ans après, ils n’étaient plus que 20 000 ! Dès lors que l’on refuse de voir le fait colonial, pourtant indubitable, on ne peut rien comprendre à la situation.
Les amendements CL29 et CL30 pourraient faire consensus et permettre d’avancer vers l’accord global sans lequel il ne pourra pas y avoir de solution pacifique.
M. le président Sacha Houlié. J’aimerais connaître la source du chiffre de 800 000 à 1 million de Kanaks que vous avancez. Pour le reste, je suis quant à moi opposé à la préférence nationale en toutes circonstances.
M. Yoann Gillet (RN). Attention monsieur Lachaud, le repli sur soi est dangereux. Le double discours que vous tenez est hallucinant : en métropole, vous voudriez donner le droit de vote à tous les étrangers, tandis qu’en Nouvelle-Calédonie, des résidents domiciliés depuis plus de dix ans, dont la famille est parfois présente depuis plusieurs générations, n’y auraient pas droit. Ce n’est pas la première fois que La France insoumise est prise la main dans le sac à ce sujet : certains députés ici présents ne tiennent d’ailleurs pas le même discours dans leur circonscription qu’à l’Assemblée.
Votre position sur le droit de vote des étrangers vous donne au moins un point commun avec le président Houlié !
M. le président Sacha Houlié. Vous oubliez de dire qu’en ce qui me concerne, je suis favorable au dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie.
M. Arthur Delaporte (SOC). La liberté d’amendement des parlementaires n’est pas une outrecuidance, monsieur le rapporteur : ayez un peu de respect pour vos collègues qui travaillent.
Ce que nous contestons, ce n’est pas le principe, mais la méthode employée : réformer le corps électoral en l’absence d’un accord global. Vous nous accusez, assez facilement, de nous opposer à ce que des natifs puissent voter. Ce n’est pas vrai !
Quant à vous, vous refusez de reconnaître qu’il y a une raison à la coexistence de trois corps électoraux différents : celui qui est lié à la citoyenneté française classique, donnant accès aux élections municipales et législatives, et les deux corps électoraux spéciaux pour les élections référendaires d’autodétermination et les élections provinciales. Lorsqu’elle a été décidée, cette organisation faisait consensus car elle s’inscrivait dans un contexte de décolonisation. Or celui-ci n’a pas subitement disparu et, contrairement à ce que vous avez affirmé la semaine dernière, monsieur le rapporteur, la décolonisation n’est pas achevée. C’est un processus de long terme, et il persiste aujourd’hui des inégalités criantes.
Il existe, c’est vrai, une volonté partagée de faire évoluer le corps électoral, mais cela ne peut pas se faire dans le cadre qui nous est proposé.
M. Philippe Dunoyer (RE). D’abord, c’est sur le corps électoral référendaire – qui n’est pas celui qui nous occupe aujourd’hui – que repose la détermination de la population qui, en vertu du droit international, pourra se prononcer sur l’autodétermination et l’avenir institutionnel du territoire.
S’agissant du corps électoral provincial dont nous discutons, le Conseil d’État a estimé dans son avis de décembre qu’en l’absence de rectification de ses modalités de définition, il existait un risque très important que soit annulé le décret de convocation des électeurs. Or une telle situation mettrait en cause le fonctionnement des institutions : la liste électorale provinciale élit les élus provinciaux composant le Congrès, lequel élit ensuite le gouvernement calédonien.
Vos amendements sont une autre façon de dire que l’article 1er ne devrait pas exister en l’absence d’accord. Nous sommes nombreux à considérer, en Nouvelle-Calédonie, qu’il faut poursuivre les discussions dans la perspective d’un accord global, dont ce sujet pourrait faire partie. Cependant, les élections de la fin d’année ne pourront être organisées avec le corps électoral prévu par la loi organique ; il faut donc procéder a minima aux modifications prévues dans le cadre des discussions intervenues en 2023.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Si la Nouvelle-Calédonie n’est pas décolonisée, monsieur Delaporte, je ne sais pas ce qui le sera un jour ! Elle est, de loin, le territoire le plus autonome de la République française. On a gelé le corps électoral, c’est-à-dire que l’on a interdit à des Français de voter. On a transféré toutes les compétences possibles. On a organisé trois consultations référendaires sur l’indépendance.
Le principe VI de l’annexe qui complète la résolution 1541 de l’Assemblée générale des Nations unies précise que la décolonisation consiste, au choix, en l’indépendance – que nous n’avons pas choisie –, la libre association ou l’intégration. Nous discutons de ces deux dernières options. La décolonisation de la Nouvelle-Calédonie est donc bien allée à son terme. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques CL9 de M. Bastien Lachaud et CL22 de M. Arthur Delaporte
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Cet amendement de repli, inspiré du sénateur Philippe Bas, vise à dégeler le corps électoral uniquement pour les prochaines élections provinciales.
Vous ne pouvez pas dire, monsieur le rapporteur, que la Nouvelle-Calédonie est décolonisée quand il n’y a pas un seul médecin kanak, ni avocat, ni juge depuis que le dernier est décédé la semaine dernière ; quand il n’y a aucun Kanak à un poste à responsabilité ; quand 90 % de la population carcérale de Camp Est est kanak. Le fait colonial est indissociable de ces données : non, la Nouvelle-Calédonie n’est pas décolonisée.
M. Arthur Delaporte (SOC). Cet amendement, qui reprend celui défendu au Sénat par Philippe Bas, vise donc à ce que le corps électoral ne soit dégelé que pour les prochaines élections provinciales, qui auront lieu théoriquement avant la fin de l’année, même si nous aurions préféré que soit respecté le report de dix-huit mois préconisé par le Conseil d’État.
Oui, il faut que le corps électoral évolue d’ici les prochaines élections provinciales, mais il faut aussi qu’elles soient précédées d’un accord. Or il est clair que le texte dont nous discutons aujourd’hui empêche la survenance d’un accord et l’avènement de la Nouvelle-Calédonie de demain, qu’il faut arriver à inventer de la façon la plus pacifique possible. Comme le disait très justement Édouard Philippe lors de son audition la semaine dernière, la seule question à se poser est celle-ci : cette réforme constitutionnelle favorise-t-elle un accord global ? Nous considérons que ce n’est pas le cas.
Proposer que le dégel puisse s’appliquer une seule fois, c’est laisser la porte ouverte aux discussions qui suivront.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. On peut être pour ou contre le dégel du corps électoral ; mais comment imaginer que certains Calédoniens puissent voter lors d’une élection, puis se voir retirer leur droit de vote ?
Pour en revenir à la décolonisation, car c’est un sujet important, vous dites, monsieur Lachaud, qu’il n’y a pas assez d’élites kanak. Mais il n’y a pas non plus assez, en Nouvelle-Calédonie, d’élites caldoches, wallisiennes et futuniennes ou polynésiennes ! N’oublions pas tous les autres citoyens calédoniens.
Il se trouve que la compétence en matière d’enseignement, de formation, de santé, de développement économique – bref, tout ce qui pourrait contribuer à réduire ces inégalités – est exercée par la Nouvelle-Calédonie. Les inégalités ne peuvent donc pas être d’origine coloniale : elles relèvent de notre responsabilité d’élus calédoniens – dont je suis –, et non de l’Assemblée nationale. Parmi les lois que je vote ici, 95 % ne concernent pas la Nouvelle-Calédonie : qu’y a-t-il de colonial là-dedans ?
Avis défavorable.
M. le président Sacha Houlié. Cette proposition, monsieur Lachaud, monsieur Delaporte, s’inspire d’un amendement du sénateur Bas. Or celui-ci a largement modifié le texte du Gouvernement. Pourquoi selon vous n’a-t-il pas tenu à ce que cet amendement figure dans le texte adopté au Sénat, sinon parce qu’il a obtenu gain de cause sur l’ensemble des autres dispositions sujettes à notre appréciation aujourd’hui ?
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous avez raison, monsieur le rapporteur : les compétences que vous citez sont calédoniennes. Qu’ont donc fait les partis loyalistes pendant vingt ans au pouvoir pour faire appliquer l’accord de Nouméa et revenir sur les inégalités issues du système colonial ? L’un des premiers objectifs était la formation de 400 cadres kanaks. Où sont-ils ? Les mesures qui devaient permettre la constitution d’un peuple calédonien n’ont pas été mises en œuvre. C’est un terrible échec dont est responsable, en effet, le gouvernement calédonien.
M. Arthur Delaporte (SOC). Une fois de plus, monsieur le rapporteur, vous nous faites dire ce que nous n’avons pas dit. Vous affirmez qu’avec ces amendements, nous reviendrons après les élections à la situation antérieure, mais ce n’est pas le cas.
Notre objectif est de parvenir à un accord global permettant une révision du corps électoral qui soit durable et acceptée par l’ensemble des acteurs concernés. Pour l’heure, une telle révision ne fait pas l’objet d’un consensus, car elle ne s’inscrit pas dans le cadre d’un accord global. L’intérêt d’une réforme temporaire est donc de permettre la reprise des discussions à la suite de l’échéance électorale. Les règles pourraient alors être revues afin d’assurer la participation de tous à l’exercice la citoyenneté calédonienne. Tel est l’objectif – le seul – de toutes les personnes ici présentes et de toutes celles qui participent à la vie du territoire.
J’espère que vous m’aurez compris et que je n’aurai pas à entendre encore dix fois que nous sommes opposés au dégel du corps électoral. Je n’y suis pas opposé par principe : je suis contre la méthode que vous employez.
M. Philippe Gosselin (LR). Je n’ai pas de difficulté à dire que le système qui prévaut depuis vingt-cinq ou trente ans est loin d’être parfait et que nous ne sommes pas encore au bout du processus. En revanche, il est archi-faux d’insinuer qu’il représente un échec. Le rapport conduit par l’État sur ces vingt-cinq dernières années – rapport validé et reconnu par les différents intéressés – indique que les 400 cadres ont bien été formés. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais ils sont bel et bien là, et dans plusieurs domaines la situation est même meilleure que prévu. Le territoire compte des acteurs économiques, une classe politique s’est constituée, une classe moyenne s’est même développée depuis dix ans. S’il reste beaucoup de chemin à parcourir, nous n’en sommes plus au point de départ et tout n’a pas été un échec.
Rappelons en outre que l’Université française du Pacifique est à mettre au crédit des accords de Matignon et de Nouméa. Son existence permet à des jeunes de tous horizons de se former sur place. La Nouvelle-Calédonie est un territoire exemplaire et même si le processus reste en cours, nous ne pouvons pas rester silencieux face à la présentation binaire qui en est faite. Ce n’est pas oui ou non, ni bien ou mal : il y a des ombres et des lumières.
M. Philippe Dunoyer (RE). Les premiers amendements défendus à l’article 1er visaient à s’opposer au dégel du corps électoral, les suivants à en limiter le bénéfice aux seuls natifs ou à la seule élection à venir. Ces différents dispositifs imaginés par les mêmes auteurs montrent en creux que l’élément important n’est pas le texte lui-même, mais l’environnement général en Nouvelle-Calédonie, celui que nous appelons tous de nos vœux et qui n’est pas encore présent. Le projet de loi constitutionnelle, que nous devons adopter, fera partie de cet environnement.
Monsieur Lachaud, la Nouvelle-Calédonie est un territoire compliqué. Moi qui y suis né, je ne suis pas certain d’avoir tout compris. Embrasser tout l’accord de Nouméa, qui remonte à vingt-cinq ans, et affirmer qu’il est un échec à plusieurs égards manque un peu de modération. Et considérer que le territoire n’a été dirigé que par une seule tendance politique, c’est méconnaître le fait que le gouvernement calédonien est le seul au monde – est-ce une chance ? – à être proportionnel, collégial et solidaire, et que l’essentiel des textes adoptés par le congrès de la Nouvelle-Calédonie le sont à la majorité, toutes sensibilités confondues, à l’instar de ce qui se fait ailleurs.
Comme l’indiquait le rapporteur, la difficulté est que c’est nous, élus du territoire, qui sommes aux responsabilités sur tous les sujets déterminants. Il faut donc prendre notre part dans la situation. Mais ne tombons pas dans la facilité en considérant qu’une tendance politique n’a pas bien mené sa barque et l’autre oui : les choses sont plus compliquées que cela. Nous faisons face à des enjeux locaux, d’ailleurs souvent communs à toutes les collectivités ultramarines – je le dis devant le président de la délégation aux outre-mer. Nous ne sommes pas encore parvenus à tout faire, mais essayons de ne pas essentialiser le débat sur la question qui nous occupe.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL2 de M. Tematai Le Gayic
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Cet amendement tend à réaffirmer la nécessité d’inclure le projet de dégel du corps électoral au sein d’un accord global.
Je suis d’accord avec Philippe Dunoyer : notre débat du jour, intéressant et important, ne porte pas sur la situation réelle issue des accords de Matignon et de Nouméa ainsi que des consultations. Ce qui m’amène à une première question : qu’est-ce que le peuple calédonien, qui, me semble-t-il, n’existe pas en droit français ? Il existe le peuple français, le peuple kanak et les citoyens calédoniens.
Par ailleurs, il ne s’agit pas ici d’être pour ou contre Emmanuel Macron, ou pour ou contre la réforme des retraites, mais pour ou contre l’indépendance d’un pays – objet des trois consultations qui ont été organisées. Restons-en au deuxième référendum, lors duquel le « non » l’a emporté avec 56 % des suffrages. Cela signifie que la moitié des Calédoniens souhaitent rester Français et que l’autre moitié ne le veut pas. Alors, que fait-on ? Que fait-on de 44 % de gens qui ne veulent pas être Français ? Les élections passent et voilà où nous en sommes.
Si vous n’acceptez pas qu’on en discute, alors nous n’avons rien à faire ici cet après-midi. C’est la seule question : comment garantissons-nous à ceux qui souhaitent être Français de le rester et à ceux qui ne le veulent pas de ne plus l’être ?
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Le concept de peuple calédonien est soutenu par tous les non-indépendantistes, par l’ensemble des forces politiques loyalistes, ce qui signifie d’ailleurs que nous sommes plutôt des autonomistes, étant donné que nous nous définissons un peu différemment du peuple français. Le peuple calédonien, c’est la citoyenneté calédonienne.
Deuxièmement, je suis désolé, monsieur Le Gayic, mais la démocratie doit s’imposer. Si, en 2020, les indépendantistes avaient gagné avec 56 % des voix, seriez-vous venu me voir en me disant : « pauvre Nicolas, qu’allons-nous faire de toi ? Tu représentes les 44 % de la population qui souhaitent rester Français, comment va-t-on faire ? » En réalité, la Nouvelle-Calédonie serait devenue indépendante, j’aurais perdu ma nationalité et personne ne se serait soucié de mon avenir.
Les non-indépendantistes, avec un corps électoral gelé, ont gagné. La Nouvelle-Calédonie deviendra indépendante le jour où une majorité de Calédoniens voteront en ce sens, pas avant.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL10 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous souhaitons que la loi organique qui fixera les conditions du dégel du corps électoral recueille un avis conforme, et non un avis simple, du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Ce dernier a été consulté en urgence et a rendu un avis favorable sur le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, mais sans savoir qu’un projet de loi constitutionnelle serait présenté douze jours plus tard. Nous nous opposons à un tel passage en force de la part du Gouvernement, qui a décidé de faire cavalier seul. L’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne saurait se décider depuis Paris et contre les Calédoniens.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Il est totalement erroné d’affirmer que les Calédoniens, et notamment les indépendantistes, ont découvert le projet de loi constitutionnelle douze jours plus tard. Gérald Darmanin a annoncé très tôt qu’en l’absence d’un accord à la date des élections provinciales, celles-ci devraient avoir lieu avec un corps électoral dégelé, ce qui nécessiterait une loi constitutionnelle. Le texte en question a été présenté par Rémi Bastille, le préfet qui était chargé des négociations : il l’a dit lui-même lorsque je l’ai auditionné pour mon rapport. Absolument personne n’a été pris de court par ce projet de loi constitutionnelle.
Prévoir un avis conforme du congrès de la Nouvelle-Calédonie n’est donc pas nécessaire, sachant qu’il serait même quelque peu cavalier sur le plan juridique qu’il ait à se prononcer de cette manière sur une réforme constitutionnelle.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Ce serait un avis conforme sur un texte organique, non constitutionnel. En quoi serait-ce plus cavalier que de nous faire voter une réforme constitutionnelle qui sera jetée à la poubelle si des partis politiques se mettent d’accord dans un coin du territoire de la République, ce qui est tout de même assez peu respectueux de la Constitution ?
Quant au fait que tout le monde était au courant du projet de loi constitutionnelle, ce n’est pas ce qu’on m’a dit. Il y a donc plusieurs versions. Je ne sais pas où se trouve la vérité, mais si tout était si clair, pourquoi ne pas avoir annoncé les deux projets de loi simultanément ? Cela aurait tout de même été plus simple.
Enfin, n’est-ce pas tordre l’esprit de la loi organique de 1999, qui prévoit que le congrès de la Nouvelle-Calédonie se prononce sur les projets de loi qui le concernent, que de considérer que s’agissant d’un projet de loi constitutionnelle, ce n’est pas nécessaire ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL32 de M. Davy Rimane
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Il vise à subordonner toute modification du corps électoral à un accord préalable entre les parties, afin de donner toutes leurs chances aux négociations locales d’aboutir. Une fois un accord conclu, une loi organique sera nécessaire pour entériner les modalités d’inscription sur les listes électorales. Le présent amendement rétablirait donc un peu d’équilibre, étant donné qu’aucun des partis que nous avons rencontrés ne s’oppose à ce que le corps électoral soit revu.
J’ajoute qu’une telle disposition obligerait les uns et les autres à trouver un accord non seulement sur les questions politiques, mais aussi sur les crises économique et sociale que nous avons évoquées. Il serait plus pertinent de procéder à une réforme constitutionnelle globale.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Personne ne mentionne l’article 2, mais celui-ci prévoit bien que le présent texte devient caduc en cas d’accord politique global, ce dernier devant alors être transcrit dans la loi. Avis défavorable.
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous allons à l’envers. Vous dites que si un accord est trouvé, la présente réforme constitutionnelle s’arrêtera. À l’inverse, nous proposons que si un accord est trouvé, il soit automatiquement validé. C’est encore plus simple et cela permettrait aux uns et aux autres de négocier sereinement. Compte tenu de la situation et des tensions en Nouvelle-Calédonie, il me semble qu’un tel fonctionnement procurerait de l’apaisement.
M. Philippe Gosselin (LR). Certains collègues semblent s’étonner qu’un accord entre les parties puisse mettre un terme à la révision de la Constitution dont nous discutons. Or le processus est totalement dérogatoire au droit commun, depuis le début. C’est particulièrement le cas depuis la révision du titre XIII de la Constitution, mais cela l’était déjà avec les accords de Matignon et de Nouméa : au fond, le Parlement joue le rôle de greffier des accords locaux. Ce n’est pas un problème, et c’est même important, dans la mesure où les partis calédoniens sont directement concernés.
Quant à la formulation proposée par l’amendement CL32, nous n’y sommes pas favorables.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL3 de M. Tematai Le Gayic
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). En remplaçant le « ou » par un « et », cet amendement permettrait de limiter l’ouverture du corps électoral, en renforçant la condition d’être natif de la Nouvelle-Calédonie pour en faire partie. Je me réfère ici à un document disponible sur le site du Conseil constitutionnel rappelant ce qu’est un citoyen calédonien – M. le rapporteur nous ayant dit, et je suis d’accord avec lui, que le peuple calédonien, ce sont les citoyens calédoniens.
Quelqu’un est citoyen calédonien par le droit du sang, la personne disposant du statut civil coutumier, ou l’un de ses parents étant né en Nouvelle-Calédonie. Il faut aussi justifier de vingt années de résidence à la date des consultations, et au plus tard le 31 décembre 2024. La citoyenneté calédonienne dépend donc de la résidence, du sang et de la terre – autrement dit la naissance sur le territoire. Puisque nous nous référons à la citoyenneté calédonienne, pourquoi n’intégrons-nous pas ces trois éléments fondamentaux qui la constituent pour fixer les conditions du dégel du corps électoral ? En l’occurrence, de quelle manière le lien à la terre est-il fait ?
Dans sa version actuelle, l’article 1er dispose que les personnes qui peuvent voter sont nées ou sont domiciliées en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans. Cet amendement vise donc à renforcer le droit du sol, ou plutôt le lien à la terre, car c’est ainsi en Océanie et parce que cela permettrait de respecter la citoyenneté calédonienne, comme le prévoient les accords de Matignon et de Nouméa.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Ce que nous voulons, c’est une Nouvelle-Calédonie ouverte sur le monde, où des gens peuvent venir s’installer et contribuer à son développement ; je crois que votre souhait est le même. Vous avez raison, le lien à la terre est important chez nous, quelle que soit d’ailleurs la communauté à laquelle on appartient. Cela étant, ce lien à la terre est assuré par le fait d’être natif de l’archipel. Et nous souhaitons que tous ceux qui ne sont pas nés sur place et qui sont venus par les hasards de la vie ou parce qu’ils le désiraient puissent un jour décider de qui les représente, voire devenir eux-mêmes des élus de la Nouvelle-Calédonie.
Notre message est donc tout simplement un message d’ouverture. Nous tenons compte de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, en conditionnant à dix années de présence sur le territoire l’inscription sur les listes électorales. Mais le repli sur soi, pour 250 000 personnes sur une île au milieu de l’océan Pacifique, ce n’est pas ce qui nous rendra plus forts économiquement et socialement.
L’ambition de ce projet de loi constitutionnelle est de trouver un équilibre entre l’histoire du territoire et sa nécessaire ouverture sur le monde.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, notre débat ne porte pas sur le repli sur soi, mais sur la résolution d’un conflit colonial. Tant que vous ne l’accepterez pas, nous ne pourrons pas avancer.
Monsieur Gosselin, je ne me formalise pas du fait que le Parlement joue un rôle de greffier. Le problème est justement que ce n’est pas le cas ! Nous sommes en train de prendre une décision unilatérale, à 22 000 kilomètres de l’archipel et sans accord des partis sur place, ce qui n’a pas eu lieu depuis les accords de Matignon. Ce n’est pas normal. Nous devons attendre qu’un accord global ait été trouvé avant de l’inscrire dans la Constitution. C’est ainsi que nous sommes parvenus à maintenir la paix dans l’archipel depuis 1988.
M. Arthur Delaporte (SOC). Si le Parlement était le « greffier » des accords préexistants, il ne l’est plus : en rupture avec un processus continu depuis 1988, nous anticipons un accord, nous cherchons à le forcer.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. La gauche avait moins d’états d’âme en 2007, quand le corps électoral a été gelé unilatéralement. Où voyez-vous un accord politique alors ? Ce n’était pas du tout prévu par l’accord de Nouméa : le Conseil constitutionnel a clairement dit que l’accord prévoyait un corps électoral glissant de dix années. Jacques Chirac l’a gelé unilatéralement en 2007, où était le parti socialiste pour le dénoncer ?
Il y a donc eu un précédent.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL4 de M. Tematai Le Gayic
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Il vise à empêcher l’habilitation du Gouvernement à prendre unilatéralement, par voie réglementaire, des mesures qui relèvent non seulement de la compétence du législateur organique, mais surtout d’un accord global.
La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie connaissent des situations similaires en matière de contexte colonial et de décolonisation. Ce sont les deux seuls territoires de la République dirigés par des indépendantistes. En Polynésie, 80 % des habitants sont Polynésiens : même s’ils n’arrivent pas à s’entendre sur la question de l’indépendance, ils cheminent pour « faire peuple ». En Nouvelle-Calédonie, le dégel du corps électoral ne doit pas être une fracture de plus. La démocratie, c’est bien, que les gens puissent voter est important, mais si chacun se retranche dans ses montagnes sans faire peuple, on n’aura pas réussi. Ce soir, chacun votera pour sa logique politique, mais comment fera-t-on après, pour faire peuple ?
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Comme en Polynésie, arriver à faire peuple en Nouvelle-Calédonie est un vrai défi. Le chemin est escarpé mais toutes les parties ont la volonté d’y arriver.
Je ne crois pas que la question du corps électoral remette en cause l’unité nécessaire des Calédoniens, car chacun est conscient que le dégel doit avoir lieu. L’UNI-Palika (Union nationale pour l’indépendance – Parti de libération kanak) de Jean-Pierre Djaïwé a d’ailleurs défendu publiquement les dix ans glissants.
Quant à votre amendement, il se fonde sur le texte initial du Gouvernement, non sur celui adopté par le Sénat. Avis donc défavorable.
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Examiner les points un à un, en regardant qui peut gagner, clive. Au contraire, un accord global permet d’aller au fond des choses. Dégeler le corps électoral ne réglera rien aux questions posées : les modalités d’exercice du droit à l’autodétermination, la clé de répartition budgétaire entre les provinces, le transfert des compétences… C’est un accord global qui pourra régler tout cela – et si vous passez votre temps à tout détricoter, il n’y en aura jamais !
M. Philippe Dunoyer (RE). La liste électorale référendaire est censée être plus restrictive que la liste provinciale mais, le temps s’étant écoulé, elle est désormais plus large – c’est une bizarrerie à corriger. Vous proposiez tout à l’heure d’ouvrir le corps électoral aux personnes nées en Nouvelle-Calédonie et y ayant résidé au moins dix ans, mais attention : actuellement, l’inscription sur la liste provinciale donne droit à la qualité de citoyen, laquelle confère une priorité dans l’accès à l’emploi local. La citoyenneté calédonienne est définie ainsi, pas moins, pas plus. Il reste à travailler pour faire évoluer le texte.
Dans l’article 2, nous examinerons la panoplie extraordinaire que propose le Gouvernement pour que le texte dont nous discutons puisse ne pas entrer en vigueur, ou devienne caduc, si un accord global est conclu, comme je l’espère. Dans l’idéal, c’est vrai, il faudrait que l’accord préexiste, mais le texte permet du moins de tendre vers cet objectif.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Monsieur Le Gayic, en Polynésie, il n’y a ni restriction du droit de vote ni corps électoral spécial, et vous essayez aussi de faire peuple !
Il y a des choses pour lesquelles un accord global n’est pas nécessaire. Redonner la possibilité de voter à des gens présents en Nouvelle-Calédonie depuis vingt-cinq ans et à leurs enfants qui y sont nés en est une. Que la Nouvelle-Calédonie soit indépendante ou pas, c’est un principe fondamental de toute démocratie. Le droit de vote des gens nés dans un pays n’a pas besoin d’être négocié. Les non-indépendantistes ont toujours dit que le dégel du corps électoral était une obligation juridique de l’État, à la suite des trois référendums. Le reste – l’exercice des droits à l’autodétermination, les institutions calédoniennes, la clé de répartition – doit faire l’objet d’un accord global, pas le droit de vote.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL11 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Par cet amendement, nous demandons que le congrès de la Nouvelle-Calédonie rende un avis conforme sur le projet de loi organique visant à détailler les modalités du scrutin des élections provinciales.
Monsieur le rapporteur, vous brandissez le principe démocratique à tout bout de champ, mais vous oubliez le droit tout aussi important à l’autodétermination des peuples, que le droit international et la France reconnaissent. La Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU, cela n’est pas anodin ! Il faut respecter les règles, et le pays colonisateur n’a pas le droit de modifier le corps électoral d’une manière qui pourrait restreindre le droit à l’autodétermination des peuples.
Dans le numéro 35 des Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, Nicolas Clinchamps indique que le caractère figé du corps électoral se serait imposé lors des négociations précédant le vote de la loi organique de 1999, les rapports parlementaires semblant suivre cette orientation. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d’État à l’outre-mer, le confirme devant le Sénat, le 16 février 1999 : « L’accord de Nouméa ne peut en effet être interprété que d’une seule manière. Que ce soit pour les adultes ou pour les jeunes majeurs, il pose une double condition : l’inscription au tableau annexe du 8 novembre 1998 et la résidence depuis dix ans », ce qui correspond à un corps électoral gelé.
En 2007, le président Chirac n’a fait que respecter la parole donnée, en gelant le corps électoral. L’accord de Nouméa, c’était aussi cela : un président de droite qui respecte un accord signé par un Premier ministre de gauche.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Vous citez des personnalités politiques ; je m’appuie sur le Conseil constitutionnel, qui dit : « Il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l’élection des assemblées de province et du Congrès les personnes qui, à la date de l’élection, figurent au tableau annexe […], quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ». En 1998, le corps électoral est glissant ; sinon, on n’aurait pas modifié la Constitution pour le geler.
M. Arthur Delaporte (SOC). Si nous avons à discuter du dégel, c’est qu’à un moment, le constituant s’est prononcé de manière majoritaire, transpartisane, pour le principe d’un gel. En 2007, René Dosière estimait qu’un corps électoral glissant s’arrêtant en 1998 était la « seule solution compatible avec l’accord de Nouméa » car ses principes, qui « étaient déjà ceux des accords de Matignon […] prévoyaient […] que seuls les électeurs ayant leur domicile en Nouvelle-Calédonie en 1988, donc à la date de signature des accords, pourraient voter au référendum qui aurait dû avoir lieu en 1998. Un contrat était en quelque sorte passé, pour toute la durée de l’accord, avec ceux qui étaient présents au moment où il était conclu. » L’accord de Nouméa n’était pas « un accord définitif », mais « un accord conclu entre des partenaires ». Le Parlement a donc pris acte d’un accord conclu ; il n’a fait que respecter la volonté des parties prenantes de 1988 et 1998. C’est pour cela que la réforme a été adoptée avec une majorité aussi large.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Tout à fait, et tous les constitutionnalistes qui ont analysé la question le disent. Nicolas Clinchamps estime ainsi que « la rédaction de la loi organique sur ce point a manifestement échappé à la volonté du législateur. Pourtant, les rapports parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat relatifs à cette loi et les propos tenus devant le Sénat par Jean-Jack Queyranne […] penchent plutôt en faveur d’un tableau annexe, arrêté en 1998. » En 2006, lors du dépôt du projet de loi constitutionnelle, « la question du gel du corps électoral spécial pour l’élection du Congrès et des assemblées de province ne fit pas l’objet d’une opposition de principe ouvertement déclarée entre le FLNKS et le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République). Les signataires de l’accord de Nouméa s’étaient apparemment accordés en faveur de cette solution a priori. »
L’avis du Conseil constitutionnel que vous citez porte sur le projet de loi organique, non sur la volonté des législateurs, traduite dans les accords politiques de Nouméa.
M. le président Sacha Houlié. Vous débattez sur l’origine de l’accord de Nouméa et de la révision constitutionnelle de 2007, et notamment sur l’intention des parties en présence à l’époque. Néanmoins, dès lors qu’un document de juin 2023 a été transmis à la commission des lois où le FLNKS se dit favorable au dégel du corps électoral avec un seuil de dix ans, il est un peu surprenant de lui préférer une position qui date de trente ans.
Par ailleurs, je vous demanderai dans vos discussions de rester plus près de l’objet des amendements.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL23, CL24 et CL25 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Le point 3 de l’annexe sur les « propositions de discussion et de négociation pour ouvrir une étape transitoire et ultime vers la pleine souveraineté de Kanaky-Nouvelle-Calédonie », qui a été communiquée à la commission, indique en effet que le FLNKS ne voit pas d’inconvénient à ce que les 11 000 natifs puissent être intégrés dans le corps électoral provincial. L’idée de ce document est qu’il n’y a pas d’obstacle à une discussion sur la révision du corps électoral – ce que nous disons depuis le début – mais aussi que cette évolution doit s’intégrer à un accord global – ce que prévoit d’ailleurs, d’une certaine manière, l’article 2. Affirmer qu’il doit s’agir d’un préalable, c’est faire dire au document l’inverse de ce qu’il dit.
Il y a un lien, monsieur le président, entre le gel du corps électoral de 2007 et les amendements examinés, puisque c’est ce gel qui rend nécessaire une révision de la Constitution.
L’amendement CL23 vise à repousser d’un an, du 1er octobre 2024 au 1er octobre 2025, l’échéance pour l’adoption de la loi organisant les prochaines élections pour le renouvellement général du congrès et des assemblées de province. Ce serait une manière de donner du temps aux négociations pour aboutir à l’accord que nous souhaitons tous. Il paraît en effet difficile que cela arrive avant la fin de 2024, surtout avec l’agitation que fera naître la présente réforme constitutionnelle. Sans cet amendement, si l’accord intervenait en 2025, une nouvelle loi organique serait nécessaire.
Les deux amendements suivants visent à reporter l’échéance au 1er juillet ou au 1er mars 2025. Donnons-nous le temps de parvenir à un consensus, ces amendements n’empêcheront pas d’aboutir plus vite si c’est possible.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Comme l’a très justement dit Édouard Philippe lors de son audition, en Nouvelle-Calédonie, on demande toujours plus de temps mais on ne s’en sert jamais… Cela fait trois ans que nous discutons de ces sujets ; je peux en témoigner, j’ai pris part à toutes les négociations – il ne suffit pas de passer trois jours sur l’île pour donner des leçons !
Repousser encore une fois les élections provinciales, ce serait enliser la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes en faillite totale, faute d’avoir résolu notre statut institutionnel. Sans visibilité, les gens cessent d’investir ; ils partent. Le nickel est en déroute complète. Nous avons besoin d’écrire un nouveau chapitre de notre histoire, et vous proposez de nous enliser encore davantage : ce n’est pas acceptable. Mon avis est donc défavorable sur les trois amendements.
Et puisque vous me soupçonnez d’être de parti pris, voici ce que dit le leader indépendantiste Jean-Pierre Djaïwé : en proposant dix ans, « nous restons dans la logique de l’accord de Nouméa ». Oui, les dix ans glissants respectent bien l’esprit de l’accord de Nouméa. Nous avons parlé du Conseil constitutionnel, de René Dosière et de Jean-Jack Queyranne ? Je cite maintenant Jean-Pierre Djaïwé. Fin du match.
M. Arthur Delaporte (SOC). Il n’y a pas de match, monsieur le rapporteur.
M. Pierre Cazeneuve (RE). « Laissons le temps au temps », plaide M. Delaporte – et en définitive, rien ne se passe. C’est le réflexe typiquement mitterrandien de l’inaction. Voilà trois ans que nous nous donnons le temps ! Le processus a eu le loisir de se dérouler, le temps de l’action et de la réforme est venu.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL5 de M. Tematai Le Gayic
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Quelles modalités d’inscription sur la liste électorale préconise le texte ? En fonction de la réponse, je pourrai retirer mon amendement.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Le projet de loi ne le précise pas. Nous demanderons une automaticité d’inscription pour tous les Calédoniens, que leur statut les place sous le droit coutumier ou sous le droit commun. Il est vrai que lors des référendums, le principe d’automaticité a mis un grain de sable dans la machine qui nous sert à « faire peuple », pour reprendre vos mots. À l’époque, les personnes qui relevaient du droit coutumier avaient été inscrites automatiquement, tandis que celles qui relevaient du droit commun avaient dû effectuer des démarches pour s’inscrire. Cela a suscité un clivage et beaucoup de racisme.
Avis défavorable à votre amendement, notamment parce qu’il se fonde sur la version initiale du projet de loi, pas sur celle issue du Sénat.
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Je le retire, en espérant toutefois que nous pourrons introduire cette automaticité d’inscription dans le présent texte.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 1er non modifié.
Article 2 : Conditions d’entrée en vigueur et de caducité éventuelle de l’article 1er ; conditions d’un nouveau report des élections provinciales
Amendements de suppression CL12 de Mme Mathilde Panot et CL19 de M. Arthur Delaporte
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous nous opposons à la méthode qui est employée. Malgré les souplesses introduites par le Sénat, l’article 2 rompt avec la logique de discussion, de consensus et d’impartialité de l’État qui anime l’accord de Nouméa. C’est clairement un ultimatum aux acteurs locaux, un renoncement à la paix de la part du Gouvernement, qui privilégie le bulldozer au dialogue. Plutôt que de retirer son texte, devenu une usine à gaz pleine d’incertitudes juridiques, l’exécutif tente de passer en force et compromet la possibilité d’une solution consensuelle respectant l’ensemble des parties prenantes.
La citation du FLNKS que vous avez lue est tronquée, monsieur le président : dans le document de 2023 auquel vous faites référence, le FLNKS affirme qu’il n’ira jamais en deçà de dix ans, et demande une simulation de ce que cela représenterait. Où est cette simulation ? Combien précisément y a-t-il de natifs et de personnes justifiant de dix ans de résidence ? Combien intégreront la liste électorale année après année ? En 2034, combien de personnes seront inscrites sur les listes électorales ? Peut-on prouver que celles qui y sont inscrites ont résidé pendant dix ans en Nouvelle-Calédonie ? L’inscription n’est pas une preuve de résidence !
M. Arthur Delaporte (SOC). L’article 2 de ce projet de loi constitutionnelle est une bizarrerie, puisque son application sera subordonnée à des facteurs extérieurs à la Constitution. Cela surprend jusqu’aux plus éminents juristes et constitutionnalistes que nous avons auditionnés. Surtout, cela prouve que la réforme constitutionnelle n’est pas nécessaire : un accord suffirait.
Une délégation du FLNKS est en ce moment même à l’Assemblée nationale ; elle se dit prête à poursuivre les discussions, qui sont près d’aboutir. Malheureusement, la réforme vient les bloquer.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Les discussions n’ont rien de bloqué : elles sont en cours, entre les loyalistes, le Rassemblement, l’Union calédonienne (UC) et le Palika.
Je peine à vous comprendre : vous voudriez inscrire la mission de dialogue dans la Constitution – ça, ce n’est pas une bizarrerie – mais un article prévoyant que la réforme constitutionnelle cessera en cas d’accord global entre les parties, accord que vous souhaitez comme moi, ne serait pas acceptable ? C’est incohérent.
L’article 2 est nécessaire en cas d’accord global. Il faut le maintenir.
M. Philippe Gosselin (LR). M. Lachaud feint de ne pas connaître les chiffres du corps électoral, mais ils sont très précisément connus – la comptabilisation du Conseil d’État est incontestable, et les listes électorales font foi. De mémoire, quelque 45 000 électeurs sont évincés, et l’on recense près de 12 500 natifs ; 25 000 électeurs seraient réintégrés, et 20 000 resteraient sur la touche. Les indépendantistes de l’UC et du Palika reconnaissent eux-mêmes la validité de ces chiffres. N’essayez pas d’enfoncer un coin ici, il n’y a pas de contestation.
M. Arthur Delaporte (SOC). Le sujet des chiffres est secondaire par rapport à la question centrale : faut-il réformer la Constitution ? Cela nous rapprochera-t-il d’un accord ? Quant à l’opportunité de dégeler le corps électoral, c’est aux Calédoniens avant tout qu’il revient d’en juger – c’est d’ailleurs l’objectif officiel du Gouvernement. Reste à savoir quels seront les effets du dégel : les estimations du Gouvernement et du Conseil d’État sont mises en doute par certains, à la marge, au vu du recensement de 2019 et des phénomènes de mal-inscription, de non-inscription ou de mobilité. Mais les chiffres ne sont pas le point fondamental.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les chiffres que vous citez correspondent à la situation actuelle, monsieur Gosselin : on recense 12 500 natifs et presque autant de personnes inscrites sur les listes électorales depuis dix ans. Ces dernières ont-elles nécessairement résidé dix ans en Nouvelle-Calédonie ? Pourront-elles en apporter la preuve ? Nous n’en avons aucune garantie. Il serait intéressant d’en avoir une vision plus fine.
Et, dès lors que le corps électoral sera glissant, il intégrera de nouveaux électeurs tous les ans : combien de personnes cela représentera-t-il, année par année ?
La commission rejette les amendements.
L’amendement CL6 de M. Tematai Le Gayic est retiré.
Amendements CL33 de M. Davy Rimane et CL26 de M. Arthur Delaporte (discussion commune)
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Il s’agit de modifier la date d’entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle : elle interviendrait non pas le 1er juillet 2024, mais au plus tard dix jours avant les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province. Le Conseil d’État a d’ailleurs affirmé qu’un report des élections provinciales jusqu’en novembre 2025 pouvait être admis. Ce report donnerait le temps aux négociations de se dérouler sereinement.
M. Arthur Delaporte (SOC). Là encore, nous voulons donner du temps au temps. J’ignore s’il s’agit d’une méthode mitterrandienne, monsieur Cazeneuve ; elle a néanmoins prouvé son efficacité et a su produire le meilleur lors de négociations passées.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Lors de son audition, le préfet Bastille a rappelé que les accords de Matignon avaient été négociés en trois jours, et l’accord de Nouméa en deux semaines. Pour aboutir à un accord, il faut une volonté politique de l’ensemble des parties ; donner du temps n’est pas la solution – la preuve en est que le troisième référendum remonte à novembre 2021. Repousser l’échéance, c’est enliser la Nouvelle-Calédonie et attendre le dernier moment pour conclure un accord, comme à chaque fois. La Nouvelle-Calédonie a besoin d’avancer ; ne l’enlisez pas davantage.
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Je ne peux pas entendre que nous voudrions laisser la Nouvelle-Calédonie s’enliser. Vous n’avez toujours pas montré en quoi le dégel du corps électoral permettrait de redresser la situation économique et sociale de l’île. Nous avons rencontré des Calédoniens : eux-mêmes demandent du temps, et pas seulement les Kanaks et les indépendantistes. La demande vient de tous les bords, y compris du corps économique et social. Pour beaucoup, l’urgence n’est pas le dégel électoral mais le redressement économique et social de l’île, qui implique d’éviter de nouveaux heurts. Nous voulons rassembler et apaiser afin d’aboutir à un consensus.
Donner du temps au temps n’est pas inutile. Les négociations ont effectué des avancées notables et pourraient aboutir à brève échéance.
M. Arthur Delaporte (SOC). Si l’on a pu avoir l’impression que les accords de Matignon étaient nés spontanément en trois jours, ils ont d’abord été le fruit d’une mission de dialogue qui a duré un mois, jour et nuit, entre des acteurs qui ont été capables de trouver un consensus. Ils interviennent en outre après des incidents extrêmement violents qui ont fait comprendre aux acteurs la nécessité de se mettre autour d’une table pour avancer. Plus loin encore, leurs fondements avaient été posés dès le début des années 1980, grâce aux propositions d’Edgard Pisani et aux longues discussions qui les ont suivies.
Matignon n’est donc pas né en trois jours, et ce n’est pas en trois jours que nous trouverons à notre tour une solution. Des discussions ont lieu depuis trois ans ; le projet de loi constitutionnelle vient en perturber le cours.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL13 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Cet amendement vise à proposer que le dégel du corps électoral entre en vigueur si, et seulement si le congrès de la Nouvelle-Calédonie l’approuve. Habituellement, avant de légiférer, on attend que les acteurs calédoniens se soient mis d’accord. Le Gouvernement veut inverser les choses et invente un bric-à-brac institutionnel, où la Constitution est soumise à l’accord de partis politiques : c’est une étrange manière de concevoir la souveraineté nationale.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat. Avis défavorable.
M. Philippe Dunoyer (RE). Avec une telle rédaction, vous donnez au Congrès de Nouvelle-Calédonie un pouvoir constituant, ce qui n’est pas possible juridiquement. Il peut déjà voter l’équivalent de lois, les lois du pays, mais il n’a pas encore de pouvoir constituant.
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Monsieur le rapporteur, vous dites que cela fait trois ans que vous discutez, mais les parties que M. Le Gayic, M. Gosselin et moi-même avons rencontrées en Nouvelle-Calédonie affirment, à l’unanimité, que les discussions ont commencé il y a un an seulement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL14 de Mme Mathilde Panot
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Essayons de ne pas exagérer ! Monsieur Dunoyer, vous me reprochez de demander que le congrès de la Nouvelle-Calédonie ait un pouvoir constituant ? Mais le texte donne à un accord entre partis politiques un pouvoir constituant, c’est encore plus surréaliste ! Dans quel pays autorise-t-on des partis politiques à écrire la Constitution, au-dessus des élus du peuple ?
L’amendement vise à nous assurer que, le cas échéant, l’accord soit constaté par une commission ad hoc représentant l’ensemble des sensibilités politiques présentes au sein du Parlement et pas seulement par le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Il paraît que lorsque l’on veut enterrer un sujet, on crée une commission…
Il n’est pas besoin d’alourdir la procédure. Nous pouvons avoir confiance dans nos deux présidents, qui connaissent suffisamment le sujet pour constater un accord.
Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Je suis un peu surprise. On entend souvent dire dans cette commission à quel point l’avis des élus locaux est important et que le Parlement ne peut pas s’imposer comme ça. L’autonomie des collectivités est d’ailleurs consacrée constitutionnellement. Or vous sortez de votre chapeau, d’une manière très partisane, en rupture avec l’accord de Nouméa, un instrument constitutionnel censé tordre le bras à une partie de la Nouvelle-Calédonie, qui passe par-dessus l’avis de ses élus, de sa représentation démocratique. Le peuple autochtone est ainsi doublement bafoué par votre passage en force. Ce n’est pas de la bonne politique. Vous faites dérailler encore plus un processus que nous, parlementaires, devrions nous attacher à remettre sur la voie du compromis et de la paix civile – un objectif que nous partageons tous, je l’espère.
M. Philippe Dunoyer (RE). Ce n’est pas moi qui vous dirai que l’avis des Calédoniens ne compte pas ! Le précédent de l’accord de Nouméa est très instructif : alors qu’il obtenait l’aval unanime des acteurs politiques calédoniens, il ne s’est pas pour autant imposé au pouvoir constituant. Il a fallu qu’à l’Assemblée, au Sénat et à Versailles, la Constitution soit modifiée pour l’intégrer. L’accord seul n’était pas doté du pouvoir de s’imposer.
Continuons de suivre cet exemple : un accord global, que j’appelle de mes vœux, pourra au Sénat, à l’Assemblée nationale puis à Versailles emporter un consensus national. Tout le monde est inquiet et tous espèrent cet accord global. Cependant, les élus locaux ne peuvent pas tout faire tout seuls ; la Nouvelle-Calédonie reste une collectivité. On ne peut pas ne pas connaître le sentiment des élus calédoniens, mais on ne peut pas leur donner ce pouvoir constituant, heureusement. Dès lors qu’un consensus local se dégagera, il faudra qu’un consensus national soit trouvé au sein de nos assemblées, comme cela est arrivé en 1988 et en 1998.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL15 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous proposons d’élargir la liste des personnes autorisées à saisir les deux présidents des chambres pour constater l’accord.
Tout le monde doit se rendre compte des bizarreries constitutionnelles que nous adoptons aujourd’hui. L’alinéa 8 de l’article 1er permet à une loi organique de modifier la Constitution ! Et que dire du fait que la Constitution s’appliquera sur un territoire une fois que le congrès de la Nouvelle-Calédonie aura donné son autorisation ? Il y a un vrai flou dans ce texte. On voit bien que le Gouvernement ne sait pas comment se sortir de la situation dans laquelle il s’est mis. Il aurait fallu qu’il prenne les bonnes initiatives pour aboutir à un accord. Laisser le dossier à M. Darmanin, qui est récusé par la moitié des intervenants, cela pose problème. Laisser le ministre des outre-mer ou celui de l’intérieur gérer la question calédonienne alors qu’elle a toujours été une prérogative de Matignon, cela pose aussi problème. C’est peut-être parce que le Premier ministre n’en est plus responsable que le dossier n’avance plus : il n’y a plus l’impulsion de l’État pour agir. Le Gouvernement laisse la situation s’enliser et nous propose un texte ni fait ni à faire.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Il n’est jamais bon d’être défiant vis-à-vis d’un ministre de la République qui pilote le dossier depuis trois ans, qui connaît par cœur l’ensemble des interlocuteurs et qui est venu huit fois en Nouvelle-Calédonie pour essayer de trouver un accord. S’il y a bien quelqu’un de légitime, c’est lui. Avis défavorable.
M. Philippe Gosselin (LR). Adopter cet amendement ajouterait du flou, alors même que vous nous appelez à la clarté et à la cohérence. Vous proposiez dans votre précédent amendement que ce soient les groupes politiques qui constatent l’accord. Nos débats laissent toutefois penser que nous ne serions pas d’accord sur la constatation et qu’il faudrait sans doute prévoir un certain niveau de majorité, que vous ne fixez pas.
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Pourquoi ce texte constitutionnel se présente-t-il maintenant ? Parce que l’on ne souhaite pas que les élections provinciales soient organisées avec le corps électoral actuel. Soit. Le corps électoral est dégelé ; les élections sont convoquées en décembre ; à quel moment pensez-vous que l’accord global interviendra ? Une fois signés, les accords de Matignon ont été soumis à une consultation référendaire nationale et calédonienne. Pour l’accord de Nouméa, seuls les Calédoniens ont été consultés. Allez-vous consulter les Calédoniens cette fois-ci ? La voie du congrès a été exclue, sans la moindre explication. L’accord se fera-t-il après décembre, avec le congrès calédonien nouvellement constitué ? Les enjeux sont clairement électoraux.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. L’article 2 dispose que, si un accord global est trouvé dix jours avant les élections provinciales, la réforme constitutionnelle est caduque. Je ne pense pas que l’on trouvera cet accord aussitôt après le dégel du corps électoral. Aussi devra-t-on très certainement repousser la date des élections provinciales.
Pour revenir sur l’accord de Nouméa, le référendum s’est tenu le 8 novembre 1998, après la réforme de la Constitution, intervenue le 20 juillet. Si les Calédoniens avaient voté contre l’accord de Nouméa, la réforme constitutionnelle n’entrait pas en vigueur.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL7 de M. Tematai Le Gayic
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Je reste dubitatif. Quand nous demandons de laisser du temps au temps, il ne s’agit pas de repousser l’accord d’un an mais de ne pas avoir le couteau sous la gorge quand on négocie. Tout le monde doit pouvoir négocier de manière souveraine et libre.
Le dégel du corps électoral apparaît aujourd’hui comme un objectif électoraliste, parce qu’il intervient juste avant une échéance électorale. Imaginons que le congrès de la Nouvelle-Calédonie demande demain le retrait du texte : accepterez-vous son avis souverain ? Ses membres ont été élus au suffrage universel – non par le corps électoral que vous souhaitez mais par un corps électoral consacré par la Constitution.
M. Nicolas Metzdorf, rapporteur. Non, clairement, parce que l’on considère que le corps électoral actuel n’est pas légitime, et parce que les provinces Nord et Îles sont surreprésentées au congrès, ce qui a donné le pouvoir aux indépendantistes alors que les non-indépendantistes sont majoritaires.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 2 non modifié.
Elle adopte l’ensemble du projet de loi constitutionnelle non modifié.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 2424), sans modification.
Personnalités politiques nationales
M. François Hollande, ancien Président de la République
M. Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République
M. Jean-Marc Ayrault, ancien Premier Ministre
M. Édouard Philippe, ancien Premier Ministre
M. Manuel Valls, ancien Premier Ministre
Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie
M. Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie
M Rémi Bastille, Préfet du Doubs, ancien secrétaire général du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en charge des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Présidents d’institutions calédoniennes ([72])
Mme Sonia Backès, ancienne secrétaire d’État et présidente de la Province Sud
M. Jacques Lalié, président de la Province des Îles, membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie
M. Roch Wamytan, Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie
Membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ([73])
Mme Isabelle Champmoreau
M. Christopher Gyges
M. Yoann Lecourieux
M. Thierry Santa
Parlementaires de la Nouvelle-Calédonie ([74])
M. Philippe Dunoyer, député de la Nouvelle-Calédonie (Renaissance)
M. Georges Naturel, sénateur de la Nouvelle-Calédonie (LR)
Signataires de l’accord de Nouméa
M. Bernard Deladrière
M. Simon Loueckhote
M. Harold Martin
Groupes politiques au congrès de la Nouvelle-Calédonie ([75])
Mme Virginie Ruffenach, présidente
M. Alcide Ponga, membre du groupe, président du groupe Agissons pour le Nord, maire de Kouaoua
Mme Françoise Suve, présidente
Mme Marie-Jo Barbier
M. Gil Brial
M. Willy Gatuhau
Mme Marie-Laure Ukeiwe
Mme Naïa Wateou
M. Milakulo Tukumuli, président
Mme Veylma Falaéo, secrétaire générale
M. Philippe Dunoyer, député de la 1ère circonscription de la Nouvelle-Calédonie
M. Philippe Michel, président
Juristes
M. Olivier Gohin, professeur émérite de droit public, Université Panthéon-Assas
Mme Léa Havard, directrice adjointe du Laboratoire de Recherches Juridique & Économique (LARJE) et maître de conférences en droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie
Associations et représentants de la société civile ([76])
M. Pascal Vittori, maire de Boulouparis, président
Mme Sonia Lagarde, maire de Nouméa, ancienne présidente
M. Willy Gatuhau, ancien maire de Païta
M. Patrick Robelin, maire de Bourail
Mme Florence Rolland, maire de La Foa
M. Raphaël Romano, président
Mme Christelle Schall
M. Marc Zeisel
Mme Imane Samalens
M. Stéphane Quinet, président
M. Noël Tromparent, vice-président
M. Antoine Gil
M. Philippe Lassauce
M. John Saussay, coordonnateur des associations des différentes communautés de Nouvelle-Calédonie
M. Thierry Timan, représentant de l’association indonésienne de Nouvelle-Calédonie
M. Jay Timan, représentant de l’association indonésienne de Nouvelle-Calédonie
M. Christophe Sand, représentant de l’association des Arabes
Mme Audrey Truong représentante de l’Amicale vietnamienne
M. Patrick Guillon, représentant de l’Amicale vietnamienne
M. Pascal Millon-Desvignes, représentant de l’Amicale Antilles Guyane
M. Jean Saussay, représentant de l’Amicale Antilles Guyane
Mme Marie-Josée Michel, représentante de l’Amicale japonaise
M. Michel Fongue, représentant de l’Association des chinois de Polynésie
M. Manuele Manuka, faipule
M. Alenato Pa’agalu-Kaikilekofe, faipule du roi de Sigave
M. Paulo Taofifenua, faipule
M. Kelekolio Fihipalai
M. Gérard Sarda, président
Mme Mimsy Daly, présidente du MEDEF Nouvelle-Calédonie
M. David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d’industrie
M. Jean Christophe Niautou, président de la Chambre d'agriculture et de la pêche
Mme Elizabeth Rivière, présidente de la Chambre de Métiers et de l’artisanat
*
* *
Votre rapporteur tient à remercier le président du congrès M. Roch Wamytan d’avoir bien voulu mettre à sa disposition une salle au congrès, lui permettant de mener une partie des auditions en présentiel à Nouméa.
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* *
Le rapporteur a également reçu une contribution écrite des groupes et associations ci-dessous (contributions annexées au présent rapport) :
Association des citoyens français de Nouvelle-Calédonie
M. Stéphane Quinet, président
Groupe “UC-FLNKS et Nationalistes”
M. Pierre-Chanel Tutugoro, président
Sénat Coutumier de la Nouvelle-Calédonie
M. Victor Gogny, président
Association des Citoyens Français de Nouvelle-Calédonie
BP 5216
98875 PLUM
Nouvelle-Calédonie citoyensfrancaisnc@gmail.com
Nouméa, le 15 avril 2024
M. Stéphane Quinet, président de l’association de des citoyens français de Nouvelle-Calédonie (ACF NC)
à
Monsieur le Député Nicolas Metzdorf
Rapporteur du texte du projet de loi constitutionnelle
Monsieur le Député,
Le 22 février 2024, lors d'un entretien avec M. Amerouche, conseiller du ministre de l’Intérieur, qui s’est tenu dans les locaux du Haut-commissariat de la Nouvelle-Calédonie, nous lui avons remis la pétition relative au dégel du corps électoral provincial qui rassemblait plus de 21.000 signatures.
Par ce geste, la majorité silencieuse a exprimé sa volonté de rouvrir le corps électoral provincial, gelé en 2007, à la liste des personnes présentes avant novembre 1998 en Nouvelle-Calédonie.
Le gouvernement a engagé une révision du dégel du corps électoral en le ramenant à une période de présence de 10 ans. Cette modification implique une révision constitutionnelle et si elle est saluée comme étant un bon début, il faudra aller plus loin dans le futur statut qui, selon toute vraisemblance, n'arrivera que dans quelques années.
Voici les propositions que nous avons transmises au cabinet du ministre de l’Intérieur : Nous proposons :
62% des sondés pensent que TOUS peuvent voter aux élections provinciales dont 53% chez les partisans de l'indépendance et paradoxalement, 35% seulement sont pour une citoyenneté ouverte à tous, liée à la protection de l'emploi local, alors que la loi en vigueur associe la citoyenneté calédonienne aux électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale aux élections provinciales (LESP).
(sondage commandé par l'État et toujours disponible sur le site du Haut-commissariat
NC) https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Publications/Contributions-a-la-consultation-de- lasociete-civile-sur-l-avenir-institutionnel/La-demarche-d-ecoute-profonde
Ces propositions permettraient à tous les citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie de participer aux élections provinciales pour élire leurs représentants et de leur offrir le choix de devenir citoyen calédonien après un certain nombre d'années de présence en Nouvelle-Calédonie, sans pour autant déroger à l'article 14 de la DDHC de 1789 (consentement à l'impôt) et l'article 3 de notre Constitution.
En cas d’accession à la pleine souveraineté, cette citoyenneté se transformerait en nationalité du nouveau pays, selon l'esprit de l'Accord de Nouméa.
Enfin, si la citoyenneté calédonienne était maintenue dans le nouveau statut, la perte de la nationalité française en cas d'accès à la pleine souveraineté, imposera à l'État de bien expliquer aux citoyens calédoniens et à leurs enfants les implications (Code civil, art.32-3) [1].
Ces propositions ont l'avantage d’être conformes aux principes fondamentaux de la République tout en prenant en compte la revendication d'autodétermination également inscrite dans notre Constitution.
Le Conseiller du ministre de l’Intérieur nous a indiqué que, malheureusement, aucun élu du Congrès de la Nouvelle-Calédonie n'avait proposé ces solutions.
Le 17 mars 2024, nous avons remis un courrier avec les mêmes propositions à la délégation sénatoriale lors de notre entretien avec le Sénateur François-Noël Buffet.
Dans la forme retenue par le gouvernement, le dégel du corps électoral revient à sa forme restreinte votée en 1998. Cette décision ne règle pas le problème du consentement à l’impôt pour tous ceux qui ne satisfont pas aux nouvelles conditions qui exigent 10 années de résidence pour avoir le droit de choisir ses représentants au Congrès ; tous les citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie exclus du droit de vote sont obligés de payer l’impôt. Le principe du consentement à l’impôt, découlant de l'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, vient en opposition frontale avec une décision de droit de vote restreint.
L'Assemblée nationale vous ayant nommé rapporteur du texte du projet de réforme constitutionnelle du corps électoral provincial, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir nous accorder une audience.
Je vous remercie de l’attention que vous allez apporter à notre requête et je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, l'expression de ma très haute considération.
Stéphane Quinet, Président de l'Association des Citoyens Français de Nouvelle-Calédonie (ACF NC).
[1] Tout Français domicilié à la date de son indépendance sur le territoire d'un Etat qui avait eu antérieurement le statut de département ou de territoire d'outre-mer de la République , conserve de plein droit sa nationalité dès lors qu'aucune autre nationalité ne lui a été conférée par la loi de cet Etat. Conservent également de plein droit la nationalité française les enfants des personnes bénéficiaires des dispositions de l'alinéa précédent, mineurs de dix-huit ans à la date de l'accession à l'indépendance du territoire où leurs parents étaient domiciliés.
Nouméa, le mardi 16 avril 2024,
Monsieur le Président,
C’est avec une profonde préoccupation que nous avons pris connaissance, du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, en cours d'examen par l'Assemblée nationale. Votre sollicitude à notre égard est fortement appréciée et nous souhaitons exprimer ouvertement nos positions concernant cette proposition.
D'entrée de jeu, nous tenons à affirmer que la réforme du corps électoral en Nouvelle- Calédonie, imposé de manière unilatérale par l’Etat, ne nous échappe pas. Depuis les accords de Matignon jusqu'à l'Accord de Nouméa, notre pays a connu des évolutions majeures, démographiques notamment, qui justifient une mise à jour de ces dispositions. Cependant, la méthode actuelle d'engagement de cette révision soulève des préoccupations sérieuses quant à ses modalités et ses conséquences.
Les indépendantistes se sont déclarés favorables à l’inscription des natifs, avec ou sans parents citoyens préalablement inscrits sur la liste électorale provinciale. En revanche, l’ouverture de la citoyenneté aux arrivants français pose un réel problème de décolonisation1. Pour notre groupe, cette ouverture de la citoyenneté calédonienne est nécessairement liée à la certitude de l’accession du pays à la pleine souveraineté.
Tout d'abord, nous regrettons que cette démarche ait été initiée sans un consensus local préalable, le consensus ayant toujours été une pierre angulaire dans les processus institutionnels de notre pays, depuis Michel Rocard. Cette rupture avec la tradition risque de dégrader la confiance entre les différentes parties prenantes et d'alimenter les tensions, plutôt que de favoriser la construction d'une entente durable.
De plus, nous observons avec inquiétude un manque de partialité de l'État, qui semble embrasser exclusivement la perspective des non indépendantistes, les Loyalistes, comme en témoignent les déclarations récentes du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. L'État doit être un partenaire neutre, facilitant le dialogue et encourageant l'émergence de positions consensuelles, plutôt que de favoriser une partie au détriment de l'autre.
1 La Résolution 35-118 de l’ONU du 11 décembre 1980 précise dans son plan d’action, que « les États Membres adopteront les mesures nécessaires pour décourager ou prévenir l’afflux systématique dans les territoires sous domination coloniale d’immigrants et de colons venus de l’extérieur qui bouleverse la composition démographique de ces territoires et peut être un obstacle majeur à l’exercice véritable du droit à l’autodétermination et à l’indépendance par les habitants de ces territoires. ».
Par ailleurs, la désignation du député Nicolas Metzdorf comme rapporteur du texte, alors qu'il est connu pour ses positions tranchées, suscite des interrogations quant à la volonté réelle d'apaisement et de discernement dans ce processus législatif. Une telle désignation ne contribue pas à instaurer un climat de confiance et de dialogue constructif.
Nous partageons également certaines analyses quant aux risques d'escalade de la tension politique en Nouvelle-Calédonie, en particulier dans le contexte économique difficile que le pays traverse. Il est impératif d'éviter que les divergences politiques ne dégénèrent en conflit violent, qui aurait des conséquences désastreuses pour notre population et notre pays.
Permettez-nous d'ajouter quelques éléments qui méritent d'être pris en considération dans le débat actuel. Il est nécessaire de démystifier certaines assertions avancées par le député Nicolas Metzdorf et d'autres personnalités politiques locales. Tout d'abord, il convient de clarifier la question du dégel du corps électoral et de l'attribution de la citoyenneté calédonienne aux arrivants français arrivés après l'Accord de Nouméa. Cette proposition est présentée comme une exigence démocratique et juridique, ainsi qu'un retour aux sources de l'accord de Nouméa. Pourtant, une analyse rigoureuse révèle des lacunes dans ces arguments.
Sur le plan démocratique, il est crucial de reconnaître le conflit inhérent entre la démocratie du plus grand nombre et les aspirations à la décolonisation. Le droit international préconise généralement d'arrêter l'immigration dans les pays en voie de décolonisation ou, à défaut, de neutraliser ses conséquences politiques par le droit de vote2. L'accord de Nouméa a établi des mécanismes spécifiques pour réguler le corps électoral, reflétant ainsi une volonté de parvenir à un équilibre délicat entre les différentes parties prenantes. Tenter de manipuler cette dynamique en utilisant la question du peuplement comme un moyen de retarder ou de contrecarrer l'indépendance ne fera qu'exacerber les tensions et compromettre la cohésion sociale.
Sur le plan juridique, il est important de souligner qu'il existe des solutions alternatives pour organiser les élections provinciales sans risque juridique. Des décisions de la Cour de cassation et des précédents juridiques démontrent la possibilité de maintenir le corps électoral dans un état gelé, conforme aux accords précédents, sans violer les principes constitutionnels. Ces précédents juridiques, loin d'être obsolètes, continuent de fournir un cadre solide pour garantir la stabilité et la légalité des processus électoraux en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, il est capital de dissiper les malentendus concernant l'historique du gel du corps électoral et les dispositions de l'accord de Nouméa. L'idée selon laquelle le gel a été imposé unilatéralement en 2007 en réponse à des actions antérieures est sujette à des interprétations simplistes et des distorsions de la réalité. Les compromis politiques passés, bien que loin d'être parfaits, ont souvent été le résultat de discussions approfondies et de négociations complexes entre les différents partis politiques.
Il est ainsi impératif de replacer le débat actuel dans un contexte historique et juridique approprié, en évitant les simplifications excessives et les interprétations partiales. La recherche d'un consensus durable nécessite une compréhension nuancée des enjeux et un engagement sincère envers le dialogue et la coopération entre toutes les parties prenantes.
Dans ce contexte, nous vous exhortons à envisager sérieusement la suspension de la discussion sur ce projet de loi afin d’allouer un temps adapté à la recherche du consensus. De plus, nous encourageons vivement la mise en place d'une mission de dialogue dans le but de favoriser un accord autour de cette réforme. Enfin, nous appelons le Premier ministre à reprendre en main ce dossier, afin de rétablir un climat de confiance et de dialogue propice à la construction d'un avenir commun pour la Nouvelle-Calédonie.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l'assurance de notre haute considération.
Pierre-Chanel Téin TUTUGORO
Président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes
Monsieur le Président de la commission des lois de l'Assemblée nationale
Presidence Nouméa, le 16 avril 2024
2024-SEN- 27604
Monsieur le Député,
Vous avez sollicité notre institution, le sénat coutumier, pour qu'il soit auditionné dans le cadre de l'instruction que vous conduisez en tant que rapporteur sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Par la présente, j'accuse réception de votre proposition après avoir et néanmoins pris acte de vos déclarations faites sur le plateau de la télévision d'État - NC la 1ère - indiquant que les conclusions de votre futur rapport devant l'assemblée nationale, étaient déjà prédéterminées. C'est dire que nous relevons la partialité de votre nomination en tant que rapporteur de ce projet de loi constitutionnel.
Je vous informe que notre institution ne peut aujourd'hui, qu'émettre un avis négatif sur le projet de loi constitutionnelle tant sur le plan de la forme, que sur celui de son contenu.
Sur le plan de la forme, nous considérons que le « passage en force » qui précèderait un « accord politique » en tant que solution, garante du maintien de la paix et de la poursuite du processus d'émancipation, ne peut et ne doit être encouragé par le parlement français.
Sur le fonds du texte qui ouvrirait le corps électoral pour des raisons démocratiques, notre position est que dans le contexte d'une absence d'accord global sur la poursuite du processus de décolonisation, l’adoption par le parlement du projet de loi constitutionnel sera inévitablement perçue par le peuple autochtone kanak comme un acte de déni de justice et un reniement de la parole donnée par la France, ses présidents et parlement successif, en 1988, en 1998 et en 2007.
S'agissant de la restauration des conditions du dialogue pour parvenir à une solution institutionnelle durable, le sénat coutumier a émis récemment auprès de la commission des lois du sénat français et de l'ancien premier ministre Edouard Philippe, la proposition de la mise en place d'une mission de dialogue avec des personnalités reconnues.
Monsieur le député-rapporteur, vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie d'agréer
!'expression de ma haute considération.
Le President du sénat coutumier
Monsieur Nicolas Metzdorf
Député, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république
([2]) Article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998.
([3]) Des dispositions étaient prises pour les personnes accomplissant leur service national ou poursuivant un cycle d'études ou de formation continue hors du territoire, ou ayant antérieurement leur domicile dans le territoire.
([4]) Le point 2.2.1 de l’accord dispose ainsi que « La loi constitutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie permettra que ne se prononcent que les électeurs admis à participer au scrutin prévu à l’article 2 de la loi du 9 novembre 1988. »
([5]) La loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie et la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (ci-après « loi organique statutaire de 1999 ») intègrent les dispositions de l’accord de Nouméa dans le droit.
([6]) Au 29 février 2024.
([7]) À l’issue de sa dernière révision ordinaire pour 2023.
([8]) Non révisée depuis le 12 décembre 2021, faute de consultations supplémentaires à organiser.
([9]) Conformément au droit de l’Union européenne, les citoyens de l'Union européenne installés en Nouvelle-Calédonie et inscrits sur les listes électorales de droit commun sont admis à participer aux élections municipales ainsi qu'aux élections européennes.
([10]) Décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie.
([11]) Rapport n° 972 du 9 juin 1998 de Catherine Tasca, députée, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie.
([12]) Rapport n° 522 du 24 juin 1998 de Jean-Marie Girault, sénateur, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie.
([13]) Une révision constitutionnelle en ce sens avait déjà été initiée en 1999, sans aller à son terme, la réunion du Congrès du Parlement ayant été annulée.
([14]) Service d’information du Gouvernement, l’Accord de Nouméa : dix questions, dix réponses, point 4.
([15]) Par ailleurs, il vote le budget, approuve les comptes et est consulté sur les projets de loi et propositions de loi ainsi que les projets d’ordonnance qui introduisent, modifient ou suppriment des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie.
([16]) Aux termes de l’article 20 de la loi organique du 19 mars 1999, toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’État ou à la Nouvelle-Calédonie par la loi organique, ou aux communes par la législation applicable en Nouvelle-Calédonie, sont de leur compétence.
([17]) Point 2 de l’accord de Nouméa.
([18]) CEDH, arrêt du 11 janvier 2005, Py contre France.
([19]) Correspondant au nombre de personnes qui, arrivées en Nouvelle-Calédonie en 1999 et inscrites au tableau annexe en 2000, atteignaient donc la durée de résidence de dix ans en 2009.
([20]) Correspondant à la somme du nombre de personnes arrivées entre 1999 et 2004 qui auraient, à la date des élections provinciales de 2014, été en mesure de remplir utilement la condition de résidence de dix ans et ainsi d’être inscrites sur la liste électorale provinciale.
([21]) Rapport n° 3506 de Didier Quentin, rapporteur, sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 77 de la Constitution.
([22]) Au sujet de la forte hausse des effectifs, observée en 2018, sur la liste électorale générale (+ 20 557 personnes) et sur le tableau annexe (+ 13 241 personnes), le Haut-commissariat rappelle que conformément au souhait acté en comité des signataires de l’accord de Nouméa, des campagnes d’information et des modalités d’inscriptions d’office ont permis, cette année-là, d’inscrire un nombre important d’électeurs pour s’assurer que l’ensemble des personnes pouvant satisfaire aux conditions d’inscription sur la liste référendaire soit en mesure de voter au référendum de 2018.
([23]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([24]) Par exemple, Raphaël Romano, président de l’association « Un cœur une voix », installé depuis 1999, ne peut toujours pas voter aux élections provinciales. Il évoque dans son audition une « tare » qu’il transmet à ses enfants qui, nés en Nouvelle-Calédonie, n’ont pas non plus le droit de vote.
([25]) Ce qui est le cas des personnes devenues majeures après le 31 octobre 1998 mais justifiant de dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie en 1998.
([26]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([27]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([28]) Conseil d’État, avis du 25 janvier 2024, n° 407958.
([29]) Décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003, Révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République.
([30]) Compte-rendu intégral du Congrès du Parlement, lundi 19 février 2007.
([31]) Entretien avec votre rapporteur.
([32]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([33]) En mai 2022, le Conseil d’État a rejeté une demande d’annulation des résultats de la troisième consultation.
([34]) Elle a fait l’objet d’un appel au boycott par le FLNKS, contestant le maintien du scrutin dans un contexte de Covid-19.
([35]) Terme utilisé par François Hollande, alors président de la République.
([36]) Par exemple, par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault au cours de son audition.
([37]) Principe VI de l’annexe à la résolution 1541 de l’Assemblée générale des Nations unies, « Principes qui doivent guider les États membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e de l’Article 73 de la Charte, leur est applicable ». L’article 73 de la Charte des Nations Unies fait obligation aux États membres qui administrent des territoires non autonomes « de communiquer régulièrement au Secrétaire général, à titre d'information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d'ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique » relatifs au territoire en question.
([39]) Rapport d’audit, 31 mai 2023.
([40]) M. Daniel Goa sur Océane FM, mardi 7 mai 2024.
([41]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([42]) Compte-rendu des débats en séance publique, 26 mars 2024.
([43]) Expression du Sénat coutumier dans un communiqué, adressé au rapporteur et reproduit à la fin du rapport.
([44]) Les modalités précises de ce point sont analysées dans le commentaire de l’article 2 (voir infra).
([45]) En revanche, il ressort de l’exposé sommaire du sous-amendement précité, qui se réfère sur ce point à l’accord de Nouméa lui-même, que cette disposition n’a pas vocation à permettre de déroger aux principes d’un corps électoral restreint et « glissant ». L’accord pourrait en revanche déroger au présent projet de loi constitutionnelle en ce qui concerne, par exemple, la durée de résidence exigée.
([46]) Sous-amendement n° 35 de François-Noël Buffet.
([47]) Loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
([48]) Conseil d’État, avis du 25 janvier 2024, n° 407958.
([49]) Voir le 1 du C du I du présent rapport.
([50]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([51]) Gérald Darmanin, Compte-rendu des débats en séance publique, 26 mars 2024.
([52]) Conseil d’État, avis du 7 décembre 2023, n° 407713.
([54]) Compte-rendu des débats en séance publique, 26 mars 2024.
([55]) « Dégel du corps électoral aux provinciales : le Palika confirme avoir proposé dix ans », France Info, 10 juin 2023.
([56]) Même si comme on l’a vu, les indépendantistes tendent à considérer que le gel était déjà inclus dans l’accord de Nouméa.
([57]) Caractérisé par son président lui-même de ni indépendantiste ni anti indépendantiste.
([58]) Fait notamment exception la Ligue des droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie qui considère que le dégel « n’est pas à six mois près ».
([59]) Le dernier recensement, en date de 2019, fait état de 41 % de Kanaks et 27 % d’Européens, les 32 % restant étant composés de personnes déclarant appartenir à plusieurs communautés, à d’autres communautés (dont 8% de Wallisiens et Futuniens) ou ne se déclarant d’aucune communauté.
([60]) NC ECO rassemble « les forces vives de l’économie calédonienne » dont les trois chambres consulaires, les organisations patronales et leurs syndicats professionnels affiliés.
([61]) Étude Quid Novi, disponible sur le site du Haut-commissariat, en particulier le rapport 2 pp. 35 et 38.
([62]) Décision n° 99-440 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie.
([64]) Un tableau, résumant les modifications apportées par le Sénat à la nature juridique des actes prévus dans le projet de loi, figure à la fin du commentaire de l’article 2.
([65]) En revanche, il ressort de l’exposé sommaire du sous-amendement précité, qui se réfère sur ce point à l’accord de Nouméa lui-même, que cette disposition n’aurait pas vocation à permettre de déroger aux principes d’un corps électoral restreint et « glissant ».
([66]) Conformément à la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 portant report du enouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
([67]) Conseil d’État, avis du 25 janvier 2024, n° 407958.
([68]) Même avis.
([69]) Même avis.
([70]) Rapport n° 441 de Philippe Bas sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, déposé le 20 mars 2024.
([71]) Voir commentaire de l’article 1er.
(1) M. Louis Mapou, Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et M. Paul Neaoutyne, Président de la Province Nord, n’ont pas donné suite à l’invitation du rapporteur.
(2) M. Gilbert Tyuienon n’a pas donné suite à l’invitation du rapporteur.
(1) M. Robert Xowie, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, M. Gérard Poadja, ancien sénateur, et Pierre Frogier, ancien député, n’ont pas donné suite à l’invitation du rapporteur.
(2) Le groupe U.N.I. n’a pas donné suite à l’invitation du rapporteur.
(1) La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) n’a pas donné suite à l’invitation du rapporteur.