N° 2634
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mai 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1]), CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI, relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie,
Par M. Olivier FALORNI,
Rapporteur général
et
Mme Laurence CRISTOL, Mme Caroline FIAT,
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie et M. Didier MARTIN,
Rapporteurs thématiques
Tome II
Comptes rendus des auditions
——
Voir le numéro :
Assemblée nationale : 2462.
La commission spéciale est composée de :
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente
Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Patrick Hetzel, M. Laurent Panifous et M. Jean-François Rousset, vice-présidents
Mme Chantal Bouloux, Mme Geneviève Darrieussecq, M. François Gernigon et Mme Frédérique Meunier, secrétaires
M. Olivier Falorni, rapporteur général
Mme Laurence Cristol, Mme Caroline Fiat, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie et M. Didier Martin, rapporteurs thématiques
Mme Farida Amrani (du 4 mai au 13 mai 2024), M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Louis Boyard (jusqu’au 10 avril 2024), M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Bérangère Couillard, M. Charles de Courson, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, Mme Sophie Errante, Mme Martine Etienne (du 11 avril au 3 mai 2024), Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, M. Thierry Frappé, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard (jusqu’au 13 mai 2024), M. Joël Giraud, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, M. David Habib (jusqu’au 15 mai 2024), Mme Marine Hamelet, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Philippe Juvin, Mme Emeline K/Bidi, Mme Julie Laernoes (jusqu’au 10 mai puis à compter du 14 mai 2024), M. Gilles Le Gendre, Mme Élise Leboucher, M. Hervé de Lépinau, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, Mme Marie-France Lorho, Mme Lise Magnier, M. Christophe Marion, M. Damien Maudet (le 14 mai 2024) M. Thomas Ménagé, Mme Emmanuelle Ménard (à compter du 16 mai 2024), M. Yannick Neuder, M. Julien Odoul, Mme Anne-Laurence Pétel (à compter du 14 mai 2024), Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, Mme Sandrine Rousseau (du 11 mai au 13 mai 2024), M. Michel Sala (à compter du 15 mai 2024), Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. David Valence, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, Mme Anne-Cécile Violland, M. Léo Walter
SOMMAIRE
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION SPÉCIALE
1. Audition du Comité consultatif national d’éthique (réunion du lundi 22 avril 2024 à 21 heures 30)
4. Table ronde avec les fédérations hospitalières (réunion du mardi 23 avril 2024 à 14 heures 30)
5. Table ronde avec les acteurs du soin à domicile (réunion du mardi 23 avril 2024 à 16 heures 30)
6. Audition de la Haute Autorité de santé (réunion du mardi 23 avril 2024 à 18 heures 30)
7. Table ronde sur les enjeux éthiques (réunion du mardi 23avril 2024 à 21 heures)
9. Table ronde sur les soins palliatifs (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 11 heures)
10. Table ronde avec les représentants des cultes (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 14 heures 30)
13. Table ronde avec des associations (réunion du jeudi 25 avril 2024 à 9 heures 30)
15. Table ronde avec les obédiences maçonniques (réunion du jeudi 25 avril 2024 à 14 heures 30)
17. Table ronde réunissant diverses personnalités (réunion du mardi 30 avril 2024 à 16 heures 30)
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION SPÉCIALE
1. Audition du Comité consultatif national d’éthique (réunion du lundi 22 avril 2024 à 21 heures 30)
La commission spéciale auditionne le Pr Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, ainsi que le Pr Régis Aubry et M. Alain Claeys, co‑rapporteurs de l’avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » (2022) ([2]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons une délégation du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), conduite par son président, Jean-François Delfraissy, accompagné des rédacteurs de l’avis publié en 2022 et intitulé « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité », le Pr Régis Aubry et M. Alain Claeys.
Le CCNE s’était autosaisi, en 2022, d’une réflexion relative à la fin de vie. Dans son avis 139, il concluait que la loi Claeys-Leonetti ne répondait pas à toutes les situations et qu’une voie éthique, sous certaines conditions strictes, était possible.
Nous souhaiterions connaître la teneur des travaux qui vous ont amenés à ces conclusions.
Selon vous, le texte proposé à l’Assemblée nationale répond-il aux conditions strictes que vous évoquiez ?
Pr Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique. Le CCNE a publié son avis 139 après un an de construction. Dans sa première partie, l’avis constatait que la loi Claeys-Leonetti n’était ni suffisamment connue ni appliquée. Il insistait dans sa deuxième partie sur l’importance majeure des soins palliatifs. La troisième partie évoquait des situations complexes, partiellement construites par la médecine. Enfin, la dernière partie encourage à prendre le temps de réfléchir sur un sujet aussi difficile, intime, humain et qui touche tous nos concitoyens. Le CCNE suggérait de mener une réflexion citoyenne préalablement à l’examen par le Parlement.
Le Président de la République a mis en place une consultation citoyenne. Ensuite, le CCNE a organisé plus de six cents débats dans toutes les régions françaises qui se sont déroulés dans une grande sérénité.
Lorsque les sujets sont complexes, la démocratie en santé s’exprime dans un triangle : l’expertise des médecins, l’avis des citoyens et finalement le politique qui décide. Les débats ont démontré qu’il est possible de mener une réflexion citoyenne sereinement sur un thème complexe pendant plusieurs mois de sorte à éclairer le politique qui votera la loi.
S’agissant des soins palliatifs et des soins d’accompagnement, il existe non seulement un enjeu de moyens et d’organisation, mais également un enjeu universitaire et de recherche. Il conviendrait de créer quelques postes de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU‑PH) en soins palliatifs et de dégager des moyens pour la recherche à ce sujet.
Nous recommandons également que la loi fasse l’objet d’une évaluation sur le moyen terme.
Le CCNE a également enregistré un avis minoritaire, certains estimant que le moment n’était pas opportun pour une évolution sur une aide à mourir, mais qu’il était nécessaire de centrer la réflexion sur les soins palliatifs. Cependant, une large majorité du CCNE a voté l’avis 139. Cette remarque s’applique également à la Convention citoyenne et à plusieurs sondages.
La période extrêmement difficile du sida nous a amenés à prendre des mesures qu’aucune loi n’autorisait. La situation a évolué, notamment lorsque les premières lois relatives à la fin de vie ont été votées. La jeune génération de médecins est désormais centrée sur le respect strict de la loi.
Une majorité des soignants de soins palliatifs est réservée vis-à-vis d’une évolution de la loi, contrairement à l’ensemble du corps médical. Il importe donc d’identifier un équilibre. Les médecins de soins palliatifs estiment que la médecine n’a pas vocation à donner la mort et c’est vrai. Pour autant, je pense que le médecin a vocation à accompagner son patient, y compris dans les moments les plus intimes et les plus ultimes. La maladie appartient au patient et non pas au médecin, dont la mission consiste à l’accompagner.
Enfin, le CCNE n’a pas vocation à commenter un projet de loi. Nous remarquons toutefois que projet de loi est assez proche de l’avis du CCNE.
M. Alain Claeys, membre du Comité consultatif national d’éthique. L’avis 139 du CCNE constitue une étape importante dans son histoire. Le CCNE étant à l’image de notre société, l’avis que nous avons remis au Président de la République en septembre 2022 n’a pas fait l’unanimité.
Si les soins palliatifs ont beaucoup évolué dans les hôpitaux depuis plusieurs années, une vingtaine de départements français ne disposent toujours pas d’une unité active de soins palliatifs.
La formation en soins palliatifs n’est pas suffisamment développée dans la formation initiale.
L’accompagnement de la personne dans un hôpital interroge sur le financement de l’hôpital, aspect qui ne figure pas dans le projet de loi, mais que vous devrez aborder lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), notamment la tarification à l’activité. En effet, force est de constater que la tarification à l’activité favorise l’acte technique au détriment de l’acte humain.
Le budget actuel des soins palliatifs s’élève à 1,7 milliard d’euros et 2,7 milliards à dix ans. Au-delà des moyens financiers, il importe que la communauté médicale prenne conscience de la nécessité de construire un plan personnalisé pour une personne qui entre dans un parcours de soins particulièrement difficile. Il s’agit du principal enjeu de la stratégie décennale et des soins d’accompagnement. Un tel plan peut conduire à la guérison, mais également à la fin de vie.
Nous déplorons en effet l’insuffisance de PU‑PH.
La recherche sur les soins palliatifs n’est pas une recherche de rupture. Il conviendra que le ministère de la recherche fixe des priorités à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et à l’Agence nationale de la recherche afin que cette recherche sur les soins palliatifs soit réalisée.
Vous avez procédé à une évaluation de la loi de 2016. Cette loi n’est pas suffisamment appliquée. 12 % de nos concitoyens ont rédigé leurs directives anticipées. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est pas suffisamment pratiquée dans les unités de soins palliatifs. Dans les échanges que nous avions organisés en 2016 avec les représentants des soins palliatifs, le mot « continue » faisait débat. Nous nous sommes alors demandé comment qualifier la sédation profonde et continue jusqu’au décès. J’avais la faiblesse d’avancer qu’il s’agissait d’une aide à mourir, mais Jean Leonetti m’opposait qu’il s’agissait de la conséquence d’un traitement qui conduit à la mort. Le sujet était donc déjà prégnant en 2016.
Au-delà, je pense que la loi de 2016, même bien appliquée, ne répond pas à toutes les situations. Elle répond néanmoins à un grand nombre de situations lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, c’est-à-dire à quelques semaines.
La difficulté à laquelle nos concitoyens sont confrontés réside dans la manière de faire la part des choses entre la solidarité, la fraternité et l’autonomie. Nous avons essayé d’identifier en quoi ces deux notions se complétaient et devaient s’engager de front.
La première loi sur les soins palliatifs date de 1999. En 2002, la loi Kouchner a représenté un jalon essentiel en matière d’autonomie, car elle autorisait un patient à demander l’arrêt de ses traitements, quitte à obérer son pronostic vital. Dès lors, la loi de 2016 a intégré les personnes qui avaient arrêté leur traitement et dont le pronostic vital était engagé dans la possibilité de sédation profonde et continue jusqu’au décès.
La complémentarité entre solidarité et autonomie a constitué le fil conducteur des travaux du CCNE. Il lui appartenait de déterminer s’il existe une réponse éthique à une demande active à mourir. Il a répondu affirmativement, mais sous certaines conditions. Ces conditions figurent dans les articles 5 à 12 du projet de loi.
Les débats renforcent la démocratie parlementaire. Le Parlement joue son rôle lorsqu’il aborde de tels sujets. Ces échanges se déroulent toujours dans une ambiance de respect, de tolérance et de dialogue éthique.
Il nous a été reproché de ne pas utiliser le mot « euthanasie » et l’expression « suicide assisté ». Ce choix est pertinent, car il ne s’agit pas de choisir entre la vie ou la mort puisque la mort est imminente, mais d’identifier le chemin le moins douloureux pour y parvenir.
D’aucuns prétendent que nous libérons un espace du possible et s’interrogent quant à la pertinence de l’ingérence de notre République dans des sujets individuels. La loi se limite à fixer un cadre d’expression de la solidarité. L’accompagnement contre la douleur constitue donc une priorité tout en préservant la liberté de chacun de choisir son dernier moment.
Certes, on peut s’interroger quant à l’autonomie d’une personne en situation de vulnérabilité et la réponse n’est pas simple. Dès lors, le dialogue avec le patient doit être mené collégialement de sorte à clarifier sa demande et à cheminer avec lui dans la voie qu’il a choisie.
Pr Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d’éthique. Notre réflexion a intégré les évolutions survenues dans le champ de la médecine. Cependant, les progrès techniques et scientifiques engendrent des situations nouvelles de fin de vie, des situations de vie possiblement prolongée, une redéfinition des notions de finitude et de vulnérabilité. Ce sont de nouvelles réalités qui confrontent les médecins, à moyen et long termes, à la souffrance qu’une personne ressent face à la question de sa finitude.
Le corollaire de cette réalité réside dans la nécessité de réfléchir à d’authentiques politiques d’accompagnement de ces situations de vulnérabilité, tant dans le domaine des soins palliatifs que pour le vieillissement ou les situations de handicap. La médecine ne peut pas contribuer à engendrer des situations de grande complexité et de grande vulnérabilité sans se donner les moyens de les accompagner.
L’avis 139 stipule d’ailleurs que la condition sine qua non d’une évolution éventuelle du droit en matière de fin de vie réside dans une politique volontariste d’accès pour tous à des soins palliatifs. Dès qu’une personne est atteinte d’une maladie potentiellement létale, la nécessité d’un accompagnement et d’un traitement pour soulager un inconfort ou une perturbation de la qualité de la vie s’impose.
Dans notre société, se pose également la question de la souffrance existentielle de ces personnes confrontées à cette fragilité et à cette vulnérabilité qu’elles éprouvent pour elles‑mêmes dans un environnement qui ne facilite pas l’estime de soi et le sentiment d’exister lorsqu’on est atteint d’une maladie grave. C’est pourquoi il est nécessaire de développer une politique affichant la volonté puissante de ne pas enfermer la question de la fin de vie dans le champ de la médecine.
Certes, les unités de soins palliatifs, les équipes mobiles, les lits identifiés ont un rôle qu’il faut renforcer, mais la nécessité d’une autre forme d’expression de la solidarité, d’un accompagnement non médicalisé s’impose. D’ailleurs la création de maisons d’accompagnement est en cours de réflexion.
Corrélativement, le développement de la formation sur ces questions est fondamental, car elle n’a pas suivi les évolutions de la médecine. Les progrès techniques et scientifiques de la médecine sont plus rapides que notre capacité à appréhender la complexité qu’ils engendrent. Il est essentiel d’enseigner également la modestie, l’humilité et l’approche par l’interdisciplinarité des situations complexes que nous contribuons à générer. Aucun programme ne le prévoit actuellement alors qu’il serait utile que ces enseignements figurent dans la formation initiale.
La recherche constitue le deuxième levier qu’il importe d’actionner. La recherche est indispensable pour produire de la connaissance, de la compréhension et des propositions d’amélioration. Cette recherche sur des questions relatives à la fin de vie oblige à une approche interdisciplinaire, philosophique, sociologique, psychologue, autant que les médecins, les soignants et les infirmières. Universitariser ces questions constitue un enjeu fondamental pour l’avenir.
Notre principale préoccupation réside non seulement dans le respect de la volonté d’une personne, mais également dans la nécessité d’une forme de solidarité envers cette personne. Appréhender la notion de volonté de mourir nécessite beaucoup d’humilité, du temps, de la formation et de l’interdisciplinarité. La demande ne signe pas la volonté. Les travaux de recherche qui ont été publiés à ce sujet montrent qu’une majorité des demandes d’aide à mourir disparaît lorsqu’un accompagnement de grande qualité est conduit. Toutefois, elles ne disparaissent pas toutes et ce constat nous a amenés à réfléchir à une évolution du droit.
Le devoir de solidarité, corollaire du respect de la volonté des personnes, consiste à accompagner les personnes. Les situations que nous évoquons sont relativement exceptionnelles, ce qui ne signifie pas qu’elles n’existent pas. Il importe d’accompagner la détresse existentielle inhérente à la maladie. On ne peut pas impunément augmenter l’espérance de vie avec la maladie et ne pas se donner les moyens d’accompagner ces situations, rares et exceptionnelles. Il convient de repenser la solidarité autrement que dans un registre idéologique.
L’accompagnement d’une personne qui s’administrera ou absorbera un produit létal peut-il être considéré comme un soin ? Je vous propose de ne pas répondre à cette question, car maintenir cette dimension comme une question me semble fondamental dans l’exercice même du soin.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Chacun de nous mesure combien l’avis 139 a joué un rôle majeur dans le processus dans lequel nous sommes très impliqués non seulement par la qualité de son contenu, mais également par la qualité de ses auteurs.
Monsieur le président Delfraissy, vous avez participé au comité de pilotage de la Convention citoyenne qui a été un peu contestée et certains ont émis des doutes quant à sa façon de travailler. Pouvez-vous nous dire comment s’est passée cette Convention citoyenne ?
Monsieur Aubry, vous semble-t-il utile, pertinent et possible de constituer une véritable filière universitaire en soins palliatifs ?
Monsieur Claeys, pourquoi la sédation profonde et continue jusqu’au décès est-elle aussi peu appliquée ?
L’égalité fut une des raisons pour lesquelles j’avais estimé nécessaire que l’on puisse autoriser l’intervention d’un tiers lorsque le malade n’est plus apte physiquement à faire le geste. Qu’en pensez-vous ?
Je souhaite que nous fassions en sorte de ne pas créer un imbroglio juridique qui nuise à l’effectivité d’un droit, notamment la question du délai de quinze jours maximum pour la décision. Qu’en pensez-vous ?
M. Didier Martin, rapporteur. Monsieur Aubry, quel bilan, critique et positif, dressez-vous des maisons de vie ?
Monsieur Claeys, que manque-t-il dans cette loi de 2016 que certains qualifient de parfaite ? Nous avons rencontré des difficultés pour évaluer cette loi. Qu’aurait-il fallu prévoir dès l’origine pour faciliter l’évaluation d’une nouvelle loi sur les droits des patients et la fin de vie par nos successeurs ?
Monsieur Delfraissy, pouvez-vous répondre à la question à laquelle M. Aubry n’a pas voulu répondre ? L’aide à mourir est-elle ou non un soin ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Dans les repères éthiques en cas d’évolution de la législation, vous avez inscrit comme condition qu’une demande d’aide à mourir devait être exprimée, de façon libre, éclairée et réitérée, par une personne disposant de son autonomie. Estimez-vous que les garanties proposées par le projet de loi sont suffisantes pour garantir ses conditions ? Les demandes d’aide à mourir évoluant dans le temps, comment s’assurer de leur constance ?
Qu’est-ce qu’un moyen terme face à la multiplicité des cas individuels et des situations évolutives ?
Que pensez-vous du choix français de ne pas ouvrir une aide à mourir universelle ? Quelles en seraient selon vous les dérives potentielles ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Le projet de loi prévoit que le médecin responsable du patient prenne la décision à l’issue d’une procédure collégiale. Pour quelle raison le médecin responsable du patient doit-il impérativement être décisionnaire, sachant que ce médecin n’est pas obligatoirement celui qui suit le patient habituellement ?
Le projet de loi prévoit également la procédure collégiale, moins détaillée que le code de la santé publique. Estimez-vous nécessaire d’apporter des ajustements à cette procédure ainsi rédigée ?
Pourriez-vous nous apporter des précisions quant aux projets de recherche que vous appelez de vos vœux ?
« La demande ne signe pas la volonté ». Comment faire évoluer ce postulat de façon interdisciplinaire sans alourdir considérablement la procédure ?
Enfin, l’aide à mourir est-elle ou non un soin ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Nous avons rencontré des difficultés dans l’évaluation de la loi Claeys-Leonetti.
Le projet de loi prévoit une évaluation annuelle. Que penseriez-vous d’une codification de l’acte de sédation profonde et continue qui permettrait de vérifier que la loi est appliquée ?
Que pensez-vous d’autoriser les textes universitaires des paramédicaux qui ne sont pas publiés dans notre pays ?
Pr Jean-François Delfraissy. La question de la place des soins palliatifs en France est sous-jacente dans l’ensemble de vos propos. Cette notion de soins palliatifs ou soins d’accompagnement a été construite au cours des vingt-cinq dernières années, mais dans le même temps, elle a été mise dans un coin. Force est de constater que cette formation à l’humanité, aux soins palliatifs, ne se déroule pas dans les meilleures conditions et ce d’autant moins qu’il n’y a pas de PU-PH de soins palliatifs pour en défendre l’importance.
Certes, des unités et des lits de soins palliatifs ont été créés, mais à quelques exceptions près, ils sont rarement situés dans le centre hospitalier universitaire (CHU). Le lien avec la communauté médicale ne s’est donc pas construit correctement. Il est essentiel de rapprocher cette communauté des soins palliatifs de notre communauté médicale dans son ensemble. La loi pourra sinon imposer cette meilleure intégration, du moins fortement la suggérer.
Au-delà des débats que nous avons organisés, nous avons rencontré la conférence des doyens à trois reprises ainsi que les conférences de directeurs de CHU, etc. Nous nous attachons à apporter des explications et nous constatons que la conférence des doyens évolue et est plus sensible à la nécessité de formation. Les facs de médecine entrent désormais dans des « universités de santé » au caractère pluridisciplinaire, ce qui facilitera leur évolution.
J’ai siégé au comité de pilotage de la Convention citoyenne avec François Stasse de sorte à apporter deux regards différents, l’un de médecin, l’autre de grand juriste. Le comité de pilotage a décidé de laisser une grande liberté aux conventionnels pour ensuite construire. C’était pertinent. Ces cent quatre-vingt-cinq citoyens n’étaient ni élus ni réellement représentatifs de la France. Pour autant, ils se sont construits en se respectant, en s’écoutant, et ils sont parvenus à une production écrite de leurs débats. Il s’agit d’une belle expérience, très professionnelle.
Le Conseil économique, social et environnemental avait accordé un budget de six millions d’euros à cette Convention qui a produit un document important, présenté ensuite au Président de la République. Je craignais que ces travaux restent sans suite. Or les différents ministres ont indiqué qu’à la suite de l’avis de cette Convention citoyenne, il appartiendrait au politique de reprendre plusieurs points dans le projet de loi qu’il soumettrait au Parlement.
Cette démarche est véritablement intéressante sur des sujets difficiles, car elle aide à la construction des grandes décisions de politique de santé. Cette démocratie participative vient en soutien de la véritable démocratie législative.
J’ai constaté lors de la réunion des comités d’éthique internationaux organisée en Italie par l’Organisation mondiale de la santé que les Français sont très respectés pour leur capacité à traiter de grands sujets tels que la fin de vie et à construire une pensée citoyenne.
M. Alain Claeys. La réponse relative au non-respect du dispositif de sédation profonde et continue jusqu’au décès appartient aux représentants des soins palliatifs. Le débat sur le mot « continue » n’est pas clos.
La loi ne règle pas tout. Force est de reconnaître que le temps d’évaluation d’une loi n’est pas suffisant. Il est essentiel que le Parlement maîtrise l’évaluation via des rendez-vous réguliers. Depuis 2016, à l’exception du travail que vous avez réalisé dernièrement, cette loi n’a jamais été évaluée.
S’agissant des directives anticipées, en 2016, nous avions plaidé pour que ces directives soient inscrites sur la carte vitale. Ce n’était pas possible et la situation n’a pas évolué.
En ce qui concerne la notion d’autonomie, le travail commence quand une personne fait cette demande. J’adhère à la nécessité de mener alors un travail collégial.
Il est de plus en plus fréquemment évoqué de personnaliser les traitements au regard des progrès scientifiques, mais dans le même temps, il importe de développer une médecine de la personne dans sa totalité qui accompagne le patient dans ses soins curatifs. Certains services de cancérologie en France ont mis en place un tel suivi et cela fonctionne parfaitement, mais cela suppose beaucoup de moyens et relève de projets d’établissements.
La fin de vie ne concerne pas uniquement les médecins.
S’agissant des projets de recherche, il faut obtenir du Gouvernement qu’il finance des investissements de rupture pour des recherches pluridisciplinaires.
Pr Régis Aubry. Les filières universitaires sont une nécessité parce qu’il existe des spécificités à enseigner la complexité, l’incertitude, qu’il est indispensable d’appréhender en interdisciplinarité. Cette formation réflexive est différente de la formation à l’action ou à la réaction. La formation médicale est très scientifique, mais il importe de revenir aux humanités médicales qui sont un peu oubliées ; apprendre à douter, à travailler avec autrui, à écouter, mais encore faut-il qu’écouter soit considéré comme un acte majeur et soit valorisé.
S’agissant de la recherche, il existe un besoin de quantification et de qualification des questions relatives à la fin de vie. L’absence de chiffres ou les extrapolations de chiffres génèrent des difficultés.
Il importe également de cerner le désir de mort, de définir la souffrance existentielle qu’éprouve une personne confrontée à la question du sens de la vie lorsque vivre consiste uniquement à souffrir.
Ces questions nécessitent la mise en œuvre de recherches peu valorisées, des recherches qualitatives et phénoménologiques qu’il faut appréhender. Nous constatons un véritable vide au niveau de la recherche autour de ces dimensions et, face au vide, il existe un besoin.
Il est essentiel d’universitariser et de nommer des paramédicaux. Leurs compétences sont nécessaires pour appréhender ces questions complexes. Nous avons certes besoin de médecins, mais également de psychologues qui portent leur regard sur un autre registre. Ces regards croisés sont fondamentaux.
Il est essentiel d’autoriser l’intervention d’un tiers, lorsque la personne n’est plus en capacité d’absorber ou de s’administrer elle-même un produit létal, au nom d’un principe éthique de justice. Cependant, une telle intervention doit rester rare et exceptionnelle parce que le tiers n’est pas neutre.
Entre 2008 et 2012, nous avons expérimenté plusieurs maisons de vie. Elles proposent un accompagnement à des personnes en fin de vie qui ne relèvent pas d’une médicalisation importante, mais qui vivent seules. Chaque année, des rapports inquiétants montrent l’augmentation des solitudes des personnes à mesure qu’elles sont confrontées à des situations de vulnérabilité. Finir son existence seul chez soi est inacceptable.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas continuer à engendrer de longues situations de fin de vie qui reposent pour partie sur les aidants. Ces maisons proposent des lieux d’accueil des patients et des temps de répit pour leurs proches.
Deux des trois expérimentations ont échoué parce qu’elles ont fait l’objet d’un détournement de vocation, faute d’organisations de soins palliatifs dans un environnement géographique proche. L’expérimentation de Besançon avait bien fonctionné, mais faute de modèle financier, elle avait été éphémère. Néanmoins, il serait souhaitable de développer ces structures.
La question du moyen terme est complexe. Le court terme inscrit dans la loi de 2016 interrogeait déjà sur la nécessité de normer. Les sociétés savantes avaient abouti à identifier un terme de quelques heures à quelques jours.
Cependant, j’ai évoqué des situations qui concernent quelques semaines à quelques mois. J’ignore s’il est indispensable de normer des délais dans des situations aussi singulières qu’il importerait d’analyser individuellement et pour lesquelles il faudrait argumenter le recours éventuel à l’aide à mourir en fonction de l’évolution de la demande et de la situation, de la particularité de chaque personne. Chacun vit à sa façon les pertes qui s’accumulent. Certains éprouvent une forme de résilience, voire de transcendance, à vivre au travers des pertes. D’autres, par moment, vivent leur vie comme une aporie, une souffrance existentielle, une « non-existence ». Il s’avère donc impossible de définir une norme le temps, mais il est indispensable de procéder à une analyse très rigoureuse. Dès lors, la nécessité d’analyser la demande dans une approche interdisciplinaire est prégnante parce que les regards croisés sont indispensables pour fonder une décision.
Enfin, l’évaluation me semble essentielle pour mesurer l’application de la loi et identifier les difficultés qu’elle rencontre. Il importe de vérifier que l’impact effectif correspond à l’impact attendu. Le montage du dispositif d’évaluation nécessite un travail rigoureux. En outre, la mise en place d’une stratégie décennale d’accompagnement doit impérativement être complétée par des dispositifs d’évaluation afin d’adapter les offres aux évolutions et aux évaluations réalisées. L’enjeu de l’évaluation participe de la garantie que le droit peut atteindre l’objectif visé.
Mme Cécile Rilhac (RE). Quel est votre point de vue quant à l’accès des mineurs à l’aide active à mourir ?
La loi doit-elle traiter des cas exceptionnels ?
La loi doit-elle donner à une autorité la possibilité d’autoriser l’accès à l’aide active à mourir dans des cas exceptionnels non prévus par le projet de loi ?
M. Christophe Bentz (RN). Nous ne nous comprenons pas sur les termes du débat, notamment sur la terminologie choisie de l’« aide » à mourir. L’aide relève du domaine du soin. La mort provoquée n’est pas une aide.
L’avis 139 mentionne à de nombreuses reprises l’euthanasie et le suicide. Ces termes sont absents du texte du Gouvernement.
M. Emmanuel Fernandes (LFI - NUPES). L’avis 139 du CCNE précise que « toute évolution de la loi qui laisserait penser que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ou sauvées serait inacceptable ». Je suis surpris que le CCNE prête de telles intentions au législateur. L’objectif vise la création d’un droit nouveau, d’une liberté fondamentale nouvelle à disposer de son être jusqu’à la dernière seconde de son existence. Le droit à mourir dans la dignité permettra de préserver la personne concernée du jugement de la société ou de toute autorité morale ou religieuse. Le rapport revient sur cette apparente contradiction entre le droit à la vie et le droit à disposer de soi-même et indique que « le respect du droit à la vie ne vaut pas devoir de vivre une vie jugée insupportable par celui ou celle qui la traverse. Il n’y a pas d’obligation à vivre. » Cette phrase est capitale.
M. Thibault Bazin (LR). Pour éviter des dérives, l’avis 139 pose comme préalable la garantie d’un accès aux soins palliatifs et d’un accompagnement global et humain pour toute personne en fin de vie, sur l’ensemble du territoire. Les intentions gouvernementales vous semblent-elles suffisantes pour assurer cette garantie ? À défaut, pour quelles raisons ?
Le périmètre envisagé inclut la notion de moyen terme pour l’engagement du pronostic vital. Les progrès des thérapies ne conduisent-ils pas à revoir cette échéance ? Doit‑on obliger les médecins à proposer un plan personnalisé dès l’annonce d’une maladie grave incurable ?
M. Jean-Paul Mattei (Dem). Il importe que la loi soit incitative et protectrice. L’incitation réside dans les soins palliatifs. La protection s’adresse non seulement aux malades en fin de vie, mais également à leur environnement médical et familial. Considérez-vous que ce texte protège le malade et son environnement ?
M. François Gernigon (HOR). Ne serait-il pas nécessaire de préconiser un accompagnement psychologique des personnes qui apprennent la maladie ou qui sont déjà malades de sorte à répondre non seulement au problème médical, mais également aux difficultés psychologiques ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). S’agissant du pronostic vital engagé à court et moyen termes, considérez-vous qu’il faille préciser davantage la notion de moyen terme ?
En ce qui concerne la question essentielle de la manifestation d’une volonté libre et éclairée, il serait souhaitable que le texte renvoie aux directives anticipées lorsque les troubles cognitifs n’obèrent pas la capacité à exprimer la volonté.
Considérez-vous qu’une souffrance existentielle ou un sentiment de non-existence ouvre le droit à une aide active à mourir ?
Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Au regard de la situation de nos hôpitaux et de la santé publique, nous ne pouvons faire l’impasse sur la question des financements.
Par ailleurs, un recours plus intense aux directives anticipées participerait d’une prise de conscience par le monde médical et paramédical. Dans ce cadre, le médecin traitant pourrait-il expliquer à son patient ce que recouvre cette directive anticipée ?
Dans le projet de loi, la notion de soins d’accompagnement désigne l’ensemble des soins visant à offrir une prise en charge globale de la personne malade afin de préserver sa dignité, sa qualité de vie et son bien-être. Quelle serait la lisibilité des soins palliatifs dans le cadre de cette globalisation ?
M. Laurent Panifous (LIOT). Le Gouvernement nous propose un projet de loi qui instaure un dispositif d’aide à mourir très encadré, très limité, mais qui constitue néanmoins une évolution majeure de notre droit.
Considérez-vous que ce texte présente des fragilités, notamment en matière d’éthique ? Les conditions strictes avec lesquelles il serait inacceptable de transiger sont-elles inscrites dans ce texte ?
M. Alain Claeys. À l’évidence, il appartient au médecin généraliste d’accompagner le patient dans l’expression de ses directives anticipées, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Pour autant, la loi ne pourra pas tout régler et elle prendra forme sur des initiatives concrètes d’établissements, des acteurs qui se mettent en mouvement sur notre territoire.
La tarification de l’activité constitue un sujet important à aborder dans le PLFSS.
S’agissant de la sémantique, nous retenons l’expression « aide active à mourir » et nous distinguons deux cas très précis relatifs à la capacité ou à l’incapacité de la personne à effectuer le geste. La situation est différente de celle d’un suicide puisqu’un médecin prescrit un produit létal. L’article 4 définit très précisément l’aide à mourir par l’utilisation d’un produit létal. Néanmoins, certains refusent l’aide à mourir et cette position est parfaitement respectable. En revanche, débattre sur la terminologie n’a pas beaucoup de sens.
Pr Jean-François Delfraissy. La question de savoir si ce projet de loi est protecteur non seulement pour les patients et les citoyens, mais également pour les professionnels de santé est importante, car les jeunes générations de soignants se réfèrent à la loi.
Une grande majorité des décès enregistrés en France survient dans une unité médicalisée, à savoir l’hôpital, les urgences ou un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Cela signifie que notre société a évolué. En deux générations, la mortalité jusqu’alors « familiale » a été confiée à des structures médicalisées. Ce constat interroge quant au rôle du médecin parce que la réponse médicalisée à une question sociétale n’a pas été fondamentalement analysée.
Nous retrouvons des propositions de l’avis du CCNE dans ce projet de loi qu’il ne nous appartient pas de commenter. Il a été très difficile de trouver une position d’équilibre entre des aspirations citoyennes individuelles, l’autonomie, la liberté individuelle, cette grande valeur éthique fondamentale, et une vision plus large qui engloberait l’ensemble des soignants. Nous souhaitons tous améliorer les conditions de fin de vie et éviter que les personnes en fin de vie soient refoulées de plusieurs établissements ou services pour finalement mourir sur le brancard des urgences. Une grande démocratie qui dispose d’un bon système de santé doit proposer des conditions de fin de vie plus humaines.
Le débat est nourri autour de cette question de savoir si notre mort nous appartient ou si elle appartient à cette société qui l’a confiée au corps médical et aux soignants. Il faut en sortir et identifier une solution qui respecte non seulement l’autonomie et la liberté individuelle, mais également une vision plus globale de solidarité.
Le chemin que propose le projet de loi me semble conforme aux suggestions contenues dans l’avis 139 du CCNE. Ce chemin est difficile et il appartient à chacun de nous de finir de l’inventer et de le construire.
Le CCNE n’a pas osé approfondir la problématique des mineurs. Il a malgré tout insisté sur la nécessité de progresser sur les unités de soins palliatifs dédiées aux mineurs. Selon moi, ce projet de loi constitue une étape et il sera probablement suivi d’autres lois à l’avenir. Néanmoins, sur des sujets aussi difficiles, complexes, humains, intimes que la perte d’un enfant, il faut peut-être savoir s’arrêter sans trembler et prendre le temps de réfléchir.
Enfin, s’agissant de la notion de moyen terme, il me semble urgent de rester dans le flou. La médecine évolue très rapidement et fait des progrès considérables, y compris probablement, à l’avenir, dans des impasses thérapeutiques qui existent encore en oncologie, voire dans le domaine des maladies neurodégénératives. Il s’avère donc très complexe de définir le moyen terme pour un patient, car cette notion est très individuelle et fait intervenir de nombreux facteurs. Les équipes pluridisciplinaires décideront au cas par cas, sans se conformer à des normes.
Pr Régis Aubry. S’agissant des mineurs, nous ne disposons d’aucune donnée. Il convient de faire preuve d’humilité. Les données de recherche relatives aux demandes d’aide active à mourir dans la population adulte s’étoffent progressivement. Ces demandes ont été analysées, quantifiées et décryptées sur le plan du sens. En revanche, il n’existe aucune donnée pédiatrique. Nous n’avions ni les moyens ni l’ambition d’émettre un avis sur cette dimension dans laquelle il convient de faire preuve de modestie et de prudence.
En ce qui concerne le délai, un médecin se trompe moins que l’intelligence artificielle. Le médecin appréhende le pronostic par la connaissance du patient. Quoi qu’il en soit, ce délai s’établit entre quelques semaines et quelques mois.
Des travaux de recherche récents ont montré que le sentiment d’indignité est également très prégnant chez les personnes atteintes de maladies chroniques ou chronicisées parce qu’elles ne peuvent plus investir leur vie antérieure, travailler et parce que leur vie personnelle est perturbée par la maladie. Ce sentiment d’indignité est mêlé d’un sentiment d’inutilité, voire d’inexistence. Ce critère d’exclusion devra être pris en compte dans l’analyse d’un désir de mort qui serait exprimé dans ces conditions.
Je plaide ardemment en faveur du développement des soins palliatifs dans les établissements médico‑sociaux, hauts lieux du questionnement éthique, de sorte à extraire les patients du monde hospitalier. Il conviendra que nous nous donnions des moyens, non seulement financiers, mais également en termes de formation, d’accès à des équipes ressources et de valorisation des temps réflexifs.
Il est nécessaire de développer des politiques d’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité, quelles que soient ces situations. Nous prodiguons du soin palliatif lorsque nous accompagnons des personnes qui vont mourir ou qui sont confrontées à des pertes successives d’indépendance, d’autonomie, etc. Ce qui est inscrit dans le projet de stratégie décennale me semble de bon aloi, car le niveau de traitement des enjeux de soins palliatifs est inédit.
Des travaux de recherche sur les directives anticipées ont montré que si l’on savait ce que l’on voulait lorsqu’on débutait la maladie ou sans être malade, plus on avançait dans la maladie, plus les certitudes évoluaient. Il importe donc de respecter cette évolution. Il s’avère donc complexe d’inscrire une demande d’aide à mourir dans des directives anticipées quand elle s’appliquerait des mois ou des années plus tard.
Il n’est pas aisé de répondre à des demandes d’aide active à mourir qui ne sont pas formulées. En revanche, il nous appartient de répondre au devoir de respect des personnes et de leur accompagnement.
Les risques de dérives existent, mais il est compliqué de les quantifier ou de les qualifier. Plusieurs travaux ont montré que, confrontés à la question des limites, certains estiment parfois que la transgression et plus éthique que le respect. Il est peut-être préférable d’expliciter les limites et de les argumenter, car il est essentiel que toute décision d’aide à mourir soit justifiée.
M. Jean-Pierre Pont (RE). Certains nous reprochent ce projet de loi alors que les dispositions de la loi de 2016 sont insuffisamment appliquées. Ce projet de loi vient‑il en complément ? S’oppose-t-il à la phrase d’Hippocrate « D’abord ne pas nuire » ?
M. Gilles Le Gendre (RE). Le projet de loi remplit-il l’objectif de combler les lacunes de la loi de 2016 ?
La notion d’étape peut paraître inquiétante, notamment pour les personnes hostiles à ce texte.
M. Julien Odoul (RN). Qu’est-ce que ce texte apportera de mieux que la loi de 2016, qui n’est pas ou partiellement appliquée ?
Confondre le renforcement des soins palliatifs et l’euthanasie ne représente-t-il pas un mélange des genres préjudiciable ?
N’existe-t-il pas également en France une lacune sur la gestion de la souffrance, notamment sur le plan philosophique ?
Mme Marie-France Lorho (RN). Des études montrent que seulement 30 % des patients qui en auraient besoin ont accès à des soins palliatifs en France.
Existe-t-il une analyse précise des demandes de suicide assisté ou d’euthanasie en France ?
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Quelle est votre appréciation du recours au tiers de confiance ?
S’agissant des directives anticipées, le processus tient-il compte de l’éventuelle perte de conscience qui peut survenir entre leur rédaction et leur application ?
Le constat de l’influence croissante de la loi sur les pratiques des professionnels de santé met-il en péril l’appréciation humaniste de l’état des patients ? Les dispositions législatives peuvent-elles avoir des conséquences sur l’autonomie des soignants ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Envisagez-vous de nourrir une intelligence artificielle pour mieux cibler le court ou le moyen terme ?
Mme Annie Genevard (LR). La loi n’a pas vocation à répondre à toutes les situations individuelles. Ce qui se passe en dehors de nos frontières, en Belgique ou aux Pays‑Bas, doit nous inciter à une extrême prudence.
M. Philippe Juvin (LR). Le soutien au suicide assisté n’est-il pas contraire à la politique de prévention du suicide ?
L’évaluation systématique par un psychiatre ne serait-elle pas intéressante ?
Un délai de quarante-huit heures pour valider la demande d’aide à mourir permet‑il de prendre en compte la fluctuation de volonté du patient ?
Ne craignez-vous pas qu’une légalisation du suicide assisté s’applique en priorité aux personnes les plus pauvres ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Nous recevons de nombreux courriels, notamment de personnes opposées à l’aide à mourir. Certains propos me heurtent et me font douter.
Selon vous, quelles que soient les circonstances et justifications, la mort donnée demeure une transgression. Quelle comparaison peut-on établir entre l’arrêt de réanimation et l’aide à mourir ?
M. Philippe Vigier (Dem). Le processus d’aide active à mourir tel qu’il est décrit dans ce projet de loi est-il suffisamment sécurisé ? Faut-il apporter des précisions complémentaires sur les tiers de confiance ? L’éthique est-elle garantie pour les équipes soignantes et pour le patient ?
M. Stéphane Delautrette (SOC). Le projet de loi répond-il à toutes les situations ?
Il n’aborde pas la problématique des souffrances existentielles et psychologiques. Serait-il contraire à l’éthique de les intégrer dans l’accès à l’aide à mourir ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). La légalisation du suicide assisté ne risque‑t‑elle pas de conduire à une augmentation des suicides telle que constatée dans d’autres pays ?
Le projet de loi autorise l’acte d’euthanasie par un tiers sans condition. Quelles seront les répercussions sur la vie des familles, la vie en société et sur la multiplication des abus de faiblesse ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Le débat sur la terminologie relève d’une question d’honnêteté.
S’agissant des mineurs, vous préconisez de prendre le temps de réfléchir. Pourquoi ne pas appliquer cette sagesse aux majeurs ?
Mme Monique Iborra (RE). Pourquoi la loi de 2016 n’est-elle pas appliquée et pourquoi cette nouvelle loi le serait-elle ?
Est-il vraiment nécessaire d’inventer un nouveau type d’établissement d’accueil ?
Les directives anticipées sont-elles encore utiles si elles peuvent être contestées ?
M. Alain Claeys. En vingt ans, quatre lois sur la fin de vie ont été votées. Sans chercher des responsabilités, force est de constater que, malgré les lois et les moyens dégagés par les ministres de la santé successifs, les soins d’accompagnement de la maladie ne sont pas correctement prodigués.
Il faudra du temps pour que les personnes acceptent, avec l’aide d’un médecin, d’écrire leurs directives anticipées parce que ce n’est pas dans notre culture.
La sédation profonde et continue jusqu’au décès ne peut concerner qu’à court terme des personnes dont le pronostic vital est engagé, avec des douleurs réfractaires.
Les lois ont été conçues par le législateur et n’ont jamais été contestées par des majorités différentes. Cette nouvelle loi a été inspirée par le Parlement à l’issue de propositions de loi transpartisanes et de l’expression de mouvements d’opinion qui ont généré des débats. La démocratie participative s’avère nécessaire sur un sujet qui ne peut en aucun cas faire l’objet d’un référendum.
Le CCNE a retenu l’expression d’aide active à mourir et l’a définie comme la prescription par un médecin d’un produit létal. Dire que cela favorisera le suicide me semble un raccourci inacceptable.
Lorsque le président a présenté l’avis 139, il a souhaité que la personne qui portait l’avis minoritaire puisse s’exprimer. La Convention citoyenne a également publié l’ensemble des avis.
Pr Régis Aubry. La question de savoir s’il est éthique d’engager une évolution du droit autour de l’aide active à mourir s’oppose à celle de savoir s’il est éthique de maintenir dans un état de souffrance des personnes que la médecine n’a pas les moyens de soulager. Cette tension nous a amenés à faire un choix, forcément discutable et discuté. Il sera néanmoins nécessaire que la médecine interroge ses propres limites.
S’agissant de la question relative à l’arrêt des thérapeutiques entraînant l’accélération de la survenue de la mort, nous constatons que, dans bien des cas et pour des raisons diverses, il n’existe plus de traitement possible pour soulager la souffrance des patients concernés. Il n’y a donc plus de thérapeutiques à arrêter.
Les directives anticipées ont bien sûr une valeur, mais force est de constater que la démarche d’anticiper les conditions sa propre mort s’avère complexe. Il faut prendre le temps du dialogue avec les patients de sorte à les aider à cheminer vers l’anticipation de l’inéluctable.
Les maisons d’accompagnement répondent à un besoin réel, notamment dans le contexte de crise de notre système de santé. Actuellement, certains patients qui ne relèvent pas de soins hospitaliers sont hospitalisés parce qu’ils sont seuls et n’ont pas suffisamment accès à des aides pour le maintien à domicile.
La seconde fonction de ces structures réside dans le répit, qui devient une problématique majeure dans la vie pour des proches qui s’épuisent, ce poids parfois trop lourd pouvant conduire à une forme de maltraitance.
Dans d’autres pays, ce sont en effet les plus pauvres qui sollicitent l’aide à mourir, notamment parce que le système de santé n’est pas aussi ouvert que le nôtre. Le constat n’est pas transposable. Il convient néanmoins d’être vigilant, car il serait honteux d’accélérer la mort d’une personne au motif qu’elle n’a pas les moyens de se soigner.
Pr Jean-François Delfraissy. La vision de la société évolue et les lois en tiennent compte.
Le besoin des jeunes équipes médicales de connaître le cadre que définit la loi n’entachera pas la relation au patient.
L’intelligence artificielle peut être extraordinaire pour reconstituer une histoire ou compiler quarante ans de connaissances, mais il lui sera beaucoup plus complexe de remplacer un médecin urgentiste.
Nous disposons de quelques données statistiques numériques relatives au pronostic de malades en réanimation qu’il sera intéressant de prendre en compte. Je doute que le numérique révolutionne profondément la problématique de l’aide à mourir.
Pr Régis Aubry. Le numérique aidera considérablement la médecine grâce aux algorithmes. Toutefois, les situations de fin de vie présentent une dimension singulière qui relève du cœur de métier des professionnels de santé.
Pr Jean-François Delfraissy. S’agissant des mineurs, il importe de faire preuve d’une grande humilité à ce sujet. Toutefois, pour aider les mineurs, il est essentiel de constituer des équipes spécialisées de soins palliatifs autour des équipes pédiatriques.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie beaucoup pour ces échanges passionnants.
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2. Table ronde avec les ordres des professionnels de santé (réunion du mardi 23 avril 2024 à 9 heures 30)
La commission spéciale auditionne, dans le cadre d’une table ronde avec les ordres des professionnels de santé, le Dr François Arnault, président, et Mme Julie Laubard, directrice adjointe des services juridiques du Conseil national de l’Ordre des médecins, le Dr Carine Wolf-Thal, présidente, et Caroline Lhopiteau, directrice générale du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, ainsi que Mmes Sylvaine Mazière-Tauran, présidente, et Soumay Majeri, responsable des affaires juridiques du Conseil national de l’Ordre des infirmiers ([3]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons les représentants des ordres des professions médicales afin de recueillir leur sentiment sur le projet de loi.
Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins. L’Ordre des médecins a constaté que le débat sur la fin de vie répondait à une forte attente de la société française. Nous avons donc entamé une réflexion sur le sujet en 2022, notamment sur la base d’une enquête interne. La rédaction initiale du projet de loi comporte quelques points de divergence avec le produit de cette réflexion.
Ainsi, la construction de la collégialité nous paraît perfectible, sans toutefois remettre en cause la centralité du médecin dans la procédure. Le texte prévoit bien que la décision finale revient au médecin. Mais nous souhaitons que celui-ci, s’il en ressent le besoin, puisse prendre appui auprès d’un autre professionnel de santé.
Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Ce projet de loi traduit une évolution sociétale très attendue par nos concitoyens. Il reçoit le soutien de l’Ordre des pharmaciens.
Le volet relatif à l’accompagnement et aux soins palliatifs concerne directement les pharmaciens. Quant au dispositif d’aide active à mourir, il prévoit l’intervention à divers degrés de différents professionnels de santé. Chacun tient un rôle déterminé, ce qui nous paraît fondamental. Le rôle exact du pharmacien dans ce dispositif réclame quelques précisions réglementaires, et l’Ordre des pharmaciens se tient à la disposition des administrations pour en convenir.
Mme Sylvaine Mazière‑Tauran, présidente du Conseil national de l’Ordre des infirmiers. Il n’est pas du ressort de l’Ordre des infirmiers de se prononcer sur les aspects moraux ou idéologiques d’une législation sur la fin de vie, ainsi qu’il l’a indiqué dans un avis publié en décembre 2022. Cependant, l’Ordre est compétent pour évaluer si les questions de fin de vie doivent être réglementées, ainsi que sur la manière dont il convient de les aborder, notamment sur le plan moral, afin de protéger les intérêts et la sécurité des patients comme des infirmiers impliqués dans ces soins.
Nous attirons l’attention du législateur sur l’importance du respect de la dignité et de l’autonomie des patients tout au long du processus de fin de vie, et de la mise à la disposition des infirmiers d’une formation spécifique aux soins d’accompagnement et aux procédures d’aide à mourir.
L’Ordre des infirmiers réaffirme son attachement à la clause de conscience dont bénéficieraient les infirmiers ne souhaitant pas participer à l’aide à mourir. Il propose de s’impliquer dans la supervision et l’évaluation des pratiques d’aide à mourir.
Enfin, l’Ordre des infirmiers relève le caractère essentiel d’un dialogue entre les médecins, les infirmiers et les autres professionnels de santé. Il souligne également la nécessité d’un soutien psychologique et professionnel fourni aux infirmiers engagés dans l’accompagnement de fin de vie.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. La notion de soins d’accompagnement n’a pas vocation à remplacer celle de soins palliatifs, mais à l’englober dans une démarche anticipée et pluridisciplinaire. Quel regard vos ordres respectifs portent-ils sur cette approche ? Leur semble-t-elle compléter celle des soins palliatifs ?
Que pensez-vous des conditions d’éligibilité à l’aide à mourir définies dans le titre II du projet de loi ?
Avez-vous des propositions à formuler sur la procédure d’aide à mourir envisagée ? Votre expertise nous est indispensable pour vérifier si ses dispositions répondent au double objectif poursuivi, à savoir l’égalité devant la loi et l’effectivité de celle-ci.
M. Didier Martin, rapporteur. De quelle manière s’articuleront le travail des médecins libéraux, des infirmiers libéraux et des pharmaciens dans les soins de ville ? Comment les médecins, en particulier, définiront-ils leur place dans cette médecine coordonnée vers l’accompagnement de la fin de vie ? Comment le médecin généraliste répondra-t-il à ces enjeux ?
Le rôle des infirmiers en matière de télémédecine est important. C’est surtout vrai en zone peu dotée en offre médicale, notamment spécialisée. Quelles formations les infirmiers peuvent-ils demander pour suivre cette évolution dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et demain dans les maisons d’accompagnement ? Qu’en sera-t-il de leurs conditions de travail, par rapport au rythme 12 heures / 12 heures en particulier ?
Enfin, quel rôle les pharmaciens joueront-ils dans cette chaîne de prise en charge et d’accompagnement en ville ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. J’aimerais vous interroger sur l’article 6 du projet de loi et sur les conditions d’accès à l’aide à mourir. Il est écrit que la personne doit être atteinte « d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ». Convient-il selon vous de préciser ce délai, voire de citer les affections concernées ?
Par ailleurs, la personne doit être apte à « manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Pensez-vous que cette formulation offre des garanties suffisantes ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Docteur Arnault, pourriez-vous préciser votre point de vue sur la collégialité de la décision décrite dans le projet de loi ? De quelle manière concevez-vous le rôle du médecin traitant et celui du médecin psychiatre dans l’évaluation des capacités de discernement du malade ? Avez-vous évoqué, au sein de l’Ordre des médecins, un format proche d’une réunion de concertation pluridisciplinaire ?
Madame Mazière-Tauran, j’aimerais entendre votre avis sur le statut d’infirmier en pratique avancée.
Enfin, madame Wolf-Thal, avez-vous des remarques sur le mode de dispensation de la substance létale, le circuit dans lequel elle est insérée, et son évaluation ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. J’aimerais savoir si la clause de conscience répond aux préoccupations de vos ordres respectifs, en particulier en ce qui concerne la réorientation du patient qui accompagne son invocation.
Que pensez-vous de la création d’une commission de contrôle et d’évaluation ? Elle aurait pour missions le contrôle systématique du respect des conditions d’accès et des procédures d’aide à mourir, leur suivi et leur évaluation, et la gestion du registre des professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de l’aide à mourir ?
Dr François Arnault. Il convient, pour des raisons philosophiques et déontologiques, de séparer les questions des soins et de la fin de vie. Un médecin, guidé par le code de déontologie et le serment d’Hippocrate, ne doit pas donner délibérément la mort. C’est sa raison d’être. S’il apparaît que son rôle est aussi d’accompagner un patient qui aurait choisi de mourir au terme du processus, son premier réflexe doit être de ramener ce patient vers les soins et, si cela est possible, vers un espoir de survie.
Cet espoir de survie amène à la question de l’éligibilité. Récemment, une équipe de soins palliatifs me confiait que, sur 1 200 patients pris en charge, la thérapeutique s’est avérée insuffisante pour soulager la souffrance dans cinq cas seulement. À cette aune, la disposition du texte selon laquelle le médecin décide, en fonction de l’état du patient, s’il donne suite à sa demande d’aide à mourir, semble insuffisante. La décision d’éligibilité doit être collégiale.
Si, comme le prévoient les textes, engager un traitement d’oncologie réclame une réunion de concertation pluridisciplinaire, c’est-à-dire une appréciation collective de l’état du patient et des possibilités thérapeutiques, il me paraît évident que l’engagement d’une procédure d’aide à mourir implique un niveau au moins égal de collégialité. Il n’est pas concevable qu’un médecin se trouve seul face à une décision aussi grave.
Nous attachons beaucoup d’importance à la clause de conscience spécifique, qui suppose effectivement qu’un médecin ne pourra pas faire jouer sa clause de conscience sans apporter au patient une solution alternative. Je rappelle que le corps médical, s’il évolue sur la question de l’aide à mourir, y reste majoritairement opposé. Un sondage indique que 66 % des répondants sont défavorables, pour 23 % favorables et 11 % qui s’abstiennent.
Les médecins de ville sont isolés face à ces situations. Ils ne pourront pas gérer seuls les demandes d’aide à mourir de leurs patients. C’est la raison pour laquelle, sur ce sujet mais aussi de manière générale, des équipes de soins territoriales sont indispensables.
Si elles ne résoudront pas toutes les questions liées à la fin de vie, les directives anticipées sont à nos yeux un excellent mécanisme. Il faut cependant mesurer l’extrême difficulté de leur rédaction. En outre, si leur inscription dans le dossier médical partagé apparaît une solution pratique intéressante, il est nécessaire de faciliter leur modification à tout moment.
Si une définition du court terme est relativement aisée, définir précisément le moyen terme et inscrire un délai précis dans la loi seraient déraisonnables. Un patient, souhaitant savoir combien de temps il lui reste, ne cherche pas à connaître la date de sa mort. Il cherche à déterminer à partir de quel moment la vie ne lui sera plus supportable, ce qui est naturellement impossible à établir. C’est la raison pour laquelle seule l’appréhension au cas par cas peut prévaloir.
La commission de contrôle et d’évaluation dispose d’une prérogative qui nous interpelle. Elle est fondée à poursuivre un médecin devant la chambre disciplinaire de première instance si elle constate des manquements déontologiques. Or, le médecin, déjà isolé face au patient, sera seul face à l’entourage, dont certains membres seront favorables à l’aide à mourir et d’autres défavorables. Il s’en trouvera toujours un pour contester la décision et porter plainte contre le médecin.
Dr Carine Wolf-Thal. Dans le parcours du patient, le pharmacien joue un rôle social de proximité, un rôle d’orientation et d’accompagnement que ce projet de loi renforce. En outre, il accentuera la nécessité d’un travail coordonné avec les autres professionnels de santé, et peut-être d’un effort de formation des pharmaciens sur les spécificités de la gériatrie.
Il paraît approprié que la Haute Autorité de santé et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé soient les autorités compétentes sur la question de la substance létale. Cependant, certains éléments réclament une clarification. Par exemple, le statut de la substance létale au regard du code de la santé publique : est-ce un médicament, une préparation spéciale, une préparation hospitalière ?
Il conviendra de s’assurer du nombre suffisant de pharmacies à usage intérieur autorisées à préparer ces produits létaux afin de garantir un accès égal sur tout le territoire. La désignation de ces pharmacies pourrait incomber aux Agences régionales de santé. Il nous a semblé que la désignation d’une pharmacie d’officine par le médecin était motivée par la volonté du prescripteur que cette officine soit proche de lui, plutôt que du patient.
Nous nous interrogeons sur le transport et le retour du produit, utilisé ou non, et surtout sur son élimination. Le circuit des médicaments non utilisés et le circuit Cyclamed ne nous semblent pas adaptés. Il reviendra à la Haute Autorité de santé et à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de procéder aux ajustements nécessaires.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Nous considérons qu’un effort important est à consentir pour la mise à disposition d’équipes mobiles de soins palliatifs à domicile, en Ehpad, voire dans certains établissements de santé. De même, il est nécessaire de renforcer la formation initiale et continue des professionnels. En outre, le rôle primordial des aidants familiaux n’est pas suffisamment mis en avant dans le projet de loi.
Concernant les conditions d’éligibilité à l’aide à mourir, nous souhaitons attirer l’attention sur l’accompagnement des plus vulnérables, handicapés ou âgés, notamment en cas de pathologies graves susceptibles de perturber l’état psychologique.
La notion de personne volontaire qui pourrait, selon le souhait du patient, l’accompagner dans la procédure, nous interroge. Ce volontaire pourrait se substituer au médecin ou à l’infirmier. Nous considérons, au contraire, qu’un tel acte ne peut être accompli par une personne non soignante.
J’appréhende mal l’utilité d’un recours à la télémédecine dans le contexte de la fin de vie. Même dans des zones éloignées des centres hospitaliers, il revient aux équipes territoriales d’accompagner les personnes en fin de vie.
L’Ordre des infirmiers n’est pas fondé à s’exprimer sur les conditions de travail. Néanmoins, il insiste sur la nécessité de l’accompagnement psychologique, du suivi et de la formation des personnels engagés dans la procédure d’aide à mourir. Celle-ci percute violemment leur code de déontologie, qui les oblige à protéger la vie. Nous n’imaginons pas qu’une étape aussi particulière du parcours des patients ne fasse pas l’objet d’une participation collégiale étendue, incluant des infirmiers.
L’accompagnement et l’aide à mourir impliquent certes les infirmiers en pratique avancée, mais aussi tous les infirmiers. Il serait trop complexe qu’un diplôme en pratique avancé soit requis pour y participer. Il me semble qu’il n’y a pas de lien particulier entre la pratique avancée et les procédures du projet de loi.
Mme Nicole Dubré‑Chirat (RE). Avez-vous des suggestions d’amélioration de la collégialité dans la procédure ? Comment mieux former à la culture palliative dans tous les secteurs de soins, en particulier pour la prise en charge de la douleur ? Quelles sont vos propositions pour l’accompagnement à la rédaction et à l’archivage des directives anticipées ? Que faire lorsque la personne n’est plus consciente au moment de faire valoir ces directives ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Si l’article 7 prévoit la clause de conscience des médecins, celle-ci n’entre pas dans la définition du plan personnalisé d’accompagnement. Or, ce plan peut inclure l’aide à mourir. Qu’en pense l’Ordre des médecins ?
Docteur Arnault, estimez-vous que la prescription du produit létal et la pratique de l’euthanasie par un médecin représentent des actes médicaux entrant dans la nomenclature générale des actes professionnels ? Le cas échéant, pourquoi ces actes ne disposent-ils pas d’une base légale dans le code de la santé publique ?
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). J’aimerais entendre les ordres des professionnels de santé sur le bouleversement éthique qu’impliquent l’assistance au suicide et l’euthanasie. Dans quelle mesure risquent-elles de perturber la relation de confiance entre le patient et son médecin ? Ne sous-estimons-nous pas le préjudice que cela représente pour les personnels concernés ?
Docteur Arnault, vous avez évoqué la proportion minime de patients en unité de soins palliatifs pour lesquels la thérapeutique est impuissante à soulager. Ne pensez-vous pas que la loi proposée, dont le caractère très large s’exprime par la notion à définir de « moyen terme », concerne bien davantage de patients ?
Enfin, que proposent les ordres à propos de l’accompagnement des plus vulnérables et des familles ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). J’entends, docteur Arnault, la demande de collégialité des médecins. Qui, selon vous, devrait intégrer ce cercle collégial ? La procédure d’aide à mourir comporte trois niveaux : la décision d’accéder à la demande du patient, la prescription de la substance létale et enfin son administration. Pensez-vous qu’un médecin pourrait se déporter à l’une de ces trois étapes dès lors que la décision collégiale est favorable à l’aide à mourir ?
M. Philippe Juvin (LR). En l’état actuel du projet de loi, le patient ne rencontrerait qu’un seul médecin avant de prendre sa décision. Pensez-vous, docteur Arnault, que systématiser une évaluation psychiatrique serait pertinent ? Considérez-vous la prévention du suicide satisfaisante en France ? Est-ce nécessaire de modifier le serment d’Hippocrate ?
Madame Wolf‑Thal, souhaitez-vous que les pharmaciens disposent d’une clause de conscience ? Les ordres des infirmiers et des médecins seraient-ils en faveur d’une vérification de la volonté du patient par le juge des libertés afin d’éviter les abus et les pressions familiales ?
Madame Mazière‑Tauran, ne pensez-vous pas qu’il faudrait couvrir le territoire en équipes mobiles de soins palliatifs avant de passer au plan personnalisé d’accompagnement ?
Dr François Arnault. Le renforcement de la formation initiale et continue aux soins palliatifs de tous les soignants est une condition de la bonne mise en place de cette loi. Il convient d’intégrer davantage cette thématique dans les études de médecine, et les étudiants doivent l’aborder plus tôt dans leur parcours.
Les directives anticipées, bien que fondamentales, sont extrêmement labiles dans le temps. Il revient à l’équipe soignante, et en priorité au médecin, d’assister les patients dans leur travail de rédaction. C’est un investissement en temps non négligeable.
Intégrer une clause de conscience au parcours personnalisé d’accompagnement n’a, selon moi, pas de sens : l’accompagnement et la fin de vie sont deux domaines différents à appréhender distinctement. Cela implique que la prescription et l’administration de la substance létale ne sont pas des actes médicaux.
L’aide à mourir représente une démarche particulière, à l’encontre des engagements du médecin, qui implique une mutation de ces engagements. Sa mise en œuvre réclamera du temps. Plus la procédure prendra en compte les aspirations et le ressenti des médecins, plus vite elle se mettra en place.
La collégialité ne saurait nécessairement revêtir un caractère obligatoire dans la mesure où cette obligation pourrait entraîner des blocages dans la prise de décision. Elle doit prévaloir en fonction des besoins du médecin, si celui-ci en ressent l’utilité.
Aux trois niveaux de la prise de décisions énumérés par monsieur Pilato, j’en ajouterais un quatrième : la situation dans laquelle le médecin est amené à refuser l’aide à mourir. Ce cas de figure est rarement évoqué. Il peut s’avérer lourd à porter pour le médecin.
Je suis hostile à une modification du serment d’Hippocrate. En revanche, cette loi, qui est une loi de permission, n’apporte pas de solution sur les plans déontologique et disciplinaire. La loi, j’insiste sur ce point, doit prendre en compte cet aspect. Sa formulation doit être suffisamment claire pour éviter tout piège et tout risque pour les professionnels, sans quoi ils n’y adhéreront pas, ne l’appliqueront pas et feront jouer la clause de conscience.
Enfin, il n’appartient pas à l’Ordre des médecins de se prononcer sur la compétence du juge des libertés. À titre personnel cependant, l’intégrer au processus me semble contraire à l’esprit de la loi.
Dr Carine Wolf-Thal. La procédure d’aide à mourir, fruit d’une demande du patient, soumise à des conditions strictes et accordée à l’issue d’une concertation collégiale, ne saurait être remise en cause par le pharmacien. Celui-ci ne peut représenter un frein ou un obstacle à la volonté du patient et à la décision du médecin, donc à la bonne exécution de la loi. Il peut certes faire valoir ses convictions mais, par sa fonction, il est le maillon d’une chaîne formée avec d’autres professionnels. L’éthique de responsabilité qui guide le pharmacien suppose qu’il garantisse l’accès à la substance létale dès lors qu’aura été accordée l’aide active à mourir.
Selon la procédure, le pharmacien ne sera pas en contact direct avec le patient, ne participera ni à la décision d’engager le processus ni à son accomplissement, et n’agira que sur prescription médicale. Ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État, la préparation magistrale létale et la délivrance de la substance létale ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir pour porter atteinte à la liberté de conscience. Pour ces raisons, le pharmacien ne saurait disposer d’une clause de conscience.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Dans certaines situations, la douleur n’est pas suffisamment ni rapidement prise en charge, en particulier à domicile. Nous avons suggéré que, moyennant formation, un droit de prescription d’antalgiques soit ouvert aux infirmières.
Les directives anticipées sont mal connues des patients, mais aussi des professionnels de santé. Une forte campagne d’information serait appréciable. Théoriquement, le personnel hospitalier est tenu d’interroger les patients sur leurs directives anticipées. Cette interrogation reste aujourd’hui source d’incompréhension, tant pour le soignant que pour le patient. Ce projet de loi représente une chance de mieux faire connaître ce mécanisme.
Les infirmiers ne prêtent pas serment. Mais ils sont tenus de respecter un code de déontologie. L’aide à mourir heurte cette déontologie. Par conséquent, les précautions et les protections réclamées par les médecins s’appliquent aux infirmiers, en particulier lorsqu’ils sont amenés à administrer le produit létal.
M. Jean-Pierre Pont (RE). L’article 5 précise que l’aide à mourir n’engage pas la responsabilité pénale de celui qui la pratique, conformément à l’article 122‑4 du code pénal. Pensez-vous, docteur Arnault, qu’un texte alternatif au serment d’Hippocrate, qui comporte l’engagement à ne jamais provoquer la mort délibérément, sera nécessaire aux prochaines générations de médecins ?
M. Thomas Ménagé (RN). Docteur Arnault, seriez-vous favorable à la présence obligatoire d’un psychiatre au sein du collège chargé de prendre la décision ? Considérez-vous suffisant le délai de 48 heures pour apporter une réponse au patient ?
Que pensez-vous de l’idée d’une nouvelle profession réglementée dédiée à l’administration de la substance létale, afin de lever la contradiction déontologique entre le serment d’Hippocrate et l’aide active à mourir ?
Avez-vous le sentiment que cette loi répond à la totalité des situations, y compris celle du patient en état végétatif et dont le consentement est impossible à recueillir ?
Mme Annie Genevard (LR). Docteur Arnault, vous avez déclaré qu’un médecin ne saurait faire jouer sa clause de conscience sans apporter une solution alternative au patient. Cela signifie-t-il, selon vous, que la clause de conscience serait invalidée dès lors qu’aucune alternative ne peut être apportée au patient ?
Madame Wolf‑Thal, bien que la clause de conscience ne soit pas envisagée pour les pharmaciens, que se passerait-il si l’un d’eux refusait de délivrer une substance létale ?
Madame Mazière-Tauran, pouvez-vous développer ce que vous avez désigné comme des risques de pression sur les personnes vulnérables ?
M. Philippe Vigier (Dem). Madame Mazière-Tauran a appelé à une campagne de communication sur les directives anticipées. La faible application de la loi Claeys-Leonetti, qui est à déplorer, n’est-elle pas due, au-delà du manque de communication, à un problème de formation et d’attractivité des filières liées à la fin de vie ?
Docteur Arnault, pensez-vous que la mention des directives anticipées dans le dossier médical partagé devrait être obligatoire ? Par ailleurs, pensez-vous que le deuxième médecin consulté dans le cadre de la collégialité doit obligatoirement rencontrer le patient ? Enfin, la protection juridique des soignants vous semble-t-elle suffisante ?
M. François Gernigon (HOR). Pensez-vous, docteur Arnault, que le nom des médecins réfractaires à l’accompagnement à l’aide à mourir devrait être connu à l’avance, ou bien l’activation de la clause de conscience doit-elle être laissée à l’appréciation du médecin en fonction de chaque cas ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Docteur Arnault, êtes-vous satisfait du délai maximum de quinze jours permettant au médecin d’apprécier que les conditions d’accès à l’aide à mourir sont remplies ? Par ailleurs, si le moyen terme est difficile à définir, ne revient-il pas au patient de déterminer lui-même le seuil de ce qui lui est insupportable ?
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Avez-vous des suggestions sur les modalités et le contenu des formations à dispenser aux médecins, aux infirmiers, aux aides-soignantes, sur l’accompagnement de la fin de vie et l’aide à mourir ?
M. Jean-François Rousset (RE). Ma question porte sur la formation à la collégialité et elle s’adresse aux représentants des trois ordres. À quel moment du cursus introduire cette notion ? Puisque nous allons vers une spécialisation des métiers de la prise en charge de la fin de vie, créer un diplôme commun aux médecins, infirmiers et pharmaciens ne serait-il pas judicieux ?
M. Julien Odoul (RN). Craignez-vous que les nouvelles dispositions légales et les transformations profondes qu’elles supposent pour le médecin entraînent une désaffection pour ce métier ? Si un médecin qui refuse de prescrire ou d’administrer la mort parce qu’il considère que l’euthanasie n’est pas un soin et que ces actes ne correspondent pas à ses valeurs, dans quelle mesure serait-il tenu d’orienter le patient vers un autre médecin ?
Mme Christine Pires Beaune (SOC). Le docteur Arnault a déclaré à titre personnel que l’aide à mourir ne devait pas s’entendre comme de l’accompagnement et du soin. Pourquoi ne pas laisser les malades répondre eux-mêmes à cette question ? Certains considèrent que le soin maintient en vie quand d’autres attendent du soin qu’il mette fin à leurs souffrances.
J’aimerais vous demander de traduire les propos de la ministre de la santé, qui a indiqué que les personnes atteintes de la maladie de Charcot étaient éligibles à l’aide à mourir dès lors que le pronostic vital était engagé.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Les personnes vulnérables, âgées ou handicapées expriment souvent la crainte de représenter un poids pour leur entourage. Ma remarque avait pour but d’alerter sur leur sort : elles pourraient, à certains moments, se sentir « obligées » de demander l’aide à mourir pour soulager avant tout leurs proches.
La formation des infirmiers comporte des enseignements d’éthique des soins palliatifs et de prise en charge de la douleur, souvent sous forme de modules spécifiques. Ces enseignements méritent d’être plus développés, notamment en rapport avec ce projet de loi. Le décret sur les compétences de la profession d’infirmier est en cours de révision, puis des travaux sur la réingénierie de la formation seront entrepris, qui permettront d’interroger la formation à la douleur et aux questions éthiques liées aux soins palliatifs.
Dr Carine Wolf-Thal. Des sanctions disciplinaires, allant de l’avertissement à l’interdiction d’exercer, sont prononcées en chambre de discipline à l’encontre des pharmaciens qui font valoir une clause de conscience qui n’existe pas et qui refusent de délivrer des produits prescrits. Le cas se présente parfois au sujet d’une pilule du lendemain ou d’une pilule contraceptive.
Dr François Arnault. En réponse à madame Pires Beaune, je rappelle qu’il revient au seul patient, et jamais aux soignants, de demander à sortir du soin pour une aide à mourir. J’ai insisté sur la distinction entre accompagnement et aide à mourir : seule la décision du patient peut faire passer de l’un à l’autre.
Des règles juridiques permettent de ne pas aborder la fin de vie et l’aide à mourir à la seule aune du serment d’Hippocrate, qui représente un engagement éthique et déontologique personnel. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis défavorable à sa reformulation ou à la rédaction d’un texte alternatif.
Je partage l’idée d’introduire la notion de collégialité dès les études, ou plutôt que les équipes de soignants, toutes professions confondues, apprennent à travailler ensemble dès l’internat. Des expérimentations d’internats territoriaux ont d’ailleurs été menées.
La formation aux soins palliatifs est perfectible à condition d’engager les moyens appropriés. Les étudiants ne peuvent découvrir la réalité des soins palliatifs sur le terrain. Il est nécessaire, le plus tôt possible, de les préparer aux problématiques qu’ils rencontreront. À ce titre, faire intervenir des psychologues et des psychiatres en cours de formation serait utile.
Je suis d’accord avec le député Vigier sur la nécessité, pour le second médecin, de rencontrer le patient avant d’exprimer un avis. En effet, l’avis sur simple consultation du dossier est purement technique. Il ne tient pas compte de la démarche psychologique du patient, de son ressenti. L’évaluation de la souffrance physique ou psychologique ne se fait pas en télémédecine.
Si une consultation psychiatrique peut être utile, y obliger n’est pas souhaitable. D’une part, une consultation psychiatrique ne saurait être imposée. D’autre part, cette disposition supposerait de disposer de psychiatres en nombre suffisant. Une telle clause représenterait par conséquent un frein à l’application de la loi.
En matière de collégialité, la démographie médicale est notre ennemie. Les blocages que j’évoquais ne concernent pas la déontologie : si la loi est bien écrite, les médecins s’accoutumeront à l’idée de passer de l’interdit au déontologiquement possible afin d’apporter une réponse aux demandes des patients. En revanche, la difficulté consistera à réunir des médecins disponibles au même moment pour mener une réflexion profonde autour d’un cas.
La clause de conscience spécifique est incontournable. Un médecin qui l’invoque oriente son patient vers un autre médecin qui accepte la démarche. Je m’oppose à l’idée que des médecins fassent valoir en amont leur clause de conscience. Cela reviendrait à constituer des listes et, finalement, risquerait d’amener la création d’établissements spécialisés, ce dont il faut se garder.
Je manque d’éléments pour répondre à la question portant sur le délai de quinze jours. Cependant, il m’apparaît qu’un délai est nécessaire. Quinze jours peuvent sembler insuffisant pour organiser une concertation collégiale.
Je conclurai en rappelant que la confiance des médecins dans un dispositif respectant leurs convictions et qui les protégera sur les plans pratique, juridique, déontologique et disciplinaire, est indispensable.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous vous remercions pour vos interventions et pour ces échanges.
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3. Table ronde avec l’Académie nationale de médecine et le Conseil économique, social et environnemental (réunion du mardi 23 avril 2024 à 11 heures 30)
La commission spéciale auditionne, dans le cadre d’une table ronde, le Pr Jacques Bringer, président, et Mme Claudine Bergoignan-Esper, vice‑présidente du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine, ainsi que M. Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire sur la fin de vie, et Mme Dominique Joseph, rapporteure de l’avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » (2023), membres du Conseil économique, social et environnemental ([4]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons pour cette table ronde les représentants de l’Académie nationale de médecine, dont le comité d’éthique a rendu un avis important en juin dernier, et du Conseil économique, social et environnemental, qui a également délibéré un avis intitulé « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » l’année dernière.
Pr Jacques Bringer, président du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. Le 27 juin 2023, l’Académie de médecine adoptait un texte représentant une nette inflexion de ses positions sur le sujet de la fin de vie. Ce texte reconnaît qu’il existe des personnes vivant des situations insoutenables en raison de souffrances dites réfractaires et d’une affection dont le pronostic vital est inéluctable à moyen terme. Anticipant la possibilité pour le législateur de s’engager dans une ouverture encadrée à l’aide à mourir, l’avis de l’Académie met en avant la protection des personnes présentant une vulnérabilité particulière et la vigilance extrême qui s’impose à propos des malades âgés, handicapés ou atteints d’un syndrome dépressif apparaissant souvent au cours d’une maladie incurable.
L’Académie entend que l’on puisse souhaiter n’être pas spectateur de sa dégradation. Mais on peut aussi rejeter l’insinuation selon laquelle, pour rester digne, on ne serait plus autorisé à exister avec un handicap lourd ou un grand âge pesant, car on est pourtant vivant d’une vie pleine et entière. L’Académie s’est toujours montrée méfiante vis-à-vis des notions de mort digne ou indigne. Seuls lui paraissent indignes l’agonie dans la solitude, l’obstination déraisonnable et le déni de la souffrance. Souvenons-nous que la situation la plus commune demeure l’hésitation jusqu’à la fin ! Il est capital de respecter cette hésitation, même si la possibilité de contrôler sa fin de vie apaise.
Mme Claudine Bergoignan-Esper, vice-présidente du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. L’avis de l’Académie nationale de médecine est intitulé « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables ». Il s’appuie sur le constat d’une législation actuelle très satisfaisante concernant le court terme, bien qu’il existe un décalage entre ce texte méconnu et son application. En revanche, lorsque le pronostic vital est inexorablement engagé à moyen terme, certaines situations inhumaines ne sont pas, à ce jour, couvertes par la loi.
L’aide à mourir recouvre deux démarches distinctes : l’assistance au suicide et l’euthanasie. Au cas où la première serait retenue par le législateur, l’Académie a listé les risques liés à la nature de la demande, à l’état du patient, aux inégalités territoriales et aux situations spécifiques. Elle a aussi défini des garanties. L’assistance au suicide comporte des prérequis absolus : un accès à des soins palliatifs et une évaluation par plusieurs professionnels du discernement de la personne. En revanche, nous avons écarté l’euthanasie, qui dispose d’une force plus contraignante lorsqu’il est enclenché et qui est contraire au serment d’Hippocrate.
L’Académie a formulé une série de recommandations, notamment une vigilance extrême afin d’éviter toute dérive, par exemple pour des mineurs en fin de vie. Par ailleurs, la législation nouvelle devra garantir une clause de conscience aux professionnels de santé. Enfin, l’aide à mourir ne peut être envisagée qu’à la condition d’une offre en soins palliatifs correspondant aux besoins sur l’ensemble du territoire.
M. Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire sur la fin de vie du Conseil économique, social et environnemental. Le Conseil économique, social et environnemental a préparé son avis à travers une commission temporaire, en lien étroit avec les travaux de la Convention citoyenne. Ce cadre de travail a permis une expression dans le respect des convictions de chacun.
Mme Dominique Joseph, rapporteure de l’avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » du Conseil économique, social et environnemental. Avant de synthétiser l’avis délibéré par le Conseil, je précise que nous n’avons pas abordé, faute de temps, la question des mineurs en fin de vie.
Notre avis rappelle, en premier lieu, le droit effectif à l’accompagnement en fin de vie. Nous proposons, par une modification de la loi Claeys-Leonetti, d’affirmer que le droit à l’accompagnement en fin de vie s’étend jusqu’à l’aide active à mourir. Nous insistons sur la nécessité de garantir ce droit par des moyens financiers et humains, avec une égalité d’accès assurée en particulier outre-mer. Il doit trouver sa traduction dans des directives anticipées formulées en amont, opposables et régulièrement questionnées, pour permettre l’expression du choix individuel en cas de non-conscience.
Au nom de cette liberté individuelle, nous proposons d’offrir aux personnes atteintes de maladies graves et incurables, en état de souffrance physique ou inapaisable, l’aide active à mourir par suicide assisté ou euthanasie. Nous défendons une clause de conscience pour les professionnels de santé refusant de pratiquer ces actes, assortie de l’obligation d’informer et d’orienter les patients vers d’autres professionnels.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je voudrais souligner l’importance des avis rendus par vos deux institutions, et vous adresser quatre questions.
Premièrement, quel regard portez-vous sur la notion d’accompagnement ? Complète-t-elle judicieusement celle de soins palliatifs ?
Deuxièmement, de quelle manière appréhendez-vous les conditions d’éligibilité à l’aide à mourir ?
Troisièmement, avez-vous des remarques à formuler sur la procédure d’aide à mourir définie au chapitre 3 du titre II du projet de loi ?
Quatrièmement, avez-vous des préconisations concernant la composition et le rôle de la commission de contrôle et d’évaluation ?
M. Didier Martin, rapporteur. Ma question s’adresse à l’Académie de médecine sur le passage entre l’épuisement des ressources destinées à guérir et l’entrée dans le « prendre soin ». Comment établir un parcours de soins et d’accompagnement des patients ? Quelles sont les formations nécessaires pour les professionnels de santé ?
J’aimerais que le Conseil économique, social et environnemental développe le propos sur les moyens financiers et humains qu’il évoque dans son avis, notamment au regard de l’enjeu démographique que représente une population vieillissante. Je pense en particulier à l’outre-mer, dont vous avez souligné la situation particulière.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Dans son avis rendu en 2023, l’Académie nationale de médecine affirme qu’il est « inhumain, lorsque le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme, de ne pas répondre à la désespérance de personnes qui demandent les moyens d’abréger les souffrances qu’elles subissent du fait d’une maladie grave et incurable ». Pourquoi nécessairement indiquer un terme ? Et quel sens lui donner ?
Ma seconde question porte sur l’article 5 du projet de loi, qui évoque la situation dans laquelle le patient n’est pas en capacité physique de s’administrer lui-même la substance létale. Il rejoint la distinction entre euthanasie et suicide assisté. Quelles pourraient être les modalités d’une délégation de l’administration de la substance létale ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Professeur Bringer, vous avez insisté sur la nécessité d’établir des critères stricts d’accessibilité à l’aide à mourir. Pourriez-vous apporter des précisions ? Par ailleurs, j’aimerais interroger l’Académie comme le Conseil sur la notion de collégialité dans la prise de décision.
Madame Bergoignan-Esper, vous avez distingué le suicide assisté de l’euthanasie. Comment faire la part entre la dose qui soulage et la dose qui tue, quand l’index thérapeutique est très proche ? Par ailleurs, j’aimerais que vous développiez votre référence au serment d’Hippocrate, et que vous la rapportiez au code de déontologie.
Pr Jacques Bringer. La définition des soins d’accompagnement est large. Mais l’essentiel réside dans leur anticipation et dans le fait de ne pas les opposer aux soins curatifs, ce qui est encore trop souvent le cas et qui donne au patient un sentiment d’abandon. L’idée des maisons d’accompagnement semble poser des problèmes de positionnement et de financement qui, s’ils ne sont pas du ressort de l’Académie, attirent son attention. D’une part, ces maisons doivent se garder d’une forme de financiarisation. D’autre part, leur financement par les collectivités pourrait générer de graves disparités territoriales.
La collégialité est une question capitale, qui peut revêtir trois formes. Ce peut être une collégialité minimaliste, où le médecin est saisi et prend sa décision après avoir recueilli l’avis d’un confrère à partir d’un dossier médical. Cette collégialité ne répond pas aux enjeux de la fin de vie. À l’opposé, une collégialité maximaliste, supposant la rencontre de toutes les personnes impliquées, peut être paralysante car excessivement longue. Dès lors, une forme médiane est souhaitable. Protectrice, efficace, elle reposerait sur des réunions de concertation pluridisciplinaires conduisant à la décision finale du médecin.
Les dispositions légales sur la sédation profonde et continue prévoient l’absence de lien hiérarchique entre le médecin qui pratique l’acte et son confrère. À l’article 8 du projet de loi, le médecin administrant la substance létale n’intervient pas auprès de la personne. Si l’absence de lien hiérarchique ou de lien d’intérêt est bien sûr nécessaire, il semble qu’exclure le médecin qui suit le patient, qui le connaît, reviendrait à négliger un avis précieux.
Le projet de loi indique que le médecin consulte le dossier et peut examiner la personne avant de se prononcer. Cela pose problème en termes de collégialité. Nous estimons impossible de décider de la vie d’une personne sur la base d’un dossier médical. Au contraire, il convient, pour rendre un avis, de privilégier la rencontre, l’écoute, l’examen.
M. Albert Ritzenthaler. La notion de soins d’accompagnement formulée dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental est quasiment identique à celle du projet de loi. Sa définition doit s’appuyer sur l’égalité d’accès aux soins, sur une vision considérant que tout patient a besoin d’être accompagné quel que soit son état, afin d’éviter toute forme de stigmatisation ou d’exclusion.
Le constat partagé d’une insuffisance de moyens financiers et humains pour soutenir l’accompagnement doit conduire à une loi de programmation et à des plans pluriannuels de financement. Le Conseil s’est montré attentif à la tarification des soins palliatifs et d’accompagnement, qui doit être révisée. En outre, il nous paraît important d’associer les partenaires associatifs au processus d’accompagnement. Enfin, le Conseil n’a pas formulé de proposition précise concernant les maisons d’accompagnement. Cependant, leur faisabilité interroge au regard des besoins actuels. Ajouter une structure supplémentaire ne risque-t-il pas de mobiliser des financements nécessaires à d’autres structures ?
Mme Dominique Joseph. La rédaction de l’article 6, précisant les conditions d’accès à l’aide active à mourir, nous paraît faire peser un risque d’entrave sur l’effectivité de ce nouveau droit. En effet, la condition d’aptitude à manifester sa volonté de façon libre et éclairée exclut les situations de perte de conscience.
Les notions de court et moyen terme nous interpellent. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur le recours aux directives anticipées ainsi que sur la collégialité de la décision. Le Conseil propose que la demande d’accompagnement, y compris jusqu’à l’aide active à mourir, intervienne plus tôt, et non au moment où se pose la question du court ou du moyen terme. Par ailleurs, nous estimons que les conditions de nationalité et de résidence posées à l’article 6 devraient être interrogées.
Concernant les articles 7 à 15 sur la procédure d’aide à mourir, le Conseil économique, social et environnemental recommande d’informer le patient de ces dispositions dès l’annonce du diagnostic. Il s’inquiète également des mésinterprétations possibles de l’alinéa 2 de l’article 7, qui sembleraient conditionner l’aide à mourir au passage en soins palliatifs.
Le Conseil regrette l’absence d’évaluation de la loi de 2016. Il n’a produit aucune préconisation sur la commission de contrôle et d’évaluation. Cependant, il estime qu’une telle commission ne devrait pas être limitée aux professionnels de santé et comprendre, par exemple, des associations de patients.
La question des moyens financiers et humains est transversale à nos questionnements. Ce projet de loi doit fournir l’occasion d’un large débat sur le financement de la solidarité et de la santé. Un achoppement sur les soins d’accompagnement par manque de moyens financiers contreviendrait à son ambition.
Mme Cécile Rilhac (RE). Ma question s’adresse au Conseil économique, social et environnemental. Elle porte sur la distinction entre la rédaction des directives anticipées et la demande de l’aide active à mourir. Dans les cas où le patient n’est pas en mesure de réitérer ses volontés, pourrait-on demander à la personne de confiance de confirmer son souhait de recourir à l’aide active à mourir, afin que les directives anticipées soient respectées ?
J’aimerais par ailleurs demander à l’Académie de médecine son avis sur l’éligibilité des mineurs à l’aide à mourir.
Mme Anne Bergantz (Dem). Je m’interroge sur le délai de prescription fixé dans le projet de loi à trois mois. Il a pour but de laisser réinterroger régulièrement la volonté libre et éclairée du patient. Plusieurs personnes auditionnées ayant exprimé leur réticence à définir le moyen terme, cette durée de validité, que je considère courte, vous semble-t-elle adéquate ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Ma question s’adresse aux représentants de l’Académie nationale de médecine. Le projet de loi ouvre la voie à l’exercice de l’euthanasie sans conditions par un tiers. Que pensez-vous, sur le plan éthique, de cette disposition unique au monde ?
Ne serait-il pas plus simple de permettre la prescription médicale du suicide assisté sur la base du volontariat, plutôt que de mettre en place une clause de conscience ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Le Conseil économique, social et environnemental et l’Académie nationale de médecine ont insisté sur la notion de personne vulnérable. Selon vos critères, si une personne est considérée vulnérable, pensez-vous qu’elle ait la capacité d’exprimer une volonté libre et éclairée ?
Mme Annie Genevard (LR). Près de la moitié des malades atteints du cancer sont sujets à des symptômes dépressifs. Dès lors, estimez-vous nécessaire de recueillir l’avis d’un psychiatre au moment de la demande de suicide assisté ?
Madame Bergoignan-Esper a déclaré qu’une évolution législative ne saurait être envisagée sans qu’une offre de soins palliatifs soit accessible sur tout le territoire. Je suis troublée par l’idée qu’une bonne prise en charge de la solitude et de la souffrance entraîne un renoncement à l’aide à mourir. Iriez-vous jusqu’à conditionner l’accès à l’aide active à mourir à une prise en charge préalable par des soins palliatifs ?
Madame Joseph, dans ce projet de loi, le suicide assisté est ouvert aux personnes majeures protégées. Le statut de personne protégée suppose de ne pas jouir totalement de son libre arbitre. Dès lors, ne voyez-vous pas une contradiction avec la condition de l’expression de la volonté libre et éclairée qui restreint l’accès à l’aide active à mourir ?
M. Philippe Vigier (Dem). Étant donné que, aussi bien pour les soins palliatifs que pour l’aide à mourir, tout repose sur la qualité de l’accompagnement, j’aimerais vous entendre sur les maisons d’accompagnement.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Les directives anticipées peinent à trouver leur place dans le projet de loi. Madame Joseph, pourriez-vous préciser ce que vous entendiez en déclarant souhaiter que ces directives soient exprimées en amont ? J’aimerais également recueillir l’avis du professeur Bringer sur ce point.
M. Laurent Panifous (LIOT). Les articles 9 et 11 du projet de loi évoquent la présence du médecin ou de l’infirmier lors de la phase finale de la procédure. Professeur Bringer, j’aimerais avoir votre point de vue sur l’éventuelle présence du seul infirmier dans cette dernière étape.
M. Thomas Ménagé (RN). Le projet de loi contrevient au serment d’Hippocrate. Madame Bergoignan-Esper l’a souligné. Il suppose un changement profond de la profession de médecin. Dès lors, je m’interroge sur la nécessité de créer une nouvelle profession dédiée à la seule administration de la substance létale. Que pense l’Académie nationale de médecine de cette suggestion ?
L’avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental évoque la souffrance physique ou psychique insupportable. Le projet de loi évoque la souffrance psychologique. Pensez-vous ce terme pertinent ? Existe-t-il une différence sémantique réelle entre psychique et psychologique ?
Mme Nicole Dubré Chirat (RE). Prendre soin d’une personne peut-il aller jusqu’à l’accompagner dans la mort, en respectant les critères posés ?
Professeur Bringer, vous avez parlé d’une collégialité minimaliste. Or, j’aimerais souligner, pour avoir travaillé dans le secteur de réanimation, qu’il existe bien une collégialité instituée où les décisions sont soumises à l’expression majoritaire.
Enfin, je considère que la réitération d’une directive anticipée, qui risque d’être nécessaire à un moment où le patient n’en a plus la capacité, pose une difficulté. J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point.
M. Gilles Le Gendre (RE). Professeur Bringer, les positions de l’Académie de médecine sur l’aide active à mourir seraient-elles les mêmes si l’offre de soins palliatifs ne pouvait être développée à la hauteur des ambitions ?
M. Christophe Bentz (RN). Madame Bergoignan-Esper, vous avez déclaré que la loi de 2016 était mal connue et mal appliquée. Je partage ce point de vue. Vous avez dit qu’elle répondait à l’écrasante majorité des situations de court et de moyen terme. Dès lors, ne devrait-on pas engager des moyens dans les soins palliatifs et favoriser l’application de la loi en vigueur au lieu de légiférer sur le droit à l’euthanasie ou au suicide assisté ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Le Conseil économique, social et environnemental, par sa préconisation n° 13, invite à adapter les dispositions des codes existants. Pensez-vous que l’article 20 du projet de loi répond à cette demande ? Que proposez-vous de modifier dans le code civil, mentionné parmi les codes à faire évoluer ?
Mme Claudine Bergoignan-Esper. L’Académie nationale de médecine considère les lois en vigueur, bien qu’insuffisamment appliquées, bien adaptées aux situations à court terme. En revanche, monsieur Bentz, je n’ai jamais affirmé que l’Académie considère la loi actuelle convenir aux situations de moyen terme.
Lier une nouvelle législation sur la fin de vie à la mise en adéquation des soins palliatifs avec les besoins, notamment en matière d’égalité territoriale, représente un impératif majeur. Il est plusieurs fois exprimé dans notre avis. L’Académie considère que la garantie d’un accès aux soins palliatifs est un prérequis à l’aide à mourir. Il faut se montrer très vigilant sur ce point parce que la demande d’aide à mourir pourrait être interprétée comme l’expression d’un excès de souffrance ou d’un défaut d’accès aux soins palliatifs.
Concernant la modification des codes, il convient de procéder de manière progressive. Il est nécessaire, dans un premier temps, de s’accorder sur les dispositions à adopter et sur les conditions de leur application, et ensuite s’interroger sur d’éventuels changements à apporter. Ainsi, le code de déontologie n’est pas immuable. Il a d’ailleurs connu des modifications par le passé.
Mme Dominique Joseph. La rédaction des directives anticipées devrait, selon le Conseil économique, social et environnemental, intervenir le plus tôt possible, c’est-à-dire à l’annonce du diagnostic. Toutefois, ces directives anticipées ne doivent pas devenir le recueil de l’émotion du moment, mais plutôt le support de l’expression d’un libre choix qui peut être questionné, y compris quand la personne n’a plus conscience. Nous plaidons en faveur d’une simplification de la rédaction des directives anticipées.
L’avis du Conseil insiste sur le caractère opposable des soins palliatifs, et à ce titre nous souhaitons que le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie soit confirmé dans son rôle.
Nous estimons aussi qu’il convient d’intégrer la personne de confiance au processus, puisqu’elle est en mesure de rappeler l’existence de directives anticipées et de veiller au respect du choix du patient.
Mme Bergantz nous interpelle sur l’adéquation entre le délai de prescription de trois mois et le moyen terme. Le Conseil n’a pas de position ferme sur ce point. Nous nous interrogeons sur ces notions de court et de moyen terme, qui ne sauraient convenir à toutes les situations. Notre avis de 2023 insiste toutefois sur la nécessité que la loi ne prête à aucune interprétation.
Quant à la question de Mme Genevard sur le statut de majeur protégé, il nous semble nécessaire d’adopter la plus grande vigilance. Ce statut recouvre des situations de handicap psychique, mais aussi des situations sociales. Plus largement, la notion de vulnérabilité doit être intégrée à la réflexion au cas par cas. Au final, nous considérons qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre ce statut et le suicide assisté.
Pr Jacques Bringer. Une définition ferme du moyen terme présenterait certains avantages pratiques, mais elle ne correspondrait pas à la réalité des soins. À l’inverse, une définition plus souple suppose un débat collégial duquel un consensus peinera à émerger. Dès lors, aucune réponse ne saurait être pleinement satisfaisante.
J’estime que les psychiatres sont les grands oubliés du débat sur la fin de vie et de la rédaction de la loi, ce qui les froisse à juste titre. Le diagnostic de dépression accompagnant une maladie grave est très défaillant : l’obstination curative conduit les oncologues à ne reconnaître qu’un tiers des dépressions chez les personnes atteintes d’un cancer, et seulement 13 % des dépressions sévères pour lesquelles existent pourtant des traitements. Face à ce manque de dépistage, j’estime que la collégialité devrait intégrer les psychiatres.
Enfin, si l’Académie a rappelé la nécessité de l’accès aux soins palliatifs, la création d’unités de soins palliatifs ne se décrète pas. Elle requiert une culture affirmée et une éthique précise de la fin de vie. Si la loi brutalise les personnels des soins palliatifs, qui ont choisi une mission exceptionnelle et difficile, l’accompagnement en fin de vie y perdra grandement. C’est la raison pour laquelle il convient de valoriser leur rôle, et non de produire une loi ouvrant la voie à un choix individualiste débridé duquel ils seraient écartés. J’en appelle, à ce titre, à la nuance du législateur sur ces sujets si sensibles.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour la qualité de vos interventions.
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4. Table ronde avec les fédérations hospitalières (réunion du mardi 23 avril 2024 à 14 heures 30)
La commission spéciale auditionne, dans une table ronde réunissant les fédérations hospitalières, le Pr Bertrand Guidet, président du comité d’éthique, et M. Marc Bourquin, conseiller stratégie et responsable de l’articulation et de la coordination Parcours, proximité, autonomie et territoire de la Fédération hospitalière de France, Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles, et Mme Christine Schibler, déléguée générale de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France, M. Charles Guépratte, directeur général, et le Pr Olivier Guérin, conseiller médical de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires, Mme Sophie Beaupère, déléguée générale de la Fédération hospitalière des centres de lutte contre le cancer (Unicancer), ainsi que le Dr Élisabeth Hubert, présidente, et M. Mathurin Laurin, délégué national de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile ([5]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons pour cette table ronde les représentants des fédérations hospitalières.
Pr Bertrand Guidet, président du comité éthique de la Fédération hospitalière de France. Je suis porteur de deux messages sur les soins d’accompagnement. Le premier est qu’il faut absolument préserver la continuité de la prise en charge des malades, ce qui plaide en faveur de lits identifiés de soins palliatifs et des unités mobiles de soins palliatifs. Le second message est que les unités de soins palliatifs ne seront jamais en mesure de répondre à la demande sur le territoire national. C’est pourquoi il faut les structurer en réseau.
Concernant l’aide d’active à mourir, j’attire votre attention sur ses conditions de réalisation. Des difficultés concrètes peuvent survenir lors de l’administration du produit létal. Il convient de définir l’attitude que l’équipe soignante devra adopter en ces circonstances.
M. Marc Bourquin, conseiller stratégie et responsable de l’articulation et de la coordination Parcours, proximité, autonomie et territoire de la Fédération hospitalière de France. J’insiste sur l’importance de la stratégie décennale sur les soins palliatifs. Elle est certes nécessaire en raison des faiblesses dans l’accès aux soins palliatifs, mais surtout parce qu’il ne faut pas que germe dans le grand public l’idée que le projet de loi viendrait se substituer à une politique en la matière voire, pire encore, procurer des économies.
Nous devons développer une culture palliative dans les établissements de santé, mais aussi dans les établissements médico-sociaux où elle fait trop souvent l’objet d’un déni. Je pense en particulier aux structures pour personnes en situation de handicap, dont la population est vieillissante. Un tiers des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) n’a, à ce jour, pas de convention avec une unité mobile de soins palliatifs. Cette proportion est supérieure encore dans le champ du handicap. Ces enjeux requièrent une action du législateur afin d’organiser le travail des pouvoirs publics.
Enfin, nous devons veiller à ce que la gouvernance des soins d’accompagnement soit bien définie, aux niveaux national et surtout territorial, afin d’améliorer la coordination des services de soins palliatifs, notamment des unités mobiles.
Mme Christine Schibler, déléguée générale de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France. La Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP) représente 1 030 cliniques et hôpitaux privés, soit 160 000 salariés et 40 000 médecins libéraux. Nous répondons à 23 % des besoins de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Notre rôle est donc significatif. Le contexte est extrêmement difficile car les décisions tarifaires récentes nous pénalisent considérablement. C’est la raison pour laquelle la FHP et six syndicats de médecins libéraux ont décidé d’une mobilisation à compter du 3 juin.
Les soins palliatifs ne font l’objet ni d’autorisation, ni d’appels à projets. Ceci nuit au développement de notre offre, stable depuis dix ans. À ce frein s’ajoutent des difficultés récurrentes de ressources humaines et une instabilité des financements. La notion de soins d’accompagnement, formulée dans le projet de loi, représente une évolution intéressante puisqu’elle renvoie à une approche holistique de la prise en charge, combinant les soins de support et deconfort. Développer la prise en charge à domicile, lever les cloisonnements entre les mondes de la santé et médico-social, constituent deux autres leviers à actionner.
Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France. Nous souscrivons à l’article 4 du projet de loi, qui améliore la formulation par anticipation des souhaits de prise en charge médicale. La Fédération s’était exprimée en faveur de la possibilité d’enregistrer ses directives anticipées dans l’espace numérique de santé. En outre, nous estimons que la notion de discussion anticipée est plus fructueuse que celle de directive anticipée, à laquelle il est faiblement recouru. Or, il est crucial que les patients s’approprient leurs droits. Les principes d’accompagnement et de projet personnalisé que porte le projet de loi doivent y contribuer, comme l’implication de la communauté médicale, des associations d’aidants et des bénévoles. Nous déplorons un grand déficit de données sur la fin de vie. Le combler favoriserait une compréhension plus fine de ce qui motive les demandes des patients.
La terminologie de la loi se doit d’être claire, en particulier la distinction entre suicide assisté, aide active à mourir et euthanasie. Cette clarté lèvera les ambiguïtés pour une acculturation du modèle français à la notion d’aide active à mourir. Les conditions cumulatives d’accès à celle-ci semblent ainsi clairement définies. Elles posent des garde-fous éthiques indispensables qui doivent être sanctuarisés, notamment l’équilibre de la collégialité, la clause de conscience et le registre de professionnels volontaires.
Les inquiétudes des professionnels de santé doivent être entendues. Des soignants engagés dans les soins palliatifs considèrent l’aide à mourir comme une négation de leur accompagnement. La loi ne pas doit laisser transparaître l’idée d’un continuum entre les soins d’accompagnement et l’aide à mourir. Celle-ci, la ministre de la santé l’a rappelé, doit relever de l’exception, lorsque les dispositions de la loi Claeys-Leonetti ne suffisent plus.
M. Charles Guépratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires. Notre fédération rassemble près de 6 000 adhérents dans les domaines sanitaire, médico‑social et social. Elle s’est fait une spécialité d’accompagner les personnes fragiles. Nous saluons le travail d’approfondissement de la législation existante, qui étend la notion de soins palliatifs à une logique plus holistique, et qui précise le régime des directives anticipées.
La Fédération soutient résolument la création des maisons d’accompagnement. Cette offre intermédiaire étoffera une stratégie globale de soins palliatifs et de soins d’accompagnement. Elle doit s’inscrire dans une logique de renforcement des modalités existantes.
Nous avons choisi de ne pas nous prononcer sur le concept d’aide active à mourir. Toutefois, cette question de société nous interroge sur les modalités de son application.
Pr Olivier Guérin, conseiller médical de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires. Président du Conseil national professionnel de gériatrie, j’interviens ici en tant que conseiller médical de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires. De mes échanges avec mes collègues sur le projet de loi, il ressort que le premier élément d’inquiétude concerne la définition complexe du moyen terme.
Le deuxième élément d’inquiétude se rapporte au lieu même de l’Ehpad. En raison de la dimension collective de la vie en ce lieu, il paraît certain que le choix d’un résident de recourir à une aide active à mourir sur place impactera de manière violente l’ensemble de la communauté. C’est pourquoi nous souhaitons, dans le dispositif de l’aide à mourir, une exclusion de pratique dans les murs des Ehpad. De même, il faut réfléchir à l’idée d’une clause de conscience collective à l’échelle d’une équipe de soins, bien que sa mise en œuvre promette d’être difficile.
L’intercession d’un volontaire dans l’aide active à mourir est une innovation qui soulève de nombreuses questions, en particulier sur son impact émotionnel. La capacité de suivi psychologique de ces volontaires devra être au rendez-vous.
Mme Sophie Beaupère, déléguée générale de la Fédération hospitalière des centres de lutte contre le cancer (Unicancer). Nous saluons l’ambition du projet de loi en matière d’accompagnement de la fin de vie. La notion de soin accompagnement, très large, devra distinguer les soins de support des soins palliatifs afin de mieux les anticiper. À cet égard, il serait important d’inscrire systématiquement au dossier hospitalier qu’une proposition de soins palliatifs et de soins de support anticipés a été formulée.
Développer la coordination des soins palliatifs dans les territoires est fondamental afin de s’appuyer sur des structures comme les centres de lutte contre le cancer, qui possèdent une culture palliative et de l’anticipation. Développer une filière universitaire contribuerait aussi à la recherche en soins palliatifs.
Les médecins des centres de lutte contre le cancer sont, à l’image de leurs confrères, préoccupés par la question du moyen terme. Deux populations différentes de patients existent en cancérologie. D’une part, il existe des malades dont l’état général n’autorisera pas une nouvelle ligne thérapeutique du fait de leur fragilité. Mais d’autre part, des patients porteurs de cancer en deuxième ligne de traitement présentent une espérance de vie médiane de six à douze mois. Pour une fraction de cette seconde catégorie, les progrès thérapeutiques permettent d’envisager une survie prolongée. Dès lors, cette distinction doit être prise en compte par le législateur.
Dr Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile. Nous réunissons la quasi-totalité des établissements d’hospitalisation à domicile (HAD), soit 282 structures. En 2023, ils ont accueilli 300 000 séjours au bénéfice de 165 000 patients. Durant la crise du covid‑19, le nombre de séjours en soins palliatifs a crû de 30 %, et cette croissance était de 10 % entre 2022 et 2023. Les établissements d’hospitalisation à domicile sont présents sur tout le territoire, y compris dans les vingt départements dépourvus d’unités de soins palliatifs.
Le premier volet du projet de loi inclut les soins palliatifs dans l’ensemble plus large des soins d’accompagnement. Les soins palliatifs ont une définition précise et, à l’heure où s’exprime la volonté de les développer, il semble contradictoire de les occulter au profit des notions vagues de soutien et d’assistance. La nécessité de prise en compte précoce de l’enjeu palliatif semble acquise, et la Fédération espère que ses établissements, qui à ce jour ne peuvent intervenir dans cette phase précoce pour des raisons de tarification et de codification, pourront demain s’intégrer dans le processus.
Les maisons d’accompagnement représentent un heureux complément à l’offre hospitalière et une alternative bienvenue à une fin de vie au domicile pas toujours possible. Les initiatives existantes devront être intégrées à leur déploiement. Par ailleurs, nous souhaitons une distinction claire entre répit et aide à mourir : ces maisons d’accompagnement ne sauraient devenir des lieux privilégiés de l’aide à mourir. Le financement annoncé semble aussi en décalage avec les moyens nécessaires. Enfin, les plans personnalisés de fin de vie sont une excellente initiative. La vigilance s’imposera sur la formation des professionnels amenés à les établir, et sur la disponibilité des soignants que requiert cette approche dans un contexte de pénurie.
En résumé, nous nous demandons en quoi ces articles sur les soins palliatifs permettront de faire mieux. Ainsi que le Conseil d’État l’a noté, le projet de loi est dépourvu de dispositions budgétaires. Depuis 2018, plusieurs plans de soins palliatifs, dont le contenu satisfaisait les professionnels, n’ont pas trouvé de traduction concrète faute de moyens.
Concernant l’aide à mourir, j’aimerais faire une remarque sémantique. Le Conseil d’État a indiqué dans son avis que le projet de loi « a pour objet principal de créer une aide à mourir, entendue comme la légalisation sous certaines conditions de l’assistance au suicide et de l’euthanasie à la demande de la personne ». Pourquoi ne pas utiliser ces mots ?
Les conditions d’accès à cette aide à mourir sont strictes. Mais les exemples étrangers montrent qu’il ne faut guère d’années avant qu’elles soient assouplies. Par ailleurs, la collégialité requise pour la prise de décision n’est pas au rendez-vous : le texte décrit un simple recueil d’un avis, débouchant sur la notification de la décision par le seul médecin sollicité par le malade. Enfin, concernant la clause de conscience, que ferons-nous dans les établissements d’hospitalisation à domicile si tous les professionnels refusent d’être associés à l’aide active à mourir ?
Madame la présidente, vous avez déclaré dans un entretien récent que le projet de loi avait été co-construit avec les soignants. Je suis sûre que vous aurez à cœur de préciser : « des » soignants, non « les » soignants.
Lorsque le Président de la République a cité l’exemple d’un malade amené à se rendre à l’étranger pour être accompagné dans sa fin de vie, il a blessé de nombreux soignants tant cette situation est loin de la réalité. Nos concitoyens craignent de mal mourir, de souffrir. Intervenant nuit et jour auprès de patients fragiles, les soignants constatent qu’ils sont encore capables d’éprouver des joies, de faire des projets. Parfois, le vœu d’en finir est prononcé mais il s’agit souvent d’un appel au secours face à la solitude, l’indifférence et la peur. Ces malades demandent de l’empathie. La demande d’euthanasie est rarissime. Comment la confiance de nos patients ne serait-elle pas amoindrie si, au même titre que nous administrons des thérapeutiques, nous étions conduits à injecter un produit létal ? Cette démarche va à l’encontre de notre déontologie.
Le droit à mourir avec une assistance médicale serait l’ultime espace de liberté et de dignité. Mais en quoi la maladie est-elle source d’indignité ? Ce dispositif laisse craindre qu’il soit reproché à des personnes âgées, handicapées ou malades de ne pas en avoir fait usage. Pour ces raisons, la Fédération est défavorable au volet du projet de loi sur cette aide à mourir. Elle estime la France déjà dotée d’instruments législatifs permettant de répondre aux demandes de patients engagés dans un processus irrémédiable de fin de vie.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Ma fonction de présidente, docteur Hubert, m’interdit de livrer mes opinions. Mais puisque vous m’interpellez à propos de travaux antérieurs, j’aimerais répondre. Ce n’est pas parce que ces travaux n’ont pas abouti aux conclusions que vous souhaitiez que vous n’y avez pas été associée. La politique suppose des choix. Ces choix, parfaitement assumés, ont abouti au projet de loi discuté aujourd’hui.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Docteur Hubert, vous déplorez que la co-construction du projet de loi ait concerné des soignants, et non pas les soignants. Votre fédération incarne-t-elle la conscience collective de tous les soignants ?
Je suis absolument hostile, professeur Guérin, à l’idée d’une clause de conscience collective à l’échelle d’une équipe de soins, qui remettrait en cause le principe de la clause individuelle. Par ailleurs, lorsque vous vous prononcez en faveur d’une exclusion des Ehpad en tant que lieu de pratique de l’aide à mourir, j’espère que vous ne sous-entendez pas une clause de conscience d’établissement. Les murs n’ont pas de conscience. Ce serait considérer que vivre en Ehpad n’est pas vivre à domicile, et qu’une personne éligible à l’aide à mourir devrait être envoyée à l’hôpital sans pouvoir mourir chez elle.
M. Didier Martin, rapporteur. Professeur Guidet, vous avez évoqué la question de la gouvernance territoriale et du travail en réseau. Avez-vous des préconisations à formuler ?
J’aimerais savoir ce que propose la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France pour coconstruire le projet personnalisé d’accompagnement. Considérez-vous que l’aide à mourir peut relever de l’activité privée avec éventuel dépassement d’honoraires ?
Enfin, docteur Hubert, pourriez-vous préciser les conditions à remplir, selon vous, pour garantir le fonctionnement des maisons d’accompagnement ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. J’aimerais recueillir l’avis du professeur Guérin quant à la place des médecins coordonnateurs et des équipes soignantes dans les établissements médico-sociaux, y compris dans les établissements de prise en charge de personnes handicapées. Par ailleurs, pourriez-vous préciser la manière dont vous appréhendez l’accompagnement, le soutien et la formation des volontaires dont vous avez parlé ?
Madame Beaupère, pourriez-vous développer votre point de vue sur la question du court et du moyen terme ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. J’aimerais revenir sur la remarque du professeur Guérin à propos de la violence d’une pratique de l’aide à mourir au sein des Ehpad. Quitter son Ehpad, c’est-à-dire son domicile, pour vivre ailleurs ses derniers jours, n’est-ce pas une grande violence pour les résidents comme pour les soignants ?
Docteur Hubert, informer le patient, en cas de grande souffrance, qu’il dispose du droit de recourir à la loi Claeys-Leonetti, ne représente-t-il pas pour lui une forme de soulagement ?
Pr Olivier Guérin. L’Ehpad est un lieu de vie et un domicile. Cependant, ainsi que je l’ai écrit dans un rapport avec Claude Jeandel à la demande du ministère de la santé, l’Ehpad est devenu de fait un lieu de soins, c’est-à-dire un domicile très particulier. Connaissant bien le fonctionnement interne d’un tel établissement au quotidien, il me semble délicat d’imaginer y pratiquer l’aide active à mourir. La très grande majorité des résidents appréhende la perspective de la mort avec anxiété.
Le rôle du médecin coordonnateur au sein d’un Ehpad me paraît difficile à distinguer de celui de la communauté soignante et accompagnante dans son ensemble. Quant à son rôle dans l’aide active à mourir, il serait préjudiciable à mon sens qu’il soit désigné pour formuler un second avis. Il n’a pas pour mission d’assurer un suivi des soins du patient.
L’enjeu de ma proposition de clause de conscience collective est de constituer des équipes de soins cohérentes et fédérées autour d’un choix commun. C’est important au moment où nous rencontrons des difficultés de recrutement, où le sens du métier est interrogé.
Dr Élisabeth Hubert. Parmi les initiatives existantes auxquelles j’ai fait référence, je citerai, par exemple, la Maison de Nicodème, à Nantes, qui répond à une partie de l’enjeu d’accompagnement.
Pratiquer l’aide active à mourir au sein des maisons d’accompagnement nous placerait au-devant de grandes difficultés, en particulier pour les personnes qui ne sont pas engagées dans ce processus. Je rejoins, sur ce point, le professeur Guérin. J’ajoute que ce serait dévoyer ce beau projet de maison d’accompagnement.
La porosité entre l’aide à mourir et les démarches d’accompagnement de fin de vie ouvre sur cette inconnue qu’est la définition du moyen terme. Jusqu’à ce que nous instituions des formations sur la loi Claeys-Leonetti, j’ai constaté la grande ignorance de professionnels pourtant avertis en matière de soins palliatifs quant à ce que recouvre la sédation profonde et continue, et ce qu’elle requiert en termes d’accompagnement. Dès lors, je considère qu’il y a une forme d’inachèvement dans l’application de cette loi. Rien n’a été mis en place afin que les professionnels se l’approprient, ce que je regrette.
Enfin, pour répondre au rapporteur général, je n’ignore pas qu’une concertation a eu lieu. Mais je ne confonds pas concertation et coconstruction.
M. Marc Bourquin. La gouvernance territoriale relève de la stratégie décennale sur les soins palliatifs. Il reviendra à l’agence régionale de santé de réunir un comité de pilotage en y associant les représentants des usagers et des familles, et rendant compte régulièrement du déploiement de la stratégie. La question du niveau et surtout du mode de financement des unités mobiles devra être posée dans ce cadre.
La Fédération hospitalière de France, en tant qu’institution, ne souhaite pas prendre position sur l’aide active à mourir. Si celle-ci devait être autorisée, il appartiendrait aux professionnels exerçant en Ehpad d’accompagner les personnes dans leurs choix, y compris celui de mourir. Il conviendra d’intégrer cette possibilité à la culture palliative afin de donner droit à la demande légitime de la personne, sans la contraindre à se rendre dans un autre lieu.
Pr Bertrand Guidet. Un maillage territorial des soins palliatifs est indispensable. Il reviendra aux agences régionales de santé de l’organiser. Les unités de soins palliatifs pourraient en être les pivots avec des actions de formation et de coordination des unités mobiles, dont la Fédération hospitalière de France souhaite le renforcement.
Je ne saurais définir ce qu’est le moyen terme. Au mieux pourrais-je dire ce qu’il n’est pas : du court terme. Le court terme, on le rencontre en service de réanimation où environ un décès sur deux est précédé d’une décision de limitation ou d’arrêt de traitement. Définir fermement le moyen terme semble impossible, faut de critère solide. En revanche, je perçois la complémentarité du projet de loi avec la loi Claeys-Leonetti.
J’insiste à nouveau sur la nécessité d’une continuité de la prise en charge afin d’éviter la situation dans laquelle le patient, accueilli durant des années, est envoyé en unité de soins palliatifs. C’est la raison pour laquelle je suis favorable au maintien des malades dans leur établissement à condition qu’il dispose des moyens nécessaires à une activité palliative.
Mme Sophie Beaupère. Je partage les propos du professeur Guidet sur la nécessité d’un maillage territorial. Procéder à des appels à projets transparents est tout aussi important, parce que de nombreuses équipes peinent à voir leurs projets soutenus au niveau régional.
La question du moyen terme, cela a été rappelé, est insoluble. Il nous paraît important qu’elle soit appréhendée de manière collégiale et pluridisciplinaire, compte tenu de la complexité des situations.
Certains professionnels exerçant en centre de lutte contre le cancer feront jouer leur clause de conscience. Dès lors, appliquer la loi ne sera pas chose simple. Les établissements devront être accompagnés, dans un contexte de ressources humaines tendu. À ce titre, j’insiste à nouveau sur l’importance d’une filière universitaire dédiée aux soins palliatifs.
Par ailleurs, il semble essentiel de prendre en compte la situation des aidants et de leur proposer un soutien psychologique et social. Certains projets sur ce thème sont actuellement élaborés dans les centres de lutte contre le cancer.
Enfin, j’attire votre attention sur la tarification dans la stratégie décennale. La question se pose au regard du coût réel du travail de coordination ; la tarification ne permet pas d’identifier et de tracer l’activité de soins palliatifs.
Mme Béatrice Noëllec. Instituer une garantie solide de la clause de conscience individuelle des médecins, et des conditions cumulatives robustes d’accès à l’aide à mourir, donnerait un cadre rassurant et propice au changement de paradigme porté par la loi.
Je souligne l’importance de la fluidité du parcours en matière de projet personnalisé. Elle requiert deux conditions : la formation des professionnels de santé et l’appropriation par les citoyens de leurs droits individuels et collectifs.
Enfin, j’estime la validité d’une nouveauté éthique et sociétale à l’aune de son impact sur les plus vulnérables. Les débats doivent se dérouler sous cet angle.
Mme Natalia Pouzyreff (RE). Qu’est-ce qui, selon vous, devrait évoluer dans les dispositifs existants pour favoriser le plan personnalisé d’accompagnement ? Je pense aux dispositifs d’appui à la coordination qui, à mon sens, ne sont pas assez déclinés et demeurent mal connus des patients.
Mme Marie-France Lorho (RN). Je m’interroge sur l’opportunité d’une évolution législative sur le suicide assisté pour les personnels hospitaliers, au sein desquels l’étude Amadeus de 2023 a mesuré le taux alarmant de dépressions. Dans un tel contexte, jugez-vous opportun de leur accorder la prérogative d’administrer une substance létale à des patients ?
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). La Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France a déploré un manque de données concernant la fin de vie. Quel type de données fait défaut, selon vous ?
La stratégie décennale sur les soins palliatifs prévoit une discussion sur un nouveau modèle de financement. Quelle modalité de financement vous paraît la plus pertinente pour assurer la pérennité et la sûreté des moyens des soins palliatifs ?
M. Philippe Juvin (LR). J’aimerais rappeler que la clause de conscience collective existe et qu’elle peut concerner un établissement. Ainsi, l’article L. 2212‑8 du code de la santé publique précise qu’un « établissement privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soit pratiquées dans ses locaux ». Est-ce ce type de clause de conscience auquel vous faites référence, professeur Guérin ?
Professeur Guidet, en tant que médecin réanimateur, pourriez-vous expliquer comment, en pratique, est prise une décision collégiale d’arrêt de traitement ?
La fin de vie coûte très cher, en particulier en réanimation. Au Canada, l’aide active à mourir aurait fait économiser environ 80 millions de dollars au système de santé en 2022. La Fédération hospitalière de France dispose-t-elle d’études médico-économiques sur le coût des derniers jours de vie en France ?
M. Philippe Vigier (Dem). J’ai entendu ce que le professeur Guérin a dit à propos des problèmes qui se poseraient en Ehpad, tant pour les personnels que pour les patients, si un résident demandait l’aide active à mourir. Des drames absolus se sont produits dans les Ehpad lors de l’épidémie de covid‑19. L’éthique n’a pas toujours été au rendez-vous, du moins les familles l’ont-elles ressenti ainsi. À l’aune de cette expérience, quelles sont les voies d’amélioration ?
M. Jean-Pierre Pont (RE). Professeur Guidet, incluez-vous le secteur privé au travail commun et au maillage territorial dont vous avez souligné la nécessité ?
Selon moi, le projet de loi sur la fin de vie répond aux situations liées à la maladie, non au grand âge. Or, nous parlons des Ehpad, qui sont pour moi des lieux de vie où l’on termine paisiblement ses jours. Lier fin de vie et Ehpad me semble équivoque.
M. Julien Odoul (RN). Nous sommes confrontés à un problème de sémantique générale. On ne veut pas parler d’euthanasie ni de suicide assisté. On refuse de considérer la dimension collective de la vie en Ehpad, comme l’a rappelé le professeur Guérin, qui a aussi précisé que ces Ehpad sont avant tout des établissements médico-sociaux. L’absence de frontière étanche entre les lieux de soins et les lieux dans lesquels on accompagne jusqu’au bout de la vie sème le trouble, tant pour les familles que pour les soignants.
M. Jérôme Guedj (SOC). Un rapport de la Cour des comptes a pointé l’an dernier l’insuffisance des soins palliatifs en Ehpad. Or, si l’Ehpad est un lieu de vie, il peut également être un lieu de fin de vie, où l’on souffre de douleurs réfractaires. Nous devons avancer concomitamment sur les enjeux des soins palliatifs et de la fin de vie. Dès lors, les Ehpad, au regard de la culture palliative de ses personnels, ne pourraient-ils intégrer pour partie le projet de déploiement des maisons d’accompagnement ?
Mme Brigitte Liso (RE). Professeur Guérin, vous avez rappelé qu’un soignant devait se tenir à proximité du lieu où est administrée la dose létale. Ce terme de proximité a paru vous gêner. Comment faudrait-il procéder selon vous ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Que pensez-vous de la possibilité offerte par le projet de loi aux professionnels de santé de pratiquer le suicide assisté et l’euthanasie en milieu hospitalier ?
Pensez-vous que la création des maisons d’accompagnement, comme le prévoit le rapport Chauvin, répondra aux besoins ?
Enfin, la prescription du produit létal et l’euthanasie pratiquée par un médecin sont-ils pour vous des actes médicaux entrant dans la nomenclature générale des actes professionnels ? Si oui, pourquoi n’ont-ils pas une base légale dans le code de la santé publique ?
M. Jean-François Rousset (RE). Je voudrais recentrer le débat sur les malades et vous soumettre un cas concret. Face à un patient qui souffre, pour lequel les traitements ne sont plus efficaces, que faites-vous ? Je pose la question en tant que médecin. Quand on fait appel à notre humanité, peut-on affirmer, de façon péremptoire, que l’on ne reçoit pas cet appel parce que c’est difficile à organiser, parce que cela réclame une délibération collégiale ?
Pr Bertrand Guidet. Il convient de dissocier l’instruction de la demande de sa réalisation. L’instruction se déroule sous un angle médical. Le caractère médicalisé de la réalisation est discutable, néanmoins cette réalisation suppose de disposer d’un plan B.
En réanimation, les professionnels cherchent un accord global, pas toujours synonyme de consensus, avant d’aborder le sujet auprès des proches du patient. Le projet de loi assure une certaine collégialité bien que des complications soient toujours possibles, par exemple dans le cas de pathologie psychiatrique. En outre, la question des délais devra être examinée puisque l’expert qui éclairera la décision doit être mobilisable dans les quatorze jours, ce qui me semble risqué.
Le projet de loi semble manquer de précision quant au rôle de l’équipe mobilisable dans le cas où l’administration de la substance létale par le malade rencontre une difficulté.
On peut imaginer que les modalités de financement des soins palliatifs comprennent une partie forfaitaire et une partie à l’activité, dans des proportions respectives certes difficiles à déterminer.
Sur l’aspect médico-économique, il est évident que la prise en charge lourde des dernières semaines de vie représente un impact financier. Cependant, il faut absolument se garder d’introduire de telles considérations financières dans la réflexion.
M. Marc Bourquin. Je partage ces propos. J’ajoute que les chiffres de l’étude canadienne citée par le député Juvin sont dérisoires rapportés aux dépenses de santé globales.
Un immense effort est à fournir pour que les unités mobiles puissent répondre à la demande des Ehpad. Le développement d’une culture palliative suppose également que les Ehpad accroissent cette demande. Ce sont des structures médico-sociales, qui doivent être au cœur de la stratégie décennale.
Mme Béatrice Noëllec. Si la pratique des directives anticipées était largement répandue, leur recueil anonymisé fournirait de précieux renseignements sur ce qui motive les choix relatifs à la fin de vie.
Pr Olivier Guérin. La clause de conscience collective portée par la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires n’est pas une clause de conscience d’établissement, comme celle évoquée par le député Juvin. Elle s’organise à l’échelle d’une équipe de soins afin de surmonter d’éventuelles dissensions difficiles à gérer dans l’état actuel du fonctionnement des établissements.
Il me semble nécessaire, d’une part de mieux médicaliser les Ehpad parce qu’ils ne sauraient être un lieu de vie si on n’y est pas soigné, et d’autre part de laisser entrer dans ses murs des compétences externes en complément de la montée en compétences internes. Si des progrès sont accomplis sur ces deux points, l’aide à mourir sera envisageable en Ehpad. Mais elle ne saurait être pratiquée dans les chambres : on entre dans ces établissements pour y accomplir un projet de vie.
Dr Élisabeth Hubert. Les dispositifs d’appui à la coordination, à ce jour, ne sont pas effectifs sur l’ensemble du territoire. Leur amélioration se rapporte à une question de gouvernance territoriale. Il revient aux agences régionales de santé de s’emparer de ce sujet.
L’application de la loi en établissement d’hospitalisation à domicile, c’est-à-dire en établissement de santé puisque l’hospitalisation à domicile jouit de ce statut, pose une grave question. Lorsque la capacité de prise en charge d’un établissement est réduite et que l’équipe est composée d’un médecin et de quelques infirmiers, que faites-vous si ces professionnels refusent l’aide active à mourir ? Bien entendu, le patient ne sera pas abandonné. Mais que fait-on s’il demande à mourir et que l’équipe se refuse à pratiquer l’acte ?
Mme Sophie Beaupère. Le bilan des dispositifs d’appui à la coordination est variable d’une région à l’autre. Le maillage territorial repose surtout sur la capacité des équipes mobiles de soins palliatifs à se projeter au niveau régional.
L’un des enjeux du financement des soins palliatifs est la mise en cohérence de la valorisation et des coûts réels de l’activité. À ce titre, je rejoins la position de la Fédération hospitalière de France sur l’intérêt d’un mélange entre financement à l’activité et financement forfaitaire.
Enfin, je voudrais souligner l’importance de l’accompagnement et de la formation des professionnels en vue de l’application de la loi.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour vos interventions.
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5. Table ronde avec les acteurs du soin à domicile (réunion du mardi 23 avril 2024 à 16 heures 30)
La commission spéciale auditionne, dans une table ronde avec les acteurs du soin à domicile, M. Jean-Marc Venard, vice-président, et le Dr Éric Kariger, président de la commission médiale et soins du Syndicat national des établissements, résidences et services d’aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa), M. Didier Pagel, président de la commission Soins, et Mme Anne Richard, responsable Affaires publiques et médico-social de la Fédération française de services à la personne et de proximité (Fedesap), Mme Laure Hubidos, présidente du Collectif national des maisons de vie, Mme Françoise Ellien, directrice de l’Équipe mobile de soins palliatifs de l’Essonne (SPES), et M. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) ([6]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons pour cette table ronde les acteurs du domicile, que nous souhaitons entendre en particulier sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), sur les maisons d’accompagnement, qui apparaissent dans le projet de loi et suscitent beaucoup de questions, ainsi que sur les services à la personne et de proximité.
Mme Laure Hubidos, présidente du Collectif national des maisons de vie. Je tiens en premier lieu à vous faire part de mon émotion. Être entendue aujourd’hui représente, pour moi, l’aboutissement de vingt ans de batailles et d’engagement citoyen. J’aimerais également remercier Mme Firmin Le Bodo pour le travail effectué l’an dernier, et l’attention qu’elle et son cabinet ont portée à la question des maisons de vie.
Il y a vingt ans, j’ai eu l’idée de créer un lieu alternatif entre l’hôpital et le domicile, forte de mon expérience de bénévole en unité de soins palliatifs et à domicile. Ainsi sont nées les maisons de vie, qui ont vocation à combler un manque entre l’hôpital et le domicile, en particulier pour les personnes contraintes à des allers-retours entre le domicile et les unités de soins palliatifs, et permettre aux personnes de vivre ce qu’elles ont à vivre jusqu’au bout.
N’étant pas issue du milieu médical, je me suis investie dans ce projet en tant que citoyenne et dans le prolongement de mon engagement de bénévole d’accompagnement. La première maison de vie a ouvert ses portes à Besançon en 2011, après huit années d’un travail mené avec l’agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté, le département du Doubs puis le ministère de la santé, puisque cette ouverture intégrait une expérimentation nationale dans le cadre d’un plan national sur les soins palliatifs. Cette structure unique en son genre, puisque ne relevant ni du sanitaire, ni du médico-social, a rencontré toutes les difficultés que rencontrent les structures hybrides. Elle était avant tout dédiée à l’accompagnement humain et social.
Les maisons de vie présentent de nombreuses similitudes avec les maisons d’accompagnement telles qu’elles sont décrites dans le projet de loi. Les personnes qu’elles reçoivent sont accompagnées jusqu’à leur décès, ou le temps de séjours de répit, avec la possibilité de retourner à leur domicile puis de revenir à la maison de vie afin d’y terminer leurs jours. Le rôle des bénévoles est crucial dans les maisons de vie, il relève de l’accompagnement, mais aussi des activités et des services, permettant aux personnes de réaliser leurs envies.
Les maisons de vie offrent une solution d’aval, en réponse à l’engorgement des services hospitaliers, aggravé par la tarification à l’activité. Elles répondent également à la difficulté de la fin de vie à domicile, dans les cas d’isolement de la personne ou pour faire face à l’épuisement des familles. Ces structures s’inscrivent en complémentarité de l’offre de soins, à l’hôpital et à domicile.
M. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées. L’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD‑PA) rassemble deux mille directeurs d’établissements et de services à domicile, publics, associatifs ou commerciaux. Je signale d’emblée que l’AD-PA a décidé de ne pas prendre position sur le débat qui nous occupe aujourd’hui. L’association n’est ni pour, ni contre l’aide à mourir, d’une part parce qu’elle estime que ce débat relève de la conscience personnelle, d’autre part parce qu’elle rassemble des adhérents aux convictions très opposées sur ce sujet, ce qui fait d’ailleurs sa richesse. Cependant, si le projet de loi sur l’aide à mourir devait être adopté, l’AD-PA fera valoir son attachement au principe de la clause de conscience des professionnels.
Nos sociétés occidentales sont profondément âgistes, et les discriminations sur l’âge y jouissent d’une impunité telle que dénoncer l’âgisme passe pour une anomalie. Je considère qu’il est important de garder en tête cette réalité sociétale dans un débat sur l’aide à mourir.
Les partisans et les opposants à l’aide à mourir ont en commun de souhaiter un développement des soins palliatifs, et il s’agit là de la première de nos préoccupations. Le Gouvernement a fait des promesses sur ce sujet, mais nous restons très attentifs quant à leur concrétisation. Je rappelle, pour terminer, que 70 % des personnes qui décèdent en France ont plus de 70 ans.
Mme Françoise Ellien, directrice de l’Équipe mobile de soins palliatifs de l’Essonne. Nous avons créé en Essonne l’un des dix premiers réseaux de soins palliatifs rendus possibles par la loi Kouchner de 2002, et qui aujourd’hui s’appellent les équipes mobiles de soins palliatifs territoriaux. Ces équipes pluridisciplinaires, dont le nombre s’élève à plus de 460 en France, interviennent à domicile et dans tous les lieux de vie, qu’ils relèvent du médico-social ou du social. Elles travaillent pour tous les âges de la vie, et pour tous types de pathologies.
La baisse de la durée moyenne des séjours à l’hôpital nous met face à cette réalité : certains patients, même atteints d’un cancer ou d’une maladie neurologique dégénérative, ne passent pas une seule nuit à l’hôpital au cours de leur parcours de santé. Autrement dit, ils sont à domicile, c’est-à-dire dans un lieu qui ne peut assurer une sécurité et une qualité des soins qu’à la condition de bénéficier de la présence d’acteurs du domicile suffisamment rémunérés au regard de leur mission.
Hors de l’hôpital, l’empilement et la complexité des dispositifs entraînent une confusion extraordinaire. Les dispositifs innovants se sont multipliés. Mais pour quels bénéfices ? Quelle évaluation a-t-on faite de la multitude de ces dispositifs ? À mon sens, il est temps de proposer, du moins sur la fin de vie et les soins palliatifs, des filières claires et facilement actionnables, et de garantir un accès aux soins pour tous, quel que soit son territoire.
Penser la question de la fin de vie en termes binaires est le meilleur moyen de ne jamais obtenir de réponses, ni de développer une pensée humaine et solidaire. Répondre à des souffrances complexes suppose de ne pas préjuger de ce qui est bon pour l’autre.
Mme Anne Richard, responsable Affaires publiques et médico-social de la Fédération française de services à la personne et de proximité. La Fédération française de services à la personne et de proximité (Fédésap) compte 4 000 adhérents, dont 3 200 services autonomie à domicile, qui accompagnent 670 000 personnes et familles, avec 160 000 aides à domicile. L’accompagnement et la fin de vie sont naturellement au cœur des préoccupations de nos dix-huit commissions thématiques.
M. Didier Pagel, président de la commission Soins de la Fédération française de services à la personne et de proximité. En 2023, 23 % des décès sont survenus au domicile. Si ces décès sont de plus en plus souvent accompagnés par des unités de soins palliatifs, ce dont il faut se réjouir, un certain nombre surviennent de manière inattendue. Les aides à domicile sont les plus présents lors de ces décès, et pourtant les moins formés aux problématiques de la fin de vie. Certes, des formations existent, y compris au sein des unités de soins palliatifs, mais elles sont destinées avant tout aux soignants. Nos sociétés ont délégué la fin de vie à la médecine, et l’approche médico-centrée prévaut souvent sur l’accompagnement humain.
Il nous paraît indispensable d’accompagner les aidants, y compris après le décès. En effet, lorsque survient un décès, s’ajoute au deuil la difficulté de faire face, du jour au lendemain, à l’arrêt complet de l’ensemble des services. J’aimerais attirer votre attention sur cette situation où l’aidant se retrouve dans un salon, avec le lit médicalisé, les couches, les alèses, etc., et que vous imaginiez son sentiment de solitude. L’accompagnement des aidants est indispensable, et nos services sont en mesure de répondre à ce besoin.
M. Jean Marc Venard, vice-président du Syndicat national des établissements, résidences et services d’aide à domicile privés pour personnes âgées. Le Syndicat national des établissements, résidences et services d’aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa) est la première confédération des acteurs privés du grand âge. Elle a été créée en 2001 et rassemble plus de 3 500 adhérents, ce qui représente 170 000 salariés, 300 000 personnes hébergées, 2 000 Ehpad, 1 200 services d’aide à domicile et 300 résidences services.
Dr Éric Kariger, président de la commission médicale et soins du Syndicat national des établissements, résidences et services d’aide à domicile privés pour personnes âgées. Le secteur de la gériatrie et le monde médico-social souscrit, dans son ensemble, à la volonté affichée par le titre Ier du projet de loi, consistant à renforcer les soins palliatifs et d’accompagnement. Prendre soin de la personne, dans sa dimension physique, psychique, sociale et spirituelle, correspond à l’approche globale de la philosophie palliative, du cure et du care. Cependant, il convient de remarquer que les attentes des nouvelles générations sont probablement différentes de celles des générations très âgées que nous accompagnons aujourd’hui. Nous pouvons désormais mourir directement de la maladie d’Alzheimer, ce qui n’était pas le cas auparavant, parce que nous savons soigner l’insuffisance cardiaque ou rénale, l’infection, la dénutrition, la déshydratation, etc. Dès lors, il revient au législateur d’anticiper les attentes, afin de ne pas subir les stades ultimes et dramatiques des pathologies à pronostic existentiel que les progrès de la médecine ont fabriquées.
Concernant les maisons d’accompagnement, nous nous félicitons que l’essentiel des propositions du rapport rédigé par le Pr Chauvin, intitulé « Vers un modèle français des soins d’accompagnement », ait été reprise dans le projet de loi. Les intervenants précédents ont souligné la difficulté de mourir à domicile, et les maisons d’accompagnement, en tant que tiers lieu, représentent un dispositif intéressant. Cependant, il convient de prêter attention à la situation des Ehpad, qui sont, de fait, des maisons d’accompagnement, et où survient le quart des décès. La création des maisons d’accompagnement doit entraîner une réflexion par rapport aux Ehpad, en termes de complémentarité des populations visées, mais aussi d’équité des moyens mis à disposition.
Aujourd’hui, 99 % des personnes qui entrent dans nos établissements, n’ont pas nommé leur personne de confiance, n’ont pas rédigé leurs directives anticipées et ne disposent pas de ce droit à être entendu le jour où elles ne seront plus en mesure d’exprimer leur volonté. Il nous faut collectivement avancer sur ce point, afin que les nouvelles générations puissent anticiper le drame des maladies chroniques et neurodégénératives.
L’aide active à mourir concerne peu les grands vieillards. Leur mort est le plus souvent une mort douce, à condition de respecter la loi Claeys-Leonetti, c’est-à-dire de mettre en retrait la technique au profit de l’humanité. Cependant, il convient dès à présent d’appréhender les situations de mal‑mourir que nous rencontrerons à l’avenir, ainsi que les attentes de nos contemporains qui souhaiteront peut-être, parce que le dolorisme n’est plus de ce monde, anticiper des drames extrêmes. Les directives anticipées précises, argumentées sont déjà légalement opposables. Or, dans votre projet de loi, vous écrivez que l’accès exceptionnel à une aide active à mourir suppose que la personne soit en possession de son discernement, ce qui semble contradictoire avec le principe de la directive anticipée.
Notre expérience montre que les personnes vulnérables risquent tout autant, sinon davantage, l’obstination déraisonnable que l’abandon. S’il est impératif de prêter attention à ces personnes âgées et fragiles, il convient de garder à l’esprit qu’elles sont exposées à la fois à l’excès de soins et à l’insuffisance de soins.
Enfin, nous considérons qu’il convient de démédicaliser la fin de vie, c’est-à-dire engager moins de technique, mais aussi la remédicaliser en humanité. Les médecins et le corps soignant ne peuvent pas abandonner leurs malades, quels que soient les droits que vous accorderez aux patients. Le soignant doit rester cette main qui accompagne jusqu’au bout, nonobstant la clause de conscience et quelles que soient ses convictions personnelles, parce que nous en avons besoin à tous les stades de l’accompagnement, du diagnostic jusqu’à la mort. Nous souhaitons que la loi concilie le techniquement possible et l’humainement souhaitable, pour reprendre les termes de Jean Leonetti, ainsi que l’éthique de l’autonomie et l’éthique de la vulnérabilité. La loi devra également protéger les médecins qui assumeraient, en conscience et en responsabilité, des actes pouvant conduire à la mort. Enfin, elle devra se prémunir contre toute dérive quant à son recours, parce que donner la mort reste un interdit anthropologique et que l’on ne peut le braver, dans la singularité, dans la conscience, qu’en rassurant tous ceux qui craignent les dérives.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Le Dr Kariger a évoqué, en filigrane de son intervention, la conquête du droit de ne pas souffrir et de ne pas subir l’acharnement thérapeutique et l’obstination déraisonnable. Notre mission, aujourd’hui, consiste à ouvrir la voie à la possibilité de cet ultime recours qu’est l’aide à mourir.
J’aimerais recueillir l’avis des intervenants sur le plan personnalisé d’accompagnement, et plus largement connaître leur perception des soins d’accompagnement et leur rapport avec les soins palliatifs. Je souhaite aussi les entendre sur le faible recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, qui m’interroge beaucoup, ainsi que sur l’idée d’une clause de conscience collective.
M. Didier Martin, rapporteur. Madame Hubidos, pourriez-vous nous dire où en est votre projet, quels sont les obstacles qu’il rencontre, et quelles sont ses perspectives d’avenir ?
Madame Ellien, vous avez insisté sur le manque d’évaluation des différents dispositifs, et leur excessive complexité. Que proposez-vous en termes de simplification ?
Docteur Kariger, estimez-vous nécessaire, ou possible de mettre en place des unités de soins palliatifs au sein des Ehpad ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Je voudrais souligner, en premier lieu, que la mort est parfois douce, qu’elle ne survient pas toujours dans le contexte des soins palliatifs. Ayant été moi-même aide-soignante, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce qui a été dit à propos de nos formations, qui, à mon sens, sont solides. Concernant les aides à domicile, pensez-vous que compléter leur formation par le diplôme d’auxiliaire de vie sociale les aiderait à affronter les décès ? De même, ne serait-il pas judicieux de mettre fin au statut de faisant fonction d’aide-soignante ?
Mme Françoise Ellien. Je pense qu’il faut introduire dans la culture française la planification anticipée des soins, ou advance care planning. Le plan personnel d’accompagnement devrait permettre au patient, dès l’annonce du diagnostic, de dialoguer avec les médecins et avec l’équipe psychosociale à propos de ce qu’il souhaite.
Lorsqu’elles ont été créées, les directives anticipées étaient perçues comme une sorte d’obligation administrative. Aujourd’hui encore, les professionnels de santé, notamment les gériatres en Ehpad, peinent à les appréhender et sont peu à l’aise pour les évoquer avec les patients, alors que les personnes âgées se montrent souvent rassurées lorsque cette question est abordée. J’insiste, à propos de ces sujets, sur deux mots d’ordre : anticiper et prévenir.
Mme Laure Hubidos. À la maison de vie de Besançon, le plan de soins et d’accompagnement était vraiment l’une de nos priorités dès l’admission des personnes, au même titre que les directives anticipées. Au début, cette volonté a semblé déroutante les équipes accompagnantes et soignantes. Puis, au fur et à mesure de l’expérience, des habitudes ont été prises, à la faveur de l’établissement d’un plan de soins et d’accompagnement impliquant les familles, et réévalué régulièrement avec une équipe pluridisciplinaire.
La maison de vie de Besançon a fait l’objet, lors de sa création, d’un investissement des collectivités territoriales, à l’image de ce que prévoit le projet de loi. Environ 780 000 euros ont été engagés afin d’ouvrir la maison, puis nous avons attiré des fonds privés sous forme de mécénat afin de financer des équipements adaptés. Au terme de l’expérimentation, en 2014, lorsque l’établissement a été pérennisé, l’État nous a demandé d’augmenter sa capacité et les collectivités nous ont à nouveau aidés.
La maison de vie de Besançon n’existe plus aujourd’hui, mais elle a fait des émules. Une vingtaine de projets sont actuellement en cours, portés par notre collectif. Ils se heurtent toutefois à la difficulté des ARS à les appréhender. C’est la raison pour laquelle le projet de loi, ouvrant la voie à la création des maisons d’accompagnement, est fondamental. Il conférera une assise légale à ces établissements, qui apportent une véritable plus-value sur le plan humain et qu’il convient de sécuriser sur le plan médical.
M. Pascal Champvert. Mme Fiat a raison : certaines personnes meurent sans nécessiter un accompagnement de fin de vie ou des soins palliatifs. Mais cela ne rend pas tolérable l’insuffisance de l’accompagnement des personnes âgées. L’âgisme, profondément ancré dans nos sociétés, nous incite à penser qu’il existe toujours une cause plus importante que celle des personnes âgées.
Concernant l’hypothèse d’une clause de conscience collective soulevée par M. Falorni, je peine à imaginer quelle forme cette clause pourrait prendre. Il nous semble que la clause de conscience, par définition, est plutôt individuelle.
Les établissements accueillant des personnes âgées sont fondamentalement des domiciles, ce que montre bien le droit reconnu d’y posséder un animal de compagnie. Les personnes qui y vivent sont des citoyens de la République. Dès lors, si l’on est opposé à l’aide à mourir dans la société, alors on doit l’être au sein des établissements, par souci de cohérence.
M. Didier Pagel. La formation des aides-soignantes comprend des stages à l’hôpital, contrairement à la formation d’auxiliaire de vie sociale. Même lorsqu’elle est dispensée dans le cadre d’un apprentissage, celle-ci a lieu au sein d’une structure d’aide à domicile, où les cours sont essentiellement basés sur des aspects sociaux. Jamais la question de l’accompagnement de fin de vie n’y est abordée.
Vous avez raison, madame Fiat, de rappeler que certaines morts sont douces. Cependant, si l’aide à domicile, en l’absence de soins palliatifs, n’est pas en mesure de repérer des signes de souffrance, cette mort peut sembler douce alors que la personne est morte en souffrant. C’est la raison pour laquelle la question de la formation nous semble centrale.
Dr Éric Kariger. Concernant le faible recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, je pense que cette pratique n’est pas éloignée de l’aide active à mourir. Certains professionnels, pour qui donner la mort est un interdit, considèrent qu’endormir, c’est déjà donner la mort. Nous confondons trop souvent nos convictions avec les attentes des malades.
Je considère que le corps médical ne s’implique pas suffisamment dans l’accompagnement, qui commence au diagnostic et s’achève au décès. Le professionnel de santé a pour devoir de se laisser guider vers le malade, compte tenu des données scientifiques et des possibilités d’accompagnement, et de lui offrir la solution la plus favorable, ou la moins défavorable.
La clause de conscience collective pose un problème déontologique. En effet, aucun supérieur hiérarchique ne peut obliger un médecin à aller contre ce que lui ordonne sa conscience. Il convient de garantir l’indépendance intellectuelle, déontologique et de conscience du médecin, qui engage sa responsabilité de manière purement individuelle.
Par ailleurs, je vous demande de vous montrer attentifs aux critères de la collégialité, qui me semblent plus fragiles que dans la loi de 2016. L’intelligence collective est le meilleur rempart contre les dérives.
Enfin, les Ehpad pourraient, sous réserve de résoudre des questions réglementaires et financières, pratiquer l’hébergement temporaire. Il pourrait être intéressant de flécher des lits d’hébergement temporaire ARS en Ehpad, sur des activités palliatives reconnues, dédiées et circonstanciées.
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Il faut se garder de confondre la question de l’accompagnement des personnes âgées et le texte que nous avons à étudier. Ce texte, qui va au-delà de la loi de 2016, est supporté par deux piliers : les soins palliatifs et l’aide à mourir. J’aimerais vous entendre sur les améliorations à apporter, notamment en matière de formation, concernant la prise en charge de la douleur, ainsi que sur l’aide à la rédaction des directives anticipées.
Mme Marie-France Lorho (RN). Lors des auditions du groupe d’études sur la fin de vie, le Dr Destrée nous avait alertés sur la pénurie de personnel affectant les soins palliatifs, tant à domicile qu’en milieu hospitalier. Elle semblait regretter le manque de collaboration entre l’hospitalisation à domicile (HAD) et les équipements mobiles de soins palliatifs, ce qui a été souligné également par la Haute Autorité de santé en 2016. Madame Ellien, comment améliorer cette collaboration ? Par ailleurs, comment assurer une continuité des soins des malades en fin de vie la nuit ?
M. Philippe Juvin (LR). L’isolement est un facteur qui motive une partie des demandes d’aide à mourir. Disposez-vous d’éléments sur la proportion de pensionnaires d’Ehpad ne recevant jamais de visite ?
Par ailleurs, un rapport de la Fédération hospitalière de France considère que la situation budgétaire des Ehpad est « très dégradée, inédite et alarmante ». Cela aura-t-il pour conséquence une dégradation de l’accompagnement des personnes âgées au cours des prochains mois ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Madame Ellien, que pensez-vous de l’idée d’intégrer les associations bénévoles dans le cadre des projets d’équipes mobiles de soins palliatifs ? Vous semble-t-il pertinent, et possible, de généraliser le conventionnement entre Ehpad et équipes mobiles ? Combien d’équipes mobiles seraient nécessaires afin de couvrir l’ensemble des Ehpad du territoire ?
Madame Hubidos, pourriez-vous nous éclairer sur le profil des personnes que vous accueillez ? Quelle est la durée moyenne des séjours ? Accompagnez-vous tous les patients jusqu’au décès ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Je m’interroge sur le terme de soins d’accompagnement. Ne craignez-vous pas une forme de confusion entre les soins d’accompagnement et l’aide et l’accompagnement à domicile ?
La stratégie décennale des soins palliatifs évoque 6 000 équivalents temps plein à créer dans les Ehpad. Disposez-vous d’éléments permettant de comprendre de quelle manière ces créations de postes seront fléchées vers le renforcement des soins palliatifs dans les Ehpad ?
Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Que pensez-vous de la proposition de renforcer le binôme formé par l’infirmière de coordination et l’infirmière libérale, et de mieux l’intégrer aux équipes de soins palliatifs ?
Par ailleurs, je m’étonne que nous n’ayons pas encore évoqué les proches aidants, qui ne sont pas des professionnels, mais qui jouent un rôle crucial en termes d’accompagnement des malades, parfois en palliant la pénurie d’aides à domicile et le manque de moyens financiers pour accéder à un Ehpad. Avez-vous des propositions à nous soumettre afin d’améliorer la prise en compte des proches aidants ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Mes trois questions s’adressent à Mme Hubidos, dont je salue le travail de pionnière. Premièrement, le Gouvernement promet la création de quatre‑vingts à cent unités de soins palliatifs. Cela vous semble-t-il raisonnable et compatible avec le respect des patients ? Deuxièmement, vous semble-t-il sain d’accompagner des personnes jusqu’à une fin naturelle et de pratiquer l’euthanasie dans un même lieu ? Troisièmement, comment selon vous est-il possible de créer un maillage territorial mixte entre secteur public et secteur privé, compte tenu des difficultés de recrutement de personnels soignants ?
Mme Annie Genevard (LR). Les personnels des Ehpad sont formés à accompagner jusqu’au bout les résidents, et reçoivent le concours de nombreuses associations. Si demain le projet de loi sur la fin de vie devait être adopté, comment opérer dans cette culture de l’accompagnement jusqu’à la mort naturelle ce changement anthropologique qu’est la possibilité légale de donner la mort ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Moins d’un quart des médecins généralistes pratiquent encore des visites longues à domicile, et seules 5 à 12 % d’entre elles concernent des patients en soins palliatifs. En quoi ce projet de loi, qui n’est accompagné d’aucune étude d’impact budgétaire sérieuse, pourrait-il remédier à cette situation ?
Le projet de loi autorise le suicide assisté dans tout lieu choisi par la personne. Que pensez-vous de cette totale liberté laissée quant au choix du lieu ?
Mme Françoise Ellien. Des travaux ont été menés il y a une quinzaine d’années autour de la collaboration des HAD et de ce que l’on appelait à l’époque des réseaux de soins palliatifs. Ils ont abouti à des recommandations publiées sur le site de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad). La Fnehad regroupe des HAD très diverses et les critères d’admission en HAD sont parfois variables et très peu compréhensibles, tant pour les médecins hospitaliers que pour les médecins généralistes.
Les maisons d’accompagnement sont le chaînon manquant de notre système de santé. Elles soulageront les aidants, qui sont douze millions en France, dont un million de mineurs. Je rappelle que l’épuisement des aidants représente l’une des premières causes d’hospitalisation non programmée. Il est impératif de prendre en compte la santé physique et mentale des aidants, ce qui est d’ailleurs prévu dans le plan personnel d’accompagnement.
Concernant la coordination, il me semblerait judicieux, dans un souci d’anticipation, que dans chaque département la délégation départementale de l’ARS, la caisse primaire d’assurance maladie, le conseil départemental, les professionnels de l’hôpital et les professionnels libéraux, c’est-à-dire tous les acteurs impliqués dans l’accompagnement des personnes âgées, se réunissent pour mieux se connaître.
On nous demande à nous, acteurs de terrain, de décloisonner et de travailler de manière transversale. Mais j’aimerais que nos tutelles donnent l’exemple. Ainsi, les aidants sont systématiquement renvoyés à la direction de l’autonomie du conseil départemental ou de l’ARS. Tant que les différents acteurs resteront cloisonnés, nous ne pourrons pas travailler de manière transversale, et donc anticiper.
Mme Laure Hubidos. La plupart des patients accueillis dans la maison de vie de Besançon étaient atteints d’un cancer ou d’une maladie neurologique dégénérative, et y sont décédés. Notre approche de la fin de vie consistait à penser la maladie et la vulnérabilité qu’elle engendre dans un lieu autre que l’hôpital. Certaines personnes accueillies en maison de vie venaient de l’hôpital, et elles auraient pu y rester. Mais les services hospitaliers poussent à sortir de l’hôpital, d’où l’intérêt de développer les maisons d’accompagnement, qui apportent également une solution pour les aidants.
M. Pascal Champvert. J’estime qu’environ 10 ou 15 % des pensionnaires d’Ehpad ne reçoivent pas de visite. L’isolement intervient aussi lorsque l’établissement fonctionne selon une logique trop sécuritaire, trop sanitaire, qui fait fuir les familles. C’est la raison pour laquelle l’AD-PA soutient les logiques domiciliaires qui favorisent les relations humaines.
Les établissements et les services à domicile manquent de temps par manque de financements. Tant que nous ne disposerons pas de moyens supplémentaires, de grâce, ne nous donnez pas des obligations supplémentaires, parce que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous peinons à recruter.
M. Didier Pagel. La Fédésap considère que les aidants ont besoin d’être accompagnés dans les périodes les plus critiques que traversent les aidés. Ainsi, il conviendrait d’augmenter le temps de présence de l’aide à domicile sur la période, relativement courte, durant laquelle la personne est en fin de vie. Cela suppose une coordination, et notamment d’accroître la possibilité pratiquer les téléconsultations la nuit, compte tenu de la pénurie de médecins généralistes acceptant de se déplacer.
La coordination sera meilleure à la faveur de la réforme des services autonomie à domicile (SAD) et la constitution d’équipes conjointes entre le service de soins infirmiers à domicile et les SAD. Cependant, il conviendra d’améliorer nettement la coordination des aides à domicile, puisque le tarif de l’allocation personnalisée d’autonomie comprend une heure de coordination par mois, ce qui est largement insuffisant.
Dr Éric Kariger. En France, nous sommes soit dans une logique d’hypermédicalisation de la fin de vie, soit dans une logique domiciliaire excessive. Mais il n’est pas possible de professionnaliser intégralement le domiciliaire, pour des raisons tant économiques qu’humaines.
Il me semble impératif de mettre fin à l’hyperspécialisation du corps médical. À quand des coopérations territoriales, voire une fusion, entre les équipes mobiles de soins palliatifs et les HAD ? Nous sommes condamnés, à l’avenir, à faire mieux avec moins. Et nous sommes capables d’y parvenir, parce que nous demeurons un pays riche, un pays d’humanité et d’engagement, et que les professionnels de santé souhaitent améliorer leurs pratiques.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie pour vos contributions.
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6. Audition de la Haute Autorité de santé (réunion du mardi 23 avril 2024 à 18 heures 30)
La commission spéciale auditionne le Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé, et le Dr Pierre Gabach, adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service des bonnes pratiques ([7]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons les représentants de la Haute Autorité de santé, qu’il nous importe d’entendre à propos de la substance létale et sur le sujet du court et du moyen terme.
Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé. La Haute Autorité de santé a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Elle a pour mission d’évaluer la qualité du système de santé selon trois valeurs cardinales : l’indépendance, la rigueur scientifique et la transparence. Ses trois domaines d’activité sont l’évaluation des technologies de santé, des médicaments, des dispositifs et des actes médicaux, ainsi que les recommandations de bonne pratique, et enfin l’évaluation des établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux.
Les travaux de la Haute Autorité sont régis par des dispositions législatives, en particulier l’article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale qui lui confie vingt-deux missions. L’article 18 du projet de loi ajoute une vingt-troisième mission consistant à élaborer des recommandations de bonne pratique relatives aux substances létales. L’article 6, quant à lui, rappelle l’ensemble des critères requis pour entreprendre une démarche d’aide à mourir. Il introduit la notion de pronostic vital à court ou moyen terme.
La Haute Autorité dispose d’une expertise sur ces sujets. Elle a déjà produit des recommandations sur les modèles de directive anticipée, les soins palliatifs et, dans la préparation de la loi Claeys-Leonetti, la sédation profonde et continue. Aujourd’hui, elle est appelée à se prononcer, d’une part sur les bonnes pratiques dans l’utilisation des substances létales, et d’autre part sur la définition du moyen terme, puisque la ministre de la santé lui a demandé d’éclairer les professionnels de santé sur ce point. En revanche, la Haute Autorité n’a vocation ni à se substituer au débat sociétal, ni à aborder la question éthique consubstantielle à l’évaluation de la qualité du système de santé.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je souhaite entendre votre avis sur la pertinence des conditions d’éligibilité à l’aide à mourir. J’aimerais aussi vous interroger sur la procédure d’aide à mourir développée au chapitre 3 du titre II du projet de loi. Enfin, avez-vous des préconisations sur la composition et le rôle de la commission de contrôle et d’évaluation ?
M. Didier Martin, rapporteur. Quelle évaluation faites-vous de l’usage des directives anticipées qui, de l’avis général, ne donne pas satisfaction ? Par ailleurs, les parlementaires qui ont évalué la loi Claeys-Leonetti ont rencontré des difficultés à connaître les modalités de la sédation profonde et continue. Que pouvez-vous en dire ? Enfin, pour revenir à notre projet de loi, nous avons besoin de votre expertise sur le plan personnalisé d’accompagnement.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Ma première question porte sur l’article 6, qui pose comme critère d’éligibilité à l’aide à mourir une affection grave ou incurable engageant le pronostic vital à court ou moyen terme. Estimez-vous nécessaire d’inscrire un délai dans le projet de loi, voire de citer les affections concernées ?
Quant à l’aptitude de la personne à manifester sa volonté libre et éclairée, pensez-vous les garanties apportées par le projet de loi nécessaires et suffisantes ? Comment évaluer le libre consentement ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. La Haute Autorité serait-elle en mesure de produire des recommandations sur la procédure collégiale d’aide à mourir, comme elle l’avait fait en 2018 sur les substances létales ? Selon quels arguments la Haute Autorité a-t-elle recommandé une évaluation psychologique ou psychiatrique du patient, avec le consentement de celui-ci ?
Concernant les alinéas 7 et 8 de l’article 11, pensez-vous pertinent de définir, pour les professionnels de santé présents lors de l’administration de la substance létale, la conduite à tenir en cas de difficulté ? Cette conduite doit-elle tendre à hâter le décès ?
Enfin, revient-il à la Haute Autorité de définir les critères d’évaluation par les médecins de la volonté libre et éclairée ? La question de la compétence ou de l’expertise se posera-t-elle lorsqu’il reviendra à un infirmier d’évaluer cette volonté, dans le cas où aucun médecin n’est présent ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. La Haute Autorité dispose-t-elle de tous les éléments pour évaluer, aux côtés de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les substances létales utilisées pour l’aide à mourir ? Les représentants de l’Ordre des pharmaciens ont soumis l’idée d’une définition du produit létal. L’estimez-vous pertinente et, si oui, avez-vous une suggestion ? Enfin, que penseriez-vous d’une codification de la sédation profonde et continue ?
Pr Lionel Collet. Les critères d’éligibilité à l’aide à mourir, définis à l’article 6, me paraissent extrêmement précis. La Haute Autorité a contribué à définir le court terme, qui est simple et se rapporte à l’état physiologique du patient : son décès est une question de jours. En revanche, la Haute Autorité ayant été saisie seulement hier de la question du moyen terme, elle ne saurait produire immédiatement une définition. Celle-ci n’existe pas, actuellement, dans le droit comparé à l’échelle internationale. Nous allons devoir formuler une définition originale, ce qui ne va pas sans difficulté.
À titre personnel, madame Maillart-Méhaignerie, je ne suis pas favorable à l’inscription d’un délai dans la loi. J’estime qu’il revient aux professionnels de santé de l’apprécier au cas par cas. Fixer un délai mènerait à des imprécisions, voire des contentieux.
Je ne puis répondre aux questions sur l’évaluation des directives anticipées et de la sédation profonde et continue. La Haute Autorité n’a pas pour mission d’effectuer une veille et un suivi de ce type de dispositifs.
Il convient de donner au terme de substance létale une définition précise. D’ailleurs, il est complété, dans le projet de loi, par l’expression « destinée à entraîner le décès rapidement ». Il reviendra à la Haute Autorité de s’assurer que ces substances produiront l’effet désiré tout en préservant la qualité des derniers moments de la personne, c’est-à-dire en lui épargnant toute souffrance.
Dr Pierre Gabach, directeur adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service des bonnes pratiques. La Haute Autorité élabore des recommandations seulement lorsqu’elle est saisie d’une question. Ces recommandations sont établies de manière collective : 80 à 100 personnes, représentant tous les courants de pensée scientifiques, sont impliquées dans la réunion d’un consensus menant à une recommandation. La saisine sur le moyen terme est intervenue hier ; la recommandation de la Haute Autorité sera publiée à la fin de l’année 2024.
Je considère, à titre personnel, qu’une codification de la sédation profonde et continue est nécessaire, de même que la mise en place d’un dispositif de suivi. Concernant le plan personnalisé d’accompagnement, j’estime qu’il doit consister en une déclinaison spécifique du plan personnalisé de coordination des soins, sur lequel la Haute Autorité a publié en 2019 une recommandation qui servira de base à celle qu’elle émettra sur le plan personnalisé d’accompagnement.
Pr Lionel Collet. En réponse à la question de Mme Maillart-Méhaignerie sur l’opportunité de mentionner les pathologies, je pense qu’il ne faut pas restreindre la réflexion aux affections les plus couramment citées – certains cancers, des maladies neurodégénératives et des insuffisances cardiaques ou respiratoires graves. De nombreuses autres affections correspondent à l’exigence d’une maladie incurable et d’un pronostic vital engagé à moyen terme. Il serait préjudiciable que des pathologies soient éliminées par une formulation rigoriste alors qu’elles répondent aux critères de l’article 6 du projet de loi.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. J’aimerais une réponse à ma question sur la commission de contrôle et d’évaluation.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous rappelle, messieurs, que vous pourrez apporter des précisions complémentaires par écrit si nécessaire.
Pr Lionel Collet. Notre groupe de travail s’appuiera sur l’expérience de certains pays en avance sur ces questions.
M. Jean-Pierre Pont (RE). L’article 7 du projet de loi précise que le patient sera informé sur son état de santé, l’évolution des traitements et les dispositifs d’accompagnement. Ces derniers concernent-ils la phase finale ?
Le texte évoque l’ingestion et l’injection comme les deux modes d’administration de la substance létale. Pensez-vous qu’il faille apporter davantage de précision ?
Mme Natalia Pouzyreff (RE). J’aimerais connaître vos recommandations en matière de coordination entre les services. Pensez-vous nécessaires une révision et un élargissement du dispositif d’appui à la coordination ? Faut-il accorder plus de centralité aux équipes mobiles ? Quelle garantie apporter pour la prise en charge pluridisciplinaire au moment où le diagnostic est posé ?
Mme Marie-France Lorho (RN). Comment expliquer le faible recours aux directives anticipées en dépit d’une meilleure communication depuis 2005 ? Comment améliorer leur visibilité dans le dossier du patient ? Enfin, quelle est leur légitimité depuis que le Conseil constitutionnel a jugé, en 2022, qu’elles pouvaient ne pas être respectées ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Disposez-vous de données concernant la souffrance réfractaire à mettre en rapport avec la question du moyen terme ?
M. Philippe Juvin (LR). Un rapport rédigé en Oregon a fait état de la très relative efficacité d’un protocole comprenant un mélange valium, digoxine, morphine, tricycliques ou bêta-bloquants, et phénobarbital. Considérez-vous un tel protocole satisfaisant ? À partir de combien de temps estimez-vous qu’un professionnel de santé doit intervenir, lorsque la mort tarde à venir ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Les directives anticipées semblent ignorées dans la procédure d’aide à mourir. Pensez-vous que celles qui sont établies dans les mois précédant une éventuelle dégradation cognitive du patient peuvent être prises en compte ?
M. Laurent Panifous (LIOT). La collégialité inscrite à l’article 8 du projet de loi vous satisfait-elle ? Quelle appréciation portez-vous sur les procédures prévues pour recueillir l’avis des différents professionnels ?
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Dans la mesure où les députés sont tenus d’examiner le projet de loi en séance publique à partir du 27 mai, ils doivent être éclairés dès à présent sur la notion de moyen terme. Pourriez-vous livrer quelques éléments de définition, bien que la Haute Autorité ait été saisie sur ce sujet tout récemment ?
M. Jean-François Rousset (RE). Concernant le mode d’administration de la substance létale, il faut envisager son efficacité mais aussi penser aux professionnels amenés à accomplir cet acte. Ne serait-il pas judicieux de mentionner dans la loi que la perfusion, éventuellement mise en œuvre par le patient lui-même s’il en est capable, est le mode d’administration à privilégier ?
Mme Brigitte Liso (RE). Serait-il possible que le délai de validité de trois mois après l’acceptation de l’aide à mourir puisse être assoupli et renouvelable, compte tenu de la difficulté à définir un délai à moyen terme ?
M. Gilles Le Gendre (RE). Je regrette que nous ayons à nous prononcer sur ce projet de loi alors que l’éclairage de la Haute Autorité sur le moyen terme n’interviendra qu’en fin d’année. Par ailleurs, je découvre avec étonnement que la question de la substance létale n’est pas réglée. Pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont sera défini le protocole épargnant les souffrances connexes, et nous confirmer que le choix de la substance n’est pas arrêté ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Est-il pertinent de poursuivre l’examen du projet de loi en l’absence d’une définition claire du moyen terme ?
Mme Annie Genevard (LR). J’aimerais savoir ce que vous inspire l’article 8 selon lequel le second médecin peut émettre un avis sans avoir vu le patient. Ensuite, que penser de la possibilité de déléguer à un tiers la réitération d’une demande d’aide à mourir ? Enfin, quel est votre avis sur l’administration de la substance létale par une personne désignée par le malade ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Le législateur est appelé à se prononcer sur la loi sans que la composition du produit létal soit déterminée. Quelles informations pouvez-vous communiquer sur ce point ?
La prescription et l’administration d’un produit létal seront-elles considérées comme des actes médicaux entrant dans la nomenclature générale des actes professionnels alors que, selon l’étude d’impact, l’euthanasie et le suicide assisté ne sont pas, juridiquement et éthiquement, des actes médicaux ?
Pr Lionel Collet. Je considère le terme d’administration adapté, et il ne revient pas à la Haute Autorité de se prononcer plus avant en préconisant tel ou tel mode d’administration.
Les expériences internationales ont montré que certains protocoles d’aide à mourir n’entraînent pas une mort aussi rapide que souhaitée. Il s’agit d’une situation très différente de la sédation profonde et continue. Le but de celle-ci, tel qu’il apparaît dans la loi Claeys-Leonetti, est de conduire à un niveau de conscience épargnant la souffrance jusqu’au décès naturel. Sa mise en œuvre ne saurait, à mon sens, être étendue au-delà du court terme, c’est-à-dire de quelques jours. Sur le moyen terme, la Haute Autorité sera tenue de recommander une manière d’utiliser une substance létale qui évite la souffrance et provoque la mort dans les délais les plus brefs.
Concernant les directives anticipées, la logique du texte qui vous est soumis est très claire. Elle suppose que le malade puisse être en mesure de formuler un avis éclairé jusqu’au moment de l’administration du produit létal. La Haute Autorité n’a pas à se prononcer sur le maintien ou non de cette disposition.
Dr Pierre Gabach. La Haute Autorité aura pour difficile tâche de se prononcer sur le choix des produits létaux et sur les méthodes d’administration. Cependant, je rappelle qu’elle se déterminera en fonction de ce qui aura été écrit dans la loi.
Nous ne disposons pas d’élément permettant d’évaluer le recours aux directives anticipées. À l’évidence, il est faible. Il nous apparaît nécessaire de forger des outils de communication entre les professionnels et des outils de coordination des soins, notamment informatiques. Notre pays accuse un certain retard sur ce point. Ces questions, d’ailleurs, devraient être anticipées dans la loi.
À propos de la douleur réfractaire, la sédation profonde n’est pas toujours continue ; elle peut être transitoire. La recommandation de la Haute Autorité décrit précisément les échelles de douleur dont se servent les médecins. Par ailleurs, pour la sédation profonde et continue, la Haute Autorité a validé la possibilité de recueillir l’avis d’un second médecin à distance et à partir des données transmises par le premier médecin.
Mme Annie Genevard (LR). Vous n’avez pas répondu sur la possibilité de déléguer l’administration de la substance létale à un membre de la famille.
Pr Lionel Collet. Cette question relève de la recommandation sur les bonnes pratiques. Elle sera examinée dans ce cadre. Je n’ai pas répondu non plus à la question sur la nomenclature, parce qu’elle ne relève pas de notre périmètre.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie pour ces échanges.
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7. Table ronde sur les enjeux éthiques (réunion du mardi 23avril 2024 à 21 heures)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde sur les enjeux éthiques, le Dr François Blot, président du comité d’éthique de l’Institut Gustave Roussy, Mme Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé, conseillère de l’Espace éthique Île-de-France, le Dr Véronique Fournier, fondatrice du centre d’éthique clinique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), M. Fabrice Gzil, professeur associé de philosophie et d’éthique (Université Paris-Saclay), co-directeur de l’Espace éthique Île‑de‑France, et M. Emmanuel Hirsch, professeur des universités émérite d’éthique médicale (Université Paris-Saclay) ([8]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous remercions nos intervenants, qui ont accepté notre invitation à participer à cette table ronde autour des enjeux éthiques de l’accompagnement des malades et de la fin de vie.
Dr Véronique Fournier, fondatrice du centre d’éthique clinique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Mes positions actuelles sont forgées à partir de mon expérience de médecin de terrain, et j’aimerais vous faire part de trois éléments qui les fondent.
Le premier élément fondamental est que la mort n’appartient pas à la société, mais à chacun. Le droit de chacun à la mort qu’il souhaite doit être respecté. La plupart de nos concitoyens souhaitent une mort qui leur ressemble, une mort qui boucle la vie selon leurs convictions. C’est la raison pour laquelle il convient d’être extrêmement tolérant face à ces demandes de mort très différentes qui s’expriment.
Deuxième élément, je suis frappée par l’inégalité d’accès à cette mort qui nous ressemble. Certains sont otages de pressions ou de positions imposées, quand d’autres, au contraire, disposent d’opportunités de réseaux et bénéficient d’un accès à la mort qu’ils souhaitent.
Enfin, troisième élément, le métier de soignant, et en particulier celui de médecin, est porté par le souci de l’autre, par la sollicitude qu’on lui doit. Les soignants sont au service des patients, et non de leurs convictions.
Je salue l’ouverture d’un accès à l’aide active à mourir porté par le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui. Cette ouverture va dans le sens de la tolérance que j’ai évoquée. Cependant, les conditions d’accès à ce nouveau droit sont inégales. S’il bénéficiera essentiellement aux patients atteints d’un cancer et proches du stade terminal, il va laisser de côté de nombreuses personnes. Je pense à cet homme que j’ai récemment rencontré et qui, privé de l’usage de ses membres, dépendant d’une respiration artificielle et incapable de se nourrir seul depuis un an, souhaite accéder à une mort aidée. La loi ne le lui permettra pas, comme elle ne permettra pas à une personne atteinte de la maladie de Charcot de bénéficier de ce droit. Je pense également aux personnes qui vont mourir au bout de la grande vieillesse, qui ne souffrent pas de maladies graves, mais dont la qualité de vie se dégrade de manière très importante. Ces personnes condamnées à attendre que le temps passe, qui disent : je n’en peux plus. Elles le disent une fois, deux fois, trois fois, et puis comprennent que cela ne sert à rien, ou bien s’entendent répondre que demain il fera beau et qu’elles n’y penseront plus.
Ces demandes ne sont pas entendues. Or il existe un moyen simple de les faire entendre dans la loi, en supprimant la condition du pronostic vital engagé à court ou moyen terme, pour ne laisser comme seule condition que la souffrance psychique ou physique insupportable et inapaisée.
La place du médecin dans ce projet de loi me paraît insuffisante, et décrite de façon inopportune. En effet, d’une part il est désigné comme un décideur. Or la décision ne peut appartenir qu’au seul demandeur. D’autre part, le médecin n’est pas obligé de s’engager. Or, le souci de l’autre, pilier de son métier, devrait l’amener à s’engager. Le patient qui demande d’être aidé à mourir requiert sa présence et de sa sollicitude, comme il requiert celles de ses proches. Il a besoin d’être sécurisé et déculpabilisé par rapport à sa demande, il a besoin que celle-ci soit comprise.
La temporalité de la procédure m’inquiète, puisque dans l’état actuel du texte, on peut accéder à la demande d’un patient seulement à la fin du parcours. Or de nombreux patients se posent la question de l’aide à mourir au moment de l’annonce du diagnostic, et c’est à ce moment qu’ils ont besoin d’obtenir toute l’information disponible sur la procédure.
Je regrette profondément que cette loi soit présentée comme une loi comportant deux volets, l’un sur les soins d’accompagnement, l’autre sur l’aide à mourir, qui s’équilibrent mais qui sont totalement exclusifs l’un de l’autre. Selon moi, l’aide à mourir commence avec les soins d’accompagnement et va, éventuellement, jusqu’à l’aide à mourir elle-même. Opposer l’accompagnement et l’aide à mourir ne répond pas au besoin des patients d’avoir accès à ces deux éléments dans un même mouvement. De la même manière, la formation des médecins à l’accompagnement palliatif ne doit pas exclure la formation à l’aide à mourir.
Mme Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé, conseillère de l’Espace éthique Île-de-France. Je voudrais partager mes interrogations de juriste concernant trois points relatifs à l’aide à mourir.
En premier lieu, le texte dont nous discutons n’envisage pas la prise en compte des directives anticipées dans la demande d’aide à mourir. Il en résulte que les directives qui s’imposent au médecin ne vaudront pas dans le cas où la question d’une aide active à mourir viendrait à se poser. Un médecin peut décider, au titre de l’obstination déraisonnable, de l’arrêt des traitements de maintien en vie d’un patient qui ne peut exprimer sa volonté, et d’appliquer une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Or il est probable que des personnes indiqueront dans leurs directives anticipées souhaiter, en cas d’arrêt des traitements de maintien en vie, une euthanasie plutôt qu’une sédation profonde et continue. Dès lors, comment assurer le développement des directives anticipées sachant qu’elles ne seront pas prises en compte dans les circonstances que visent précisément ceux qui décident de les écrire, à savoir une situation dans laquelle ils ne seront plus en mesure d’exprimer leur volonté ?
La volonté peut évoluer, et les directives, valables jusqu’à leur consultation, peuvent devenir inappropriées. Mais, en ce cas, le médecin n’est pas quant à lui privé de sa liberté d’appréciation, puisque le caractère opposable des directives connaît une exception lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées. Cette exception permet aux médecins de confronter la volonté prospective à la situation réelle, et d’évaluer tant que faire se peut si le patient maintiendrait les directives à l’instant de la décision, dans le contexte qui est celui de cet instant. Des directives anticipées, dès lors qu’elles n’apparaissent pas manifestement inappropriées, ne doivent-elles pas être utilisées lorsque le discernement de la personne qui exprime sa volonté d’une aide à mourir est justement altéré ?
Cette question m’amène en deuxième lieu à celle des personnes protégées. L’article 7 du projet prévoit que la personne qui fait l’objet d’une mesure de protection juridique l’indique au médecin. Selon le code civil, toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts, en raison d’une altération de ses facultés mentales ou corporelles médicalement constatée, peut bénéficier d’une mesure de protection juridique. Une mesure avec représentation, et non avec assistance, est une tutelle, une habilitation familiale de représentation ou un mandat de protection future mis à exécution. La tutelle est la plus forte des mesures de protection, et n’est mise en œuvre que s’il est établi que ni une sauvegarde de justice, ni une curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante.
Il est donc peu probable qu’une personne protégée par une telle mesure puisse exprimer une volonté libre et éclairée, son discernement étant nécessairement altéré, voire aboli. Aussi, certaines précautions s’imposent dès lors que le médecin tient compte des observations formulées par la personne en charge de la protection, ainsi que le prévoit le projet de loi. Ne serait-il pas également logique qu’il tienne compte de la volonté par anticipation du patient ? Une nouvelle fois, les directives anticipées présenteraient une certaine utilité en venant conforter ou infirmer les observations éventuellement formulées par la personne chargée de la protection. Je rappelle qu’une application fictive de la loi dans un cas comme celui de Vincent Lambert montre que le recours à une aide au suicide serait impossible, quand bien même cette personne aurait rédigé des directives anticipées.
Enfin, en troisième lieu, les médecins font part de leur scepticisme vis-à-vis de la condition du moyen terme, car il leur paraît hasardeux de pronostiquer l’évolution de certaines pathologies. La place de cette condition au sein de l’ensemble des conditions énoncées par le projet doit être interrogée. Il revient au législateur de hiérarchiser ces conditions au regard de ce qu’il souhaite. Si ce souhait consiste à permettre à une personne atteinte d’une maladie engageant son pronostic vital et éprouvant une souffrance réfractaire de refuser de vivre le temps qu’il lui reste, comment comprendre cette condition de moyen terme, qui ne saurait être évaluée ?
Dr François Blot, président du comité d’éthique de l’Institut Gustave Roussy. Je précise d’emblée que je m’exprime ici en mon nom, et en lien avec le collectif « Pour un accompagnement soignant solidaire ». Je suis favorable à un accès à l’aide active à mourir entendu comme geste soignant et fraternel, et je maintiens ce terme, « fraternel », qui nous est largement reproché. Cette conviction est le fruit d’un cheminement qui m’a mené d’une réticence face à la légalisation de l’aide à mourir à une position aujourd’hui ouvertement favorable et même moins restrictive que le texte du projet de loi.
L’opposition à l’aide active à mourir, au-delà de la préoccupation quant à la rupture de l’interdit de tuer ou au souci de solidarité avec les plus vulnérables, relève chez de nombreux soignants d’un refus viscéral, d’une impossibilité à imaginer pratiquer ce geste. Cette position est très recevable, très humaine, et il convient de l’entendre. Or, tout est fait pour théoriser et justifier ce rejet par des arguments sociétaux, philosophiques ou psychiques.
Les partisans de l’aide active à mourir, quant à eux, mettent en avant, et par-dessus tout, la valeur de la parole de la personne, sa volonté, son libre arbitre. En un mot, le principe d’autonomie, qui est complémentaire et non opposé à ceux de bienfaisance, de non malfaisance et de justice. Privilégier une présomption d’autonomie chez la personne, surtout lorsqu’elle réitère et confirme sa demande, c’est faire confiance à l’intelligence collective pour examiner cette demande, mais pas pour décider à la place de la personne. Il ne s’agit pas d’une posture de pouvoir et de toute-puissance, mais au contraire de sollicitude humble et d’effacement respectueux face à autrui, qu’on ne cherche plus, dès lors, à protéger contre lui‑même.
Il convient de réconcilier ces deux visions dans un respect mutuel, celui de la parole des personnes malades d’abord et avant tout, mais aussi celui des opposants effrayés par ce virage sociétal et, plus encore, blessés dans leurs convictions.
Le projet de loi suscite des interrogations. Les questions de critères, de délais, de collégialité et certains flous sémantiques risquent d’entraver la marge de progrès de l’aide à mourir. Le titre Ier, intitulé « renforcer les soins d’accompagnement et les droits des malades », me semble désincarné. Nous ne trouverons pas les bons remèdes sans analyser les causes profondes des réticences soignantes, certes, mais aussi les causes d’une obstination déraisonnable endémique, de l’hyper technicisation de la vie, et, bien sûr, du tabou de la mort.
M. Fabrice Gzil, professeur associé de philosophie et d’éthique (Université Paris-Saclay), co‑directeur de l’Espace éthique Île-de-France. Comment améliorer le sort de personnes majeures souffrant d’une maladie grave et incurable et qui, parce qu’elles éprouvent une souffrance réfractaire ou insupportable, demandent de manière lucide et réitérée une aide pour hâter la survenue de leur décès ? Non pas en premier lieu par la légalisation d’une aide à mourir, mais d’abord en leur offrant la possibilité d’accéder à des soins adaptés, et à la prise en charge de leur souffrance physique et psychique.
Beaucoup, sinon la plupart des demandes de mort disparaissent quand la souffrance est correctement prise en charge, et quand les personnes bénéficient d’une véritable écoute. De ce point de vue, le consensus fort pour développer considérablement l’offre de soins palliatifs représente un premier motif de satisfaction. Sans le développement de cette offre, il existe un risque majeur que des demandes d’aide à mourir ne résultent pas d’un choix réfléchi délibéré, mais d’une absence de prise en charge adaptée.
Autre motif de satisfaction, le cadre légal actuel répond de manière satisfaisante à la très grande majorité des situations. Les lois Kouchner, Leonetti et Claeys-Leonetti, bien qu’elles gagneraient à être mieux connues et mieux appliquées, proposent un cadre sensible et nuancé qui a considérablement fait évoluer notre approche de la fin de vie. Certes, des situations de douleurs réfractaires ou insupportables existent alors que le décès n’est pas prévisible à court terme, mais ces situations demeurent assez rares. Dès lors, est-il nécessaire de compléter le cadre légal ? Ou bien convient-il de s’abstenir de légiférer sur cette question ?
Un cadre légal ne résoudra pas toutes les difficultés, mais il présente au moins deux intérêts majeurs. Le premier est de réduire l’arbitraire des réponses faites aux demandes, c’est-à-dire de garantir une égalité de traitement des réponses, et d’établir des critères consensuels transparents. Le second est de protéger les professionnels de santé amenés à prescrire ou administrer un produit létal.
Dans quel cadre éthique et moral autoriser la prescription ou l’administration d’un produit létal ? La question du moyen terme me semble moralement importante. En effet, il existe une grande différence entre hâter la survenue d’un décès dont on sait qu’il va vraisemblablement survenir dans les prochains mois, et provoquer le décès. En outre, le projet de loi propose principalement de prescrire une substance létale, et de ne l’administrer uniquement dans des circonstances particulières. Et nous sommes tous conscients que prescrire et administrer n’engagent pas la même responsabilité morale.
Au nom de quelle valeur autoriser l’aide à mourir ? Il me semble que l’on ne doit surtout pas légiférer au nom de la dignité. Dans la culture française, la dignité de la personne est inaliénable. Je ne crois pas non plus qu’il convienne de légiférer au nom de la liberté. Présenter l’aide à mourir comme une liberté ultime qui viendrait triomphalement s’exercer face à la mort relèverait d’un fantasme de maîtrise ou de liberté absolue, alors que les malades cherchent bien davantage à ne pas perdre tout contrôle plutôt qu’à tout contrôler. Il ne me semble pas non plus pertinent de faire de cette possibilité de demander une aide à mourir un nouveau droit, au sens d’un droit que l’on pourrait revendiquer, un droit conquis par les patients contre les soignants. De même, suggérer que hâter la survenue du décès relève du soin m’apparaît préjudiciable.
La situation morale de l’aide à mourir est celle d’une reconnaissance partagée d’une finitude partagée, celle du patient qui va mourir à moyen terme, et celle de la médecine confrontée à son impuissance. Dans ce cas, prescrire ou administrer un produit létal à quelqu’un qui le demande pourrait se justifier au nom d’un principe de solidarité, de fraternité ou de non-abandon. Il ne s’agit pas d’un soin, mais d’une forme de continuité du soin. Dès lors, l’aide à mourir ne me semble pas en rupture avec les valeurs qui sous-tendent les soins palliatifs, ni avec le cadre légal français.
J’aimerais formuler quelques remarques à propos du projet de loi. La première se rapporte à un passage de l’article 6 qui me semble manquer de cohérence en évoquant une souffrance « soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d’arrêter de recevoir des traitements ».
Dans ce même article, le texte devrait à mon sens préciser que la capacité à manifester sa volonté de façon libre et éclairée est une condition requise non pas pour toute décision, mais bien pour la seule décision de demander l’aide à mourir.
Enfin, il est mentionné au titre de tiers à qui la personne pourrait demander d’administrer le produit létal à sa place, un proche ou une personne volontaire désignée par le malade. D’une part il me semble très délicat de demander aux proches d’une personne malade d’administrer un produit létal, et de gérer la culpabilité d’avoir été le facteur de la mort d’un proche. D’autre part, je ne considère pas non plus souhaitable qu’un tiers extérieur, par exemple un membre volontaire d’une association de bénévoles, soit amené à pratiquer cet acte, afin de ne pas favoriser le développement d’officines dans ce domaine. Il me semble crucial de circonscrire le projet de loi dans une dimension purement médicale.
M. Emmanuel Hirsch, professeur des universités émérite d’éthique médicale (Université Paris-Saclay). Certains soignants s’offusquent qu’un jour prochain leur esprit d’engagement soit confondu avec l’aide active à mourir médicalement assistée. Il en va d’un engagement de conscience et de confiance à propos duquel ils ne transigent pas, quitte à donner parfois l’impression d’une résistance éthique ou d’une obstination qui, selon moi, n’a rien de déraisonnable.
Faut-il rappeler que, dans les années 1980, le mouvement des soins palliatifs a contribué à construire la dimension la plus sensible de la démocratie en santé ? Il s’agissait alors de réhabiliter, voire d’inventer une éthique du soin opposée à la technicité médicale qui abandonne le malade à sa souffrance dès lors que la médecine a été mise en échec par la maladie. Au lieu de contester leurs réticences à une loi qui dépénaliserait l’euthanasie, soyons attentifs à l’appel à une vigilance, voire à un refus qui s’inscrit dans la mémoire d’une culture médicale qui, dans notre pays, s’est habituée par le passé à des pratiques inacceptables aujourd’hui.
Assumer le face-à-face avec la personne qui doute à ce point de son existence qu’elle préférerait qu’on l’aide à y renoncer, est d’une complexité redoutable. Le jour où des professionnels de santé et des membres d’associations à leurs côtés auront renoncé à tout tenter pour préserver cette part d’humanité dont témoigne leur conception du juste soin, il n’est pas certain que notre société soit en capacité de résister à d’autres renoncements.
À plusieurs reprises, et hier encore devant votre commission, le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a indiqué que le projet de loi relatif à la fin de vie n’était qu’une étape transitoire avant une prochaine loi. Cette observation n’est pas anodine, dès lors qu’elle devrait nous inciter à anticiper les évolutions que justifiera la loi que vous voterez, ne serait-ce qu’en termes de justice à l’égard des personnes qui ne relèveraient pas des critères limitatifs que votre assemblée fixera.
Pour les parlementaires que vous êtes, il ne s’agit pas moins que de se prononcer sur la dépénalisation d’un homicide à la demande de la personne malade, sur avis et avec assistance médicale. Dans son avis rendu le 4 avril 2024, le Conseil d’État précise que le projet de loi « introduit ainsi une double rupture par rapport à la législation en vigueur, d’une part, en inscrivant la fin de vie dans un horizon qui n’est plus celui de la mort imminente ou prochaine et, d’autre part, en autorisant pour la première fois un acte ayant pour intention de donner la mort ».
L’engagement éthique de terrain consiste à anticiper les conditions d’application ainsi que les conséquences de cette double rupture dans l’exercice des missions du soin d’accompagnement et dans celui, distinct, des missions de l’aide à mourir. Deux points me semblent importants. D’une part le texte de loi doit affirmer des principes fondamentaux qui ne feront pas l’objet de nouvelles évaluations éthiques ou sociétales contraires aux engagements politiques conditionnant aujourd’hui l’acceptabilité de l’aide médicale active à mourir. D’autre part, l’intitulé de cette loi doit expliciter ce qu’est sa finalité, l’accompagnement de la fin de vie ne pouvant être sérieusement assimilé à l’acte qui met fin à une vie. Autrement dit, il aurait été sage et loyal de réviser la loi du 9 juin 1999 visant à garantir l’accès aux soins palliatifs, plutôt que la dissoudre dans une loi donnant à croire que l’accompagnement d’une personne relève d’une philosophie et d’une intention identiques, voire complémentaires, qu’il s’agisse des soins palliatifs ou de l’aide active à l’euthanasie.
Une précision s’impose également à propos de l’article 5 du projet de loi. Il est surprenant que l’acte létal médicalisé puisse être accompli par un tiers n’ayant pour légitimité que d’avoir été désigné par la personne à cette fin, à moins de considérer que le geste létal ne relève pas d’une compétence de soignant, autrement dit qu’il ne relève pas du soin.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je souhaite préciser que le président du CCNE a nuancé en fin de séance le propos que M. Hirsch a rapporté. Il me semble qu’il pointait comme une évidence le fait que, à très long terme, dans plusieurs décennies, la loi sur la fin de vie aura probablement évolué.
Mme Depadt a posé trois questions particulièrement importantes : la question de la volonté par anticipation, la question des personnes protégées et la question du pronostic vital à moyen terme. J’aimerais que les intervenants qui n’ont pas développé ces trois points dans leur exposé puissent nous donner leur sentiment.
De même, j’aimerais inviter ceux qui ne se sont pas exprimés sur la question du tiers amené à administrer la substance létale à nous livrer leur point de vue.
Par ailleurs, avez-vous, mesdames et messieurs, des suggestions à émettre concernant la composition et les missions de la commission d’évaluation et de contrôle ?
Enfin, vous semble-t-il recevable d’un point de vue éthique, que des établissements soient exclus de l’accès à l’aide à mourir ?
M. Didier Martin, rapporteur. À propos des directives anticipées, Régis Aubry a affirmé lors d’une précédente audition qu’il faut s’abstenir de répondre à une demande qui n’existe plus. Qu’en pensez-vous, madame Depadt ?
J’aimerais que le Dr Blot précise ce qu’il entendait par la désincarnation du titre Ier du projet de loi.
Je partage la distinction opérée par M. Gzil entre les actes de prescrire et d’administrer la substance létale, qui n’engagent pas la même responsabilité. Je considère, d’ailleurs, que la loi devrait envisager que le prescripteur soit aussi celui qui administre la substance.
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Que pensez-vous des critères d’évaluation de la volonté libre et éclairée, et du rôle éventuel des médecins psychiatres dans cette évaluation ?
Concernant les directives anticipées, que pouvez-vous nous dire sur leur temporalité, notamment par rapport aux majeurs protégés ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Je m’étonne d’avoir entendu à plusieurs reprises que l’aide à mourir ne saurait être un soin. L’aide-soignante que j’ai été se souvient qu’à l’hôpital, les médecins internes ou externes participent à la toilette mortuaire, et que cet acte est considéré comme un soin. Dès lors, comment considérer que l’aide à mourir ne puisse pas constituer un soin, si la toilette mortuaire, elle, en constitue un ?
Mme Valérie Depadt. Je répondrais à l’assertion de Régis Aubry que les directives anticipées ne constituent pas une demande, mais l’expression d’une volonté. Le temps n’efface pas ces directives anticipées, elles restent valables au-delà de la pleine capacité à s’exprimer, jusqu’à leur consultation. Dès lors, on ne saurait parler d’une « demande qui n’existe plus ».
M. Fabrice Gzil. La contemporanéité d’une demande est la garantie de l’appréciation par la personne de la souffrance qu’elle éprouve. Inscrire dans des directives anticipées une demande relative à des circonstances difficiles à prévoir me semble vraiment complexe.
Dr Véronique Fournier. La connaissance de son diagnostic par la personne qui écrit ses directives anticipées me paraît une garantie suffisante pour que ces directives anticipées puissent authentiquement conserver leur valeur le moment venu. Cependant, les directives anticipées ne suffisent pas dans une situation où les atteintes des troubles cognitifs sont si importantes qu’il convient de solliciter la personne de confiance pour les interpréter.
M. Emmanuel Hirsch. L’assentiment et le consentement sont deux choses différentes. L’assentiment, c’est reconnaître la personne dans son histoire, reconnaître ce qu’elle a été. Selon la logique générale du projet de loi, je ne vois pas à quel titre on refuserait à une personne, parce qu’elle est dans l’incapacité de s’exprimer à un moment donné, ce qu’elle avait toujours souhaité.
Le formalisme de la loi comporte un certain danger. En effet, la rigidité du cadre des procédures et des protocoles, si elle va à l’encontre de la capacité d’appréciation par les familles de ce que le malade avait fait valoir jusqu’à présent, remet en cause certaines libertés fondamentales.
Il me semble important, au moment de se projeter dans son avenir, d’avoir le sentiment d’être entouré par des professionnels et des familles disponibles. C’est la raison pour laquelle il convient de développer le soin des proches qui auront à survivre à un suicide assisté ou à une euthanasie. Or cet aspect n’est pas du tout abordé dans la loi.
Dans le prolongement de la réflexion de Mme Fiat sur la toilette mortuaire, qui fait partie d’un ensemble de rites d’adieu au cœur de l’engagement des professionnels vis-à-vis de la personne qu’ils ont accompagnée, je m’interroge sur la manière de ritualiser l’euthanasie. Dans les pays ayant déjà légiféré sur la possibilité de l’euthanasie, les difficultés rencontrées par les soignants et les familles doivent nous inspirer quant à la nécessité d’accompagner, de ritualiser ces moments dans les établissements où l’aide active à mourir est pratiquée.
Dr Véronique Fournier. La difficulté de sortir un patient de l’institution dans laquelle il vit pour l’emmener dans un endroit qu’il ne connaît pas pour obtenir l’aide à mourir, plaide en défaveur de l’exclusion de certains établissements de l’accès à l’aide à mourir.
J’estime que l’administration de la substance létale par un médecin représente ce que nous devons, en tant que système de santé, à des personnes qui demandent l’aide à mourir. Et je suis d’ailleurs, comme M. Martin, favorable au principe selon lequel le prescripteur doit être l’administrateur.
L’évaluation psychiatrique soulève une interrogation, parce que les psychiatres, et c’est tout à leur honneur, entretiennent un rapport au suicide très différent des autres spécialités médicales. Pour eux, une demande de suicide relève d’une pathologie. Dès lors, leur demander d’évaluer le niveau de conscience de quelqu’un qui demande une aide à mourir est contradictoire avec la façon dont ils exercent leur métier.
Enfin, je ne puis qu’être d’accord avec Mme Fiat quand elle déclare que l’aide à mourir représente un ultime soin et doit faire partie de l’arsenal de soins que nous devons aux patients lorsqu’ils nous le demandent.
M. Fabrice Gzil. Je reviens brièvement sur la question des directives anticipées. Au centre du projet de loi se trouve la question de la douleur et de la souffrance. Il me semble très délicat de faire évaluer par un tiers la souffrance d’autrui et son caractère insupportable. Je rappelle que certaines personnes atteintes de troubles neurocognitifs très avancés se portent bien et ne manifestent pas de souffrance ou de détresse particulière. Dans ces cas, la mise en œuvre d’une directive anticipée sans ce critère de la souffrance me paraît en rupture avec les conditions prévues par la loi.
Il me semble que la commission de contrôle et d’évaluation devrait avoir pour tâche de constituer une documentation très précise de ce qui a été pratiqué, afin de s’assurer de l’absence de dérives.
Je suis, pour ma part, attaché à la distinction entre prescrire et administrer. La proposition d’une auto-administration par la personne qui le souhaite et la possibilité d’une administration par un médecin exclusivement lorsque la personne ne peut accomplir elle‑même cet acte pour des raisons physiques me semblent assez cohérentes avec une forme de nuance et d’attention à la variété des situations.
Il m’apparaît que l’évaluation du caractère libre et éclairé du consentement devrait porter davantage sur le discernement que sur des motifs psychologiques sous-jacents. En effet, comprendre que l’on souffre d’une maladie grave et incurable génère une grande désespérance. Dès lors, si on cherche ce motif psychologique, on finira par le trouver. L’utiliser pour invalider une demande nous ferait entrer dans un cercle vicieux. L’évaluation du discernement devrait par conséquent être conduite selon des critères très stricts et se rapporter uniquement à l’évaluation de la capacité du patient à comprendre son état et à comprendre les conséquences de sa demande.
Je remercie Mme Fiat d’avoir évoqué la toilette mortuaire, parce que durant la période du covid-19, nous avons constaté la souffrance très profonde des soignants qui n’avaient pas été en mesure d’accomplir ce dernier geste de soins et qui avaient le sentiment d’avoir manqué à leur devoir d’humanité. La toilette mortuaire honore, humanise, personnalise le défunt, elle relève de la poursuite du soin, de son achèvement. L’aide à mourir, selon moi, relève d’une autre logique, qui ne la disqualifie pas, qui ne l’oppose pas au soin, mais qui est ce que j’ai appelé la reconnaissance partagée d’une finitude partagée, c’est‑à‑dire une forme de constat d’échec.
M. Emmanuel Hirsch. La distinction entre prescrire et administrer est pertinente. Néanmoins, que le médecin qui a accompagné une personne au cours de sa lutte contre la maladie soit celui qui accomplit l’acte d’aide à mourir me semble compréhensible. En revanche, mobiliser pour la seule administration des professionnels favorables à l’euthanasie inscrits sur un registre, et qui ne connaissent pas la personne, me semble problématique.
La réalité du terrain est celle de professionnels qui éprouvent des difficultés à accueillir des personnes qui souhaitent bénéficier de leurs soins. Aussi, envisager la dépénalisation de l’euthanasie comme une urgence en matière de santé publique a quelque chose d’insultant par rapport à ce que demandent les professionnels de la santé et du secteur médico-social.
Mme Valérie Depadt. Donner la possibilité à un proche d’administrer ou de tendre à la personne la substance létale me semble être une manière de rejeter la personne qui va mourir hors de la sphère médicale, autrement dit une manière de rendre le malade à ses proches. J’ignore si l’aide de mourir peut être considérée comme un soin ou non. En revanche, j’estime qu’elle constitue un acte médical.
Par ailleurs, je répondrai à Fabrice Gzil que dans le cas de personnes atteintes de troubles neurocognitifs et qui ne manifestent pas de souffrance, les directives anticipées n’ont simplement pas à être consultées.
Dr François Blot. Être soignant et accepter d’assister la personne dans toutes les dimensions de sa vie, y compris les modalités qu’elle choisit pour sa mort, n’est pas antinomique et peut, pour certains soignants, faire partie d’un soin. L’exemple de la toilette mortuaire brandi par Mme Fiat est à cet égard très juste.
De nombreux soignants n’imaginent pas non plus passer le relais au moment de l’administration de la substance létale à un tiers non soignant, au motif d’une dissociation entre prescription et administration. À partir du moment où une demande a été examinée en conscience et collégialement, la prescription se prolonge dans l’administration.
L’expérience montre, dans les pays où l’aide à mourir est en vigueur, que les personnes souhaitent le plus souvent que l’administration soit effectuée par un soignant, plutôt que par eux-mêmes, et encore moins par leurs familles ou leurs proches. La modalité d’administration de la substance létale devrait faire l’objet d’un choix libre du patient, et s’il souhaite qu’elle soit effectuée par les soignants, il revient à ceux-ci d’endosser cette part du travail.
Mme Cécile Rilhac (RE). J’aimerais connaître le point de vue des intervenants sur la question de l’éligibilité des mineurs à l’aide à mourir.
Ne convient-il pas de distinguer les directives anticipées, qui peuvent être rédigées à tout moment, de la demande anticipée de la possibilité d’être euthanasié à l’annonce d’un diagnostic ? Cette demande anticipée ne doit-elle pas être acceptée par le médecin, même en cas de perte de conscience ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Docteur Blot, que pensez-vous de l’élargissement, en Belgique, de l’accès à l’euthanasie aux mineurs en 2014, et aux handicapés en 2027 ? Que pensez-vous de la suppression, au Canada en 2021, du critère du caractère prévisible de la vie ?
Madame Depadt, estimez-vous que le délai de 48 heures prévu dans le projet de loi est suffisant pour valider une demande d’aide à mourir ?
Docteur Fournier, que vous inspire l’euthanasie pratiquée aux Pays-Bas sur une jeune femme de 20 ans, motivée par ses souffrances consécutives à un abus sexuel ? Et celle d’une jeune femme de 23 ans victime collatérale des attentats de 2016 ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Madame Depadt, vous avez dit qu’on ne doit pas se déresponsabiliser quand il s’agit de passer à l’acte. Hier, un médecin insistait sur la nécessité d’une décision voire d’une administration collégiale, afin de conjurer la solitude du médecin au moment de prescrire et d’administrer. Qu’en pensez-vous ?
Monsieur Gzil, vous parliez d’évaluation de discernement, mais j’aimerais comprendre comment vous évaluez le degré de souffrance supportable.
Mme Annie Genevard (LR). Vous préconisez, docteur Fournier, de faire sauter le verrou du pronostic vital engagé, et d’ouvrir ainsi la possibilité d’un accès universel à l’euthanasie et au suicide assisté. Cette suggestion est vertigineuse, et je vous avoue qu’elle me stupéfait et me terrifie.
Madame Depadt, faudrait-il prévoir l’intervention d’un juge concernant les majeurs protégés ?
M. Philippe Vigier (Dem). Madame Depadt, pensez-vous qu’il convient d’aller vers une inscription obligatoire des directives anticipées dans le dossier médical ?
Nos intervenants considèrent-ils que, sur le plan éthique, il soit justifié que les médecins qui prennent une décision collégiale soit ceux qui la mettent en pratique, comme ils le font pour tout traitement médical, en cancérologie en particulier ?
Mme Christine Pires Beaune (SOC). Le testament d’une personne plongée dans le coma n’est pas remis en cause par sa perte de conscience. Dès lors, au nom de quoi il en irait différemment des directives anticipées ?
La sédation profonde et continue relève-t-elle selon vous du soin d’accompagnement ? Si oui, pourquoi ne pas considérer l’aide à mourir de la même façon ?
M. Laurent Panifous (LIOT). Docteur Fournier, vous avez proposé de retirer le critère du pronostic vital à court ou moyen terme comme condition d’accès à l’aide à mourir. En l’absence de la mention d’un terme, court ou moyen, où fixez‑vous la limite ?
M. Raphaël Gérard (RE). Le professeur Gzil a évacué, un peu vite à mon sens, la question de la dignité en tant que valeur au nom de laquelle on pourrait légiférer sur l’aide à mourir. Dès lors, où placer cette notion de dignité ? À qui revient-il de la définir ? Aux éthiciens ? Aux médecins ? Aux patients eux-mêmes ?
Mme Marie-France Lorho (RN). Madame Depadt, jugez-vous, du point de vue de l’observation du droit, que ce projet de loi revient sur l’interdit de tuer ? Dans l’éventualité du vote de ce projet de loi, comment le législateur peut-il prévoir les détournements de celle-ci ?
M. Julien Odoul (RN). Docteur Blot, vous avez parlé de « marge de progrès » à propos de l’aide à mourir. Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes de ce progrès ? Jusqu’où voulez-vous aller au nom de l’éthique ? Voulez-vous ensuite que des personnes puissent décider pour d’autres si elles ne sont plus en capacité de le faire ? Vos certitudes, docteur, me terrifient, car rien n’est irréversible, rien n’est inéluctable, le corps humain dispose de ressources insoupçonnées et il faut laisser une chance à la vie.
M. Jocelyn Dessigny (RN). La question du moyen terme est cœur de nos débats, parce que le problème de sa définition semble insoluble. Or, à partir du moment où l’on ne parvient pas à une définition, quel est le sens de légiférer sur ce sujet ? Peut-on accorder un droit de mort sans connaître précisément la définition du moyen terme ?
M. Philippe Juvin (LR). Monsieur Hirsch, seriez-vous choqué que le suicide assisté tel que le permet la loi puisse être pratiqué en prison ?
Docteur Fournier, le suicide doit-il faire l’objet d’une politique de prévention ? Si oui, comment différencier le suicide à prévenir et celui à respecter ?
Au Canada, 58 % des demandes d’euthanasie proviennent de personnes à faibles revenus, et seulement 42 % de personnes ayant des revenus élevés. Madame Depadt, comment expliquez-vous cette surreprésentation des plus pauvres ?
Monsieur Gzil, voyez-vous un risque d’abus de faiblesse dans le fait de permettre à un tiers familial de participer au suicide assisté ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). J’aimerais recueillir l’avis de Mme Depadt et du Dr Blot concernant la proposition formulée par le Dr Fournier de ne retenir comme seul critère d’éligibilité à l’aide à mourir la souffrance insoutenable.
Dr François Blot. Monsieur Odoul, si vous avez entendu des certitudes dans mon propos, cela signifie que je me suis très mal exprimé. Je pensais avoir mieux dit tous les doutes et tous les déchirements qui m’ont amené, au prix d’un cheminement complexe, à moduler mon opinion. Je porte des convictions, certainement pas des certitudes.
Je me suis également mal exprimé si vous avez compris que je voyais cette loi comme une première étape. Je pense, au contraire, que la meilleure manière de ne pas accumuler les lois et d’éviter certaines dérives est d’établir les critères les moins restrictifs possible d’admissibilité d’une demande d’aide active à mourir, tout en dessinant les conditions les plus respectueuses et les plus minutieuses de l’examen lui-même. Il me paraît souhaitable qu’il n’y ait pas de fermeture théorique à la demande, mais que l’examen soit quant à lui extrêmement précis, quitte à surseoir la décision. C’est précisément une accessibilité restreinte de la demande qui entraînera une exigence de modification et d’évolution de la loi.
Mme Valérie Depadt. Le débat sur la fin de vie ne saurait se poser en relation avec la question de l’interdit de tuer. Un homicide consiste à tuer une personne, volontairement ou involontairement. Ici, il ne s’agit pas de donner la mort à une personne, il s’agit d’appliquer sa volonté, de répondre à l’expression de sa volonté.
Développer l’usage des directives anticipées est très difficile, certainement pour des raisons culturelles. Je considère souhaitable de procéder comme pour le don d’organes, c’est‑à‑dire en initiant la démarche très tôt, à 18 ans. La journée d’éducation civique pourrait fournir un support afin, sinon de faire remplir les directives anticipées, au moins de les faire entrer dans la culture des nouvelles générations.
Il m’est difficile de répondre à la question des mineurs, sur laquelle j’ai peu travaillé, sinon en rappelant qu’une personne est mineure parce qu’on estime qu’elle ne possède pas la maturité suffisante pour un acte de la vie civile, et que l’autorité parentale ne concerne pas seulement l’éducation, mais tout un ensemble de soins prodigués dans l’intérêt du mineur.
La surreprésentation des faibles revenus dans les demandes d’aides à mourir est malheureusement évidente. Tant que nous ne sommes pas à même de proposer à tous, de façon égalitaire, des soins de qualité, certains seront plus entourés et mieux soignés que d’autres.
Dr Véronique Fournier. Les résultats de la France en matière de directives anticipées ne sont ni meilleurs ni pires que ceux de ses voisins. Une manière de les améliorer pourrait consister à ouvrir des consultations de fin de vie, où les gens puissent venir poser des questions relatives à la fin de vie et à leur mort. Elles permettraient de connaître l’état actuel du droit, les conditions de la mort, ou les effets de sa mort sur ses proches. Je signale qu’une initiative, appelée « les cafés mortels », rencontre un certain succès, et permet de débattre de la mort sous tous ses aspects.
Mon propos, évidemment, ne consiste pas du tout à proposer un droit universel à l’accès au suicide assisté et à l’euthanasie. Au Canada, où une loi d’aide active à mourir a été adoptée en 2016, des patients en situation de très lourd handicap ou atteints par une maladie neurologique évoluée et dégénérative, et qui présentaient des souffrances insupportables attestées, ont immédiatement contesté le caractère inégalitaire de cette loi. La Cour suprême du Québec, puis celle du Canada, leur ont donné raison en élargissant les conditions d’accès à l’aide à mourir et en supprimant les termes de « maladie évolutive à pronostic vital engagé à court et moyen terme », qui étaient les mêmes que ceux figurant dans votre projet de loi. La même chose s’est produite en Belgique et aux Pays-Bas, et il me semble certain qu’elle se produira en France si la loi reste en l’état, parce qu’elle génère de fortes inégalités entre les citoyens. Je n’ai pas voulu dire autre chose.
Faire état de sa souffrance psychologique ou physique insupportable et inapaisée est extrêmement difficile. Les patients sont tenus de convaincre leurs proches et les soignants qui font tout leur possible pour les aider, puis de convaincre le médecin chargé de l’évaluation. Cela représente une forme de douloureuse transgression. C’est pourquoi je pense qu’il convient de se donner les moyens d’être bienveillant et accueillant face à l’expression de la souffrance, pour rassurer la personne en lui disant que son cas entre dans le périmètre de la loi. Ensuite, si la procédure collégiale vient en appui du médecin, elle ne saurait être décisionnaire à sa place. Une procédure collégiale aboutit toujours au plus petit dénominateur commun, parce qu’il se trouvera toujours un de ses membres qui doutera. Cette procédure collégiale doit par conséquent éclairer la décision du médecin, et non se substituer à lui.
M. Emmanuel Hirsch. La prison est en effet un lieu de grande vulnérabilité, où la capacité de jugement critique de la personne peut être questionnée. Mais il en existe d’autres, par exemple les Ehpad où, malgré le dévouement du personnel, la souffrance de ne plus exister socialement est vive. Il m’apparaît d’ailleurs qu’améliorer la situation des Ehpad est un enjeu politique plus pressant que légiférer sur la fin de vie. Se préoccuper comme d’une urgence absolue de la question de la fin de vie plutôt que répondre à la revendication d’exister dans notre cité me semble dire beaucoup sur notre démocratie.
On considère aujourd’hui qu’il existe une majorité médicale. Dès lors qu’une personne jeune dispose d’une faculté de discernement, c’est faire injure à son expérience de la confrontation à la souffrance et la mort d’affirmer qu’elle n’a pas la maturité requise. Parfois, la maturité de personnes jeunes est supérieure à celle des adultes. Dès lors, le formalisme de la majorité juridique peut s’opposer à l’expérience du vécu. Si l’on accepte la parole de vérité des adultes, pourquoi ne pas accepter celle de l’enfant qui souffre ? Il convient de se garder de toute approche dépourvue de nuance. De même, ne pas prendre en considération la parole des psychiatres relève d’un immense mépris à leur endroit.
La question de la vulnérabilité me semble finalement la question la plus essentielle. Je m’inquiète d’entendre des médecins souhaiter de manière absolutiste aller encore plus loin. J’ignore ce que signifiera ce « aller plus loin », sinon parvenir à l’abolition du sens de la relation de fraternité entre les individus et, d’une certaine manière, verser dans une forme de barbarie. Le grand danger, aujourd’hui, me semble résider dans l’accablement de certains professionnels par rapport à ce à quoi ils vont être confrontés dans les Ehpad, qui sont parfois considérés comme des mouroirs. J’estime que la loi remet en cause politiquement ce qu’est un Ehpad, qui est un lieu de vie que l’urgence commande de réinventer comme tel au sein de la cité, nourri des valeurs les plus fortes de notre démocratie. Il en va de même pour la psychiatrie, et il m’apparaît que cette loi aura pour conséquence de démotiver les professionnels les plus attachés à une certaine conception humaniste du soin.
Le projet de loi sur la fin de vie, et je le dis avec gravité, remet en cause l’éthique et les valeurs du soin, à l’heure où certains font le choix politique d’effriter notre système de santé et notre système médico-social. Je terminerai sur une distinction que l’on fait en matière d’éthique entre la finalité d’une décision et les conséquences d’une décision. Je m’interroge sur l’intention de la décision impliquée par cette loi : est-ce une intention éthique ? Ou est-ce une intention strictement politique ?
M. Fabrice Gzil. Je comprends l’extrême difficulté posée par la définition du moyen terme et l’établissement d’un pronostic. Néanmoins, cette notion de moyen terme présente l’intérêt de circonscrire l’accessibilité à l’aide à mourir à une situation où la personne va mourir de sa maladie dans un délai raisonnablement prévisible. Dès lors, administrer un produit létal ne revient pas à provoquer la mort, mais seulement à hâter la survenue du décès.
Dans mon propos liminaire, je n’ai pas voulu, bien évidemment, disqualifier le sentiment d’indignité. Il arrive qu’une personne gravement malade et diminuée ait le sentiment de perdre son humanité ou sa dignité. Mais elle n’en reste pas moins digne et humaine aux yeux des soignants qui prennent soin d’elle, et aux yeux de son entourage. Le caractère inaliénable de la dignité est un immense apport de notre culture.
La sédation profonde et continue porte une ambiguïté, incarnée par l’expression « laisser mourir », par opposition à « faire mourir ». Elle n’a pas pour effet direct ou intentionnel de hâter le décès, qui va survenir à court terme du fait de la maladie.
Je pense que la question de l’évaluation de la souffrance porte surtout sur la reconnaissance de la souffrance, la capacité à l’entendre et à y apporter une réponse dans la mesure de nos moyens. Il ne s’agit donc pas tant d’évaluer la souffrance, puisqu’il revient à la seule personne qui l’éprouve de considérer si elle est, ou non, insupportable.
La question des mineurs est abyssale. Il m’apparaît qu’elle porte, non pas sur la légitimité de la demande d’un mineur, ou sur la maturation de son discernement, mais sur la réponse qui lui est apportée, et surtout sur l’identité de celui qui va assumer la responsabilité d’y répondre.
Le risque d’abus de faiblesse me paraît survenir plutôt au moment de l’examen de la demande et de son caractère libre et éclairé, qu’au moment de l’administration du produit létal. Le fait d’associer un parent, un proche ou un conjoint à l’administration de la substance létale m’inquiète davantage.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous vous remercions pour vos interventions et vos réponses.
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8. Audition du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 9 heures 30)
La commission spéciale auditionne Mmes Sarah Dauchy, présidente, et Giovanna Marsico, directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie ([9]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous commençons nos travaux de ce matin avec l’audition des représentantes du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, auxquelles je souhaite la bienvenue devant la commission spéciale.
Mme Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Nous sommes particulièrement heureuses d’être associées au processus démocratique et d’exercer ainsi notre fonction d’information. Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a été créé en 2016, dans le contexte de la loi Claeys-Leonetti, afin d’informer les Français et de faciliter leur appropriation des dispositifs de fin de vie. Il a pour mission essentielle de contribuer à la bonne connaissance du grand public à propos des soins palliatifs et des conditions de la fin de vie et, plus précisément, des directives anticipées, des personnes de confiance, de la démarche palliative et des soins d’accompagnement. Ces missions d’information et d’appropriation sont nécessaires puisque seul un Français sur sept est correctement informé sur la fin de vie. Le Centre diffuse des ressources statistiques, épidémiologiques et documentaires. Il remplit un rôle d’observatoire et de production d’expertise indépendante étayée par des données scientifiques. Il est enfin un pôle de référence national, neutre et non militant, qui appuie l’intégration des soins palliatifs dans les parcours de santé et de la fin de vie dans les parcours de vie.
Le Centre est piloté par sa présidente et par une commission d’expertise, qui garantit sa capacité à prendre en compte la pluralité des convictions et des positionnements. Elle est composée de sept représentants d’associations d’usagers, d’aidants ou de bénévoles, de douze membres issus de sociétés savantes et de cinq personnes venant de structures transversales.
Notre premier point d’attention concerne l’égalité d’accès et le respect de l’autonomie, et plus particulièrement la traçabilité de l’ensemble du processus. La traçabilité des données sur l’aide active à mourir vise à répondre, par la suite, à des questions de recherche.
Ce projet permettra de garantir que tous les éléments d’information et de choix ont bien été donnés afin que le cheminement psychique puisse s’effectuer et tous les moyens d’y répondre être mobilisés. Il comporte une part d’anticipation et une part de soin. Il devra recevoir un code clair et identifiable dans la nomenclature. Nous rencontrons d’importantes lacunes en matière d’anticipation et de ressources, qui entraînent du retard dans les parcours de santé des patients.
Le dispositif nécessitera un haut niveau de formation à toutes les étapes pour répondre à la demande d’aide à mourir et accompagner psychologiquement le patient comme ses proches. La montée en puissance de la dimension universitaire de la formation en soins palliatifs est fondamentale pour augmenter le volume de nos données de recherche, ainsi que pour l’acquisition de compétences particulières telles que la capacité à parler de la mort, à l’anticiper et à mobiliser les ressources disponibles.
Je souhaite enfin aborder le sujet des soins psychiques, qui font partie du soutien à l’autonomie des patients dans cette période d’immense vulnérabilité qu’est la fin de vie. De 20 % à 50 % des patients présentent des pathologies psychiatriques associées. Cette question de la vulnérabilité, qui peut faire naître la peur d’une limitation de l’autonomie des patients ou d’une critique de leurs capacités de discernement, doit être prise en considération. Elle colore l’évaluation de leur situation par des facteurs émotionnels, cognitifs ou relationnels, pour s’assurer que le patient demande ce qu’il souhaite réellement. Le travail du réseau français de psychiatrie de liaison a ainsi abouti à la proposition de systématiser l’entretien avec un psychologue ou un psychiatre dans l’analyse de la demande d’aide à mourir, afin d’accorder plus d’autonomie aux personnes.
Mme Giovanna Marsico, directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Avec dix salariés, le Centre national est une petite structure qui a néanmoins acquis une forte légitimité dans ses missions d’information, de production d’expertise et d’accompagnement du débat public. Dans la mesure où 59 % des Français ne se sentent pas concernés ou intéressés par les enjeux de fin de vie, nous rencontrons des difficultés dans cette fonction d’information. Elle devient en revanche essentielle pour les personnes vulnérables et pour les proches qui accompagnent une situation de fin de vie. Afin de répondre à cet enjeu, le Centre produit des documents largement diffusés dans les établissements de santé et utilisés dans des contextes propres à la fin de vie. En revanche, le sujet est peu présent dans des milieux tels que l’éducation nationale, la jeunesse ou les territoires. Il est fondamental, afin que l’intérêt et la compétence du public augmentent, qu’il soit abordé comme un enjeu de débat citoyen et non réservé aux seules personnes concernées.
Au titre de sa mission d’expertise, le Centre produit des ouvrages destinés à la fois aux décideurs et à la société civile. Le premier est l’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France, qui recense et analyse les enjeux démographiques et épidémiologiques. Il a été l’un des piliers des discussions de la Convention citoyenne et des groupes de travail diligentés par le ministère. Le Centre procède également au parangonnage des législations liées à la fin de vie. Il mène, enfin, des enquêtes thématiques qui aident à adapter les politiques publiques aux besoins réels.
La troisième grande mission du Centre est l’accompagnement du débat public. À ce titre, nous avons participé au comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Nous avons notamment élaboré à destination de ses membres un document de formation pour une parfaite compréhension des enjeux, qui a permis à chacun d’exprimer un avis éclairé. Nous avons également accompagné le ministère de la santé dans l’animation des groupes de travail mixtes dont les travaux ont alimenté la production de la stratégie décennale et l’élaboration du projet de loi.
En matière de démocratie en santé, la fin de vie diffère des autres domaines. Le sujet n’est pas uniquement clinique ou médical. Il implique également un enjeu de citoyenneté. Les patients doivent être écoutés et entendus dans l’expression de leur expérience.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. À l’issue de votre travail d’étude des législations étrangères, avez-vous observé, dans les pays qui ont légiféré sur l’aide à mourir, une baisse consécutive des moyens et du nombre de lits en soins palliatifs ?
Concernant le sujet de la traçabilité, il est possible d’observer, malgré l’absence de codification, un très faible recours à la sédation profonde et continue. Comment l’expliquez-vous ?
Vous avez insisté sur deux notions essentielles, l’égalité d’accès et la liberté de choix. Quelle approche avez-vous des conditions d’éligibilité et d’accès à l’aide à mourir telles qu’elles figurent à l’article 6 du projet de loi ? Formulez-vous des remarques ou des propositions ?
M. Didier Martin, rapporteur. La notion de psychiatrie de liaison concerne directement l’élaboration du plan personnel de soins d’accompagnement et détermine le libre choix du patient. Une évaluation serait rendue au patient lui-même grâce à un entretien dont la conduite nécessite une formation, du temps et une maîtrise. Nous devons en avoir conscience au moment de l’élaboration de ce projet de loi.
Une anonymisation des directives anticipées pour un traitement scientifique de recherche paraît-elle imaginable ? Comment concevez-vous l’articulation de vos missions avec la plateforme nationale de recherche ? Avez-vous des idées pour garantir l’aspect rationnel de l’approche et éventuellement les conditions, pour l’avenir, d’un libre choix de l’aide à mourir ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Ma question concerne l’alinéa 5 de l’article 6 relatif aux conditions d’accès à l’aide à mourir qui exige d’être « apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Existe-t-il, en France ou à l’étranger, des référentiels ou des bonnes pratiques pour l’application de ce critère de façon égalitaire et juste ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. À propos de l’évaluation psychiatrique, êtes-vous d’accord pour considérer qu’il ne s’agit pas de détecter une pathologie mais la non-altération du discernement, et que cette évaluation devra recueillir l’accord du patient ?
Disposez-vous d’un comparatif des législations étrangères sur les questions de la personne volontaire appelée à administrer la substance létale et de la procédure collégiale décrite à l’article 8 ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Le sujet de la société, et notamment de l’éducation des enfants, est très peu évoqué. Dans la mesure où des décès d’enfants peuvent malheureusement survenir, quelles avancées pourraient être envisagées pour aider l’éducation nationale ? Comment ce texte pourrait-il contribuer à l’évolution des mentalités et de la façon d’évoquer la mort dans notre pays ?
Mme Sarah Dauchy. Concernant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, les enjeux de formation et d’anticipation sont essentiels. Il est nécessaire de définir en amont les souhaits et la demande du patient sans attendre l’aggravation des symptômes.
À propos du discernement, du libre choix et de l’autonomie, les points fondamentaux sont la formation de l’intervenant et la durée du processus de choix. Il est nécessaire de construire un dispositif assez souple pour s’adapter au cheminement. Il doit être réactif et ouvrir l’accès à un espace de réflexion afin que le patient exprime une volonté qui corresponde à son souhait et ne soit pas uniquement une réaction à une situation de crise. Cela rejoint l’idée d’une proposition d’entretien avec un psychologue ou un psychiatre, qui enrichit la réflexion en mobilisant le plus de compétence possible.
En ce qui concerne l’anonymisation des directives anticipées à des fins de recherche, le processus en cours est une formidable occasion d’accroître la connaissance. Les pays qui ont tenté de légiférer se sont tous heurtés au manque de données, notamment sur l’évolution du choix des patients. La production de données standardisées directement utilisables pour la recherche est une excellente piste.
Il existe une évidente complémentarité entre la plateforme et le Centre national. L’objectif d’informer au mieux les citoyens nécessite des données fiables produites par les chercheurs. S’il est possible que le processus que nous construisons actuellement produise des données en routine, cela représentera un gain de temps et de qualité.
Mme Giovanna Marsico. Un rapprochement avec la plateforme de recherche pourrait effectivement être fructueux. Une attention particulière devra être portée au système d’information pour permettre la traçabilité et faciliter l’identification des données tout en assurant un lien fort avec la recherche internationale, où existent depuis longtemps des réflexions sur l’aide à mourir, l’organisation de l’accompagnement palliatif et l’anticipation.
Le sujet de la sédation profonde et continue témoigne d’un déficit flagrant de formation sur les pratiques. Dans la prise en compte de la volonté et des besoins du patient, le professionnel de santé doit savoir distinguer entre ses valeurs et sa culture, d’une part, et l’avis du patient, d’autre part. Ils peuvent être différents. Il existe donc un enjeu de formation, à la fois technique et liée aux référentiels. La sédation profonde et continue reste présente dans les pays qui ont dépénalisé l’aide à mourir.
Aucun pays n’a réduit l’investissement sur les soins palliatifs en présence d’une aide à mourir. On observe à l’inverse que l’entrée en vigueur d’une législation sur l’aide à mourir a souvent été accompagnée d’importants plans d’investissement sur les soins palliatifs.
Sur la volonté libre et éclairée, la loi française, qui place l’autonomie du patient et le respect de sa dignité au premier plan, admet depuis vingt ans que le patient refuse des soins et, par conséquent, précipite la fin de sa vie. Ce refus de soins n’implique pas d’examen de la volonté libre et éclairée du patient. Il faut capitaliser sur les expériences françaises et étrangères de situations sensibles dans lesquelles les patients sont apparus aptes et capables d’exprimer leur choix, avec l’appui de leurs proches. Les personnes malades souhaitent en effet davantage discuter de leurs options avec des proches qu’avec un professionnel de santé.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Existe-t-il un référentiel scientifique pour objectiver cette approche inscrite dans la loi ?
Mme Sarah Dauchy. La question n’est pas tant d’évaluer le discernement que de soutenir l’autonomie. Il n’existe aucun pays dans lequel les psychiatres disposent d’un droit de veto, même en cas de doute sur le discernement. Nous ne devons en aucun cas prendre cette direction. Si des référentiels de bonnes pratiques existent, aucun algorithme ne remplacera jamais l’ouverture d’un espace de pensée. L’idée d’un arbre décisionnel vérifiant la volonté libre et éclairée du patient me semble à la fois peu pertinente et techniquement complexe. Les critères de non-discernement existent mais ils concernent un champ différent.
Mme Giovanna Marsico. Il existe une plateforme qui permet aux professionnels de santé et aux proches d’acquérir des compétences pour aider les mineurs face à des situations de fin de vie. Mais il faut aller plus loin, notamment à travers la formation des enseignants ou en imaginant la création d’une journée nationale de la fin de vie dans les écoles.
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Ma première question concerne la formation continue à la douleur pour mieux accompagner les patients en fin de vie. La deuxième porte sur les possibilités d’accueil dans les unités et la réalité du terrain. La troisième regarde votre avis sur les directives anticipées et sur le fait de ne pas pouvoir les réitérer en cas de perte de discernement.
Sur le discernement justement, il me semble nécessaire de distinguer volonté de recevoir une aide à mourir et réalisation de l’acte proprement dit. Je me questionne enfin sur l’accès des équipes mobiles aux maisons d’accompagnement.
Mme Marie-France Lorho (RN). Dans le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, il est indiqué que « l’accès aux soins palliatifs est encore perfectible en France ». Si le Gouvernement souhaite que, d’ici 2025, tous les départements disposent d’une unité de soins palliatifs, l’offre reste profondément inégale selon les territoires. L’ambition gouvernementale vous semble-telle crédible et confirmez-vous l’essoufflement du développement des unités de soins palliatifs ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). La sédation profonde et continue fait-elle partie des actions d’aide à mourir ?
M. Pierre Cordier (LR). La Cour des comptes estime que les besoins en soins palliatifs ne seraient couverts qu’à hauteur de 50 %. En 2023, une proposition de loi de programmation pour le développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire a été déposée. Avez-vous insisté, lors de vos échanges avec le Gouvernement, sur l’importance de cette notion dans cette loi ?
M. Francis Dubois (LR). Avez-vous pu, en dépit de l’absence d’évaluation statistique de la loi Claeys-Leonetti, agréger des chiffres sur la pratique de la sédation longue et continue en France ? Quel est votre point de vue sur l’articulation entre le projet personnalisé et les directives anticipées dans le texte présenté ? L’avis issu d’un entretien systématique avec un psychiatre ou un psychologue pourrait-il être un élément important dans la décision collégiale d’aide active à mourir ?
M. Laurent Panifous (LIOT). Le médecin peut recueillir la demande du patient sans recourir systématiquement à une expertise psychologique. Estimez-vous pertinent qu’un professionnel de santé puisse, en cas de doute, solliciter cet avis, et qu’il soit possible de considérer qu’il est habilité à établir seul le discernement éclairé ?
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les professionnels de santé sont régulièrement confrontés à la question du discernement sans recourir à un psychiatre. En revanche, un accompagnement psychologique me semble indispensable pour toute personne en fin de vie. Ma crainte, derrière cette proposition, est celle d’une psychiatrisation de la volonté d’en finir. Comment éviter cela ?
Il semble que l’acceptabilité de l’aide active à mourir soit supérieure en cas de fin de vie après une longue maladie ou à un âge avancé. Mais que se passe-t-il lorsque la personne est jeune ? Avez-vous constaté des différences dans l’approche en soins palliatifs ou dans l’attitude des soignants en fonction de l’âge des personnes concernées ?
M. Raphaël Gérard (RE). Quelle est la différence entre le dispositif actuel de sédation profonde et continue qui permet au patient de partir en 12 heures environ grâce à l’administration de doses croissantes de morphine, et le dispositif du projet de loi qui, par l’administration d’une substance létale à action rapide, évite la morphine et donc une expérience difficile pour le patient ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Selon les définitions communément admises, l’euthanasie est un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable à sa demande afin de faire cesser une situation jugée insupportable. Pourquoi déguiser, derrière l’expression « aide à mourir », ce qui relève explicitement de l’euthanasie et du suicide assisté ?
M. Philippe Juvin (LR). Dans la mesure où 30 à 40 % des patients en fin de vie souffrent de symptômes dépressifs, solliciter l’avis d’un psychiatre semble normal. Pouvez-vous commenter ce chiffre ?
Concernant la spécialité de médecine de soins palliatifs, pour laquelle cent postes de chefs de clinique doivent s’ouvrir dans les dix prochaines années, ne pensez-vous pas qu’il soit souhaitable d’exercer, avant de devenir médecin palliatologue, une spécialité différente ?
Mme Marine Hamelet (RN). Davantage que par les enjeux de fin de vie, les Français sont préoccupés par les questions d’accès aux soins et de déserts médicaux. Pensez-vous possible d’assurer aux patients qui rédigent des directives anticipées qu’elles seront exécutées et respectées ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). L’ouverture de quatre-vingts à cent maisons d’accompagnement annoncée par le Gouvernement soulève la problématique du recrutement dans des secteurs déjà en difficulté. Estimez-vous techniquement possible, et dans quel délai, de mettre en place ce dispositif au regard des besoins de formation complémentaire ?
Mme Giovanna Marsico. Le Gouvernement a décidé de mettre la lumière, non plus simplement sur les soins palliatifs, mais sur les soins d’accompagnement qui prévoient une prise en charge précoce du patient dès le début de son parcours. La littérature scientifique démontre les bienfaits d’une prise en charge précoce, bien avant la phase palliative qui concerne aujourd’hui les deux dernières semaines de vie. Un plan personnalisé permettra d’évaluer systématiquement la volonté du patient et d’adapter la prise en charge à ses besoins.
L’absence d’unité de soins palliatifs dans vingt départements ne signifie pas l’absence totale d’offre palliative. Elle existe autrement avec des lits identifiés, des équipes mobiles et les compétences des professionnels de terrain.
La stratégie décennale suscitera une importante montée en compétences des professionnels concernés par l’accompagnement de la fin de vie. Elle investit non seulement sur la dimension universitaire de la médecine palliative, mais également sur la formation continue des personnels. Elle fera le lien avec les maisons d’accompagnement, qui représenteront le chaînon aujourd’hui manquant entre une unité de soins palliatifs, un lit équipé pour les soins palliatifs et le domicile. Ces maisons d’accompagnement sont destinées à des personnes qui, si elles ne nécessitent pas une prise en charge technique, ont besoin d’un lieu d’accompagnement. J’espère que le nombre de maisons d’accompagnement pourra croitre à la lumière des évaluations. Le coût des lits en unité de soins palliatifs étant supérieur à ceux des maisons d’accompagnement, ils devront être réservés aux cas particulièrement délicats.
Le rapport de la Convention citoyenne n’a pas été rédigé par le comité de gouvernance dont nous faisions partie, mais par les citoyens que nous assistions simplement dans leur réflexion. Les besoins d’accompagnement palliatifs sont aujourd’hui difficiles à définir, mais 50 % des personnes ne disposent pas du nécessaire. La stratégie décennale intervient pour répondre à ce besoin.
Quant à l’attitude vis-à-vis de l’âge, j’estime naturel que le parcours de fin de vie d’une personne jeune suscite davantage d’émotion, d’attention et d’implication de la part des professionnels de santé. Ils accompagnent toutes les personnes lorsque le pronostic l’impose, quel que soit leur âge. La même attention leur est portée, qu’elles soient jeunes ou âgées, dans l’évaluation de l’éligibilité et de la capacité de discernement.
Mme Sarah Dauchy. La notion de soins d’accompagnement implique que les soins palliatifs ne soient pas uniquement ceux délivrés par des équipes spécifiquement formées. Il convient toutefois de conserver la racine de cet acte, qui est la capacité à anticiper le décès et à traiter correctement les symptômes. Le soin d’accompagnement est intéressant car il s’agit d’un soin palliatif effectué dans les situations les plus simples par des intervenants qui ne sont pas spécialisées. Il s’agit d’embarquer davantage d’acteurs de santé dans cette prise en charge qui prépare à une fin de vie proche des souhaits des patients dans le respect de sa dignité. L’enjeu d’une formation correcte est donc essentiel.
Sur le sujet des déserts médicaux et de l’accessibilité, la possibilité d’impliquer des non-professionnels de santé est une première solution. La valeur ajoutée attribuée aux soins palliatifs et à la fin de vie pourra susciter des vocations parmi les professionnels. La spécialité en soins palliatifs permettra aux jeunes médecins de s’orienter vers cette spécialité académique et aux personnels paramédicaux de voir leurs avis pris en compte dans la procédure collégiale. Par une réelle dynamique de développement et de reconnaissance, cela devrait améliorer la situation liée à la démographie médicale.
Nous ne disposons pas, sur la question de la sédation profonde et continue, de données extrapolables autorisant des généralisations. La loi à venir devra être construite en recueillant d’emblée des données pour, à l’avenir, éviter cette situation. L’augmentation progressive des doses, dans la logique de calmer les symptômes, s’appelle une sédation proportionnée et la loi accepte, avec le double effet, une augmentation qui entraîne le décès du patient. Dans le cas de la sédation profonde et continue, qui fait davantage appel à des tranquillisants qu’à des antalgiques, l’idée n’est pas d’augmenter les doses jusqu’au décès mais d’obtenir un patient qui ne soit plus vigil dans l’attente de la mort. Si les études démontrent que la sédation profonde et continue n’accélère pas le décès, la durée de vie est raccourcie lorsqu’elle est accompagnée d’un arrêt des traitements de suppléance vitale.
Sur les notions de risque de psychiatrisation et de droit au refus de soins, la proposition de rencontre avec un spécialiste ne concerne pas la question du discernement. Elle pare aux risques de troubles dépressifs et de suicides liés aux pathologies mentales chroniques. Un patient psychiatrique atteint d’une maladie somatique a moins de chance que les autres de s’en sortir, en partie à cause des refus de soins. Il s’agit de reconnaître que, dans ce processus de décision lié aux soins, plusieurs facteurs modifiant le discernement peuvent entrer en compte, sur le plan cognitif comme volitif. L’accès à une évaluation psychologique représente la possibilité d’une meilleure égalité des soins, et finalement d’une plus grande autonomie du patient. La position du groupe de travail est donc de créer une simple proposition et d’effectuer le rendu au patient lui-même, indépendamment de la question de sa prise en compte au sein d’une étude collégiale.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie de ces échanges.
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9. Table ronde sur les soins palliatifs (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 11 heures)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde sur les soins palliatifs, le Pr Franck Chauvin, président de l’instance de réflexion stratégique chargée de préfigurer le plan décennal « soins palliatifs, prise en charge de la douleur et accompagnement de la fin de vie en France » 2024‑2034, le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, le Dr Michèle Lévy‑Soussan, responsable de l’unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), et le Pr Valeria Martinez présidente de la Société française d’étude et de traitement de la douleur ([10]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Les soins palliatifs sont l’un des thèmes essentiels de ce projet de loi, dans son article 1er. Nous remercions donc les auditionnés d’avoir accepté de prendre part à cette table ronde.
Pr Franck Chauvin, président de l’instance de réflexion stratégique. Depuis le 1er juin 2023, l’instance de réflexion stratégique a travaillé de façon soutenue pour élaborer des propositions définissant une stratégie décennale pour les soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et l’accompagnement de la fin de vie. Le Haut Conseil de la santé publique avait en effet recommandé au Gouvernement d’élaborer des stratégies de long terme afin d’impulser des changements profonds. Le processus d’élaboration de ce projet de loi et de la stratégie décennale est inédit dans l’histoire des politiques publiques en matière de santé car il a vu différentes structures collaborer pendant un temps limité.
La France est le troisième pays derrière les États-Unis et l’Allemagne en termes de dépenses de santé, à hauteur de 12 % de son produit intérieur brut. Nous nous inscrivons, en outre, dans un contexte international fort avec la Déclaration d’Astana, ratifiée par tous les États membres de l’Organisation des Nations unies, qui rappelle que tous les citoyens d’un pays doivent pouvoir accéder aux soins palliatifs. De nombreux États réfléchissent à une évolution de leur système de santé et, en particulier, des soins palliatifs. Les pays développés ayant achevé leurs transitions démographiques et épidémiologiques, les maladies chroniques ont désormais remplacé les maladies aiguës, conduisant les systèmes de santé à une « transition systémique » d’adaptation à ces évolutions. Certains, tels que l’Angleterre ou l’Australie, ont élaboré des plans similaires à la France dans le champ des soins palliatifs. L’Organisation mondiale de la Santé a proposé dix-huit indicateurs pour évaluer la façon dont se structurent des soins palliatifs, que nous avons utilisés pour évaluer la situation en France. Selon le consensus international, seule une minorité des patients, soit 10 %, nécessite une prise en charge complexe répétée nécessitant des unités spécialisées. La France recense environ 620 000 décès par an, dont plus de 75 % liés à des maladies chroniques. Près de 500 000 personnes sont donc en phase terminale de leur maladie chronique et susceptibles de recevoir des soins palliatifs, dont 10 % des soins spécialisés dans des unités spécialisées.
En France, un glissement sémantique du terme « soins palliatifs » est observé, à l’inverse de l’étranger où l’on différencie généralement les soins palliatifs proprement dits et les soins de fin de vie (end of life care). Le taux de décès dans nos unités de soins palliatifs est d’ailleurs de 80 %, et implique donc des soins de fin de vie. En étudiant les soins palliatifs, on en observe essentiellement la partie hospitalière, qui représente pourtant une minorité. J’ai constaté une dévalorisation, à la fois hospitalière et universitaire, avec des unités souvent situées dans des pavillons à l’écart au sein des hôpitaux. À la lumière de ces éléments, plusieurs conclusions se sont imposées, aboutissant à des préconisations. La première est la réorganisation des soins palliatifs, avec le renforcement par les soins primaires conformément aux orientations de l’Organisation mondiale de la Santé. La deuxième concerne la réappropriation du décès et de la fin de vie par la société. Nous recommandons, enfin, une spécialisation de la médecine palliative et son développement comme discipline universitaire.
Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Mon parcours personnel et professionnel m’a conduite vers la médecine palliative. Elle place la relation humaine au cœur du soin. Ses pionniers ont dénoncé le scandale de laisser mourir dans la douleur ou la peur, et de faire mourir. C’est grâce à eux que, chaque année, plus de 150 000 Français et leurs proches sont accompagnés, et qu’un corpus législatif sur la fin de vie a été construit. Les soins palliatifs sont un immense progrès, qui permet de vivre dignement jusqu’à la mort. La nécessité de les développer fait consensus. Si nous ne pouvons pas promettre la guérison, nous pouvons accompagner la vie avec une maladie grave et soulager jusqu’au bout, même si cela raccourcit la vie. La confrontation à la maladie et la mort est parfois déchirante.
Vingt-cinq ans de soins palliatifs, ce sont plus de 13 000 personnes accompagnées jusqu’à la mort, des milliers de familles soutenues, et seulement trois demandes d’euthanasie qui ont persisté. Les milliers de soignants et de bénévoles qui ont choisi les soins palliatifs m’ont confié la responsabilité de porter leur parole et de partager avec vous leur expérience. Nous sommes les bâtisseurs d’un projet progressiste contre le « mal mourir », pour déconstruire le pouvoir médical et construire une médecine qui accepte son impuissance à vaincre la mort, mais qui jamais ne renonce à soulager. Nous luttons pour rendre aux patients le pouvoir enlevé aux médecins. Vous envisagez maintenant de leur permettre de décider qui doit vivre et qui peut mourir, de dire l’incurabilité et le temps qu’il reste, d’évaluer le discernement et la capacité à consentir, de prescrire et injecter la mort. Nous refusons le pouvoir de faire mourir quand nous n’avons pas celui de guérir. Nous voulons soulager jusqu’à la mort plutôt que la donner, même si on la demande.
Un questionnaire sur ce projet de loi a été adressé aux équipes de soins palliatifs en France. Sur les 2 300 réponses reçues, 76 % se déclarent inquiets. Plus de 90 % des médecins et infirmiers ne veulent ni prescrire ni fournir ni administrer un produit létal. 86 % d’entre eux anticipent un risque de tension dans les équipes. 22 % des médecins et 17 % des infirmiers envisagent de quitter leur poste si la loi est votée. Nous devons entendre. La loi témoigne des valeurs et des choix d’une société.
Quel que soit votre choix, quatre éléments sont essentiels pour la communauté palliative. Premièrement, elle a besoin de soutien et d’engagement pour que l’égalité d’accès promise par la loi soit garante d’une véritable liberté pour les plus fragiles. Deuxièmement, choisissez la collégialité de la décision : ne laissez pas le médecin décider seul de la vie ou de la mort ; cette toute-puissance nous mettrait en danger ou conduirait à des pratiques non éthiques. Troisièmement, ne légalisez pas l’euthanasie, même exceptionnelle, au risque de mettre en cause avec la relation de soin l’un des fondements de la vie en société alors que le système de santé est à bout de souffle, et les soignants épuisés en demande d’écoute et de respect. Quatrièmement, protégez les soignants car, si la présence soignante est la seule qui vous semble répondre à notre angoisse de mort collective, cette mission doit être réservée aux volontaires, formés et accompagnés, capables de ne pas abuser du pouvoir immense qui leur serait confié. Car cette loi, en l’état, est celle de la toute-puissance médicale.
Dr Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière. Je me suis consacrée vingt-cinq ans aux soins palliatifs. J’ai connu l’époque où ils n’existaient pas, où les patients étaient laissés en souffrance et où je faisais une injection létale à un patient, qui n’en savait rien, dont la maladie arrivait en toute fin de son évolution. Cela me laissait dans un profond désarroi. On m’a confié un enseignement d’éthique à la faculté de la Sorbonne dont les questions se posent encore vingt-huit ans plus tard. Nous sommes des soignants, mais également des humains et des citoyens. La façon dont se rencontrent ces positions doit être considérée. Nous en avons fait un projet de recherche soumis à la Convention citoyenne, prouvant que des questions de santé complexes pouvaient être comprises et débattues dans le respect de toutes les positions.
Sur ce projet de loi, ma position est différente de celle de ma collègue. Un grand nombre de soignants sont venus aux soins palliatifs dans une position d’humilité. Pour autant, je ne considère pas que cette loi consacrerait la toute-puissance médicale, mais plutôt reconnaître les limites du soulagement de la souffrance en dépit de toutes les ressources mobilisées. S’il s’agit de consacrer l’importance du soin palliatif pour soulager, il est nécessaire, au bout d’un certain temps, si la demande persiste, d’aider à mourir. Je remercie le Gouvernement d’avoir abandonné les termes d’euthanasie et de suicide assisté. L’expression « aide à mourir » se situe dans cette humilité et cet accompagnement.
Dans ma carrière de médecin en soins palliatifs, j’ai accueilli peu de demandes d’aide à mourir. La loi votée en 2016, qui prévoit la sédation profonde et continue jusqu’au décès, est mal appliquée par des professionnels qui ont longtemps considéré cet acte comme un équivalent d’euthanasie. On ne soigne pas avec des lois, qui ne vivent que dans la relation de soins. Cette sédation profonde et continue a peu vécu car peu de médecins l’ont évoquée avec leurs patients en fin de vie et en situation de souffrance réfractaire. L’essentiel se situe dans les soins d’accompagnement, qui ne concernent pas uniquement les spécialistes en soins palliatifs, mais les soignants dans leur ensemble qui, du fait de la chronicisation des maladies, effectuent quasiment tous du soin palliatif et du soin d’accompagnement.
Pr Valeria Martinez, présidente de la Société française d’étude et de traitement de la douleur. Nous saluons le souhait de considérer la prise en charge de la douleur comme composante essentielle des soins palliatifs. Ce projet de loi pose des jalons pour l’amélioration des droits des malades et le renforcement des soins d’accompagnement. Il représente une opportunité de mobiliser tous les acteurs.
Avec ses 278 structures labellisées, la France dispose d’un maillage unique, aujourd’hui fragilisé, en matière de structures dédiées à la douleur. Elle doit donc renforcer cette offre de soins et les structures mentionnées dans la loi comme des partenaires indispensables aux soins d’accompagnement. Pour une meilleure prise en charge de la douleur, trois pistes sont proposées : développer des actions sur le dépistage des patients à risque de douleur chronique et prévenir la chronicisation, faire de la médecine de la douleur une spécialité médicale et mettre en place les plateformes d’algologie interventionnelle dans chaque région.
Au sein des structures douleur, nous prenons en charge les personnes qui souffrent des douleurs complexes. Si les problématiques de fin de vie ne sont pas notre quotidien, nous sommes experts de la douleur chronique, connaissons ses multiples formes et savons accompagner les patients dans une approche globale en renforçant leur autonomie. Du fait de son expertise, la Société française d’étude et de traitement de la douleur peut donc apporter un éclairage. Il n’existe pas de corrélation entre la gravité d’une maladie et l’intensité de la douleur, qui peut concerner toute personne à tout âge. Son intensité et son caractère insupportable ne dépendent pas du pronostic vital. Le symptôme douloureux ne se caractérise pas uniquement par son intensité. Il est également important de distinguer la douleur aiguë de la douleur chronique, qui affecte toute la vie du patient et qui est classée comme maladie à part entière par l’Organisation mondiale de la Santé depuis 2019.
La Société française d’étude et de traitement de la douleur ne prend pas position sur le projet de loi, mais partage plusieurs constats. Malgré les progrès, toutes les douleurs ne peuvent pas être soulagées. Nous sommes régulièrement confrontés à des douleurs réfractaires qui peuvent devenir insoutenables. Dans ces situations, la médecine peut se trouver démunie, entraînant une rupture de la relation, des suicides, des aides à mourir clandestines. Enfin, nous respectons l’autonomie et la participation des patients à toutes les étapes de leurs soins, y compris dans leurs décisions concernant les traitements de leurs douleurs. C’est ce principe qui guide notre réflexion sur les questions de fin de vie.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Que pensez-vous de la notion de soins d’accompagnement qui apparaît dans ce texte ? Dans quelle mesure vous complète-t-elle celle des soins palliatifs, qui s’inclut désormais dans un ensemble davantage anticipateur et pluridisciplinaire ?
Concernant la situation des soins palliatifs et l’évaluation de la loi actuelle, malgré l’absence de codification des actes de sédation profonde et continue, nous constatons que celle-ci est très peu appliquée. Pourquoi cela, alors même que cet acte avait été présenté en 2016 comme une alternative à une ouverture de l’aide à mourir ?
Madame Fourcade, la toute-puissance, n’est-elle pas également de refuser par principe toute volonté exprimée librement et de façon éclairée d’être aidé à mourir ?
M. Didier Martin, rapporteur. Professeur Chauvin, la ministre de la santé a indiqué que les soins palliatifs et d’accompagnement et le plan décennal seront mis en œuvre avant le vote de la loi, qui interviendra probablement dans un an et demi à deux ans. La préfiguration de l’Inspection générale des affaires sociales permettra la mise en place de mesures concrètes.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Quelles sont vos connaissances sur les fins de vie clandestines et disposez-vous de données sur ce sujet ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Professeur Chauvin, vous avez évoqué le glissement sémantique des soins palliatifs et indiqué que nous devions sortir du modèle cure pour développer le care. Quel est votre sentiment sur ces termes concernant les soins d’accompagnement ?
Docteur Fourcade, en quoi la loi Claeys-Leonetti ne répond-elle pas de façon exhaustive sur le sujet de la collégialité de la décision ? Quel est votre sentiment concernant l’index thérapeutique ?
Pr Franck Chauvin. Nous sommes à l’origine de la proposition concernant les soins d’accompagnement, qui repose sur les constats suivants : une spécialité mise de côté, un glissement sémantique et des soignants qui demandent une meilleure anticipation. La proposition de soins d’accompagnement répond à la nécessité d’un élargissement du cadre, y compris sémantique, et d’une implication du maximum de soignants. Nous savons tous, pour l’avoir vécu, ce que signifie le passage à l’étape des soins palliatifs. En oncologie, l’un des changements majeurs est venu de l’introduction des soins de support qui ont réparti la prise en charge, y compris dans les stades initiaux de la maladie. Nous avons souhaité impulser une dynamique similaire avec ces soins d’accompagnement.
J’ai été frappé, en recherchant des données au cours de ma mission, par l’état lacunaire du système d’information. Ce sera l’une des tâches majeures de la mise en œuvre de la stratégie. Un système performant est nécessaire au pilotage.
J’estime que la faible application de la loi en vigueur s’explique en partie par le relatif isolement de la spécialité. La sédation profonde et continue jusqu’au décès ne fait pas partie de la culture ou de la formation de la plupart des médecins. Il est nécessaire d’anticiper et de permettre aux soins d’accompagnement de pénétrer les soins curatifs le plus tôt possible.
J’estime que cette stratégie sera un plan de santé publique majeur dans les dix années à venir. Il est important de mettre en place, le plus tôt possible, une gouvernance forte qui assurera sa concrétisation dans la durée. Nous avons proposé au Gouvernement, qui les a repris, des virages essentiels. Nous sommes conscients de la difficulté que représente la mise en œuvre, et de l’importance d’un pilotage déterminée.
Dr Claire Fourcade. Nos équipes pratiquent déjà des soins pluridisciplinaires. Il s’agit désormais de développer la précocité des prises en charge à travers l’accompagnement du patient tout au long de l’évolution de sa maladie.
Notre discipline s’inscrit dans un contexte international, avec des critères mondiaux et des réseaux de recherche qui doivent être intégrés si nous souhaitons encourager son essor. Les soins palliatifs sont au cœur de la politique de santé publique de l’Organisation mondiale de la Santé.
Quel que soit le nom employé, l’approche de la mort est compliquée et suscite des réticences, y compris chez les soignants qui doivent être soutenus. Du fait de l’absence de chiffres, nous ignorons combien d’actes de sédation sont pratiqués. Les pratiques sédatives sont la possibilité de faire varier le niveau de conscience des patients avec l’intention de soulager et, lorsque c’est impossible, de diminuer le niveau de conscience voire de mettre en place une anesthésie générale. C’est cette possibilité de sédation qui permet d’honorer la promesse du non-abandon et de rester jusqu’au bout, d’accompagner et d’apaiser des situations de crise. Nous ne craignons pas d’utiliser les doses nécessaires, y compris si cela doit raccourcir la vie, conformément à ce que prévoit la loi. Ces éléments sont systématiquement évoqués avec les patients, avec qui nous définissons par anticipation ce qui est acceptable. En fonction du souhait du patient, notre travail est d’utiliser les quantités de médicaments nécessaires.
Ma position, parfois qualifiée de dogmatique, est collective. Elle se base sur les interrogations et les ressentis de la grande majorité des professionnels du soin palliatif. Elle émane du sentiment dont font part les soignants. Il est contradictoire de saluer leur travail tout en prenant des décisions qui les mettront en difficulté. Un psychologue nous a indiqué que les équipes se trouvaient en état de stress pré-traumatique, car elles appréhendent les changements de cadre qui se profilent. Je vous invite une nouvelle fois à prendre soin des soignants, en considérant la difficulté de travailler chaque jour auprès de la mort.
Dr Michèle Lévy-Soussan. L’ambition du projet de loi est de prévoir qu’au-delà des soignants qui exercent dans des structures identifiées de soins palliatifs, il existe tous les autres soignants qui, de fait, effectuent des soins de support. Les soins palliatifs et d’accompagnement sont une culture qui infuse, et de plus en plus de jeunes y sont sensibles. Ils la mettent en œuvre à toutes les étapes. L’ambition de ce texte me semble de consacrer tous les soignants, y compris les auxiliaires de vie et les aidants, en parlant de soins d’accompagnement et en leur donnant des moyens grâce à une gouvernance forte.
Pr Valeria Martinez. Si toutes les douleurs ne peuvent être soulagées, aucune demande d’aide à mourir ne doit aboutir lorsqu’elles le peuvent. L’article 7 du projet de loi précise que nous devons proposer, à chaque patient qui demande une aide à mourir, des soins palliatifs. J’ajouterais la proposition de bénéficier d’un recours à une structure de douleur chronique en cas de symptomatologie douloureuse prédominante.
Le soin d’accompagnement est innovant, original et nécessaire. La mise en place est ambitieuse. Elle sera longue. Nous travaillons aujourd’hui en silo, chacun avec sa spécialité et ses patients. Pouvoir travailler ensemble, tisser des liens et partager est important.
Sur l’aide à mourir clandestine, nous ne disposons d’aucune donnée. Selon ma propre expérience, sur une cohorte d’environ 1 000 patients, deux ou trois patients se suicident et, dans un à deux cas, l’aide à mourir est effectuée à domicile et par des aidants. Les personnes les plus proches de la famille qui en arrivent à ce geste le font par amour.
Dr Michèle Lévy-Soussan. Le développement universitaire de la discipline, notamment avec les sciences humaines et sociales, doit avoir l’ambition de méthodes d’évaluation qui ne soient pas uniquement quantitatives. Je plaide pour que prévale ce courant de récit dans le soin afin d’accompagner les soignants, les équipes de liaison et les familles en leur permettant de revenir de manière narrative sur le déroulement de la fin de vie.
Pr Franck Chauvin. L’une de nos propositions, reprise par le Gouvernement, est d’élargir aux soins d’accompagnement le concept de soins palliatifs, en respectant par là même le critère de l’Organisation mondiale de la Santé qui est la création d’une filière universitaire et d’un programme de recherche de spécialité en médecine palliative. C’est actuellement très peu développé en France.
Mme Annie Genevard (LR). Professeur Chauvin, quelle est, dans le projet de maisons d’accompagnement, la place des associations qui effectuent actuellement des soins de support auprès des malades ?
Docteur Lévy-Soussan, vous avez indiqué ne pas souhaiter que les termes d’euthanasie et de suicide assisté soient utilisés. Je comprends mal cette volonté d’euphémisation puisque cette loi modifie considérablement la mission du soignant en lui donnant le pouvoir d’administrer la mort.
Docteur Fourcade, de nombreux médecins changent d’orientation professionnelle pour se consacrer aux soins palliatifs car ils y trouvent davantage de sens. Est-ce un mouvement dont vous avez quantifié la portée ?
Beaucoup de malades qui aspirent à une aide active à mourir abandonnent le projet dès lors que sont convenablement traités l’isolement et la douleur. Ce constat ébranle-t-il vos certitudes quant à la nécessité de voter cette loi ?
M. Jean-Pierre Pont (RE). Professeur Chauvin, face à la pénurie de médecins, quelles sont les solutions pour que les centres de soins palliatifs fonctionnent correctement ?
L’article 7 indique que le médecin doit proposer à la personne de bénéficier de soins palliatifs et s’assurer, le cas échéant, qu’elle puisse y accéder. Il s’agit donc de privilégier les soins palliatifs et, à la demande expresse du malade, de privilégier sa volonté ultime.
Mme Cécile Rilhac (RE). Nous ne devons pas opposer les soins curatifs, les soins palliatifs, et la possibilité offerte par ce texte d’aide active à mourir, qu’elle passe par le suicide assisté ou par l’euthanasie. Ce choix me semble faire partie des évolutions positives de nos sociétés modernes, qui utilisent les avancées scientifiques et éthiques pour permettre aux gens le choix de leur mort, particulièrement lorsque celle-ci est inéluctable ou que la souffrance chronique devient insupportable.
Professeur Martinez, comment les soins palliatifs prennent-ils en charge la douleur psychologique liée à la dégénérescence neurocognitive, et peuvent-ils soulager les douleurs occasionnées par les neuroatypies ?
Professeur Chauvin, existe-t-il une spécificité dans l’accueil en soins palliatifs des mineurs souffrant de manière insupportable et réfractaire
M. Christophe Bentz (RN). Docteur Fourcade, votre organisation a-t-elle été associée au travail de rédaction du rapport produit sous la présidence du professeur Chauvin, qui engage la France sur la voie des soins palliatifs pour les dix prochaines années ?
Mme Marine Hamelet (RN). Aujourd’hui, vingt départements sont dépourvus d’unités de soins palliatifs. Disposez-vous de données sur l’évolution de ces soins et de l’accompagnement des patients dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Sur les soins palliatifs, 60 % des personnes qui entrent en soins palliatifs au centre hospitalier universitaire de Lyon en sortent. Disposez-vous de statistiques ?
Professeur Chauvin, pouvez-vous confirmer que les soins d’accompagnement englobent les soins palliatifs ?
Ma dernière question est relative à la douleur. Pour résumer, le choix donné au patient est soit l’arrêt du traitement, soit la sédation profonde et continue, soit la substance létale. Dans tous les cas, la souffrance réfractaire est en jeu. Vous paraît-il normal d’avoir un choix supplémentaire pour le patient ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Je souhaite que le professeur Chauvin et le docteur Fourcade, qui ont donné des chiffres différents, nous apportent un éclairage sur le sujet des personnes qui auraient eu besoin de soins palliatifs et n’y ont pas eu accès.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Docteur Fourcade, refuser par principe la volonté du patient n’est-il pas également, pour un médecin, une manière d’exercer une toute-puissance ?
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le projet de loi ne confère pas aux soignants la possibilité de donner la mort, mais aux patients de prendre la substance létale si leur pronostic vital est engagé. Docteur Fourcade, quelles modalités de la clause de conscience viennent étayer votre opinion et votre positionnement personnel de ne pas vouloir y autoriser les patients ? Les fins de vie que l’on dessine me semblent, en creux, traduire la toute-puissance des soignants à ne pas entendre la volonté absolue de mourir des personnes libres et éclairées.
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). J’estime qu’il n’existe pas d’opposition entre les soins palliatifs et l’aide à mourir. Il est nécessaire de mieux accompagner et d’entendre la demande des malades, tout en permettant aux soignants d’invoquer la clause de conscience.
Concernant la douleur, quelles sont vos propositions en termes de prise en charge dans les maisons d’accompagnement, à domicile et dans les secteurs de soins qui ne sont pas des unités spécialisées, mais qui disposent de lits de soins palliatifs ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Professeur Chauvin, la loi de 2016 n’est pas appliquée sur l’ensemble du territoire, notamment pour des raisons budgétaires. D’ici à 2034, une hausse de seulement 6 % du budget annuel est prévue. Le chiffre de 500 personnes décédant chaque jour sans accès aux soins palliatifs est appelé à croître en raison du vieillissement de la population. Comment prétendre créer autant de moyens pour les soins palliatifs sans disposer du budget nécessaire ?
Le projet de loi autorise l’exercice de l’euthanasie par un tiers. Que vous inspire, sur le plan éthique, cette disposition unique au monde ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Docteur Lévy-Soussan, comment et dans quel contexte pensez-vous possible, pour une personne, d’apporter la mort à un proche, et quelles conséquences psychologiques et psychiatriques cela peut-il engendrer ?
Mme Élise Leboucher (LFI - NUPES). Docteur Fourcade, je refuse d’assimiler l’aide à mourir à un permis de tuer, ce qui serait un biais regrettable du débat. Il n’y a pas d’opposition entre les deux piliers du texte, et certains médecins et soignants sont favorables à l’aide active à mourir, qu’ils considèrent comme un soin. Le projet de loi me semble, au contraire, placer le patient au centre des décisions. Selon vous, comment accompagne-t-on une personne dont la mort est inévitable et qui souhaite en déterminer en toute conscience les conditions ? Que pensez-vous des propos d’Alain Claeys, selon qui la sédation profonde et continue ne répond pas à toutes les situations ?
Professeur Martinez, pensez-vous qu’un critère de douleur mériterait d’être introduit dans le débat au-delà de la question du moyen terme ?
M. Philippe Juvin (LR). Combien de patients en fin de vie avez-vous chacun personnellement suivi au cours du dernier mois ?
Professeur Chauvin, les 100 millions d’euros par an prévus viennent-ils s’ajouter à l’évolution normale du financement de la sécurité sociale ? Comment garantir dix ans avec des lois annuelles ? Quant au financement des maisons d’accompagnement, cent maisons à 1 million d’euros par an représentent 100 millions par an, soit la totalité de l’enveloppe d’1 milliard d’euros. Que reste-t-il ? À qui incombent les dépenses d’investissement ? En enlevant 550 000 euros pour les salaires, il reste 450 000 euros pour les patients, ce qui correspond à trois patients par jour. Ces chiffres ne vous semblent-ils pas témoigner d’un sous-financement de votre projet ?
M. Philippe Vigier (Dem). Quels sont les moyens à déployer pour que le retard que nous constatons soit rattrapé ? Ne pensez-vous pas que les maisons d’accompagnement devraient être prioritairement installées dans les départements où il n’existe pas de soins palliatifs, sinon des équipes mobiles qui expriment leur désarroi ?
Comment expliquer que notre pays ne soit pas capable, en 2024 et au moment de la mise en place de l’espace numérique de santé, de remonter des données sur les 600 000 décès ?
Mme Chantal Bouloux (RE). Docteur Lévy-Soussan, pensez-vous qu’il faille créer une filière palliative, une spécialisation dans la formation des médecins ?
Pr Valeria Martinez. Concernant la douleur, la méconnaissance et le manque de formation sont évidents. Cette discipline n’est pas amenée au plus haut niveau, dans la formation, les facultés ou la recherche. La Société française d’étude et de traitement de la douleur se bat pour une formation de tous les soignants et pour une sensibilisation des citoyens aux différents types de douleur comme aux moyens de les soulager. Le diplôme d’études spécialisées en soins palliatifs envisagé est important, pour à la fois favoriser l’attractivité auprès des jeunes et stimuler la recherche.
Le critère de douleur dans l’aide à mourir est important car le projet actuel écarte certaines personnes. Il faut y associer réfractaire, insupportable, sans perspective d’apaisement ou d’amélioration.
Je vois environ deux patients en fin de vie par mois.
Dr Michèle Lévy-Soussan. Nous souffrons du cloisonnement. Les professionnels n’ont pas une représentation de l’intégralité des parcours de soins, de plus en plus longs et complexes. Le développement universitaire de la discipline doit amener à bâtir des ponts. Je plaide donc, non pour une spécialisation, mais pour une intégration de la démarche palliative dans toutes les disciplines médicales. Elles sont toutes concernées par l’accompagnement et la fin de vie.
Les chiffres de l’accès aux soins palliatifs sont difficiles à interpréter. Les équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs ne sont pas présentes dans toutes les situations car d’autres professionnels parviennent à les dispenser aux patients. Il convient d’interpréter les chiffres avec prudence : les soins d’accompagnement concernent bien au-delà des professionnels de soins palliatifs. Les équipes de liaison et mobiles d’accompagnement interviennent en support des soignants.
J’accompagnais, avec mon équipe, environ dix patients en fin de vie au quotidien.
La question de l’euphémisation des termes renvoie à des notions théoriques. La réalité renvoie à des patients en détresse qui demandent de l’aide. L’enjeu est celui de la relation entre le patient et le soignant, qui mobilisera les ressources existantes. Personne ne peut se reconnaître dans des termes comme « administrer la mort ». Les soins d’accompagnement sont aussi psychologiques. Ils ne traitent pas uniquement la douleur physique.
Dr Claire Fourcade. Dans mon service de soins palliatifs, nous accompagnons environ quinze patients par jour.
Tous les patients en fin de vie n’ont pas besoin d’une équipe de soins palliatifs. Mais notre travail consiste également à accompagner les professionnels non-spécialistes dans de telles situations. Un vrai travail est possible pour mieux comprendre et mieux évaluer. Les statistiques de sortie de service diffèrent de l’un à l’autre. Dans celui où je travaille, 50 % des patients sortent, notamment grâce à la prise en charge précoce et à l’accompagnement au plus juste qu’elle autorise. Je souhaite que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale traduise une volonté de nous aider et d’investir pour développer ces éléments.
Sur la réorientation professionnelle, une majorité de médecins qui travaillent en soins palliatifs y sont venus en deuxième intention. Pour autant, nous accueillons deux internes par semestre, qui souhaitent aller plus loin que les quelques heures d’enseignement spécifique reçues au cours de leurs études, afin de pouvoir accompagner ensuite leurs patients.
Notre métier doit être considéré avec toutes ses nuances. La demande de mort doit toujours être entendue. Elle n’appelle aucun jugement. L’enjeu est celui de la réponse collective que nous choisissons d’y apporter. Si ce projet de loi nous semble donner un trop grand pouvoir au médecin, c’est que l’évaluation lui incombe même si la demande émane du patient. Certains pays ont fait le choix de ne pas impliquer les soignants afin qu’ils puissent continuer à entendre le « pourquoi » plutôt que d’être dans le « comment » ou le « quand ». La question est celle de la compatibilité entre les soins palliatifs et la possibilité de la mort provoquée. Beaucoup de soignants ne se sentent pas en capacité de le faire.
Pr Franck Chauvin. La Cour des comptes estime que les personnes en phase terminale d’une maladie chronique sont environ 350 000 à 400 000 par an. Nous avons l’habitude de voir la santé à travers l’hôpital alors qu’il ne représente qu’une partie mineure de la prise en charge. La création des maisons d’accompagnement vise ainsi à recréer des structures intermédiaires, de proximité, qui soient des relais entre le domicile et l’hospitalisation dans des centres spécialisés. Il s’agit d’éviter à des personnes en phase terminale d’être mutées vers un service d’urgence. La reconstruction de notre système de santé doit développer fortement les soins primaires et les structures intermédiaires.
Concernant les chiffres demandés, je me propose de vous transmettre une note.
La prise en charge des enfants nécessite des techniques spécifiques et la mobilisation de moyens particuliers. Le maintien à domicile doit être favorisé, c’est l’idée des unités mobiles et des soins primaires.
Pour ce qui est du budget, il s’agit de passer de 1,6 milliard à 2,7 milliards d’euros en fin d’exercice, et les 100 millions d’euros se cumulent dans la mécanique. Les crédits sont alloués en sus de l’évolution normale puisqu’il s’agit de mesures spécifiques telles que les maisons d’accompagnement et les unités mobiles territoriales. Je ne suis pas compétent pour estimer ce financement suffisant ou non.
Nous avons évidemment, au cours de nos travaux, auditionné la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Une commission d’expertise ne doit pas, en revanche, inclure de représentants, afin d’éviter un processus de consensus ou des actions de groupes de pression.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie de cette table ronde.
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10. Table ronde avec les représentants des cultes (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 14 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde avec les représentants de cultes, Me Carol Saba, responsable de la commission médias de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, vice‑président de la Conférence des évêques de France, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, M. le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, le Dr Jean-Gustave Hentz, président de la commission Éthique et société de ladite Fédération, le Pr Sadek Beloucif, référent pour les questions de fin de vie auprès de la Grande mosquée de Paris, et M. Antony Boussemart, co-président de l’Union bouddhiste de France ([11]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant les représentants des cultes. Je dois préciser que le grand-rabbin de France a été empêché : nous tenterons de recueillir ultérieurement son sentiment sur le projet de loi.
M. Antony Boussemart, co-président de l’Union bouddhiste de France. La communauté bouddhiste exprime ses préoccupations quant au projet de loi sur la fin de vie. Avec mes homologues des autres cultes, nous avons eu l’opportunité de contribuer au débat à travers l’ouvrage collectif Religions et fin de vie, qui offre une perspective éclairante sur les enjeux éthiques et spirituels entourant ce sujet délicat. Les bouddhistes considèrent la vie précieuse et sacrée ; nous valorisons la compassion envers tous les êtres vivants, y compris nous-mêmes. C’est pourquoi nous sommes à tout le moins réticents à soutenir toute légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Notre tradition enseigne que chaque moment de la vie constitue une opportunité d’apprentissage et de croissance spirituelle, même dans les moments de souffrance et de difficulté.
La perspective bouddhiste encourage à trouver la paix et le sens dans toutes les expériences, y compris la fin de vie, plutôt que d’opter pour une mort médicalisée prématurée. Selon nous, vouloir remédier à la souffrance en mettant fin à la vie revient à se tromper de combat et à semer de nouvelles causes de souffrance. Plutôt que de contribuer à regarder la mort en face, à l’apprivoiser, cette démarche nous détourne de l’essentiel : intégrer pleinement la mort dans la vie.
À nos yeux, la loi du 2 février 2016 est satisfaisante et bien adaptée. Encore faudrait-il qu’elle soit vraiment appliquée partout car elle demeure méconnue ! Dans un pays sécularisé comme le nôtre, nous comprenons que les croyances religieuses n’ont pas à s’immiscer dans la législation. Cependant, nous souhaitons souligner que de nombreux citoyens, même ceux qui ne sont pas religieux, sont troublés par ce projet de loi.
Aussi recommandons-nous un renforcement des soins palliatifs accessibles à tous afin d’offrir une alternative véritablement humaine à la mort médicalisée, en investissant dans la formation des professionnels de la santé et en améliorant les ressources disponibles pour accompagner les patients en fin de vie. Nous craignons les conséquences d’une législation qui pourrait fragiliser les liens familiaux et communautaires, en encourageant une vision individualiste de la fin de vie. L’absence de garde-fous adéquats pourrait potentiellement conduire à des abus, à des pressions indues sur les personnes vulnérables et à une détérioration du tissu social.
En conclusion, nous vous exhortons à considérer attentivement les implications morales et éthiques de ce projet de loi. Puissions-nous trouver des solutions qui respectent la dignité humaine, préserver la vie dans toute sa fragilité et offrir un soutien compassionnel aux personnes en fin de vie comme à leurs proches. Le Conseil d’État a souligné l’importance de légiférer avec prudence et réflexion dans ce domaine délicat. Dans la droite ligne des propos du doyen Jean Carbonnier, nous estimons préférable de favoriser des solutions qui laissent plus de place aux mœurs et à l’éthique, – j’oserais dire : au bon sens ! – plutôt que d’imposer des règles rigides et légales. Il en va, selon nous, de la vitalité de notre société.
Pr Sadek Beloucif, référent pour les questions de fin de vie à la Grande mosquée de Paris. Le projet de loi sur la fin de vie, orienté vers le suicide assisté et l’euthanasie, nous trouble. Notre devoir de citoyen nous impose d’exprimer le péril que ferait courir à la cohésion nationale une telle évolution.
L’islam s’intègre dans la croyance en la sacralité de la vie, rejoignant ainsi le corpus théologique des autres religions. L’un des hadiths du Prophète souligne que les actes s’évaluent par l’intention, et je note que cette notion d’intention est reprise dans les commentaires du Conseil d’État. Elle oblige à clarifier la terminologie de « l’aide active à mourir ». Pour ma part, je préfère un terme plus clair : « donner la mort ». Selon moi, suicide assisté et euthanasie se rejoignent sur le plan moral dans la décision de faire mourir la personne. Décider de faire mourir, même exceptionnellement pour quelques-uns, représenterait un risque de réelle profanation de l’acte de soins au sein de la société.
Sur le plan religieux, l’interdit fondateur du meurtre est clairement énoncé dans le Coran. L’humanisme de l’islam se lit dans un verset qui indique : « Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Dieu, en vérité, est miséricordieux envers vous. » La notion de miséricorde est essentielle ; il faut apaiser les souffrances du mieux possible. Il faut reconnaître l’importance d’une culture palliative enseignée dans tous les champs de la médecine. Or, en l’espèce, les dispositions législatives, voire réglementaires, sont insuffisantes pour combler notre retard, comme le souligne le Conseil d’État.
En tant que médecin, je juge ce projet de loi différent d’une loi de liberté qui donnerait des nouveaux droits à ceux qui le souhaiteraient, sans dommage pour les autres. Nous sommes tous liés. Je constate à mon tour qu’une très grande majorité des Français ne connaissent pas la loi actuelle et ignorent les directives anticipées, qui peuvent inclure le droit de demander une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. En elle-même, cette sédation est d’essence transgressive pour certains. Mais elle diffère du mal absolu qu’est l’euthanasie.
L’argument supposé massue du Comité consultatif national d’éthique sur les situations où le pronostic vital est engagé à moyen terme est un concept peu pertinent du point de vue médical, arbitraire dans sa définition et obscur dans la réalité des pratiques. Il est sujet à de perpétuelles modifications. Les propositions, censées répondre à de potentielles situations singulières, mettront en réalité à mal l’ensemble de l’édifice de soins pour tous les patients.
L’impact sur les autres patients d’une culture du laisser-faire serait absolument majeur. Que sera la loi si elle est votée pour autoriser l’aide active à mourir ? Je le redis : sur le plan médical mais aussi religieux, l’intention prime. Pour un médecin, le clivage est total entre, d’un côté, vouloir soulager – la sédation – et, de l’autre côté, vouloir tuer pour soulager – l’euthanasie et le suicide assisté. L’opposition entre traitements curatif et palliatif est illusoire parce qu’il existe un continuum entre les deux. Avec la sédation, le médecin a l’intention de soulager, même s’il prévoit que la vie du patient peut être écourtée de quelques jours. L’euthanasie ou le suicide assisté, dont l’intention directe est de tuer, constitue une rupture absolue de l’éthique médicale. Il existe une universalité de la médecine : le médecin est là pour donner de l’espérance, pour soigner. J’exprime une crainte sur la confusion de cette nouvelle action qui serait demandée aux médecins. En tant qu’enseignant, je n’imagine pas délivrer un cours aux étudiants pour leur enseigner comment administrer un poison.
Cette loi est inopportune à mes yeux. Elle transmet un message troublant pour les plus pauvres, les plus fragiles ou pour des vies qui ne mériteraient plus d’être vécues, avec un impact social délétère pour nous tous.
M. le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. À la suite des travaux de la Convention citoyenne, la commission éthique et société de la Fédération protestante de France a produit un texte sur l’aide à mourir et la fin de vie, qui vous a été remis le 4 avril dernier. Sa première recommandation, qui fait l’unanimité, est un plaidoyer pour les soins palliatifs. La deuxième affirme la nécessité d’humaniser la fin de vie. Troisièmement, nous considérons inopportun de changer le cadre législatif actuel ; il convient de donner les moyens nécessaires à l’application effective de la loi de 2016, qui demeure insuffisamment connue. Enfin, nous plaidons pour une loi programmatique d’accompagnement du grand âge et de la fin de vie.
Aucune loi ne pourra jamais répondre à la multiplicité des situations de fin de vie, leur complexité, les vécus très différents et les attentes spécifiques des personnes. Nous sommes relativement inquiets des effets collatéraux d’une telle loi. Finalement, ce qui est revendiqué comme un droit pour les uns ne devient-il pas un devoir de partir pour d’autres, ne serait-ce que moralement ?
Nous demandons une loi de programmation décennale pour le développement d’une culture de soins palliatifs en France. Ensuite, le projet de loi en discussion propose de modifier le code de la santé publique : la formulation « toute personne malade dont l’état le requiert a droit à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement » serait remplacée par une rédaction qui évacue la dimension spirituelle de l’accompagnement, laquelle doit à notre sens apparaître dans la loi. Troisièmement, l’aide active à mourir peut se matérialiser par l’assistance au suicide ou par l’euthanasie, qui consiste en l’administration par un tiers d’un produit létal. C’est transgresser le serment d’Hippocrate qui indique explicitement « Je ne provoquerai pas la mort de mon patient ». Il existe certes une clause de conscience mais, dans le cadre de la loi, elle risque de déchirer les équipes soignantes et les établissements.
Je souhaite conclure en soulevant une série de questions qui pourraient donner lieu à des amendements. Tout d’abord, la notion de maison d’accompagnement mérite d’être précisée. Ensuite, s’agissant des critères d’éligibilité à l’aide à mourir, nous considérons très flou le concept de pronostic vital engagé à court ou moyen terme figurant à l’article 6. Ce même flou entoure le caractère réfractaire d’une souffrance physique et psychologique, qui mérite là aussi d’être précisé. Par ailleurs, dans le cas où une personne choisit de ne plus recevoir les traitements et où les souffrances sont insupportables, la loi Claeys-Leonetti permet déjà d’accéder à une sédation profonde, continue et irréversible.
Nous estimons que le projet de loi s’abstient à tort d’exiger le caractère constant de la demande du patient. Celle-ci devrait être accompagnée avant d’être instruite. Nous sommes surpris que la procédure puisse intervenir sans que les proches et la personne de confiance ne soient informés et nous regrettons que la collégialité de la décision médicale ait été éliminée du projet de loi. Je m’interroge sur la disposition prévoyant que le médecin, au bout de trois mois, évalue à nouveau le caractère libre et éclairé de la volonté du patient. Enfin, le docteur Hentz m’a suggéré de recommander la présence obligatoire d’un médecin en cas d’ingestion d’un produit létal, afin de faire face à toute complication.
Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, vice-président de la Conférence des évêques de France. Nous sommes conscients de la complexité de ce sujet qui nécessite d’être abordé avec modestie. Au fait des difficultés de mise en œuvre de la loi Claeys-Leonetti, nous déplorons cependant qu’elle ne soit pas encore pleinement appliquée.
Nous regrettons que le projet de loi n’évoque pas clairement les possibilités qu’il ouvre, c’est-à-dire l’euthanasie et le suicide assisté. Nous déplorons aussi qu’un Français sur deux soit à ce jour exclu des soins palliatifs. L’annonce d’un plan décennal est positive. Mais nous nous interrogeons sur son financement, compte tenu de l’état des finances publiques.
De plus, les précédents étrangers de législations similaires attestent que les conditions d’accès disparaîtront ou glisseront progressivement, comme le souligne un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat l’an dernier : l’offre crée la demande, avec un risque de banalisation qui favorise même la poursuite de l’euthanasie clandestine comme c’est le cas en Belgique. Comment éviter cette banalisation et, surtout, une pression sociale qui pousserait les personnes fragiles et précaires à se penser de trop et à envisager l’aide active à mourir ?
Comment enfin prévenir une dérive économique libérale où la fin de vie devient une variable d’ajustement des comptes ? En un mot, nous sommes inquiets des effets sociaux d’un tel projet de loi.
Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes. Il me semble que la France a considérablement avancé sur le chemin des soins palliatifs, dont tous reconnaissent le bien-fondé et la qualité, mais aussi les axes de progrès vis-à-vis de situations délicates, grâce aux équipes soignantes et à la recherche. Pourquoi ne pas largement favoriser, comme le souligne le Conseil d’État, la sagesse pratique, plutôt que de rendre légal par le droit l’acte létal ?
Alors que nous attendions une compétence en soins palliatifs dans chaque établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), on propose une aide à mourir – en réalité un suicide assisté ou une euthanasie. De plus, la clause de conscience est doublée d’une obligation d’orienter un médecin ou un infirmier qui pratiquera le geste létal. Cet acte brise l’accompagnement et stoppe le soin, alors que la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est habitée par une intention : apaiser la souffrance en laissant venir la mort qui se produit en raison de la pathologie.
Il est dit que les critères d’accès à l’euthanasie ou au suicide assisté sont stricts. Mais les possibilités sont ouvertes en employant les deux formules qui me semblent devoir être réfléchies : la souffrance insupportable et l’altération grave du discernement. Par ailleurs, le projet ne permet pas de garantir qu’il n’y aura aucune incitation à l’aide à mourir, au suicide assisté et à l’euthanasie.
Faudra-t-il écarter le serment d’Hippocrate pour tous les étudiants qui s’apprêtent à exercer la médecine ? Si tel était le cas, cela serait le signe d’un basculement anthropologique. Si ce n’est pas le cas, une hypocrisie légale est instaurée. Enfin, mettre en avant l’autonomie du patient, sans parler de la relation entre le soignant et le soigné, cette fraternité, conduit la personne malade à l’isolement dans la décision qu’elle prend vis-à-vis d’elle-même.
Me Carol Saba, responsable de la commission médias de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France. Nos sociétés vivent aujourd’hui une forme de rupture de civilisation, qui conduit à une éthique sans transcendance. Ce projet de loi est ambigu sur les principes et sur les objectifs. Notre démarche est une démarche de foi et de croyants, mais aussi une démarche citoyenne et républicaine respectant les règles de la cité et le processus d’élaboration de la loi dans notre pays.
Les évêques orthodoxes de France n’ont eu de cesse de faire part depuis 2022 de leurs inquiétudes quant à la perspective d’introduction en droit français d’un dispositif permettant de donner la mort, changement de paradigme légalisant le suicide assisté et l’euthanasie en France. Dans leur déclaration de janvier 2023, ils affirment leur conviction déterminante que le Seigneur est le maître de la vie, ainsi que leur attachement à la distinction fondamentale entre « laisser mourir » et « faire mourir ».
Dans leur déclaration du 4 avril 2024, ils rappellent que les cas d’avortement ou de fin de vie constituent de terribles épreuves humaines qui affectent des personnes en souffrance comme leur entourage familial et amical. Les chrétiens ne peuvent être indifférents à ces souffrances, qui doivent susciter une profonde compassion et les engager dans une écoute pastorale, un accompagnement par la prière, un soutien moral et spirituel marqué par l’impératif évangélique du soin. Or, les réformes dites sociétales, de la constitutionnalisation l’interruption volontaire de grossesse à l’ambiguïté normative de l’aide à mourir, érigent en norme supérieure des situations d’exception au détriment des valeurs intrinsèques de la vie, aboutissant à une véritable entreprise de régression humaine.
Dans son ouvrage La Fin de la chrétienté, Chantal Delsol souligne l’inversion normative d’aujourd’hui qui abolit seize siècles de valeurs au socle de nos sociétés. Les valeurs fondamentales du christianisme considèrent que toute vie est l’œuvre de Dieu et que, dès lors, ni la mort ni la vie ne nous appartiennent. Au-delà des discours idéologiques conjoncturels, la vie demeure un véritable mystère, celui d’un don non dénué de transcendance, dont les contours demeurent indéfinis et les limites non mesurables par la science, quels que soient les progrès incontestables qu’elle nous apporte. Pour nous chrétiens, cette loi constitue un changement de paradigme problématique, une rupture de civilisation ouvrant vers des dérives éthiques à venir. Une des questions consiste à savoir si elle poursuit une visée électoraliste pour satisfaire une partie de l’opinion.
Je rappelle en outre que M. Jean Leonetti souligne le déficit des soins palliatifs qui auraient dû être mis en place et qu’il évoque les risques de dérapage dans l’application de cette loi, qu’il s’agisse de son impact sur le code de déontologie des médecins et du personnel soignant ou du caractère artificiel de ces deux dispositifs. Au final, il parle en fait de la nécessité de soulager la souffrance, ce qui n’implique pas de donner la mort.
Tant que notre société, croyants et non-croyants confondus, n’a pas réfléchi sur la valeur intrinsèque et anthropologique de la vie, elle n’a pas le droit de légiférer de cette manière-là sur la mort.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Cette table ronde incarne ce qui fait la beauté et la force de la République laïque, dans laquelle la loi protège la foi mais aussi l’absence de foi ; où la foi ne fait pas la loi. Les lois concernant la fin de vie votées durant ce premier quart de siècle ont été marquées par des conquêtes successives obtenues de haute lutte. Elles comprennent le droit de ne pas souffrir et le droit de ne pas subir l’obstination déraisonnable, l’acharnement thérapeutique. Aujourd’hui, à titre personnel, je pense qu’il faut ouvrir le champ des possibles.
N’y a-t-il pour vous aucune circonstance, aucune situation humaine qui permette de répondre favorablement à des malades condamnés par la maladie qui ne veulent pas être voués à une agonie insupportable et qui l’expriment volontairement de façon libre, éclairée et réitérée ?
M. Didier Martin, rapporteur. Nous sommes effectivement en République laïque où tous, croyants et non-croyants, ont leur place. Monsieur le pasteur Krieger, j’ai pris note des sujets d’aménagement et des demandes de clarification sur les notions de soins d’accompagnement et de maison d’accompagnement. Monseigneur d’Ornellas, Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités a publiquement déclaré que nous mettrons en œuvre la stratégie décennale de soins palliatifs avant même le vote de la loi.
Messieurs, dans le cas où la loi serait votée, comment accueilleriez-vous la demande de ceux de vos fidèles qui feraient ce choix et vous demanderaient, en conscience et en foi, de recevoir un sacrement, un rituel, une prière après leur mort ? Quelle serait votre réaction de fraternité et d’humanité face à cette demande ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Pourquoi considérez-vous qu’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ne constitue pas une aide à mourir ? Que pensez-vous des propos de représentants de l’Académie nationale de médecine qui ont indiqué lors d’une audition que « l’existence compassionnelle peut conduire, par humanité, à abréger le supplice non soulagé d’une vie sans espoir » ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Monsieur Krieger, la procédure prévoit une réitération de la volonté à trois reprises et éventuellement une quatrième fois. Je partage en outre la question qui vous a été posée par ma collègue Maillart-Méhaignerie.
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Quel est votre avis sur les 60 % de Français, dont je fais partie, qui se déclarent sans religion ? Devons-nous leur interdire l’accès à l’aide à mourir sous prétexte des convictions cultuelles s’y opposent ?
Me Carol Saba. Monsieur le rapporteur général, contre qui les conquêtes de haute lutte dont vous parliez ont-elles été obtenues ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Elles ont été obtenues non contre certains, mais pour les malades.
Me Carol Saba. La question de la souffrance est éminemment pastorale. Elle n’est pas seulement physique, mais aussi psychologique et spirituelle. Monsieur Martin, vous inversez en quelque sorte la question : ce que feront les religions ne concerne pas forcément le dispositif de la loi. L’orthodoxie condamne le péché, non le pécheur. Ensuite, il existe une différence entre la sédation profonde, dispositif qui a pour effet la mort et celui prévu par le projet, qui a pour objet de donner la mort de manière active.
Mgr Pierre d’Ornellas. Madame Fiat, la foi catholique exige une réflexion de raison comme le soulignait Jean-Paul II dans son texte Foi et raison. J’ai donc les convictions de ma raison. Je réfléchis en raison.
Si je rencontre un catholique qui a pratiqué l’euthanasie, je mettrai en œuvre la fraternité dans le dialogue, sans juger, comme la Bible invite à le faire. L’intention est fondamentale : l’intention d’apaiser en laissant venir la mort, au cœur du dispositif de la sédation continue et profonde maintenue jusqu’au décès, n’a rien à voir avec celle de donner la mort.
L’expression « aide à mourir » prévue par le texte me pose problème en raison de son ambiguïté. Les législations des autres pays ont le mérite de présenter les choses par leur nom.
Enfin, le texte établit une urgence à l’envers selon moi : la compétence palliative dans les Ehpad aurait lieu en 2031, quand la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté interviendrait dès la fin 2024.
M. le pasteur Christian Krieger. Je rejoins monseigneur d’Ornellas sur l’intention. Ensuite, accompagner n’est pas cautionner. Nous accompagnons déjà des personnes qui demandent l’aide à mourir ou le suicide assisté en Suisse. Dans un texte de 2019, nous avons déjà recommandé à nos pasteurs d’aller en ce sens.
Monsieur Falorni, je considère que la loi n’a pas à répondre à toutes les situations. Elle doit poser un cadre. Actuellement, le cadre posé n’est pas exploité ou expérimenté dans ses pleines potentialités.
Madame Fiat, nous ne sommes pas venus énoncer un interdit, mais contribuer au débat d’une société. Nous nous interrogeons sur l’aspect de cette loi qui concerne, selon nous, la psychologie des bien-portants. Les médecins et infirmiers interrogés indiquent que les demandes persistantes qui leur ont été soumises n’étaient qu’au nombre de trois ou quatre en vingt ans. Cela montre bien que, lorsque le malade confronté à la perspective de la mort est pris en charge avec une écoute active, la question change totalement de nature. La demande sociétale très forte doit être mise en corrélation avec ce que pourraient produire des soins palliatifs, qui pourraient « démocratiser » un certain rapport à la mort.
Pr Sadek Beloucif. La psychologie de la personne en bonne santé diffère de celle de la personne malade. En tant que réanimateur, je n’ai jamais reçu aucune demande du type de celles qu’aborde le projet de loi.
La question de la sédation est l’une des plus difficiles qui soient en médecine. L’intention de la sédation porte sur le soulagement ; la mort est possible, mais elle n’est pas voulue à la différence de l’euthanasie et du suicide assisté.
Enfin, ne pas croire en une religion n’exclut pas la transcendance. Les anthropologues datent justement l’apparition de la psyché et de la conscience humaines à l’attention que l’on porte aux morts et au fait de donner des sépultures. Si nous sommes des mammifères, nous ne sommes pas des animaux.
M. Antony Boussemart. Il serait extrêmement dommageable de cantonner les religions au domaine de la croyance. Je partage avec monseigneur d’Ornellas l’idée que la raison nous guide. Le bouddhisme n’est pas un dogme, mais le partage d’une expérience. Ensuite, face aux 60 % de Français qui se déclarent « sans religion », j’observe que, lors de la pandémie, de nombreuses personnes se sont tournées vers les religions pour chercher à expliquer l’incompréhensible.
Au-delà de nos fonctions de responsables de culte, nous sommes également des citoyens. À ce titre, nous craignons énormément qu’une légalisation de l’aide à mourir, telle qu’énoncée dans le projet de loi, fasse de cas particuliers une règle applicable à tous. Il est de notre devoir d’accompagner la personne en grande souffrance. Plutôt que d’ajouter une couche au millefeuille législatif déjà particulièrement conséquent, nous serions beaucoup plus favorables à une éducation des citoyens pour affronter la mort, plutôt que de toujours la repousser à la périphérie.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je souhaite réitérer ma question, à laquelle vous n’avez pas tous répondu : n’y a-t-il aucune circonstance, aucune situation humaine qui permette de répondre favorablement à une demande d’aide à mourir ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Monsieur le professeur, vous ne pouvez pas ne pas acquiescer au fait que la dose qui soulage peut également être celle qui tue. Ne considérez-vous pas que nous, médecins, dans le cadre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès prévue par la loi Claeys‑Leonetti, sommes conscients de procurer une aide à mourir ?
Mgr Pierre d’Ornellas. Monsieur Falorni, je ne vais pas répondre à votre question, n’étant ni médecin ni infirmier. En revanche, plusieurs personnes qui ont à mes yeux compétence en raison de leur pratique médicale depuis plusieurs années m’indiquent que la loi actuelle est suffisante, à la seule condition que sa mise en œuvre soit réellement promue.
Pr Sadek Beloucif. Docteur Cristol, il existe une très grande différence entre la dose suffisante pour soulager et la dose nécessaire pour tuer.
Me Carol Saba. Il n’est pas possible d’ériger des situations d’exception en modèles normatifs. Il existe des médecins non croyants qui s’insurgent contre cette loi. Par ailleurs, l’étendue des personnes concernées par la clause de conscience pose également question : doit-elle être simplement limitée aux médecins ?
Jean Leonetti remarque que 60 % des Français qui meurent relèveraient des soins palliatifs. Mais ils n’y ont pas accès, faute d’action des pouvoirs publics. Aujourd’hui, le déplacement du curseur vers une aide à mourir ne vise-t-il pas à nous donner bonne conscience ? Loin de régler la question, cela créera encore davantage d’ambiguïtés et de problèmes sur le sujet clef de l’intention.
M. Jean-Pierre Pont (RE). Actuellement, le suicide assisté ou l’euthanasie sont interdits pénalement et par le serment d’Hippocrate ; on peut donc parler de feu rouge. Quand la loi sera votée, le feu passera au vert sur le plan juridique et à l’orange sur le plan déontologique. Quelle est la couleur de votre propre feu tricolore ?
M. Christophe Bentz (RN). Pouvez-vous nous donner les raisons profondes selon lesquelles il ne sera effectivement pas légitime de légaliser l’euthanasie, en sachant que le développement des soins palliatifs est insuffisant en France ?
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Plusieurs d’entre vous ont évoqué la primauté de l’intention sur la matérialité de l’acte lui-même. En tant que législateurs, nous parlons de l’intention en conscience, en tant qu’aide à sa propre finitude et acte compassionnel. Elle s’inscrit bien dans un continuum avec la sédation et ne peut donc être assimilée à un acte criminel.
Mme Annie Genevard (LR). L’interdit de donner la mort, l’interdit de tuer, est commun à toutes vos confessions et je comprends dès lors la logique de votre opposition. Si la foi ne dicte pas la loi, la loi protège le droit de croire et de ne pas croire. Quelle forme peut prendre la participation des religions dans ce débat ?
M. Philippe Vigier (Dem). Je suis choqué quand je vous entends dire que certaines personnes considéreront, avec cette loi, qu’elles seront de trop et qu’elles seront supprimées. Nombre d’entre vous se sont opposés à la loi Claeys-Leonetti à l’époque. La combattez-vous toujours ? Faut-il aller plus loin ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Maître Saba, vous avez indiqué que tant qu’une société n’a pas réfléchi à la valeur essentielle, anthropologique de la vie, elle n’a pas le droit de légiférer sur la mort. Je tiens à affirmer que la société a le droit de légiférer sur tous les sujets dont ses gouvernants et ses élus ont décidé de légiférer. Le jour qui suivra son adoption, que direz-vous de cette loi, là où vous aurez l’occasion d’en parler ? Je rappelle que, lors des débats publics sur l’abolition de la peine de mort, les différents cultes n’avaient pas manifesté, à certaines étapes, la même intensité de préservation de la vie.
M. Nicolas Turquois (Dem). Mon parcours personnel et mes réflexions sur la foi me conduisent à penser que le doute fait avancer. Or, je n’ai entendu que des certitudes dans vos propos. Vous avez par ailleurs signifié que le projet de loi pourrait s’appliquer à des personnes vulnérables, ce qui n’est pas du tout son objet. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). En quoi la législation sur le suicide assisté peut-elle répondre au « mal mourir » et à l’isolement social de nombre de personnes en fin de vie ? Professeur Beloucif, quelle différence établissez-vous entre l’euthanasie et le suicide assisté ?
Mme Marine Hamelet (RN). Vos interventions ont le mérite d’inviter dans ce débat la nécessaire spiritualité qui permet à chacun de donner un sens à sa vie, à sa mort et à la souffrance. Quel est votre point de vue sur les directives anticipées ?
Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). En tant que législateurs d’un pays laïc, nos débats doivent être libres et éclairés uniquement par la raison, quelles que soient nos orientations spirituelles. Le projet porte pour chacun des droits et des libertés de disposer de soi-même, de choisir quand mourir, sans rien retirer aux autres. Je rappelle que 76 % des catholiques, dont 61 % des pratiquants, sont favorables à l’aide active à mourir.
M. Philippe Juvin (LR). Il existe une différence fondamentale entre la sédation profonde et l’ingestion d’un mélange létal. Dans l’Oregon, cinquante-deux minutes après l’ingestion, la moitié des patients ne sont toujours pas morts. Certains mettent deux jours à mourir. Or, le projet de loi prévoit qu’une fois que le patient aura avalé la substance létale, s’il survient une difficulté, un médecin pourra agir. Professeur, que devrait faire le médecin dans ce cas-là ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Selon le professeur Fabrice Gzil, que nous avons auditionné, l’aide à mourir ne consiste pas à provoquer la mort, mais à la hâter chez une personne qui va mourir à court ou moyen terme d’une maladie incurable et qui connaît des douleurs insupportables. Qu’en pensez-vous ? Pouvons-nous entendre dans vos propos que le droit à la vie implique de supporter toute vie ?
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le projet de loi concerne des personnes qui vont mourir dans un proche avenir. La question ne porte pas tant sur le rapport à la mort que sur le rapport à la souffrance dans cette mort. Qui sommes‑nous pour juger de la souffrance d’autrui ? Je regrette que cette dimension soit absente de vos propos.
Me Carol Saba. Je précise à l’attention des députés Falorni et Guedj mes propos, qui n’étaient peut-être pas suffisamment clairs : tant que notre société ne réfléchit pas sur la valeur intrinsèque de la vie, elle n’a pas le droit de légiférer sur la mort, c’est-à-dire le droit de donner la mort.
Nous vivons naturellement en démocratie et l’Assemblée nationale est souveraine pour voter la loi. Les opinions, comme les majorités, peuvent changer. Mais certaines valeurs essentielles demeurent. L’avis du Conseil d’État est très instructif à la fois sur les motifs, les considérations, les questions de déontologie et le risque pénal, qui demeure selon lui en raison des ambiguïtés du dispositif. Les religions représentées aujourd’hui ne veulent pas imposer ; simplement, dans une démarche participative, elles exposent leurs convictions religieuses et anthropologiques. Elles représentent aussi des millions de Français. La loi Claeys‑Leonetti a nécessité beaucoup de travaux ; toutefois, elle a su établir un équilibre.
Mgr Vincent Jordy. Je me réfère aux propos du professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, qui souligne les dangers de l’émotion dans la prise de décision, notamment législative. Selon nous, la question ne se pose pas en termes de feu tricolore. Nous sommes éclairés à la fois par une lumière extérieure, la Révélation, et par la Raison ainsi que notre conscience personnelle. À ce titre, nous réfléchissons à ce projet de loi dans le temps, sans nécessairement avoir de certitude, mais en ouvrant des interrogations qui nous semblent essentielles.
Mgr Pierre d’Ornellas. La question de la souffrance ne cesse de nous habiter. Hier encore, j’étais dans un Ehpad, tenant la main de différentes personnes dans les chambres. J’y ai vu la souffrance, les larmes. Si la loi dit que le médecin ou le personnel soignant doit accompagner le patient et les proches, ils manquent souvent de moyens et de temps. Encore une fois, l’accompagnement est essentiel. J’ai moi-même participé à de nombreux points éthiques. La transdisciplinarité permet de s’écouter les uns les autres et de trouver le meilleur moyen de garder un équilibre, de ne pas céder à cette émotion compassionnelle qui fait agir de façon inconsidérée.
M. le pasteur Christian Krieger. Sachez que les différentes familles protestantes sont en débat sur cette question et que la position que je présente est celle d’un équilibre entre elles. Les religions peuvent vous sembler un front uni parce qu’elles redoutent que cette loi soit un premier domino qui tombe avant d’en entraîner d’autres dans sa chute. Ce mouvement ne nous semble pas opportun tant que le cadre actuel n’est pas complètement exploité.
Pr Sadek Beloucif. Si le croyant choisit de se conformer à la loi de Dieu, il doit naturellement respecter la loi républicaine. Parallèlement, le législateur doit s’interroger pour savoir si le nouveau droit qu’il ouvre sera un droit-liberté ou un droit-créance. En matière de sémantique, je préfère employer le terme « donner la mort » en non « aider à mourir » pour être beaucoup plus clair.
Enfin, je vous remercie pour la qualité de ces débats. Ils montrent que l’objectif consiste à faire face ensemble à l’inéluctable pour trouver les meilleures solutions de soulagement de la souffrance physique et psychique.
M. Antony Boussemart. Je partage la majorité des propos tenus. Vous y avez vu des certitudes mais j’ai, pour ma part, entendu des inquiétudes. La foi ne doit pas dicter la loi. Mais elle peut apporter des éclairages. Le temps politique est souvent très court quand celui de la religion est beaucoup plus long – particulièrement chez les bouddhistes puisque nous croyons en la réincarnation.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie de ces échanges.
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11. Table ronde sur les enjeux philosophiques et sociologiques du projet de loi (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 16 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde sur les enjeux philosophiques et sociologiques du projet de loi, M. Philippe Bataille, professeur de sociologie, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, M. Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d’éthique du funéraire, et M. Frédéric Worms, professeur de philosophie, directeur de l’École normale supérieure (ENS-PSL) ([12]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons pour cette table ronde sur les enjeux philosophiques et sociologiques que présente le projet de loi MM. Philippe Bataille, professeur de sociologie et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Damien Le Guay, philosophe et chargé d’enseignement à l’espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, et Frédéric Worms, professeur de philosophie et directeur de l’ENS-PSL.
M. Philippe Bataille, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. La société française attend des débats apaisés sur la fin de vie. Elle s’est exprimée plusieurs fois : avec la Convention citoyenne certes, mais aussi avec le Conseil économique, social et environnemental et le Comité consultatif national d’éthique. La sociologie s’intéresse fondamentalement à la solidarité sociale, notion fondamentale mise à jour par Émile Durkheim. Ce principe d’action élève la capacité sociale de tous les membres de la société à se réunir et à s’unir, particulièrement à travers la loi et l’éducation. Pour la sociologie, la loi ne doit pas être faite pour un seul, mais un seul d’entre nous peut solliciter toute la loi à un moment de son existence sans nécessairement y avoir pensé auparavant.
Une loi explicite sur l’aide à mourir doit permettre d’éviter des fracas médiatiques ou des procès pénibles. À ce titre, la loi de 2002 sur le droit des malades a profondément modifié la relation à la médecine, les parcours de soins, la participation et même la responsabilité des malades dans des étapes cruciales de leurs soins. Il est essentiel de prendre en compte la centralité de la parole de ceux qui réclament éventuellement de mourir. Un court dialogue avec le patient, une proposition explicitement établie d’une sédation, permet aujourd’hui de déclencher la mort et soulage souvent sans douleur. Mais tel n’est pas toujours le cas.
Le projet de loi souligne le principe de l’autorité médicale pour enclencher une procédure d’accompagnement à mourir. Je ne discute pas sa centralité. Mais j’interroge l’unité du monde médical qui a fait part de tensions internes sur la conduite à tenir et sur la gestion de situations qui mobilisent bien souvent des principes éthiques et engagent jusqu’à la subjectivité de ceux qui accompagnent, activement ou non. Une thèse que je dirige actuellement montre que les principales tensions éthiques dans la formation des infirmiers dans les établissements spécialisés portent sur l’arrêt des traitements, que les malades peuvent demander depuis 2002. De fait, les capacités d’accompagnement d’un mourant engagent la subjectivité des soignants, des aidants et de ceux qui l’entourent, en fonction de leur appartenance, leurs références religieuses, mais aussi leur formation, leur expérience, la spécialité exercée ou l’équipe médicale à laquelle ils appartiennent. La loi ne soustraira pas les soignants à leur engagement personnel auprès des malades.
C’est la raison pour laquelle il faut laisser l’arbitrage aux malades, en lien avec ses interlocuteurs et en posant évidemment les limites qui n’entravent pas celles que chacun d’entre nous est en droit d’établir pour son existence. Laisser une plus grande place à la parole du malade, à la relation d’aide et de soins au moment d’arrêter un traitement questionne effectivement la capacité d’accompagner activement avec une euthanasie ou un suicide assisté la mort qui se réclame. La médecine n’a pas l’unité que l’application de la loi envisage probablement, mais que les Français attendent dans son exercice. Aujourd’hui, c’est l’unité et l’espace d’implication de la médecine – sans que l’auto-administration ne soit nécessairement la seule figure imposée – qui sont sollicités.
La comparaison internationale atteste que la loi ne résout pas tout, mais l’on ne peut opposer les difficultés rencontrées ailleurs pour bloquer une loi effectivement réclamée aujourd’hui.
M. Damien Le Guay, président du Comité national d’éthique du funéraire. Il existe une division forte dans le camp de ceux qui sont favorables à une évolution de la loi en faveur d’une aide à mourir, entre ceux qui considèrent que l’euthanasie et le suicide assisté peuvent devenir une modalité parmi les autres de mourir, et ceux qui estiment que l’évolution doit s’accompagner de verrous, de conditions préalables. Il me semble que l’on ne peut pas considérer la mort comme une valeur positive et donner la mort, de quelque façon que ce soit, comme une manière comme une autre de mourir. Comme Claire Fourcade l’a souligné devant vous, une autre solution est possible : celle du suicide assisté tel qu’il est pratiqué en Oregon ou en Suisse.
Pour ma part, l’idée que le présent projet de loi s’inscrive dans la continuité des lois précédentes me semble problématique. Il existe une différence de nature entre ceux qui vont mourir et ceux qui veulent mourir, entre une médecine d’accompagnement jusqu’à la mort et une médecine qui donne la mort comme un soin, entre un État qui place les droits de l’homme au cœur de ses principes et un État qui fixe les conditions d’une mort légale et légitime, entre une dignité inconditionnelle et une dignité révisable qui permette à quelqu’un de se juger lui‑même indigne de continuer à vivre, entre une prise en charge maximale de la souffrance et la mort donnée comme un arrêt de la souffrance, entre une prise en charge de la pulsion de mort et une résignation face à cette pulsion, entre ceux qui tiennent compte de l’ambivalence psychique face à la mort et ceux qui la minimisent. À ce titre, le président de l’Académie nationale de médecine a souligné que les psychiatres sont les grands oubliés de ce projet de loi.
Ensuite, le choix sémantique de privilégier dans le projet de loi le terme d’aide à mourir plutôt que de parler d’euthanasie et de suicide assisté me semble relever d’une euphémisation inquiétante. En outre, les expériences étrangères attestent bien de l’augmentation des demandes et des dérives existantes par rapport au projet initial.
Par ailleurs, le projet est aussi promu au titre d’une supposée fraternité. Mais, pour ne parler que de ce qui se passe depuis sept ans, la fraternité qui supposerait de donner des moyens massifs pour les soins palliatifs, les hôpitaux psychiatriques, les 200 000 tentatives de suicide annuelles en France et la prise en charge de la souffrance, fait défaut.
En outre, comment mener à bien cette aide à mourir quand 76 % des soignants sont inquiets, 90 % ne veulent pas injecter de solution létale, 90 % prédisent des conflits et 22 % des médecins veulent quitter le métier, ainsi que Claire Fourcade l’a rappelé devant vous ?
Enfin, il me semble erroné de dire que le droit donné à certains n’entraînerait pas d’effet sur le reste. L’effet Werther est bien connu en matière de suicide mimétique. Les exemples du Canada et des Pays-Bas témoignent d’un effet de contagion sur d’autres demandes liées à la lassitude, à la souffrance existentielle, au sentiment d’être de trop, à la solitude. Pour conclure, je trouve étonnant que le projet associe à la fois les soins palliatifs et l’aide active à mourir, considérant qu’en l’état, le plan que vous allez vraisemblablement voter ne propose qu’une augmentation de 6 % du budget.
M. Frédéric Worms, directeur de l’École normale supérieure (ENS-PSL). Le point majeur que je souhaite développer concerne à la fois le lien et la différence entre l’aide à mourir et le soin, l’aide à mourir et l’aide à la fin de vie. Je le ferai à travers trois éléments : la question du principe, la question de la pratique, enfin la loi et la projection qu’en fait chacun pour lui-même.
Premièrement, l’aide à mourir n’est légitime qu’en fin de vie. Pour être légitime, elle suppose de maintenir, au-delà des contradictions qu’il implique, le principe premier de l’éthique – en particulier de l’éthique médicale –, celui de la lutte des humains contre la mort. Il est heureux que ce texte comporte des verrous car, si l’on ne croit pas aux verrous, on ne croit plus à la loi. Je pense que la demande d’aide à mourir ne doit pas contredire la lutte contre la mort. Au contraire, elle atteste que le malade est arrivé à une limite critique.
En matière de bioéthique, le mot « aide » désigne une contradiction. Selon moi, il ne s’agit plus d’un soin, et pourtant il représente une réponse à une demande, à une souffrance. En effet, le soin est une lutte contre la mort – par défaut contre la souffrance, comme dans le soin palliatif – et ne peut pas viser son contraire, c’est‑à‑dire le geste actif qui conduit à la mort, sans se contredire profondément. Pourtant, cette aide requiert malgré tout les soignants, qui vont être amenés légitimer et peut-être à accompagner la demande du malade. Je pense aussi que le mot « aide » permet de contourner la surdétermination des mots « euthanasie » et « suicide ». Ce concept extrêmement précis doit donc être distingué du soin, sans pourtant en faire un geste barbare, et qui est demandé non comme un bien, mais comme un moindre mal. En résumé, il ne faut jamais séparer d’une part l’aide à mourir de la fin de vie, et d’autre part le soin ; mais il faut marquer leur différence. À ce sujet, la continuité et la distinction des deux chapitres du projet de loi me paraissent cohérentes.
Le deuxième point concerne la pratique : ce lien et cette différence entre fin de vie et soin se traduit par une situation presque intenable, impossible, mais pourtant nécessaire, pour les soignants. Le médecin peut et doit pouvoir dire que cela n’est plus du soin et, en même temps, il est le seul à donner les critères pour lesquels cela n’en est plus un. À cet effet, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs joue un rôle clef. Les médecins ont à marquer à la fois une forme de distinction et une responsabilité profonde. Sans le critère médical, nous risquons toutes les dérives.
Enfin, troisièmement, pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Je crois que des verrous sont impératifs pour maintenir l’aide à mourir dans la fin de vie, mais qu’il faut également une loi. Si le problème de la décision extrême dans les cas tragiques en fin de vie concerne très peu de personnes en pratique, chacun se projette dans cette situation. C’est la raison pour laquelle les sondages font état d’une forte demande des Français pour cet espace de parole, en espérant que tout sera fait pour éviter d’y être conduit soi-même et éviter d’y accompagner les autres.
En conclusion, le lien entre l’aide à mourir et le soin implique de dégager un espace minimal pour l’aide à mourir et un espace maximal pour le soin, lequel n’encourage pas seulement une loi sur le soin palliatif mais sur le soin en général, qui mobilise la société autour des soins palliatifs, de la prévention, de la santé publique, la santé physique et mentale. La force d’une législation démocratique est d’assumer les contradictions humaines. Je pense que dans cette forte loi sur le soin, qui dégage les critères de cet espace minimal et critique, sont conciliées les exigences contradictoires auxquelles tout être humain et toute société démocratique sont confrontés.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je vous remercie pour vos interventions éclairantes. Partagez-vous l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lorsqu’il affirme qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir selon certaines conditions strictes ?
Comment percevez-vous les conditions d’accès, que l’on peut considérer comme des verrous ? Sont-elles trop restrictives ou, à l’inverse, insuffisamment restrictives ? L’aide à mourir peut-elle être considérée comme un geste de fraternité ? Enfin, contre qui se ferait éventuellement la conquête du droit de ne pas souffrir et de ne pas subir ?
M. Didier Martin, rapporteur. Les opposants de ce projet de loi l’accusent de provoquer une rupture anthropologique. Monsieur Bataille, celui qui demande cette aide à mourir trahirait-il la société des vivants ? N’existe-t-il pas un rejet manifeste de celui qui ose le geste ?
Monsieur Le Guay, je suis d’accord avec vous sur l’idée que tous les verrous finissent par sauter, comme en témoigne l’histoire de l’évolution du droit des femmes ou du droit des malades.
Monsieur Worms, vos propos rejoignent ceux de Fabrice Gzil. Selon lui, l’aide à mourir n’est pas un soin, mais la reconnaissance partagée par les patients et les médecins d’une finitude partagée, à la fois finitude des soins et finitude de l’existence.
Enfin, l’aide active à mourir est-elle un humanisme ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Monsieur Le Guay, pourquoi qualifiez-vous l’aide à mourir comme une approche euphémisante ? Selon moi, la loi ne se cache pas dans la mesure où l’aide à mourir concerne à la fois ceux qui ne sont même plus capables de s’auto-administrer la substance létale et, dans la majorité des cas, les patients qui feront ce choix d’agir par eux-mêmes. S’agit-il de votre part d’un jugement de valeur ou d’une véritable approche philosophique ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Monsieur Worms, puisque pour vous l’aide à mourir n’est plus un soin, comment considérez-vous l’article 11 du projet qui prévoit que l’administration de la substance létale s’effectue en présence du soignant, ou par le soignant ou par une personne volontaire ?
M. Frédéric Worms. Le terme d’accompagnement que mentionne la loi montre que l’on a besoin du médecin pour établir des critères, dans un rôle qui n’est plus exactement celui du soin. Il faut assumer cette contradiction entre la lutte contre la maladie ou la souffrance et le respect de la liberté. J’observe déjà cette contradiction dans la loi Kouchner avec le refus par le patient d’un traitement qui pourrait lui sauver la vie. Elle est une épreuve et elle doit à ce titre être circonscrite.
J’éviterai de parler de rupture anthropologique : il me semble très grave d’accuser ceux qui demandent l’aide à mourir en ayant lutté contre la mort de promouvoir des valeurs de mort. Certains droits sont conquis contre des tyrans, des injustices. Ici, il me semble que la possibilité est conquise comme un moindre mal contre le tragique. Enfin, j’assume la nécessité des verrous juridiques, c’est-à-dire des conditions d’accès, qui sont assez présentes dans l’avis du CCNE.
M. Philippe Bataille. Je partage effectivement la conclusion de l’avis 139 du CCNE concernant la nécessité d’une loi pour faire évoluer la situation. J’insiste sur l’implication de la médecine que prévoit cette loi. De mon point de vue, il faut énoncer des conditions d’accès en sachant que le débat ne sera pas totalement stabilisé et que des évolutions seront possibles.
Face aux critiques concernant la fraternité, d’une manière générale, les luttes d’émancipation se traduisent par des droits, qui marquent le progrès d’une société. On peut penser à ce titre aux droits conquis comme les droits de l’enfant, du consommateur ou des usagers du système de soin.
L’accusation de rupture anthropologique est pour moi excessive. J’ajoute que la plus grande critique portée aujourd’hui contre l’anthropologie est son anthropocentrisme, en n’évoluant même pas de manière suffisamment comparative. À ce sujet, la crémation a, quant à elle, pu être évoquée comme une rupture anthropologique.
M. Damien Le Guay. Madame Maillart-Méhaignerie, j’estime que la question de l’euphémisme constitue une véritable question politique avant d’être rhétorique. Le débat doit être clair. Or, partout ailleurs dans le monde, il est question d’euthanasie et de suicide assisté. Proposer une solution qui n’est pas clairement définie, introduire une confusion entre l’aide active à mourir qui va du côté de la mort et l’aide active à mourir qui porte sur le soin palliatif me semble être effectivement une tromperie dans le cas de malades en fin de vie.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. La loi est claire. Elle n’euphémise pas.
M. Damien Le Guay. Lorsque la ministre Catherine Vautrin explique qu’il ne s’agit pas de suicide assisté ou d’euthanasie, j’estime bien qu’il y a tromperie sur la marchandise.
Monsieur Martin, vous allez dans mon sens lorsque vous dites que derrière les lois figurent le progressisme et la marche en avant de l’égalité, qui font sauter tous les verrous. Par conséquent, puisque tous les verrous ont vocation à sauter, il en sera de même pour ceux de ce projet de loi.
S’agissant de l’avis 139 du CCNE, je m’inscris délibérément du côté de ceux qui ont émis une réserve et insisté sur les prérequis indispensables et préalables, qui supposent qu’une aide active à mourir « ne relève ni d’un défaut de soin, ni d’un déficit de connaissance et préserve ainsi l’intégrité du principe éthique fondamental du consentement libre et éclairé ».
Je me suis effectivement permis d’opposer la fraternité large du cadre général des personnes mourant chaque année en France et celles qui sont en situation de fragilité avec la coquecigrue d’une fraternité étroite et restreinte. S’agissant des conquêtes, les soins palliatifs se sont historiquement développés contre le paternalisme médical, lorsque les médecins décidaient sans concertation, sans avis, de qui devait mourir et qui devait vivre. Je redoute que cette conquête ne soit remise en cause par le projet de loi dont nous parlons, qui met par ailleurs en avant des ennemis imaginaires ou réels.
M. Gilles Le Gendre (RE). Que dit ce texte de notre société ? La force de la demande sociétale en faveur d’une évolution constitue-t-elle une marche vers le progrès ou est-ce plus ambigu ?
Monsieur Worms, vous considérez que les soignants – quoi qu’il leur en coûte – sont les partenaires essentiels de la mise en œuvre de cette loi. Mais estimez‑vous que les proches peuvent administrer la substance létale lorsque le patient n’est pas capable de le faire lui‑même ?
Mme Natalia Pouzyreff (RE). Ne pensez-vous pas que notre système de santé permettra de restreindre l’application du texte de loi à quelques cas exceptionnels ? Le fait que ce texte prévoie la réitération de la demande jusqu’au dernier moment ne constitue-t-il pas un verrou suffisant ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Monsieur Bataille, dans tous les pays qui ont autorisé la mort programmée, l’accessibilité n’a fait que croître, quel que fût l’encadrement initial des critères par le législateur. Un sondage de 2023 a révélé que 28 % des Canadiens ne voient aucun mal à ce qu’un sans-abri demande à bénéficier d’une aide à mourir même s’il ne souffre d’aucun problème de santé, et 27 % l’admettraient pour les situations de pauvreté. Comment réagissez-vous à ces chiffres inquiétants ?
Monsieur Worms, la législation du suicide assisté et de l’euthanasie constitue-t-elle la priorité du moment à l’heure où notre système de santé souffre d’une crise profonde ?
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Monsieur Bataille, vos travaux soulignent qu’une partie de l’éthique palliative a été construite en opposition à la mort. Quels concepts permettraient de lever l’opposition entre l’éthique palliative séminale et l’exigence qu’on peut porter aujourd’hui d’aide à mourir dans la dignité ? Ensuite, en un sens, l’aide à mourir dans la dignité s’inscrit dans les revendications de vie et d’accompagnement de dignité de l’individu. Qu’en pensez‑vous ?
Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Il peut y avoir des situations de maladie incurable pour lesquelles le pronostic vital n’est pas immédiatement engagé. Monsieur Worms, acceptez-vous de ne pas conditionner maladie incurable et pronostic vital engagé ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Monsieur Worms, l’aide à mourir ne constitue‑t‑elle pas l’ultime liberté de disposer de son corps jusqu’à la dernière seconde ?
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Monsieur Le Guay, tous les verrous ne sautent pas. Le délai d’avortement demeure et il n’est pas menacé par les députés que nous sommes. Ces verrous sont des bornes à l’intérieur desquels nos droits s’exercent. Dans le projet de loi, ils sont clairs et déterminés. Je ne comprends pas pourquoi vous les soupçonnez d’être fragiles en regard de l’opinion publique aujourd’hui.
M. Philippe Juvin (LR). N’est-il pas paradoxal que la mort soit à la fois omniprésente dans les débats alors que nous y sommes de moins en moins exposés, à part les employés des pompes funèbres et les soignants ? Comment comprenez-vous la passion des débats actuels ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Monsieur Bataille, que répondez-vous à ceux qui estiment que la reconnaissance d’une aide active à mourir peut générer des discriminations systémiques à l’intérieur du système de santé ou du système médico-social, en participant d’une opportunité « âgiste » ?
Mme Maud Gatel (Dem). Des voix importantes se font entendre afin que le critère relatif au pronostic vital engagé soit d’ores et déjà levé, afin d’empêcher toute discrimination dans l’accès à l’aide active à mourir et remplir une promesse d’égalité républicaine. Selon vous, s’agit-il d’une possibilité à court ou moyen terme ?
Mme Cécile Rilhac (RE). Monsieur Worms, je partage l’interrogation de ma collègue Simonnet : qu’en est-il de la souffrance insupportable de certaines pathologies dans lesquelles le pronostic vital n’est pas engagé ? La mort ne peut‑elle être un remède à la souffrance, quelle qu’en soit la temporalité ?
Monsieur Le Guay, pourquoi ne pas entendre et comprendre que lorsque la vie est invivable, l’aide active à mourir puisse être un acte d’amour, fraternel, voire solidaire ?
Mme Annie Genevard (LR). Monsieur Bataille, êtes-vous favorable à faire sauter les verrous ? Je suis, comme Monsieur Le Guay, inquiète, car j’estime que cette revendication sera rapidement sur la table.
Mme Élise Leboucher (LFI - NUPES). À force de craindre que ces verrous ne cèdent, ne risquons-nous pas de ne plus légiférer pour obtenir de réelles avancées sociales ?
M. Frédéric Worms. Je suis impressionné par la richesse de vos questions. En éthique médicale, il faut, selon moi, toujours partir du négatif et, sans imposer une version unique du bien, s’accorder a minima sur une « boussole », une lutte contre des maux avérés et reconnus comme communs. Il peut s’agir de risques climatiques et pandémiques, du retour de la guerre. À ce titre, pour répondre à M. Le Gendre, ce texte me semble accompagner la volonté de lutter contre le négatif et de circonscrire les sphères où il est inévitable. Ceci n’empêche pas de définir simultanément une positivité de la vie, qui ne se réduit pas à la survie, à la lutte contre la mort.
Selon moi, des verrous devront effectivement être déterminés – au moins dans des textes d’application et avec l’aide des médecins – et au premier chef au sujet de la dimension temporelle. À ce titre, la définition du moyen terme constituera le point le plus difficile de la loi, ou du moins de son application.
Enfin, même si le geste létal n’est pas du soin, je pense malgré tout qu’il revient à une personne soignante de l’administrer plutôt qu’à un proche.
M. Damien Le Guay. Monsieur Le Gendre, ce débat mobilise effectivement pour plusieurs raisons : la peur de la mort conduisant à vouloir la banaliser, le fait que nos sociétés soient des sociétés de maîtrise, le refus du tragique. La mort est devenue une question médicale et non plus avant tout une question familiale ou spirituelle.
Madame Cristol, le projet de loi parle de volonté « libre et éclairée », ce qui est plus que questionnable dans des situations d’abandon et de fragilité où, effectivement, la personne existe aussi en fonction du regard d’autrui. Régis Aubry, membre du CCNE, précise bien que « les demandes d’aide active à mourir sont rarement l’expression d’une volonté, mais d’un épuisement, d’une souffrance, que nous avons l’obligation morale et médicale d’interroger et de soulager ».
Pourquoi suis-je conduit à penser que les verrous sauteront ? Jean-François Delfraissy a lui-même indiqué qu’une autre loi viendrait compléter celle-ci, avec d’autres demandes. De fait, il n’existe pas un seul exemple étranger dans lequel les verrous d’origine ont tenu longtemps. En outre, à partir du moment où l’aide à mourir est sortie du champ de la fin de vie et du pronostic vital engagé, tout devient possible. Or, les études montrent que les personnes qui demandent aujourd’hui de manière persistante cette aide active en raison de leur situation médicale sont de l’ordre de 1 %. Mais l’offre crée la demande et, dans certains cantons des Pays-Bas, cette demande est désormais de 15 %. Imaginer que les verrous ne sauteront pas revient à se tromper soi-même. La demande sociétale est trop forte.
Madame Rilhac, vous avez questionné la possibilité de cette aide active comme un acte d’amour, lorsque la vie devient invivable. À quel moment le législateur et l’État peuvent considérer une vie invivable ? Je ne sais pas ce que cela veut dire : ce qui est perçu invivable à un moment peut ne plus l’être ensuite grâce à l’aide, au partage de projets de vie. Enfin, selon moi, la compassion qui supposerait que l’on donne la mort par acte d’amour se heurte à la culpabilité gigantesque qui en résulterait.
M. Philippe Bataille. Monsieur Le Gendre, vous avez demandé ce que le projet de loi disait de notre société. Il me semble qu’il s’agit d’exprimer une solidarité de tous à l’égard d’un seul. La mort reste un événement privé, intime, mais les maisons d’accompagnement peuvent s’intéresser à la question du deuil.
Vous avez également demandé si les proches non soignants peuvent administrer la substance létale. Tout dépend du cadre général. En Suisse, le rôle des associations est incontournable. Elles rassemblent non seulement les proches, mais aussi des médecins. Pour ma part, je partage l’avis de M. Worms : il faut une implication de la médecine et du soignant jusqu’au bout.
La situation canadienne et ses conséquences « inflationnistes » ont également été mentionnées, avec l’accent mis sur une dérive qui conduirait à se débarrasser de la personne isolée. Cet acte porte un nom – l’assassinat – et la loi s’en occupe. Par ailleurs, l’élément opérationnel permettant d’actionner la loi et tous les principes qui la soutiennent porte à mes yeux sur la notion de droit des malades, en lien avec la loi de 2002 sur l’arrêt des traitements, laquelle constitue à mes yeux le véritable big bang législatif.
Ensuite, j’accolerais volontiers la notion de limite à celle de verrou, en particulier la limite que l’on donne à sa propre existence. Quand on donne des limites à son existence et qu’on les atteint, on les repousse encore un peu jusqu’au moment où la vie n’est plus supportable, où l’invivable déborde.
Depuis une vingtaine d’années, la société a particulièrement débattu de la notion de fin de vie et de la capacité des uns et des autres à nommer un certain nombre d’éléments. Mes travaux m’ont conduit à creuser ce que j’appelle une sociologie du sujet vulnérable, qui consiste à conserver aux plus faibles leur qualité de sujets et leurs droits de citoyens, notamment la capacité de s’exprimer sur leur propre mort.
En conclusion, les discussions de ce jour portent finalement sur une situation profondément humaine avant d’être sociale pour trouver – ce qui demeure difficile – un support légal à cette situation. Pour ceux qui ont fait ce choix, se rendre à l’étranger visait à mourir dans le cadre de la loi, et non clandestinement. Je pense à Paulette Guinchard-Kunstler. Quand, toute sa vie, on a exercé dans le cadre de la loi, on ne peut pas mourir en dehors.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie de votre participation à ces échanges de grande qualité.
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12. Table ronde réunissant des professionnels de santé (réunion du mercredi 24 avril 2024 à 18 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde avec des professionnels de santé, M. Denis Fischer, responsable Communication, et Mme Arlette Schuhler, secrétaire adjointe du Conseil national professionnel des aides‑soignants, le Dr Francis Abramovici et le Dr Antoine de Beco, membres du Collège de la médecine générale, le Dr Valérie Mesnage et le Dr Christine Raynaud-Donzel, membres du collectif « Pour un accompagnement soignant solidaire », le Pr Pierre-François Perrigault, membre de la Société française d’anesthésie et de réanimation, et le Dr Sophie Moulias, membre de la Société française de gériatrie et gérontologie ([13]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous reprenons nos travaux.
Dr Valérie Mesnage, membre du collectif « Pour un accompagnement soignant solidaire ». Le collectif a été créé en septembre 2023 pour faire entendre une voix soignante différente de celles qui s’opposaient à toute évolution vers une aide active à mourir. Nous sommes aujourd’hui cent dix‑sept soignants de spécialités et provenances diverses, confrontés aux situations de fin de vie de personnes atteintes de pathologies ou maladies graves et incurables. Au nom de situations de souffrances inapaisables, qui ne trouvent pas de réponse dans le cadre législatif actuel, nous souhaitons exprimer notre engagement à accompagner les demandes d’aide à mourir dès lors qu’elles seraient l’expression d’une volonté libre, éclairée, réitérée, et à soutenir et accompagner les proches. Nous considérons ce projet de loi comme une avancée sociétale et médicale qui nous permettra de répondre aux demandes des patients et de les accompagner tout au long du processus. Nous saluons également l’intégration, dans le périmètre des douleurs réfractaires, des souffrances psychiques ou existentielles, la place centrale accordée à l’équipe référente dans l’évaluation de la demande et l’importance d’une décision partagée.
Pour autant, certains critères d’accès peuvent être discriminants. La notion de court et moyen terme exclut des pathologies fatales à plus long terme, telles que les pathologies neurologiques ou le handicap lourd, source de souffrances inapaisables. Aucun pays limitrophe n’a introduit cette notion de terme, se focalisant sur la souffrance réfractaire. Le recours à un tiers pour les seules personnes dans l’incapacité physique de s’auto‑administrer le produit létal nous interroge également. Considérer l’euthanasie par défaut entretient une hiérarchie de jugement moral envers la personne malade comme envers le soignant qui accomplit l’acte. Dès lors qu’une aide à mourir est envisagée, ne serait-il pas plus juste de laisser le choix de sa modalité à la personne malade ? L’implication d’un proche nous semble potentiellement préjudiciable. La possibilité de recourir à une aide active à mourir sur directive anticipée nous semble devoir être débattue dans les situations de troubles de conscience irréversibles et de démences neurodégénératives. Les directives anticipées nécessiteraient donc d’être extrêmement explicites sur la limite que ces personnes ne souhaitent pas franchir.
Il est enfin indispensable qu’une formation spécifique précède la mise en application de la loi. Ce temps d’acculturation à l’accompagnement de la fin de vie devrait permettre d’apaiser les tensions fortes qui émanent aujourd’hui du monde soignant.
Pr Pierre-François Perrigault, membre de la Société française d’anesthésie et de réanimation. Plus de 50 % des décès en France ont lieu à l’hôpital, dont 22 % en soins critiques. Plus d’un Français sur dix décédera dans nos services. 70 à 80 % des décès font suite à une limitation des traitements. Nous sommes davantage confrontés, au quotidien, à des demandes d’obstination déraisonnable de la part des proches qu’à des demandes prématurées d’arrêts de traitement. Nous ne sommes pas opposés à une évolution de la loi vers une modalité d’aide à mourir de type suicide assisté pour quelques situations complexes, bien que nous ne puissions pas encore mesurer toutes les conséquences de cette évolution.
La fin de vie ne peut pas être l’apanage des seuls services de soins palliatifs, et tous les professionnels de santé doivent être formés et capables de l’accompagner. Si les précédentes lois ont été une véritable révolution positive, elles sont encore trop mal connues. La France a choisi la voie des lois Claeys-Leonetti plutôt que celle du suicide assisté et de l’euthanasie, empruntant ainsi un chemin différent de celui d’autres pays. Si cette loi répond aujourd’hui aux principales problématiques, des situations éthiquement difficiles subsistent, car chaque cas est unique. Nous avions d’ailleurs sollicité la création d’une instance de médiation nationale pour la gestion des conflits entre proches et équipes soignantes. Il existe encore quelques rares situations complexes auxquelles la loi répond mal.
Avec ce projet de loi, qui va dans le sens d’une ouverture à une aide à mourir assortie de critères stricts, certains Français continueront à s’orienter vers des pays aux critères plus larges. Nous nous interrogeons également sur la disparition des mots « suicide assisté » et « euthanasie d’exception ». La possibilité, pour un infirmier ou un proche, de pratiquer le geste fatal va par ailleurs au-delà de toutes les législations du monde, avec un risque de stress post-traumatique. Évaluer l’autonomie décisionnelle est un enjeu majeur, et nous étions ainsi favorables à la préconisation d’une évaluation psychiatrique afin de dépister l’existence d’un trouble mental réversible. L’absence de collégialité dans le dispositif est perturbante. Nous sommes également interpellés par la réversibilité de la décision. Un délai trop court de décision comporte le risque d’accéder à une demande de mourir chez des patients susceptibles de changer d’avis. Enfin, comment empêcher les dérives des autres pays qui ont inéluctablement élargi leurs critères au titre du principe de non-discrimination ? Cette loi doit répondre à des situations d’exception, mais l’aide à mourir risque de devenir une forme banale de décès. Les chiffres de décès à la suite d’euthanasies dans d’autres pays sont sur des pentes exponentielles.
Dr Sophie Moulias, administratrice de la Société française de gériatrie et gérontologie. La médecine du grand âge, qui concerne les personnes de plus de 80 ans, compte seulement 2 500 professionnels sur le territoire, ce qui est insuffisant. Notre approche est centrée autour de la personne et de ses projets de fin de vie lorsqu’ils sont exprimés. Les publics, les situations et les formes d’accompagnement sont diversifiés. La spécificité de la gériatrie est tout d’abord psychosociale, avec l’âgisme, une discrimination répandue en France qui véhicule l’idée que le grand âge est synonyme de troubles neurodégénératifs, d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de vulnérabilité, alors que la majorité des personnes de plus de 80 ans vivent chez elles sans aide médicale. Une autre spécificité est l’isolement, qui peut conduire à des dépressions rarement traitées ou à des tentatives de suicide, et notre accompagnement implique de savoir écouter la lassitude de vivre.
L’acharnement thérapeutique est, dans le grand âge, beaucoup plus rare que la limitation abusive de soins. La loi de 2005, avec la collégialité, a permis de limiter des soins à la condition d’une réflexion collective autour du patient. Notre approche est systémique, elle prend en compte les aidants, qui peuvent être des proches ou des professionnels et sont aujourd’hui insuffisamment considérés. Le grand âge implique également des risques de santé supérieurs, et cette population sait parler de la mort. Cette loi doit permettre d’amener d’importantes évolutions. Il faut maintenir la possibilité du soin autant que possible. En l’absence de loi grand âge, les patients que nous accompagnons sont inquiets. Ils sont inquiets d’être tués au sein d’un hôpital qui ne peut plus les soigner, des soins palliatifs qui ne sont pas présents partout, ou de la douleur. Nous manquons d’endroits où le soin palliatif est bien appliqué et les professionnels, insuffisamment formés, réclament des formations.
Il est indispensable de maintenir la collégialité, qui a permis de soigner équitablement les plus âgés. Nous ne souhaitons pas l’euthanasie, car l’exemple de la Belgique démontre que 50 % des « euthanasies sauvages » concernent des personnes âgées. L’idée d’engager les proches nous paraît dangereuse, à la fois pour l’aidant et pour le patient. Enfin, nous estimons que cela ne doit pas être effectué dans les Ehpad, car appliquer la mort est compliqué lorsque l’on peine déjà à appliquer l’accompagnement de la vie en raison du manque de professionnels.
Dr Francis Abramovici, membre du Collège de la médecine générale. Nous avons été conviés au travail préparatoire du projet de loi. Élargir le cadre de la loi Claeys-Leonetti permet de renforcer les soins palliatifs pour s’assurer qu’aucun patient ne choisira le geste ultime par défaut, notamment de prise en charge en unité spécialisée de soins palliatifs. L’inscription de la clause de conscience est également indispensable.
Si nous saluons les avancées amenées par ce projet de loi, nous constatons qu’il divise la profession des médecins généralistes. La loi va définir un cadre, mais nous serons au premier rang de sa mise en pratique, au plus près de patients parfois oubliés par les textes. Nous sommes donc préoccupés par ses impacts quotidiens. Notre métier s’inscrit dans un indispensable travail en commun avec l’ensemble des professionnels de la ville et de l’hôpital, depuis la naissance jusqu’au décès des patients. Le travail s’organise actuellement de façon horizontale à l’échelon des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), et le Collège de la médecine générale souhaiterait bénéficier d’une place dans le futur dispositif afin de faciliter l’organisation du travail en commun des professionnels autour de la fin de vie.
Plus d’un million de consultations de médecine générale se déroulent chaque jour en France, et la profession demande donc une plus grande visibilité. Notre groupe de travail plaide pour la mise en place d’une culture portant sur les questions de la fin de vie, souvent exclues de la relation avec les patients. Nous souhaitons un temps avec le patient pour faire le point sur ses directives anticipées et leurs évolutions dans le temps. Une consultation dédiée pourrait par exemple être créée et renouvelée à différentes périodes de la vie. Nous demandons l’affirmation d’un temps d’ouverture, réservé pour parler de la fin de vie et pour en échanger avec la personne. Il est important d’anticiper la question d’une fin de vie à domicile avec le patient. Nous souhaitons également des campagnes d’information du public sur les directives anticipées ou la personne de confiance.
Nous insistons également sur la prise de décision tracée et collégiale, en réunion de concertation pluriprofessionnelle, en particulier pour les cas délicats. Ces échanges représenteraient, pour les professionnels, une formation-action à partir de cas réels. Nous proposons des comités d’éthique pluriprofessionnels, composés de médecins, mais également de philosophes, juristes, sociologues et associations spécialisées, qui pourraient être saisis pour des cas complexes. Une réflexion collégiale préalable à la prise de décision doit permettre d’éviter les futures dérives que certains redoutent. Le Collège souhaite également participer à l’évaluation future des pratiques.
M. Denis Fischer, responsable Communication du Conseil national professionnel des aides-soignants. Les aides-soignants sont auprès de la personne malade et en fin de vie à domicile, à l’hôpital et en Ehpad. Nous soulignons surtout le manque de formation des aides-soignants dans l’accompagnement de fin de vie et les soins palliatifs. Mais, dans la mesure où la mort peut survenir dans toute structure, nous plaidons pour que le ratio soignants/soignés augmente, afin de pouvoir accompagner le patient et sa famille, car le soin ne consiste pas uniquement à donner des médicaments, mais également à accompagner et soutenir. Lorsqu’on arrive à réaliser les projets de vie des patients, l’angoisse diminue, la demande de mort diminue.
Nous sommes en accord avec le rapport. Si respecter le souhait de ceux qui demandent une aide active à mourir est important, cette demande diminue lorsque les personnes sont correctement accompagnées. Alors, jusqu’où aller dans le soin et à quel moment l’arrêter, sur la base d’un accord pluridisciplinaire ? Comment et avec qui accompagner les personnes au sein des maisons d’accueil de fin de vie, et avec quels moyens ?
Il convient de distinguer soins palliatifs et aide à mourir, car les personnes que nous accompagnons en soins palliatifs ne comprendraient plus le rôle du soignant. Nous pourrions imaginer des structures d’accueil pour les personnes dont les directives anticipées sont claires et qui ont choisi l’aide à mourir, ou des structures dont le personnel accepterait d’accompagner ces personnes.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Ma question concerne le titre II du projet de loi, c’est-à-dire l’aide à mourir. Êtes-vous en accord avec l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), selon lequel il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir selon certaines conditions strictes ? Le cas échéant, quelles seraient, selon vous, les conditions strictes à mettre en œuvre dans ce projet de loi ?
Docteur Moulias, l’expression « euthanasie clandestine » me semble devoir être préférée à celle d’« euthanasie sauvage ». Disposez-vous d’éléments documentés et étayés vous permettant d’affirmer que la moitié des euthanasies pratiquées en Belgique sont clandestines ? De nombreux Français souhaitent finir leur vie à domicile, et peuvent considérer que l’Ehpad en est un. Le fait d’inclure une clause de conscience d’établissement vous semble-t-il éthique ?
M. Didier Martin, rapporteur. Il est nécessaire de donner aux soignants les moyens de continuer à se rendre au domicile des patients, dans un contexte de pénurie médicale. Ma question concerne le titre Ier, le plan personnel d’accompagnement, les directives anticipées, le temps nécessaire pour élaborer ces documents, la formation nécessaire pour conduire ces entretiens singuliers et l’ouverture des maisons d’accompagnement qui seraient des structures intermédiaires entre l’hôpital et le domicile. Quel sera le rôle des intervenants dans ces maisons ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Docteur Abramovici, quelle est votre interprétation, dans l’article 5, de la mention d’une personne volontaire que le patient pourrait solliciter lorsqu’il n’est pas en mesure de s’auto-administrer la substance létale ? Quelles personnes faudrait-il d’emblée exclure de ces volontaires potentiels ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Docteur Moulias, bien que le nombre de personnels spécialisés soit insuffisant, le sujet des soins gériatriques concerne au quotidien de nombreux professionnels. La récente loi « bien‑vieillir » démontre que nous anticipons l’importante transition démographique à venir et que nous luttons contre la maltraitance. Nous souhaitons tous que les personnes âgées disposent de droits et d’une place dans la société, et cette loi ne s’adresse pas à elles en priorité, mais à toute personne souffrant d’une maladie incurable avec des souffrances intolérables, ce qui peut également être le cas d’une personne âgée dans un Ehpad ou à domicile.
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Monsieur Fischer, quel est votre avis sur le rôle propre dont dispose l’aide-soignant, au sein de ce projet de loi, dans la collégialité ?
Docteur Mesnage, vous trouvez critiquable la possibilité, pour un proche, d’administrer la substance létale. Mais si ce principe n’est pas inscrit dans la loi, que fait-on, demain, face à un proche qui en fait la demande ?
Professeur Perrigault, le nombre élevé de demandes d’obstination déraisonnable rencontré en réanimation ne vous semble-t-il pas relever d’un problème sociétal lié à la vision française de la mort ? Pensez-vous qu’accroître le ratio soignants/soignés et prendre le temps de discuter avec les familles permettrait de faire diminuer cette tendance ?
Docteur Moulias, une décision prise par deux médecins et un aide-soignant ne vous semblerait-elle pas collégiale ? Le sujet de la maltraitance dans les Ehpad est largement traité par notre assemblée, et il ne semble pas opportun de les retirer du dispositif alors même qu’ils peuvent représenter un domicile. Il est faux de penser qu’être âgé signifie mourir dans d’atroces souffrances, et un pronostic vital engagé peut entraîner des soins de confort.
M. Denis Fischer. Nous demandons la reconnaissance du rôle propre et des compétences de l’aide‑soignant depuis de nombreuses années, non seulement pour disposer d’un statut, mais surtout pour pouvoir accompagner des personnes en collaboration avec l’infirmier, et non plus sous sa responsabilité. Nous le souhaitons aussi bien à domicile que dans les structures, par des formations sur les soins palliatifs. Certains disposent d’un diplôme universitaire en soins palliatifs et souhaitent pouvoir accompagner sereinement les patients, les familles, mais également leurs projets de vie. Et lorsque le souhait des personnes est de mettre fin à cette vie qui devient insupportable, il doit également être respecté.
Dr Francis Abramovici. La loi ne doit pas encadrer les conditions éthiques limitant la mise en pratique ou donner une définition a priori, mais chaque cas posant une question d’éthique doit être discuté de façon pluriprofessionnelle. Chacune des réflexions éthiques devra être conduite au cas par cas, à l’aide d’une ressource qui permettra à l’ensemble des professionnels de prendre des décisions éclairées lors d’un travail commun de réflexion.
Du fait du manque de financements dédiés et de leur charge de travail, les médecins ne souhaitent plus effectuer les visites à domicile, mais des incitations pourraient leur permettre d’y revenir. Des professionnels, dont nous manquons actuellement, seront également nécessaires pour accompagner les personnes au sein des maisons d’accompagnement.
Dr Antoine de Beco, membre du Collège de la médecine générale. La visite à domicile, qui est au cœur du métier de médecin généraliste, reste pratiquée par de nombreux médecins. Pour lui permettre de conserver sa valeur, la modélisation par la maîtrise de stage et la découverte par les jeunes internes sont essentielles. Les médecins souhaitent continuer à effectuer ces visites, qui permettent de connaître l’environnement du patient et de rencontrer les personnes qui l’aident. De cela découlent les questions de l’incitation et du financement, afin de ne pas abandonner le care et le cure. Les visites à domicile comme les interventions en maisons de retraite témoignent de cette dimension essentielle de notre profession, qui est d’accompagner loin, longtemps et tout le temps, dans la mesure de la disponibilité en temps. Les problèmes de démographie ne peuvent pas justifier un abandon de ces pratiques.
Dr Francis Abramovici. Sur le sujet de la personne volontaire, la réponse ne peut pas davantage être unique et unanime. L’importance du travail en amont et du comité d’éthique sera également essentielle, afin d’auditionner la famille et de l’accompagner.
Dr Valérie Mesnage. Je suis en accord avec les conclusions du CCNE, mais pas avec les conditions extrêmement strictes. La réflexion éthique a été guidée par la reconnaissance de ces situations de souffrance, avec une responsabilité et un engagement de ne pas abandonner les patients. Si nous souhaitons reconnaître l’aide à mourir comme cette situation de souffrance en lien avec ces pathologies, il est de notre responsabilité d’accompagner jusqu’au bout la personne et de ne pas la laisser face à elle-même dans un geste qui peut être extrêmement difficile à réaliser d’un point de vue psychique. Les préconisations me semblaient donc traduire une volonté de ménager les soignants rétifs.
Je suis dubitative, car, dans le cas où le proche doit effectuer le geste, il n’a pas, de la même façon que nous, qui faisons face à ce reproche, la certitude de répondre à la demande de la personne. J’entends néanmoins que des proches puissent le souhaiter. Mais les demandes d’aide à mourir que j’ai accompagnées par des sédations profondes et continues m’ont toutes démontré que les patients et les proches sont extrêmement reconnaissants pour notre présence jusqu’au bout. J’estime que l’aide active à mourir ne peut être effectuée qu’en présence de ce triptyque : la demande, le professionnel qui s’y engage et le proche intégré à ce cheminement. Je m’interroge en revanche sur les répercussions qu’aurait, sur le proche, l’acte effectué seul.
Dr Christine Raynaud-Donzel, membre du collectif « Pour un accompagnement soignant solidaire ». La plupart des patients que je rencontre souffrent d’une maladie incurable et mon travail consiste à cheminer avec eux, les écouter, les informer et comprendre leurs souhaits. Si je suis en accord avec l’avis du CCNE, j’estime qu’il ne va pas assez loin. J’aurais l’impression, face à un patient que j’accompagne depuis longtemps et qui demande une aide à mourir, de l’abandonner en lui prescrivant seulement le médicament. Au regard des véritables relations de confiance établies, l’accompagnement doit impliquer les soignants, malgré la difficulté de la tâche. J’estime donc également qu’il ne faut pas hiérarchiser, et que le poids est extrêmement lourd pour les patients qui, après de longues souffrances, n’ont pas envie de mourir, mais nous demandent de les libérer. Alléger leur fardeau en prenant notre part me paraît donc être un acte constitutif de nos missions, qui devrait pouvoir être effectué en tout lieu. Je précise que les demandes sont rares, et je ne crains pas leur multiplication, car les patients ont envie de vivre.
Pr Pierre-François Perrigault. Nous sommes en accord avec l’avis du CCNE ainsi que sur la modalité du suicide assisté, qui respecte l’autonomie et qui limite l’implication d’autrui.
Sur le sujet de l’obstination déraisonnable, nous avons constaté, au terme de notre analyse, que les raisons sont complexes. Elles touchent au refus de la disparition, à la peur de la mort, à la perte de confiance dans le discours médical, ou à des questions religieuses voire militantes. Dans 99 % des cas, ce sont les familles qui s’opposent à l’arrêt des traitements, et jamais l’inverse.
La proposition relative à l’exception d’euthanasie, qui pourrait impliquer un proche voire une infirmière, est un cas unique, et c’est le médecin qui effectue l’acte dans les autres pays. En raison du choix de l’administration orale, la question est celle de la capacité du patient à déglutir. S’il n’en est pas capable, la loi Claeys-Leonetti permet d’arrêter les traitements et de mettre en place une sédation profonde et continue. La question de l’exception d’euthanasie est donc purement théorique. Si la loi Claeys-Leonetti a remplacé le mot « avis » par le mot « témoignage » des proches, c’est pour qu’ils n’aient pas à porter le poids de cette culpabilité. Lorsque le corps médical prend la décision, les proches se trouvent soulagés et ne portent pas le stress post-traumatique. Nous mesurons encore mal le retentissement que toutes ces décisions peuvent avoir sur les proches.
Dr Sylvie Moulias. Les Ehpad sont certes des domiciles, mais ils sont également des lieux de soins, au sein desquels les soignants sont trop peu nombreux. Les médecins traitants ne se déplacent plus en Ehpad, qui manquent également de médecins coordonnateurs. Ils sont donc des lieux de vulnérabilité majeure. Davantage que celle de la maltraitance en Ehpad, j’évoquais la question de la maltraitance entre un aidant épuisé ou malveillant et son proche, que l’on constate fréquemment. Les réalités de la vie peuvent conduire certaines personnes à la résignation ou à la malveillance. Les situations doivent être envisagées au cas par cas, d’où la nécessité d’une collégialité et d’une multidisciplinarité, afin que le patient et ses proches soient écoutés et entendus. Le discours du patient pouvant varier en fonction de l’interlocuteur, il est essentiel de pouvoir croiser les différentes paroles.
En tant que gériatre, je peux évoquer uniquement les personnes âgées, qui savent qu’elles vont mourir et qui ne bénéficient pas des soins auxquels elles devraient avoir droit, notamment l’accès aux soins palliatifs. La réalité est telle qu’en raison du manque de personnels ou de lits, une unité de soins palliatifs, à stade de fin de vie égal et douleurs insupportables égales, accueillera plus facilement un patient qui ne souffre pas de troubles cognitifs. Pour autant, les professionnels des Ehpad ne sont pas mieux formés que les autres, et les équipes mobiles ne suffisent pas à compenser. Si les personnes âgées demandent rarement à mourir, les proches peuvent parfois, pour différentes raisons, souhaiter que le déroulement soit accéléré. Le plan personnel d’accompagnement doit commencer le plus tôt possible et il est nécessaire, en cas de maladie chronique, de disposer de référents, mais également de médecins traitants et de structures, avec également un temps dédié. Je plaide depuis longtemps pour une consultation dédiée visant à expliquer ou encore à remettre des documents spécifiques. Cela pose toutefois la question du partage des informations et des dossiers médicaux entre les différents acteurs.
Je vous transmettrai, monsieur le rapporteur, les chiffres de l’euthanasie clandestine que j’ai cités, qui sont issus d’une publication.
Il nous semble impossible et indigne, dans le cadre de la République française, que tout le monde n’ait pas accès aux soins de façon égalitaire, en particulier dans le grand âge. Tant qu’un soin de qualité ne sera pas développé partout et pour tout le monde, il n’y a rien d’éthique à discuter de l’accélération de la mort.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Docteur Abramovici, moins du quart des médecins généralistes pratiquent des visites longues à domicile et seules 5 à 12 % d’entre elles concerneraient des patients soins palliatifs. En quoi ce projet de loi, qui n’est accompagné d’aucune étude d’impact budgétaire, pourrait-il remédier à cette situation ?
Notre système de santé connaît une crise profonde. Considérez-vous la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie ouverte à tous comme la priorité du moment ? Ne risque‑t‑elle pas de favoriser une division du corps médical ?
25 % des Ehpad n’ont pas signé de convention avec des équipements mobiles de soins palliatifs. En quoi le projet de loi peut‑il remédier à cette déficience ?
M. Nicolas Turquois (Dem). Professeur Perrigault, docteur Abramovici, je suis favorable à une évolution du droit en matière d’aide active à mourir, limitée à des cas rares. Quels sont les cas complexes qui ne seraient pas couverts par les dispositions actuelles ? La collégialité renforcée que représenterait le comité d’éthique pluriprofessionnel pourrait-elle être une solution dans des situations complexes et rares ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Docteur Abramovici, quelle serait une collégialité idéale, effective dans la pratique dans votre qualité de médecin généraliste et organisable dans un temps raisonnable, dans le cas d’une demande d’aide à mourir de l’un de vos patients ?
Ma seconde question s’adresse à tous les intervenants. L’article 11 évoque la possibilité que le produit létal puisse être administré par un soignant en cas d’impossibilité pour le patient, sans que la loi ne précise qui doit être ce soignant. Celui qui prescrit et celui qui administre doivent-ils être la même personne ?
Mme Christine Pires Beaune (SOC). Docteur Moulias, je souhaite qu’aucun lieu ne soit a priori exclu de la pratique de l’aide active à mourir. Permettre que ce geste puisse être effectué là où la personne réside peut éviter d’ajouter du malheur.
Professeur Perrigault, vous avez exprimé votre satisfaction concernant la loi Claeys-Leonetti. Une mission d’évaluation récente a démontré que le recours à la sédation profonde et continue reste rare et inégalitaire. Quelles en sont, selon vous, les raisons ?
Docteur Mesnage, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de demander à celles et ceux qui souhaitent faire jouer la clause de conscience de se désinscrire du fichier de recensement des personnes acceptant de pratiquer l’aide à mourir ?
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Docteur Moulias, personne ici n’imagine donner à des enfants le pouvoir d’abréger la vie de leurs parents. La loi précise que cela revient uniquement à la personne elle-même, lorsqu’elle a exprimé le souhait de mourir de façon répétée.
Monsieur Fischer, quelles seraient, selon vous, les conditions qui permettraient une aide active à mourir pour les personnes en Ehpad ? Estimez-vous que cela puisse être effectué au sein des Ehpad ou à condition que les personnes en sortent et, dans ce cas, où cela pourrait‑il être effectué et dans quelles conditions ? Face au risque de propagation, qui pourrait donner des idées à certains autres patients, quelles seraient les conditions optimales de respect de la demande de ces personnes ?
M. Thierry Frappé (RN). Le projet de loi prévoit de mettre en place l’aide active à mourir. Quelle est, selon vous, la représentation de cette euthanasie dans le soin et par rapport aux soins palliatifs, trop mal connus en France, et alors que notre retard est évident ? Quelle est, en cas de souffrance insupportable à court ou moyen terme, la durée raisonnable du moyen terme évoqué par le projet de loi ? Estimez-vous suffisants les moyens humains destinés à la mise en place des maisons de fin de vie, dans un contexte de pénurie de soignants ? Quelle place chacun d’entre vous accorde-t-il à la clause de conscience ?
M. Denis Fischer. Selon moi, la mort ne peut pas être provoquée en soins palliatifs puisque l’accompagnement naturel jusqu’au bout de la vie est préconisé. Je suis en revanche favorable à ce que la décision de la personne âgée soit respectée au sein de son lieu de vie, afin d’éviter un transport à l’hôpital ou dans une institution, avec un accompagnement jusqu’au bout. Si je souhaite que les gens puissent mourir là où ils le souhaitent, la question fondamentale est celle du ratio soignants/soignés en Ehpad, qui ne permet pas d’accorder à la personne le temps nécessaire au soin, et des moyens à mettre en place pour bien accompagner ces personnes jusqu’au bout.
Dr Francis Abramovici. La personne qui prescrit doit, à mon sens, être celle qui administre, car déléguer cette responsabilité présenterait le risque d’une incompréhension de la prescription.
Il n’existe pas, selon moi, de possibilité d’organisation idéale effective dans un temps raisonnable. Nous devons trouver les moyens de la mise en pratique grâce au cadre fixé par la loi et en donnant ensuite aux professionnels des possibilités de s’en saisir au mieux. La culture des directives anticipées, de la réflexion sur la mort et du bon moment doit être pensée en commun, car il s’agit d’un problème sociétal.
Les cas complexes sont ceux où les soignants sont partagés entre vouloir soulager pour ne pas céder à la demande de fin de vie et ceux qui pensent que la situation justifie d’accéder à la demande.
Dr Antoine de Beco. Sur la nécessaire collégialité pour les cas complexes, il me semble nécessaire de faire également appel à des professionnels des sciences humaines et sociales pour éclairer les réflexions d’un groupe. Les médecins sont en effet, malgré le retour de ces sujets dans leur formation, encore insuffisamment sensibilisés.
Dr Francis Abramovici. Bien que les comités soient difficiles à mettre en place, il est important d’en avoir l’intention et d’en donner la direction. Des personnes de diverses origines professionnelles peuvent être intégrées pour, au côté de soignants de toute catégorie, prendre le temps d’une réflexion collective, aussi bien sur des sujets généraux que sur des cas précis. Il est donc important de développer des expérimentations.
La visite à domicile ne sera pas améliorée dans le projet de loi, mais le raisonnement diffère de celui de l’éthique.
Dr Valérie Mesnage. Sur la question de la liste de volontaires, l’idéal serait que chacun d’entre nous accompagne en conscience les personnes dans ces parcours de soins. Il existe toutefois un principe de réalité et une forte opposition qui doit être entendue. Si la loi est adoptée, les personnes devront disposer d’un droit effectif et la liste de volontaires pourrait représenter une solution.
À mon sens, la sédation profonde et continue jusqu’au décès est peu appliquée, car c’est une aide à mourir qui ne dit pas son nom. La majorité est effectuée sur décision médicale, pour des patients qui sont dans l’incapacité de s’exprimer. Il me semble donc paradoxal de refuser des demandes à mourir lorsque, dans la réalité, les limitations thérapeutiques sont majoritairement le fruit de décisions médicales pour des personnes qui ne se sont pas exprimées. La sédation profonde et continue, qui devait être un nouveau droit et une nouvelle manière d’accompagner les patients est, dans les faits, pratiquée sans les en informer. Alors, si l’aide à mourir devient possible, va-t-on observer les mêmes tendances ? Qui va informer le patient de ses nouveaux droits ? Cela confirme également l’utilité des consultations fin de vie. Les personnes atteintes de maladies neurodégénératives ne parviennent pas à évoquer la mort prochaine et attendent donc cela de notre part.
Le défaut de soins palliatifs n’est pas l’élément qui justifie les demandes d’aide active à mourir. Les soins palliatifs ne sont pas le monopole des professionnels ou des structures dédiées, mais sont également effectués par les acteurs de soins primaires, sans être comptabilisés. Bien qu’il soit nécessaire de les renforcer, la France n’est pas le pays le plus pauvre en soins palliatifs. La demande, qui n’est pas uniquement sociétale, est le fruit de ces souffrances non-apaisées qui existent depuis toujours et ne trouvent pas de réponse malgré le développement des soins palliatifs.
Dr Christine Raynaud-Donzel. La réponse sur la durée du court, du moyen ou du long terme ne relève pas des mathématiques, mais de l’humain, de la vie et de l’incertitude. Cette question, qui ne peut connaître de résolution absolue, est éminemment personnelle. Elle doit faire l’objet d’échanges dans le cadre d’une pluridisciplinarité, pour partager et décider ensemble si la demande du patient est raisonnable, sans évoquer de limite de chiffre.
Pr Pierre-François Perrigault. À mon sens, la personne qui prescrit doit être présente, mais pas nécessairement administrer, puisque l’administration par un tiers est rarement nécessaire.
La loi Claeys-Leonetti, si elle est une bonne loi, est mal connue. Dans la mesure où elle date de 2016, de nombreux soignants n’y ont pas été spécifiquement formés et nous en constatons une méconnaissance totale chez certains professionnels, quel que soit le métier. J’effectue ainsi, chaque semaine, des formations sur cette loi, dont l’appropriation n’est pas suffisante.
Concernant les situations complexes, il arrive que nous soyons confrontés à des demandes d’aide à mourir qui n’entrent pas dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti. Pour ces situations spécifiques, une évolution de la loi sera utile. Il n’en reste pas moins nécessaire d’accroître la connaissance de la loi Claeys-Leonetti, notamment pour éviter que certains patients ne partent chercher à l’étranger la sédation profonde et continue qu’ils ne pourraient trouver en France. La différence entre l’euthanasie et la sédation profonde et continue se trouve dans l’intentionnalité : dans un cas, nous soulageons le patient, dans l’autre nous le tuons.
Concernant les risques de dérive, on dénombre, en 2023 aux Pays-Bas, 20 % d’euthanasies supplémentaires chez les patients psychiatriques.
Dr Sylvie Moulias. Si les patients d’Ehpad peuvent y être soignés et accompagnés, il serait humainement logique que l’aide active à mourir puisse y être mise en place. Se pose dès lors la question des responsabilités de chacun, c’est pourquoi je dispense régulièrement des formations aux personnels, y compris aux médecins, qui sont peu formés et peu volontaires. Dans la situation actuelle, il est impensable de confier cette mission aux Ehpad. Nous pourrions imaginer un modèle similaire à celui de la Suisse, où des personnes volontaires en seraient chargées, à condition que celles-ci sachent parler et communiquer avec le personnel. L’accompagnement n’est pas qu’un rapport de prescription, mais avant tout un rapport humain.
Concernant les cas complexes, nous avons mis en place, notamment au sein de l’hôpital Ambroise Paré, une cellule de discussion et d’orientation à la décision ouverte aux hôpitaux et Ehpad voisins, destinée à échanger sur le cas spécifique de certains patients. J’ai également proposé à la CPTS la création d’un comité d’éthique semblable à celui précédemment évoqué. Les professionnels comme les familles saluent ce dispositif.
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13. Table ronde avec des associations (réunion du jeudi 25 avril 2024 à 9 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde avec des associations, M. Jonathan Denis, président, et M. Yoann Brossard, secrétaire général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, le Dr Denis Labayle, coprésident d’honneur de l’association Le Choix, M. Tugdual Derville, porte-parole, et le Dr Olivier Trédan, conseiller médical de l’association Alliance Vita, ainsi que M. Jean-Marie Le Méné, président, et Mme Véronique Bourgninaud, chargée de plaidoyer Vulnérabilité et handicap de la Fondation Jérôme Lejeune ([14]).
M. Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance Vita. Opposés à toute forme de suicide assisté et d’euthanasie, nous sommes très inquiets de ce projet de loi et des éléments de flou qu’il comporte.
Premièrement, la formule de l’« aide à mourir » recèle une euphémisation dissimulatrice de la réalité. Deuxièmement, les critères d’éligibilité augurent une forme de boîte de Pandore, la notion de moyen terme et de souffrance psychologique insupportable reposant sur une subjectivité trop importante. Troisièmement, nous percevons la promesse de soins palliatifs accessibles à tous comme un alibi. Quatrièmement, le projet aboutira in fine à faire sauter le verrou de l’interdit de tuer, qui forge la déontologie médicale depuis le serment d’Hippocrate.
Ensuite, notre association s’attache particulièrement à la prévention du suicide, que cette loi risque de ruiner en désignant comme éligibles à certaines formes de suicide des catégories de personnes. On laisse croire que le suicide est la solution, alors qu’il existe heureusement bien d’autres solutions d’accompagnement. Nous sommes inquiets, car l’offre de suicide assisté crée largement la demande.
Contrairement à ce que nous entendons dire, le projet est contraire à la liberté, comme à la fraternité. La possibilité offerte affectera les plus fragiles en les conduisant à se demander s’ils ne sont pas de trop. Quel est le sens d’une liberté qui s’exerce sous une double pression interne – celle d’une souffrance physique, psychique ou morale mal accompagnée – et externe – le sentiment d’inutilité et de poids à la charge des autres. Compte tenu de l’état actuel de notre système de santé, le grand paradoxe de l’autonomie affichée par cette réforme réside dans le risque que cette aide à mourir s’impose par défaut à d’autres modes d’accompagnement, de traitement et de prise en charge adaptée.
De manière plus complexe, cette fin de vie provoquée prive la personne d’un temps de vie dont nous ne savons pas ce qu’il donnerait. Il y a une forme de naïveté de penser que cette fraternité peut s’exprimer par la proposition d’un suicide assisté ou d’une euthanasie. Nous craignons les conséquences à long terme de ce raisonnement et les risques d’effets domino qu’il comporte. Nous ne sommes pas des îles d’autodétermination, notre culture nous influence. Cette dévalorisation sous-jacente, ce mépris que les bien-portants peuvent porter sur ceux qui sont devenus fragiles risquent de pousser les faibles – que nous deviendrons peut-être les uns et les autres un jour – à une auto-exclusion.
M. Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. À plus de 80 %, les Français demandent une évolution de la loi qui fournisse des soins d’accompagnement et des soins palliatifs partout et pour tous et, comme recours possible, l’aide active à mourir. La loi que nous évoquons me semble constituer une loi de liberté, qui se doit de respecter la conscience des soignants, mais également des soignés. Il est nécessaire qu’ils aient le choix entre le suicide assisté et l’euthanasie – j’assume ces mots. Il faut respecter simultanément la liberté de conscience des soignants et rappeler qu’aucun d’entre eux ne sera obligé d’accompagner dans le cadre d’une aide active à mourir, ce qui ne doit pas s’appliquer aux établissements – les murs n’ont pas de conscience.
Aujourd’hui, les directives anticipées sont en revanche les grandes absentes du texte sur l’aide active à mourir. L’égalité est au cœur de notre devise républicaine. Je déplore donc que vingt-et-un départements soient encore orphelins d’unités de soins palliatifs. À ce titre, le plan décennal annoncé doit être salué. Il appelle toutefois à un sursaut sur la formation et la compréhension de ces soins d’accompagnement. L’inégalité concerne également la limitation actuelle des zones d’accès aux soins transfrontaliers, mais aussi les ressources financières – le coût d’un suicide assisté en Suisse oscille entre 8 000 et 12 000 euros. Une loi d’égalité doit également reconnaître que les euthanasies pratiquées ne doivent pas être clandestines.
Cette loi est également une loi de fraternité. À ce titre, nous ne pouvons être le seul pays au monde à parler d’un « pronostic vital engagé à court ou à moyen terme », qui ne peut être défini et qui exclurait de la prochaine loi des personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Enfin, il s’agit d’une loi de laïcité, qui respectera évidemment toutes les consciences.
M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Ce projet de loi est en apparence d’essence idéaliste et envisage la vie comme un matériau à gérer, dans une vision prométhéenne. Mais il se trouve simultanément confronté au principe de réalité. De fait, le projet de loi n’est pas un projet idéal, mais un texte de résignation.
Les conditions d’accès, de procédure, de clause de conscience, de contrôle et d’évaluation sont censées nous rassurer. La rigueur de l’encadrement, qui est aujourd’hui l’argument principal du texte, est supposée proportionnée à la gravité de la transgression, mais elle est en réalité purement incantatoire. Il n’y a plus de principe à partir du moment où on accepte une transgression encadrée : le caractère pervers de la transgression ne réside pas forcément dans l’excès, mais dans l’essence même de l’acte de tuer, même si celui-ci est censé être limité. Je rappelle que chaque loi de bioéthique n’a fait que rendre légal ce qui était illégal précédemment. Enfin, on ne contrôle pas des limites qui ne sont pas sanctionnées et qui ont vocation à disparaître.
Ce projet de loi est un texte de résignation, parce qu’il ne dit pas tout et qu’il ne peut pas tout dire. Il s’est résigné au mensonge vis-à-vis des familles, des médecins, des soignants, des pharmaciens, des directeurs d’établissement et des élus locaux. Le mensonge atteint son paroxysme dans le choix du terme « aide à mourir », qui ne comporte nulle mention de l’euthanasie ou du suicide. Nous sommes très inquiets : loin de les unir, ce texte divisera profondément les Français.
Mme Véronique Bourgninaud, chargée de plaidoyer Vulnérabilité et handicap de la Fondation Jérôme Lejeune. Fille d’un père tétraplégique mort après quarante années d’un long combat contre la maladie et mère de deux enfants handicapés, je vis avec la grande maladie depuis ma plus tendre enfance. Je connais les pressions sociales et collectives qui pèsent sur les personnes gravement malades et sur leur entourage. Quand bien même il savait l’issue de la maladie certaine, mon père était accroché à la vie, parce qu’il était considéré, accompagné et encouragé par ses proches, par le corps médical et les personnels soignants. Il se sentait protégé par la société et lui en savait gré.
La mise à l’écart des personnes gravement malades et des personnes mourantes est une réalité dramatique de notre société. L’euthanasie ne soignera jamais cette solitude, cette souffrance, ce désespoir. Si l’euthanasie venait à être légalisée, elle deviendrait une oppression pour les malades et les personnes en fin de vie. L’interdit de tuer est un repère fondamental de la vie en société et porte une dimension protectrice absolument essentielle pour les personnes vulnérables, dont la dignité est immuable. Il est de notre devoir collectif d’assurer la sûreté de leur personne ; les laisser sans la protection de l’État serait criminel.
La mort fait partie de la condition humaine et l’euthanasie ne procure pas les conditions de réussite de la mort ; elle les enlève au contraire définitivement. Messieurs et mesdames les députés, votre responsabilité consiste à donner à chacun les conditions nécessaires à une mort humaine et digne. Les gens n’ont pas besoin d’une aide active à mourir, mais d’une aide active à vivre jusqu’au bout ; tel est l’objet propre des soins palliatifs.
Dr Denis Labayle, coprésident d’honneur de l’association Le Choix. Notre association tient à saluer la démarche gouvernementale. Nous attendons du Parlement qu’il aboutisse à un texte clair, ne cherchant pas à obtenir une unanimité impossible, mais une large majorité.
S’agissant de la première partie de la loi, au-delà de l’ouverture de nouvelles unités de soins palliatifs, il est essentiel de développer les autres solutions, dont les maisons d’accompagnement. Nous sommes favorables au développement des unités mobiles et des unités de soins palliatifs dans les services de médecine. Enfin, nous considérons comme prioritaire la formation du personnel soignant. Ces propositions sous-entendent l’organisation et l’enseignement des soins d’accompagnement, considérés comme une partie intégrante du service public. Nous voulons des soins palliatifs laïques, ouverts sur la demande des malades, sans frontières, avec l’aide active à mourir.
S’agissant de la seconde partie de la loi, portant sur l’aide à mourir, nous approuvons la recherche d’une terminologie qui ne heurte pas, et sommes d’accord pour que le mot « euthanasie », malheureusement dévoyé, n’y figure pas. Nous demandons au Parlement de s’assurer que certaines exigences ne constituent pas des obstacles au développement de la loi.
Premièrement, vouloir préciser qu’un malade atteint d’une maladie grave et incurable, a une durée de vie à court et moyen termes, est une illusion. Deuxièmement, nous souhaitons que les malades atteints d’affections graves et incurables soient reconnus comme seuls capables d’affirmer que ces souffrances physiques et psychiques sont devenues insupportables. Troisièmement, si la réponse médicale au choix du malade doit être prise après une écoute collégiale, elle repose sur la responsabilité du seul médecin qui suit ce malade. Quatrièmement, il serait légitime de laisser aux malades le droit de choisir entre l’auto-administration du produit létal et la demande d’administration avec l’aide d’un médecin et d’un tiers. Cinquièmement, les directives anticipées doivent avoir un effet opposable, et l’avis de la personne de confiance doit être juridiquement reconnu. Sixièmement, le délai de trois mois prévu pour confirmer la date de l’aide à mourir semble injustifié ; il risque de conduire les malades atteints d’affections incurables à évolution lente à précipiter leur décision.
Enfin, nous demandons la création d’une commission multidisciplinaire, afin que l’application du décret de la loi soit conforme à l’esprit de cette dernière et ne pas donner un blanc-seing à la Haute Autorité de santé (HAS), dont nous avons constaté les erreurs manifestes lors du texte d’application de la loi de 2016, qui devra être revu. Nous demandons ainsi une modification de ses modalités pour aboutir à une agonie brève et indolore. D’une façon générale, nous souhaitons que la commission spéciale encourage l’ensemble des élus à rédiger leurs propres directives anticipées, afin que cela puisse éclairer leur vote.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je tiens à rappeler que le projet concerne les malades atteints de maladies graves et incurables en fin de vie. Aux représentants des associations opposées au projet de loi, je demande s’ils estiment que la mort nous appartient ou non. Ensuite, considérez-vous que la maladie grave et incurable prive par définition l’être humain de sa capacité d’autonomie et d’autodétermination ? Enfin, quelles sont pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et l’association Le Choix les conditions souhaitables d’accès à une aide à mourir dans ce texte ?
M. Didier Martin, rapporteur. Madame Bourgninaud, ce texte ne constitue absolument pas un permis de tuer. Ensuite, les patients atteints de maladies neuro-évolutives que nous avons rencontrés nous ont indiqué que la possibilité de demander demain une aide active à mourir leur permettrait de mieux vivre leur handicap.
Alliance Vita est-elle prêtre à s’engager dans les réformes portant sur les soins d’accompagnement, les maisons d’accompagnement, le plan décennal territorialisé ?
J’indique à l’ADMD et à l’association Le Choix que certaines de leurs propositions, notamment le caractère éventuellement opposable des directives anticipées lorsque le patient n’est plus en état de s’exprimer, participent déjà à nos réflexions. L’ADMD entend-elle jouer un rôle dans ce triangle entre le patient, les soignants et ses proches, au moment de l’aide active à mourir ?
Pour répondre au Dr Labayle, je pense qu’il faut adopter un nouveau regard sur la sédation profonde, continue, et maintenue jusqu’au décès, dont nous avons eu beaucoup de peine à réaliser l’évaluation. M. Leonetti a bien souligné que la sédation devient à un moment insupportable, quand « le malade n’en finit pas de mourir ».
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Je précise à mon tour que cette loi ne concerne absolument pas les personnes handicapées et les personnes âgées. Que pensez-vous des critères d’accès prévus par le texte et du statut de la personne volontaire que le malade peut désigner pour être accompagné dans le geste de fin de vie ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Monsieur Denis, l’alinéa 7 de l’article 11 prévoit que lorsque la personne n’est pas en mesure de procéder à l’administration de la substance létale, celle-ci est réalisée à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsqu’aucune contrainte n’y fait obstacle, soit par le professionnel de santé présent. Quelle est votre position à ce sujet ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Monsieur Derville, que pensez-vous de la clause de conscience prévue par le texte pour protéger les soignants ?
Monsieur Denis, docteur Labayle, quelles sont vos propositions pour améliorer le texte en lien avec les « court et moyen termes » mentionnés ? Les personnels paramédicaux peuvent-ils jouer un rôle pour évaluer la souffrance des soignants ?
Docteur Labayle, comment faire évoluer l’article 17 si vous estimez qu’il est insuffisant ?
Madame Bourgninaud, pouvez-vous entendre qu’un malade veuille arrêter les soins à un moment donné, malgré la présence active de sa famille et la qualité de l’équipe soignante ?
Dr Olivier Trédan, conseiller médical d’Alliance Vita. En tant que cancérologue, j’observe que le caractère incurable ne survient pas du jour au lendemain, mais au terme de l’évolution d’une maladie.
Ensuite, tout patient, même au stade terminal d’un cancer, peut évidemment exprimer sa volonté de manière autonome. Mais il ne faut pas négliger le fait qu’un patient lourdement traité, en fin de course d’une maladie grave, pourrait donner lieu à des témoignages discordants d’une période à l’autre.
Mme Véronique Bourgninaud. Madame Fiat, je ne me permettrai jamais de juger l’acte que posent les personnes malades. Simultanément, la désespérance d’une personne en fin de vie doit être reçue dans toute sa complexité et son ambivalence. La mort est la dernière grande action de la vie et d’une certaine manière, l’accompagnant procède à ce moment-là à un travail qui peut se rapprocher de celui d’un accoucheur. Enfin, je n’arrive pas à comprendre en quoi l’injection d’un produit létal diffère du fait de tuer. Administrer la mort ne sera jamais un soin.
Dr Denis Labayle. Monsieur Falorni, pour nous, l’essentiel consiste à faire en sorte que le malade soit au centre de sa décision, et à respecter sa dernière liberté. Je m’oppose totalement à l’idée de tuer, qui consiste à retirer la vie de l’autre avec violence. En l’espèce, nous sommes dans le domaine de la compassion, de la réponse à une demande.
La dépénalisation est importante pour les médecins, qui ne peuvent pas travailler sous la menace d’une poursuite judiciaire ou de suspension par l’Ordre des médecins. Les médecins belges ne sont pas moins soignants en accompagnant leurs malades jusqu’au bout que les médecins français qui refusent de le faire.
Ensuite, il ne faut pas multiplier les critères, car ils risqueraient de rendre la loi inapplicable. Nous demandons également qu’une commission vérifie que l’application de la loi est bien conforme à son esprit.
Par ailleurs, le mot « terme » n’est pas acceptable, car il n’est pas réalisable ni médical. La souffrance doit être appréciée par le malade, la réponse médicale au choix du malade doit être prise après une écoute collégiale, mais repose sur la responsabilité du seul médecin qui le suit, sous le contrôle d’un autre médecin ou soignant. L’accompagnement humain au geste, cette solidarité dont je ne nie pas la difficulté émotionnelle, peut être selon nous réalisé par le médecin ou une autre personne.
M. Jonathan Denis. Je partage totalement les propos du Dr Labayle. L’incurabilité et l’expression des souffrances physiques ou psychiques insupportables par le patient, doivent être la base de cette demande d’accompagnement. Je suis favorable à ce que le médecin se prononce sous un délai de quatre jours et non de quinze jours, ainsi qu’à une commission de contrôle et d’évaluation de la loi, mais également une commission de contrôle de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Nous proposons que des associations accompagnent les personnes effectuant cette demande d’aide active à mourir et assumerons notre rôle fraternel et humaniste d’accompagnement jusqu’au bout, dans la dignité.
M. Tugdual Derville. Nous sommes extrêmement préoccupés par la définition des soins palliatifs dans ce texte, qui les réduit à la lutte contre la douleur. Si les maisons d’accompagnement sont a priori attrayantes, nous craignons qu’elles soient des lieux de confusion. Cette aide, qui devrait être demandée par la personne, va finir par être proposée par la société, comme cela se passe au Canada. Pour Alliance Vita, la prévention du suicide ne souffre aucune exception. Nous redoutons une forme de fraternité à l’envers, même si elle est bien intentionnée, et le basculement vers une levée de cet interdit du passage à l’acte de tuer.
Le serment d’Hippocrate protège le soignant quand il précise : « Je ne donnerai à personne du poison, même si l’on m’en fait la demande ». Au nom de l’autonomie du patient, la loi fait endosser au médecin la décision du passage à l’acte éventuel.
Dr Denis Labayle. Le serment d’Hippocrate a évolué dans le temps. La dernière version, celle de 2012, indique que les médecins n’aident pas à mourir, mais précise également qu’il faut respecter la volonté du malade, traiter les souffrances et ne pas prolonger abusivement les agonies. Comment y parvenir sans augmenter les doses de sédatif, ce qui est une manière humaine d’aider à mourir ?
La loi de 2016 constitue effectivement un échec, car elle est très peu pratiquée. Je vous conseille de lire le texte de la HAS, dont je ne veux pas. En effet, je ne veux pas que mon corps soit déshydraté, je ne veux pas avoir une sédation fluctuante. Nous proposons que l’aide active à mourir puisse être réalisée sous la forme d’une injection létale ou d’une sédation à l’aide de sédatifs à doses rapidement croissantes permettant une agonie rapide. La plupart des patients souhaitent s’endormir sans douleurs : faisons en sorte de répondre à leurs demandes.
M. Jean-Pierre Pont (RE). Le texte ne prévoit aucunement un « permis de tuer ». L’article 5 précise bien que le patient effectue sa demande et que la seule proposition du médecin porte sur les soins palliatifs. Si l’un de vos proches vous demandait de l’aider dans sa détresse, que feriez-vous ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Docteur Labayle, la légalisation apparaît comme une porte ouverte qui vous permettrait, à titre personnel, de poursuivre plus tranquillement cette activité. Au nom de quel principe vous sentez-vous au-dessus des lois depuis si longtemps ?
Monsieur Denis, votre association n’hésite pas à affirmer de manière inexacte que les soins palliatifs feraient mourir les malades de faim et de soif, ce qui constitue une déformation grave et diffamatoire de la pratique médicale. Comment votre association peut-elle continuer à prétendre que ce projet de loi constitue un progrès social et une amélioration des soins ?
Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Monsieur Denis, docteur Labayle, n’est-il pas temps de reconnaître et respecter pleinement les directives anticipées en prenant en compte la situation de personnes atteintes d’une maladie incurable mais dont le pronostic ne serait pas forcément engagé immédiatement ou à moyen terme ?
Ne faudrait-il pas permettre l’amnistie des personnes condamnées pour avoir préparé leur fin de vie illégalement en se procurant des substances destinées à des procédures de fin de vie médicamenteuse et l’amnistie des professionnels de santé condamnés pour euthanasie ou aide au suicide assisté, en cas de consentement avéré du patient ?
Monsieur Le Méné, en quoi respecter la volonté d’un patient qui demanderait l’aide à mourir reviendrait à imposer le choix à celles et ceux qui ne veulent pas y recourir ?
M. Philippe Juvin (LR). Si la loi était votée, l’ADMD ne cache pas sa volonté de la faire évoluer vers une loi du libre choix, sans aucune obligation pour quiconque. Monsieur Labayle, disposez-vous de données scientifiques solides pour étayer l’idée que la sédation profonde et continue peut durer trop longtemps ?
M. Philippe Vigier (Dem). Le handicap, aussi important soit-il, n’engage pas un pronostic vital. Quels ont été les obstacles à l’application de la loi Claeys‑Leonetti ? Les directives anticipées devraient-elles être obligatoires dans le dossier médical ? L’accumulation des souffrances n’abolit-elle pas la dignité du malade ? Comment envisagez‑vous le rôle de vos associations dans le cadre des futures maisons d’accompagnement ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Monsieur Denis, bien que je sois un fervent défenseur de l’aide à mourir, je ne veux pas éluder un point de doute au regard des ouvertures que vous proposez, notamment celles relatives aux maladies neurodégénératives.
Monsieur Le Méné, la fondation Jérôme Lejeune considère dans une de ses publications que « la loi naturelle antérieure au christianisme s’impose à tous, y compris à la République, [elle] est la seule façon d’empêcher la civilisation de basculer dans la barbarie ». Je confirme que rien ne s’impose à la République, surtout pas quelques lois naturelles. Quelle serait votre position si nous introduisions un délit d’entrave concernant l’aide à mourir ?
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je rappelle que le projet ne permet pas de proposer l’aide à mourir à une personne qui serait tétraplégique.
Messieurs Le Méné et Derville, le débranchement d’une personne ou la sédation profonde constitue-t-ils pour vous un acte d’aide à mourir ?
Monsieur Denis, quelles seraient les conditions permettant aux directives anticipées de relever du soin et au malade d’avancer ses priorités quant à sa fin de vie ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Ce texte insiste sur la demande du patient, précise les critères d’accès et renforce les soins palliatifs et l’accompagnement. Comment améliorer et accompagner la rédaction des directives anticipées ? Comment peuvent-elles être envisagées au moment de la perte de discernement et de l’impossibilité à les réitérer ?
J’insiste aussi sur le flou entourant les propositions relatives à la personne de confiance et la nécessité d’améliorer la formation à la douleur et l’accompagnement.
Enfin, de quelle manière la décision collégiale doit-elle s’envisager ?
M. Christophe Bentz (RN). Docteur Labayle, comment pouvez-vous justifier sur le fond que ce projet de loi ne soit qu’une question individuelle et non une question collective ?
Mme Élise Leboucher (LFI - NUPES). Je précise à l’intention d’Alliance Vita et de la Fondation Jérôme Lejeune que ce texte n’ouvre pas l’aide active à mourir à tout un chacun, mais prévoit des conditions d’accès et une clause de conscience pour les soignants. Docteur Labayle, monsieur Denis, de quelle manière envisagez-vous que les directives anticipées soient la pièce centrale du dispositif ? De quelle manière les renouveler ?
Mme Christine Pires Beaune (SOC). Dr Labayle, que se passerait-il si le médecin n’arrive pas à consulter dans un délai de quatre jours ?
Si le texte du projet de loi avait existé en leur temps, Vincent Lambert, Vincent Humbert, Chantal Sébire auraient-ils eu accès à l’aide à mourir ?
Enfin, à l’issue de ces auditions, j’émets des doutes quant à la pertinence de permettre à un proche d’exercer cette aide à mourir, compte tenu des conséquences. Quelle est votre position à ce sujet ?
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Monsieur Denis, docteur Labayle, vous militez pour une ouverture plus large du champ de la loi, notamment aux maladies chroniques, qui suscite de grandes inquiétudes chez les associations de personnes en situation de handicap. Comment concilier votre position avec la mise en place de garde‑fous ? Vous semble-t-il nécessaire de mettre en place des protocoles, notamment pour les médecins qui recevront les demandes d’aide à mourir ?
Dr Olivier Trédan. Plusieurs établissements ont commencé à évaluer leur pratique de la sédation profonde et terminale. Dans mon institution, elle est inférieure à quarante-huit heures et les patients ne meurent pas de déshydratation. La loi Claeys-Leonetti a aussi permis de favoriser le dialogue entre professionnels de santé et une médecine collégiale et intégrative, en écoutant les patients. Je redoute que ce processus bénéfique ne soit interrompu pour s’orienter vers un engrenage délétère.
M. Tugdual Derville. Madame Rousseau, votre question importante témoigne du flou et de la confusion qui entourent la terminologie d’« aide à mourir », qui rend attractive une réalité confuse. Débrancher une personne ou administrer une sédation profonde et continue ne relève pas de l’euthanasie mais d’une médecine proportionnée. Il est toujours possible de soulager, sans jamais tuer.
La clause de conscience est absolument indispensable, mais également insatisfaisante. Nombre de soignants qui l’activeront se retrouveront rejetés de leurs propres institutions, comme en témoigne l’exemple belge, conduisant à une fracturation des équipes médicales. Des institutions qui essayent de vivre dans l’accompagnement seront obligées d’accueillir en leur sein une pratique qu’elles réprouvent. Notre position, dans sa radicalité assumée, estime que nous sommes tous mortels et que l’enjeu consiste à apaiser et soulager, en conservant l’interdit du passage à l’acte, pour protéger les plus fragiles.
Dr Denis Labayle. Madame Dogor-Such, j’ignore par quels moyens vous parvenez à mesurer la clandestinité. Ensuite, je le réaffirme : le fait de réfléchir concrètement à ses propres directives anticipées permet de penser la mort, sa propre mort. Selon moi, les soins palliatifs et l’aide à mourir doivent être conçus dans une conception républicaine de laïcité et de tolérance.
La loi de 2016 pose problème ; elle est méconnue des médecins, mais aussi des politiques. Je ne veux pas du texte de la HAS, qui considère que la déshydratation est un soin. De nombreux témoignages attestent par ailleurs que la sédation peut durer bien au-delà de quarante-huit heures, parfois plusieurs semaines.
Ensuite, le projet de loi comporte effectivement le risque d’oublier les personnes atteintes de maladies graves et incurables à évolution lente. Les directives anticipées sont effectivement essentielles mais insuffisamment publicisées et ne constituent pas une obligation dans les dossiers médicaux.
Par ailleurs, il est exact que les soignants sont insuffisamment formés à la souffrance et à la mort. Je rappelle qu’il était impossible d’utiliser les sédatifs à domicile jusqu’en septembre 2022, soit six ans après le vote de la loi. Enfin, il me semble important d’établir à la fois un contrôle de la loi, mais aussi de son application.
M. Philippe Juvin (LR). Pouvez-vous m’indiquer une étude montrant que les sédations profondes durent très longtemps ? Je n’en connais pas pour ma part.
Dr Denis Labayle. De très nombreux témoignages l’attestent. Pouvez-vous m’indiquer une étude attestant de l’inverse ?
M. Jean-Marie Le Méné. Comme l’indiquent MM. Labayle et Denis, les critères extrêmement précis de terme et de mesure de la souffrance ne peuvent tenir ; ils ne permettent donc pas à la loi de se mettre en œuvre. Finalement, le critère qui sera retenu à terme sera celui de l’appréciation de la personne, son ressenti, ce qui matérialisera la véritable logique de la transgression de l’interdit de tuer, que la loi escamote en lui préférant le terme apparemment plus présentable d’« aide à mourir ».
Ensuite, je suis opposé aux directives anticipées obligatoires auxquelles nous aboutiront in fine : il n’y a aucun sens à demander à une personne jeune et en bonne santé de les établir. Je pense en outre qu’un délit d’entrave verra effectivement le jour ; je n’y suis pas favorable.
Monsieur Guedj, vous avez souligné que rien ne s’oppose à la loi républicaine, mais il est extrêmement inquiétant que celle-ci s’émancipe du moindre référencement moral. Je pense qu’il existe des lois non écrites inscrites au cœur de l’homme, comme l’interdit de tuer.
Mme Véronique Bourgninaud. Les personnes gravement malades ont besoin de soins et quand la thérapeutique atteint sa limite, il reste toujours le facteur humain. Les valeurs de fraternité et de non-abandon doivent être absolument inconditionnelles. Face à l’appel d’une seule personne, toute une société doit tendre la main : la détresse et la vulnérabilité imposent la relation d’aide. Le respect de la vie permet de faire société ; l’interdit de tuer protège les sociétés de la logique de la loi du plus fort. Enfin, pour être libre, il faut d’abord être vivant ; il existe bien une priorité des valeurs de vie sur la liberté.
M. Jonathan Denis. Madame Dogor-Such, l’ADMD n’a jamais diffamé les soins palliatifs, que nous soutenons. Je ne suis pas un militant de l’euthanasie, ni du suicide assisté, mais un militant du libre choix, c’est-à-dire ce champ des possibles que je vous ai décrit tout à l’heure.
Si j’estime que certains points du projet de loi doivent être encore améliorés, il n’existe pas d’agenda caché de l’ADMD sur des étapes supplémentaires que nous demanderions. La proposition de loi de l’ADMD parle ainsi d’un stade avancé ou terminal, même en l’absence de pronostic vital engagé à brève échéance.
Ensuite, l’État doit absolument conduire des campagnes de communication et de mobilisation en faveur des directives anticipées. Je ne suis pas favorable à une obligation des directives anticipées, mais encourage évidemment toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à y réfléchir.
Monsieur Guedj, l’ADMD parle des maladies à évolution lente et neurodégénératives, qui sont elles aussi reliées aux directives anticipées. Si ces directives anticipées ont été rédigées en toute conscience, il est nécessaire qu’elles puissent être appliquées au moment de l’accompagnement, quel qu’il soit.
Monsieur Vigier, l’ADMD remplira naturellement son rôle d’accompagnant, notamment dans les hôpitaux. Je partage par ailleurs les propos du Dr Labayle concernant la formation et suggère que nous nous inspirions de ce qui est pratiqué en la matière en Belgique.
Enfin, monsieur Pont, j’ai accompagné mon père, mais un médecin a fait le geste. Si demain, on me demandait de pratiquer le geste, je le ferais.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie.
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14. Table ronde sur l’accompagnement des personnes en fin de vie (réunion du jeudi 25avril 2024 à 11 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde sur l’accompagnement des personnes en fin de vie, Mmes Agnès Bourdon-Busin, membre du bureau et administratrice, et Stéphanie Pierre, chargée de mission Santé publique de France Assos Santé, Mme Elsa Walter, auteure de l’ouvrage À vous je peux le dire, MM. Jacques de Beauval, président, et Matthieu Lantier, délégué général de l’association Être-là, ainsi que M. Olivier de Margerie, président de l’association Jusqu’à la mort accompagner la vie ([15]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous abordons la thématique de l’accompagnement des personnes en fin de vie. Je remercie chaleureusement les participants à cette table ronde d’avoir accepté l’invitation de la commission spéciale.
Mme Elsa Walter, auteure de l’ouvrage À vous je peux le dire. Je souhaite saluer la qualité des travaux préparatoires qui ont abouti, avec ce projet de loi, à un diagnostic assez juste sur cette problématique du « mal mourir », envisagée pour la première fois dans tous ses aspects.
Le premier volet du projet de loi donne l’espoir que les fins de vie puissent mieux se dérouler à l’avenir. Il témoigne de la volonté d’anticiper les situations de fin de vie, à la fois pour recueillir les informations essentielles et mieux respecter l’expression des volontés. À l’heure actuelle, les malades déplorent des difficultés de communication avec les équipes soignantes. L’obligation d’information sur le pronostic vital par le médecin existe dans la législation en vigueur, mais elle lui laisse une grande marge d’appréciation en fonction de la personnalité du patient. Si retenir des informations peut être nécessaire, cette nécessité est parfois avancée pour ne pas tout dire au patient, sans que lui-même n’ait formulé cette demande. Cette pratique pourrait être plus strictement encadrée, sur le modèle de la loi belge. Le renforcement de la formation globale et pluridisciplinaire des soignants est ensuite indispensable, en mettant notamment l’accent sur l’écoute, que l’on peut envisager en soi comme un soin.
Le rôle des acteurs de la société civile est déterminant pour accompagner l’évolution des perceptions et des craintes sur la mort et le deuil. Pour parvenir à l’objectif affiché dans la stratégie décennale d’un doublement du nombre de bénévoles d’ici dix ans, il importe de mettre en place des mesures réellement incitatives, associées à des budgets conséquents.
Pour l’anticipation des volontés et l’établissement du plan personnalisé d’accompagnement, je suggère d’associer un personnel non soignant aux discussions accompagnées pour une meilleure prise en compte des besoins sociaux et non médiaux. Outre les campagnes d’information de la population sur les directives anticipées, je propose d’établir des temps d’information médicaux dédiés aux droits des patients avec les médecins traitants. Les directives anticipées pourraient d’ailleurs intégrer le choix de la personne concernant les informations qu’elle souhaite recevoir, ou non, sur son pronostic vital. On pourrait envisager des « aumôniers laïcs » formés à accompagner spirituellement les non-croyants.
Ensuite, j’adhère à la philosophie générale du texte, qui envisage l’aide à mourir comme un ultime soin, un acte solidaire et fraternel qui s’appuie avant tout sur l’écoute des personnes malades et l’expression de leur volonté. Les critères stricts sont nécessaires, mais ils ne doivent pas exclure un trop grand nombre de malades incurables alors contraints de s’exiler pour mourir. Enfin, dans la manière d’apprécier les critères, il est essentiel de donner du crédit au vécu des personnes gravement atteintes et de faire confiance à leur parole, quand celle-ci est aujourd’hui souvent délégitimée au prétexte de leur vulnérabilité.
Mme Agnès Bourdon-Busin, membre du bureau et administratrice de France Assos Santé. Nous nous réjouissons que ce projet de loi se traduise par une stratégie ambitieuse de développement d’un accompagnement de la fin de vie le plus tôt possible, en dépit de quelques regrets concernant la place des proches et le champ du handicap.
Au-delà de la légitime diversité des points de vue au sein de notre réseau, France Assos Santé est mobilisée pour défendre les intérêts des personnes malades et de leurs proches afin que leurs volontés soient respectées, leur souffrance soulagée, leur prise en charge solidaire et équitable. À ce titre, nous pensons que ce projet de loi cherche à apporter une réponse concrète à des situations de souffrance en inscrivant clairement l’aide à mourir dans le champ sanitaire et en assurant une couverture par la sécurité sociale.
Notre attention se porte particulièrement sur la question des garanties en matière d’effectivité de ce nouvel accompagnement. Ce projet de loi doit garantir l’égalité d’accès, mais aussi de qualité et de sécurité de l’acte en lui-même.
Mme Stéphanie Pierre, chargée de mission Santé publique de France Assos Santé. Nous souhaitons attirer votre attention sur cinq points. Premièrement, nous ne comprenons pas que les droits des personnes malades et la notion d’accompagnement ne soient rattachés qu’au premier titre du projet de loi.
Deuxièmement, nous saluons la possibilité d’une administration de la substance létale par un tiers. Mais nous regrettons que la définition retenue ne prenne pas en compte les situations dans lesquelles la personne malade ne serait pas en mesure de procéder à cette auto-administration ou ne le souhaiterait pas pour différentes raisons. Ces aspects doivent relever d’une décision partagée avec le soignant qui accompagne cette personne.
Troisièmement, la condition du moyen terme nous semble le point le plus discutable du projet de loi. L’interprétation très restrictive de la terminologie « court terme » par la Haute Autorité de santé pour la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès a privé de nombreux malades de ce droit, occasionnant des souffrances pour elles et pour leurs proches. Nous vous appelons à ne pas reproduire la même erreur aujourd’hui.
La notion de maladie grave et incurable, qui place la demande d’aide à mourir dans le cadre d’une pathologie engageant le pronostic vital, et celle de souffrance insupportable et réfractaire nous apparaissent centrales et suffisantes, comme dans d’autres législations. À situation de souffrance égale causée par une pathologie grave et incurable, nous attendons une réponse égale et non laissée à la seule appréciation du corps médical.
Quatrièmement, le délai de réflexion et de réalisation de trois mois, cette « date de péremption » au-delà de laquelle le médecin devra renouveler les démarches, ne correspond pas aux attentes des personnes, notamment celles atteintes de maladies neurodégénératives. Pourquoi ne pas prévoir pour ces pathologies un accès encadré par des directives anticipées spécifiques ? Nous craignons que le « moyen terme » ne soit finalement assimilé à ces trois mois.
Cinquièmement, nous voulons réinterroger la juste place des proches et des soignants dans ce projet de loi. La collégialité de la procédure d’évaluation de la demande ne doit pas se limiter au médecin et à quelques soignants ne connaissant pas la personne malade. Elle doit intégrer les professionnels qui l’accompagnent au plus près, dont les professionnels du médico-social, sans oublier – si le malade le souhaite – la personne de confiance ou les proches, qui peuvent témoigner de sa philosophie de vie et de ses motivations existentielles.
Ensuite, nous souhaitons que le soignant soit dans la même pièce que la personne, même s’il n’administre pas lui-même la substance. Nous nourrissons de grandes inquiétudes quant à la possibilité ouverte à un proche d’assister la personne malade dans le cas où elle n’aurait pas la capacité d’agir seule. Imagineriez-vous un proche débranchant le respirateur artificiel d’une personne en fin de vie, qui en aurait demandé l’arrêt, pendant que le réanimateur attendrait dans la pièce voisine ? Ce point est d’autant plus problématique que ce projet de loi ne contient aucune mesure visant à renforcer les droits, les aides et le soutien des proches aidants pendant l’accompagnement de la personne malade et après son décès.
Mme Agnès Bourdon-Busin. Nous souhaitons un modèle de prise en charge des fins de vie marqué par la proximité et l’assistance du système de santé, où le médecin accompagne et s’engage jusqu’au bout. Dans ce débat, nous vous invitons à vous appuyer sur nous, associations de personnes malades, de proches aidants et d’usagers.
M. Olivier de Margerie, président de l’association Jusqu’à la mort accompagner la vie (Jalmalv). Il nous aurait semblé préférable de procéder d’abord au vote d’une loi sur le grand âge et l’autonomie car le présent texte constituera un appel d’air pour des milliers de personnes âgées qui ne désirent plus vivre, notamment en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Le plan individualisé d’accompagnement sera-t-il ouvert demain aux personnes âgées souffrant de polypathologies qui ne sont pas qualifiées d’incurables ? Faut-il voter cette loi avant l’engagement d’une stratégie décennale, dont la pérennité du financement peut être questionnée ?
Les conditions de mise en place de l’instance de pilotage, de gouvernance et d’évaluation nous interrogent. Le doublement du nombre des bénévoles en dix ans nous paraît une très bonne cible, mais comporte des ambiguïtés de définition sur les bénévoles de service, la « réserve opérationnelle », et les bénévoles d’accompagnement, d’écoute et de présence, qui existent déjà. Enfin, le coût associé à cette mesure n’a pas été communiqué.
Nous souhaiterions que le projet de loi supprime toute option d’euthanasie pour laisser seulement place à l’assistance au suicide. Selon Régis Aubry, le rapporteur de l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), si cet avis n’avait pas inclus l’euthanasie pour les personnes empêchées de commettre le geste elles-mêmes, on le lui aurait reproché. La nature de cette réponse m’interpelle. S’agit-il d’une question éthique ou juridique ? J’attire également votre attention sur les risques de dérives liées à des pressions sociales, économiques, familiales vis‑à‑vis de la décision que la personne pourrait prendre en situation de vulnérabilité.
Faut-il opérer une bascule sociétale majeure en autorisant une réponse sociale au désir de mourir avant que la maladie ne nous tue, pour résoudre les cas d’un faible nombre de personnes correspondant aux critères ? Le chemin tracé par la loi créera un droit d’usage ou un droit moral, au-delà des individus satisfaisant ces critères. Le nombre de sollicitations que l’association Jalmalv reçoit depuis quelques semaines de la part de personnes simplement âgées témoigne de l’appel d’air suscité par le projet de loi.
En conclusion, nous sommes plutôt opposés à ce projet de loi car il expose le reste de la société. Il médicalise et technicise une solution en évitant de traiter une question sociétale bien plus importante : quelle vie voulons-nous pour nos personnes âgées, quelle protection voulons-nous pour les personnes vulnérables, oubliées et malades ? Il ne s’agit pas d’une question de droit des usagers, mais de solidarité nationale.
M. Jacques de Beauval, président de l’association Être-là. Ayant été accompagnant à l’hôpital Georges‑Pompidou, j’ai très rarement rencontré des personnes en fin de vie exprimant le désir de se voir euthanasiées. En tant que malade, je peux témoigner que la qualité de vie est beaucoup moins dramatique que ce que l’on imagine quand on est en bonne santé. Par ailleurs, je tiens à insister sur un point : les bénévoles, nombreux et formés, devraient être plus utilisés pour accompagner les trop peu fournies équipes en charge du soin auprès des malades.
M. Matthieu Lantier, directeur de l’association Être-là. Ce projet de loi constitue une formidable opportunité de mieux accompagner la fin de vie. Mais il pourrait fournir une place plus large encore aux soins palliatifs et au bénévolat d’accompagnement et mieux traduire les enjeux majeurs des soins palliatifs à domicile.
Nous regrettons que la rédaction actuelle du projet de loi ne comprenne plus une mention de la stratégie décennale et de son évaluation par le Parlement, comme cela était le cas dans la première mouture, compte tenu des enjeux d’effectivité et de droit d’accès aux soins palliatifs. Nous sommes persuadés que nos associations peuvent mieux agir demain pour investir ce chaînon manquant que seraient les maisons d’accompagnement.
L’objectif de doublement du nombre de bénévoles doit être accompagné d’un financement adéquat. Le projet de loi doit donner toute sa place au bénévolat, notamment en soulignant l’importance d’un conventionnement entre les maisons d’accompagnement et les associations de bénévoles formés à la fin de vie. Au-delà de nos interventions auprès des patients, nous jouons également un rôle vis-à-vis de la société en déployant l’information auprès du grand public, notamment sur les directives anticipées. Il serait ainsi possible d’aller encore plus loin sur les territoires grâce à ces maisons d’accompagnement.
La loi ne porte pas que sur des aspects médicaux. Nos associations sont prêtes à s’engager encore plus dans l’accompagnement. Nous vous transmettrons nos propositions.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Madame Walter, pouvez-vous détailler votre suggestion pour une « aumônerie laïque » chargée de l’accompagnement des malades et pour une meilleure intégration des directives anticipées dans le dispositif de ce texte ?
Monsieur de Margerie, je vous confirme que ce texte ne concerne pas les personnes âgées. Vous vous êtes demandé si la situation des malades qui ne seraient pas en situation de faire le geste d’auto-administration relevait de l’éthique ou de la loi. Il me semble qu’il s’agit d’une question éthique et que le CCNE a mentionné ce sujet en pleine conscience.
Pensez-vous que la maladie grave et incurable prive par définition la personne malade de sa capacité d’autonomie et d’autodétermination ? Dans certaines circonstances définies par la loi, l’aide à mourir peut-elle être accordée ?
M. Didier Martin, rapporteur. Monsieur de Beauval, avez-vous entendu la parole des soignants confrontés à une sédation profonde qui se prolonge ? Comment concevez‑vous le bénévolat de service, dont les contours doivent encore être précisés ?
Madame Pierre, vous avez regretté que la notion d’accompagnement ne soit rattachée qu’au premier titre du projet de loi. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Madame Walter, vous avez insisté sur le recueil de la parole et vous avez évoqué le concept intéressant des discussions accompagnées, mais aussi la rétention d’informations. Lors de mes études de médecine, on m’a appris que les médecins ne détenaient pas la totalité de la vérité et que certains patients n’avaient pas la capacité de l’entendre. Afin de rétablir le dialogue entre malades et soignants, que pensez-vous des propositions de la loi concernant le bénévolat en général et le bénévolat de service en particulier ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Le projet de loi s’efforce de placer la parole des malades au cœur de son dispositif. Madame Pierre, pouvez-vous détailler vos inquiétudes concernant l’administration de la substance létale par un tiers volontaire et désigné par le malade, lorsque ce dernier n’est pas en mesure d’agir par lui-même ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Il me semble que le malade dispose de toutes les informations sur sa pathologie, son espérance de vie et le soutien qui peut être apporté pour exprimer une volonté libre et éclairée.
Madame Bourdon-Busin, quelle est d’après vous la place d’un médecin d’un établissement médico-social ?
Monsieur de Margerie, je rappelle que ce projet de loi ne s’adresse pas aux personnes âgées spécifiquement, mais aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme et qui souffrent de façon intolérable et insupportable.
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Madame Walter, comment changer la vision sociétale de la mort, qui demeure un tabou ? Que pensez-vous de la création d’une journée d’éducation sur la mort dans les écoles ?
Madame Pierre, vous avez évoqué une « date de péremption » concernant le délai de réflexion et de réalisation de trois mois. Que penseriez-vous d’une exceptionnelle tacite reconduction en cas d’incident durant les trois mois, si et seulement si les directives anticipées étaient remplies ?
Monsieur de Margerie, lorsque la discussion sur la désignation d’une tierce personne intervient très en amont, parfois plusieurs années avant la décision, pensez-vous que le risque de dérive demeure ?
M. Olivier de Margerie. L’avis du CCNE a été interprété par le grand public comme une autorisation de l’euthanasie. Le projet doit s’accompagner, selon moi, d’un travail d’éducation, par exemple à travers des conventions citoyennes départementales pour expliquer la nouvelle loi.
La maladie grave et incurable ne prive pas la personne malade de sa clairvoyance et de son d’autonomie. Mais il est difficile de percevoir la capacité d’autodétermination chez une personne non communicante. Ensuite, dans les établissements hospitaliers, les bénévoles sont présents auprès des patients et de leurs proches, mais aussi des personnels soignants.
Les buts recherchés par le projet de loi auraient pu être atteints en introduisant une forme d’exception au sein de la loi Claeys-Leonetti, la décision pouvant dans ce cas relever d’un juge représentant la société après évaluation médicale.
Deux des critères qui encadrent aujourd’hui rigoureusement le projet méritent d’être réfléchis. Il s’agit d’abord de l’exclusion des mineurs, que le Conseil d’État justifie en raison d’une logique de prévention du suicide qui prévaudrait dans la société française. Dans ce cas, pourquoi ce texte autorisant l’assistance au suicide ? Le deuxième critère concerne l’aptitude à « manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Or, cette aptitude peut se dégrader dans le temps, particulièrement chez les personnes souffrant de déficiences intellectuelles. Quelle logique conduit-elle à les écarter du périmètre de ce projet de loi ?
Je m’inquiète que vous soyez engagés dans le processus de vote d’une loi qui ne corresponde pas totalement aux intentions initialement poursuivies.
M. Jacques de Beauval. Nous ne pouvons prendre position en l’état sur le bénévolat de service car il n’est pas suffisamment décrit dans le projet de loi. Mais sommes prêts à participer aux travaux et aux expérimentations le concernant.
Mme Elsa Walter. Une aumônière laïque, qui s’est formée au Canada, exerce en tant que salariée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux. Même si la réflexion mérite d’être approfondie, il est possible d’imaginer que des personnes issues des sciences humaines et sociales puisse remplir ce rôle d’aumôniers laïques pour répondre aux besoins des malades en fin de vie, à leur quête de sens.
Puisque la sédation profonde et continue figure déjà dans les directives anticipées, pourquoi celles-ci n’intègreraient-elles pas également l’aide à mourir ? Cependant, il me semble qu’elles sont surtout prévues pour des situations de totale inconscience, comme un état végétatif ou un coma. Ont-elles vocation à anticiper la situation d’une personne consciente, mais dont le discernement est altéré ? Cette question est complexe. De manière générale, une volonté, anticipée ou non, demeure une volonté.
Je partage la position de France Assos Santé sur les critères d’accès. Selon l’étude d’impact, une des justifications du moyen terme concerne le « risque de clémence », que je comprends comme un risque de laxisme dans le prononcé du pronostic vital engagé. À ce titre, un « certificat d’incurabilité » pourrait peut-être être établi, soit dès le diagnostic d’une pathologie comme la maladie de Charcot, soit quand une affection devient de manière certaine incurable – par exemple les cancers métastatiques.
S’il me semble juste d’envisager que les personnes ne souhaitent pas être informées, dans la majorité des cas que j’ai pu connaître, elles ont envie de savoir pour lever des incertitudes sources d’angoisse, se projeter et maîtriser le temps qui leur reste, qui peut être riche et peut être à ce titre ritualisé. S’il est souvent difficile de vulgariser des problématiques médicales techniques, je pense que cet aspect doit faire partie de l’effort relationnel entre soignant et soigné afin de favoriser leur compréhension. C’est même capital.
Mme Stéphanie Pierre. Il m’apparaît important d’être vigilant à la vulnérabilité – précarité, dépendance – des malades et d’alimenter à ce titre des recommandations de bonnes pratiques. Mais simultanément, il faut éviter les dérives « protectivistes », qui au prétexte de vulnérabilité, restreindraient l’accès au droit de certaines catégories de patients. Les personnes en situation de handicap qui n’ont pas d’altération cognitive doivent être considérées par le législateur au titre du droit commun.
De nombreux témoignages provenant des associations attestent du fait que la connaissance précoce d’une possibilité d’accès, le moment venu, à une aide à mourir permet souvent de rassurer la personne malade, notamment quand elle souffre d’une pathologie neurologique. La possibilité de tacite reconduction exceptionnelle évoquée par Mme Fiat peut être pertinente ; elle doit être discutée avec les associations concernées, comme l’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique ou France Parkinson. Dans ces situations, des directives anticipées précises pourraient être couplées à un plan personnalisé d’accompagnement. S’ils demeurent en l’état dans le projet de loi, ces trois mois associés au moyen terme constitueront un frein à l’accès à l’aide à mourir pour les personnes malades qui en sont les demandeuses les plus emblématiques.
Enfin, le tiers volontaire pourrait-il procéder à l’acte ? Au-delà de la formulation sans doute maladroite, cette possibilité semble restreindre l’engagement des soignants. De plus, la plupart des associations indiquent qu’elles n’ont jamais rencontré de proches ayant manifesté le souhait de procéder à ce geste, bien au contraire. Par ailleurs, si un événement indésirable survient, le proche se demandera toute sa vie s’il n’aurait pas pu mieux faire dans les tout derniers instants de la personne malade.
M. Jean-Pierre Pont (RE). Considérez-vous ce projet de loi comme un accompagnement aux soins palliatifs et non une alternative ? Je rappelle qu’il porte bien sur la fin de vie et non la fin de la vie, c’est-à-dire sur les personnes âgées. Il s’agit bien d’une aide à mourir et non d’une euthanasie, que certains brandissent comme un prétexte pour vider les Ehpad.
Mme Cécile Rilhac (RE). Monsieur de Margerie, la question de la maturité me semble éloignée des conclusions du CCNE concernant spécifiquement l’accès des mineurs. Il existe deux bornes, que je vous soumets : 16 ans soit la possibilité d’une émancipation du mineur, et 13 ans qui est l’âge du discernement. Qu’en pensez-vous ?
Madame Walter, le certificat d’incurabilité s’appliquerait-il aux maladies neurodégénératives de type Parkinson ou Alzheimer ?
M. Thierry Frappé (RN). Aux associations Être-là et France Assos Santé, je demande comment aborder la formation à la fin de vie avec les bénévoles d’accompagnement si l’on glisse du soin palliatif vers l’aide active à mourir ?
Madame Walter et monsieur de Margerie, comment vivez-vous l’euthanasie, dans laquelle le dialogue serait interrompu sur demande, et l’accompagnement des soins palliatifs, dans lequel le dialogue et la présence sont essentiels ? L’euthanasie ne constitue-t-elle pas à ce titre l’illustration de l’échec de ce dialogue ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). La définition de l’euthanasie exclut la notion de demande. Ce texte porte sur un sujet de société. J’estime que les directives anticipées ne s’appliquent pas à une personne à qui l’on annonce une maladie incurable et qui doit effectivement cheminer avec. Pensez-vous qu’il faudrait exclure les parents et les proches du champ du tiers volontaire ?
Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Monsieur de Margerie, considérez-vous que l’instauration d’un droit à l’avortement a créé un appel d’air, une incitation ? En pratique, je pense que peu de gens useront du droit que la loi instaurera. France Assos Santé m’a fait prendre conscience des problèmes que l’administration de la substance létale pourrait poser au proche aidant. Enfin, ne faudrait-il pas rendre les directives anticipées reconductibles afin qu’elles demeurent valables quand la personne perd son discernement ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Je partage avec France Assos Santé l’idée que la collégialité soit un lieu d’échange entre les différentes professions, mais une exigence trop forte ne viendrait-elle pas réduire l’efficience de la procédure de décision ? Quelle serait la collégialité minimale acceptable, notamment pour une demande recueillie par le médecin généraliste ?
Si cette loi est adoptée et si dans le cadre d’un accompagnement qui a débuté, la personne demande l’aide à mourir et que celle-ci soit acceptée, comment les bénévoles hostiles à la procédure se positionneront-ils ?
M. Olivier de Margerie. S’agissant de cette dernière question, nos associations devront travailler. Certains bénévoles décideront peut-être de ne plus l’être. La plupart conservera à mon avis sa neutralité. Ensuite, le dialogue dépend du niveau d’acculturation de chacun sur les questions de fin de vie, ce qui nécessite un effort d’éducation de nos concitoyens.
J’anticipe une grande frustration chez les Français qui se verraient exclure de ce droit en raison de critères restrictifs. Qu’on le veuille ou non, la loi touchera les personnes âgées ou fragilisées, même si elle ne s’adresse pas à elles.
Je suis incapable de savoir où placer de meilleures bornes pour les mineurs. Cependant, en tant qu’accompagnant, je constate que les enfants gravement malades font preuve d’une grande lucidité sur leur situation et d’une extrême maturité que les enfants de leur âge bien portants ne manifestent pas nécessairement.
M. Matthieu Lantier. Il me semble que nos bénévoles poursuivront leur engagement, sans jugement, dans le cadre associatif.
Nous sommes très attachés à la qualification des bénévoles, raison pour laquelle nous souhaitons que le dispositif des futures maisons d’accompagnement fasse explicitement référence aux bénévoles formés à la fin de vie. Si un nouveau droit est établi, il faudra naturellement inventer de nouvelles dispositions et pratiques, afin que l’accompagnement soit toujours effectué dans de bonnes conditions.
Mme Elsa Walter. Le certificat d’incurabilité devrait être posé à partir du moment où il est certain que la personne décèdera de sa maladie. Je me demande s’il ne pourrait pas donner accès à d’autres droits puisque ces personnes sont privées de nombreuses libertés.
Monsieur Frappé, je pense au contraire que l’aide à mourir constituerait une réussite du dialogue. Elle privilégie l’écoute des personnes qui demandent légitimement à être aidées à mourir. Les soins palliatifs ne peuvent pas rester sourds aux demandes exprimées. Je m’interroge cependant sur la position des bénévoles hostiles à l’aide à mourir.
Je suis favorable à l’idée d’une évaluation de la part du médecin, éclairé par différents avis, dont ceux des proches et des bénévoles.
Faut-il exclure les proches de l’administration de la substance létale ? J’estime que la fraternité et la solidarité nous conduisent à faire confiance au vécu et aux possibilités de chacun, d’autant que la loi prévoit des cas où les médecins pourront aider. Laissons le choix à la personne concernée.
Mme Agnès Bourdon-Busin. Il est évidemment complexe pour une équipe de soins palliatifs et une équipe pédiatrique de répondre à des besoins exprimés par des enfants. Je peux néanmoins citer le cas d’un mineur de 15 ans atteint d’une maladie dermatologique extrêmement rare ayant conduit à l’amputation des mains, des pieds et des lèvres. Il en veut beaucoup à ses parents d’avoir accepté une réanimation intensive alors qu’il faisait une septicémie. Aujourd’hui, il demande une aide active à mourir, son avenir n’étant fait que de souffrances. Nous pourrons vous transmettre nos propositions à ce sujet.
Mme Stéphanie Pierre. La collégialité n’est pas tant une question de quantité que de qualité, en rassemblant une équipe pluridisciplinaire de professionnels qui connaissent la personne et qui peuvent éclairer sa demande.
Je suis surprise par la question sur les directives anticipées quand la personne perd son discernement. Elles permettent quand même d’éclairer l’équipe soignante et les proches sur les conduites à tenir. Peut-être conviendrait-il de les accompagner dans le cadre de l’aide à mourir par d’autres garde-fous et par une collégialité renforcée.
Enfin, je partage les propos de Mme Walter dans sa réponse à M. Frappé.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie de la qualité de ces échanges.
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15. Table ronde avec les obédiences maçonniques (réunion du jeudi 25 avril 2024 à 14 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde avec les obédiences maçonniques, M. Guillaume Trichard, Grand Maître, et M. Gilles Kounowski, conseiller de l’ordre et grand orateur du Grand Orient de France, M. Michel Hannoun, représentant du Grand Maître de la Grande loge de France, Mme Catherine Lyautey, Grande Maîtresse, et le Dr Frédérique Moati, présidente de la commission nationale Éthique-bioéthique de la Grande Loge féminine de France, ainsi que M. Sylvain Zeghni, Grand Maître national, président du conseil national, et le Dr Martine Baissas, responsable de la commission Éthique-bioéthique de la Fédération française du droit humain ([16]).
M. Sylvain Zeghni, Grand Maître national, président du conseil national de la Fédération française du droit humain. Les lois françaises se sont adaptées aux besoins de la société et aux avancées de la science, mais elles sont insuffisamment appliquées par manque d’information, de formation et de moyens. À ce jour, l’application de la loi Claeys-Leonetti n’est pas suffisante, homogène et égale sur tout le territoire. Les soins palliatifs doivent être reconnus et valorisés, l’action soignante doit s’adapter et écouter les besoins, au-delà de ceux prévus par la loi actuelle. Pour nous, à la Fédération française du droit humain, participer à cette réflexion de la société est essentiel tant les questions éthiques sont nombreuses.
Dr Martine Baissas, responsable de la commission Éthique-bioéthique de la Fédération française du droit humain. Le projet de loi comporte de très nombreux points positifs, notamment la prudence et la prise de recul par rapport aux mineurs ou les soins d’accompagnement dès l’annonce du diagnostic. Les questions relatives au financement, aux moyens et à la nécessaire évaluation doivent être soulignées, mais je m’attarderai sur quelques remarques qui nous semblent essentielles.
Tout d’abord, les termes doivent être clairs et précis, pour diminuer les ambiguïtés. Le traitement, dans le même texte de loi, des soins palliatifs et de l’aide à mourir n’est-il pas source de confusions ? Le passage de « palliatif » à « accompagnement » ne risque-t-il pas de masquer un manque et de rendre une évaluation plus difficile ?
Dans l’article 5, la gradation est-elle suffisamment et clairement exposée ? Le terme d’euthanasie n’est pas mentionné, le suicide n’est pas interdit ; il s’agit donc peut-être plus d’une dépénalisation à titre exceptionnel.
Les maisons d’accompagnement répondent à un besoin réel. Compte tenu du reste à charge financier, n’existe-t-il pas un risque d’inégalité, qui peut également aboutir à un conflit d’intérêts pour les mutuelles ? Nous souhaitons que ces maisons soient rattachées à un établissement sanitaire public et non à une structure à but lucratif ; mais aussi favoriser le décloisonnement entre le domicile et les autres systèmes de soin, pour éviter une dérive vers une « maison à mourir ».
Dans un souci d’égalité et d’équité, nous proposons de modifier l’alinéa 3 de l’article 6, pour introduire la notion d’« affection évolutive ou fixée grave et incurable engageant le pronostic vital à court et moyen terme ». Seule la personne malade ou diminuée dans son autonomie est en mesure de juger de ce qui est acceptable pour elle en termes de souffrances.
Si l’autonomie décisionnelle fait défaut, elle pourrait être recherchée dans les directives anticipées qui demeurent peu valorisées dans le projet actuel. Il faudra rechercher les modes d’expression de la volonté, même les plus rudimentaires. Nous proposons la création de mandats de directives anticipées et terminales développées.
L’article 8 pourrait être amélioré. Comment le médecin aura-t-il les moyens de vérifier les conditions d’état civil de lieu de résidence visées à l’article 6 et comment ces attestations seront-elles opposables ? Comment pourra-t-il s’assurer que la personne sous protection juridique l’a bien informé de ce statut ? Nous proposons le retrait du terme « psychiatrique » à l’article 8.
Enfin, les avis fondant le contradictoire ne nous semblent pas conformes à l’injonction d’indépendance que requiert la gravité de l’acte d’aide à mourir. Nous proposons de régler la double insuffisance du contradictoire a priori et du contradictoire a posteriori par l’intervention d’une instance éthique locale. Une consultation d’éthique, dépendant de l’hôpital local le plus proche, pourrait incarner l’organe régulateur a priori. Dans le cadre de l’examen de la demande d’aide à mourir, un collège technique et éthique pourrait être réuni.
M. Michel Hannoun, représentant du Grand Maître de la Grande Loge de France. Je précise en préambule que nous avons produit un Livre blanc au sujet de ce projet de loi, qui demeure à votre disposition. Les conditions dans lesquelles intervient la mort ont changé : sept personnes sur dix meurent à l’hôpital.
Nous sommes donc dans une dialectique entre deux principes opposés, d’une part l’illusion d’échapper au caractère inéluctable de la mort en la décidant seul, et d’autre part la dignité d’une société humaine, qui consiste à accompagner la vie jusqu’à la mort. Nous estimons que le droit de disposer de soins palliatifs est le préalable à l’affirmation de la liberté de disposer de sa vie. Bien-être, bien vivre et bien mourir nous paraissent indissociables à l’idée de fraternité. Ainsi, la reconnaissance de la liberté de choisir sa mort n’a pas pour corollaire la reconnaissance d’un droit à mourir.
Notre première recommandation est la suivante : des exigences éthiques incontournables doivent accompagner les éventuelles évolutions vers la mise en œuvre d’une aide active à mourir. Le droit individuel à vouloir bien mourir doit être compatible avec les devoirs collectifs d’une société qui doit réguler les excès et les dérives en tous genres. L’exemple des Pays-Bas nous interpelle, quand ce droit à mourir devient un devoir impératif pour les soignants et se banalise progressivement pour s’imposer comme une formalité.
Il ne faudrait pas qu’une nouvelle loi constitue un message négatif ou d’abandon à leur seule responsabilité pour les personnes gravement malades, handicapées ou très âgées. L’établissement de garde-fous, comme celui d’un « comité de revoyure », nous paraît important. Nous ne souhaitons pas qu’une nouvelle loi vienne simplement s’ajouter à un corpus déjà existant et mal appliqué. La loi actuelle est insuffisamment mise en œuvre, qu’il s’agisse de la généralisation des soins palliatifs ou celle des directives anticipées. Ainsi, 83 % des soignants connaissent mal les dispositions de la loi actuelle et 10 % seulement des personnes rédigent leurs directives anticipées. Les limites de l’actuelle législation, comme l’absence de règles de dépénalisation de l’aide active à mourir, l’absence d’une réelle information de la population et d’une formation spécifique du personnel soignant et des familles, doivent être résolues.
Il nous paraît essentiel d’envisager également quelques sujets tels que la réforme nécessaire du code des assurances. Celui-ci doit comporter une définition la plus claire possible de la notion de fin de vie ou une définition de la notion d’espoir d’amélioration, qui pourrait être remplacée par la notion de « signes objectifs d’amélioration ».
En conclusion, la décision doit reposer sur la collégialité des médecins et nous vous demandons de ne pas sous-estimer l’importance de la clause de conscience pour les soignants. Le projet législatif ne consiste peut-être pas simplement à ouvrir des droits, mais aussi à fixer des limites. À ce titre, la loi devrait poser en préambule que le renforcement de la mise en œuvre des soins palliatifs représente une action prioritaire.
Mme Catherine Lyautey, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France. Nous abordons ce débat avec un regard laïque, en veillant à ce que le triptyque de notre devise républicaine soit respecté dans l’élaboration de la loi. Nous ne pouvons qu’être favorables au renforcement des soins d’accompagnement, aux droits des malades et aux maisons d’accompagnement, mais encore faut-il avoir la volonté de s’en donner les moyens. Cet accompagnement réel doit constituer une expression concrète de notre fraternité.
L’accès pour tous à une médecine palliative et curative relève d’une question de solidarité nationale. Son accessibilité à domicile ou dans l’établissement de son choix est une garantie d’égalité devant la mort, mais aussi une exigence éthique et démocratique, qui doit également prévaloir dans l’instauration des maisons d’accompagnement. Le plan personnel d’accompagnement doit prendre en compte l’application des directives anticipées et associer la personne de confiance. Il est également nécessaire de développer la possibilité de recevoir les soins d’accompagnement à domicile, de former le personnel médical et paramédical et d’informer le public à travers des campagnes de sensibilisation.
Le projet de loi permet des avancées sociétales et médicales majeures, mais il ne répond pas à toutes les détresses. La définition du court ou moyen terme est par ailleurs difficilement appréciable, y compris par les médecins. Dans sa rédaction actuelle, le projet prive les personnes atteintes de maladies neurodégénératives de la liberté de choisir le moment d’interrompre une vie de plus en plus invalidante.
Les directives anticipées doivent être prises en compte et devenir contraignantes. Dans l’accompagnement, à toutes les étapes du processus, la personne de confiance doit avoir sa place. Les maisons d’accompagnement doivent être dotées de moyens financiers et humains conséquents. Tous les choix doivent être respectés, qu’il s’agisse de la demande de l’aide à mourir ou du souhait de ne pas vouloir la provoquer. Cette loi citoyenne ouvre un espace de liberté, elle n’enlève rien à personne, mais offre un apaisement à bien des angoisses.
En conclusion, le déploiement généralisé des directives anticipées, du choix d’une personne de confiance et des soins palliatifs doit être au cœur de cette loi. Par cette loi, la France, fille des Lumières, garantira cette liberté ultime. Après les luttes menées pour ne plus enfanter dans la douleur, après les combats pour le droit à la contraception, puis l’interruption volontaire de grossesse, il s’agit peut-être de la dernière liberté que nous souhaitons conquérir, en tant que franc-maçonnes, femmes et citoyennes.
M. Guillaume Trichard, Grand Maître du Grand Orient de France. Le Grand Orient de France a toujours été aux avant-postes du combat pour une mort digne et note qu’une immense majorité de nos concitoyens sont favorables à cette évolution. Le sujet est tabou parce que l’angoisse de mort constitue le terreau sur lequel s’est édifié le pouvoir des églises sur les hommes, mais existe-t-il une seule bonne raison non religieuse de refuser à quelqu’un le droit d’accéder à une fin de vie digne et dignement choisie ?
Jusqu’à présent, la liberté, y compris avec la loi Claeys-Leonetti, était incomplète, car la sédation profonde ne peut intervenir qu’avec l’imminence de la mort. L’égalité n’est pas respectée – puisque seuls les plus argentés peuvent se rendre à l’étranger pour choisir le moment de leur mort –, pas plus que la fraternité face à la souffrance physique et morale. Nous attendons donc cette loi et considérons qu’il convient de dépénaliser l’aide active à mourir plutôt que d’établir un droit opposable qui ne permettrait pas de respecter la liberté de conscience des soignants qui ne souhaitent pas s’associer au dispositif.
Plusieurs éléments non pris en compte dans ce projet de loi émancipateur devraient aussi faire l’objet de débats, dont la question de l’ouverture, certes délicate, du dispositif aux mineurs, d’autant plus que les notions de minorité et majorité fluctuent dans le temps. Il est également nécessaire de développer et de renforcer les directives anticipées et nous sommes par ailleurs favorables au renforcement des systèmes de soins palliatifs, ce qui implique d’y consacrer un budget d’investissement et de le déployer dans tous les départements de France, et notamment dans les territoires d’outre-mer, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
En conclusion, dans le cadre d’un respect de la dignité de chacune et chacun, et s’il est conscient et capable de donner son avis, le meilleur service que la République peut rendre au malade est de répondre favorablement à sa demande de bénéficier d’une aide active à mourir. L’injection létale ne sera jamais la seule façon d’aider les patients à mourir ni le moyen que tous les patients auront à la fois le désir et la force de demander. Laissons aussi aux médecins qui le voudront bien la liberté, la responsabilité et le privilège de faire au mieux ce qu’ils font déjà, c’est-à-dire accompagner leurs patients dans une mort qui soit véritablement la leur, tout en modulant, si tel est leur souhait, les modalités et la temporalité cruelle.
La bioéthique de la fin de vie ne consiste pas seulement à aider médicalement les gens à mourir, mais surtout à les accompagner sereinement vers cette échéance que chacun d’entre nous devra affronter un jour.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Comment appréhendez-vous la notion de soins d’accompagnement introduite par le projet de loi, qui vise à englober les soins palliatifs dans une démarche plus anticipative et pluridisciplinaire ?
Quelles sont vos suggestions pour définir les conditions d’accès, que nous pourrions considérer comme des verrous ?
Enfin, quelle remarque pouvez-vous formuler sur la procédure envisagée dans ce texte après l’avis médical ?
M. Didier Martin, rapporteur. Plusieurs pages du document de la Fédération française du droit humain sont consacrées aux directives anticipées, que vous qualifiez de terminales. Quels en sont les points les plus saillants ?
Monsieur Hannoun, j’ai cru comprendre que votre obédience ne souhaitait pas une nouvelle loi. Assimilez-vous la sédation profonde continue, maintenue jusqu’au décès, prévue par la loi de 2016 à une aide à mourir ? Cette mise en œuvre de la sédation répond-elle à toutes les situations ?
Madame Moati, que pensez-vous de l’intervention d’un tiers volontaire au moment de réaliser l’aide à mourir, quand le patient n’est pas en mesure de s’administrer lui-même la substance létale ?
Monsieur Trichard, quelles sont vos remarques concernant le pronostic vital engagé à court et moyen terme et le délai de trois mois au cours duquel la substance létale peut être délivrée aux malades dans le cadre précis défini par l’article 5 ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Plusieurs d’entre vous ont évoqué la dépénalisation de l’aide à mourir. Le second alinéa de l’article 5 du projet de loi prévoit explicitement que l’aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122‑4 du code pénal. Cette mention vous semble-t-elle suffisante pour répondre aux inquiétudes concernant la protection juridique de celles et ceux qui accompagnent les patients dans l’aide active à mourir ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Docteur Baissas, pouvez-vous détailler votre proposition concernant une instance d’éthique et son articulation avec les instances déjà existantes ?
Vous suggérez également de retirer la mention « psychiatrique » de l’article 8 et certains souhaitent ouvrir le projet de loi aux mineurs. Pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet dans un texte qui doit également établir des garde-fous et des limites très strictes ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. La Fédération française du droit humain considère-t-elle que l’article 17 est suffisamment exhaustif ?
Quels amendements la Grande Loge de France proposerait-elle afin de réformer le code des assurances évoqué dans l’article 20 ? La rédaction de l’article 16 concernant la clause de conscience est-elle lacunaire ?
Quelle est l’opinion du Grand Orient de France concernant la création d’une journée éducative sur la mort à destination des enfants ?
M. Guillaume Trichard. Cette éducation nous semble essentielle, dans le cadre de cette loi de liberté et de laïcité. Il faudra également accompagner les citoyens en répondant à leurs questions et en engageant un certain nombre de débats laïques sur le sujet.
Ensuite, je comprends la nécessité de verrous médicaux dans cette loi, mais le verrou administratif excluant le discernement d’un mineur me semble pouvoir faire l’objet d’un débat. En Belgique, depuis que le dispositif a été étendu aux mineurs, seulement cinq cas ont été recensés.
Mme Frédérique Moati, présidente de la commission nationale Éthique-bioéthique de la Grande Loge féminine de France. Rita Levi-Montalcini, première femme à recevoir le prix Nobel de physiologie ou médecine, a déclaré « Donnez de la vie à vos jours plutôt que des jours à votre vie », phrase qui renvoie à la question du tabou de la mort. Cette loi relève ainsi à la fois du collectif et de l’individuel parce qu’elle concerne l’intime, le sens de la vie et la finitude.
Je suis favorable à l’intervention d’un tiers volontaire en cas d’incapacité de la personne malade et si elle est clairement définie dans les directives anticipées qui sont insuffisamment prises en compte dans cette loi, au même titre que la personne de confiance. Mais sur le plan moral et même technique, il existe plusieurs manières d’aider une personne à mourir, qui ne se résument pas au geste de la seringue. Pour moi, le dernier soin est le dernier acte d’amour.
Ensuite, j’estime que la question du discernement rejoint effectivement la question des directives anticipées, tel que je viens d’en parler. Je ne pense pas que les mineurs décideront, mais il me semble nécessaire de dépénaliser l’acte auquel des personnes seront confrontées les concernant, en dignité. Le médecin aide à soigner, il n’a pas vocation à favoriser un acharnement.
M. Michel Hannoun. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans un service de soins palliatifs pour bénéficier de soins d’accompagnement. À ce titre, la loi doit être plus précise, notamment en matière de formation des soignants à la mort. Ensuite, il ne s’agit pas seulement d’instaurer des verrous, mais de faire en sorte qu’ils tiennent dans le temps. J’insiste sur la nécessaire clarté de la loi et des décrets, ainsi que l’instauration d’une clause de revoyure et d’un comité de suivi pour mener un bilan de son application.
Si la Grande Loge de France est favorable à une évolution de la loi, la question du discernement nous semble être la plus problématique. Les lois de la République font des parents les responsables du mineur et je partage l’idée de Frédéric Worms sur le caractère incontournable des verrous dans la loi. À cet égard, les choix retenus par le présent texte en matière de verrous nous semblent pertinents, notamment à la lumière des retours d’expérience étrangers.
La réforme du code des assurances me semble incontournable. À titre d’exemple, le suicide pose aujourd’hui un certain nombre de problèmes pour le versement des contrats d’assurance vie. Ici encore, la loi doit faire preuve de clarté, pour éviter des problèmes juridiques d’interprétation, ultérieurement.
M. Sylvain Zeghni. Si l’article 5 du projet prévoit que l’aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122‑4 du code pénal, n’est-il pas plus pertinent de parler en termes non équivoques de dépénalisation de tous les intervenants qui participent au processus de l’aide à mourir ?
Dr Martine Baissas. L’éducation des enfants est certes nécessaire, mais il faut également engager le dialogue avec les adultes. Nous proposons un amendement prévoyant que les mineurs disposent du droit de s’opposer éventuellement à ce que certaines informations apparaissent dans leur dossier médical.
Ensuite, les soins d’accompagnement étant plus larges que les soins palliatifs, ils peuvent être plus difficiles à évaluer. S’agissant de la procédure, nous recommandons a minima de préciser que la personne qui accompagnerait le malade le jour de l’aide à mourir l’ait au moins rencontré au préalable. Nous soulignons également le risque de deuil pathologique pour le tiers volontaire, les équipes soignantes et les aidants. Enfin, la clause de conscience doit être appliquée à tous, à tout moment. L’absence du médecin et éventuellement de l’infirmier de la salle nous choque également un peu.
Nous avons aussi proposé un amendement concernant le contradictoire, en s’inspirant des procédures déjà en place dans les hôpitaux locaux, pour permettre un contrôle a priori. Nous proposons enfin une compensation pour la personne qui n’a plus la capacité de s’exprimer, mais avait fait part au préalable de directives anticipées terminales.
M. Sylvain Zeghni. S’agissant de l’article 17, nous suggérons de faire appel au procureur de la République plutôt qu’au conseil de l’ordre en cas d’infraction pénale.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Monsieur Trichard, vous avez parlé d’émancipation laïque, ce qui laisse transparaître une volonté de combat religieux. Pourtant, les inquiétudes les plus nourries quant au projet n’émanent forcément pas des religions, mais des professions médicales. Au cas où un médecin ou un soignant ferait jouer leur clause de conscience et refuseraient de donner la mort, qui devrait dans ce cas pratiquer cette euthanasie ?
M. Christophe Bentz (RN). Docteur Baissas, j’ai apprécié vos propos sur la nécessité de restaurer une sémantique de vérité. Depuis le début de nos auditions, les soignants les cultes, les associations et à peu près toutes les organisations ont d’ailleurs rappelé aux promoteurs de cette loi la nécessité de poser des termes précis, quelles que soient les convictions personnelles. L’aide à mourir correspond en effet à l’euthanasie et au suicide assisté. Pouvez-vous développer cet argumentaire et nous expliquer pourquoi est-ce absolument indispensable ?
Mme Élise Leboucher (LFI - NUPES). Docteur Baissas, quels seraient les contours et attributions du comité éthique que vous avez évoqué ? Quelle place occuperait-il dans la décision finale ? Pourquoi privilégiez-vous un comité local ? Je préfère pour ma part un comité national. Ensuite, avez-vous envisagé la création d’un observatoire en charge de la production d’un rapport annuel ?
Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). M. Worms a dit devant cette commission que « si l’on ne croit pas aux verrous, on ne croit plus à la loi ». Encore faut-il que ces verrous soient les bons. N’estimez-vous pas que limiter l’exercice de cette ultime liberté au pronostic vital engagé à court et moyen terme, sans prendre en compte des situations de maladie incurable, constitue finalement un mauvais verrou ? Je suis par ailleurs attentive à la réflexion sur les mineurs et les aidants. Lors de précédentes auditions, certains intervenants ont ainsi exprimé leur préférence pour l’intervention d’un soignant plutôt que d’un aidant pour l’administration de la substance létale en cas d’incapacité du malade.
M. René Pilato (LFI - NUPES). J’invite à la prudence quant à l’idée selon laquelle s’il n’y a pas de verrous, il n’y a pas de loi. Je rappelle en effet que la loi de 1905 établit avant tout un cadre juridique qui garantit la liberté de conscience. La possibilité de maîtriser son corps jusqu’à l’ultime seconde ne constitue-t-elle pas après tout une liberté de conscience ? Cette loi ne s’inscrit-elle pas dans le processus consistant à se libérer des dogmes ?
M. Patrick Hetzel (LR). Vous défendez tous la fraternité. Considérez-vous qu’en fraternité, donner la mort puisse être un soin ?
Ensuite, ce projet de loi va légaliser à la fois le suicide assisté et l’euthanasie. Que proposez-vous pour éviter les abus de faiblesse et garantir les droits des personnes les plus vulnérables et qu’il faut protéger ?
M. Philippe Vigier (Dem). Quelle serait la meilleure rédaction pour améliorer la représentativité de la collégialité ? Le délai de quarante-huit heures minimum inscrit dans la loi est-il trop court ? Comment envisagez-vous votre rôle concernant les soins d’accompagnement et les maisons de l’accompagnement ?
Monsieur Zeghni, la dépénalisation de tous les intervenants qui participent au processus de l’aide à mourir que vous avez évoqué concerne-t-elle les médecins réanimateurs qui débranchent le patient en état de mort cérébrale ? Je ne comprendrais pas que cela ne soit pas le cas.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les pathologies psychiatriques sont à ce stade exclues du projet de loi, alors que toutes n’impliquent pas un manque de discernement. Le sujet du discernement des mineurs pose également question. Toutefois, une vigilance particulière s’impose. Faut-il aller vers une ouverture du droit de l’aide à mourir pour les mineurs et les personnes souffrant de pathologies psychiatriques ou plutôt envisager une procédure d’exception, après évaluation au cas par cas du discernement ?
Monsieur Hannoun, vous avez évoqué une clause de revoyure, qui permettrait pour certains de corriger des effets pervers de la loi, qui n’auraient pas été envisagés initialement. Mais cette clause pourrait également aboutir à un élargissement de la loi. Je vous alerte donc sur le caractère potentiellement ambigu de cette clause. Peut-être serait-il préférable de privilégier un processus d’évaluation de la loi par les parlementaires ?
Mme Catherine Lyautey. La clause de conscience est importante, mais un médecin qui l’exercerait légitimement doit également pouvoir orienter le malade vers un autre praticien, ce qui n’est pas toujours le cas.
Mme Frédérique Moati. Parmi les verrous qui figurent dans cette loi, certains ne sont pas toujours évoqués, comme le discernement ou l’évaluation du caractère intolérable des souffrances physiques ou psychologiques par les soignants, laquelle, selon moi, doit être redéfinie. Certaines catégories sont également exclues de son champ d’application, dont les mineurs, les personnes atteintes de maladies dégénératives progressives et de polypathologies, mais aussi les personnes âgées, chez lesquelles le taux de suicide est le plus élevé. Nous suggérons enfin qu’une fois rédigée, la loi puisse être validée par une commission nationale de juristes pour vérifier la conformité des décrets d’application.
M. Michel Hannoun. La clause de revoyure nous semble effectivement importante, non pas dans un sens négatif qui consisterait à rétrécir ultérieurement le champ de la loi, mais parce que la recherche progresse et que des pathologies aujourd’hui incurables pourraient être soignées, demain. Dès lors, les limites fixées peuvent être revues au bout d’un certain temps. Cependant, nous ne pensons pas qu’une loi sur la fin de vie ait vocation à aborder les problèmes des personnes âgées en difficulté sociale. Nous préconisons également un bilan de la loi et des évolutions scientifiques par un comité – pourquoi pas un observatoire.
Ensuite, il est légitime que les soignants puissent évoquer la clause de conscience sans être montrés du doigt parce qu’ils ne participeraient pas de « l’arc républicain ». La collégialité peut s’envisager dans le cadre d’une commission pluridisciplinaire semblable à celle du « Plan cancer » ou d’une mobilisation de trois médecins.
Enfin, « se libérer des dogmes » consiste à respecter des points de vue différents et ne pas juger l’autre a priori par rapport à ce que serait la bonne conscience, le bien, ou la vertu du bien.
M. Sylvain Zeghni. La dépénalisation peut être envisagée dans un cadre très restreint, puisque s’il s’agit d’une procédure encadrée. Ensuite, je partage l’idée de placer les « bons » verrous, mais aussi de faire preuve de précision. C’est la raison pour laquelle nous proposons de modifier l’article 6, car il faut distinguer les affections évolutives des affections fixées. La personne qui subit un lourd handicap non évolutif doit être aussi bien prise en compte que la personne souffrant d’une affection évolutive à plus ou moins long terme.
Nous sommes également favorables à la création d’un observatoire. Nous nous interrogeons par ailleurs sur le financement du dispositif des maisons d’accompagnement, dont nous souhaitons le rattachement à un établissement sanitaire public et non au privé lucratif.
Dr Martine Baissas. M. Bentz a évoqué la sémantique de vérité, qui implique un travail difficile sur les mots, pour faire en sorte qu’ils soient les plus justes possible.
Ensuite, la collégialité est nécessaire, tant il est difficile de décider seul. Nous nous sommes interrogés sur les durées retenues et considérons que si une inadéquation devait apparaître, elle serait soulevée dans l’évaluation.
Enfin, l’écoute de la volonté nécessite d’avoir du temps et, partant, des moyens financiers.
M. Guillaume Trichard. Je tiens à redire qu’il s’agit d’une loi de progrès par rapport aux lois précédentes : le fait de légiférer à nouveau ne doit pas se faire au détriment de ce qui a été produit par le passé. En tant que francs-maçons, nous sommes attachés au travail itératif, ce que nous appelons dans notre jargon « tailler la pierre » ou « améliorer nos plans ». Vous êtes amenés à légiférer pour donner un droit nouveau aux citoyennes et aux citoyens, celui de l’aide à mourir. Je comprends l’idée de vouloir bien nommer les choses ; incidemment, l’étymologie grecque du mot « euthanasie » signifie « mort douce ».
Le Grand Orient de France est évidemment très attaché à la possibilité pour les professions médicales d’exercer leur clause de conscience. À ce titre, je rappelle que le dispositif de la loi Veil comporte à la fois une clause de conscience générale et une clause de conscience renforcée.
Monsieur Hetzel, j’assume effectivement le fait que pouvoir aider nos proches à partir pour leur éviter de la souffrance est un acte de fraternité républicain, qui est d’ailleurs très attendu par nos concitoyens.
Par ailleurs, permettez-moi de revenir sur le sujet du discernement, en évoquant l’article L. 11‑1 du code de la justice pénale des mineurs qui précise : « Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. » Ce même article indique : « Lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. » Ce qui est valable d’un côté doit également l’être de l’autre. L’évaluation du discernement doit donc pouvoir être réalisé par les professionnels de santé.
Monsieur Dessigny, les inquiétudes formulées par le corps médical témoignent de son besoin d’être accompagné, de bénéficier de plus de moyens et d’être mieux considéré dans notre société. À ce titre, en alliant ce nouveau droit d’aide à mourir et le renforcement des soins palliatifs, cette loi doit permettre de créer un écosystème favorable à la fois aux patients et aux médecins.
Enfin, si les verrous sont nécessaires, leur accumulation pourrait desservir les desseins de la loi, comme l’exemple espagnol l’atteste.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie.
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16. Audition du Conseil économique, social et environnemental et de la convention citoyenne sur la fin de vie (réunion du vendredi 26 avril 2024 à 14 heures 30)
La commission spéciale auditionne M. Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental, Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, ainsi que Mme Soline Castel et M. Jean-Michel Poncet, membres de la Convention ([17]).
M. Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental. Pour rappel, la Première ministre a saisi le Conseil économique social et environnemental (Cese) pour répondre à la question suivante : le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées, ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ?
Le Cese a donc constitué une commission temporaire pour rendre un avis sur la question au nom de la société civile organisée, avant de former une Convention citoyenne par tirage au sort, sachant que l’objectif de ce dernier n’était pas de parvenir à une représentativité au sens statistique de la société française, mais de refléter sa diversité. Cependant, à l’issue du tirage au sort, nous avons constaté que les citoyens les plus précaires, souvent sans téléphone, étaient peu représentés, raison pour laquelle le tirage au sort a été complété grâce à l’association ATD Quart Monde, qui a recruté six citoyens en situation de grande précarité. Au total, 185 citoyens ont été mobilisés par la Convention citoyenne, dont un qui a démissionné au cours des travaux pour raison professionnelle.
Pour piloter cette convention citoyenne, le Cese a également constitué, sous la présidence de Mme Claire Thoury, un comité de gouvernance de quatorze membres, dont six conseillers du Cese, deux enseignants-chercheurs spécialisés dans les questions de participation citoyenne, un philosophe, deux membres du Comité consultatif national d’éthique, la déléguée générale du Conseil national des soins palliatifs et de la fin de vie ainsi que deux citoyens ayant participé à la Convention citoyenne précédente, afin de bénéficier de leur expérience.
Parallèlement, un collège de quatre garants non français ayant déjà participé à une expérience similaire dans un autre pays a été constitué pour veiller au respect de principes essentiels relatifs à la transparence du débat et au respect de toutes les paroles prononcées.
La Convention citoyenne s’est tenue de décembre 2022 à mars 2023 à raison de neuf week-ends de trois jours de travail et j’ai le sentiment d’un consensus sur sa réussite, tant sur le fond, grâce au remarquable travail des citoyens, que sur la forme, grâce à nos méthodologies robustes.
Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Ce que je retiendrais pour ma part de cette Convention citoyenne, c’est la qualité des débats, mais aussi l’investissement des membres en vue de l’intérêt général : pour moi, la Convention citoyenne constitue un tour de force démocratique.
Une majorité claire s’est dégagée de la Convention citoyenne, et cette dernière a fourni une réponse claire à la question posée par la Première ministre. Pour autant, et c’est là où la dimension démocratique de la Convention citoyenne s’affirme le plus, cette majorité tranchée n’ignore pas la nuance face à la complexité de la question.
Pour lancer cette Convention citoyenne, le comité de gouvernance est parti du principe que la question de la fin de vie est un sujet de controverse et que le travail consisterait à identifier, parmi les différentes convictions des conventionnels, les points de convergence et les points de divergence. Au sein de ces derniers, il a fallu déterminer ceux qui pouvaient être dépassés et ceux qui s’avéreraient inconciliables.
Par ailleurs, nous avions conscience que le but de la Convention citoyenne n’a jamais été de décider, ce qui relève de la représentation nationale, mais d’éclairer la décision des parlementaires en leur proposant, via un rapport, ce que nous avons déterminé comme étant le cadre collectif partagé qui peut faire de la fin de vie un objet d’unité plutôt que de division.
Pour conclure, je souligne que, si 75 % des membres de la Convention citoyenne se sont prononcés en faveur de l’aide active à mourir, et 25 % contre, l’ensemble des conventionnels a tenu à adopter le rapport transmis aux parlementaires, y compris la minorité qui s’est estimée contributive à ce travail : c’est cette participation de tous qui m’incite à penser que ce type de sujets permet de faire société.
Mme Soline Castel, membre de la Convention citoyenne. Ma présentation aura trait à la première partie du rapport qui concerne les points consensuels. Pour répondre à la question « le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées, ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? », la Convention citoyenne a auditionné environ soixante experts et sa majorité a émis les conclusions suivantes : d’abord le respect du choix et de la volonté du patient, le développement de l’accompagnement à domicile, la garantie des budgets nécessaires à l’accompagnement de la fin de vie, un accès aux soins palliatifs pour toutes et tous et partout, assurer l’égalité d’accès à l’accompagnement de la fin de vie, informer le grand public, renforcer la formation des professionnels de santé, améliorer l’organisation du parcours de soin de la fin de vie, et intensifier l’effort de recherches et de développement.
Ces points de convergence se sont traduits par soixante‑cinq propositions qu’il incombera à la représentation nationale d’intégrer ou non dans le cadre de la loi.
M. Jean-Michel Poncet, membre de la Convention citoyenne. Sur la question difficile de l’aide active à mourir, le rapport fait état de situations de souffrances non couvertes actuellement par les possibilités d’accompagnement et par la loi, mais un dispositif d’aide active à mourir ne saurait être qu’un complément aux soins palliatifs.
Ensuite, je suis étonné de l’absence de statistiques sur la sédation profonde et continue, mais il est vrai que cet acte se situe à la limite du cadre juridique. Par ailleurs, le rapport souligne le caractère fondamental du choix de l’individu, notamment en matière de santé, et met en exergue le fait que l’aide active à mourir permettrait de mettre fin aux euthanasies sauvages. Ensuite, notre travail pose la possibilité de l’aide active à mourir comme un ultime recours qui devrait permettre une fin de vie accompagnée. Enfin, la partie finale de notre rapport étudie dix-neuf parcours de soins et d’accompagnement possibles.
Mme Soline Castel. En revanche, l’aide active à mourir a suscité l’opposition d’une minorité, d’abord parce qu’elle n’est pas nécessaire, sachant qu’il existe déjà la loi Claeys-Leonetti, mal connue et mal appliquée. Les citoyens défavorables à l’aide active à mourir ont également décelé dans celle-ci un risque pour une personne vulnérable d’être influencée par son entourage, ce qui pose la question de son réel consentement. Le suicide assisté représente aussi un danger pour notre système de santé en ce qu’il porte selon nous atteinte à notre modèle de société et à son esprit de solidarité : bien qu’une éventuelle loi permette de mettre fin à certaines dérives, elle risque d’en créer d’autres qu’elle peinerait à encadrer. Enfin, lorsque nous évoquons la suppression de la souffrance, il nous semble important de poser la question de qui nous soulageons réellement de la souffrance : celle du patient ou celle de ses proches ?
M. Jean-Michel Poncet. Pour moi, le projet de loi s’inspire des travaux de la Convention citoyenne et tient compte des nuances émises dans le rapport.
Je souhaite apporter mon témoignage sur trois points qui ont fait évoluer ma position. D’abord, le caractère historique de l’allongement de l’espérance de vie avec la dépendance et les pathologies associées qui rendent la fin de vie de nombreux citoyens très difficile, en dépit des progrès médicaux considérables. Je suis convaincu que porter la question de la fin de vie, qui relève à la fois de l’intime et du collectif, a permis un traitement objectif de cette question.
Dans ce contexte historique, la création de maisons d’accompagnement pourrait constituer une réponse tout autant historique avec une ligne éthique centrée sur l’euthanasie, l’euthanasie semblant aujourd’hui indispensable, pour éviter l’intervention trop pesante d’un tiers dans le choix du patient.
En fin de rapport, les dix-neuf protocoles dédiés reflètent le souhait des concitoyens que la fin de vie soit sécurisée au sein d’un milieu professionnel médical et, en conclusion, l’approche empathique permet de comprendre que la société doit pouvoir, de manière strictement encadrée, apporter le dernier recours qu’est l’euthanasie.
Mme Soline Castel. En ce qui me concerne, je relève une asymétrie dans le projet de loi : en effet, seize articles sur vingt-et-un portent sur l’aide active à mourir contre cinq sur les soins d’accompagnement et à mon sens, les soixante‑cinq propositions du rapport permettraient d’étoffer la partie soins d’accompagnement. En outre, l’accompagnement de la décision de l’aide active à mourir me semble incomplet, car l’article de loi concerné ne mentionne que des médecins, sans évoquer les psychologues, la collégialité ou la pluridisciplinarité.
Je regrette également que la commission de contrôle de l’aide active à mourir intervienne après l’acte, lequel est pourtant irréversible. Par ailleurs, le projet de loi ne semble pas prévoir d’accompagnement pour les professionnels qui pratiqueraient l’aide active à mourir. Toutefois, même s’il ne me satisfait pas pleinement, je comprends les choix réalisés par le projet.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je précise que Caroline Fiat, rapporteure, a tenu à excuser son absence et à faire savoir qu’elle a beaucoup apprécié vos travaux.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je dois avouer que j’étais sceptique au moment de la mise en place de la Convention citoyenne, mais force est de constater qu’elle a été remarquable et que son travail peut constituer un modèle de démocratie.
De cette Convention citoyenne, je retiendrais deux chiffres : d’abord les 76 % en faveur de l’aide active à mourir, qui témoignent d’un avis clair, et le fait que 89 % des conventionnels ont ratifié le rapport, ce à quoi les parlementaires ont été sensibles.
J’ai deux questions à l’attention des conventionnels : quelle approche avez-vous des conditions d’accès à l’aide à mourir telle qu’elle figure dans le projet de loi et avez-vous des remarques sur sa procédure ?
À propos de la remarque de Mme Castel sur l’écart entre le nombre d’articles sur l’accompagnement et sur l’aide à mourir au sein du texte en projet, je rappelle qu’il faut distinguer ce qui appartient à la loi et ce qui relève de la stratégie décennale qui ne peut y figurer, mais qui existe néanmoins.
M. Didier Martin, rapporteur. Vous n’avez pas évoqué les moyens financiers, sujet qui me semble d’autant plus important que l’expérience de la Convention citoyenne s’est avérée positive et que le Président de la République a suggéré que d’autres thématiques pourraient faire l’objet d’un traitement similaire.
Monsieur Poncet, vous avez mentionné l’exception d’euthanasie obligatoire alors que le mot n’apparaît pas dans le projet de loi – la terminologie est « aide à mourir » : comment définissez-vous cette exception d’euthanasie ?
Ensuite, dans le cadre de la volonté libre et éclairée du patient, quelle place donnez‑vous aux directives anticipées émises au moment du diagnostic d’une maladie incurable ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Sur la forme, comment expliquez-vous que la Convention citoyenne ait si bien fonctionné, et sur le fond, comment avez-vous amené les citoyens à faire évoluer leurs convictions ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Madame Castel, selon vous, les patients devraient être accompagnés dans le cadre d’une procédure médicale, collégiale et pluridisciplinaire, tandis que la famille ne devrait l’être qu’à la demande du patient. De plus, la quasi-totalité de vos auditions met en évidence l’opposition des parties prenantes à l’implication des proches dans l’administration de la substance létale : lorsque vous évoquez les proches, parlez-vous donc seulement de l’accompagnement du patient ou incluez-vous l’administration de la substance létale ? Par ailleurs, dans quel cas un proche souhaiterait-il administrer cette dernière selon vous ?
M. Jean-Michel Poncet. À propos de l’exception d’euthanasie obligatoire, monsieur Martin, pour éviter tout malentendu, il s’agissait de mon avis personnel et en l’occurrence, j’appartiens au groupe d’opinion privilégiant le suicide assisté avec l’euthanasie en matière d’exception : toutefois, même si une loi permet l’aide active à mourir, il faut privilégier l’autonomie de la personne tant que c’est possible.
Mme Soline Castel. Les conditions d’accès à l’aide active à mourir du projet de loi me semblent pertinentes et très restrictives, ce qui est de nature à me rassurer. Mon seul doute concerne le moyen terme qui me paraît difficile à identifier.
Quant aux directives anticipées, elles me semblent problématiques, ce que j’illustrerai par un exemple : si une personne atteinte d’Alzheimer formule le souhait de mourir lorsqu’elle ne reconnaîtra plus ses enfants et que ce jour survient, cette patiente n’en est pas consciente et n’en souffre pas. Une nouvelle fois, je me demande si l’on souhaite supprimer la douleur des patients ou celle de leurs proches.
Quant à l’administration de la substance létale, elle est une responsabilité qui ne peut selon moi être confiée à un proche et je serais même favorable à l’idée que le patient s’administre lui-même la substance létale, ce que permet la domotique par un clignement de l’œil.
Mme Claire Thoury. Les facteurs de réussite de la Convention citoyenne seraient pour moi les suivants. D’abord, durant la phase d’explication des enjeux aux conventionnels, nous avons insisté sur le fait que leur rôle n’était pas d’élaborer la loi. Nous leur avons demandé d’être eux-mêmes et de porter leurs convictions. Le deuxième facteur était l’important travail fourni par chacun des citoyens réunis, lesquels avaient pour objectif la réussite de la Convention, quelle que soit la réponse de fond qu’elle donnerait, avec un sens aigu de la responsabilité quant à la réussite de la démarche : l’enjeu était trop important pour qu’il ne soit pas une réussite. Un autre facteur de réussite a été le réajustement permanent de la position des citoyens en fonction de l’évolution des débats. Enfin, le dernier facteur de réussite a simplement été la capacité à s’excuser lorsque l’on a commis une erreur, ce qui a permis de travailler en confiance.
M. Thierry Beaudet. J’ajouterais que depuis la loi organique de 2021, nous avons acquis des compétences en matière de participation citoyenne, et formé des administrateurs.
Vous avez posé une question sur le coût de la Convention citoyenne : il s’élève à environ 5,5 millions d’euros, essentiellement consacrés au transport, à l’hébergement et à la restauration des citoyens ainsi qu’à la rémunération de prestataires et à l’indemnisation des citoyens. J’en profite pour dire que si nous voulons pérenniser les conventions citoyennes, nous aurons à réfléchir à un statut du participant citoyen.
M. Jean-Pierre Pont (RE). Ma première question s’adresse à Mme Castel et à M. Poncet : aviez-vous des a priori sur la fin de vie et si oui, les débats vous ont-ils confortés dans votre décision finale ?
Ma deuxième question est pour Mme Thoury et M. Beaudet : des personnes ont-elles changé d’avis au cours de la convention et si oui, dans quelles proportions ? Par ailleurs, que pensez-vous des personnes affirmant que le projet de loi est un « permis de tuer » ?
M. Gilles Le Gendre (RE). Monsieur Beaudet, souhaitez-vous que nous institutionnalisions les conventions citoyennes dans le processus d’élaboration de la loi et si oui, de quelle manière ? Quels sont les sujets qui se prêteraient à ce format, et ceux qui n’y seraient pas adaptés ?
M. Christophe Bentz (RN). Monsieur Beaudet, selon la ministre Vautrin, le projet de loi n’est pas un texte sur l’euthanasie et le suicide assisté. Pour notre part, parler d’aide à mourir est mensonger et n’est pas transparent. D’ailleurs, les termes « suicide assisté » et « euthanasie » sont mentionnés deux cents fois par le rapport : n’êtes-vous pas déçus que le Gouvernement ignore ainsi votre important travail ?
Mme Marine Hamelet (RN). Monsieur Beaudet, le fait que le Président de la République ait déclaré au sujet de l’euthanasie « nous le ferons » avant même la mise en place de la Convention citoyenne, et que vous-même vous vous soyez prononcé en faveur de l’euthanasie, donne le sentiment que le débat a été orienté. De plus, comment expliquez-vous que quarante conventionnels aient déclaré au Figaro qu’ils se sont sentis manipulés et que le débat n’était pas ouvert ? Enfin, combien de médecins la Convention citoyenne comportait-elle ?
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Votre rapport pointe les risques de financiarisation des centres de soins palliatifs et des espaces d’accueil des personnes en fin de vie, mais quelles ont été les hypothèses pour lutter contre cette financiarisation ainsi que les alternatives pour financer ces centres ?
Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Ma question s’adresse au Cese et à la Convention citoyenne : que pensez-vous de l’idée de créer un observatoire de la fin de vie qui s’ajouterait à la commission prévue à l’article 17 du projet de loi ? Cet observatoire apporterait un regard social sur la façon dont l’aide à mourir est pratiquée, et permettrait un suivi de l’évolution de l’accès aux soins palliatifs. Enfin, il constituerait une garantie contre d’éventuelles dérives.
Par ailleurs, pensez-vous qu’une clause de revoyure de la Convention citoyenne serait utile après la première année d’application de la loi ?
M. Patrick Hetzel (LR). Madame Castel et monsieur Poncet, le projet de loi ne comprend pas des éléments préconisés par le rapport : en effet, le projet ne prévoit ni l’accompagnement médical et psychologique complet, ni la procédure collégiale pour assurer le suivi et la validation du suicide assisté, ni les garde-fous émis par un quart des conventionnels pour se prémunir d’éventuelles dérives. Comment réagissez-vous à cet écart entre le projet de loi et le rapport de la Convention citoyenne ?
M. Philippe Juvin (LR). Monsieur Beaudet, combien de conventionnels ont‑ils visité des centres de soins palliatifs ou sont‑ils allés assister à une sédation profonde et continue ?
Par ailleurs, le demandeur de l’aide active à mourir ne pourra consulter qu’un seul médecin, lequel aura certes la possibilité de solliciter l’avis d’un confrère : madame Castel, considérez-vous cela comme une forme de collégialité ?
Enfin, monsieur Poncet, ne pensez-vous pas que le recueil de consentement par un juge comme cela est requis pour le don d’organe intrafamilial constituerait un élément de contrôle a priori ?
M. Nicolas Turquois (Dem). Je me joins d’abord aux félicitations qui vous ont été adressées par les précédents intervenants : la qualité de vos travaux a contribué à apporter de la sérénité à nos débats, qui ne le sont pas toujours.
Je souhaiterais que les deux conventionnels nous expliquent comment ils ont été contactés par le Cese et dans quelle mesure le sujet de la fin de vie les avait jusqu’alors concernés.
Je suis plutôt favorable à une évolution vers une aide à mourir, mais à l’issue de ces auditions, je m’interroge sur trois points : les directives anticipées, avec un questionnement sur l’autonomie des personnes, la collégialité, laquelle me semble limitée dans le projet de loi, et le moyen terme.
M. Laurent Panifous (LIOT). Madame Thoury, la phase qui débute maintenant que la Convention conclut son œuvre bénéficiera de ses travaux. Selon vous, la position des uns et des autres a‑t‑elle évolué entre les différentes auditions ayant eu lieu avant la publication du projet de loi et les auditions de cette semaine ?
Mme Cécile Rilhac (RE). Madame Castel et monsieur Poncet, sachant que le rapport met en exergue le besoin de renforcer la formation des professionnels de santé et de développer la fin de vie à domicile, les infirmiers à domicile devraient-ils selon vous suivre la formation d’infirmier en pratique avancée ou une formation spécifique, et pourraient-ils recourir à la validation des acquis de l’expérience ?
Par ailleurs, avez-vous débattu de l’accès à l’aide active à mourir pour les mineurs ?
Mme Annie Vidal (RE). Madame Castel, vous avez posé des questions à mon sens essentielles : de quelle personne souhaite-t-on arrêter la souffrance ? Et comment s’assurer qu’aucune pression, qu’elle soit médicale, sociale ou morale, n’est exercée sur le demandeur ? Avez-vous abordé ces questions et quelles sont vos réponses ?
Mme Christine Loir (RN). Nous doutons que l’euthanasie soit une réponse à l’offre de soins de fin de vie, considérant que tous les départements ne sont pas encore dotés de centres de soins palliatifs : croyez-vous que l’euthanasie soit une évolution de la loi actuelle ?
Mme Chantal Bouloux (RE). Monsieur Beaudet, le projet de loi ne concerne pas la fin de vie des personnes âgées, mais celle des personnes malades incurables dont le pronostic vital est engagé : quels ont été les échanges sur ce sujet lors de la Convention ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Avez-vous rencontré des difficultés à travailler en groupe ? Par ailleurs, que pensez-vous du développement de l’activité au domicile des patients, de la formation des soignants et de l’accompagnement des aidants ?
M. Philippe Vigier (Dem). Madame Castel et monsieur Poncet, quel élément du projet de loi vous paraît anormal et quelle est la plus grande insuffisance de ce dernier selon vous ? Ensuite, comment comptez-vous suivre l’évolution des travaux parlementaires ? Enfin, les conventionnels ont-ils manifesté davantage de confiance dans l’action publique après leur expérience au sein de la Convention citoyenne ?
M. Thierry Beaudet. Je rappelle que le Cese est composé de cent soixante‑quinze conseillers représentant quatre‑vingt‑deux organisations de la société civile, lesquelles portent des convictions et des intérêts collectifs différents et assumés, notre travail consistant précisément à trouver des éléments de convergence parmi tous ces points de vue. Ainsi, ce que vous pouvez percevoir comme une difficulté est en réalité la force du Cese. Néanmoins, en tant que président, je me suis astreint à un devoir de réserve et à aucun moment je ne suis intervenu sur le sujet. Aujourd’hui, mon rôle n’est donc pas de vous livrer mes convictions, mais je suis ouvert à l’organisation d’une audition spécifique pour vous exposer mon point de vue de mutualiste.
Sur la terminologie, les citoyens ont employé les termes « euthanasie » et « suicide assisté » : j’estime à titre personnel qu’ils peuvent avoir une résonnance douloureuse auprès des personnes qui ont été confrontées au sujet, raison pour laquelle je pense que l’élaboration d’un lexique de la fin de vie pourrait s’avérer judicieuse pour trouver les bons mots.
Sur la possible généralisation des conventions citoyennes, je suis convaincu d’une part qu’elles répondent à l’envie des citoyens d’être acteurs des sujets qui les concernent, et d’autre part qu’elles constituent un instrument possible pour permettre aux citoyens de contribuer aux décisions publiques.
Quant à ce qui caractérise un bon sujet de convention citoyenne, je suis d’avis qu’un bon sujet est un sujet qui suscite des perplexités, des dilemmes et des controverses en vue d’un point de sortie.
Mme Claire Thoury. Les citoyens n’ont pas assisté à des sédations profondes et continues. En revanche, des spécialistes leur ont expliqué le processus au cours d’auditions. En outre, au moins quarante citoyens ont visité des centres de soins palliatifs.
J’ignore si des citoyens ont changé d’avis au cours des débats, car nous avons choisi de ne pas les sonder à leur arrivée. En revanche, sachez que des chercheurs ont couvert la Convention citoyenne et que leurs travaux apporteront sans doute des réponses à ce type de questions. J’ai néanmoins le sentiment que si les positions ont pu évoluer, le changement était de l’ordre de l’ajustement et de la nuance.
Je souhaite enfin revenir sur l’article du Figaro : il est possible que nous ayons commis des erreurs, mais en aucun cas il n’y a eu manipulation, ce pour quoi utiliser ce mot est inacceptable pour moi. Il faut également raconter l’histoire en entier, car le quotidien est revenu sur son article ensuite.
Mme Soline Castel. Je ne souhaitais pas avoir un avis prédéfini lors de mon entrée à la Convention citoyenne. Par ailleurs, je confirme que nous n’avons pas été manipulés, preuve en est que les débats m’ont permis de développer un argumentaire défavorable sur la question.
À propos de la terminologie, je pense que nous ne devons pas craindre d’employer des mots forts et de décrire les choses telles qu’elles sont, car ces mots font partie de notre vocabulaire courant, quand bien même ils renvoient à une réalité difficile.
Ensuite, le travail en groupe n’était pas facile, mais il était intéressant. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, le moment qui m’a paru le plus difficile fut celui du travail au sein des groupes d’opinion, donc avec des personnes partageant nos convictions, car l’atmosphère de ces groupes qui visaient à construire un argumentaire contre l’opinion opposée n’était pas celle de la Convention citoyenne.
Quant à l’observatoire de la fin de vie, j’y suis favorable parce qu’il aiderait la recherche sur les soins palliatifs, la douleur et la fin de vie.
Il existe effectivement des différences entre le rapport de la Convention citoyenne et le projet de loi, mais les conventionnels ne peuvent être déçus, car il leur a bien été précisé que leur rôle n’était pas d’élaborer le projet de loi : c’est donc sereinement que je remets le rapport aux parlementaires et je suivrai les travaux en me rendant disponible pour expliquer, vulgariser et témoigner sur notre travail.
Concernant la formation des infirmiers diplômés d’État (IDE) à domicile, il me semble que des formations aux soins palliatifs leur sont déjà dispensées, mais pour moi, l’important est surtout de maintenir une formation continue afin de veiller à ce qu’un IDE ne se trouve jamais seul.
Pour terminer, je pense que la collégialité reste la meilleure garantie contre d’éventuelles pressions exercées sur le patient.
M. Jean-Michel Poncet. En tant qu’ex-conventionnel, je n’ai pas de légitimité à aborder les aspects techniques du sujet et je laisse aux parlementaires le soin de les traiter, aussi me contenterai-je d’évoquer mon vécu : j’étais déjà sensible au sujet de la fin de vie avant la Convention citoyenne et j’ai été bénévole dans des centres de soins palliatifs pour accompagner des personnes en souffrance ou seules. La solitude est d’ailleurs pour moi une problématique majeure et nous devons nous souvenir que le mot fraternité figure dans la devise de notre République. Sachez que 6 000 bénévoles œuvrent en soins palliatifs et que le Gouvernement compte renforcer cet effectif.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Merci pour la clarté de vos propos.
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17. Table ronde réunissant diverses personnalités (réunion du mardi 30 avril 2024 à 16 heures 30)
La commission spéciale auditionne, lors d’une table ronde, Mme Marina Carrère d’Encausse, médecin échographiste, le Dr Jean‑Marie Gomas, fondateur du mouvement des soins palliatifs en France, Mme Marie de Hennezel, psychologue clinicienne, Mme Martine Lombard, professeure émérite de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas, le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, coordinateur de la commission chargée de réfléchir sur les modalités d’assistance au décès pour les personnes en fin de vie (2012), et Mme Marisol Touraine, ancienne ministre des affaires sociales et de la santé ([18]).
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, cette table ronde marque la fin d’un travail individuel et collectif sur le projet de loi déposé le 10 avril dernier à l’Assemblée nationale et qui porte sur l’accompagnement des malades et la fin de vie.
Mme Marina Carrère d’Encausse, médecin échographiste. Je ne suis ni juriste, ni philosophe, ni éthicien ; je ne fais pas de politique. Je suis médecin, journaliste, femme, citoyenne, mère de famille, et fille de mes parents. Je défends ce sujet, je porte ce combat pour les malades que j’ai connus en tant que médecin, journaliste et ancienne compagne. J’ai mesuré l’importance des lois Leonetti et Claeys-Leonetti, mais aussi la nécessité de les faire évoluer.
Je suis fière de vivre dans un pays où la Convention citoyenne a existé, où ce modèle de démocratie a pu aboutir et être respecté. 75 % de ses membres se sont prononcés en faveur d’une aide à mourir, considérant que le cadre légal en vigueur était insuffisant, ce qui correspond au souhait des Français si l’on en croit les sondages réalisés. Ces derniers sont souvent contestés, un peu à raison, répondre par l’affirmative à la question « Voulez-vous une fin de vie digne ? » étant assez naturel. La majorité des Français qui répondent à ces sondages n’ont pas forcément tous les tenants et aboutissants de cette question si complexe, au contraire des membres de la commission citoyenne.
Je souhaite que cette loi soit votée, mais je souhaite aussi que cela heurte le moins possible. J’aimerais que l’on pense avant tout aux malades et à leur dignité. Je voudrais que les termes « droit », « choix » et « liberté » restent pour ceux qui souhaitent être aidés dans leur fin de vie, mais aussi pour les autres malades et pour les soignants. Le mot « obligation » ne doit pas exister.
J’aimerais voir évoluer quelques points du texte. Concernant les soins palliatifs, j’approuve profondément la stratégie décennale des « soins d’accompagnement », notamment ce dernier mot. La volonté semble être là, mais ces soins sont dotés de moyens insuffisants. Ils doivent être accessibles à tous ceux qui en ont besoin. 81 % des Français souhaitent mourir chez eux, mais à peine un quart y parvient. Nous devons entendre cette volonté.
L’accès à la sédation profonde et continue est également une nécessité. Celle-ci doit être mieux connue des malades et bien appliquée par les médecins. Les réticences à l’appliquer ne sont pas acceptables. Au nom de quoi un malade en fin de vie, à qui il reste au mieux quelques jours à vivre et qui demande cette sédation, devrait-il « tenir encore un peu » ?
Des soins suffisants et une sédation bien utilisée devraient résoudre le cas de plus de 95 % des patients en fin de vie, ainsi que celui des patients qui n’entrent pas dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, même s’ils sont atteints d’une maladie grave et incurable, qu’ils présentent des souffrances physiques et/ou psychologiques réfractaires, et qu’ils sont en capacité de manifester leur volonté de façon libre et éclairée.
Les exemples de Vincent Humbert d’Anne Bert illustrent bien cette spécificité. C’est pour de tels patients que les mots « court ou moyen terme » figurant à l’article 7 doivent être modifiés. Chaque malade est unique, et chaque maladie est unique pour chaque malade.
L’implication des professionnels de santé – infirmiers, aides‑soignants, psychologues – dans l’accompagnement de l’aide à mourir est importante. Les soignants non‑médecins connaissent souvent autant voire mieux les patients que leurs médecins. Leur présence en différents points de ce texte est une grande avancée.
Je crains que des médecins réticents à l’aide à mourir ne freinent voire bloquent le processus. La demande du patient doit être primordiale. Il serait donc souhaitable que la décision ne soit pas prise à l’unanimité mais à la majorité, et que le patient, en cas de refus, puisse formuler une nouvelle demande auprès d’un autre médecin.
S’agissant de l’administration de la substance létale, je ne comprends pas pourquoi refuser à un patient qui le souhaite que le médecin qui l’accepte puisse faire ce geste, même si le patient peut encore le faire. Pourquoi refuser l’aide du soignant aux malades qui ne souhaitent pas faire ce geste difficile, même à celui qui veut mourir ? Il faut entendre les patients, ainsi que les médecins qui souhaitent assurer ce geste.
Les médecins qui considèrent l’aide à mourir comme contraire à leur déontologie doivent également être écoutés, entendus et respectés. Cette aide à mourir ne pourra jamais être imposée à aucun médecin.
J’espère que dans les débats domineront les mots « respect », « écoute », « droit », « liberté », « dignité », ainsi que la volonté de les défendre.
Dr Jean-Marie Gomas, fondateur du mouvement des soins palliatifs en France. Je souhaite exprimer mon inquiétude de clinicien devant ce projet de loi. Celui-ci est confus, car il refuse de nommer l’euthanasie et le suicide assisté, alors qu’il porte exactement sur cela. L’expression « aide à mourir » est une tromperie vis-à-vis des citoyens et des patients.
Le titre Ier du projet de loi semble inutile, puisque la loi existe déjà. Le terme « accompagnement » vient se substituer à celui de « soins palliatifs » en reprenant la définition qui en est faite depuis 1999. Ce changement de mot poursuit deux objectifs : d’une part, faire valoir le titre II ; d’autre part, introduire la possibilité de la mort programmée dès le début de la maladie dans le projet personnalisé d’accompagnement.
Les critères envisagés dans ce projet de loi sont inapplicables et, pour certains, incontrôlables, comme le pronostic à moyen terme et la souffrance physique ou psychologique. Sous couvert d’une loi de fraternité, l’on ouvre une éligibilité à la mort programmée.
Arrêter son traitement permettrait d’être éligible à la mort programmée, puisque cela peut entraîner une situation insupportable. Soigner, ce n’est pas faciliter la mort programmée. La priorité est de permettre un accès aux soins palliatifs aux centaines de malades qui décèdent tous les jours sans y avoir accès.
Les délais de la procédure sont irréalistes et inadaptés. Ils ne tiennent pas compte de l’état dramatique du système de soins. L’urgence euthanasique n’existe pas. Si vous êtes en détresse terminale, la sédation profonde peut vous donner le calme.
Ce projet de loi est une triple incitation au suicide. La première est l’annonce de la mort programmée dès le début. La deuxième est la participation d’un soignant à chaque étape de la procédure. La troisième réside dans la « date de péremption » du processus. Cette accumulation de facteurs de pression n’existe dans aucun des pays ayant légiféré sur la question. Comment articuler cela avec la prévention du suicide ?
Aucun pays au monde n’a osé émettre l’idée qu’un proche pourrait être la main qui administre la mort. C’est bien mal connaître les familles, les abus de faiblesse et les dissensions que d’imaginer qu’un membre de la famille pourrait aider le malade à s’administrer une mort programmée.
Ma première requête est d’appeler un chat un chat et d’utiliser les bons mots.
D’autre part, il convient de protéger les patients et les soignants, et d’éviter qu’un membre de la famille puisse participer au geste mortifère. Il ne faudrait pas que le pays des droits de l’homme devienne celui de la mort donnée à l’homme.
Enfin, si l’on veut plus d’autodétermination, il faut clarifier le projet de loi et limiter le rôle des soignants. Aucun pays n’a réussi à contrôler la dépénalisation de l’euthanasie. Les critères s’élargissent inéluctablement et l’intention première du législateur disparaît.
Mme Marie de Hennezel, psychologue clinicienne. Aider à mourir, c’est s’engager à ce que la personne en fin de vie ne souffre pas, puisse effectuer son travail du trépas, c’est‑à‑dire se préparer à mourir, rester vivante jusqu’au moment où le désir de mourir l’emporte sur la faim de vie, et puisse mourir doucement, apaisée. À aucun moment, cette aide à mourir n’a nécessité un geste létal, ni un suicide assisté.
Mon équipe et moi avons affronté tout ce que notre société jeuniste rejette : la mort d’autrui, la dégradation physique, la vulnérabilité extrême, le sentiment d’échec et d’impuissance. Nous avons découvert une humanité à laquelle nous ne nous attendions pas. J’ai rendu compte de cette expérience dans mon livre La Mort intime, préfacé par un président de gauche qui avait à cœur le respect de la dignité de la personne et d’une fraternité excluant tout geste radical.
Je sais ce qu’aider à mourir veut dire, et m’attriste de comprendre que le soin d’accompagnement englobera l’assistance au suicide et l’euthanasie.
Si les pouvoirs publics avaient pris la mesure de l’enjeu, nous n’en serions pas là et nous n’aurions pas à voter une loi qui n’a rien de fraternel ni de rassembleur, et qui inquiète les personnes les plus fragiles et les personnes très âgées.
Ce projet de loi séduit une frange de « jeunes vieux » encore autonomes et en bonne santé. Plus l’on vieillit, plus l’on entre dans l’âge cassant, et plus l’on s’inquiète d’une loi qui fera de l’acte de donner la mort un soin ultime. Les personnes qui entrent dans un âge avancé souhaitent mourir dignement, sans avoir recours à un geste radical. Pourquoi ne pas exiger que la loi actuelle soit mieux connue du public et appliquée par les médecins ? Pourquoi ne pas couvrir le territoire français de structures de soins palliatifs avant d’envisager d’aller plus loin ?
Mme la ministre Catherine Vautrin s’est engagée à combler le retard dans l’accès aux soins palliatifs avant que l’aide à mourir ne soit votée. N’y a-t-il pas là une contradiction avec le fait que l’aide à mourir sera votée en 2025 ?
Cette loi par défaut va créer des inégalités. Les vieux qui en ont les moyens, qui ont des familles ou des amis solidaires, des relations médicales, pourront espérer vieillir et mourir dignement ; mais quel sera le choix de ceux qui sont pauvres, esseulés, maltraités ?
Les concepteurs de ce projet de loi ont-ils réfléchi aux conséquences de cette assistance au suicide pour celui qui sera convoqué pour l’assumer ? Ont-ils anticipé les pressions qui seront exercées sur la personne âgée dès qu’elle émettra la moindre plainte par un entourage lassé ou des héritiers pressés ?
Je vous demande instamment que la loi ne soit pas votée avant que le territoire français soit entièrement couvert en termes de ressources palliatives, et que ceux qui seraient sensibles à mon propos déposent un amendement prévoyant un délit d’incitation au suicide assisté, qui compléterait l’interdit d’abus de faiblesse déjà prévu par la loi.
Mme Martine Lombard, professeure émérite de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas. La question de l’applicabilité concrète des lois m’a toujours paru essentielle. Lorsqu’une loi crée un droit, mais que celui-ci se révèle inapplicable, inaccessible ou inégalement accessible, le risque est de saper la confiance des Français en la loi, voire en la démocratie. Sur la question de la fin de vie, trop de lois ont déçu les promesses qu’elles apportaient.
L’enjeu est d’adopter une loi concrètement applicable, qui dépénalisera ce qui est interdit. Cette dépénalisation doit dépendre de « conditions », terme utilisé par les juristes auquel d’autres préfèrent celui de « verrous ».
Le mot « euthanasie » revêt deux sens très différents. Il peut désigner un assassinat, mais aussi l’aide apportée à un malade souhaitant mourir. L’expression « aide à mourir » présente l’avantage d’éviter la dualité polysémique du mot « euthanasie ».
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pose cinq conditions. La première condition exclut les mineurs.
La deuxième porte sur le fait d’être français ou résident régulier français. J’espère que la Belgique, le Luxembourg et la Suisse ne vont pas s’en inspirer.
La condition essentielle est qu’il doit y avoir une demande, formulée librement et en connaissance de cause par le malade. Cela veut dire notamment que le médecin doit informer le malade de ce que pourraient lui apporter les soins palliatifs.
Une autre condition est que le malade subisse des souffrances réfractaires ou insupportables, dont certains continuent à nier l’existence même, alors que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et l’Académie des sciences ont reconnu leur existence.
La dernière condition est que le malade soit atteint d’une maladie grave et incurable. La CEDH n’a nullement ajouté une condition de pronostic vital engagé à court ou moyen terme.
Une solution consisterait à définir ce « moyen terme » au cas par cas, mais je crains que cela consiste à revenir à la situation actuelle dans laquelle il vaut mieux avoir un bon réseau parmi les médecins pour trouver un espoir concret d’échapper aux souffrances. Une approche plus objective consiste à confier à la Haute Autorité de santé (HAS) de dire ce qu’est le moyen terme, mais pourquoi lui reviendrait-il de définir ce que sera la portée concrète de la loi ?
Cette condition s’inspire du modèle de l’Oregon, que seules l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont imité. Si le Parlement devait faire ce choix, la France s’écarterait radicalement des valeurs européennes.
D’autres sujets pourraient être évoqués, comme les modalités de l’aide à mourir, les directives anticipées, ou l’anomalie consistant à donner compétence au juge administratif pour connaître dans tous les cas des recours contre les décisions des médecins qui estimeraient que le malade n’est pas assez malade pour bénéficier d’une aide à mourir.
Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, coordinateur de la commission chargée de réfléchir sur les modalités d’assistance au décès pour les personnes en fin de vie (2012). Je suis frappé de voir, depuis un quart de siècle, la responsabilité de la médecine dans l’incapacité de porter attention à la fin de vie. Les soins palliatifs ont toujours été considérés comme accessoires. Ce n’est pas en quelques mois que l’on pourrait restaurer une véritable politique de soins palliatifs.
La loi ne répond qu’à la volonté de 2 à 3 % des personnes, et n’apporte aucune protection aux autres en dehors des promesses intenables. Ce projet est un copier‑coller d’une association militante de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), dont les propos sont en décalage total avec la qualité des réflexions antérieures.
L’affaire Vincent Lambert n’a rien à voir avec la fin de vie, puisqu’elle repose sur des conflits familiaux.
Les personnes que j’ai pu voir mourir après une sédation ont eu une morte très douce, qui rassurait l’entourage, ce qui est un progrès considérable. En Belgique, la bureaucratie de l’aide à mourir aboutit à des euthanasies clandestines.
Pour l’entourage, la mort par euthanasie est d’une violence extraordinairement forte. Demander à un médecin d’être présent constitue une première, et me paraît contradictoire avec ce qu’est la médecine.
Les médecins, aujourd’hui, ne sont pas assez nombreux. Il existe une contradiction entre une loi permettant l’aide à mourir et l’incapacité à répondre réellement à des souffrances intolérables.
Une loi doit anticiper l’avenir. Depuis vingt‑deux ans, la loi belge a été modifiée une dizaine de fois en allant toujours vers un élargissement. L’ADMD a bien compris que la loi introduisant l’aide à mourir serait un premier pas, qui serait rapidement élargi par d’autres lois. Le problème le plus important est d’anticiper les conséquences d’une loi sur les personnes les plus vulnérables que sont les personnes âgées et les personnes atteintes d’un handicap.
Jamais dans cette loi nous ne parlons de protection. Nous ne parlons que de droit et de liberté, mais la liberté n’a de sens que si elle protège ceux qui ne voudraient pas l’utiliser.
Rédiger une loi sur l’aide à mourir est un des moments les plus difficiles d’une législature. Ses rédacteurs affrontent sans cesse l’universalisation de situations individuelles. Les conséquences d’une telle loi risquent de mettre en péril les avancées des lois précédentes, en mettant la médecine au défi de l’appliquer.
Mme Marisol Touraine, ancienne ministre des affaires sociales et de la santé. Je suis depuis longtemps favorable à l’adoption d’une loi pour une aide active à mourir, mais je ne suis pas une militante de cette cause. Il s’agit d’entendre l’aspiration de nos concitoyens à rester maîtres de leur vie jusqu’au bout, alors même que ce droit ou cette liberté ne retranche rien à personne. Il s’agit d’ouvrir un droit ou une liberté, mais pas d’imposer une obligation. Cette démarche a une vertu apaisante.
J’ai vu l’évolution de notre société, et l’évolution des aspirations. Une majorité de Français considère que la société n’a pas à lui dire comment vivre et comment mourir, mais qu’elle doit l’aider à le faire du mieux possible. En ce sens, l’aide à mourir est bien l’expression d’une fraternité et d’une solidarité. Je n’oppose pas les soins palliatifs et le droit à bénéficier d’une aide à mourir.
Ce projet de loi ouvre bien un nouveau droit ou une nouvelle liberté. C’est pour cela qu’il marque une avancée réelle. Si ce n’était pas le cas, il ne serait pas utile de légiférer. Les termes « aide à mourir » renvoient à une assistance au suicide, qui peut aller jusqu’à une forme d’euthanasie. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté dans le lien entre la volonté exprimée par la personne et le processus qui s’enclenche. Je ne préconise pas de revenir sur les termes, mais je souhaite que le débat parlementaire permette d’éclairer la portée effective des mots employés. Il faut que les Français sachent ce qui leur sera possible de demander ou non.
Si la loi ouvre un nouveau droit, elle doit poser le cadre de référence dans lequel il s’exercera, et elle doit garantir que seule la volonté du malade est entendue. Je regrette la disparition des directives anticipées, parce qu’elles permettent une pédagogie de la réflexion pour le malade. Je suis sensible à un point qui a été soulevé, selon lequel un patient ne pourrait plus bénéficier d’une aide à mourir parce qu’il n’est plus en mesure d’exprimer à nouveau sa volonté du fait de l’évolution de sa maladie. Les directives anticipées pourraient être un moyen de contourner cette difficulté.
En revanche, il ne faut pas attendre de la loi qu’elle règle « comme du papier à musique » l’ensemble des questions concrètes et des questions éthiques. Elle fixe un cadre principiel, mais la singularité de chaque cas doit renvoyer à ce que le Conseil d’État appelle la sagesse pratique. Celle-ci se construit dans le dialogue du malade avec son environnement, son entourage, le médecin. Ce dialogue singulier doit permettre d’apprécier les situations au cas par cas. J’avoue ma perplexité devant la précision qui est introduite et qui veut que seuls pourraient bénéficier de l’aide à mourir ceux dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme.
Je reste personnellement très marquée par l’affaire Vincent Lambert, dont personne n’est sorti indemne. Je ne crois pas du tout que la loi que vous allez voter lui sera applicable, mais à chaque fois que l’on écrit quelque chose dans la loi, il faut se demander si l’on pourra éviter une judiciarisation inutile.
Ce projet de loi constitue une avancée notable. Il vous appartient d’en faire une grande loi.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Comment expliquez-vous, madame la ministre, le très faible nombre de sédations profondes et continues jusqu’au décès ? Elles sont très peu pratiquées alors qu’elles avaient été présentées comme une alternative.
Quelle est votre position, mesdames et messieurs, sur le pronostic vital engagé à court ou moyen terme ?
Monsieur Sicard, êtes-vous en désaccord avec la position du CCNE, selon laquelle il y a une voie éthique pour une application de l’aide à mourir ?
Madame Touraine nous invite à faire preuve de « sagesse pratique ». Cette belle expression ne peut qu’inspirer les travaux des législateurs.
M. Denis Martin, rapporteur. Le titre Ier semble un peu léger. Il doit être assorti d’une annexe, qui est le plan décennal de développement des soins palliatifs, lequel a été établi autour de six valeurs fondamentales, de cinq objectifs principaux et quatre objectifs spécifiques. Ce plan prévoit également la constitution d’une nouvelle spécialité médicale, la médecine des soins palliatifs.
Quelle appréciation portez-vous sur ce plan de développement ? Comment envisagez-vous les moyens nécessaires ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. Pensez-vous, madame Touraine, que si des directives anticipées étaient opposables à l’époque, le conflit de famille qui a éclaté dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert aurait pu être évité ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. J’aimerais avoir vos avis sur la question des majeurs protégés.
Avez-vous connaissance, dans la législation étrangère, d’une loi qui rendrait possible l’administration d’une substance létale par un proche ou un bénévole ?
Enfin, je voudrais vous interroger sur la collégialité des médecins et de l’équipe soignante.
Mme Caroline Fiat, rapporteure. Il me semble que l’âgisme consiste précisément à mettre les personnes âgées dans cette loi. Être une personne âgée n’est pas une maladie incurable qui engage le pronostic vital.
Monsieur Sicard, vous avez parlé de la détresse des médecins face à l’aide à mourir. Que ferons-nous de la détresse du patient, de son entourage et des soignants face à l’absence de réponse au patient qui désire partir ?
Vous avez parlé de loi d’économie. Je ne peux qu’être en désaccord. Combien de demandes iront-elles jusqu’au bout ? Ce n’est pas parce qu’une demande est formulée que le patient est obligé d’aller jusqu’au bout.
Mme Marisol Touraine. La question du « moyen terme » est un obstacle, y compris pour ceux qui voudraient s’assurer de la pleine volonté des personnes. Cette précision n’a pas lieu d’être.
Même avant la loi Leonetti, il y avait des médecins qui pratiquaient la sédation profonde et continue, à la toute fin, pour éviter une souffrance et une angoisse inutiles. L’autre cas de figure repose sur la demande du patient. Lors des débats, les opposants à la loi Claeys-Leonetti ont fait naître une ambiguïté en évoquant la possibilité de laisser les patients mourir de faim ou de soif. Cette ambiguïté ne se retrouve pas dans la loi, mais elle a joué.
L’affaire Lambert m’a marquée. J’ai eu à prendre des décisions de protection des soignants et de l’hôpital. S’il y avait eu des directives anticipées clairement rédigées, il n’y aurait pas eu d’affaire. Ces directives me paraissent nécessaires pour des cas qui ne relèvent pas de l’aide active à mourir.
M. Didier Sicard. Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit sur les directives anticipées. À partir du moment où une personne est dans un état d’inconscience jugé définitif, je ne vois pas en quoi les directives anticipées peuvent être dangereuses, dans la mesure où la personne a exprimé le désir que l’on ne maintienne pas la réanimation.
Les Britanniques ont été les premiers à réfléchir en profondeur à l’existence des soins palliatifs, qui font partie du système médical britannique. En France, ils sont marginaux, personne ne les connaît. Je ne vois pas en quoi une loi pourrait résoudre l’absence de formation, de professeurs, de services.
J’ai aidé à mourir. Je suis extrêmement sensible à la détresse des malades. Mais il risque d’y avoir un désaccord au sein de la médecine, et je pense qu’il faut trouver une loi qui permette aux médecins de se retrouver dans une aide à mourir qui tienne compte du patient. La conviction du médecin ne m’intéresse pas.
Dans les services qui traitent des patients atteints de la maladie de Charcot, les demandes d’euthanasie sont exceptionnelles. En faire un modèle d’euthanasie est excessif. Au moment où l’angoisse de mourir apparaît, le sentiment de liberté est étouffé par des conditions viscérales, organiques. Cette liberté est évidente quand on est en parfaite santé ; elle devient problématique au moment où l’on va mourir. J’ai aidé à mourir de nombreux malades par la sédation. Cette vision d’une médecine qui serait indifférente existe, mais elle mériterait d’être davantage enseignée à l’université.
Par ailleurs, je respecte tout à fait la position du CCNE, qui a réuni une majorité de membres, même si ce n’était pas la mienne.
Mme Martine Lombard. La question sur le pronostic vital engagé à moyen terme est à rapprocher de celle sur la collégialité. Je pense qu’il faut supprimer la condition sur le pronostic vital engagé à court ou moyen terme, mais qu’il faut prévoir des conditions renforcées d’appréciation lorsqu’il apparaît que le malade pourrait vivre encore quelques années. Dans ces cas-là, il faudrait un avis conforme de deux ou trois médecins. Le rôle des médecins devrait être de constater que les conditions d’éligibilité sont remplies. Je ne suis pas favorable à une décision collégiale, mais à une succession d’avis allant dans le même sens.
Je voudrais que les directives anticipées soient inscrites dans le dossier médical, mais il serait bon de saisir l’occasion de ce projet de loi pour résoudre un problème. Les directives anticipées sont prétendument opposables, mais elles peuvent être écartées si elles sont manifestement inappropriées. Si le malade a rédigé ses directives à 20 ans et qu’il en a aujourd’hui 70, il peut avoir changé d’avis entre‑temps. Le médecin qui décide d’écarter les directives anticipées doit d’abord consulter la personne de confiance, et, s’il n’y en a pas, un proche ou l’aide-soignant qui s’occupe du patient. Je voudrais proposer un amendement en ce sens.
S’il y avait eu des directives anticipées dans le cadre de l’affaire Lambert, le contentieux n’aurait pas duré onze ans. Nous avons besoin des directives anticipées, mais je propose des solutions très nuancées. Le patient se trouve pris dans un « corner » : il faut qu’il soit très gravement malade, mais s’il est trop malade pour communiquer, il ne peut plus obtenir une aide à mourir.
Certains voudraient être aidés à mourir dès lors qu’ils sont atteints de la maladie d’Alzheimer et qu’ils ne reconnaissent pas leurs enfants. Personnellement, je ne suis pas d’accord. Si un malade a changé de personnalité, celle-ci doit se respecter, et je ne vois pas comment imposer une solution à une personne qui ne la veut plus.
Le Conseil d’État a fait beaucoup de recommandations sur les majeurs protégés. Elles ont été minutieusement suivies dans la rédaction du projet de loi, et nous arrivons à un résultat équilibré. La loi permet qu’un majeur protégé puisse demander à bénéficier d’une aide à mourir. Le médecin doit en informer la personne responsable de la protection juridique, qui peut réagir, saisir le juge des tutelles et demander une analyse psychiatrique. Si l’expertise fait apparaître que le patient n’a plus son discernement, c’est un nouvel événement qui conduit le médecin à changer d’avis et à ne pas admettre l’aide à mourir.
Enfin, je ne connais pas de loi qui prévoie l’administration d’un produit létal par un proche.
Mme Marie de Hennezel. Les personnes âgées sont très réticentes à écrire leurs directives anticipées, et préfèrent les conversations anticipées. Elles craignent d’être prisonnières d’un papier.
En dix ans, nous avons accompagné une trentaine de personnes atteintes de la maladie de Charcot. Seulement deux d’entre elles ont demandé au médecin de les sédater. Les vingt‑huit autres étaient rassurées par le fait que le médecin s’engage formellement à ne pas les laisser souffrir.
Je vois difficilement comment la promesse de rendre les soins palliatifs largement accessibles serait compatible avec le vote de la loi sur l’aide à mourir l’année prochaine.
Bien sûr, la vieillesse n’est pas une maladie, même si les dépenses de santé d’une personne sont les plus importantes au cours des six derniers mois de sa vie. Ce que j’ai exprimé tout à l’heure, c’est la peur de ces personnes. Cette crainte doit être prise en compte. Les personnes âgées pressentent qu’elles vont se dégrader très vite et elles se demandent ce qui se passera quand l’assistance au suicide sera rendue possible par la loi.
Dr Jean-Marie Gomas. J’ai vu beaucoup de promesses non tenues et d’engagements impossibles. Je suis ravi de ces projets, mais j’attends de voir. Certains ne me semblent pas très logiques. Je me méfie de tout ce qui vient impacter le « tout curatif » du système. Les professionnels ne sont pas suffisamment formés aux soins palliatifs. Il y a des années que nous attendons que cela change. Les infirmières de pratique avancée sont un formidable progrès ; encore faut-il qu’on les soutienne vraiment.
Dans les dernières recommandations sur les soins palliatifs de la HAS en 2018 et 2020, qui sont de remarquables documents, il y a des incohérences avec le travail de la sécurité sociale. J’ai besoin de preuves et d’actions réelles de la stratégie décennale. Nous sommes bien sûr ravis si les choses progressent.
Mme Marina Carrère d’Encausse. Si j’ai cité la maladie de Charcot, c’est parce que les patients qui en sont atteints représentent une part importante des personnes qui vont en Belgique ou en Suisse pour demander de l’aide, ce qui nécessite des moyens financiers, familiaux, amicaux. Bien sûr, nombre d’autres maladies sont concernées.
Concernant les directives anticipées, je suis sensible à cette nuance très complexe qui existe entre un patient atteint d’une maladie évolutive et qui ne pourra plus s’exprimer, et un patient qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Il ne faudrait pas que les patients demandent une mort plus précoce parce qu’ils peuvent encore s’exprimer, ce qui est certes difficile à écrire.
S’agissant de la notion de court ou moyen terme, je pense qu’il ne faut pas mentionner de chiffre précis, mais évaluer les situations au cas par cas, ce qui évitera aux médecins de devoir faire des arrangements avec la réalité et avec l’espérance de vie de leurs patients.
M. Philippe Juvin (LR). Avez-vous, madame Carrère d’Encausse, des données scientifiques robustes qui montreraient que des personnes éligibles à la sédation profonde n’y ont pas eu accès, et que des sédations profondes dureraient plusieurs jours ?
Dans l’Oregon, le patient va chercher le produit à la pharmacie et le prend s’il le veut. 40 % des patients ne le prennent finalement pas. Le projet de loi prévoit un rendez-vous fixe. Considérez-vous, madame de Hennezel, que ce rendez-vous est de nature à obliger ces 40 % à prendre le produit ?
Monsieur Gomas, vous avez soulevé le risque de pression familiale. Un contrôle du juge ne serait-il pas une garantie de liberté supplémentaire ?
Enfin, le docteur Pradat, de la Pitié-Salpêtrière, me signale qu’en dix ans, il dénombre six cents nouveaux patients atteints de la maladie de Charcot, quinze demandes persistantes d’euthanasie et trois déplacements en Belgique.
Mme Brigitte Liso (RE). Le département du Nord est largement doté en termes de centres de soins palliatifs. Cela n’empêche pas certains concitoyens du Nord de se rendre en Belgique. Que répondez-vous, madame de Hennezel, aux personnes désespérées qui demandent de l’aide ?
Mme Monique Iborra (RE). La loi prévoit la mise en œuvre d’un plan personnalisé d’accompagnement et la création de maisons d’accompagnement. Ces innovations sont-elles bienvenues ?
Pensez-vous que le projet de loi garantisse le choix des personnes en fin de vie, y compris celui de la demande d’aide à mourir, alors que les directives anticipées y sont très peu sollicitées ?
M. Julien Odoul (RN). Quelles sont selon vous, monsieur Gomas, les conséquences de la législation belge ou luxembourgeoise sur la fin de vie des personnes ? Quelle est la qualité des soins palliatifs et de l’accès aux soins palliatifs dans ces pays ? Quel est le positionnement des soignants en Belgique vis-à-vis de l’euthanasie ?
M. Christophe Bentz (RN). Les exemples de la Belgique et des Pays-Bas ne devraient-ils pas nous pousser à légiférer de manière extrêmement prudente ?
M. René Pilato (LFI - NUPES). Si nous supprimons la notion de court ou moyen terme, cela signifie que la demande d’une personne qui remplit les cinq critères est accordée dès que sa maladie est diagnostiquée. Le patient peut demander à mourir dès qu’il ne supporte plus ses souffrances : madame Lombard, cette démarche vous paraît-elle sensée ?
M. Philippe Vigier (LR). La loi Claeys-Leonetti couvre-t-elle toutes les situations ? Que faudrait-il faire pour l’améliorer ?
Madame Touraine, devons-nous demander que les directives anticipées soient inscrites obligatoirement dans le dossier médical ? Que dites-vous sur la protection des soignants ?
Comment améliorer la collégialité de la décision par rapport à ce qui est écrit dans le texte actuel ?
M. François Gernigon (HOR). La souffrance n’est pas du tout réfractaire chez les personnes en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Comment pensez-vous, madame de Hennezel, qu’ils puissent demander l’aide à mourir ?
Madame Touraine, considérez-vous que le fait qu’une personne ait demandé à mourir, avant de perdre ses facultés, constitue une directive anticipée ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Nous considérons que le patient doit être au cœur du dispositif, et qu’il est le seul à pouvoir déterminer le terme de la soutenabilité de la douleur. Cela appelle-t-il des remarques parmi ceux d’entre vous qui ne sont pas d’accord ?
Verriez-vous un inconvénient à ce que l’on recoure aux directives assistées dans le cas où le patient ne peut s’exprimer ?
Ne pas intégrer les maladies neurodégénératives ne reviendrait-il pas à faire une loi a minima ?
Mme Annie Vidal (RE). Pourrait-on considérer que le pronostic vital à moyen terme est engagé dans le cas d’une personne très âgée porteuse d’une ou plusieurs pathologies chroniques ?
Pensez-vous opportun que le médecin doive, pour prendre sa décision, recueillir l’avis du proche aidant qui devra accomplir le geste fatal ?
M. Gilles Le Gendre (RE). Tout en gardant les quatre autres critères, ne pourrait‑on pas imaginer que les directives anticipées devraient avoir été écrites suffisamment récemment ? Un tiers de confiance spécifiquement dédié à cette décision de l’aide à mourir ne permettrait-il pas d’améliorer le dispositif ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous pouvons craindre l’ouverture de la loi à de nouvelles catégories d’âge ou à des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé. Pouvez-vous nous proposer des garanties solides pour éviter que cette brèche ne s’agrandisse voire ne dérive ?
Ne devons-nous pas nous limiter à une dépénalisation de l’aide à mourir pour les médecins ?
Ma seconde proposition serait de mettre en œuvre un meilleur encadrement pour ne pas laisser les médecins prendre seuls cette décision, qui pourrait être actée par un juge ayant recueilli l’avis du collège des soignants.
M. Jérôme Guedj (SOC). Pensez-vous, madame Carrère d’Encausse, que l’exercice de la clause de conscience soit adossé à une obligation pour le médecin réticent de trouver son pair susceptible de le remplacer ?
Mme Marie de Hennezel. Je pense en effet que le rendez-vous fixe peut être très contraignant.
J’ai été la psychologue de la première unité de soins palliatifs. En dix ans, je n’ai jamais vu une personne aux prises avec des souffrances réfractaires. Les médecins étaient compétents et s’engageaient. Les soins palliatifs reposent sur l’engagement à ne pas laisser souffrir. Ils incluent la pratique de la sédation. Les équipes sont compétentes pour le faire. Ce qui me semble aberrant, c’est que des équipes hospitalières mettent en place des sédations tout en assurant une hydratation artificielle du patient.
Une personne qui se trouve dans un Ehpad n’est pas nécessairement aux prises avec une souffrance réfractaire, mais la souffrance est-elle uniquement physique ou psychologique ? Certaines personnes sont si angoissées que cette angoisse est une souffrance intolérable. Cela ne fait-il pas partie des critères ?
M. Didier Sicard. Nous sommes le pays d’Europe qui compte le plus petit nombre de directives anticipées. Celles-ci ont pour but de décider si l’on maintient les soins ou si on les arrête lorsque la personne concernée est définitivement sans connaissance. Je ne vois pas comment une personne dans un coma définitif pourrait changer d’état d’esprit. Respecter les directives anticipées dans ce cas devrait être une évidence.
Concernant la maladie de Charcot, nous avons envie de répondre aux 6 % qui ont été évoqués. Cette réponse ne met-elle pas en danger les 94 % de patients atteints de cette maladie et qui se diraient : « Il y a une loi, peut-être est-ce la meilleure solution » ?
La vraie question consiste à maintenir la liberté de ceux qui iraient en Suisse ou en Belgique tout en protégeant les personnes les plus vulnérables. Si cette loi existe, il faut qu’un ou deux de ses articles visent à cette protection.
Mme Martine Lombard. Il m’a été demandé si la demande d’une personne remplissant les cinq conditions pourrait être prise en compte de façon sensée. À mon sens, oui.
Je voudrais faire un jour une compilation de toutes les fake news qui circulent sur les pays étrangers. Theo Boer n’est pas un médecin, mais un docteur en théologie qui enseigne dans une université. Il a déclaré récemment que si les Pays-Bas avaient atteint dès 2001 le degré de qualité des soins palliatifs actuels, ils n’auraient peut-être pas eu l’idée d’adopter cette loi sur la fin de vie.
Mme Marina Carrère d’Encausse. Je ne crois pas avoir évoqué le nombre de sédations profondes effectuées ni la durée existant entre le geste réalisé et la mort du patient. J’ai indiqué qu’elle était peu pratiquée en France car très mal connue des patients, et donc peu demandée, et pas toujours acceptée par les médecins.
Je ne dis pas qu’il faille retirer le terme de pronostic vital engagé, mais il convient de ne pas inscrire un nombre précis de mois, car cela serait très compliqué à gérer.
De nombreux médecins sont demandeurs d’une double clause de conscience. Tout médecin a le droit de refuser une aide à mourir, mais il a l’obligation d’orienter le patient vers un autre praticien qui accepterait de pratiquer cette aide.
Mme Marisol Touraine. En ce qui concerne la collégialité de la décision, l’existence d’un dialogue entre les professionnels me paraît évidemment souhaitable.
Lors de l’affaire Lambert, j’ai exercé ma responsabilité de ministre, en apportant la protection fonctionnelle et politique. J’ai garanti à l’hôpital et aux soignants qu’ils seraient protégés politiquement et juridiquement.
Il ne faudrait pas que les directives anticipées deviennent le cœur du débat autour de ce projet de loi. Dès lors que la volonté a été exprimée, le fait que la personne ne soit plus en mesure de l’exprimer à nouveau vaut pour directive anticipée. L’essentiel est qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur la volonté de la personne. J’aime bien l’expression de « discussion anticipée ».
Je trouve le débat statistique un peu troublant et heurtant. On ne légifère pas toujours pour la majorité, mais parfois pour protéger les plus vulnérables. Sinon, nous n’aurions pas légiféré sur les personnes en situation de handicap. Vous n’allez pas légiférer pour imposer quoi que ce soit. Nous n’enlevons rien à personne ; nous apportons une liberté ou un droit. Si les soins palliatifs permettent à certains patients d’aller jusqu’au bout, c’est magnifique, mais il y a des personnes qui souhaitent – parce que c’est leur conception de la dignité et de leur vie – mettre fin à leur vie dans des conditions qui répondent à leur exigence philosophique. Même si vous légiférez pour quelques pourcents de Français, cette loi peut être une grande et belle loi.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie pour vos propos liminaires et pour les réponses apportées aux questions des députés.
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([1]) La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.