N° 2659
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2024
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
sur la gestion des risques naturels majeurs
dans les territoires d’outre‑mer,
Président
M. Mansour Kamardine
Rapporteur
M. Guillaume Vuilletet
Députés
——
TOME 2
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Voir les numéros : 1714 rect et 1899.
La commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre‑mer, est composée de :
– M. Mansour Kamardine, président ;
– M. Guillaume Vuilletet, rapporteur ;
– M. Christian Baptiste, M. Xavier Batut, M. Bruno Millienne, Mme Sophie Panonacle, vice‑présidents ;
– Mme Maud Petit, M. Julien Rancoule, Mme Cécile Rilhac, Mme Huguette Tiegna, secrétaires ;
– Mme Nathalie Bassire, M. Elie Califer, Mme Annick Cousin, M. Dominique Da Silva (jusqu’au 20 décembre 2023), M. Sébastien Delogu (jusqu’au 16 janvier 2024), M. Philippe Dunoyer (à compter du 21 décembre 2023 jusqu’au 24 mai 2024), Mme Olga Givernet, M. Claire Guichard (jusqu’au 20 décembre 2023 et à compter du 25 mai 2024), Mme Florence Goulet, M. Frantz Gumbs, Mme Mathilde Hignet (jusqu’au 16 janvier 2024), M. Marc Le Fur, Mme Joëlle Mélin, M. Nicolas Metzdorf (à compter du 21 décembre 2023 jusqu’au 24 mai 2024), M. Marcellin Nadeau, M. Jean‑Philippe Nilor (jusqu’au 16 janvier 2024), Mme Béatrice Piron (jusqu’au 20 décembre 2023 et à compter du 25 mai 2024), Mme Sandrine Rousseau, Mme Anaïs Sabatini, Mme Laetitia Saint‑Paul (à compter du 21 décembre 2023), M. Raphaël Schellenberger, Mme Ersilia Soudais (jusqu’au 16 janvier 2024), M. David Valence.
– 1 –
SOMMAIRE
___
Pages
comptes rendus des auditions menées par lA commission d’enquête
11. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des opérateurs de réseau (lundi 12 février 2024)
25. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Guadeloupe – Volet État (29 février 2024)
26. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Martinique – Volet État (4 mars 2024)
27. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Martinique – Volet élus et associatifs (4 mars 2024)
28. Table ronde, ouverte à la presse, consacrée à la Guyane (7 mars 2024)
29. Table ronde, ouverte à la presse, des Forces armées (11 mars 2024)
31. Audition, ouverte à la presse, des syndicats de Météo‑France (11 mars 2024)
32. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Polynésie française – Volet État (11 mars 2024)
34. Table ronde, ouverte à la presse, d’associations d’élus (14 mars 2024)
37. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Nouvelle‑Calédonie – Volet État (18 mars 2024)
41. Table ronde, ouverte à la presse, sur Saint‑Pierre‑et‑Miquelon (21 mars 2024)
– 1 –
comptes rendus des auditions
menées par lA commission d’enquête
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête.
Les enregistrements vidéo des auditions ouvertes à la presse sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://videos.assemblee-nationale.fr/commissions
– 1 –
1. Audition, ouverte à la presse, de M. Gonéri Le Cozannet, direction risques et prévention, Unité risques côtiers et changement climatique, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et, Mme Annamaria Lammel, Professeur émérite à l’Université Paris 8, directrice de recherche au laboratoire Paragraphe (EA 3898), membres du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC groupe 2) (1er février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous ouvrons les travaux de notre commission d’enquête par une série d’auditions sur les éclairages scientifiques concernant les risques naturels majeurs dans les outre-mer et l’impact du dérèglement climatique.
Nous auditionnons tout d’abord deux membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), créé en 1988 en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio‑économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et son enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Elle fera également l’objet d’un compte rendu.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Annamaria Lammel et M. Gonéri Le Cozannet prêtent successivement serment.)
M. Gonéri Le Cozannet, direction risques et prévention, unité risques côtiers et changement climatique, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Nous vous avons communiqué des documents et de premières réponses écrites à votre questionnaire.
Tout d’abord, nous ne sommes pas membres du Giec : les membres du Giec, ce sont les États. Nous sommes des coauteurs du sixième rapport du Giec.
Le mandat du Giec est d’évaluer l’information scientifique, technique, sociale et économique pertinente pour comprendre le changement climatique, ses impacts potentiels et les moyens de s’y adapter et de l’atténuer. Son rôle est d’être exhaustif, objectif, transparent, rigoureux, robuste et non prescriptif.
Je peux en témoigner, aucune phrase du rapport n’a été écrite par un seul auteur : chaque phrase a été rerédigée quatre, cinq ou six fois par des groupes d’auteurs, appuyés par des auteurs contributeurs. Dans notre groupe, il y avait 270 coauteurs du Giec, spécialistes, soutenus par 720 autres scientifiques. Parmi les milliers de pages du rapport, chaque mot est pesé.
Les rapports du Giec s’adressent aux États ; on trouve dans le rapport un résumé aux décideurs qui est relu et approuvé ligne par ligne par les gouvernements. Comme les destinataires sont les États dans leurs négociations internationales, le texte ne contient pas nécessairement l’information très précise sur les territoires ou les départements d’outre-mer français que vous nous demandez dans votre questionnaire. L’objet d’étude est plus large : il s’agit de grandes régions. Vous verrez donc que, dans nos réponses, nous présentons la manière dont les aléas cycloniques, les pluies intenses, l’élévation du niveau de la mer ou les vagues de chaleur évoluent, mais à l’échelle de ces grandes régions. Vous aurez des informations plus précises par Météo‑France ou l’IPSL (Institut Pierre‑Simon Laplace).
L’objet du groupe II du Giec est d’évaluer les risques du changement climatique.
Le risque, c’est d’abord l’aléa. Vagues de chaleur, ressources en eau, inondations et impacts en cascade des perturbations du cycle de l’eau, de l’élévation du niveau de la mer, des vagues de chaleur : ces aléas s’aggravent à chaque incrément supplémentaire de changement climatique. Par exemple, un degré de réchauffement climatique entraîne 7 % d’eau supplémentaire dans l’atmosphère, qui a tendance à retomber sous forme de pluies intenses.
Mais le rapport du Giec évalue également la vulnérabilité des personnes et des écosystèmes exposés, ainsi que leur exposition. Ces paramètres sont en train de s’aggraver à l’échelle globale – pression croissante sur les terres, expansion urbaine. On estime que 3 à 4 milliards de personnes vivent dans des contextes hautement vulnérables, c’est-à-dire où l’accès à l’eau et à l’électricité peut être fortement compromis, ou sans les infrastructures médicales permettant de faire face à des vagues de chaleur massives. Cela concerne évidemment les pays du Sud, mais également les personnes marginalisées dans les pays du Nord et dans les outre-mer. De plus, les alertes concernant la biodiversité sont très fortes : on estime que, sur 8 millions d’espèces, 1 million est en danger d’extinction.
La réponse aux risques peut être l’atténuation du changement climatique, sa limitation aux niveaux les plus bas possible, pour que l’adaptation reste faisable. Mais on observe aussi beaucoup de maladaptation : il s’agit de toutes les mesures qui, guidées ou non par l’intention de réduire les risques, conduisent finalement à les aggraver. Typiquement, face aux vagues de chaleur, la climatisation est une solution d’adaptation, mais elle devient de la maladaptation si elle est massifiée et dépend de moyens de production d’énergie non décarbonés. Se posent enfin les problèmes des limites à l’adaptation et des financements.
Mme Annamaria Lammel, professeure émérite à l’université Paris 8, directrice de recherche au laboratoire Paragraphe. Merci de nous donner la possibilité de présenter à nouveau les derniers résultats du Giec, et même d’aller un peu plus loin, car il y a eu depuis beaucoup de recherches scientifiques qui peuvent être utiles dans le cadre de cette audition.
Malgré les efforts d’adaptation et d’atténuation, les impacts du changement climatique concernant les personnes, les écosystèmes et les infrastructures deviennent de plus en plus importants. Le Giec a élaboré différents scénarios, en fonction desquels les conséquences des catastrophes climatiques sont plus ou moins marquées.
Les territoires d’outre-mer sont extrêmement vulnérables. Par exemple, sur l’île d’Ouvéa, où j’ai eu l’occasion de travailler, on peut déjà envisager le déplacement de la population.
Comme l’a dit mon collègue, on observe souvent des formes d’adaptation néfastes que l’on peut qualifier de maladaptations, un concept très important pour le Giec. Par exemple, il ne faut pas construire un mur pour protéger la population de la montée des eaux, un problème qui se pose à Ouvéa et dans toute la région du Pacifique.
Il s’agit aussi d’une question de gestion. J’ai été auteur principal, dans les deux derniers rapports, du chapitre sur la prise de décision. Les deux fois, nous avons opté pour une gestion itérative des risques. C’est un concept très important. Comment décider de la manière de se protéger de catastrophes climatiques dans cinq ans ? Entre-temps, de nombreux éléments peuvent intervenir. Cette gestion itérative des risques relève de l’approche actuelle des systèmes complexes, c’est-à-dire qui fonctionnent en interaction, sans que l’on puisse en isoler des éléments.
Un autre concept très important est celui de nexus. Par exemple, les questions de l’eau, du climat, de l’énergie et de l’alimentation sont liées. Si les littoraux disparaissent, cela va provoquer des problèmes au niveau de la nutrition, de la pêche, etc. Beaucoup d’études essayent de relier les recherches scientifiques concernant la biodiversité, le changement climatique et l’énergie – question primordiale.
En outre, les systèmes sont rétroactifs. On ne peut donc pas prévoir comment ils vont évoluer et on peut même s’attendre à des points de basculement qui remettront en question les décisions traditionnelles. Dans ce contexte, on envisage une adaptation transformative au lieu de petites solutions qui ne mènent nulle part – on voit que les émissions de gaz à effet de serre continuent et, en France, on évoque un plan d’adaptation à 4 degrés Celsius, ce qui signifie que toutes les petites îles des territoires d’outre-mer vont disparaître, que la mer va détruire les terres par la salinisation, comme elle le fait déjà en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. L’adaptation transformative, elle, permet de modifier les systèmes afin de sauver la vie sur terre – car c’est presque de cela qu’il s’agit.
Le Giec préconise aussi des décisions multiacteurs. Il n’est pas suffisant que le gouvernement décide : il faut intégrer à la prise de décision les scientifiques – au moins leur demander d’y contribuer –, mais aussi les populations. C’est très important pour la gestion des risques et des catastrophes naturelles en général.
Dans les territoires d’outre-mer, il y a une population d’origine autochtone ainsi que des communautés locales. C’est désormais presque une obligation d’intégrer leurs connaissances et de les faire participer à la décision. Les Iaai et les Faga vivent sur l’île d’Ouvéa depuis trois mille ans. Tous les efforts sont nécessaires pour faire face à des catastrophes naturelles qui peuvent se renforcer mutuellement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La constitution de notre commission d’enquête est passée par un vote de l’Assemblée. C’est une procédure spécifique, qui signifie que l’Assemblée dans son ensemble souhaite mettre en avant un problème qui lui semble important.
Le réchauffement climatique en tant que tel, mais aussi les risques naturels qui lui préexistent, soulèvent la question de la préparation des territoires ultramarins : ces territoires sont éloignés de l’Hexagone, ils sont souvent isolés et l’insularité en est une caractéristique permanente, même en Guyane, bordée par une sorte de mer végétale là où elle ne l’est pas par la mer tout court. Cela entraîne des défis d’anticipation des risques et de logistique. Notre République doit-elle compléter son dispositif pour se préparer à d’éventuelles catastrophes naturelles ?
Vous l’avez dit, c’est dans ces territoires que les conséquences du réchauffement peuvent être les plus grandes. Vous avez cité la pluie. Les autres risques naturels s’aggravent-ils, eux aussi ?
Considérez-vous que l’activité humaine actuelle est une cause d’aggravation ? En aménageant le territoire, en le transformant pour l’adapter aux contraintes de la vie humaine, dansons-nous sur un volcan ou bien sommes-nous suffisamment précautionneux ?
Enfin, des pratiques traditionnelles, habituelles, vous paraissent-elles permettre de mieux gérer ces évolutions et d’anticiper des risques ? Devrions-nous nous en inspirer ?
M. Gonéri Le Cozannet. Dans les outre-mer français, on observe une augmentation de l’intensité des cyclones, mais une baisse de leur fréquence. Les vents sont plus forts, donc déclenchent plus facilement le système « Cat nat », mais sont peut-être un peu moins nombreux.
Les submersions marines surviennent par des épisodes de houle australe à La Réunion ou en Polynésie, ou pendant des cyclones, mais aussi selon un nouveau mode : les submersions chroniques à marée haute, en lien avec l’élévation du niveau de la mer. Celui-ci a augmenté de 20 centimètres par rapport à 1900, augmentera encore de 20 centimètres dans les trente ou quarante prochaines années, et l’on sait que l’on dépassera 2 mètres – sans doute bien après 2100, mais cela viendra tôt ou tard. L’étude GuyaClimat a mis en évidence le lien entre un épisode survenu à Cayenne en 2020 et l’élévation du niveau de la mer. Ce n’est pas une catastrophe, mais cela crée des nuisances. Ainsi, à Pointe-à-Pitre, des événements qui ne sont pas tous liés à l’élévation du niveau de la mer, mais qui viennent aussi de problèmes de gestion de l’eau et de questions hydrogéologiques, entraînent une accumulation des eaux usées. Les submersions marines sont une urgence, citée dans le rapport du Giec.
En ce qui concerne les sécheresses, il est difficile de parler spécifiquement de la Martinique ou de la Guadeloupe, mais le rapport du Giec permet clairement d’attribuer au changement climatique la sécheresse qui a affecté les Caraïbes, notamment à l’Ouest, entre 2013 et 2016.
L’augmentation des précipitations et celle des sécheresses ont la même raison physique : une atmosphère plus chaude demande plus d’eau dans l’atmosphère, donc l’eau disponible augmente la quantité d’eau présente dans l’atmosphère, qui a tendance à retomber sous forme de pluies intenses ; mais quand il n’y a plus d’eau sur les sols, ils s’assèchent plus vite.
Enfin, on oublie toujours, parce qu’ils n’entraînent pas de catastrophes naturelles, le risque que représentent les extrêmes de chaleur, y compris les vagues de chaleur marines, à l’origine de la mortalité de masse des coraux. On estime qu’à 2 degrés de réchauffement climatique, en 2050, on perd 99 % de la couverture corallienne actuelle. Voilà pourquoi on insiste sur 1,5 degré.
S’y ajoute l’acidification des océans, qui se poursuit.
Les extrêmes de chaleur sont un risque pour la santé humaine. La partie réalisée par Météo‑France de l’étude GuyaClimat alerte : les seuils de température et d’humidité dangereux pour la vie humaine risquent d’être dépassés de plus en plus souvent. Une difficulté est due au fait que la prévision d’une plus forte chaleur va de pair avec celle d’une moindre humidité, ce qui ne permet pas d’apporter une réponse définitive pour la Guyane. Mais quand on regarde une carte globale, on voit que la région Amazonie est vraiment un hot spot s’agissant de ces dépassements.
Les séismes et les volcans ne font pas vraiment partie du sujet. Simplement, si vous avez le malheur de connaître un séisme dans un contexte de sécheresse ou de cyclone, les deux se cumulent. C’est plutôt un problème de vulnérabilité.
L’activité humaine est-elle une cause d’aggravation ? Bien sûr ; d’abord par les émissions de gaz à effet de serre, ensuite par l’occupation des sols. Il est important d’appliquer les réglementations paracycloniques. La loi ZAN (zéro artificialisation nette) va plutôt dans le bon sens pour limiter les pressions sur les terres.
Les cinq causes majeures de l’effondrement actuel des écosystèmes sont la pollution (nitrates, phosphates, pesticides, etc.), la fragmentation et la destruction de l’habitat, le changement climatique, la surexploitation des écosystèmes – par exemple, par la pêche au chalut – et les espèces invasives. Tous ces facteurs sont dus aux hommes ; ce sont eux qui ont introduit les espèces invasives, par exemple. Cela aggrave les pertes de biodiversité et les risques naturels. Or le rapport du Giec et l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) mettent en évidence le fait que nous dépendons très fortement des écosystèmes.
Mme Annamaria Lammel. On peut apprendre beaucoup des populations locales, puisqu’elles ont été suffisamment capables de gérer leur milieu et ses ressources pour survivre pendant des milliers d’années. En Guyane française, les populations autochtones essayent de sauver les tortues marines, qui sont en voie de disparition. En Nouvelle-Calédonie, la population kanak se considère comme descendant des plantes et des animaux, avec lesquels elle a une relation très forte. Il existe les tribus de la terre et les tribus de la mer, et, pour celles-ci, leur terre est la mer. Les jeunes participent beaucoup à la replantation des forêts, très vulnérables face aux feux, lesquels sont dus aux tentatives de chasser les espèces invasives introduites par la population européenne – le problème est que tout est lié. Il est très utile d’intégrer les populations autochtones dans les analyses de la situation et l’établissement des objectifs. Cela peut même être un levier pour des décisions couronnées de succès. On parle désormais de coconstruction des connaissances avec ces populations.
M. Frantz Gumbs (Dem). Je suis député de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, îles surtout connues en France en raison du cyclone Irma, en 2017. Les territoires ultramarins sont géographiquement très dispersés, et les risques naturels auxquels ils sont exposés sont très divers. Une hiérarchisation des risques est-elle possible ? Ou bien tout est-il urgent ? Quel niveau de peur devons-nous avoir ?
M. Gonéri Le Cozannet. Ce n’est pas une question facile !
Le rapport du Giec insiste plutôt sur l’urgence en matière de gestion de l’eau, de sécheresse, de pluies intenses, d’extrêmes de température. La montée du niveau des mers est en revanche progressive.
Chaque phénomène, surtout s’il est très intense, peut en entraîner d’autres, en cascade : des mouvements de terrain, par exemple. Ceux-ci ne sont pas vraiment évalués dans le rapport du Giec. Nous manquons d’informations à leur sujet ; il y a des études à faire. C’est pourtant certainement un sujet important, si l’on pense à la route des mamelles en Guadeloupe, par exemple.
Il est difficile de comprendre le caractère graduel du changement climatique : certains événements sont peu fréquents, mais très destructeurs quand ils surviennent. Vous citiez le cyclone Irma. À l’inverse, les îles Tuamotu n’en ont pas connu depuis 1983 : cela deviendra une question urgente le jour où il arrivera… Sera-t-on prêt ? Il y a eu des efforts pour construire des abris. Je précise que je n’ai aucune information particulière sur le rôle du changement climatique dans la survenue d’Irma. De la même façon, les submersions marines ne posent pas problème jusqu’au jour où il y a une catastrophe, qui coûte des milliards d’euros.
Si je devais tenter d’établir une hiérarchie, je citerai donc les risques clés cités dans le rapport du Giec : vagues de chaleur, sécheresses, pluies intenses, risques pour la biodiversité, risques en cascade qui en découlent. Nous sous-estimons notre dépendance vis-à-vis des écosystèmes et des bénéfices qu’ils nous apportent quant à la qualité de l’eau, à nos moyens de subsistance, au tourisme même : la santé des écosystèmes est une urgence.
Mme Sophie Panonacle (RE). Je suis présidente du Comité national du trait de côte, qui rassemble l’ensemble des acteurs publics, privés ou associatifs pour parler d’un sujet que vous n’avez pas cité : l’érosion côtière. Je regrette que l’adaptation ait pris beaucoup de retard. Vous avez parlé de formes d’adaptation néfastes : pouvez-vous développer, notamment en lien avec l’érosion ?
Sur nos littoraux, nous devons tout réinventer : une nouvelle économie, une nouvelle urbanisation, un nouveau tourisme. Vous avez aussi abordé l’idée d’adaptation transformative. Pouvez-vous aller plus loin ?
Enfin, la culture du risque est-elle suffisamment développée ? Peut-elle permettre une meilleure réactivité des populations ?
M. Gonéri Le Cozannet. Un exemple de maladaptation est cité dans le résumé aux décideurs du rapport du Giec : pour répondre à l’élévation du niveau des mers, on peut être tenté d’artificialiser les côtes, en installant des digues un peu partout. Cela détruirait tous les écosystèmes intertidaux et ne fonctionnerait pas. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire de digues : il y a évidemment des endroits où la protection est indispensable. Mais il faut les construire avec suffisamment de discernement pour préserver les écosystèmes.
La maladaptation ne concerne pas seulement les actions qui visent à réduire les risques ; elle désigne aussi des aménagements peu favorables. Les vagues de chaleur posent ainsi un problème d’urbanisme : il faut favoriser la végétation, réaménager l’espace public de façon à limiter la chaleur urbaine. On ne le fait pas partout aujourd’hui : je pourrais vous citer des villes où la seule préoccupation lorsqu’on réaménage une rue est de dégager davantage de places de parking.
J’ai travaillé quinze ans sur l’érosion, mais je ne l’ai pas citée parce que ce n’est pas un risque clef identifié par le rapport du Giec. Celui-ci met en avant les submersions marines, dont l’impact et le coût sont bien supérieurs. Cela ne veut pas dire qu’elle est négligeable ! Mais l’élévation du niveau de la mer généralisera les problèmes d’érosion vers 2050 et au‑delà ; les problèmes de submersions marines, c’est tout de suite.
S’agissant de l’adaptation transformationnelle, les meilleurs exemples concernent le nexus « eau, alimentation, agriculture ». Aujourd’hui, l’agriculture exerce sur les écosystèmes des pressions qui ne sont pas tenables à long terme, par l’utilisation de nitrates, de phosphates et autres pesticides. Elle est également responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Il faut donc agir sur la demande – c’est souvent de cette façon que l’on arrive à une adaptation transformationnelle ; en l’occurrence, cela veut dire agir sur l’alimentation, notamment sur la consommation de viande.
En ce qui concerne le trait de côte, je n’ai pas d’exemple frappant d’adaptation transformationnelle à vous proposer. Il y a même un débat sur son existence même : dans la littérature scientifique, certains considèrent que, sur les côtes, il n’y a jamais eu que des transformations incrémentales. Pourtant, en Europe, nous avons vraiment transformé nos côtes, en construisant des digues par exemple.
Mme Annamaria Lammel. L’adaptation transformationnelle est devant nous ; on en voit les prémices dans la transformation de nos systèmes énergétiques et de nos systèmes d’alimentation : nous essayons de manger de plus en plus de légumes, on crée de la viande artificielle. Les avancées sont déjà bien réelles. Mais ces transformations doivent être conscientes et appuyées par les décideurs. C’est de cette façon que nous provoquerons des changements fondamentaux – on peut l’espérer pour la production d’énergie, par exemple.
Le terme d’adaptation transformative a aussi un autre sens : il désigne aussi le moment où des gens doivent quitter le lieu où ils vivent parce qu’il est devenu inhabitable. Ils vont alors commencer une vie complètement différente.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’étais ce matin au colloque « Les outre-mer aux avant-postes » organisé par le journal Le Point à l’Institut océanographique. Gérald Darmanin y a parlé de Mayotte, mais aussi d’Ouvéa et de Miquelon – qu’il va falloir déménager.
Sait-on estimer la perte d’autonomie alimentaire d’un territoire provoquée par le changement climatique ? C’est là un des enjeux majeurs pour les économies ultramarines. Quelles sont notamment les répercussions de la salinisation ?
L’une des solutions envisagées pour résoudre la crise de l’eau à Mayotte est la construction de la troisième retenue collinaire. Est-ce, à votre sens, une réponse adaptée aux changements entraînés par le réchauffement climatique ?
M. Gonéri Le Cozannet. La relocalisation du village de Miquelon est souvent citée comme un exemple de transformation pour le littoral, je n’ai étonnamment pas pensé à le dire. Une thèse vient d’être soutenue sur ce sujet, celle de Xenia Philippenko. C’est à ce stade un projet.
Il y a une solution dont nous aurons besoin et qui va se développer, notamment en Méditerranée : celle de la désalinisation. Le Giec lance néanmoins deux alertes à ce sujet. D’une part, que faire des saumures ? Elles risquent d’abîmer les milieux naturels. D’autre part, quelle est la source d’énergie utilisée pour désaliniser l’eau ? Est-elle décarbonée ? Pour que la désalinisation ne soit pas une maladaptation, elle doit être décarbonée et veiller à la préservation des écosystèmes. Les décisions prises dans l’urgence et qui dérogent aux réglementations environnementales ne sont souvent pas les bonnes.
Quant à la retenue collinaire, le Giec ne s’y oppose pas – il n’est, de toute façon, pas prescriptif. Mais il souligne que la quantité d’eau reçue est limitée, et que la création de nouveaux sites de stockage peut aggraver la dépendance à l’eau. Il y aura plus de stockages d’eau, c’est clair, et il faut résoudre la crise à Mayotte. Mais la demande en eau doit être gérée de façon à être soutenable y compris pendant des périodes de sécheresse qui peuvent durer plusieurs années. Une approche globale, qui intègre notamment la demande en eau, est donc indispensable.
J’en viens à la salinisation. Elle a des effets dans les territoires outre-mer : on connaît des intrusions salines dans les aquifères en Polynésie, d’autant plus que l’eau est utilisée comme ressource et pompée ; il existe aussi des exemples en Guadeloupe. Je ne suis pas certain, mais je ne suis pas spécialiste du sujet, que cela pose déjà des problèmes à des cultures vivrières sur ces sites.
En revanche, il y a de la littérature scientifique sur le fait que les territoires d’outre-mer comme les États insulaires sont dépendants de l’extérieur – je vous renvoie au chapitre 15 du sixième rapport du Giec. Pour demeurer habitables, ces sites doivent rester connectés à l’extérieur. Le Giec examine cinq scénarios socio-économiques : deux compromettent potentiellement ce type d’échanges : les SSP3 et SSP4 (Shared Socio-Economic Pathways), où l’on constate notamment une augmentation des inégalités entre régions. Dans les SSP1 et SSP5, il continue d’y avoir beaucoup d’échanges internationaux ; la question est celle de leur réalisme. Beaucoup de gens contestent ces scénarios, les considèrent comme virtuels et estiment qu’il faudrait estimer de façon claire la trajectoire de la sobriété. En ignorant cette question, on crée un besoin en capture atmosphérique du CO2 qui est dément dès les années 2030 ou 2040. Au vu de la faiblesse de l’action en faveur de l’atténuation du changement climatique, il faudrait certainement se pencher sur d’autres scénarios, y compris certains où les échanges internationaux seraient fortement compromis – ce qui pourrait poser problème à ces territoires.
M. le président Mansour Kamardine. À Mayotte, nous avons assisté à la naissance d’un volcan, qui a provoqué une subsidence importante. Quels sont les risques ?
M. Gonéri Le Cozannet. Il y a une équipe de géodésistes qui s’intéresse à ces mouvements. C’est très clair : la partie Ouest de l’île a connu un affaissement de 20 centimètres en deux ans, la partie Est étant moins touchée. En l’espace de deux ans, il s’est ainsi passé à Mayotte ce qui va se passer dans tous les autres territoires d’outre-mer dans les trente prochaines années : une élévation du niveau marin de 20 centimètres.
Je ne connais pas ce terrain de façon précise mais les leçons qui seront tirées de ces événements seront très intéressantes, notamment quant à l’accessibilité des infrastructures – routes, aéroports, etc.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Le rapport du Giec fait-il apparaître des écarts de préparation entre les territoires ? Je suppose que oui. Quelles en seront les conséquences ? On parle de déménagements de villes, de cultures inondées. Cela signifie aussi qu’il y aura des mouvements de population. S’ils sont mal préparés, brusques, ils pourraient affecter même les territoires les mieux préparés.
Mme Annamaria Lammel. Il existe, malheureusement pas partout, des services climatiques à même de lancer des alertes précoces en cas de catastrophe. Les situations des territoires d’outre-mer à cet égard sont diverses. Les services météorologiques y sont moins développés et nous disposons de peu d’informations sur leur climat passé. Il est donc difficile d’établir des comparaisons. De plus, les chiffres dont nous disposons sont souvent à une échelle globale, trop importante pour identifier des problèmes locaux. On l’a vu en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Il existe donc de grandes inégalités de préparation vis‑à‑vis de futures catastrophes.
M. Gonéri Le Cozannet. Le rapport du Giec lance une alerte : on observe déjà des retards dans l’adaptation. Les États le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes. La planification commence, mais l’action tarde.
Cette impréparation entraînera des morts, des pertes économiques, voire pire. La quantification exacte est difficile. On peut dire, par exemple, que 1,7 milliard de personnes dans le monde seront exposées à des températures létales en 2050. Le nombre de morts est bien plus incertain, car tout dépendra de l’adaptation.
Certaines régions peuvent devenir presque inhabitables, ce qui déclenche des mouvements de population. Le rapport du Giec insiste sur le fait que les migrations se font le plus souvent à l’intérieur d’une même région, ou entre pays d’une même région. Les mouvements internationaux sont fortement contraints par les politiques des États. Il souligne aussi que la pire forme de maladaptation, ce sont les déplacements involontaires, forcés, par exemple sous l’effet d’une catastrophe. Le rapport comporte toute une section consacrée aux conflits : le réchauffement climatique favorise les conflits armés, en augmentant les tensions, mais entraîne surtout des conflits sociaux, pas forcément violents. On peut le voir à propos de la gestion de l’eau : tant que celle-ci se concentrera essentiellement sur l’offre, et qu’il n’y aura pas davantage de concertation à propos de la demande, on favorisera les conflits. C’est d’autant plus vrai que la motivation des gens qui s’opposent à une adaptation très orientée vers l’offre, vers la technologie, c’est la faiblesse de l’action des gouvernements en faveur du climat. Je vous renvoie au chapitre 18 du rapport du Giec, qui prévoit une augmentation de ces conflits.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). À La Réunion, nous venons d’être touchés par un cyclone. Ceux-ci sont moins fréquents ces dernières années, mais les pluies sont très intenses, même si cela n’a pas été le cas cette fois-ci. Depuis une dizaine de jours, nous constatons une accentuation des pluies, due au phénomène El Niño, notamment dans la partie Ouest de l’île.
Vous avez évoqué le rôle central de la biodiversité. Nous connaissons une invasion d’espèces exotiques, qui détruisent notre biodiversité : est-il encore possible de retourner la situation ?
Il est de plus en plus souvent question de la canicule marine, qui affecte la biodiversité marine. Le Giec s’est-il penché sur ce sujet ?
Comment notre île peut-elle participer à la lutte contre le changement climatique ?
Mme Annamaria Lammel. Les phénomènes météorologiques que vous évoquez constituent un risque pour la santé, voire pour la vie. Le rapport du Giec a identifié environ 350 risques de base, regroupés en douze grandes catégories, dont la santé. L’augmentation des températures provoque en effet une augmentation de la mortalité ; l’élévation du niveau de la mer entraîne des déplacements de population. Il faut donc s’intéresser à l’adaptation pour faire face à ces risques, de famine, de guerre pour l’eau, etc.
M. Gonéri Le Cozannet. En ce qui concerne les canicules marines, le rapport du Giec porte surtout sur le phénomène El Niño de 2016, qui a concerné la région qui va des Maldives à l’Ouest du Pacifique, ainsi que sur la Méditerranée. Je n’ai pas en tête d’éléments concernant l’océan Indien. Les conséquences des canicules marines sont partout les mêmes : au-delà d’une température de 31 degrés, les coraux disparaissent, par exemple.
S’agissant des invasions d’espèces exotiques et des maladies, il y a une alerte notamment à propos de la dengue. Cela ne concerne d’ailleurs pas les seuls outre-mer, puisque ceux-ci sont bien connectés à la métropole. Les maladies peuvent donc se propager jusqu’en Europe.
Que peut faire La Réunion ? Dès lors qu’il faut atteindre un niveau de zéro émission nette, c’est-à-dire ne pas émettre plus de CO2 que ce que peuvent absorber les écosystèmes et les technologies que nous installerons, tout le monde est concerné : le fait d’être petit à l’échelle du monde n’autorise pas l’inaction. Dans les territoires ultramarins, les enjeux sont complexes et souvent différents de ceux de la métropole, par exemple pour la production d’électricité. Mais en démontrant que l’on est capable d’agir sur un territoire insulaire, on enverrait un message positif à tout le monde. Tous les efforts sont donc positifs.
S’agissant des risques que comportent les interactions entre les régions, et donc des risques de propagation de catastrophes d’une région à l’autre, il y a quatre vecteurs : on vient d’évoquer la transmission humaine, la maladie ; on a évoqué aussi la sécurité alimentaire ; il y a enfin les risques financiers et assurantiels. Nos collègues du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) travaillent sur ces questions, qui sont source d’inquiétudes : il n’y a pas de projections précises, mais on sait que des submersions marines aggravées par l’élévation du niveau de la mer dans la deuxième partie du XXIe siècle peuvent créer des chocs systémiques aussi sur le système financier.
M. Frantz Gumbs (Dem). À l’échelle du changement climatique, les hommes ont la mémoire courte. Et quel que soit le savoir que l’on acquiert, c’est surtout l’expérience qui donne la connaissance profonde des phénomènes. Un jeune qui n’a jamais vu un cyclone a souvent presque envie d’en voir un ; ceux qui l’ont vu une fois prient pour ne pas en voir un autre.
Comment maintenir dans la mémoire vive des populations les dangers que vous nous exposez ? Comment cultiver la culture du risque ? Est-ce le rôle de l’école, des gouvernements, des scientifiques, des médias ?
Mme Annamaria Lammel. Jusqu’à présent, nous avons parlé de politiques à mener ; voici une question qui concerne l’individu. Vous avez raison, nos études montrent que les individus ont la mémoire courte pour ce qui est du climat. Nous avons ainsi pu constater que la canicule de 2003 à Paris, qui a entraîné de nombreux décès, avait été vite oubliée. L’hiver, les gens sont moins inquiets du réchauffement climatique et en oublient la réalité et le danger.
L’expérience est importante ; à Paris, on se sent bien mieux protégé qu’à Ouvéa.
La communication est donc essentielle, comme l’éducation dès le plus jeune âge. Il est essentiel de préparer la jeunesse.
2. Audition, ouverte à la presse, de MM. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et Frédéric Ménard, conseiller scientifique outre‑mer (1er février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous accueillons en visioconférence deux représentants de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dont le siège est à Marseille.
Établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), l’IRD est placé sous la double tutelle du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche et de celui chargé des affaires étrangères. Son site internet indique qu’il se situe à l’avant-garde de « la science de la durabilité », puisque ses recherches trouvent d’abord leur source dans la confrontation aux problèmes du monde réel, des écosystèmes et des sociétés. Cette commission d’enquête s’intéresse plus particulièrement aux vulnérabilités écologiques et aux risques naturels.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Messieurs, avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, je vous invite à vous conformer à la prescription de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, selon laquelle les personnes auditionnées par une commission d’enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Charvis et M. Frédéric Ménard prêtent successivement serment.)
M. Philippe Charvis, directeur délégué à la science. L’IRD, qui a 80 ans cette année, a développé un modèle original de partenariat scientifique, basé sur l’équité. Nous travaillons principalement dans les zones méditerranéenne et intertropicale, comprenant l’outre-mer. L’IRD compte 2 260 agents, répartis dans quatre-vingts unités mixtes de recherche avec des universités françaises, y compris en outre-mer, et d’autres organismes, au premier rang desquels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; il est également présent dans une cinquantaine de pays du Sud.
Cet organisme développe des recherches interdisciplinaires, avec une approche en science de la durabilité, sur des sujets très variés : comprendre les changements globaux, limiter les risques pour les populations, préserver la biodiversité des écosystèmes tropicaux, gérer les ressources, améliorer la santé des populations, comprendre la dynamique des sociétés.
M. Frédéric Ménard, conseiller scientifique sur l’outre-mer. Je suis le conseiller scientifique pour l’outre-mer auprès de la PDG de l’IRD, Valérie Verdier. L’IRD présente la particularité d’être implanté dans les outre-mer de la zone intertropicale des trois océans. Il existe, depuis plus de soixante-dix ans, des chantiers scientifiques en Nouvelle-Calédonie et en Guyane. Le fort ancrage de l’Institut dans les territoires d’outre-mer se déploie autour de quatre représentations : en Nouvelle-Calédonie, avec compétence sur Wallis-et-Futuna ; en Polynésie française ; à La Réunion, avec compétence sur Mayotte et sur les îles Éparses ; en Guyane française. Environ 200 agents sont affectés dans les territoires d’outre-mer, certains étant mieux lotis que d’autres.
Les territoires d’outre-mer concentrent des enjeux planétaires et des grands défis sociétaux. Ils contribuent très peu aux causes, mais sont fortement vulnérables aux conséquences du changement climatique et aux risques naturels. L’IRD ambitionne d’être un acteur majeur de l’enseignement supérieur et de la recherche dans les outre-mer. Par la recherche et par le renforcement des capacités, il entend contribuer au développement des sociétés de ces territoires. Il souhaite travailler à la résilience territoriale, en coconstruisant, avec les acteurs locaux, un projet qui réponde aux enjeux liés aux changements planétaires, y compris les risques climatiques et environnementaux.
M. le président Mansour Kamardine. Souhaitez-vous tenir un propos introductif général avant que nous ne vous posions des questions ?
M. Philippe Charvis. Le questionnaire que vous nous avez soumis couvre tout à fait les points majeurs de la problématique des risques naturels dans les outre-mer français, qui présente un certain nombre de particularités, parmi lesquelles la vulnérabilité des populations.
M. le président Mansour Kamardine. Lorsque vous avez évoqué les différentes structures de l’IRD en outre-mer, vous n’avez pas mentionné les Antilles.
M. Frédéric Ménard. Tout à fait. Historiquement, l’IRD a mené des activités scientifiques aux Antilles, mais y est actuellement très peu présent et n’y a pas de représentation. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas d’activité sur ces territoires – nous travaillons d’ailleurs beaucoup sur les sargasses. Une réflexion est en cours, et nous nous rendrons aux Antilles prochainement, afin d’en discuter avec d’autres organismes nationaux de recherche, comme le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Votre connaissance des conséquences potentielles des risques associés aux risques naturels est précieuse. Considérez-vous que nos territoires ultramarins sont bien préparés à ces conséquences ? Qu’en est-il de ceux qui les jouxtent ? Il y a probablement des différences entre eux. Sur une zone géographique plus large que notre territoire, comment seraient gérées les conséquences d’un désordre majeur, en termes de mouvements de population, de solidarité, d’intervention des acteurs publics ?
M. Philippe Charvis. Cette question appelle des réponses différentes selon les aléas et les territoires considérés. De multiples risques sont susceptibles de toucher nos territoires d’outre-mer : le risque sismique peut concerner les Antilles, mais aussi La Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie ; le risque volcanique peut menacer La Réunion ou les Antilles ; le risque de tsunami est plus particulièrement susceptible d’atteindre les territoires dans le Pacifique, mais aussi aux Antilles.
Les niveaux de réponse sont donc différents, avec un certain nombre de dispositifs spécifiques. Des observatoires volcanologiques, coordonnés par l’Institut de physique du Globe de Paris (IPGP), sont installés à La Réunion et aux Antilles pour répondre aux phénomènes volcaniques. Le risque sismique se présente différemment aux Antilles, où c’est également l’IPGP qui gère, et dans le Pacifique, où l’IRD est davantage présent, avec des risques associés de tsunami principalement en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Loyauté. Un réseau d’observation est déployé au niveau local, sur le territoire de Nouvelle-Calédonie, et au niveau régional, à l’échelle du Pacifique, mais ce dispositif demeure insuffisant. En Nouvelle-Calédonie, faute d’une cartographie suffisante des risques comportant un zonage sismique et des données topographiques, il est difficile de cartographier le risque de tsunami et d’avoir une idée plus précise des hauteurs des vagues potentielles. On ne peut pas non plus appliquer de manière fiable les règles de construction parasismiques européennes. Une telle cartographie serait par ailleurs utile pour prévoir des chemins d’évacuation, des zones refuges en cas de tsunami. Si l’IRD est associé aux services territoriaux du risque, il ne dispose pas des mêmes équipements ou ressources humaines que d’autres organismes, comme Météo‑France, lui permettant de déployer des activités de surveillance et d’alerte.
M. Frédéric Ménard. Les territoires sont-ils prêts ? Oui et non. Oui, si l’on considère l’efficacité des mesures de prévention mises en œuvre, par exemple lors du cyclone Belal. Elles ont permis d’éviter une mortalité importante – il y a eu un décès –, mais pas de réduire les problèmes de destruction. Non, parce que nous sommes le plus souvent dans une posture de réaction, au lieu d’adopter une stratégie d’adaptation pour prévenir les risques. Or, la science l’indique clairement, les risques naturels vont augmenter en intensité.
La mise en place d’une politique d’adaptation revêt un caractère urgent, notamment pour les zones littorales. La plupart des territoires outre-mer sont insulaires, hormis la Guyane, que son littoral expose néanmoins à des aléas extrêmement dangereux. Comment aménager ces territoires pour tenir compte des vulnérabilités ? Comment restaurer les milieux naturels, qui, tels les mangroves et les récifs coralliens, jouent souvent un rôle de tampon contre les aléas climatiques ? Des écosystèmes en bonne santé sont des garants dans la lutte contre les aléas climatiques, la science nous le dit aussi.
Elle travaille également beaucoup sur les moyens de développer et d’implémenter des solutions basées sur la nature. Grâce à un PEPR (programme et équipement prioritaire de recherche), piloté notamment par le CNRS et appelé SOLU-BIOD, nous disposons d’un outil important pour mettre en valeur de telles solutions afin de rendre nos territoires plus résilients – par exemple, en traitant la déforestation.
Enfin, nos territoires d’outre-mer s’inscrivent dans des bassins, qu’ils constituent avec d’autres pays ; lorsqu’ils subissent des événements, ceux-ci sont régionaux. Ainsi, le cyclone Belal a également touché l’île Maurice où il a fait bien plus de dégâts qu’à La Réunion. On voit là tout l’intérêt qu’il y aurait à ce que l’IRD construise des partenariats régionaux dans les bassins de nos territoires d’outre-mer de façon à organiser la solidarité. Bien souvent, en effet, nos territoires sont les plus riches de leur zone, chacune présentant des niveaux de développement différents.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Quel retour d’expérience faites-vous sur des événements tels que Belal ou, précédemment, Irma, à la fois sur nos territoires et leur voisinage ?
M. Frédéric Ménard. Le domaine de l’IRD est vraiment celui de la recherche, en coopération, en renforcement de capacités, pas celui de l’alerte comme peut le faire Météo‑France, qui dispose d’un service vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En revanche, du fait que l’activité de recherche s’effectue en amont, elle permet de fournir des connaissances, des données, des indicateurs et de l’expertise, à des fins d’interprétation. L’enjeu, pour l’IRD, c’est de mieux articuler les informations issues de la recherche afin d’éclairer le décideur et de lui donner les éléments nécessaires à une prise de décision, à un moment tendu mais aussi en amont, pour développer des stratégies d’adaptation permettant de ne pas être en position de réaction, de façon à réduire la dangerosité d’aléas dont l’intensité va croissant.
M. Philippe Charvis. Il y a deux types de retours d’expérience. D’un point de vue strictement scientifique, nous travaillons à des modélisations numériques par lesquelles nous essayons d’anticiper les phénomènes. Par exemple, s’agissant des cyclones, les données nouvelles enregistrées lors d’un épisode cyclonique servent ensuite à améliorer les modèles. Du point de vue de la gestion de crise, qui est plutôt du ressort des services spécialisés, l’IRD n’est pas en première ligne, mais peut participer aux retours d’expérience. L’exemple récent du cyclone Belal est à cet égard assez emblématique. Même si Météo‑France, localement en charge de l’observation et de la prévision, a transmis les informations aussi bien à Maurice qu’à La Réunion, les dégâts ont été beaucoup plus importants à Maurice en raison d’un système d’alerte opérationnel très différent. À La Réunion, l’alerte violette, excluant toute sortie, y compris celle des secours, s’est révélée beaucoup plus efficace. Ce retour d’expérience a donc mis en évidence l’importance de la dimension opérationnelle pour limiter les dégâts et les décès.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). À l’exception de la journée d’hier, depuis une dizaine de jours, il pleut tous les jours à La Réunion. Ces pluies diluviennes causent davantage de dégâts que le cyclone Belal, et je m’inquiète car le soleil n’est pas annoncé.
J’aimerais connaître le degré d’implication de l’IRD dans les projets des collectivités locales ultramarines. Jouez-vous un rôle de conseil ? Est-il susceptible d’être renforcé ? Les projets ne semblent pas toujours accorder suffisamment d’attention au changement climatique ou à la destruction de la biodiversité. Plutôt que de parler de reconstruction de la biodiversité, mieux vaudrait s’attacher à maintenir ce que nous avons en l’état. Quel est votre point de vue sur ces questions ? L’IRD a-t-il la possibilité, voire l’habitude, d’intervenir ?
M. Frédéric Ménard. L’IRD est un institut de recherche, qui tente de mieux comprendre les processus physiques des aléas naturels, afin de mieux prédire ceux-ci. Les modèles mécanistes visent à améliorer les prévisions, sachant qu’il est impossible d’éliminer toute incertitude. Il existe encore de nombreux verrous, dont la levée exige de donner du temps au travail scientifique ; celui-ci sera d’autant plus efficace qu’il pourra étudier des cas nombreux et variés.
Il importe de pouvoir éclairer les décideurs des politiques publiques locales. Pour ce faire, il convient de renforcer les capacités des services des collectivités territoriales et de l’État en recrutant des scientifiques qui feront le lien avec des équipes de recherche du CNRS, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et de l’IRD pour travailler sur des projets. Il manque en effet, entre la science et les pouvoirs publics, un maillon de « digestion » de l’information scientifique, ce qui réduit la portée de cette dernière pour les pouvoirs publics et les responsables opérationnels.
M. Philippe Charvis. L’IRD négocie actuellement avec la région La Réunion un contrat pluriannuel d’objectifs, de moyens et de performance ; nous avons récemment accueilli un élu pour échanger avec lui. Nous nous inscrivons dans une démarche de construction avec la région et notre premier partenaire, l’université, afin de concevoir des programmes répondant aux priorités définies par ces deux acteurs – les sujets ne concernent d’ailleurs pas seulement les risques et touchent, par exemple, aux questions relatives à la santé.
Comme l’a dit Frédéric Ménard, il existe un problème de compétences et de ressources humaines à différents niveaux. Nous employons en permanence des scientifiques dans ces régions. Grâce au dispositif des chaires de professeur junior (CPJ), octroyées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous allons recruter cette année des scientifiques d’un certain niveau – l’un d’entre eux sera titularisé dans un poste de directeur de recherche à l’IRD. Des postes sont ouverts cette année en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, puis à La Réunion, probablement en 2025. Nous souhaitons renforcer les compétences locales, car certains sujets ne peuvent pas se traiter depuis la métropole ; le développement des compétences locales – outre-mer et dans les pays du Sud avec lesquels nous avons signé un partenariat – fait partie de l’éthique de l’IRD.
M. Frantz Gumbs (Dem). Votre organisation suppose un haut niveau de coopération avec d’autres institutions scientifiques et universitaires, situées dans les territoires ultramarins français. Un séisme volcanique dans l’île de Montserrat affectera obligatoirement les îles Antigua, Saint-Christophe, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et de la Guadeloupe. Quelle coopération entretenez-vous avec les universités des Caraïbes ? Porto Rico, possession américaine, possède une université, tout comme la Jamaïque et Trinité-et-Tobago, deux pays indépendants ; le National Hurricane Center (NHC) de Miami étudie la prévision cyclonique pour toute la zone caribéenne : avez-vous des relations avec ces opérateurs scientifiques ? Si tel n’est pas le cas, envisagez-vous d’en nouer ?
M. Philippe Charvis. L’IRD n’est pas l’opérateur principal aux Antilles, mais j’ai travaillé, en tant que sismologue, en Martinique. L’Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique et celui de Guadeloupe – dont la mission est la surveillance de l’activité sismique et volcanique dans ces deux îles – sont en lien avec tous les observatoires de la région, et l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et le CNRS sont plus particulièrement chargés de la coordination avec les acteurs étrangers. La coopération existe donc de façon relativement aboutie, même si des progrès sont possibles.
L’IRD est davantage présent dans le Pacifique où il fait partie d’un réseau international de surveillance des tsunamis : des bouées peuvent détecter ces phénomènes au large des côtes et lancer des alertes – un à deux avertissements sont émis chaque année. La zone du Pacifique est gigantesque et nos moyens sont limités. Il y a lieu de développer des coopérations avec des partenaires en Nouvelle-Zélande et en Australie, mais également avec les autres pays de la région comme le Vanuatu.
En Nouvelle-Calédonie, l’IRD a lancé avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) un projet de recherche destiné à utiliser la fibre optique des câbles de télécommunication sous-marins pour mesurer différentes choses grâce à des capteurs connectés, par exemple la température de l’eau, ou détecter les tremblements de terre et les tsunamis simplement par la fibre elle-même. Il s’agit d’un projet très intéressant en cours de développement, qui porte notamment sur un câble de télécommunication reliant les îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie au Vanuatu et dont le financement est assuré en grande partie par France 2030.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). Les actions de l’IRD dépendent des besoins des territoires ultramarins, mais ces derniers et le Gouvernement fixent-ils à l’Institut des objectifs ? Comment choisissez-vous les actions que vous menez ? Les universités et les collectivités territoriales participent-elles à la définition de vos missions de recherche ?
M. Philippe Charvis. L’IRD a établi une feuille de route pour l’outre-mer, qui définit nos priorités : le nombre de sujets scientifiques que nous pourrions traiter excédant largement nos moyens, notamment humains, nous effectuons des choix en interne.
Il manque sans doute une coordination entre les différents organismes : l’IRD, le CNRS et le Cirad ont en effet chacun une feuille de route pour l’outre-mer, dont l’élaboration n’a pas été précédée de concertation. En revanche, une réunion se tiendra dans les prochaines semaines au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, à laquelle tous les organismes de recherche participeront – Mme Valérie Verdier, notre présidente-directrice générale, y représentera l’IRD. Cette rencontre, qui aura pour thème les outre-mer, donnera lieu à une présentation croisée des différentes feuilles de route, ce qui constituera une sorte de concertation a posteriori. Localement, des interactions très étroites existent entre nos différentes institutions.
M. Frédéric Ménard. La stratégie de l’IRD outre-mer repose sur trois axes. Le premier consiste à décliner la science de la durabilité, laquelle a pour vocation de répondre aux thématiques sociétales des territoires. L’objectif est de coconstruire avec les acteurs locaux des projets de recherche qui répondent aux enjeux locaux. En Nouvelle-Calédonie, nous développons un projet ambitieux, Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation (Clipssa), financé par l’Agence française de développement (AFD) : Météo‑France et l’IRD sont, aux côtés d’autres organismes nationaux, les plus investis dans ce programme, dont l’objet est d’améliorer nos outils de prédiction de l’aléa climatique et de déployer des stratégies d’adaptation tenant compte des spécificités des territoires, celles-ci pouvant intégrer les savoirs locaux et traditionnels.
Le deuxième axe cherche à renforcer la politique de site, c’est-à-dire à répondre, avec les acteurs locaux de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), aux demandes des territoires. Outre-mer, les acteurs pivots de cette politique sont les universités, qui se trouvent elles-mêmes en lien avec les collectivités territoriales, dont la diversité est forte. Comme l’a indiqué Philippe Charvis, nous négocions actuellement un contrat pluriannuel d’objectifs, de moyens et de performance avec La Réunion : cette région ne nous soutient pas dans tous nos projets, elle se concentre sur les programmes liés à ses priorités : si certaines de nos actions entrent dans ce cadre, elle flèche des financements européens sur les projets concernés. Nous essayons de bâtir un tel dialogue de coconstruction dans chacun des territoires.
Troisième axe, les représentantes et les représentants de l’IRD dans les territoires d’outre-mer sont les porte-parole de notre présidente-directrice générale ; ils se trouvent au cœur de toutes les discussions comportant un aspect scientifique, donc en lien avec les collectivités territoriales et les universités. En tant que conseiller scientifique pour l’outre-mer, j’ai bien entendu des interactions avec eux.
Enfin, l’IRD est un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), dont les agents sont des fonctionnaires qui ne peuvent pas être contraints de partir outre-mer ou à l’étranger par la direction de l’Institut. Nous cherchons donc à assurer l’attractivité des outils pour inciter nos agents à travailler là où cela nous paraît utile, mais nous ne pouvons pas imposer à un agent de partir le mois prochain étudier l’aléa sismique aux Antilles.
M. Philippe Charvis. Dans le cadre du contrat pluriannuel d’objectifs, de moyens et de performance entre l’IRD et l’État, nous avons prévu des moyens financiers, certes modestes, pour des programmes prioritaires, comme l’étude du risque sismique en Nouvelle-Calédonie ; ces projets prévoient des affectations dans le territoire concerné. Ce système incitatif, qui existe depuis deux ans, vise à donner la priorité à certains travaux qui nous semblent importants.
M. Frédéric Ménard. L’un des meilleurs moyens d’attirer des chercheurs est de leur proposer des financements pour mener leurs recherches. Plus nous sommes capables de coconstruire des projets financés, plus les chercheurs sont enclins à nous rejoindre, d’autant que les enjeux ultramarins sont importants et passionnants.
M. le président Mansour Kamardine. Quels sont les principaux risques naturels outre-mer ? Vous avez affirmé que les moyens dont vous disposiez étaient inférieurs à vos besoins : à combien évaluez-vous les moyens nécessaires à l’accompagnement des programmes de recherche et à l’accomplissement de votre mission ? Enfin, de quelle nature doivent être les stratégies d’adaptation destinées à mieux appréhender les risques voire à les prévenir ?
M. Philippe Charvis. Des événements telluriques – séismes, manifestations volcaniques, tsunamis associés – sont susceptibles de toucher La Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. L’activité volcanique peut avoir un impact sur des territoires français même si les volcans ne s’y situent pas ; il y a quelques années, une éruption volcanique remarquable s’est produite au Tonga : bien que ce pays soit situé à plusieurs milliers de kilomètres de la Nouvelle-Calédonie, cette dernière a été affectée par l’événement. Les Antilles sont évidemment exposées à l’aléa volcanique et sismique, mais également au risque de tsunamis.
M. Frédéric Ménard. Nous avons besoin d’observatoires, d’outils de modélisation, de sciences humaines et sociales, de programmes interdisciplinaires. Les observatoires permettent d’effectuer des suivis à long terme, donc de surveiller, de mieux comprendre et d’étudier les processus physiques ; fondamentaux, il importe de les renforcer et de les pérenniser.
Il est de plus en plus nécessaire d’effectuer des descentes d’échelle des modèles climatiques et d’augmenter leur résolution afin qu’ils traitent à la fois du terrestre et du marin, puisque les territoires d’outre-mer sont extrêmement soumis à l’aléa marin. L’objectif est de réaliser des simulations climatiques et atmosphériques à haute résolution, c’est-à-dire à l’échelle des zones économiques exclusives (ZEE).
Enfin, l’analyse des vulnérabilités et la mobilisation des savoirs locaux constituent des aspects des sciences humaines et sociales qui nous sont utiles pour la coconstruction de projets interdisciplinaires.
M. Philippe Charvis. Il est nécessaire de maintenir les côtes naturelles, en particulier les mangroves et les récifs qui protègent les côtes et dont la dégradation peut se révéler très néfaste.
La température moyenne de l’océan global est très élevée en ce début d’année : les vagues de chaleur marine emportent de nombreuses conséquences sur la biodiversité et sur le rôle joué par l’océan de pompe à carbone – l’océan étant le puits de carbone le plus important à la surface du globe, le dérèglement de cette fonction aurait un fort effet délétère. Les vagues de chaleur marine auront des impacts sur nos territoires.
Le changement du régime des pluies, que Mme Bassire a évoqué, peut entraîner des inondations et des glissements de terrain, risques hydrologiques qu’il convient de surveiller. En outre, certains territoires connaissent un problème de ressource en eau ; les aspects de gestion et de qualité de l’eau ne sont pas à proprement parler des risques naturels, mais le changement climatique affecte le niveau des nappes phréatiques, donc les ressources en eau. Ces problèmes, qui peuvent être localement aigus, rendent nécessaires des évolutions de certaines pratiques, notamment dans le domaine agricole.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie, messieurs, de votre disponibilité et des échanges très riches que nous venons d’avoir. Nous aurions aimé vous écouter davantage, mais d’autres auditions nous attendent. Si vous le jugez utile, vous pouvez nous transmettre une synthèse écrite de vos réponses au questionnaire que M. le rapporteur vous a adressé.
M. Philippe Charvis. J’allais vous le proposer. Nous vous transmettrons volontiers un texte synthétisant nos propos. Nous avons été très heureux et très honorés de votre invitation, et nous nous tenons à la disposition de la commission d’enquête. Peut-être aurons-nous l’occasion de rencontrer certains d’entre vous dans les territoires d’outre-mer à l’occasion de nos visites régulières.
3. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean‑Christophe Komorowski, responsable scientifique des Observatoires volcanologiques et sismologiques, et responsable du Service national d'observation en volcanologie (CNRS‑INSU) de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), Université Paris Cité, Mme Anne le Friant, directrice adjointe en charge des observatoires, Mme Jordane Corbeau, directrice adjointe, Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique et, M. Arnaud Lemarchand, directeur adjoint en charge de l'instrumentation (1er février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous accueillons à présent M. Jean-Christophe Komorowski, responsable scientifique des observatoires volcanologiques et sismologiques de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), ainsi que Mme Anne Le Friant, directrice adjointe chargée des observatoires, Mme Jordane Corbeau, directrice adjointe à l’observatoire volcanologique et sismologique de Martinique et M. Arnaud Lemarchand, directeur adjoint chargé de l’instrumentation. Je vous souhaite à tous la bienvenue.
L’IPGP est chargé de la surveillance des quatre volcans actifs français situés outre-mer, ainsi que de leur sismicité régionale et des risques potentiels associés de formation de tsunamis, à travers ses observatoires volcanologiques et sismologiques. Nous sommes donc là au cœur de l’un des risques naturels majeurs que vise notre commission d’enquête. La présence d’un volcan sous-marin au large de Mayotte, mon territoire d’élection, me rend particulièrement sensible à vos activités.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous donner la parole pour les interventions liminaires qui précéderont nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-Christophe Komorowski, Mme Anne Le Friant, Mme Jordane Corbeau et M. Arnaud Lemarchand prêtent successivement serment.)
Mme Anne Le Friant, directrice adjointe chargée des observatoires volcanologiques et sismologiques de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP). L’IPGP remplit trois missions : la recherche, l’enseignement et l’observation. Acteur principal de l’observation des risques telluriques en France, il gère plusieurs observatoires en lien étroit avec l’Institut national des sciences de l’univers (Insu) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Dans les outre-mer, l’IPGP gère les trois observatoires volcanologiques et sismologiques, situés en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion. Il gère également l’Observatoire de l’eau et de l’érosion aux Antilles (Obsera).
Ces quatre observatoires jouent un rôle clef pour étudier, surveiller et détecter les risques telluriques, notamment le volcanisme ou la sismicité dans les outre-mer. Ils ne peuvent fonctionner au mieux que s’ils sont étroitement associés aux travaux de recherche scientifique ainsi qu’au développement des instruments de pointe. L’IPGP est d’ailleurs très bien placé dans les classements internationaux en ce qui concerne le développement d’instruments de pointe dans les sciences de la terre : il occupe la première place en France, la troisième au niveau européen et la dixième dans le classement de Shanghai. Grâce à cette recherche scientifique de haut niveau, il est possible de toujours disposer des dernières avancées scientifiques et instrumentales pour la surveillance opérationnelle des phénomènes telluriques dangereux. L’observation est adossée à la recherche dont elle est indissociable.
Aux quatre observatoires précités s’ajoute une structure nationale hébergée à l’IPGP : le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima), dédié à la surveillance du quatrième site volcanique actif français en outre-mer, et géré par l’IPGP en partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le CNRS et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Ce réseau a été créé grâce au travail interministériel de la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer (Dirmom) à laquelle a succédé la Mission d’appui aux politiques publiques de prévention des risques naturels majeurs outre-mer (Mappprom). Nous avons pu nous rendre compte à quel point ce travail interministériel était indispensable pour gérer des risques naturels.
Pour conclure cette présentation des missions de l’IPGP, je tiens à insister une nouvelle fois sur un point : l’observation ne peut être efficace qu’en étroite connexion avec la recherche et les développements techniques. Nous accueillons d’ailleurs des chercheurs du Conseil national des astronomes et physiciens (Cnap), un corps dont les missions se répartissent entre recherche scientifique, services d’observation et enseignement. C’est essentiel pour maintenir ce lien et progresser dans l’observation.
M. Jean-Christophe Komorowski, responsable scientifique des observatoires volcanologiques et sismologiques de l’IPGP. Pour ma part, je vais vous donner un aperçu des moyens dont disposent les observatoires sur les plans financier et humain, ainsi qu’en matière d’infrastructures.
Le budget hors salaires s’élève à 1,9 ou 2 millions d’euros par an, constitué à 38 % de fonds récurrents et à 68 % du produit d’appels d’offres compétitifs, nationaux et européens, que nous avons remportés. Nous recevons des financements de la part du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du Fonds européen de développement régional (Feder) et des collectivités territoriales – à hauteur de 150 000 à180 000 euros par an. Les observatoires de Guadeloupe et de Martinique occupent des bâtiments construits par les collectivités territoriales avec l’aide du Feder et de l’État. Celui de Martinique, où travaille notre collègue Jordane Corbeau et qui est sans doute le plus beau du monde, a coûté 9 millions d’euros. La Guadeloupe va bientôt consacrer 1 million à l’extension de son observatoire. Le ministère de l’intérieur et des outre-mer nous accorde une subvention de fonctionnement équivalant à une douzaine d’heures d’hélicoptère de la sécurité civile aux Antilles et à La Réunion. Nous pouvons ainsi bénéficier, en début et en fin d’éruption, de deux heures d’hélicoptère de la section aérienne de gendarmerie. Ce n’est pas automatique : nous devons en faire la demande. Quant au Revosima, qui n’est pas inclus dans le budget susmentionné, il a coûté 17 millions d’euros en sept ans, soit quelque 2,4 millions par an.
Ce budget comporte deux points névralgiques. Le premier est évidemment la part importante qui n’est pas sanctuarisée mais dépend de notre réussite en matière d’appels à projets nationaux, européens et internationaux, ce qui demande beaucoup d’énergie et ne garantit pas une somme identique chaque année. Or les activités d’observation et de surveillance nécessitent un financement récurrent et stable sur plusieurs années. Le deuxième est lié à la nécessité de créer trois postes fonctionnels pour les directeurs ou directrices d’observatoires volcanologiques en outre-mer, afin que l’IPGP puisse recruter rapidement ces personnels en cas de mobilité.
En ce qui concerne les volcans, la France se trouve dans une situation inédite depuis plusieurs siècles avec la réactivation à différents niveaux de quatre zones volcaniques : le Piton de la Fournaise à La Réunion ; la montagne Pelée en Martinique ; la Soufrière en Guadeloupe ; le nouveau volcan qui s’est formé au large de Mayotte. Le stade d’alerte du plan d’organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) a atteint le niveau jaune pour la Soufrière et la montagne Pelée. Quant au nouveau volcan de Mayotte, il s’inscrit dans une réactivation générale de cette zone volcanique, moins connue que les autres. Enfin, le Piton de la Fournaise connaît deux à cinq éruptions volcaniques par an depuis plus plusieurs années.
La recherche a récemment mis en évidence que l’activité volcanique obéit à des temporalités emboîtées et très variables. L’éruption en surface nécessite trois grands phénomènes : un temps de maturation des zones de stockage des magmas qui se compte en milliers ou centaines de milliers d’années ; un temps d’instabilité de ces zones qui provoque un début de remontée du magma pouvant prendre quelques mois ou quelques dizaines de jours ; dans la dernière phase, la remontée du magma peut se produire en quelques minutes ou quelques heures. Le système reste silencieux pendant une très longue période, puis, une fois qu’il est mûr, il peut se déstabiliser très rapidement. Il faut donc intégrer des sauts de connaissance et de surveillance qui prennent en compte ces différentes échelles de temps à emboîter, y compris dans la réponse de sécurité civile.
Tous les aléas volcaniques concernent les volcans français d’outre-mer. Les éruptions non magmatiques, appelées phréatiques, sont les plus fréquentes : leur probabilité d’occurrence est ainsi d’environ 1 à 2 % chaque année en Guadeloupe et en Martinique. Elles peuvent générer tous les aléas que l’on retrouve dans les éruptions magmatiques hormis l’émission de lave. Particulièrement difficiles à anticiper, elles ont aussi été les plus mortelles au cours de la dernière décennie, ce qui soulève la question du tourisme volcanique et de l’accès aux zones actives comme celles de la Soufrière.
Malgré les progrès réalisés dans la connaissance et la surveillance, les risques volcaniques ont augmenté dernièrement et la tendance va s’accentuer avec les changements globaux. Je parle ici de risques, pas seulement d’aléas, qui augmentent avec la croissance des enjeux exposés et leur plus grande vulnérabilité. En 2015, une étude a classé les régions volcaniques du monde en fonction du pourcentage de la population totale du territoire exposée au risque à une distance de 0 à 30 kilomètres d’un volcan actif. La zone caribéenne est arrivée en tête, ce qui inclut la Guadeloupe et la Martinique. À cette époque, Fani Maoré ne s’était pas encore manifesté au large de Mayotte. Une fois les calculs refaits, Mayotte apparaît comme le territoire le plus exposé aux risques volcaniques en France et probablement dans le monde.
Pour en revenir à ces échelles de temps emboîtées, on sait que 42 % des éruptions traversent leur phase la plus violente, paroxysmale, au cours des vingt-quatre heures qui suivent le début de l’éruption et qu’elles représentent 20 % de la mortalité. Il faut donc développer une stratégie efficace de détection de l’évolution de l’activité volcanique en amont, et une stratégie de gestion de ces éruptions paroxysmales à leur début. Pour les autres éruptions, 70 % de la mortalité se produit dans un laps de temps compris entre une semaine et six mois après le début de l’éruption. Après les premières évacuations, il faut donc gérer le retour éventuel de personnes évacuées. Il faut surtout agir dans la continuité, s’intéresser à toutes les personnes qui vivent en bordure des zones exposées et à celles qui n’ont pas été évacuées mais qui vont être affectées par des dysfonctionnements systémiques.
Mme Jordane Corbeau, directrice adjointe de l’observatoire volcanologique et sismologique de Martinique à l’IPGP. Je vais vous exposer quelques connaissances clefs sur la sismicité des Petites Antilles, notamment celle des îles de Guadeloupe et de Martinique, classées en zone cinq, la zone française la plus sismique.
Dans ces îles, on enregistre deux types de séismes principaux.
Les séismes de subduction, liés à la tectonique des plaques à grande échelle, ont lieu à environ 30 à 60 kilomètres de profondeur au large de la côte est de ces îles, ou en grande profondeur, à environ 150 kilomètres sous les îles. Ce sont les plus puissants. Dans les catalogues de sismicité historique, on trouve des occurrences, en 1839 et 1843, de séismes qui ont pu atteindre les magnitudes 8 à 8,5. Plus récemment, le catalogue de sismicité instrumental unifié fait état d’un séisme profond sous la Martinique d’une magnitude 7,2 en 2007. Ils peuvent causer des dégâts humains et matériels, mais aussi, en fonction de leur puissance, provoquer des tsunamis.
Deuxième type de séismes : ceux qui se produisent dans la plaque caraïbe et sont liés à la présence de failles plus superficielles entre les îles. Leur profondeur – une quinzaine de kilomètres – et leur magnitude sont plus modérées que celles des séismes de subduction. Ils peuvent néanmoins avoir de lourdes conséquences puisqu’ils se produisent près des côtes, donc des populations. Nous en avons eu un exemple en 2004 : les îles des Saintes, au large de Guadeloupe, ont subi un séisme de magnitude 6,4 qui a détérioré de nombreux bâtiments.
À l’observatoire de Martinique, nous enregistrons entre 900 et 1 400 séismes chaque année autour de la Martinique, dont une dizaine sont ressentis par la population. Dans la zone des Antilles, les observatoires de Guadeloupe et de Martinique enregistrent plus de 2 200 séismes par an. Environ 70 % de cette activité est liée à la dynamique de la zone de subduction : les plaques tectoniques plongent sous la plaque caraïbe, ce qui provoque les séismes les plus puissants et les plus dangereux.
Des modélisations, effectuées à partir des mesures de déformation récentes de la plaque caraïbe montrent que le couplage de l’interface de la subduction est très faible : peu d’accumulations de contraintes tectoniques peuvent être relâchées en un séisme majeur dans le futur. Selon les estimations issues de ces modélisations, un séisme de magnitude 8 se produirait tous les 2 000 ans, ce qui paraît peu. Cela étant, les catalogues de sismicité historique et instrumentale comportent plusieurs mentions de séismes qui ont pu atteindre des magnitudes 7 à 7,8 et ont fortement affecté les populations des îles françaises. Depuis les années 1700, on a enregistré neuf séismes majeurs autour de la Martinique, six au large des côtes est et trois en profondeur sous la Martinique.
Mme Anne Le Friant. Les territoires d’outre-mer sont également concernés par les tsunamis, à des fréquences et des niveaux divers. Ils peuvent être déclenchés par des séismes, des éruptions volcaniques ou des glissements de terrain. En fonction de la localisation de la source, on parle de tsunamis locaux, régionaux ou transocéaniques. Un tsunami local ne mettra que quelques minutes à atteindre les côtes, alors que la vitesse de propagation d’un tsunami transocéanique, comme celui qui a touché Lisbonne en 1755, sera plus lente.
La Guadeloupe et la Martinique font partie des régions où le risque sismique est le plus élevé au niveau national. Un séisme majeur ou un séisme intraplaques pourrait déclencher un tsunami comme en ont connu les îles des Saintes en 2004. L’activité volcanique a aussi provoqué des tsunamis dans cette zone au cours des dernières décennies, notamment lors de l’éruption de la montagne Pelée en 1902 ou lors de l’effondrement du dôme actif de l’île de Montserrat en 2003 – une vague de soixante centimètres avait alors atteint la Guadeloupe. L’augmentation de la démographie et des enjeux exposés à proximité des côtes contribue à une élévation du risque de tsunami, qui peut être en partie réduite grâce à des actions de sensibilisation et des mesures de prévention et de contingences comme celles qui ont été prises aux Antilles.
Le contexte géodynamique de La Réunion est un peu différent : c’est un point chaud à l’intérieur – et non en frontière – d’une plaque, ce qui rend le risque sismique – et de tsunami associé – moins élevé qu’aux Antilles.
À Mayotte, le contexte tectonique se situe en bordure de plaque et en périphérie du Rift est-africain. Compte tenu des nouvelles données acquises, couplées aux enjeux exposés très élevés et vulnérables, le risque sismique – et de tsunami – est plus élevé à Mayotte qu’à La Réunion. Aux contraintes tectoniques s’ajoute l’activité volcanique, ce qui augmenterait la probabilité de l’aléa tsunami. Dans le cadre de la crise sismo-volcanique à Mayotte, nous avions répondu à la demande de l’État et réalisé des simulations numériques concernant les zones affectées telles que les aéroports.
M. Arnaud Lemarchand, directeur adjoint chargé de l’instrumentation à l’IPGP. Pour ma part, je présenterai succinctement les réseaux d’observatoires volcanologiques et sismologiques gérés par l’IPGP.
On peut répartir les stations en trois grandes familles : les stations sismologiques bien connues ; les stations géodésiques qui mesurent les déformations permettant d’apprécier si un volcan est en inflation ou déflation ; les stations géochimiques qui caractérisent les fluides des volcans. Ces stations forment des réseaux à différentes échelles spatiales : à l’échelle de l’arc des Antilles, à celle de La Réunion ou de Mayotte, ou à celle d’un volcan – ils sont alors beaucoup plus denses. Qu’ils soient denses ou à grande échelle, ces réseaux sont complexes.
L’IPGP possède une expertise couvrant toute la chaîne d’acquisition des données, du capteur jusqu’à la distribution de ces informations aux centres d’alerte, en utilisant des technologies appropriées à la gestion de crise. À l’échelle de l’arc des Antilles, par exemple, les réseaux collaborent avec le Seismic Research Centre (SRC) de Trinidad-et-Tobago et utilisent des communications satellites. Ce mode de communication non terrestre permet de transmettre les données des stations à un satellite qui les redistribue à trois plateformes de réception en Martinique, en Guadeloupe et à Trinidad-et-Tobago. C’est une façon de disposer de réseaux qui soient les plus résilients possible en cas de catastrophe naturelle. Imaginons que l’un de nos observatoires antillais soit détruit par un séisme, nous pourrions alors utiliser le deuxième, voire faire appel à nos collègues de Trinidad-et-Tobago. En matière d’instruments, l’IPGP développe des capteurs terrestres, sous-marins ou même spatiaux – il a déployé le seul sismomètre installé sur Mars, ce qui vous donne une idée de son expertise.
Tous ces capteurs permettent d’effectuer une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le mode de la veille instrumentale. Nos collègues d’astreinte traitent en temps réel les données issues de systèmes d’algorithmes et préviennent les observatoires en cas d’activité tellurique quelle qu’elle soit. À partir de cette alerte instrumentale, les collègues informent le plus vite possible – parfois en moins de trente minutes – les autorités locales et les populations, au moyen de produits standardisés tels que des cartes d’intensité sismique ou des bulletins d’activité volcanique.
Toutes ces données sismologiques et de déformation sont envoyées à Paris, au centre de données de l’IPGP, point d’entrée pour les structures nationales et internationales d’alerte, et outil de notre contribution à l’alerte montante. Le système d’alerte aux tsunamis pour la Caraïbe se connecte ainsi en temps réel au centre de l’IPGP pour avoir accès à toutes nos données concernant l’outre-mer. Il en va de même pour le bureau central sismologique français (BCSF) dont la mission est de recueillir les témoignages en cas de séisme et de faciliter leur diffusion. Nous nous sommes concentrés sur les observatoires volcanologiques et sismologiques, mais des observatoires plus globaux participent aussi à la collecte de données.
Je ne voudrais pas terminer ma présentation sans appeler votre attention sur un point fondamental en termes d’instrumentation : toutes nos stations sont à terre, nous n’en avons aucune en mer pour mesurer en temps réel ce qui se passe à proximité des sources des phénomènes et, le cas échéant, pour nous alerter de manière encore plus précoce. Nous devons absolument développer l’instrumentation en mer comme nous essayons de le faire avec l’aide de l’Ifremer au large de Mayotte par le biais du projet de création d’un observatoire sous-marin câblé baptisé Marmor (Marine advanced geophysical research equipment and Mayotte multidisciplinary observatory for research and response). Doté d’une alimentation sous-marine en énergie, il pourrait transmettre les données en temps réel vers la terre.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Cette commission d’enquête vise à analyser les risques qui menacent le territoire ainsi que les moyens déployés pour prévenir les aléas ou traiter les désordres. Étant accueillis par la commission des finances, il est naturel de rappeler les contingences matérielles qui sous-tendent le fonctionnement de vos institutions. Cette dimension n’est pas anodine et affecte votre capacité à remplir vos missions. Nous prenons ainsi note de vos remarques sur l’instrumentation maritime, notamment.
Vous acquittez-vous d’une fonction de conseil, du moins d’information des autorités locales afin qu’elles puissent bâtir plus efficacement leur plan de réaction aux risques ? Ou rassemblez-vous une information plus en amont, qui sera analysée par d’autres ? Transmettez-vous des données pouvant devenir des éléments de connaissance et d’appropriation pour la population ?
Vous avez évoqué les zones de risques propres aux territoires français d’outre-mer et la coopération avec d’autres pays. Sommes-nous menacés par des désordres qui surviendraient dans d’autres parties du monde ? Vos modèles permettent-ils d’établir la part de la population locale qui serait touchée par ces aléas ?
M. Jean-Christophe Komorowski. L’IPGP remplit surtout une mission d’alerte scientifique montante. Il poursuit trois objectifs : améliorer la connaissance sur les phénomènes telluriques menaçants ; détecter leurs changements d’activité et transmettre ces informations aux autorités chargées de la réponse de sécurité civile ; informer l’ensemble des acteurs, y compris la population. L’institut ne mène pas de recherches sur les enjeux exposés et leur vulnérabilité.
Le risque est en effet défini par quatre variables : l’aléa c’est-à-dire l’estimation de la probabilité qu’un phénomène dangereux survienne dans une période et une zone données ; les enjeux exposés à ce phénomène, qu’ils soient humains, d’infrastructure ou systémiques ; la vulnérabilité de ces enjeux ; et la résilience ou la capacité de ces enjeux à résister à l’impact des phénomènes.
L’IPGP fait porter ses efforts sur la connaissance fondamentale et la surveillance de la dynamique de l’aléa. Nous ne réalisons pas de cartes de probabilité d’effondrement des toits en relation avec les retombées de cendres. Pour ces aspects, l’IPGP collabore étroitement avec des experts en géographie physique et des ingénieurs des structures provenant d’organismes spécialisés tels que le BRGM. Nous travaillons donc surtout à quantifier, caractériser et suivre le phénomène dangereux, pour connaître ses capacités d’impact.
Nous transmettons les résultats de la modélisation à la population par différents vecteurs. Mayotte et La Réunion disposent d’un bulletin quotidien de niveau d’activité. Nous transmettons un bulletin hebdomadaire sur la montagne Pelée, un bulletin mensuel sur les quatre zones, ainsi que des rapports annuels. Toutes ces données sont accessibles au grand public sur notre site internet. La localisation de l’ensemble des séismes enregistrés par nos observatoires, validés par un opérateur, est disponible presqu’en temps réel sur le site du BCSF. La population peut ainsi suivre l’évolution de ces phénomènes.
Mme Anne Le Friant. Les territoires d’outre-mer peuvent naturellement être touchés par des événements survenant ailleurs. J’ai cité le séisme de Lisbonne de 1755, qui avait affecté les Petites Antilles, notamment la baie de Fort-de-France. Outre les événements sismiques, des éruptions volcaniques peuvent se produire : une éruption à Saint-Vincent, hors du territoire français, peut affecter les autres îles de l’arc antillais.
La transmission à la population peut être continue ou ponctuelle. Lors de la crise sismo-volcanique qu’a connue Mayotte, nous avons communiqué régulièrement auprès de la population et fourni des simulations numériques, demandées par les autorités, à la préfecture et aux élus.
Mme Jordane Corbeau. Les observatoires sont régulièrement sollicités pour participer à la mise à jour des plans Orsec. Cela a été le cas en Martinique l’an dernier pour le plan sur le risque volcanique et cette année, pour le plan sur le risque sismique. Nous rédigeons la partie relative aux connaissances scientifiques, qui est utilisée pour définir la réponse opérationnelle.
Environ 300 000 personnes seront exposées à un volcan actif dans les outre-mer et près de 1 million, plus éloignées, pourront ressentir les effets des éruptions. Les territoires insulaires, petits et rapprochés les uns des autres, sont particulièrement concernés par ces répercussions : l’éruption d’un volcan de l’île de la Dominique ou de Sainte-Lucie aura des effets sur la Martinique et la Guadeloupe.
Mme Anne Le Friant. On touche là au rôle de surveillance que joue la communauté scientifique. S’il y a bien une réponse locale – les observatoires interagissent avec les autorités –, sur le plan national, il manque un lien entre le monde de la recherche et de l’observation d’une part, et les autorités et les gestionnaires de crise, d’autre part. La rotation fréquente de ces derniers a des implications sur la continuité dans les services. De plus, les responsables relèvent souvent de ministères différents. Dans le cas de Mayotte, les discussions interministérielles ont été fondamentales pour construire le Revosima.
Or les observatoires volcanologiques et sismologiques n’ont reçu ni mandat ni moyens suffisants pour jouer ce rôle de surveillance. Ils le remplissent localement, parce qu’un préfet confronté à une éruption a besoin de connaissances scientifiques, mais aucune disposition officielle, cadrée, n’est prévue sur le plan national.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Un séisme de magnitude 8 tous les 2 000 ans, ce n’est pas beaucoup, sauf s’il doit se produire demain. Que faudrait-il faire ?
M. Jean-Christophe Komorowski. Dans les années précédentes, nous avons tenté d’élaborer une convention pour la surveillance des aléas telluriques associant plusieurs ministères. Devant les difficultés rencontrées, nous en sommes restés à des conventions bilatérales, avec le ministère de la transition écologique, qui finance l’institut à hauteur de 2 millions depuis 2017, et avec le ministère de l’intérieur, sur les aspects liés à la surveillance.
Non seulement le lien entre les chercheurs et les autorités n’existe pas, mais les informations que nous produisons ont du mal à être intégrées dans les travaux et les prérogatives des autres organismes. Je peux citer l’exemple d’une future thèse utilisant la modélisation par des systèmes multi-agents, qui porte sur des scénarios d’évacuation lors d’éventuelles éruptions de la Soufrière en Guadeloupe. L’étude, qui a mis trois ans à aboutir, est menée avec différentes communautés travaillant sur les systèmes complexes, les mathématiques ou la géographie. Des outils ont été développés ; des scénarios ont été testés. Comment l’information que nous transmettons peut-elle continuer d’évoluer, être mûrie et modifiée dans les services de l’État ? Il faut trouver des relais techniques dans ces structures, qui puissent intégrer cette information.
Outre la rotation des interlocuteurs, un tel relais manque : un effort pédagogique est à chaque fois nécessaire. Nous produisons un grand volume d’informations, qui ne va pas assez loin et ne sert pas assez les différents organismes de l’État chargés de la sécurité civile.
Mme Anne Le Friant. Il est nécessaire d’instaurer entre les chercheurs et les gestionnaires de crise un partenariat stable et pérenne par son financement, qui soit fondé sur des missions claires, avec des mandats, des objectifs pluriannuels, des ressources pouvant être planifiées. Il faut aussi prévoir des astreintes pour les personnels chargés de la surveillance. Actuellement, ces astreintes ne sont pas financées et aucun agent des observatoires n’a pour tâche d’assurer un lien avec les gestionnaires de crise. Si l’on veut améliorer la surveillance, il faut reconnaître ce rôle et le pérenniser, avec un cadre plus général, interministériel.
M. Arnaud Lemarchand. Actuellement, l’astreinte repose sur le bénévolat de nos collègues, qui se relaient pour mener à bien la veille instrumentale continue, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tout cela n’est pas reconnu. Certes, les collègues d’astreinte récupèrent les heures effectuées durant les astreintes mais nous serions bloqués s’ils refusaient d’y participer.
M. Frantz Gumbs (Dem). Comment concilier les normes antisismiques et anticycloniques dans la construction ?
Si un tremblement de terre ou un tsunami touche la Martinique, il concernera obligatoirement Sainte-Lucie, la Dominique et la Guadeloupe. Quel niveau de coopération régionale entretient l’IPGP avec les îles non françaises de la Caraïbe ?
M. Arnaud Lemarchand. Nous avons noué un partenariat avec le SRC pour équiper les îles des Antilles de stations sismologiques et géodésiques. Le SRC et l’IPGP se répartissent le travail de maintenance selon que les îles sont anglophones ou francophones. Ils reçoivent toutes les données, transmises par satellite. Ce partenariat très étroit permet de mutualiser les données et les technologies car les séismes ne s’arrêtent effectivement pas aux frontières.
En volcanologie, nous menons également des échanges réguliers avec le SRC, responsable de la surveillance des îles anglophones.
M. Jean-Christophe Komorowski. Les normes de construction ne relèvent pas de notre mission. Pour améliorer la prise en compte sociétale des différents risques, il faut non seulement travailler de manière transversale sur chaque aléa mais aussi déployer une stratégie inter aléas et faire travailler ensemble les communautés afin d’éviter les décisions contradictoires. C’est notamment le cas pour les territoires soumis à plusieurs aléas, dont certains augmenteront probablement d’intensité dans les années à venir. Ces situations demandent un changement de paradigme au niveau national.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je vous invite à me communiquer une contribution sur la façon dont vous envisagez cette coopération. Elle pourrait alimenter les propositions que fera la commission d’enquête.
Comment se passe la coopération avec un État failli, comme Haïti, où les données sont vraisemblablement difficiles à collecter ?
Mme Jordane Corbeau. En Haïti, où les réseaux permanents de l’État sont défaillants, des équipes de recherche de l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement ou de l’Université d’État d’Haïti ont pris le relais et développé des réseaux sismologiques citoyens. Ils ont mis à contribution les citoyens volontaires pour accueillir des capteurs sismologiques à bas coût chez eux. Ces derniers participent à la construction des catalogues de sismicité et à l’évolution des connaissances. D’autres équipes de recherche s’attachent à vulgariser l’information sur les différents risques en Haïti, par la distribution de plaquettes informatives en créole, en anglais et en français.
M. le président Mansour Kamardine. Vous avez dit que Mayotte était la collectivité la plus exposée des outre-mer et peut-être parmi la plus exposée au monde. Combien de séismes y ont été enregistrés dans les dernières années ? Peut-on imaginer que Mayotte soit un jour dotée d’un observatoire permanent ?
M. Jean-Christophe Komorowski. Mes propos se rapportaient surtout au risque volcanique. Les séismes sont très bien enregistrés à Mayotte depuis le début de la crise éruptive de 2018, par des réseaux terrestres et des capteurs en mer, qui sont récupérés et redéployés tous les quatre à six mois. Installer des capteurs permanents en mer permettrait d’augmenter notre capacité à enregistrer des signaux en temps réel. On enregistre actuellement à Mayotte 300 à 400 séismes volcano-tectonique par mois et quelques séismes d’origine tectonique, dus aux mouvements entre les plaques. La région est en effet une zone de frontière de plaques, en marge du rift est-africain.
S’agissant des observatoires, la Martinique dispose du deuxième plus ancien au monde, créé après l’éruption catastrophique de la montagne Pelée, en 1902 ; ceux de la Guadeloupe et de La Réunion datent respectivement de 1949 et de 1979. Le but est d’en installer à proximité des sources, ce qui exige une stratégie de développement portant sur des dizaines d’années ainsi que des moyens financiers.
La situation de Mayotte est plus complexe que celle des autres zones volcaniques car plusieurs parties de sa chaîne volcanique d’une cinquantaine de kilomètres présentent des éruptions. Alors qu’à la Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion un seul volcan a été en activité durant les derniers 10 000 ans, à Mayotte, Fani Maoré a surgi à cinquante kilomètres de Grande-Terre et de Petite-Terre. En travaillant sur cette éruption, nous avons découvert entre 100 et 200 points de sortie de magma entre Petite-Terre et le volcan sous-marin. Selon des études récentes, des éruptions ont eu lieu il y a 4 000 ou 5 000 ans à quinze kilomètres à l’est de Petite-Terre, dans la zone dite du fer à cheval. Cette île comporte en outre des cratères volcaniques.
Le réseau de surveillance sismologique et volcanologique de Mayotte doit donc apporter des réponses en matière de surveillance instrumentée et d’anticipation des phénomènes sur trois zones volcaniques avec des passés éruptifs et des comportements différents, et dont une partie est sous-marine. Cette situation complexe requiert une réflexion et une stratégie sur le très long terme.
Il est aussi primordial de développer les formations universitaires scientifiques à Mayotte pour que les Mahorais, une fois formés aux métiers de la recherche ou de la technologie, puissent contribuer à la sécurité de leur territoire. Cela prendra plusieurs décennies. Ces territoires insulaires ne doivent pas se couper des sauts de connaissances réalisés par d’autres communautés, notamment les universités. C’est pourquoi le lien avec l’IPGP est aussi important : l’ancrage dans le tissu universitaire et académique est la clef du succès de nos observatoires.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Outre la contribution spécifique que j’ai demandée, vous pouvez me communiquer tout élément pour compléter vos interventions.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie d’être venus nous éclairer sur ces questions.
4. Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Schuhl, directeur général délégué à la science au Centre national de recherche scientifique (CNRS), M. Stéphane Guillot, directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences de l’univers, Domaine Terre Solide, M. Patrick Allard, directeur de recherche émérite à l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), et M. Thomas Borel, responsable des affaires publiques (1er février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie d’être parmi nous pour échanger autour des questions liées aux risques naturels en outre-mer. Mes chers collègues, nous accueillons désormais plusieurs éminents représentants du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Je note qu’une convention a récemment été signée entre le ministère chargé des outre-mer et le CNRS pour réaliser un état des lieux de la connaissance scientifique sur les impacts du changement climatique dans les outre-mer. Il s’agit là d’un travail fondamental et urgent. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Alain Schuhl. M. Stéphane Guillot, M. Patrick Allard et M. Thomas Borel prêtent successivement serment.)
M. Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. La mission que nous a confiée le ministère des outre-mer porte sur une étude de l’impact du changement climatique dans les territoires d’outre-mer. Plus précisément, elle a été confiée à une personne que nous avons embauchée spécialement, qui est localisée sur l’île de La Réunion, qui a réalisé un travail bibliographique très important et qui est maintenant en train de travailler avec les autorités locales – à savoir les autorités territoriales et d’État – pour organiser des consultations et des groupes de travail afin de dresser un état des lieux de ce qui est déjà mis en place. L’opération progresse bien et nous rendrons un travail au mois d’avril, avant de nous pencher sur les bassins antillais et polynésien, ce qui nous permettra de réaliser un état des lieux global. La mission se terminera en septembre 2025.
M. Stéphane Guillot, directeur-adjoint scientifique de l’Institut national des Sciences de l’Univers du CNRS, Domaine Terre Solide. De manière générale, les impacts du changement climatique correspondent à une augmentation de la température globale du système Terre. Quels que soient les bassins, on constate une augmentation globale des océans Atlantique, Indien ou Pacifique à peu près au même niveau que la Terre, c’est‑à‑dire entre 1 et 1,5 degré. L’effet est toutefois plus important sur la terre que dans l’océan, ce dernier se réchauffant moins vite. Nous constatons également que cet effet d’augmentation se fait surtout ressentir la nuit, notamment à La Réunion et en Polynésie. Le nombre de nuits anormalement chaudes a en effet triplé lors de ces quarante dernières années. De plus, le réchauffement s’élève à un degré en journée et à deux degrés pendant la nuit.
Une des premières conséquences du réchauffement climatique correspond à l’augmentation du niveau de la mer, qui s’élève à 4 millimètres par an en moyenne. À nouveau, il existe des disparités : l’augmentation est plus rapide dans l’océan Indien, où l’élèvement atteint plutôt 6 millimètres par an, contre 3,5 à 4 millimètres par an au niveau de l’océan Atlantique.
Un des autres effets correspond à l’acidification des océans en raison de l’augmentation du CO2, ce qui entraîne des conséquences directes sur les mangroves et les coraux. De plus, ce phénomène a un impact sur les risques associés, car en cas de tempêtes et de cyclones, les protections naturelles, c’est-à-dire les barrières coralliennes et les mangroves, sont moins efficaces.
L’érosion des côtes représente un autre impact et se marque très fortement au niveau du bassin Caraïbes, qui compte de nombreuses plages. Ce phénomène est un peu moins prégnant à La Réunion, dont les plages sont moins nombreuses, même si la côte connaît tout de même cet effet d’érosion. En outre survient l’effet surcote : au moment des tempêtes ou des cyclones, les vagues sont plus importantes du fait de l’élévation du niveau de la mer et détruisent davantage les côtes.
Par ailleurs, nous commençons à constater une tendance vers la diminution des précipitations annuelles. Concrètement, la période de sécheresse devient plus intense et s’allonge, ce qui crée des problèmes de conservation d’eau. En effet, les îles n’ont pas de réservoir naturel et le système hydrologique est relativement peu développé. La saison des pluies devient également plus intense, mais de manière globale, les quantités d’eau annuelles diminuent de 10 à 15 %.
De plus, nous commençons à entrevoir une diminution du nombre des cyclones au niveau du bassin Caraïbes, mais également une augmentation de leur intensité. Dans l’océan Indien, la zone des cyclones se déplace vers le sud, ce qui impactera de plus en plus Mayotte et La Réunion, qui ne connaissaient pas beaucoup de cyclones jusqu’alors. Ce phénomène n’est pas encore concrètement constaté, car ce ne sont encore que des prévisions fournies par les modélisations réalisées au moyen des modèles globaux et des données locales. Je vous parlerai d’ailleurs de l’acquisition de celles-ci, car elles sont importantes pour la modélisation à l’échelle des îles. En effet, nous parvenons désormais à descendre à une échelle de 1,5 kilomètre, ce qui offre une relativement bonne connaissance de ce qui se passera autour des îles.
A priori, nous nous attendons à une diminution des vents, c’est-à-dire des alizées, au niveau du bassin Caraïbes ; cependant, ils devraient augmenter en intensité au niveau de l’océan Indien, en particulier pendant l’hiver austral, alors qu’ils étaient déjà relativement forts. Concrètement, l’anticyclone des Mascareignes, qui est au large de Madagascar, deviendra plus important et intense, ce qui favorisera les vents locaux.
Le constat n’est donc pas encourageant et nous nous attendons à une augmentation des risques climatiques de manière assez prégnante au niveau des îles. Ces risques sont en effet très exacerbés sur les îles et les phénomènes connus en outre-mer seront beaucoup plus forts dans les trente à cinquante ans à venir.
M. le président Mansour Kamardine. Vous n’avez pas mentionné le Pacifique.
M. Stéphane Guillot. En Polynésie, un des risques correspond à la montée des eaux, car les îles sont très basses et relativement plates. La Polynésie française était en outre assez peu impactée par les cyclones et nous attendons à en voir davantage dans les trente à cinquante ans à venir. Les autres effets dont j’ai parlé y sont également présents, avec l’augmentation des sécheresses ainsi que de la pluviométrie durant la période de pluie et la diminution d’environ 10 % ou 15 % de la quantité des pluies sur l’ensemble de l’année.
M. Patrick Allard, directeur de recherche CNRS émérite à l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). Je vais quant à moi vous parler du risque volcanique, car je suis directeur de recherche CNRS rattaché à l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), mais j’ai été vice-président puis président de l’association internationale de volcanologie. Ma vision dépasse donc celle de l’IPGP et le périmètre de la France.
Actuellement, 850 millions de personnes vivent dans un rayon de moins de 100 kilomètres autour d’un volcan actif. Le risque volcanique a donc une portée mondiale. En France, il est pour le moment cantonné dans les territoires d’outre-mer et concerne environ 1,8 million de personnes, réparties entre La Réunion, les Antilles et Mayotte.
En l’état actuel de nos connaissances, le réchauffement climatique n’accroît pas le risque volcanique. Ce ne sera donc pas le cas dans nos régions, mais ce le sera probablement à certains endroits qui sont recouverts de glace, c’est-à-dire en Islande ou dans les Andes. En effet, le poids des glaciers fondant réduira la pression sur les chambres magmatiques et, lors des épisodes chauds, l’activité volcanique a tendance à être plus soutenue dans ces régions.
L’activité volcanique est donc concentrée dans nos territoires antillais, à La Réunion et à Mayotte, qui sont soumis aux mêmes risques climatiques ainsi qu’aux risques de glissements de terrain et d’inondations. Toutefois, les volcans et les séismes sont associés à des contextes tectoniques différents. En effet, il s’agit par exemple d’un point chaud à La Réunion : un chalumeau souffle de la chaleur et fait remonter des magmas depuis presque le noyau de la Terre. Dans les Antilles, l’affrontement des plaques océaniques – plaque atlantique et plaque caraïbes – crée du stress mécanique qui se traduit par des séismes et, en replongeant dans le manteau, la plaque océanique atlantique fond en partie et engendre des magmas, créant ainsi des volcans. Ce sont des volcans plus explosifs, mais qui entrent en éruption moins souvent, car leur magma est plus visqueux et riche en gaz, contrairement aux magmas de La Réunion qui sont plus fluides et plus classiques, et donc moins dangereux.
Au cours de la dernière décennie, l’activité volcanique s’est accrue, notamment au niveau des volcans français. Laissons de côté le Piton de la Fournaise, qui est toujours très actif, avec trois éruptions par an qui sont prévues dans les deux heures ou les deux jours qui précèdent. La situation est cependant différente dans les Antilles. La Soufrière en Guadeloupe a dormi calmement pendant quinze ans après sa fameuse éruption de 1976-1977, mais depuis 1992, nous assistons à une réactivation notable du volcan avec l’augmentation de l’activité sismique ainsi que des émissions de gaz et l’élargissement des zones chaudes ainsi que des zones de dégazage. Un pic d’énergie a été atteint en avril 2018 avec un séisme de magnitude 4, ce qui a pu laisser penser que nous avions évité de justesse une éruption phréatique. Concrètement, l’observatoire et les autorités préfectorales ont passé le niveau d’alerte de vert à jaune, couleur qui signifie « vigilance ».
À la Martinique, la montagne Pelée dormait encore plus calmement que la Soufrière depuis 90 ans, c’est-à-dire depuis sa dernière éruption en 1929-1932, mais elle a montré des signaux de réactivation dès 2014. Ensuite, une crise s’est accrue entre 2018 et 2023 et a été marquée par des séquences sismiques à faible profondeur, c’est-à-dire entre 0 et 5 kilomètres, et par quelques déformations lentes mais significatives de l’édifice ainsi que par l’apparition de zones dégradées de la végétation sur les flancs sud-ouest, c’est-à-dire dans des zones où il y a eu des éruptions phréatiques dans les siècles passés. Ces phénomènes ont fait craindre une réactivation pouvant aller jusqu’à un terme magmatique.
Nous savons grâce à des travaux récents sur les magmas de La Réunion que le temps de maturation des éruptions, c’est-à-dire le temps compris entre la chambre magmatique et la surface, peut varier entre un et trois ans, ce qui est assez réduit. Nous n’avons en outre aucun enregistrement instrumental de ces séquences de signaux qui précèdent la maturation des éruptions magmatiques. Le niveau d’alerte est d’ailleurs également passé de vert à jaune en Martinique. Certaines discussions portent désormais sur le maintien ou l’abaissement de ce niveau, mais la vigilance reste de mise.
Par ailleurs, vous êtes tous au courant de cette éruption gigantesque, sous-marine et inattendue qui est survenue à Mayotte. La crise sismique a en effet surpris tout le monde et a été extrêmement intense. De plus, la découverte d’un volcan sous-marin de sept kilomètres cubes, formé en quelques mois, a stupéfié tout le monde. Concrètement, c’est la première fois qu’une éruption sous-marine de cette ampleur est enregistrée et observée. La situation se calme du point de vue volcanique, même s’il y existe un gros réservoir de magma sous-jacent, assez profond, avec des relais intermédiaires qui dégazent et produit des émissions sous-marines importantes. L’activité sismique n’y est pas nulle et il existe des risques à bien évaluer dans le cadre du réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima).
M. Stéphane Guillot. Nos quatre volcans sont en vigilance jaune et je participe au comité de pilotage de Revosima avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), l’IPGP et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Cette structure fonctionne extrêmement bien et rassemble des représentants de l’État – direction générale des outre-mer, ministère de la transition écologique et ministère de l’intérieur. Nous sommes par ailleurs en lien avec la préfecture et nous y travaillons depuis trois ans. Les organismes de recherche sont présents en tant qu’experts et interviennent en appui à la politique publique. Des réunions sont organisées hebdomadairement pour les scientifiques et mensuellement pour le comité de pilotage. Le dispositif fonctionne remarquablement bien et ce modèle pourrait être dupliqué pour l’ensemble des risques naturels sur le territoire, c’est-à-dire en réunissant les experts scientifiques ainsi que les représentants de l’État aux niveaux ministériel et local.
Le risque sismique est non négligeable au niveau des Antilles. En effet, les Caraïbes sont très proches de la zone de subduction, même si aucun séisme très important n’a eu lieu depuis environ 1850. Toutefois, le risque d’un séisme qui engendrerait un tsunami à cet endroit est réel. La vague mesurerait entre un et trois mètres et les îles seraient touchées entre dix et quinze minutes après la survenue du séisme au niveau de la zone de subduction. À La Réunion, un séisme survenu au niveau de la zone indonésienne engendrerait une vague qui prendrait six heures à arriver. Le délai est donc beaucoup plus réduit aux Antilles et nos villes et villages sont tous situés autour de la côte : le risque sur la façade atlantique est donc énorme.
Nous travaillons avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur la mise en place d’un réseau identique à celui qui existe en Méditerranée, à savoir le Centre d’alerte aux tsunamis (CENALT) qui est le réseau de surveillance du domaine méditerranéen et de l’Atlantique Nord-Est. Il permet de donner l’alerte en temps réel pour un séisme qui se produirait sur la côte nord-africaine et qui arriverait dans la région de Nice en une heure ou qui se produirait dans l’Atlantique, comme ce fut le cas à Lisbonne en 1755.
Un tel réseau n’existe pas au niveau des îles, en particulier dans les Caraïbes, même si la France y est associée au réseau américain. Cependant, il n’est pas suffisamment précis en raison de la manière dont il est disposé. Nous commençons donc à travailler avec le CEA, le ministère de la transition écologique et le ministère de l’intérieur au déploiement d’un réseau d’alerte, car les délais sont très courts en cas de problème.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Ces nouvelles montrent que le risque est présent et que ce ne sont pas simplement des vues de l’esprit. Cette commission d’enquête a vocation à étudier l’état des risques et à comprendre si les dispositifs mis en œuvre permettent d’alerter et sont coordonnés de manière suffisamment efficace pour que les effets ne soient pas trop dramatiques sur les populations alentour. Concrètement, nous cherchons à savoir si le système comprend des défauts afin de pouvoir les corriger. Nous pouvons par ailleurs nous réjouir de ce qui est déjà fait et bien fait.
Vous faites partie de la recherche, étant membre du CNRS, même si vous avez certainement une plus grande ouverture et pédagogie à l’égard du public que les autres organismes que nous avons déjà entendus. Dès lors, dansons-nous actuellement sur un volcan ? Avons-nous une réelle lucidité par rapport au risque ? Avons-nous un aménagement et des décisions de normes adéquats ? Êtes-vous en lien avec les personnes qui prennent ces décisions, en dehors de la structure que vous avez décrite et qui semble fonctionner comme il faut ?
Par ailleurs, sommes-nous sur une trajectoire qui permette de prévoir les risques futurs liés au réchauffement climatique ainsi que les risques volcaniques et sismiques ? Comment la coopération avec les territoires alentour, qui auront forcément un effet sur nous s’ils sont touchés, est-elle organisée ? Vous avez en outre parlé d’un système d’alerte et d’une forme de maillage qui permet d’avoir une connaissance des effets du réchauffement climatique à une échelle de 1,5 kilomètre. J’en déduis que ce n’est pas tout à fait le cas en ce qui concerne les risques sismiques et volcaniques. Que faudrait-il pour y parvenir ?
Enfin, nous coopérons avec les Américains et cela ne suffit pas forcément, mais que se passe-t-il lorsque nous sommes face à des États ou des secteurs dans lesquels les conditions de sécurité, d’ordre public ou d’existence d’un État ne sont plus garanties pour mener des recherches ?
M. Stéphane Guillot. Ces questions sont vastes. Au sujet des risques climatiques, certaines choses fonctionnent tout de même bien et ont progressé lors des dernières années. À l’occasion du cyclone Belal à La Réunion, la relation entre Météo‑France et la préfecture a été remarquable. Le préfet a décidé d’entrer en vigilance violette la veille, c’est-à-dire de confiner totalement les personnes, et ensuite de lever progressivement la vigilance, qui est passée de violet à rouge, ce qui a permis à la sécurité civile d’intervenir, puis de tout rouvrir. Cette gestion a été tout à fait remarquable, même si quatre personnes sans-abri qui avaient refusé de l’aide sont malheureusement décédées.
L’anticipation est fondamentale dans la gestion des risques, car il est impossible d’empêcher un séisme, une éruption volcanique ou un cyclone. Par conséquent, il faut se prémunir au maximum, notamment par des mesures telles que celles qui ont été prises par M. le préfet et par l’éducation des populations – et je pense que les habitants d’outre-mer sont relativement sensibilisés sur ces questions. En effet, le sujet est abordé à l’école, les populations vivent avec les volcans et les cyclones, etc. Toutefois, il ne faut jamais relâcher l’effort. En outre, nous avons un réel problème avec les touristes, qui ne sont pas sensibilisés et acculturés. Il va donc falloir travailler sur cette question.
Météo-France fonctionne bien, car nous disposons désormais de données à long terme acquises par les observatoires du CNRS depuis quarante ans grâce à des capteurs pour la pluviométrie, les vents, la volcanologie, etc. Nous pouvons ensuite les entrer dans des simulations numériques, ce qui nous permet d’améliorer les modèles et de passer d’un modèle global à un modèle à l’échelle d’une île et de ses alentours, notamment pour mieux comprendre les trajectoires de cyclones.
Dans le cas du cyclone Belal, la trajectoire avait été prévue, mais le cyclone a tourné au dernier moment et les comportements chaotiques sont très difficiles à anticiper. Cependant, la décision de confiner l’île avait été prise. Ensuite, ce cyclone s’est dirigé vers l’île Maurice, qui n’était pas prête et le niveau d’alerte y est passé de 1 à 3 dans la même journée. Par conséquent, les habitants ont paniqué et n’étaient pas confinés. Finalement, il y a eu des morts et des inondations. La prévention est donc très importante et passe par de la sensibilisation, de la pédagogie et de la modélisation de plus en plus fine, tant pour le risque climatique que volcanologique.
Concrètement, toute l’acquisition de cette donnée long terme et le travail de recherche réalisé ensuite permettent de mieux anticiper les processus. Sur le climat, nous devons continuer à acquérir de la donnée et à travailler main dans la main avec Météo‑France. Par exemple, nous avons à La Réunion le laboratoire de l'atmosphère et des cyclones (LACy), qui est le laboratoire météorologique associé à l’observatoire de La Réunion et qui travaille avec Météo‑France pour les acquisitions de données. En revanche, nous n’avons pas d’observatoire de météorologie dans les Antilles, mais les chercheurs métropolitains effectuent tout de même ce travail.
M. Patrick Allard. La situation est plus compliquée pour les risques volcaniques, étant donné qu’on ne touche pas l’atmosphère et qu’on ne peut pas naviguer dans le magma pour faire des mesures in situ. Nous faisons donc de l’échographie et essayons de comprendre la dynamique des processus souterrains grâce à la sismographie et la géodésie. Avec des capteurs à terre et spatiaux, nous savons mesurer les déformations d’un volcan sous la poussée du magma ainsi qu’évaluer les secteurs du volcan qui pourraient éventuellement s’effondrer et engendrer des glissements de terrain dévastateurs. Nous mesurons également les émissions de gaz associées à la remontée du magma, depuis le sol ou depuis un satellite.
À nouveau, la prévention permet la prévision, mais ce n’est pas toujours aussi facile que pour la météo et les constantes de temps ne sont pas les mêmes, ce qui implique un degré d’incertitude nettement supérieur dans la prévision des phénomènes volcaniques par rapport aux phénomènes météorologiques. Un même volcan peut d’ailleurs produire différents types de dynamismes, même si nous avons des classes de volcans. Nous effectuons donc de la modélisation et nous nous penchons sur le passé éruptif du volcan pour en connaître à la fois le comportement habituel, les comportements erratiques, les dépôts, le type de magma émis et les conséquences possibles. Ce travail de documentation historique est un préalable à toute capacité de prévision. De plus, nous devons maintenir des réseaux de surveillance en temps réel avec des capteurs sismiques, géodésiques, géochimiques, etc. Plusieurs méthodologies peuvent être combinées et la vérité ne surgit que d’un travail d’équipe combinant toutes les disciplines.
En ce qui concerne le degré de résolution de nos capacités de prévision, nous avons nettement progressé au cours des deux ou trois dernières décennies dans la compréhension du fonctionnement des volcans et dans les capacités de détection des signaux précurseurs. Les technologies et développements instrumentaux ont en effet permis d’enregistrer d’importants progrès, mais des incertitudes subsistent, car nous n’observons pas directement les phénomènes avant qu’ils se produisent à la surface. Cette incertitude reste d’ailleurs parfois difficile à transmettre tant aux autorités qu’à la population.
Notre expérience des crises volcaniques, notamment vis-à-vis de ce problème d’incertitude et de durée des crises qui peuvent être longues, montre que l’éducation des populations, leur information, le fait de garantir la confiance des populations, la transparence des données entre les scientifiques, les autorités, la population et les médias sont absolument cruciaux. Nous devons donc poursuivre nos efforts dans les territoires d’outre-mer pour renforcer l’éducation et l’information, ce qui permet de mieux gérer la crise et les incertitudes.
M. le président Mansour Kamardine. Je souhaite que vous reveniez sur l’état du dispositif français. Par ailleurs, vous avez dit qu’il n’y avait pas d’observatoire météorologique aux Antilles, mais n’est-ce pas nécessaire ou souhaitable ?
En outre, étiez-vous associés aux plans Orsec ? Si oui, existe-t-il un plan Orsec à Mayotte ? J’en réclame une copie depuis plusieurs mois et je ne l’ai pas obtenue. Cependant, mon collègue qui est plus informé que moi sur Mayotte m’indique qu’il existe bel et bien.
Enfin, je voulais revenir sur la question de la sensibilisation et j’ai eu l’occasion d’aborder le sujet à l’occasion d’un premier rapport pour avis en 2021. Beaucoup de choses se font désormais en ligne, mais tout le monde n’est pas en capacité de le faire. Nous avions imaginé à l’époque la possibilité d’associer des Mahorais, qui n’ont certes pas votre niveau de compétences mais qui pourraient progressivement acquérir un savoir en la matière. Ces personnes seraient présentes sur place, connaîtraient la situation et pourraient transmettre les informations autour d’elles afin de créer un climat de confiance, car elles parlent la langue locale. En effet, la population maîtrise de manière aléatoire le français, notamment les personnes de ma génération, même si j’ai eu beaucoup de chance pour ma part. Il n’est donc pas inintéressant qu’une personne sur place participe à ces programmes et serve de relais vis‑à‑vis des populations. Est-il aberrant que des Mahorais participent au Revosima ?
M. Stéphane Guillot. Cela a été fait à Mayotte, car nous travaillons beaucoup avec les radios locales et les messages y sont passés à la fois en mahorais et en français. Un bulletin sismologique et volcanologique est en place et toutes les alertes sont systématiquement passées dans les deux langues. J’ai travaillé avec le ministère de l’intérieur sur cette question et nous nous sommes aperçus que le meilleur vecteur correspondait aux radios locales, voire aux télévisions locales. Cette idée de sensibilisation et de programme pédagogique relativement simple me semble constituer une très bonne initiative. Elle a été mise en place par l’IPGP, en particulier à Mayotte, via les travaux de Maud Devès. Nous étions entrés dans une crise importante, car nous ne comprenions pas cette sismicité. Nous avons ensuite compris qu’elle était due au volcan et les populations ont été informées progressivement. La radio avait alors constitué un vecteur important.
Par ailleurs, il existe bel et bien un plan Orsec à Mayotte, car nos équipes ont travaillé à son élaboration. Enfin, en période de crise volcanique, l’évacuation des populations constitue un problème qui se pose à nous, notamment quand les avions ne peuvent pas voler en raison de la production de cendres. À Mayotte, l’évacuation pourrait éventuellement avoir lieu avec des bateaux militaires, mais La Réunion n’est pas située juste à côté. En effet, sans avion, plusieurs jours de mers sont nécessaires pour accéder à Mayotte.
Dans les Antilles, une entraide est possible, comme pendant la crise volcanique de Saint-Martin, entre les îles françaises, hollandaises, etc. En effet, la proximité y est relativement forte, contrairement à Mayotte qui est loin de toute terre. Évacuer Mayotte serait donc probablement compliqué.
M. le président Mansour Kamardine. Vous ne m’avez pas répondu sur l’inexistence d’un observatoire aux Antilles.
M. Stéphane Guillot. Je pense que nous devons évaluer cette question avec nos équipes et Météo‑France. Je ne suis cependant pas en mesure de préjuger de la pertinence de le mettre en place. Concrètement, je ne peux pas trancher cette question dans l’immédiat, mais nous allons l’aborder.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Êtes-vous également sollicité sur la transformation et l’évolution du plan Orsec à moyen ou long terme, compte tenu de ce que vous dites à propos de l’aggravation des risques ? Comment faites-vous pour traiter de la donnée dans les secteurs où il est difficile de la récupérer, car les situations sont chaotiques ou certains États ne fonctionnent plus ?
M. Stéphane Guillot. Le plan Orsec a été revu pour les Antilles et le risque volcanique a été réévalué, notamment pour les zones qui seraient impactées par une éruption, car nous avons maintenant une meilleure connaissance de l’historique. Par ailleurs, je vous répondrais non en ce qui concerne le risque climatique et il reste un travail à effectuer. Des travaux ont été réalisés par le BRGM sur les zones d’inondation en lien avec l’augmentation du niveau marin, c’est-à-dire les zones qui seront inondées dans les trente à cinquante ans à venir. Toutefois, je ne suis pas en mesure de vous répondre de façon globale.
Le message sur l’historique est fondamental : pour comprendre le futur, il faut comprendre le passé. L’acquisition de la donnée long terme est un paramètre fondamental pour comprendre l’évolution du système, car nous pouvons comprendre les processus, ce qui nous permet de mieux anticiper l’avenir, qu’il s’agisse des volcans, des séismes ou du changement climatique. Pour les volcans, nous observons l’évolution du système sur plusieurs dizaines de milliers d’années afin d’évaluer la récurrence des grandes phases éruptives. Nous sommes ensuite capables d’extrapoler cette étude pour prévoir ce qu’il pourrait se passer dans vingt ou trente ans en termes de tendances. En effet, les données acquises sont rentrées dans des simulations numériques de très haut niveau qui permettent d’anticiper ou de mieux comprendre ce que sera le futur. Nous avons donc besoin de personnes pour réaliser ces observations à long terme. Cependant, nous nous situons à la limite entre recherche, observation et surveillance et la recherche française, qui est de très haut niveau, fonctionne par appel d’offres. Par conséquent, l’observation de long terme, voire la surveillance, ne peut pas fonctionner avec des appels d’offres. En effet, lorsque vous déposez un projet, vous n’êtes pas sûr qu’il sera financé. Cependant, la compréhension du système ne peut pas être dépendante de crédits qui arrivent ou non.
La direction de l’IPGP a dû vous en parler et le phénomène concerne également les directeurs d’observatoire ou les membres des observatoires qui ne sont pas permanents. Il ne s’agit d’ailleurs pas de postes statutaires et les départs sont difficiles à gérer. Le système italien dispose quant à lui d’une structure, l’INGV, avec des personnes qui travaillent en permanence sur l’observation et la surveillance en lien avec la sécurité civile. Ce sont donc des chercheurs qui effectuent ce métier et qui conservent ce lien entre observation, surveillance et recherche. En France, ce système existe au niveau du Corps national des astronomes et physiciens (Cnap) et fonctionne très bien. Cependant, nous n’avons pas assez de personnel : la moitié des services nationaux d’observation, qui sont gérés au CNRS avec les autres organismes, le sont par des enseignants-chercheurs d’une université, car nous manquons de personnels Cnap ou CNRS dans ces observatoires pour réaliser cette surveillance et l’acquisition des données.
La dernière section créée au sein du Cnap est intitulée Océan‑Atmosphère, sujet qui devient vraiment critique et nécessite un travail sur le climat. Actuellement, pour l’alimenter et recruter des jeunes, nous sommes contraints de prélever des postes au niveau de la Terre solide, c’est-à-dire des personnes qui font la surveillance volcanique et sismologique, ou de l’astronomie‑planétologie. Concrètement, on alimente une section du corps en déshabillant les autres, car nous sommes conscients au CNRS qu’il est fondamental de travailler sur le changement climatique. Nous ne sommes tout de même pas dans la situation de l’hôpital français, mais nous rencontrons de réelles difficultés.
Dans la note que je vous ai transmise, nous avons travaillé sur cette notion de mission nationale d’observation et de recherche pour proposer de passer d’une fonction liée à des appels d’offres à une fonction régalienne, c’est-à-dire avec un engagement de l’État pour mieux se préparer à ces risques. Le coût annuel des catastrophes naturelles représente environ 10 milliards d’euros pour la France et les assureurs affirment que les risques naturels liés au changement climatique seront les risques majeurs des dix, vingt ou trente ans à venir. Le coût annuel en argent et en vies humaines va nécessairement croître et nous pensons qu’en anticipant mieux, nous pourrons atténuer modestement les conséquences du changement climatique. Par exemple, le cyclone Belal a été très bien géré grâce à une bonne anticipation. Une prise de conscience a lieu en recherche et à travers la nation sur le changement climatique et l’État se doit d’accompagner cet effort. Nous avons d’ailleurs les structures nécessaires et nous pouvons améliorer le système. Un léger effort d’amélioration de nos structures et des moyens financiers ou des postes associés seraient bénéfiques. En effet, si nous améliorons de 1 % l’anticipation, nous gagnons 100 millions d’euros par an : nous ne coûtons donc pas cher. Pour améliorer durablement la situation, nous estimons que 10 millions d’euros sont nécessaires par an, ce pour quoi nous sommes très rentables.
M. le président Mansour Kamardine. Il me reste à vous remercier de la qualité des échanges et de la clarté de vos exposés, qui nous ont permis de pénétrer quelque peu dans les problématiques volcaniques et sismiques.
5. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean‑Michel Zammite, directeur des outre-mer à l’Office français de la biodiversité (OFB) (1er février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous terminons cette première journée d’audition en accueillant à présent le directeur des outre-mer au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), M. Jean-Michel Zammite, à qui je souhaite la bienvenue. L’OFB est un établissement public dédié à la sauvegarde de la biodiversité et est chargé de la protection et de la restauration de la biodiversité en métropole et dans les outre-mer. À ce titre, il est présent dans les différents territoires ultramarins et est donc particulièrement bien placé pour évoquer les impacts des risques naturels majeurs sur la biodiversité et les moyens de les prévenir. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jean-Michel Zammite prête serment.)
M. Jean-Michel Zammite, directeur des Outre-mer à l’Office français de la biodiversité (OFB). Vous avez brièvement évoqué l’OFB et certaines de ses missions, mais permettez-moi de compléter cette présentation. Je vous ai d’ailleurs transmis un PowerPoint qui pourra éclairer mes propos. L’OFB est donc une institution relativement récente, issue de la fusion d’établissements anciens et bien connus. Avec ce grand opérateur de la biodiversité né le 1er janvier 2020, la France s’est dotée d’un opérateur de référence sur l’eau et la biodiversité. Il est chargé de contribuer à la surveillance, la préservation, la gestion et la restauration de la biodiversité, ainsi qu’à la gestion équilibrée et durable de l’eau, en coordination avec la politique nationale de lutte contre le réchauffement climatique.
L’OFB dispose de compétences étendues et intégrées ainsi que de leviers d’action complémentaires, notamment avec la police de l’environnement et la police sanitaire de la faune sauvage, la connaissance, la recherche et l’expertise sur les espèces, les milieux et les usages, l’appui aux politiques publiques, la gestion et l’appui aux gestionnaires d’espaces naturels et la mobilisation des acteurs et des citoyens.
Au-delà des 3 000 agents qui œuvrent au sein de l’OFB, l’organisme dispose également de possibilités financières pour soutenir ses actions sous l’autorité de ses tutelles, à savoir le ministère de l’environnement et le ministère de l’agriculture. L’OFB mène ainsi une politique ambitieuse de financement et de contribution à divers programmes, qu’il s’agisse de subventions ou de programmes de recherche.
Ce programme d’intervention vise à soutenir la conception et la mise en œuvre de politiques publiques ainsi qu’à renforcer et accélérer la mobilisation des territoires, des acteurs et des citoyens pour opérer des changements profonds. L’OFB soutient également des projets dans des aires protégées. Je pense d’ailleurs, monsieur le président, que vous êtes particulièrement sensible au parc naturel marin de Mayotte, service qui relève de l’OFB et de ma direction. L’objectif est de faire de ces aires protégées des territoires d’expérimentation et de déploiement des stratégies thématiques de l’OFB, tout en renforçant les réseaux d’aires protégées.
De plus, l’OFB appuie des projets contribuant aux obligations de surveillance des écosystèmes et de qualité des eaux souterraines, de surface et littorales. Il contribue également au financement de la connaissance et de la recherche sur les milieux aquatiques, marins et terrestres, ainsi que sur les espèces. Enfin, il soutient le développement des infrastructures d’alimentation en eau potable et d’assainissement en outre-mer ainsi que l’amélioration des efforts de communication, de connaissance, de préservation et de restauration de la biodiversité ultramarine.
Les territoires ultramarins présentent une grande diversité environnementale et la création de l’OFB s’est accompagnée de la création d’une direction des outre-mer, dont j’ai la charge. Cette direction est le point focal de l’OFB pour les territoires ultramarins et est chargée de déployer la politique de l’établissement dans ces régions ainsi que d’adapter ou de développer des politiques spécifiques aux outre-mer.
Actuellement, cette direction compte plus de 210 membres, avec huit nouveaux recrutements prévus pour ce premier trimestre 2024. L’effectif se répartit entre 52 % de femmes et 48 % d’hommes, tandis que l’âge moyen s’élève à 38 ans. 190 personnes sont basées en outre-mer, car nous avons choisi délibérément qu’un maximum d’entre elles soit au contact des besoins et des connaissances. Parmi ces 190 personnes, 45 sont des inspecteurs de l’environnement et réalisent des missions de police de l’environnement. La direction des outre‑mer est représentée dans neuf territoires, est répartie au sein de 24 résidences administratives et couvre huit des douze fuseaux horaires du territoire français et sept codes de l’environnement.
La direction des outre-mer est basée à Vincennes et organise les missions des services, qui comptent plus de 200 agents répartis dans cinq services départementaux et un service en collectivité à Saint-Pierre-et-Miquelon chargés de police de l’environnement. Elle dispose également de cinq délégations territoriales, présentes en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie – couvrant également Wallis-et-Futuna –, aux Antilles – couvrant également Saint-Barthélemy et Saint-Martin –, en Guyane et dans l’océan Indien – pour Mayotte et La Réunion. De plus, la direction gère les deux plus grands parcs naturels marins de France, à savoir ceux de Mayotte et de Martinique, ainsi que le sanctuaire Agoa pour la protection des cétacés aux Antilles.
Par ailleurs, des services spécialisés dans la connaissance des espèces et des milieux en outre-mer mènent des travaux de recherche et de préservation, notamment sur les espèces chassables ou les tortues en Guyane dans le cadre du plan national d’action.
Le budget alloué à la direction pour l’année 2024 s’élève à 52,5 millions d’euros et deux caractéristiques spécifiques de la direction sont définies dans le code de l’environnement : le soutien financier à travers l’attribution d’aides financières et, en particulier, à travers la garantie de la solidarité financière entre les bassins hydrographiques. Plus concrètement, l’OFB finance les besoins en eau et en assainissement en outre-mer, en mobilisant des montants nécessaires pour ces infrastructures. Le budget annuel pour ces projets se situait entre 20 et 22 millions d’euros auparavant. Toutefois, à la suite de l’annonce sur la résilience de l’eau par le Président Macron en mars dernier, ce budget va être doté à terme de 35 millions d’euros supplémentaires, cette année étant une année de transition avec 15 millions d’euros supplémentaires. Par conséquent, 55 millions d’euros seront disponibles pour financer l’assainissement et l’eau en outre-mer, ce qui représente un effort considérable et nécessaire. Nous avons également revu les dispositions pour faciliter le financement de projets d’eau et d’assainissement, notamment en élargissant les critères d’éligibilité et en augmentant les taux de financement.
Par ailleurs, nous avons reçu des dotations supplémentaires pour le financement de la biodiversité, portant le budget total à 52,5 millions d’euros cette année et à 65 millions d’euros à partir de 2025. En outre, la loi nous dit que nous pouvons mener, dans le cadre de conventions, des actions spécifiques à la demande dans les collectivités de Saint-Barthélemy, dans les îles Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, en apportant un soutien technique et financier si nécessaire.
Il est généralement dit que l’outre-mer abrite 80 % de la biodiversité française, mais nous ne savons pas si ce chiffre, bien que couramment utilisé, est vrai. Il s’agit d’une extrapolation basée sur certains groupes d’espèces et le nombre croissant de découvertes annuelles. Cependant, en prenant en compte les chiffres stricts, 108 151 espèces sont décrites en métropole, contre 98 534 en outre-mer. Toutefois, 80 % des nouvelles espèces découvertes ces dernières années proviennent des territoires d’outre-mer. Si les efforts de recherche se poursuivent, il est probable que l’outre-mer dépasse largement la métropole.
Ces régions sont réparties entre les différents océans – Atlantique, Pacifique, Indien – et abritent une biodiversité unique en raison de leur isolement géographique, de leurs conditions climatiques particulières et de la diversité des écosystèmes. Les territoires d’outre-mer sont connus pour leur grande richesse d’espèces endémiques, c’est-à-dire des espèces qui ne se trouvent nulle part ailleurs dans le monde. On dénombre ainsi 18 480 espèces endémiques en outre-mer, parmi lesquelles certaines ne sont présentes que sur un seul territoire, voire une seule commune. Certaines espèces sont donc en très grand état de fragilité. De plus, les espèces endémiques sont plus importantes dans les îles que sur le continent, car elles y ont évolué de manière séparée. Par conséquent, plus une île est ancienne, plus il est probable que son taux d’endémisme soit élevé. Par exemple, environ 30 % des espèces de la Nouvelle-Calédonie sont uniques au monde. En outre, l’endémisme est généralement plus important chez les espèces terrestres que chez les espèces marines en raison de l’ouverture du milieu marin.
Les territoires ultramarins sont des écosystèmes variés, avec des forêts tropicales, des récifs coralliens, des mangroves, des savanes en Guyane et des habitats marins. Chaque système a ses propres caractéristiques et, par exemple, Saint-Pierre-et-Miquelon abrite la seule forêt boréale française. Avec ses 54 000 kilomètres carrés de récifs coralliens répartis sur trois océans, la France héberge 10 % de la surface mondiale des récifs coralliens et est le quatrième pays corallien du monde.
Toutefois, nos territoires ultramarins subissent des pressions anthropiques, c’est-à-dire humaines. Malgré leur importance écologique, de nombreux écosystèmes des outre-mer français font face à des pressions fortes, avec la destruction de zones humides, la déforestation, l’urbanisation, la pollution, la surpêche et les changements climatiques.
À Mayotte, la densité de population atteint près de 815 personnes au kilomètre carré, contre 14,5 pour la Nouvelle-Calédonie et 3,4 pour la Guyane. Cependant, cette densité de population n’est pas un critère absolu de risque de dégradation. Ainsi, en Guyane, l’orpaillage illégal qui porte sur des territoires très peu peuplés cause de graves dommages environnementaux aux cours d’eau, de la déforestation et de la pollution par des métaux lourds. Cette pollution entraîne ensuite des répercussions sur les populations indigènes.
Ces territoires sont aussi très sensibles au changement climatique, avec l’élévation du niveau de la mer, des tempêtes tropicales – qui sont de plus en plus fréquentes – et l’acidification des océans, qui ont des répercussions graves sur la biodiversité. Vous avez tous en mémoire le récent cyclone Belal à La Réunion, l’activité sismique à Mayotte et la sécheresse de ces derniers mois. Les phénomènes de submersion sont quant à eux de plus en plus fréquents, comme en témoigne la récente dégradation de l’isthme de Miquelon‑Langlade sous l’assaut de la mer. De plus, les discussions sont engagées quant aux déplacements potentiels de la commune de Miquelon‑Langlade, confrontée à une urgence climatique et menacée par une possible immersion dans les années à venir. Un problème similaire se pose en Guyane, notamment avec le village d’Awala‑Yalimapo, dont le territoire abritait l’un des plus grands sites de ponte de tortues vertes. Ces exemples illustrent la multiplication des effets du changement climatique sur les populations, leur environnement, voire même sur la survie des écosystèmes et des populations.
Concernant les richesses spécifiques des outre-mer, un outil important a été développé avec le soutien des ministères des outre-mer et de l’environnement : les compteurs de la biodiversité en outre-mer. Ils permettent d’informer et de mobiliser autour de la richesse des outre-mer. Nous nous efforçons de collecter un maximum de données et, par exemple, 555 nouvelles espèces sont décrites en outre-mer chaque année. À Saint-Pierre-et-Miquelon, on recense environ 2 000 phoques, qui forment la plus grande population de phoques en France. De plus, 80 % des territoires ultramarins sont couverts de forêts, tandis que 29 % des récifs coralliens y sont en diminution et que 25 % des mangroves nationales font l’objet de mesures de conservation.
Chaque territoire ultramarin dispose de son propre compteur et nous avons des exemples de restauration, de renaturation et de bonnes pratiques. Cet outil a été déployé au congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et est géré par une équipe de PatriNat, qui est une unité mixte entre le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’OFB. Il constitue un outil essentiel pour informer et sensibiliser à la richesse de la biodiversité dans les outre-mer. Par exemple, 10 189 mollusques sont décrits en outre-mer et, bien qu’on se focalise souvent sur des espèces emblématiques, la richesse provient de tout l’écosystème qui agit en interdépendance. En conclusion, ces territoires sont riches et variés, mais également vulnérables au changement climatique et victimes de dégradations.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Je vous remercie pour ce panorama assez complet de l’action de l’OFB. Le but de cette commission d’enquête est d’analyser les risques qui pèsent sur nos territoires, d’évaluer dans quelle mesure nos politiques actuelles permettent de les prévenir ainsi que de les gérer et de comprendre comment l’activité humaine et les politiques de notre société contribuent à ces risques.
Je constate que votre direction compte près de 200 agents et que 55 millions d’euros sont dédiés au financement des systèmes d’assainissement, répondant ainsi à des besoins pressants. Sous un précédent mandat, j’ai été membre de la commission d’enquête sur l’eau, où nous avons pu constater, notamment en Guadeloupe, l’état désastreux des réseaux. Dans ce contexte, les moyens attribués vous paraissent-ils appropriés à l’enjeu au vu des 3 000 agents que compte l’OFB et alors que 80 % de la biodiversité se trouve sur ces territoires ?
Ma deuxième question porte sur l’impact des risques majeurs sur la biodiversité, étant donné que plusieurs témoignages évoquent une intensification des phénomènes extrêmes plutôt qu’une accélération. Dans quelle mesure cela peut-il affecter la biodiversité ? Nos activités, telles que l’aménagement du littoral, exacerbent-elles les dangers pour la biodiversité ? Et inversement, la biodiversité peut-elle nous protéger des risques majeurs ?
Enfin, le déclenchement de catastrophes naturelles peut-il nous mettre en danger en regard de la biodiversité ? Par exemple, est-il possible que des risques naturels entraînent l’émergence de maladies parce que nous serions trop en contact avec des environnements où la biodiversité présente des risques pour la santé humaine ?
M. Jean-Michel Zammite. Ces questions sont très vastes et je tenterai d’y répondre en mobilisant l’exemple des récifs coralliens. Une étude de l’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) de 2016 souligne que les récifs coralliens contribuent chaque année à hauteur de 1,3 milliard d’euros aux économies des neuf collectivités d’outre-mer. En effet, en générant une économie reposant sur 12 000 entreprises, ils soutiennent 50 000 emplois et environ 175 000 ménages qui dépendent directement ou indirectement de leur existence. Les récifs coralliens offrent également des avantages non négligeables, notamment en matière de tourisme. Ils constituent donc un pilier économique essentiel. Sur le plan mondial, environ 20 % des récifs et des écosystèmes associés ont été irrémédiablement détruits au cours des dernières années sous l’effet de pressions anthropiques et naturelles. Parmi les 80 % restants, seuls 30 % seraient dans un état satisfaisant.
En outre, les récifs coralliens absorbent une grande partie de l’énergie des vagues, réduisant les dommages sur les aménagements littoraux lors des évènements météorologiques extrêmes. Ils sont donc source d’économies importantes, évaluées à 595 millions d’euros chaque année si je ne me trompe pas. Il s’agit d’indemnités naturelles gratuites et nous ne nous rendons pas compte que ce patrimoine nous fournit des ressources. En cas de poursuite de la dégradation des coraux, des conséquences significatives se feront ressentir sur le littoral, telles que l’absence de pêche, car ces récifs abritent un ensemble considérable de faune et de flore. Cependant, la pêche dans les récifs coralliens fait vivre plus de 6 millions de personnes à travers le monde et représente une valeur économique de 6,8 milliards de dollars par an, dont 215 millions pour les outre-mer français. Lorsque les récifs coralliens se dégradent, la diminution de la population de poissons affecte l’ensemble de la chaîne alimentaire.
En outre, les récifs coralliens et les écosystèmes associés, tels que les herbiers et les mangroves, agissent comme puits de carbone et jouent un rôle important dans la régulation du climat. La valeur de ce service en crédits carbone a été estimée à 175 millions d’euros. De plus, les récifs coralliens constituent une économie du tourisme, le tourisme bleu étant basé sur l’usage récréatif des récifs – excursions, plongée sous-marine, découverte, plaisance, journée à la plage. Il a d’ailleurs été évalué à 315 millions d’euros.
Les récifs amènent aussi des progrès dans la recherche médicale. En effet, environ la moitié des recherches sur les médicaments contre le cancer sont basées sur des organismes marins, qui sont également utilisés dans le traitement de maladies telles que le paludisme et la dengue. En outre, un extrait d’une éponge des récifs des Caraïbes est utilisé dans un médicament contre le VIH. Toutes ces indemnités ont donc été évaluées par l’étude de l’initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor).
De plus, il existe des liens fonctionnels entre les différents écosystèmes, notamment les mangroves. Ces dernières réduisent les flux de sédimentation et de pollution provenant du bassin-versant, agissant ainsi comme un filtre naturel. Les mangroves atténuent également les vagues et les problèmes de pollution, tout en abritant de nombreuses espèces marines, telles que les crabes, qui constituent une importante source de nourriture pour les populations locales. Elles sont enfin des zones de nurserie et de croissance des juvéniles.
Les herbiers captent eux aussi le carbone et fournissent une source de nourriture pour des espèces telles que les tortues, qui constituent également une richesse touristique majeure dans de nombreux territoires ultramarins. De plus, le récif corallien amortit l’énergie des vagues et protège les herbiers et les mangroves, or ces habitats sont propices à la vie marine et à la reproduction ainsi qu’à l’alimentation de nombreuses espèces. Comme tout patrimoine naturel, il doit être entretenu, car il est très fragile.
En effet, le réchauffement climatique menace la survie des récifs coralliens, tandis que la pollution issue des systèmes d’assainissement défaillants constitue une menace supplémentaire. L’écoulement d’eaux usées non traitées sur les récifs entraîne une couche de boue qui étouffe leur fonctionnement et peut conduire à leur destruction. Plus précisément, ils vont être surfatigués par l’accumulation de ces différents facteurs, auxquels s’ajoutent la surpêche et la pollution directe.
Dans les territoires ultramarins, l’une des urgences correspond donc à garantir des systèmes d’assainissement conformes. Par exemple, sans ces systèmes de filtration naturelle, l’eau est moins purifiée, ce qui entraîne par exemple le déclassement de plage à la baignade et des conséquences néfastes pour l’industrie touristique locale. Dans ce contexte, le rôle de l’OFB consiste à fournir des conseils et de la méthode. Par le biais de stations de mesure et de programmes de formation, l’OFB contribue à évaluer et à surveiller la santé des récifs coralliens, tout en formant une nouvelle génération de plongeurs capables de collecter des données essentielles sur ces écosystèmes. L’OFB attribue également des subventions dans le cadre d’appels à projets ou de programmes d’intervention. Par exemple, des zones de mouillage écologique sont financées afin de prévenir les dommages causés aux récifs coralliens et aux herbiers par les bateaux locaux. Des opérations similaires sont en cours de planification en Nouvelle-Calédonie.
En outre, l’OFB apporte une technicité, comme pour la gestion des parcs marins, et capitalise sur des savoirs afin de conseiller des communes qui pourront installer elles-mêmes ces mouillages écologiques. L’OFB participe également à la création d’aires marines protégées et concourt à la diminution de la pollution en finançant des stations d’épuration, ce qui permet de protéger les milieux récepteurs. Nous avons en outre financé des projets pilotes visant à améliorer la résilience des récifs coralliens, notamment en Polynésie, en nous basant sur la résistance génétique, en rétablissant la pression d’herbivorie sous les algues, en arrachant les macroalgues envahissantes et en réalisant des bouturages de coraux.
Parallèlement, l’OFB s’engage dans le développement de méthodes innovantes de cartographie afin de mieux comprendre et protéger les écosystèmes marins, et ainsi accompagner la mise en place de nouvelles réglementations. L’objectif n’est pas de protéger les espèces ou les milieux, mais de garantir à l’humain un usage de la nature.
L’OFB exerce également des missions de police de l’environnement en collaboration avec d’autres services, sous l’autorité préfectorale, afin de faire respecter la réglementation et de limiter les impacts sur les milieux naturels. Par exemple, dans certains secteurs où la pêche sous-marine est excessive, elle peut être interdite. Les mouillages interdits doivent également être contrôlés, de même que la destruction, la capture d’espèces protégées, etc.
Enfin, l’OFB apporte son expertise dans les études d’impacts pour les services chargés de l’instruction de dossiers et de déclarations d’autorisation. Par exemple, nous pouvons être consultés sur la manière de limiter les impacts causés par les travaux sur les mammifères marins.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je remarque que, dans la présentation que vous nous avez fournie, vous avez pointé les risques émergents : « L’émergence de maladies affectant la faune et la flore, qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine, peut représenter une menace pour la biodiversité ». Est-ce également vrai dans le sens inverse ? Le fait d’attaquer le territoire de la biodiversité n’engendre-t-il pas des risques pour l’être humain, qui serait confronté à des espèces porteuses de virus ?
M. Jean-Michel Zammite. Mes capacités scientifiques sont insuffisantes dans ce domaine-là pour vous répondre. Toutefois, en plus de ses activités de police environnementale, l’OFB assure une surveillance sanitaire, ce qui lui permet de détecter l’apparition de nouvelles maladies chez les animaux. Par exemple, à La Réunion, des cas de maladies ont été observés chez certaines espèces d’oiseaux, se manifestant par un gonflement des pieds et conduisant à la mort. Je ne connais pas les causes exactes de ces maladies, mais il est possible de faire quelques suppositions.
En effet, lorsqu’un écosystème est fragilisé, il est plus sensible aux maladies, car sa résistance s’amoindrit. Les risques de voir apparaître des maladies augmentent dès lors que le système est fatigué, comme c’est le cas avec un corps humain. En effet, l’écosystème est agressé par plusieurs facteurs et se fatigue, ce qui entraîne sa fragilisation et son dysfonctionnement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous serions intéressés par des documents relatifs à ce sujet.
M. Jean-Michel Zammite. J’aborderai le sujet avec mes collègues spécialisés en surveillance sanitaire pour vous transmettre des exemples, notamment sur l’océan Indien.
M. le président Mansour Kamardine. Avant de conclure, j’aimerais revenir sur Mayotte, qui connaît une situation singulière, sans même évoquer la consommation d’eau. Cependant, je voudrais revenir sur l’assainissement, car vous avez évoqué les conséquences du manque d’assainissement, qui peuvent être considérables sur la biodiversité.
Par ailleurs, les collectivités de plus de 10 000 habitants sont tenues d’avoir des stations d’épuration. Or, lorsqu’on observe Mayotte qui regroupe environ 450 000 habitants, on constate qu’il n’y a qu’une seule station d’épuration qui fonctionne de manière aléatoire, tandis que trois autres qui ont été construites depuis plusieurs années ne fonctionnent pas. Cette situation donne l’impression d’un État extrêmement riche et capable de lancer l’argent par les fenêtres, alors qu’il s’agit d’une obligation. Des stations d’épuration ont été construites, mais les populations ne peuvent pas s’y raccorder, ce qui rend ces installations inutiles.
Est-ce que l’OFB est en mesure, par exemple, de subventionner les branchements pour permettre aux populations de se connecter ? En effet, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et les coûts de raccordement s’élèvent entre 1 800 et 2 000 euros : par conséquent, il est évident que ces populations, notamment celles du centre, qui ont des revenus très faibles, voire inexistants, auront du mal à assumer ces frais.
Nous aurions donc investi dans la construction de la station, mais aucun branchement ne serait effectué. Est-ce une perspective envisageable ? Y a-t-il d’autres solutions à envisager à Mayotte pour encourager les raccordements ? Enfin, si nous ne sommes pas capables de faire fonctionner les trois stations construites depuis plusieurs années, il est difficile de justifier la construction de nouvelles installations.
M. Jean-Michel Zammite. Cette question pourrait nous amener à quelques heures de débat. Concrètement, les financements alloués sont très importants, mais le principal problème dans les outre-mer correspond au manque d’ingénierie. Il existe un besoin important en ingénierie, tant sur le plan technique, administratif que financier. L’argent ne manque pas et je gère un montant important de crédits pour l’OFB, soit environ 40 millions d’euros pour Mayotte. Cependant, le problème porte sur la consommation de ces crédits, ce qui demande des ingénieurs à demeure et des personnels administratifs. En outre, des personnes compétentes doivent rester sur le territoire et gérer ces dispositifs. Construire ne fait pas tout et nous avons connu des scandales de stations construites qui n’ont jamais fonctionné.
Les investissements ne font donc pas défaut. En outre, je crois que l’article L1111‑10 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que les départements d’outre-mer ne sont pas contraints à une participation minimale au financement de projets à hauteur de 20 %. Il est même possible d’obtenir un financement à 100 % et de nombreux financements dans le domaine de l’eau et de l’assainissement en sont proches, voire atteignent les 100 %, ce qui ne garantit toutefois pas le bon fonctionnement des installations.
Lorsqu’une grande partie de la population vit sous le seuil de pauvreté, nous avons le devoir de fournir un service tel que la distribution d’eau, même si ce service ne sera pas payé. Je pense que le modèle hexagonal où l’eau paie l’eau ne fonctionne pas dans certains territoires, car il nécessite que les habitants puissent la payer. Il est normal que l’État et l’Europe fournissent un financement conséquent, ce qui ne résout cependant pas le problème de gestion. Ma direction est assez étoffée pour gérer les aides qui nous sont demandées, mais nous ne recevons peut-être pas suffisamment de demandes de dossiers, car il faut des services d’ingénierie pour les supporter. De plus, les collectivités doivent disposer de suffisamment de cadres pour monter, constituer et suivre les dossiers. Par ailleurs, il faut des entreprises locales pour réaliser les travaux nécessaires, car les prix sont parfois excessifs en outre‑mer en raison de la plus grande faiblesse de la concurrence et du besoin d’importation des matériaux.
Cette réalité a été particulièrement visible lors du plan de relance, qui a été limité par la capacité d’entreprendre. Même si des fonds importants sont disponibles, ils ne résolvent pas les problèmes liés à la disponibilité des cadres. Il existe donc un problème lié à l’ingénierie résiliente et permanente dans ces territoires, même si l’OFB a augmenté ses taux.
Par ailleurs, nous avons proposé en tant que techniciens à nos élus au Conseil d’administration de voter le principe d’un système d’aide exceptionnelle en cas de crise. Auparavant, il fallait passer par le Conseil d’administration pour chaque décision afin de voter un système dérogatoire, ce qui pouvait prendre du temps. Désormais, il est donné à la commission des interventions, comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 185 du programme d’intervention 2023-2025, la possibilité d’approuver une dérogation expressément motivée et circonscrite dans le temps et dans l’espace, permettant d’appliquer exclusivement, pour des études et des scénarios d’urgence, un taux de subvention de 80 % de l’assiette des dépenses éligibles. En cas de catastrophe ou de situation de crise imprévisible et irrésistible imputable aux évènements climatiques ou géologiques extérieurs ayant touché les biens de la collectivité territoriale, l’OFB peut déroger automatiquement à son dispositif pour apporter rapidement des aides d’urgence jusqu’à 80 % d’aides.
Concernant la question des branchements, l’OFB ne finance pas cette partie des ouvrages, le dispositif d’aides étant limité aux ouvrages sur le domaine public. Cependant, il existe d’autres acteurs que l’OFB.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie pour cette réponse et j’espère que nous trouverons une autre solution. En effet, il est inutile de construire des stations qui ne fonctionnent pas. Je vous remercie pour votre intervention et n’hésitez pas à nous envoyer des documents complémentaires.
6. Audition, ouverte à la presse, sur les politiques d’adaptation au changement climatique et la gestion des risques naturels majeurs dans les outre‑mer : M. Sébastien Dupray, directeur risques eaux et mer ; Mme Séverine Bes de Berc, directrice territoriale Outre‑mer (8 février 2024)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous poursuivons nos travaux par une audition consacrée aux politiques d’adaptation au changement climatique et à la gestion des risques naturels majeurs dans les outre-mer. À cette occasion, nous recevons des représentants du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Nous avions également convié l’Agence de la transition écologique (ADEME), dont les membres, qui n’ont pu se rendre disponibles, fourniront une réponse écrite à nos questions.
Après une première série d’auditions consacrées aux organismes de recherche scientifique, nous abordons des sujets plus opérationnels avec le Cerema, dont la mission est d’« apporter des connaissances, des savoirs scientifiques et techniques et des solutions innovantes au cœur des projets territoriaux pour améliorer le cadre de vie des citoyens ».
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Séverine Bès de Berc et M. Sébastien Dupray prêtent successivement serment.)
Mme Séverine Bès de Berc, directrice territoriale outre-mer du Cerema. Avec mon collègue, Sébastien Dupray, nous représentons le directeur général du Cerema, Pascal Berteaud. Le Cerema est l’établissement public qui accompagne l’État et les collectivités territoriales dans l’adaptation au changement climatique en leur apportant des solutions sur mesure, à travers six grands domaines d’activité. Il s’agit d’un établissement public à gouvernance partagée entre l’État et les collectivités. Cela constitue une nouveauté puisque, auparavant, notre établissement était purement administratif. Depuis 2023, le Cerema peut intervenir auprès des collectivités en quasi-régie conjointe.
Ses principales missions sont la recherche et l’innovation, l’appui aux politiques publiques et la diffusion des connaissances. Notre établissement est implanté dans l’ensemble du territoire, y compris les outre-mer depuis 2021. Sous l’influence de la direction générale des outre-mer, notre directeur général a souhaité y créer une nouvelle direction territoriale, qui s’est implantée dans quatre des départements et régions d’outre-mer (Drom) : à La Réunion, à Mayotte, en Guyane et, plus récemment, aux Antilles.
Les territoires ultramarins sont connus pour être soumis à la plupart des aléas naturels, certains étant même concernés par l’ensemble d’entre eux à l’exception des avalanches. Leur insularité et leur éloignement de la métropole les rendent plus vulnérables. Des phénomènes naturels dangereux s’y produisent plus régulièrement et avec plus d’intensité qu’ailleurs.
M. Sébastien Dupray, directeur technique chargé des risques, de l’eau et de la mer au Cerema. L’adaptation au changement climatique est la raison d’être de notre établissement, où travaillent à peu près 2 500 personnes. Pour chaque territoire, nous développons une approche systémique, intégrée, des risques naturels spécifiques auxquels l’expose le changement climatique, qui rend certains phénomènes plus graves et plus fréquents. Nous consacrons 10 % de nos moyens à l’étude de ces risques.
Le travail du Cerema consiste à acquérir une connaissance des phénomènes qui touchent les territoires afin de proposer des solutions opérationnelles adaptées.
Notre premier axe de travail consiste à développer une expertise sur les risques hydrauliques, qu’ils touchent l’intérieur des terres ou les littoraux. Cette expertise nous permet d’aider les services de l’État à prévoir les crues et à assurer la sécurité des ouvrages hydrauliques. Elle nous permet également d’accompagner les collectivités dans l’exercice de leur compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévision des inondations (Gemapi) qui leur a été dévolue par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam).
Notre deuxième axe de travail concerne les risques géologiques et géotechniques, pour lesquels nous sommes un établissement de référence. Il vise à développer des solutions de protection. Nous apportons notre concours aux collectivités et aux territoires confrontés aux risques de gonflement et de retrait des argiles – qui s’accroissent dans le contexte du changement climatique – ou de chute de blocs et de glissement de terrain, qui augmentent également et sont particulièrement élevés en montagne et dans les outre-mer.
Pour conclure, j’aimerais insister sur la nécessité de mobiliser une bonne connaissance des phénomènes pour élaborer des solutions pertinentes. En effet, comme le rappelait Mme Panonacle, il convient de ne pas opposer, mais d’articuler recherche et innovation, ce que nous faisons puisque 10 % de nos équipes pratiquent une forme de recherche finalisée. Notre rôle consiste à diffuser les acquis de la recherche, mais aussi à faire remonter les solutions des territoires eux-mêmes, en favorisant leur mise en commun. Nous avons la fierté de collaborer avec plusieurs associations nationales d’élus locaux, comme celle des élus des bassins, l’ANEB, pour la mise en œuvre de la compétence Gemapi et celle des élus des littoraux (ANEL) concernant l’adaptation au changement climatique et la gestion intégrée des littoraux.
Présidence de M. Mansour Kamardine.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous prie de m’excuser pour mon retard, dû notamment à un entretien que j’ai eu avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) au sujet de la crise à Mayotte.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. L’objectif de notre commission d’enquête est de faire un état des lieux des risques naturels et de l’effet du changement climatique sur la survenue des aléas et leur intensité. Plusieurs éminents scientifiques ont commencé de nous éclairer à ce sujet.
Notre second objectif consiste à envisager les outils opérationnels permettant de limiter ces risques et leur éventuelle évolution. Il existe toujours des marges de progression, et les scientifiques n’ont pas manqué de faire remarquer qu’il leur faudrait davantage de moyens pour mener à bien leur tâche. Peut-être aurez-vous des réflexions comparables.
Ma première question concerne votre présence dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) plutôt que dans les collectivités d’outre-mer (COM). Est-ce pour des raisons statutaires que vous n’intervenez pas dans les collectivités relevant de l’article 74 ? Cela correspond-il à une volonté politique de gérer en propre ces risques bien qu’elles ne disposent sans doute pas d’un outil aussi puissant que le Cerema ? Ou bien s’agit-il seulement pour vous de procéder « pas à pas » ?
Mme Séverine Bes de Berc. Concernant les outre-mer, je l’ai indiqué, le Cerema n’y était tout simplement pas implanté avant 2021. Qui plus est, l’établissement a perdu 25 % de ses effectifs en quelques années. Nous avons dû réduire les effectifs de certaines équipes pour nous déployer dans les outre-mer. Nos marges de manœuvre étant assez minces, nous avons décidé d’aller d’abord dans les DROM. La Guyane et Mayotte semblaient avoir un besoin prioritaire de l’ingénierie de notre établissement. Quant à La Réunion, nous y avions déjà beaucoup d’activités en cours nécessitant une présence sur place. Notre agence des Antilles n’est pour sa part ouverte officiellement que depuis le 1er février.
Les collectivités du Pacifique ne peuvent malheureusement pas encore adhérer à l’établissement, ce qui ne nous empêche pas de travailler avec elles. Une convention nous lie avec la commune de Punaauia. Nous travaillons également à Saint-Pierre-et-Miquelon. Donner aux COM la possibilité d’adhérer au Cerema faciliterait cependant la tâche de notre établissement et nous souhaitons faire modifier la loi en ce sens.
Nous réfléchissons à un déploiement en Polynésie, où nous avons envoyé un collaborateur pour une mission d’écoute. Nous envisageons d’avoir une personne sur place en permanence, bien que notre activité ne prenne pas la même forme que dans les DROM.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Effectivement, cela peut nous concerner si une évolution législative est nécessaire.
Vous avez mentionné le risque hydraulique, le risque terrestre. Cela veut-il dire que le risque cyclonique recouperait l’un des deux autres risques ?
Mme Séverine Bes de Berc. L’étude du risque cyclonique en tant que tel relève plutôt des compétences de Météo‑France. Notre travail portera plutôt sur les conséquences d’un cyclone, qui génère une pluviométrie intense et des inondations.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comment se concrétise votre expertise ? Est-ce au travers de la rédaction des plans d’organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) ? Intervenez-vous directement auprès des décideurs publics ?
Mme Séverine Bes de Berc. J’ai préparé quelques exemples assez précis des types d’intervention que nous pouvons mener dans les outre-mer. À la suite de la tempête Fiona qui avait touché la Guadeloupe il y a deux ans, nous étions intervenus immédiatement après la crise pour évaluer les dégâts sur les infrastructures et identifier d’éventuelles routes à fermer. Une fois la crise passée, nous avons cherché à en tirer les enseignements. Chaque phénomène qui survient nous conduit en effet à requalifier ce qui nous servait d’événement de référence auparavant, en confrontant nos connaissances à ce qui s’est réellement passé. Nous « capitalisons », en quelque sorte, notre connaissance de ces événements. C’est l’un des aspects de l’adaptation au changement climatique : mesurer l’évolution des aléas.
À La Réunion, le Cerema accompagne l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), appelé Territoire de la côte Ouest (TCO), dans l’élaboration de son plan intercommunal de sauvegarde (Pics). Ces territoires ne disposaient pas jusqu’alors d’un document de ce type, qui sert à coordonner l’action des membres de l’intercommunalité en cas de crise. C’est pourquoi nous avons formulé des recommandations touchant l’organisation et la stratégie et aidé à réaliser des exercices.
À la suite du cyclone Irma, le Cerema a dépêché en urgence des équipes sur place. Malgré les conditions de déploiement difficiles, nos agents ont pu établir un premier diagnostic des dégâts et identifier les dangers imminents. Dans un second temps, nous avons développé un programme de recherche portant sur l’organisation et les capacités d’adaptation des services chargés de gérer la crise. Une fois la reconstruction commencée, nous avons travaillé dans le cadre du plan Eau Dom (PEDOM) sur la résilience des réseaux d’eau et d’assainissement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Pouvons-nous nous attarder quelques secondes sur le cas d’Irma ? Avez-vous suivi l’intégration de vos recommandations dans les documents de prévention des risques et dans les plans Orsec des territoires concernés ?
Mme Séverine Bès de Berc. Les diagnostics que nous avons réalisés en post-crise ont vraisemblablement été utilisés pour élaborer ces documents, mais je ne peux vous détailler notre participation. Maintenant que nous disposons d’une agence pour les Antilles, nous allons accompagner la collectivité de Saint-Martin, où la reconstruction est moins avancée que prévu. Le rôle d’un établissement comme le Cerema consiste à faire le lien avec l’État pour aider la collectivité à reconstruire en hiérarchisant les besoins et en exploitant l’expérience des événements passés, pour augmenter la résilience.
M. Sébastien Dupray. Le Cerema travaille avec l’État, les collectivités et les entreprises. Dans la phase de prévention, nous mettons à disposition des collectivités des outils pour évaluer leur vulnérabilité. Pour les inondations par exemple, nous avons développé un outil de cartographie appelé AgiRisk – Amélioration de la gestion individualisée de la résilience aux inondations des systèmes territoriaux –, afin que même si elles ne disposent pas d’un plan de prévention des risques (PPR), elles puissent estimer leur exposition à partir de leurs documents d’urbanisme et de nos connaissances. L’État participe évidemment au travail de prévention ; nous l’aidons à élaborer les outils capables d’anticiper les crues, qui seront notamment utilisés par le réseau Vigicrues, le service public de prévision des inondations et de vigilance des crues. Nous participons également à la bonne connaissance du patrimoine hydraulique, constitué des ouvrages qui protègent des submersions marines et des inondations. Nous disposons d’équipes spécialisées dans ces domaines complexes et techniques.
Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer. Le retrait-gonflement des argiles, par exemple, constitue un risque grave pour de nombreux territoires : nos laboratoires aident des entreprises à développer des solutions, par exemple en mettant à leur disposition du matériel scientifique et technique peu accessible ou en participant à des travaux de normalisation, afin de définir les bons référentiels, de sorte qu’ensuite les collectivités territoriales puissent acheter des équipements robustes et fiables. Des travaux ont commencé sur des barrières anti‑inondations ; le CEREMA y participera activement, notamment en faisant évoluer un de ses laboratoires pour que les entreprises puissent effectuer des tests.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous connaissons tous l’expertise du Cerema. Intervenez-vous systématiquement et obligatoirement en prévention des risques, lors de l’élaboration ou de la révision des plans Orsec, des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI), des zonages, des dispositifs d’alerte et de protection des personnes et des biens ? Ou faut-il vous solliciter ? Vous avez dit que les collectivités avaient « vraisemblablement » appliqué vos recommandations : ce n’est pas très rassurant !
Mme Séverine Bès de Berc. L’élaboration d’un PPR nécessite une cartographie des aléas. Dans les outre-mer, c’est généralement le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) qui l’effectue. Les collectivités ne sont pas obligées de faire appel à nous pour concevoir leur plan Orsec et je ne pense pas que notre stratégie prévoie de nous impliquer dans ce cadre. Nous intervenons dans la création du Pics que j’ai mentionné parce que l’occasion s’en est présentée : comme nous l’accompagnions déjà dans le cadre de programmes plus généraux, la collectivité concernée a sollicité notre aide. Ainsi, il n’est pas obligatoire de faire appel à nous pour élaborer les programmes de prévention ; d’autres établissements publics sont déjà fortement mobilisés et leurs apports satisfont les besoins.
Nous pouvons intervenir dans le cadre d’une gestion de crise provoquée par des événements extrêmes. Après le passage de Fiona et d’Irma, des ministres nous ont sollicités et nous sommes arrivés sur place dans les jours qui ont suivi : nous nous sommes mobilisés en urgence et avons envoyé des experts dès qu’il était possible de les faire atterrir.
M. Sébastien Dupray. Le Cerema intervient dans le temps long de la prévention, mais il n’est pas un acteur de gestion de crise, même s’il peut installer des ponts de secours, immédiatement après l’événement. Il agit également dans le temps long du retour d’expérience : on améliore la résilience en apprenant des faits et en essayant, autant que possible, de reconstruire différemment.
Vous nous avez interrogés sur les documents réglementaires. L’État a instauré des référents départementaux pour l’appui technique à la préparation et à la gestion de crises d’inondation ; le Cerema a créé des référentiels et des formations à leur intention. Ces documents sont publics et les collectivités peuvent en disposer. Dans le Sud de la France, par exemple, nous avons formé des techniciens, des élus et des représentants des collectivités afin de mieux se préparer aux inondations ou à d’autres événements du même type.
Après les crises, le Cerema intervient parfois pour donner des avis dans le cadre des procédures de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, notamment après des mouvements de terrain et des tempêtes, puisqu’il gère le réseau national des observatoires du trait de côte. Celui-ci est important, même s’il est méconnu : les bulletins de vigilance « vagues‑submersion » de Météo‑France, par exemple, dépendent notamment des données du CEREMA. Celles-ci permettent également d’évaluer la fréquence des tempêtes en cas de submersion marine.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). N’avez-vous pas l’impression que les dirigeants des collectivités locales méconnaissent souvent l’urgence climatique ? La réalisation de certains projets peut s’éloigner des intentions affichées. Vous avez dit que le Cerema intervient immédiatement après les crises, mais n’est-ce pas trop tard ? Vos recommandations sont toujours utiles, mais il n’est pas obligatoire de s’y conformer ; lorsque des projets ne les ont pas respectées et qu’on vous demande d’intervenir après leur réalisation, il est un peu tard. Dans le cas du projet d’éco-PLU – plan local d’urbanisme – de la commune de Saint-Pierre de La Réunion, des personnalités publiques ont émis un avis réservé. Leur analyse est alarmante. En avez-vous eu connaissance ?
Mme Séverine Bès de Berc. Les besoins des collectivités sont considérables. Parfois récentes, comme les intercommunalités de Mayotte, elles appréhendent leurs différentes responsabilités à mesure qu’elles se structurent. Pour suivre toutes les directives, elles ont besoin d’être accompagnées par un établissement public et technique comme le nôtre, dont c’est le rôle. Elles nous appellent par exemple pour élaborer leur contrat de relance et de transition écologique (CRTE) : dans ce cadre, nous aidons notamment la communauté de communes du Sud de Mayotte. Ce n’est pas qu’elles n’ont pas conscience des enjeux, mais elles ne savent pas toujours par quel bout commencer. Notre mission, et celle d’autres établissements publics, consiste à offrir une aide technique, à prioriser et à orienter. Quelquefois, elles ont un projet mais nous devons leur dire qu’il est moins urgent que d’autres ou qu’il faut le concevoir autrement.
M. Sébastien Dupray. Même si nous leur avons présenté les risques hydrauliques, géotechniques et climatiques, les collectivités et les élus doivent affronter un problème territorial. Le changement climatique empêche de concevoir les risques isolément : ils se superposent, s’étendent et s’aggravent. Le défi, et il est de taille, est désormais de préparer une transformation durable du territoire. En tant qu’établissement technique, notre rôle consiste à apporter les éléments nécessaires pour prendre la meilleure décision – ou la moins mauvaise. Or celle-ci doit respecter un équilibre entre des éléments techniques, que nous apportons, et d’autres considérations, de nature réglementaire, financière et sociale : il faut que la population et les acteurs économiques puissent l’accepter.
Mme Séverine Bès de Berc. Nous avons beaucoup parlé des aléas, moins de la vulnérabilité, or cet aspect rend l’approche complexe, en particulier dans les outre-mer. Toutes les infrastructures, comme les réseaux d’eau et d’assainissement ou les bâtiments publics, sont fragilisées par des aléas beaucoup plus fréquents et intenses que dans l’Hexagone. Le risque est donc plus élevé. Nous devons donc mieux appréhender les phénomènes auxquels ils seront soumis, tout en prenant en compte leur vulnérabilité.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Sans parler des moyens que cela impliquerait de déployer, pensez-vous qu’il serait utile de solliciter systématiquement votre avis avant de modifier un document réglementaire, comme le plan d’urbanisme, un zonage, un plan Orsec, etc. ?
M. Sébastien Dupray. L’important, c’est de s’assurer que la réflexion préalable à l’élaboration de ces documents balaie toutes les questions pertinentes et que les risques sont bien pris en compte. Souvent, cela exige beaucoup de temps et de discussions : une intervention a posteriori du Cerema serait tardive. Il faut d’abord que les collectivités soient conscientes des enjeux, des aléas qu’il faut envisager, pour bien construire leur démarche et parvenir à un résultat techniquement bon et acceptable. Notre ambition, pour le moment, est de prendre les choses par le bon bout – si je peux me permettre l’expression. Par exemple, nous travaillons en ce moment avec dix-sept collectivités des territoires littoraux, dont deux sont situées dans les outre-mer, sur la gestion intégrée du littoral et l’adaptation au changement climatique. On voit qu’en partageant les diagnostics et en faisant dialoguer les techniciens et les élus, on se dirige vers un meilleur résultat. L’important, c’est d’anticiper et de se poser les bonnes questions en amont, plutôt que de vouloir aboutir rapidement. C’est un processus long, car complexe.
Mme Séverine Bès de Berc. Souvent, le Cerema développe des méthodes que des bureaux d’études, par exemple, peuvent appliquer en fonction des situations. La question n’est peut-être pas de savoir s’il faut nous impliquer systématiquement. Sans doute faut-il plutôt dresser un état des lieux pour comprendre comment sont élaborés les plans Orsec et s’il existe des défaillances. Cela permettrait d’identifier quand et comment faire intervenir les opérateurs publics chargés de la prévention des risques et de la gestion de crise, de définir une stratégie et de l’appliquer.
Nous fonctionnons plutôt sur ce modèle : nous apportons une expertise permettant de déterminer une méthode à même d’être déclinée selon les besoins.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). J’ai l’impression de ne pas avoir eu de réponse à mes questions, certes très précises. Les territoires ultramarins ont besoin d’acteurs qui les soutiennent, afin de mener à terme des projets en accord avec les lois que nous votons. J’ai parfois le sentiment d’un affichage sans rapport avec la réalité. Nous devrions être plus nombreux à défendre nos territoires face à l’urgence climatique, qui seront de plus en plus fragiles si nos dirigeants ne font rien. Mais peut-être ne sont-ils pas encore conscients de la réalité de cette urgence ? Ce n’est pas dans dix ans qu’il faut agir, c’est maintenant.
Mme Séverine Bès de Berc. Le Cerema est habilité à former des élus ; à ce titre, il va structurer cette année une offre de formation à leur destination. Les enjeux et la réalité sont en effet mal perçus.
Nous avons de toutes petites équipes outre-mer, mais il existe d’autres opérateurs publics dans ces domaines. Le BRGM y est présent depuis plusieurs dizaines d’années et travaille sur les risques. Nous nous inscrivons en complémentarité, pour apporter une expertise différente. Les opérateurs n’ont pas d’immenses équipes dans ces territoires, ce qui nécessite une bonne concertation. Évidemment, nous aimerions bien avoir davantage d’effectifs outre-mer.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La coordination entre les différents acteurs est-elle efficace ?
M. Sébastien Dupray. Elle l’est pour ce qui concerne les risques. La direction générale de la prévention des risques a confié au Cerema et au BRGM la réalisation d’un état des lieux des interventions des différents opérateurs dans le domaine des risques. C’est une cartographie très intéressante, qui montre que les travaux des opérateurs ne sont pas redondants mais complémentaires et que, en particulier dans le contexte du changement climatique, le risque est plutôt celui du défaut de coordination voire du trou dans la raquette, si je peux dire. Nos amis du BRGM coordonnent les risques géologiques et terrestres ; le Cerema, les risques hydrauliques et côtiers.
L’un des enjeux, pour les collectivités, est d’être accompagnées par une ingénierie. Le Cerema a signé une convention avec deux des grands syndicats d’ingénierie privée, Syntec et Cinov. Notre vocation est de contribuer à l’ingénierie publique, mais elle a drastiquement diminué au cours des dernières décennies. Le Cerema est là pour apporter une ingénierie indépendante, de haut niveau, à hauteur de ses moyens actuels. Malheureusement, nous n’avons pas les moyens d’intervenir auprès de toutes les collectivités, ni d’ailleurs de concurrencer l’offre privée, pour les questions d’ingénierie les plus courantes et les plus simples.
Nous soutenons concrètement les collectivités en leur apportant une formation, des outils, des méthodes. Les outils sont peut-être plus compliqués à utiliser pour les plus petites. Mais nous faisons en sorte que même les collectivités avec lesquelles nous n’avons pas travaillé directement puissent bénéficier de guides et de logiciels, pour relever le défi avec des outils du Cerema.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Vous venez de vous implanter aux Antilles. Les collectivités vous semblent-elles avoir une appréhension des risques satisfaisante ou pensez-vous qu’il faille encore mener un travail pédagogique ?
Par ailleurs, ces territoires ont montré leur résilience. Ils ont appliqué des pratiques d’habitat, d’urbanisme qui leur ont permis de survivre aux aléas. Prenez-vous en compte cette histoire-là ? Comment appréhendez-vous les ressources locales ?
Mme Séverine Bès de Berc. Comme je vous le disais, le Cerema a désormais une gouvernance partagée entre État et collectivités, ce qui permet aux collectivités d’adhérer à l’établissement. Nous avons quarante-six adhérents outre-mer : vingt-trois dans l’océan Indien et vingt-trois dans l’océan Atlantique. Ce sont plutôt de grandes collectivités – les collectivités uniques, les départements et les intercommunalités. Il y a également quelques communes. Le degré de connaissance et de compréhension est assez variable. Dans les très grandes collectivités, les services techniques sont solides et composés de gens formés, ce qui n’est pas forcément le cas dans les plus petites. Notre rôle sera différent en fonction de la collectivité. Nous travaillerons sur une réalisation purement technique avec une petite collectivité, alors que nous ferons de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage avec une grande, par exemple.
Pour répondre à votre deuxième question, ces territoires sont beaucoup plus exposés que les territoires de l’Hexagone. Ils vivent parfois annuellement certains phénomènes climatiques, même si leur intensité n’est pas très forte à chaque fois. Il y a une résilience outre-mer qu’il n’y a pas forcément ailleurs, une appréhension des phénomènes, une connaissance. Mais il y a aussi, malheureusement, une perte de mémoire collective. Face à des phénomènes ponctuels de grande ampleur, on entend souvent les gens dire que cela n’arrivait pas du temps de leurs grands-parents. Or, en creusant, on se rend compte que cela s’était déjà produit. Il existe néanmoins une vraie culture du risque, qui facilite la sensibilisation.
Mme Sophie Panonacle (RE). Vous disiez que, depuis le 1er février, vous pouviez intervenir aux Antilles, ce dont je me réjouis. Dans le cadre du Comité national du trait de côte (CNTC), vous accompagnez les communes littorales et avez fait un excellent travail d’évaluation des biens menacés dans l’Hexagone. Une évaluation outre-mer est-elle prévue ?
Pourriez-vous également nous dire deux mots sur votre accompagnement de la mise en œuvre de la compétence Gemapi dans la communauté de communes de Petite‑Terre, à Mayotte ? Un montant de 112 000 euros est annoncé. Envisage-t-on que le produit de la taxe Gemapi serve à financer des projets de protection face à l’érosion et à la submersion, par exemple ?
M. Sébastien Dupray. Le rapport du Cerema, réalisé en collaboration avec l’IGA – Inspection générale de l’administration – et l’IGEDD – Inspection générale de l’environnement et du développement durable –, devrait être publié bientôt. Sauf erreur de ma part, les outre-mer n’y ont pas été intégrés. Ce pourrait être l’une des recommandations de ce rapport.
Il est essentiel de connaître par le menu les ouvrages et les infrastructures qui protègent le littoral. On parle des 20 % de territoires littoraux soumis à l’érosion, mais on oublie souvent de dire qu’il y en a à peu près autant qui sont fixes grâce aux ouvrages existants. Au-delà de la base de données les recensant, il faut connaître leur pérennité, leur solidité, les montants financiers nécessaires pour les maintenir ou les faire évoluer. Nous attendons avec impatience les recommandations des inspecteurs.
Mme Séverine Bès de Berc. Je ne connais pas très bien le projet de Petite‑Terre qui avait démarré avant la création de ma direction. Nous avons accompagné la collectivité pour l’aider à appréhender les enjeux de son territoire et les risques auxquels elle est soumise. Il me semble que nous avons également fait des recommandations. Je pourrai vous répondre plus précisément dans le cadre du questionnaire que nous allons vous renvoyer.
Mme Sophie Panonacle (RE). Je vous remercie. Il peut être intéressant de voir comment gérer ces risques outre-mer par le biais de la compétence voire de la taxe Gemapi.
M. le président Mansour Kamardine. Auriez-vous un mot de conclusion à formuler ?
Mme Séverine Bès de Berc. Il y avait, dans le questionnaire, une question au sujet de la coopération régionale outre-mer. Les phénomènes étant identiques, il y a un réel intérêt à se rapprocher des îles et pays limitrophes. Mais là encore, c’est une question de moyens et de disponibilité.
M. Sébastien Dupray. Dans le contexte du changement climatique, il ne faut pas se limiter à une approche par le risque mais par le territoire, en particulier dans les outre-mer. Les territoires sont particuliers et offrent parfois peu de possibilités d’évolution – je pense à la disponibilité du foncier. Les approches multirisques permettent de prendre ce problème correctement.
Nous avons peu parlé des entreprises, qui sont également vulnérables face aux risques naturels. Réduire leur vulnérabilité afin de les rendre résilientes est indispensable. Quand un territoire est touché, le retour à la normale de certaines entreprises est essentiel, pour assurer l’alimentation en eau potable, en électricité, en téléphonie. Il nous semble important d’associer les entreprises aux politiques de prévention et de résilience.
Mme Séverine Bès de Berc. Il faut aussi intégrer systématiquement la question de l’adaptation au changement climatique dans les projets des collectivités, ce qui nécessite d’élaborer des programmes d’une plus grande ampleur.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges. Les réponses écrites au questionnaire nous seront également très utiles.
7. Audition, ouverte à la presse, de MM. Christophe Poinssot, directeur général délégué, directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Karim Ben Slimane, directeur risques et prévention et Jean‑Marc Mompelat, directeur des actions territoriales (8 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous accueillons trois représentants du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), dont le siège est à Orléans : M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique, M. Karim Ben Slimane, directeur risques et prévention et M. Jean Marc Mompelat, directeur des actions territoriales. Parmi les nombreuses missions du BRGM, je note particulièrement celle consistant à développer des approches intégrées de gestion des risques naturels impactant le sol, le sous-sol et le littoral. Au sujet des outre-mer, on peut citer l'Observatoire du littoral des îles de Guadeloupe (OLIG), géré en partenariat avec la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) et la région Guadeloupe, la cartographie du sous-sol de Mayotte ou l'exemple de Miquelon, village en cours de déplacement. Nous sommes donc là au cœur des préoccupations de la commission d'enquête.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et l'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes environ avant des échanges sous la forme de questions et de réponses. Je sais par avance que vous aiguiserez, par vos interventions, la curiosité de notre rapporteur Guillaume Vuilletet.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christophe Poinssot, M. Karim Ben Slimane et M. Jean Marc Mompelat prêtent successivement serment.)
M. Christophe Poinssot, directeur général délégué, directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). C’est un grand honneur pour nous d'être devant votre commission aujourd'hui et de pouvoir témoigner de l'investissement du BRGM en tant que service géologique national sur cette question centrale des risques naturels, en particulier dans les territoires d'outre-mer. Nous avons prévu pour cette présentation liminaire quelques documents : ils ont été distribués aux présents et transmis en version électronique à ceux qui assistent à cette audition à distance.
Le BRGM, en tant que service géologique national, se trouve à l'interface entre la science, la connaissance et la société. Nos activités principales sont la recherche scientifique, qui représente 35 % de nos activités, l’appui aux politiques publiques, 35 % également, la gestion des anciens sites miniers, 19 %, et la coopération internationale, 10 %. Le BRGM a été créé il y a plus de soixante ans. Sa mission est de capitaliser, de compléter et d'enrichir notre connaissance du sous-sol afin de pouvoir répondre aux enjeux suivants, que j’énumère par ordre d’importance décroissante : risques – qui représentent un tiers de nos activités –, eaux souterraines – un quart de nos activités –, ressources minérales – 10 % – et services et infrastructures numériques, indispensables à la connaissance de ce monde inconnu qu’est le sous-sol – 10 % également.
Le BRGM, qui compte environ 1 000 salariés, a le statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC). Il est sous la tutelle principale du ministère de la recherche, mais également sous celle du ministère de la transition écologique et du ministère en charge des mines. Notre campus orléanais concentre l’essentiel de nos équipes, mais nous disposons également de directions régionales réparties sur l’ensemble du territoire national, y compris les territoires d’outre-mer, ce qui nous permet de nous articuler très étroitement avec l’ensemble des acteurs.
M. Jean Marc Mompelat, directeur des actions territoriales du BRGM. Les outre-mer, qui présentent une grande variété de situations, sont fortement exposés aux aléas naturels. Et ce, pour plusieurs raisons : un climat tropical, humide ou équatorial – à l’exception de Saint-Pierre‑et‑Miquelon –, avec de fortes précipitations et des cyclones tropicaux, des reliefs escarpés et une géologie jeune propice aux instabilités du sol, une forte altération des terrains avec de nombreux torrents et un littoral en érosion, car fortement exposé aux effets de la mer, des espaces étendus au niveau de la mer, enfin des zones de sismicité active – en particulier aux Antilles, mais également à Mayotte. Leur vulnérabilité s’explique également par le fait que ces espaces sont pour la plupart insulaires – on peut même considérer la bande littorale de la Guyane, entre la forêt et la mer, comme une île. Ils concentrent donc une forte densité de population. Le milieu construit de ces territoires présente lui aussi une forte vulnérabilité pour des raisons historiques. Alors que les enjeux de préservation et de valorisation de l’environnement sont forts, il existe peu de marges de manœuvre en raison de l'exiguïté des territoires. Enfin, ils sont régis par des cadres économiques et institutionnels différents – départements et régions d’outre-mer (DROM) et autres statuts territoriaux. En synthèse, ces territoires connaissent une superposition de phénomènes dangereux sur des espaces exigus. Leur situation est donc différente de la moyenne des régions de l’Hexagone. En outre, l'outre-mer n’est pas un bloc monolithique : chaque territoire possède ses spécificités.
Le BRGM est un acteur majeur de la gestion des risques en outre-mer grâce à nos représentations, qui constituent une des quatre entités de la direction des actions territoriales que je dirige. Nous disposons de six implantations regroupant une cinquantaine de salariés, dont trente-sept ingénieurs et chercheurs et vingt équivalents temps plein travaillé (ETPT) dédiés aux risques. Pour les territoires dans lesquels nous ne sommes pas implantés, nous intervenons à distance depuis l’Hexagone ou depuis des collectivités voisines. Nos activités de gestion des risques en outre-mer représentent 1,5 à 2 millions d’euros par an, soit 30 % à 40 % du budget total pour les outre-mer. Nous nous appuyons beaucoup sur l’excellence des spécialistes de notre centre scientifique et technique d’Orléans ainsi que sur celle des spécialistes en poste en région. Nos activités de recherche et d’expertise sont adaptées aux spécificités des différents territoires comme aux besoins qui nous sont transmis. Le rôle du BRGM auprès des services de l’État et des collectivités en outre-mer est différent de celui qu’il joue dans l’Hexagone car il y existe un relatif déficit d’opérateurs publics et privés dans nos domaines d'intervention, ce qui nous amène à aller parfois au-delà de nos domaines de compétence et d’intervention habituels.
L’outre-mer présente en grand intérêt pour les scientifiques que nous sommes en raison des différences de ces territoires entre eux et avec l’Hexagone et de l’accumulation des risques qu’ils présentent. Les connaissances ainsi acquises peuvent être transposées au bénéfice de pays voisins et vers l’Hexagone.
Nous sommes, depuis les années 1980, très fortement mobilisés sur les risques. Nous étudions tous les phénomènes liés à la géologie et au sous-sol : séismes, mouvements de terrain – glissements, éboulements –, érosion côtière, submersion marine, tsunamis et éruptions volcaniques. Nous étudions également le phénomène composite de changement climatique. Notre domaine d’intervention, entre connaissance, gestion du risque et adaptation, est donc large. Nos activités comprennent la cartographie, la connaissance de phénomènes basiques ou encore la simulation de situations de crise.
Afin d’illustrer de façon concrète nos activités, nous avons choisi quelques exemples thématiques. Nous vous présentons ainsi dans le document que nous vous avons communiqué une carte des aléas en Martinique. Elle a été initialement réalisée dans les années 1990 avant d’être récemment améliorée. Le gain de précision notable de la carte sera bénéfique pour tout ce qui concerne l’aménagement, le prix du foncier ou la sécurité des personnes.
M. Karim Ben Slimane, directeur risques et prévention du BRGM. Le deuxième exemple est celui de la crise sismique et volcanique à Mayotte de mai 2018, qui s’est manifesté par une intensité sismique supérieure à celle habituellement constatée. Le BRGM, présent sur le terrain, a pu répondre en urgence et accompagner les collectivités et l’État. Nous avons convaincu l’ensemble des acteurs concernés d’engager une campagne de prospection et de reconnaissance marine, qui a permis de confirmer nos soupçons concernant la naissance d’un petit volcan au large de Mayotte. Cet exemple montre que notre présence sur le territoire permet d’accompagner les populations et l’administration dès les premiers événements, mais aussi d’acquérir des connaissances et des compétences, notamment grâce à l’observatoire Revosima (réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte), qui continue à étudier ces phénomènes. Nous pouvons ainsi disséminer nos connaissances scientifiques auprès des populations afin de les informer des risques et des aléas afin de mieux s’y préparer. Le BRGM travaille également, depuis plus de quarante ans, sur les risques sismiques aux Antilles. Nous contribuons au plan « séisme », dont la troisième phase est en préparation et pour laquelle le BRGM intervient en amont.
Le changement climatique accentue les agressions externes sur ces territoires insulaires – submersion marine, inondations – et peut provoquer une concomitance de plusieurs aléas à la suite d’événements cycloclimatiques ou hydroclimatiques, comme des glissements de terrain accélérés. Nos connaissances sur le changement climatique à l’échelle de la planète ou des grands ensembles océaniques doivent être déclinées à l’échelle de ces territoires, afin de prendre en compte leur spécificité.
Nous disposons de plusieurs observatoires et dispositifs de suivi du littoral. Nous sommes ainsi opérateurs d’observatoires en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Mayotte, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Nous participons de façon ponctuelle à des suivis et des études à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Nous pouvons ainsi mener des études réglementaires d’appui aux stratégies locales de gestion et aider les administrations à mettre en place des systèmes d’alerte précoce et à préparer la réponse face aux situations de crise.
M. Christophe Poinssot. Pour produire des connaissances, le BRGM travaille avec un écosystème d’acteurs de la recherche – vous en avez rencontré certains – afin d’acquérir de nouvelles données et étudier les effets combinés et les effets cascade des différents risques ainsi que leur amplification du fait du changement climatique.
Ces connaissances sont mises au service de la société afin de prévenir les risques et de gérer les crises grâce à des outils comme les observatoires littoraux ou le Revosima, que nous copilotons avec l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), ainsi qu’à des outils d’alerte, de bilan, de simulation et d’anticipation.
Ces connaissances favorisent également l’adaptation au changement climatique qui accélère et amplifie les transformations de nos territoires. La dimension sociétale de ces dernières suppose que nous travaillions en étroite interaction avec les acteurs locaux et avec les populations.
C’est sur ce triptyque – connaissance, prévention et gestion, adaptation – que repose notre contribution dans les territoires d’outre-mer.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’ai noté que vous n’aviez pas d’activités en Polynésie, qui est pourtant fortement exposée aux risques hydrauliques. Cela s’explique-t-il par des questions de gestion des ressources humaines ?
Quel est le suivi de vos recommandations ? Je pense ici également à l’exemple du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA). Sont-elles intégrées aux plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) ou dans les textes réglementaires ? Disposez-vous d’outils de suivi ? Êtes-vous sollicités systématiquement dès lors que les conditions sont requises dans l’évolution réglementaire ?
Votre collaboration implique un travail de transmission auprès des populations locales et des acteurs économiques et sociaux, mais également de collecte d’informations pour mieux comprendre les phénomènes et leurs conséquences. Comment cela se fonctionne-t-il ?
Nous vivons dans un monde ouvert dans lequel un événement survenu chez un voisin peut avoir des conséquences sur nos territoires. J’aimerais que vous reveniez sur la coopération internationale.
M. Jean Marc Mompelat. J’ai été en poste en Polynésie pendant cinq ans pour conduire un important programme de prévention des risques naturels, le programme ARAI (Aléas, risques naturels, information et aménagement), qui s’est déroulé de 2002 à 2007, avec des prolongations jusqu’en 2012. La Polynésie détient une compétence de service géologique propre du fait de son statut autonome. Nous n’avons donc pas d’obligation institutionnelle et nous n’y intervenons, tout comme en Nouvelle-Calédonie, qu’à travers des partenariats et des contrats, qui peuvent justifier la mise en place d’une équipe sur place de façon temporaire. Nous avons ainsi été présents en Polynésie jusqu’en 2000 et, dès lors que nous avons la capacité de nous réarmer, nous le faisons bien volontiers. La situation de la Polynésie est donc différente de celle des DROM, où nous sommes représentés de façon permanente en tant que service géologique national.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Il est important de préciser cette différence institutionnelle, qui explique que le BRGM ne soit pas présent dans tous les territoires d’outre-mer.
M. Christophe Poinssot. Les documents, recommandations et expertises que nous produisons à l’attention des pouvoirs publics sont au cœur de notre mission, que ce soit pour les territoires d’outre-mer ou pour l’Hexagone. Nous sommes très fréquemment mandatés pour apporter une contribution scientifique s’agissant notamment de l’élaboration de plans régionaux et territoriaux sur la gestion des risques. Nous sommes habitués à synthétiser nos connaissances et à les rendre opérationnelles pour les pouvoirs publics.
M. Karim Ben Slimane. L’exemple de la crise sismique et volcanique à Mayotte est instructif. Nous devions répondre en urgence aux préoccupations du préfet et à celles de l’ensemble de la communauté face à des séismes dont nous ne connaissions pas l’origine. Ces séismes ont eu lieu en mai 2018 et nous avons découvert au printemps 2019, grâce à une campagne océanographique, qu’un volcan en était l’origine. Au cours de l’été, nous avons effectué une quarantaine de simulations, notamment grâce aux travaux d’un thésard, pour anticiper les effets d’un éventuel tsunami afin que le préfet puisse prendre des dispositions en avance de phase.
Nous élaborons également des plans de prévention des risques, qui sont des documents réglementaires.
M. Jean Marc Mompelat. Nous le faisons à titre de pilote, avant que cela ne passe, éventuellement, dans le domaine privé.
Surtout, nous sommes à la disposition des collectivités et du préfet et de ses services, qui peuvent nous solliciter pour notre expertise de proximité. Nous sommes ainsi presque systématiquement consultés lors de l'évolution d’un plan Orsec. Nous contribuons ainsi, avec d’autres, à la réflexion sur les évolutions réglementaires et à leur mise en application dans tous les domaines concernant les risques naturels, aussi bien au niveau central – nous avons un dialogue étroit avec les ministères – qu’au niveau régional.
M. Christophe Poinssot. Nous sommes particulièrement sensibles à votre question concernant la coopération avec les autres acteurs. Nous avons en effet un rôle d’intermédiaire qui suppose une capacité à travailler avec une efficacité maximale avec tout le monde. L’exemple de la crise sismo-volcanique à Mayotte est là aussi très instructif. Le Revosima, qui associe l’ensemble des chercheurs – ils ont eu l’occasion, pour la première fois depuis trois ou quatre siècles, de voir un volcan quasiment naître sous leurs yeux –, a fourni des informations permettant de mieux appréhender les risques pour le territoire voisin de Mayotte. Nous sommes parvenus à distinguer ce qui relevait du temps long du travail scientifique de la démarche d’appui aux politiques publiques de prévention des risques. Nous avons établi une coordination entre les divers établissements, qui dépend bien sûr de l’ampleur de chacune des crises, dans l’ensemble des territoires. Dans ce cadre, nous nous sommes positionnés en aval pour être en mesure de traduire l’ensemble de cette connaissance en termes d’aléas, de risques sur les infrastructures et d’anticipation de situations de crise.
À l’international, notre mission d'appui du Gouvernement est très générale. Nous intervenons notamment pour les zones périphériques des territoires d'outre-mer et autour des risques. Nous sommes impliqués dans des questions très concrètes.
M. Karim Ben Slimane. Nous travaillons souvent avec l’Agence française du développement (AFD) et nous profitons de l’expérience acquise en outre-mer pour transposer nos connaissances à des États étrangers présentant des similitudes avec nos territoires. Nous avons ainsi mis à profit nos connaissances des risques de submersion marine et de retrait du trait de côte, accéléré notamment par les mouvements cycloniques, pour accompagner la République de Maurice dans ses prévisions d’évolution à cet égard jusqu’en 2100 pour l’île principale et pour l’île Rodrigues afin de mesurer la vulnérabilité sociale qui peut en découler. Ce travail est le fruit d’une coopération avec Météo‑France et son antenne dans l’océan Indien et avec l’université de Limoges, associée à l’université des Mascareignes.
M. Jean Marc Mompelat. Nous sommes, la plupart du temps, sollicités par les préfectures pour intervenir dans des situations de crise et réaliser des diagnostics à chaud. Nous sommes ainsi intervenus à La Dominique après l’ouragan de 2017 et en Haïti après le séisme de 2010 où la coopération ne s’est d'ailleurs pas limitée à une intervention post-sismique puisqu’elle a débouché sur d’importants programmes de coopération, qui sont toujours en cours, dans ce pays et en République dominicaine.
Dans notre domaine cependant, celui de l’ingénierie et du génie civil, l’expérience montre – je l’ai vécu moi-même aux Antilles – que la coopération n’est pas évidente. Pour des raisons d’organisation politique, le cadre et les réglementations sont très différents, de telle sorte que le partage d’informations n’est pas toujours facile. Notre territoire étant très développé dans un environnement qui l’est moins, il peut arriver que nous passions pour des donneurs de leçons.
M. Christophe Poinssot. Les programmes Interreg nous permettent de partager notre expérience et d’aider les territoires voisins, non pas en gestion de crise mais en anticipation.
M. Jean-Marc Mompelat. Le plus bel exemple qui me vient en tête est le programme Carib-Coast, qui associe plusieurs territoires des Caraïbes pour lutter contre l’érosion côtière au travers de diagnostics et de partages d’expériences. Ce type de financement permet la coopération au sein des différents bassins.
M. Karim Ben Slimane. Nous avons attendu d’avoir les résultats de Carib-Coast pour nous en servir comme données d’entrée pour le plan de prévention des risques littoraux en Guadeloupe. Nous avons ainsi bénéficié d’états de mer à jour et de modèles très évolués tenant compte des particularités des territoires ultramarins.
Mme Sophie Panonacle (RE). Je vous remercie, messieurs, pour vos interventions. La diapositive n° 11 du document que vous nous avez transmis mentionne l'organisation d’observatoires littoraux, la vigilance vagues-submersion, les outils d’alerte et les simulations de situations de crise. On ne peut que se réjouir du développement de la culture du risque. Dans quels territoires ultramarins ces outils sont-ils disponibles, et comment pallier les lacunes, le cas échéant ?
Sur la même page est évoqué le dispositif « Cat Nat », avec un point d’interrogation. Nous aussi, au sein du Comité national du trait de côte, nous posons la question du recours à ce dispositif pour indemniser les particuliers – sachant que les collectivités locales sont aidées par le fonds Barnier. Il faudrait néanmoins, pour que nous puissions y recourir, que l’érosion soit considérée comme un risque naturel majeur au même titre que la submersion, ce qui n’est pas le cas à ce jour. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Enfin, je vois que Météo-France est à vos côtés pour le déploiement de la stratégie de gestion des risques en outre-mer. Il y a un peu plus de deux ans, j’avais déposé avec plusieurs collègues un amendement au projet de loi de finances visant à donner à Météo‑France les moyens d’acquérir des structures flottantes pour la surveillance des risques de submersion marine. Savez-vous si ce dispositif, qui est essentiel pour prévenir les populations, est suffisamment développé ?
M. Jean-Marc Mompelat. Le BRGM est présent dans les différents départements et régions d’outre-mer (DROM), soit en tant qu’opérateur soit au travers de structures fonctionnant en mode projet. Peut-être y a-t-il là, d’ailleurs, une piste d'amélioration : les projets sont tributaires de financements qui s’inscrivent parfois dans la durée, certes, mais qui ne sont pas garantis. Quoi qu’il en soit, l’outre-mer est relativement bien dotée grâce à ces structures désormais bien ancrées dans les différents territoires, qui vont parfois au-delà de leur vocation initiale : aux Antilles, par exemple, elles aident à suivre les échouages de sargasses.
M. Christophe Poinssot. La situation en outre-mer est le miroir de celle de l’Hexagone, où des observatoires gérés par différents opérateurs couvrent l’ensemble du territoire et inscrivent la culture du risque dans la gestion quotidienne des collectivités.
M. Karim Ben Slimane. Sans données d’observation recueillies sur les façades maritimes, il nous serait très difficile de caler nos modèles ou de faire des extrapolations statistiques. Les observatoires sont essentiels pour comprendre les phénomènes, pour les prévoir et pour réaliser les aménagements adéquats.
M. Jean-Marc Mompelat. Ils sont d’une importance capitale : au-delà de leur rôle dans l’observation des phénomènes, ce sont aussi des lieux de partage, d’échange et de dialogue entre les différents acteurs de la société civile, les collectivités, l’État et les opérateurs techniques. Ils permettent de lancer des projets en lien avec la vigilance, comme les réseaux tempêtes.
S’agissant du régime Cat Nat, certains des critères utilisés pour définir les situations d’exception trouvent leurs limites dans les outre-mer. Ceux relatifs à la saturation des nappes d’eau, par exemple, peuvent difficilement être transposés dans les réalités ultramarines. Par ailleurs, le faible taux de pénétration de l’assurance dans les outre-mer, aux Antilles en particulier, met en cause l'efficacité globale du régime. Enfin, les assureurs eux-mêmes soulignent que les territoires d’outre-mer étant globalement très exposés au risque, le système assurantiel ne peut trouver son équilibre qu’au niveau national : du strict point de vue des outre-mer, la situation est plus complexe.
M. Karim Ben Slimane. Nous ne disposons pas d’informations sur l’installation de structures flottantes – les marégraphes – par Météo‑France. Les données fournies par ces instruments sont importantes pour connaître la trajectoire des cyclones et réaliser les simulations en temps réel qui permettent ensuite aux autorités d’établir les plans d’évacuation et de prévention sur la base des bonnes informations.
M. Jean-Marc Mompelat. Cette question est effectivement du ressort de Météo‑France, dont nous savons que les représentants déplorent le manque de moyens : nous les laisserons s’exprimer à ce sujet, s’ils ne l’ont déjà fait !
Le BRGM ne gère pas les situations de crise en temps réel. Notre approche consiste à réaliser des modélisations en amont, à partir des projections climatiques ou des données historiques disponibles sur la houle, par exemple. Cela nous permet d’établir une sorte de catalogue de conséquences sur les rivages, sur la base duquel nous procédons ensuite par analogie lorsque survient un cyclone.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). Les modélisations informatiques utilisées pour établir les PPR se traduisent par la classification en zone rouge de surfaces parfois importantes, qui grèvent les terrains de particuliers. Ceux-ci se trouvent contraints de demander des contre-expertises à des bureaux d’études dans le but de faire réviser en justice les surfaces contestées. Ne serait-il pas possible de simplifier les choses en couplant les modélisations informatiques avec des visites de terrain, par exemple ?
M. le président Mansour Kamardine. Je m’associe à la question très pertinente de ma collègue. Dans un territoire comme celui de Mayotte, dont la surface est limitée, on ne peut pas s’appuyer uniquement sur les plans du BRGM : il faut systématiquement demander aux opérateurs de procéder à d’autres études, beaucoup plus onéreuses. Cela renchérit le coût des opérations, tant pour les particuliers que pour les collectivités publiques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. En repassant régulièrement avec des moyens de plus en plus performants, le BRGM parvient justement à préciser les données et à éviter que des zones rouges trop larges n’entravent l’aménagement du territoire – qui plus est dans un contexte de foncier très contraint.
M. Karim Ben Slimane. Nous présentons effectivement en page 5 de notre document le passage d’une échelle au 1/25 000 à une échelle au 1/10 000 – rendu possible, le plus souvent, par le passage d’experts sur le terrain. Ces interventions, toutefois, sont très chronophages et très coûteuses. Vous avez tout à fait raison, madame Bassire : certaines zones étant spécifiques, un déplacement sur le terrain est nécessaire pour affiner les modèles – mais il peut aussi parfois être remplacé par l’utilisation d’outils modernes, comme les images satellitaires.
C’est, quoi qu’il en soit, l’inconvénient de toute modélisation. S’agissant des aléas sismiques, on affine progressivement les données de la phase 1 à la phase 2 puis au microzonage, c’est-à-dire au niveau de la parcelle. C’est évidemment l’idéal, mais cela soulève la question du coût ainsi que celle de la disponibilité des experts.
M. Jean-Marc Mompelat. Vous avez mis le doigt sur un sujet essentiel. Comme je le disais, l’aléa « mouvements de terrain » est certes de basse fréquence mais c’est aussi celui qui a les conséquences les plus préoccupantes en termes d’emprise foncière. Il est à cet égard essentiel d’exploiter de la façon la plus efficiente possible les outils modernes dont nous disposons. Il faut jouer sur les deux tableaux : utiliser l’approche globale, qui permet de traiter un territoire entier en faisant des économies d’échelle – c’est ce que nous venons de faire à la Martinique – et intervenir sur le terrain lorsque cela est nécessaire, puisque nous ne pouvons pas le faire systématiquement. Tant que les PPR ne sont pas approuvés, il faut toujours se réserver la possibilité de faire intervenir une expertise au cas par cas, pour limiter autant que possible les démarches individuelles auprès d’un bureau d’études ou au tribunal.
M. le président Mansour Kamardine. Avez-vous des éléments à ajouter pour conclure, messieurs ?
M. Christophe Poinssot. L’essentiel a été dit. Nous vous transmettrons ultérieurement, par écrit, des éléments d’information complémentaires. Nous souhaitons surtout insister sur la nécessité d’une approche systémique des enjeux liés à la gestion des risques : un enjeu de compréhension et de connaissance, un enjeu de politique publique et de réglementation, et un enjeu sociétal majeur, enfin. C’est l’association de l’ensemble des acteurs qui nous permettra de progresser collectivement. Soyez assurés que, fort de l’ensemble de ses compétences, le BRGM se mobilise pour remplir son rôle dans ces territoires.
M. le président Mansour Kamardine. Nous avons noté qu’à la différence de Météo‑France, le BRGM n’avait pas de gros soucis financiers ! C’est une excellente nouvelle. Nous vous remercions encore pour votre disponibilité, ainsi que pour les documents que vous nous enverrez pour prolonger notre réflexion.
M. Christophe Poinssot. Permettez-moi simplement de souligner que notre modèle économique est aussi compliqué que celui de nombreux autres établissements. Nous n’avons pas abordé ce sujet car il n’était pas à l’ordre du jour, mais ne retenez pas que la vie serait un long fleuve tranquille pour le BRGM ! (Sourires.)
M. le président Mansour Kamardine. C’était simplement une petite pique en passant ! (Sourires.)
M. Christophe Poinssot. Nous nous permettrons d’intégrer un éclairage sur cette question dans notre réponse écrite.
8. Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Martinoni‑Lapierre, directrice de la climatologie et des services climatiques de Météo‑France (jeudi 8 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous accueillons la directrice de la climatologie et des services climatiques au sein de Météo‑France, Madame Sophie Martinoni‑Lapierre.
Dans le contexte de changement climatique que nous connaissons, Météo‑France est un acteur incontournable. Les événements majeurs (canicule, incendies, tempêtes, inondations, tornades) liés au dérèglement climatique sont malheureusement de plus en plus fréquents en métropole et dans les territoires d’outre-mer.
Vos compétences notamment en matière de veille cyclonique via le centre Météo‑France de Saint‑Denis de la Réunion et plus généralement votre mission de conseil auprès des autorités de la Sécurité civile pour la mise en œuvre des plans cyclone à la Réunion, Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, la Martinique et la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous sont précieuses pour mieux appréhender les sujets de notre commission.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Sophie Martinoni-Lapierre prête serment.)
Mme Sophie Martinoni-Lapierre, directrice de la climatologie et des services climatiques à Météo‑France. Merci d’accueillir Météo France.
Je rappellerai tout d’abord que Météo‑France est un établissement public sous tutelle du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Nous avons des missions et des principes d’organisation qui sont fixés par le décret du 18 juin 1996 modifié en 2016.
Nous sommes 2 558 agents au sein de Météo France fin 2023, dont 290 dans les directions ultramarines. Notre budget général est de l’ordre de 210 millions d’euros, dont 37,3 millions d’euros sont directement gérés pour les directions ultramarines. Ce dernier montant n’inclut pas le support indirect des directions centrales vers ces directions.
Nous travaillons dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de performance qui couvre la période 2022 à 2026.
Je rappelle également que France Stratégie avait produit un rapport en 2018 estimant les bénéfices sociaux et économiques annuels induits par la prévention météorologique entre 1,1 et 2,6 milliards d’euros annuels.
La présence ultramarine de Météo‑France est particulièrement importante. Quatre grandes directions couvrent Antilles Guyane, Océan indien, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie Wallis-et-Futuna. Un service est présent à Saint-Pierre-et-Miquelon et nous participons aux missions dans les Terres australes et antarctiques françaises, à Kerguelen et en Terre Adélie. Cela représente 290 agents, soit un agent pour 10 000 habitants en outre-mer contre environ un agent pour 30 000 habitants dans l’Hexagone.
Par ailleurs, nous avons des accords spécifiques avec les territoires de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie françaises qui ont été récemment renouvelés.
Nos missions régaliennes consistent avant tout à assurer la sécurité météorologique des personnes et des biens. À la sécurité liée aux aléas météorologiques, il convient d’ajouter un pan important en outre-mer concernant tout ce qui a trait à la météorologie marine et au fait que nous opérons également des modèles de dérive : dérive en cas de pollution mais aussi dérive de bateau ou d’homme à la mer.
Nous devons satisfaire les besoins météorologiques de la défense nationale et nous contribuons à la sécurité et la régularité du trafic aérien par notre assistance à la navigation aérienne.
Nous contribuons au développement des entreprises météo sensibles grâce à des services météo et climatiques. Nous devons aussi conserver la mémoire du climat dans les territoires ultramarins et à modéliser les évolutions passées et futures du climat, dans le but de proposer des services climatiques d’aide à la décision et de soutenir les politiques publiques d’adaptation.
Dans nos objectifs et en particulier dans le domaine de la recherche, nous devons toujours mieux connaître et modéliser l’environnement atmosphérique.
Enfin, nous formons des experts météorologues pour les besoins propres à Météo‑France et pour nos partenaires.
En outre-mer, nous pouvons assurer des missions complémentaires. Ainsi au sein du service de la Réunion, nous assurons la fonction de centre météorologique national spécialisé pour les cyclones tropicaux dans le bassin du sud-ouest de l’océan Indien. Nous avons pour le compte de l’Organisation météorologique mondiale une responsabilité pour produire les trajectoires de référence et les bulletins cycloniques pour 15 pays du bassin. Nous contribuons également au renforcement de leurs compétences.
Météo‑France assure diverses assistances spécialisées, qui peuvent être des assistances feux de forêt ou de manière plus spécifique la prévision d’échouage de bancs de sargasses aux Antilles. Nous assurons aussi l’appui aux cellules de veille hydrologique.
Dans les directions d’outre-mer, notre réseau de surveillance du temps est directement piloté par les directions territoriales locales. Elles surveillent en particulier les phénomènes tels que les pluies, les vents violents, les orages, les vagues-submersion, les cyclones, et la neige et le verglas pour Saint-Pierre-et-Miquelon.
La carte de vigilance représente le principal moyen de diffusion de l’information sur les aléas météorologiques. C’est un outil phare de Météo‑France déployé en outre-mer qui fait l’objet d’évolutions concertées avec la Sécurité civile et les ministères compétents. C’est un dispositif qui s’homogénéise le plus possible pour pouvoir être immédiatement reconnu et compris par les citoyens.
La carte de vigilance est un système particulièrement simple. Il représente les aléas et le niveau de vigilance à avoir sous forme de carte et de code quatre couleurs. Il y a eu beaucoup d’évolutions dans les outre-mer récemment, dont la principale est l’homogénéisation vers un code quatre couleurs et l’introduction d’une vigilance à la côte. Cette dernière, dite vigilance vagues-submersion, est plus précise que les vigilances antérieures.
La communication de la carte de vigilance à la population s’effectue via nos sites internet, les réseaux sociaux, mais également via les médias qui relaient ces cartes et nous permettent de toucher largement le grand public.
Les évolutions récentes de la carte de vigilance portent sur l’homogénéisation des aléas et de leur représentation. Il faut savoir que jusqu’en 2022, le système était différent pour la Réunion.
Elles concernent aussi le déploiement des vigilances vagues-submersion, qui s’accompagnent de travaux importants et d’améliorations importantes sur la prévision des vagues et des surcotes sur les côtes. Elles ont été mises en place aux Antilles, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte ; elles sont en cours de mise en place en Polynésie française pour Tahiti et Moorea ; elles sont prévues pour la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je précise que nous travaillons avec la direction générale de la santé et Santé publique France à l’émergence d’une vigilance canicule qui n’existe pas encore outre-mer, avec une priorité sur la zone Antilles Guyane et l’océan Indien.
En matière de gestion du risque, nous travaillons en coordination très étroite avec la Sécurité civile et les autorités préfectorales ou les centres opérationnels de zones de défense. Dans les grands événements et les crises météorologiques, le niveau national de Météo‑France s’implique également via une mission d’appui spécifique auprès du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) en cas de crise. Elle permet de relayer l’information et d’expliquer précisément les situations à chaque échelon.
Vous nous avez interrogés sur les retours d’expérience des aléas récents. Même si nous pourrions mieux faire, notre collaboration est globalement satisfaisant avec les autorités préfectorales et la Sécurité civile.
Si nous avons des améliorations en cours sur nos dispositifs, nous avons aussi des occasions de faire des retours d’expérience sur les épisodes ou de faire des exercices au cours desquels des améliorations peuvent être proposées.
Une amélioration est d’ailleurs en cours au sein de Météo‑France. Il s’agit de mettre en place des secours opérationnels des directions locales ultramarines entre elles. Ainsi, en cas de rupture de service complète d’une direction, la production régalienne continuera d’être assurée avec les meilleurs moyens disponibles.
Nous prenons évidemment en compte tous les retours d’expérience des exercices qui nous permettent des améliorations très locales et très concrètes.
Au-delà de Météo‑France, si nous devons travailler sur des pistes d’amélioration, nous voyons quand même que la gestion des événements successifs peut être difficile pour les équipes. Il est en effet possible de sortir d’un cyclone et de devoir gérer un nouvel aléa. C’est ce que nous avons connu très récemment après le cyclone Belal à la Réunion, qui a été suivi de précipitations très intenses.
Nous devons aussi poursuivre collectivement le développement de la culture du risque. Le virage a été pris et peut être encore accentué avec des exercices de plus grande ampleur et l’implication des populations locales.
Il nous faut également chercher la meilleure articulation entre la vigilance et l’alerte cyclonique puisqu’en fonction des territoires, nous avons des dispositifs qui diffèrent. Par exemple, alors que dans certains territoires l’alerte cyclonique remplace la vigilance quand il y a un cyclone, la vigilance ne peut pas être éteinte en cas d’alerte cyclonique dans les plus grands territoires. Un aléa météorologique autre qu’un cyclone peut en effet concerner une zone éloignée de la zone cyclonique.
Concernant la prévision numérique, je voudrais insister sur les moyens assez exceptionnels dont dispose la France en matière de prévision numérique sur les zones tropicales. Il existe des modèles globaux mas aussi des modèles locaux qui sont quasiment au niveau de ce qui se pratique dans l’Hexagone. Il y a pour chaque zone un modèle haute résolution à l’échelle kilométrique et à échéance 48 heures ainsi qu’une version ensembliste, en service depuis l’année dernière, qui permet aux prévisionnistes de qualifier l’incertitude des phénomènes.
Ces deux systèmes permettent une meilleure représentation des phénomènes locaux (la haute résolution est particulièrement appréciable pour les îles avec un très fort relief) et des cyclones, associée à une meilleure qualification de l’incertitude des prévisions.
En matière de moyens d’observation, ceux-ci diffèrent selon les zones. Nous avons des systèmes radar d’observation des précipitations importantes aux Antilles Guyane (trois radars), à la Réunion (deux radars), en Nouvelle-Calédonie (trois radars). Un radar est prévu à Mayotte et un autre à Tahiti.
Les outre-mer sont aussi des zones particulièrement importantes pour l’observation en altitude par ballon-sonde, indispensable à l’initialisation des modèles de prévision numérique. Ce sont des sites de mesure essentiels puisqu’ils se trouvent dans des zones où nous n’avons que trop peu de mesures. Chaque mesure est donc particulièrement importante
L’observation en altitude en outre-mer fait donc l’objet d’un suivi particulier, avec des renouvellements réguliers.
Concernant l’observation de surface, nous avons un grand chantier en cours sur la modernisation des stations des observateurs bénévoles. Nous déployons des stations automatiques qui viennent s’ajouter à notre réseau de surveillance et permettent le suivi climatique et la surveillance météorologique en temps réel. C’est important pour les prévisionnistes et le suivi des précipitations intenses.
En matière de changement climatique, nous constatons des réchauffements importants sur cinquante à soixante ans dans les outre-mer (y compris Saint-Pierre-et-Miquelon), de l’ordre de 0,2 à 0,3 °C par décennie.
Il faut rappeler que les continents se réchauffent plus vite que les océans, et que les pôles se réchauffent plus vite que les autres zones du globe. Cela explique que des zones comme Saint-Pierre-et-Miquelon soient les plus impactées par le réchauffement climatique, mais tous nos territoires d’outre-mer se réchauffent.
En matière de précipitations, nous ne constatons pas pour les territoires d’outre-mer tropicaux de tendance significative pour l’évolution des pluies extrêmes. Des territoires sont directement concernés par des phénomènes de pluies intenses, qui ne montrent pas de changement de caractéristiques sur la profondeur des données à notre disposition.
De même pour beaucoup de territoires, aucun signal n’est observé concernant le cumul annuel. Cependant, une tendance à la baisse de l’ordre de -30 % du cumul en saison sèche est observée à Mayotte. Une tendance baissière de -30 % du cumul annuel est également observée dans la région sud-ouest de la Réunion. Hors zone tropicale, Saint-Pierre-et-Miquelon affiche une tendance à la hausse.
Alors, quel avenir climatique pour les territoires d’outre-mer ?
En matière de température, il faut s’attendre à une poursuite du réchauffement de l’air et de l’océan. Il faut également s’attendre à une augmentation en sévérité, en fréquence, et en intensité des vagues de chaleur. Le nombre de jours de forte chaleur devrait augmenter drastiquement.
Pour les précipitations, les projections climatiques nous orientent vers une baisse des cumuls annuels en fin de siècle pour les outre-mer tropicaux. L’incertitude est néanmoins importante car nous ne disposons pas encore de données suffisantes au niveau local pour confirmer cette tendance. Les modèles prévoient également une augmentation des contrastes saisonniers en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et à Mayotte.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, les cumuls annuels sont attendus en hausse en fin de siècle.
L’élévation du niveau de la mer conduira à des submersions marines plus fréquentes. Il faut aussi s’attendre à un aléa renforcé en matière de feux de forêt.
J’en viens maintenant aux cyclones. Contrairement à certains a priori, aucune évolution significative du nombre de cyclones dans nos territoires d’outre-mer n’est observée. Les scientifiques considèrent néanmoins qu’il est probable que l’intensité des cyclones majeurs ainsi que la fréquence des intensifications rapides ait augmenté globalement au cours des quarante dernières années.
En matière de projections, les modèles qui permettent de représenter directement les cyclones s’accordent sur une augmentation de la proportion des cyclones intenses ainsi que sur l’augmentation d’intensité des cyclones les plus intenses. Là aussi, l’incertitude est forte. Ces conclusions doivent être confirmées par de prochaines simulations.
Enfin, il y a une haute confiance dans le fait que l’élévation du niveau de la mer conduira à une augmentation de la probabilité d’avoir des événements extrêmes de hauteur d’eaux côtières. Nous avons aussi des informations qui nous amènent à prévoir une augmentation des précipitations associées aux cyclones.
Nous avons des systèmes de prévision numérique qui sont au niveau de ceux de l’Hexagone mais par contre, concernant les projections climatiques, il manque des simulations climatiques à échelle fine particulièrement importantes pour les petites îles volcaniques. Il y a un retard dans ce domaine mais il faut savoir que Météo‑France a obtenu dans le cadre de son schéma d’emplois 2024 et avec le soutien de son ministère de tutelle, 12 postes supplémentaires pour permettre la production et l’exploitation de ces simulations.
Le premier objectif sera de fournir des simulations climatiques régionalisées haute résolution d’ici fin 2025 sur les outre-mer tropicaux. Tout cela doit permettre la fourniture de services climatiques similaire à ceux développés dans l’Hexagone et d’apporter de l’aide à la décision aux élus et à nos concitoyens.
Concernant le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), nous avons plusieurs actions de collaboration qui peuvent différer en fonction des territoires.
Dans l’océan Indien, nous avons des travaux communs sur l’hydrologie et la modification du trait de côte à Mayotte. Nous travaillons aussi sur les glissements de terrain à la Réunion.
Dans le Pacifique, Météo‑France collabore avec le BRGM en Nouvelle‑Calédonie dans le cadre de l’Observatoire du littoral sur l’évolution du risque côtier.
Nous n’avons pas de collaboration en cours en Polynésie française.
Dans l’océan Atlantique, Météo‑France et le BRGM ont des relations étroites en matière de modélisation des phénomènes de submersion marine.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Merci pour cet exposé très complet qui couvre très largement nos interrogations.
Vous parlez de coordination de services entre les territoires, et c’est très rassurant de savoir que le relais peut être pris à tout moment. Vous mentionnez aussi vos collaborations avec le BRGM mais quelles sont les coordinations avec d’autres organismes tels que le Cerema ?
Comment intégrez-vous votre travail dans la conception globale de la prévention des risques sur un territoire, avec des modifications à venir et des plans Orsec et des documents réglementaires ?
Vous avez une vision prospective du climat et du changement climatique, comment travaillez-vous avec vos collègues des autres organismes pour intégrer ces données et accompagner la modification des documents ?
Par ailleurs, quel est votre travail auprès des populations lorsque les aléas se produisent pour faire en sorte de diffuser cette culture du risque qui paraît absolument nécessaire sur des territoires aussi sensibles ?
Je voudrais revenir aussi sur les problématiques de coopération. Quand un aléa frappe durement un territoire, il peut y avoir des conséquences d’un territoire sur l’autre. J’aurais voulu que vous reveniez sur cette notion de coopération avec l’environnement proche.
Enfin vous parliez des 12 postes qui vous ont été affectés pour le recueil de données fines. C’est très bien mais est-ce suffisant ?
Mme Sophie Martinoni-Lapierre. Sur la coordination des services entre territoires, il faut savoir que nos premiers interlocuteurs locaux sont les autorités préfectorales. Tout ce qui est lié à la gestion de crise est travaillé en rapport étroit avec le préfet. Nous contribuons sur sa demande à l’évolution, à la rédaction, à la précision des documents Orsec et des exercices qui vont avec.
Nous pouvons aussi avoir des cas de collaboration avec d’autres entités, qu’il s’agisse du BRGM, du Cerema, ou de l’Ademe, en fonction des thématiques des territoires et de la présence ou non de certains des représentants de ces services. Cela peut être en matière de prévention et d’études comme de changement climatique.
Météo‑France a une politique très ouverte dans la diffusion de ses données. Nos observations et nos projections climatiques sont mises à disposition de manière ouverte et gratuite via des sites spécialisés, y compris pour l’outre-mer.
Concernant les aléas et le développement de la culture du risque, Météo‑France participe à cette culture par son activité de communication. Nous avons dans les outre-mer une activité très forte auprès des médias. Nous accompagnons les aléas lorsqu’ils arrivent mais nous accompagnons aussi toutes les actualités climatiques qui peuvent être non catastrophiques et qui permettent d’expliquer les évolutions du climat au grand public.
Nous avons aussi des actions en lien avec l’éducation et la jeunesse, telles que des actions de sensibilisation. Nous intervenons très fréquemment dans les opérations de type Fête de la science ou autres qui permettent de faire connaître nos métiers et de sensibiliser au risque.
Sur les moyens affectés à l’observation, il y a toujours une question d’efficacité. Nous cherchons avant tout la meilleure efficacité à des coûts raisonnables pour notre établissement et pour l’État en général.
Les moyens déployés dans les territoires d’outre-mer sont importants. Nous pourrions en vouloir davantage mais il faut savoir raisonner en coûts-bénéfices. Nous veillons donc à déployer des moyens que nous sommes en mesure d’entretenir.
Il est important pour Météo‑France d’avoir des stations de mesure qui nous permettent un suivi en temps réel mais il est encore plus important d’être capable de les maintenir correctement. C’est un objectif très fort qui permet de s’inscrire dans la durée.
Il faut par ailleurs savoir qu’une grande partie de la surveillance dans les outre-mer repose sur des images satellites. Nous avons ainsi développé des coopérations internationales avec d’autres opérateurs satellites qui nous permettent d’accéder à des images américaines sur le Pacifique et de bénéficier des meilleurs outils de surveillance de nos territoires.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comment se passe votre coopération avec vos homologues ou les autorités des pays voisins sur les zones géographiques ultramarines ?
Mme Sophie Martinoni-Lapierre. L’Organisation mondiale de la météorologie nous permet de nous réunir dans des groupes thématiques pour travailler conjointement à des standards partagés et à des évolutions de compétences pour les pays en voie de développement.
C’est un organisme qui a permis en particulier aux services météorologiques de partager leurs données les plus essentielles. Il faut savoir qu’aucun de ces services ne peut faire une prévision météorologique sans avoir accès à l’information des autres. Les services météorologiques sont donc habitués à partager de l’information depuis fort longtemps et nous avons donc beaucoup d’opérations de coordination.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comment faites-vous quand un État se trouve dans une situation de déséquilibre institutionnel ou de déstabilisation ? Je pense en particulier à la situation haïtienne.
Mme Sophie Martinoni-Lapierre. Il y a généralement suffisamment d’informations pour que nous puissions travailler sans l’ensemble des stations d’une zone. Cela ne nous empêche pas de produire notre information météorologique localement dans les territoires voisins.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). Je voudrais vous féliciter et saluer tous vos progrès au niveau du service météorologique concernant la précision de la trajectoire des cyclones, qui devient de plus en plus précise et permet de mieux anticiper les mesures à prendre et les gestes à privilégier.
Je crains cependant qu’à un moment les Réunionnais – je suis députée de la Réunion – ne croient plus à ces alertes parce que certaines ne se sont pas matérialisées. Comment leur expliquer les modalités de déclenchement des seuils de vigilance pour qu’ils n’aient plus l’impression de déclenchements trop rapides ?
Dernièrement, le cyclone Belal a été reconnu catastrophe naturelle. Pourquoi les vents ont-ils été dissociés des pluies alors qu’un cyclone combine à la fois les vents et les pluies ?
Mme. Sophie Martinoni-Lapierre. La vigilance est un système qui est toujours réinterrogé et que nous évaluons régulièrement.
La vigilance attire l’attention sur des phénomènes localisés. Ainsi, sur une île comme la Réunion ou Tahiti, il est possible qu’une vallée soit concernée par un épisode de pluie intense et que toute une zone également en vigilance jaune ne connaisse pas ces pluies. Cela peut laisser penser aux citoyens qui habitent cette zone préservée que la vigilance jaune n’était pas adaptée. Nous travaillons donc sur des vigilances infraterritoriales pour améliorer notre précision géographique.
Les fortes précipitations restent néanmoins le phénomène le plus difficile à prévoir. Il est très difficile de ne pas avoir de fausses alarmes ou de non-détection, ce qui est encore pire en termes de crédibilité.
C’est un enjeu qui est compris par Météo‑France. Nous travaillons encore et toujours à améliorer la cohérence de notre vigilance avec ce que vivent les populations, même si c’est particulièrement compliqué pour les précipitations intenses.
Concernant le cyclone Belal, les procédures de reconnaissance de catastrophe naturelle établies par une commission spécialisée conduisent à solliciter Météo‑France pour son expertise sur divers aléas. Nous sommes sollicités par aléa et nous répondons par aléa. Il appartient ensuite à la commission de décider à quel titre elle reconnaît tel ou tel phénomène.
Je ne peux donc répondre au titre de la commission mais uniquement sur la façon dont Météo France est sollicitée.
M. le président Mansour Kamardine. Pourquoi dissocier le vent et la pluie ?
Mme. Sophie Martinoni-Lapierre. Il nous est demandé d’étudier chaque paramètre séparément.
M. le président Mansour Kamardine. Quel est votre apport dans l’élaboration des plans Orsec ? À quel moment intervenez-vous ? J’ai cru comprendre que vous y étiez associés.
Mme. Sophie Martinoni-Lapierre. Oui, effectivement, nous y sommes associés au titre d’expert. Par exemple dans le plan Orsec cyclone, nous pouvons avoir à décrire les différentes catégories de cyclones et les conséquences d’un cyclone. Nous contribuons aussi à la réflexion générale sur la mise en œuvre du dispositif.
Nous sommes pleinement associés au service de l’autorité préfectorale sur ce type de document.
M. le président Mansour Kamardine. Merci madame la directrice, Avant de nous séparer, souhaitez-vous ajouter un mot de conclusion ?
Mme. Sophie Martinoni-Lapierre. Je vous remercie d’avoir sollicité notre intervention dans votre commission. Je reste à votre disposition si vous avez des questions complémentaires.
Il y a encore beaucoup de questions ouvertes en particulier sur le changement climatique. J’espère que nous saurons apporter des réponses peut-être un peu moins nuancées d’ici un ou deux ans sur cette question.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous suggère de nous envoyer les éléments dont vous jugerez qu’ils peuvent intéresser les travaux de la commission. Nous en sommes très demandeurs et je vous remercie d’ores et déjà de cette communication supplémentaire.
Je vous remercie pour votre intervention qui nous a éclairés sur bien des points.
9. Audition conjointe, ouverte à la presse, d’associations de protection civile : M. Florent Vallée, directeur délégué de l'urgence et des opérations à la Croix‑Rouge française ; Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer et M. Alain Rissetto, administrateur, président de la commission « mobilisation face aux crises » ; MM. François Richez, président national général de la Fédération nationale de protection civile (FNPC) et François‑Xavier Volot, directeur (8 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous accueillons cinq responsables de la Croix‑Rouge française et de la Fédération nationale de protection civile. Madame, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.
Cette audition conjointe doit nous permettre d’aborder des aspects concrets de la protection civile et du secours aux populations dans les territoires d’outre-mer en cas de survenance d’un risque naturel majeur.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Je me permets de vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Florent Vallée, Mme Gaëlle Nebard, M. Hervé Bidault De L'Isle, M. François‑Xavier Volot et M. Alain Rissetto prêtent successivement serment)
M. Hervé Bidault De L'Isle, secrétaire général de la Fédération nationale de protection civile. Merci d’avoir organisé cette réunion, j’espère que nous pourrons avancer vers de bonnes résolutions.
L’outre-mer à la protection civile, ce sont essentiellement la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes un peu moins présents dans les outre-mer que la Croix-Rouge.
Nous avons plutôt des problèmes financiers. Comment soutenir nos outre-mer en sachant que pour entretenir le lien avec la capitale, il faut les faire venir et que cela coûte une fortune. Malgré les impressions, la fédération nationale de la protection civile n’est pas très riche.
Ensuite, comment améliorer la situation sur place en luttant contre l’abominable droit de mer qui double tous les tarifs et qui fait que quand nous voulons habiller les Polynésiens, nous préférons leur demander de se débrouiller pour trouver localement parce que cela coûtera moins cher.
Bien évidemment, malgré ces problématiques, nous nous employons à essayer de mettre en place à la fois sur l’arc Atlantique et sur l’arc Pacifique des lots internationaux qui nous permettent d’intervenir en cas de problème.
Mais là encore, de nombreuses problématiques se posent et notamment comment se rendre sur les sites quand il y a un problème. Nous sommes souvent confrontés à des refus d’autorisation, à des avions indisponibles, à du matériel non transportable… Il y a probablement des améliorations à apporter dans le rapport entre les associations de sécurité civile notamment dans leur partie métropolitaine et le rapport avec les outre-mer.
M. François-Xavier Volot, directeur aux affaires générales de la Fédération nationale de protection civile. La protection civile est bien implantée en outre-mer. Nous avons la chance comme en métropole d’avoir beaucoup de bénévoles qui ont envie de donner leur temps lors des catastrophes mais aussi sur les postes de secours ou la formation, c’est-à-dire tout ce qui peut se produire tous les jours de la vie normale.
Au niveau de nos différents types d’actions, nous intervenons comme en métropole dès l’instant où il y a des catastrophes naturelles. C’est ce que nous avons fait de manière significative avec l’ouragan Irma à Saint-Martin.
À la suite de cet ouragan, nous avons décidé d’augmenter l’armement de nos protections civiles partout dans le monde et nous avons constitué des lots internationaux qui nous permettent d’intervenir très rapidement.
Au-delà de tout cela, comment nous aider ? Les frais d’octroi de mer sont financièrement très impactants pour nos protections civiles et parallèlement nous continuons à les accompagner et à les former pour qu’elles puissent réagir aux besoins. Ce tissu se développe néanmoins et c’est d’ailleurs grâce à lui que nous pourrons assurer le site olympique le plus éloigné de Paris à Teahupo’o en Polynésie. Nous avons besoin de vous sur ce point-là.
M. Alain Rissetto, administrateur et président de la commission « mobilisation face aux crises » de la Croix-Rouge française. Merci de nous donner cette opportunité de pouvoir nous prononcer sur cette question de la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer.
Notre association possède une triple particularité que je me permets de vous rappeler : Tout d’abord, nous avons un statut d’auxiliaire des pouvoirs publics au plan humanitaire. Nous avons aussi cette notion d’appartenance à un mouvement international qui réunit plus de 191 sociétés nationales et des coordinations qui sont faites à la fois par la fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et le comité international de la Croix-Rouge. Comme nos amis de la protection civile, nous avons ce statut d’association agréée de sécurité civile pour lequel nous disposons d’un agrément pour les quatre types de mission, y compris en Nouvelle-Calédonie où le gouvernement calédonien nous a agréés.
Nous avons des conventions qui sont signées à la fois avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, avec le ministère des affaires étrangères ou le ministère de la santé. Nous avons un certain nombre de spécificités en tant qu’association de sécurité civile puisque nous avons un regard à 360 degrés autour de trois grandes thématiques qui sont le secours, la santé et la solidarité.
Nous ne sommes pas une fédération et nous fonctionnons avec un réseau sous une responsabilité unique.
Nous avons des atouts et notamment une présence sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. La Croix-Rouge française, ce sont plus de 100 000 personnes dont 18 000 salariés et 15 000 étudiants qui sont réunis autour de 650 établissements.
Notre présence dans les territoires ultramarins est particulièrement importante puisque ce sont près de 4 000 intervenants qui sont répartis sur nos 12 délégations territoriales organisées avec des antennes qui permettent des réponses de proximité.
Nous avons plus d’une centaine d’établissements qui interviennent dans des domaines très spécifiques : enfance et famille, la lutte contre l’exclusion, les personnes âgées, le sanitaire, le handicap, la formation ou la gestion des risques et catastrophes.
Nous avons aussi cette spécificité depuis l’année 2000 d’avoir des plateformes d’intervention régionales, notamment dans l’océan Indien et la zone Pacifique. Ces plateformes ont pour objectif d’être capables de pouvoir apporter des réponses à des catastrophes, notamment naturelles, à la fois sur le sol français mais aussi dans les pays voisins.
Comme vous le savez, notre ADN est de pouvoir être capable de mobiliser toutes ces forces des mouvements de la Croix-Rouge pour faire face à ces crises. Le secours est dans notre ADN et c’est la raison même de notre emblème qui est un emblème protecteur.
Notre organisation repose sur des piliers qui sont prévenir, rééduquer, protéger, relever en rétablissant les liens sociaux. Nous avons des directions spécifiques et nous avons une commission spécifique du conseil d’administration.
Nous avons une vision générale sur cette thématique de sécurité civile. C’est celle du citoyen au cœur de la réponse pour être préparé aux crises et comme nos amis de la protection civile, nous revendiquons aussi le positionnement des associations de sécurité civile comme troisième acteur dans la chaîne des secours.
Nous disposons d’une stratégie opérationnelle depuis un certain nombre d’années pour permettre une meilleure réponse de proximité. Nous sommes habitués à intervenir en situation de crise, que ce soit en métropole ou dans les territoires d’outre-mer. Nous avons un centre opérationnel national et nous avons prépositionné des moyens sur l’ensemble du territoire.
Nous avons des plans d’urgence territoriaux dans lesquels nous avons des schémas opérationnels, et qui sont co-construits avec les acteurs publics.
Nous avons en interne une organisation permettant de venir aussi en soutien de nos délégations territoriales et nous bénéficions depuis 1989 et le cyclone Hugo en Guadeloupe d’une certaine expertise sur la réponse aux crises. Nous assurons aussi des missions traditionnelles qui portent sur le soutien aux populations, que ce soient des centres d’accueil pour les personnels impliqués ou des centres d’hébergement, qu’il s’agisse d’actions de santé ou dans le domaine du soutien psychologique.
La Croix-Rouge a la capacité de pouvoir intervenir dans la prévention et la sensibilisation en utilisant la formation comme levier de résilience. Il s’agit soit des formations spécifiques aux gestes qui sauvent, soit spécifiques à la sensibilisation sur les risques et la préparation des populations.
Ces dernières années montrent qu’il y a de plus en plus de catastrophes naturelles majeures et nous voyons que ces crises ont dévoilé des vulnérabilités partagées qui font émerger des inégalités de santé. C’est encore une fois la raison pour laquelle nous mettons cette réponse à la crise au cœur de notre dispositif. Nous avons priorisé cette capacité de pouvoir apporter une réponse opérationnelle et efficace sur les territoires d’outre-mer.
Mme Gaëlle Nebard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française. J’ai l’honneur et la chance de coordonner l’ensemble de l’activité de la Croix-Rouge en outre-mer.
Nous le disons souvent, nous sommes une des rares associations à être présentes sur tous les territoires et je tiens à saluer la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la Croix-Rouge salariés et bénévoles sur le territoire et en particulier à Mayotte qui connaît actuellement une situation particulière.
Il est important de dire que le cadre d’action est identique en outre-mer et en métropole. Notre maillage territorial est notre force. Nous le devons à des bénévoles engagés mais également à des salariés, notamment en cas de crise et de catastrophe naturelle.
M. François-Xavier Volot. Je reviens très rapidement sur « l’avant-crise » et « l’après-crise ».
Concernant le degré de préparation, il est important de noter que les Français en outre-mer sont globalement bien mieux préparés à la crise que dans l’Hexagone. Tous les réflexes que nous pouvons donner aux populations, elles les ont déjà en partie. C’est rassurant.
Par ailleurs, au-delà des formations de secours, nous faisons beaucoup de formations à la préparation de la résilience, par exemple sur les différents packages à préparer avant une crise, un cyclone ou un ouragan. C’est un axe que nous essayons de développer en outre-mer.
Nous remarquons globalement que la coordination entre nos protections civiles et les préfectures ou les mairies est plutôt bonne. Les liens existent et c’est tant mieux. En revanche, il peut y avoir une rupture d’information dès l’instant que le niveau national est atteint. Nous l’avons notamment vécu lors de l’opération Irma où nous avions besoin d’envoyer du matériel et du personnel formé pour venir en aide aux populations sur place. Il nous a été très compliqué d’arriver à obtenir des informations et de l’aide de la part du Cogic et de la direction générale de la sécurité civile pour pouvoir affréter des avions et envoyer des moyens humains et matériels directement à Saint-Martin. La réponse qui nous a été faite était qu’il n’y avait pas de besoin en local.
Nous avons donc dû affréter nous-mêmes des avions pour envoyer du matériel et passer par des compagnies privées pour envoyer des personnels. Cela a malheureusement freiné notre intervention.
Concernant les fonds et notre capacité de fonctionnement au quotidien comme en situation de crise, notre « modèle économique » est assez simple : nous facturons des prestations poste de secours et des formations qui sont censés générer suffisamment de recettes pour nous aider à anticiper les crises.
Nous bénéficions au niveau local de quelques fonds publics et au niveau national de 16 000 euros accordés par la direction générale de la sécurité civile. 16 000 euros pour 32 000 bénévoles, soit 50 centimes par bénévole. Nous avons besoin que les services de l’État changent ce système et augmentent ces fonds afin que nous puissions mieux intervenir lors des crises mais aussi que nous puissions mieux les préparer en augmentant les formations à la résilience.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La Croix-Rouge comme la Protection civile se caractérisent par un maillage territorial avec des bénévoles issus des territoires, même si des personnes plus qualifiées avec du matériel plus pointu interviennent en cas de crise.
J’aurais voulu que vous reveniez sur le maillage et que vous nous expliquiez comment vous pouvez garantir ce maillage. Comment développez-vous ce maillage sur des territoires particulièrement étendus comme la Polynésie française ou la Guyane ? Quels sont vos méthodes, vos capacités et vos besoins ?
Je voudrais aussi vous poser une question sur votre coordination avec les acteurs publics, à laquelle vous avez partiellement répondu. À part quelques dysfonctionnements au niveau local, les synergies sont très fortes au niveau local et c’est tout à fait important.
Par ailleurs, comment intervenez-vous auprès des acteurs économiques, des entreprises, des commerçants, qui sont un public avec un maillage très particulier sur ces territoires ?
M. Florent Vallée, directeur délégué de l'urgence et des opérations de la Croix-Rouge française. Le recrutement de nos bénévoles découle de notre présence sur le terrain. C’est parce que nous sommes présents sur le territoire et que nous menons des actions au quotidien que nous pouvons recruter. C’est l’ensemble de nos actions mises en valeur qui nous permettent d’accéder à la population et de recruter des volontaires.
Nous menons des campagnes de communication, notamment pour les Jeux olympiques mais aussi pour mieux aborder 2030. Nous avons des campagnes de communication en cours qui nous ramènent un nombre important de personnes mais c’est l’action au quotidien de la Croix-Rouge qui draine la majorité des bénévoles.
Comme toutes les associations, nous connaissons des difficultés.
Nous avons des difficultés de recrutement. Si nous parvenons à recruter de nouveaux bénévoles, nous peinons à les conserver durablement et à leur faire accepter de prendre des responsabilités.
C’est très compliqué car ces responsabilités sont de plus en plus lourdes. C’est lourd d’être responsable associatif et c’est lourd d’assurer les tâches administratives associées. C’est la raison pour laquelle nous avons réclamé une simplification des tâches administratives pour nos volontaires lors de notre audition par une commission sur la sécurité civile.
Pour les territoires ultramarins, il est aussi important de les inclure pleinement dans l’écosystème d’ensemble de la Croix-Rouge française. Il faut donc favoriser leur venue à l’assemblée générale et dans les différentes formations (d’État ou internes) en payant les voyages et l’hébergement ou en y envoyant des formateurs pour leur permettre de garder le même niveau que dans l’Hexagone. Ce sont des territoires comme les autres, qui doivent avoir le même niveau de formation. Toutes les formations dispensées dans l’Hexagone le sont donc également systématiquement dans les territoires ultramarins.
C’est pourquoi nous avons une direction nationale de l’outre-mer qui pilote l’ensemble de l’activité, bénévoles comme salariés. Ainsi, nous n’oublions jamais les outre-mer dans nos décisions, nos prévisions, nos façons de faire.
Nous sommes un acteur important de la préparation des volontaires et de la société civile. Ainsi en 2023, nous avons formé 43 000 personnes à la réduction des risques de catastrophes. Même si la population est de mieux en mieux formée et sensibilisée, il faut poursuivre les efforts avec des formations qui correspondent aux problématiques locales. Ce n’est pas la problématique lyonnaise ou la problématique martiniquaise que nous devons amener à la Réunion ou inversement. Ils n’ont pas les mêmes problèmes ni les mêmes pratiques ou les mêmes visions.
C’est un travail extrêmement important que nous menons depuis des années et que nous avons pu mener grâce à des financements, notamment européens. Ils nous ont permis de monter des formations, de diffuser des formations dans la population. Aujourd’hui bien souvent, ces financements s’arrêtent. Nous avons une perte de financement et pour certains territoires, nous avons dû arrêter nos formations.
Le lien avec le tissu local peut être très fort. Ainsi, nous sommes pleinement inclus dans le centre opérationnel préfectoral de certaines préfectures, comme à la Réunion lors du cyclone Belal. Par contre, ce n’était pas le cas dans le Pas-de-Calais lors des dernières inondations.
Avec les acteurs économiques, les liens sont forts et plus ou moins diffus. Ils sont forts parce que nous nous approvisionnons localement auprès d’eux. Nous voulons faire vivre les personnes qui sont sur place et nous essayons donc de fonctionner avec les fournisseurs locaux, d’autant plus que cela évite les coûts de transport.
Lors d’une catastrophe comme Irma à Saint-Martin, il y a plusieurs phases.
500 bénévoles se sont relayés pour assurer une présence accrue pendant deux mois, en s’appuyant sur les personnes sur place. Nous avons en effet la chance d’avoir une délégation territoriale à Saint-Martin.
Après deux mois de phase d’urgence où nous avons pu aider pour fournir des bâches, de l’eau, des produits d’hygiène, nous sommes entrés dans une phase de post-urgence qui a duré plus de deux ans. Nous avons accompagné les populations, notamment avec des bons alimentaires pour qu’ils achètent les produits de première nécessité dont ils pouvaient avoir besoin. Nous avons travaillé avec les commerçants locaux et la préfecture pour créer un dispositif ad hoc spécifique.
Cela fait partie de nos principes, nous essayons toujours de nous fournir localement pour faire redémarrer l’économie locale. C’est le principe de résilience. Il est indispensable de travailler avec le tissu économique local pour reconstruire le plus vite possible un territoire après une catastrophe.
Mme Gaëlle Nebard. J’ajouterai pour compléter le propos sur la prévention et la sensibilisation au risque de catastrophe naturelle qu’au travers de ses plateformes, la Croix-Rouge se développe énormément auprès du grand public mais surtout auprès des plus jeunes et en milieu scolaire. Nous allons même jusqu’à adapter le nom du dispositif au territoire : « Fok Nou Paré » à la Martinique, « Alerte » en Nouvelle-Calédonie, « Get ready with me » à Saint-Martin, ou encore Paré pa paré à la Réunion.
Il y avait aussi un dispositif « Maore dzi pangue » à Mayotte qui s’est arrêté il y a deux ans faute de financement. Il devrait d’ailleurs en être de même prochainement pour le dispositif « Alerte » en Nouvelle-Calédonie. La question du financement est réelle.
Les fonds européens régionaux et Interreg ne peuvent pas financer aussi des activités sur le terrain national et, par ailleurs, des dispositifs de financement par la DEAL qui existent à la Réunion ne sont pas disponibles ailleurs. Par conséquent, des dispositifs qui fonctionnent très bien devront s’arrêter et nous le regrettons vraiment.
Concernant la prévention auprès des plus vulnérables, nous avons des SAMU sociaux sur une majorité des territoires qui font des maraudes avec des volontaires et des salariés, des bénévoles. En phase de pré-alerte, nos SAMU sociaux et nos équipes mobiles d’intervention sociale préparent des kits d’urgence avec des fiches comportant les adresses des abris communiquées par la préfecture et des numéros de téléphone de secours. Des affiches informent également sur les risques cycloniques et les gestes à adopter. Une partie des budgets de nos SAMU sociaux est complètement dévolue à la préparation de ces kits.
Dès le déclenchement de l’alerte jaune, nous renforçons nos maraudes en distribuant ce kit et en menant ce travail de repérage auprès des publics plus vulnérables. L’ensemble des personnes que nous accompagnons ont une solution de mise à l’abri durant le passage de l’événement climatique.
Je tiens à dire que dans l’ensemble de nos établissements portés par des salariés, les services de soin à domicile, les services de tutelle, et dans l’ensemble de nos établissements, nous sommes en contact avant l’alerte pour vérifier qu’ils ont tout ce qu’il faut pendant le passage du cyclone. Nous gardons ce contact pendant toute la durée du cyclone.
S’il fallait émettre une recommandation, ce serait de mener ce travail de prévention et de sensibilisation toute l’année et non uniquement en préparation de l’ouverture de la saison cyclonique.
Concernant les rapports avec le milieu économique, nous sommes sollicités par les entreprises pour sensibiliser leurs salariés. Des programmes dédiés existent en Guadeloupe et à la Réunion, mais ils doivent être développés. La demande existe et l’offre de services doit être davantage construite. C’est un sujet, surtout depuis la publication du décret de mai 2023 qui impose désormais à tout salarié des outre-mer d’être sensibilisé sur ces questions climatiques.
Nous avons aussi pu être interpellés par certains types d’entreprises tels que les hôteliers considérant que les touristes ne sont pas forcément informés. Nous avons donc mené des actions auprès des saisonniers qui viennent sur les saisons touristiques fortes, notamment sur des territoires comme Saint-Barthélemy.
M. Hervé Bidault De L'Isle. Concernant le recrutement, la Fédération nationale peut se flatter de recruter + 6 % de bénévoles par an y compris dans les outre-mer. Même si nous avons un turnover élevé, c’est un chiffre très important. Dans de nombreux milieux associatifs, le recrutement s’effondre.
Pour nous, les outre-mer sont des associations affiliées. Elles ont donc beaucoup d’autonomie, tout en étant dans un principe d’unité.
Là où nous sommes présents, nous implantons des antennes locales. En Polynésie par exemple, je pense que nous avons une vingtaine d’antennes locales. En tout, nous avons entre 40 et 50 antennes locales dans les territoires d’outre-mer. Cela représente environ 10 % de nos 500 antennes locales.
Notre problème en outre-mer, ce sont les finances. Nous n’avons pas d’argent et les outre-mer peinent à en gagner parce que nous ne savons pas y faire la quête ni obtenir de dons. Les budgets sont donc très faibles et il y a une paupérisation de nos secouristes comparativement aux métropolitains. Il faudrait que nous puissions bénéficier de subventions pour aider les outre-mer.
Malgré ce manque de moyens, la Protection civile est très dynamique. C’est le principe même de la Protection civile, nous sommes capables de faire beaucoup avec rien.
La Protection civile, ce sont des bénévoles qui viennent aider en cas de problème. Ils sont très utiles parce qu’ils font ce que personne ne veut faire. Ce que veut la Protection civile, c’est rendre service. Cependant, la Protection civile est souvent mal aimée car elle démontre aussi malgré elle les insuffisances du SDIS local.
Il y a un problème de reconnaissance. Nous avons un peu l’impression d’être les « kleenex » de la République. Nous sommes utilisés en cas de besoin puis jetés ensuite.
C’est un sentiment national qui ne se limite pas aux outre-mer. Très souvent, le secouriste bénévole est plus qu’utile en cas de crise car les services de l’État sont débordés. Mais lorsque le pire est passé, nous sommes oubliés.
Le bénévolat est précieux et important. Pourtant, c’est une activité digne à laquelle aucune reconnaissance n’est accordée.
M. Alain Rissetto. Concernant le maillage territorial, il faut prendre en compte ce constat que nous partageons tous qui est l’évolution des formes de l’engagement.
Les gens ne s’engagent plus de la même manière et par conséquent, nous devons être capables d’intégrer les « bénévoles ponctuels ». Nous devons nous adapter à cette évolution du bénévolat. Ce sont ainsi plus de 30 000 personnes qui ont frappé à la porte de la Croix-Rouge française lors du covid.
Par ailleurs, l’ensemble des actions menées face à la crise sont plutôt des actions de solidarité de type actions sociales menées par bien d'autres acteurs que des secouristes.
Au sujet de la coordination, nous travaillons effectivement avec les pouvoirs publics et les services de l’État et nous signons dans le cadre de la loi Matras des conventions avec les SDIS. Nous travaillons aussi sur la réponse de proximité avec les collectivités territoriales et notamment sur le plan communal de sauvegarde. Nous avons à la fois une préparation en amont avec les services de l’État et les réponses que nous pouvons apporter avec les collectivités territoriales.
M. François-Xavier Volot. Je rejoins Monsieur Rissetto sur l’évolution des formes de bénévolat. Pour la Protection civile, l’objectif est assez clair et a été fixé il y a plusieurs années par notre président. Il s’agit d’ouvrir une quinzaine d’antennes par an. Je précise que cet objectif est tenu.
Je voudrais revenir sur nos liens avec les acteurs économiques.
Lors des crises, notre préoccupation va d’abord aux victimes. Ensuite, nous demandons très rapidement à nos équipes sur place de faire repartir le tissu économique. Cela consiste notamment à dégager le plus rapidement possible les axes routiers et les zones d’activité pour que l’économie puisse repartir. Nous le demandons aussi bien sur les territoires ultramarins qu’en France métropolitaine.
Il faut également savoir que nous avons de plus en plus de mécénat de la part des entreprises privées, notamment en Polynésie.
Nous faisons également de la formation à destination des entreprises, avec un bémol toutefois puisque le BS1 n’est plus financé ni finançable par le Compte personnel de formation (CPF). Cela peut parfois limiter des entreprises qui ont moins de moyens et pouvaient demander à leurs salariés de passer un BS1 via leur CPF.
M. Florent Vallée. Aujourd’hui, l’éducation est la clé de tout. Or notre plus grande difficulté est d’avoir des produits qui soient adaptés systématiquement à chaque territoire et d’avoir des outils de financement qui nous permettent de les déployer et de les développer. Nous avons vraiment besoin d’outils de financement pérennes qui soient pluriannuels et qui nous permettent d’avancer sur ces points.
La protection pour nous, c’est notre capacité d’intervention. C’est également notre capacité d’intervention sur toutes les crises naturelles. Pour cela, nous avons nos plateformes d’intervention régionales qui sont positionnées sur les trois océans. Ce sont des stocks de matériel qui sont positionnés et qui nous permettent d’intervenir aussi bien au niveau international que national. C’est extrêmement coûteux mais ce sont bien souvent les seuls moyens d’intervention à proximité des territoires.
Ce sont des moyens qui ont été payés par la Croix-Rouge française, pour lesquels nous ne bénéficions d’aucun soutien financier. Les trois ouragans qui sont passés sur l’arc antillais nous ont prouvé qu’ils étaient indispensables. Pour rendre résilients les territoires ultramarins, il faut leur donner des capacités d’intervention et de protection en prépositionnant du matériel en conséquence.
Ce sera encore plus nécessaire à l’avenir si un séisme devait se produire. Sans matériel sur place, ce sera extrêmement compliqué de répondre à l’urgence de la population.
À Saint-Martin lors du cyclone Irma, il y a eu trois jours de tranquillité avant un deuxième cyclone annoncé. Pendant cette période, si rien n’a été mis en place, des pillages sont observés.
Nous aurions donc vraiment besoin d’un coordinateur au niveau de l’État, un coordinateur de politique en matière de gestion des risques catastrophe, en matière de prévention. C’est extrêmement important. Après Irma, nous avons pu obtenir un coordinateur interministériel sur les risques naturels. Nous avons besoin de ce coordinateur pour pouvoir mener cette politique dans les territoires d’outre-mer pour leur permettre d’être plus résilients.
Nous savons aussi à quel point il est important d’intervenir en pluridisciplinaire dans les outre-mer. Tout est lié, tout est imbriqué. Lors d’une catastrophe, même si le préfet y assure une coordination plutôt correcte, nous aurions besoin d’une telle coordination à l’échelon national, une coordination globale qui gère et qui prépare à la crise au quotidien.
Des plans de secours existent et fonctionnent très bien mais il n’y a rien sur le soutien aux populations, que ce soit dans les territoires ultramarins ou dans l’Hexagone. Les maires se retrouvent seuls avec leur plan communal de sauvegarde (lorsqu’il existe) et dans un certain nombre de petites communes, ils ne disposent pas du personnel pour le mettre en place.
Il y a un besoin de moyens et de coordination pour employer tous ces moyens qui peuvent être mis en œuvre par les différents acteurs. C’est très important à nos yeux.
Il faut aussi travailler sur les personnes les plus précaires qui n’ont pas accès à l’information. Les personnes hyper précaires n’ont pas de téléphone et pourtant il faut pouvoir les alerter et les informer. Ce sont aussi des missions qu’il ne faut pas oublier et qu’il faut prendre en compte.
Ce sont des points importants. Nous avons besoin de financements pour pouvoir fonctionner et de facilités pour favoriser le bénévolat et les liens avec tous les acteurs sur place.
Mme Gaëlle Nebard. La présentation des différentes actions que nous menons sur l’ensemble des territoires vous montre à quel point la Croix-Rouge est engagée partout en outre-mer à travers ses bénévoles et ses salariés.
Nous voulons mieux faire et faire encore plus sur la sensibilisation des populations aux risques de catastrophe naturelle parce que nous sommes les premiers concernés.
Nous souhaitons mieux faire, nous souhaitons faire encore plus, que les pouvoirs publics dans leur ensemble s’appuient sur des opérateurs comme la Croix-Rouge qui sont implantés pour que nous puissions développer des actions d’anticipation et de préparation. Elles sont essentielles dans le cadre de la sensibilisation, à la fois pour le matériel de prépositionnement et pour que nous puissions poursuivre nos actions de sensibilisation sur le terrain.
Nous avons du personnel formé mais faute de financement, nous devrons arrêter des dispositifs. Il est essentiel que les pouvoirs publics en aient conscience.
M. le président Mansour Kamardine. Au nom de la commission, je vous remercie pour votre disponibilité et pour les éléments d’information que vous nous avez donnés et vos suggestions.
10. Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Préparation et réponse du système de santé aux risques naturels majeurs en outre-mer » (12 février 2024)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous accueillons pour une table ronde consacrée à la préparation et à la réponse du système de santé face aux risques naturels majeurs et leurs conséquences sur les populations en outre-mer, les agences régionales de santé (ARS) de la Guyane et de Mayotte, ainsi que les centres hospitaliers universitaires (CHU) de la Guadeloupe et de La Réunion.
Avant de leur céder la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Dimitri Grygowski, Olivier Brahic, Éric Guyader, Bruno Jarrige, Richard Rouxel et Frédéric Nativel prêtent successivement serment.)
M. Dimitri Grygowski, directeur général de l’ARS de la Guyane. Mon propos liminaire sera bref dans la mesure où la Guyane est fort heureusement peu exposée aux catastrophes naturelles – le risque sismique est faible et le risque cyclonique inexistant.
Les risques sont liés à l’urbanisation dans des territoires qui n’ont pas été aménagés à cet effet. Il s’agit principalement de glissements de terrain et d’inondations. Je pense à une catastrophe survenue il y a une dizaine d’années sur la colline de Cabassou, qui a causé la mort de quatorze personnes et sur laquelle le retour d’expérience nous permet d’organiser un exercice du Samu en 2024.
Si les risques naturels sont limités, la Guyane n’en est pas moins exposée à des risques d’autre nature. Du fait du réchauffement climatique, elle a ainsi connu deux saisons sèches anormalement longues qui ont donné lieu à des crises hydriques dans les communes de l’intérieur, crises aggravées par le défaut d’entretien des canalisations imputable au manque de ressources des collectivités territoriales. Enfin, il faut citer le risque sanitaire lié à l’orpaillage illégal et à la diffusion de mercure dans l’eau qui en résulte.
M. Olivier Brahic, directeur général de l’ARS de Mayotte. Mayotte est exposée aux risques sismique et cyclonique. Compte tenu de l’étendue de l’habitat informel sur l’île, le bilan victimaire d’un cyclone serait catastrophique. En outre, le système de santé, déjà très déficitaire, aurait le plus grand mal à faire face à un événement majeur, d’autant plus dans la période de crise actuelle.
M. Éric Guyader, directeur général du CHU de la Guadeloupe. L’archipel guadeloupéen est habitué à la gestion des risques naturels majeurs, qu’ils soient cyclonique, sismique, volcanique ou de tsunami.
Pourtant, certaines évolutions se font sentir. Les derniers événements climatiques majeurs ont ainsi montré une aggravation du risque lié à l’eau potable. Il est difficile, après un cyclone ou une dépression tropicale, de distribuer de l’eau potable non seulement à l’ensemble de la population, mais également au sein du CHU de la Guadeloupe, ce qui crée d’importantes difficultés dans la prise en charge des patients. Cette fragilité, qui était moins identifiée par le passé, est très prégnante aujourd’hui.
Par ailleurs, le CHU s’installera au second semestre 2024 sur un nouveau site, qui a été spécifiquement conçu pour résister aux cyclones les plus forts comme aux séismes et pour garantir la continuité de l’activité.
M. Richard Rouxel, directeur général adjoint du CHU de La Réunion. Le principal risque naturel à La Réunion est le risque cyclonique, du fait de sa récurrence et de son intensité croissante – aux dires des experts, les cyclones ne seront pas nécessairement plus nombreux, mais plus intenses. Le risque de mouvements de terrain et d’inondations est également important et pénalisant puisqu’il a pour conséquence d’interrompre l’accès aux soins. Le risque volcanique, d’intensité modérée, est bien connu et concerne des zones peu peuplées – il s’agit d’un volcan de type effusif, ce qui n’est pas le plus courant. Les feux de forêt sont un autre risque identifié, de même que les phénomènes de houle et, potentiellement, de tsunami.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. L’objectif de la commission d’enquête est non seulement d’identifier les risques et leurs évolutions induites par le changement climatique, mais aussi de s’assurer que nous sommes préparés à y faire face.
Comment assurez-vous le maillage des territoires, selon les spécificités de chacun d’entre eux ? Quelle est votre stratégie en matière de stockage de médicaments et de matériel ?
Avez-vous adapté la trajectoire d’évolution de vos moyens à l’aggravation de la situation liée au changement climatique ? Il est difficile d’assimiler l’orpaillage illégal à un risque naturel, mais lorsqu’il devient un risque systémique, on peut probablement le traiter d’une manière comparable. La Guyane subira sans doute également l’impact du changement climatique.
Vous travaillez dans des territoires dont le niveau de développement est supérieur à celui des pays qui les avoisinent. En cas d’événement majeur frappant l’un de ces pays, des demandes d’aide seraient sans doute formulées et on pourrait assister à des mouvements de population vers les territoires français. Comment concevez-vous la coopération ou l’assistance internationale dans ce cadre ?
Le retour d’expérience sur le cyclone Belal est, semble-t-il, assez favorable ; il l’est un peu moins sur Irma. Comment voyez-vous cela ?
M. Frédéric Nativel, chef de service du Samu de La Réunion. Le maillage territorial à La Réunion comprend un Samu départemental, régional et zonal, quatre structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) positionnées aux quatre points cardinaux de l’île, quatre hôpitaux principaux et un tissu très développé de soins privés.
Le service départemental d’incendie et de secours (Sdis) compte vingt-quatre casernes – une dans chaque commune – qui sont plutôt bien dotées en moyens et en personnels.
Nous avons également la chance de bénéficier d’un héliSmur depuis cinq ans, ainsi que du soutien de la gendarmerie ; au quotidien et en cas de crise, sa section aérienne apporte son aide pour projeter les équipes dans les endroits les plus reculés de l’île.
Les médicaments sont stockés en deux points stratégiques, au nord et au sud du département.
Le réseau routier est plutôt de bonne qualité, mais il peut connaître des coupures, notamment entre l’ouest et le nord – l’unique route, bien que très moderne, peut être inaccessible en raison de la houle ou de chutes de pierres. C’est la raison pour laquelle nous faisons souvent appel aux moyens héliportés, non seulement pour les patients, mais aussi pour la logistique.
M. Richard Rouxel. L’autonomie est une nécessité puisque La Réunion, comme Mayotte, est très éloignée de l’Hexagone comme des établissements de santé de la région qui pourraient prendre en charge les patients du CHU si celui-ci était hors d’usage.
Nous devons donc développer des stratégies quasi autarciques. Pour pallier notre isolement, nous avons ainsi une politique de surstockage, qui, couplée au recours fréquent au transport aérien, majore énormément le coût des produits pharmaceutiques.
L’isolement est vraiment une donnée importante. Nous aurons l’occasion d’évoquer les évacuations sanitaires, qui demandent entre vingt-quatre à quarante-huit heures si l’on additionne les temps de préparation et de vol. Autant dire que la perte de chances est majeure pour un patient en situation d’urgence vitale. Nous devons donc être capables de les prendre en charge sur l’île.
M. Frédéric Nativel. Afin de garantir notre efficacité, nous sommes dotés d’un poste sanitaire mobile (PSM) pédiatrique, d’un PSM2 et d’un PSM DOM, grâce auxquels nous pouvons nous projeter à Mayotte en cas de besoin.
M. Olivier Brahic. S’agissant du maillage à Mayotte, le site principal, à Mamoudzou, comporte l’essentiel du plateau technique avec le service des urgences, la chirurgie et la réanimation. S’y ajoutent quatre centres médicaux de référence qui forment la deuxième ligne – une sur Petite-Terre et trois sur Grande-Terre. Ils assurent principalement la maternité et les soins programmés – les urgences légères. Il ne s’agit absolument pas d’un service d’urgence, et c’est d’ailleurs là une des difficultés. En troisième ligne, se trouvent les dispensaires qui assurent des consultations de médecine générale de base.
Le Smur est situé à Mamoudzou. Depuis trois ans, nous pouvons compter sur un héliSmur, et c’est une vraie assurance de sécurité. Nous disposons aussi de PSM – ce sont des boîtes contenant du matériel médical qui permettent de prendre en charge des victimes sur le terrain.
S’agissant de la logistique et du matériel, à court terme, je ne suis pas inquiet parce que notre pharmacie à usage intérieur (PUI) dispose de six mois de stock de médicaments et d’oxygène. Nous devrions donc tenir.
La difficulté, je le répète, tient, en cas de cyclone, à l’absence totale de préparation de la population, contrairement à La Réunion et aux Antilles. Il n’y a aucune culture du risque sur le territoire.
Habituellement, un cyclone fait peu de blessés relevant de la traumatologie – cela a été le cas pour Irma, semble-t-il. Il en irait très différemment à Mayotte où le bilan victimaire pourrait être très lourd dans ce qu’on appelle les bangas, dans les bidonvilles, où les tôles qui s’envolent pourraient causer de très gros dégâts. En outre, les capacités de mise à l’abri sont largement insuffisantes : les centres de vie, qui sont identifiés dans chaque commune, pourraient accueillir 30 000 personnes alors que la population est estimée entre 300 000 et 400 000 habitants.
Une autre fragilité que nous avons constatée, et qui perdure en 2024, est, au-delà même de la question de l’attractivité, le problème du turnover des professionnels de santé. Ainsi, le centre hospitalier de Mayotte est perfusé par des renforts nationaux : à titre d’ordre de grandeur, ce sont, en 2023, 1 200 professionnels de santé qui ont été envoyés à Mayotte pour permettre au moins au centre hospitalier de tenir. Ce turnover a pour effet que, sur notre territoire, à la différence de ce qui se passe notamment à La Réunion, où le Samu et les services d’urgence sont aguerris face à ces situations, de nombreux professionnels de santé manquent totalement de cette culture et il est très difficile de les former à la prise en charge d’événements causant de nombreuses victimes.
Un autre point de fragilité est l’aéroport, dont la piste est très courte et très fragile, ce qui accroît le risque qu’elle ne soit plus praticable. Ce danger, associé aux faibles effectifs de nos équipes, fait de la coopération régionale un enjeu important. La Réunion est trop loin pour nous fournir la base logistique de repli dont nous avons besoin et il faudrait, pour organiser une noria, pouvoir atterrir à Madagascar. Bien que je ne sois pas spécialiste de ces questions, j’insiste sur le fait qu’il conviendrait de sécuriser le dispositif aéroportuaire à Mayotte.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. En sens inverse, considérez-vous que vous auriez la capacité d’absorber les besoins de soutien en cas de désordre massif dans la zone – touchant par exemple Madagascar – qui provoquerait des mouvements de population ? À en juger par ce que vous venez de nous dire, je suis plutôt circonspect quant à la réponse.
M. Olivier Brahic. L’entraide régionale jouerait, mais nos moyens sont très limités. En outre, l’Union des Comores aurait des difficultés à accepter l’aide française.
M. Dimitri Grygowski. En matière de ressources, le système de santé de la Guyane dispose d’un réseau plutôt bien installé et assez solide, avec trois établissements de santé (ES) couvrant le littoral à Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni, complétés par des centres et des dispensaires, ainsi que par trois hôpitaux de proximité, soit au total trois ES et dix-huit établissements déconcentrés pilotés par le centre hospitalier de Cayenne. C’est là un point plutôt positif.
Un premier facteur limitant est toutefois le fait que les vecteurs aériens soient très limités. Cette difficulté a été aggravée par le sinistre qu’a subi le transporteur local, Air Guyane, l’automne dernier.
Un deuxième facteur limitant, analogue à celui qu’a évoqué notre collègue de Mayotte, tient au fort turnover des personnels et à la faible attractivité du territoire, qui se traduisent notamment par une fragilité en termes de formations relatives aux crises.
Le troisième facteur limitant est l’expansion démographique du territoire, immense par comparaison avec les autres territoires ultramarins et où nous avons le sentiment que la mise à niveau de nos capacités de réponse et de gestion de crise est toujours un peu en retard.
M. Éric Guyader. Quand on pose la question à un directeur d’hôpital, sa première réponse est de dire qu’il n’a pas assez de moyens.
Faire face à un événement climatique majeur suppose tout un travail de préparation, d’élaboration de plans blancs ou de plans cycloniques, et de formation des professionnels et des équipes. Du fait des nombreux événements majeurs subis par la Guadeloupe au cours des dix ou vingt dernières années, les équipes ont le niveau de formation requis et la capacité à faire face et à improviser.
Avec le nouveau CHU, la capacité en lits sera supérieure à celle dont nous disposons aujourd’hui et rendra à l’établissement son niveau capacitaire d’avant l’incendie de 2007. Les enseignements de la crise du covid se sont traduits par une augmentation significative du nombre de lits de soins critiques, ce qui est évidemment essentiel pour faire face à une crise majeure. Nous tenons donc compte des enseignements des précédentes crises.
Cependant, à la Guadeloupe comme dans d’autres territoires d’outre-mer, nos moyens s’inscrivent dans un contexte de grande fragilité économique. Pour nos établissements – je ne parle ici que de la Guadeloupe –, l’équilibre n’est possible que parce qu’ils sont sous perfusion de l’État et nous connaissons souvent des retards de paiement des fournisseurs et des problèmes d’approvisionnement. Dans un tel contexte, une crise ne peut qu’aggraver la fragilité d’un établissement et lui rendre encore plus difficile d’y faire face – mais, comme nous l’avons fait ces dernières années, nous le ferons tout de même.
À la fragilité de l’établissement s’ajoute celle des autres opérateurs. En effet, qu’il soit public ou privé, le tissu hospitalier de la Guadeloupe est limité. Ainsi, face à un événement majeur, la capacité d’autres établissements, notamment du centre hospitalier de Basse-Terre, qui est notre principal partenaire au niveau guadeloupéen, serait relativement modeste, sans parler de l’établissement de Saint-Martin, qui est isolé et aurait besoin du CHU de la Guadeloupe pour faire face.
Quant aux autres opérateurs, notamment ceux qui gèrent l’eau et les routes, ils sont eux-mêmes fragiles. Un événement majeur met ainsi en lumière non seulement la fragilité du système hospitalier, mais aussi celle de l’ensemble du système économique et social sur l’ensemble du territoire.
Par ailleurs, nous ne disposons toujours pas d’un hélicoptère sanitaire, alors que notre territoire, qui est un archipel, en aurait tout particulièrement besoin. Le seul disponible est celui de la protection civile, que nous utilisons bien évidemment, mais qui est employé au maximum de ses capacités. Il serait souhaitable que cette situation évolue.
En matière de coopération, nous sommes, par définition, isolés par rapport à l’Hexagone et le premier niveau de solidarité se situe donc au niveau régional. La Martinique, la Guyane et la Guadeloupe sont donc solidaires, sous réserve toutefois de ne pas être touchées en même temps par le même événement climatique ou naturel.
Pour ce qui est des autres États caribéens, l’établissement est intervenu à plusieurs reprises, que ce soit au profit d’Haïti ou de Montserrat.
Dr Bruno Jarrige. En effet, notre position géographique nous a fait intervenir à l’échelle internationale à l’occasion d’événements tels que le séisme qui a touché Haïti ou l’éruption qu’a connue Montserrat.
Comme l’a dit M. Guyader, la Martinique, la Guyane et la Guadeloupe sont très solidaires face aux phénomènes naturels, si du moins ces phénomènes ne sont pas simultanés. Ainsi, durant la crise du covid, lorsque les vagues de la pandémie n’étaient pas synchrones, comme c’était le cas pour la deuxième vague, nous avons largement pu nous entraider et nous envoyer des malades d’un territoire à l’autre. En revanche, lorsque le phénomène est simultané, les choses sont beaucoup plus difficiles.
Les moyens héliportés ne sont guère suffisants et nous dépendons beaucoup, en la matière, de la Martinique et de la Guyane pour les gros hélicoptères, notamment ceux des armées. C’est d’autant plus difficile que l’hôpital de Basse-Terre et celui de Saint-Martin ont une capacité limitée. Si donc un séisme se produit sur la Grande Terre, c’est-à-dire vers le CHU de la Guadeloupe, Basse-Terre et Saint-Martin auront beaucoup de mal à compenser. D’où l’importance de déménager vers notre futur CHU, qui sera beaucoup plus solide et, surtout, plus agile puisqu’il nous permettra de disposer d’une très importante capacité en soins critiques, à la différence de ce que nous avons vécu ces dernières années, avec une capacité très limitée et rapidement débordée en la matière, qui nous a obligés à transformer un self et un plateau de consultation en service de réanimation, en tirant très rapidement une alimentation en fluides médicaux. J’espère donc que le futur sera plus favorable à la gestion de ces crises.
La fragilité demeure cependant pour ce qui concerne l’eau et les routes, la question de l’accessibilité du futur CHU et de la disponibilité en eau en cas de crise naturelle n’est pas encore réglée, et toutes les difficultés dans ce domaine ne seront pas encore résolues au moment du déménagement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Travaillez-vous avec d’autres administrations ou avec des chercheurs sur les conséquences du changement climatique en termes d’évolution de vos besoins ? Vous nous dites que vous participez, avec des retours d’expérience, à la modification du plan Orsec, mais des travaux de prospective sont-ils engagés pour anticiper des événements qui, s’ils ne sont pas forcément plus fréquents, seront peut-être demain plus violents, ou des évolutions du trait de côte et des problèmes d’accès ?
M. Éric Guyader. Le travail sur l’ouverture du nouveau CHU se fait en concertation avec la préfecture et avec l’ARS. Un comité de pilotage se réunit régulièrement et les questions soulevées à propos de l’eau ou des routes sont sur la table. À ce jour, nous ne disposons pas de toutes les réponses. Ainsi, bien qu’une réserve en eau soit prévue, l’opérateur chargé de la gestion de l’eau potable sur le territoire ne nous garantit pas totalement une disponibilité qu’il a du mal à assurer pour l’ensemble de la population. Le risque existe donc qu’il faille, après un événement climatique majeur, faire des choix entre l’alimentation en eau potable de la population et celle du CHU, ce qui induit des enjeux sur les plans humain, éthique et social. Nous travaillons aussi, avec l’ARS, à des solutions alternatives et étudions la possibilité de puiser directement dans des eaux de captage, mais c’est là un travail en cours et sur lequel nous avons besoin de progresser.
Pour ce qui est des routes, l’État n’est pas seul concerné, car les opérateurs territoriaux le sont aussi. Je le répète, les questions sont sur la table, mais nous n’avons pas encore les réponses.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ayant été membre de la commission d’enquête sur l’eau sous la précédente législature, je crois comprendre ce dont vous parlez.
M. Frantz Gumbs (Dem). Ma question concernera la Guadeloupe.
Comment la dimension d’archipel est-elle prise en compte ? En effet, le CHU de la Guadeloupe est l’hôpital de référence non seulement pour La Désirade, Marie-Galante et les îles des Saintes, mais aussi pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Les hôpitaux de ces deux dernières îles se situent à 250 kilomètres de la Guadeloupe et leurs aéroports peuvent être inaccessibles en cas de cyclone ou de tremblement de terre. En outre, si mes informations sont exactes, un centre de régulation du Samu est installé en Guadeloupe mais il n’en existe pas dans ces deux dernières îles. Une procédure est-elle prévue pour y prépositionner des ressources médicales ?
De manière plus générale, quelles sont les difficultés liées à l’éloignement de différentes îles pour le CHU de la Guadeloupe ?
M. Éric Guyader. Nous avons l’habitude de travailler avec les hôpitaux de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. J’ai d’ailleurs été saisi par la directrice de celui de Saint-Marin il y a deux jours pour une question relative à un transport de patient.
Mais le CHU de la Guadeloupe est un établissement relativement fragile du point de vue financier et il souffre, en outre, d’un manque d’attractivité pour le personnel médical, quelles que soient les spécialités. Certains de nos praticiens assurent régulièrement des consultations dans d’autres hôpitaux, notamment à Saint-Martin. Est-ce suffisant ? Je n’en suis pas convaincu. Faudrait-il aller plus loin ? Très certainement. Cela fait partie des axes sur lesquels nous devons progresser.
Vous avez également soulevé le problème du transport sanitaire. Disposer d’un hélicoptère ne serait pas du tout un gadget. Nous en avons vraiment besoin, bien entendu pour faire face à un événement majeur, mais aussi pour assurer de manière régulière les transferts de patients depuis Saint-Martin et Saint-Barthélemy. C’est plus que nécessaire.
M. Bruno Jarrige. En effet, pour le Samu, une des difficultés en matière de soins critiques réside dans le manque de moyens de transport. Il est vraiment compliqué d’évacuer des patients de Saint-Martin, et encore plus de Saint-Barthélemy.
Le Samu a certes la possibilité d’anticiper en déployant des moyens en cas d’alerte cyclonique. Mais envoyer un PSM à Saint-Martin revient à déshabiller la Guadeloupe. Or la trajectoire des cyclones est parfois capricieuse et, en général, ils passent d’abord par la Guadeloupe avant d’atteindre Saint-Martin. Y envoyer des moyens est toujours possible, mais cela suppose de renforcer le nombre de PSM dont dispose le professeur Patrick Portecop, chef de service du Samu de la Guadeloupe.
Saint-Martin n’a pas de Samu et l’ensemble de la régulation des soins d’urgence est réalisée par celui de la Guadeloupe. Je ne sais pas ce que Patrick Portecop pense de la création éventuelle d’un Samu pour les îles au nord, mais la dispersion des moyens n’est pas forcément une bonne solution, notamment au vu de la pénurie de médecins. On peut aussi envisager de mieux équiper le Smur de Saint-Martin, en assurant une bonne coordination avec le Samu de la Guadeloupe.
Le problème principal réside dans les vecteurs aériens. Nous sommes très dépendants du secteur privé et, comme l’a dit le directeur général, nous manquons de gros hélicoptères. Lorsque nous avons besoin de ces derniers, nous dépendons de ceux qui sont basés en Martinique et en Guyane.
M. Frédéric Nativel. Pour répondre à la question du rapporteur sur l’anticipation de la recrudescence des phénomènes météorologiques dangereux, un travail sur un hub logistique associe le CHU de La Réunion et l’état-major de zone et de protection civile de l’océan Indien, sous l’égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il porte sur quatre fiches réflexes, qui récapitulent le rôle du directeur des secours médicaux (DSM) zonal ainsi que les plans relatifs aux points de rassemblement des évacués à Mayotte, à l’évacuation sanitaire de masse et à la projection des PSM.
En 2019, nous avons pu mesurer la difficulté d’acheminer à Mayotte les malles des PSM en raison du manque de vecteurs aériens. C’est une faiblesse partagée par toutes les îles.
Nous travaillons également avec nos collègues de Mayotte afin de pouvoir transférer la régulation de son Samu à La Réunion, grâce à des connexions qui seront mises en place dans les semaines qui viennent.
Mme Sophie Panonacle, présidente. L’un de vous a parlé du développement de la culture du risque. La journée « Tous résilients face aux risques » a été organisée en Guadeloupe – et sans doute dans d’autres territoires. Les CHU ont-ils été associés à cette journée destinée à mieux informer les populations ?
M. Bruno Jarrige. Nous y sommes associés, de même que la faculté des Antilles. Des médecins participent aussi aux projets de recherches qui concernent les effets du réchauffement climatique, comme les sargasses.
La Guadeloupe subit elle aussi les conséquences de ce réchauffement. Les sécheresses y sont de plus en plus prononcées ce qui, conjugué au problème des fuites dans les canalisations d’eau, affecte son autonomie alimentaire.
M. Olivier Brahic. Je ne vous cache pas que je n’ai jamais entendu parler de ces journées à Mayotte, mais il est vrai que la résilience y fait partie du quotidien.
M. Richard Rouxel. Je n’en ai pas non plus entendu parler à La Réunion. Pour autant, nous travaillons très bien avec les autorités, en particulier l’ARS et la préfecture. Le CHU est pleinement reconnu comme opérateur d’importance vitale. L’essentiel n’est pas de flatter les ego, mais bien de développer une culture de résilience commune. Nous sommes tous extrêmement fragiles, même si nous sommes bien préparés. Nous effectuons des exercices et organisons des séminaires portant sur la gestion de situations sanitaires liées aux phénomènes climatiques.
M. Dimitri Grygowski. En Guyane, nous participons bien à cette journée consacrée à la résilience.
Le point le plus intéressant est constitué par le plan de formation destiné aux habitants de l’intérieur et à la population des fleuves. Ce plan pluriannuel a déjà permis de former 800 d’entre eux aux gestes de premier secours. Il nous paraît assez pertinent et bien ciblé.
Nous envisageons aussi d’organiser un conseil scientifique placé auprès de l’ARS, pour l’aider à décider mais également à apprécier de manière prospective les risques associés aux zoonoses émergentes ou les conséquences du réchauffement climatique sur le système de soins guyanais.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Lorsqu’une infrastructure hospitalière est construite – comme le nouveau CHU de Pointe-à-Pitre – je suppose que les risques sismique et cyclonique sont pris en compte. Il ne faudrait pas que ces structures soient elles aussi mises à mal lors d’un événement majeur.
M. Bruno Jarrige. Le projet de nouveau CHU de la Guadeloupe, qui a commencé en 2012, a été très influencé par le séisme de 2010 à Haïti. Le bâtiment bénéficie d’une très haute technologie antisismique, qui va au-delà des spécifications habituelles. Le projet anticipe également la survenue de cyclones de plus en plus puissants. Un travail de simulation a été réalisé pour permettre à ce CHU de résister à des cyclones d’une force encore inconnue. Nous aurons la chance en Guadeloupe d’avoir une structure particulièrement sécurisée.
Mme Sophie Panonacle, présidente. C’est rassurant. Qu’en est-il dans les autres territoires ?
M. Richard Rouxel. À La Réunion, il n’est pas prévu de construire de nouveaux bâtiments. Si les plus récents sont conformes aux dernières normes, on peut s’interroger sur la capacité de résistance des plus anciens.
La topographie peut aussi susciter des questions, notamment lorsque l’on voit un centre hospitalier adossé à une montagne. On peut imaginer que cette installation d’une importance essentielle pourra un jour être mise à mal par un phénomène naturel.
Nous disposons de l’une des treize plateformes de traitement mutualisé des appels au 15 et au 18 en France. Cela fonctionne merveilleusement bien et permet des synergies entre le Sdis et le Samu, en temps normal comme en période de crise.
Pourtant, les surfaces vitrées de ce magnifique bâtiment sont prévues pour résister à des vents allant jusqu’à 250 kilomètres par heure. Or, lors d’une présentation réalisée par Météo‑France à l’occasion d’un séminaire de préparation au risque cyclonique, il a été question de vents de plus de 300 kilomètres par heure. Les surfaces vitrées de la plateforme seraient alors probablement soufflées, même si elles répondent aux normes actuelles. Les dégâts pourraient donc être particulièrement importants, y compris sur des infrastructures qui abritent des zones stériles. Nous restons donc vulnérables, même si les structures bâtimentaires peuvent très bien résister.
M. Olivier Brahic. Même si nous n’en disposons pas à Mayotte, je ne peux que confirmer les avantages en cas de crise des plateformes de gestion mutualisée des appels au 15 et au 18. Cela permet d’apporter une réponse encore plus efficace.
En ce qui concerne la résistance des bâtiments, on me dit que les structures de l’hôpital de Mamoudzou sont capables de résister aux séismes. Je n’en ai pas la preuve technique absolue. Je sais que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a procédé en octobre dernier à l’étude d’un certain nombre de sites à Mayotte, mais je ne dispose pas encore des résultats. J’ai donc plus d’interrogations que de certitudes.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous nous rapprocherons du BRGM pour avoir les conclusions de cette étude. Il est essentiel que l’hôpital soit préservé, afin de pouvoir faire face à une situation d’urgence.
Je vous remercie tous pour vos interventions éclairantes.
11. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des opérateurs de réseau (lundi 12 février 2024)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous recevons aujourd’hui les représentants d’EDF, Veolia, Orange et France Télévisions pour une table ronde consacrée aux opérateurs de réseaux en outre-mer, leur résilience face à la survenance d’une catastrophe naturelle et leurs capacités en matière d’information et d’assistance à l’égard des populations. Nous sommes là au cœur des préoccupations de la commission d’enquête.
Avant de leur céder la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Jean-François Finck, Olivier Grunberg, Luc Bestory, Philippe Roquelaure, Daniel Ramsamy et Thierry Jacob ainsi que Mmes Claire Chalvidant et Sylvie Gengoul prêtent serment.)
M. Jean-François Finck, directeur de cabinet d’EDF-SEI. La direction des systèmes énergétiques insulaires (SEI) d’EDF gère les territoires en outre-mer suivants : la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon et La Réunion, auxquels il faut ajouter la Corse et les îles du Ponant. Ces territoires ont en commun de ne pas être interconnectés à d’autres territoires du point de vue électrique.
EDF-SEI y assure quatre missions de service public : le transport d’électricité, la distribution d’électricité, la gestion du système électrique et l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité ainsi que la fourniture d’électricité, notamment l’application des tarifs réglementés de vente à l’ensemble des clients de ces territoires qu’ils soient particuliers, collectivités ou entreprises. EDF y accompagne la transition énergétique, chaque territoire ultramarin étant doté d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) spécifique. Nous gérons 1,2 million de clients et 40 000 kilomètres de réseau électrique, grâce à 3 000 salariés répartis sur l’ensemble des territoires.
La résilience des réseaux électriques face aux risques naturels est intégrée dans la gestion de ces derniers. Nous établissons des diagnostics techniques, intégrant des calculs de cumul des contraintes, que nous partageons avec les autorités organisatrices de la distribution d’électricité. Nous nous appuyons sur ces diagnostics et sur les retours d’expérience des événements significatifs survenus dans les territoires pour définir des programmes de maintenance préventifs et curatifs à hauteur de 300 millions d’euros par an pour la totalité des territoires. Les programmes pluriannuels d’investissement pour rendre notre réseau résilient sont présentés aux élus, qui sont propriétaires des réseaux électriques et nous faisons un point régulier avec eux.
S’agissant de la gestion de crise, EDF est partie prenante de l’organisation régionale instaurée par le préfet associant les services de l’État, les autorités d’état-major de zone et les élus régionaux. EDF participe à la cellule de crise de la préfecture. La gestion des derniers cyclones a montré l’efficacité de cette organisation.
EDF a également son organisation interne qui repose sur des renforts humains, matériels et logistiques. La force d’intervention rapide électricité (Fire), qui a été créée après la tempête de 1999, peut mobiliser vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, de nombreuses cohortes et du matériel en grande quantité. La Fire a montré son efficacité puisqu’elle a été la première à atterrir sur l’aéroport de La Réunion lors du cyclone Belal, en présence du ministre de l’intérieur, M. Darmanin.
Je vous livre un retour à chaud sur ce cyclone, caractérisé par une pluviométrie record et des vents à près de deux cents kilomètres par heure, qui a touché toutes les communes de l’île. Premier constat, la gestion de crise a été bien coordonnée par une préfecture omniprésente. EDF était en position de conseil auprès du préfet pour mettre en place son schéma de réalimentation électrique sur le territoire. Ainsi, nous avons pu réalimenter 90 % des clients touchés en moins de quarante-huit heures malgré l’alerte rouge qui interdit aux équipes d’EDF d’intervenir sur le terrain pour des raisons de sécurité. Les manœuvres à distance, grâce à l’automatisation du réseau électrique, ont permis de réalimenter la moitié des clients touchés par le cyclone sans faire courir de risques aux équipes.
Quant au cyclone Irma, survenu aux Antilles le 6 septembre 2017, nous avons plus de recul. Sur les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, 24 000 clients étaient concernés. Les vitesses de vent étaient supérieures à 350 kilomètres par heure et le cyclone était classé en catégorie cinq. Le délai de réalimentation d’urgence a été de cinq semaines ce qui, au vu des dégâts occasionnés – absence de moyens de circulation, chaos sur l’ensemble du territoire – est une performance, laquelle a été rendue possible grâce aux renforts de la Fire. Au total, 600 salariés ont été présents sur ces deux îles pendant plus d’un an, 380 tonnes de matériel ont été acheminées et 145 groupes électrogènes installés. Le coût complet de la sécurisation, du dépannage et de la reconstruction du réseau électrique sur les deux îles a été de 78 millions d’euros pour EDF.
Nous reconstruisons le réseau électrique avec le tissu industriel local et nos experts selon des critères de résilience face à des phénomènes météorologiques sévères voire exceptionnels. Le réseau a donc été en grande partie enterré et des ouvrages qui étaient dans des zones inondables, avec des houles très sévères, ont été rehaussés, notamment pour installer les postes de transformation en hauteur afin qu’ils ne soient plus submergés par de tels événements.
Je tiens à souligner la bonne collaboration avec les collectivités territoriales et les autres opérateurs qui étaient présents sur le territoire. Dans de telles situations, il est important en effet de pouvoir coordonner nos interventions avec les opérateurs de téléphonie et de l’eau ainsi que les responsables de la voirie pour mener à bien les chantiers qui se caractérisent par des contraintes logistiques importantes.
M. Olivier Grunberg, directeur général délégué de Veolia, secrétaire général de Veolia Eau France. À La Réunion, notre implantation, qui date de plus de cinquante ans, s’appuie sur plusieurs filiales qui emploient 300 salariés pour desservir environ 500 000 Réunionnais pour l’eau potable et 300 000 pour l’assainissement. Nous avons soixante unités de production d’eau potable, dix grosses stations d’épuration et environ 3 000 kilomètres de réseau.
Jusqu’en 2018, nous avions une activité à Saint-Martin sur laquelle je pourrais revenir si vous le souhaitez pour évoquer l’ouragan Irma.
En préambule, je tiens à préciser que nous ne sommes pas propriétaires de nos réseaux, nous sommes gestionnaires au titre de délégations de service public. Nous avons donc un rôle de conseil et de prescripteur. Deuxième remarque, la réfection de réseaux d’eau est par essence un peu plus compliquée que celle d’autres réseaux ici représentés et demande du temps.
En ce qui concerne Belal, nous avons été confrontés à deux risques majeurs – le vent et les pluies – ainsi qu’à la difficulté d’accès aux ouvrages liée à la géographie de La Réunion. Quels premiers enseignements positifs avons-nous tirés ? Nous avons pu compter sur un personnel formé et préparé, sur une maintenance préventive ainsi que sur une organisation spécifique déployée dans l’île. Nous pouvons nous appuyer sur des plans de continuité d’activité ainsi que sur des cellules de crise à la fois régionales, nationales et du groupe.
Je m’arrête un bref instant sur l’impact du cyclone sur les différentes composantes d’un réseau. D’abord, les ouvrages, tant pour l’eau potable que pour les eaux usées, sont protégés et ont été bâtis en prenant en considération le risque cyclonique. Ensuite, les canalisations sont aussi construites dans des matériaux plus solides qu’en métropole afin de les protéger contre plusieurs risques. Il n’en demeure pas moins que le faible renouvellement du réseau – il est inférieur à 1 % à La Réunion comme en métropole – est problématique. C’est malheureusement une préoccupation récurrente qui a été mise en exergue par les assises de l’eau. S’agissant des captages, nous avons connu des obstructions liées à la mauvaise qualité de l’eau et parfois des ruptures de canalisations. Grâce aux interconnexions et à d’autres ressources, nous avons réussi à surmonter ces difficultés. Quant aux compteurs, ils ont moins souffert qu’avec Irma à Saint-Martin car les compteurs aériens sont moins nombreux.
Enfin, il faut souligner l’interdépendance complète entre les opérateurs. Nous sommes complètement dépendants des réseaux de télécommunications mais aussi électriques : impossible de traiter l’eau potable ou usée ni de la pousser dans les tuyaux sans électricité. La première étape est de rendre les installations accessibles en déblayant les routes – c’est le rôle des services de l’État et des collectivités ; la deuxième étape consiste à rétablir l’électricité et les télécommunications ; enfin, la troisième étape est l’intervention des autres opérateurs pour améliorer ou réparer ce qui doit l’être.
En ce qui concerne la stratégie de prévention, nous avons prépositionné des stocks de produits chimiques et d’équipements dans différents endroits de l’île afin de faciliter une intervention rapide sans complication logistique. Au moment du Covid, il y avait des problèmes d’approvisionnement en bouteille de chlore. Si nous n’en avions pas prépositionné dans l’île, nous n’aurions pas pu traiter l’eau, ce qui aurait provoqué des interruptions de service assez marquées.
Enfin, je tiens à souligner la qualité du travail avec les équipes de l’État et les collectivités locales. À La Réunion, la préfecture a organisé en novembre 2023 une journée Cyclonex au cours de laquelle tous les acteurs se sont retrouvés pour évoquer la prévention et la gestion du risque cyclonique.
Nous pouvons compter sur les volontaires de Veoliaforce, issue de notre fondation d’entreprise. Elle est certes moins importante que la Fire d’EDF, mais elle permet de mobiliser des ressources humaines en complément des personnels. Elle est intervenue plusieurs fois à Saint-Martin et en Guadeloupe.
Je pourrai développer ultérieurement nos recommandations d’amélioration à court, moyen et long termes, qui, loin d’être coperniciennes, permettraient néanmoins de renforcer la prévention et l’efficacité dans la gestion des crises.
Mme Claire Chalvidant, directrice adjointe des affaires publiques d’Orange. Orange est présent en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Saint-Pierre-et- Miquelon mais aussi à La Réunion et à Mayotte, en tant qu’opérateur mobile et fixe sur le très haut débit. Nous sommes un opérateur télécom parmi d’autres puisque nous ne sommes plus l’opérateur historique sur ces marchés.
Le retour d’expérience que je vous présente ne concerne donc qu’Orange. Nous avons choisi de vous présenter de quelle manière nous anticipons et préparons la résilience des réseaux grâce à la redondance ; et de quelle manière nous vivons notre présence dans les cellules de crise. Je suis accompagné de Luc Bestoury, directeur de la sécurité pour la zone Antilles-Guyane, Philippe Roquelaure, délégué régional Antilles et Daniel Ramsamy, délégué régional La Réunion-Mayotte, qui pourront vous raconter ce qu’ils ont vécu de l’intérieur, à l’occasion de Belal mais aussi d’Irma.
Cela a été dit, chaque territoire est soumis à des aléas différents. Les conséquences sur le réseau ne seront évidemment pas les mêmes selon qu’il s’agit d’un ouragan, d’un cyclone, ou d’une tempête, d’inondations, d’éruption volcanique ou de tsunami. Nous préparons donc nos réseaux différemment. Nous avons besoin des mêmes préalables que Veolia – l’accès à la voirie et le rétablissement de l’électricité – avant d’intervenir sur un site touché.
Si un site est touché par un défaut d’élagage par exemple, ce sont des pylônes, des équipements, des câbles arrachés qu’il faut remplacer, ce qui allonge d’autant nos interventions.
Notre politique globale d’anticipation des catastrophes naturelles repose sur un plan de crise et sur une redondance des réseaux – depuis les câbles sous-marins jusqu’à notre réseau structurant. C’est notre métier, notre compétence première d’assurer la connectivité pour les clients. Nous devons aussi anticiper la logistique, le volet ressources humaines, etc., autrement dit, nous préparer à chaque crise.
Nous sommes évidemment associés à tous les travaux préparatoires de la préfecture. Tous les acteurs sont réunis au sein du centre opérationnel départemental (COD). Lorsqu’un aléa survient – et c’est la raison pour laquelle lors de l’ouragan Irma nous avons réussi à rétablir le réseau en une journée –, nous formons une équipe de techniciens au sein de laquelle toutes les tâches sont déjà réparties – nous savons à l’avance qui fera l’interface avec les pouvoirs publics, quels techniciens interviendront sur le réseau. S’agissant de la logistique, il faut également anticiper, donc faire des stocks de câbles, des Airbox qui permettent aux clients privés de services fixes d’utiliser le wifi pour communiquer. Ensuite vient le jour J et on ne peut que saluer la collaboration avec les autres acteurs afin de rétablir les réseaux routier et électrique.
Je n’en dis pas plus pour avoir du temps pour répondre aux questions. Forts de l’expérience d’Irma et d’autres aléas climatiques que nous avons connus ces dernières années, nous avons réfléchi à quelques pistes d’amélioration. Mais, globalement, les départements et régions d’outre-mer (Drom) sont plutôt très bien organisés et équipés. Ce sont plutôt eux qui inspirent les plans de crise pour le reste du groupe Orange.
Mme Sylvie Gengoul, directrice du pôle outre-mer de France Télévisions. Le pôle outre-mer est une communauté de travail de 1 500 personnes réparties sur dix sites dont trois en outre-mer. Nous sommes implantés dans trois bassins géographiques – Pacifique, Indien et Atlantique – pour couvrir des territoires qui tirent leur richesse de leur histoire, de leurs valeurs, de leur diversité et de leur biodiversité.
Nous avons l’ambition de soutenir la vitalité de ces territoires et d’accompagner leur vulnérabilité. Assurément, nous avons notre place dans la prévention des risques qui nous menacent. D’abord, parce que notre nature de service public nous l’impose, mais aussi parce que c’est inscrit dans notre ADN éditorial.
Notre rôle est de contribuer à la dynamique des territoires et de répondre à leurs besoins parmi lesquels figure le fait de se préparer aux risques naturels. Nous sommes donc un acteur pertinent à plusieurs titres : la relation que nous entretenons avec le public facilite une forme de conversation ; elle est exigeante mais elle s’appuie sur une histoire solide et une certaine confiance que nous devons toutefois préserver. Ensuite, nous sommes le premier média de référence en matière d’information. Ce sont près de 40 % des habitants qui regardent les chaînes La Première, soit près de 852 000 téléspectateurs ; nos journaux du soir recueillent des audiences absolument spectaculaires – il représente 80,7 % de parts de marché en Guadeloupe et 74 % en Nouvelle-Calédonie. Ces belles audiences nous donnent aussi une très grande responsabilité. Enfin, La Première est une marque unique avec quatre supports – la radio, la télévision, le web et les réseaux sociaux –, capable de toucher un public assez large – c’est un atout précieux compte tenu de l’évolution des usages. L’effet de convergence des médias renforce l’effet d’alerte.
Notre action en matière d’alerte s’organise autour de deux axes : un premier axe préventif, destiné à développer une culture générale. Je cite quelques exemples : nous relayons les initiatives dans les écoles et les exercices ; nous diffusons des reportages d’explication pour mieux comprendre les phénomènes naturels ; nous publions des articles de fond, à l’instar de « ce qui pourrait attendre les Guyanais pour les cent prochaines années » ; nous participons aux journées Réplik en Martinique en présentant des reportages sur les risques de séisme et de tsunami ; nous proposons des documentaires sur les grands enjeux de demain tels que le déplacement de Miquelon face à la montée du niveau des mers ou sur des histoires passées – ces reconstitutions sont autant de témoignages pour les générations actuelles et futures ; nous proposons enfin des films d’impact qui visent à susciter la réflexion ou des programmes multisupports tels que « En première ligne », qui mettent en scène des hommes et des femmes de nos pays qui sont un peu comme des influenceurs ; sans oublier enfin les contenus destinés à améliorer la connaissance des environnements et de leur relation avec les hommes.
Le deuxième axe concerne l’accompagnement avant, pendant et après un évènement. Nous sommes soumis à l’obligation d’alerte des populations. La plupart de nos stations sont dotées d’un plan d’action qui prévoit à la fois l’organisation des moyens humains, logistiques, matériels mais aussi la partie éditoriale. Nos dispositifs sont très bien rodés et rigoureux. À chaque niveau d’alerte correspond un traitement éditorial. En amont, tous les médias sont mobilisés pour faire de la prévention. Pendant l’événement, la radio est le média privilégié – les dernières enquêtes sur les usages montrent qu’en outre-mer, les habitants préfèrent la radio pour l’information locale –, aux côtés du numérique. Après l’évènement, tous les médias sont de nouveau sollicités.
Pour illustrer le rôle de média d’accompagnement de la radio pendant l’événement – rôle d’écoute, de témoignage, de solidarité, de conseil –, lors du cyclone Belal, nous avons reçu plus de 6 000 appels par jour contre 200 habituellement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Notre objectif est, d’une part, de faire un état des lieux des risques naturels et des effets potentiels du réchauffement climatique et, d’autre part, d’évaluer notre capacité à y faire face et à permettre à la vie normale de reprendre son cours aussi vite que possible.
Nous avons pu tirer des enseignements, qui ne sont pas tous positifs, de la gestion d’Irma. En ce qui concerne Belal, le bilan semble plus favorable.
L’état des réseaux, leur accès et leur raccordement sont de qualité diverse en outre-mer. En Guadeloupe, il me semble que nous avons des raisons d’être inquiets en ce qui concerne la distribution d’eau. Quelles seraient les conséquences d’un désordre majeur, notamment sur la situation sanitaire ? De quels outils disposez-vous pour y répondre ?
Comment êtes-vous organisés pour intervenir en tous les points des territoires dont la géographie est complexe et pour porter assistance à tous les habitants ?
Vous participez à l’élaboration des plans Orsec– organisation de la réponse de sécurité civile – et Orsan – organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles. Comment anticipez-vous les évolutions futures – on prédit souvent que les désordres climatiques ne seront pas plus nombreux mais plus intenses –, notamment dans vos investissements ? Comment intégrez-vous les habitudes locales pour faire face aux aléas ?
J’ai bien noté que France Télévisions œuvrait à la prévention. Travaillez-vous ensemble pour parfaire l’information délivrée ?
Comment prépositionnez-vous les équipements pour pallier les éventuelles défaillances de réseaux ?
M. Jean-François Finck. D’abord, nous appliquons un programme de maintenance pensé pour garantir la qualité de la fourniture au quotidien et la résilience du réseau. Les deux sont liés : quand le matériel est régulièrement remplacé, il résiste beaucoup mieux aux aléas climatiques – nous l’avons mesuré.
Nous suivons également une politique d’enfouissement des lignes électriques. Dans les territoires que j’ai cités, le taux d’enfouissement des lignes moyenne tension est le même qu’en métropole, soit environ 70 % ; pour les lignes basse tension, il est de près de 50 %. Cette solution n’est toutefois pas toujours possible ni souhaitable. En cas de glissement de terrain ou d’inondation, cela entrave les opérations de dépannage. Il faut trouver un équilibre technique et économique. Quand l’enfouissement n’est pas possible, notre stratégie consiste à automatiser le réseau électrique pour mener à distance les opérations nécessaires à la réalimentation. Nous avons obtenu de très bons résultats dans ce cadre : les alertes rouges déclenchées par les préfets durent de plus en plus longtemps, ce qui rend difficile l’accès aux ouvrages, donc les interventions sur le terrain. À La Réunion, l’automatisation nous a permis de réalimenter de nombreux clients.
Nous nous appuyons sur un diagnostic technique de plus en plus précis, grâce à des données auxquelles nous n’avions pas accès auparavant. Nous ciblons plus spécifiquement les opérations de maintenance, ce qui nous permet d’intervenir et d’investir sur les équipements les plus exposés, donc d’optimiser la résilience du réseau.
Comme en France hexagonale, nous avons installé des compteurs numériques ; 80 % de nos clients en sont équipés. C’est bien pour eux, mais pour nous aussi : la supervision du réseau basse tension améliore nettement notre schéma de réalimentation.
Enfin, nous avons développé dans chaque territoire la plateforme logistique Serval, afin de disposer de stocks cycloniques gréés pour une crise ; les volumes sont suffisamment importants pour assurer les premiers secours malgré des voies maritimes et aériennes bloquées. Les bases d’intervention sont stratégiquement réparties dans l’île pour ne pas être tributaires des accès routiers.
M. Olivier Grunberg. En matière de prévention, il est essentiel de former le personnel au passage d’un cyclone. Cela passe notamment par des opérations de maintenance préventive. En période de crise, des agents sont prépositionnés dans des usines de traitement stratégiques. J’ai évoqué l'arborescence de crise, qui prévoit une organisation locale, régionale et nationale. On active les plans de continuité de l’activité (PCA) en fonction du degré d’urgence.
À mesure de l’installation ou du renouvellement des ouvrages, nous les avons dotés de spécificités anticycloniques. Ils ne sont toutefois pas prévus pour des cyclones exceptionnels comme Irma, qui a provoqué des rafales de vent dépassant les 370 kilomètres par heure – j’ai vu des murs en béton renversés par le vent. Malheureusement, on ne peut pas totalement se prémunir d’un phénomène aussi atypique. Les ouvrages concernés sont construits dans des endroits protégés, loin du bord de mer pour éviter la submersion, et ne sont pas très hauts pour réduire la prise au vent.
J’ai déjà évoqué les matériaux spécifiques utilisés pour la construction des canalisations à La Réunion, afin de résister aux violents changements de pression. En cas de cyclone, ce sont souvent les pressions d’eau qui font éclater les canalisations. Les réseaux sont enterrés et disposés de façon à pouvoir isoler les portions où des fuites doivent être réparées.
Après nos collègues d’EDF, nous évoluons vers la télérelève des compteurs. C’est important pour maîtriser sa consommation, et, en l’occurrence, pour déterminer l’emplacement des fuites. Nous pouvons ainsi les localiser beaucoup plus rapidement : quarante-huit heures après le passage de Belal à La Réunion, la distribution d’eau était rétablie à 95 %.
Sous l’égide de la préfecture, le travail avec EDF, Orange et France Télévisions se passe très bien, en lien avec les collectivités locales. Le préfet organise des réunions régulières. Nous pourrions toutefois prévoir davantage d’exercices de crise en commun.
S’agissant du prépositionnement des équipements, j’ai déjà parlé des stocks stratégiques et des produits chimiques. Les unités mobiles de traitement, à partir de groupes électrogènes, permettraient d’améliorer encore la prévention. Elles concernent les hydrorocureurs, car l’assainissement est essentiel, et l’eau potable. Nous en avons près des hôpitaux, mais on pourrait en augmenter le nombre à partir des groupes électrogènes prépositionnés, en accord avec la préfecture. Peut-être faudrait-il également réfléchir à installer des mises en commun de groupes électrogènes pour démultiplier les équipements sans surstocker.
Ces recommandations, que je peux détailler, concernent le court et le moyen terme. Je peux également faire des propositions plus structurelles pour le long terme, mais elles sont plus difficiles à mettre en œuvre.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Êtes-vous bien au fait de l’état du réseau dans tous les territoires ? Vous avez parlé de La Réunion ; votre intervention vaut-elle pour les autres ?
M. Olivier Grunberg. Pour le moment, en outre-mer, Veolia n’est installé qu’à La Réunion. Je parle donc de ce que je connais. À l’occasion d’Irma, j’ai su ce qu’il avait fallu faire à Saint-Martin. À La Réunion, le taux de rendement du réseau s’élève en moyenne à 65 % environ, avec des écarts-types importants ; en Guadeloupe, il était plutôt de 55 %, à cause d’un sous-investissement chronique et d’une organisation perfectible de la gouvernance de l’eau. Un syndicat unique a été créé depuis – j’ai vu cela de loin.
Je ne peux donc témoigner que de ce que font les équipes de Veolia à La Réunion, depuis près de quarante ans. Le territoire compte deux autres acteurs essentiels : Cise Réunion, filiale du groupe Saur, et la régie communautaire La Créole. En ce qui nous concerne, notre nouveau contrat prévoit d’augmenter de dix points le rendement du réseau en dix ans, ce qui n’est pas évident au regard de la géographie de l’île.
Mme Claire Chalvidant. Nonobstant le cyclone Irma, de catégorie 5, les réseaux d’Orange ont plutôt bien tenu, parce que nos investissements sont significatifs, que nous avons du personnel mobilisé, que nos réseaux sont bien dimensionnés et que nous en améliorons constamment la résilience.
M. Luc Bestory, directeur de la sécurité, de la privacy et de l'infogérance de la zone Antilles-Guyane d’Orange. L’efficacité dépendra de la coordination entre les services de l’État, les collectivités et les opérateurs. Dans les Antilles et en Guyane, nous privilégions le recours au téléphone mobile en cas de crise, cyclonique par exemple.
Dans les deux îles, Guadeloupe et Martinique, nous avons positionné tout le matériel nécessaire pour assurer la reprise d’activité des infrastructures liées au mobile. Dans les sites stratégiques pour l’interconnexion, nous avons installé des groupes électrogènes capables de garantir la fourniture d’énergie nécessaire pendant trois à sept jours, en fonction de la consommation.
Nous organisons des exercices de crise pour préparer le personnel. Plus largement, les préfectures, qui sont actives, planifient des exercices grandeur nature préparant aussi bien la survenue d’un tsunami que celle d’un cyclone.
Le dispositif de gestion de crise comprend une carte du personnel permettant de savoir exactement où sont les techniciens afin de disposer de leurs compétences en fonction de la nature et de la portée de l’événement.
Nous prévoyons les situations extrêmes. Toutes nos cellules de crise sont équipées de téléphones satellitaires. En effet, la première étape consiste à réunir tous les responsables pour coordonner l’action. Nous avons engagé un travail avec EDF pour définir des objectifs communs, car nous avons besoin d’énergie et ils ont besoin de télécommunications. Suivant les directives du préfet, nous avons déterminé des secteurs communs d’intervention.
Le centre opérationnel départemental (COD) regroupe des représentants des opérateurs, des collectivités et des services de l’État. Il coordonne les opérations. Les crises que nous avons traversées ont montré son efficacité.
Nous avons évidemment prépositionné tous les équipements nécessaires, en particulier les câbles, pour rétablir le réseau home, le réseau internet, mais notre priorité reste le téléphone mobile, qui peut plus facilement et plus rapidement être remis en service après une catastrophe majeure. Hors des périodes de crise, nous instaurons une redondance du réseau mobile : si celui de la Guadeloupe est indisponible, nous pouvons assurer une partie de l’activité avec celui de la Martinique ou celui de la Guyane. Pour éviter l'isolement des territoires, nous avons installé deux ou trois câbles sous-marins par département, qui n’aboutissent pas tous au même endroit : si un chalutier arrache un câble – c’est déjà arrivé –, si un séisme ou un cyclone provoque des dégâts, nous pouvons rerouter le trafic.
M. Thierry Jacob, directeur des moyens et du développement du pôle Outre-mer de France Télévisions. Nous sommes avant tout des fournisseurs de contenu, qu’il s’agisse de télévision, de radio, du web ou des réseaux sociaux. À ce titre, nous nous appuyons sur les opérateurs existants. Nous nous sommes attachés à créer des redondances, des routes multiples, dans chacun des neuf territoires où nous intervenons. Si un câble sous-marin vient à être coupé, comme cela arrive assez régulièrement, cela rend possible la diffusion de nos contenus aux téléspectateurs au moyen d’un autre câble sous-marin ou d’un accès par satellite.
D’autres supports nous permettent de créer des redondances : la modulation de fréquence (FM), la télévision numérique terrestre (TNT), les bouquets satellites, ou, plus récemment les box internet. Le web lui-même nous offre un moyen supplémentaire de diffuser nos contenus tout en répondant à de nouvelles pratiques.
Pour les mêmes raisons, nous évitons autant que possible de concentrer tous nos moyens de production audiovisuelle sur un seul site. Nous nous efforçons d’en maintenir au moins un second par territoire comme à Saint-Pierre de La Réunion dans le sud de l’île, à Basse-Terre en Guadeloupe ou encore à Miquelon à Saint-Pierre-et-Miquelon. Aux sites permanents s’ajoutent des régies mobiles de radio et des équipements encore plus légers. Grâce à toutes ces technologies nous sommes capables, même en situation extrême, de rendre aux populations l’essentiel du service en diffusant un journal d’informations.
Nos neuf sites principaux disposent de groupes électrogènes permettant de tenir de trois à cinq jours sans raccordement aux réseaux d’électricité. Nous nous sommes aussi équipés de téléphones satellite et avons constitué des réserves d’eau, notamment à Mayotte et en Guadeloupe.
Malgré l’humidité et les autres difficultés propres au climat des outre-mer, nous entretenons nos bâtiments pour qu’ils soient en bon état quand survient un risque naturel.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’aimerais soulever la question, fondamentale, de l’information pendant et après une crise. Lors du cyclone Belal, certaines informations n’avaient pas été diffusées assez rapidement. Comment vous organisez-vous pour que les publics reçoivent une information pertinente et mobilisatrice ?
M. Philippe Roquelaure, délégué régional Antilles d’Orange. Nous avons tous beaucoup appris des retours d’expérience de l’ouragan Irma, qui constitue une sorte de point fixe pour nous organiser. Il est crucial que l’information qui remonte au centre opérationnel départemental (COD) soit vérifiée avant d’être diffusée à la population. La décision de diffuser une information ou de ne pas le faire revient au préfet, qui en évalue la fiabilité.
Les informations remontent à mesure que les diagnostics sont établis. Nous pouvons certes superviser nos réseaux depuis la métropole ou localement, connaître leur état et les gérer en temps réel, mais nous sommes confrontés à ce problème de remontée d’informations. Imaginons un instant que nous soyons à Saint-Martin au lendemain d’Irma : il n’y a plus rien sur l’île : ni téléphone, ni eau, ni électricité. Le SMS et la radio deviennent alors les moyens de communication privilégiés pour atteindre les gens qui ont encore un peu de réseau. Ceux-ci pourront à leur tour informer leurs voisins. Ce sont des points d’appui importants en cas de force majeure.
Mme Sylvie Gengoul. Nous avons trois sources d’information pendant la crise : le COD, la météo et les personnes qui témoignent de ce qui leur arrive.
Nous cherchons aussi à améliorer le niveau de connaissance de nos collaborateurs. Une réforme des rédactions est en cours, qui vise notamment à intégrer les nouvelles questions climatiques au cursus de formation.
M. Olivier Grunberg. Au plus fort de la crise, il nous appartient comme opérateurs de mettre des informations fiables à disposition. Mais nous ne pouvons le faire qu’en accord avec la préfecture et avec les collectivités locales délégantes, qui nous confient le service d’eau et d’assainissement.
À cet égard, je ferais trois suggestions. Premièrement, nous équiper de téléphones satellites, comme nous l’avions fait en prévision de Belal, constituerait une sorte de rustine permettant d’assurer la continuité de la communication. Deuxièmement, privilégier les cartes multiopérateurs réduirait le risque de se retrouver dans une zone blanche, situation qui devient inacceptable en temps de crise, quand chacun cherche à accéder à des informations qui le concernent. En termes d’organisation enfin, il pourrait s’avérer utile d’associer une entreprise comme Veolia au COD quand ce n’est pas le cas comme à La Réunion. Cette instance regroupe en effet tous les acteurs et sert à concentrer les informations.
M. Frantz Gumbs (Dem). Il est vrai qu’avant Irma, les réseaux d’Électricité de France (EDF) et de France Télécom ou Orange étaient aériens. EDF a beaucoup investi pour enfouir ses réseaux, ce qui constitue une mesure de prévention contre de futurs événements. Je ne reviens pas sur le problème de l’eau : les canalisations sont déjà enterrées.
En ce qui concerne la communication, j’entends les représentants d’Orange qui disent avoir donné la priorité au réseau de téléphonie mobile, dont le rétablissement est plus rapide et l’usage plus pratique durant la crise. Envisagent-ils toutefois, dans le cadre de la reconstruction des réseaux filaires, d’enfouir les câbles de fibre optique, en vue de sécuriser les communications grand public à haut débit, en cas de survenue d’un nouveau phénomène ?
Mme Sophie Panonacle, présidente. Je me permets de compléter la question adressée par mon collègue aux représentants d’Orange. Ne convient-il pas de se préoccuper des câbles sous-marins, dont on sait qu’ils font l’objet de la convoitise des géants du numérique (Gafam) ?
M. Philippe Rauquelaure. Bien entendu le rétablissement des réseaux fixes constitue une priorité pour la reprise de la vie, économique notamment. Nous ne sommes pas des tenants dogmatiques de l’enfouissement partout et pour tout le monde ; la question se pose de façon différenciée selon les territoires. Dans le cas de Saint-Martin, après le passage du cyclone, entre 95 % et 98 % des poteaux étaient tombés par terre. L’idée de proposer d’abord des solutions provisoires le temps de rétablir le réseau fixe s’est donc imposée. Avec l’autorisation de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), nous nous sommes entendus avec les autres opérateurs pour installer une boucle locale radio. Cette solution a permis à tous les habitants de la partie française de Saint-Martin d’accéder à internet à partir du réseau mobile. De telles possibilités, qui ne dépendent pas du réseau fixe, se multiplient avec les avancées techniques : la 5G est déployée à Saint-Martin depuis novembre dernier.
À la demande de l’État, de la collectivité et de quelques opérateurs – auxquels Orange ne s’est pas associée –une structure chargée des ouvrages de génie civil a été créée. Force est de constater que l’enfouissement constitue maintenant une solution, certes perfectible, sur l’île et qu’il pourrait être intéressant de la généraliser.
En tout état de cause, depuis le passage d’Irma en 2017, le fonctionnement des réseaux est presque revenu à la normale et le déploiement de la fibre optique offre aux habitants de Saint-Martin un accès au très haut débit.
M. Thierry Jacob. Les départements et régions d’outre-mer (Drom) sont plutôt bien couverts en termes de haut débit. Ce n’est pas toujours le cas pour les territoires du Pacifique, malgré les câbles sous-marins. Une difficulté importante tient au fait que les autorités locales ne permettent pas que nous recourions aux services d’entreprises étrangères, comme Starlink, qui offrent un service performant pour un coût raisonnable. Cela limite considérablement nos possibilités de sécurisation et de redondance des réseaux. Même à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui jouxte le Canada, nous ne pouvons accéder à Starlink. Il serait donc intéressant, au moins en situation de crise, d’avoir accès à des services de ce type. Or les entreprises qui les proposent n’ont pas vraiment de concurrents dans cette partie-là du monde, en particulier dans des territoires isolés comme Wallis-et-Futuna ou la Polynésie française.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Merci, mesdames et messieurs, pour ces précieuses informations.
12. Audition, ouvert à la presse, de M. Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre‑mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires, accompagné de Mmes Giulia Carre, directrice des relations institutionnelles et Selda Gloanec, conseillère relations institutionnelles à la Banque des territoires (12 février 2024)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Mes chers collègues, nous accueillons M. Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires, avec Mmes Giulia Carre, directrice des relations institutionnelles et Selda Gloanec, conseillère relations institutionnelles.
La Banque des territoires est présente dans les outre-mer au travers de trois directions régionales et d’antennes territoriales. Elle a conçu un plan d’adaptation des territoires du littoral et d’outre-mer au changement climatique pour aider les acteurs locaux à identifier les priorités d’action et à lancer les projets nécessaires à la protection du littoral et des populations, à la mutation de l’activité économique, à la préservation des ressources et à la gestion de crise à la suite d’une catastrophe naturelle.
Monsieur, mesdames, la mise en œuvre de ce plan intéresse tout particulièrement notre commission et nous sommes ravis de vous accueillir. Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire avant des échanges sous la forme de questions réponses.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Hervé Tonnaire prête serment.)
M. Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires. La Banque des territoires a fait de la prévention et de l’adaptation au changement climatique l’un des axes majeurs de son projet stratégique pour la période 2024-2028 et elle y consacrera 1,2 milliard d’euros. Elle considère par ailleurs que les outre-mer font partie des territoires à enjeu particulier, au même titre que les territoires de la zone littorale, des zones rurales ou de la politique de la ville. Selon une expression désormais consacrée, nous devons, face au changement climatique, « éviter l’ingérable et gérer l’inévitable ».
La Banque des territoires est un partenaire qui se place en deuxième ligne : j’entends par là qu’elle accompagne les acteurs principaux, c’est-à-dire l’État et les collectivités, sans avoir vocation à décider ou à imposer ses choix – elle n’a pas de dimension régalienne. Elle met, dans une logique partenariale, ses ressources privilégiées à leur disposition. Sa gouvernance particulière l’oblige à jouer un rôle dans une grande politique publique telle que l’adaptation au changement climatique. Ses principaux leviers d’action sont : l’ingénierie de projet, le financement et un outil bancaire spécifique, la consignation.
Sur le premier point, nous avons la possibilité soit de mobiliser l’ingénierie propre des collaborateurs de la Banque des territoires, soit de cofinancer de l’ingénierie de projet, au service principalement des collectivités.
C’est sur le deuxième axe, à savoir le financement, qu’on nous attend le plus. La Banque des territoires est un établissement public : ce n’est pas une filiale, mais une marque qui reprend l’ensemble des métiers qui s’adressent aux territoires. Elle dispose d’abord de l’outil très puissant des fonds d’épargne, adaptés aux sujets du temps long comme le changement climatique. Les prêts sur fonds d’épargne notamment peuvent être mobilisés sur des durées très importantes. Nous allons d’ailleurs étendre à quatre-vingts ans la maturité des prêts fonciers pour des projets visant à préserver des terrains qu’il s’agit de « thésauriser », parce qu’ils peuvent apporter une plus-value, par exemple pour la protection du littoral. À côté de ces projets à très long terme, nous avons aussi des outils comme l’Aqua Prêt ou les nouveaux prêts de transition énergétique, sur lesquels je pourrai revenir si vous le souhaitez.
La Banque des territoires peut également faire des investissements en fonds propres pour accompagner des acteurs dans leur stratégie, par exemple pour des travaux de confortation. Elle intervient aussi au travers d’opérateurs, puisqu’elle est actionnaire de nombreuses sociétés d’économie mixte (SEM). Je suis par exemple l’administrateur de la Société d’équipement de la Nouvelle-Calédonie (Secal), dont le plan de développement a fait de l’accompagnement des collectivités à l’adaptation au changement climatique un axe central. Bref l’investissement peut se faire au travers de véhicules intermédiés comme une SEM ou par l’accompagnement des projets d’acteurs privés.
Notre troisième mode d’intervention, c’est la consignation. C’est un outil très puissant, qui permet de « prendre en compte » des montants qui seront utiles pour des actions de remédiation ou de résilience et, le cas échéant, de les mettre à disposition après un incident qui met en jeu des responsabilités.
Tel est le triptyque qui structure les interventions de la Banque des territoires. Le plus souvent, nous commençons par de l’ingénierie de projet, en aidant nos partenaires à définir leur programme. Le financement ne vient que dans un deuxième temps : une fois que le projet existe, nous regardons s’il y a une capacité de financement. Le plus souvent, en outre-mer, plusieurs types de financement coexistent, avec les fonds européens, les fonds d’État, mais aussi ceux d’autres acteurs comme l’Agence française de développement (AFD).
Je vais prendre un exemple pour illustrer l’importance de la consignation en matière environnementale, même s’il n’entre pas tout à fait dans le cadre de votre commission d’enquête puisqu’il ne s’agit pas d’un risque naturel, mais minier. En Nouvelle-Calédonie, 100 millions d’euros ont été consignés à la demande de la province Sud pour prévenir un éventuel incident sur un bassin de rétention de boues de l’usine de Prony Resources – autrefois Vale. Cet opérateur, qui est un peu fragile, n’avait pas la possibilité de recourir à des modes normaux d’assurance ou à des dispositifs susceptibles de rassurer la collectivité. La Caisse des dépôts a donc consigné 100 millions d’euros comme garantie de la protection environnementale, qui ne peuvent être libérés qu’à la demande de la collectivité.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Si je comprends bien, la consignation permet à un opérateur qui est exposé à un risque environnemental de se prémunir contre un éventuel incident, même s’il n’en a pas les moyens ?
Mme Sophie Panonacle, présidente. J’aimerais moi aussi que vous reveniez sur la consignation : je suppose qu’elle n’est pas gratuite pour les communes ? A-t-elle vocation à compenser ou à remplacer une assurance qui ferait défaut ?
M. Hervé Tonnaire. La consignation est un outil réglementaire. Elle est prévue par un texte de nature législative ou réglementaire. Elle ne coûte strictement rien à la collectivité et est même rémunérée par la Caisse des dépôts, à un taux faible. Elle consiste à bloquer une somme d’argent pour prévenir un risque – dans l’exemple que j’ai pris, celui qui est lié au bassin de rétention.
En l’espèce, le code de l’environnement de la province Sud propose une palette d’outils. L’opérateur minier peut notamment souscrire une assurance, qui couvre les frais en cas d’incident. Mais comme il n’a pas pu accéder à un dispositif assurantiel ou bancaire, nous avons été contactés en urgence pour trouver une solution.
L’opérateur a donc consigné des montants qui ont été déterminés par la collectivité, par arrêté. Nous sommes un tiers de confiance : nous garantissons que ces montants sont dans nos écritures, à la Caisse des dépôts, et qu’ils ne seront libérés qu’à la demande de la province Sud. Si l’acteur minier veut retirer de l’argent, il ne peut le faire qu’avec l’accord de la collectivité qui nous a demandé la consignation. La collectivité, quant à elle, peut demander qu’on libère à son profit tout ou partie des sommes s’il se produit un incident sur le bassin de rétention. C’est un outil de protection.
La consignation pourrait aussi être un outil s’il fallait par exemple préserver ou acquérir un terrain en zone littorale pour faire face à un risque majeur. C’est un moyen de thésauriser ou de protéger auprès d’un tiers de confiance des sommes qui pourraient être mobilisées quinze, trente, soixante, voire cent ans plus tard – ce que permet l’immanence qui caractérise notre établissement public. La consignation est notre métier de base depuis 1816 : notre nom était Caisse des dépôts et consignations !
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’ai moins bien compris la possibilité de consigner une somme qui permettrait un jour d’acquérir un terrain alors même que ce terrain est immobilisé, mais c’est peut-être plus éloigné de notre sujet.
La Banque des territoires, vous l’avez dit, est un acteur financier qui aide les collectivités et leurs organismes à lutter contre le réchauffement climatique et à se prémunir contre ses effets. Vous avez évoqué votre action en matière d’ingénierie de projet, mais les collectivités ultramarines ont souvent des difficultés en matière d’ingénierie tout court : elles ont du mal à définir leurs projets et à les calibrer. C’est particulièrement difficile quand l’ingénierie n’est pas seulement technique, mais aussi foncière, notamment en Polynésie, où l’indivision successorale bloque un tiers du foncier.
Votre intervention, en matière d’ingénierie de projet, consiste-t-elle à payer les experts ou à apporter une expertise en vous appuyant sur d’autres structures ? Quel est votre mode d’intervention ? Et comment validez-vous les projets qui peuvent faire l’objet de ce soutien financier ?
L’idée est d’adapter l’existant à la réalité énergétique et au changement climatique, mais aussi de définir des trajectoires permettant d’anticiper les changements à venir. Comment, en tant que financeur, appréciez-vous les projets qui vous sont soumis ? Je vois bien que la consignation permet de mettre de l’argent de côté, à défaut d’autres assurances, pour réparer d’éventuels désordres qui ne pourraient pas être gérés sinon. Mais, dans les outre-mer, les structures ont elles-mêmes très fréquemment des problèmes de financement. Le cas échéant, la Banque des territoires peut-elle elle-même apporter ces financements ?
M. Hervé Tonnaire. Dans une vie antérieure, j’ai été directeur général des services de la collectivité territoriale de Guyane et j’ai servi plusieurs fois outre-mer. Je connais donc les difficultés que vous décrivez, s’agissant de l’ingénierie.
Sur la question spécifique du changement climatique et de la résilience territoriale, nous avons bâti un plan d’action pour l’outre-mer avec les équipes du réseau de la Banque des territoires. Sur ce sujet nouveau, de nombreuses questions se posent, notamment celle-ci : comment monétariser certains terrains alors qu’il n’est pas possible de compenser leur coût avec des produits de sortie, comme c’est le cas dans une opération d’aménagement par exemple ? C’est à la Caisse des dépôts de trouver des réponses à ces questions nouvelles.
S’agissant de l’ingénierie de projet, nous avons essayé de nous concerter avec les autres acteurs concernés. Il y en a en effet beaucoup qui font de l’ingénierie, du cofinancement, de l’appui en ingénierie outre-mer. Outre la Banque des territoires interviennent l’AFD, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) – seulement dans les départements et région d’outre-mer (Drom), pas dans le Pacifique –, le ministère des outre-mer, qui peut aussi apporter un appui direct, ou encore le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Agence de la transition écologique (Ademe).
À l’initiative de l’ANCT, nous avons établi un document unique recensant les dispositifs d’appui à l’ingénierie. Nous essayons d’être complémentaires, puisque les sommes mobilisables sont énormes : la Banque des territoires peut mobiliser près de 200 millions sur six ans pour tout ce qui concerne le changement climatique sur l’ensemble du territoire.
De façon très schématique, il en ressort que l’AFD s’occupe plutôt de l’appui structurel aux collectivités : quand un syndicat des eaux à Mayotte ou une collectivité territoriale en Guyane a des difficultés, c’est cette ingénierie structurelle qu’il convient de lui apporter. Pour les petites collectivités, il s’agit par exemple de les aider à passer des marchés ou d’intervenir sur la structuration de leur budget. L’ANCT et nous intervenons plutôt sur les sujets en relation avec notre doctrine.
Pour notre part donc, nous faisons plutôt de l’ingénierie préopérationnelle. Pour schématiser, nous n’allons pas financer par exemple des études prospectives sur l’avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon en 2050. En revanche, nous venons de signer une convention partenariale d’appui avec la commune de Miquelon, dont vous savez qu’elle envisage une translation intégrale, un déplacement du village, ce qui est quelque chose d’assez nouveau. Pour l’accompagner, avec l’État, nous allons mobiliser 1 million de crédits d’ingénierie sur trois ans, dont 664 000 euros dès cette année, pour cofinancer un chef de projet ainsi que des études d’accompagnement de la population et d’assistance à maîtrise d’ouvrage afin de structurer le projet.
Notre appui est adapté à la réalité des territoires et des collectivités : nous n’aidons pas de la même façon un conseil régional, une collectivité unique, un pays, le gouvernement de Polynésie, la commune de Koumac en Nouvelle-Calédonie, celle de Miquelon ou celle de Camopi en Guyane. Les besoins ne sont pas les mêmes, les capacités d’accompagnement non plus. Nous essayons de nous insérer dans le biotope de l’ingénierie – l’État a installé par exemple des cellules d’appui aux collectivités en Guyane et à Mayotte – et développons des types d’intervention très diversifiés. Pour donner quelques exemples, il peut s’agir du recensement des réflexions des acteurs des territoires, du cofinancement des chefferies de projet ou d’études sur la mise en place éventuelle d’un opérateur foncier.
Nos financements suivent bien sûr des règles, notamment en ce qui concerne les montants. En règle générale, la Banque des territoires et donc la Caisse des dépôts interviennent de façon indifférenciée sur l’ensemble des territoires. Pour l’outre-mer toutefois, en matière d’ingénierie de projet, nous pouvons intervenir de façon plus intensive : nous pouvons aller jusqu’à 80 % du financement, contre 50 % pour les autres territoires. Les acteurs et les financements sont en effet assez nombreux outre-mer et nous souhaitons éviter aux petites collectivités d’avoir à démarcher plusieurs acteurs pour assurer le cofinancement de leur projet.
Il ne s’agit pas d’un financement « one shot » : nous participons aux groupes de travail – comité de pilotage, comité de suivi, comité technique – avec la structure afin de travailler en amont aux livrables et au pilotage. Nous considérons que notre expérience avec d’autres collectivités, sur l’ensemble du territoire, nous en donne la légitimité. Dans une vie antérieure, j’ai travaillé chez Egis, une filiale de la Caisse des dépôts active dans l’ingénierie de projet et l'ingénierie lourde. J’y ai appris la nécessité d’avoir un bon pilotage, afin d’éviter des prestations faites un peu vite, par des ingénieurs juniors – même si ce sont des seniors qui signent à la fin. Nous devons être certains que l’étude commandée, la section de la chefferie de projet, la prestation cofinancée apporte une plus-value. Les montants que nous pouvons mobiliser sont importants, comme le montre l’exemple de Miquelon : le projet de déplacement est soutenu politiquement par le maire et ses concitoyens y adhèrent, mais il demeure extrêmement complexe. Nous intervenons donc même pour aider à structurer les financements, monter un rétroplanning, définir des jalons.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Faisons un peu d’aménagement fiction. Prenons un terrain qui est susceptible de se dégrader du fait du changement climatique. Il risque de souffrir du vent, ou de la sécheresse, ou de se transformer en marais, en tout cas d’être à l’origine de désordres importants. La collectivité veut donc l’aménager. Le problème est qu’elle n’arrive pas à déterminer qui est le propriétaire. Pour avoir suivi avec Serge Letchimy la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale, je vois bien les conséquences que peuvent avoir ces sortes de situations lorsqu’il faut agir face au changement climatique. Bref, la collectivité se trouve face à un problème aux multiples aspects, avec cette difficulté juridique. À quelle étape allez-vous l’accompagner ?
M. Hervé Tonnaire. Nous allons l’accompagner s’il y a une sollicitation. Je rappelle que nous sommes physiquement présents en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et à La Réunion. Nous pouvons bien sûr nous déplacer dans les autres territoires, à Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin ou Saint-Barthélemy. Si donc une collectivité nous sollicite, nos directions régionales vont identifier le type d’accompagnement le plus pertinent. Nous avons une expertise financière et nous pouvons mobiliser des capacités d'ingénierie préopérationnelle, éventuellement en articulation avec d’autres acteurs.
Une question émerge en ce moment lorsqu’il faut aider à remembrer ou restructurer un terrain – et ce au-delà des aspects juridiques, qui peuvent en effet être très complexes : terres coutumières, zone des cinquante pas géométriques, indivision… Cette question, c’est de savoir comment donner une valeur à du foncier qui doit être reconsidéré, et éventuellement sanctuarisé. Concrètement, dans ce que nous faisons pour accompagner le foncier outre-mer, nous sommes par exemple le premier sponsor d’Interco’ outre-mer dans son travail sur les contrats d’objectifs et de performance. Nous n’intervenons pas directement, car nous n’en avons pas la légitimité : le foncier outre-mer a une dimension identitaire, totémique. Le foncier concrétise le lien à la terre dans pratiquement tous les territoires d’outre-mer. Les questions foncières sont donc d’abord politiques. C’est une fois que le projet politique est défini par les élus que nous apportons des réponses techniques et concrètes. Ce sont plutôt des projets qui suscitent l’accord des différents acteurs. La démarche d’Interco’ outre-mer à cet égard est remarquable, puisqu’elle associe des acteurs comme les notaires, qui ne sont habituellement pas mobilisés alors qu’ils sont indispensables sur ce type de sujets.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je comprends bien tout cela, mais le processus est itératif : le projet de la collectivité passe par plusieurs phases de maturité, surtout si des questions techniques, juridiques ou financières se posent. N’intervenez-vous qu’une fois que le projet est bien ficelé, ou pouvez-vous le faire dès que la volonté de faire quelque chose s’exprime ?
M. Hervé Tonnaire. Nous pouvons intervenir dès l’amont, comme c’est le cas à Miquelon, dont le projet est encore loin d’être finalisé. Notre plan d’adaptation au changement climatique en outre-mer prévoit que, dès lors qu’une collectivité manifeste la volonté de se saisir d’un sujet, nous puissions l’aider à la réflexion menée pour clarifier le projet, identifier les partenaires et définir les étapes. Nous pouvons également intervenir lorsque le projet est déjà avancé et qu’il y a un portage politique : nous aidons à solidifier le passage à l’acte. Nous pouvons enfin intervenir lors de la phase opérationnelle, par exemple lorsqu’il faut une étude pour identifier le meilleur montage – délégation de service public, société d’économie mixte ou tout autre outil de portage.
Nous intervenons donc à toutes les phases d’un projet, pourvu que nous ayons identifié un porteur politique, qui ne sera d’ailleurs pas nécessairement le maître d’ouvrage, et pourvu que ce que nous cofinançons s’inscrive dans nos objectifs. En matière de risques naturels majeurs, il peut s’agir de prévention – la province des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie, se lance dans des actions de prévention pour son littoral –, d’adaptation – toujours en Nouvelle-Calédonie, nous finançons une étude pour les syndicats de transport – ou de résilience territoriale – en Guadeloupe, nous allons financer avec l’Ademe des actions sur la résilience des filières du tourisme et de l’agriculture. Ces sujets étant nouveaux, nous nous montrons ouverts : nous essayons d’identifier des axes, de tester des choses, de nous inspirer de qui a déjà été fait pour les zones littorales, par exemple en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, de créer des passerelles et de fédérer des biotopes.
Que nous intervenions en amont, en cours de lancement ou même en pleine mise en œuvre, nous nous demandons si le projet peut être réalisé directement par la collectivité ou s’il doit être externalisé. Dans ce dernier cas, nous cherchons qui peut le faire et nous pouvons aller jusqu’à élaborer le plan à moyen terme d’une SEM s’il le faut.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Votre appui peut donc aider à l’émergence d’acteurs, comme une entreprise publique locale ou un outil dédié ?
M. Hervé Tonnaire. Oui. On peut dire, en caricaturant, que la Caisse des dépôts agit comme une SEM, puisque nous sommes un établissement public pouvant intervenir dans des activités concurrentielles. Cela fait partie de notre code génétique. En outre-mer, nous sommes présents dans vingt-cinq SEM, bientôt vingt-six. En Nouvelle-Calédonie, la Secal, dont j’ai déjà parlé, est une SEM très volontariste, traditionnellement impliquée dans l’aménagement et les infrastructures. Son directeur général considère qu’étant donné la taille de la Nouvelle-Calédonie, il n’est pas besoin de créer trente-six outils pour accompagner les collectivités dans la lutte, la prévention et l’adaptation au changement climatique. Cette SEM a donc mis en place une ingénierie opérationnelle, y compris en recrutant des collaborateurs spécialisés dans l’adaptation au changement climatique, afin de proposer aux collectivités du territoire – gouvernement, provinces et communes – les prestations d’un opérateur capable de faire le lien entre le politique, l’opérationnel et les autres acteurs, comme la Banque des territoires. Cette vision me paraît pertinente et nous l’accompagnons fortement.
Mme Sophie Panonacle, présidente. J’ai eu le plaisir de travailler avec vous au sein du Comité national du trait de côte. Vous parliez tout à l’heure de prêts à très long terme, jusqu’à quatre-vingts ans, dont les collectivités se félicitent aujourd’hui. Mais il est parfois besoin de prêts à très court terme, lorsque les stratégies d’adaptation des communes littorales nécessitent une action très rapide et que le soutien de l’État ne peut pas être apporté immédiatement. Avez-vous réfléchi à ce type de solutions d’urgence ?
Je voudrais également revenir sur le système de la consignation. Pourriez-vous nous donner un exemple de commune qui y aurait fait appel, dans le cadre de sa stratégie d’adaptation à un risque d’élévation du niveau de la mer, de submersion ou bien d’érosion ? Vous avez cité l’exemple incroyable du village de Miquelon – dont nous connaissons bien le maire, Franck Detcheverry – qui doit être presque intégralement relocalisé. C’est un projet d’une ampleur extraordinaire. La consignation pourrait-elle être pertinente pour une entreprise de ce type ?
M. Hervé Tonnaire. La consignation ne peut être mise en œuvre que si un texte la prévoit : ce n’est pas une offre dont la Caisse des dépôts peut prendre l’initiative. Son domaine s’élargit de plus en plus, sous l’action du législateur.
Dans l’exemple de l’usine Prony Resources que j’évoquais, pour un risque donc industriel et non pas naturel, la survie de l’usine était en jeu puisqu’elle ne trouvait pas d’autre solution. Le code de l’environnement de la province Sud nous a donné cet outil qui est à la libre disposition de la collectivité, et aussi éventuellement de l’opérateur.
Nous pensons que la consignation pourrait être utile pour sécuriser des opérations de temps long qui puisent à plusieurs sources de financement, publiques ou mêmes privées – grandes structures associatives, financement participatif et autres. Le tiers de confiance offre une garantie qui a zéro coût pour la collectivité, la consignation étant en plus rémunérés par la Caisse des dépôts. Cela peut s’envisager dans les cas où les financements ne sont libérés qu’au fur et à mesure de l’avancement du projet, ou encore lorsque les opérateurs qui profitent d’un terrain doivent prévoir sa remise en ordre par la suite – on est alors dans l’ordre des consignes environnementales réparatrices. On peut penser que cet outil pourrait utilement prospérer.
S’agissant de nos financements, nous consentons des prêts sur fonds d’épargne qui sont considérés comme pertinents à partir d’une durée de quinze ans. Ils ne sont pas du tout adaptés au court terme. Nous avons également des financements dits « bancaires », à plus court terme, que nous proposons par exemple à des SEM ; mais il est délicat de les proposer aux collectivités dans la mesure où, ne s’agissant pas de produits d’épargne réglementée, les banques de la place pourraient s’en émouvoir. Nous ne sommes donc pas en mesure de répondre par le prêt aux besoins de financement à très court terme des communes. Le préfinancement du FCTVA (fonds de compensation pour la TVA), que nous avons proposé par le passé, n’est plus d’actualité. Quant au préfinancement, en outre-mer, des subventions que perçoivent les collectivités, c’est plutôt du ressort de l’AFD. Nous proposons aussi un prêt catastrophe naturelle, mais il est peu mobilisé.
Les taux de nos prêts sont encadrés et peuvent être amenés à évoluer. Le mode de financement des prêts sur fonds d'épargne de la Caisse des dépôts consiste à d'abord financer le taux du livret A, dû à l'épargnant, auquel vient s’ajouter une marge qui peut être presque négative, comme c’est parfois le cas pour le financement du logement très social, ou très modeste, comme dans le cas de notre prêt transformation énergétique, où elle est de 0,40 %, et dans le cas des prêts cohésion sociale et catastrophe naturelle, où elle est de 0,60 %. Mais ce type de prêt ne permet pas une réactivité immédiate : nous sommes plus à l’aise pour aider au financement de travaux lourds, dans un deuxième temps, après la situation d’urgence. Bref, pour répondre à votre question, Madame la présidente, nous n’avons pas d’outil adapté à la gestion de crise.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Merci beaucoup. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
M. Hervé Tonnaire. Je peux vous donner quelques précisions sur les Aqua Prêts et les prêts de transition énergétique.
Les Aqua Prêts marchent bien. Pour faire écho à ce que disait M. le rapporteur, un tel dispositif ne peut fonctionner que s’il est adossé à une gouvernance de l’eau efficace. C’est à La Réunion que cela fonctionne le mieux, où la démarche est exemplaire. En 2023, nous avons prêté 40 millions, ce qui n’est pas déraisonnable, aux établissements publics de coopération intercommunale de La Réunion. Nous avons également prêté 23 millions pour le grand projet de basculement des eaux de l’est vers l’ouest de l’île, et pour le projet complémentaire Meren, qui met en synergie les microrégions Est et Nord.
En Guyane, nous avons octroyé des prêts à la communauté d’agglomération du centre littoral, qui a la gouvernance et la volonté de faire nécessaires, dans le cadre du plan eau outre-mer, pour 29 millions.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons aidé au financement d’une retenue collinaire pour lutter contre les pénuries d’eau en prêtant 6 millions à la collectivité territoriale. La commune de Miquelon, qui a connu pour la première fois un problème d’eau, vient de nous solliciter pour un petit prêt. Et en Nouvelle-Calédonie, nous avons prêté 3,6 millions pour le barrage de Dumbéa.
Les prêts transition énergétique sont assez récents et nous n’avons pas encore beaucoup de recul sur l’outre-mer. Je peux cependant vous en donner quelques exemples. Nous avons octroyé un prêt au gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour la dépollution de la baie de Numbo. Nous avons également prêté 2,5 millions, sur le long terme, pour la réfection de la chambre interconsulaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, dans une perspective de performance énergétique : s’il ne s’agit pas d’une réponse à un risque naturel majeur et imminent, cela participe néanmoins de la lutte préventive contre l’effet de serre.
La Caisse des dépôts étant placée sous la protection spéciale du Parlement, je tenais à revenir sur le cas du barrage de la Vigie à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet indispensable barrage de retenue collinaire ne pouvait pas être financé par la collectivité, les aides dont elle disposait dans le cadre du contrat de développement n’y suffisant pas. Il a fallu que nous fassions un prêt sur cinquante ans, à un taux adapté, pour que la charge de l’emprunt devienne soutenable pour la collectivité et le projet viable. Sans cela, l’opération aurait été impossible. Cette ressource très particulière des fonds d’épargne doit donc être protégée.
Il faut certainement l’améliorer, et c’est pour cela que nous voulons pouvoir porter la durée du prêt à quatre-vingts ans, pour pouvoir intervenir pour du foncier stratégique de préservation, dans le cadre de la prévention des risques naturels. Il pourrait s’agir par exemple, en outre-mer, de conserver une bonne distance par rapport à la mer. Cette durée est rendue possible par l’utilisation que nous faisons des fonds d’épargne. Le cas du barrage de la Vigie me paraît exemplaire : pour les autres projets, on peut s’en sortir avec des prêts de vingt-cinq, trente-cinq ou même quarante ans, mais en l’espèce nous sommes allés au maximum de ce que nous pouvions faire. Mais nous ne faisons pas non plus n’importe quoi : l’amortissement économique du bien est considéré – et l’on ne refait pas une retenue collinaire tous les quatre matins.
C’est notre ingénierie financière spécifique qui seule a rendu possible ce prêt sur cinquante ans, avec des annuités supportables. Le projet n’avait pas d’autre solution de financement. On voit bien ici la force de cet outil que sont les fonds d’épargne.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous vous remercions pour toutes ces précisions.
13. Table ronde, ouverte à la presse, sur « Le bilan de la gestion de l’ouragan Irma et de la reconstruction à Saint‑Martin et Saint‑Barthélemy »
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je vous prie de bien vouloir excuser M. le président Mansour Kamardine : chacun comprendra que les événements en cours à Mayotte perturbent très fortement son agenda.
Nous poursuivons, cet après-midi, les travaux de notre commission d’enquête par une table ronde consacrée au bilan de la gestion de l’ouragan Irma qui a touché le nord des Petites Antilles en septembre 2017, ainsi qu’à celui de la reconstruction à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Nous sommes connectés en visioconférence avec M. Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy de 2007 à 2022, ainsi qu'avec Mme Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin. Je les remercie d’avoir pu se rendre disponibles pour cette table ronde.
Après une série d’auditions consacrées aux organismes de recherche scientifique, à des questions plus techniques et à celles de la santé et des opérateurs de réseaux, nous avons souhaité avoir un retour d’expérience à propos de l’ouragan Irma.
Le président de la collectivité de Saint-Martin à l’époque des événements n’a pas pu se rendre disponible et je souhaite que nous lui renvoyions une invitation : la différence entre une invitation pour le thé et une commission d’enquête c’est que, dans le cas d’une commission d’enquête, il faut venir.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale, et son enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Avant de vous laisser la parole pour une courte intervention liminaire, et avant que nous puissions poursuivre nos échanges sous forme de questions et de réponses, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bruno Magras et Mme. Ketty Karam prêtent successivement serment).
Mme. Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin. J’habite Saint-Martin depuis 1985. Je participe encore activement et pleinement à la vie sociale de cette ancienne commune de la Guadeloupe. Mon témoignage sera avant tout celui d’une citoyenne engagée, puisque je n’ai été élue à la présidence de la délégation territoriale de la Croix-Rouge française à Saint-Martin qu’en décembre 2019, soit deux ans après le passage de l’ouragan Irma.
Située à 250 kilomètres de la Guadeloupe et à environ 6 700 kilomètres de la France hexagonale, l’île de-Saint-Martin est partagée en deux États : une partie française de 56 km², et une partie néerlandaise de 34 km², au sud. Une frontière sépare ces deux parties où cohabitent environ 75 000 personnes issues d’une centaine de nationalités différentes. Beaucoup de ces personnes sont en situation illégale. La partie française, dans laquelle près de 40 % de la population a moins de 25 ans, connaît un taux de chômage élevé, une précarité croissante, une pénurie de logements et d’emplois. La collectivité d’outre-mer, instituée en juillet 2007, concentre les compétences d’une commune, d’une région et d’un département.
Je me suis investie à Saint-Martin dès mon arrivée. J’ai assuré la direction des hôpitaux de Saint Martin pendant huit ans, et de ceux de Saint-Barthélemy pendant deux ans. J’y ai conduit des programmes de construction et la mise en place de structures sociales, associatives et médico-sociales. Je me suis engagée comme citoyenne dans la prévention, principalement par la création d’une association, Les Liaisons Dangereuses, à la demande de l’État : prévention dans le domaine du sida et des IST (infections sexuellement transmissibles), mais, surtout, dans celui des addictions, avec la création d’un espace santé jeunes, en partenariat avec les acteurs locaux. Ces activités ont permis d’aller au plus près des populations, dans les quartiers, et surtout de pénétrer dans les établissements scolaires afin d’y faire un minimum de prévention. Quinze jours après le passage d’Irma, l’association Les Liaisons Dangereuses a d’ailleurs été la première à intervenir, avec la Croix-Rouge française, par la mise à disposition dans les quartiers du Bus Santé, à des fins de prévention et de pratique de contrôles d’hypertension : tout était ravagé et de nombreux soignants partis, si bien qu’il ne restait plus grand monde pour suivre les personnes en traitement.
La Croix-Rouge a ensuite repris Les Liaisons Dangereuses et ses activités, concrétisant ainsi un pôle établissement, avec un service pour les IST et les addictions, et l’ouverture, en 2018, d’une maison Croix-Rouge où seront rassemblés tous les moyens dont la Croix-Rouge disposait à l’époque. D’autres services furent ensuite mis en place, dont – et c’est important – une crèche.
Lors du passage d’Irma, d’après ce qu’on m’a rapporté, les moyens de la Croix-Rouge comptaient plus de 300 personnes, qui se sont éparpillées sur tout le territoire et venaient directement de la France hexagonale.
Même si des réunions de préparation s’étaient tenues préalablement avec l’État, la collectivité et les acteurs impliqués, il ne me semble pas que l’on avait réellement pris la mesure de l’importance de ces phénomènes qui nous touchent régulièrement.
Après les événements, d’importants moyens humains et logistiques ont été déployés par des organismes extérieurs. Mais il serait peut-être intéressant de mettre en place une commission de préparation impliquant, outre les services officiels, des représentants des quartiers ou des personnes d’expérience susceptibles d’apporter une autre vision que celle de la régulation administrative. Même si les moyens extérieurs ont été nécessaires à la renaissance de Saint-Martin, on peut déplorer, à entendre certains acteurs locaux, l’arrivée massive d’une espèce de touristes curieux, peu respectueux des souffrances des personnes vivant sur place, si bien que ces dernières se sont senties écartées de leur propre zone d’intervention. Il faut ajouter à cela une méconnaissance du territoire : car on parle principalement l’anglais à Saint-Martin, beaucoup l’espagnol et le créole. Le français également, certes, puisque c’est la langue officielle, mais il ne faut pas méconnaître ces diverses populations.
En dépit des alertes météorologiques, les pouvoirs publics étaient, à mon avis, complètement déphasés et dans le déni de ce qui allait se passer, méconnaissant les phénomènes cycloniques et ne sachant pas les anticiper, chacun évoluant dans sa propre sphère. Les choses ont heureusement changé depuis deux ans. J’ai le sentiment qu’il existe une meilleure coordination entre l’État et la collectivité, qui devrait conduire à la création d’une cellule de gestion de crise agissant avant, pendant et après le phénomène, avec un responsable désigné.
En ce qui concerne la coordination entre les différents services de l’État, de la collectivité et de la population, elle ne semble pas, une fois de plus, avoir été activée dans la perspective d’une réelle mise à l’abri des populations et de leur prise en charge ultérieure : la coordination s’est faite sur le tas, à l’initiative de personnes indépendantes ayant l’habitude de travailler ensemble.
La présence des armées a été utile pour la sécurité et la protection du territoire, et le RSMA (régiment du service militaire adapté) a joué un rôle important dans la prise en charge des opérations de nettoyage.
La création d’une préfecture de plein droit pour les deux collectivités ne pourrait qu’améliorer la recherche des solutions qui leur sont propres, l’une, Saint-Martin, ayant le statut communautaire d’une RUP (région ultrapériphérique), l’autre, Saint-Barthélemy, celui d’un Ptom (pays et territoire d’outre-mer). Par ailleurs, compte tenu de leur différence statutaire par rapport à la Guadeloupe, cette organisation renforcerait la reconnaissance de l’État français sur notre territoire partagé entre la France et les Pays-Bas, et du représentant de l’État ainsi nommé vis-à-vis des îles voisines, dans ce périmètre anglophone et hispanophone de la Caraïbe.
Si, sur le moment, la mobilisation des personnes et des moyens venus de la France hexagonale a été bienvenue, compte tenu de l’ampleur des dégâts et du chaos, il reste que cet apport extérieur doit être anticipé en fonction des besoins du territoire, et non apparaître comme une exhibition des moyens de la France. On peut se demander, à cet égard, quel fut l’apport réel de la présence du bâtiment de projection et de commandement Tonnerre dans nos eaux. Des inventaires et des ajustements réguliers de matériel avec des responsables de zone et les Tacom (commandement tactique) permettraient peut-être de responsabiliser la population dans la préparation aux risques.
En ce qui concerne la coopération régionale, Saint-Martin a bénéficié du soutien des collectivités régionales et départementales de la Guadeloupe, tant en matière logistique que de ressources techniques, ainsi que de quelques moyens financiers pour des programmes de reconstruction. La coopération avec Saint-Barthélemy existe également, dans la mesure des moyens humains et financiers de ce territoire.
Je passe maintenant à la question des éventuels progrès accomplis depuis Irma.
La complexité des normes demeure et celles-ci mériteraient peut-être d’être adaptées à notre territoire insulaire, partagé entre deux États.
La coopération avec la partie néerlandaise se maintient, en dépit de normes différentes. Il y a eu une avancée au sujet de l’eau : l’État a annoncé qu’en cas de besoin et de coupure, lors d’un phénomène cyclonique, nous pourrions accéder aux ressources de la partie néerlandaise, alors que les normes de l’ARS (agence régionale de santé) interdisent actuellement ce recours. C’est une bonne avancée : l’eau de Saint-Martin provient en effet de la désalinisation, et nous avons des difficultés à la capter en cas de houle.
En ce qui concerne la coopération avec la Red Cross, dirigée pendant plus de quatre ans par les Néerlandais, une convention de partenariat est à l’étude avec la Pirac (plateforme d’intervention régionale d'Amériques‑Caraïbes) pour un éventuel partage des moyens. La Pirac est la coordinatrice de la réponse à l’urgence sur le territoire et gère le stock de matériel entreposé à Concordia, sur les hauteurs de Marigot. En cas d’urgence, et compte tenu du manque de moyens humains de la délégation territoriale, il a été convenu que les services préfectoraux seront autorisés à faire usage des moyens de la Pirac avec le SDIS (service départemental d’incendie et de secours), si nécessaire.
Au sujet de la construction de logements : près de sept ans après le passage d’Irma, on n’a pas encore pris toute la mesure des besoins. Les financements manquent, et on ne comptabilise qu’une vingtaine de logements sociaux livrés depuis lors. Des maisons délabrées abritent encore des familles dans des zones sensibles. Cela avait d’ailleurs été à l’origine de mouvements sociaux, lors de l’élaboration du plan de prévention des risques naturels (PPRN).
Des obligations anticycloniques existent sur l’ensemble des territoires ultramarins mais encore faudrait-il les faire appliquer, et les adapter à chaque territoire.
L’accès à l’eau potable souffre du vieillissement des circuits de distribution. Comme je l’ai indiqué, nous pourrions éventuellement avoir recours aux réserves néerlandaises. En cas de crise, des associations – et en particulier la Croix-Rouge – peuvent procéder à des distributions de bouteilles d’eau.
L’anticipation et la préparation aux risques naturels majeurs supposent la création d’une véritable cellule de gestion de crise, avec un référent commun. Ces observations valent également au regard des risques sismiques.
Enfin, la préparation et la réponse sanitaire aux risques naturels majeurs sur le territoire de Saint-Martin supposent, avant toute chose, des conditions d’habitat et d’hébergement décentes pour des populations le plus souvent en situation de précarité. Elles ont besoin de comprendre les règles établies, ainsi que de sécurité au quotidien.
L’après-Irma a entraîné l’arrivée de travailleurs, qualifiés ou non, prêts à participer aux travaux de reconstruction : travailleurs eux-mêmes sans toit, obligés de survivre comme ils le peuvent. La dégradation de leurs conditions de vie, le montant des loyers et des transports ainsi que l’absence de centre d'hébergement ont conduit ces populations à fréquenter de plus en plus de structures d’accueil, comme le lieu d’accueil de jour et point hygiène tenu par la délégation territoriale de la Croix-Rouge française. Ces personnes peuvent s’y doucher, laver leurs vêtements, bénéficier d’un sachet alimentaire, d’un kit d’hygiène, et partager un coin lecture. Ce lieu d’accueil continue de voir sa fréquentation augmenter, puisqu’il est passé de 4 610 passages en 2022 à 5 980 en 2023, à raison de neuf heures d’ouverture par semaine. Il est tenu par les bénévoles de la délégation territoriale, qui profitent de ces passages pour donner des conseils de prévention et orienter vers les services sociaux. Il convient de noter que la délégation territoriale vient de signer une convention de partenariat avec l’assurance maladie pour l’ouverture d’un pôle d’accès au droit dans ses locaux. Ce lieu permet aussi de diffuser les informations issues des services de l’État ou de la collectivité, notamment en période précyclonique : mesures à prendre et liste des abris anticycloniques.
Ces quelques thèmes évoquent la stratégie 2030 que la Croix-Rouge française entend porter. Elle repose sur les trois piliers de la résilience : prévenir, protéger, relever. Notre territoire, à travers les bénévoles de la délégation territoriale et les salariés de ses établissements, est un acteur de cette stratégie.
M. Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy. Lorsque l’île de Saint-Barthélemy a été frappée par Irma, le 6 septembre 2017, j’assumais les fonctions de président de la collectivité. Au cours de mes mandats successifs, entre 1995 et 2017, Saint-Barthélemy a subi neuf phénomènes cycloniques. Je peux par conséquent affirmer que nous avons, dans notre île, une certaine expérience et une certaine culture du risque cyclonique. Si nous n’avons eu à déplorer ni mort ni blessé, c’est, d’une part, grâce à la discipline des habitants, qui respectent les consignes, et, d’autre part, grâce à la qualité du bâti. Les règles en matière de solidité du matériau et d’urbanisme sont respectées.
En dépit de l'importance du phénomène, les choses se sont bien passées pour nous. Il n’y a pas eu de panique, si ce n’est quelque peu du fait de la destruction des moyens de communication, dans les jours qui ont suivi. La situation a cependant été rapidement rétablie.
La collectivité, quant à elle, a toujours su anticiper et préparer. Certes, c’est plus facile dans le cas de l’arrivée d’un cyclone que dans celle d’un séisme. Les choses ont toujours été prises au sérieux. Depuis Luis, cyclone de catégorie 4, qui a frappé les îles les 5 et 6 septembre 1995, la collectivité a pris les mesures qui s’imposaient en matière d’abri sûr, d’activation du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) avant la saison des phénomènes cycloniques, de gestion de l’écoulement de l'eau dans les zones basses, d’équipement des services de sécurité. Au fil du temps, chaque phénomène apporte son lot d’expériences. Nous avons lancé, en 2020, la construction d’un parking immense, à l’échelle de Saint-Barthélemy, dont le sous-sol est prévu pour abriter durant le passage du phénomène tous les véhicules de sécurité – ambulances, véhicules de police et de gendarmerie, véhicules des pompiers et de l’hôpital –, et dont le rez-de-chaussée peut être aménagé pour offrir un abri sûr en cas de survenue d’un phénomène aussi important qu’Irma.
Je n’ai pas grand-chose à reprocher à l’État en ce qui concerne sa rapidité d’intervention. Dès le lendemain du passage d’Irma, nous avons bénéficié, en tout, du renfort de seize gendarmes, de l’arrivée de huit pompiers professionnels et d’une dizaine de membres de la sécurité civile. Mais j’ai toujours été agréablement surpris par la réactivité de la population et la rapidité avec laquelle tout le monde se met au travail pour remettre l’île en état.
Ce que je pourrais recommander, c’est un prépositionnement de certaines équipes dans les îles menacées par des phénomènes aussi violents. En 1995, le préfet Michel Diefenbacher, avec qui j’avais dû gérer le passage du cyclone Luis, avait prépositionné en Guadeloupe une équipe de la sécurité civile qui s’était rapidement rendue à Saint-Barthélemy. Mais ce serait une excellente chose si des pompiers professionnels, des gendarmes et des membres de la sécurité civile pouvaient se trouver sur place, en renfort, avant que l’île ne soit frappée.
Reste le problème de l’importance, évidemment imprévisible, de la catastrophe : force des rafales, puissance des vagues ou des secousses en cas de séisme. La difficulté, pour nos petites îles, est alors celle des évacuations sanitaires. Dans l’hypothèse où les infrastructures seraient endommagées, la question se pose de la disponibilité d’hélicoptères, par exemple, pour procéder à l’évacuation des blessés. L’État dispose-t-il des moyens pour venir en aide, dans de pareils cas ?
Quant à la coopération avec la partie néerlandaise de Saint-Martin, elle est quasiment inexistante et se limite à des relations de bon voisinage, en dépit du fait que l’aéroport international de Saint-Martin soit la porte d’entrée et de sortie de l’île de Saint-Barthélemy, pour les visiteurs comme pour ses habitants. Devrions-nous avoir besoin d’en appeler à la partie française ou à la partie néerlandaise de Saint-Martin, je ne doute cependant pas un instant que nous serions rapidement aidés, les îles n’étant éloignées que d’une trentaine de kilomètres.
Il y a une politique de formation à conduire, relativement aux phénomènes cycloniques et sismiques, auprès non seulement des jeunes, mais aussi de tous ceux qui le veulent. Former aux premiers secours, former à se préparer aux événements : je crois beaucoup à la responsabilité individuelle. Face à des phénomènes d’une telle violence, chacun doit être à même d’assumer ses responsabilités sans attendre que la collectivité ou l’État vienne lui dicter ce qu’il doit faire. Il y a donc peut-être une politique de formation et de sensibilisation à conduire dès le plus jeune âge, dans laquelle les professionnels du service territorial incendie secours pourraient jouer un rôle. L’État doit certes rester attentif aux événements, mais, comme je l’avais déclaré lors d’une interview qu’un journaliste m’avait quelque peu arrachée après le passage d’Irma, nous avons pris nos responsabilités en devenant une collectivité d’outre-mer autonome. Nous devons donc être en mesure d’y faire face, avec, bien entendu, le coup de main de l’État lorsque c’est nécessaire.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Compte tenu du format particulier de notre table ronde et de la présence du député des deux territoires, je souhaite commencer par donner la parole à M. Frantz Gumbs.
M. Frantz Gumbs (Dem). Vos interventions restituent très bien l’ambiance qui régnait dans les deux territoires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy au moment du passage de l’ouragan. J’ai constaté aussi, qu’au lendemain de celui-ci, des personnes extérieures à l’île, qui étaient venues y travailler – à l’école, à l’hôpital ou dans différentes administrations –, et dont le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) n’était pas situé sur ces îles, ont été à ce point traumatisées qu’elles se sont enfuies. Elles ont été évacuées en urgence, avec l’aide de l’armée, et nombre d’entre elles ne sont pas revenues. Avez-vous vu la même chose ?
M. Bruno Magras. Effectivement, des gens qui n’ont pas la culture du phénomène cyclonique ont été traumatisés par Irma. Les habitants des îles, eux, en voient tous les ans. Mon inquiétude à moi, c’était essentiellement la sécurité. Je craignais que parmi tous ces jeunes – et moins jeunes – qui ne connaissent pas le déchaînement de violence que peut produire un phénomène de catégorie 4 ou 5, il y ait beaucoup de blessés ou des morts. Fort heureusement, je l’ai dit, les consignes ont été respectées et nous avons évité un drame.
Ce qui a provoqué un bref moment de panique chez ces personnes venues travailler dans l’île, c’est la rupture des communications, qui les a empêchées d’entrer en contact avec leur famille, en métropole ou ailleurs, mais elles ont vite été rétablies.
Mme Ketty Karam. Je rejoins tout à fait le président Magras. Il est vrai que ces personnes, qui étaient vraiment affolées, ont voulu partir, et je dois reconnaître que leur départ a été particulièrement bien organisé, comme celui des personnes qui ont voulu rejoindre la Guadeloupe parce qu’elles n’avaient plus de maison, ou la métropole, pour que leurs enfants continuent à être scolarisés.
Ce qui a été déplorable, et j’en ai dit un mot tout à l’heure, ce sont les gens qui sont arrivés après, pour aider à reconstruire. Ils faisaient preuve d’une méconnaissance totale du territoire et étaient plutôt dans un esprit « pousse-toi de là, que je m’y mette », sans considération pour les habitants qui venaient de subir Irma.
M. Frantz Gumbs (Dem). J’aimerais revenir sur la question de l’eau, que Mme Karam a évoquée. Il y a eu une panne de la production d’eau dans la partie française et on savait que la partie néerlandaise avait une capacité de production importante, qui dépassait ses besoins. Les autorités locales ont pris contact avec celles de la partie néerlandaise pour leur demander si elles pouvaient leur vendre de l’eau. Elles ont tout de suite accepté de faire les branchements nécessaires, mais la réglementation française, les normes de l’ARS, l’ont interdit, alors que les méthodes de production sont exactement les mêmes des deux côtés de l’île. De plus, si je ne me trompe pas, les deux entreprises qui produisent l’eau sont des filiales de l’entreprise française Veolia – c’était du moins le cas il y a quelques années. De mémoire, nous n’avons pu dépasser ce problème qu’après l’intervention du Premier ministre de l’époque.
Au-delà des situations d’urgence, il doit être possible que les deux parties de l’île coopèrent beaucoup plus, sur la question de l’eau, mais aussi sur d’autres, comme la banque de sang. S’il y a un accident dans la partie française et qu’il manque du sang, on en fait venir de la Guadeloupe, ce qui prend beaucoup plus de temps que si on le faisait venir de la partie néerlandaise, qui a aussi un hôpital, et sans doute sa banque de sang. Nous avons appris très récemment que Saint-Martin ne peut pas traiter les Dasri (déchets d’activités de soins à risques infectieux) produits par les hôpitaux, mais que Saint-Barthélemy peut le faire, parce qu’elle a la compétence environnement et une unité de valorisation des déchets. Même entre ces deux îles françaises, la réglementation peut être un frein à la coopération.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je me doutais, cher collègue, que vous ne vous contenteriez pas de poser des questions, mais que vous nous livreriez aussi votre témoignage, et c’est bien normal.
Étant parlementaire depuis 2017 et ayant été rapporteur d’un certain nombre de textes de loi relatifs aux outre-mer, j’ai aussi été rapporteur du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019‑235 du 27 mars 2019 relative aux dispositions pénales et de procédure pénale du code de l’urbanisme de Saint‑Martin. Ce texte n’était pas révolutionnaire : il s’agissait, dans le cadre des ordonnances prévues à l’article 74-1 de la Constitution, d’étendre au droit local certaines dispositions du droit hexagonal. On avait remarqué qu’à Saint-Martin – et vous nous direz ce qu’il en est à Saint-Barthélemy –, les normes et les règles d’urbanisme étaient peu appliquées, ce qui créait un urbanisme assez désordonné. Quel est votre point de vue là-dessus ? Je poserai la même question aux autorités actuelles et passées de Saint-Martin, lorsque nous les auditionnerons. Les choses ont-elles évolué depuis cette époque ? Je me rappelle que le Président de la République, lorsqu’il s’est rendu à Saint-Martin, avait eu des mots très forts pour décrire la situation et j’imagine qu’il a fallu du temps pour que les choses bougent.
S’agissant de la population très fragile et, pour être clair, en situation irrégulière, comment vous y êtes-vous pris pour la préparer à ce qui allait arriver ? Et que s’est-il passé après ? Vous avez évoqué les personnes extérieures à ces îles, qui y exercent des missions essentielles, et qui ont été très surprises par la violence du phénomène, parce qu’elles n’ont pas la culture du risque que vous évoquiez. Fait-on désormais en sorte que ces personnes, ou celles qui arrivent, aient une formation accélérée à la connaissance des risques ? Ce que j’ai compris, c’est que nombre d’entre elles sont parties et que très peu sont revenues : j’imagine que cela a créé une béance dans la gamme des services dont ces îles ont besoin.
À vous entendre, le retour d’expérience est encore à faire, notamment en ce qui concerne le ressenti de la société civile et des acteurs de terrain, et cela m’inquiète un peu, car les épisodes cycloniques de forte intensité sont tout de même courants. Madame Karam, avez-vous été associée à la modification des plans Orsec qui ont suivi Irma ? À ce sujet, je souhaite que l’administration de la commission demande aux collectivités que nous auditionnerons qu’elles nous présentent leur plan Orsec, avant et après la dernière catastrophe naturelle qu’elles ont subie, afin que nous voyions comment il a été modifié. Il serait également souhaitable que la commission dispose des procès-verbaux des réunions qui ont permis ces modifications.
J’aimerais, pour finir, revenir sur les questions de voisinage et d’entraide. En tant que président de la commission d’enquête sur la vie chère en outre-mer, j’avais été accueilli par Frantz Gumbs dans sa circonscription. J’avais pu observer ce que l’on m’avait décrit, à savoir le caractère un peu kafkaïen des normes sur l’eau, qui empêchent les échanges entre Saint-Martin et Sint‑Maarten. Je ne doute pas qu’une coopération puisse avoir lieu en cas d’événement exceptionnel, mais ce que j’ai compris, c’est qu’il n’existe pas de structure de coopération régionale permettant de mettre en place des mesures de soutien ou de secours, en dehors de la plateforme de la Croix-Rouge, qui, quant à elle, répartit ses moyens en fonction des nécessités. Pouvez-vous revenir sur ce point ? Confirmez-vous qu’entre les collectivités et les États, il n’y a pas de planification de gestion des aléas ?
Mme Ketty Karam. S’agissant des plans Orsec, la Croix-Rouge a participé aux réunions d’organisation et de secours, mais il est vrai que, dans l’affolement, on n’arrive pas toujours à faire ce qui a été décidé. Vous parlez de la coordination du plan Orsec avec la zone néerlandaise : dans les réunions auxquelles nous invite la préfecture, il y a des représentants de la zone néerlandaise, notamment des pompiers. Mais les contraintes sont telles, que la coopération n’est pas toujours évidente.
Vous m’interrogez sur le manque de personnel : le turnover est particulièrement important parmi le personnel infirmier. Il est vrai qu’Irma, qui a fait fuir beaucoup de monde, a créé un vide. Ce qu’il faut, c’est développer la formation sur place – un institut de formation est d’ailleurs en projet. Cela nous permettrait d’avoir du personnel en permanence et de dépanner éventuellement Saint-Barthélemy – je ne parle pas de la partie néerlandaise de Saint-Martin, puisque nous n’avons pas les mêmes normes et qu’ils ne nous le demandent pas. La question du personnel est vraiment essentielle : pour toutes les spécialités, nous devons recourir à l’extérieur. Or, pour que l’île accueille davantage de monde, venant de Guadeloupe ou de métropole, il faudrait que les aéroports aient une activité plus importante.
S’agissant du logement, vous parlez du code de l’urbanisme, mais il va bien falloir trouver une solution pour toutes les personnes qui n’ont pas de titre de propriété et qui ne peuvent pas déménager et aller ailleurs. Ce n’est pas en faisant de Saint-Martin un îlot de logements sociaux que nous y arriverons. Saint-Martin n’est pas Mayotte, mais l’immigration en provenance de la Caraïbe y crée des situations tragiques. Il faut que nous arrivions à intégrer ces populations ou que des dispositions soient prises pour organiser une forme de vie normale à Saint-Martin.
M. Bruno Magras. Vous dites, monsieur le rapporteur, que l’urbanisme dans nos îles est un peu confus ou désorganisé : ce n’est pas le cas à Saint-Barthélemy. Le 1er janvier 2008, la compétence urbanisme a été transférée à la collectivité. Auparavant, l’instruction des demandes de permis de construire était faite par l’ingénieur de la direction départementale de l’équipement (DDE). En cas de divergence entre la DDE et le maire de Saint-Barthélemy, que j’étais à l’époque, c’était M. le sous-préfet qui tranchait. Depuis 2008, nous avons établi des règles d’urbanisme qui sont bien plus strictes que celles en vigueur sur l’ensemble du territoire national. Malheureusement, il y a eu des procédures devant les tribunaux ; la carte d’urbanisme et les règles qui l’accompagnent ont été annulées à plusieurs reprises ; finalement, le Conseil d’État a confirmé la validité du code de l’urbanisme de Saint-Barthélemy. Le 14 février 2017, le conseil territorial de Saint-Barthélemy a adopté une carte d’urbanisme, qui a été révisée le 4 décembre 2020, en tenant compte de quelques remarques du Conseil d’État. Depuis, elle est appliquée sans difficultés.
Il n’y a pas d’habitat fragile à Saint-Barthélemy. Sans vouloir être critique vis-à-vis de Saint-Martin, il n’y a pas chez nous le même type de bâti – le député Gumbs, comme Mme Karam, pourra le confirmer. Le problème, c’est que nous avons subi le passage d’un ouragan dont les rafales atteignaient 300 kilomètres à l’heure ! Nous avons comptabilisé 8 600 sinistres à Saint-Barthélemy et 3 870 habitations ont été touchées, à des niveaux divers. Dieu merci, la qualité du bâti et le respect des consignes ont fait que nous n’avons eu à déplorer ni morts, ni blessés. Nous devons continuer de nous assurer de la qualité du bâti à Saint-Barthélemy. Immédiatement après le passage d’Irma, nous avons amélioré les règles d’urbanisme, essentiellement pour tenir compte des constructions situées à proximité du littoral, certains secteurs de l’île – Lorient, Saint-Jean ou Flamands – ayant été touchés par des vagues de submersion particulièrement importantes. Il a fallu prévoir des règles de rehaussement des constructions et des règles d’aménagement pour que les gens qui habitent dans ces secteurs se sentent en sécurité, quitte à les faire évacuer en cas de doute.
Nous avons pris tous ces éléments en compte, mais il ne faut pas se faire d’illusions : face à des phénomènes très violents, nous ne pourrons pas échapper à des destructions. Il faut s’y préparer et s’organiser au mieux. D’ailleurs, nous recommandons désormais – même si ce n’est pas une obligation – que dans les nouvelles constructions, il y ait un local sécurisé avec un toit en béton, où les gens puissent s’abriter. Ce sont des mesures de cet ordre qu’il faut prendre pour protéger la vie des personnes. Selon la violence du phénomène, les dégâts seront plus ou moins importants. Le risque zéro n’existe pas, face aux risques cyclonique et sismique, dans les Antilles comme partout ailleurs.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’ai bien compris que vous aviez l’un et l’autre une appréciation plutôt positive de la manière dont l’État avait mis à votre disposition ses moyens humains et matériels. Avez-vous la même appréciation au sujet de la résilience ? Trouvez-vous que l’attitude de la nation pour aider les territoires à se relever et surtout à prendre en compte l’expérience durement acquise pour la suite a été satisfaisante ?
M. Bruno Magras. Personnellement, comme je l’ai déjà indiqué, je n’ai pas de reproches particuliers à faire à l’État. Il est intervenu rapidement, en mettant les moyens nécessaires. Nous n’étions pas demandeurs et, du reste, Saint-Martin avait davantage besoin d’attention que Saint-Barthélemy. Ce que je peux dire, c’est que j’ai été agréablement surpris par la rapidité avec laquelle la société EDF est intervenue après le passage d’Irma. Les réseaux électriques ont été remis en état très rapidement et nous avons poursuivi la politique que nous avions lancée avec le président Gilles Ménage en 1995, après le passage du cyclone Luis, d’enfouissement des réseaux. Nous l’avons fait avec le concours d’EDF, de la collectivité et de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui nous a aidés avec le fonds d’amortissement des charges d’électrification (Facé).
Parallèlement, les compagnies d’assurances ont joué leur rôle. Elles sont intervenues assez vite et ce sont 770 à 780 millions qui ont été injectés sur Saint-Barthélemy, ce qui a permis une reprise rapide des constructions et la rénovation de ce qui avait été plus ou moins endommagé. L’île a ainsi pu exercer son activité touristique pendant la saison 2017-2018 sans trop de dégâts.
L’État est intervenu par la suite, à travers quelques aides aux entreprises qui en avaient besoin. Par ailleurs, la décision qui a été prise immédiatement de désigner un coordonnateur en la personne de M. Philippe Gustin a été très bonne. Il a pu coordonner, avec les différents services de l’État, basés aussi bien à Saint-Martin ou Saint-Barthélemy qu’en Guadeloupe, ce qu’il fallait faire. Vous nous demandiez, dans le questionnaire, ce que nous pensions de l’idée d’avoir une préfecture de plein droit dans les îles du Nord : c’est une demande que j’ai formulée il y a déjà un certain temps et j’ai cru comprendre que le ministre de l’intérieur était sur le point d’en prendre la décision. C’est une bonne chose : nous sommes à 250 kilomètres de la Guadeloupe et ne pouvons plus être tributaires de décisions qui mettent du temps à intervenir.
Mme Ketty Karam. Je suis du même avis que le président Magras. Quant à la résilience, je pense que la présence de la Croix-Rouge, qui ne cesse de s’intensifier, y contribue grandement puisque sa stratégie consiste à prévenir, protéger et relever. Il faut éduquer les populations et c’est un vrai défi puisque, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, il y a à Saint-Martin un mélange de populations qui n’ont pas du tout les mêmes cultures, ni les mêmes habitudes. Il faudra peut-être le soutien de l’État pour avancer dans ce domaine.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je vous remercie de vos témoignages, mais j’ai quand même le sentiment d’un vrai décalage entre ce qui s’est passé à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. En matière de reconstruction, il me semble tout de même que le bilan n’est pas tout à fait le même. C’est d’ailleurs ce qui avait suscité les remarques du Président de la République. Qu’est-ce qui explique cette divergence ?
Mme Ketty Karam. Je ne saurais vous répondre, ce n’est pas mon secteur. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a toujours des défaillances en matière de logement. Il faut tout de même insister sur le fait que la population de Saint-Martin n’est pas la même que celle de Saint-Barthélemy : les gens de Saint-Martin n’étaient pas forcément assurés et, dans ce cas-là, il faut trouver de l’argent pour reconstruire.
M. Frantz Gumbs (Dem). Le fait que les deux territoires aient des structures démographiques et sociales totalement différentes explique effectivement beaucoup de choses. Ils ont aussi des histoires différentes. Bruno Magras a expliqué qu’il s’était presque occupé tout seul de son code de l’urbanisme ; or il est respecté et les gens respectent les consignes. La petite taille du territoire explique peut-être aussi qu’il soit plus facile à contrôler que celui de Saint-Martin.
À Saint-Martin, au-delà de la structure démographique et sociale, il y a aussi la frontière ouverte avec la partie néerlandaise de l’île, qui permet un flux permanent, impossible à gérer. Par ailleurs, des quartiers entiers sont frappés par une squattérisation vieille de cinquante, soixante, voire soixante-dix ans. Je pense par exemple à la zone des cinquante pas géométriques de Sandy-Ground : un processus de régularisation complexe y est en cours. C’est surtout cet habitat plus ou moins improvisé, construit en dehors des règles strictes d’urbanisme, qui a été impacté par la violence de l’ouragan. Saint-Barthélemy ne connaît pas ce phénomène de squattérisation. Par ailleurs, du fait de son niveau de développement économique, l’immobilier y est beaucoup plus assuré qu’à Saint-Martin, où nombre de personnes ne sont pas assurées et où l’habitat est plus fragile : nombre de toits s’y sont envolés.
En réalité, nous avons eu de la chance de ne pas avoir eu plus de morts, car une grande partie de l’habitat est située sur le bord de l’eau. Dans le village de Quartier-d’Orléans, les habitations, bien que se trouvant au bord du lagon, sont protégées par une importante mangrove : les effets de la submersion marine ont donc été ceux non pas d’une vague destructrice, mais d’une eau qui monte progressivement, à un, deux ou trois mètres, avant de se retirer tranquillement. Les habitants ont ainsi pu nager pour se mettre en sécurité.
D’un point de vue structurel et social, les deux îles sont très différentes. La collectivité en a certainement tiré les leçons. Bruno Magras l’a évoqué, en matière de construction, depuis Irma, les permis de construire doivent intégrer un lieu sécurisé et équipé, où tenir trois ou quatre jours, avec de l’eau et de quoi se restaurer. Cette disposition figure dans les codes de l’urbanisme et de la construction et de l’habitation, qui relèvent de la compétence de nos deux collectivités. Ainsi, tous les nouveaux hôtels comportant deux ou trois étages et situés au bord d’une plage, avec un risque de submersion, ne sauraient être autorisés à construire des chambres au rez-de-chaussée. En outre, obligation leur est faite d’avoir un lieu sécurisé pour les clients. Les règles en matière de construction ont évolué.
Les services qui interviennent en prévention et postérieurement aux cyclones sont également mieux préparés. Le président Magras a indiqué avoir vécu neuf phénomènes cycloniques, entre 1995 et 2017. Pour ma part, à mon grand âge, je n’ai connu que trois phénomènes majeurs : les ouragans Donna en 1960, Luis en 1995 et Irma, qui fut le pire, en 2017. Pendant les périodes intermédiaires, des cyclones moins exceptionnels surviennent tous les deux ou trois ans. La population a donc acquis une certaine expérience et pris l’habitude de se protéger le mieux possible à leur annonce.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’aurai deux dernières questions. D’une part, quel est votre regard sur la coopération de la Guadeloupe avec les territoires voisins ? D’autre part, existe-t-il, à l’échelle régionale, entre les différentes îles du secteur, une forme établie de coopération permettant une mutualisation, ou du moins une meilleure mise en œuvre des secours ?
Mme Ketty Karam. La préfecture de la Guadeloupe organise des réunions à cet effet en début d’année, dès le mois de mars, entre les différents acteurs concernés. La création d’une préfecture de plein exercice permettrait sans doute d’organiser davantage de choses, notamment avec Saint-Barthélemy.
M. Frantz Gumbs (Dem). Nous avons fortement intérêt à développer la mutualisation de certains équipements, comme les aéroports. Au moment d’Irma, l’aéroport international Princesse-Juliana a été rendu inopérant. C’est le petit aéroport de Grand-Case à Saint-Martin qui a permis les premiers atterrissages. À proximité, à Anguilla, il existe une piste susceptible de recevoir des vols transatlantiques – des moyen-porteurs, voire des gros-porteurs. Il ne faut donc pas oublier tout le potentiel offert par l’environnement immédiat – si Saint-Barthélémy se situe à trente kilomètres de Saint-Martin, Anguilla est à moins de dix kilomètres. Les échanges avec les îles très proches gagneraient ainsi à être développés.
Mme Ketty Karam. Toutefois, si nous sommes touchés, elles le seront aussi.
M. Bruno Magras. Les liens avec la Guadeloupe sont normaux – sans plus. En effet, depuis que nous sommes devenus une collectivité d’outre-mer autonome, nous nous administrons librement. Certains des grands services extérieurs de l’État situés en Guadeloupe interviennent à Saint-Barthélémy, sur demande ou dans leur domaine de compétence. Saint-Barthélémy étant une île de 21 kilomètres carrés, nous sommes néanmoins tributaires des transferts sanitaires vers la Guadeloupe ou la Martinique.
En tout état de cause, j’ai la conviction qu’en cas de situations graves, il faut intervenir sans attendre la Guadeloupe, située à 250 kilomètres, même si beaucoup d’entreprises guadeloupéennes sont intervenues après le cyclone : par chance, les infrastructures portuaires et aéroportuaires de Saint-Barthélémy n’avaient pas été très endommagées.
Comme l’a évoqué Frantz Gumbs, c’est dans le cadre régional qu’une coopération sera possible : même si toutes les îles sont frappées, une entraide peut être organisée en fonction de la situation postcyclonique de chacune. S’il est important de maintenir les liens avec la Guadeloupe – les relations doivent être conservées entre les îles françaises –, je fais mienne l’expression « aide-toi, le ciel t’aidera ». Commençons par nous aider nous-mêmes, avant de faire appel aux autres !
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous en venons aux éventuelles interventions conclusives. Vous pouvez également compléter vos propos en nous faisant parvenir ultérieurement une contribution écrite, en sus de vos réponses au questionnaire.
M. Bruno Magras. Il était extrêmement important que les acteurs locaux prennent et assument leurs responsabilités, même si l’État doit également apporter son concours. Nous savons désormais anticiper les cyclones et l’expérience a montré que la question de l’organisation est primordiale. Si nous devions connaître un phénomène tel que celui subi par Haïti en 2010 – un séisme responsable de 250 000 morts –, une intervention de l’État dans les meilleurs délais serait néanmoins nécessaire – même si nous sommes à 7 000 kilomètres de l’Hexagone. Les décisions prises et le sérieux avec lequel les élus analysent ces phénomènes me rendent confiant pour l’avenir. De plus, nous ne devrions pas connaître de cyclone de catégorie 5 chaque année.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci, madame, messieurs.
14. Table ronde, ouverte à la presse, « Coopération avec le voisinage – Océan Indien » (15 février 2024)
M. Guillaume Vuilletet, président. Je présente les excuses du président Kamardine, retenu à Mayotte par des contraintes que l’actualité nous impose quasiment d’heure en heure.
Cette table ronde est consacrée à la coopération régionale entre la Réunion, Mayotte et leurs États voisins dans l’océan Indien en matière de gestion des risques naturels majeurs. Nous sommes connectés avec M. Marc Mertillo, Premier Conseiller à l’ambassade de France à Maurice, Mme Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l’Agence française du développement (AFD), M. Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la commission de l’océan Indien et M. Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes au sein de la Plateforme d’intervention régionale de l’océan Indien (PIROI) de la Croix-Rouge.
Madame, messieurs, je vous remercie de votre disponibilité pour cette table ronde. Elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour de courtes interventions liminaires, avant que nous ne poursuivions les échanges sous la forme de questions et de réponses.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Patricia Aubras et MM. Vêlayoudom Marimoutou, Marc Mertillo et Christian Pailler prêtent successivement serment.)
Enfin, je salue la présence de notre collègue, Mme Cécile Rilhac, à distance.
Mme Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l’AFD. Je suis la directrice régionale océan Indien pour le groupe AFD, sur un périmètre d’activité comprenant Madagascar, les Comores, Maurice, les Seychelles, les territoires d’outre-mer de Mayotte et de La Réunion, ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
Notre activité se déploie dans cette zone sur la base d’une stratégie régionale que nous avons travaillée en interne et avec nos partenaires en 2020. L’accompagnement de nos partenaires face au changement climatique constitue l’un des piliers de cette feuille de route.
Concernant les coopérations régionales bilatérales entre La Réunion, Maurice et leurs États voisins, je rappellerai que la région de l’océan Indien est parfois appelée la « ceinture du risque mondiale », en raison de sa vulnérabilité aux catastrophes naturelles et anthropiques. Dans cette région du monde, les catastrophes naturelles relèvent d’aspects climatologiques (cyclones, sécheresse), géologiques et tectoniques (tremblements de terre, tsunamis) ou encore hydrologiques (inondations, vagues de submersion).
Dans ce bassin océanique, La Réunion est un véritable fer de lance de la gestion des catastrophes naturelles, avec une réelle culture de la prévention des risques, en particulier des risques cycloniques ou volcaniques, ainsi que des risques liés aux inondations, à la sécheresse et aux glissements de terrain.
C’est un territoire très exposé, mais malgré tout moins vulnérable que les îles voisines, car mieux préparé. Il s’appuie sur des protocoles clairs, respectés et structurant les actions à mettre en œuvre à chaque étape d’un événement ou d’une catastrophe.
L’expertise française dans cette zone est reconnue. Cette reconnaissance passe notamment par la place et le rôle de la Piroi, plateforme que l’AFD accompagne depuis plusieurs années.
Les risques naturels qui frappent l’océan Indien sont parfois transfrontaliers, notamment lorsqu’ils relèvent de phénomènes météorologiques de grande ampleur, comme les cyclones. Dans ce cas précis, une approche collective est bien plus efficace. La coopération régionale est donc cruciale, particulièrement pour ce qui relève du partage d’expérience et d’expertise, entre les gouvernements, auprès des communautés et des acteurs, afin d’anticiper de manière efficace les événements, mais aussi d’apporter une réponse et de relever les économies à la suite de leur passage.
En cela, je pense que La Réunion apporte son expertise dans ce domaine aux autres pays et territoires de l’océan Indien. J’avais prévu de mentionner des exemples de coopération régionale ou bilatérale, portés notamment, au niveau régional, par la commission de l’océan Indien (COI). Sur ce sujet, je laisserai cependant la parole à monsieur le secrétaire général de la commission Océan indien.
M. Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la COI. Pour ce qui concerne la commission de l’océan Indien, les efforts de coopération régionale s’appuient sur des projets financés principalement par l’Union européenne et l’AFD et à travers l’accord de partenariat entre la commission de l’océan Indien et la Piroi.
À La Réunion, sur le plan bilatéral, Météo-France travaille avec les pays de la zone sur plusieurs projets et initiatives. En collaboration avec la COI, un événement sur la prévision saisonnière dans l’océan Indien, appelé Southwest Indian Ocean Climate Outlook Forum (Swiofcof), est organisé chaque année. L’objectif est d’intégrer l’ensemble des informations dans la planification sectorielle (agriculture, gestion des risques…). Ce qui est important pour la région dans ce travail avec Météo‑France, c’est l’implication des États membres de la COI, mais aussi du Mozambique, du Malawi, de l’Afrique du Sud, du Kenya et de la Tanzanie.
Météo-France apporte aussi un appui technique important à la COI pour la mise en œuvre d’un programme de résilience dans l’océan Indien, le programme Building Resilience in Indian Ocean (BRIO). Ce projet est financé dans le cadre du programme AdaptAction de l’AFD. Dans le cadre de ce programme, les agents des services météorologiques des États membres de la COI ont tous bénéficié de formations auprès de Météo‑France à La Réunion, notamment sur la production d’analyses et de tendances climatiques à l’horizon 2100.
Un autre exemple de coopération entre l’Union européenne, comme principal bailleur, et la COI réside dans un programme intitulé « Renforcement de la résilience et gestion de la réponse aux catastrophes » dans l’océan Indien. La Piroi est impliquée dans la mise en œuvre des composantes de ce projet. La préfecture de La Réunion est également impliquée dans le partage et l’échange d’expériences sur les différentes thématiques. Ce programme vise aussi la mise en place d’une plateforme régionale sur la réduction des risques de catastrophe. Enfin, Météo‑France et le centre régional de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) sur les cyclones travaillent en étroite collaboration.
Ces éléments résument en partie les projets et les programmes financés par les bailleurs – l’Union européenne et l’AFD –, au travers d’un accord de partenariat entre la COI et la Piroi. Je reviendrai ensuite sur les questions bilatérales, si cela vous convient.
M. Marc Mertillo, Premier Conseiller à l’ambassade de France à Maurice. Pour ma part, je suis à l’ambassade de France à Maurice, chargée d’entretenir et de développer la relation bilatérale, sur le plan politique comme dans le domaine de la coopération, du développement et de la sécurité.
Nous menons aussi une coopération active avec La Réunion, avec la préfecture, le conseil régional et le conseil départemental, en particulier sur les questions abordées par la commission mixte Réunion‑Maurice.
Nous avons également, bien entendu, une coopération avec la COI, d’autant plus proche qu’elle est basée à Maurice. Nous avons des relations régulières et étroites sur nombre de sujets.
Dans le cadre de cette table ronde, je compte personnellement intervenir sur le retour d’expérience de la gestion de crise mise en œuvre à l’occasion du cyclone Belal. Je pourrai également partager quelques éléments sur des projets de coopération bilatérale, qui pourraient être mis en œuvre dans le domaine des risques naturels majeurs dans l’océan Indien.
M. Guillaume Vuilletet, président. Le cyclone Belal est évidemment l’événement le plus récent et le plus marquant, avec des enseignements sans doute très forts à porter.
M. Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la Piroi. La Piroi est une structure à vocation régionale. Nous dépendons de la direction des opérations internationales de la Croix-Rouge française. Habituellement, cette direction travaille plutôt à l’international, mais nous avons trois plateformes d’intervention régionale basées sur des territoires d’outre-mer, à La Réunion, en Guadeloupe et en Nouvelle-Calédonie.
La Piroi est la plus ancienne, avec vingt-quatre années de coopération régionale dans le cadre de la mise en œuvre d’un programme de gestion des risques de catastrophe, mais également sur la riposte au risque sanitaire. Nous travaillons, à travers les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de la région, avec deux pays de la côte africaine (le Mozambique et la Tanzanie), les îles du sud-ouest de l’océan Indien (les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles) et les deux départements français de Mayotte et de la Réunion.
Ce réseau repose sur les Croix-Rouge et Croissant‑Rouge et représente 35 000 personnes dans la région. Nous travaillons sur le cycle complet de la gestion des catastrophes, avec tout d’abord la préparation. Nous disposons de stocks de contingence et de 11 entrepôts dans la sous-région, répartis dans les différents pays membres et représentant plus de 600 tonnes de matériel de réponse d’urgence (kits de reconstruction de l’habitat, kits famille, kits hygiène). Ce matériel est mutualisé : il appartient non pas aux pays, mais au réseau. Ces stocks peuvent intervenir sur un seul pays si nécessaire, selon un schéma que nous avons déjà connu.
Nous œuvrons aussi sur la préparation, avec le travail mené pour mettre en place des exercices de simulation, mais également des plans de contingence, en relation avec les services de protection et de sécurité civile et en lien avec les Croix-Rouge.
Sur la réponse d’urgence, nous sommes intervenus 68 fois depuis la création de la Piroi, au bénéfice de 1,9 million de bénéficiaires directs. Dans le cadre de la préparation et de ces réponses d’urgence, nous pouvons nous appuyer sur deux conventions : l’une avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, au travers du centre de crise et de soutien (CDCS), qui peut déployer des stocks par l’intermédiaire de la Piroi, en lien avec les ambassades ; l’autre avec la direction générale de la sécurité civile, où nous allons bientôt accueillir le stock de la réserve nationale.
En amont de ce volet, nous menons en outre un travail très important d’éducation et de sensibilisation aux risques naturels. C’est sur ce volet, qui n’est pas forcément le plus visible, que nous travaillons le plus, notamment en direction des plus jeunes, mais également des communautés villageoises.
La COI, avec laquelle nous avons mis en place un accord-cadre en 2012, renouvelé en 2016, a mené un fort plaidoyer auprès des différents ministères de l’éducation de la sous‑région, ce qui nous a permis de pouvoir installer dans tous ces pays des programmes d’éducation aux risques pour les jeunes enfants, à l’image de notre action à La Réunion dans le cadre du projet « Paré, pas Paré ».
À La Réunion, ce projet a permis d’organiser des sessions de formation au bénéfice de 130 000 élèves du cycle 3. Nous avons aussi accompagné 340 enseignants sur les différents modules que nous gérons à travers un livret scolaire. Plus largement dans la région, nous avons soutenu 19 projets de réduction des risques avec les différents ministères de l’éducation.
Nous avons également un volet formation depuis 2008, avec 240 formations thématiques, diffusées auprès de 4 300 apprenants : traitement d’eau, logistique opérationnelle, évaluation d’urgence, abris…. En outre, nous avons initié la création d’un master « risques et environnement », en lien avec l’université de La Réunion. C’est le premier master de ce type à La Réunion. Nous en sommes à la troisième promotion, avec un taux de réussite de 100 % et 70 % des jeunes formés bénéficiant d’un métier à la clé, dans des organisations non gouvernementales, des collectivités, des mairies ou des services d’État. De jeunes Réunionnais, mais aussi de jeunes Malgaches, Comoriens ou Mahorais sont inscrits à cette formation, et nous souhaitons développer ce master, en réseau avec d’autres universités de la région.
Deux autres secteurs sont également rattachés à la Piroi : la recherche et l’innovation. Sur le premier volet, nous avons soutenu sur la dernière période des bourses de recherche et d’étude scientifiques, sur les thèmes suivants : gestion sociale de l’eau à Mayotte, mémoire et catastrophes à La Réunion, prise en compte de la dimension psychosociale des volontaires durant la crise covid aux Comores, savoirs et pratiques autochtones de la gestion des risques à Madagascar... Ces recherches sont très importantes puisqu’elles nous permettent de rééquilibrer les volets d’éducation aux risques de catastrophes vers les populations.
Nous travaillons également sur l’innovation de certains produits et l’accompagnement de porteurs de projets et d’outils directement utilisés dans nos opérations. Les deux dernières innovations ont concerné le traitement d’eau et les bornes solaires. Nous travaillons de plus avec Météo‑France sur des prévisions intra-saisonnières.
Depuis dix ans, la Piroi travaille à son développement et est en train de faire naître, grâce à un financement important de l’AFD, le PIROI Center. Ce centre de formation, d’expertise et d’innovation sera basé à La Réunion, mais rayonnera sur les pays du sud-est de l’océan Indien. Il sera installé sur 4 000 m², avec un nouveau stock d’urgence, bien plus conséquent, un centre de formation et des bureaux pour accompagner les différents programmes de la zone.
Sur le plan de la formation, nous travaillons avec l’institut Bioforce, le centre de formation humanitaire implanté à Lyon. Nous proposerons à La Réunion, à partir de 2025, des formations métiers pour les humanitaires. Jusqu’à présent, les jeunes de la région devaient rejoindre la métropole pour recevoir une formation. À partir de 2025, avec Bioforce, nous pourrons les former dans la région.
Outre les risques de catastrophes, la région est aussi, malheureusement, concernée par des risques d’épidémie. Nous travaillons régulièrement sur la riposte aux épidémies. Le sujet est d’ailleurs d’actualité aux Comores, avec le choléra qui a fait son apparition. Nous sommes aussi intervenus au Mozambique ou en Tanzanie. Nous avons également des épidémies de peste à répétition à Madagascar. Sur ce plan, nous venons d’acquérir, par le biais d’un financement de l’AFD, un hôpital modulaire, qui nous permettra de nous projeter et de mieux gérer les épidémies en lien avec les autres partenaires sur le terrain.
Enfin, la Piroi est soutenue par un certain nombre de partenaires techniques, mais aussi financiers. Le budget de la Piroi sur la dernière période quinquennale s’élève à 23 millions d’euros, dont près de 10 millions d’euros pour la construction et l’implantation du PIROI Center.
M. Guillaume Vuilletet, président. La Piroi est-elle la seule plateforme qui opère sur le territoire ?
M. Christian Pailler. Sur cette zone géographique, oui.
M. Guillaume Vuilletet, président. La Piroi est donc l’opérateur qui s’est imposé progressivement sur le secteur pour assurer la formation, la prévention et l’intervention dans le domaine des risques naturels. Vous avez cité essentiellement des exemples d’action réunionnais, notamment au travers du ministère de l’éducation. Quelle est votre capacité à intervenir dans les autres pays de la zone ? Recevez-vous le même accueil et la même écoute ?
M. Christian Pailler. Nous sommes particulièrement bien accueillis, puisque nous travaillons au travers des Croix-Rouge et des Croissant‑Rouge implantés dans ces pays. Il faut rappeler que les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont toutes auxiliaires des pouvoirs publics. Elles font donc partie de la chaîne des secours et de gestion des risques de catastrophes dans les différents pays. Nous n’avons donc pas de difficulté particulière à travailler avec les pays de la région.
M. Guillaume Vuilletet, président. Vous formez des acteurs sur le territoire. Quels volumes cette action de formation représente-t-elle ? Touche-t-elle l’ensemble des territoires dans lesquels vous êtes impliqués ?
M. Christian Pailler. Les formations sont réalisées au bénéfice de l’ensemble des pays membres de la Piroi. Les formations thématiques spécifiques que j’ai mentionnées (réponse d’urgence, traitement d’eau, santé communautaire…) sont très prisées dans les pays de la zone. D’autres formations sont davantage calibrées pour les territoires français – j’ai cité le master « risques et environnement » ou les formations métiers proposées avec Bioforce. Ces formations s’adressent plutôt à un public franco-français (La Réunion et Mayotte), mais nous espérons développer cette coopération avec les pays de la zone, notamment dans le cadre du master.
M. Guillaume Vuilletet, président. Si une estimation est possible, quel est le volume de personnes formées ?
M. Christian Pailler. Nous avons cumulé 4 800 apprenants sur les cinq dernières années.
M. Guillaume Vuilletet, président. Ce volume est donc tout à fait conséquent. Pour revenir sur l’événement Belal, les réponses des territoires ont été très diversifiées. Pouvez-vous, chacun, partager votre retour d’expérience et le bilan que vous en tirez ?
M. Marc Mertillo. L’événement Belal s’est produit le 15 janvier. Je précise au préalable que l’île Maurice dispose d’une structure nationale de réponse aux crises, avec un système pyramidal au sommet duquel se trouve un vice-premier ministre en charge de la gestion des catastrophes et des collectivités locales. Ce dernier préside un comité interministériel, le National Emergency Operations Command (NEOC), dont la tâche consiste à assurer tout au long de l’année une veille des risques potentiels, y compris cycloniques. Il peut prendre des décisions pour protéger la population et en assurer la gestion et le suivi. Maurice a donc parfaitement intégré la menace cyclonique et y consacre des moyens importants.
Je ne suis pas sûr que les dommages causés par l’événement à Maurice aient été bien plus importants qu’à La Réunion. Ils ont surtout été très spectaculaires. Chacun a vu les images de centaines de véhicules pris au piège à Port-Louis. Dans certains points bas de la ville, l’eau s’est engouffrée et a tout emporté sur son passage (l’ambassade de France est située à environ 200 mètres de ces zones, sur un point haut de la ville).
Pour mémoire, la dernière catastrophe naturelle à Maurice remonte à mars 2013, avec un bilan de 11 morts – tous à Port-Louis. Ce n’était pas un cyclone, mais la conséquence de très fortes précipitations, localisées et soudaines. On parle depuis lors de flash floods, c’est-à-dire de crues soudaines.
Maurice connaît chaque année des alertes cycloniques, qui ont généralement peu de conséquences. Belal a fait deux victimes et causé de nombreux dégâts : routes endommagées, plages abîmées, récoltes anéanties… Ce n’est pas non plus une catastrophe nationale. Le passage de Belal à Maurice a été un choc collectif et une réelle surprise, non seulement pour la population, mais aussi pour le gouvernement, par rapport à ce qui avait été anticipé. Au vu des témoignages publiés, le bilan aurait pu être plus lourd. La population a exprimé une certaine colère dans les jours qui ont suivi, au regard d’un manque supposé d’anticipation du gouvernement, qui a pris immédiatement les mesures nécessaires pour faciliter les indemnisations.
Dans les jours qui ont précédé l’impact de Belal, tout laissait à penser que le cyclone se dirigeait droit vers La Réunion, en contournant Maurice par l’ouest. C’est ce que montraient les modèles météorologiques jusque 24 heures auparavant. Ceci a conduit le comité de crise NEOC à maintenir le stade 1 de l’alerte cyclonique le lundi matin du 15 janvier, soit le niveau d’alerte le plus bas. Les écoles étaient fermées, mais la population pouvait se déplacer et travailler, avec les consignes de prudence associées au stade 1.
Voyant la situation météorologique se dégrader au fil de la matinée, du fait de fortes pluies continues, le comité de crise NEOC a décidé, vers 10 heures du matin, le passage au stade 2, puis, à 13 heures 30, au stade 3, avec une obligation de confinement à domicile dans les trois heures suivantes. Je précise qu’au-delà de ces trois heures, aucune assurance ne prend en charge un éventuel sinistre.
Cette décision de passer du stade 1 au stade 3 en quelques heures était inédite. Elle a entraîné un début de panique, notamment à Port-Louis. C’est précisément à ce moment-là que les inondations soudaines se sont produites, occasionnant la coupure de l’autoroute, prise sous les eaux. Il a alors été impossible de sortir de la ville pendant trois heures. Le comité national de crise a alors décrété un confinement de la population à domicile jusqu’au lendemain midi. Entre-temps, cependant, le cyclone était déjà passé.
Quel retour d’expérience peut-on faire de cette séquence ? Tout d’abord, le comité national de crise a pris des décisions qui se sont révélées, rétrospectivement, insuffisantes, au regard des mesures qu’il aurait fallu prendre dès la veille au soir ou le lendemain très tôt. On n’aurait sans doute pas pu éviter la plupart des destructions, mais l’enjeu était de ne pas mettre en péril la sécurité des personnes. Il y a eu clairement une mauvaise évaluation du service météorologique, dont le responsable a d’ailleurs été muté le jour même, lors d’une déclaration en direct du premier ministre mauricien, qui l’a accusé d’avoir induit en erreur le comité national de crise.
Par ailleurs, il y a eu un facteur aggravant, avec une marée haute au moment du cyclone et une haute pression qui a conduit à une élévation du niveau de la mer, aggravée par les vents. Des vagues se sont projetées à l’intérieur des terres, sur les côtes de Port-Louis, ainsi que sur nombre de plages du nord de l’île.
Le troisième point a trait plus généralement à la prévention des risques de catastrophes. Le constat est que les règles d’urbanisme sont insuffisamment contraignantes. On a assisté ces dernières années à la multiplication de bâtiments construits en zone inondable.
Enfin, on constate aussi que les travaux qui devaient être menés depuis la dernière catastrophe, notamment pour multiplier les drains destinés à faciliter l’évacuation et l’écoulement des eaux dans la ville ont pris du retard dans leur réalisation et n’ont pas été menés à leur terme.
En revanche, j’insiste sur le fait que le dispositif de gestion post-crise a très bien fonctionné, lorsqu’il s’est agi de restaurer l’électricité et de dégager les nombreuses routes. Les traces de destruction avaient quasiment disparu du paysage dans les 48 heures qui ont suivi l’événement.
La prévision des trajectoires cycloniques est toujours un exercice difficile, mais le service de météorologie mauricien n’a pas été très performant. Certes, le cyclone n’est pas passé sur Maurice, mais sa puissance, exceptionnelle, a produit des effets à des centaines de kilomètres aux alentours de l’œil du cyclone – donc jusqu’à Maurice. Cet aspect aurait dû être davantage anticipé.
Aujourd’hui, la vie a largement repris son cours, mais cet épisode a eu des conséquences dès la semaine suivante, une nouvelle tempête tropicale menaçant de survoler Maurice. Le comité de crise NEOC a alors décrété une alerte de stade 2, au nom du principe de précaution. La conséquence a été un confinement de la population pendant 24 heures, et une nouvelle polémique a surgi sur le caractère cette fois-ci trop prudent des consignes de vigilance émises.
M. Guillaume Vuilletet, président. Monsieur Marimoutou, pouvez-vous également décrire la manière dont votre organisation a vécu cet événement ?
M. Vêlayoudom Marimoutou. Le jour où l’événement s’est produit, j’étais moi-même à La Réunion. Le matin vers 6 heures, alors que je venais de me lever, une collaboratrice qui se trouve à Maurice m’a raconté ce qu’il se passait devant chez elle. J’ai alors organisé, dans la demi-heure qui a suivi, une petite réunion de crise avec les chefs de service et les chargés de mission. Vers 6 heures 45, nous avons décidé de placer tous les collaborateurs en télétravail.
La quasi-totalité de la COI a donc vécu le cyclone en télétravail, lorsque c’était possible. Dès lors que l’alerte est passée au stade 3, les équipes sont bien entendu passées en confinement total. Pour nous, la gestion a donc été relativement simple, et l’ensemble des agents ont vécu cet épisode dans des conditions relativement tranquilles.
En revanche, je pense qu’il faut travailler sur la réduction des vulnérabilités, en lien avec les enjeux liés à l’artificialisation des sols et à la régulation de l’urbanisme. On ne peut faire en sorte qu’un cyclone ne se produise pas, mais on peut travailler sur la réduction des vulnérabilités.
Enfin, un exemple intéressant pourrait être travaillé avec les États membres. Le système mis en place à La Réunion, avec deux niveaux – la question cyclonique elle-même et la question de la vigilance météorologique – pourrait alimenter un travail sur un réflexe au niveau régional dans la gestion des risques de catastrophes.
M. Guillaume Vuilletet, président. En réalité, quand on parle de résilience, on parle en même temps de prévention : la prise en compte des événements permet de reconstruire et de restaurer les territoires, en veillant à réduire les vulnérabilités.
Ma question s’adresse encore à vous, monsieur Marimoutou, mais aussi à madame Aubras : comment s’articule, dans ce retour d’expérience, l’action de la commission avec des financements ou l’expertise de l’AFD ?
M. Vêlayoudom Marimoutou. Sur la prévention des cyclones, outre le programme Brio, il faut mentionner le vaste programme Hydromet porté par l’AFD, qui débute cette année. La COI a également introduit une demande de cofinancement auprès du Fonds vert pour le climat. Ce programme est également associé à l’Intra‑ACP Climate Services and related Applications Programme (Intra-ACP ClimSA), avec l’objectif de s’appuyer sur des instruments météorologiques bien plus précis que les instruments actuels. Ce programme complet inclut un volet relatif à la formation des météorologues. C’est un projet auquel la France est pleinement associée, aussi bien dans la région que dans les pays voisins, puisqu’il comporte aussi des corrélations avec la Communauté de développement de l’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC).
Cette démarche doit permettre d’améliorer la prévention des risques naturels majeurs. À ce programme s’ajoute la possibilité de disposer de services et de données hydrométéorologiques accessibles tout au long de l’année, pour les acteurs de différents secteurs (agriculture, assurance…).
La prévention doit s’associer à une démarche de réduction des vulnérabilités. Si cette culture des risques est présente à La Réunion, ce n’est pas tout à fait le cas dans tous les pays de la zone. Je pense qu’un important travail est à mener sur ce sujet.
Mme Patricia Aubras. L’AFD accompagne l’île Maurice au travers du programme AdaptAction. Nous avons ainsi aidé l’île Maurice à travailler sur sa stratégie d’adaptation. Ce que nous constatons, c’est que Maurice dispose d’une série d’outils et de stratégies qui doivent lui permettre de mener des politiques d’urbanisation, de développement ou d’aménagement bien plus résilientes et plus structurantes sur le plan des vulnérabilités.
Les services météorologiques mauriciens sont compétents et dotés d’outils de prévision et de vulgarisation modernes, à la suite des collaborations régionales que nous avons pu avoir avec l’ensemble des acteurs impliqués dans les programmes Brio et Hydromet et en étroite collaboration avec Météo‑France. Maurice dispose d’une cartographie récente des vulnérabilités à la submersion, à l’érosion et aux inondations sur l’ensemble des territoires. Il existe aussi une stratégie et des recommandations techniques précises pour lutter contre les inondations sur l’île principale, ainsi qu’un plan d’action pour agir efficacement en cas de catastrophe naturelle, à l’échelle nationale.
En l’occurrence, on constate qu’il y a eu un décalage entre l’appréciation des données météorologiques – nous pensons que les météorologues disposaient des mêmes données que leurs homologues réunionnais, dans la mesure où leur collaboration est très forte – et la prise de certaines décisions, qui ne relèvent pas nécessairement des météorologues. Un sujet de gouvernance apparaît donc, sur lequel doivent travailler les Mauriciens. Ils disposent d’éléments de cadrage stratégiques que l’on ne retrouve pas, cependant, dans les fondamentaux de la politique de développement et de croissance (usage des sols, programmes d’aménagement…).
Par ailleurs, au rang des recommandations pour améliorer les coopérations, notamment sur le plan des connaissances scientifiques et de la surveillance des risques, l’AFD soutient des programmes de recherche scientifique pour renforcer la résilience des populations et des territoires aux catastrophes naturelles et aux effets du changement climatique.
Ce qui est important pour nous, ce n’est pas uniquement de faire travailler Météo‑France à La Réunion sur le programme Brio, mais c’est aussi de s’interroger sur l’utilisation et la vulgarisation des données ainsi produites. L’enjeu est d’accompagner les territoires français et les États partenaires pour qu’ils s’en saisissent et les intègre dans la définition des politiques publiques, notamment en matière d’aménagement et de programmes d’investissement.
En avril 2023, à La Réunion, sous l’égide de la préfecture et avec la Banque des territoires, l’AFD a organisé une séquence de vulgarisation des données scientifiques auprès des élus réunionnais. L’objectif était de présenter ces études en se plaçant à la hauteur des décideurs, afin qu’ils soient en position de les exploiter. L’initiative sera reproduite cette année à Mayotte. De même, Maurice utilise ces données dans ses différents cadrages stratégiques.
Ces projets sont à diffuser auprès de l’ensemble des partenaires de la zone, dans le cadre de Brio ou d’Hydromet. Sur ces sujets, nous pouvons nous appuyer sur une très bonne collaboration avec la COI, pour faire de ces données des outils d’aide à la décision.
M. Christian Pailler. Je pense que nous avons tous en tête le drame qui s’est produit à Maurice en 2013, avec 11 morts, à l’occasion d’une inondation très spécifique, qui avait d’ailleurs donné naissance à la sécurité civile mauricienne.
À Maurice, il faut certainement travailler sur la problématique d’aménagement. De nombreuses inondations auraient peut-être pu être évitées. Il faut aussi travailler sur les systèmes d’alerte. De ce point de vue, le retour d’expérience et la mutualisation, entre La Réunion, Maurice et les différents acteurs, seraient intéressants.
De plus, il faut continuer de travailler sur l’éducation aux risques des communautés et des enfants. Les systèmes d’alerte sont utiles, mais il faut aussi que les populations en aient connaissance et connaissent les gestes appropriés, selon les différents niveaux d’alerte.
La formation des agents communaux et des gestionnaires de crise est également importante. La Piroi a organisé de telles formations à Maurice.
Enfin, il importe de travailler en réseau, dans une démarche associant tous les acteurs de la gestion des risques de catastrophes, pour des échanges d’expérience.
M. Guillaume Vuilletet, président. La Piroi dispose d’un budget de 23 millions d’euros. Au-delà de la Piroi, cependant, quels volumes financiers représentent ces mécanismes de coopération entre les différents États et territoires, pour bâtir une culture commune du risque et des réponses similaires ?
Mme Patricia Aubras. Nous ne disposons pas nécessairement de toutes les données de financement au niveau global, dans l’ensemble de la zone. Pour l’AFD, je peux cependant citer quelques exemples.
Le projet régional Hydromet mobilise, pour une période de cinq ans, 70 millions d’euros de financement, apportés par l’AFD, par l’Union européenne, par le Fonds vert pour le climat et les États membres de la COI. Ce programme permettra à la COI de travailler sur le renforcement des capacités et le développement institutionnel des acteurs de la météorologie, d’améliorer les infrastructures d’hydrométrie et de météorologie et d’améliorer les dispositifs nationaux d’information et d’alerte des populations.
Brio, projet porté les services régionaux de météorologie de La Réunion et de Mayotte, représentait un financement de l’ordre de 300 000 euros. Les résultats de ces travaux n’ont pas de prix et sont d’une importance vitale pour les politiques publiques à l’échelon régional.
Nous avons aussi le projet « Résilience des écosystèmes côtiers du sud-ouest de l’océan Indien » (RECOS). Dans ce cadre, l’AFD a mis en place un financement de l’ordre de 5 millions d’euros.
Globalement, sur ces sujets de renforcement de nos capacités en matière de prévention et de gestion des risques de catastrophes naturelles, l’enveloppe des financements sur lesquels l’AFD intervient, à l’échelle de la zone de l’océan Indien, est de l’ordre de 90 millions d’euros, mis en place entre 2020 et 2023. J’inclus dans cette enveloppe le partenariat de la France, au travers de l’AFD, avec l’Association des États riverains de l’océan Indien (Indian Ocean Rim Association, Iora), dans son mandat d’implémentation des bonnes pratiques en matière de gestion des catastrophes naturelles dans ses États membres.
M. Guillaume Vuilletet, président. Pour ce qui me concerne, j’en ai terminé avec mes questions. Souhaitez-vous aborder d’autres points ? Vous pourrez aussi compléter vos interventions par écrit, pour faire part à cette commission d’enquête de toute information qui vous paraîtrait utile.
M. Vêlayoudom Marimoutou. Vous savez que les relations et le travail avec les Comores ou Mayotte posent toujours un certain nombre de difficultés. Nous avons cependant une note verbale de 2019, qui inclut le domaine de la prévention des risques de catastrophe. Dans ce cadre, nous pouvons travailler ensemble sur la sécurité alimentaire, la santé et la prévention des risques liés aux catastrophes naturelles. Nous pouvons le faire en incluant Mayotte dans l’ensemble du programme. Ce n’est pas toujours facile, mais nous pouvons le faire et nous l’avons déjà fait.
M. Marc Mertillo. À l’ambassade, nous essayons de susciter des opérations de coopération institutionnelle et de formation, notamment avec La Réunion. Dans le dispositif, comme nous sommes accrédités auprès des autorités mauriciennes, nous assurons la facilitation de l’organisation de structures de coopération entre La Réunion et Maurice.
Je pense notamment à la commission mixte Réunion‑Maurice, créée en 2011. Une nouvelle rencontre est prévue au second semestre 2024, sur des sujets décidés d’un commun accord entre Maurice et le conseil régional de La Réunion. Il sera certainement question de coopération en matière de sécurité civile, notamment avec les pompiers de La Réunion et de Maurice, pour répondre à une forte demande, de part et d’autre. D’une manière générale, la coopération existe de manière opérationnelle, mais nous rencontrons parfois des difficultés à formaliser tous ces éléments.
En matière de sécurité civile, un mémorandum d’entente est aussi en cours de négociation depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, entre les services météorologiques.
Par le biais du groupe de contact bilatéral sur les enjeux de sécurité Réunion‑Maurice, nous nous attachons à formaliser une coopération opérationnelle très active entre les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (Cross), par le biais d’un protocole d’accord qui doit être signé.
L’ambassade assume ainsi un rôle de facilitation des relations entre La Réunion et Maurice, les deux îles sœurs. Nous sommes désireux de favoriser un travail commun, au travers des propositions que j’ai esquissées.
M. Christian Pailler. Pour ma part, j’insisterai une nouvelle fois sur la nécessité de travailler en réseau, de partager l’expérience et de poursuivre sans relâche les efforts en matière d’éducation des populations. Si vous le voulez bien, j’adresserai au secrétariat de la commission une documentation sur notre programme.
Mme Patricia Aubras. Pour l’AFD, je soulignerai l’importance de l’information et du partage des données. Une des pistes pourrait consister à mettre en place des systèmes gérés et maintenus par les communautés elles-mêmes, qui permettraient aux collectivités menacées d’en faire le meilleur usage.
M. Guillaume Vuilletet, président. Le sujet mériterait sans doute des développements plus longs. Vous avez mentionné des programmes de valorisation des techniques autochtones de prévention des risques. Si vous avez de la littérature à nous communiquer en la matière, nous serions très intéressés. L’appropriation par les populations et les communautés locales d’une culture du risque passe aussi par le fait de s’appuyer sur des traditions qui sont parfois aussi anciennes qu’efficaces.
Il ne me reste plus qu’à vous remercier de tous ces échanges, très riches. Encore une fois, je vous remercie de bien vouloir nous communiquer les réponses à nos questionnaires et d’y adjoindre tout élément qui vous semblerait utile pour nourrir la réflexion et les conclusions de cette commission.
15. Table ronde, ouverte à la presse, « Coopération avec le voisinage – océan Atlantique » (15 février 2024)
M. Guillaume Vuilletet, président. Je présente les excuses du président Kamardine, retenu à Mayotte par les contraintes de l’actualité. Nous poursuivons nos auditions avec une table ronde consacrée à la coopération régionale entre l’outre-mer et les États voisins en matière de gestion des risques naturels majeurs dans la zone de l’océan Atlantique.
Il nous est apparu que, dans la mesure où il est difficile de demander à un événement ou à un aléa naturel de limiter ses effets à des frontières, il fallait privilégier un raisonnement à l’échelle d’une zone géographique. Il nous a donc paru intéressant de vous demander de partager un état des lieux en matière de coopération.
C’est pour cette raison que nous accueillons aujourd’hui M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique. Nous sommes par ailleurs connectés avec M. Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l’Agence française de développement (AFD) et M. Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Plateforme d’intervention régionale d’Amériques‑Caraïbes (PIRAC) de la Croix‑Rouge française. Nous serons peut-être rejoints par deux représentants de l’Institut national des ressources hydrauliques de Cuba.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour des interventions liminaires, puis nous poursuivrons nos échanges sous la forme de questions et de réponses.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Roland Dubertrand, Marc Dubernet et Jérémie Sibeoni prêtent successivement serment.)
M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique. Si je ne suis pas un spécialiste des risques naturels, je peux vous faire part de mon expérience dans le cadre de mes fonctions depuis septembre 2021 concernant ce sujet. Je dépends en effet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, avec la mission d’accompagner l’action internationale et la coopération régionale des collectivités françaises des Amériques, à savoir la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Mon rôle est aussi d’accompagner l’action des services de l’État, présents dans les territoires, en lien avec notre réseau diplomatique dans la région.
Je ne saurais prétendre à une vision globale de la gestion des risques naturels pour l’ensemble de nos territoires, mais je les aborderai par deux prismes. Le premier est celui de la conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, que je suis chargé d’organiser et d’animer chaque année. Les risques naturels et la coopération régionale ont constitué l’un des thèmes de la conférence qui s’est tenue en Guadeloupe en mars dernier. C’était alors la première fois que nous reprenions, après la période covid, les conférences de coopération régionale, après trois ans et demi d’interruption.
Le second prisme se rapporte aux relations avec la Communauté des Caraïbes (Caricom, pour Caribbean Community). Dans une seconde partie de mon intervention, j’évoquerai nos projets pour signer un accord de coopération avec l’agence des risques naturels de la Caricom.
La conférence de coopération régionale, en mars dernier, comportait une session sur le thème de l’environnement, avec une sous-session sur les risques naturels, dans le but de réaliser un point précis sur l’état de la coopération régionale au sortir de la période covid.
Schématiquement, si un État ou un territoire de la région est touché par une catastrophe naturelle, nous pouvons distinguer, du côté français, trois niveaux d’intervention possibles : d’une part, les forces armées, qui disposent des moyens d’intervenir de manière immédiate sur le terrain ; d’autre part, l’état-major interministériel de la zone Antilles (EMIZA), qui regroupe les moyens de sécurité civile, sous l’autorité du préfet de la Martinique ; enfin, la Pirac, coordonnée par la Croix-Rouge française.
Lors de la conférence, le responsable de l’EMIZA – le lieutenant‑colonel Nisslé, à l’époque – a proposé une intervention. Il en ressortait qu’un certain nombre d’opérations avaient eu lieu après le covid. Nous pouvons notamment citer une éruption volcanique à Saint-Vincent, qui a mobilisé un certain nombre de moyens des pays et organisations de la région, dont la France. Des ouragans ont également touché, ces dernières années, la région de Sainte-Lucie et de la Dominique. Des recherches de randonneurs égarés ont également dû être organisées en Dominique – en l’occurrence, ces opérations ne relevaient pas de la gestion des risques naturels, mais elles font partie des missions de la sécurité civile.
Pour les opérations dans lesquelles il est mobilisé, l’Emiza est en rapport avec les États de la région et avec les organisations régionales, comme l’organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO), qui regroupe les États des Petites Antilles, autour de la Martinique et de la Guadeloupe, et la Caricom.
Pour l’Emiza, l’enjeu consiste aujourd’hui à continuer de renforcer ces liens opérationnels. Il est important de favoriser un fonctionnement en réseau, sur la base d’une connaissance et d’une confiance mutuelle entre les acteurs. Si l’on veut répondre aux risques et aux catastrophes naturels dans la région, avec ce que cette réponse suppose de coordination et d’efficacité, ce travail opérationnel de contact est primordial. À mon avis, ces liens de coopération anciens fonctionnent.
Nous avons souhaité aller plus loin sur le plan diplomatique, avec la Caricom. La Caricom intègre en effet une agence des risques naturels, la Caribbean Disaster Emergency Management Agency (CDEMA). Avec la Caricom, on quitte l’environnement proche des Petites Antilles, pour passer à l’ensemble de la Caraïbe Sud. La CDEMA regroupe une vingtaine d’États et de territoires membres de la Caricom.
Nous avions préparé un accord de coopération avant la période covid. Les démarches n’ont pas progressé pendant le covid. Elles ont ensuite été relancées au niveau politique, notamment par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France au Suriname, compétent auprès de la Caricom, implantée à Georgetown. Nous avons cependant rencontré une difficulté, dans la mesure où, selon les règles de la Caricom, il revenait à la CDEMA de signer l’accord en question avec la France et l’ensemble des États et territoires. Or il n’a pas été possible de mobiliser dans ce but la vingtaine d’États et de territoires que j’ai évoquée.
Notre ambassadeur a donc proposé à la secrétaire générale de la Caricom la signature directe d’un accord entre la France et la CDEMA. Cet accord nous permettra de formaliser et de structurer les coopérations au niveau de la région, mais aussi de favoriser une connaissance mutuelle et une réflexion d’ensemble sur la gestion des risques naturels. Nous souhaitons vraiment signer cet accord aussi tôt que possible.
Outre ces sujets, je suis également disposé à aborder le thème des sargasses. Il n’entre pas dans le domaine des catastrophes naturelles, mais relève bien des risques naturels. C’est un sujet que nous avions également abordé durant la dernière conférence de coopération régionale Antilles-Guyane.
M. Guillaume Vuilletet, président. Vous pouvez développer ce thème, si vous le souhaitez.
M. Roland Dubertrand. Les sargasses sont des algues bien connues dans les Caraïbes – on peut songer évidemment à la mer des Sargasses. Nous faisons face à un phénomène très inquiétant de prolifération, depuis 2011. Les échouements de sargasses touchent l’ensemble de la Caraïbe par l’est. La Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont concernés – la Guyane reste pour sa part relativement épargnée.
La France a organisé en 2019 une conférence internationale sur les sargasses, avec la Guadeloupe. Cet événement, coorganisé entre l’État et la région, avait réuni entre 700 et 800 personnes. En 2021-2022, une initiative internationale sur les sargasses a été lancée, pour mobiliser les acteurs régionaux et internationaux.
Aujourd’hui, l’Atlantique fait face à une masse énorme de sargasses. Des réservoirs de sargasses sont présents à l’embouchure de grands fleuves, comme le Mississippi, le Congo et l’Amazonie. Le phénomène ne constitue donc pas un problème caribéen stricto sensu.
Cette initiative, coorganisée entre l’État et la région Guadeloupe a été lancée le 2 décembre dernier, dans le cadre de la conférence de Dubaï de 2023 sur les changements climatiques (COP28), par le ministère délégué chargé des outre-mer et la vice-présidente du conseil régional de la Guadeloupe.
Il manque encore, en droit international, une définition des sargasses. Si l’on souhaite une action commune pour faire face au phénomène, il convient de pouvoir s’appuyer sur une définition partagée. Je pense qu’il est indéniable que les sargasses constituent un risque naturel. Pour autant, les échouements de sargasses doivent-ils être envisagés comme une pollution marine ou comme des déchets ? Les sargasses doivent-elles être appréhendées comme une espèce invasive ? Les possibilités sont multiples, et je pense qu’on proposera, dans notre initiative internationale, une définition aussi consensuelle que possible en droit international.
L’enjeu est d’avancer sur ce sujet, qui comporte une dimension régionale, à envisager au travers de la convention de Carthagène pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, et une dimension multilatérale, avec l’intention de présenter un plan au niveau de la conférence des Nations Unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025.
M. Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac. La Pirac est le bureau de la Croix-Rouge française spécialisé dans la gestion des risques de catastrophes. Nous sommes basés en Guadeloupe. Notre équipe sur place compte une trentaine de personnes. Ce bureau existe depuis 2018, avec le mandat de travailler sur la gestion des risques de catastrophes, sur le plan de la prévention, de la préparation et de la réponse, sur une aire géographique qui correspond d’une manière générale à celui de la Grande Caraïbe, même si les projets les plus importants concernent plutôt les Petites Antilles.
Nous n’opérons pas de distinction, en termes de priorités ou de projets, entre pays étrangers et territoires français. Nous avons pour mandat de mener à bien ces types de projets sur les deux types d’entités que sont les territoires français (les quatre territoires des Antilles et la Guyane) et l’ensemble des petites îles des Antilles, qui correspondent d’une manière générale aux territoires intégrés à l’OECO.
La première thématique sur laquelle nous travaillons se rapporte à la prévention et à la réduction des risques de catastrophes. Nous travaillons depuis plusieurs années sur cet aspect, avec des projets ici en Guadeloupe ou en lien avec nos collègues en Martinique. Grâce à l’AFD, nous allons pouvoir mener à partir de cette année un programme de sensibilisation à la culture du risque dans les écoles, en Dominique et en République dominicaine.
La culture du risque est un sujet important pour nous. Nous œuvrons à la création d’outils ludiques pour que cette culture soit véritablement intégrée, auprès des enfants en particulier. Nous effectuons aussi de la sensibilisation auprès du grand public, mais il est vrai que nous mettons l’accent sur les enfants, puisque l’on sait que le changement de comportement est quand même plus efficace lorsqu’on travaille auprès des publics scolaires. Nous avons donc développé des outils ludiques, que nous essayons de mettre à la disposition d’un maximum d’écoles, majoritairement en Guadeloupe pour l’heure, mais bientôt aussi sur les deux territoires que j’ai cités et à terme, je l’espère, sur les quatre territoires des Antilles.
La problématique que nous rencontrons sur ce sujet concerne évidemment toujours l’accès aux financements. Autant l’accès aux financements est relativement simple sur le plan international – je pense à l’AFD, encore une fois, et à Interreg Caraïbes, notre partenaire privilégié, qui fonctionne d’ailleurs souvent en cofinancement avec l’AFD –, autant la démarche est plus complexe sur le territoire français. Il n’y a effectivement pas de guichet spécifique ; nous ne sommes pas éligibles aux financements de l’AFD sur le territoire français.
Les collectivités (région ou département de la Guadeloupe, collectivité territoriale de Martinique…) peuvent proposer des financements, tout comme la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) peut être un partenaire financier en Guadeloupe, mais ces financements restent modestes au regard des besoins et nécessitent de démultiplier les démarches. Ces dernières sont plus simples lorsque nous pouvons nous appuyer sur des financements importants et structurants comme ceux que nous pouvons obtenir auprès d’Interreg Caraïbes ou de l’AFD.
Outre la prévention, nous travaillons sur le volet relatif à la préparation, qui renvoie aux efforts pour se préparer à répondre aux catastrophes naturelles. Sur cet aspect, nous travaillons notamment avec les Croix-Rouge des différents territoires – dont nos collègues de la Croix-Rouge française sur les territoires français. Nous les accompagnons dans la préparation de la réponse aux catastrophes naturelles, en construisant des entrepôts de biens de première nécessité à distribuer, en formant les équipes en logistique…
Dans ce cadre, l’équipe locale de la Croix-Rouge du territoire sera le premier acteur de la réponse. Pour notre part, nous intervenons en appui au niveau régional, si nécessaire, en envoyant du matériel, des équipes ou encore des unités de production d’eau potable, comme lors de l’épisode Fiona en 2022. Dans un contexte multi-insulaire, nous avons besoin d’une équipe de la Croix-Rouge formée, avec un entrepôt de biens de première nécessité à distribuer et des moyens roulants. Nous nous attachons à accompagner et à former ces équipes locales, aussi bien de la Croix-Rouge française que des autres sociétés nationales.
Un autre enjeu réside dans notre propre capacité de réponse, lorsque le niveau de la catastrophe nous impose de nous positionner en appui, ou si les ressources de l’équipe locale sont dépassées, selon leur niveau de préparation. À cette fin, nous disposons de stocks prépositionnés en Guadeloupe et en Martinique ; nous construisons aussi actuellement un important entrepôt régional, pour quadrupler notre capacité de stockage. La construction de cet entrepôt, dans l’enceinte de l’aéroport de Pointe-à-Pitre, a débuté, pour une livraison prévisionnelle en mars 2025. Il permettra de se préparer à des catastrophes d’une ampleur plus importante, dans le contexte du changement climatique.
En termes de coopération, la CDEMA constitue l’acteur de référence opérationnel dans la réponse. Nos programmes sur place sont systématiquement en collaboration, au niveau régional, avec l’OECO, le partenaire plus politique de la coopération régionale des Petites Antilles, et avec la CDEMA, partenaire opérationnel au niveau plus large des Caraïbes. Ces partenariats nous permettent évidemment d’avoir accès plus facilement aux ressources de ces partenaires et aux différents pays de la région.
Nous menons une large activité avec ces partenaires. L’une des plus-values de la présence sur place de notre bureau réside dans la possibilité de favoriser des échanges entre le monde français et le monde anglophone, en particulier des Petites Antilles, mondes qui ont parfois quelques difficultés à interagir.
Quelles que soient les activités, nous invitons des acteurs des Antilles françaises et des acteurs de la région, dans le cadre d’événements bilingues. Nous avons par exemple organisé l’an passé un webinaire sur l’amélioration de la législation relative à la réponse aux catastrophes naturelles. Le discours d’ouverture a été proposé par le secrétaire de la CDEMA, et nous avions invité de nombreux représentants des sociétés nationales, des ministères ou des agences de réponse aux catastrophes des différentes îles, ainsi que nos collègues français.
Nous nous efforçons d’inclure au maximum ces deux mondes, en particulier lors de rencontres en présentiel, dans le cadre de formations, en Guadeloupe ou ailleurs. Nous avons par exemple proposé une importante formation à Saint-Martin sur le thème de la réponse aux catastrophes, en présence de la CDEMA et d’acteurs français.
Enfin, s’agissant de la collaboration dans la réponse, je citerai l’Emiza et les forces armées aux Antilles, avec lesquels nous entretenons de très bons rapports. Le nouvel amiral qui a pris ses fonctions il y a quelques mois est venu nous rencontrer au bureau. La collaboration avec les forces armées est essentielle. Si nous disposons effectivement de biens à distribuer, nous n’avons pas les vecteurs, tandis que les forces armées, à l’inverse, peuvent mobiliser des vecteurs, mais n’ont que peu de biens à distribuer. Nous sommes donc complémentaires, et nous avons appris à bien travailler ensemble dans le cadre des opérations que nous avons pu mener ces dernières années.
Pour revenir sur Interreg Caraïbes, son mandat porte véritablement sur la coopération régionale, avec une ligne importante sur l’adaptation au changement climatique et la réponse aux catastrophes naturelles. C’est donc pour nous un bailleur de référence. Comme Interreg Caraïbes ne finance pas ces projets en intégralité, l’accompagnement financier de l’AFD est vraiment important et nous permet de faire plus sur des aspects ciblés sur certains pays, que j’ai cités dans la première partie de mon intervention.
M. Guillaume Vuilletet, président. J’ai cru comprendre au début de votre intervention que vous ne bénéficiez pas de financement de l’AFD ?
M. Jérémie Sibeoni. Si, à l’international. Nous n’avons pas de financements de l’AFD dédiés sur le sol français, mais nous bénéficions de financements de cette agence sur la coopération régionale, dans lesquels nous pouvons intégrer parfois des acteurs français, comme c’est le cas pour l’entrepôt régional en construction.
M. Guillaume Vuilletet, président. Merci de cette précision. Il ne me reste plus qu’à céder la parole à monsieur Dubernet.
M. Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l’AFD. Je suis directeur régional pour la zone Atlantique à l’AFD. Je suis en poste depuis septembre 2022. Mon périmètre de responsabilité couvre les agences de Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon – territoire suivi à distance depuis la Martinique –, ainsi que, pour les États étrangers, Haïti, la République dominicaine et le Suriname. Sur ce périmètre, les enjeux environnementaux font partie de nos priorités stratégiques et de nos actions, que j’évoquerai au travers de quatre modalités.
La première modalité concerne le financement d’appuis de programme à la Croix‑Rouge française, dans les trois océans : nous sommes effectivement présents sur ces sujets, la Croix-Rouge et nous-mêmes, dans l’océan Indien, l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. Nous avons une approche de financement de la Croix‑Rouge française et de ses différentes plateformes d’intervention régionale que sont la PIRAC pour l’océan Atlantique, la Plateforme d’intervention régionale de l’océan Indien (PIROI) et la Plateforme d’intervention régionale de l’océan Pacifique Sud (PIROPS).
Nous avons un financement global, dont la troisième phase est en cours d’instruction. Elle met en œuvre des financements relativement importants, apportés, via l’AFD, par l’État français, à travers le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le programme 209. Ce premier volet représente, en termes de volumes financiers, la part la plus importante de ce que l’AFD contribue à financer au titre de la prévention et de la gestion des risques naturels.
La deuxième modalité d’intervention se rapporte aux actions que nous sommes appelés à mettre en œuvre par le biais de notre filiale Expertise France, sur financement de l’Union européenne, par le biais du mécanisme de l’ancien Fonds européen de développement (FED), aujourd’hui intégré à l’instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI), piloté par la direction générale des partenariats internationaux (DG Intpa) à Bruxelles, ou sur financement français, au travers du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du budget 209.
Par l’entremise d’Expertise France, en tant qu’agence d’exécution – l’AFD étant une agence de financement –, un certain nombre d’actions se mettent ainsi en place dans la zone sur les sujets qui nous intéressent aujourd’hui. Je peux tout d’abord citer le programme en faveur de la résilience, des énergies durables et de la biodiversité marine dans les pays et territoires d’outre-mer des Caraïbes (Resembid). Ce programme, en passe de s’achever, concerne les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) de la zone – Saint‑Barthélemy pour ce qui concerne la France – et a bénéficié de 37 millions d’euros de financement de l’Union européenne. Il comporte notamment un volet visant à renforcer la résilience des PTOM et leur adaptation aux phénomènes naturels extrêmes et récurrents, avec une action de recensement des capacités mise en œuvre par ce biais.
Le second volet concerne les sargasses, dans une démarche intégrant une vision de coopération régionale et des efforts pour tenter de fédérer des acteurs et des initiatives pour apporter des solutions au phénomène de prolifération évoqué précédemment. Nous sommes en phase d’instruction d’un financement cette année, sur le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans le cadre d’une structure qui sera mise en œuvre par le biais de notre filiale Expertise France.
La troisième modalité d’intervention, dont je ne suis pas certain qu’elle soit l’objet du périmètre de votre commission d’enquête, est davantage franco-française. Elle concerne les appuis aux collectivités françaises, au travers du plan séisme Antilles, mécanisme mis en place sur financement du ministère des outre-mer (budget 123). L’AFD intervient dans ce cadre pour apporter un certain nombre de moyens en dons, ainsi que pour renforcer les capacités des collectivités locales – principalement les communes – dans le développement d’une culture parasismique et la mise aux normes des bâtiments publics, en particulier des écoles primaires.
Enfin, la quatrième modalité d’intervention renvoie à nos efforts pour nous rapprocher des organisations régionales sur les thématiques de l’environnement, du changement climatique et du développement humain. Le volet environnemental inclut systématiquement une thématique dédiée à la prévention et à la gestion des risques naturels majeurs que partagent toutes les îles de cette zone.
Nous sommes déjà en partenariat avec l’OECO, au travers de l’accord-cadre signé en mars 2023, dans le cadre duquel nous commençons à mettre en œuvre un certain nombre d’actions, qui ne concernent pas directement la gestion des risques naturels majeurs, mais peuvent aborder cette thématique. La deuxième organisation régionale avec laquelle nous souhaitons développer un partenariat analogue, c’est la Caricom. Nous avons déjà un partenariat relativement solide avec l’une des agences de cette organisation, la Caribbean Public Health Agency (Carpha), sur le sujet de la santé. Enfin, la France est aussi en partenariat avec une autre agence, la CDEMA. Ce partenariat pourrait être repris dans un accord-cadre que l’AFD pourrait mettre en place.
Au travers des quatre volets d’intervention que j’ai décrits, notre rôle consiste donc à se positionner en observation, en coordination et en proposition pour faire coaguler les financements autour de ces thématiques et mener des programmes par le biais de notre filiale Expertise France, parallèlement aux partenariats qui pourraient se concrétiser avec des organisations régionales et aux actions que nous pouvons déployer dans les départements français, sur la base de financements plus modestes.
M. Guillaume Vuilletet, président. Merci à vous. Ce qui est intéressant dans vos interventions respectives, c’est que nous sommes sur les trois moments d’une catastrophe naturelle : la prévention, le traitement de la crise et éventuellement la résilience.
J’aimerais solliciter votre vision sur le bilan d’Irma. Quel est votre regard sur l’action menée par la plateforme et par les autorités, dans un contexte qui était aussi régional ? Quels sont les éléments qui ont été selon vous pris en compte pour améliorer la prévention et la gestion de tels événements ? En quoi la coopération aurait-elle pu apporter davantage lors de cet épisode ?
M. Roland Dubertrand. Pour ce qui concerne Saint-Martin, l’ouragan Irma a causé des destructions considérables, côté néerlandais et côté français. Il a donné lieu à une très forte coopération néerlandaise, avec un pont aérien, mais nous avons observé ensuite des problématiques de reconstruction séparées.
En même temps, depuis 2021, la France et les Pays-Bas ont nourri l’idée qu’il fallait, après cette catastrophe, relancer la coopération transfrontalière, dans les domaines de compétences respectifs des deux États, comme au niveau des collectivités. Une réunion quadripartite associant la France, les Pays‑Bas, le conseil territorial de Saint‑Martin et le gouvernement autonome de Sint‑Maarten est organisée chaque année.
À mon sens, deux leviers peuvent être mobilisés. D’une part, la France et les Pays-Bas ont signé, le 26 mai dernier, l’accord frontalier, qui a permis d’éliminer les différends territoriaux qui existaient et de définir une délimitation très précise de la frontière. Cet accord, soumis à ratification parlementaire, prévoit des arrangements de coopération transfrontalière. La réponse commune aux risques naturels sera certainement approfondie par le biais de cet accord.
D’autre part, Interreg constitue un outil de coopération régionale européen très important. Un programme Interreg Saint-Martin a été déployé entre 2014 et 2020. Il a rencontré des difficultés d’application, mais il a permis de faire face à un certain nombre de conséquences de l’ouragan d’Irma, notamment le nettoyage du lagon de Simpson Bay. Nous devons entrer prochainement dans un nouveau programme Interreg Saint-Martin, qui doit être défini cette année.
Ces deux approches – coopération européenne avec l’outil Interreg et formalisation d’accords de coopération transfrontalière dans le cadre de la démarche quadripartite que j’ai évoquée – me paraissent constituer deux pistes à explorer.
M. Jérémie Sibeoni. Au niveau de la Croix-Rouge française, Irma a eu un impact très important. La Pirac, qui constituait à l’époque un bureau bien plus modeste et disposait de moins de ressources, n’était sans doute pas suffisamment préparée pour faire face à une catastrophe d’une telle ampleur. Celle-ci nous a conduits à nous organiser différemment, en termes de ressources et d’expertise.
Nous serions aujourd’hui bien plus opérationnels et plus réactifs. Nous avons par exemple un stock prépositionné à Saint-Martin ; nous formons les équipes très régulièrement ; le prépositionnement à Saint‑Martin d’une unité de production d’eau potable est également à l’étude. L’ouragan Irma a donc eu un impact fort sur le niveau régional, qui s’est avéré absolument essentiel, et probablement n’avait-on pas suffisamment investi pour faire face au risque d’une telle catastrophe.
On réinvestit depuis de manière importante – fort heureusement, il ne s’est pas produit de catastrophe naturelle d’ampleur sur les territoires français depuis longtemps. Il faut entretenir cette dynamique, mais ce n’est pas toujours facile. Ensuite, il faut aussi conserver à l’esprit qu’au-delà du niveau territorial et régional, nous pourrions compter, dans de telles situations, sur l’appui du niveau central de la Croix-Rouge française, pour renforcer les équipes de réponse.
L’autre enseignement réside dans l’intérêt d’investir sur la culture et la prévention du risque. À Saint-Martin, par exemple, les autorités ont constaté qu’au fil des années, à mesure que s’éloignait le souvenir de l’ouragan Irma, les réflexes de prévention se perdent. Plus de sept ans après Irma, aujourd’hui, les réflexes sont moins intégrés. C’est la raison pour laquelle les programmes de prévention et de sensibilisation, notamment dans les écoles, sont importants, pour ancrer fortement ces réflexes dans les comportements au quotidien, et non simplement à la suite d’une catastrophe récente.
M. Marc Dubernet. J’ai évoqué tout à l’heure le programme Resembid concernant les PTOM. Lorsque ce programme, qui a démarré en octobre 2018, a été instruit, les ouragans Irma et Maria de 2017 venaient de se produire. Ces épisodes ont conduit à intégrer la résilience aux impacts des catastrophes naturelles comme le troisième volet de ce programme. Ce dernier s’est achevé à la fin de l’année 2023. Je ne manquerai pas de solliciter auprès d’Expertise France la mise à disposition des premiers éléments de redevabilité et d’impacts.
M. Guillaume Vuilletet, président. Je céderai la parole à mon collègue M. Frantz Gumbs, député de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, mais je suis très preneur d’un retour de France Expertise. Ce qui nous intéresse in fine, c’est effectivement de déterminer dans quelle mesure cette démarche a permis de renforcer la capacité d’absorption et de résilience des territoires.
Par ailleurs, dans le cadre de cette commission d’enquête, l’objet reste d’identifier les points de difficulté. Vous avez laissé entendre, monsieur Dubertrand, que le dernier programme Interreg a été difficile à mettre en œuvre à Saint-Martin. Pouvez-vous apporter un éclairage sur ce point ? Je laisse cependant M. Frantz Gumbs faire part de ses questions.
M. Frantz Gumbs (Dem). Je précise tout d’abord qu’Interreg a permis de financer un radar météorologique à Saint‑Martin. Des radars sont implantés à la Guadeloupe et à Porto‑Rico, mais Saint‑Martin et les îles du Nord, précédemment, n’étaient pas couvertes. Le radar financé par Interreg est implanté dans la partie hollandaise de Saint‑Martin.
En matière de météorologie, le National Hurricane Center de Miami, en Floride, est responsable de la gestion des trajectoires et des avertissements pour l’ensemble de la zone Caraïbes. En parallèle, le centre météorologique en charge des territoires français se trouve en Guadeloupe. Pour la partie néerlandaise de Saint-Martin, le centre météorologique de référence se trouve à Curaçao. Les consignes données dans les différents territoires ne sont pas homogènes. Je m’interroge donc sur une éventuelle volonté de coordonner les systèmes et les messages d’alerte. J’ai par exemple eu l’occasion de constater des décalages dans le temps des alertes émises dans la partie néerlandaise. Dans ces conditions, quelles seraient les possibilités de normaliser les systèmes d’alerte et d’avis aux populations ?
M. Marc Dubernet. C’est une question fondamentale, sur laquelle des experts de Météo‑France seraient certainement mieux placés pour apporter des éléments de réponse. Visiblement, cette coordination n’existe pas, puisque vous témoignez vous-mêmes que le territoire de Saint-Martin est couvert par le centre de Curaçao.
Si le partage d’informations ne s’opère pas de manière satisfaisante, que peut-on faire pour renforcer la coopération ? Si le sujet est d’ordre financier, l’AFD est à votre disposition pour faciliter, au travers de financements de coopération régionale, une mise en réseau qui pourrait être initiée, éventuellement, à partir de Météo-France.
D’autant plus qu’à ma connaissance, dans l’océan Indien, cette démarche a pu se concrétiser, en lien avec Météo‑France. Nous avons pu soutenir un programme de mise en réseau et de fonctionnement coordonné des différents instituts météorologique de la zone en question.
M. Guillaume Vuilletet, président. Un des premiers sujets que j’ai dû aborder lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux outre-mer était celui de la coopération régionale. Une des questions concernait la difficulté, pour des territoires qui n’avaient pas le statut d’États, de travailler avec des territoires qui possédaient ce statut. Des avancées ont-elles été constatées sur ce point, ou bien une partie des frictions dans la coopération tiennent-elles encore à cette réalité ?
M. Roland Dubertrand. Le droit a évolué, avec la loi d’orientation pour l’outre‑mer (2000) et la loi dite « Letchimy » (2016). En vertu de cette dernière loi, les départements et régions d’outre-mer (DROM) peuvent signer des accords avec des États étrangers, à la différence des régions métropolitaines. La loi Letchimy dispose également que les Drom doivent adopter un programme-cadre de coopération régionale sur cinq ans et vise aussi à faciliter le placement des agents territoriaux au sein des ambassades, pour suivre ces programmes.
Au regard du caractère évident des enjeux régionaux et internationaux pour tous les territoires d’outre-mer, j’ai l’impression que la conscience et la mobilisation sont plus fortes que par le passé et que les outils à disposition sont plus nombreux.
La prochaine conférence de coopération régionale Antilles-Guyane se tiendra en avril prochain à Saint-Martin. Elle comportera notamment des sessions sur les enjeux de sécurité globale, l’intégration des commandements des forces aériennes (CFA) dans les organisations régionales, la question des exportations dans la région et les échanges culturels et linguistiques, avec une forte implication des acteurs. Le choix de retenir la notion de « sécurité globale » tient à la volonté de traiter à la fois des thèmes de sécurité stricto sensu (lutte contre les criminalités et les trafics), mais aussi des risques sanitaires et des risques naturels. Cette session sera également l’occasion d’évoquer l’agence caribéenne pour la cybersécurité.
M. Guillaume Vuilletet, président. Pouvez-vous revenir sur les difficultés sur Interreg ?
M. Roland Dubertrand. Les difficultés ne portent pas sur les risques naturels. Dans l’application du programme pour la période 2014-2020, les éléments qui touchaient aux risques naturels – notamment le nettoyage du lagon de Simpson Bay – ont été exécutés. En revanche, il y avait d’autres projets, qui ne concernent pas les risques naturels, qui n’étaient manifestement pas mûrs pour pouvoir être traités.
M. Guillaume Vuilletet, président. Je reviens vers vous, monsieur Sibeoni. Pourriez-vous citer des exemples de coopération à l’échelle de la zone, dans les trois catégories que forment la prévention, le secours et la résilience ?
M. Jérémie Sibeoni. Concernant le premier volet, je peux mentionner la campagne régionale de prévention que nous avons organisée l’an passé dans les médias (télévision, radio, réseaux sociaux…). Nous avons mis en avant la capacité à s’adapter au changement climatique, au niveau individuel, mais surtout au niveau communautaire. Nous avons ainsi mis en valeur dix initiatives, à Sainte-Lucie, la Dominique et la Guadeloupe. Nous avons diffusé des films en français et en anglais, afin que l’ensemble des territoires soient impliqués. Nous réitérerons probablement cette année ce type d’action, peut-être au travers de radios en langue créole, pour toucher davantage de populations plus vulnérables.
De même, en octobre 2023, nous avons organisé en Guadeloupe un atelier de formation sur le thème de la prévention et de la réduction des risques de catastrophes dans les écoles, avec des interventions de la CDEMA, de l’OECO et de collègues d’Amérique centrale. Les échanges, pendant une semaine, étaient donc en français, en anglais et en espagnol. Ils ont permis d’évoquer sur ce thème les expériences de petits territoires insulaires, comme Antigua, ou d’associations. Des collègues de l’île Maurice étaient également présents, pour favoriser le dialogue et le partage d’expérience entre les deux zones. Un autre aspect a porté sur la manière de toucher dans les programmes des populations spécifiques, comme les populations de migrants.
Sur le volet relatif à la préparation, nous avons organisé l’an passé une formation sur la manière de produire de l’eau potable avec des unités de production d’eau que nous avons en stock en Guadeloupe et en Martinique. Il s’agit véritablement d’une formation sur le terrain, avec un échange de bonnes pratiques.
Outre les actions sur le droit des catastrophes, nous avons aussi mené l’an passé une action sur la coopération civilo‑militaire, coordonnée par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, avec des financements d’Interreg et de l’AFD. L’objet était de faire dialoguer les armées de la région et les acteurs civils de la réponse d’urgence, pour favoriser une connaissance mutuelle de nos modes de fonctionnement respectifs.
M. Guillaume Vuilletet, président. Nous sommes preneurs de littérature sur ce sujet.
M. Jérémie Sibeoni. Nous vous la transmettrons volontiers.
M. Guillaume Vuilletet, président. Avant de clore cette séance, je propose de vous rendre la parole, si vous souhaitez compléter vos propos.
M. Roland Dubertrand. Pour revenir sur l’aspect diplomatique, la signature d’un accord entre la France et la CDEMA constituera un pas important. Il facilitera la coopération avec les États et les territoires de la Caricom et permettra aussi de mener une démarche plus étendue, une initiative permettant de toucher plus largement les États au niveau de la Caraïbe, y compris ceux qui ne sont pas membres de la Caricom. La priorité est de signer cet accord avec la CDEMA, pour ouvrir ensuite de nouvelles perspectives.
M. Marc Dubernet. J’insisterai pour ma part sur l’importance de la coordination des systèmes météorologiques, dans une zone complexe et composée de petites îles, dont les cultures et les systèmes organisationnels peuvent différer. Il n’est pas toujours simple d’identifier le dénominateur commun permettant d’entraîner des effets de coopération. Je crois que les sujets de prévention, de gestion et de remédiation des impacts des catastrophes naturelles peuvent être fédérateurs, pour aller plus loin dans la mise en réseau.
Évidemment, cette mise en réseau nécessite aussi des moyens financiers. En l’occurrence, nous avons vu qu’ils sont principalement issus de l’Union européenne (Interreg et FED) ou qu’ils relèvent du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (budget 209, intermédié pour partie par l’AFD).
La limite de ce raisonnement, c’est que l’on constate, lorsqu’on fait intervenir des financements du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qu’il s’avère toujours difficile de défendre la création d’une part de valeur ajoutée sur le territoire national, ces financements étant conçus pour la coopération internationale. Nous connaissons des exceptions – il a été question précédemment de la construction d’un entrepôt en Guadeloupe, tout comme des projets bénéficient aussi en partie, à La Réunion, de financements du ministère de l’Europe et des affaires étrangères –, mais c’est toujours, en quelque sorte, par dérogation que l’on parvient à construire ces actions, alors que ces infrastructures ont leur place dans les départements français.
Un travail doit donc être mené sur une meilleure fluidification de nos propres financements et de ceux de l’Europe, pour réduire la complexité de la démarche de fédération de financements que nous pratiquons au quotidien sur différents projets.
M. Guillaume Vuilletet, président. Sur ces sujets de coopération en matière de risques naturels, j’ai toujours été étonné que nos grandes écoles soient à Maurice, et non à La Réunion, par exemple.
M. Jérémie Sibeoni. Je partage le propos qui vient d’être tenu. Je pense que nous n’avons pas les outils pour passer à l’échelle, en particulier sur les programmes de prévention et de réduction des risques de catastrophes dans les territoires ultramarins. Pour avoir un impact fort, il nous faudrait un guichet spécifique. C’est un plaidoyer que nous partageons avec l’AFD.
Un autre sujet est que les financements en question sont de plus en plus complexes. Ils mobilisent un volume de plus en plus important de ressources. Les procédures se complexifient d’année en année, avec des exigences de redevabilité parfois difficiles à atteindre. In fine, on parle plus d’audits que de projets et d’accompagnement. Il serait donc opportun de revenir à une forme de simplification, dans l’intérêt collectif et afin de placer nos ressources au service des projets et des populations.
M. Guillaume Vuilletet, président. Il ne me reste plus qu’à vous remercier. Je vous invite à répondre au questionnaire écrit que nous vous avons communiqué, mais aussi à y adjoindre tout document ou toute contribution que vous jugerez utile.
16. Table ronde, ouverte à la presse, sur Saint-Martin et Saint‑Barthélémy – Volet État (22 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Pour cette table ronde consacrée à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous accueillons M. Fabien Sésé, secrétaire général de la préfecture de Saint-Barthélemy et Saint-Martin ; Mme Sabrina d’Habit, adjointe au chef d’unité territoriale de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) de Saint-Barthélemy et Saint-Martin ; Mme Catherine Perrais, directrice adjointe de la Deal de Guadeloupe ; M. le contrôleur général Félix Anténor-Habazac, directeur du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de Guadeloupe ; et M. le lieutenant-colonel Christophe Laurens, responsable du service territorial d’incendie et de secours (Stis) de Saint-Barthélemy.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Nous aimerions vous entendre sortir des propos convenus pour que nous puissions nous approcher aussi près que possible des réalités du terrain.
(M. Fabien Sésé, Mme Sabrina d’Habit, Mme Catherine Perrais, M. le contrôleur général Félix Anténor-Habazac et M. le lieutenant-colonel Christophe Laurens prêtent successivement serment.)
M. Fabien Sésé, secrétaire général de la préfecture de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Je représente M. Vincent Berton, préfet délégué auprès du représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, qui est absent aujourd’hui.
Saint-Barthélemy, dont la superficie est de 20 kilomètres carrés, compte 10 000 habitants. Saint-Martin, dont la superficie est de 50 kilomètres carrés, compte 32 000 habitants – pour la partie française, car elle est divisée entre deux États : le Nord est français, tandis que le Sud est un État autonome du royaume des Pays-Bas.
Ces deux collectivités d’outre-mer sont régies par l’article 74 de la Constitution ; elles sont ainsi dotées de l’autonomie et ont, en tant que collectivité unique, les compétences d’une commune, d’un département, d’une région et de l’État. Elles peuvent aussi fixer leurs propres règles dans certains domaines, notamment, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, en matière de construction, d’urbanisme, d’habitation et de logement.
L’économie des deux îles repose très largement sur le tourisme. La population de Saint-Martin est très jeune : nous sommes donc face à un grand défi d’insertion socioprofessionnelle. Plus de 2 500 jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
Les deux îles ont été très marquées par le passage de l’ouragan Irma : à Saint-Martin plus de 95 % des bâtiments ont été affectés par ce phénomène.
L’État agit fortement pour sensibiliser la population et la gestion des risques est un enjeu majeur.
La reconstruction et la réduction de la vulnérabilité intègrent ces facteurs. La reconstruction est largement derrière nous, grâce à une mobilisation exceptionnelle pour rebâtir les réseaux et les établissements scolaires comme pour relancer les entreprises. Certains équipements publics sont encore en travaux, notamment deux des trois collèges de l’île de Saint-Martin, dont la livraison est prévue à la rentrée 2025. L’État apporte un fort soutien technique et financier à ces travaux. La médiathèque est aussi en cours de reconstruction ; elle comprendra un abri anticyclonique. Reste enfin à construire un lieu qui héberge de façon pérenne les services de l’État, la préfecture ayant été totalement détruite par Irma : l’engagement de construire une nouvelle cité administrative a été pris. Elle devrait être livrée à la fin 2025.
Les reconstructions comme les constructions nouvelles doivent être encadrées, notamment en raison des risques de submersion marine. C’est l’objet du plan de prévention des risques naturels (PPRN), dont le volet relatif à la submersion marine a été révisé en novembre 2021. Après plus de deux ans d’application, il est maintenant bien connu et appliqué. L’État contrôle l’ensemble des autorisations d’urbanisme délivrées à Saint-Martin.
Je voudrais insister sur la lutte contre l’habitat indigne et dégradé. Selon les données du programme spatial Copernicus de 2022, 9 % du bâti restait impropre à l’habitation et à l’exercice d’autres activités. Au-delà des aspects sociaux et sanitaires, il est important, dans le respect des compétences de la collectivité, que nous puissions ensemble résorber cet habitat, car il fournit aussi des projectiles en cas d’événement climatique majeur. Des pôles territoriaux de lutte contre l’habitat indigne ont donc été créés, à Saint-Martin en juin 2023 et à Saint-Barthélemy en décembre 2023. Un soutien en ingénierie de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a été acté pour Saint-Martin. Nous nous efforçons de faire évacuer les terrains occupés de façon irrégulière, là encore afin de réduire les vulnérabilités, en particulier là où il pourrait y avoir des projectiles.
En ce qui concerne la gestion de crise, nous avons beaucoup progressé dans notre capacité à répondre aux événements majeurs. Notre organisation Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) a été consolidée. Les dispositions générales et spécifiques aux cyclones du plan Orsec ont été refondues en 2020 ; le plan est en cours de mise à jour. Sous l’impulsion du préfet, notre centre opérationnel départemental (COD) a été réorganisé sur le plan spatial.
À Saint-Martin, des pillages ont eu lieu après le passage d’Irma. Pour les prévenir, nous avons mis en place un plan de prépositionnement et de quadrillage par les forces de gendarmerie de l’île. Un prépositionnement de l’armée est également prévu. Des sirènes d’alerte, qui n’existaient pas à Saint-Martin, ont été installées en 2022. Le préfet a pris la décision qu’un membre du corps préfectoral sur place se rendra à Saint-Barthélemy en cas de crise majeure, afin d’assurer la continuité de la direction des opérations. Des réunions hebdomadaires se tiennent en période cyclonique ; elles réunissent tous les services, en particulier ceux des collectivités avec lesquels l’articulation est essentielle.
Des actions nouvelles ont été mises en place pour préparer la population et pour communiquer, avec notamment des interventions des sapeurs-pompiers dans les écoles lors de la « semaine sismik ». Des affiches et des kits de préparation sont distribués, afin que chacun sache comment se comporter.
L’une des spécificités de Saint-Martin est que le média radio est très écouté. Des protocoles ont donc été signés avec deux radios de Saint-Martin : en cas de crise, elles seront présentes dans le centre opérationnel, de façon à transmettre à la population l’ensemble des décisions prises et de les informer des comportements qu’il convient d’adopter.
La coopération avec Sint Maarten est essentielle. La frontière n’est pas matérialisée : l’île constitue un seul bassin de vie. Des fonctions d’officier de liaison ont été définies afin d’assurer une coordination et des échanges aussi fluides que possible en situation de crise. Nous menons aussi des projets communs. Ainsi, nous avons achevé fin 2022 l’enlèvement des quelque 120 épaves échouées lors du passage d’Irma dans le lagon, binational. Cette opération a été majoritairement financée par les fonds européens, dans le cadre du programme Interreg, qui constitue un instrument de coopération qui a démontré toute son utilité. On peut aussi citer la construction d’un radar météo à Sint Maarten, qui se termine. Nous disposerons ainsi de données bien plus fiables.
Les pouvoirs publics – État, mais aussi collectivités – sont donc bien mieux préparés qu’ils ne l’étaient avant le passage d’Irma. Le passage de l’ouragan de catégorie 1 Tammy à la fin du mois d’octobre dernier nous a permis de le vérifier et de tester nos dispositifs, même s’il n’a heureusement pas causé de dégâts. Nous sommes donc prêts à faire face à de futures crises majeures.
Mme Catherine Perrais, directrice adjointe de la Deal de Guadeloupe. La Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) a son siège en Guadeloupe, mais depuis le passage d’Irma, une unité territoriale (UT) spécifique est installée à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, afin d’être au plus près du terrain, notamment en matière de gestion des risques. Nous travaillons en étroite collaboration avec cette unité, qui est parfaitement intégrée à la Deal. Ses agents peuvent bénéficier de l’appui de nos cellules expertes installées en Guadeloupe.
La Deal, comme M. le secrétaire général l’a rappelé, a un rôle multiple. Elle s’occupe, entre autres, de l’élaboration du PPR et de l’accompagnement en matière de prévention des risques, dans l’ensemble des axes. Elle développe, plus spécifiquement, la connaissance du risque : elle est la cheville ouvrière du plan de prévention des risques naturels, qui permet à la collectivité d’intégrer le risque dans l’aménagement du territoire. L’objectif est d’accompagner le développement d’une culture du risque, grâce à l’information préventive – plusieurs campagnes de communication ont eu lieu. Nous avons aussi un rôle d’accompagnement de la collectivité dans le cadre de ses compétences propres, notamment la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), pour l’élaboration d’un programme d’action de prévention des inondations (Papi), qui complète le PPR et permet d’agir par des opérations de réduction de vulnérabilités du bâti.
S’agissant du PPR, qui est un document phare pour la prise en compte du risque d’inondation, nous avons souhaité, en 2021, une démarche très collaborative avec la COM (collectivité d’outre-mer) et les habitants, afin qu’il y ait une véritable appropriation du risque et que ce document ne soit pas vécu comme imposé par l’État, mais qu’il soit, au contraire, vraiment coconstruit avec la collectivité. Il faut, je l’ai dit, développer la culture du risque : souvent, en particulier pour les risques cycloniques, l’habitant est le premier acteur de sa mise en sécurité. Beaucoup de séances d’explication, de pédagogie ont eu lieu dans le cadre de la concertation publique avec les habitants, pour permettre une bonne compréhension de la zone concernée et, si un événement se produit, une action en conséquence. Le risque cyclonique et de submersion marine est différent du risque de séisme, qui peut être immédiat et complètement imprévisible : il laisse des délais, qui permettent d’assurer la sécurité des habitants et, dans le pire des cas, des évacuations.
M. le contrôleur général Félix Anténor-Habazac, directeur du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de Guadeloupe. Il existe un seul centre de secours à Saint-Martin, qui se situe à La Savane et qui est armé par environ quatre-vingts personnes. Pour tous les événements climatiques, qui sont en général prévisibles, nous détachons, de manière préventive, entre douze et vingt personnes dans l’île.
Même si nous sommes des gens de l’après, si je puis dire, puisque nous intervenons après l’événement, nous participons à la préparation de la réponse aux crises, dans le cadre d’ateliers de sensibilisation auprès de la population, de formations – tout notre personnel est formé au sauvetage-déblaiement – et de visites des abris anticycloniques, qui sont essentiels dans un si petit territoire.
Nos effectifs, qui peuvent être portés à cent personnes en cas de crise, disposent de plusieurs véhicules – je ne développerai peut-être pas ce point, à ce stade – qui permettent d’assurer les premières interventions.
Saint-Martin est un petit territoire : il est sûr que tout phénomène cyclonique d’ampleur touchera tout le monde, y compris les renforts envoyés au préalable, ce qui complique parfois la gestion des crises.
M. le lieutenant-colonel Christophe Laurens, responsable du Stis de Saint-Barthélemy. Le service d’incendie et de secours dont j’assure actuellement le commandement est un service de la collectivité de Saint-Barthélemy. Nous restons une petite structure, puisque nous comptons quatorze sapeurs-pompiers professionnels et quarante-sept sapeurs-pompiers volontaires, qui sont équipés d’une douzaine d’engins.
J’assure également les missions de COS (commandant des opérations de secours), en lien avec le DOS (directeur des opérations de secours), qui est le représentant de la préfecture, et le président de la collectivité.
Nous nous appuyons sur un document structurant, le Stacr (schéma territorial d’analyse et de couverture des risques), et un règlement opérationnel qui comporte des directives opérationnelles cycloniques. Un PTS, plan territorial de sauvegarde, réalisé par le Stis, est par ailleurs en cours de validation par les différentes instances de la collectivité.
J’ajoute enfin que nous avons intégré, il y a environ deux ans, le service de sécurité civile de la collectivité.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Cette commission d’enquête a pour objectifs de faire un état des lieux en ce qui concerne les événements passés et leur prise en compte, c’est-à-dire la façon dont l’expérience a permis de modifier les plans de prévention, notamment les plans Orsec, et de voir, dans le cadre d’un second état des lieux, dans quelle mesure les territoires ultramarins français sont capables de résister aux aléas, divers et variés, qui les frappent régulièrement. L’expérience de Saint-Martin est, bien sûr, très précieuse, et nous avons aussi celle, plus récente et un peu différente, de La Réunion, qui a été concernée par un cyclone.
Pensez-vous que, dans l’état actuel des choses et pas loin de sept ans plus tard, un nouvel événement du même type aurait des effets significativement différents en matière de mise à l’abri, d’approvisionnement et de préservation du bâti ?
Vous nous présentez, et je le comprends, les démarches de modification des plans Orsec et du PPRN comme se passant bien, mais ce n’est pas ce que suggère le suivi de l’actualité. Il y a eu des émeutes au moment de la présentation des premières versions du PPRN, qui a fait l’objet de fortes résistances. Je tiens également à citer ce qu’a déclaré Mme Girardin, ancienne ministre des outre-mer, à propos de Saint-Martin : « Après Irma, on avait rêvé, avec la reconstruction, d’en faire une île d’exception, un exemple pour tous les territoires ultramarins. Cela ne s’est pas fait, car je pense qu’on avait sous-estimé la détresse, la pauvreté présente sur l’île aussi ». Je suis persuadé que la préfecture examine avec toute la rigueur nécessaire les demandes d’autorisation d’urbanisme qui lui sont soumises, mais qu’en est-il de l’habitat illégal, qui correspond très souvent à des biens indignes ? Comment fait-on ? A-t-on, oui ou non, pour l’ensemble des populations présentes, y compris celles en situation irrégulière, un habitat ou un mode de gestion de crise permettant d’assurer la mise à l’abri ? Comment lutte-t-on, par ailleurs, contre l’habitat informel ?
En matière d’approvisionnement, j’ai bien noté, et je pense que c’est en effet une très bonne chose, qu’il existe maintenant un prépositionnement de forces de sécurité et de secours, ce qui devrait permettre d’éviter les pillages, presque généralisés, qui se sont déroulés juste après le passage d’Irma. Si ces pillages ont eu lieu, néanmoins, c’est sans doute parce qu’il y avait eu quelques attitudes opportunistes, inciviques, de la part de gens qui voulaient profiter de la situation et aussi, plus simplement, parce que des personnes étaient dépourvues de ressources, en particulier pour s’alimenter. Une organisation a-t-elle été prévue, depuis, pour assurer l’approvisionnement de l’ensemble de la population ?
On nous a souvent fait remonter le problème de la liaison avec la Guadeloupe, si proche et pourtant un peu lointaine, en particulier en matière d’evasan – évacuation sanitaire. A-t-on adapté, à la suite d’Irma, le système prévu en la matière, afin de pouvoir évacuer facilement et complètement les personnes qui seraient touchées ?
Enfin, comment prend-on en compte la question des protections naturelles, comme celle offerte par la mangrove, qui est très précieuse en matière de submersion, pour limiter les effets des aléas naturels ? Existe-t-il un programme de restauration et de préservation, dans une logique de prévention des risques ?
Mme Catherine Perrais. Au cas où un nouvel événement majeur se reproduirait – nous ne sommes pas à l’abri, en effet –, tout l’effort qui a été réalisé était de préparer la gestion de crise. À mon avis, le territoire est mieux préparé.
S’agissant de l’élaboration du PPR, des émeutes ont eu lieu, effectivement, à la suite des premiers travaux qui ont été menés. Je n’étais pas encore en poste, mais je sais que la question était extrêmement sensible. Il y avait, au sein de la population, la crainte d’être expulsé de son habitation. Je crois qu’un travail de fond a été réalisé : nous avons déployé beaucoup d’énergie et d’efforts pour que le PPR fasse vraiment l’objet d’une collaboration avec le territoire, au plus près de lui, et c’est pourquoi ce document a ensuite pu être approuvé sans autre événement du même type. Le PPR a été accepté et joue désormais son rôle, y compris sur le long terme, puisque son objectif est aussi d’éviter qu’on construise dans les zones plus à risque. Le PPR a un rôle de planification : il vise à ce qu’on intègre le risque dans l’aménagement du territoire, et c’est pourquoi nous voulions une pleine adhésion de la collectivité. Il reste tout un chantier à mener, qui est celui de la réduction de la vulnérabilité des habitations existantes. C’est un travail de longue haleine, mais le Papi devrait notamment permettre de trouver des solutions.
S’agissant de la reconstruction de l’habitat et de la question portant sur l’alimentation, je laisserai plutôt mes collègues de Saint-Martin vous apporter des précisions, car ils sont au plus près du terrain.
Nous avons aussi vécu quelques épisodes très compliqués en Guadeloupe. Tout ce qui relève des plans communaux de sauvegarde se met en œuvre, notamment des projets d’abris, qu’on finance par le fonds Vert.
On peut, bien sûr, construire des liens forts pour assurer la mise en sécurité et, ensuite, des évacuations depuis Saint-Martin, mais c’est plutôt une question relevant de la gestion de crise, à laquelle je laisserai donc M. le secrétaire général répondre.
En ce qui concerne l’habitat, nous avons des équipes qui se mobilisent aux côtés de l’UT de Saint-Martin pour appuyer tous les programmes et les démarches opérationnelles de résorption de l’habitat indigne.
M. le contrôleur général Félix Anténor-Habazac. En cas de catastrophe, dans une île, la première chose à faire est de sécuriser l’aéroport et le port afin de pouvoir mettre en place, avec les militaires, des norias d’évacuation sanitaire grâce à des avions civils ou militaires.
M. le lieutenant-colonel Christophe Laurens. Saint-Barthélemy se trouve à 250 kilomètres de la Guadeloupe et à 25 kilomètres de Saint-Martin. Sa population est de 10 585 habitants pour une densité de 500 habitants au kilomètre carré. Les gros-porteurs ne peuvent atterrir sur notre aéroport, puisque celui-ci ne dispose que d’une piste de 640 mètres, et notre port ne peut accueillir de gros bateaux.
Les Retex de l’événement Irma, d’une intensité exceptionnelle, ont été pris en compte dans différents domaines. Nous avons en effet la particularité de pouvoir armer un centre opérationnel territorial (COT) coordonnant les services de la collectivité et de l’État. Parmi les améliorations, la présence du secrétariat général de la préfecture lors des exercices que nous réalisons chaque année. Le COT comprend plusieurs cellules : décision, communication, anticipation, action et santé. Nous disposons de quatre abris sûrs et de trois postes de secours dont la capacité d’accueil progressive est de 177 lits.
Nous sommes confrontés à l’ensemble des risques naturels, mais n’oublions pas que chaque territoire est différent en termes de population, d’habitat, de constructions et de desserte. En cas d’événement, la Guadeloupe est une plateforme aéroportuaire de première intention, à condition, bien entendu, qu’elle n’en subisse pas elle aussi les conséquences.
Les évacuations sanitaires posent problème et je rejoins l’analyse de M. le contrôleur général. Nous avons de très bonnes relations avec l’hôpital local, avec lequel notre direction de la santé maintient des échanges réguliers. En cas d’événement majeur, la présence de médecins urgentistes supplémentaires est nécessaire. Des contacts sont d’ailleurs en cours avec l’agence régionale de santé (ARS) afin que notre COT et celui de Saint-Martin puissent bénéficier de la présence d’un cadre de l’ARS en cas d’événement.
En ce qui concerne les actions de coopération, nos relations avec les Sdis de Saint-Martin et de Guadeloupe sont encadrées par diverses conventions. Nous souhaitons également améliorer la coopération avec la brandweer – les pompiers hollandais – de Sint Maarten, avec l’aval du président de notre collectivité et dans un cadre défini par l’état-major zonal, avec lequel j’échangeais encore hier dans le cadre d’une visite. Cette coopération pourrait notamment se développer dans le domaine de la formation opérationnelle, notamment par la mise à disposition des installations des pompiers hollandais. Il existe des contacts avec l’ambassade de France.
Nous recommandons de poursuivre les efforts entrepris depuis plusieurs années pour l’information et la sensibilisation de la population, notamment vers des publics ciblés, comme celui des écoles. Des améliorations doivent être apportées à la prise en compte de la population touristique, et notamment des personnels saisonniers disposant de logements et qui sont l’objet d’un important turnover. Nous sommes à cet effet en contact avec les hôtels et les restaurants.
Les actions d’amélioration des capacités opérationnelles doivent se poursuivre dans la durée. Nous continuons ainsi à mener, au niveau local comme au niveau zonal, des exercices cadres interservices. Nous menons également des actions de planification en collaboration avec la préfecture et, depuis deux ou trois ans, avec le service interministériel de défense et de protection civile (SIDPC). Pour la phase d’alerte, nous avons, à la suite d’Irma, acquis des téléphones satellitaires et les réseaux téléphoniques ont été enfouis. La collectivité dispose ainsi d’un réseau interne.
De nombreux élus se sont engagés avec volonté et détermination à développer la formation de gestion de crise, en partenariat avec l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (Ensosp) et les conseillers « mission sécurité, sûreté et audit » (Missa). Cette formation de nos élus et des différents acteurs de la gestion de crise, notamment ceux travaillant dans le cadre du COT, permet à tous de parler le même langage.
L’urbanisme ne rentre pas dans le champ de mes compétences. Le règlement d’urbanisme territorial et le code de la construction sont en cours de modification pour prendre en compte l’ensemble des mesures anticycloniques. Chaque territoire étant différent, nous prenons en compte les paramètres liés à l’habitat et à la construction afin de limiter les dégâts matériels.
Je tenais enfin à souligner l’esprit de solidarité de la population de Saint-Barthélemy. Grâce à la mise à disposition de moyens privés dans la phase post-crise, en coordination avec les moyens publics gérés par les services de la collectivité, les axes de circulation reliant l’aéroport, le port et l’hôpital ont pu être dégagés rapidement. Le prépositionnement des moyens de sécurité civile en détachement préventif sur place a permis, dès la fin de l’événement, de procéder au déblaiement et à la reconnaissance. Une des suites du Retex au sein du Stis a été la création d’une cellule drone afin de procéder à des reconnaissances facilitant la remontée rapide d’informations précises vers le COT de Saint-Martin.
M. Fabien Sésé. Nous n’avons pu entendre la fin de vos questions, car nous avons été déconnectés.
Nos actions visent à améliorer la réponse à la crise avec des effets concrets. C’est le cas du prépositionnement des forces de gendarmerie, testé lors de l’ouragan Tammy à la fin du mois d’octobre dernier, qui permet de surveiller les magasins et de prévenir les pillages, répondant ainsi de façon sous-jacente à la question de l’approvisionnement. L’effet majeur recherché reste celui de la protection des vies humaines. Nous avons notamment procédé, dans le cadre de la refonte du COD, au recensement des populations vulnérables des deux collectivités, qui peuvent se trouver dans des situations d’habitat indigne, afin de pouvoir mettre à leur disposition des abris sûrs. Nous sommes confrontés à l’occupation illégale de terrains, où peuvent être déposés des déchets ou entreposés des matériaux encombrant les voies de circulation ou même l’aéroport. Des actions concrètes sont en cours, y compris par la voie judiciaire, pour désencombrer l’aéroport, afin de prévenir toute difficulté en cas d’évacuation sanitaire. L’aéroport de Grand-Case fait d’ailleurs l’objet de travaux de reprise structurelle afin d’améliorer la résistance de la piste. Nous prévoyons également de prépositionner des forces armées et des forces de sécurité, car l’aéroport est un site stratégique.
Mme Sabrina d’Habit. Les recommandations de la mission Lacroix sur la reconstruction du territoire, constituée à la suite des émeutes de 2019, ont été prises en compte lors des concertations pour l’élaboration du plan de prévention des risques naturels (PPRN). Elles ont permis de reconstruire et de le faire mieux, notamment en prenant en compte la réduction de la vulnérabilité. C’est un travail de longue haleine qui va prendre des années, mais si Irma devait passer à nouveau sur le territoire, ses effets ne seraient pas les mêmes et nous n’avons pas connu de nouvelles émeutes depuis 2019. Je souligne que le PPRN a été accepté et qu’il a été adopté par la collectivité grâce à un vote totalement favorable.
La lutte contre l’habitat indigne fait l’objet de deux protocoles sur les deux territoires, qui sont en cours de signature. À Saint-Martin, des actions avaient déjà été mises en place à partir de 2018. Elles avaient permis de faire remonter de nombreux signalements. Les travaux, qui avaient été interrompus en raison du covid, ont repris l’année dernière et les signalements sont traités dans le cadre des arrêtés et du protocole.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je transmettrai par écrit quelques questions plus spécifiques, car nous ne pouvons pas tout traiter dans le temps imparti aux auditions.
Dans le cadre de mes fonctions de président de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, je me suis rendu à Saint-Martin. À cette occasion, il m’avait été fait part des difficultés d’approvisionnement en eau liées à l’impossibilité de l’échange des ressources entre les deux parties de l’île en raison de leur statut différent – région ultrapériphérique (RUP) et pays et territoires d’outre-mer (Ptom). Qu’en est-il aujourd’hui ? Existe-t-il des protocoles particuliers ? Que se passerait-il si un événement, même moins intense qu’Irma, venait perturber la vie courante de l’île ?
M. Fabien Sésé. Il y a eu des avancées sur ce sujet depuis votre visite à Saint-Martin. La collectivité et Sint Maarten ont conclu à la fin de l’année dernière un accord permettant d’ouvrir la voie à une interconnexion de leurs réseaux d’eau. En cas de crise sur une partie de l’île, il serait donc possible que l’autre partie l’approvisionne en eau. Par ailleurs, l’État suit avec attention les travaux de rénovation et réhabilitation de l’outil de production et du réseau, notamment pour limiter les fuites. Des investissements sont encore nécessaires afin de prévenir des situations de crise et de garantir l’approvisionnement courant.
M. le président Mansour Kamardine. Personne ne demandant la parole, il me reste à remercier les intervenants.
17. Table ronde, ouverte à la presse, sur Saint‑Martin et Saint‑Barthélemy – Volet collectivités (22 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons nos travaux avec l’audition du président et de la directrice des risques majeurs de la collectivité de Saint-Martin, M. Louis Mussington et Mme Mélodie Illidge, et du président de la collectivité de Saint-Barthélemy M. Xavier Lédée. Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et restera ensuite disponible à la demande.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je me permets d’y insister, car nous considérons qu’un serment est très puissant. Je souhaite que les réponses que vous nous donnerez sortent du cadre convenu et que les propos que nous formulerons viennent du fond de nous-mêmes, qu’ils soient non seulement sincères, mais encore l’occasion pour nous de sensibiliser ceux qui nous ont mandatés au sujet des risques majeurs qui pèsent sur les collectivités d’outre-mer.
(M. Louis Mussington, M. Xavier Lédée et Mme Mélodie Illidge prêtent successivement serment.)
M. Louis Mussington, président de la collectivité de Saint-Martin. Je tiens à exprimer ma gratitude pour l’occasion qui m’est offerte de présenter notre politique de gestion des risques naturels majeurs à Saint-Martin, dans un contexte marqué par le passage de l’ouragan Irma en 2017 et par les efforts de reconstruction qui l’ont suivi.
Il m’incombe de souligner l’importance cruciale de la collectivité de Saint-Martin au sein du dispositif d’organisation de la réponse de sécurité civile, plus communément nommé plan Orsec, de la préfecture de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Notre collectivité constitue en effet un maillon essentiel de la coordination et de l’exécution des actions visant à protéger nos concitoyens et à restaurer notre territoire après la survenance de crises. Mme Illidge vous présentera les divers dispositifs que nous avons instaurés depuis 2017.
La phase de reconstruction qui a suivi Irma a présenté des défis notables, du fait notamment des retards liés aux troubles qu’a suscités l’approbation du plan de prévention des risques naturels (PPRN) en 2019. Suite au retrait de la première mouture de ce PPRN, à l’issue de fortes mobilisations dans les rues de Marigot, des réunions de concertation et des formations ont été organisées dans les quartiers. Ces dernières ont facilité la prescription d’un nouveau PPRN en 2021.
Cette approche a contribué à accélérer la reconstruction en zone littorale en même temps que la réduction de la vulnérabilité. Elle a permis, par exemple, le lancement de la construction de l’hôtel Beach Plaza, à Marigot, sur le fondement d’une décision consciente de ne plus autoriser l’aménagement de chambres au rez-de-chaussée. La collectivité a entrepris des projets de grande envergure, en particulier l’édification du collège 600 à Quartier-d’Orléans et du collège 900 à La Savane, conçus pour faire face aux risques futurs. Ils pourront servir d’abris anticycloniques, ce qui doublera la capacité existante.
De plus, la conception d’un centre consacré à la gestion de crise, qui renforcera notre résilience, est en cours. Nous étudions en parallèle le projet de construction d’une cité administrative, nécessaire au regroupement de l’ensemble des services de la collectivité. En effet, beaucoup de nos bâtiments ayant été sérieusement endommagés par Irma, nos services sont actuellement éparpillés dans des locaux dont la location nous coûte très cher.
Nous observons une amélioration significative de notre collaboration avec la préfecture et les différents services de l’État, qui se traduit par une préparation conjointe de notre territoire et une protection renforcée de la population. Cependant, il est crucial de souligner que le suivi des dossiers est entravé par un turnover persistant à la préfecture – relevé par la recommandation n° 16 du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur les risques naturels majeurs, déposé le 24 juillet 2018.
Les fonds européens ont joué un rôle déterminant dans la réalisation de divers projets, en particulier le déploiement d’outils de mesure dont nous manquions cruellement lors du passage de l’ouragan Irma : un marégraphe au port de Galisbay, un radar météo à Saint‑Peters, ainsi qu’un houlographe, installé grâce au projet Carib-Coast mené par le Bureau de recherches géologiques et minières, dans le cadre des programmes Interreg.
La coopération avec Sint Maarten a été consolidée par la signature d’un arrangement administratif en matière de gestion de crise, en 2019, et d’un memorandum of understanding, un protocole d’entente ayant pour objet l’approvisionnement en eau de la partie française par l’usine de production située du côté hollandais, en décembre 2023.
En ce qui concerne la préparation et la réponse sanitaires, nous reconnaissons la nécessité impérieuse d’anticiper le suivi psychologique de la population à long terme, eu égard à la pénurie actuelle de professionnels en psychologie dans notre territoire.
Par ailleurs, nous envisageons de discuter avec l’État de la possibilité de privilégier le recrutement de personnel médical local, afin d’endiguer les départs constatés dans le secteur de la santé. Le problème est d’ailleurs le même dans le secteur éducatif : suite au passage dévastateur d’Irma, plus de 80 % du corps enseignant du territoire de Saint-Martin a abandonné l’île pour se réfugier à Pointe-à-Pitre ou même en métropole. Dans le secteur médical donc, 80 % du personnel de santé a quitté le navire, vidant l’hôpital de sa substance. Ceux qui sont restés, dont je salue le dévouement à la cause saint-martinoise, ont tenu la maison. Mais le départ de tant d’enseignants, jusqu’à leur retour forcé par l’éducation nationale, a reporté la rentrée scolaire de 2017 à la mi-octobre, et le secteur de la santé a été paralysé pendant la même période. D’où notre insistance, que je souligne encore, sur la nécessité pour notre collectivité de disposer d’un personnel enseignant et d’un personnel de santé stables, alors que nous ne produisons pas suffisamment de personnel qualifié dans ces secteurs.
Nous sommes pleinement conscients des obstacles que nous devons surmonter et des enseignements tirés de notre expérience de l’ouragan Irma. Nous nous engageons résolument à renforcer notre résilience, à améliorer notre coordination avec les autorités locales et nationales, et à optimiser l’utilisation des ressources à notre disposition pour assurer la protection de nos concitoyens et la reconstruction de notre magnifique île.
Mme Mélodie Illidge, directrice des risques majeurs de la collectivité de Saint-Martin. Merci de me donner l’occasion de vous exposer les avancées réalisées depuis le passage de l’ouragan Irma, avec en particulier la création d’une direction des risques majeurs.
Face aux phénomènes cycloniques, la direction des risques majeurs agit dans plusieurs domaines : la connaissance des phénomènes ; la surveillance, la prévision et l’alerte ; l’information préventive de la population ; la prise en compte des risques dans l’aménagement du territoire ; la réduction de la vulnérabilité, avec son volet d’information de la population ; la préparation et la gestion des crises ; enfin, la gestion des retombées des crises et les retours d’expérience.
Le recensement des aléas s’effectue en partenariat avec des chercheurs. Un rapport de Météo‑France retrace l’historique des phénomènes cycloniques depuis le XVIIIe siècle, même si les archives manquent. Depuis les années 1950 et la décision de leur attribuer des prénoms, six tempêtes tropicales et quinze ouragans ont été recensés, dont six entre 1995 et 2000. À l’aune de ces chiffres, il est possible de mesurer la récurrence des phénomènes cycloniques. Ainsi, Saint-Martin est en moyenne confrontée à un phénomène cyclonique tous les quatre à cinq ans, dont un phénomène majeur tous les vingt ans, comme l’illustrent les ouragans Luis, en 1995, et Irma, en 2017.
J’en viens au bilan des dispositifs créés depuis le passage d’Irma, à nos retours d’expérience et aux recommandations émises par les chercheurs et par l’Assemblée nationale et le Sénat, dans leurs rapports.
La collectivité a d’abord mis à jour son plan territorial de sauvegarde. Ce dernier était essentiellement axé sur les ouragans majeurs mais depuis le passage de Tammy en octobre 2023, nous avons compris qu’il était nécessaire d’en décliner une version adaptée aux tempêtes tropicales, car les dispositifs ne sont pas les mêmes.
Nous avons institué un poste de commandement sûr, qui nous avait manqué face à Irma. Nous disposons donc dorénavant d’un lieu autonome en énergie, en eau et en vivres, et doté de téléphones satellitaires pour demeurer joignables même en cas de défaillance des réseaux téléphoniques.
Autre nouveauté, nous avons dressé une carte des enjeux, qui permet au président et aux différents services, en particulier l’armée et la sécurité civile, d’identifier aisément après l’événement les lieux les plus importants – hôpital, port… – et ceux où se trouvent les personnes les plus fragiles.
S’agissant de la protection de la population, il existait des abris cycloniques avant le passage d’Irma, mais qui étaient petits et dispersés. Nous les avons recentrés et disposons désormais de sept abris d’une capacité totale de 1 500 places, contre 371 auparavant. Les collèges évoqués par le président Mussington s’y ajouteront, réduisant la vulnérabilité des populations environnantes.
Mon ancien directeur et moi-même avons développé une nouvelle stratégie d’armement des abris. Dans l’ancien dispositif, ces derniers n’avaient aucun espace de stockage : le matériel nécessaire était stocké dans des containers situés au port et devait être transporté dans chaque abri par les services techniques de la collectivité en amont des phénomènes, ce qui était très contraignant. À présent, chaque abri sera doté d’un container renfermant tout le matériel requis.
Nous avons aussi mis à la disposition des habitants des bus destinés à acheminer vers les abris ceux qui ne peuvent s’y rendre par eux-mêmes.
Nous avons instauré un recensement des personnes vulnérables qui souhaitent rejoindre les abris et leur offrons le transport en ambulance. Avec l’accord du président, nous avons prévu la présence dans les abris d’aides-soignants et d’infirmières, afin d’assurer à ceux qui en ont besoin, souvent des personnes âgées, la poursuite de leurs traitements médicaux.
Dans les retours d’expérience du passage d’Irma, je commencerai par la question de l’eau. Le mémorandum d’entente auquel faisait allusion le président permettrait l’approvisionnement du côté français en eau potable si le fonctionnement de son usine de dessalement venait à s’interrompre. Nous avons également disposé des stocks stratégiques dans les abris : trois palettes d’eau chacun, qui permettent de subvenir aux besoins des personnes qui s’y trouvent pendant quatre-vingt-seize heures.
S’agissant des télécommunications, nous avons assisté après Irma à la propagation de fake news, annonçant notamment un deuxième ouragan dans les quarante-huit heures, ce qui a alimenté un climat d’insécurité et entraîné d’importants mouvements vers l’aéroport. Depuis, la quasi intégralité des réseaux, qu’ils soient électriques ou de télécommunication, ont donc été enfouis.
La collectivité dispose d’un système d’alerte par SMS qui permet, dans l’attente du déploiement de FR-Alert, de communiquer et d’informer la population. Nous avons aussi installé, en collaboration avec la préfecture, des sirènes SAIP (système d’alerte et d’information des populations), permettant d’annoncer les changements de phase pendant l’alerte.
À Saint-Martin, un gros problème de la phase post-événement a été celui du stockage des déchets et du nettoyage des routes, qui étaient jonchées de nombreux débris. Depuis lors, nous avons établi un plan de déblaiement des routes, découpant le territoire en cinq secteurs. Dans chacun, une entreprise de bâtiment et travaux publics (BTP), positionnée avant le phénomène, sortira nettoyer les routes dès le passage en vigilance grise pour permettre la circulation des services de sécurité civile et de secours.
Pour ce qui est de la sensibilisation de la population, le plan territorial de sauvegarde, document destiné à anticiper les risques majeurs et à recenser les moyens dont dispose la collectivité, est communicable à la population et se double d’un plan d’information territoriale sur les risques majeurs. Une déclinaison destinée aux jeunes est en cours d’édition et sera présentée dans les écoles.
Enfin, beaucoup de gens ont voulu venir à l’aide après Irma, sans pouvoir le faire. Nous avons donc créé une réserve territoriale de sécurité civile pour permettre à ceux qui le veulent de venir en aide à la population en situation de post-événement.
M. Xavier Lédée, président de la collectivité de Saint-Barthélemy. Comme cela a été dit, la résilience est dans l’ADN des habitants et des natifs des îles. Entre les ouragans Irma en 2017 et Luis en 1995, qui sont les deux événements majeurs ayant frappé nos îles dans les dernières décennies, une dizaine d’événements cycloniques moins forts ont touché nos collectivités, avec néanmoins un impact suffisant pour contraindre des travaux ou retarder une saison touristique. Les retours d’expérience sont donc essentiels, même si chacun de ces phénomènes successifs diffère des précédents, de telle sorte que nous devons toujours travailler à améliorer notre réponse.
À Saint-Barthélemy, l’ouragan Irma a eu un impact considérable. L’une des difficultés rencontrées tenait au déploiement des forces et des soutiens amenés sur place, avec un préfet délégué pour les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ces dernières sont généralement frappées de la même manière, ce qui rend difficile que l’une puisse compter sur l’autre en pareil cas. Il peut être également difficile de compter sur la Guadeloupe car, très souvent, à vingt-quatre heures près, la situation est incertaine. Ainsi, en 1995, l’ouragan Luis avait infléchi sa trajectoire vers le sud vingt-quatre heures avant de toucher Saint-Barthélemy, si bien que c’est la Guadeloupe qui avait été mise en alerte. En 2017, le cyclone Irma avait provoqué des inquiétudes assez similaires. Il est donc difficile de déployer des moyens en stand-by à un endroit ou à un autre, ce qui a nécessairement des conséquences en termes de délai d’action. Un vrai travail s’impose sur ce point.
Désormais, la présence de la préfecture à Saint-Barthélemy lors des événements cycloniques, avec une répartition des compétences entre le préfet et le secrétaire général, représente un véritable avantage : au passage d’Irma, il n’y avait personne et les moyens de communication étaient hors service au lendemain de l’événement.
L’une des forces de la collectivité est que l’ensemble de la population sait se préparer. Les entreprises de BTP s’organisent en collaboration avec les services techniques et le Centre opérationnel territorial (COT), de telle sorte que les moyens humains et matériels sont généralement disponibles dès la première minute de la levée des interdictions de circulation et peuvent immédiatement commencer à travailler pour déblayer, nettoyer et rendre les accès disponibles le plus vite possible.
Le service départemental d’incendie et de secours fait partie intégrante de la collectivité et la collaboration est donc très fluide. Dans les prochaines semaines s’achèvera la construction, entreprise après l’ouragan Irma, d’une nouvelle caserne – au sens large, car elle abritera aussi, entre autres, le COT lorsqu’il sera déclenché, la sécurité civile ainsi qu’un centre de veille. Tout cela permettra d’optimiser les moyens car, même préparés, nous avons été surpris par la puissance inédite du phénomène Irma. Cependant, bien que cet ouragan soit présenté comme le plus important à ce jour, Saint-Barthélemy n’a pas subi d’inondation, car le phénomène a été peu riche en pluie et très rapide.
Malgré le retour d’expérience que nous tirons d’Irma, une vulnérabilité demeure, car la capacité d’absorption de l’île s’est fortement réduite depuis 1995 avec l’avancée des constructions. Les risques sont évalués et nous y travaillons, en lien avec l’université de Montpellier 3, qui étudie le trait de côte et le risque cyclonique. Trois fois par an au moins, nous organisons des exercices de COT pour mettre tout le monde dans la boucle et nous assurer que nous restons sur le qui-vive, prêts à réagir le jour J. Un schéma territorial d’analyse et de couverture des risques a été voté en 2021 et son règlement opérationnel a été validé par le conseil territorial à l’été 2023. Nous disposerons aussi d’un plan territorial de sauvegarde, dont l’arrêté, actuellement au stade de la dernière lecture, sera pris dans les prochaines semaines. Nous sommes enfin en train de renforcer la réserve de sécurité civile existante : les documents opérationnels dont je vous parle permettront de mieux cibler les besoins et les personnes qui, sur l’île, disposent de l’expérience et du savoir nécessaires, car les moyens humains de la collectivité et ceux qui peuvent être mis à disposition par les services partenaires restent, malgré tout, limités.
Pour en revenir Irma, une grande partie du travail a été accomplie par des acteurs privés, même si nous disposions d’une réserve de sécurité civile et de services techniques qui, comme le cabinet du président, ont accompli un énorme travail. Ces acteurs privés ont pu, dans l’urgence, trouver des solutions, par exemple dans le domaine des communications : au lendemain d’Irma, nous avons été capables d’installer un réseau wifi en empilant des batteries de voiture pour disposer d’une capacité à émettre. Cette expérience nous a conduits à mettre en place un réseau wifi, que nous avons d’ailleurs baptisé réseau Irma, qui n’est pas disponible au quotidien mais que la collectivité peut ouvrir à tout moment en cas de force majeure.
La collectivité a également équipé le service d’incendie et de secours de drones qui lui donnent une capacité d’action et de réaction beaucoup plus rapides. Ils peuvent être déployés très rapidement sur un site et fournir un visuel permettant d’optimiser le choix des moyens à engager. Faute de moyens humains, nous nous efforçons ainsi d’optimiser les moyens technologiques.
Nous avons évidemment renforcé les liens avec nos partenaires, et tout particulièrement avec la Croix-Rouge, avec laquelle nous avons de nombreux échanges pour parvenir à travailler à l’échelle de la zone.
Le retour d’expérience d’Irma a révélé le manque d’un plan B. Le bâtiment qui servait de COT étant hors service et les moyens de communication inexistants, il a été difficile de réunir tous les acteurs. Il a fallu trouver un autre endroit – en l’occurrence, l’aéroport – mais les intervenants sont arrivés au compte-gouttes. Pour ma part, c’est en passant sur la route en allant m’assurer que ma famille allait bien que j’ai vu cet attroupement à l’aéroport et que je me suis arrêté. Nous avons travaillé dans les jours et les semaines qui ont suivi, mais nous aurions pu gagner du temps si nous avions disposé de fiches réflexes, sur lesquelles nous travaillons encore aujourd’hui, pour bien définir les besoins et le rôle de chacun. Irma ayant touché Saint-Barthélemy et Saint-Martin, c’est la préfecture qui a pris le relais et nous devons donc être capables de travailler en bonne intelligence. De telles rencontres sont bienvenues, car, plus encore que les élus et les agents, qui peuvent changer, c’est la population locale qui est en mesure d’agir. Nous devons donc être capables d’impliquer tout le monde et d’avoir des acteurs au fait de la situation pour pouvoir réagir.
Une clé pour ce faire étant la communication, la collectivité a investi dans un système d’alerte par SMS. Nous continuons à inciter les gens à s’inscrire car ce système, qui ne coûte rien à personne, permet, dès qu’un phénomène approche, de déclencher l’alerte et de diffuser des informations afin de permettre aux gens d’agir au mieux.
L’importance de la communication tient aussi au fait que Saint-Barthélemy connaît une rotation récurrente de sa population, avec tous les ans des départs et de nouvelles arrivées. Or, si la résilience fait partie de l’ADN des personnes qui grandissent sur l’île, ce n’est pas nécessairement le cas pour les visiteurs ni pour les personnes récemment arrivées. Très souvent, certains sont même excités à l’approche d’un phénomène climatique : ils espèrent aller voir les vagues, ou même aller surfer ! Nous avons donc besoin de communiquer et d’alerter.
Il faut aussi gérer les fake news. Ainsi, un soir, après l’ouragan Irma, je suis rentré très inquiet du COT car on avait entendu dire – et l’information venait du président et du préfet – qu’une navette transportant des hommes armés était partie de Saint-Martin après le pillage de l’armurerie de la gendarmerie. Cette milice armée qui devait débarquer à Saint-Barthélemy n’a jamais existé !
Il faut donc pouvoir centraliser l’information et diffuser une information fiable pour rassurer et, le cas échéant, alerter, afin que tout le monde puisse avoir les bons réflexes. Nous y travaillons pour tenter d’améliorer la situation.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ces exposés très précis montrent comment le retour d’expérience a permis de modifier les procédures.
Une question générale : tout cela a dû coûter cher. L’État a-t-il été à la hauteur des attentes des collectivités en termes d’accompagnement financier et budgétaire, pour intégrer les résultats des retours d’expérience aux équipements présents sur votre territoire et opérer les modifications nécessaires ?
En termes de ressources humaines, j’ai bien entendu que des événements aussi traumatisants pouvaient aboutir à l'éviction de certaines compétences – ce qui vaut sans doute à Saint-Barthélemy aussi bien qu’à Saint-Martin et partout ailleurs. Comment faire revenir ou retenir des compétences qui ne se trouvent pas sinon sur les territoires, faute par exemple de formations ? Comment avez-vous fait pour favoriser l’attractivité du territoire après un tel événement, et comment peut-on accompagner davantage les collectivités en ce sens ?
Par ailleurs, j'ai bien compris qu’à la suite des réactions très vives qui se sont fait jour, et même des émeutes survenues lors de la présentation du nouveau plan de prévention des risques de Saint-Martin, un effort considérable de concertation avait été réalisé et avait abouti à un document assez consensuel. Ce consensus n’a-t-il pas été obtenu au prix d'un certain affaissement des exigences, et donc de la persistance d’un risque ? D'autre part, et bien que la préfecture ait indiqué qu’elle veillait au respect des normes, q uid des constructions illégales ? Comment organiser la lutte contre ces phénomènes ?
Enfin, comment gérez-vous les déchets, ordinaires ou plus dangereux, comme les déchets médicaux et industriels, après un aléa de cette nature, afin d’éviter que des pollutions ne s’ajoutent aux destructions et n’affectent plus durablement les territoires ?
M. Louis Mussington. S’agissant du PPRN dont l’État a jugé nécessaire de disposer dans les meilleurs délais, son élaboration a pris du temps en raison de l’opposition de la population à la première version du document, qui ne collait pas à la réalité du territoire. Les techniciens venus sur place pour examiner la réalité du terrain sont tous repartis avec l'idée que c’est la submersion marine qui était responsable de l’essentiel des dégâts causés par Irma. Mais en réalité, on sait très bien que le facteur essentiel a plutôt été l’intensité des vents. Il faudrait tenir compte de cette donnée.
Entre Quartier-d’Orléans et Sandy-Ground, donc du côté est comme du côté ouest de l’île, un certain nombre de familles habitent toujours dans des maisons sans toiture, ravagées par la violence des vents. Elles se trouvent dans une situation de désespérance sociale, parce que ni l’État, ni la collectivité n’ont mis les moyens nécessaires pour les accompagner. Pour dire les choses telles qu'elles sont, de nombreuses familles n’assurent pas leur demeure. Celles qui ont assuré leurs propriétés – j’en fais partie – ont pu bénéficier du soutien des assureurs et faire les travaux assez vite, mais trop nombreuses sont celles qui ne l’ont pas fait.
Après l’accession à l'autonomie dont nous jouissons aujourd’hui, nous avons récupéré la compétence en matière de logement, mais perdu la ligne budgétaire unique, de telle sorte qu'il n'y a pas eu de nouvelles constructions depuis 2007. Entre 2 000 et 3 000 familles sont ainsi en attente d'un logement digne de ce nom sur le territoire de Saint-Martin, et un grand nombre d’entre elles sont donc obligées de rester là où elles sont et d’abriter leurs enfants dans des maisons bricolées comme des patchworks. Cet habitat insalubre, conséquence directe du passage de l’ouragan dévastateur, mérite une attention toute particulière.
Le corps enseignant sur le territoire de Saint-Martin est à 95 % venu de l’Hexagone ou des départements de la Guadeloupe et de la Martinique. Les enseignants originaires de Saint-Martin, dont je fais partie puisque je n'ai pas encore donné ma démission, sont très minoritaires dans notre système scolaire. Mon ami et collègue Frantz Gumbs, chef d'établissement scolaire depuis de nombreuses années, pourra également vous le dire. Beaucoup de professeurs donc, qui assistaient pour la première fois à un tel phénomène naturel, sont partis avec le premier bateau, ce qui a retardé la rentrée scolaire. L'éducation nationale, représentée par le recteur, a dû imposer des sanctions à ceux qui ne voulaient pas revenir sur le territoire. Tout cela s’est traduit par un mois et demi de retard dans l’ouverture des classes par rapport à l’Hexagone et à l’académie de la Guadeloupe. Cela vaut aussi dans le domaine de la santé, faute de personnel médical originaire de l’île de Saint-Martin : les plus dévoués sont restés, mais les autres ont abandonné l'île, ce qui nous a valu trois ou quatre mois très difficiles avant le retour des enseignants et du personnel médical.
Par ailleurs, nous avons assisté, au lendemain du passage de l’ouragan, à un phénomène horrible : le pillage des magasins. Les forces de l'ordre ne sont intervenues qu’au bout de trois ou quatre jours et l'État a dépensé une fortune pour faire venir des bérets rouges et verts de partout, même depuis Djibouti. Si un tel phénomène devait se reproduire, l'État devrait prendre les meilleures dispositions pour être présent sur place un ou deux jours plus tôt et prévenir tout risque de débordements et de pillages. Ces actes scandaleux et écœurants étaient orchestrés par des groupes de bandits qui se sont ensuite organisés pour récupérer les biens dérobés.
Enfin, pour ce qui concerne la gestion des déchets, le système actuel est acceptable, l'hôpital du territoire ayant conclu un contrat pour les déchets médicaux.
M. Xavier Lédée. L’embauche est presque une question de priorité nationale. Il est assez légitime, quand on n’a pas d’attache dans l’île et que la situation devient difficile, de vouloir repartir dans l’Hexagone pour mettre son enfant en sécurité. En revanche, une personne ayant un lien fort avec le territoire aura moins envie de repartir – elle en aurait d’ailleurs moins l’opportunité – et plus envie d’aider. Nous devons inciter notre jeunesse à se former et faciliter son retour dans le territoire pour y travailler.
S’agissant des aides financières, la part la plus importante provient des assurances, qui ont dépensé 835 millions à Saint-Barthélemy. Ces sommes colossales ne sont pas toutes déboursées localement. Quant à l’État, il participe, dans le cadre d’un pacte capacitaire, au cofinancement de l’achat de matériels, en l’occurrence un camion de sapeurs-pompiers. D’autres aides, moins importantes, existent également.
Concernant la gestion des déchets, la dernière barge évacuant des débris post-Irma est partie de Saint-Barthélemy en décembre 2023. La principale difficulté tenait non pas au nombre de tonnes de déchets mais à la complexité des solutions à trouver. Nous sommes capables dans une certaine mesure de les traiter et de les détruire dans notre territoire, grâce à l’usine d’incinération, mais la collectivité a dû mettre des terrains à disposition pour entasser tous les débris avant d’entamer un travail de négociation pour trouver des territoires capables de les récupérer. Or chacun d’eux veut s’assurer qu’il sera capable de gérer les volumes qu’il recevra. Lors de la dernière opération, la discussion pour trouver un prestataire possédant une barge – dont la mise à disposition a coûté quelque 500 000 euros, ce n’est pas accessoire – et organiser l’évacuation a duré environ un an et demi, tant le sujet est complexe.
Les règles de construction jouent un rôle très important. La qualité du bâti est en effet un gage de solidité. La rédaction des parties construction et habitation de notre réglementation d’urbanisme est d’ailleurs en cours et des normes bien précises seront fixées en matière de risques naturels ; j’espère que nous pourrons les adopter avant la fin de l’année. Il faut être capable d’anticiper un phénomène majeur tel qu’un ouragan, car il génère énormément de casse et de très nombreux déchets. Ce n’est pas évident à gérer sur un plan matériel. Ainsi, les climatisations ont dû être changées dans la quasi-totalité de l’île dans les deux ou trois ans qui ont suivi Irma, avec un apport très important immédiatement après le phénomène. C’est un sujet majeur. Bref, nous sommes capables de mettre des terrains à disposition pour stocker les déchets mais nous sommes tributaires ensuite de la capacité d’autres territoires à les réceptionner.
Mme Cécile Rilhac (RE). J’aimerais revenir sur les conséquences de l’ouragan sur les bâtis scolaires, dont la responsabilité financière incombe aux différentes collectivités territoriales. Y a-t-il eu, à la suite de cet ouragan, une évolution des normes ? Comment l’État vous a-t-il aidés ?
Ensuite, concernant la formation des jeunes dans de petits territoires comme Saint- Barthélemy ou Saint-Martin, comment vous organisez-vous pour avoir à disposition les ressources à la fois intellectuelles, ouvrières, manutentionnaires et techniques ? Existe-t-il une mutualisation à l’échelle des Antilles, du bassin caribéen, voire avec le département de la Guyane ?
M. Frantz Gumbs (Dem). La France utilise un système d’alerte différent de celui en vigueur dans la partie néerlandaise de l’île de Saint-Martin : elle parle de vigilances jaune, rouge, etc. alors que Sint Maarten a recours au système américanisé des Hurricane Watch, Hurricane Warning et autres. De ce fait, les populations ne reçoivent pas exactement les mêmes instructions aux mêmes moments. En l’espèce, les consignes de confinement ou de fermeture des écoles étaient décalées dans le temps, ce qui posait des problèmes de coordination, dans la mesure où les frontières étaient ouvertes. Y a-t-il une forme d’harmonisation des consignes en matière de vigilance lorsque des phénomènes de cette nature surviennent ?
M. Louis Mussington. L’urgente nécessité de faire revenir les enseignants en poste dans l’Hexagone, évoquée par notre collègue de Saint-Barthélemy, concerne également Saint-Martin. Je suis personnellement intervenu à plusieurs reprises auprès du ministère des outre-mer et du ministère de l’éducation nationale pour faciliter le retour des enseignants saint-martinois qui travaillent dans l’Hexagone et qui en font la demande, dans le but de contribuer au développement de l’enseignement dans notre territoire. La rectrice de l’académie de la Guadeloupe est très motivée et partage notre volonté, parce qu’elle a fait le constat que nombre de postes n’étaient pas pourvus à la rentrée scolaire et qu’il y avait de grandes difficultés pour assurer le service dans les classes. Nous souhaitons donc, monsieur le président, que vous puissiez nous accompagner dans ce sens en soutenant notre demande auprès de Mme la ministre.
Madame Rilhac, nous assumons pleinement la compétence relative à la formation, qui a été transférée à la collectivité par la loi organique du 21 février 2007. Nous pensons qu’il faut tout mettre en œuvre pour encourager nos jeunes à suivre des formations. Le triste constat est que nombre d’entre eux n’ont ni formation initiale, ni formation professionnelle, ce qui explique le fort taux de jeunes Saint-Martinois qui croupissent dans les prisons de Baie-Mahault et de Basse-Terre.
Pour accompagner ceux qui suivent une formation post-bac dans l’Hexagone, en Guadeloupe ou en Martinique, la collectivité de Saint-Martin a instauré un système de bourses qui fonctionne très bien. Nous venons d’ailleurs d’en doubler le montant – 4 000 euros désormais –, avec le soutien du Fonds social européen. Cela fonctionne très bien.
Par ailleurs, un établissement scolaire a été condamné par le PPRN parce qu’il était situé trop près du rivage. L’État a accordé une aide de 15 millions d’euros pour construire un nouveau collège ailleurs – c’est le collège 900. Nous avons sollicité la préfecture pour que l’établissement condamné soit réhabilité et utilisé comme centre de formation, ce qu’elle a accepté. Nous sommes donc à la recherche d’un accord avec le RSMA (régiment du service militaire adapté) pour établir un centre de formation en partenariat avec nous, afin de récupérer certains jeunes qui sont dans la rue et de leur assurer une formation digne de ce nom dans le domaine du BTP.
La reconstruction des territoires est engagée, avec deux collèges, la cité administrative de la collectivité de Saint-Martin mais aussi, pour la première fois, la construction d’une cité administrative de l’État sur le territoire, pour un montant de 35 millions d’euros. Les travaux démarreront d’ici à la fin de l’année, comme l’a confirmé la préfecture, et dureront trois ans. Il y aura donc de l’emploi pour nos jeunes, mais il leur faut une formation pour être employables. Nous multiplions les efforts en ce sens. Le RSMA n’est toutefois pas tout à fait favorable à un partenariat avec la collectivité de Saint-Martin. Mais je suis déterminé et, s’il le faut, nous porterons seuls ce projet parce qu’il est urgent de sauver cette jeunesse qui part à la dérive. Dès lors qu’ils ne sont pas formés, ils n’ont rien, et l’oisiveté les fait basculer dans la délinquance ou le trafic de stupéfiants. Notre mandat sera consacré à combattre ce fléau.
M. Xavier Lédée. Que Louis Mussington soit rassuré, il aura le plein soutien de Saint-Barthélemy pour l’antenne du RSMA à Saint Martin. C’est en effet une véritable opportunité pour la rapprocher de nos jeunes et pour la faire mieux connaître dans les territoires.
Les infrastructures et les bâtiments de la collectivité n’ont pas particulièrement souffert. Nous sommes donc restés dans un système classique d’assurance et d’autofinancement. Une réflexion est en cours sur la construction de nouvelles structures d’éducation, qui devront respecter toutes les normes sismiques, cycloniques et relatives au risque d’inondation. Ces bâtiments ont en effet vocation à servir d’abris sûrs. Les abris existants ont été remis à niveau depuis le passage d’Irma. En outre, un contrôle est fait avec les autorités portuaires pour s’assurer que toutes les personnes habitant sur un bateau puissent être mises en sécurité en cas de phénomène.
L’hôpital, en revanche, a subi de lourds dégâts : c’est un des rares bâtiments qui n’est pas encore reconstruit. Le travail est en cours et nous avons déjà fait de nombreux appels du pied à l’agence régionale de santé et aux services de l’État. Nous savons que le Ségur de la santé a fléché certaines sommes vers Saint-Barthélemy mais nous pouvons faire mieux. La collectivité peut être partenaire d’une reconstruction, où qu’elle se fasse et quelle qu’en soit la forme : il faut juste que nous arrivions à travailler ensemble.
S’agissant de la formation sur place, il existe un projet de diplôme universitaire de sécurité civile, en plus de la formation professionnelle des pompiers. Un travail en commun est nécessaire entre les différents territoires : Saint-Martin, qui a pour projet de créer un service territorial d’incendie et de secours, mais aussi plus généralement les différentes îles. Il faut s’assurer que toutes les spécialités sont proposées sans nécessairement être présentes dans chaque territoire – une île n’a pas forcément besoin de disposer de l’ensemble des spécialistes, particulièrement si un risque s’avère faible ; en revanche, il faut couvrir l’ensemble des risques et avoir la capacité de se déployer rapidement.
Concernant l’harmonisation des systèmes d’alerte, lors du dernier phénomène qui est advenu, la préfecture et Sint Maarten ont enfin réussi à se coordonner, avec des niveaux communs. À titre personnel, je trouve que le système d’alerte existant, reposant sur des couleurs, est peu efficace auprès de la population. En effet, il existe plusieurs types de risques – mer, ouragan, pluie, vent – et les alertes sont déclenchées une demi-douzaine de fois chaque année, si ce n’est plus. Le système précédent – alerte de niveau 1, de niveau 2, distinguée en 2A et 2B pour la Guadeloupe et les îles du Nord – était beaucoup plus parlant, et déclenché de manière beaucoup plus rare. Quand une alerte était annoncée, tout le monde y prêtait attention et se renseignait. Le système actuel a perdu de son impact parce que les alertes se banalisent, dissipant le sentiment de risque.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie tous pour votre disponibilité. Je salue la qualité de votre travail et ne peux que vous encourager à persévérer dans cette direction.
18. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des universitaires de l’université Paul-Valéry-Montpellier-III (22 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l’audition, en visioconférence, de deux universitaires : Mme Stéphanie Defossez, maître de conférences en géographie à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III et M. Tony Rey, professeur de géomorphologie à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III, tous deux membres du laboratoire de géographie et d’aménagement de Montpellier (Lagam). Je les remercie de s’être rendus disponibles pour cette audition. Madame, monsieur, l’article auquel vous avez contribué, intitulé « Capacité de relèvement d’un territoire insulaire français face à un ouragan extrême : retour d’expérience sur l’ouragan Irma à Saint-Barthélemy (Petites-Antilles) », publié en 2021 dans la revue Les Cahiers d’outre-mer, nous intéresse au premier chef.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes, puis nous poursuivrons nos échanges sous forme de questions et de réponses. Je vous rappelle auparavant que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Stéphanie Defossez et M. Tony Rey prêtent successivement serment.)
Mme Stéphanie Defossez, maître de conférences en géographie à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III. Je m’intéresse, comme géographe, à la gestion des risques et des catastrophes naturelles, tant à l’échelle des territoires qu’à l’échelle individuelle. J’essaye d’interroger tous les acteurs de la gestion des risques, les autorités publiques comme la population.
Nous avons particulièrement travaillé sur l’outre-mer français, dans le cadre du programme de recherche C3AF – changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises. Des collègues ont également participé au programme de recherche Exploit – exploitation et transfert vers les collectivités des Antilles françaises d’une méthode de planification des évacuations en cas d’alerte tsunami. Par ces deux programmes ils entendaient dresser un portrait de la vulnérabilité des territoires, dans une approche a priori, sans lien avec la survenue d’un événement majeur.
Notre activité de recherche s’est ensuite concentrée sur le projet Tirex – transfert des apprentissages de retours d’expérience scientifiques pour le renforcement des capacités de réponse et d’adaptation individuelles et collectives dans un contexte de changement climatique –, conduit après le passage de l’ouragan Irma sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy – vous avez mentionné notre article sur Saint-Barthélemy, mais un travail équivalent a été conduit sur Saint-Martin.
Nous travaillons aujourd’hui encore sur Saint-Barthélemy, au sein de deux programmes de recherche : le projet SAFE Saint-Barth, dont mon collègue vous parlera, et le projet CoaST-Barth, portant sur les milieux littoraux.
Si le projet Tirex a donné des résultats à propos des risques cycloniques en particulier, nous nous attachons à étudier tous les risques naturels sur le territoire.
M. Tony Rey, professeur de géomorphologie à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III. Dans le cadre de mes recherches je m’intéresse aux aléas et aux risques naturels, ainsi qu’à leurs conséquences sur les milieux insulaires tropicaux. Mes recherches portent sur toutes les régions du monde : sur l’Afrique, le Pacifique, l’Asie et, depuis le projet C3AF, sur les Antilles françaises. J’évoquerai brièvement les projets en cours, notamment ceux qui concernent Saint-Barthélemy.
Mes travaux sont principalement des recherches a priori. J’étudie en particulier la cinématique des phénomènes naturels : cyclones, tsunamis, chutes de blocs ou mouvements gravitaires. Je m’intéresse aussi aux conséquences de ces phénomènes sur les biens et les personnes ainsi qu’aux stratégies de gestion des risques qu’il est possible de mettre en place.
Je mène également des recherches a posteriori, à partir de retours d’expérience réalisés après une catastrophe. J’ai ainsi travaillé dans le Pacifique après le passage du cyclone Pam au Vanuatu, en 2015, ou, plus récemment, aux îles Canaries après qu’elles ont été frappées par des éruptions volcaniques. J’ai bien entendu travaillé, à la suite du passage de l’ouragan Irma en 2017, sur les îles de Saint Barthélemy et de Saint-Martin, mais aussi sur l’île de la Dominique, où l’ouragan Maria a fait des dégâts considérables. Nous avons encadré, avec ma collègue, une thèse de doctorat consacrée à ce sujet, soutenue en juillet dernier par M. Samuel Battut.
Ces retours d’expérience sont précieux. Ils permettent d’acquérir des données et d’établir des connaissances, d’éclairer ce qui a pu fonctionner ou ne pas fonctionner dans la gestion de la crise et de l’après-crise. Ils sont conduits par une importante équipe pluridisciplinaire où la collaboration de chacun des chercheurs permet de mieux saisir les tenants et les aboutissants de la gestion de crise dans un territoire.
Nous allons évoquer avec vous le retour d’expérience sur le passage d’Irma à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Comme l’a indiqué ma collègue nous y avons des projets en cours. SAFE Saint-Barth, commencé il y a quelques mois et devant se terminer dans deux ans, est orienté vers la dimension opérationnelle de la gestion de crise, afin de proposer à la collectivité de Saint-Barthélemy une aide à la réflexion et à la décision. Un autre projet, qu’on pourrait dire plus fondamental et relevant de la géoprospective, est consacré à l’avenir, proche comme lointain, des littoraux de Saint-Barthélemy. Mme Anaïs Coulon, doctorante, vient de commencer une thèse à ce sujet, qui la conduira à travailler trois ans au sein de ce territoire.
C’était une présentation succincte de l’équipe que nous représentons ici tous les deux, et dont les membres s’intéressent à la gestion de crise, aux dommages et à la vulnérabilité des territoires. Nous sommes en mesure de vous mettre en contact avec différentes personnes susceptibles de répondre aux questions que vous pourriez continuer à vous poser à l’issue de notre audition.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie : c’est une possibilité qui pourrait en effet nous intéresser.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous pourrons de même vous demander de compléter vos propos par la suite.
Je voudrais que vous reveniez sur les conclusions de la recherche que vous avez menée en 2021, afin que nous puissions savoir dans quelle mesure ces retours d’expérience ont été pris en compte dans les plans de prévention, les plans Orsec – organisation de la réponse de la sécurité civile – et les règles d’urbanisme. Vous pouvez faire référence à des publications plus anciennes, mais nous serions plus intéressés encore par les nouvelles informations que vous auriez pu recueillir depuis la publication de votre article. M. Louis Mussington, président de la collectivité de Saint-Martin, nous a donné l’exemple des fortes réactions qu’avait suscitées la première ébauche de la révision du plan de prévention des risques naturels (PPRN), en 2019 et 2020. Elles tenaient peut-être à ce que le risque de submersion – impliquant l’interdiction de construire sur le littoral – y avait été excessivement mis en avant, alors que se trouve sur ce littoral un habitat souvent informel. La question du vent, en revanche, avait peut-être été initialement minorée, avant d’être mieux prise en compte par le PPRN, ce qui rendit finalement possible une forme de consensus.
Mme Stéphanie Defossez. C’est une vaste question. Il ressort de notre étude que, entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les situations sont très différentes ; si bien que la crise provoquée par Irma n’y a pas du tout été gérée de la même manière. Plusieurs facteurs, notamment des facteurs externes, l’expliquent. À Saint-Martin, tout d’abord, le centre opérationnel territorial (COT) a été très endommagé : les autorités se sont retrouvées piégées dans la préfecture, en prise à des vents violents et à des bâtiments inondés. Saint Barthélemy n’a pas connu un problème semblable.
Les populations, mais aussi les autorités elles-mêmes, ont évoqué le problème de l’anticipation. Personne ne s’imaginait que le cyclone serait aussi violent. Le dernier cyclone en date – Luis –, en 1995, avait été très long – trente-six heures – et assez puissant – il était de catégorie 4. Tout le monde avait gardé à l’esprit ce niveau d’intensité. Or, si Irma a duré moins longtemps, il a été beaucoup plus intense, l’œil du cyclone étant passé sur les deux îles. Ces territoires ont manifestement été confrontés à des difficultés d’anticipation de l’intensité de l’aléa : on est passé de la vigilance orange à la vigilance violette en l’espace de quelques heures.
On a toutefois observé de grandes différences entre les deux territoires. À Saint-Barthélemy, le président de la collectivité a affirmé, après le passage de l’ouragan, qu’il pouvait se débrouiller sans l’aide de l’État. Une certaine anticipation avait eu lieu. Des engins de nettoyage des routes avaient été prépositionnnés en collaboration avec les entreprises de l’île. On a observé une forme d’auto-organisation associant la population, les entreprises et la collectivité ; elle était le fruit d’une certaine préparation mais résultait aussi, pour une part, d’actions spontanées. Très vite, le nettoyage des routes a commencé, la collectivité a installé des bornes wifi afin de rétablir les communications, le ravitaillement a été assuré d’une manière assez efficace, aux dires de la population. Une grande majorité des habitants a salué la gestion de la crise.
À Saint-Martin, les choses se sont déroulées de manière assez différente. D’abord, les pillages qui ont eu lieu dans les heures qui ont suivi la fin de l’ouragan ont perturbé la gestion de la crise. Les autorités, les services de secours et de police ont dû agir contre ces pillages, qui ont duré plusieurs jours et qui, selon les témoignages que certains nous ont livrés, ont fait plus de mal que le cyclone. Le traumatisme que ce dernier a causé a été très vite remplacé par le choc consécutif aux pillages.
Ensuite, pour reprendre les propos tenus lors des entretiens que nous avons eus avec les autorités locales et la population, la gestion de crise à Saint-Martin a été jugée désorganisée. Beaucoup, par exemple, n’ont pas compris pourquoi l’État n’avait pas prépositionné des services de secours supplémentaires dans l’île. Les autorités l’ont expliqué par la suite mais cette perception est demeurée dans les esprits. On ne savait pas exactement où ni à quelle heure avaient lieu les ravitaillements. Certains quartiers ont été jugés privilégiés par rapport à d’autres. La perception d’un manque d’anticipation a conduit à un sentiment de méfiance, qui vis-à-vis de l’État, qui à l’endroit de la collectivité – sans que l’on puisse établir une typologie des personnes selon l’institution qu’elles visaient.
La reconstruction a été plus rapide à Saint-Barthélemy qu’à Saint-Martin, ce qui s’explique, d’une part, parce que Saint-Barthélemy est plus petit et, d’autre part, parce que les constructions à Saint-Barthélemy sont moins vulnérables qu’à Saint-Martin, où l’urbanisation est parfois un peu anarchique. À titre d’exemple, le quartier de Sandy-Ground, situé en bord de mer, où l’on recourt souvent à l’autoconstruction, est plus fragile, aussi bien face au vent qu’à la mer.
M. Tony Rey. Les dommages ont été très différents par leur ampleur entre les deux îles. On estime que la part du bâti présentant des dommages significatifs à très importants atteignait 16 % à Saint-Barthélemy et 54 % à Saint-Martin. Ce facteur, auquel s’ajoutent d’autres vulnérabilités, explique que Saint-Martin se soit relevé moins rapidement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Avez-vous pu suivre l’évolution du PPRN depuis 2021 ? Une des problématiques est la gestion de l’habitat informel, notamment pour les personnes ne disposant pas de statut, qu’il est difficile d’intégrer aux processus de concertation. Les dispositifs employés – je pense par exemple aux drones – pour surveiller l’urbanisation et apprécier les dégâts consécutifs à la réalisation d’un aléa vous paraissent-ils à la hauteur des risques ?
M. Tony Rey. S’agissant de ces territoires insulaires, on s’intéresse beaucoup, à juste titre, au risque cyclonique, mais on manque d’une approche multirisque. On a tendance à omettre le risque de tsunami, par exemple, auquel ces territoires sont très peu préparés, mais aussi le risque gravitaire, pour lequel existent de gros hiatus en matière de connaissances scientifiques et de gestion de crise. Plus largement, on n’est pas préparé à la combinaison de phénomènes tels qu’un cyclone, de la submersion marine, des inondations, y compris par la voie fluviale, des glissements de terrain, etc. On ne prend pas suffisamment en considération ces effets combinés, ou en cascade, dans les plans de gestion des risques naturels.
Des outils tels que les drones sont intéressants ; nous les utilisons dans le cadre du retour d’expérience, notamment pour caractériser l’endommagement. Cela étant, il faudrait instituer un suivi à plus long terme. Les projets de recherche sont souvent trop ponctuels, qui ne permettent pas un suivi dans le temps des moyens et des indicateurs.
Mme Stéphanie Defossez. À cela s’ajoute le turnover des fonctionnaires de l’État ainsi que – plus marginalement, dans certains services – de la collectivité. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le retour d’expérience concernant Irma, nous avions des interlocuteurs avec lesquels nous avons noué une relation de confiance mutuelle. Il a fallu, à leur départ, retisser des liens avec leurs successeurs. Par ailleurs, les personnes qui arrivent ne connaissent pas nécessairement le territoire, les phénomènes naturels qui le caractérisent. Certains des gestionnaires que nous avons rencontrés nous ont dit n’avoir jamais connu de cyclone et éprouver des difficultés à comprendre le traumatisme vécu par la population.
Il faudrait également renforcer la formation des élus sur ces phénomènes, auxquels ils ne sont pas du tout préparés.
Nous avons noté que la plupart des reconstructions avaient été réalisées à l’identique. Le cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe évoque le build back better, la reconstruction résiliente et durable. Or ces principes sont peu appliqués dans ces territoires car, comme on l’observe aussi en d’autres lieux, on veut reconstruire le plus vite possible pour reloger les gens. On ne mène pas de réflexion à long terme. À Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin, on trouve, dans des maisons très cossues reconstruites ou rénovées assez rapidement, des baies vitrées exposées à la houle et au vent, qui ne sont donc absolument pas adaptées au risque cyclonique. Pour se prémunir contre ce risque, à Saint-Martin, on a placé, sous le toit de tôle d’un grand nombre d’habitations, une dalle de béton, ce qui fait courir un danger à leurs occupants en cas de survenance d’un séisme. Il est possible de construire une dalle de béton à condition de respecter les normes antisismiques et de choisir un béton adapté, ce qui n’a pas été le cas en l’occurrence.
S’agissant du plan de prévention des risques, je partage votre point de vue sur l’habitat informel. La composition de la société est très différente à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. La prise en compte des différences sociétales et culturelles doit amener à la concertation pour faire accepter certaines évolutions. Le PPR a donné lieu à un certain nombre de manifestations, parfois violentes, avant qu’une concertation ne soit engagée. Depuis 2021, nous suivons l’évolution des choses sur les deux îles. Les populations nous ont confié ressentir un fort sentiment d’injustice. Dans des quartiers populaires et prioritaires comme Orléans ou Sandy-Ground, où l’on trouve de l’habitat informel et des logements sociaux, les habitants n’ont pas eu le droit de reconstruire leur maison. Ils ont eu le sentiment que le PPR faisait planer sur un certain nombre d’entre eux la menace d’une expulsion. Dans d’autres quartiers, en partie voués au tourisme, qui abritent de grands hôtels en bord de mer, la reconstruction a été autorisée. Il faut mener une réflexion, en matière d’aménagement du territoire, en concertation avec l’ensemble de la population de l’île et pas seulement une catégorie d’entre elle, sous peine d’être confronté aux mêmes violences que celles qui s’étaient produites lors de la négociation du PPR, il y a quelques années.
M. Tony Rey. Le nouveau plan de prévention des risques, intégrant l’aléa cyclonique et le risque de submersion marine à la suite du passage d’Irma, a donné lieu à une levée de boucliers en 2019 et en 2020. Un projet d’aménagement du territoire de plus long terme est nécessaire. Le quartier de Sandy-Ground, situé sur un lido, est par exemple très exposé. Piégée entre l’étang et la mer, sa population est particulièrement vulnérable au risque, notamment, de tsunami. Le désenclavement d’une partie de l’île permettrait une relocalisation de la population du littoral vers les mornes, comme cela se fait avec succès en Guadeloupe et en Martinique. Si un tel projet était décidé, il conviendrait néanmoins de travailler à son acceptation sociale par les habitants. La rareté du foncier sur le littoral et les phénomènes de spéculation compliquent en effet la gestion de ces zones à risques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Votre bilan nuance nombre des propos que nous avons entendus jusqu’à présent. Pourriez-vous revenir plus précisément sur les projets de relocalisation menés à la Guadeloupe et en Martinique, notamment sur l’accompagnement des populations ? Pour éviter que l’on reconstruise à l’identique, au prétexte que c’est plus simple et plus rapide, vous semble-t-il envisageable de définir a priori une norme de reconstruction ? Pourrait-on imposer davantage que l’aménagement d’une pièce sûre ? Enfin, avez-vous constaté l’émergence de politiques publiques visant à préserver ou à renforcer les écosystèmes résilients ou protecteurs, comme les mangroves ?
Mme Stéphanie Defossez. Pour l’instant, les normes de construction n’ont pas de dimension multirisque. Les pièces de survie, par exemple, sont tout à fait adaptées au risque cyclonique ; on estime qu’elles ont sauvé des vies. Elles n’ont en revanche aucun intérêt en cas de mouvement de terrain. Il faudrait donc adapter chaque habitation à l’ensemble des aléas auxquelles elle est exposée. C’est certes difficile, mais les réponses existent. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) travaille ainsi à l’élaboration d’outils permettant de construire tout en préservant la sécurité des populations. Le seul impératif est d’adopter une dimension multirisque : une dalle de béton est très utile, par exemple, pour se prémunir du vent en cas de cyclone, mais elle doit être adaptée aux normes sismiques.
De tels travaux demandent du temps et de l’argent, et les habitants des classes populaires ont besoin d’être accompagnés par des aides financières. En amont, le diagnostic de vulnérabilité bâti par bâti prend lui aussi du temps. Sur le pourtour méditerranéen, soumis à un risque d’inondations brutales, certaines collectivités et établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) proposent de réaliser ces diagnostics au travers du dispositif d’accompagnement pour l’adaptation de votre bâti au risque inondation (Alabri).
M. Tony Rey. Il existe deux façons de mener des projets de relocalisation de la population – ou de « repli stratégique ». Le plus souvent, ils sont lancés dans l’urgence. Ce fut le cas à Deshaies, en Guadeloupe : trente-cinq logements y ont été relocalisés après le passage de l’ouragan Lenny qui a fortement endommagé le quartier Ferry, en bord de mer, en 1999.
Actuellement, d’autres projets sont menés avec une visée de plus long terme, pour contrer les risques de submersion marine liés à l’érosion côtière et au recul du trait de côte : c’est le cas à Petit-Bourg en Guadeloupe, au Prêcheur en Martinique, mais aussi à Miquelon-Langlade, dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Plusieurs communes ont ainsi fait le choix de quitter l’espace littoral.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la réalisation de ces projets prend du temps en raison de la problématique foncière : il faut trouver suffisamment de superficie sur les hauteurs pour accueillir les familles. Comme nous l’avons démontré avec mes collègues Frédéric Leone et Maéli Tramis dans l’article que nous avons rédigé à ce sujet, « La relocalisation, une stratégie d’adaptation aux risques côtiers : les leçons tirées des projets aux Antilles françaises », l’acceptation sociale est fondamentale pour la réussite de ces projets.
S’agissant enfin des écosystèmes permettant de réduire les risques côtiers, on peut citer, outre la mangrove, les récifs coralliens. Il s’agit de solutions fondées sur la nature qui ont effectivement la capacité de réduire la hauteur et l’énergie des vagues et, ce faisant, de protéger le littoral. Mais de tels espaces sont rares dans les deux îles : à Saint-Barthélemy, il n’y a quasiment plus de mangrove et la barrière corallienne n’est plus en très bon état. Il subsiste une belle mangrove dans la baie de l’Embouchure, à Saint-Martin, mais elle a été très endommagée par le cyclone Irma et mériterait d’être renaturée. Il est vrai que des opérations de replantation peuvent être réalisées, mais la temporalité des écosystèmes côtiers n’est pas celle des politiques : alors que l’on en attend des réponses efficaces et rapides, ces milieux ont besoin de temps pour se développer. Avant qu’une mangrove soit suffisamment grande et dense pour avoir un effet sur les vagues, il faut qu’elle ait une largeur minimale de 100 mètres, ce qui prend sept à dix ans.
Il en va de même pour les récifs coralliens, que l’on peut créer de façon artificielle mais qui ont besoin de temps pour se développer. Leur croissance dépend de plusieurs facteurs, notamment la pollution, la température et la salinité des eaux.
Je crois beaucoup aux solutions fondées sur la nature, mais je crois aussi au bon sens : ne négligeons pas d’autres approches hybrides et innovantes pour réduire les risques littoraux et les conséquences des tempêtes tropicales, des cyclones et des tsunamis. N’oublions pas non plus que le changement climatique entraîne l’élévation du niveau marin, le réchauffement des eaux océaniques et leur acidification. On ne connaît pas encore les effets de ces phénomènes sur les écosystèmes côtiers mais il est à craindre, selon moi, qu’ils ralentissent leur croissance. La gestion des risques ne peut donc reposer sur les seules solutions naturelles.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’ai cru comprendre que vous étiez contrariés par la durée des missions, qui entrave la possibilité de mener des travaux de long terme, comme il le faudrait. N’hésitez pas à nous faire des propositions en la matière : les commissions d’enquête sont aussi faites pour cela !
Mme Stéphanie Defossez. Merci, c’est bien noté.
M. le président Mansour Kamardine. Nous vous remercions pour votre disponibilité et pour la qualité de vos interventions. Encore une fois, n’hésitez pas à nous transmettre les éléments que vous jugeriez utiles pour éclairer notre réflexion.
19. Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Gibbs, ancien président de la collectivité de Saint‑Martin (2017-2022) (22 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Bonjour. Mes chers collègues, nous poursuivons notre table ronde sur le bilan de la gestion de l’ouragan Irma et la reconstruction à Saint-Martin et Saint-Barthélemy en recevant M. Daniel Gibbs, ancien président de la collectivité de Saint-Martin de 2017 à 2022.
Monsieur le président, merci de vous être rendu disponible, car votre témoignage est particulièrement important pour nos travaux.
Votre audition est ouverte à la presse et sera retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Daniel Gibbs prête serment.)
Je vous laisse immédiatement la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes avant d’être interrogé par notre rapporteur. Pour rappel, il est important que vous puissiez dire ce qui pourra être entendu, mais également ce qui n’est pas facilement entendable, mais qui pourra éclairer nos travaux.
M. Daniel Gibbs, ancien président de la collectivité de Saint-Martin. Merci, monsieur le président. Je pense pouvoir me prêter plus facilement à l’exercice des questions-réponses pour entrer plus rapidement dans le vif du sujet et vous apporter des précisions.
Le sujet m’intéresse énormément, puisque j’ai traversé une période assez difficile à Saint-Martin lorsque j’ai été élu en 2017. J’ai eu à faire face dans un premier temps à Irma, le cyclone le plus puissant que n’ait jamais connu la zone et qui a détruit 95 % de notre territoire. Dans un second temps, nous avons dû affronter la période Covid, qui a également causé un certain nombre de soucis.
Je vous donnerai des précisions quant aux démarches que nous avons pu mettre en place en dehors de celles que nous avions déjà préconisées puisque nous avions l’habitude de gérer des cyclones, conséquences des changements climatiques. Irma a bouleversé quelque peu nos méthodes, du côté de l’État comme du côté de la collectivité.
M. le président Mansour Kamardine. Je laisse la parole à notre rapporteur.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques majeurs dans les territoires d’outre-mer. Bonjour, monsieur le président.
Il est fondamental pour nous de vous entendre, car vous êtes à un moment clé de vos responsabilités à Saint-Martin, même si vous y aviez été associé plus tôt dans l’histoire de la collectivité. Vous arrivez quasiment concomitamment aux événements et vous avez à gérer la suite.
Chacun a en tête de donner la meilleure vision possible des événements et des décisions qui en ont découlé. Je dirais que c’est presque humain. Cependant, il est utile parfois de sortir des généralités en apportant des précisions.
À Saint-Martin, 95 % des bâtiments ont été touchés, contre moins de 1/5ème sur Saint-Barthélemy. Différentes explications, en particulier des explications sociales, font que les populations n’avaient pas forcément les mêmes moyens pour assurer leur sécurité. S’agissant de la reconstruction, les assurances n’offraient pas les mêmes couvertures sur l’une ou l’autre île. Comment un tel désordre urbain a pu s’installer à Saint-Martin et avec de telles conséquences ?
Dans la reconstruction, Saint-Martin a connu des problèmes de lenteur, de délais et parfois de coûts. Chacun a en mémoire le « coup de sang » du président Macron lors de sa visite en 2018. Je souhaite vous lire une citation d’Annick Girardin, parue dans Le Monde en septembre 2023 et qui m’a marqué, car très évocatrice de la prise en compte de l’histoire et parfois de ses limites : « Après Irma, on avait rêvé, avec la reconstruction, d’en faire une île d’exception, un exemple pour tous les territoires ultramarins. Cela ne s’est pas fait, car je pense que l’on avait sous-estimé la détresse et la pauvreté présente sur l’île ».
Nous avons constaté des réactions lorsque le nouveau plan de prévention des risques naturels (PPRN) a été d’abord proposé, puis retiré, et enfin reformaté. Quel regard portez-vous sur ces démarches, sur les difficultés de la reconstruction qui sont apparues ? N’avons-nous pas un peu « baissé la garde » pour faciliter cette reconstruction ?
N’hésitez pas à parler des difficultés qui ont pu se faire jour, y compris dans les relations avec l’État.
M. Daniel Gibbs. Vous pouvez compter sur moi !
Premièrement, vous avez posé la question : pourquoi tant de dégâts à Saint-Martin par rapport à Saint-Barthélemy ? Il faut savoir que lorsqu’un cyclone frappe, il ne frappe jamais un territoire avec la même intensité. Effectivement, la solidité des constructions et la qualité des matériaux peuvent entrer en considération. Je tiens à signaler que si 95 % de Saint-Martin a été détruit, d’autres territoires ont connu la même intensité de dégâts lorsqu’Irma s’est déplacé. Saint-Barthélemy est un territoire plus petit, plus condensé, et qui a bénéficié sans doute de ressources financières plus intenses et plus appuyées pour la reconstruction.
Saint-Martin a toujours tiré l’expérience de l’intensité des dégâts qui ont pu être causés par les différents phénomènes cycloniques. En 1995, le cyclone Luis a été pratiquement aussi destructeur qu’Irma. Son intensité était cependant moins forte, avec des vents de 250 à 300 kilomètres/heure. Avec Irma, la vitesse des vents était de plus de 400 kilomètres/heure. Pour preuve, il a fallu très longtemps avant de pouvoir catégoriser ce cyclone. Il est d’ailleurs toujours classé hors catégorie, au-delà des catégories 5 et 6. Vous imaginez sa violence.
En 1995, Saint-Martin était équipé en fonction des cyclones qui avaient précédé Luis. Après Luis, les reconstructions ont été réalisées différemment. Pratiquement toutes les maisons avaient des volets anticycloniques. Le problème est que les volets anticycloniques sont efficaces et garantis pour des vents allant jusqu’à 250 kilomètres/heure.
Par ailleurs, Saint-Martin est un territoire très dense par rapport à Saint-Barthélemy, Les objets volants étaient peut-être plus nombreux sur le territoire. Certaines toitures auraient pu résister au vent, mais elles n’ont pas résisté aux obstacles qui sont venus se fracasser sur ces toitures, en créant des déchirures, des appels d’air et donc des phénomènes d’implosion des maisons.
Il n’est pas toujours possible de comparer deux territoires. En effet, lorsqu’un cyclone s’abat sur un territoire, il ne vient pas sur le même angle et sa durée diffère d’un territoire à l’autre. Ces éléments sont à prendre en considération.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Il a été souvent souligné le fait que de nombreuses constructions étaient illégales ou ne respectaient pas les normes. Comment ce désordre a-t-il pu s’installer ?
M. Daniel Gibbs. Effectivement, les constructions dites « précaires » ont subi davantage de dégâts au premier abord. Il s’agit d’habitations occupant le domaine public sans autorisation et souvent installées sur le bord du littoral. Lorsque vous avez un phénomène de submersion, les dégâts sont beaucoup plus importants. Nous n’avions pas connu de phénomène de submersion d’une telle intensité auparavant.
Il faut savoir aussi que l’ensemble de l’île – la partie française comme la partie hollandaise – fait face à une entrée de population issue de l’immigration, en provenance d’Haïti, de Saint-Domingue, de la Jamaïque et autres. Ces populations ne sont pas toujours entrées sur le territoire de manière légale et elles occupent souvent des habitations plus dégradées.
Par ailleurs, 60 % de la population – la partie française comme la partie hollandaise – n’est pas assurée, ce qui a créé, au moment de la reconstruction, un important ralentissement par rapport à Saint-Barthélemy, où très peu d’habitations n’étaient pas assurées.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Suite à ces événements, les autorités de l’État sont à présent réparties sur différents points du territoire, de façon à assurer une forme de continuité. Par exemple, le secrétaire général de la préfecture n’est pas situé au même endroit que le préfet. Cette situation fait-elle ressortir chez vous des souvenirs de la gestion de la crise par l’État ?
Enfin, pourquoi la reconstruction a-t-elle été plus compliquée ?
M. Daniel Gibbs. Concernant la gestion de la crise, vous faites certainement référence au poste de commandement ou centre opérationnel départemental (COD) qui a été mis en place et qui attribue des codes couleurs en fonction de la vigilance. Chaque institution a ses propres compétences. Une fois que nous sommes cloisonnés et en situation de recevoir l’événement, c’est le COD de l’État qui prend le commandement jusqu’à la fin de l’événement. C’est donc un poste de commandement de l’État avec une participation de la collectivité.
Vous semblez suggérer, entre les lignes, les problématiques entre les compétences de la collectivité et les compétences de l’État. A l’époque, la préfète en exercice était Mme Laubies et je tiens à préciser que nos relations étaient très bonnes, ce qui n’a pas été toujours le cas avec les préfets qui lui ont succédé. Vous savez, la fonction est une chose et l’être humain en est une autre. L’être humain joue une part importante dans la réussite d’un fonctionnement. Avec Mme Laubies, nous avons essayé de nous répartir les tâches entre les moyens d’avertissement et les préconisations en attente du passage, pendant le passage et après le passage du cyclone. Nous avions défini ensemble ces codes couleurs dans un souci de meilleure efficacité et de meilleure réaction sur le terrain.
Or nous n’avions pas prévu – de même que Météo‑France – une telle intensité de frappe de ce cyclone. La situation était tellement désastreuse au lendemain du passage du cyclone que très rapidement, nous nous sommes rendu compte qu’en l’absence de synergie entre les humains qui géraient les positions, elle pouvait devenir catastrophique.
Par la suite, nous avons bénéficié de toute une aide administrative avec des sous-préfets qui arrivaient les uns derrière les autres, qui restaient pendant deux ou trois semaines, puis étaient remplacés par d’autres préfets. Ces personnes n’avaient pas nécessairement la connaissance du territoire, de la population et des modes de fonctionnement sur le territoire. Ils reprenaient des schémas de fonctionnement de leur région ou d’ailleurs, pour les dupliquer sur Saint-Martin. Cela ne fonctionne pas de cette manière et nous l’avons vécu en live.
Par ailleurs, les élus des collectivités qui connaissent leur territoire, leur population, ainsi que tous les méandres et les aspects de l’île, ont manqué d’initiatives. J’ai déploré pendant un certain temps le manque de liberté donnée aux élus afin qu’ils apportent leur pierre à l’édifice. Par la suite, nous avons organisé avec la préfète Laubies des séances de retour d’expérience (Retex) pour essayer de corriger cette situation. Je répète que nous avons eu une véritable synergie dans notre fonctionnement. Je sais que vous l’avez auditionnée et je suis certain qu’elle n’a pas dit le contraire.
Encore une fois, les aides qui sont parvenues par la suite ont changé ces modes de fonctionnement et ont créé sans doute des problématiques de compréhension des différentes décisions qu’il fallait prendre à ce moment précis.
Très sincèrement, sans vouloir pointer du doigt les uns et les autres, je pense que si la situation devait se reproduire à Saint-Martin, je préconiserais fortement la possibilité de donner aux acteurs locaux un peu plus de moyens, de latitude et de liberté quant à l’action qu’ils doivent mener, mais toujours en travaillant en parallèle avec les services de l’État.
Je tiens à rajouter que, même si le COD de l’État et le COD de la collectivité étaient à l’époque séparés, chaque entité avait un de ses représentants dans l’autre COD. La préfète et moi-même avions pris cette disposition en dehors de tout code inscrit, pour faciliter les échanges et agir de manière coordonnée.
Une autre difficulté réside dans la configuration même de ce territoire qui dispose d’un côté français et d’un côté hollandais. Il fallait toujours prendre en considération les décisions de nos voisins. Un important travail doit être mené sur la coopération entre les deux territoires lors d’événements, qu’ils soient climatiques ou sanitaires, comme nous le verrons plus tard avec le covid-19. En effet, chaque décision qui est prise d’un côté de l’île influe sur l’autre côté. Avec la préfète, nous avions contacté les autorités néerlandaises de l’île pour se fixer un point de rendez-vous au cas où la communication téléphonique serait coupée. Nous avions des téléphones satellites, mais ce n’était pas nécessairement le cas de nos voisins. Nous avions organisé, quelques heures après l’événement et dès qu’il était possible de sortir, un point précis de rendez-vous près de la frontière. Nous n’en avons pas eu besoin, car nous avons pu circuler très rapidement pour nous rendre chez nos voisins et établir une stratégie, notamment après la vague de cambriolages et autres événements peu sympathiques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comment expliquez-vous que la reconstruction ait pris tant de temps ? Estimez-vous qu’elle se soit passée dans de bonnes conditions ? Certaines personnes interrogées disent que tout a été reconstruit un peu à l’identique et pas forcément avec une grande vigilance, notamment s’agissant de la pièce de survie. Aujourd’hui, le territoire vous parait-il résilient suite à cette crise, et moins exposé qu’il ne l’était à un aléa comparable ou à un aléa autre que le cyclone ?
M. Daniel Gibbs. Je suis certain que la personne qui vous a dit que la reconstruction s’est faite un peu à l’identique est quelqu’un émanant du corps étatique, mais je ne reviendrai pas sur cette polémique.
Depuis des siècles, Saint-Martin subit des cyclones. À chaque fois, ce territoire s’est reconstruit. Je vous mets au challenge de comparer les images de Saint-Martin après le 5 septembre 2017 et celles un, voire deux ans plus tard. Vous constaterez la différence, qui reste visible, alors qu’à l’époque, tous se demandaient comment s’en sortir.
Il était bien évident que la reconstruction serait lente, car des habitations étaient complètement démolies. Tout était à refaire et non pas uniquement la toiture. Or les moyens n’étaient pas toujours présents et il a fallu attendre. Premièrement, pour ceux qui étaient assurés, il a fallu attendre que les assurances interviennent, et cela a été un processus très long, je dois l’avouer. Tous les rapports mentionnent des problèmes au niveau des assurances, qui ont nommé cet événement The big one. Ces lenteurs ont engendré un certain nombre de problématiques. Les remboursements n’ont pas été effectués à la vitesse d’exécution souhaitée, notamment aux yeux du Président de la République. Deuxièmement, 60 % de la population n’étant pas assurée, il a fallu aller chercher des prêts ou des financements pour reconstruire.
Enfin, la crise du PPRN a énormément ralenti le processus et nous a fait perdre pratiquement deux ans. Il nous a fallu deux ans pour expliquer aux pouvoirs publics que le territoire vit essentiellement du tourisme. Effectivement, des mesures doivent être prises pour se protéger à l’avenir. Cependant, il est impossible de dire aux personnes qui depuis des années sont propriétaires d’une parcelle sur le littoral, qu’elles ne peuvent pas y reconstruire leur maison. Les logiques sur une île de 75 kilomètres carrés, dont 50 kilomètres carrés pour la partie française, sont différentes des logiques sur un territoire plus large, comme celui de la France hexagonale.
Le PPRN qui a été mis en place rapidement - et mal - a soulevé ces problématiques, à tel point que le premier a été annulé. Une mission a été chargée d’évaluer la reconstruction d’un nouveau PPRN. À l’époque, Dominique Lacroix, ancien préfet de Saint-Martin et qui connaissait très bien le territoire, est venu apporter des préconisations qui allaient complètement à l’encontre de celles de la nouvelle préfète, Mme Danielo-Feucher, qui a voulu imposer un PPRN qui n’était pas en adéquation avec le territoire.
Nous n’étions pas contre la consolidation et contre un certain nombre de préconisations au travers du nouveau PPRN. En revanche, nous étions contre ce qui était proposé de manière radicale. Clairement, ce premier PPRN interdisait de construire sur le littoral. Quand vous connaissez la configuration de Saint-Martin, celle signifie qu’il faut construire dans les montagnes où la plupart des parcelles sont non constructibles. Il fallait rester en adéquation avec notre territoire. Je pourrais approfondir le sujet, mais cela prendrait plus de temps, car la situation n’était pas si simple.
Au final, un deuxième PPRN a émergé après une véritable consultation, après une véritable analyse et des solutions ont été préconisées. Nous-mêmes, en tant que pouvoirs publics, nous avons proposé un certain nombre de dispositifs. Comme vous le savez, « l’argent est le nerf de la guerre ». Ces solutions nécessitaient que l’État apporte un certain nombre de financements, puisqu’il s’agissait d’infrastructures très lourdes à gérer, telles que des digues de protection. Nous avons même évoqué la création d’une île artificielle avec du sable de la baie de Marigot pour éviter le phénomène de submersion. Nous ne demandions pas toujours des moyens financiers, mais des dérogations à la loi, à savoir de pouvoir récupérer tous les sédiments en pompant afin d’éviter une opération de clapage qui coûtait très cher. Nous l’aurions utilisée comme digue naturelle, afin d’annihiler la complexité et la dangerosité du phénomène de submersion, notamment sur la région de Sandy-Ground.
Il ne s’agit pas de critiquer ce qui avait été proposé, mais d’apporter des solutions qui avaient été suggérées bien en amont et qui n’ont pas été retenues.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La vigueur de votre réponse montre que c’est un sujet effectivement important.
M. Daniel Gibbs. Vous m’avez demandé de ne pas pratiquer la langue de bois. Donc, je ne manierai pas la langue de bois et reprendrai les propos que j’ai toujours tenus pendant mon mandat de 2017 à 2022.
Il est urgent que l’État se penche sur une question primordiale et qui m’a valu, pendant tout mon mandat, un couperet avec de nombreux articles 40. Comment voulez-vous qu’un président d’une collectivité puisse s’en sortir après un événement aussi dramatique, lorsque la période d’urgence qui est normalement fixée immédiatement après l’événement est de moins de six mois ?
La période d’urgence impérieuse a été fixée par la ministre des outre-mer, Annick Girardin, et par la préfète pour une période de six mois, jusqu’au 31 décembre 2017. Le président de la collectivité de Saint-Barthélemy et moi-même avons été contactés, et il nous a été dit : « Vous êtes en période d’urgence impérieuse et vous avez la possibilité d’être hors la loi sur les marchés pour permettre de reconstruire le plus rapidement possible ». L’objectif était effectivement de remettre notamment les écoles en ordre de marche, car le ministre de l’éducation voulait venir à Saint-Martin pour inaugurer le retour « à la normale » et le retour en cours des étudiants. Pour ce faire, il a fallu, comme le président de la République l’avait demandé, bousculer les procédures. J’ai donc passé toutes mes procédures pendant la période d’urgence impérieuse.
Deux ans après l’événement cyclonique, la même personne qui était préfet à la reconstruction sur Irma, est devenue préfet de la région Guadeloupe. Elle m’adresse un courrier en me signifiant qu’au final, la période d’urgence n’était pas de six mois, mais d’un mois, soit du 5 septembre au 10 octobre 2017. Pour ce monsieur, le 10 octobre 2017, tout était redevenu normal, sachant que l’état d’urgence de l’État a duré jusqu’en 2018. Les dernières réquisitions de l’État sur le port se sont terminées et l’armée s’est retirée en décembre 2017. Nous avions effectivement convenu que l’État gérait les denrées et les dons qui arrivaient sur notre territoire. Tout cela nous a été « refourgué » alors que nous n’avions aucune logistique pour pouvoir parer à cette situation. L’État était en état d’urgence impérieuse, au moins jusqu’au mois de décembre 2017.
Pourquoi est-ce que j’insiste sur ce point ? Parce que cette décision a des conséquences pour nous, élus. Monsieur le président, vous comprendrez ma hargne, car il faut véritablement protéger les présidents et les dirigeants des territoires après de tels événements. Quand vous avez la garantie, écrite noir sur blanc, de votre état d’urgence impérieuse et que vous êtes autorisés à passer outre les procédures habituelles de marchés afin de sortir du marasme dans lequel vous vous trouvez et que, quelque temps plus tard, on vous indique que la période a changé, vous avez déjà passé vos commandes publiques et vous avez déjà payé vos prestataires. Vous vous trouvez ensuite dans l’illégalité. Quand vous avez, en tant que dirigeant d’un territoire, ce couperet au-dessus de la tête, croyez-moi, ce n’est pas facile.
L’ironie du sort, c’est que ce même préfet de région m’a adressé ce courrier, mais ne l’a pas adressé au président de Saint-Barthélemy. Là aussi, on peut se poser des questions.
C’est pourquoi, je le répète, il y a la fonction et il y a l’être humain derrière cette fonction. Cela a une très grande importance dans la mise en place de tout le modus operandi après un drame pareil.
Cette question de l’urgence impérieuse est primordiale. Je vous donnerai un exemple pour vous expliquer les raisons de ma frustration. Peu de temps après Irma, la cathédrale Notre-Dame de Paris a brûlé. Connaissez-vous la durée de la période d’urgence impérieuse décrétée pour la reconstruction de cet édifice, sachant encore une fois qu’elle permet de passer des marchés hors appel d’offres ? La première période a été de six mois, puis elle a été très rapidement étendue à un an, voire deux ans. Vous pouvez comparer les travaux de la cathédrale Notre-Dame avec ceux de l’île de Saint-Martin, détruite à 95 %.
Je pense qu’il existe un véritable dysfonctionnement dans certaines méthodes appliquées par des représentants de l’État. Cette situation contribue au fait que des élus comme moi n’ont plus envie de se retrouver dans une pareille situation. J’irai même plus loin. Je comprends aujourd’hui que dans certains villages, villes ou territoires, d’aucuns n’ont plus envie de consacrer du temps à la fonction d’élu. Je le dis du fond du cœur parce que l’expérience que j’ai vécue pendant cinq ans n’est pas une expérience agréable, croyez-moi.
M. le président Mansour Kamardine. J’entends votre colère et votre profonde déception.
Je me permettrai de vous donner un conseil, en tant qu’élu qui a depuis quarante ans épuisé une trentaine de préfets. Il est un dicton selon lequel « les paroles s’envolent, les écrits restent ». Donnez à vos collègues ce conseil. On peut vous dire que la durée est de six mois, mais demandez toujours un courrier. Aujourd’hui, le fonctionnement de nos institutions est basé pour l’essentiel sur « l’ouverture du parapluie », et explique qu’elles ne fonctionnent pas toujours comme nous l’aurions souhaité.
J’ai cru comprendre que certaines personnes n’avaient pas réussi à reconstruire leur maison détruite et que des constructions sont toujours en cours. Avez-vous une idée de leur nombre ?
Par ailleurs, quelle justification donnez-vous aux pillages deux ou trois jours après l’événement ? Les forces de l’ordre - et notamment des militaires - ont été mobilisées de manière tardive et certains nous ont laissés entendre que ces pillages ont provoqué plus de dégâts que le cyclone lui-même.
M. Daniel Gibbs. Monsieur le président, permettez-moi de dire que je respecte infiniment la haute fonction de la République et tous ceux qui sont derrière cette fonction. Lorsqu’un ministre ou un préfet vous donne sa parole, dans le chaos dans lequel nous étions tous, on ne revient pas sur cette parole. Certes, « Les paroles s’envolent, les écrits restent ». Mme la ministre Annick Girardin a annoncé devant caméra et également à la radio qu’elle décrétait l’état d’urgence impérieuse. Si vous l’interrogez, elle vous confirmera avoir alors pris ses responsabilités.
Aussi, je vous interpelle sans doute de manière virulente, mais je ne veux pas qu’un autre président ou qu’un autre élu se retrouve dans la même situation.
Dans ces situations, l’humain est un critère qu’il ne faut pas négliger. Le préfet Serge Gouteyron, qui a succédé à Mme Danielo-Feucher, pendant ses deux années de mandat, a accompli un important travail d’accompagnement. L’humain a certainement joué, mais dans un contexte différent. J’ai sauvé la fin de mon mandat grâce aux préfet Gouteyron qui a joué le jeu d’un véritable accompagnement de l’État. La gestion de l’après-Irma n’était pas compliquée. Il fallait simplement assurer la coordination et que les services de l’État aient confiance aux élus.
S’agissant des reconstructions qui ne seraient pas terminées, sachez qu’aujourd’hui, personne n’est sans toit. Toutes les personnes sont hébergées ou relogées par la famille, quelquefois sur une autre partie de l’île, grâce à l’entraide. Effectivement, les stigmates d’Irma sont visibles sur certaines propriétés. La seule problématique concerne les personnes qui n’étaient pas assurées et qui n’ont pas repris la construction de leur habitation, car elle était trop chère. Ils sont donc passés à un mode de vie locatif, certainement. Je m’avance peut-être, car je n’ai pas de statistiques. En effet, le manque incontestable de statistiques est également un problème depuis des années. Il faut se fier au comptage de l’État.
À l’époque, avec la préfète Laubies, nous avions établi une liste des personnes qui étaient en danger, en grande difficulté et qu’il fallait reloger. J’ai moi-même, au niveau de la collectivité, pris en charge des personnes en grande difficulté et sans toit pendant deux ans, voire plus. J’ai financé leur hébergement et leurs repas, etc. Ces personnes, hommes, femmes et enfants, étaient en danger. Vous imaginez les problématiques que cela pouvait causer.
Aujourd’hui, s’agissant de la reconstruction, nous devons rester positifs et continuer sur cet élan. Notre stratégie de développement économique repose sur notre matière première, qui est le tourisme. Les institutions doivent bien comprendre que ce territoire n’est pas un territoire qui mendie. Il sait fonctionner dans ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire du tourisme. Pour cela, il a besoin d’aide, à la fois pour ses infrastructures, et peut-être en raison de dispositifs législatifs qui sont mal adaptés au territoire. Ce dont il a besoin n’est pas difficile à obtenir. Le territoire a mis en œuvre de manière institutionnelle un schéma de développement touristique et un schéma de l’habitat, qui ne demandent qu’à être accompagnés.
Certes, je vous dirai que je ne suis plus aux commandes et n’ai plus la maîtrise de ces aspects. Tout dépend de l’homme qui est « derrière les manettes ». Néanmoins, la reconstruction s’est faite en bonne intelligence. Nous avons même édité un guide de la reconstruction pour les personnes qui voulaient se charger elles-mêmes de la reconstruction de leur habitation, comme de nombreux Saint-Martinois, afin de s’assurer qu’elles avaient les bons réflexes et qu’elles utilisaient les bons matériaux. Nous avons pratiqué une forme de pédagogie auprès de la population sur certains aspects de la reconstruction, après les pillages.
S’agissant des pillages, vous me demandez si l’intervention de l’État a été trop tardive. Je vous assure que c’était le chaos, à tous les niveaux. Les unités sur Saint-Martin n’étaient pas suffisantes pour pouvoir protéger l’entièreté du territoire. Que s’est-il passé véritablement ? De nombreux commerces et supermarchés ont effectivement été pillés, car certaines personnes étaient à la recherche de nourriture, etc., occasionnant de nombreux dégâts, mais aucun mort. Ces pillages ont eu des conséquences néfastes pour les propriétaires dont une bonne partie a par la suite quitté le territoire. Je ne blâmerai pas les services de l’État et plus précisément les services de la gendarmerie sur le dispositif, car il était très compliqué d’amener du renfort sur le territoire et d’aider les différents services à s’organiser.
À l’époque, avec le général de brigade Jean-Marc Descoux, nous avons effectué un Retex et nous avons longuement discuté des solutions post-cycloniques que nous pouvions apporter. Premièrement, il ne faut pas amener tous les secours avant le phénomène cyclonique. En effet, en cas de drame comme celui d’Irma, tous ceux qui seront présents subiront ce drame et ne seront pas opérationnels. Tout le matériel qui sera apporté sera peut-être défectueux ou abimé par le cyclone. L’idée est de faire rentrer une petite partie des forces pour aider au renforcement immédiat, mais que la « grosse cavalerie » arrive ensuite très rapidement, 24 heures après le passage du cyclone. Ainsi, nous serions beaucoup plus efficaces. Cette « grosse cavalerie » doit être postée dans les environs de nos territoires.
À l’époque, nous avons attendu le navire Dixmude un certain temps, car il devait traverser l’Atlantique. J’avais préconisé de pouvoir disposer dans la région d’un bateau spécialisé dans les interventions post-événements climatiques. Aujourd’hui, cette solution a été mise en application et le bateau est à présent basé en Martinique. Si le cyclone arrive principalement sur la Martinique, le bateau se déplacera au fur et à mesure de l’avancement du cyclone et interviendra sur les territoires qui auront déjà subi son passage afin de parer aux situations que nous avons connues après Irma. Dans l’avenir, en bénéficiant du renfort nécessaire immédiatement après le passage du cyclone, nous ne vivrons plus une telle situation.
Toute la population est restée 48 heures sans aide, car il était impossible d’accéder à certains endroits de l’île. À un moment donné, « il se fait faim », et la situation peut expliquer un certain nombre d’événements.
Je voudrais soulever le point des organisations non gouvernementales (ONG), dont nous n’avons pas assez parlé dans toutes les enquêtes comme dans toutes les missions. Pour ma part, j’ai été choqué du fonctionnement de certaines d’entre elles. Lorsque l’on est en situation de détresse, on a envie de toute l’aide possible, mais pas n’importe quelle aide et pas par n’importe quel moyen. Il ne s’agit pas de venir planter un drapeau en disant : « Je suis telle organisation, j’étais là et j’ai apporté tant de temps et tant de matériel ». Cela a créé une désorganisation complète qui est plus néfaste que prolifique. Certaines ONG reconnues ont très bien fonctionné et sont restées d’ailleurs très longtemps. Ces ONG bénéficient d’une autorisation de l’État pour intervenir sur nos territoires, mais elles doivent être intégrées au mode de fonctionnement de l’État et des collectivités et non pas imposer leurs propres règles afin de justifier de leur action. En agissant de cette manière, elles désorganisent un système déjà mis en place. Il faut avoir un regard très particulier sur le filtrage des ONG qui interviennent : qu’elles ne soient pas trop nombreuses et plus efficaces. Pour ce faire, elles doivent bénéficier d’une certaine expérience de nos territoires. Je ne voudrais pas citer de nom, mais j’ai eu l’impression que certaines ONG avaient « découvert la lune ». Je force le trait, mais le fonctionnement des ONG est un sujet problématique qui n’a pas été évoqué.
M. le président Mansour Kamardine. Vous avez réussi à convaincre M. le rapporteur qui n’a plus de question à ce stade. Il me reste à vous remercier pour votre disponibilité et à vous souhaiter une excellente journée.
20. Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Assurer face aux risques naturels en outre‑mer » (26 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Je remercie nos intervenants d’avoir fait le déplacement jusqu’ici par un tel temps. J’aurais préféré que ces pluies tombent à Mayotte, cela atténuerait la crise hydrique !
Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde consacrée à la couverture assurantielle des principaux risques liés aux catastrophes naturelles en outre-mer, sujet qui se rattache à la question plus générale de l’avenir du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit « Cat nat ». Nous recevons M. Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance, qui est l’acteur public chargé de mettre en œuvre la garantie de l’État pour ce régime, accompagné de M. Antoine Quantin, directeur des réassurances, conseil et modélisation, et de Mme Rose-Marie Tunier, directrice de la communication et des affaires publiques. Est également présent M. Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et restera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Rose-Marie Tunier, M. Antoine Quantin, M. Édouard Vieillefond et M. Julien Arnoult prêtent successivement serment.)
M. Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR). Le régime des catastrophes naturelles a été institué en 1982, alors que la CCR, le réassureur public, existait depuis 1946. Son objet est de permettre l’assurabilité de certains biens face à des catastrophes naturelles susceptibles de les rendre inassurables, du moins par le marché seul.
C’est le point le plus important : si les assureurs et réassureurs privés pouvaient tout assurer, ils le feraient et il n’y aurait pas besoin du régime Cat nat. Mais il peut exister des carences ou défaillances de marché, en l’occurrence parce que le péril est trop grand et les pointes trop importantes. Les inondations, les tremblements de terre, la sécheresse géotechnique – autrement dit le retrait-gonflement des argiles – sont quelques exemples de risques qui ne sont pas assurables par le marché seul.
Ces risques sont inclus dans le régime Cat nat car les assureurs privés ne pourraient pas les couvrir sans limite. Si la CCR, qui réassure les assureurs, peut le faire, c’est parce qu’elle bénéficie de la garantie de l’État. J’insiste sur ce point pour éviter les confusions, fréquentes, entre ce qui relève du régime Cat nat et les catastrophes naturelles que les assureurs gèrent seuls. Les tempêtes, la grêle et la neige sont ainsi couverts contractuellement, sans qu’il y ait besoin du régime Cat nat.
Ce régime assure des biens contre des dommages – il ne s’agit pas d’assurer des personnes, ce n’est pas une assurance vie ou une assurance santé. Ces biens, les habitations notamment, peuvent subir des dommages à cause d’inondations ou de tremblements de terre par exemple. Lors de tels sinistres, qui se produisent régulièrement, les dommages sont d’abord pris en charge par les assureurs : c’est l’assurance primaire. La CCR intervient dans un deuxième temps, comme réassureur – au-dessus des assureurs. J’insiste sur ce second point : le régime Cat nat repose sur l’assurance primaire et s’il fonctionne bien, c’est parce qu’en France l’assurance est très bien répartie et très efficace. Ainsi, dans l’Hexagone, l’assurance multirisque couvre 97 % des habitations. Mais lorsqu’aucune assurance primaire n’est souscrite, le régime Cat nat ne s’applique pas et il n’y a pas d’indemnisation. Or la situation d’assurance est très différente dans les outre-mer, où les taux de couverture s’échelonnent entre 5 et 70 %.
Techniquement, une surprime est automatiquement appliquée à toutes les assurances dommages que souscrivent les particuliers et les entreprises. Cette surprime, obligatoire, génère à peu près 2 milliards d’euros de revenu. La CCR et les assureurs se répartissent ce revenu et les sinistres correspondants, selon une quote-part de 50/50, propre à aligner les intérêts. Les assureurs peuvent ensuite essayer de se réassurer auprès de réassureurs privés, qui parviennent à couvrir certains périls, notamment les inondations. Au-delà d’un certain montant, la CCR intervient en stop loss, selon un mécanisme de réassurance non proportionnelle, et prend à sa charge l’intégralité des dommages. Enfin, si les réserves de la CCR – aujourd’hui un peu moins de 2 milliards – ne suffisent plus à couvrir le total des dommages, nous faisons appel à la garantie de l’État. Cela ne s’est produit qu’une seule fois, en 2000. La surprime venait d’être augmentée, en 1999, et n’a plus bougé jusqu’au 28 décembre 2023, où le ministre des finances l’a portée de 12 % à 20 %.
En dehors de l’Hexagone, le régime Cat nat s’applique aux départements et régions d’outre-mer (Drom) et à certaines collectivités d’outre-mer (COM). Celles du Pacifique, en particulier la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, n’en bénéficient pas. Il constitue un avantage important pour les territoires ultramarins, qui représentent 10 % des dommages du régime et versent seulement 2 % des primes environ. Cette péréquation qui leur est favorable est une très bonne chose. Reste que beaucoup de nos concitoyens ultramarins ne souscrivent pas d’assurance primaire – que ce soit dû à la présence des assureurs ou à l’assurabilité des maisons, par exemple parce qu’elles ne sont pas aux normes – et ne sont donc pas couverts par le régime Cat nat.
M. Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance (Agéa). Les agents généraux d’assurance conseillent leurs clients sur l’assurance de leurs biens, personnels ou professionnels, et distribuent les produits d’assurance d’une compagnie, à laquelle les lie un mandat exclusif. Au nombre de 12 500, ils sont présents dans tous les territoires, y compris les communes de quelques centaines d’habitants et bien sûr les territoires d’outre-mer. Cela nous permet de repérer les mouvements assurantiels et de faire des comparaisons entre métropole et outre-mer. Il y a des différences mais aussi des points communs – nous aurons l’occasion de casser quelques préjugés à ce sujet.
L’agent d’assurance joue un rôle d’intermédiaire, au croisement entre son client, qui est l’assuré et le sinistré, et l’État ou les autorités publiques. Nous sommes donc bien placés pour savoir ce qui est compris ou non dans notre système d’assurance. Je partagerai avec vous des expériences de terrain, mais pas des statistiques, que nous n’avons pas les moyens de produire, contrairement à un organisme comme France Assureurs.
Comme l’a dit Édouard Vieillefond, le régime Cat nat revêt une grande importance pour les outre-mer. Avant qu’il ne leur soit étendu, en 1989, la prime complémentaire pour les cyclones y allait de 50 % à 100 % de la prime d’assurance habitation, contre 12 % aujourd’hui et 20 % au 1er janvier 2025. Ce régime leur est donc indispensable.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Lors de mes lointaines études d’économie, on m’avait expliqué qu’un risque assurable ne pouvait pas être structurel. Un risque structurel étant certain, il est couvert par une subvention, une épargne ou quoi que ce soit d’autre, mais pas par une assurance. Du fait du changement climatique, certains aléas tendent à devenir structurels, en particulier dans les outre-mer, qui sont des territoires particulièrement exposés. À Saint-Martin par exemple, trois cyclones s’étaient succédé, en 1960, 1995 et 2017. Mais ces phénomènes menacent de se rapprocher ou, en tout cas, de devenir de plus en plus puissants, de sorte que le risque financier associé ira croissant. Il en va de même pour la gestion des sols. Pensez-vous que ces risques soient durablement assurables, ou les montants en cause nous conduiront-ils à recourir au régime Cat nat de façon systématique ?
Ma deuxième question porte sur les biens qui ne sont pas assurés, ou qui le sont mal, ce qui n’est pas la même chose. Vous soulignez, à juste titre, que de nombreux biens ne répondent pas aux normes. Il s’agit cependant moins de négligence que de l’aboutissement d’une histoire, et il faut tout de même bien faire en sorte que les gens soient couverts. À Saint-Martin, territoire français le plus récemment touché par un épisode destructeur, une partie des biens n’étaient pas assurés. J’ai cru comprendre qu’ils n’avaient toujours pas été reconstruits : dans ces cas, la marche devient trop haute. Auriez-vous des propositions pour favoriser une meilleure couverture assurantielle des particuliers ? En avez-vous quant à l’estimation des biens et à leur conformité aux normes ?
Troisième question : quelle est la situation des collectivités locales en ce qui concerne l’assurance de leurs propres biens ? À l’époque où je dirigeais le cabinet d’un maire, nous avions fait l’audit des assurances sur les bâtiments et biens communaux : certains étaient assurés trois fois, d’autres ne l’étaient pas du tout ! Les choses ont certainement changé en mieux, mais la question de l’estimation des biens assurés demeure. Qu’en est-il dans les outre-mer ?
Enfin, comment fonctionnent les assurances dans le Pacifique ? J’entends bien que les mécanismes de réassurance ne s’y appliquent pas, mais j’imagine qu’il est possible de s’assurer dans cette région, qui n’est pas à l’abri des catastrophes naturelles.
M. Édouard Vieillefond (CCR). En matière d’assurabilité, on peut tracer deux frontières. La première sépare les risques assurables par le marché seul de ceux qui ne peuvent l’être qu’avec de l’aide et la garantie de l’État. La seconde, qui fait plus directement l’objet de votre question, délimite les aléas et les événements certains – la question n’étant plus si, mais quand ils vont se produire.
La première de ces frontières est assez malléable. Ainsi, des périls nouveaux relèvent à présent du régime Cat nat. J’ajoute que, dans d’autres domaines que les catastrophes naturelles, la CCR réassure également d’autres risques extrêmes comme le terrorisme ou la responsabilité civile des exploitants nucléaires. Pour s’en tenir aux catastrophes naturelles, la limite entre les risques tempêtes, grêle, neige (TGN) et les autres catastrophes est quasiment l’un des fondements historiques de l’assurance, les risques TGN revenant aux assureurs privés, les autres risques, tremblements de terre et inondations en particulier, à la CCR. Pour le moment, cette répartition semble bonne – encore une fois, nous n’avons pas à intervenir tant que le marché sait faire. Mais si une chute de grêle comparable à celle de 2022 – qui avait causé près de 6 milliards d’euros de dommages – se produisait à nouveau, tous les acteurs réviseraient leurs modèles et la question de l’introduction de ce péril au sein du régime Cat nat se poserait.
La deuxième frontière touche aux périls qui, devenus structurels, cessent d’être assurables, même avec l’intervention de la CCR. Le retrait du trait de côte est un exemple typique de ce qui ne constitue plus un risque, mais une réalité. Dès lors, le problème ne relève plus du régime Cat nat, il devient purement politique et budgétaire. Nous ne pouvons plus intervenir, et les assureurs en amont non plus.
Il me sera difficile de répondre à votre deuxième question, comme à une autre semblable du questionnaire que vous nous avez transmis, car nos données sont limitées. En revanche, je peux vous donner les chiffres de l’assurance primaire. En multirisque habitation (MRH), 97 % des ménages de l’Hexagone sont couverts. Dans les outre-mer, les pourcentages diffèrent considérablement. Ils semblent varier en fonction du PIB par habitant. La Réunion qui vient de voir passer le cyclone Belal, connaît un taux d’assurance MRH de 68 %, ce qui est correct, contre 62 % en Martinique, 59 % en Guadeloupe, 49 % en Guyane et 6 % à Mayotte.
La question centrale n’est donc pas tant celle des normes de constructibilité que celle du niveau de richesse locale, autrement dit de la capacité des personnes à faire construire des maisons ou des appartements suffisamment aux normes pour bénéficier d’une assurance. À ce propos, nous commençons à voir, y compris dans l’Hexagone, des cas de défaut d’assurance MRH, qui est une assurance obligatoire dont nous ne pensions pas que le taux de couverture baisserait sur le territoire métropolitain. C’est un début d’évolution très inquiétant lorsqu’on sait que, en matière d’assurance automobile, il existe une masse considérable de gens qui ne sont pas assurés au tiers – je ne parle là encore que d’assurances obligatoires. Bref, il ressort de tout cela un lien direct entre le pouvoir d’achat des Français et leur capacité à payer les primes d’une assurance, facultative ou même obligatoire.
S’agissant des assurances des collectivités locales, plusieurs travaux sont en cours et nous avons déjà eu quelques échanges avec leurs auteurs. Nous avons dit à vos collègues de la mission d’information du Sénat que le dialogue compétitif entre les collectivités locales et les assureurs semblent être gêné, pour ne pas dire bloqué, par le fonctionnement des appels d’offre qui s’imposent à partir d’un certain seuil. Le code des marchés publics ne permet pas aux assureurs d’évaluer précisément ce qu’il y a à assurer, bien par bien, y compris les biens propres des communes. Or un assureur qui ne connaît pas le risque ajoute une surcouche tarifaire, ce qui est bien normal. Réciproquement, les communes ont rarement les moyens de conduire ce dialogue, de faire jouer la concurrence et de faire valoir leurs mesures de prévention et les réalités de leur territoire. Sans être un spécialiste du code des marchés publics, je pense qu’il est susceptible d’être amélioré sur ce point.
Seconde remarque, le marché souffre d’un défaut de concurrence. Techniquement déficitaire pendant des décennies, le marché des collectivités locales n’a pas attiré de nouveaux assureurs. Seuls certains acteurs déjà implantés sont parvenus à se maintenir, et les collectivités ont du mal à trouver de nouveaux interlocuteurs. Il faut donc revenir à une approche gagnant-gagnant : si les biens et les risques sont mieux connus des deux côtés, cela attire plus d’assureurs et la concurrence fait émerger un bon prix de marché. Ce qui nous ramène au thème de cette audition : moins il y a d’assureurs, plus il leur sera difficile d’assumer les coûts d’un événement exceptionnel ; un sinistre réparti entre une centaine d’assureurs, comme c’est le cas en général dans l’Hexagone, est plus aisément absorbé.
Je ne suis pas certain d’avoir bien compris la quatrième question.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’ai bien compris que la CCR n’intervenait pas dans le Pacifique, mais certains assureurs le font. C’est une zone exposée à des risques de plus en plus forts du fait du réchauffement climatique. Avez-vous une opinion sur la situation ?
M. Édouard Vieillefond. Mon collègue peut vous dire quelques mots d’une étude que nous avons réalisée en 2022 sur le Pacifique, bien que nous n’y intervenions pas.
M. Antoine Quantin directeur des réassurances, conseil et modélisation de la CCR. Nous disposons de peu d’informations au sujet de la Polynésie française et de la Nouvelle Calédonie. Une mission a effectivement été lancée il y a quelques années sur la refonte du code des assurances polynésien. Nous savons ce territoire exposé aux risque cyclonique, aux tsunami et au phénomène de ruissellement, mais nous disposons de peu d’éléments chiffrés.
Mme Sophie Panonacle (RE). Monsieur Vieillefond, je crois vous avoir entendu dire qu’il n’était plus possible d’assurer les risques liés à l’érosion côtière. Ai-je bien compris ?
M. Édouard Vieillefond. Parfaitement. Il ne s’agit plus d’un aléa, mais d’une certitude : le risque n’est donc plus assurable. Le régime Cat nat couvre le risque de submersion, c’est-à-dire les dégâts provoqués par les vagues, et non par le ruissellement ou par un débordement fluvial. En revanche, aucun assureur ne voudra prendre en charge les conséquences du recul du trait de côte, qui ne sont donc a fortiori pas réassurables.
Mme Sophie Panonacle (RE). Je préside le Comité national du trait de côte, dont la prochaine réunion plénière aura lieu le 29 février – je vous rappelle que vous y êtes conviés. Vous avez raison, l’érosion étant prévisible, elle n’est pas considérée comme un risque naturel majeur. Toutefois, les scientifiques expliquent qu’elle est indissociable de la submersion, dont elle est la conséquence. Or la submersion est de plus en plus fréquente et violente, en particulier dans certains territoires d’outre-mer. De nombreux propriétaires seront affectés, y compris les communes, qui possèdent des bâtiments publics. J’ai intégré les assureurs dans le Comité national du trait de côte afin qu’ils participent à la réflexion sur les évolutions possibles et sur la recomposition spatiale des territoires concernés. De tels risques imposent une solidarité nationale et territoriale : l’État sera mis à contribution, comme les régions et les départements, et les assureurs pourraient également jouer un rôle, en particulier pour soutenir les communes.
M. Édouard Vieillefond. Pour qu’une catastrophe naturelle soit prise en charge par le régime Cat nat, je l’ai dit, il faut que le risque en cause y soit éligible, et il faut en outre que l’événement soit d’une importance suffisante pour qu’un arrêté interministériel déclenche l’application du régime : les vents cycloniques, par exemple, doivent être au-dessus d’un certain seuil de vitesse, et les inondations en dessous d’une certaine fréquence statistique. On peut donc travailler sur la définition de ces critères. En mai 2023, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont lancé une mission sur l’assurabilité des risques climatiques, dont nous attendons les conclusions dans les prochaines semaines. L’important reste de toute façon de bien définir les frontières : philosophiquement et mathématiquement, il est clair que la submersion et le choc des vagues relèvent du régime Cat nat et que le retrait du trait de côte n’est pas assurable.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Évidemment, l’assureur a besoin de stabilité : il est compliqué d’assurer un risque dont la définition est mouvante. Quelles méthodes utilisez-vous pour réévaluer les risques et décider ce qui est assurable ? Comment appréhendez-vous le risque ? Les territoires ultramarins sont particulièrement exposés.
M. Édouard Vieillefond. Il existe des critères, fixés par la loi ou par voie réglementaire. Certains doivent rester stables. Les seuils de vitesse des vents cycloniques que j’évoquais ont été établis en 2000, il ne faut pas les modifier tous les jours. Or la loi « Baudu » (loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles) et la loi « 3DS » (loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale) ont modifié récemment certains paramètres. Elles ont permis des améliorations, mais pour le bien de l’opérateur, qui est le pivot du régime, il ne faut pas modifier celui-ci chaque année. On peut réfléchir à des évolutions concernant les submersions, les vents cycloniques, les inondations ou même la sécheresse, mais en tenant compte de cet impératif de stabilité.
Après la définition des critères se pose la question de la mesure des indicateurs retenus. Depuis sa création, notre système s’est montré efficace ; beaucoup dans le monde nous l’envient. Il repose sur un équilibre fructueux entre le public et le privé. Un de ses gros avantages est que le fameux arrêté interministériel dépend de mesures effectuées par des tiers, par exemple Météo‑France ou le Bureau de recherches géologiques et minières : cette dimension paramétrique garantit que la décision de déclencher l’application du régime ne dépend pas de ceux qui y sont intéressés. L’évolution des instruments de mesure constitue donc une des pistes d’amélioration possibles, dès lors qu’elle se fait de façon ordonnée. On peut changer les capteurs, comme on peut modifier le Soil Wetness Index, l’indice d’humidité des sols, pour les maisons endommagées par la sécheresse – Météo‑France s’y emploie.
J’insiste : il faut réformer dans le calme, de façon régulière mais pas trop fréquente, au risque de déstabiliser le système. Depuis la loi « Baudu », une Commission nationale consultative des catastrophes naturelles est chargée de réfléchir à l’amélioration du système. Elle devrait être installée dans les prochains mois.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Il n’est pas question de remettre en cause un système efficace, seulement de l’améliorer, le cas échéant. Nous devrons veiller à l’installation effective de la Commission nationale.
Un bien peut aussi devenir inassurable en raison de normes. S’il est supposé pouvoir résister à des aléas devenus structurels, j’imagine qu’il redevient assurable, même si cela implique un coût, donc un mécanisme à discuter. Qu’en est-il de la réévaluation des normes de construction, en particulier dans les territoires ultramarins ? Dans certains d’entre eux, des techniques de construction traditionnelles ont prouvé leur efficacité pour résister aux aléas. Sont-elles prises en considération pour l’établissement des normes ?
M. Édouard Vieillefond. À côté de la question des normes de construction, il y a celle de la prévention et de la réparation du bâti existant. Les sommes investies dans la prévention sont plus importantes dans les Drom que dans l’Hexagone. Toutefois, elles le sont de manière localisée – ce qui n’est pas toujours infondé – et souvent pour lutter contre les tremblements de terre. Les investissements visant à prévenir les cyclones sont nettement moindres, même pour les biens assurés, parce qu’il s’agit là de construction individuelle. Comparaison n’est pas raison, mais la situation n’est pas sans rappeler celle de la sécheresse géotechnique dans l’Hexagone : pour protéger les biens individuels, il faudrait mieux les construire et mieux les réparer, mais c’est beaucoup plus compliqué à faire que de réaliser de gros travaux, comme des barrages, ou des ouvrages de prévention des tremblements de terre en outre-mer. Les fonds de prévention servent souvent aux bâtiments publics, notamment aux écoles. Quoi qu’il en soit, on est beaucoup plus efficace en collectif qu’en individuel. Il arrive que des constructions du début du XXe siècle résistent mieux que celles des années 1970, mais de façon générale, dans l’Hexagone comme en outre-mer, la question est de savoir si les particuliers ont les moyens de construire des bâtiments respectant suffisamment les normes pour être résistants.
Dans ce domaine, le fonds Barnier est indispensable ; il a prouvé son efficacité, en particulier contre les inondations. Nous disons souvent que chaque euro du fonds investi dans le cadre des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) a évité 3 euros de dommage – presque 2 dans les Drom. Deux problèmes se posent cependant. Premièrement, les dotations du fonds progressent moins qu’avant 2020. Deuxièmement, il s’agit d’un outil très efficace pour les bâtiments collectifs, mais que la procédure administrative rend difficile à utiliser pour les particuliers.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Le sinistre survenu à Saint-Martin, et dans une moindre mesure à Saint-Barthélemy, a fourni un exemple de réussite toute relative en matière de prévention. Plus récemment, le déroulement des événements à La Réunion a témoigné d’une préparation plus efficace.
Après le passage du cyclone Irma à Saint-Martin, le plan de prévention des risques naturels (PPRN) a été révisé. La première version du nouveau plan, inacceptable pour la population, a provoqué des émeutes. La deuxième version a été mieux accueillie. Selon les autorités, et bien d’autres, c’est grâce à une meilleure concertation – je caricature à peine. Une autre explication veut que la première version ait pris en considération le risque de submersion, en restreignant les zones constructibles, mais pas le risque lié aux vents, pourtant à l’origine de 95 % des destructions constatées sur l’île.
Dans quelle mesure avez-vous été associés aux discussions relatives à la révision du PPRN ? Avec le recul, considérez-vous que la prise en compte des risques est plus réaliste désormais, ou que nous avons baissé la garde ?
M. Antoine Quantin. Nous n’avons pas été directement associés à la révision du PPRN, que nous avons suivie d’assez loin. Le point essentiel est l’intégration du risque de submersion marine.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Dans la première version, pas dans celle qui a été adoptée, puisque c’est cela qui a été contesté. Ai-je bien compris ?
M. Julien Arnoult. Outre-mer, les compagnies d’assurance n’assurent pas les biens situés à moins de 100 ou 150 mètres du rivage. Ainsi, 80 % de la ville de Gustavia ne peuvent être assurés par le secteur privé. Il en va de même de Pointe-à-Pitre, située en zone inondable et de submersion marine, puisqu’elle est construite au niveau de la mer, avec une légère dépression, et de Jarry, la zone industrielle qui lui fait face. Aujourd’hui, le marché n’assure pas ce littoral.
Ensuite, avec 200 millions d’euros, le fonds Barnier est nettement sous-doté au regard de l’ampleur des désastres qu’il faudra affronter. En outre, il faut le rendre accessible aux particuliers pour financer la prévention. La commune de Jarry, que j’évoquais, a été construite sur une mangrove déboisée et compte une raffinerie : c’est un cas où il faut renaturer, reprotéger cette zone qui était naturellement abritée.
On voit là qu’avant de réfléchir au PPRN, il faut envisager des mesures relatives à l’assurance. À mon sens, les pouvoirs publics ont leur mot à dire à ce sujet.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je n’avais pas connaissance de cette information sur les littoraux – qui n’est pas neutre.
M. Julien Arnoult. Cette situation de l’assurabilité du rivage soulève une question plus générale, qui se pose y compris en métropole. Aujourd’hui, les assureurs ont accès au fonds Cat nat, c’est-à-dire à des fonds publics, sans contrepartie. Selon nous, il faut exiger de leur part que l’offre assurantielle couvre tout le territoire – sans attenter bien sûr à la liberté tarifaire : nous sommes capitalistes ! Cette demande, en contrepartie de l’allocation de fonds publics, est conforme à la doctrine administrative. Cela permettrait de mieux répondre aux besoins d’assurance MRH et MRP (multirisque professionnel) de nos concitoyens, même si cela ne résoudrait pas le problème de ce que j’appelle l’habitat alternatif – habitat indigne par exemple.
M. le président Mansour Kamardine. Je viens de Mayotte. Monsieur Vieillefond, vous avez expliqué que l’Hexagone était assuré à hauteur de 97 %, contre 60 ou 70 % dans les « quatre vieilles » et surtout 6 % à Mayotte. Par ailleurs, monsieur Arnoult, vous avez précisé que les constructions situées à moins de 100 ou 150 mètres du rivage, selon les compagnies, n’étaient pas assurées. Or, à Mayotte, 99 % des villes et des villages sont situés dans la ZPG, la zone des cinquante pas géométriques ! Sans parler de la dimension financière, que pouvons-nous faire pour inciter les compagnies à assurer des populations qui vivent dans ces espaces depuis toujours, et pour encourager les habitants à souscrire des contrats ? Il s’agit pour nous d’une possibilité récente : pendant très longtemps, Mayotte a été exclue des zones assurables. Je développe ce cas particulier car il s’agit d’un véritable désert assurantiel, mais ma question vaut pour les autres Drom et COM, puisque la couverture y reste bien inférieure à celle de l’Hexagone.
M. Julien Arnoult. Je regrette, je ne dispose pas d’éléments spécifiques concernant Mayotte. Mais vous l’avez dit vous-même, le problème est de la même nature que dans les autres territoires d’outre-mer, avec une ampleur différente.
Je ne reviens pas sur notre proposition de demander aux assureurs d’assurer une offre sur tout le territoire en contrepartie du bénéfice du régime Cat nat. Une autre chose à faire serait de diffuser la culture assurantielle. Une de nos consœurs de Guadeloupe nous explique qu’il y est naturel pour les habitants de faire des réparations eux-mêmes dans leur logement, y compris en respectant les normes, plutôt que de faire jouer leur assurance : ils n’ont pas l’idée de recourir à un tiers. Les ultramarins savent ce qu’est un risque – La Réunion connaît des cyclones chaque année, de décembre à mars ; en revanche, la prévention, l’entretien et le recours au système contractuel, privé ou public, ne sont pas spontanés. Il faut donc faire preuve de pédagogie.
Quant à la question financière, elle se pose tout de même. On peut établir une relation entre le taux de pauvreté et une réticence à souscrire une assurance. Néanmoins, dans l’Hexagone, où 14 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté, le taux de souscription à une assurance habitation se monte à 97 %, et non à 86 %. En Martinique, 27 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté ; en Guyane, 53 %. La prime moyenne du portefeuille de l’une de nos collègues de Guadeloupe s’élève à 285 euros hors taxes, contre 265 euros pour l’un de nos collègues de l’Aisne – département qui ne subit pas les mêmes aléas que la Guadeloupe ! D’après France assureurs, la prime moyenne d’un propriétaire occupant s’établit à 268 euros. L’aspect financier est donc important, mais peut-être pas déterminant.
M. le président Mansour Kamardine. Connaissez-vous le montant de la prime moyenne à Mayotte ?
M. Julien Arnoult. Non, j’en suis navré.
M. Édouard Vieillefond. Je ne dispose pas des chiffres exacts, mais le raisonnement s’applique de toute façon. L’existence de la péréquation du régime Cat nat réduit significativement le montant des primes dans les outre-mer, qui est comparable à celui de l’Hexagone.
M. le président Mansour Kamardine. Il y a manifestement un problème de culture, comme vous l’évoquiez pour la Guadeloupe. Pendant très longtemps, les Mahorais ont compté sur Dieu, Allah ou je ne sais qui pour les protéger, sans jamais avoir l’idée de recourir à une assurance. Comment développer ce réflexe ?
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Par ailleurs, la culture a parfois bon dos : le problème peut venir plutôt de difficultés pratiques. Certaines personnes sont fragiles, isolées ; il arrive que la relation monétaire soit un obstacle. Selon vous, les services offerts sont-ils adaptés à la réalité des territoires ?
M. Julien Arnoult. La même objection s’appliquerait à la métropole : si vous avez besoin d’un artisan pour rénover votre maison, préparez-vous à être patient, en particulier si vous recourez à une aide de l’État !
M. le président Mansour Kamardine. Il faut être résilient !
M. Julien Arnoult. Les populations ultramarines sont indéniablement résilientes. Le non-recours à l’assurance prouve qu’elles se prennent davantage en main que les métropolitains. Nos collègues des outre-mer nous racontent que les métropolitains qui s’assurent chez eux les appellent au moindre arbre tombé quelque part, alors qu’un local le découpera lui-même sans se poser de questions.
M. le président Mansour Kamardine. Vos propos rejoignent ceux de notre rapporteur sur le défaut d'information. Est-ce à l’État ou aux assureurs de se charger d’une campagne de sensibilisation ? Quoi qu’il en soit, il faut que les gens soient incités à s'assurer et informés des conditions dans lesquelles ils pourront faire intervenir leur assureur, un peu comme dans le domaine de l’assurance des véhicules.
M. Julien Arnoult. Les bailleurs sociaux sont très présents outre-mer, notamment en Guyane où ils ont fait reculer l'habitat hors norme ou alternatif – à Saint-Laurent-du-Maroni, le nombre d’habitants recensés est passé de 20 000 à 50 000 en vingt ans. Ces bailleurs sociaux jouent un rôle essentiel en matière d'assurabilité quand ils prennent eux-mêmes une assurance au nom de leur locataire, comme c’est le cas à La Réunion – ils en répercutent le coût dans le montant du loyer. Dans d’autres cas, le bailleur social vérifie que le locataire a bien souscrit une assurance habitation au moment de la signature du bail. En revanche, il ne contrôle pas toujours son renouvellement. Un dialogue avec les bailleurs sociaux permettrait d’éliminer cette cause de sous-assurance, sans qu’il soit nécessaire d’en passer par une loi ou un règlement, à moins que vous n’en jugiez autrement.
Pour développer la culture assurantielle, et donc la culture du risque, nous proposons par ailleurs de prévoir un diagnostic spécifique lors des transactions immobilières, qui figurerait en annexe du document notarié, comme c’est déjà le cas pour les risques technologiques ou les performances énergétiques. L’acquéreur pourrait ainsi prendre conscience de la vulnérabilité du bien – aux cyclones, par exemple, qui menacent La Réunion quatre mois par an – et agir en conséquence, à charge pour les assureurs d’adapter leurs tarifs et leur politique de soutien à la rénovation après un sinistre.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Pourriez-vous détailler votre proposition visant à garantir une offre assurantielle sur tout le territoire ? Si j'ai bien compris, quand vous donnez un taux de 60 % de biens assurés, vous ne vous référez qu’à ceux qui sont assurables, en excluant ceux qui sont situés dans la fameuse bande de 100 ou 150 mètres à partir du littoral.
M. Julien Arnoult. Cette proposition est couplée à une autre dont je n’ai pas encore parlé. Pour établir un diagnostic spécifique, encore faut-il avoir des données. Nous proposons donc la création concomitante d’un observatoire des risques climatiques, qui collecterait les données des différentes compagnies. Une mutuelle publie déjà sur son site toutes les données dont elle dispose concernant les risques de cyclone, de submersion marine ou de gonflement d'argile. On peut aussi trouver des informations sur le site Géorisques. Selon le site de la mutuelle, il n'y a pas de risque de submersion ou d'inondation à Pointe-à-Pitre, alors que cette même ville est entièrement classée en zone inondable et submersible par Géorisques. Pour la Loire-Atlantique c’est l’inverse : le site de la mutuelle est à jour alors que celui de Géorisques ne l’est pas. Bref il nous faut un diagnostic, grâce à une mise en commun des données, qui serait la contrepartie du bénéfice du régime des catastrophes naturelles. Notre proposition vise à faire en sorte que chacun sache où il habite, quel risque il court et ce qu'il doit faire.
M. le président Mansour Kamardine. Qu’en pensez-vous, monsieur le directeur général ?
M. Édouard Vieillefond. Commençons par la cartographie, qui sera sans doute l’un des points essentiels du futur rapport sur l'assurabilité en France. Faut-il une cartographie ? Qui la fera ? À quoi serait-elle utile ? Actuellement, il existe des cartographies d'aléas et des cartographies de dommages. Il n’existe pas vraiment de cartographie de la présence des assureurs, autrement dit de la souscription, mais c’est envisageable. Pour ma part, je pense qu’il faudra élaborer une vraie cartographie des dommages et des aléas, afin de remédier au morcellement des plans de prévention des risques et des PPRI, et à l’imprécision de Géorisques. Mais le jour où cette cartographie précise de tous les aléas sera publiée, il faudra en avoir prévu les conséquences et être en mesure de proposer des solutions aux personnes concernées par les risques. Cette carte devenant en quelque sorte réglementaire, un peu comme un arrêté de catastrophe naturelle, tout le monde verra où se situe son bien immobilier et, le cas échéant, subira des conséquences économiques immédiates. À mon avis, il faudra quelques années pour élaborer cette cartographie réglementaire très fine, sorte d’extension des anciens PPRI, qui devra impérativement s’accompagner de solutions budgétaires et assurantielles.
Comment promouvoir l'assurance ? Il faut relativiser un peu l’importance de la culture dans le rapport à l’assurance : la débrouille peut être positive pour des dommages de faible ou de moyenne importance, mais elle ne peut répondre à des sinistres de grande ampleur, et encore moins aux vraies catastrophes de type Irma. Nos concitoyens doivent donc être conseillés et informés de ce genre de risques – celui de voir leur maison rasée. En effet, si certains assument sans difficulté les dommages de biens qu’ils n’ont pas assurés, d’autres, qui sont mal informés et mal assurés, peuvent se retrouver dans une situation dramatique. C’est pour ces gens, qui n'ont pas assuré une maison qui aurait dû l'être, qu’il faut une incitation beaucoup plus appuyée. Le phénomène commence à se développer sur le territoire national en cas de risque d’inondation, et il est encore plus net dans les départements et territoires d'outre-mer.
Il est un autre risque qui pèse sur le système : l'aléa moral. Il faut veiller à ce que l’octroi de fonds publics ne vienne pas perturber le régime des catastrophes naturelles. Un propriétaire peut en effet être dissuadé d’assurer sa maison et donc de bénéficier du régime Cat nat s’il fait le pari qu’il a de forte chances de bénéficier d’un fonds ad hoc. Une compétition peut s’installer entre les mécanismes budgétaires et assurantiels. Il serait mieux de faire en sorte qu'ils se complètent, en intervenant dans des endroits différents, non qu’ils se cumulent.
Comment assurer des biens non assurables, notamment en bord de mer ? Dans tous les pays qui subissent de l'érosion côtière, on voit que la modulation tarifaire pratiquée par les assureurs n’est pas une solution : une modulation tarifaire délirante ou une absence d’assurance, c’est la même chose – sauf pour une frange très aisée de la population. Aux États-Unis, les médias font ainsi régulièrement état de gens qui ont perdu leur maison valant des millions, voire des dizaines de millions d'euros : ils n’étaient pas assurés, mais c’est leur problème. Ces cas extrêmes ne valent évidemment pas pour l'essentiel du territoire. Pour notre part, nous plaidons pour la délimitation de zones très restreintes où il ne sera plus possible d’assurer ses biens – le trait de côte, certains lits de rivières ou sites en montagne – afin de conserver un système d’assurance dans la plus grande partie possible du territoire national, y compris outre-mer. Pour conserver le système assurantiel sur la quasi-totalité du territoire, il faut accepter que de petites parties ne soient plus assurables, voire plus constructibles.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Cela étant, comme le disait le président, entre la bande côtière de 100 ou 150 mètres et les zones protégées à d'autres titres, il ne reste plus grand-chose. L’habitat se retrouve parfois pris en sandwich entre deux zones déclarées inconstructibles à des titres divers et pour des motifs tout à fait défendables.
S’agissant de la révision des cartes, j'ai bien noté qu’il fallait cerner le problème et proposer une solution en même temps. Quelle échéance prévoyez-vous pour cette révision, compte tenu du réchauffement climatique et des aléas qui se modifient ?
M. Édouard Vieillefond. Actuellement, nous n’avons pas de carte nationale avec le degré de granularité souhaité. À mon avis, son élaboration prendra quelques années – dix-huit mois ou trois ans, je n’en sais rien. Nous y avons réfléchi et nous pourrions être des contributeurs majeurs de cette élaboration, mais c’est l'État – notamment les ministères compétents, comme celui de la transition écologique et de la cohésion des territoires – qui doit décider de la forme de cette cartographie. Il serait dangereux d’aller trop vite, au risque de faire un peu n'importe quoi et d'envoyer des signaux contre-productifs en diffusant une carte imprécise.
À quel rythme faudra-t-il mettre cette carte à jour, compte tenu du réchauffement climatique et de la progression exponentielle du nombre de sinistres ? En la matière, il est préférable de se donner des rendez-vous réguliers. Cela vaut d’ailleurs pour le financement du régime : la hausse de la surprime catastrophes naturelles, qui est passée de 12 à 20 % pour la MRH et la MRP en décembre dernier, est suffisante à court terme, mais elle ne le sera pas à l’horizon de 2050. Faut-il se donner des rendez-vous réguliers, tous les deux ou cinq ans, ou opter pour une modification plus automatique ? Il y a débat. Pour la surprime comme pour la carte, il me semble difficile de ne pas envisager de regarder régulièrement, environ tous les cinq ans, la manière dont évoluent le trait de côte, les zones de fort ruissellement telles que les lits de rivière, les zones de débordement des fleuves et les lacs glaciaires des montages – sujet qui va malheureusement être de plus en plus d’actualité, avec des vies humaines directement en jeu. En résumé, la carte pourrait être créée en quelques années et révisée ensuite tous les cinq ans.
Mme Sophie Panonacle (RE). Un décret, publié le 29 avril 2022, dresse la liste des communes affectées par l'érosion côtière et contraintes d’établir une carte des zones rouges où toute urbanisation sera interdite à l’horizon de trente et de cent ans. La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte se sont portées volontaires pour intégrer cette liste et élaborer une carte, avec l’aide d’un bureau d'études. Cette cartographie fine, à l'échelle communale, va permettre de visualiser presque bien par bien ceux qui seront affectés par les risques d’érosion et de submersion. Une mise à jour est prévue tous les six ans.
M. le président Mansour Kamardine. Voulez-vous reprendre la parole sur un point oublié ou pour un propos conclusif ?
M. Julien Arnoult. J’aimerais revenir sur un organisme auquel il a été fait allusion à propos de la culture assurantielle : le bureau central de tarification (BCT), dont c’est un euphémisme de dire qu’il est méconnu et sous-utilisé. Les agents d’assurance auraient des progrès à faire en la matière, les citoyens n’ayant aucune raison de connaître spontanément l'existence du BCT.
M. Édouard Vieillefond. En résumé, je dirais qu’il faut plusieurs conditions pour que le régime des catastrophes naturelles fonctionne. Premièrement, il doit pouvoir s’adosser à une assurance primaire. Deuxièmement, il doit bénéficier d’un financement au bon niveau – la hausse de la surprime a été notre cadeau de Noël, le 28 décembre dernier, mais l’effort doit continuer. Troisièmement, il doit être envisagé en lien avec la prévention : plus les catastrophes naturelles augmentent en fréquence et en intensité, plus l’accent doit être mis sur la prévention, notamment au travers du fonds Barnier. Enfin, quatrièmement, il faut garder à l’esprit que ce régime est fondé sur la carence du marché et étudier en permanence la frontière d'assurabilité, de façon à ne rien rater des futurs dommages dans l'Hexagone ou dans les territoires d’outre-mer.
M. le président Mansour Kamardine. Il me reste à vous remercier pour la qualité de vos interventions. Les suggestions faites nous permettent de construire, jour après jour, ce rapport destiné à éclairer la représentation nationale sur les risques majeurs qui pèsent sur l'outre-mer et les solutions pour y remédier.
21. Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Le logement face aux risques naturels en outre‑mer » (26 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous accueillons aujourd’hui des représentants de l’Union sociale pour l’habitat (USH), d’Action logement, de l’Union sociale pour l’habitat outre-mer (USHOM) et de la Fédération française du bâtiment (FFB) pour une table ronde consacrée au logement face aux risques naturels en outre-mer.
Avant de leur céder la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Sabrina Mathiot, MM. Ibrahima Dia, Vincent Bretin, Brayen Sooranna, Jeremy Ferrari, Alban Charrier et M. Stéphane Brossard prêtent successivement serment.)
M. Brayen Sooranna, directeur outre-mer de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Depuis plus de trente ans, la mission outre-mer, devenue direction, assure, au sein de l’USH, l’animation de la politique nationale du logement social pour ses acteurs dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer (DROM-COM). Notre travail consiste notamment à élaborer, de manière concertée, des propositions législatives et réglementaires ; à appuyer et à animer l'action professionnelle dédiée aux organismes de logement social dans les outre-mer ; à communiquer sur les actions de l'USH dans les outre-mer ; à développer les partenariats avec les instances professionnelles et associatives ainsi qu’avec les services de l'État.
Nous avons préparé cette audition avec l'Agence qualité construction, les bailleurs sociaux ultramarins ainsi que les associations régionales des maîtres d’ouvrage sociaux (Armos), avec lesquelles notre partenariat repose, dans l’océan Indien, en Guadeloupe et en Guyane, sur l'organisation d’activités telles que des séminaires dédiés aux bailleurs sociaux ainsi que sur la contribution à nos études et à nos commissions.
Les outre-mer restent marqués par une forte baisse de l'offre de logements neufs – en locatif et en accession – et par la persistance d’un habitat indigne, deux tendances qui s’expliquent notamment par la hausse des coûts de revient du logement social ainsi que par la faible réhabilitation du parc locatif social. Dans les Drom, 80 % de la population est éligible au logement social, contre 65 % en France hexagonale, et un peu plus de 70 % au logement très social, contre 36 % dans l’Hexagone. Le nombre de demandes de logement s’élevait à 90 000 en 2023.
S’agissant des risques naturels majeurs, tous les territoires en outre-mer ne sont pas exposés de la même manière. Il est donc primordial de les différencier ; l’application uniforme de la réglementation serait préjudiciable. Certains risques sont déjà bien connus – les cyclones, les séismes, le volcanisme – et depuis longtemps – des centaines d’années pour certains d’entre eux – et leur gestion est bien maîtrisée. S’ils ne sont pas une nouveauté, les risques sont néanmoins accentués par le dérèglement climatique qui entraîne l’accroissement progressif des températures, de la fréquence et de l'intensité des cyclones, de la fréquence des précipitations, ainsi que la hausse du niveau des mers ou encore la recrudescence des méga feux de forêt. En outre, certains phénomènes naturels tels que la prolifération des sargasses ou les épisodes de sécheresses de plus en plus intenses ont fait leur apparition – en 2023, Mayotte a ainsi connu sa pire sécheresse depuis vingt-cinq ans ; les territoires isolés de Grand‑Santi, Maripasoula Papaïchton en Guyane ont également été victimes d’une sécheresse, qui a entravé la circulation sur les différents fleuves.
Nous prenons aussi en considération l'activité volcanique aux Antilles, à La Réunion ainsi qu’en Polynésie – je pense aux coulées de lave au Prêcheur en Martinique qui peuvent rapidement emporter des habitations – et sismique – le Fani Maoré à Mayotte en est l'exemple le plus récent.
Les impacts sur l’habitat outre-mer sont de différentes natures : techniques et structurels ; liés au confort de vie – les dégradations hydro-thermiques, les performances des matériaux, les dégradations d'espaces publics – ; sanitaires ; sociales – l’accroissement de la pauvreté, les politiques de relocalisation ; économiques – la hausse des coûts de reconstruction ou de réhabilitation ou encore l’isolement de certaines zones, dites enclavées telles que Maripasoula en Guyane.
En tant que maître d'ouvrage social, nous réfléchissons aux besoins d'adaptation de l'architecture et de la construction, aux usages, à la capacité de résilience, aux interactions avec les espaces extérieurs et aux questions économiques.
Les normes restent un important sujet de préoccupation. Alors qu’il manque 110 000 logements dans les territoires ultramarins, celles-ci nous empêchent aujourd'hui d’avancer de manière aussi fluide que nous le souhaiterions. Leur empilement risque de compromettre la construction.
M. Ibrahima Dia, directeur outre-mer d’Action logement. Action logement est géré de manière paritaire par les organisations patronales et syndicales. Depuis plus de soixante-dix ans, nous travaillons pour favoriser le lien entre emploi et logement dans l’Hexagone et en outre-mer.
Les partenaires sociaux d'Action Logement ont décidé en 2019 d’un plan d'investissement sur trois ans de 9 milliards d’euros, dont 1,5 milliard était destiné à améliorer les conditions d'habitat des cinq départements ultramarins.
Entre 2019 et 2022, nous y avions engagé 1,1 milliard. Nous avons financé tous les bailleurs par le biais de nos trois filiales – une filiale en Guadeloupe, Sikoa, une filiale en Martinique, Ozanam, une filiale à La Réunion, la SHLMR – auxquelles se sont depuis ajoutées deux autres filiales en Guyane – la société immobilière foncière d’aménagement de Guyane (Sifag) qui travaille sur les dents creuses et permet aux salariés de se rapprocher davantage de leur lieu de travail – et à Mayotte – Action logement Mayotte (Al’ma) qui vise à apporter de la diversité, de la mixité et du logement. Le parc immobilier d'Action logement en outre-mer compte plus de 46 000 logements dans les cinq départements.
Nous sommes évidemment très soucieux et très à l'écoute de ce qui se passe dans ces territoires. En ce qui concerne la prévention des risques naturels, nous avons mis en place plusieurs actions sur lesquelles reviendra Vincent Bretin. Il est important pour un groupe comme le nôtre de s'engager sur le développement durable ou sur les risques naturels.
Le rôle d’Action logement ne se limite pas au financement des bailleurs Nous apportons des aides aux salariés dans tous les territoires. N’oublions pas qu’Action Logement est financé par la participation de l’employeur à l'effort de construction (PEEC). Notre action dans ce domaine permet de sécuriser le parcours résidentiel des salariés. Nous avons distribué plus de 7 200 aides aux salariés dans les cinq départements en 2023.
Il faut également mentionner certaines actions concrètes en matière d’insalubrité et de régularisation foncière en Guyane, mais également à Mayotte.
Action Logement, ce sont plus de 20 000 salariés de Pointe-à-Pitre à Mamoudzou, en passant par Nantes. Nous sommes présents dans tous les territoires pour apporter notre modeste contribution à l’amélioration des conditions de vie et d'habitat des salariés dans le cadre de notre mission d'utilité sociale.
M. Vincent Bretin, directeur territorial d’Action logement. Notre parc compte environ 46 000 logements dans les territoires ultramarins. Les risques naturels sont recensés dans notre cartographie des risques. Cette cartographie est actualisée tous les ans parce que, d’une part, notre patrimoine évolue – nous construisons et nous réhabilitons tous les ans des logements –, et, d’autre part, les risques évoluent. Nous nous adaptons à l’évolution des normes – nous avons ainsi intégré le plan de prévention des risques naturels (PPRN) – mais nous allons aussi parfois au-delà en fonction de nos échanges avec des experts ou les directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal). Face au risque de submersion par exemple, notre métier étant de construire et de manière durable, nous devons réfléchir à nos projets de développement dans les territoires à risque à moyen terme.
Face aux cyclones, notre patrimoine résiste plutôt bien. Nous l’avons vu à La Réunion lors du passage de Belal, les normes et les travaux que nous avons entrepris, notamment en matière d’enfouissement et de sécurisation, ont permis aux bâtiments de résister plutôt bien au vent. En revanche, nous avons noté une sensibilité aux inondations provoquées par les fortes pluies. Nous envisageons donc des adaptations. Nous avons reçu environ 400 demandes d'intervention liées au passage du cyclone, essentiellement pour des problèmes d'infiltration sur les menuiseries. Nous travaillons donc à l'installation de volets, qui n’est pas obligatoire selon la réglementation actuelle, mais qui permet de protéger un peu mieux l’habitat.
En ce qui concerne le risque sismique, nous travaillons sur le bâti aux Antilles, mais pas seulement. Action logement consacre aujourd'hui 170 millions d'euros à la sécurisation du patrimoine antillais. Il faudra vraisemblablement démolir certains immeubles.
Il est important de parler aussi de l'humain. Nos équipes participent aux exercices organisés par les préfets mais nous effectuons aussi nos propres exercices et nous proposons des formations. Les récents épisodes l’ont montré, on n'a jamais fini de répéter, d'alerter, et de sécuriser. Certains de nos personnels sont désormais habilités en tant qu’inspecteur d'urgence post-sismique. Il faut valoriser cet aspect.
Je cite un exemple pour illustrer l’évolution des risques. Le cyclone Irma était classé en catégorie 5 – la catégorie la plus élevée qui correspond à des vents à 230 kilomètres par heure. Or pour Irma, on a enregistré des vents à 365 kilomètres par heure. Il convient donc de réfléchir aux adaptations nécessaires à des épisodes de plus en plus violents.
Mme Sabrina Mathiot, directrice de l’Union sociale pour l’habitat outre-mer (Ushom). L’Union sociale pour l’habitat outre-mer (Ushom) regroupe les bailleurs sociaux ultramarins. Elle veille à l’adaptation des dispositifs législatifs et réglementaires aux spécificités de ces territoires et elle anime des actions en faveur des bailleurs pour les aider à monter en compétence.
Parmi les risques majeurs, on peut citer pour l’océan Indien les cyclones, les éboulements, le risque d'effondrement ; le risque sismique est moyen – Mayotte est classée en zone trois et La Réunion en zone deux. Aux Antilles, le risque sismique est relativement élevé tandis que les îles sont désormais plus exposées au risque de cyclones – jusqu’à présent, il n’existait pas de réglementation paracyclonique.
Les bailleurs sociaux ont non seulement toujours été prompts à suivre toutes les recommandations faites par les autorités mais ils ont aussi adopté des dispositifs à leur initiative.
L’Ushom représente un peu plus de 775 000 logements dont 170 000 sont sociaux. Je précise qu’il n’est pas question de mener des politiques publiques de l'habitat, sans penser au parc privé. Le plan séisme Antilles, dans sa troisième phase (PSA3), illustre bien la prise de conscience du rôle de celui-ci.
On évalue entre 100 000 et 120 000 le nombre de logements indignes – au sens de leur solidité – qui sont particulièrement exposés aux risques naturels majeurs – cyclones et séismes.
En ce qui concerne l’exposition au risque sismique dans le parc public, la construction est soumise depuis 1991 aux BAEL – règles techniques de conception et de calcul des ouvrages et constructions en béton armé suivant la méthode des états limite. Le calcul à l'état limite ultime pondère toutes les charges – charges permanentes et charges d'exploitation – pour déterminer le dimensionnement du bâtiment à la rupture. Dans toutes les constructions publiques postérieures à 1965, les aciers doivent respecter des normes. Le risque est très élevé dans les bâtiments construits entre 1955, date de la création des premières sociétés d’économie mixte, et 1965. À partir de 2011 et l'arrivée des Eurocodes – codes de construction en Europe –les constructions sont antisismiques. Il convient donc de graduer l’exposition au risque sismique selon la construction.
Lors d’un séisme, on observe une translation : le bâtiment bouge du fait de l'accélération de l'onde sismique avec le poids de votre bâtiment. Lors d’un cyclone, les vents viennent frapper sur une façade et exercent une pression et un arrachement sur l'autre. Ce risque est très bien intégré par le secteur de la construction ultramarine. Vous ne trouverez quasiment pas de bardages pointés, c'est-à-dire cloués, ils sont tous vissés. Il en est de même pour les toitures : un diaphragme est installé en haut des bâtiments avant de poser la charpente. C’est la preuve que le BTP s’adapte. La norme Neige et vent s’appliquera probablement en janvier 2026 : le décret est paru en novembre 2023, l’arrêté devrait suivre. L’évaluation des risques doit permettre de définir des priorités dans les actions à conduire.
Environ 25 % du parc social a été construit avant les années 1970 : celui-ci exigera soit une démolition, soit un confortement. Pour le reste, le confortement ne sera pas nécessairement très coûteux. Quant au parc privé, le PSA3 en tient compte. Une expérimentation, actuellement menée par la Deal de la Martinique, vise à étendre au logement privé les dispositifs de droit commun en matière de confortement, ce qui est une très bonne chose. Cependant, même si la prise en charge des travaux peut atteindre 80 % dans les zones rouges, leur coût reste très élevé par rapport aux revenus des populations. Les PPRN sont un très bon outil pour réguler, en particulier dans les zones de danger imminent. L’indemnisation des expropriations par le biais du fonds Barnier – fonds de prévention des risques naturels majeurs – peut intervenir très rapidement. Reste le problème des personnes sans droit ni titre.
L’angle mort aujourd’hui concerne les zones rouges qui sont exposées mais n’ouvrent pas droit à des aides pour financer des travaux dans le parc privé. L’urbanisation a, à juste titre, été figée dans ces zones – on ne peut plus construire ou, à tout le moins, les prescriptions sont très rigides – mais les aides sont inexistantes. On y trouve des mamies d’un certain âge qui n'ont pas beaucoup de moyens et qu’il est toujours très compliqué de faire bouger. Comment financer leur relocalisation hors des zones de danger ? J’ai l’exemple dans une opération de prêt social location-accession (PSLA) à Petit-Bourg en Guadeloupe, d’une mamie qui n'a perçu que 12 000 euros pour être délogée. Le relogement des habitants des zones exposées et les moyens qu’on y consacre restent source de difficultés.
S’agissant du confortement antisismique, depuis l’instauration du PSA en 2007, les chiffres sont plutôt bons mais la capacité du secteur du BTP à répondre au marché est très limitée. Ozanam, la filiale d'Action logement à la Martinique, m’a ainsi indiqué qu’elle était confrontée à des appels d'offres infructueux. Il faut prendre en considération cette donnée dans la répartition des flux financiers. Je note un motif de satisfaction : le déplafonnement du fonds Barnier depuis 2019 et son ouverture au parc privé depuis 2021. La coexistence du fonds Barnier et de la ligne budgétaire unique (LBU) est aussi un point positif.
Je tiens absolument à le rappeler, l’âge moyen du parc social en outre-mer est de 21 ans – il est de 39 ans dans le parc hexagonal –, ce qui signifie qu’ils ont encore vingt ans de dette devant eux ; autrement dit, leur capacité d’autofinancement est plus que limitée. En dépit de l’importance des aides dont ils bénéficient, l’autofinancement représente pour eux un effort notable.
M. Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics. Je représente la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics (FRBTP), qui est un syndicat de constructeurs, présent à l’île de La Réunion depuis plus de soixante-dix ans. Nous avons acquis un savoir-faire constructif adapté au climat local. Nous construisons dans les zones qui nous sont réservées, en dehors des lieux soumis à l’activité du volcan. Nous bâtissons dans des zones exposées aux vents alizés, à la corrosion, à un rayonnement ultraviolet très élevé, à des températures oscillant entre 15 et 35 degrés, à une humidité quasi-permanente. Les vents peuvent être quasi cycloniques, comme nous l’a montré récemment l’exemple de Belal.
Notre savoir-faire repose en particulier sur le contreventement, qui nous permet de stabiliser l’ouvrage et, surtout, de l’ancrer au sol ou aux fondations. C’est la base de la construction dans un climat cyclonique. Nous employons des technologies particulières, des structures et des couvertures différentes de celles que l’on rencontre habituellement en France, notamment la tôle ondulée.
On doit malheureusement constater l’inadaptation des normes outre-mer, par exemple des DTU (documents techniques unifiés). La tôle ondulée a ainsi été retirée – de manière inadmissible, selon nous – de la liste de l’Afnor (Association française de normalisation) en 2004 par une décision prise à l’échelon national, alors que c’est une technique très éprouvée, résistante aux vents cycloniques, qui a la capacité de renvoyer une partie de la chaleur, surtout si le matériau utilisé est clair. Elle convient au climat de la plupart des outre-mer. Alors que nos professions se sont adaptées pour protéger les habitants des outre-mer, on ne peut que regretter la décorrélation entre ce qui se fait à l’échelon national et les réalités ultramarines.
On constate des difficultés d’application des normes d’accessibilité, dites PMR (personnes à mobilité réduite), sur des territoires volcaniques, à forte pente. L’application de la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA-DOM) à La Réunion a entraîné une évolution des techniques constructives mais a aussi engendré de nombreux sinistres, car on nous a demandé parallèlement d’aménager des passerelles permettant une ventilation traversante sans seuil d’accessibilité. Une mise en œuvre stricte de la réglementation peut favoriser la sinistralité et l’insalubrité. Autrement dit, le taux d’insalubrité est lié au climat de nos territoires mais aussi à des technologies inadaptées à ces derniers.
S’agissant des normes paracycloniques, je partage l’analyse qui a été faite : porter son attention exclusivement sur le vent est une erreur stratégique, que nous avons signalée au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). C’est en effet l’eau qui tue : Belal a ainsi causé le décès de quatre personnes, par noyade, à La Réunion, alors que le vent n’a entraîné aucun dégât structurel sur les constructions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Les assureurs que nous avons auditionnés nous ont dit que les bâtiments situés à moins de 100 mètres, et parfois même à moins de 150 mètres du rivage ne sont pas assurables. Quelle proportion de votre parc de logements sociaux cela concerne-t-il ? Quelle solution peut-on trouver dans ces cas de figure ? Avez-vous mené un audit de la couverture assurantielle de vos bâtiments ? Tous vos parcs HLM sont-ils assurés ? Quel coût l’assurance représente-t-elle par rapport aux charges supportées par les locataires ?
À Saint-Martin, lorsqu’on a voulu modifier le PPRN à la suite du cyclone Irma, la première version du plan, qui était largement centrée sur la notion de submersion, a donné lieu à des émeutes et à une forte contestation sociale. La copie a été corrigée à la suite de la concertation ; elle a mieux pris en compte le vent et considéré de manière plus mesurée le risque de submersion. En vous écoutant, je me demande si on n’a pas un peu baissé la garde, en veillant surtout à rendre une copie acceptable. C’est une question importante. On ne peut pas simplement dire aux gens qu’une vérité incontestée s’impose à eux, qui va bouleverser leur niveau de vie.
Compte tenu du fait qu’un certain nombre de biens ne sont plus assurables, ou ne le seront plus demain, et eu égard à l’accroissement des risques, comment envisagez-vous l’évolution de la disponibilité foncière ? Pourra-t-on encore construire et, le cas échéant, dans quelles conditions ? Restera-t-il des terrains pour le logement social ?
Comment intégrez-vous, en tant que bailleurs et responsables de la commande des bâtiments, les évolutions normatives à venir ? Faudrait-il mieux prendre en compte les usages locaux – je pense par exemple aux terrasses et aux loggias – et définir des règles plus respectueuses des habitudes ?
Mme Sabrina Mathiot. Je ne dispose pas des chiffres exacts concernant l’assurabilité ; on pourra interroger les bailleurs. Après le passage d’Irma, Saint-Martin a subi un triplement du montant des primes d’assurance, ce qui n’est pas admissible, à moins de considérer que la solidarité nationale se limite à l’Hexagone et qu’il faut créer un fonds spécifique pour les outre-mer. On a déjà connu ce type de fonds ; personnellement, je n’y suis pas favorable. L’assurance et la réassurance sont des questions importantes, pas seulement pour l’habitat : je pense, par exemple, au fonds de secours pour les outre-mer (FSOM), qui est un fonds particulier dédié, entre autres, aux agriculteurs.
On doit mener une réflexion sur la mutualisation de l’assurance avec l’ensemble du territoire hexagonal. Rappelons que plus de 20 millions de personnes, dans l’Hexagone, vivent dans des zones potentiellement inondables : le risque y est donc aussi présent. La question est de savoir ce que l’on admet. Il faut, à mon sens, prendre des mesures comparables à celles qui avaient été décidées en 1978 dans le cadre de la « loi Spinetta » concernant l’assurance dommages-ouvrage. On devrait soumettre les assurances à certaines obligations, dans des conditions raisonnables. Un travail législatif est à mener en cette matière.
Faut-il bâtir uniquement selon des normes anticycloniques, quitte à augmenter considérablement le prix de la construction ? Les phénomènes climatiques devraient certainement s’aggraver mais l’essentiel me paraît être de sauver des vies sans essayer de sauvegarder l’ensemble du patrimoine, car cela serait difficilement finançable. Des pays parmi les plus développés, tel Singapour, construisent des logements comportant un lieu sécurisé – une sorte de bunker – mais n’appliquent pas nécessairement de normes paracycloniques ou antisismiques partout. C’est ce que l’on fait en matière de sécurité incendie, en prévoyant, par exemple, que la cage d’escalier doit être calfeutrée. Cela nécessite un réexamen complet de notre façon de voir les choses et de notre conception de la sécurité.
Les vents, qui ont soufflé à 300 kilomètres par heure avec Irma, atteindront peut-être, demain, 350 kilomètres par heure. Dès lors, où placer la limite ? On risque de s’engager dans une fuite en avant.
La crise du logement en outre-mer est autrement plus importante que dans l’Hexagone : on y compte 150 000 logements insalubres et de nombreux objectifs restent à atteindre. Dans le même temps, on veut tout sécuriser. Cette réflexion vaut aussi pour la France hexagonale. Il faut repenser notre manière de sécuriser les lieux.
M. Vincent Bretin. Dans la commune du Prêcheur, en Martinique, on assiste à un recul du trait de côte et à une relocalisation, déjà engagée, de l’habitat. Nous y participons, en notre qualité d’opérateur mais aussi de partenaire, puisque nous travaillons au relogement des familles concernées.
Le centre-ville de Fort-de-France n’est pas identifié comme une zone à risque, bien qu’il existe de réelles perspectives de submersion, dont on commence à percevoir certains signes. Il y a là des enjeux d’identification des zones constructibles et de repositionnement du patrimoine.
Nous ne pouvons plus assurer certains logements, que nous retirons de la location, du fait de submersions récurrentes – cela concerne en particulier la Guadeloupe.
Jusqu’à présent, nous n’avions pas matérialisé, en tant que tel, le risque de non-assurance des logements dans notre cartographie des risques mais c’est chose faite depuis cette année.
M. Stéphane Brossard. À La Réunion, on se trouve assez vite en altitude lorsqu’on s’éloigne de la côte. Le tsunami de 2004 y a causé peu de dégâts car l’île ne comporte pas de plateau : la mer atteint rapidement une profondeur assez élevée, ce qui atténue les ondes. En revanche, La Réunion est exposée à la houle cyclonique, qui avait atteint 11,5 mètres, au Port, lors du passage de Gamède. En pareil cas, les digues sont submergées et les centres-villes peuvent être touchés. On est davantage confronté à la houle cyclonique – ou parfois hivernale, dans le sud de l’île – qu’à une montée régulière du niveau de la mer. Cela appelle un aménagement côtier important.
Lorsque l’on construit en bord de mer, on est exposé à une corrosion intense, qui exige, non pas l’emploi d’une tôle en acier classique, mais d’une tôle en aluminium d’Afrique du Sud, qui offre une meilleure résistance de la couverture et des façades.
Nous allons bien au-delà des spécifications du Bael puisque l’enrobage de l’acier auquel nous procédons peut excéder 5 centimètres. De la même façon, nous assurons l’étanchéité la plus forte possible des façades grâce à l’emploi des normes les plus exigeantes concernant les imperméabilisants, qui protègent le béton. Cela nous permet d’avoir un clos couvert relativement important, qui bénéficie de menuiseries de qualité marine. C’est une technologie très éprouvée mais coûteuse, ce qui explique que le prix de la construction au mètre carré soit plus élevé à La Réunion qu’en métropole, bien que nous n’ayons pas de système de chauffage.
Pendant vingt ans, on a appliqué une double norme : celle, classique, dite « neige et vent », prévue pour 210 kilomètres par heure, et, pour les bâtiments désignés par le plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) et les bâtiments névralgiques, une limite portée à 288 kilomètres par heure. Dans le cadre de l’élaboration de la dernière réglementation paracyclonique, nous avons émis le souhait que l’on n’impose pas une augmentation générale de la vitesse de base, étant rappelé qu’une hausse de 4 mètres par seconde représente 25 % de charges complémentaires, soit 50 millions d’euros. Nous avons proposé de garder la norme de 34 mètres par seconde pour les bâtiments courants et d’appliquer une majoration pour les bâtiments névralgiques.
En notre qualité de constructeurs, nous sommes révoltés par le fait que l’on demande aux gens de rester chez eux, en cas d’alerte rouge ou violette, alors que la majorité des bâtiments ont été édifiés avant les Eurocodes et, pour certains, sont le fruit d’une autoconstruction. Les habitants encourent ainsi plus de risques chez eux que dans les bâtiments désignés par le plan Orsec.
Belal a entraîné des dégâts d’un montant de 100 millions d’euros. Est-on capable d’investir 50 millions chaque année, pendant 10 ou 15 ans, pour se prémunir contre un tel risque ? Il faut revenir à quelque chose de plus mesuré, ne pas alourdir les normes et éviter de casser la machine de la construction, qui est déjà très affaiblie à La Réunion. La gestion des événements climatiques est perfectible.
M. Alban Charrier, directeur adjoint au sein de la direction de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales de l’Union sociale de l’habitat. Nous ne disposons pas des chiffres relatifs aux logements concernés par la problématique de l’assurance. On est également confronté, dans l’Hexagone, à l’explosion des primes et à la difficulté de se faire assurer.
Le PPRN nous paraît un outil utile pour assurer l’application des normes. C’est un moyen de sensibiliser la chaîne des acteurs, qu’il s’agisse du maître d’ouvrage ou des acteurs professionnels qui s’appuient sur la maîtrise d’œuvre, le bureau de contrôle et les entreprises. Le fait d’avoir ces informations permet à l’ensemble d’entre eux de concevoir, de construire et de contrôler les bâtiments en ayant ces risques à l’esprit. Lorsque l’on actualise les normes, il faut trouver un équilibre entre le traitement du risque et son coût, pour pouvoir continuer à construire et créer du logement.
Mme Sabrina Mathiot. Si le PPRN est efficace pour la maîtrise d’ouvrage sociale – autrement dit, pour les bailleurs sociaux et les professionnels du secteur –, il l’est beaucoup moins pour les personnes privées. On aura beau définir des zones rouges et y interdire la construction, on n’empêchera pas une famille, qui vit à un endroit donné depuis plusieurs générations, de bâtir une extension, par exemple. Rappelons que, bien souvent, les habitants ont bâti leur maison eux-mêmes, sans solliciter de permis de construire. Surtout, dans les zones rouges – qui diffèrent en cela des zones à danger imminent –, les habitants ne peuvent pas prétendre à une indemnisation. En cas de danger, il faut une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous) pour convaincre les gens de quitter les lieux, donc vous pouvez imaginer ce qu’il en est dans une simple zone rouge.
M. Brayen Sooranna. Le PPRN ne permet pas de réguler la pression foncière mais peut néanmoins avoir un certain impact. Il faudrait mener une réflexion à l’échelle de la parcelle. À Mayotte, des zones entières sont considérées comme non constructibles. La réflexion au niveau de la parcelle, dans le PLU (plan local d’urbanisme) et le PPRN, permettrait de mieux qualifier le risque, de mieux maîtriser les coûts et de favoriser la quantité et la qualité des logements construits.
Il faut aussi prendre en compte, dans les Antilles, la question de l’échouement des sargasses. Certains bailleurs font le choix de ne pas construire dans les zones affectées par ces dernières, notamment du fait des effluves qu’elles libèrent. Un rapport parlementaire pourrait utilement se pencher sur cette question. Il s’agit non seulement de comprendre comment se forment les radeaux de sargasses mais aussi d’analyser les conséquences de ce phénomène, par exemple sur le logement. On constate en effet, dans un certain nombre de communes de Martinique et de Guadeloupe, que des locataires quittent leur logement en raison des odeurs et des effets des algues sur la santé. Les bailleurs, les collectivités et les Deal (directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement), entre autres acteurs, ont besoin d’informations pour réfléchir aux possibilités de réutilisation des sargasses et aux moyens d’éviter leur extension, à l’avenir, dans l’ensemble de la Caraïbe.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. L’Assemblée nationale et le Sénat ont déjà consacré à la question des sargasses plusieurs rapports d’information. Cela ne signifie pas, toutefois, que toutes les solutions s’y trouvent.
Messieurs les représentants d’Action logement, comment vous assurez-vous que les aides sollicitées par les habitants serviront à prémunir leur logement contre les risques naturels ? Soumettez-vous le versement de l’aide à une forme de conditionnalité ? Accompagnez-vous les bénéficiaires ? Vous arrive-t-il de refuser un financement lorsque l’habitation se trouve dans une zone dangereuse ou est trop éloignée de certaines normes ?
Par ailleurs, et cette question s’adresse plutôt au représentant de la FRBTP, la puissance publique vous accorde-t-elle des aides à la rénovation adaptées, susceptibles de vous permettre de mener à bien la transition énergétique et de faire face au changement climatique et à l’accroissement des risques naturels qu’il entraîne ?
Enfin, et là je m’adresse à vous tous, disposez-vous d’une programmation de l’évolution du patrimoine de vos adhérents tenant compte des risques encourus du fait de l’ancienneté d’une partie du bâti et de sa non-conformité aux nouvelles normes des PPRN ?
M. Ibrahima Dia. Dans le cadre du déploiement du programme d’investissement volontaire, Action logement a consacré des moyens significatifs aux territoires ultramarins en vue d’y améliorer les conditions de logement des salariés ou de leur permettre d’accéder au logement, mais aussi de les prémunir contre les risques naturels.
Nous avons ainsi créé deux filiales, Mayotte habitat et Guyane habitat, qui dépendent d’AtriOM, filiale guadeloupéenne. Elles constituent une interface sociale et financière dont bénéficient les familles les plus modestes.
Dans ce cadre, deux prêts à taux fixe ont été prévus, l’un de 30 000 euros, remboursable en dix ans, qui permet aux habitants de ces territoires de régulariser leurs parcelles dans de bonnes conditions, l’autre de 50 000 euros, vise aussi à l’amélioration de l’habitat informel et est destiné aux foyers qui sont aux minima sociaux, et ne percevant donc pas un salaire alors que le financement est assuré par la PEEC.
Mme Sabrina Mathiot. S’agissant de l’habitat privé, l’État, suivant sa doctrine, réserve ses aides aux habitants des zones sur lesquelles pèse un danger imminent, ou zones rouge foncé. Dans les zones rouges, en revanche, qui ne sont pas menacées par un tel danger, tous les dispositifs de droit commun ne sont pas opérants. Par exemple, l’Anah (Agence nationale de l’habitat) n’y intervient pas et, en 2022, ses actions sur l’habitat privé n’ont concerné que 101 logements. Or les habitants des zones rouges ne les quitteront pas.
La doctrine de l’État évoluera-t-elle afin de permettre à ceux qui n’ont ni droits, ni titres de bénéficier d’une régularisation, et à ceux qui sont propriétaires de plein droit et dont la famille occupe le logement depuis des générations de percevoir les aides de l’Anah, qui pourraient s’ajouter aux autres aides qui leur sont destinées ?
M. Ibrahima Dia. S’agissant de la régularisation foncière à Mayotte, les difficultés ne tiennent pas qu’à l’absence de moyens financiers. Elles ont trait aussi à l’accompagnement des familles souhaitant présenter un titre foncier pour contracter un prêt et régulariser leurs parcelles. Pour obtenir ce titre, il faut en effet contacter un notaire. Or, à Mayotte, il n’y en a pas beaucoup. En partenariat avec la commission d’urgence foncière, nous nous sommes efforcés de lever cet obstacle, qui peut paralyser les familles pendant de longues années. Nous travaillons également avec quelques associations qui les aident à mener à bien leurs démarches de titrisation.
En outre, certains assureurs ne jouent pas le jeu des garanties dommages‑ouvrage. Il faut y mettre fin.
M. le président Mansour Kamardine. Ce que vous dites, madame Mathiot, est important, mais, quand il s’agit d’évoluer, notre pays fait souvent preuve de lourdeur. Ainsi, alors que la suppression du droit du sol à Mayotte a été proposée dès 2005, le Gouvernement n’envisage de l’appliquer qu’aujourd'hui, soit près de vingt ans plus tard.
Quant à la question de la régularisation des parcelles de la zone dite « des cinquante pas géométriques » (ZPG), je l’avais posée en 2007, lors de l’examen du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. On ne m’avait pas alors entendu. Aucun gouvernement ne demandera aux habitants de la ZPG de la quitter pour s’installer ailleurs. Ils s’y accrochent parce qu’ils ont reçu cette terre de leurs ancêtres et nul ne pourra les en arracher. J’avais tout simplement proposé la régularisation de leurs parcelles, qui aurait permis à des acteurs privés de participer financièrement à leur aménagement, de les sécuriser, et aux communes de prélever des taxes foncières supplémentaires. Mais, quand on n’a pas la chance d’avoir fait l’ENA, il est bien difficile de se faire entendre…
M. Stéphane Brossard. La semaine dernière, les membres de l’Agence qualité construction ont posé la première pierre d’une future concertation générale sur la construction et son adaptation aux conditions spécifiques aux outre-mer. Elle nous permettra de travailler ensemble à la résolution de problèmes qui nous intéressent tous, et s’agissant desquels nous avons tous acquis au fil des années une expertise locale éprouvée.
Un seul exemple : la réglementation thermique, acoustique et aération dans les DOM (RTAA DOM). Nous savons tous que les températures tendent à augmenter partout. Si nous ne travaillons pas de concert à une adaptation du bâti à ce phénomène, c’est à une augmentation généralisée de la climatisation que nous assisterons. Or ce n’est pas notre objectif. Au contraire, nous entendons promouvoir, comme nous le faisons depuis quinze ans à La Réunion, la ventilation traversante et le facteur solaire – qui ne relève pas seulement de l’isolation –, afin de protéger nos constructions.
À cet égard, il nous semble inadmissible que la stratégie de financement du dispositif MaPrimeRénov’ fasse entièrement l’impasse sur le facteur solaire. L’isolation n’est pas la seule solution. Importer de la laine de verre, qui devra être acheminée vers nos territoires dans des containers, ne servira qu’à enrichir quelques grands groupes et à générer du dioxyde de carbone. Quelle ineptie ! Il faut au contraire travailler sur le facteur solaire à partir d’une réflexion d’ensemble sur l’exposition du bâti. C’est ainsi que nous serons plus efficaces tant au stade de la construction que de l’exploitation, en évitant un usage trop important de la climatisation. Tout le monde peut y gagner mais il faut lever certains freins. À court terme et notamment dans le Sud et pendant la période estivale, l’Hexagone sera lui aussi confronté aux températures extrêmes et aux consommations excessives de climatisation. La lutte contre ces phénomènes sera donc d’intérêt national. Or nous sommes en avance d’une décennie sur ce sujet.
M. Vincent Bertin. Les enjeux qui viennent d’être évoqués sont essentiels et nous pouvons les prendre en compte de façon vertueuse. Nous travaillons ainsi avec des isolants à base de sargasses et d’autres matériaux biosourcés, fabriqués à proximité des lieux où ils sont utilisés.
En réponse à la troisième question du rapporteur, la programmation d’Action logement immobilier prévoit l’obtention d’agréments pour la construction de 1 300 logements, anticipant des dynamiques démographiques ultramarines très diverses : la population des Antilles est vieillissante et la production de logements nouveaux en tient compte ; à La Réunion, notre entreprise sociale pour l’habitat est mature et sa capacité de production est importante ; enfin, les besoins en Guyane et à Mayotte sont très grands, tout comme les ambitions de la politique volontariste que nous y menons.
M. Alban Charrier. S’agissant de la programmation des travaux dont le bâti existant fera l’objet, les bailleurs sont tous engagés dans la mise à jour de leurs plans stratégiques de patrimoine pour faire face au changement climatique, mais aussi pour affronter les risques naturels. Nous avons besoin à cette fin d’une meilleure connaissance de ces risques tels qu’ils se présentent aujourd'hui, mais aussi de ce qu’ils seront dans dix ou quinze ans. L’USH travaille avec la Caisse des dépôts et consignations au développement de l’outil Prioréno, qui intégrera l’analyse prospective des risques naturels et permettra aux bailleurs, comme à l’ensemble des propriétaires, d’anticiper leur traitement. Cet outil est déjà déployé pour les collectivités, il le sera courant avril 2024 pour le logement social, tandis que ses développements relatifs aux risques naturels sont attendus pour fin 2024 ou début 2025.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Les risques naturels sont une réalité bien présente pour le sud de la France et plus encore pour les outre-mer. La programmation des travaux prendra-t-elle en compte le facteur solaire ?
Mme Sabrina Mathiot. L’ordonnance relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, signée le 6 avril 2022, emporte des conséquences négatives sur l’habitat privé et sur l’indemnisation des bénéficiaires potentiels du fonds Barnier. La cartographie des risques naturels a en effet rendu non indemnisables des zones qui l’étaient. Nous devrions envisager un plan de recomposition spatiale et de relogement des populations concernées, sans lequel toutes les mesures que nous prenons s’avéreront inutiles pour les ménages relativement modestes que nous souhaitons aider. C’est particulièrement vrai à l’ère de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, qui n’a pas particulièrement avantagé les outre-mer – je pense notamment au ZAN –, en dépit de l’exposition singulière aux risques naturels qui les caractérise.
M. le président Mansour Kamardine (LR). Merci, madame et messieurs, pour votre disponibilité et pour la qualité de vos interventions, qui nous ont beaucoup éclairés.
22. Table ronde, ouverte à la presse, sur le bilan de la gestion d’Irma et de la reconstruction à Saint‑Martin et Saint‑Barthélemy (26 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous clôturons nos travaux consacrés au bilan de la gestion de l’ouragan Irma dans les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy en accueillant deux représentants de l’État qui furent en première ligne lors de cette séquence : Mme Anne Laubies, préfète déléguée dans les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy de 2015 à 2018, et M. Philippe Gustin, préfet, délégué interministériel pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin de 2018 à 2019.
Madame la préfète, monsieur le préfet, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour éclairer de votre expérience les membres de notre commission d’enquête.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Anne Laubies et M. Philippe Gustin prêtent successivement serment.)
Mme Anne Laubies, préfète déléguée dans les îles de Saint-Martin et de Saint‑Barthélemy de 2015 à 2018. Je vais commencer par resituer le contexte, avant d’aborder la gestion de crise, en évoquant notamment la question de notre relation avec la population.
Irma était un ouragan de catégorie 5, particulièrement violent, avec des vents moyens de presque 295 kilomètres par heure et des pointes pouvant dépasser les 330 kilomètres par heure. Son diamètre était de 350 kilomètres, avec un œil de 50 kilomètres. Il est passé juste sur les deux îles. Deux autres cyclones d’ampleur, José et Maria, sont survenus juste après Irma : cette succession, en quinze jours, de trois cyclones majeurs sur les Petites Antilles a créé un contexte qui a compliqué la gestion de la crise.
Juste après le passage d’Irma, nous avons pu constater l’importance des dégâts matériels, documentée par de nombreuses images. Mais nous avons été surtout confrontés à un risque de crise humanitaire. Saint-Martin et Saint-Barthélemy dépendent de leurs usines de désalinisation pour leur approvisionnement en eau ; or celle de Saint-Martin s’est retrouvée hors service. Plus d’eau, mais plus d’électricité non plus, ni de moyens de communication : c’est l’ensemble des infrastructures nécessaires à la vie qui a été touché sur l’île de Saint-Martin. Pour réagir à une crise d’une telle ampleur, il a fallu mettre en place une organisation au niveau national, zonal, régional – la région Guadeloupe – et local. Afin de venir au secours des populations et des collectivités, la préfecture de Saint-Martin a donc été amenée à se coordonner avec un nombre très important de services.
En outre, de nombreux bâtiments publics, essentiels à la gestion de crise, ont été touchés, certains détruits : celui de la préfecture, ceux des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, l’hôpital de Saint-Martin, l’usine EDF, l’usine de désalinisation et d’autres bâtiments encore. La préfecture a dû se replier dans l’urgence sur un plan B pour pouvoir réactiver immédiatement un COD (centre opérationnel départemental), et les deux collectivités ont dû faire de même. Toutes ces difficultés ont contribué à déstabiliser la réponse d’extrême urgence.
Dans le cadre de cette réponse, nous sommes intervenus avec la coordination nationale de la CIC (cellule interministérielle de crise), qui a pourvu à nos besoins en hommes et en matériel. Nous avions reçu, avant même le passage du cyclone, le renfort de gendarmes et de sapeurs-pompiers, afin de permettre une réponse opérationnelle rapide. D’autres moyens humains sont arrivés en très grand nombre après le cyclone. Avec l’ensemble de ces moyens, nous avons pu intervenir pour protéger la population, pourvoir aux besoins en eau et en nourriture, procéder aux déblaiements. Nous avons pu, enfin, apporter des solutions au problème des pillages, dans les soixante-douze heures ayant suivi le cyclone.
M. Philippe Gustin, préfet, délégué ministériel pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et de Saint Martin de 2018 à 2019. C’est en effet Mme Anne Laubies qui, en tant que préfète déléguée dans les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, a dû gérer cette crise dans ses premiers jours : elle se trouvait sur place, et à un moment où les communications étaient coupées.
C’est d’abord sa violence qui a fait la spécificité de cette crise. C’est comme recevoir un TGV dans la figure : 90 % des habitations ont été endommagées et 20 à 25 % complètement détruites, tout comme beaucoup de bâtiments publics.
Une autre spécificité réside dans la double insularité de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, ces îles ayant en outre un statut particulier. À cela s’ajoute qu’il est nécessaire pour y accéder, à moins d’emprunter l’aéroport de la partie néerlandaise de l’île de Saint-Martin, de passer par la Guadeloupe. Jusqu’en 2008, ces deux îles étaient des communes de la Guadeloupe, ce qui mécontentait leurs habitants.
Comme Anne Laubies l’a indiqué, il a également fallu faire face aux pillages. Ces derniers ont peut-être été plus traumatisants pour la population que le cyclone lui-même. On a pu voir sa maison détruite, et son voisin de palier venir se servir chez soi. Ou, plus grave, pour citer un cas judiciarisé, un pharmacien venir se servir dans la pharmacie centrale.
En conséquence, ce sont 8 000 personnes qui ont voulu partir, comme j’ai pu le voir dès mon arrivée, le 11 septembre. Il a fallu répondre aux besoins en eau, en électricité, en moyens de communication, et s’occuper de ces gens qui voulaient à tout prix quitter les îles – surtout celle de Saint-Martin – alors même, justement, qu’il était impossible de communiquer. Il était impossible également de faire atterrir de gros avions sur l’aéroport, très endommagé, de Saint-Martin.
Ma mission a été décidée par le Président de la République le jour où ce dernier s’est rendu à Saint-Martin. Je n’oublierai pas son appel de onze heures du matin, le 10 septembre, pour me demander si j’acceptais de partir m’occuper de la reconstruction des deux îles. J’avais suivi dans les médias ce qu’il s’y passait depuis cinq jours ; j’ai accepté tout de suite et, cinq heures plus tard, j’étais dans l’avion du Président de la République, en direction de Saint-Martin.
Un choix politique a été fait, qu’il faut assumer. Dans mes fonctions ultérieures de préfet de la région Guadeloupe, j’ai pu étudier la manière dont on y avait géré les grandes crises, en particulier le passage de l’ouragan Hugo en septembre 1989. D’ampleur comparable à celle d’Irma, il avait frappé très durement un bon tiers de la Guadeloupe. Il y avait bien eu alors une tentative de création de délégation interministérielle ; mais la reconstruction avait été confiée à une seule personne, exerçant ce qu’on appellerait aujourd’hui les fonctions de Sgar (secrétaire général aux affaires régionales), sans équipe. J’ai au contraire, pour ma part, insisté dès le début sur la nécessité de constituer une équipe, notamment à Paris. Vous le savez, monsieur le président : la culture ultramarine des administrations parisiennes est proche de zéro. J’ai pu m’en rendre compte quand j’étais directeur de cabinet du ministre des outre-mer : les sujets ultramarins annonçaient toujours un problème pour les autres administrations, qui ne les connaissaient d’ailleurs pas. C’était encore plus vrai quand il s’agissait de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy : bien peu de personnes dans les administrations étaient capables de les placer sur une carte.
Il a donc fallu constituer une petite équipe. J’avais autour de moi six personnes, aux fonctions transversales, pouvant traiter de sujets budgétaires, car il a très vite été question d’argent, de sujets d’urbanisme – une des clés de ma mission sur le long terme –, mais aussi de questions juridiques très concrètes, dans la mesure où le statut même des deux collectivités exerçait une contrainte sur l’action de l’État. Suivant les règles pures du droit, l’État n’aurait même pas dû intervenir ; mais ce n’est heureusement pas comme cela que les choses ont été abordées.
En faisant des allers et retours permanents entre les îles du Nord et Paris, j’ai pu monter un réseau impliquant dix-sept ministères et secrétaires d’État. Jusqu’en décembre se sont tenus presque tous les mois des comités interministériels, présidés par le Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, pour mobiliser au plus haut niveau, tandis que j’opérais en deuxième lame auprès des référents des cabinets et des référents dans les services pour m’assurer que, une fois l’urgence passée, on n’oublie pas Saint-Martin et nos engagements.
Sur le terrain, nos priorités ont été très vite évidentes. Anne Laubies n’avait plus de préfecture, et je n’avais donc pas de bureau, ni de logement. Il faudra raconter un jour dans un livre comment nous nous sommes débrouillés, avec les moyens du bord, quand 3 000 personnes – fonctionnaires, militaires, gendarmes, bénévoles et personnels de la Croix-Rouge –arrivaient sur un territoire de 35 000 habitants presque complètement détruit, sans eau et sans réseau. Où les loger ? Comment les nourrir ? Comment pouvais-je commencer à parler de reconstruction dans de telles conditions, tandis qu’Anne Laubies était à la manœuvre dans la gestion de crise ?
Je me suis rapidement attelé à deux ou trois choses. D’abord à la reconstruction des réseaux : l’eau, l’électricité, les télécommunications. Plus que ne pas pouvoir prendre de douche, ne plus avoir de téléphone s’est révélé particulièrement difficile et éprouvant, y compris pour les 3 000 personnes arrivées sur le terrain qui ne pouvaient pas même rassurer leurs proches. Si nous avons réussi cette reconstruction, c’est parce que nous avions sur place, au COD, un M. EDF, un M. SFR, un M. Orange. Ce ne serait malheureusement plus le cas aujourd’hui, avec la dissolution des fonctions et des missions, comme j’ai pu en faire l’expérience récemment lors de la crise de la tempête Ciarán en Bretagne, dont j’ai eu à connaître par mes fonctions préfectorales, et qui m’a fait regretter le temps béni de la gestion d’Irma. Il y a là un enseignement qui pourrait être utile à votre commission. L’omniprésence d’Irma dans les médias a aussi joué dans la mobilisation d’EDF, qui s’est montrée très efficace. Les choses ont été plus compliquées avec l’établissement public des eaux : cela sera à mettre au bilan des difficultés rencontrées par la collectivité.
Autre urgence : rouvrir le plus rapidement possible les établissements scolaires. Deux collèges avaient été détruits, une dizaine d’écoles maternelles étaient très endommagées, ainsi que le lycée professionnel, qui a rouvert en dernier. Je m’y suis attelé non seulement parce que l’éducation est une priorité, mais aussi parce qu’on ne peut pas se permettre de laisser des enfants dans la rue : nous avons pu voir les effets qui, très rapidement, en découlent. Grâce aux efforts de la sécurité civile, des militaires et de la Croix-Rouge, la rentrée scolaire a pu avoir lieu le 4 novembre, au retour des vacances de la Toussaint, en présence d’Édouard Philippe – au moins pour les établissements qui avaient été reconstruits.
Autre priorité dont je n’avais pas pensé qu’elle allait m’occuper autant, en particulier à Paris : la gestion des problèmes rencontrés par les entreprises avec leurs salariés. Imaginez la situation d’une entreprise qui a tout perdu – ses locaux, ses archives, son matériel informatique – et qui compte parmi ses salariés une des 8 000 personnes ayant quitté le territoire. Ce sont des cas qui ont pu faire jurisprudence. On se retrouve dans des imbroglios juridiques liés à ce que j’appelais déjà les déplacés climatiques : des gens ayant quitté l’île, sans même que leur employeur puisse savoir s’ils sont encore vivants, faute de moyens de communication, et qui réclament de l’entreprise une prise en charge et des prestations. Une telle situation pourrait être amenée à se reproduire, et nous n’avons pas les outils juridiques pour y faire face.
Enfin, les situations à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin étaient très différentes. La collectivité de Saint-Barthélemy a été très réactive, avec un président qui disposait aussi de plus de moyens, il faut le reconnaître. L’habitat y a également été beaucoup moins durement frappé qu’à Saint-Martin. Même si, comme l’a dit Anne Laubies, l’approvisionnement en eau et les télécommunications ont été affectés, le déblaiement a pu se faire rapidement, et la vie revenir à la normale. La collectivité de Saint-Martin, quant à elle, était en difficulté dès avant le cyclone. Financièrement fragile, elle avait eu du mal à prendre le virage de l’évolution statutaire, à la différence de Saint-Barthélemy.
Il a donc fallu accompagner une collectivité qui s’était notamment mal assurée : pour 300 millions d’euros de dommages subis sur des bâtiments publics, elle n’a pu recevoir qu’à peine 40 millions des assurances. Les moyens à notre disposition étaient les moyens du droit commun, mais sur un territoire qui ne relevait pas du droit commun. Il a fallu faire dans la dentelle pour savoir quand on pouvait faire jouer la solidarité nationale.
Assez rapidement, nous avons pu faire un bilan chiffré des dégâts et du coût de la reconstruction. Nous avons ensuite pu signer deux accords, le 6 novembre et le 21 novembre, définissant les termes de notre coopération dans la gestion de la reconstruction pour les années à venir. La collectivité s’est engagée, en contrepartie des dotations de l’État et selon la volonté du Président de la République, à reconstruire en améliorant la qualité du bâti. Les dégâts subis par Saint-Martin ont en effet aussi été la conséquence de ce que les normes de construction n’y étaient pas respectées avec la même rigueur que sur d’autres territoires de la République.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Vous dites, monsieur le préfet, que si l’impact du cyclone et la reconstruction qui a suivi n’ont pas été les mêmes à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, c’est notamment parce que ces îles n’ont pas le même tissu social. Nul ne peut le contester, mais il y a aussi une différence d’urbanisme entre ces deux territoires, et on peut se demander pourquoi l’État a laissé se développer sur l’île de Saint-Martin une urbanisation aussi chaotique.
Madame la préfète, vous nous avez dit que des forces de l’ordre s’étaient prépositionnées avant l’arrivée d’Irma, mais cela n’a manifestement pas empêché les pillages. Pensez-vous, avec le recul, qu’il aurait fallu faire autrement ? Et envisage-t-on de faire autrement à l’avenir ? Les pilleurs sont souvent des individus opportunistes et cyniques qui profitent du chaos, mais il semble que certaines personnes soient tout simplement venues s’approvisionner parce qu’elles avaient faim et soif. N’aurait-il pas fallu – et ne faudrait-il pas, à l’avenir – prépositionner aussi des pôles d’approvisionnement ?
M. le président Mansour Kamardine. Les pharmaciens n’avaient pas soif…
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Par ailleurs, il est vrai, monsieur le préfet, que les dispositifs ont été mis en place avec diligence, mais vous conviendrez que la reconstruction ne s’est pas faite très rapidement. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? J’aimerais que vous reveniez en particulier sur les bâtiments qui n’étaient pas assurés. Comment l’État a-t-il géré cette situation ? Il existe certes le dispositif Cat nat, mais les assureurs, que nous avons reçus cet après-midi, nous ont rappelé que quand un bien n’est pas assuré, il n’est pas éligible à ce dispositif… On peut se dire que les gens auraient dû prendre davantage de précautions – si tant est qu’ils en aient eu les moyens –, mais cela crée en tout cas des difficultés pour la collectivité. Pourriez-vous revenir sur les relations de l’État avec ces collectivités, notamment avec celle de Saint-Martin ? J’ai cru comprendre qu’elles n’avaient pas toujours été au beau fixe.
Dans la foulée des événements, on a procédé à une révision du plan de prévention des risques naturels (PPRN) à Saint-Martin. La première version a donné lieu à des émeutes et à des tensions sociales très fortes. Les autorités passées et actuelles de Saint-Martin nous ont expliqué que la concertation avait permis d’apaiser les choses – en faisant un peu moins de place au risque de submersion et un peu plus au vent –, mais cela donne un peu l’impression qu’on a baissé la garde et acheté la paix sociale en réduisant le niveau d’exigence. Qu’en dites-vous ? Avons-nous désormais des dispositifs plus performants pour anticiper des événements de ce genre, aussi bien sur ces îles que dans d’autres territoires ultramarins, notamment du bassin Atlantique ?
Mme Anne Laubies. Pour expliquer l’impact différent de l’ouragan sur les deux îles et ce que vous avez appelé l’urbanisation chaotique de Saint-Martin, je vois plusieurs éléments : une absence de structuration politique à Saint-Martin ; des définitions stratégiques plus claires et plus évidentes à Saint-Barthélemy, dont la situation financière est par ailleurs nettement meilleure. Surtout, la collectivité de Saint-Barthélemy s’en est tenue à l’application des grands principes de la loi, notamment en matière d’urbanisme, de protection des populations et de réseaux. À Saint-Martin, l’une des grandes difficultés, outre l’urbanisme chaotique, était l’état subcomateux des réseaux, d’eau comme d’électricité. Nous avions d’ailleurs entamé avec la collectivité de Saint-Martin et l’ESM (Énergies Saint-Martin) un projet sur crédits européens pour remettre à niveau l’ensemble des réseaux d’eau, mais il avait du mal à avancer, d’une part parce que la gestion des crédits européens est une chose complexe, d’autre part parce que la communauté de Saint-Martin avait des difficultés à monter des dossiers soutenables auprès de l’Europe.
J’en viens à ce que vous avez appelé la gestion chaotique de l’urbanisme et qui s’apparente à une forme de laisser-faire de la part de l’État. Ce qu’il faut d’abord rappeler, c’est que la totalité de l’activité économique de Saint-Martin repose sur le tourisme et que le touriste veut avoir les pieds dans l’eau. Tout a été organisé dans ce but, à Saint-Martin, comme à Sint‑Maarten et sur une bonne partie des îles de la Caraïbe.
Ensuite, la préfecture de Saint-Martin est récente : elle a été constituée en 2009 et ce n’est pas lui faire injure que de dire qu’elle a gardé les moyens de fonctionnement d’une sous-préfecture. Le décret de juillet 2009 prévoyait que les services de l’État de Guadeloupe devaient apporter soutien et appui à Saint-Martin. Or il y a eu une forme de rupture des deux côtés : les services de l’État de Guadeloupe ont considéré qu’ils n’avaient plus à s’occuper de Saint-Martin qui, de son côté, a voulu faire toute seule. Il y a eu une incompréhension.
Enfin, la question de l’urbanisme ne date pas de 2009 : les défiscalisations qui ont eu lieu après l’ouragan Luis et dans le courant des années 2000 ont aussi contribué au développement des constructions anarchiques. Fondamentalement, le respect de la réglementation en matière d’urbanisme, comme les questions concernant la zone des cinquante pas géométriques ou les questions patrimoniales autour du foncier, n’a pas été une priorité.
S’agissant du prépositionnement des forces de l’ordre et des pillages, il me paraît utile de rappeler les différentes séquences du passage d’Irma. L’alerte est donnée le 1er septembre ; le cyclone enfle le 2 et le 3 et il arrive le 5 et le 6. La montée en charge du cyclone s’est réellement faite dans les derniers jours et il est passé très rapidement de la catégorie 3 à la catégorie 5 – cela a été la même chose pour Maria. Le choix qui a été fait a consisté à prépositionner des forces limitées en nombre. Comme on craignait que l’ouragan ne fasse des dégâts considérables, on a voulu éviter que ces forces se retrouvent elles-mêmes en difficulté. C’était un choix politique ; je pense qu’il a été fait à la CIC. Je comprends que l’on puisse s’interroger sur le nombre de ces forces mais, pour nous, elles ont été essentielles.
S’agissant des pillages, les moyens sont arrivés dès le 7. Il est vrai qu’il y a eu de l’appropriation et du vol, par exemple dans des magasins d’électronique, mais il y a aussi eu des pillages dans les supermarchés, parce qu’ils étaient détruits et ouverts. L’intensité du cyclone a été tellement forte, la population a été tellement sidérée qu’il y a eu un mouvement de panique. Je pense qu’énormément de gens ont eu peur de manquer. Cela ne justifie évidemment pas les pillages et nous y avons apporté une réponse rapide et ferme. Un pôle justice a été constitué, associant le procureur de la République, les vice-procureurs de Basse-Terre et la gendarmerie, ainsi que la police de l’air et des frontières : de cette façon, nous avons pu mettre fin à ces pillages en l’espace de soixante-douze heures.
Je comprends votre question au sujet du pôle d’approvisionnement, mais nous n’imaginions pas que les supérettes seraient à terre et que les murs en tôle des magasins seraient totalement vrillés, comme si on les avait passés à la moulinette. Dans le Retex (retour d’expérience), nous avons effectivement réfléchi à la manière de créer des chaînes d’approvisionnement. La CIC et les deux préfets de zone et de région en Guadeloupe ont assuré à la fois l’approvisionnement en eau et en alimentation et, comme préfète de Saint-Martin, j’ai procédé à des réquisitions, qui ont d’ailleurs été difficiles.
M. Philippe Gustin. Quand j’ai commencé cette mission, j’ai voulu prendre l’avis d’experts – même si je m’en méfie toujours. J’ai rencontré un grand climatologue, qui connaissait les îles du Nord, et je lui ai demandé ce qu’il fallait faire pour éviter que cela se reproduise. Il m’a dit que c’était très simple : il suffisait de prendre des barges et de rapatrier les 30 000 habitants de Saint-Martin dans le Cantal.
Les décideurs publics doivent avoir conscience du fait que le risque zéro n’existe pas : il faut être humble par rapport à cela. Mais on peut faire en sorte de limiter l’impact des prochains cyclones de cette ampleur, dans les îles du Nord ou ailleurs. J’ai d’ailleurs fait remarquer au ministre Béchu qu’il faudrait peut-être commencer à prendre en charge les catastrophes naturelles liées au vent dans l’Hexagone : je rappelle qu’au moment de la tempête Ciarán, on a eu des vents à 200 kilomètres à l’heure à la pointe du Raz. Désormais, des vents qu’on ne pensait ne voir souffler qu’outre-mer commencent à toucher l’Hexagone.
Dans mon rapport, pour lequel je m’étais associé à une conseillère d’État, j’ai absolument tenu à maintenir une petite phrase où je disais en substance que, pour que la reconstruction soit efficace, compte tenu du fait qu’à Saint-Martin, la compétence urbanisme appartenait à la collectivité, il fallait que l’État reprenne la main, pendant un ou deux ans. Un autre choix a été fait, que j’assume, mais j’ai souhaité que l’on maintienne dans le rapport la mention de cette possibilité. Politiquement, elle n’était pas acceptable, et c’est pourquoi cela n’a pas été fait. Mais nous avions procédé au détricotage – ou au tricotage – juridique permettant d’arriver à cette option.
J’en viens à la question des assureurs, qui a effectivement posé des problèmes compliqués, d’abord parce que, comme vous l’avez dit, moins de 40 % des gens étaient assurés. J’ajoute qu’il a fallu organiser leur venue, gérer leur arrivée par avion et leur hébergement – en même temps que celle des 3 000 personnes qui sont venues au lendemain de l’événement. Pour vous donner une idée, une compagnie d’assurances a affrété un catamaran sur lequel ses experts ont logé pendant trois mois… Si une crise de cette ampleur devait se reproduire dans une île et, a fortiori, dans deux îles, il faudrait trouver le moyen d’être plus efficaces, même si je trouve que nous l’avons plutôt été. S’agissant des assurances, le gros du paquet, pro rata capitis, est allé à Saint-Barthélemy, tout simplement parce que les gens y étaient assurés. Nous n’avons pas encore évoqué une donnée sociologique importante, à savoir qu’à Saint-Martin, on ne s’assure pas. Les gens suivent une logique très anglo-saxonne : quand on a un pépin, on tombe et on se relève. Cela étant, on est quand même un peu en France, donc on appelle l’État pour avoir un peu d’aide.
Sans doute aurions-nous pu aller plus vite, monsieur le rapporteur, mais nous sommes tout de même allés vite. Anne Laubies et moi-même avons inauguré le bâtiment provisoire de la nouvelle préfecture le 12 ou le 13 juillet 2018. Nous avons réussi à reconstruire rapidement un bâtiment permettant aux services de l’État de fonctionner de manière correcte. Dans le même temps, nous avons renforcé l’unité en charge du contrôle de l’urbanisme, car c’était très important pour moi.
Je rappelle qu’avant Irma, il y avait déjà eu des tentatives de révision du PPRN qui avaient mis l’île à feu et à sang – de mémoire, c’était en 2016. Après Irma, l’ampleur des dégâts nécessitait que l’on refasse un PPRN, et cela a été fait.
Comme Anne Laubies l’a souligné, Saint-Martin est essentiellement une île touristique ; j’ajoute, car cela n’a pas été dit, que l’île est caractérisée par des différenciations sociales très fortes. À côté de zones très européanisées, avec des hôtels, on trouve des poches de pauvreté, en particulier à Sandy Ground, où les gens ont construit leur maison, sans droit ni titre, et sont persuadés qu’ils sont chez eux. Ce sont souvent des étrangers en situation régulière, qui cumulent les difficultés. Ce sont ces publics-là qui ont été les plus difficiles à gérer, d’autant plus que, politiquement, le président de la collectivité de l’époque se voyait mal leur expliquer qu’il fallait détruire leur maison et la reconstruire aux normes anticycloniques, alors qu’ils n’en avaient clairement pas les moyens. Il faut aller à Saint-Martin pour constater que ce n’est pas Saint-Barthélemy – ne l’oublions jamais.
Je ne crois pas que le PPRN soit au rabais : il a le mérite d’exister et il a fixé certaines contraintes urbanistiques. Il reviendra à la collectivité, dont c’est la compétence, de les respecter ou non. L’État est allé assez loin dans l’accompagnement pour la protection des réseaux : on a réussi, avec le fonds d’amortissement des charges d’électrification (Face), à réaliser l’enfouissement des réseaux, tant à Saint-Martin qu’à Saint-Barthélemy. Lorsqu’un cyclone frappera de nouveau ces îles, il ne devrait donc pas y voir de problèmes d’électricité. La même chose a été faite pour les réseaux de téléphonie mobile.
Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le rapporteur, que nous avons acheté la paix sociale avec le PPRN. Comme préfet de la région Guadeloupe, puis comme directeur de cabinet du ministre, j’ai toujours eu l’objectif que les choses soient faites le plus correctement possible, mais toujours aussi dans le respect des compétences de la collectivité, qui était souveraine sur ces questions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. M’étant rendu à Saint-Martin dans le cadre d’une autre mission, je peux témoigner que les dégâts sont encore très visibles. Dans un article du Monde, Mme Annick Girardin a commenté la reconstruction à Saint-Martin de la manière suivante : « Après Irma, on avait rêvé, avec la reconstruction, d’en faire une île d’exception, un exemple pour tous les territoires ultramarins. Cela ne s’est pas fait, car je pense qu’on avait sous-estimé la détresse, la pauvreté présente sur l’île aussi. » Je voulais rappeler cette phrase, non pas pour remettre en cause l’État, mais pour dire que cette réalité s’est imposée à tous.
Le président actuel de la collectivité de Saint-Martin nous a indiqué que de très nombreuses compétences avaient été perdues après les événements : je pense que cela correspond à peu près aux 8 000 personnes que vous avez évoquées. Ces personnes sont-elles revenues ? A-t-on cherché à les faire revenir ? Ce que l’on nous a dit, c’est que ce départ a laissé une béance.
M. Philippe Gustin. Oui, des compétences sont parties. Par ailleurs, nous avons eu à lutter contre une volonté – que l’on peut trouver légitime quand on connaît un peu les outre-mer – de patriotisme économique. La reconstruction représentait beaucoup d’argent et le territoire était très pauvre ; il y a donc eu la volonté très nette de ne pas faire appel à des entreprises hexagonales ou guadeloupéennes. Cela a été un frein de plus à la reconstruction.
Comme l’a dit Anne Laubies, il est parfois difficile de faire usage des financements européens. Les choses se compliquent vraiment lorsque l’on n’a pas de maîtres d’œuvre capables d’agir et aux reins assez solides. Pour construire à Saint-Martin, il faut tout importer : la moindre poignée de porte, le moindre carreau de ciment…
Pour revenir aux propos d’Annick Girardin, nous avons tous voulu nous servir de l’exemple saint‑martinois comme d’un aiguillon pour préparer les outre-mer à faire face aux risques. Monsieur le président, vous vivez sur un territoire où il y a aussi des risques – où il n’y a que des risques ! Nous avions l’illusion de pouvoir construire, tous ensemble, intelligemment, quelque chose de durable du point de vue environnemental et de sûr pour les 35 000 habitants de notre petit territoire. Nous n’y sommes pas parvenus, en raison notamment de problèmes de compétences, mais j’espère que Saint-Martin est aujourd’hui mieux armé pour faire face à un nouveau cyclone.
M. le président Mansour Kamardine. Si vous étiez à présent en poste sur une île en proie à une catastrophe similaire, agiriez-vous de la même manière ou avez-vous identifié des points faibles ?
Mme Anne Laubies. C’est une question difficile. Pour ce qui concerne la gestion de crise proprement dite, nous avons essayé de faire le mieux possible, en dépit des limites inhérentes à la situation, en utilisant les moyens considérables dont nous disposions. Je vois néanmoins quelques points qui mériteraient des améliorations.
Ainsi que l’a expliqué Philippe Gustin, il faut que la préfecture soit réellement « carrossée » comme telle et dotée des services, des moyens humains, des compétences, du poste de commandement et des outils, en particulier cartographiques, qui permettent d’agir en cas de crise. Les choses avancent mais, lors de l’ouragan Irma, il y avait clairement des marges de progrès dans le domaine de la communication. Après une première phase marquée par la perte des moyens de communication, nous aurions dû mettre en place, plus vite et plus fortement, une communication locale. Sur ce point, j’assume volontiers ma part de responsabilité.
Par ailleurs, nous avons essayé de travailler le plus possible avec la collectivité de Saint-Martin, mais cette dernière reste très fragile, si j’en crois ce que j’ai vu et ce que je constate encore en suivant les actualités locales. À titre personnel, je considère que nous gagnerions à accompagner cette collectivité de manière à la structurer et à la solidifier.
M. Philippe Gustin. Si je comprends bien votre question, monsieur le président, vous nous invitez à faire abstraction du cas de Saint-Martin et à étendre notre réflexion à d’autres collectivités.
M. le président Mansour Kamardine. Nous entendons réfléchir à l’échelle de l’ensemble des outre-mer en partant du bilan que l’on peut dresser du cas saint‑martinois.
M. Philippe Gustin. Dans le domaine matériel, les réseaux d’électricité, de télécommunications et d’eau constituent une priorité. Je ne minimise pas les difficultés auxquelles vous êtes confronté lorsque votre maison s’envole, mais quand vous disposez de ces réseaux, vous supportez un peu mieux la situation. D’ailleurs, je vous le répète tout à fait sérieusement, vous supportez parfois mieux de ne pas avoir d’eau que de ne pas avoir de téléphone. Un travail doit donc être effectué, dans les outre-mer, pour sécuriser ces réseaux.
D’autres erreurs ont été faites, notamment celle de considérer que, puisque l’île connaît des vents de 375 kilomètres à l’heure, il faut y construire des maisons avec des vitres de TGV. Vous savez comme moi, monsieur le président, que ce n’est ni possible ni souhaitable. Je l’avais pourtant écrit dans mon rapport…
Il convient d’évoluer, comme le font certains territoires ultramarins tels que la Polynésie française, pour permettre la présence d’installations y compris dans des zones où l’on ne devrait pas construire dès lors que l’on n’y réside pas – mais Anne Laubies a évoqué l’enjeu du tourisme, et le plan de prévention des risques naturels (PPRN) va d’ailleurs dans ce sens. Nous pourrions ainsi autoriser l’installation de ce que j’appelle, sans aucune connotation péjorative, des « paillotes », à savoir des constructions sans grande valeur, qui permettent la présence d’un bar ou d’un restaurant au bord d’une plage, et que l’on peut démonter ou sécuriser rapidement lorsqu’une alerte est donnée. Dès le début, j’ai évoqué cette possibilité avec la collectivité, mais j’ai senti des réticences. Anne Laubies a bien décrit ce business : la défiscalisation a attiré des tas de promoteurs qui ont construit des bâtiments qui n’auraient jamais dû l’être de la sorte. Je l’ai déjà dit, écrit, et je le répète devant vous après avoir prêté serment.
Un troisième élément me semble encore plus important. Partout où je suis passé, j’ai encouragé la diffusion d’une culture du risque auprès de M. et Mme Tout‑le‑monde. Il s’agit là d’un défi très difficile à relever, car les gens pensent toujours que le risque concerne d’abord les autres. Les Ultramarins ont pourtant une sacrée longueur d’avance. Vous l’avez dit, monsieur le président : à Mayotte, on sait vivre avec le risque – ou plutôt, on savait. Les vieux Saint‑Martinois comme les vieux Mahorais savent que lorsqu’on annonce un cyclone, il faut monter sur le toit et vérifier que les tôles sont bien fixées – autant de réflexes que la jeune génération a oubliés. La diffusion de cette culture ne coûte pourtant pas des milliards.
Lorsque je suis arrivé en Guadeloupe après l’ouragan Irma, j’ai instauré la pratique dite des journées japonaises. À la suite d’un grand tremblement de terre en 1923, le Japon a décidé d’organiser, chaque année, une ou deux journées où tout s’arrête et où les citoyens réapprennent les risques et les contrôles de base à effectuer – ils s’assurent par exemple qu’ils ont de l’eau en réserve et qu’il y a des piles dans les lampes de poche. C’est aussi l’occasion de faire le bilan de toutes les évolutions techniques intervenues, à une époque où le réchauffement climatique en nécessitera de plus en plus – je pense notamment aux normes en matière de construction. Il s’agit de faire de la vulgarisation.
Quand vous vous promenez à Saint-Martin, monsieur le rapporteur, demandez toujours si les ruines que vous voyez datent d’Irma, de Luis ou d’un cyclone précédent. Certains dégâts ont été causés il y a vingt-cinq, trente ou cinquante ans.
Les outre-mer sont confrontés à tous les risques, sauf à celui d’avalanche. La culture du risque y est donc plus importante, même si l’Hexagone gagnerait aussi à apprendre à vivre avec le risque. Si Saint-Martin a subi tant de destructions, c’est parce qu’il y avait devant chaque maison des tas de sable et de cailloux. Il n’y a heureusement pas besoin de garages outre-mer, mais vous ne pouvez pas laisser votre voiture à côté de ces matériaux si vous ne voulez pas qu’elle devienne une passoire ! Il convient de rappeler ces principes de base et de bon sens. On s’en souvient quelques années après une crise, mais maintenant qu’Irma date d’il y a six ou sept ans, je crains malheureusement qu’on les ait oubliés. Il faut donc organiser en permanence des piqûres de rappel.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie, madame et monsieur les préfets, de nous avoir éclairés de la manière la plus complète possible sur la gestion de cette catastrophe et de la reconstruction qui a suivi.
23. Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Coopération avec le voisinage – Océan Pacifique (29 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête avec une table ronde sur le thème « Coopération avec le voisinage – Océan Pacifique ». Pour aborder ce sujet, nous sommes connectés avec plusieurs intervenantes : madame Véronique Roger-Lacan, ambassadrice de France pour le Pacifique basée à Nouméa ; madame Virginie Bleitrach, directrice régionale de l'Agence française de développement (AFD) pour le Pacifique ; madame Gabrielle Emery, cheffe de la sous-antenne du Pacifique Bureau des nations unies pour la rééducation des risques de catastrophes (UNDRR), qui est accompagnée de madame Diana Mosquera Calle, cheffe adjointe du bureau régional Asie-Pacifique de l’UNDRR qui assurera la traduction de ses propos, et de madame Vanessa Buchot, chargée des relations extérieures au sein de l’UNDRR ; madame Anne-Claire Goarant, responsable du programme durabilité environnementale et changement climatique au sein de la Communauté du Pacifique (CPS).
Mesdames, je vous remercie toutes de votre présence à cette table ronde, qui est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée Nationale. Je vous laisserai la parole pour une courte intervention liminaire afin que nous puissions ensuite poursuivre nos échanges sous un format de questions-réponses. Nous commencerons dans cet exercice par les questions de monsieur le rapporteur.
Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ». Mesdames Gabrielle Emery et Diana Mosquera Calle ne sont pas tenues de prêter serment, puisque les personnalités de nationalité étrangère ne sont pas convoquées mais invitées.
(Mmes Véronique Roger-Lacan, Virginie Bleitrach, Anne-Claire Goarant et Vanessa Buchot prêtent serment).
M. le président Mansour Kamardine. Merci d’avoir prêté serment. Je vais vous laisser prendre la parole pour vos interventions liminaires, en commençant peut-être par vous son excellence madame l’ambassadrice.
Mme Véronique Roger-Lacan, ambassadrice de France pour le Pacifique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission d’enquête, je vous remercie de nous avoir associés à cette session particulière sur la coopération entre les territoires et leur environnement pour la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'Outre-mer. Si vous le permettez, je me cantonnerai à la partie diplomatique et à l'exercice des compétences de relations extérieures, puisque la gestion des risques naturels dans les territoires d'Outre-mer en coopération avec le voisinage suppose une délimitation et une mise en œuvre de compétences partagées entre les territoires et l'État, notamment en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
Comme vous le savez certainement, nous disposons dans la région de mécanismes de coopération entre États (c'est-à-dire en dehors d’organisations multilatérales régionales) et de dispositifs multilatéraux régionaux (mis en place dans le cadre d'organisations internationales). Une question diplomatique – et presque politique – qui se pose est de savoir comment la France et les territoires se positionnent dans ce cadre, tant au niveau diplomatique que politique.
Le premier mécanisme que je souhaite aborder est l'accord FRANZ (signé en 1992 entre la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande), qui réside dans une coordination opérationnelle trilatérale pour le déploiement d'aides humanitaires d'urgence en réponse aux catastrophes naturelles. Ce mécanisme a été activé à plusieurs reprises, notamment durant la présidence française de juin 2021 à juin 2023. Il a permis une gestion efficace de deux cyclones tropicaux au Vanuatu, avec le transport des cargaisons australiennes et néo-zélandaises à bord du bâtiment français d'Entrecasteaux, avant l'arrivée des moyens de transport logistique en provenance des deux pays.
L'efficacité de cette coordination et son renforcement sont essentiels, mais peuvent se heurter à des difficultés liées aux attentes régionales, notamment celles des membres du forum des îles du Pacifique. Ceux-ci souhaitent que les réponses aux crises soient gérées par les organismes régionaux en place, tels que le forum des îles du Pacifique et la communauté du Pacifique, qui finance l'initiative PIEMA (Pacific islands emergency management alliance). Pour précision, le forum des îles du Pacifique inclut les États indépendants du Pacifique, ainsi que les territoires en association avec les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et, en ce qui nous concerne, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française qui en sont membres à part entière, alors qu’à l’instar des États-Unis et du Royaume-Uni, la France a le statut de partenaire de dialogue de ce forum.
Comme vous pouvez le constater, nous avons donc un mécanisme multinational entre la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui est souple dans son organisation et sa coordination mais qui est opérationnellement efficace. Les mécanismes politiques sont plus complexes du point de vue de l'engagement des moyens de l'État. En effet, ils mettent souvent en œuvre des compétences partagées – comme la protection civile – qui sont déléguées aux territoires, tout en impliquant l'emploi de moyens de l'État (qu’ils soient militaires ou policiers). Dans ce cadre, il revient aux hauts-commissaires en tant que commandants d'opérations de gérer l'engagement des moyens de la République.
Voilà un certain nombre de subtilités qui font que le cadre choisi est un petit peu particulier, puisqu'il s'agit d'exercer des compétences parfois partagées mais toujours sous la responsabilité du représentant de l'Etat, à savoir le haut-commissaire de la République.
Notre préférence va au mécanisme FRANZ, et il sera nécessaire à l'avenir de discuter avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande de l'articulation avec les mécanismes régionaux de la communauté du Pacifique et du forum des îles du Pacifique. Depuis la dernière visite du Président de la République dans le Pacifique, la France a décidé de coopérer avec le Pacific Humanitarian Warehousing Program. Il s’agit d’un mécanisme lancé par l'Australie avec les États-Unis dans le cadre de Partners in the Blue Pacific, une initiative multinationale de coopération entre les États-Unis et les membres du forum des îles du Pacifique y compris donc la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. La France n’a pas souhaité devenir partenaire de cette initiative qui a été jugée un peu ciblée politiquement alors que notre ambition – en accord avec le souhait des États de la région – est de tirer parti de toutes les offres de coopération émanant de tous les États membres, sans pour autant prendre parti. Sont membres de cette initiative américaine, l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, en sachant que l’Australie et la Nouvelle-Zélande font de toute façon partie du forum des îles du Pacifique. La France n’en est pas membre donc, mais il a été décidé à la faveur de la visite du Président de la République de participer financièrement à cette initiative sur une durée de huit ans à hauteur de 8 millions d'euros (soit un million d'euros par an). L’idée est de renforcer les stocks humanitaires prépositionnés dans les États insulaires du Pacifique.
Une autre initiative prise à la suite du dernier voyage présidentiel réside dans l'ouverture d'une plateforme d'intervention régionale pour le Pacifique Sud de la Croix-Rouge française, qui vise à former et à mettre en réseau les sociétés nationales de la Croix-Rouge dans le Pacifique insulaire. Cette plateforme est financée par l'Agence française de développement, à raison de 3 millions d'euros.
En termes de mécanismes régionaux, nous avons aussi un centre de formation au maintien de la paix, à l’assistance humanitaire et au secours qui est basé à Blackrock dans les îles Fidji et au niveau duquel nous déployons un expert financé par la direction de la coopération et de la sécurité de Défense.
En plus de la communauté du Pacifique et le forum des villes du Pacifique que j’ai évoqués plus tôt, nous avons un autre format avec la réunion annuelle des ministres de la Défense du Pacifique Sud, qui inclut la France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Tonga, le Fidji et le Chili. A l’occasion de la dernière réunion qui s’est tenue le 7 décembre dernier sous présidence française à Nouméa, il a été décidé de renforcer la coopération et la coordination militaires entre tous ces États disposant de forces armées dans le domaine HA/DR (humanitarian assistance and disaster relief), soit l'assistance humanitaire et de secours en cas de catastrophe.
Ces mécanismes ont été activés pour porter secours au Vanuatu suite aux cyclones des deux dernières années, et à Bougainville après l'éruption volcanique que l’île a subie, avec notamment des vols de reconnaissance effectués par les vecteurs aériens des forces armées françaises en Nouvelle-Calédonie. Au total sur les deux dernières années, 3 millions d'euros ont été mis en œuvre pour l'aide humanitaire française dans le Pacifique, outre la réponse d'urgence suite à l'éruption volcanique au Tonga en janvier 2022.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission, vous pourrez retenir de mon propos que la question qui nous occupe particulièrement – en dehors des mécanismes et des projets très précis que vous décriront les intervenantes suivantes – est celle de l'exercice des compétences de relations extérieures pour cette gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'Outre-mer. Je vous remercie pour votre attention.
M. le président Mansour Kamardine. Merci madame l’ambassadrice. Si personne ne souhaite réagir, je vais directement passer la parole à madame Virginie Bleitrach.
Mme Virginie Bleitrach, directrice régionale de l'Agence française de développement (AFD) pour le Pacifique. Bonsoir, et merci monsieur le président ainsi que mesdames et messieurs les membres de la commission d'enquête. Je salue aussi mes collègues invitées ce soir.
Mon intervention se place sous un angle quelque peu différent de celui de madame l'ambassadrice, étant donné que l'AFD – en tant que banque de développement – se concentre davantage sur l'engagement à long terme que sur la réponse immédiate aux crises humanitaires. Comme vous le savez peut-être, l'AFD est présente dans le Pacifique via les territoires français depuis 75 ans. Cette présence s'étend aux États étrangers du Pacifique depuis seulement cinq ans. En tant que directrice régionale pour le Pacifique et directrice pour la Nouvelle-Calédonie, je m'efforce de développer nos activités à l'intersection des territoires français et des États étrangers, au cœur des enjeux de coopération et d'intégration régionale.
Le mandat qui nous a été attribué résonne avec la thématique abordée ce soir concernant la gestion des risques mais de façon plus large, car nous sommes dans une zone pacifique comprenant de nombreux États insulaires et extrêmement exposée à divers risques tels que les cyclones, les inondations, les éruptions volcaniques, les séismes ou encore les tsunamis. L'intensité de ces catastrophes naturelles s'intensifie avec les bouleversements liés au changement climatique.
La survie des États insulaires et la réponse aux catastrophes naturelles et aux impacts du changement climatique constituent la priorité des pays de la région, comme l'indique la stratégie 2050 pour le Pacifique bleu du forum des îles du Pacifique. En réponse à cette stratégie, le mandat de l'AFD dans le Pacifique cible précisément les défis liés aux impacts du changement climatique, à la vulnérabilité des territoires et à la préservation de la biodiversité.
Je souhaite donc aborder la gestion des risques sous l'angle de la prévention, de la reconstruction et de la préparation des communautés, plutôt que de me concentrer uniquement sur la réponse humanitaire. Le Pacifique est une zone immensément riche en ressources naturelles et est aussi extrêmement vulnérable. Pour l’illustrer, il faut savoir que plus de 70 % des événements les plus extrêmes enregistrés dans la région ces cinquante dernières années ont eu lieu durant les quinze dernières années. Ces événements, de plus en plus fréquents et violents, représentent des coûts colossaux pour les pays concernés. Ils continuent de payer le prix de ces catastrophes naturelles pendant cinq à dix ans après leur survenue, avec des marges de manœuvre budgétaires et fiscales limitées. Les montants d’aide au développement sont certes conséquents mais peuvent s’avérer insuffisants pour la reconstruction.
Bien que plus riche, la Nouvelle-Calédonie partage ces mêmes défis. C’est un territoire doté d'une grande richesse en ressources naturelles et en biodiversité, mais également très vulnérable aux catastrophes naturelles. Les populations y sont fortement dépendantes de leurs écosystèmes terrestres et marins, d’où une urgence à prévenir ces risques, à s'y préparer et à y répondre sur le long terme en favorisant la coopération régionale, car les enjeux sont partagés entre les territoires français et leurs voisins du Pacifique.
Madame l'ambassadrice a déjà mentionné des mécanismes de coopération régionale, et je ne m'y attarderai donc pas. L'AFD dispose malheureusement d'outils différenciés entre les territoires français et les États étrangers du Pacifique, puisqu’ils relèvent pour les uns du ministère des Outre-mer et d'autre part du ministère des Affaires étrangères. Il est parfois complexe d'intervenir à cheval entre ces deux sphères malgré notre mandat régional et la stratégie indo-pacifique, du fait d'une approche encore trop cloisonnée.
Sur les territoires français, nous intervenons massivement avec nos offres de prêts pour toutes les collectivités, dans les secteurs publics et privés. Nos produits d’intervention sont très bonifiés, avec des taux d'intérêt adoucis pour les projets liés à l'adaptation au changement climatique, à la réduction des vulnérabilités et à la prévention des risques de catastrophe. Nous sommes par exemple intervenus sur la commune d'Ouvéa pour tâcher de répondre à des problématiques d'érosion côtière et de vulnérabilité face aux cyclones. Dans la province nord de Calédonie, nous veillons à renforcer les connaissances pour anticiper les risques naturels, établir des cartes d'aléas et de risques, et mettre en œuvre des mesures de protection et des travaux d'aménagement d'urgence et de long terme pour des infrastructures plus résilientes. Nous sommes aussi intervenus sur la commune de Nouméa, que ce soit en prêt ou en assistance technique avec le soutien de l'Etat. Il s’agissait notamment d’études sur le risque de submersion marine (qui est bien sûr accru avec les catastrophes naturelles), sur l'érosion côtière, ou encore sur la vulnérabilité de certains bâtiments stratégiques (qui sont très fortement exposés à ces risques naturels).
Au niveau régional, nous menons plusieurs projets dont un avec la Croix-Rouge, qui s'étend sur les trois océans avec un pilier qui sera renforcé dans le Pacifique avec la réactivation pour un montant de 3 millions d'euros de la plateforme de la Croix-Rouge de prévention, préparation et réponse aux catastrophes (qui sera basée à Nouméa). L’enjeu est ici de renforcer les mécanismes de coordination, tant nationaux que régionaux, ainsi que la capacité des partenaires et des communautés locales à se préparer et à prévenir en matière de gestion des risques de catastrophe. Le programme est en cours de définition et sera lancé dans le courant de l’année, avec un très fort focus sur le Vanuatu qui est particulièrement vulnérable.
Nous avons également le projet CLIPSSA (Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation), en coopération avec l'institut de recherche pour le développement (IRD) et Météo‑France, qui vise à élaborer des projections climatiques à très haute résolution pour les îles du Pacifique.
Au travers de l’initiative Kiwa qui est bien connue dans le Pacifique, nous travaillons sur des sujets d'adaptation à partir de solutions fondées sur la nature, de façon à prévenir l'impact des catastrophes liées aussi aux phénomènes croissants de changements climatiques.
Vous pouvez voir que nous nous situons à la fois sur des sujets de connaissance, d'acquisition de données, de production de cartes pour mieux se préparer, ou sur des sujets de plus long terme au travers du financement d'infrastructures plus résilientes par rapport aux changements climatiques et aux catastrophes naturelles.
Je terminerai sur nos réflexions liées à l'agenda international et l'émergence du sujet des pertes et préjudices liés aux catastrophes naturelles. Il est fortement porté par les îles du Pacifique et il vise à mieux prévenir les risques liés aux changements climatiques et à l'impact des catastrophes naturelles. La France et l'AFD sont en outre engagées dans la réflexion sur des outils financiers innovants, tels que des lignes de contingence. Ce sont des prêts ou dons prépositionnés auprès des États et activables rapidement en cas de catastrophe naturelle pour soutenir les budgets des pays et permettre une réaction rapide.
Il y a un foisonnement d'initiatives en place, mais l'offre n'est pas encore à la hauteur des besoins. Il serait souhaitable de renforcer la fluidité des outils mobilisables entre les territoires français et les États étrangers. Nous aurons peut-être l’occasion de revenir sur ce sujet.
M. le président Mansour Kamardine. Merci. Je passe la parole à madame Gabrielle Emery, dont les propos seront traduits par madame Diana Mosquera Calle.
Mme Gabrielle Emery, cheffe de la sous-antenne du Pacifique Bureau des nations unies pour la rééducation des risques de catastrophes (UNDRR). Merci beaucoup pour l’invitation. Je m’excuse de réaliser mon intervention en anglais. Mon français est trop limité, mais ma collègue Diana Mosquera Calle assurera la traduction de mes propos. L'agence que je représente (l'UNDRR) est le point focal au sein du système des Nations unies pour le soutien à la mise en œuvre des politiques de réduction des risques de catastrophes. L'agence collabore étroitement avec l'ensemble des agences du système pour appuyer les gouvernements dans cette démarche.
Basée principalement à Suva (la capitale des îles Fidji), la sous-antenne du Pacifique de l'UNDRR fait partie d'un ensemble de 31 agences des Nations Unies opérant dans la région. La présence de l'ONU est également notable dans le nord du Pacifique, aux Fidji et aux Samoa. La collaboration est étroite avec le bureau du coordonnateur résident des Nations unies pour le Pacifique Nord.
La région du Pacifique est identifiée comme l'une des plus sujettes aux catastrophes dans le monde, une affirmation récemment renforcée par l'index multidimensionnel de vulnérabilité qui classe le Pacifique comme la région des petits États insulaires en développement (PEID) la plus vulnérable aux désastres. Face à une diversité de défis, les dirigeants du Pacifique ont proclamé une situation d'urgence climatique. La région doit également faire face à des risques géologiques considérables, comme l'a illustré l'éruption volcanique suivie d'un tsunami aux Tonga. À ces risques s'ajoutent de multiples problématiques de santé publique, nécessitant une approche globale de la gestion des risques.
La région du Pacifique et les PEID en particulier présentent des facteurs critiques de vulnérabilité, notamment des niveaux élevés d'inégalité entre les sexes (particulièrement en Mélanésie) et un taux élevé de personnes handicapées. Ces éléments soulignent l'importance d'une approche holistique de la réduction des risques de catastrophes, intégrant prévention et réponse. Cette vision est reflétée dans divers cadres régionaux, tels que le cadre en faveur d'un développement résilient dans le Pacifique et le partenariat pour la résilience dans le Pacifique. La récente évaluation de mi-parcours de la mise en œuvre du cadre de Sendai, adopté en 2015 et prévu jusqu'en 2030, a révélé que la région du Pacifique n'est pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs fixés en matière de réduction des risques de catastrophes.
L'intégration de la réduction des risques et de la résilience dans différents secteurs – tels que la finance, l'agriculture et les infrastructures – est une nécessité. Le financement est un enjeu majeur dans le Pacifique, où l'accès au financement climatique est un défi de taille. De plus, une grande partie des fonds destinés à la réduction des risques de catastrophes est souvent absorbée par la réponse humanitaire, en raison d'un cycle constant de catastrophes dans la région. Les investissements doivent parvenir aux communautés et être inclusifs, ciblant les populations les plus à risque.
L'évaluation de mi-parcours a également souligné la nécessité de renforcer l'intégration de la réduction des risques de catastrophes dans les politiques sectorielles, de rapprocher les efforts d'adaptation au changement climatique et de réduction des risques de catastrophes, et de mettre l'accent sur les investissements en prévention vers les groupes qui en ont le plus besoin.
Concernant les systèmes d'alerte, il est constaté que seulement un tiers des PEID disposent d'un système d'alerte multimenaces. L'initiative « Systèmes d'alerte précoce pour tous », lancée par le secrétaire général des Nations unies, vise à renforcer la coordination des différentes composantes des systèmes d'alerte avec cinq pays du Pacifique parmi les premiers ciblés.
L'approche régionale pour les efforts de résilience et d'alerte est primordiale, et les territoires français jouent un rôle important dans ces efforts, notamment via le forum des îles du Pacifique, la communauté du Pacifique ou le conseil météorologique du Pacifique. Il est nécessaire de renforcer la convergence et la coordination autour de l'agenda de réduction des risques de catastrophes dans le Pacifique. La France est reconnue pour son engagement en matière d’aide humanitaire et de construction de la résilience, et elle peut encore jouer un rôle plus actif dans la réduction des risques de catastrophes et les efforts de résilience, également à travers les arrangements de coopération régionale.
Je tiens à souligner l'importance des instances régionales telles que le Forum des îles du Pacifique, la communauté du Pacifique et le conseil météorologique, qui contribuent à la construction de la résilience dans la région. En complément de toutes les initiatives menées au niveau régional, l'UNDRR organise tous les deux ans la conférence ministérielle de réduction des risques de catastrophes à destination de tous les États et territoires du Pacifique. C’est une plateforme d’échange dans la région sur les efforts de réduction des risques de catastrophes. Merci beaucoup.
M. le président Mansour Kamardine. Merci Mesdames. La parole est à madame Goarant.
Mme Anne-Claire Goarant, responsable durabilité environnementale et changement climatique pour la Communauté du Pacifique. Bonsoir monsieur le président de la commission. Bonsoir à toutes les collègues en France et en Nouvelle-Calédonie ainsi qu'à Fidji.
Je pense que vous savez que la communauté du Pacifique est la principale organisation scientifique et technique de la région du Pacifique, soutenant le développement durable depuis 1947. La France, en tant que membre fondateur et signataire de la convention de Canberra, a contribué à la création de cette « vieille dame » avec cinq autres États membres administrant alors des territoires de la région du Pacifique, à savoir l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique.
Cette dynamique a été établie dans le but de ramener de la stabilité dans la région dans une période post-deuxième guerre mondiale, afin de faciliter l'administration des territoires sous tutelle et de servir les intérêts des populations océaniennes. La CPS s'est toujours positionnée comme une organisation technique internationale d'aide au développement, une sorte de maison commune pour ses vingt-sept États et territoires membres, y compris la France et ses trois territoires d'outre-mer dans le Pacifique que sont la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, et la Polynésie française.
Ces États et territoires organisent la gouvernance de la CPS, qui a toujours appliqué une approche centrée sur l'humain dans les domaines de la science, de la recherche et de la technologie, en adéquation avec les objectifs de développement durable et dans le respect des accords multilatéraux de l'environnement. Aujourd'hui, la CPS compte presque huit-cents personnels travaillant sur vingt secteurs d'activité, au travers de huit divisions et programmes intégrés.
Nous sommes reconnus pour nos connaissances et notre capacité d'innovation dans des domaines tels que les sciences halieutiques, la veille sanitaire, les géosciences et la conservation des ressources phytogénétiques (qui sont essentielles pour la sécurité alimentaire). L'avantage comparatif de la CPS réside dans sa capacité à appliquer une approche pluridisciplinaire pour traiter des enjeux complexes du développement régional qui ne peuvent être gérés à l'échelle de petits États ou territoires insulaires. Ces enjeux incluent la résilience et l'action climatique, les ressources naturelles et la biodiversité, les systèmes alimentaires, et le développement social et éducatif.
Il est important de noter que la CPS est une organisation bilingue depuis sa création, ce qui est essentiel pour l'intégration des territoires français du Pacifique et de la France dans le contexte régional. Nous ne sommes pas une organisation politique, rôle dévolu au forum des îles du Pacifique qui donne des orientations au travers par exemple de la stratégie 2050 pour le Pacifique bleu. La CPS, tout comme le programme régional océanien de l'environnement (PROE), se réfère à ces stratégies politiques et adapte ses programmes et services à la géométrie variable des enjeux du développement national, régional, sous-régional et international.
En matière de changement climatique et de réduction des risques de catastrophe naturelle, ce sont principalement la division géosciences, la division pêche, le programme sur les océans et la division changement climatique qui s'occupent de ces sujets. La CPS joue un rôle de facilitateur de la collaboration et de coordination en matière de gestion des risques naturels majeurs.
Comme l'a déjà mentionné l'UNDRR, la CPS a été au cœur de la création du partenariat pour la résilience dans le Pacifique, qu’elle coordonne aujourd'hui avec un comité de pilotage multipartite intégrant les territoires. Ce partenariat a été longtemps présidé par la Polynésie française. Au sein de ce partenariat, des groupes de travail à durée de vie limitée peuvent traiter de sujets spécifiques tels que la gouvernance des risques, le financement de la gestion de l'atténuation des risques, le déplacement des populations, l'habitat résilient et des infrastructures. Actuellement, le groupe de travail sur l'habitat résilient et les infrastructures est présidé au niveau technique par la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons également la réunion annuelle des directeurs de la sécurité civile qui permet à la CPS de confirmer les actions qu'elle peut soutenir au niveau technique ou financier. Cette réunion encourage l’échange entre les directeurs de la sécurité civile et la CPS, notamment en ce qui concerne le financement de la participation des territoires à cette réunion.
Un autre sujet intéressant est celui des engagements climatiques vis-à-vis de l'accord de Paris. Grâce au Fonds Pacifique, la CPS a intégré les territoires français du Pacifique dans le hub régional pour les Contributions déterminées au niveau national (NDC Hub), un mécanisme de soutien à la mise en œuvre des engagements climatiques des pays du Pacifique. L'intégration de ces territoires dans ce mécanisme est cruciale, étant donné que le changement climatique et les risques de catastrophe naturelle affectent fortement les territoires et les pays du Pacifique.
En ce qui concerne l'observation scientifique des effets du climat, nous avons le système GCOS, le système mondial d'observation du climat. La CPS joue un rôle important dans le soutien à l'acquisition de nouvelles données sur l'évolution du climat et sur ses effets. Sachant que les territoires français du Pacifique sont pleinement membres de la CPS, nous nous efforçons de répondre à toutes les demandes techniques ou scientifiques émanant d’eux. Dans ce contexte, nous allons par exemple soutenir la Nouvelle-Calédonie dans l'organisation d’une conférence climatique en avril, qui visera la co-construction d'une feuille de route en matière d'adaptation au changement climatique.
Pour conclure, un point soulevé lors de la première réunion ministérielle pour la réduction du risque de catastrophe a été la reconnaissance de l'urgence de traiter cette problématique, tant financièrement que par le besoin d'investissements accrus dans la gestion des risques de catastrophes naturelles. Un défi pour la CPS est que certains dispositifs tels que l'alliance des gestionnaires d'urgence catastrophe dans le Pacifique – qui a été mentionnée par l'UNDRR – ne sont pas ouverts à la participation des territoires. Aussi, la CPS essaie de financer – si ceux-ci le souhaitent – la participation des territoires à un certain nombre dispositifs auxquels ils ne peuvent théoriquement pas prendre part, afin de permettre un traitement de tous les enjeux mentionnés à l’échelle régionale.
Nous cherchons également à partager l'expérience de nos propres membres auprès des autres membres. A titre d’exemple, la France joue un rôle important dans la représentation de ses territoires au sein du Pacific tsunami warning systems. L’IRD est impliqué et la CPS est observatrice, mais le rôle de la France est majeur à ce niveau-là. L'annonce récente de la France concernant le contrat de développement axé sur les changements climatiques avec le fonds vert est également importante, tout comme le rôle de Météo‑France dans la région même s’il mériterait d'être renforcé.
Notre souhait à la CPS est de faciliter la création de ponts entre les territoires français du Pacifique et les États indépendants du Pacifique. Il est crucial d'encourager les bailleurs de fonds à adopter une approche plus flexible et programmatique (à l’instar des flagships que nous mettons en place au niveau de la CPS sur le changement climatique), pour permettre un traitement de ces enjeux à l'échelle régionale sans distinction entre territoires et pays.
Ce sont les points dont je voulais vous parler. Je tiens à excuser le directeur général de la CPS, qui avait été invité à participer à cette commission d'enquête. En raison d'une importante réunion regroupant tous les directeurs et l'exécutif de la CPS pendant trois jours, il n'a pas pu se rendre disponible aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.
M. le président Mansour Kamardine. Merci beaucoup pour cet exposé. Après ce premier tour d’interventions, je vais céder la parole à monsieur le rapporteur pour qu’il pose ses éventuelles questions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’Outre-mer. Merci monsieur le président. Je ne sais pas très bien par débuter mon intervention, car nous avons reçu une quantité considérable d'informations extrêmement riches, et je vous en remercie. En premier lieu, j'ai le sentiment qu'il existe une profusion de structures dont la coordination n'est pas toujours évidente. Vous avez d'ailleurs souligné cette complexité, que vous semblez attribuer en grande partie à la différence de statut entre les territoires et les États. C'est une réalité que j'avais déjà perçue lors d'une précédente mission dans l’Océan indien qui ne portait pas sur cette thématique. Sur celle de la prévention des risques naturels et de la prise en compte du changement climatique dans l'évaluation et le traitement des aléas, il ressort un certain décalage entre des obstacles qui peuvent sembler bureaucratiques et les enjeux considérables qui se cachent derrière.
Une autre impression un peu déroutante tient au fait que toutes les structures évoquées semblent ancrées dans le temps, alors que la prise en compte du risque et de la problématique associée paraît plus récente. Vous avez en tout cas – les unes et les autres – beaucoup parlé de démarches en cours d’élaboration, que ce soit dans les schémas de prévention ou dans l'évaluation des besoins de résilience par exemple.
J’ai compris de vos différentes interventions qu’il existait une volonté assez partagée de mieux coordonner et d'unifier un peu les efforts en matière de gestion des risques naturels majeurs. Est-ce à dire que nous parviendrons à terme à disposer d'un outil qui bénéficiera d'une plus grande visibilité et d'une plus grande efficacité ?
Madame Roger-Lacan a mentionné le prépositionnement des stocks humanitaires, et je souhaitais savoir quelle est l'architecture de la prévention du risque et des crises entre les différents organismes. Par ailleurs, j'ai été surpris de ne pas entendre beaucoup parler – hormis chez Madame Goarant – de Wallis-et-Futuna, qui est un territoire français dont j’aimerais comprendre le positionnement dans l'architecture géographique de la prévention du risque.
Vous parlez souvent de résilience, et j’ai cru comprendre que c'était plutôt le rôle de la CPS. Dans ce cadre, comment se déroule le travail d'actualisation des trajectoires ? Nous apprenons chaque jour davantage sur les changements climatiques et ces données doivent être intégrées au fur et à mesure pour comprendre l'évolution des aléas, leur intensité et la manière dont ils seront gérés. Cependant, comment ce travail est-il effectué de façon opérationnelle ? Est-ce la responsabilité de comités permanents ou d’un comité scientifique spécifique ?
La complexité à laquelle je faisais référence se ressent également en matière de sécurité civile, où il est difficile de savoir qui finance quoi, en particulier s’agissant des efforts de la France.
Enfin, il a été mentionné de manière assez directe que les financements n’étaient pas à la hauteur des enjeux. Etant donné qu’il existe deux types de financement (concernant les crises et la prévention), est-ce que les deux sont insuffisants ? Dans ce cas, quel serait le montant nécessaire ? Je ne demande pas forcément de chiffre immédiat, mais peut-être pourriez-vous me le fournir ultérieurement par écrit ? Est-ce que c'est surtout le financement de la prévention et de l'adaptation future qui est insuffisant, ou celui de la gestion des crises ?
Je m'excuse d’avoir posé des questions de manière un peu fragmentée, mais les informations étaient très riches et ont suscité de nombreuses interrogations. Merci beaucoup.
M. le président Mansour Kamardine. Merci monsieur le rapporteur. Je vais laisser madame l’ambassadrice réagir en première.
Mme Véronique Roger-Lacan. Merci monsieur le président. Monsieur le rapporteur, je comprends l'état de confusion et de perplexité dans lequel nos interventions ont pu vous plonger. En effet, un certain nombre d’éléments peuvent sembler assez bureaucratique. Je comprends au travers de vos commentaires que vous percevez que le foisonnement d'initiatives et de formats ne mène pas nécessairement à de l'efficacité, notamment sur la coordination et les résultats réels.
Cependant, je tiens à vous assurer que l'action menée est très efficace. Nous la décrivons ainsi parce que ce n'est pas nous – pas moi du moins – qui sommes en charge des opérations sur le terrain. Comme vous pouvez l'imaginer, ce rôle incombe aux forces armées et à la protection civile entre autres. Je vous invite donc à prendre contact avec les commandants supérieurs des forces armées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, qui déploient des moyens conséquents, mais également avec les hauts commissariats en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, qui sont les points focaux de ces opérations. Ces interlocuteurs pourront vous fournir des détails précis sur le succès de la gestion des cyclones au Vanuatu ces deux dernières années, et sur l'éruption volcanique survenue l'automne dernier aux îles Tonga. Ils pourront également témoigner de la coopération très efficace par exemple entre la protection civile calédonienne (qui relève de la compétence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie) et les autres forces engagées (entre autres dans les armées françaises).
En ce qui concerne Wallis-et-Futuna, la raison pour laquelle nous n'en avons pas beaucoup parlé tient au fait que la coopération de Wallis-et-Futuna avec les autres territoires ainsi que la gestion des risques naturels à Wallis-et-Futuna ne relève pas de la politique étrangère mais de la sécurité intérieure. Dans ce contexte, c'est le ministère de l'Intérieur qui détient la compétence principale, notamment l'administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna.
M. le président Mansour Kamardine. Merci madame l’ambassadrice. Madame Goarant souhaitait réagir.
Mme Anne-Claire Goarant. Je remercie l'ambassadrice d’avoir mis en lumière la spécificité de la compétence de sécurité civile au sein des trois territoires français du Pacifique. Pour avoir représenté la Nouvelle-Calédonie auprès du forum des îles du Pacifique et de l'organisation régionale pour la protection de l'environnement du Pacifique (SPREP) avant de prendre mes fonctions au sein de la CPS, je connais bien ce sujet. La Nouvelle-Calédonie est l'un des territoires où la compétence de sécurité civile est exercée depuis le plus longtemps, et ce en collaboration active avec les services de l'État. C'est pourquoi nous observons la participation de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française dans l’exercice de fonctions de présidence, notamment au sein du partenariat pour la résilience dans le Pacifique.
Il est également important de souligner la situation de Wallis-et-Futuna. Depuis 2016, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie sont membres à part entière du forum des îles du Pacifique. De son côté, Wallis-et-Futuna n’a pour l’heure qu’une position d'observateur dans cette organisation, ce qui de fait lui donne un rôle moindre dans la définition et l'adoption de stratégies régionales, telles que la stratégie 2050 pour le Pacifique.
Je souhaite également mettre en exergue l'initiative Kiwa, évoquée par la directrice régionale de l'AFD. Cette initiative lancée par la France me paraît fondamentale, car c’est la première fois qu'un fonds multipartenaires et multi-agences a été créé pour aborder de manière globale la question de l'adaptation au changement climatique, en facilitant la mise en œuvre de projets concernant à la fois les territoires et les pays du Pacifique.
À mon sens, ce type d'initiatives transcendant les questions de statut et se concentrant sur l'adaptation au changement climatique pourrait être étendu à la gestion des risques de catastrophes naturelles. En effet, les enjeux du changement climatique et de la gestion des risques de catastrophes naturelles sont étroitement liés, tant dans la phase préparatoire que post-catastrophe. Le cadre de Sendai va aussi dans ce sens. Je vous remercie.
M. le président Mansour Kamardine. Merci. Je redonne la parole à monsieur le rapporteur.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci monsieur le président. Je tiens à remercier madame l'ambassadrice de m'avoir rappelé le statut de Wallis-et-Futuna en tant que territoire français, ce qui ne m’avait effectivement pas échappé. Je remercie également madame Goarant pour ses précisions, car l'exclusion de ce territoire des organisations suscite des interrogations. Bien que Wallis-et-Futuna ne dispose pas des mêmes moyens ni de la même histoire administrative que d'autres territoires, il n'en demeure pas moins exposé à des risques et des aléas significatifs.
Je remercie également de m'avoir signalé que l'armée, conjointement avec la sécurité civile, déploie des moyens opérationnels. Cependant, cela ne dissipe pas toutes mes interrogations car j’ai le sentiment qu'il existe deux niveaux de gestion : d'une part, l'aspect opérationnel qui se met en place lors des crises grâce à une coordination qui s'effectue – je le suppose – assez naturellement entre les autorités de sécurité civile et les autorités militaires. D'autre part, se pose la question de la complexité et de l'articulation des différentes instances existantes et de leur efficacité.
J'imagine que la question du prépositionnement des moyens ne relève pas uniquement du domaine militaire, mais comment cela se coordonne-t-il ? J'ai bien compris que vous soulignez la complexité de la chose, mais à quel horizon pensez-vous que des améliorations puissent être apportées dans le cadre des discussions actuelles ?
Je reviens sur la question du financement. Vous avez toutes les deux décrit qu'il reste un chemin important à parcourir pour atteindre des financements adaptés aux enjeux. Je souhaiterais savoir si c’est quelque chose qui concerne uniquement la prévention et les investissements nécessaires à la résilience, ou si cela s'applique également à la gestion de crise. Très clairement, il ne s'agit pas de déterminer si les bateaux auront suffisamment de pétrole pour se rendre sur les lieux des aléas, mais de savoir si nous sommes à la hauteur dans la mobilisation des moyens à titre préventif.
M. le président Mansour Kamardine. Merci. La parole est à madame Bleitrach si elle souhaite réagir.
Mme Virginie Bleitrach. Merci monsieur le président et monsieur le rapporteur. Concernant le volume des moyens, ils sont considérables mais ils dépendent de ce que l'on cherche à mesurer. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais selon mes notes, le forum des îles du Pacifique estime le besoin pour la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national (NDC) à un milliard d'euros par an. L'océan Pacifique représente un tiers de la planète et est extrêmement vulnérable, avec des États de grande envergure maritime mais de petite taille et disposant d’une base fiscale très faible.
Il existe donc un écart mécanique entre les besoins et les moyens à disposition. Du côté français, l'AFD a eu la chance de voir ses volumes d'engagement augmenter significativement, grâce à l'annonce présidentielle d'une trajectoire de 200 millions d'euros sur cinq ans pour l'ensemble du Pacifique. C'est une hausse notable, mais nous sommes forcés de cibler certains axes d'intervention spécifiques, étant donné l'ampleur des enjeux.
Sur la question de la coordination, je voulais préciser que la plateforme d'intervention de la Croix-Rouge qui sera réactivée à Nouméa avec un budget de 3 millions d'euros permettra d'établir un mécanisme de coordination avec la Croix-Rouge française, mais également de travailler en coopération avec les acteurs locaux, la sécurité civile, les forces armées. Cette plateforme a également vocation à travailler avec les autorités locales.
Je reviens sur les capacités d'absorption limitées des pays. Il est prévu d'accompagner le renforcement des NDMO (national disaster management offices), qui sont de petites équipes dans les pays. Par exemple, le NDMO du Vanuatu, que j'ai visité la semaine dernière, est composé de quelques personnes seulement et manque cruellement d'outils. Il est essentiel de rappeler la réalité du terrain pour comprendre le contexte dans lequel nous intervenons et reconnaître que nous ne pouvons prétendre répondre à tous les besoins.
Concernant l'évolution de la trajectoire en matière de changement climatique, elle n'est pas bien connue – ou en tout cas pas assez finement – pour les États insulaires du Pacifique. En effet, les projections du GIEC sont trop grossières pour une compréhension détaillée puisqu’elles sont basées sur des carrés de cent kilomètres de côté. Le programme CLIPSSA, avec un budget de 2 millions d'euros, vise à produire des données climatiques à très haute résolution, à l'échelle de 2,5 kilomètres, grâce à des supercalculateurs de Météo‑France. Ce sera de nature à permettre de mieux anticiper et guider les politiques publiques et les projets d'investissement pour faire face aux risques de recul des côtes, de précipitations et de submersion.
La CPS déploie aussi des projets pour fournir plus de données et de cartes de risques pour mieux orienter ces politiques publiques. Nous travaillons aussi sur des outils géospatiaux en développement. Pour CLIPSSA, les premières cartes avec des données climatiques plus précises sont attendues pour cette année, et des données encore plus fines pour 2025.
M. le président Mansour Kamardine. Merci beaucoup. Nous allons redonner la parole à madame l’ambassadrice, qui souhaite sûrement apporter des compléments.
Mme Véronique Roger-Lacan. Merci monsieur le président. Je souhaitais effectivement apporter quelques compléments chiffrés en plus des données dont j’ai déjà pu faire état. J’évoquais par exemple les dépenses relatives aux vecteurs aériens des forces armées en Nouvelle-Calédonie pour les vols de reconnaissance, qui s'élèvent à 800 000 euros sur un an. Sur les deux dernières années, la France a consacré 3 millions d'euros à l'aide humanitaire dans le Pacifique, avec 1,46 million en 2022 et 1,24 million en 2023. Pour répondre à l'urgence de l'éruption volcanique au Tonga, un million d'euros a été alloué en 2022.
Depuis 2022, nous finançons également un projet, mené par une ONG et visant à renforcer les capacités des populations locales à faire face aux catastrophes naturelles aux Fidji, aux Samoa et au Vanuatu, pour un montant de 750 000 euros. Nous disposons également de stocks humanitaires prépositionnés à Nouméa et à Papeete, comprenant principalement des bâches, des tentes, des nécessaire de nuit et des kits d'hygiène. Ils sont évalués à 450 000 euros
Comme je l'ai mentionné précédemment, 8 millions d'euros seront alloués sur huit ans au Pacific humanitarian warehousing program. En outre, madame Bleitrach a confirmé la gestion d'un programme de renforcement du réseau de la Croix-Rouge dans le Pacifique, pour lequel nous avons alloué une enveloppe de 3 millions d'euros destinée à l'ouverture de la plateforme.
M. le président Mansour Kamardine. Merci. La parole est de nouveau à madame Goarant si elle souhaite apporter des précisions.
Mme Anne-Claire Goarant. Merci beaucoup. Je souhaite rapidement compléter les propos de Mme Virginie Bleitrach concernant le soutien de la France et de l’AFD au projet CLIPSSA. Ce projet est en effet capital pour élaborer des politiques d'adaptation et de gestion des risques de catastrophes naturelles, ainsi que pour affiner les projections du changement climatique et adapter les modèles du GIEC.
En parallèle du projet CLIPSSA, la CPS a développé grâce à des financements de la Nouvelle-Zélande le flagship, un programme phare sur le changement climatique. Ce programme inclut également des activités visant à acquérir de nouvelles données pour affiner les modèles climatiques, qui bénéficieront aux territoires et pays du Pacifique, en complément des travaux menés au travers de CLIPSSA.
Je tiens à souligner l'existence d'une coopération très active avec les organisations scientifiques d'Australie et de Nouvelle-Zélande, telles que le national institute of water and atmospheric research (NIWA) et le Commonwealth scientific and industrial research organisation (CSIRO), qui travaillent également sur ces thématiques. La collaboration scientifique est essentielle pour obtenir des projections précises du changement climatique.
Concernant les capacités des pays et des territoires à aborder ces enjeux, il est vrai que ceux-ci sont souvent de petite taille et qu’ils disposent de capacités techniques et politiques limitées pour traiter de ces sujets. Un nouveau dispositif nommé SEFAN prévoit la mise à disposition de ces pays de conseillers climat, afin de les aider à élaborer et soumettre des projets d'envergure dans le domaine climatique, tels que ceux financés par le fonds vert pour le climat. Récemment, le Rocky Mountain Institute a financé un poste de conseiller climat en Polynésie française, ce qui est particulièrement prometteur.
Pour finir, je souhaite aborder la question de l'aide publique au développement, qui n'est actuellement disponible que pour les pays répondant aux critères définis par l’OCDE. Il me semble que cette aide devrait être clairement distinguée de la finance climatique, qui devrait quant à elle être accessible à tous les pays et territoires, indépendamment de leur statut ou de leur éligibilité à l'aide publique au développement. C'est un point crucial sur lequel le soutien de la France serait grandement apprécié par les pays du Pacifique, notamment dans un contexte de lutte contre les catastrophes naturelles et les changements climatiques. Je vous remercie.
M. le président Mansour Kamardine. Merci. Je passe la parole à notre collègue madame Saint-Paul.
Mme Laetitia Saint-Paul (RE). Merci monsieur le président. Mes chers collègues, mesdames et messieurs, je partage la quête de concret exprimée par notre rapporteur. Concernant les dernières catastrophes naturelles, pourrions-nous obtenir un état des lieux de la résilience ? Plus précisément, quelles sont les infrastructures, les cultures ou les éléments naturels qui sont irrémédiablement détruits suite à une catastrophe naturelle ? Quels sont ceux qui font preuve de résilience ? Disposons-nous de données chiffrées à ce sujet ? C'était l'objet de ma première interrogation.
Par ailleurs, j'ai été assez rassurée en constatant que nos territoires d'Outre-mer semblent bénéficier du soutien de l'État français. Il est évident que le degré de résilience entre la Nouvelle-Calédonie et les îles Tonga présente un écart significatif. C’est un signe de l'efficacité de l'action de l'État français et c’est à ce titre rassurant.
Je m'interroge également sur le rôle de l'Union européenne dans ce contexte. Quelle est sa contribution via le fonds européen de développement régional (FEDER) ou d'autres budgets spécifiquement alloués à nos territoires d'Outre-mer par l'Union européenne ? Je vous remercie pour vos réponses.
M. le président Mansour Kamardine. Merci chère collègue. Madame Goarant a de nouveau la parole.
Mme Anne-Claire Goarant. Je tiens à souligner que les trois territoires français du Pacifique, en tant que territoires, ne sont pas éligibles aux mécanismes européens tels que le Fonds européen de développement régional (FEDER). Cependant, ils bénéficient du fonds européen de développement, et en particulier du FED régional. La CPS a été l'organisme de mise en œuvre tant du dixième que du onzième FED régional, qui était axé sur la thématique du changement climatique et a fourni un appui considérable. À titre d'exemple, le projet Protège (qui est financé par le onzième FED régional), a bénéficié de 36 millions d'euros. Cette somme a permis d'apporter une aide substantielle aux trois territoires français du Pacifique, ainsi qu’aux îles Pitcairn, qui étaient à l'époque encore prises en compte par le FED.
Je souhaite également préciser que suite à la mobilisation autour de la COP 28 sur le fonds pour les pertes et dommages, la CPS a pris conscience du besoin exprimé par les territoires et les pays du Pacifique de pouvoir structurer leurs besoins en matière de pertes et dommages, qu'ils soient d’ordre économique ou non comme l'a mentionné la députée. La CPS a en outre bénéficié d'un financement à hauteur de 5 millions d'euros de la part du gouvernement danois. Ce financement visait à soutenir la description de cas d'études, l'acquisition de données relatives en matière de pertes et dommages, ainsi que le renforcement des arrangements institutionnels des pays du Pacifique. L'objectif est de permettre à ces derniers de formuler des demandes d'accès au futur fonds des Nations unies dédié aux pertes et dommages. Je vous remercie.
M. le président Mansour Kamardine. Merci. La parole est à madame l’ambassadrice.
Mme Véronique Roger-Lacan. Merci monsieur le président et bonjour madame la députée. Avant de répondre à vos interrogations, madame la députée, je tiens à mentionner un point essentiel que j'aurais dû aborder dans mon intervention initiale. Il s'agit de l'engagement de l’IRD dans la surveillance continue de la sismicité, qui contribue au système d'alerte sismique et tsunami. En 2008, grâce à un financement de l'Union européenne au travers du neuvième FED, un réseau de stations sismologiques et accélérométriques terrestres a été implanté en Nouvelle-Calédonie. Ce réseau nommé Sismocal est capable de transmettre en temps réel les informations sur les secousses sismiques et de générer des alertes lorsqu’elles sont susceptibles de provoquer des tsunamis. Neuf stations du réseau Sismocal sont présentes en Nouvelle-Calédonie.
Ce réseau a été étendu en 2012 au Vanuatu puis à d'autres pays insulaires de la région Pacifique à partir de 2014, sous l'appellation Orsnet (Océania regional seismic network). Chacun des sept pays faisant à l’heure actuelle partie du réseau dispose de son propre parc de stations, formant ainsi un réseau d'alerte sismique performant sur lequel peuvent s'appuyer tant les territoires que les États indépendants associés à ce réseau.
Concernant les financements, je souhaite rappeler que la France avec 2,4 millions d'euros en 2023 est le deuxième contributeur au budget de la communauté du Pacifique. La contribution française au programme régional océanien de l'environnement est de 1,6 million d'euros sur un budget total de 35 millions d'euros.
En ce qui concerne l'aide européenne, elle atteint un total de 117 millions d'euros pour le Pacifique, avec un programme indicatif pluriannuel pour la période 2021-2024. Il se divise en plusieurs catégories : actions climatiques, durabilité de l'environnement, développement économique inclusif et durable, valeurs fondamentales, développement humain, paix et sécurité. L'Union Européenne finance également plusieurs projets dans le cadre de l'initiative « Équipe Europe, Alliances bleues et vertes pour le Pacifique », à laquelle la France contribue à hauteur de 33 millions d'euros.
Nous pourrons vous communiquer tous ces chiffres par écrit ultérieurement. Merci.
M. le président Mansour Kamardine. Merci beaucoup. Si personne ne demande de nouveau la parole, il me reste à remercier nos intervenantes et à leur souhaiter une bonne soirée puisque l’horaire est tardif dans la région Pacifique. Merci également à monsieur le rapporteur et à madame Saint-Paul pour leurs questions et interventions.
24. Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Connaissance, surveillance et identification des risques dans les Antilles » (29 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête avec une table ronde intitulée « Connaissance, surveillance et identification des risques dans les Antilles ». Pour aborder ces sujets, nous sommes connectés en visioconférence avec M. Emmanuel Cloppet, directeur interrégional Antilles-Guyane à Météo‑France et M. Ivan Vlastelic, directeur de l’Observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe (OVSG). M. Jean Marc Mompelat, directeur des actions territoriales du Bureau de recherche géologiques et minières (BRGM) et M. François Beauducel, ancien directeur par intérim de l’Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique (OVSM) sont quant à eux présents parmi nous. Votre audition est ouverte à la presse et sera retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Cloppet, Vlastelic, Beauducel, Mompelat prêtent serment.)
Je vous laisse immédiatement la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes avant d’être interrogé par notre rapporteur.
M. Emmanuel Cloppet, directeur Antilles Guyane, Météo-France. Les territoires des Petites Antilles sont soumis à un climat tropical chaud et humide, qui les expose à deux grands types de risques. Il s’agit d’une part de fortes précipitations très localisées, avec des phénomènes pluvieux et orageux qui engendrent des risques pour la population en raison de crues soudaines, de ruissellements et de glissements de terrain. Il s’agit d’autre part d’une exposition aux phénomènes cycloniques. Je rappelle à ce titre que les cyclones tropicaux constituent les catastrophes naturelles les plus dévastatrices, en raison des aléas qu’ils génèrent : des vents cycloniques, des pluies diluviennes, de la houle, mais également une élévation du niveau de la mer, des inondations et des glissements de terrain.
Ces phénomènes ont, au cours des cinquante dernières années, occasionné quasiment 800 000 décès dans le monde. La région des Petites Antilles y est particulièrement exposée, en particulier lors des trente dernières années où nous avons assisté à une recrudescence des phénomènes cycloniques sur la zone. Cette exposition et cette vulnérabilité à ces phénomènes extrêmes, d’une intensité que nous ne connaissons pas en France hexagonale, me paraissent particulièrement importantes à mettre en avant.
M. François Beauducel, ancien directeur par intérim de l’Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique. Au-delà des risques météorologiques, il existe trois grands types de risques telluriques aux Antilles : les éruptions volcaniques, les séismes et les tsunamis. Ces éruptions volcaniques sont liées à une quinzaine de volcans actifs aux Antilles, dont la Montagne Pelée en Martinique et la Soufrière en Guadeloupe. La Montagne Pelée a connu une éruption magmatique en 1902, qui a occasionné 29 000 morts. Ce risque est donc relativement présent.
Ensuite, la période historique a connu neuf séismes majeurs, notamment celui de 1939, qui a détruit Fort-de-France et provoqué des centaines de morts. Le séisme de 1843 a quant à lui détruit Pointe-à-Pitre et engendré 3 000 morts environ. D’autres séismes plus modérés doivent également être mentionnés : le séisme de 2004 aux Saintes en Guadeloupe, et plus récemment, celui de 2007 en Martinique, qui a provoqué des dégâts modérés, mais a surtout engendré une panique. Ce risque est donc également très présent. Il est lié à deux grands types de séismes : les séismes de subduction, qui se produisent moins fréquemment, mais peuvent être extrêmement dévastateurs ; mais aussi séismes plus superficiels qui peuvent générer des dégâts plus localisés lorsque l’épicentre est proche des populations.
Enfin, le dernier risque théorique porte sur les tsunamis. Bien qu’il ne soit pas très élevé dans les Petites Antilles, environ vingt-cinq tsunamis ont été recensés dans les Petites Antilles, dans la période historique. J’en citerai trois : le séisme des îles Vierges de1867, qui a entraîné une vague de dix mètres à Sainte-Rose en Guadeloupe ; l’éruption continue de Montserrat, entre 1995 et 2010, qui a produit des vagues de deux mètres et des dégâts légers ; et enfin la menace constante d’un volcan sous-marin à l’ouest de Grenade, qui produit des éruptions quasiment tous les dix ans. Ce dernier représente une menace potentielle de tsunami d’origine volcanique.
Vous m’avez également interrogé sur la particularité des Petites Antilles et du territoire français en termes de vulnérabilité. Cette vulnérabilité est finalement « multirisques ». Différents points affectent tous les aléas. Il s’agit de l’insularité et des problèmes d’évacuation qu’elle suscite ; des infrastructures et du facteur humain. L’Institut de Physique du Globe de Paris a ainsi relevé une méconnaissance généralisée des procédures d’évacuation. Il faut ensuite mentionner une méfiance vis-à-vis du pouvoir central, et des comportements relativement instinctifs, par exemple lorsque des ordres d’évacuation sont transmis pour le risque volcanique. Enfin, je souligne le risque lié à la forte densité de population en Guadeloupe et en Martinique, car ces îles concentrent une densité de population au kilomètre carré deux à trois supérieure à celle de l’Hexagone.
En conclusion, je terminerai en insistant sur la vulnérabilité potentielle en raison de cascades d’aléas, par exemple la survenance d’un séisme ou d’une éruption volcanique en même temps qu’un événement climatique. Si cette cascade d’aléas intervient, la situation sera compliquée. Enfin, s’agissant du risque tellurique, nous pouvons tout à fait envisager un séisme et une éruption volcanique simultanée suivis d’un tsunami, puisque les tsunamis sont générés par l’un de ces deux aléas.
M. Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales du Bureau de recherche géologiques et minières. Le BRGM intervient à la fois sur des aspects d’expertise, de recherche et d’appui aux politiques publiques. À tous les aléas qui viennent d’être évoqués, il convient d’ajouter les phénomènes de mouvements de terrain induits par le séisme. Nous intervenons évidemment sur ces phénomènes, en particulier aux Antilles françaises, depuis très longtemps.
S’il n’y a pas à établir de classements particuliers entre tous ces risques, je souligne que le séisme présente une particularité, dans la mesure où il ne prévient pas. Il peut survenir brutalement et affecter de manière très significative l’ensemble du territoire, occasionnant un nombre considérable de dégâts matériels et de victimes humaines, en raison notamment des effets cascade qui ont été mentionnés. En ce sens, il mérite qu’on lui apporte une attention toute particulière.
Je tiens également à mentionner deux séismes récents qui, s’ils ne sont pas intervenus dans les Antilles françaises, doivent être soulignés : le séisme de 2001 au Salvador qui a provoqué près de 1 000 morts et le séisme qui a frappé Haïti en 2021. Non seulement ils ont entraîné un impact majeur dans les territoires qu’ils ont concernés, mais ils ont également suscité une mobilisation importante de la communauté scientifique antillaise, des architectes et des ingénieurs. Ce faisant, il a été possible d’établir une forme de retour d’expérience.
M. Ivan Vlastelic, directeur Guadeloupe, Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique et de Guadeloupe. Je partage évidemment les commentaires qui ont été formulés jusqu’à présent. Effectivement, le caractère imprévisible du séisme doit être relevé. En revanche, nous sommes en mesure d’agir sur le risque volcanique qui concerne les îles françaises : lors des dernières décennies, nous avons enregistré de très grands progrès sur la connaissance des phénomènes de maturation des systèmes.
Naturellement, nous ne pouvons pas prédire une éruption volcanique, mais nous possédons beaucoup plus d’informations pour nous préparer et évaluer la probabilité d’éruption dans les Antilles françaises, qui est de l’ordre du pourcent dans les années à venir. Simultanément, nous connaissons mieux les dynamiques et les temporalités de mise en place des systèmes magmatiques. Il s’agit de phénomènes non linéaires, emboîtés, qui sont extrêmement lents dans la première phase, mais qui s’accélèrent très fortement lors de la phase finale : une fois que les premiers signaux sont mesurés et les premiers signaux de réactivation d’un volcan détectés, les événements peuvent se dérouler très rapidement. Cela renforce la nécessité d’interagir fortement avec les autorités.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Comment prenez-vous en compte l’évolution des risques au regard de l’évolution du climat ? Je pense que la réponse des territoires à un séisme n’est pas la même que celle qui pouvait être observée il y a quelques années encore et les aléas cycloniques doivent être pris en compte en tant que tels.
S’agissant des questions météorologiques, nous avons auditionné auparavant certains de vos collègues de la zone Pacifique et l’une des questions soulevées concernait la maille de la donnée. Cette zone présente sans doute des particularités nécessitant une maille extrêmement fine, pour évaluer la vulnérabilité des territoires de façon très précise, pour pouvoir s’en prémunir. Établissez-vous le même constat aux Antilles ? De manière générale, à quelle maille parvenez-vous à délivrer la donnée ? Dans quel cadre de coopération avec autres territoires environnants ?
Ensuite, vous avez évoqué un retex sur le séisme intervenu en Haïti. Pouvez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet ? Pensez-vous que nous ayons les moyens de gérer un aléa majeur sur les îles françaises des Petites Antilles en matière d’évacuation, de mise à l’abri et d’approvisionnement ? Si tel n’est pas le cas, quels moyens, notamment budgétaires, les politiques publiques devraient-elles y consacrer ?
Enfin, l’idée d’une culture du risque surgit fréquemment après la survenue d’un aléa, mais a ensuite tendance à s’enfouir dans la mémoire collective. L’une des personnes déjà auditionnées a évoqué l’exemple japonais du « jour du tsunami », exercice prévisionnel qui sert à évaluer différents éléments, dont les réserves de provision et d’eau en cas de séisme. Pensez-vous qu’il faudrait instaurer une telle journée sur les territoires concernés ?
M. Emmanuel Cloppet. S’agissant du volet météorologique, une réelle culture du risque s’est développée outre-mer, autour du risque cyclonique. Chaque année, une quinzaine de tempêtes et ouragans voient le jour dans le bassin Atlantique, et les territoires français sont frôlés par au moins un système dépressionnaire. Chaque année, en moyenne, au moins une tempête tropicale passe à moins de cent kilomètres de la Martinique, de la Guadeloupe et des îles du Nord. Il existe donc une véritable acculturation à ce risque et les populations gardent évidemment en mémoire les phénomènes les plus violents qui ont pu frapper les territoires.
À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l’ouragan Irma de 2017 représente le « scénario du pire » : c’était la première fois qu’un ouragan de catégorie 5 frappait directement un territoire habité des Petites Antilles. À la Guadeloupe, la référence demeure l’ouragan Hugo de 1989, qui reste dans les mémoires comme un événement extrêmement dévastateur. Il existe donc une mémoire collective du risque cyclonique sur ces territoires et le lancement de la saison cyclonique chaque année au mois de juin constitue l’occasion de rappeler les bons réflexes pour se prémunir de ce risque statistiquement très élevé sur ces territoires. Il faut d’ailleurs souligner que le nord de l’arc antillais représente la zone la plus exposée aux phénomènes les plus violents. Lors des trente dernières années, six ouragans majeurs sont passés à proximité immédiate de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Il s’agit là des deux territoires français les plus exposés aux ouragans les plus violents.
Ensuite, vous avez évoqué la question du maillage et je tiens à insister sur le fait qu’en matière de prévisions de trajectoire, d’immenses progrès ont été accomplis. Nous travaillons à partir de modèles globaux ou locaux, mais également en partenariat avec le National Hurricane Center de Miami, qui est le centre régional de référence pour la prévision des phénomènes cycloniques dans cette région du monde. En matière de trajectoire, les modèles offrent des résolutions de dix à cinq kilomètres et permettent d’établir des prévisions de très bonne qualité. Le défi porte plutôt sur la prévision de l’intensité et des impacts. À titre d’exemple, l’ouragan Otis a frappé cette année Acapulco avec une intensification très rapide, qui n’avait pas été anticipée par les modèles.
En résumé, Météo-France se focalise vraiment sur la prévision des impacts à l’échelle locale, c’est-à-dire la quantité de pluie attendue, la hauteur des vagues et la force des vents sur les différents points du territoire. Pour y parvenir, nous disposons d’un modèle à la résolution très fine, à maille kilométrique, qui prend notamment en compte la topographie de l’île, les effets de relief et les effets d’accélération. Les outils sont donc du même niveau que ceux disponibles en France métropolitaine.
M. François Beauducel. S’agissant des risques telluriques, nous sommes confrontés au même enjeu de maillage, pour la modélisation, la prédiction et la compréhension des phénomènes. En matière de risque volcanique, nous densifions les réseaux, à dessein : chaque capteur ajouté nous permet de comprendre de nouveaux phénomènes. En revanche, nous sommes confrontés à un problème singulier qui n’existe pas pour la météorologie : les phénomènes que nous étudions sont souterrains et nous n’avons pas accès directement à la mesure des paramètres physiques qui nous intéressent. Nous sommes donc obligés de faire appel à des modèles.
En matière de risque sismique, nous sommes confrontés à un problème lié à l’insularité : nous n’avons quasiment aucune station en mer, quand il faudrait disposer d’un réseau au large des côtes, avec des capteurs sous-marins, sans commune mesure en termes de prix et d’installation. Ces capteurs sous-marins permanents nous permettraient de réaliser un saut quantique dans la connaissance de la zone de subduction, au niveau des failles tectoniques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Quels sont les montants en jeu ?
M. François Beauducel. Une station sismologique coûte quelques dizaines de milliers d’euros, mais le coût d’un seul capteur en mer permanent est de l’ordre du million d’euros. Des capteurs temporaires ont pu être installés dans certaines zones, mais nous n’avons pas pour le moment de capteurs permanents.
M. Jean-Marc Mompelat. En matière météorologique, nous parlons aujourd’hui d’excès de vent et de pluie, mais il ne faut pas oublier que les phénomènes extrêmes portent aussi sur la pénurie d’eau. De fait, nous commençons à observer des périodes de sécheresse assez marquées, y compris dans les régions ultramarines des Antilles.
Ensuite, si l’articulation de l’ensemble des services s’opère plutôt bien sur les phénomènes portant sur le rivage, des progrès demeurent à accomplir en pleine mer, en matière de mesure de la propagation et de l’appréciation de l’impact, notamment sur le milieu construit.
M. Emmanuel Cloppet. Je ne peux que confirmer l’existence d’une volonté globale de mieux prévoir les impacts niveau du territoire : nous ne nous contentons pas de décrire le temps qu’il fera. Cela nécessite en effet de travailler en collaboration étroite avec certains organismes, qu’il s’agisse de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) en matière de veille et prévision hydrologiques ou du BRGM sur les aspects de submersion marine.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Notre commission d’enquête a pour objet de vérifier si nous sommes en mesure aujourd’hui de pouvoir assumer un aléa qui aura un impact majeur sur un territoire, et de voir comment nous pouvons anticiper les évolutions dues au changement climatique qui accroîtront la vulnérabilité des territoires à l’avenir. Il est ainsi fondamental de pouvoir évaluer l’impact d’un aléa. À titre d’exemple, les assureurs nous ont indiqué qu’ils n’assurent pas des bâtiments situés pour les uns à moins cent mètres du rivage et pour les autres, à moins de cent cinquante mètres. De quelle manière partagez-vous les données afin qu’elles puissent être intégrées dans la planification économique ?
M. Jean-Marc Mompelat. Vous nous avez précédemment demandé notre avis sur la capacité des territoires à faire face aux aléas, notamment en matière d’évacuation des personnes, mais je pense que cette question s’adresse plutôt aux autorités en charge de la sécurité civile. En revanche, j’estime nécessaire de conduire des exercices de préparation les plus fiables possible, qui reposent sur des scénarios crédibles grâce à la mesure des impacts. De tels exercices ont déjà eu lieu et il convient de les mener régulièrement. Le dernier grand exercice en matière de séisme est intervenu en 2017 et le précédent datait de 2008. Ces exercices doivent reposer sur une connaissance approfondie des phénomènes, car il en va de la crédibilité des scénarios proposés, y compris dans la déclinaison de scénarios complexes, comme les cascades d’aléas déjà évoqués.
Ensuite, il est nécessaire de travailler sur la connaissance et la mesure de la vulnérabilité aux différents phénomènes. En la matière, nous accusons un certain retard : les grandes études menées notamment pour mesurer la vulnérabilité du milieu construit datent et méritent d’être réactualisées.
M. Ivan Vlastelic. Je souhaite effectuer un commentaire sur le lien entre les données acquises par les différents opérateurs et le monde économique. Nous fournissons des données sismologiques natives, qui sont transférées à différents opérateurs ou accessibles à toute la communauté. Or ces données sont utilisées concrètement par les assureurs, par exemple les données d’accélérométrie, qui mesurent l’accélération du sol au moment d’un séisme. Elles permettent de réaliser les cartes d’intensité macrosismiques, qui traduisent en quelque sorte l’intensité en termes de dégâts potentiels sur les bâtiments. Les assureurs ont ainsi accès à ces données, mais aussi aux valeurs assurées par leurs clients, ce qui leur permet de traduire ces données d’intensité macrosismique en termes de dégâts et de montants financiers. Les assureurs disposent également de modèles d’interpolation pour pallier l’absence de données sur certaines habitations ce qui permet que chaque séisme soit estimé en termes de dégâts par les assureurs, en montant d’euros.
M. François Beauducel. Nous avons effectué un premier exercice « éruption volcanique » de la Montagne Pelée l’année dernière en Martinique. Nous travaillons de concert avec les autorités, la préfecture et la protection civile, pour essayer d’anticiper les conséquences d’une éruption. À ce titre, nous faisons face à un problème spécifique : le manque d’interlocuteurs scientifiques dédiés et stables au sein des préfectures ou des ou des services de protection civile. En effet, la problématique, notamment du risque volcanique, est extrêmement complexe. En outre, en raison des rotations de personnels, ces interlocuteurs changent très fréquemment. Dès lors, nous sommes obligés de refaire des formations régulièrement.
M. Jean-Marc Mompelat. La prise en compte des risques dans l’aménagement s’effectue notamment à travers les plans de prévention des risques naturels (PPRN) multi-aléas aux Antilles. Les approches sont différentes selon les cas de figure, mais elles sont pilotées par les services de l’État. De notre côté, nous présentons des cartes, notamment concernant l’aléa mouvement de terrain, sur la base de commandes passées en fonction des études et des cycles de révision de ces documents.
Lors de ma précédente intervention à l’Assemblée nationale, j’avais d’ailleurs insisté sur la nécessité d’actualiser régulièrement l’évaluation des risques et avais montré un exemple concernant la révision de la carte d’aléa des mouvements de terrain en Martinique, qui témoignait d’avancées considérables dès lors que l’on se donnait la peine, entre deux cycles, de progresser en termes de méthode et aussi d’acquisition de données.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je me souviens de cette carte. L’affinement des données permet ainsi d’obtenir une vision plus réaliste de l’objet, mais aussi beaucoup plus supportable pour l’aménagement du territoire.
Je souhaite néanmoins nuancer certains propos antérieurs. Si la culture du risque est sans doute présente dans certains territoires, nous ne l’avons pas constaté dans les témoignages recueillis sur Saint-Martin, où le dernier épisode majeur datait de 1995. La conscience du risque courant existe donc bien, mais elle est moins prononcée s’agissant du risque majeur. Ainsi, des résistances très fortes avaient vu le jour à l’occasion de la révision du PPRN de Saint-Martin, notamment en raison de problèmes de concertation. Malgré tout, certaines habitudes sont difficiles à modifier. Par exemple, les gens préfèrent cultiver le long des pentes d’un volcan, car les terres y sont plus fertiles, malgré le risque.
Naturellement, vous ne bâtissez pas les politiques publiques. Néanmoins, vous transmettez les informations aux décideurs publics et aux acteurs du territoire. Pouvez-vous détailler les mesures prises pour maintenir cette culture du risque aussi vivace que possible ? Enfin, pouvez-vous évoquer le retour d’expérience sur le séisme en Haïti ?
M. Emmanuel Cloppet. En matière de risque cyclonique, l’un des enseignements d’Irma consiste à se préparer à des gammes d’intensité que nous n’avons pas connues par le passé, en matière d’impact. De fait, les modèles en matière d’évolution du climat témoignent d’une exposition accrue aux phénomènes cycloniques, avec des cyclones plus intenses, en lien avec l’augmentation de la température de l’eau – le « carburant » des cyclones –, des quantités de pluies supérieures et l’élévation du niveau de la mer, qui renforce la vulnérabilité des zones côtières. Nous devons donc nous préparer à une augmentation de ce risque et à la survenue de phénomènes plus violents et plus dévastateurs sur nos territoires français.
En matière de culture du risque, il est essentiel de disposer d’une grande proximité entre l’autorité préfectorale et Météo‑France sur ces territoires, en lien avec la gestion de ce risque qui, encore une fois, repose sur des exercices annuels, des bilans et des retex. Il faut également contribuer à l’éducation de la population, à la vulgarisation des risques et la communication sur les bons réflexes à adopter lorsque ce type de phénomène se présente. En l’espèce, il faut mobiliser une chaîne entière d’intervenants comprenant notamment Météo‑France, l’autorité préfectorale, le rectorat et d’autres acteurs, comme ceux du monde humanitaire. À ce titre, l’adaptation des programmes scolaires représente un excellent levier pour contribuer à l’amélioration de la connaissance des risques au sein de la population.
M. François Beauducel. De notre côté, nous sommes également très actifs en matière d’information de la population, d’enseignement et de formations. Les Observatoires volcanologiques disposent d’une visibilité en Guadeloupe et en Martinique. Nous sommes donc très fréquemment sollicités et manquons même de personnels pour répondre à toutes les demandes. Je rappelle que notre équipe comporte entre dix et quinze personnes, de manière permanente. Nous conduisons également des opérations de vulgarisation et produisons des bilans périodiques d’information.
Cependant, cette information et ce maintien d’une culture du risque font naturellement partie de nos missions. À chaque séisme ressenti, même s’ils n’occasionnent heureusement pas de dégâts la plupart du temps, nous en profitons pour communiquer, procéder à des « piqûres de rappel », en soulignant le caractère aléatoire de leur survenue et rappeler l’histoire de la sismicité.
M. Jean-Marc Mompelat. L’acceptabilité des cartes de risques et donc des contraintes à l’aménagement constitue effectivement un point sensible, dans la mesure où nous avons affaire à des espaces insulaires très étroits. Dès lors, ces sujets nous renvoient à la notion de risque « acceptable ». Naturellement, il ne s’agit pas d’exposer les populations à des dangers récurrents, mais de penser l’espace et de faire prendre conscience que le risque n’est pas identique d’un territoire à l’autre en raison des contraintes et des particularités de ces derniers.
Ensuite, pour avoir commencé à travailler aux Antilles à la fin des années 1980, je peux témoigner que la culture du risque et la prévention ont connu de considérables progrès au fil des ans. Le risque lié aux cyclones est bien identifié en raison de leur récurrence, mais celui associé aux volcans et aux séismes a également fait l’objet d’avancées. Désormais, il importe de ne pas relâcher l’effort et de soutenir sans cesse, non seulement les institutions que nous représentons, mais également tous les relais de la société civile – comme les associations – qui relayent cette culture du risque. À ce sujet, il me semble nécessaire de mettre encore plus l’accent sur ce qui me semble être le parent pauvre de la culture du risque : les mouvements de terrain, qui sont particulièrement accentués, notamment à la Martinique. Beaucoup reste à faire en la matière, par exemple pour la construction ou la gestion des eaux.
S’agissant d’Haïti, le pays ne dispose pas de réseaux de mesure, qui sont essentiels pour la prévision et l’anticipation. Néanmoins, le retex s’est avéré assez fructueux, dans les deux sens. De notre côté, nous avons pu faire bénéficier les Haïtiens d’informations concernant le zonage sismique et la prise en compte du risque associé dans l’aménagement, notamment à Port-au-Prince. Simultanément, nos professionnels ont enrichi leurs connaissances dans l’analyse de la vulnérabilité. En Haïti, nous avons pu étudier des cas concrets de bâtiments construits selon les règles parasismiques françaises ou les codes américains, et qui ont parfaitement résisté aux secousses. Pour ma part, je travaillais sur les mouvements de terrain à l’époque et nous avons pu constater de grands phénomènes d’instabilité, à travers des glissements côtiers qui ont affecté ce que nous appelons les cônes d’alluvions. Nous avons ensuite pu transférer ces connaissances et les prendre en compte dans les zonages que nous avons réalisés sur nos territoires. Quoi qu’il en soit, ces confrontations et ces retours d’expérience sont vraiment extrêmement importants.
M. François Beauducel. Le cas haïtien nous a permis de fortement enrichir notre connaissance des déformations et des mouvements du sol. Cependant, Haïti présente une singularité : elle est située sur une faille « décrochante », qui passe sur la partie terrestre. Ici aussi, pour parfaire les connaissances de la mécanique et de la tectonique, il faudrait installer des réseaux sous-marins, au niveau de la zone de subduction.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Avez-vous budgété ce que représenterait une couverture efficace en termes de capteurs sous-marins ? Pouvez-vous nous transmettre ces éléments ?
M. François Beauducel. Ces réflexions sont en cours, mais nous vous transmettrons cette information.
M. le président Mansour Kamardine. Précédemment, vous avez indiqué ne pas disposer de suffisamment de moyens pour faire face à la demande de développement de la culture du risque. Selon vous, de quels montants auriez-vous besoin ? Nous avons déjà conduit une réflexion sur ce sujet à l’Assemblée nationale, qui nous a permis de constater que le Japon avait acquis une vraie culture du risque, et témoignait d’un souci permanent de sensibiliser l’opinion. Une fois par an, une journée est ainsi consacrée à l’apprentissage des gestes élémentaires en cas de sinistre. Pensez-vous qu’une telle initiative puisse être mise en place aux Antilles ? Selon quelles modalités budgétaires et moyens humains ?
M. François Beauducel. De telles actions sont déjà mises en œuvre, à travers notamment les journées « Répliques ». Tous les ans, pendant une semaine, nous participons à des stands de formation et des discussions. Mais la demande est telle qu’il faudrait aller plus loin, notamment pour former les instituteurs des écoles, les associations, les agents travaillant dans les services de l’État et des collectivités. Actuellement, il n’existe pas de personnel attitré dans chaque observatoire en Guadeloupe et en Martinique pour effectuer ce travail. En conséquence, les besoins immédiats porteraient sur une personne qui serait dédiée à cette activité de transmission. En outre, il faut bien comprendre que la connaissance des risques telluriques est extrêmement évolutive et nécessite une mise à jour continue, qu’il faut essayer de transmettre directement à la population.
Nous menons ces actions avec nos collègues du BRGM, avec les services de l’État, les associations et la Croix-Rouge. De fait, comme le faisait remarquer M. Mompelat, une évolution remarquable est intervenue depuis une vingtaine d’années. Désormais, les services de l’État et les associations agissent ensemble pour conduire des actions de sensibilisation à la culture du risque. La relation existe, elle est assez positive et nous y contribuons à notre niveau, pour la partie relative à la connaissance réelle de l’aléa.
M. Ivan Vlastelic. Je souhaite rappeler qu’entre dix et vingt séismes sont ressentis chaque année dans les territoires de Guadeloupe et Martinique, soit plus d’un séisme par mois, statistiquement. J’ajoute que certains de ces séismes créent par endroit des petits dégâts. En conséquence, la population est de facto très sensibilisée à ces risques sismiques. Il existe donc une demande d’information, à laquelle nous ne pouvons répondre intégralement. Nous y répondons de manière extrêmement ponctuelle, mais chaque semaine, des instituteurs, différents organismes de l’État nous demandent de réaliser des visites de l’Observatoire ou d’organiser des journées portes ouvertes. Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours y donner suite, compte tenu de nos engagements opérationnels. Il existe ainsi deux plans Orsec (Organisation de la réponse de sécurité civile) en lien avec la préfecture – le plan Orsec volcan et le plan Orsec séisme – qui nous engagent dans des astreintes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Notre petite équipe ne peut répondre à la demande pourtant justifiée de la population et des acteurs de l’État sur la connaissance de ces séismes, laquelle progresse régulièrement et doit être ajustée. Ce paramètre assez important doit être pris en compte.
M. Jean-Marc Mompelat. En tant qu’organismes, nous ne disposerons jamais des moyens de procéder à une telle démultiplication, compte tenu de nos contraintes. En revanche, je demeure persuadé de la nécessité pour les services de l’État de disposer des moyens financiers suffisants pour conduire les campagnes d’information et être en mesure de relayer les messages sur différents supports médiatiques. En outre, il importe d’avoir de bons relais au sein de ce tissu associatif. À ce titre, nous demeurons néanmoins les personnes idoines pour délivrer les bons messages. Il faudrait sans doute mieux maîtriser cette articulation, pour s’assurer que les messages de prévention et de conduite à tenir lors de la survenue de tel ou tel phénomène soient bien ceux définis par la puissance publique.
M. Emmanuel Cloppet. S’agissant de l’éducation de la jeunesse, le rectorat doit être un partenaire majeur. Au même titre que les autres organismes, Météo‑France n’a pas les moyens de se rendre dans les classes pour former tous les élèves martiniquais et guadeloupéens sur ces risques. Dès lors, le travail avec le rectorat est essentiel pour former un réseau d’enseignants référents sur ces sujets des risques naturels, lesquels peuvent ensuite relayer les messages. Je tiens enfin à souligner une initiative exemplaire existante à la Réunion, issue d’un partenariat avec le rectorat et la plateforme d’intervention régionale océan Indien de la Croix-Rouge (Piroi), qui permet aujourd’hui de former l’intégralité des élèves réunionnais entre le CM1 et la cinquième à l’ensemble des risques naturels.
M. le président Mansour Kamardine. Il me reste à vous remercier pour votre disponibilité et à vous souhaiter une excellente journée.
25. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Guadeloupe – Volet État (29 février 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux avec une table ronde territoriale intitulée « Guadeloupe – Volet État ». Nous recevons, par connexion interposée, M. Xavier Lefort, préfet de Guadeloupe ; M. Olivier Kremer, directeur, direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Guadeloupe (Deal 971) ; M. le colonel Frédéric Lhomme, directeur-adjoint et M. le lieutenant-colonel Joël Condo, responsable opérationnel, Service territorial d’incendie de secours de Guadeloupe (Sdis 971). Ils sont également accompagnés de Mme Catherine Perrais, directrice adjointe de la Deal Guadeloupe et Mme Aude Comte, chef du projet risques naturels de cette même Deal.
Votre audition est ouverte à la presse et sera retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, puis nous poursuivrons nos échanges sous la forme des questions-réponses.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mmes Perrais, Comte et MM. Lefort, Kremer, Lhomme, Condo prêtent serment.)
M. Xavier Lefort, préfet de Guadeloupe. Je vous remercie de nous auditionner aujourd’hui. La Guadeloupe est soumise à un certain nombre de phénomènes majeurs d’ordre cyclonique, sismique ou volcanique.
En matière cyclonique, les événements majeurs, au-delà du grand cyclone de 1928, sont les ouragans Hugo en 1989, Maria en 2017 et Irma, qui ont affecté plus au nord les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces événements cycloniques s’accompagnent également de pluies extrêmement abondantes, qui représentent en réalité le phénomène majeur en matière de risque, en raison de la topographie du territoire, se traduisant par des débordements et des inondations souvent très graves. Récemment, la tempête tropicale Fiona de 2022, qui n’était pas un ouragan, a ainsi été marquée par de très fortes pluies. Dernièrement, nous avons connu la tempête tropicale Philippe (septembre 2023) et l’ouragan Tammy (octobre 2023), qui a touché l’archipel, et plus particulièrement l’île de la Désirade.
En premier lieu, je souhaite saluer la forte culture du risque de ce territoire. Je peux ainsi témoigner la grande résilience de la population lors de la survenue d’événements majeurs. Cette population connaît les consignes, réagit très rapidement, sait se mettre à l’abri et suit les directives qui lui sont transmises par les autorités. Lors des deux derniers événements cités, aucune victime n’a ainsi été à déplorer. Un travail de prévention et d’information est ainsi mené auprès de la population, qui me semble porter ses fruits.
Ces actions de prévention concernent également les plans sismiques et volcaniques, qui passent notamment par des informations dans le milieu scolaire, les journées japonaises organisées par la préfecture, en lien avec le Sdis et la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement, qui ont lieu en général au mois de juin. Elles portent sur la sensibilisation à tous les risques, cycloniques, sismiques et volcaniques. Des exercices Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) sont également effectués régulièrement, sur table ou en grandeur nature. Ces exercices portent notamment sur l’évacuation des personnes en cas de risque volcanique. Je rappelle ainsi que la dernière éruption de la Soufrière date de 1976. La formation concerne également le risque de submersion, dans la mesure où le risque tsunami est réel dans la Caraïbe. À cet égard, je vous indique que la commune de Deshaies a obtenu le label « Tsunami READY » de la part des Nations unies à la fin 2023, étant la première commune de France à organiser un système de prévention du risque tsunami.
Nous menons également un travail de prévention à travers des plans de prévention des risques naturels (PPRN) et le plan séisme Antilles (PSA) pilotés par la Deal et qui mobilisent des crédits importants de la part de l’État, mais aussi du Fonds européen de développement régional (Feder). Le contrat de convergence et de transformation (CCT) permet d’engager des moyens très significatifs pour la mise en sécurité de l’ensemble du bâti scolaire en matière sismique. Aujourd’hui, près de 50 % des écoles sont intégrées dans le cadre du plan séisme Antilles.
Enfin, je dois mentionner les systèmes d’alerte de l’archipel. Grâce à un travail effectué de concert avec le Sdis, nous devrions, au mois d’octobre prochain, passer sous le réseau FR-Alert, le nouveau dispositif d’alerte et d’information des populations à travers les réseaux de téléphonie mobile.
M. Olivier Kremer, directeur de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Guadeloupe (Deal 971). En complément des propos introductifs de M. le préfet, je souligne à mon tour que le territoire est soumis à nombreux enjeux en matière de risques naturels (séismes, phénomènes cycloniques, mouvements de terrain, inondations). Les inondations provoquent ainsi des montées des eaux soudaines en aval des rivières, qui nous posent problème. Les dernières tempêtes ont ainsi engendré des impacts réels sur le littoral.
Le PSA, particulièrement important pour nous, comporte un volet de sensibilisation aux risques sismiques, mis en place étroitement avec les collectivités, mais également un volet de remise aux normes des établissements scolaires. Cette remise aux normes consiste soit à conforter le bâti existant, soit à réaliser des opérations de démolition-reconstruction des établissements scolaires sur l’ensemble du territoire.
Les actions de sensibilisation doivent également être mentionnées. À la fin de l’année 2023, nous avons ainsi réalisé un colloque sur le plan séisme avec l’ensemble des collectivités du territoire, auquel plus d’une centaine de participants ont assisté. À cette occasion, nous avons pu évoquer les relais des services de l’État vis-à-vis des collectivités. Ensuite, nous disposons de PPRN sur le territoire, qui ont été établis entre 2005 et 2012. Nous sommes actuellement en phase de révision de ces documents, qui a débuté en 2016. Les services de l’État ont mis en place des porter à connaissance « inondations », réalisés en 2022.
Nous travaillons étroitement avec sept collectivités, l’objectif étant de bénéficier de leur connaissance des enjeux sur chacun de leur territoire. Cette révision est prévue pour une durée d’environ trois ans.
M. le Colonel Frédéric Lhomme, directeur adjoint du service territorial d’incendie de secours de Guadeloupe (Sdis 971). Je suis directeur adjoint du Sdis depuis un peu moins de deux ans. Les collègues qui m’accompagnent ce matin disposent d’une plus grande expérience des phénomènes naturels sur ce territoire et pourront utilement compléter mes propos, le cas échéant.
En guise de complément aux précédents propos, je souhaite signaler quatre vulnérabilités qui me semblent importantes à appréhender, qui caractérisent le territoire de la Guadeloupe et le différencient singulièrement de la plupart des autres territoires français. La première vulnérabilité est d’ordre géographique. Cet archipel sous-tend une double, voire une triple insularité, qui se traduit par moment par une discontinuité territoriale exacerbée. Déjà fort présente au quotidien, cette discontinuité devient plus que problématique en situation de crise. Je pense non seulement aux phénomènes météorologiques, mais aussi aux sargasses qui peuvent venir perturber le fonctionnement normal.
Les vulnérabilités sont également structurelles, compte tenu notamment des difficultés de distribution d’eau, qui impactent l’eau potable, mais aussi la défense extérieure contre l’incendie.
Le réseau routier reste fragile, puisque seuls deux ponts relient la Grande-Terre et la Basse-Terre. Sur cette dernière, il existe très peu d’itinéraires bis ; quand une route est coupée, l’ensemble de la circulation de l’île se trouve perturbé.
Je souligne également les vulnérabilités humaines en cas de crise, puisque peu de forces complémentaires peuvent nous soutenir, notamment en l’absence de forces armées sur l’île.
Je ne veux pas non plus écarter nos propres difficultés internes, nos propres vulnérabilités. Le Sdis est un établissement public autonome financé par des collectivités qui sont pour la plupart exsangues financièrement. En conséquence, le budget d’investissement est bien plus faible qu’il y a une dizaine d’années, ce qui se traduit immédiatement par des difficultés opérationnelles au quotidien. Ainsi, les moyens matériels et bâtimentaires ne sont pas au rendez-vous des objectifs fixés par notre précédent schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (Sdacr), le document structurant de notre établissement, qui est d’ailleurs en cours de révision. L’échange de ce matin tombe donc à point nommé pour nous, puisque nous avons l’objectif de proposer au préfet un document finalisé pour la fin du premier semestre.
M. Xavier Lefort. Monsieur le président, tels étaient nos éléments introductifs. Nous sommes à présent à votre disposition pour répondre aux questions des membres de la commission.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie et cède la parole au rapporteur.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Vos présentations nous proposent une vision contrastée, à l’image de la réalité. Pour ma part, j’ai été membre de la commission d’enquête sur l’eau, qui avait été constituée lors de la précédente législature. Elle avait en grande partie concerné la situation du territoire guadeloupéen. Le Colonel Frédéric Lhomme vient de confirmer la fragilité des réseaux, en particulier le réseau d’eau. Je souhaite donc savoir si le territoire peut être résilient en cas d’aléa majeur.
Par ailleurs, sur d’autres territoires, la question du prépositionnement des moyens (ressources, matériels, ressources en nourriture et en boissons) a été évoquée. Comment concevez-vous ces éléments ? Ont-ils été intégrés dans le Sdacr pour permettre aux territoires de supporter un aléa majeur ? Même si comparaison n’est pas raison, lorsque nous avons auditionné les témoins des événements à Saint-Martin, le retex a permis de comprendre ce qui s’y est déroulé.
Ensuite, je souhaite évoquer la question du voisinage. Un désordre peut toucher une île voisine, un État voisin ou l’ensemble de la zone et entraîner des conséquences sur les besoins en sécurité civile et ceux de la population. Intégrez-vous ces aspects dans la gestion du risque sur le territoire ? Une forme de coopération est-elle prévue en la matière ?
Enfin, les représentants de Météo-France et du BRGM que nous avons interrogés précédemment nous ont fait part d’une rotation importante des personnels dans les administrations, complexifiant la connaissance habituelle des phénomènes, des idées et des pratiques. Ils souhaitaient également pouvoir disposer d’interlocuteurs plus spécialisés sur le plan scientifique, notamment pour pouvoir mieux intégrer les données qu’ils peuvent recueillir et les anticipations liées au changement climatique. De quelle manière ressentez-vous cette demande ? Comment y répondez-vous ?
M. Xavier Lefort. S’agissant du dernier point évoqué, mon sentiment est plutôt inverse : les équipes dont nous disposons possèdent une bonne connaissance de l’historique et de la permanence des situations. Au sein de la préfecture et de la Deal, nombre de nos collègues connaissent bien le territoire, dont ils sont souvent originaires par ailleurs.
Ensuite, le colonel Lhomme a déjà évoqué la problématique de l’eau. Le Sdis dispose de ses propres moyens mobiles et il est en mesure de déployer ses propres ressources. Par ailleurs, après les difficultés qui ont été rencontrées en Guadeloupe, des décisions législatives ont été prises par les parlementaires, avec notamment la création d’un syndicat mixte départemental qui couvre l’ensemble des collectivités, le syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG). Cette création permet de traiter le sujet de la bonne manière en termes de gouvernance de l’eau, des moyens, des opérations, en bénéficiant d’un appui très fort de l’État, mais aussi de la région et du département.
Ainsi, l’année dernière, nous avons mis en place une programmation pluriannuelle des investissements sur trois ans, portant sur plusieurs centaines de millions d’euros. En conséquence, 250 millions d’euros de financement permettent de lancer un certain nombre d’opérations sur les usines de production d’eau potable, sur le réseau de distribution ou sur le réseau d’assainissement. En lien avec le département et la région, nous avons défini trente opérations structurelles et prioritaires, afin d’obtenir dès cette année des résultats tangibles. Je rappelle toutefois que la compétence de l’eau ne relève pas de l’État ; elle demeure entre les mains des collectivités.
En l’espèce, l’État intervient en appui, à travers un contrat d’assistance technique grâce à six personnels de l’État mis à disposition et un financement de 20 millions d’euros annuels pour le fonctionnement du syndicat, à travers des contrats semblables à ceux des contrats de redressement outre-mer (Corom). L’État offre également un appui sur les opérations d’investissement, puisqu’il cofinance pour un tiers un programme d’investissements lourds, qui a débuté cette année. Nous souhaitons obtenir des résultats rapides, même s’ils ne se matérialiseront sans doute pas dès le premier semestre, mais plutôt dans un délai de deux ans.
Nous avons l’habitude de prépositionner des moyens, comme l’a illustré l’épisode de l’ouragan Tammy, notamment grâce au Sdis et aux brigades de gendarmerie. En effet, il était envisageable que la trajectoire de l’ouragan affecte la Grande-Terre. Nous avions ainsi prépositionné des moyens de distribution d’eau, pour pouvoir subvenir aux besoins des populations. La veille du passage de l’ouragan, nous avions également projeté des moyens par voie aérienne, pour pouvoir être opérationnels à La Désirade dès le passage du cyclone, sans attendre que les conditions de mer soient rétablies. À ce titre, nous avions prépositionné un médecin du CHU de Point-à-Pitre. Cet exemple témoigne de la très bonne capacité opérationnelle des services à monter ce type d’opération.
S’agissant du réseau d’incendie et de secours, nous sommes encore soumis aux aléas du réseau de distribution, mais le Sdis est en mesure d’adapter des moyens mobiles pour la lutte contre l’incendie.
M. le Colonel Frédéric Lhomme. Pour pallier autant que possible les défaillances du réseau d’eau, le Sdis est obligé de surengager des moyens. Généralement, un seul véhicule est nécessaire en cas de départ de feu. Ici, compte tenu de l’absence d’assurance d’un réseau adéquat, nous engageons régulièrement un deuxième véhicule. De plus, nous avons lancé un plan d’acquisition de gros véhicules porteurs d’eau pour nous garantir une capacité d’action suffisante. Nous avons noué une convention avec le syndicat mixte de gestion de l’eau sur son territoire, qui comporte plusieurs éléments de coopération, notamment un volet permettant l’acquisition commune de gros véhicules porteurs d’eau.
Il est exact que la responsabilité incombe aux collectivités en la matière aujourd’hui. La prérogative de la défense extérieure contre l'incendie (DECI) appartiendra à terme au syndicat. L’acquisition des véhicules nous permettrait en cas de crise majeure, de catastrophe touchant le territoire, de procéder au ravitaillement des cuves qui sont installées dans les diverses communes du territoire. Je précise néanmoins qu’il ne s’agit pas de transport d’eau potable, puisque ces véhicules ne sont pas dotés de cuves en inox. Cependant, cet élément fournirait une garantie pour nos populations.
S’agissant du prépositionnement de moyens, la réserve nationale est basée à l’aéroport de Pointe-à-Pitre les Abymes. Cependant, la problématique du transport de ces matériels se pose indubitablement au quotidien, compte tenu de la double voire triple insularité de notre archipel. Chaque île habitée dispose d’une caserne, à La Désirade, Marie-Galante, Terre-de-Haut, Terre-de-Bas dans l’archipel des Saintes.
Ce prépositionnement de matériel est intuitif, sans être forcément formalisé aujourd’hui. Le prochain Sdacr permettra d’effectuer un meilleur calage dans ce domaine, qui traitera les territoires du département de la Guadeloupe ; il s’agit en quelque sorte d’un schéma archipélagique de la Guadeloupe. De fait, nous ne pouvons pas résoudre l’ensemble des problèmes depuis la direction départementale des Abymes ; il faut absolument prépositionner un certain nombre de stocks stratégiques de véhicules, dans la mesure où nous n’aurons jamais la capacité de transporter du gros matériel à l’instant t.
S’agissant des renforts, il me semble que dans la région, nous sommes perçus comme le territoire disposant du plus grand nombre de moyens, de la plus grande capacité d’intervention. Ainsi, en cas de catastrophe, il est fort probable que notre environnement proche ne pourra pas nous porter secours, mis à part sous l’égide de l’état-major de zone de nos collègues de la Martinique.
M. Xavier Lefort. Le colonel a raison d’insister sur ce point : nous ne pouvons compter sur des renforts significatifs en provenance d’îles comme Antigua, Barbuda ou La Dominique. Nous disposons d’un certain nombre de barges dans le port de Pointe-à-Pitre, que nous utilisons le cas échéant. Lors de l’épisode à La Désirade, le cyclone est passé le samedi et la barge a appareillé le lendemain matin du port. Nous disposons donc de capacités maritimes et nautiques, de vedettes des douanes ou de la gendarmerie maritime, qui constituent des moyens hauturiers. Cependant, nous sommes effectivement les seuls, dans le nord de l’arc antillais, à disposer de cette capacité de protection.
Comme le colonel l’a rappelé, il nous faut intégrer cette réalité dans nos moyens propres. Nous n’avons pas la chance d’être entourés par des départements voisins qui pourraient nous fournir un renfort immédiat ; la Martinique étant par exemple située à 250 kilomètres de distance. En cas d’événement majeur, l’isolement sera au moins de soixante-douze heures et nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes, compte tenu du temps nécessaire pour déployer des moyens extérieurs, voire hexagonaux. Inversement, nous devons intégrer la capacité à pouvoir nous projeter dans des îles voisines, à Montserrat, Antigua, Barbuda ou La Dominique, où nous pourrions être sollicités.
M. le Colonel Frédéric Lhomme. Mes collègues ont effectivement participé à des opérations extérieures à l’occasion d’événements d’ampleur, notamment à Haïti ou Saint-Martin. Le Sdis s’est engagé l’année dernière dans une démarche Insarag (International Search and Rescue Advisory Group) sous l’égide des Nations Unies, avec nos collègues de Martinique et de Guyane, pour se doter d’une accréditation lui permettant d’être reconnu à l’international et d’être capable de s’intégrer à des dispositifs, avec nos collègues étrangers. Aujourd’hui les secours à l’étranger sont en effet gérés par cet organisme onusien, qui a établi des procédures pour travailler de concert, alors même que nos techniques sont habituellement très différentes. Cette accréditation, essentielle, implique néanmoins des coûts financiers importants pour le Sdis. À ce titre, un dossier est en cours d’instruction à la direction générale à Paris, pour cofinancer une partie du matériel.
Quoi qu’il en soit, le Sdis devra assumer une part importante pour être utile à notre territoire, dans la mesure où nous serons capables d’accueillir convenablement les pays étrangers qui viendraient nous prêter main-forte. M. le préfet a indiqué à juste titre le délai de soixante-douze heures avant que des renforts de l’Hexagone puisse nous porter secours. Dans ce laps de temps, d’autres pays plus proches du continent américain seraient peut-être en mesure de nous projeter des renforts, ce qui implique que nous puissions convenablement les accueillir. Tel est le sens de ce projet.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Est-il possible d’estimer les investissements nécessaires en termes de sécurité civile pour viser le plus haut niveau ? Si vous en êtes en cours de révision du Sdacr, je serais curieux de connaître les différentes étapes de cette procédure, afin que nous puissions comprendre comment intégrer les évolutions dans la réécriture d’un tel schéma. Par exemple, de quelle manière intégrez-vous les évolutions dues au changement climatique ?
Enfin, je voudrais que vous évoquiez différents éléments concernant la sécurité, au sens de l’ordre public. À Saint-Martin, des pillages ont suivi l’événement cyclonique, en partie parce que certains ne savaient pas où aller pour obtenir de l’eau ou de la nourriture, en partie pour des motifs plus « opportunistes ». Le schéma prévoit-il un déploiement des forces de l’ordre et de la gendarmerie sur le territoire pour éviter de tels épisodes ? Considérez-vous disposer de moyens suffisants en la matière ?
M. Xavier Lefort. Sur ce dernier point, nous estimons disposer des moyens pour assurer l’ordre public et la sécurité de la population, y compris lors d’événements majeurs. Après le cyclone Tammy, la population était confinée et nous avons patrouillé dans les rues des grandes villes de la Guadeloupe. Il convient de relever que cet événement était particulier, dans la mesure où le cyclone avait adopté un comportement très aléatoire. Nous étions passés en alerte violette alors même qu’il y avait peu de vent et pas encore d’épisode pluvieux. Je me dois d’indiquer que les populations ont très bien respecté ces temps de confinement et nous n’avons pas été confrontés à des difficultés d’ordre public, grâce aux moyens de la police ou ceux de la gendarmerie. En cas d’événement majeur, nous disposons quand même de deux escadrons de gendarmerie mobile, qui s’intègrent aujourd’hui dans les effectifs de la gendarmerie départementale, mais qui peuvent être reconstitués sur ordre du préfet.
Par ailleurs, si notre territoire est effectivement plus grand que ceux de Saint-Martin ou de Saint-Barthélemy, les phénomènes sont plutôt centrés sur un endroit donné. Dans le cas de Tammy, l’événement cyclonique est resté localisé et n’a pas touché la totalité de l’archipel. Dans ces phénomènes cycloniques, les gradients de vent sont extrêmement variés : une ville peut être très fortement touchée, mais dix kilomètres plus loin, les infrastructures seront épargnées. Les dégâts sont donc très variables en fonction des localisations. Lors du cyclone Tammy, Grande-Terre et La Désirade étaient par exemple bien plus affectées que la zone de Basse-Terre et la zone pointoise. Cela nous a permis de travailler sereinement et d’organiser des moyens de projection. En résumé, je ne discerne pas de difficultés particulières, compte tenu des moyens de police et de gendarmerie disponibles, pour assurer l’ordre public et éviter effectivement les événements que vous avez mentionnés.
Enfin, nous sommes actuellement au début de la révision du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques. Colonel, pouvez-vous faire le point sur les différentes étapes ?
M. le Colonel Frédéric Lhomme. La révision du Sdacr est engagée depuis septembre 2023 et nous avons présenté le bilan du précédent Sdacr lors du dernier conseil d’administration, dans un souci de transparence et de partage du processus de révision. La prochaine échéance consiste à présenter pour signature le Sdacr finalisé pour la fin du premier semestre 2024.
Un certain nombre de propositions d’évolution de ce schéma doivent encore être finalisées et je souhaite à ce titre revenir sur ces notions de renfort. Comme cela a déjà été indiqué, nous sommes contraints par la discontinuité territoriale : aucun département limitrophe ne peut prêter main forte sans délai comme cela est la règle dans l’Hexagone, où tous les départements ont signé des conventions avec les départements voisins et procèdent à des aides de manière immédiate, sans délai ni demande d’autorisation. Quand nos collègues sont dépassés, ils doivent s’en remettre à la zone, qui sollicite à son tour les autres départements, lesquels peuvent réagir dans un délai de deux à trois heures, pour envoyer des renforts.
Le dernier échelon est d’ordre national : l’échelon parisien ausculte les capacités de réaction des uns et des autres sur l’ensemble du territoire et peut faire appel également à ses propres forces d’État, des formations militaires, de la sécurité civile. Une quatrième unité est ainsi en cours de constitution dans l’Ouest de la France, en sus de celles de Corte, de Brignoles et de Nogent-le-Rotrou. Ces forces ont vocation à venir en renfort en cas de catastrophe.
Dans les outre-mer, ces éléments n’existent pas et il convient donc d’être agiles et imaginatifs. Nous nous efforcerons de l’être dans le cadre du prochain Sdacr, mais avec des moyens de proposition limités, compte tenu de nos propres ressources. À cet égard, l’évolution des pactes capacitaires représente une piste à creuser. Des idées doivent être cherchées dans ce domaine, afin que nous soyons plus accompagnés par l’État pour faire face à assez à ces risques, certes de grande ampleur, mais rares. Au quotidien, l’essentiel consiste à pouvoir faire partir nos ambulances, lesquelles constituent 80 % des interventions du Sdis. En réalité, le quotidien est le véritable levier de décision sur les plans politique et financier. Nous avons plus de mal à mobiliser, expliquer et convaincre sur ces aléas qui interviennent de façon très épisodiques.
M. Xavier Lefort. Par ailleurs, parmi les ressources disponibles figurent des moyens militaires, au-delà des moyens propres du Sdis ou de la gendarmerie. Ces moyens militaires, notamment la marine nationale, sont basés sur l’île de la Martinique. Nous disposons également des moyens de l’armée de terre, qui peuvent être prépositionnés en matière de sécurité civile. Le 33e régiment d’infanterie de marine est situé à Fort-de-France, mais nous avons ici un régiment du service militaire adapté (RSMA), que nous sommes en mesure de mobiliser, en prenant en compte ses limites intrinsèques. Ainsi, les jeunes stagiaires ne sont pas des engagés volontaires de l’armée de terre, ils ont un statut particulier. Néanmoins, par exemple, lors des événements majeurs, nous « enterrons » les équipes du RSMA qui se positionnent sur le territoire pour pouvoir agir après le passage d’un événement. Ils disposent de camions et de pelles mécaniques pour procéder par exemple aux premières opérations de déblaiement.
En résumé, parmi nos moyens propres, nous devons intégrer les moyens du ministère de la défense, qui figurent également dans le schéma de sécurité civile signé par le préfet du territoire de Guadeloupe, mais également les moyens qui peuvent être projetés depuis la Martinique, notamment à travers le régiment d’infanterie de marine de Fort-de-France. Lors du passage de Tammy, l’une des compagnies était ainsi présente sur le territoire et était en mesure d’apporter de l’eau, du matériel et des véhicules, grâce aux moyens de la marine nationale en Martinique.
Le colonel Lhomme a bien rappelé la discontinuité territoriale, qui induit un mode organisationnel spécifique. Géographiquement, le premier soutien vient de la Martinique, puis des pays de la zone américaine. Avec ces derniers, il importe sans doute de mieux développer la coopération, puisque les renforts de la métropole ne pourront être sur zone avant un délai minimal de soixante-douze heures en cas d’événement majeur.
M. le Colonel Frédéric Lhomme. Les militaires du RSMA sont effectivement formés aux procédures de secours-déblaiement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suis convaincu que cette révision du Sdacr sera exemplaire. Pourrez-vous nous transmettre le bilan du précédent, afin de voir comment vous opérez cette transformation ? S’il est toujours intéressant de produire une photographie à date des moyens déployés, il est encore plus pertinent d’intégrer au fur et à mesure la méthodologie qui cherche à s’adapter aux évolutions que subissent ces territoires.
M. le Colonel Frédéric Lhomme. Nous pourrons vous transmettre ces éléments.
M. le président Mansour Kamardine. Vous avez évoqué les possibilités et les délais d’intervention entre la Guadeloupe et les autres îles. Ma question porte uniquement sur la Guadeloupe elle-même, la Guadeloupe « intérieure ». En cas d’une catastrophe au nord ou au sud de l’île nécessitant une intervention, disposez-vous du temps nécessaire pour rejoindre une zone, en raison de la configuration des infrastructures de mobilité ? Sous quel délai ?
J’ai eu l’occasion de m’intéresser, il y a trois ou quatre ans à ces questions et j’avais auditionné à ce titre le directeur général des services du département, qui m’avait indiqué que les infrastructures n’étaient pas suffisamment paramétrées et que certains ouvrages d’art ne permettaient pas de circuler.
M. Xavier Lefort. À ce titre, je souhaite vous faire part d’un exemple très concret. Il est beaucoup question de la double insularité, en tant compte de La Désirade, de Marie-Galante ou des Saintes. Le cyclone Tammy a frappé un samedi et les deux barges comprenant le matériel, les câbles électriques, les câbles téléphoniques et les équipes de déblayage du RSMA ont quitté le port de Pointe-à-Pitre le dimanche à sept heures du matin. À ma demande, le directeur de la mer a réquisitionné un ferry pour emmener les militaires. En tout début de matinée, nous avons pu embarquer les tourets d’Orange et d’EDF. Pour avoir vécu concrètement cet épisode sur le terrain, je tiens à saluer tous les personnels ; avec l’aide du Sdis, nous avons ainsi pu envoyer des ressources matérielles et humaines pour être opérationnels sur place. Comme le colonel Lhomme l’a rappelé, nous devons raisonner sur une dimension archipélagique.
Ensuite, nous sommes forcément fragilisés par le réseau routier unique. Lors des événements de 2021, qui n’étaient pas d’ordre climatique ou de sécurité civile, nous avons d’ailleurs pu le constater. Il suffit d’un barrage sur une route pour rendre les déplacements extrêmement compliqués. Si le pont de la rivière des Pères à Basse-Terre s’effondre, les communications entre le sud et le nord de la Basse-Terre seront effectivement très difficiles. C’est la raison pour laquelle nous accordons une grande attention aux ouvrages, dont une partie a été emportée par les pluies sur la commune de Vieux-Fort en octobre 2023.
À ce titre, nous effectuons un travail d’ampleur avec la Deal. Nous avons ainsi réuni tous les élus au mois de décembre, lors d’un séminaire sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), afin d’alerter sur le nécessaire entretien des cours d’eau. La fragilité du système porte évidemment sur les ouvrages d’art qui enjambent effectivement les différentes ravines et cours d’eau. Je me souviens avoir discuté avec le maire de Basse-Terre le lendemain du passage du cyclone Tammy pour évoquer les embâcles et le nécessaire nettoyage des cours d’eau.
L’une des priorités de la Deal porte ainsi sur les actions en termes de Gemapi, compétence qui relève, une fois encore, des collectivités, que nous nous efforçons de sensibiliser sur ces différents éléments. En effet, le risque principal identifié concerne le risque hydraulique de débordement des ravines et de destruction des ouvrages d’art, qui peuvent engendrer de graves problèmes de circulation autour de l’archipel. Ces difficultés sont palliées par l’utilisation de moyens nautiques de la gendarmerie maritime et de la marine nationale, pour pouvoir continuer à desservir les populations, comme cela fut le cas en 2021.
M. Olivier Kremer. Une étude sur les itinéraires de substitution prioritaires est en cours, compte tenu du caractère stratégique d’un petit nombre d’ouvrages. Par ailleurs, nous discutons actuellement avec le conseil régional et le conseil départemental pour faire venir des ponts mobiles, notamment démontables, afin de rapidement recréer un réseau routier si un ouvrage d’art devait être emporté lors d’un phénomène.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Même si les territoires ne sont pas totalement comparables, nous avons naturellement l’exemple de l’ouragan d’Irma en tête. Or il apparaît que les modifications du PPRN qui ont suivi cet événement ont été assez compliquées, dans un premier temps. Où en êtes-vous en la matière ? Connectez-vous la révision du PPRN à vos travaux sur le Sdacr ?
Mme Catherine Perrais, Directrice adjointe Deal Guadeloupe. Nous sommes en phase de révision du PPRN, le premier territoire concerné étant celui des Grands Fonds. Nous conduisons un travail approfondi avec les collectivités et nous tirons les enseignements de tous les événements récents.
Contrairement à la première génération des PPRN, qui avait été perçue comme très contraignante pour les collectivités, la culture qui se développe aujourd’hui est celle d’une appropriation par les collectivités. Je constate d’ailleurs qu’elles ont été particulièrement sensibilisées par les événements récents et qu’elles sont conscientes de la nécessité d’un territoire plus résilient, y compris les infrastructures. Nous avons vraiment mis l’accent sur cette collaboration avec les élus, afin que le PPRN soit compatible avec toutes les problématiques, y compris celles du fonctionnement du territoire en cas d’événements. Nous réfléchissons à des itinéraires résilients et à la transparence des ouvrages, pour intégrer globalement la politique des risques au plus près du territoire et des préoccupations des collectivités.
M. Olivier Kremer. L’enjeu consiste pour nous à retravailler les documents de base, en associant de manière extrêmement étroite les collectivités. De fait, le PPRN ne peut se réaliser que si la collectivité dispose d’un véritable projet de territoire. Nous devons être cohérents avec les spécificités de ces territoires, qui sont notamment très contraints en matière foncière. Nous devons donc pouvoir conjuguer les enjeux fonciers, les enjeux de développement du territoire et la gestion du risque. En résumé, nous conduisons un travail global avec les collectivités. Cette révision est prévue pour une période de travaux d’un peu plus de trois ans.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie. Je cède la parole à M. le préfet pour un mot de conclusion.
M. Xavier Lefort. Je tiens à remercier votre commission d’enquête. Depuis mon arrivée sur le territoire, je constate une véritable prise en compte de ces enjeux. Nous avons également tiré les enseignements des événements précédents. Par exemple les expériences des cyclones Tammy et Philippe nous ont montré l’importance de travailler sur la Gemapi et les questions de gestion de l’eau sur le territoire. Ce dernier élément constitue ainsi une priorité absolue pour la consommation et la distribution en cas d’incendie. Il s’agit ainsi de rétablir un fonctionnement du réseau d’eau, afin qu’il soit opérationnel pour tous les services qui y recourent.
Un très grand travail est ainsi conduit par les services de l’État, en appui des collectivités pour rétablir un fonctionnement correct d’ici deux ans je l’espère. Le Parlement nous a donné les moyens de remettre en état et de moderniser le réseau d’eau, tâche qui incombe désormais au syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe. Il convient de faire aboutir ce travail.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie M. le préfet et salue les collaborateurs qui vous ont accompagné lors de cette audition. Je vous souhaite une excellente journée.
26. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Martinique – Volet État (4 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête par une première table ronde consacrée à la Martinique avec des représentants des différents services déconcentrés de l’État et établissements publics. Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et y restera ensuite disponible à la demande. Nous sommes connectés avec M. le préfet de la Martinique, M. Jean-Christophe Bouvier, qui est accompagné de Mme Amélie de Sousa, sous-préfète en charge de la prévention des risques ; M. le lieutenant-colonel Daniel Polinacci, chef de l’état-major interministériel de la zone Antilles (Emiza) ; Mme Véronique Lagrange, directrice adjointe de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la Martinique (DEAL 972) ; et MM. les colonels Patrick Tyburn et Christophe Di Girolamo, respectivement directeur et directeur adjoint du service départemental d’incendie et de secours de la Martinique (SDIS 972).
M. Jean-Christophe Bouvier, préfet de la Martinique. Nous sommes également accompagnés de Mme Isabelle Gergon, cheffe du service risques énergie climat (SREC) à la DEAL, et de M. Karim Ben Amer, chef du pôle risques naturels du SREC.
M. le président Mansour Kamardine. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jean-Christophe Bouvier, Mme Amélie de Sousa, M. le lieutenant-colonel Daniel Polinacci, Mme Véronique Lagrange, M. le colonel Patrick Tyburn, M. le colonel Christophe Di Girolamo prêtent serment.)
M. Jean-Christophe Bouvier. Monsieur le Président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les parlementaires, l’importance et la complexité de la politique de gestion des risques naturels majeurs aux Antilles et à la Martinique, ainsi que le nombre des interlocuteurs qui participent à sa définition, ont justifié que je désigne un référent territorial en charge de coordonner et impulser cette politique sous mon autorité directe, en l’occurrence Mme de Sousa, sous-préfète de l’arrondissement de Saint-Pierre. Situé au pied de la montagne Pelée, ce territoire est en effet concerné par plusieurs risques majeurs, notamment volcaniques, sur lesquels Mme de Sousa dispose ainsi d’une vision de terrain.
La Martinique est exposée à tous les risques naturels majeurs, à l’exception des risques liés à la neige et à la glace : séismes, éruptions, mouvements de terrain, laves (coulées boueuses dévastatrices qui peuvent atteindre 100 kilomètres heure, et sont particulièrement présentes au moment des grandes pluies sur les flancs de la montagne Pelé), inondations, submersions, cyclones, tsunamis. Ce territoire a subi la plupart de ces phénomènes et leur mémoire imprègne la population, en tout cas la plus âgée.
L’éruption volcanique de 1902 a rasé Saint-Pierre, et celles de 1929 et 1932 ont provoqué des dégâts importants, notamment au Morne‑Rouge et au village de Saint‑Denis.
Depuis ma prise de fonction en Martinique au mois d’août 2022, plusieurs cyclones ont approché la Martinique, avant d’être déviés par les vents vers les îles du Nord, moins proches qu’elle de l’équateur. Nous avons néanmoins été touchés par les effets concomitants de ces cyclones, avec de fortes pluies et de forts vents. Le dernier cyclone important à avoir touché l’île est le cyclone Dean en 2007, qui avait provoqué des dégâts considérables.
Enfin, nous sommes régulièrement confrontés à des phénomènes pluvieux qui peuvent créer des phénomènes de submersion, d’inondation, de coulée de boue, d’effondrement de terrain.
Or, la Martinique présente aussi des facteurs de vulnérabilité importants. En premier lieu, la population, d’une densité de 320 habitants par kilomètre carré, ce qui est supérieur à la moyenne nationale, est majoritairement concentrée sur le littoral, où se trouvent également la majeure partie de l’activité, les infrastructures portuaires, aéroportuaires, etc.
En deuxième lieu, avec 250 escales de croisière programmées cette année, la fréquentation touristique atteint des niveaux supérieurs aux années ayant précédé la crise sanitaire, sur un territoire dont le relief peut rendre le déploiement des dispositifs de sécurité assez difficile. La Martinique ne fait que 70 kilomètres de long sur 30 de large (soit un total de 1 000 kilomètres carrés), mais il faut compter deux heures et demie de voiture pour aller de Fort-de-France à Grand’Rivière, dans le nord de la Martinique, car les routes sont très sinueuses.
En troisième lieu, l’habitat spontané non déclaré important qui s’est concentré sur la zone littorale ou sur les flancs de Morne est particulièrement exposé aux risques de submersion ou de glissement de terrain.
Enfin, l’insularité elle-même constitue un facteur de vulnérabilité, la Martinique étant distante de 6 000 kilomètres de la métropole, avec des capacités de stockage par définition limitées, ce qui crée une exigence de planification. Des exercices de gestion de crise associant les services, la population et les décideurs locaux, élus pour la plupart, doivent être organisés pour développer leur résilience.
Les 34 communes de Martinique sont dotées d’un plan communal de sauvegarde (PCS). La préfecture travaille à l’actualisation des plans « organisation de la réponse de sécurité civile » (Orsec), de manière collaborative entre l’Emiza et le service interministériel régional des affaires civiles et économiques de défense et de la protection civile (SIRACEDPC). Sept dispositifs Orsec ont ainsi été actualisés depuis un an et demi. Nous réalisons sept à huit exercices par an en Martinique, contre une obligation de quatre exercices par an dans chaque département, en nous efforçant d’y associer toute la chaîne des acteurs, y compris l’autorité judiciaire, pour tester la circulation des informations.
Le préfet de la Martinique étant également préfet de zone, je suis aussi en charge du pilotage des crises en Guadeloupe et dans les îles du Nord, et j’ai la responsabilité de l’allocation et la redistribution des moyens dans cette zone.
M. le lieutenant-colonel Daniel Polinacci, chef de l’état-major interministériel de la zone Antilles, État-major interministériel de la zone de défense et de sécurité des Antilles (Emiza). L’Emiza, placé sous autorité directe de M. le préfet de zone, existe depuis l’an 2000. Il est chargé de la sécurité civile de la zone Antilles, qui comprend les territoires de la Martinique, de la Guadeloupe et des deux « îles du Nord », Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Il est composé de sept agents qui assurent une astreinte et une veille opérationnelles permanentes afin de renseigner les autorités zonales, mais aussi l’ensemble des services de secours, et, au niveau national, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des autorités zonales. L’Emiza doit aussi coordonner l’emploi des moyens nationaux prépositionnés pour l’ensemble de la zone, ce qui inclut notamment deux hélicoptères de la sécurité civile, le groupement d’intervention du déminage (GID), qui est localisé en Guadeloupe, et le stock de la réserve nationale, implanté à la Martinique et en Guadeloupe. Cette proximité de la réserve nationale et des forces armées aux Antilles en fait des partenaires opérationnels incontournables en situation de crise majeure, en particulier face aux risques naturels.
La première mission de l’Emiza est de coordonner la gestion des risques majeurs naturels en Martinique. Dès lors qu’un phénomène majeur impacte ou menace d’impacter la zone Antilles, l’Emiza, sur décision de l’autorité préfectorale, peut mettre en place, 24 heures sur 24, un centre opérationnel zonal, qui associera ses sept agents et tous les représentants des services de l’État susceptibles de concourir à la gestion de la crise, pour, dans un premier temps, recueillir des informations sur les territoires impactés ou susceptibles de l’être, estimer la situation et son évolution, et proposer des solutions opérationnelles. Dans un deuxième temps, l’Emiza doit mettre en œuvre la stratégie opérationnelle adoptée par l’autorité préfectorale de zone en concertation avec les préfets des territoires concernés et la Direction générale de la sécurité civile, en mobilisant et coordonnant les moyens à sa disposition. Les moyens intrazonaux devront souvent être redéployés d’un territoire à un autre : de la Martinique vers la Guadeloupe, ou de la Guadeloupe vers les îles du Nord, etc., et des moyens extrazonaux pourront également être mobilisés de la Guyane, située à 1 500 kilomètres, de la métropole, voire du dispositif de protection civile de l’Union européenne. La coordination de ces moyens implique des problématiques de réception des détachements, de gestion des flux, de logistique, etc. Les effectifs du centre opérationnel de l’Emiza devront alors être rapidement renforcés.
La deuxième mission de l’Emiza est de participer à la préparation opérationnelle des services d’incendie et de secours de la Martinique, de la Guadeloupe et des îles du Nord, et des services interministériels de défense et de protection civile (SIDPC). En 2023-2024, avec le service d’incendie et de secours de la Martinique, nous avons par exemple coorganisé la formation des chefs d’équipes de sapeurs-pompiers à l’intervention à bord de navires et de bateaux. Organisée en Martinique au profit des zones Antilles et Guyane, cette formation était assurée par le bataillon des marins-pompiers de Marseille.
Actuellement, l’Emiza organise également une formation à la gestion de crise de niveau départemental, à destination des services d’incendie et de secours, mais également des gestionnaires de crise des préfectures et des états-majors de zone, des Antilles comme de Guyane. Elle est assurée par les formateurs de l’école nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers d’Aix-en-Provence, en partenariat avec l’école nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) et la Direction de la sécurité civile.
Enfin, nous suivons le « pacte capacitaire » mis en place par la Direction générale de la sécurité civile pour faire cofinancer par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et les collectivités territoriales la mise à disposition des services d’incendie et de secours de matériel essentiel pour répondre aux risques majeurs et émergents. Initié l’an dernier, ce pacte capacitaire est bien engagé s’agissant des risques de feu dans les espaces naturels, des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, et des moyens requis pour intervenir sur les navires et bateaux. Les travaux se poursuivent cette année et, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), devraient permettre d’augmenter significativement les capacités matérielles des SIS de la Martinique, de la Guadeloupe et des îles du Nord.
M. Patrick Tyburn, directeur du Service départemental d’incendie et de secours de la Martinique (SDIS 972). Le SDIS 972, de catégorie C, regroupe 1 300 sapeurs-pompiers volontaires, 320 sapeurs-pompiers professionnels, 50 personnels administratifs, techniques et spécialisés. Il dispose de 170 véhicules d’incendie de secours et de 19 centres d’incendie et de secours répartis sur l’ensemble du territoire. Nous réalisons 30 000 interventions annuelles, sous l’autorité du président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) en matière de gestion administrative et financière ; et sous l’autorité du préfet, en matière de gestion opérationnelle.
Les événements naturels majeurs restent en Martinique d’occurrence faible, avec des temps de retour généralement supérieurs à dix ans, mais des intensités qui peuvent être élevées, ce qui présente plusieurs difficultés.
La première tient à l’effacement progressif de la mémoire collective. Par exemple, le dernier tsunami connu par la Martinique date de l’éruption volcanique de la montagne Pelée en 1902. Il s’agissait alors d’un tsunami local, mais la Martinique est également exposée aux tsunamis régionaux, susceptibles d’être générés par des séismes sur la zone de subduction, mais aussi aux tsunamis lointains, comme le tsunami transocéanique majeur connu par la Martinique en 1755 à l’issue du tremblement de terre de Lisbonne. Une information préventive soutenue et précise de la population est essentielle à cet égard, pour qu’elle sache quels comportements adopter, en complément de l’intervention des services de gestion de crise et des autorités.
Le temps de retour des ouragans est estimé à trente ans, mais la Martinique n’en a pas connu dans les cinquante dernières années. La Martinique comme la Guadeloupe n’ont pas non plus connu de tsunami ou d’ouragan en situation de surcote marine. Météo‑France étudie actuellement l’impact potentiel d’une telle situation, mais il pourrait être majeur sur des territoires où le littoral est principalement occupé.
L’aléa sismique reste le plus redouté. De nombreux travaux ont été menés ces dernières années pour mieux anticiper les scénarios possibles, de séismes et de tsunamis, et y préparer la population.
Enfin, un travail reste à mener sur la possibilité des aléas combinés, de plus en plus évoquée. La survenue d’un ouragan majeur dans une phase finale éruptive par exemple complexifierait grandement la gestion de crise.
M. le préfet a évoqué la densité du territoire. Dans la conurbation regroupant Fort-de-France, Schœlcher, Le Lamentin et Le Prêcheur, elle atteint près de 2 300 habitants par kilomètre carré. Les difficultés seraient donc encore accrues en cas d’impact dans cette zone, qui réunit aussi les principales infrastructures. La sécurité des points d’entrée que constituent le port et l’aéroport, notamment, doit absolument pouvoir être garantie. Or, ils restent pour l’instant vulnérables, notamment en cas de tsunami majeur. Le réseau routier présente également des fragilités. Or, prévoir des itinéraires alternatifs en situation de crise est rendu difficile par la topographie de l’île.
La question de l’eau potable est également posée dans tous les retours d’expérience des crises majeures. Toutefois, positionner localement des moyens de potabilisation suppose des compétences techniques de très haut niveau. D’autres réponses doivent sans doute être cherchées. Il faudra certainement renforcer les réseaux.
Nos capacités de réponse sont limitées, parce que, comme en métropole, la gestion de crise repose essentiellement sur une capacité de montée en puissance. L’insularité de la Martinique accroît toutefois sa vulnérabilité à cet égard.
Par ailleurs, les capacités hospitalières ont très vite été saturées lors de la pandémie, et nous rencontrons encore actuellement des difficultés quotidiennes pour allouer des secours non programmés. Nos capacités de réponse sanitaire ne seraient donc pas suffisantes en cas de crise majeure liée à un aléa naturel.
Compte tenu de l’état des casernements du SDIS, un programme de construction de 14 ensembles bâtimentaires, financé à 50 % par le fonds Barnier, a été engagé depuis 2014. Six casernes ont déjà été réalisées et le programme de l’actuelle gouvernance envisage, pour 130 millions d’euros, la réalisation de sept nouveaux ensembles. Le SDIS devrait alors disposer d’un parc de casernes et de centres de services de secours suffisant pour être en mesure d’apporter une réponse satisfaisante en cas d’événement majeur.
Nous contribuons naturellement à l’information préventive de la population, au côté des services de l’État. Nous avons par exemple participé à la Journée nationale de la résilience.
La connaissance des scénarios possibles, notamment multirisques, reste à être développée. Elle a permis de réaliser des exercices sismiques majeurs, comme l’exercice EU Richter qui avait réuni il y a cinq ans des moyens locaux, régionaux, mais aussi nationaux et européens, et mériterait d’être renouvelé prochainement, car nous devrons pouvoir accueillir des renforts extérieurs. À cet égard, la capacité de transbordement de moyens entre la Guadeloupe et la Martinique en situation de crise doit être améliorée. Les moyens militaires positionnés en Guyane pour lutter contre l’orpaillage illégal pourraient également être mobilisés en situation opérationnelle. Y créer une réserve nationale, comme il en existe en Martinique et en Guadeloupe, assurerait aussi de disposer d’une première réponse issue de ce territoire. Enfin, nous nous sommes engagés à adopter le standard européen INSARAG sur les risques sismiques afin de faciliter l’arrivée de moyens extérieurs en situation de crise, grâce à des personnels formés à cet effet.
La préparation doit aussi selon moi viser à maintenir la capacité de commandement et de direction en situation de crise. Lors du séisme de L’Aquila, à quelques centaines de kilomètres de Rome, toute direction de la gestion de crise avait par exemple été annihilée. Il faut être capacité de réaliser une première évaluation, pour demander d’éventuels renforts extérieurs, qu’il faudra alors pouvoir accueillir. Enfin, une première réponse sanitaire doit être possible sans attendre une montée de puissance dont les délais (de 48 à 72 heures pour des renforts issus de la métropole) pourraient être excessifs pour les personnes impactées.
Mme Véronique Lagrange, directrice adjointe de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la Martinique (DEAL 972). Les 34 communes de Martinique sont depuis 2004 couvertes par des plans de prévention des risques naturels majeurs (PPRN), qui constituent des outils de référence pour la gestion de la crise, ne serait-ce que pour connaître l’état des connaissances. Ils sont disponibles sur un site internet interactif, à l’intention aussi bien des collectivités, des élus ou des décideurs que du grand public.
Ces documents ont fait l’objet de révisions en 2013 et en 2014, et plusieurs programmes de révision de ces PPRN sont engagés depuis 2019, afin d’intégrer les éléments de doctrine nouveaux liés au changement climatique, et les évolutions techniques permettant une information plus précise. Notre Observatoire de l’évolution de l’érosion du trait de côte nous permet aussi d’alimenter ces PPRN. L’accompagnement du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est également essentiel dans ces révisions, par les études et expertises de très haut niveau qu’il est en capacité de mener. Nous sommes aujourd’hui à jour sur l’aléa mouvements de terrain, et le BRGM travaille actuellement sur les submersions et l’aléa inondation.
Une cartographie complète des aléas devrait ainsi être disponible d’ici la fin de l’année, pour mener ensuite les concertations avec les collectivités. Lors de la première réunion d’installation de la commission territoriale des risques naturels majeurs en novembre dernier, nous avons décidé d’organiser des enquêtes auprès des élus pour bénéficier de leur retour d’expérience des précédents PPRN, de leurs attentes, ainsi que de leurs connaissances souvent très fines de leurs territoires. L’objectif est alors de finaliser et valider les PPRN pour 2026. Ce calendrier est restreint, mais bien engagé. Les PCS nous permettront aussi d’actualiser les documents d’information communaux sur les risques majeurs (Dicrim), qui constituent également des documents essentiels.
Une réflexion stratégique a également été mise en place sur les territoires identifiés à risques d’inondation, parmi lesquels trois collectivités se sont déjà dotées de plans d’action de prévention du risque inondation (PAPI) : Rivière-Pilote, Schœlcher et Le Lamentin. Ces deux dernières communes sont portées par l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de la communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM), qui est très dynamique sur ce sujet. La ligne « prévention des inondations » du fonds vert a également permis de doter ces collectivités de moyens d’animation et de pilotage de ces programmes.
M. Jean-Christophe Bouvier. Le travail collaboratif et opérationnel de prévention réalisé en Martinique vous a ainsi été présenté. Il s’inscrit dans une dimension zonale importante de conseil, de planification et d’allocation des moyens.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques majeurs dans les territoires d’outre-mer. Merci, monsieur le préfet pour ce point de situation très précis, qui a permis de répondre à une partie des questions que je voulais vous poser. Je suis très impressionné par l’exposé de Mme Véronique Lagrange concernant la prise en compte des populations dans la réévaluation des PPRN. Même si on peut toujours regretter leur absence de mise à jour entre 2014 et 2026, cette méthode paraît exemplaire et originale au regard de ce qui nous a été présenté lors des auditions déjà réalisées par cette commission d’enquête.
La révision des PPRN pose évidemment la question de la prise en compte du changement climatique et de ses effets sur l’urbanisme. Je crois que 50 % de la mobilisation du fonds Barnier outre-mer est dû à la Martinique, et M. le directeur du SDIS a indiqué que ce fonds est notamment mobilisé pour la rénovation des casernes. Comptez-vous également l’utiliser pour rénover ou déplacer un certain nombre de bâtiments, y compris privés ? Comment la trajectoire de réchauffement climatique a-t-elle été intégrée aux PPRN et dans l’urbanisme de la Martinique, où le foncier est extraordinairement contraint ? J’ai notamment travaillé avec le président Letchimy sur les problèmes d’indivisions successorales, qui rendent même le foncier vacant indisponible, et impossible à assurer, car très exposé aux aléas climatiques. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Pourrez-vous nous transmettre, lorsqu’ils auront été finalisés, les sept plans Orsec que vous êtes en train de réviser, ainsi que les documents afférents ? Nous souhaitons surtout savoir comment vous avez associé les différents acteurs à cette révision, et si cette méthode pourrait être systématisée sur d’autres territoires, afin de répondre à l’évolution des aléas.
Le dernier événement majeur sur lequel nous pouvons encore facilement interroger des témoins est celui du passage d’Irma à Saint-Martin. Un enjeu important, sur lequel je souhaiterais également vous entendre, avait alors été celui du prépositionnement : des réserves d’abord, pour assurer l’approvisionnement des populations ; et des forces de l’ordre, ensuite, pour éviter les pillages et les problèmes de sécurité publique. Quelles réponses envisagez-vous d’apporter en matière de potabilisation de l’eau ? Comment construisez-vous les scénarios des différents aléas, et pourriez-vous nous les transmettre ?
Vous avez bien montré comment vous mobilisiez la population pour lui inculquer une culture de risques, et je n’aurai donc pas d’autre question à ce sujet.
En revanche, pourriez-vous développer la manière dont vous approchez les enjeux de solidarité à l’échelle régionale ? Un événement impacte souvent l’ensemble d’une zone. Comment envisagez-vous de gérer les besoins d’accueil des populations impactées ? Je pense notamment aux touristes, qui ne resteront pas gentiment dans les ports, dont la résilience aura été la plus développée, mais seront disséminés autour, et tendront à s’adresser à l’île où la puissance publique est la plus implantée, c’est-à-dire la Martinique.
Évidemment, vous n’êtes pas obligés de répondre à toutes ces questions maintenant, mais pourrez parfaitement le faire ultérieurement sous forme de contribution écrite également.
M. Jean-Christophe Bouvier. Un certain nombre de précisions vous seront en effet apportées par écrit, notamment sur la mobilisation du fonds Barnier.
En Martinique, la population est particulièrement sensible à cette problématique de gestion de crise. Lors de nos démarches de prévention dans les villages, les grandes surfaces, les Journées de la résilience, etc., la participation populaire est réelle, y compris de la part des élèves, et elle est relayée par notre dernier titre quotidien de presse locale. Je n’ai trouvé une telle résilience nulle part ailleurs dans les territoires où j’ai travaillé en métropole.
Il revient aux maires de décider de mobiliser des crédits comme les fonds Barnier pour la rénovation par exemple des écoles. Or, les élus locaux disposent rarement de l’ingénierie suffisante, tant pour savoir comment mobiliser ces crédits que pour savoir ensuite comment passer les marchés nécessaires pour engager et dépenser ces crédits. Dans les communes où les élus locaux se mobilisent, en revanche, la situation est généralement très appréciable pour l’État, qui peut se limiter à sa vocation d’accompagnement individuel, plutôt que d’incitation susceptible d’être perçue comme une contrainte. La totalité des écoles ont alors bien souvent été rénovées et constituent désormais des lieux d’accueil de la population en cas de risque majeur. Au Prêcheur, un élu, aujourd’hui député, a été à l’origine d’un plan de déplacement d’une partie du village sur les hauteurs, dans le cadre duquel une école de refuge a été construite à l’aide de produits de construction locaux, souvent plus résistants aux exigences locales que les produits importés ad nauseam de métropole et qui pourrissent parfois rapidement.
En tant que préfet de zone, je suis naturellement très favorable au prépositionnement des moyens en prévision des événements majeurs. L’imprévisibilité de la trajectoire des phénomènes rend toutefois nécessaire de conserver des moyens sur tous les territoires. Même si des moyens étaient prépositionnés sur les îles du Nord, par exemple, il faudrait en conserver également en Martinique au cas où un phénomène vienne à la toucher. La mémoire collective est essentielle à cet égard pour ne pas renouveler les mêmes erreurs. Les conseils des experts en météorologie et en gestion des moyens sont aussi requis pour optimiser des moyens qui sont par définition limités.
Mme Véronique Lagrange. Nous prenons naturellement en compte le changement climatique. Treize communes de Martinique figurent notamment sur le décret relatif aux études à mener sur le territoire Nord, qui est le plus exposé. Un travail est en cours à cet égard avec le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), pour établir les documents utiles qui pourront être intégrés dans les documents d’urbanisme des collectivités.
S’agissant des surcotes, nous appliquons les valeurs imposées au niveau national, et que nous pourrons vous transmettre.
L’Observatoire de l’érosion du trait de côte nous permet aussi de recueillir un ensemble de données que nous pourrons partager avec l’ensemble des partenaires.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comment travaillez-vous avec les assureurs ? Un vrai problème d’assurance des biens a été constaté avec Irma. Seuls 50 à 60 % des bâtiments de Martinique ou de Guadeloupe sont assurés (même si ce taux reste bien supérieur à celui qui prévaut à Saint-Martin), contre 97 % en métropole.
Pourriez-vous également préciser vos possibilités de mobilisation de la plateforme de protection civile de l’Union européenne ? Elle me paraissait naïvement trop lointaine pour être opérationnelle en Martinique.
M. le lieutenant-colonel Daniel Polinacci. Ce dispositif de plateforme européenne existe depuis vingt ans, et il a fait la preuve de son efficacité, avec plus de 10 interventions sur les dix dernières années, dans des délais de projection de l’ordre de 48 heures, comme pour une intervention strictement française, si la demande est exprimée rapidement, et si ces moyens sont disponibles.
La capacité d’intervention rapide nationale est assurée en particulier par les formations militaires de la sécurité civile, dont les détachements sont mobilisables en 3 heures, ce qui leur permet d’être disponibles sur la zone Antilles dans les 24 à 48 heures, si la direction de la sécurité civile est en mesure d’affréter un avion.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comment coopérez-vous avec les autres États et les autres forces de protection civile de la région ?
M. Jean-Christophe Bouvier. Ils en bénéficient davantage que nous. La présence de la France dans la zone Caraïbe est appréciée pour sa capacité de projection et d’entraide, qui a été soulignée à chaque crise, y compris lors de la crise sanitaire. Cette coopération reste toutefois très empirique, ce qui fonctionne bien, grâce aux procédures mises en place. Chaque fois que nous avons voulu passer par des conventions, cela n’a pas nécessairement abouti.
J’en profite pour rappeler l’urgence de nommer un conseiller diplomatique auprès des préfets de la Martinique, de la Guadeloupe et la Guyane pour faciliter ce travail de conventionnement avec nos voisins caribéens, et développer nos relations régionales à tous points de vue, mais particulièrement en matière de lutte contre les événements majeurs. Le comité interministériel des outre-mer (CIOM) a toutefois annoncé cette nomination pour la fin de ce semestre.
Notre population est peu assurée, mais le fonds de garantie des outre-mer peut couvrir certains dégâts. Par ailleurs, les assurances ne couvrent pas certains dégâts, comme ceux liés aux gaz émis par les sargasses, qui ne peuvent pas être qualifiés de catastrophe naturelle ou de risque naturel majeur. Ils touchent en particulier les frigos et les petits appareils électriques, qui connaissent une détérioration accélérée dans les régions touchées. C’est pourquoi j’avais, lors de mon arrivée et à la demande du ministre, travaillé à constituer une assurance publique de premier niveau qui permette aux populations répondant aux minima sociaux de bénéficier de bons d’achat. Ce n’était cependant pas possible légalement.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je serais très intéressé par un retour sur cette expérience et par de la littérature à ce sujet, car on nous a plusieurs fois conseillé de mettre en place une telle assurance de premier niveau pour l’ensemble des populations.
M. le président Mansour Kamardine. Le directeur du SDIS a laissé entendre que la Martinique disposait d’une capacité très limitée. Pourrait-il nous préciser pourquoi et comment il serait possible d’améliorer cette capacité ?
M. Patrick Tyburn. Le dimensionnement des SIS est réalisé sur la base des « risques courants », par opposition aux « risques particuliers », dont font précisément partie les risques naturels majeurs, qui font l’objet de cette audition. En situation de crise liée à un risque naturel majeur, nous ne disposerons donc pas de certains moyens techniques spécifiques de sauvetage-déblaiement, etc., qui pourront nous faire défaut.
La probabilité pour un ouragan ou un séisme de toucher simultanément les deux îles de Martinique et de Guadeloupe est toutefois très faible. Il est donc justifié d’envisager une répartition des moyens entre la Martinique et la Guadeloupe qui leur permette de se porter secours mutuellement, dans une perspective de montée en puissance. De même, la Guyane étant moins exposée aux risques sismiques, il paraît pertinent d’y positionner des moyens, pour éviter d’avoir à attendre 72 heures qu’arrivent des moyens venus de métropole.
Par ailleurs, des ponts Bailey étaient autrefois stockés pour permettre une remise en fonctionnement rapide du réseau routier. En cas d’ouragan, le niveau de précipitations atteint en effet 350 à 400 millimètres d’eau, contre un seuil à 80 millimètres d’eau pour les « fortes précipitations ». L’ouragan Maria a été dévié au dernier moment, pour finalement éviter la Martinique de seulement un ou deux degrés, mais il a traversé la Dominique de part en part. Nos services de secours ont précisément été parmi les premiers à s’y porter, mais ils ont dû se déplacer par la mer, car le réseau routier était totalement impraticable, qu’il soit obstrué par des troncs d’arbre ou que les ouvrages soient détruits. C’est pour faire face à des phénomènes de cette ampleur que je décrivais nos moyens capacitaires comme relativement limités.
M. Jean-Christophe Bouvier. En conclusion, je souhaite souligner l’importance d’un travail collectif et transversal, qui associe les élus et les acteurs non étatiques de premier et de second niveau, pour entraîner l’adhésion à des démarches qui pourraient sinon être vécues comme contraignantes.
La culture de la résilience et de la gestion de crise est réelle sur nos territoires. Par exemple, même si c’est une obligation, la plupart des communes installent volontiers des panneaux sur le risque de tsunamis et les chemins d’évacuation à suivre par la population le cas échéant. Ils sont lus et bénéficient de retours très favorables.
Nous vous adresserons, par l’intermédiaire de Mme Amélie de Sousa, les précisions que vous avez demandées et restons à votre disposition pour toute autre demande.
M. le président Mansour Kamardine. Il me reste à vous remercier pour la clarté de vos exposés et pour la qualité des échanges et des informations que vous nous avez transmises.
27. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Martinique – Volet élus et associatifs (4 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Bonjour. Nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête par une deuxième table ronde consacrée à la Martinique, avec des représentants de la collectivité territoriale de la Martinique, du tissu associatif local et de la Croix-Rouge.
Je vous remercie de votre présence à cette audition qui est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et y restera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Line Rose Arrouvel, M. Fernand Odonnat, Mme Marise Vallée, M. Albéric Marcelin, Mme Fabienne Kiactol, M. Gregory Gevar et Mme Olympe Francil prêtent serment.)
Mme Line Rose Arrouvel, présidente de la protection civile de la Martinique. Le département de la Martinique étant devenu un territoire, notre association n’est plus « l’association départementale de la Martinique », mais « la protection civile de la Martinique ». Agréée en protection civile, elle existe depuis 1973, et est membre de la fédération nationale de protection civile. Je suis chargée au niveau national de tout l’outre-mer.
Disposant de quinze antennes réparties sur l’ensemble du territoire, nous intervenons en prévention des risques majeurs au niveau des réserves communales ou de nos propres bénévoles. À la demande de l’État, nous intervenons également après les catastrophes naturelles, quelles qu’elles soient, en fonction des demandes des maires, pour aider et accueillir les populations impactées, et leur permettre de retrouver une vie normale le plus rapidement possible.
M. Gregory Gevar, secrétaire général de la protection civile de la Martinique. Nous rencontrons aujourd’hui deux types de difficultés.
La première tient au fait qu’une grande partie de notre matériel d’intervention durant les catastrophes doit d’abord être acheminée de la métropole, à un coût relativement important.
La deuxième vient du fait qu’en tant qu’association agréée de sécurité civile, nous intervenons à la demande soit du préfet de la Martinique en cas de catastrophe, soit d’un maire lorsque nous avons passé avec lui une convention pour soutenir ses réserves communales. Or, les maires de la Martinique n’ont pas tous la même vision du risque. Certains, estimant que ce domaine est réservé exclusivement à l’État, n’ont encore passé de convention avec aucune association pour travailler en amont de manière plus structurée. Nous devons alors intervenir en réaction plutôt qu’en proactivité, pour aider chaque commune à établir un schéma de prise en charge opérationnelle sur lequel nous pourrons ensuite nous appuyer. N’étant peut-être pas suffisamment connue, notre association est trop souvent appelée seulement dans l’urgence.
Mme Line Rose Arrouvel. Suite à Irma, notre fédération nous a toutefois dotés de matériel immédiatement opérationnel sur place, car la Martinique est une zone de défense.
Mme Olympe Francil, présidente de la Délégation territoriale de la Croix-Rouge française en Martinique. La Croix-Rouge française est connue. Elle est présente dans les rues, au pied des immeubles, mais aussi dans les tranchées. Je représente donc un tiers de confiance.
La plateforme d’intervention régionale Amérique-Caraïbes (Pirac) de la Croix-Rouge est l’une des plus exposées aux catastrophes naturelles dans le monde, alors même qu’elle est composée d’États fragmentés et insulaires pour la plupart, ce qui rend très complexes la gestion et le suivi des catastrophes naturelles et des risques majeurs. Dans ce contexte, la préparation et la sensibilisation des populations aux risques de catastrophes naturelles sont essentielles pour augmenter leur résilience. Notre délégation compte 300 bénévoles et 50 secouristes, mais nous avons toujours besoin de davantage de bénévoles.
Nos îles sont exposées à tous les risques, hormis la neige : les sargasses, la brume de sable, et tous les risques telluriques, cycloniques, sismiques, les glissements de terrain, les problèmes d’eau, etc.
En tant qu’association de sécurité civile (ASC), la Croix-Rouge de Martinique intervient, comme la protection civile, en coordination avec la préfecture et les institutions locales. Si des progrès ont été réalisés à cet égard, cette coordination reste encore nettement à renforcer. Une réponse des communes beaucoup plus fluide et rapide doit aussi être instituée.
Des problèmes de pré-positionnement et de gestion du stock se posent également pour les interventions.
Répondre aux catastrophes naturelles en Martinique suppose la volonté politique de mettre en place une vraie culture de risque. Notre nouveau projet associatif repose ainsi sur un socle consistant à « éduquer, prévenir, protéger et secourir ». Un début de prise de conscience est constaté, mais elle doit être généralisée aux enfants, aux adultes, aux lycées, etc., ainsi qu’aux personnes âgées, car la population de Martinique vieillit. La prévention continue devrait ainsi faire partie de notre ADN. Une véritable pédagogie évolutive doit être instaurée à cette fin. Les organismes référents, la météo, le centre de découverte des sciences et techniques, etc. effectuent déjà un travail intéressant à cet égard, mais les associations ont besoin de compétences plus fortes pour mieux s’articuler avec les collectivités dans cet effort.
C’est la raison pour laquelle la délégation territoriale de la Martinique a adopté le principe d’« aller vers » : aller vers les communes, les bas d’immeubles, pour présenter les gestes qui sauvent, proposer des initiations au risque, améliorer les évaluations en prévision des impacts.
Le dispositif « Option Croix-Rouge », mis en place depuis l’an dernier, permet aussi de circuler dans les communes. Il est intervenu en 2023 dans 2 lycées, 1 école et 1 collège. En 2024, 14 établissements, pour un total de 800 élèves, feront l’objet d’une visite sur la prévention des risques majeurs. Cette expérience extraordinaire est rendue possible par le fait que les lycéens, les élèves et tous les professeurs de ces établissements scolaires ont vraiment pris cette responsabilité à cœur. À côté de la pédagogie scolaire classique, une pédagogie sociale et humaine apparaît ainsi requise pour intéresser ces jeunes, et, avec eux, imaginer un système innovant de prise en compte des risques majeurs.
Nous n’avons pu réaliser que 475 heures de formation en 2023, car les bénévoles sont rarement disponibles d’autres jours que le samedi. Ils devraient à cet égard bénéficier de crédits d’heures, non seulement pour intervenir sur les risques majeurs à la Martinique, mais aussi pour se former. Or, les chefs d’entreprise sont souvent très réticents à leur accorder ces crédits d’heures.
Une caravane a également été mise en place pour « aller vers » les communes de la Martinique et rendre mieux visibles nos opérations.
La pédagogie est essentielle pour que la culture du risque ne soit pas source de peur. Elle ne doit pas non constituer un « gadget », auquel on pourrait recourir occasionnellement, mais sa présence doit être systématique dans les médias, dans notre communication, nos rapports et notre schéma de développement.
M. Albéric Marcelin, président de l’Université populaire et de la prévention. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais d’abord associer à cette déclaration d’ouverture deux éminentes personnalités de notre association : le docteur Patricia Hieu, engagée corps et âme dans la gestion de crise lors de la tragédie sismique du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince, en Haïti, où elle vivait depuis vingt ans ; et M. Frank Hubert, ancien vice-président du Conseil de l’ordre des architectes de Martinique et membre de notre conseil scientifique. Il a sillonné la planète de longues années en faveur du génie pacifique et de la mitigation en général.
À l’occasion de son déplacement à Saint‑Martin, les 28 et 29 septembre 2018, suite au désastre causé par l’ouragan Irma, le Président de la République annonça une grande loi de prévention des risques naturels majeurs en outre-mer. Une délégation interministérielle à la prévention des risques naturels majeurs en outre-mer a été installée par décret, un délégué interministériel nommé et des consultations territoriales conduites. Deux années plus tard, le processus a été stoppé pour « d’obscures raisons budgétaires et de calendriers parlementaires contraints ».
La Mission d’appui aux politiques publiques de prévention des risques majeurs en outre-mer (Mappprom) a été créée, mais n’a pas jugé bon d’assister au séminaire Résilience des outre-mer organisé par l’association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) à Fort-de-France du 24 au 26 octobre 2022.
Ces quinze dernières années, nous avons répondu à toutes les sollicitations des missions d’information parlementaires, des audits, des consultations territoriales menées par la direction générale de la prévention des risques majeurs (DGPR), de l’Inspection générale de l’environnement, de la Cour des comptes, etc. Nous avons rencontré presque tous les préfets, soit à notre demande, soit à leur initiative.
Le 15 mars 2023, le Conseil économique, social, environnemental et culturel de Martinique (CESECM), a saisi, dans une longue lettre, le Président de la République sur le traitement des risques majeurs en Martinique. Si un ouragan majeur comme Irma venait à frapper la Martinique ou la Guadeloupe, il en résulterait une tragédie pour nos populations. Le 29 août 2001 déjà, un rapport de l’Inspection générale de l’environnement parlait de la menace sismique sur le territoire dans la Martinique comme d’une « situation apocalyptique » (page 9).
Nous ne voulons pas croire que cette audition n’en serait qu’« une de plus ». L’Assemblée nationale vient de reconnaître sa responsabilité sur le scandale du chlordécone. Elle est également engagée devant l’histoire et devant les Nations unies s’agissant de la politique de prévention des risques naturels majeurs en outre-mer, qu’il faut sortir des tiroirs des ministères et des services de l’État. L’Emiza estimait il y a quelques années à 40 000 le nombre de décès à Fort-de-France en cas de séisme majeur, soit 10 % de la population. Tous les moyens légaux doivent être mobilisés sans délai. Il faut augmenter les budgets, simplifier les procédures et sanctionner les acteurs qui prennent des libertés avec les vies humaines, les infrastructures et l’environnement. L’impréparation de la population est manifeste. La vraie mitigation ne prend pas corps. Il convient également d’accélérer l’application du plan séisme Antilles numéro 3 (2021-2027).
Pour la première fois, une commission d’enquête parlementaire se penche sur la gestion des risques majeurs en outre-mer. Nous espérons la promulgation d’une grande loi ad hoc de prévention des risques majeurs naturels et technologiques en outre-mer et un « plan Marshall » d’investissements pour réduire la vulnérabilité de nos territoires et de nos populations.
Le temps qui nous est aujourd’hui imparti paraît un peu contraint, quand nous voudrions vous entretenir au fond des sujets suivants.
Il faudrait d’abord revenir sur l’histoire des catastrophes naturelles en Martinique, et notamment sur la plus grande catastrophe naturelle de toute l’histoire de France : l’éruption de la montagne Pelée en 1902, qui fit 30 000 victimes, afin d’en tirer tous les enseignements pour le plan Orsec en cours de finalisation.
Il faudrait également évoquer l’insécurité sismique des écoles ; le besoin d’un plan ouragan majeur Antilles (OMA) sur le modèle des plans séisme depuis 2007 ; la vulnérabilité bien connue de l’unique piste d’aéroport susceptible d’accueillir l’aide internationale et nationale ; le besoin d’une assurance universelle habitation partagée ; la révision des PPRN en 2026 ; la prise en compte des aléas mouvements de terrain ; le rapport Gemitis, caché par les autorités et révélé par le magazine Science et Avenir en septembre 1999 ; le besoin urgent d’une information préventive massive à la télévision publique et privée ; la nécessité d’élargir la cartographie des risques (avec des plans de prévention associés) aux orages, aux chutes de grêle (connues en avril 2018 en Martinique), à la canicule et au nouveau risque NaTech, d’un phénomène naturel déclenchant un risque technologique ; la nécessité de curer les 902 kilomètres de réseau fluvial de Martinique pour réduire le risque d’inondation ; de rendre les exercices séismes et tsunamis obligatoires deux fois par an dans les établissements recevant du public (ERP) ; la raréfaction de l’eau potable en cas de séisme majeur notamment ; la nécessité de réhabiliter 80 % du parc immobilier ancien de Martinique en réabondant les fonds Barnier ; le système d’alerte et d’information des populations (SAIP) ; le système de détection précoce des tsunamis, basé depuis quelques années à Hawaï pour l’Atlantique ; la vulnérabilité du système de santé, notamment en situation insulaire ; la nécessité de développer la médecine de catastrophe et de traiter le « crush syndrome » ; de rendre le secourisme obligatoire en l’adossant à la délivrance du permis de conduire un engin terrestre à moteur ; de rendre réellement résilients les bâtiments stratégiques et d’isoler techniquement les nouveaux bâtiments ; de renforcer les moyens des conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (CAUE) ; de rendre possible une autonomie alimentaire post-crise ; de positionner des canadairs sur zone en anticipation des incendies de forêt liés au réchauffement climatique ; d’envisager la gestion d’un nombre de décès massif ; de réaliser enfin un bilan exhaustif de l’application de l’article L. 125‑2 du Code de l’environnement, voté depuis le 22 juillet 1987, sur la préparation des populations par les maires ; d’harmoniser avec les scientifiques les consignes de protection face aux séismes ; d’envisager l’avenir du fonds de solidarité des outre-mer ; de prévoir des procédures de reconnaissance de catastrophe naturelle en cas de séisme majeur (« big one ») ; de traiter la question des experts d’assurance et d’assurés ; de sortir des atermoiements sur le « package tsunami », incluant l’identification des zones à risque sur le littoral, des itinéraires d’évacuation et des zones refuges, et des limites du système d’alerte régional Caribe/ews; de prévoir une aide financière aux associations engagées, comme la nôtre, dans la prévention ; un logement transitoire pour les sinistrés des catastrophes naturelles ; de soutenir financièrement les réserves communales de sécurité civile en Martinique ; de réinstaller un service d’urgence à l’hôpital Mangot Vulcin ; de rendre obligatoire un plan de sauvegarde entreprise face aux risques majeurs ; d’instaurer un plan Orsec sécheresse canicule ; enfin, de légiférer sur un droit opposable au logement face aux catastrophes naturelles.
Il s’agit en somme d’éviter que notre « île aux fleurs » devienne une « île aux pleurs ». Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Prévoir l’imprévisible : tel est notre leitmotiv.
M. Fernand Odonnat. Le président de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), M. Letchimy, m’a demandé de la représenter à cette audition.
La collectivité est mobilisée sur la prise en compte des risques majeurs depuis plus de vingt-cinq ans, ce qui se traduit par des actions concrètes. 40 à 50 actions de sensibilisation et de formation ont ainsi été destinées cette année à 5 000 personnes : personnel territorial, populations scolaires, grand public et personnels d’entreprise, ainsi que des actions médiatiques.
Elle participe également aux grands rendez-vous annuels : la journée Réplik, la journée nationale de la résilience, la journée internationale pour la prise en compte des risques de catastrophe, etc.
Elle mène des actions de préparation des populations : exercices d’évacuation en cas de tsunami, avec une participation aux exercices de simulation de la sécurité civile et à l’exercice Caribe Wave, consistant à simuler un tsunami tous les ans depuis 2011 ; mise à disposition de connaissances actualisées par le cofinancement de la recherche appliquée visant à la construction d’un territoire durable.
Elle contribue à la surveillance des risques sur le territoire par le déploiement d’équipements télégérés et des partenariats avec Météo-France et la DEAL.
La collectivité gère également un patrimoine de milliers de mètres carrés de bâtiments construits, mais aussi de routes et d’ouvrages d’art, avec plus d’un millier de ponts et d’ouvrages de soutènement en fonctionnement sur le réseau routier de l’île, et elle applique les règles parasismiques en vigueur lors de la conception et de la réparation de tous ces équipements, y compris aujourd’hui les Eurocodes. Nous avons aussi mis en place depuis plus de vingt ans un dispositif spécifique de financement de la construction parasismique neuve, faisant intervenir des architectes, ingénieurs, et bureaux de contrôle agréés, et la mandature actuelle a étendu ce dispositif au financement du confortement parasismique des bâtiments anciens et des ouvrages de soutènement.
Enfin, nous travaillons en partenariat étroit avec l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), qui réalise chaque année des mesures très précises de l’activité sismique et volcanologique de la montagne Pelée, et vient la semaine dernière d’en produire un bilan exhaustif.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’avais travaillé avec votre président, M. Serge Letchimy, sur les indivisions successorales en outre-mer et leur effet sur l’environnement. Il avait déposé une proposition de loi en 2018 que nous avions réussi à faire aboutir, dans une atmosphère transpartisane qu’il serait peut-être difficile de retrouver aujourd’hui. À cet égard, comment évaluez-vous la disponibilité actuelle du foncier en cas de besoin de reconstruire et de déplacer ? Les indivisions successorales participent à rendre le foncier indisponible, et engendrent l’occupation illicite de bâtiments qui ne sont pas aux normes, et sont même souvent précaires. Au-delà de l’extension aux bâtiments anciens de votre dispositif de financement des réhabilitations, qui me paraît extrêmement nécessaire, menez-vous des actions spécifiques concernant ces bâtiments en indivision, dont l’absence de statut rend difficile pour la puissance publique d’y intervenir ?
La liste des demandes de l’Université populaire à l’État sera évidemment transmise. Toutefois, nous venons d’auditionner des représentants de l’État, qui tendaient plutôt à saluer la diffusion d’une culture du risque en Martinique. Votre vision à cet égard semble plus pessimiste, et m’a également semblé en léger décalage par rapport aux interventions précédentes des organismes de protection civile. Pourriez-vous également préciser la notion de droit opposable au logement face aux risques naturels, que vous avez invoquée, et que j’ai du mal à appréhender ? J’ai bien noté aussi vos interrogations légitimes sur la délégation interministérielle à la prévention des risques naturels majeurs en outre-mer.
La plupart des auditions que nous avons réalisées ont fait part d’un hiatus dans la prise en compte du risque par les différentes collectivités locales, y compris hors de Martinique : celles qui le prennent en compte semblent le faire extrêmement bien ; tandis que d’autres ne le prennent pas en compte du tout, ce qui peut devenir très problématique pour la gestion du bâti comme pour le prépositionnement de moyens pour assumer un aléa ou préserver les infrastructures. Quels sont vos liens avec les mairies ou les intercommunalités à cet égard ?
Il se trouve que ma circonscription concentre 80 % des moyens de la protection civile, et je voudrais particulièrement saluer son efficacité précisément en matière de sensibilisation et de diffusion d’une culture du risque. Je reviendrai ultérieurement sur les actions de la Croix-Rouge, que je rencontre également, et dont l’efficacité et le dévouement sont parfaitement comparables. Elle joue notamment un rôle très singulier dans la plateforme Antilles.
Comment améliorer la prise en compte du risque par les administrations locales et favoriser l’« aller-vers » notamment les populations en grande fragilité, qui peuvent occuper de manière illicite du foncier en droit non mobilisable, et devront être gérés également en cas d’aléa. Le vieillissement de la population martiniquaise implique aussi une augmentation des fragilités : quelles mesures spécifiques vous paraissent devoir être mises en œuvre pour gérer cette réalité ?
M. Fernand Odonnat. L’indivision constitue une problématique très importante pour l’ensemble du territoire de la Martinique. Le président actuel de l’exécutif y a en effet beaucoup travaillé et a donc voulu prendre ce problème à bras-le-corps à son arrivée à la tête de la collectivité, en instaurant un groupement d’intérêt public, le GIP sortie de l’indivision et titrement Martinique, pour mettre fin à l’indivision. En effet, la loi promulguée il y a un certain nombre d’années à ce sujet ne fonctionne pas, notamment parce que les notaires sur le territoire sont réticents à traiter les indivisions qui découlent des successions complexes.
Ce GIP commence à être opérationnel, mais devrait l’être pleinement fin 2024‑2025. Il a pour tâche de rechercher les héritiers, même à l’autre bout du monde, afin de régler ces problèmes de succession et d’indivision qui empêchent réellement l’avancée d’un certain nombre de projets. Il suffit de voir le nombre de bâtiments en état d’abandon manifeste dans les centres‑bourgs des 34 communes pour s’en rendre compte.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ce dispositif paraît très original et très puissant, car il n’est pas possible de traiter un bâtiment dégradé si l’on ne sait pas à quel propriétaire s’adresser. Ce risque est-il pris en compte par le GIP Titrement dans sa personnalité juridique, ou constitue-t-il seulement un GIP de moyens ?
M. Fernand Odonnat. Si aucun héritier n’est retrouvé, le GIP pourra en effet proposer des solutions aux municipalités, qui pourront par exemple en faire l’acquisition. Les procédures actuelles à cette fin sont extrêmement longues et complexes, et les maires sont réticents à les mettre en œuvre, afin de ne pas créer de frictions avec leurs administrés. Le GIP est rattaché à la CTM, mais dispose de son propre budget et de son propre conseil d’administration, et constitue un outil simple, clair et transparent, qui a réellement été créé par souci d’efficacité pour sortir de l’indivision. L’objectif est de passer à moins de 50 % d’indivision d’ici quatre à cinq ans en Martinique, contre 75 % aujourd’hui.
M. Albéric Marcelin. Le rapporteur a qualifié nos propos préliminaires de « pessimistes ». Avec Mme Fabienne Quiatol, nous avons été reçus à deux reprises en préfecture, chaque fois durant deux heures, d’abord par le préfet Franck Robine, puis, trois ans plus tard, par le préfet Stanislas Cazelles, sur ces problématiques des risques majeurs : à aucun moment, ni l’un ni l’autre n’ont jamais qualifié nos propositions ni notre vision de « pessimistes ».
Nous travaillons depuis quinze ans sur le terrain, avec les communes, la CTM, les associations, les comités d’entreprise, les CHSCT, les communautés religieuses, etc., et nous recueillons le ressenti des populations. Jusqu’à la crise sanitaire, 7 000 personnes participaient à nos conférences chaque année. Ce nombre a considérablement diminué depuis, pour des raisons compréhensibles.
L’année 2007 a provoqué une prise de conscience, à la fois de la puissance publique et des citoyens, concernant la réalité des phénomènes naturels majeurs, avec deux événements successifs : d’abord l’ouragan Dean, de catégorie 2, le 17 août 2007, dont le coût s’est élevé à 511 millions d’euros, avec 6 000 maisons abîmées, dont 1 200 à 100 % ; ensuite un séisme de magnitude 7,3 le 29 novembre 2007, à 152 kilomètres de profondeur.
Un dispositif de droit au logement opposable (DALO) existe déjà depuis 2005 concernant les logements insalubres et dangereux. Nous en demandons simplement l’extension aux logements sinistrés. En novembre 2020, un glissement de terrain a provoqué le glissement de 450 maisons sur 8 communes de Martinique. Les maires concernés ont alors dû trouver des logements transitoires à mettre à disposition des sinistrés dans l’attente qu’ils soient indemnisés et que leurs maisons soient reconstruites ailleurs. De même que les maires doivent réserver un pourcentage de logements sociaux dans leurs communes, de même, ils devraient prévoir des logements à destination des sinistrés. Onze familles sont encore concernées par exemple sur la ville des Trois‑Îlets suite à un glissement de terrain survenu au mois de décembre dernier. Ces problèmes doivent faire l’objet de dispositions législatives.
Interrogée à ce sujet par les Nations-Unies, comme l’ensemble des pays membres, la France avait cité comme ses trois villes les plus exposées aux risques sismiques celles de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France (qui, depuis le 22 octobre 2020, sont classées au niveau 5 de sismicité) et celle de Nice. En croisant les données du rapport du 29 août 2001 de l’Inspection générale de l’environnement et du rapport Gemitis, le colonel Cova, ancien dirigeant de l’Emiza, avait évalué l’impact d’un séisme en Martinique à 40 000 décès, 70 000 blessées et 100 000 sans-abri : un Martiniquais sur quatre n’aurait ainsi plus de maison. Il faut donc dès aujourd’hui anticiper une telle situation.
Lorsque la délégation interministérielle à la prévention des risques majeurs en outre-mer avait été créée, le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer, M. Frédéric Mortier, avait demandé à nous recevoir. Nous avions alors débattu de longues heures avec lui, aux termes desquelles il nous avait remis sa carte de visite et nous avait félicités pour notre travail.
Nous ne voulons pas revivre les 30 000 décès survenus en Martinique le 8 mai 1962, ni surtout ce que les Haïtiens ont vécu le 12 janvier 2010, avec 450 000 personnes décédées, selon les chiffres de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah).
Mme Olympe Francil. Vous avez soulevé des questions très importantes, notamment concernant le foncier. Une stratégie globale et systémique est vraiment requise en matière de gestion des risques.
Pour sensibiliser, par exemple, dans une commune, il faut mettre en relation tous les acteurs : le maire, mais aussi les bénévoles, qui sont eux aussi vieillissants. Or, les bénévoles actifs ne peuvent intervenir que sur leurs congés, qu’ils passent finalement entièrement à sensibiliser aux gestes qui sauvent. La Croix-Rouge ne cesse de les féliciter pour cet engagement. Les messages et les procédures de sensibilisation des instructeurs, des scientifiques et des médias doivent aussi être harmonisés, y compris au niveau de l’école et de nos « aller‑vers ». Avec l’Option Croix‑Rouge, nous avons mis en juillet les élèves du lycée de Paulette Nardal en situation d’incendie majeur. Pour organiser ce type d’événement, les associations de sécurité civile ont besoin d’un soutien financier fort et surtout que leurs bénévoles soient libérés. Elles ont déjà la charge de recruter et de faire monter en compétence leur personnel.
Un début de prise de conscience est constaté, mais il faut le renforcer. Or, on ne peut intéresser des jeunes et des actifs qu’avec des messages attractifs. À côté du chômage et du manque de logement, ils doivent trouver du bien-être à se faire les acteurs du changement consistant à pouvoir résister en cas de risque.
Le savoir et le savoir-faire disponibles à la Martinique doivent être réunis et renforcés pour avancer progressivement. Des exercices de terrain doivent notamment être réalisés régulièrement dans les établissements.
M. Gregory Gevar. La question du foncier s’adresse aussi aux ASC, car elles disposent aujourd’hui de lots de secours qui ne sont pas aujourd’hui sécurisés, n’étant pas situés dans des espaces parasismiques. Or, devoir déblayer un lot de défense pour l’utiliser en cas de tremblement de terre serait évidemment très compliqué d’un point de vue opérationnel. Par exemple, nous avons dû accepter qu’un de nos lots internationaux stratégiques de défense soit hébergé à titre gracieux dans un bâtiment de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA), sur un site Seveso. Pour les ASC, trouver des locaux ou des terrains où bâtir aux normes parasismiques (à leur charge ou non) constitue ainsi un véritable problème en Martinique.
Nous y travaillons avec les collectivités, en recherchant des « poches opérationnelles » beaucoup plus proches des lieux de prise en charge potentielle des populations déplacées, notamment dans le cadre de l’exercice volcan. Du matériel de réponse d’urgence devrait ainsi pouvoir être prépositionné et sécurisé dans ces lieux « d’hébergement d’urgence ». Toutefois, les collectivités n’ont soit plus de foncier, soit pas de bâtiment à disposition, et la situation économique des ASC ne leur permet pas souvent en Martinique d’investir sur du terrain ou idéalement de la construction.
Ensuite, sur la partie liée aux formations, en tout cas à la transmission des risques, il y a un texte qui prévoit en principe que tout élève du collège est réglementairement censé en sortir avec au moins un PSC1, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui pose la question des moyens ou du personnel adapté mis à disposition. Une plus grande cohérence devrait peut-être aussi être instaurée entre le ministère de l’intérieur (dont dépendent les ASC) et celui de l’éducation nationale, qui se contente parfois de sensibilisations aux gestes qui sauvent, ce qui ne suffit absolument pas en Martinique, où certaines communes peuvent se retrouver totalement isolées en cas de catastrophe naturelle. Une formation réelle est nécessaire pour qu’une réponse communale au plus près de la catastrophe soit possible. C’est ce que nous essayons d’expliquer aux écoles : l’enjeu de systématiser le PSC1 n’est pas financier, mais bien opérationnel et stratégique pour notre territoire.
Notre présence dans les opérations et réunions de communication dépend également du bon vouloir des collectivités et de l’État. En Martinique, les relations des ASC avec la préfecture sont extrêmement conviviales, et nous sommes systématiquement invités à ses réunions. Nous avons ainsi pu participer à des réunions interministérielles sur nos risques. Toutefois, une certaine émulation manque encore pour mieux organiser notre réponse collective.
Mme Line Rose Arrouvel. Il y a quelques années, avec le groupe des formateurs aux risques majeurs, nous avions tenu compte des conseils de quartier pour identifier les personnes âgées, à mobilité réduite, ou en situation de handicap, et faire en sorte qu’en cas de risque, des personnes puissent les prendre en charge et les emmener dans des lieux sécurisés. Nos bénévoles sont précisément sensibilisés aux conduites à tenir en fonction du risque afin d’être immédiatement efficaces dans le quartier ou sur le lieu de travail où ils se trouvent.
M. Fernand Odonnat. Les règles parasismiques sont largement respectées dans les constructions neuves, qui sont systématiquement examinées par un bureau de contrôle.
Toutefois, les bâtiments du patrimoine de la CTM ont souvent jusqu’à soixante-dix ans, étant hérités de l’ex-conseil général qui, lui-même, en avait hérité de l’État. Souvent, ces bâtiments sont tellement anciens que nous n’avons pas d’autre choix que de les détruire. Ils incluent cependant des collèges et des lycées, qui sont utilisés par les communautés scolaires.
D’une manière générale, l’habitat des centres-bourgs est souvent très ancien dans l’île, et a pu être construit « avec les moyens du bord », dans un non-respect évident des règles applicables à l’époque. Avec le renforcement de la réglementation et l’amélioration des méthodes de conception par l’informatique, ces bâtiments ne sont plus du tout aux normes.
Le problème le plus important à cet égard tient sans doute au fait qu’on demande toujours à l’attributaire ou à l’administré d’avancer ne serait-ce que 5 à 10 % des fonds de renforcement parasismique. Or, la population, globalement, manque de moyens, et fera toujours passer ces investissements derrière la nécessité de se nourrir, de s’habiller et d’envoyer les enfants à l’école.
La volonté politique existe cependant d’aider la population à réhabiliter son habitat aux normes parasismiques, avec un objectif d’amélioration sensible à cet égard d’ici quinze à vingt ans. L’aide parasismique prévue par l’ancien conseil régional, et reprise à son compte par la collectivité territoriale, permet ainsi de disposer aujourd’hui d’ouvrages de bonne qualité.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je précise à M. Marcelin que je ne remets pas du tout en cause ce qu’il dit concernant la délégation interministérielle. Simplement, je m’en attriste, car disposer d’une telle délégation serait sans doute utile actuellement.
Par ailleurs, j’ai écrit un rapport sur l’habitat indigne il y a plusieurs années, et je me suis étonné que vous évoquiez le DALO concernant ce qui paraît plutôt relever de l’hébergement d’urgence et de l’hébergement provisoire, le temps de la reconstruction. À cet égard, je vous donne raison : une planification est sans doute à réaliser d’ores et déjà, en prévision d’un risque majeur.
J’espère également que des progrès ont été réalisés depuis 2011, et que l’anticipation de 40 000 morts établie alors a été révisée depuis. Nous interrogerons la préfecture à ce sujet.
N’hésitez pas à nous transmettre par écrit des éléments relatifs à votre idée d’une assurance universelle, que je trouve intéressante, et qui est régulièrement évoquée, y compris par les assureurs, car la disponibilité de fonds pour reconstruire, indispensable à la résilience des territoires par rapport aux aléas, suppose la présence de bâtiments assurés à plus de 60 %, ce qui est le cas en Martinique et en Guadeloupe aujourd’hui.
J’essaierai de promouvoir l’action de l’Option Croix-Rouge dans les lycées ailleurs qu’en Martinique également, et notamment sur mon territoire, car elle me semble très utile et je vous en félicite.
Nous examinerons les problèmes de financement rencontrés pour généraliser le PSC1.
J’entends aussi la nécessité de sécuriser les équipements, les provisions, et même les équipes, afin qu’elles soient en état d’intervenir après un aléa, et d’« aller‑vers » les populations les plus fragiles, sans nécessairement avoir à découper des troncs d’arbre sur les routes à cette fin.
Enfin, il me semblait que des prises en charge à 100 % hors taxe étaient possibles pour les frais de réhabilitation parasismique des propriétés ou copropriétés de populations en situation d’extrême précarité. Je suis rapporteur d’un texte de loi sur les copropriétés dégradées, et nous devrons examiner ce point.
Sur toutes ces questions, n’hésitez pas à me faire parvenir des compléments d’information.
Il me reste à vous remercier pour cet échange extrêmement riche.
Mme Marise Vallée, vice-présidente de l’Université populaire et de la prévention. La nécessité de mettre les personnes vulnérables à l’abri en cas d’aléa se heurte au double problème de l’indivision et du vieillissement de la population. J’ai été directrice d’un centre communal d’action sociale (CCAS), et je pense que des moyens devraient être fournis aux CCAS pour qu’ils puissent aider à trouver des habitats pour loger ces personnes dans l’urgence.
M. Albéric Marcelin. Je précise que les prévisions de 2011 portaient sur 40 000 décès en cas d’événement majeur survenant de jour : leur nombre était beaucoup plus élevé en cas d’événement survenant de nuit.
Le parc immobilier de la Martinique comprend environ 130 000 logements, dont 33 000 en habitat à loyer modéré (HLM), où vivent environ 100 000 Martiniquais. Aucun bâtiment construit avant le 1er janvier 1998 n’est réputé être aux normes parasismiques, particulièrement depuis la publication de l’Eurocode 8. Or, le taux de renouvellement du bâti est extrêmement faible en Martinique, à environ 2 % par an.
En plus, comme M. Fernand Odonnat pourrait vous le confirmer en détail, il est très difficile dans le secteur du bâtiment de trouver de la main-d’œuvre, notamment sur les grands chantiers. Nous avons échangé récemment avec la direction des achats de l’État (DAE) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) concernant les retards enregistrés dans la mise en place du plan séisme Antilles, au regard de ces difficultés rencontrées par les maîtres d’ouvrage.
Nous disposons de trente ans de documentation, que nous sommes prêts à vous transmettre en format numérique, si cela vous intéresse.
M. le président Mansour Kamardine. Tout nous intéresse.
M. Albéric Marcelin. Nous vous le transmettrons donc.
Nous avons demandé un plan Marshall de confortement ou de reconstruction des hôpitaux ; le déploiement d’une formation de secourisme à grande échelle ; une reprise du travail en thanatologie, avec notamment le programme « nombreuses victimes » (NOVI) ; un programme de postes médicaux avancés (PMA) dans les quartiers et résidences ; un vrai cursus universitaire de médecine de catastrophe ; la mise en place d’un navire-hôpital en France, comme aux États-Unis et en Chine ; un programme de formation à la gestion des peurs et des tensions face aux catastrophes naturelles ; un programme de gestion du stress post-traumatique ; l’activation du programme de premier secours en santé mentale, qui tarde à entrer en vigueur en Martinique ; un programme grand public sur la gestion du « crush syndrome » (« syndrome de l’écrasement ») permettant de vulgariser les techniques destinées à récupérer les personnes coincées sous les décombres ; le renforcement des services de secours, les SDIS ne disposant aujourd’hui, pour 350 000 habitants, que de 1 200 à 1 400 pompiers, dont 80 % sont des bénévoles ou des volontaires et 20 % des professionnels.
En tout cas, nous attendons beaucoup, Monsieur Vuilletet, des conclusions de ce débat à l’Assemblée nationale, pour qu’un maximum de personnes soient sauvées lors des futurs ouragans ou séismes majeurs.
M. le président Mansour Kamardine. Merci à tous pour votre disponibilité.
28. Table ronde, ouverte à la presse, consacrée à la Guyane (7 mars 2024)
M. Guillaume Vuilletet, président. M. le président Mansour Kamardine a été empêché. J’officierai donc ce jour avec la double fonction de président de la commission d’enquête et de rapporteur.
Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête par une table ronde consacrée à la Guyane. Celle-ci se compose de représentants de la collectivité territoriale et de différents services déconcentrés de l’État et établissements publics.
Je vous remercie de votre disponibilité pour cette table ronde. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour de courtes interventions liminaires, avant que nous ne poursuivions les échanges sous la forme de questions et de réponses.
Je vous rappelle auparavant que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Antoine Poussier, Ludovic Marcelius, Frédéric Blanchard, Jean-Paul Levif et Jean-Paul Fereira prêtent serment.)
M. Ludovic Marcelius, chef du service prévention des risques et industries extractives, direction générale des territoires et de la mer (DGTM). Je remplace ce jour M. Ivan Martin, directeur général de la DGTM, qui n’a pas pu être présent.
M. Antoine Poussier, Préfet de la Guyane. En premier lieu, la Guyane est plutôt épargnée, dans la zone atlantique, par certains risques naturels. En effet, elle n’est pas menacée par le risque cyclonique, lequel représente l’archétype du risque naturel. La Guyane est également épargnée par le risque sismique.
Néanmoins, comme sur tout territoire, la Guyane souffre de ses propres risques. La mémoire guyanaise est notamment encore marquée par un glissement de terrain qui est survenu à Cayenne, sur le Mont Cabassou, en avril 2000, lequel avait entraîné une dizaine de morts.
Les risques liés aux précipitations sont particulièrement intenses en Guyane, même si cette année est marquée par une période de sécheresse tout à fait exceptionnelle. La Guyane est néanmoins concernée par les risques de glissements de terrain et de crues. Ces phénomènes ont été importants au cours des dernières années qui ont été très humides. La Guyane est également sujette à des phénomènes de submersion marine.
La Guyane est dans le même temps exposée à des facteurs de vulnérabilité, dont la plupart sont dus à sa géographie. Le territoire est en effet très vaste : la Guyane est aussi grande que le Portugal. Dans ce contexte, la mise en place de secours est complexe, notamment le long du fleuve et au bord du littoral. Plus de trois heures de route séparent par exemple Cayenne de Saint-Laurent‑du‑Maroni.
La deuxième contrainte a trait à la nature de l’habitat, dans les deux grandes zones que représentent l’île de Cayenne et Saint-Laurent‑du‑Maroni. Ces territoires comptent nombre d’habitats dits spontanés, lesquels ont été construits sans tenir compte des risques naturels et présentent un aléa fort.
M. Frédéric Blanchard, collectivité territoriale de Guyane. J’entretiens des rapports avec le chef des services d’aménagement. Je m’occupe pour ma part de questions qui ont trait à l’érosion, aux écosystèmes, à la biodiversité du littoral et aux sargasses.
M. Jean-Paul Fereira, premier vice-président de la collectivité territoriale de Guyane. Pour compléter l’intervention de M. le préfet de Guyane, les phénomènes que nous connaissons sur le territoire sont particuliers, par rapport à la zone antillaise. Depuis moins de dix ans, on observe en Guyane un phénomène d’accélération de l’érosion côtière et des événements de submersion marine.
Les risques d’inondation se sont dans le même temps accrus, au niveau des fleuves Oyapock – fleuve-frontière entre la Guyane et le Brésil – et Maroni – fleuve‑frontière avec le Suriname. Plusieurs épisodes d’inondation ont causé des dégâts sur le terrain. Ils semblent de plus en plus récurrents.
Colonel Jean-Paul Levif, chef de corps des sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours de Guyane. J’ajouterai aux précédentes interventions que la saison de sécheresse importante génère de nouveaux risques, comme les feux de végétation. Nous nous attendons à devoir lutter davantage contre ce risque, dans les années à venir. Le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Guyane s’y prépare, en faisant l’acquisition de moyens spécifiques.
M. Jean-Paul Fereira. Ce phénomène de sécheresse impacte en outre les différents fleuves guyanais. De manière récente, le lit de certains fleuves s’est trouvé quasiment asséché, sachant que certains lieux ne sont accessibles que par les voies fluviale ou aérienne.
M. Guillaume Vuilletet, président. L’objectif de cette commission d’enquête consiste à dresser l’état des lieux des risques naturels que présentent les différents territoires, mais également à apprécier la manière dont ces derniers sont préparés à la survenue des aléas. Je souhaiterais par conséquent que vous abordiez la question de vos capacités à gérer ces aléas.
Par ailleurs, outre l’impact direct des aléas naturels, ces derniers peuvent parfois favoriser la diffusion de pollutions. Je crois savoir que certains territoires de Guyane sont hautement concernés par les questions de pollution.
Compte tenu de sa grande étendue et de la dispersion de la population sur ce territoire – à la fois gigantesque et compliqué en termes d’accessibilité –, comment les dispositifs ORSEC y sont-ils déterminés ? Des exercices sont-ils effectués, qui permettent de s’assurer que les services atteignent facilement les populations éventuellement isolées ?
Par ailleurs, comment est assurée la diffusion de la culture du risque sur le territoire, c’est-à-dire la promotion des gestes qui sauvent, auprès de la population ? Au regard de l’environnement changeant, comment révisez-vous vos plans et votre programmation – votre plan de prévention des risques littoraux (PPRL) par exemple –, pour y intégrer la trajectoire malheureusement prévisible du changement climatique ?
M. Antoine Poussier. En matière de diffusion de la culture du risque, nous participons à la Journée nationale de la résilience, le 13 octobre, qui a été mise en place en 2022. Par rapport à ce qui se fait dans d’autres territoires ultramarins – à propos des risques sismiques notamment –, il est vrai que la Guyane aurait des progrès à réaliser en matière de culture du risque. Le risque est plus diffus en Guyane et notre culture du risque est moindre.
Quant à l’impact du changement climatique, on a pu penser pendant un certain temps que le réchauffement climatique ne changerait pas grand-chose en Guyane, dans la mesure où celle-ci n’est pas une île et où elle est déjà soumise à un climat équatorial. Or nous avons enregistré des intensités de précipitations records en 2021 et 2022 et une sécheresse également record cette année. On sent ainsi une forme d’irrégularité climatique plus brutale qu’auparavant. Le trait de côte évolue par ailleurs grandement et selon une dynamique inhabituelle, sur le plateau des Guyanes notamment, en raison probablement de modifications de courant et de la montée des eaux. Celle-ci ne peut pas nous laisser indifférents, sachant que le territoire de la bande littorale est assez plat.
Un enjeu porte par ailleurs sur l’élaboration et la mise à jour des plans de prévention des risques (PPR). Nous avons évoqué ce point avec la DGTM. Nos marges de progression sont à l’évidence importantes en la matière.
Sur vingt-deux communes, seuls sept plans communaux de sauvegarde (PCS) ont été établis. Cette donnée représente un indicateur de la diffusion d’une culture du risque locale. Je pense que nous pouvons nous améliorer sur ce point.
L’élongation géographique fragilise nos dispositifs de secours. Entre 10 % et 15 % de la population n’est pas reliée par voie routière et n’est accessible que par les voies fluviale et aérienne. En période d’étiage exceptionnel, le premier est soit très long, soit impossible. Les moyens aériens sont du reste plutôt fragiles et constituent une de mes préoccupations. Je souhaiterais disposer d’une capacité d’aéromobilité étatique plus importante.
Nous disposons en Guyane de beaucoup d’aéronefs, pour un département. Ceux-ci se trouvent néanmoins en fin de cycle. Le remplacement des aéronefs, militaires ou civils, est prévu dans les prochaines années. Néanmoins, avec des aéronefs anciens et par conséquent une disponibilité réduite, nous pourrions faire face à de fortes contraintes, en cas de survenue d’événements ou de nécessité d’effectuer un ravitaillement logistique.
La fin 2023 a notamment été marquée par la liquidation du groupe aéronautique CAIRE – auquel appartenait Air Guyane. Pendant plusieurs semaines, aucune liaison commerciale aérienne vers des communes intérieures n’a pu être assurée. Nous nous sommes alors aperçus que nos capacités aériennes étaient fortement sollicitées, en ce qui concerne le ravitaillement de certaines communes, en nourriture et en gaz notamment. Cette situation constitue une réelle fragilité et un des défis les plus importants pour le directeur du SDIS. Il doit en effet être capable de répondre aux risques que présente chaque commune du département. Outre les feux de forêt, dans le cas où un feu classique surviendrait dans une commune comme Saül, les secours mettraient plusieurs heures à intervenir. Un des défis du SDIS consiste ainsi à être en mesure de réagir rapidement à ces situations.
M. Jean-Paul Fereira. À propos des aspects relatifs à la culture du risque, nous nous inscrivons, une fois encore, dans un contexte particulier. En effet, le territoire n’est pas menacé par certains risques, tandis que d’autres survenaient jusqu’à une période récente de façon irrégulière. Par ailleurs, une trentaine de langues maternelles sont parlées sur le territoire guyanais et il compte nombre d’approches culturelles différentes, en matière de gestion de l’espace. Plus de 200 campous bordent notamment le fleuve Maroni. L’accès au français est en outre compliqué pour certaines cultures, car il n’y constitue pas une langue maternelle. Des populations qui demeurent dans des villages essaimés le long du fleuve ont longtemps eu pour coutume – selon une habitude nomade – de s’installer dans des lieux en fonction des zones de chasse, de pêche et de culture. Dans ce contexte, il est compliqué d’adapter la question du message relatif aux risques naturels, alors que ces derniers s’accentuent depuis plusieurs années.
Concernant les risques de pollution qu’induisent les phénomènes d’inondation, la Guyane est également particulière, dans la mesure où elle compte encore des sites d’orpaillage illégaux. En cas de fortes pluies sur ces sites et, par la suite, de déversement dans les différents cours d’eau, les conséquences pourraient être importantes pour les consommateurs d’eau et de poisson.
L’éboulement qui est survenu à Cayenne en 2000 et qui a marqué les esprits a offert l’occasion aux services de l’État de mettre à jour les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Dans la mesure où la Guyane ne présente pas la même situation que les Antilles, les PPR n’étaient pas traités à leur juste valeur. L’État a rapidement lancé un certain nombre de plans et fait en sorte de répondre aux différents risques auxquels le territoire est sujet.
Nous révisons actuellement le schéma d’aménagement régional qui a été élaboré par la collectivité territoriale de Guyane. Dans ce contexte, nous nous sommes aperçus qu’un certain nombre de phénomènes n’avaient pas été pris en compte, qu’il convient d’intégrer au document.
M. Frédéric Blanchard. Dans le cadre de la gestion d’un risque naturel majeur, on pense immédiatement aux catastrophes. Or il existe des risques diffus qui doivent également être pris en considération, dans la communication et la préparation aux aléas. Les feux de forêt qu’évoquait le colonel Levif s’apparentent à des risques plus diffus, mais leurs impacts peuvent être majeurs. L’Office national des forêts (ONF) estime que 10 000 hectares de forêt sont actuellement totalement desséchés à l’intérieur du territoire, sans que les raisons de cette situation soient connues. Elle pourrait ne pas être due à la sécheresse. Une maladie cryptogamique s’est répandue dans tous les maniocs, au bord du fleuve Maroni notamment. Ces risques sont d’ordre biologique et plus diffus, mais ils sont également liés au réchauffement climatique.
Des scientifiques travaillent sur ces sujets et nous fournissent des informations qui nous aident à les traiter. Ces éléments sont évoqués à la radio et dans le cadre de conférences qui sont organisées à Cayenne, mais de façon très limitée. La question de l’érosion littorale peut ne pas être évoquée pendant deux ans, jusqu’à ce qu’une nouvelle manifestation du problème survienne. Il existe ainsi un enjeu autour de la pluridisciplinarité de ces questions et de leur diffusion auprès de tous.
Quant à la question des forêts, 10 000 hectares ont séché sur pied en l’espace d’un an, sans que le phénomène ait à ce jour été compris. L’ONF s’attache à le comprendre.
Colonel Jean-Paul Levif. Les moyens du SDIS et donc des sapeurs-pompiers sont, pour rappel, dimensionnés en fonction des risques courants – et non des risques dits exceptionnels ou particuliers. De ce point de vue, nos moyens s’avèrent suffisants.
Les incendies et feux de végétation ont été multipliés par deux cette année. Nous y faisons face au moyen de nos pompes et de nos engins roulants traditionnels. Nous avons de plus fait appel à des moyens aériens, au travers d’une convention à caractère privé, dont le coût est assez élevé.
Face aux risques majeurs particuliers, je suppose qu’il conviendrait – à l’instar de ce qui se fait dans l’Hexagone – de prépositionner des moyens de lutte contre l’incendie plus efficaces et moins onéreux que ceux que nous avons déployés, pour pallier les difficultés ponctuelles que nous rencontrons.
Par ailleurs, la Guyane ne dispose d’aucune réserve nationale de moyens de sécurité civile, alors qu’il en existe aux Antilles. Pourquoi ne pas en implanter une sur le territoire, sachant que ce dernier est à l’abri des risques sismique et cyclonique et par conséquent plus stable et sûr que d’autres départements ? Cette réserve nationale serait du reste dimensionnée de sorte à pouvoir intervenir aux Antilles, dans le cas où celles-ci seraient frappées par des risques majeurs plus importants.
Quant à la culture du risque, une formation a cours aux Antilles et cinq officiers ont été remplacés. Ils interviendront sur le sol guyanais et pourront y sensibiliser les élus et mieux les former à ces questions. Les différents plans – le dispositif ORSEC et le PPRN notamment – pourront par là même être correctement agencés.
À ce jour, nombre d’initiatives se mettent ainsi en place, mais le dimensionnement semble encore insuffisant, au regard de l’accroissement des risques précités.
M. Jean-Paul Fereira. S’agissant de l’habitat dit spontané – illégal et souvent lié à la présence elle-même illégale des personnes sur le territoire –, les personnes s’installent dans des zones qui sont inhabitées, précisément parce qu’elles présentent des risques. Le territoire guyanais compte des habitats de cette nature sur certaines collines autour de Cayenne et dans des zones inondables par exemple relevant de la commune de Macouria. De manière générale, une large part des habitats spontanés sont installés dans des zones présentant un fort risque.
Quant à la question des moyens, la Guyane compte près de 200 000 habitants – selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) –, alors que sa superficie équivaut à celle du Portugal. Or l’allocation de moyens aux territoires dépend généralement du critère relatif à leur population et non à leur étendue ni aux éventuelles difficultés d’intervention qu’ils présentent.
M. Guillaume Vuilletet, président. Je connais bien le sujet de l’habitat indigne. En outre, nous sommes en passe de finaliser un projet de loi sur les copropriétés dégradées, dont certaines dispositions seront spécifiques à la Guyane et à Mayotte.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). Bonjour à tous. Quelles initiatives devrions-nous mieux soutenir, pour parer les différents risques que vous citez ? Comment pourrions-nous, tous ensemble – l’État, les élus et les différents corps œuvrant à la protection de la population –, les anticiper ?
M. Guillaume Vuilletet, président. À propos de l’habitat spontané, vous avez signalé, M. Fereira, que les personnes s’installaient dans les endroits présentant les risques les plus élevés, que prévoient les plans ORSEC, en cas de fortes pluies ou de glissements de terrain sur ces territoires ? Comment appréhendez-vous cette partie du risque ?
Par ailleurs, une question porte sur le prépositionnement de ressources. Comment la ressource en eau est-elle gérée, au regard de la pollution à laquelle elle est exposée ? La question porte également sur les forces de défense sanitaire de sécurité civile. Quel rôle joue selon vous l’écosystème naturel ? Les mangroves sont réputées pouvoir absorber les problèmes de submersion côtière. Quels sont les programmes de gestion de ces écosystèmes ? Je souhaiterais également que vous abordiez la question des sargasses.
Par ailleurs, la question de l’assurance des biens se pose, en cas de sinistre. Quel est le taux de couverture des biens par les assurances sur le territoire guyanais ? Comment traitez-vous la question de leur non-couverture ?
Enfin, la Guyane est frontalière du Brésil et du Suriname. Or les aléas n’obéissent pas aux frontières. De quelle manière coopérez-vous avec ces pays tiers, en cas de besoin ?
M. Antoine Poussier. À propos des moyens et des dispositifs, nous avons en premier lieu besoin de renforcer notre aéromobilité. Les modèles Puma de l’armée de l’air seront remplacés par des Caracal, en 2025. Nous en attendons un niveau de disponibilité et des capacités supérieurs. Ces équipements sont importants, dans le cadre de la mise en œuvre de l’ensemble des politiques publiques – tant pour lutter contre l’orpaillage illégal qu’en cas d’opération de crise.
En termes de dispositifs réglementaires ou législatifs, j’adhère aux propos de M. Fereira. En effet, l’aléa guyanais le plus important est lié à la présence de populations qui se sont installées de façon illégale dans des zones très dangereuses. En effet, on estime que la Guyane compte 100 000 logements et que 30 000 ou 40 000 relèvent d’habitats spontanés. Ce phénomène n’est donc pas marginal. Aussi toutes les dispositions qui permettront de le résorber progressivement réduiraient-elles l’aléa et participeraient-elles de la maîtrise du risque.
Je crains en effet que le dispositif ORSEC ne prenne pas véritablement en considération la question de l’habitat spontané. Il ne prend pas en compte le fait qu’un véhicule de secours ne soit pas en mesure de pénétrer dans certains quartiers guyanais. Le squat Bambou, le plus grand de Guyane, n’est associé à aucune adresse et les voies de circulation ne sont pas aux normes. Lorsque le SDIS ou le Samu doivent y intervenir, les habitants conduisent la personne blessée ou victime d’un malaise à l’entrée du squat. Les services ne peuvent pas y pénétrer.
Je crois ainsi dans tous les dispositifs – à l’instar de ceux que prévoit la loi ELAN – qui nous permettent de lutter contre l’habitat spontané, de le résorber progressivement ou de le transformer. En effet, certains ont pris une telle ampleur, en Guyane, qu’il est illusoire de penser qu’ils pourront être complètement détruits. Une partie seulement est détruite et l’autre aménagée et urbanisée.
Je ne dispose pas néanmoins des chiffres relatifs à l’assurance habitation. La couverture est à mon sens assez peu élevée. En revanche, j’ai récemment reçu la fédération des assurances et il semble que celles-ci n’émettent pas de refus, comme ce peut être parfois le cas aux Antilles, en lien avec les risques cyclonique et sismique. Les difficultés ont plutôt trait au taux de pauvreté des populations guyanaises et au phénomène migratoire : 36 % de la population est étrangère ; 45 % de ces étrangers relèvent de la classe active et sont âgés de 30 ans à 55 ans.
Nous disposons du reste de conventions de coopération avec les deux États frontaliers. Néanmoins, nous nous attendons plutôt à les aider que la situation inverse. En effet, le Suriname ne dispose pas des capacités des États-Unis. Nous y sommes intervenus récemment, à la suite d’un accident minier.
La Guyane est par ailleurs frontalière du Brésil, mais avec son état le plus pauvre, l’Amapá. Les moyens dont le pays dispose ne sont pas extraordinaires. L’Amapá compte néanmoins une population nombreuse et fait partie des compléments sur lesquels nous pouvons compter, sachant qu’Oiapoque se situe à deux heures de route de Cayenne. Dans le cadre de certains risques courants, des scénarios de coopération intéressants peuvent être imaginés.
M. Guillaume Vuilletet, président. Je suis conscient que le Suriname ne serait pas en mesure d’intervenir pour vous sauver. En revanche, un aléa qui surviendrait autour du fleuve Maroni ne respecterait pas la frontière et pourrait entraîner des désordres des deux côtés. Les populations qui demeurent au bord du Maroni pourraient être amenées à chercher refuge du côté français, s’ils le peuvent. Avez-vous anticipé ce phénomène ? En somme, les deux États pourraient connaître des événements communs et simultanés, lesquels nécessiteraient de mutualiser des ressources.
Colonel Jean-Paul Levif. Je confirme l’existence d’accords de coopération bilatérale entre le Suriname et la Guyane, qui nous permettent d’enclencher de nombreuses opérations de secours communes, à la personne et contre les incendies par exemple. Un calendrier des manœuvres est en place et actualisé chaque année. Nous nous rencontrons de surcroît, de part et d’autre de la frontière, en vue d’effectuer des exercices et de dispenser des formations. Nous avons en effet à cœur d’harmoniser nos pratiques, afin d’être accordés lors d’interventions et de parvenir à une réelle efficacité. Ces dispositifs fonctionnent plutôt bien, des deux côtés de la frontière. Des accords nous permettent en outre de pénétrer jusqu’à 150 kilomètres à l’intérieur du territoire surinamais, dans le cadre d’interventions de secours à la personne ou contre les incendies. Cependant, nous n’avons pas anticipé dans nos pratiques et exercices le cas de risques plus massifs. Pour le reste, cette coopération a le mérite de rassurer les populations et de mieux appréhender nos pratiques et cultures respectives.
S’agissant du Brésil, nous pourrions compter sur un personnel en grand nombre, car le corps d’intervention y est militarisé. Cette coopération peut s’avérer bénéfique, en ce qui concerne certains risques courants. La circonstance est identique au Suriname, où nous avons parfois à traiter des accidents de la route. En effet, la route qui mène à Paramaribo est hautement meurtrière. Nombre de Guyanais y circulent et nous sommes parfois sollicités, en vue de secourir des ressortissants français sur le territoire surinamais. Ainsi, la coopération entre les deux États fait sens et évolue correctement.
M. Jean-Paul Fereira. À propos du trait de côte et de la dynamique littorale que connaît l’ensemble du plateau des Guyanes, l’observatoire de la dynamique côtière de Guyane est en place depuis plusieurs années. Ses moyens devraient néanmoins être renforcés, afin de mieux connaître le phénomène complexe qui est observé. La coopération entre les États concernés a toute son importance sur ces sujets.
Le phénomène des Sargasses est par ailleurs moins important en Guyane qu’aux Antilles. Quelques épisodes ont été enregistrés, mais les algues sargasses sont naturellement éloignées du plateau des Guyanes, grâce au courant. Ce phénomène est cependant récent et sa connaissance, dont la manière dont les sargasses évoluent, nous intéresse particulièrement.
Quant à la question de l’assurance des biens, certaines habitations légales ne sont pas couvertes. Nous devrons travailler sur cette situation, afin d’éviter d’avoir à la traiter a posteriori, dans le cadre de situations d’urgence notamment.
Le territoire guyanais présente par ailleurs des situations particulières. Le fonds Barnier s’avère utile, dans la mesure où il permet – dans l’Hexagone – d’intervenir dans certains cas. En Guyane, à Awala‑Yalimapo par exemple, la situation foncière est particulière et les personnes qui résident sur ce territoire ne disposent pas de titre foncier. Les notaires estiment que nous « squattons » un terrain de l’État. Il nous faudrait réfléchir à des solutions d’indemnisation, liées aux appréhensions particulières de l’espace dans ce type de territoires. Leur situation foncière l’exige en effet.
De la même manière, les sargasses peuvent impacter négativement la pêche côtière. Les pêcheurs qui exercent au large des côtes se trouvent confrontés à ce phénomène. Un effort particulier devrait ainsi être fourni en matière d’indemnisation, pour ces embarcations en activité. En effet, les périodes marquées par la présence de sargasses en Guyane impactent en premier lieu les pêcheurs.
S’agissant de la question de la coopération, les moyens dont dispose le Suriname sont loin d’être satisfaisants, dans le cas où il aurait à intervenir en Guyane française. Il en est de même pour l’Amapá, lequel état est isolé du reste du Brésil. La ville‑frontière brésilienne d’Oiapoque est elle-même isolée du reste de l’Amapá et dispose de peu de moyens. Les activités de coopération existent ainsi, mais sont de peu d’importance, du Suriname vers la Guyane et du Brésil vers la Guyane. Les relations internationales de la France avec ces deux pays devraient être renforcées, de sorte à accroître les moyens d’Oiapoque et d’Albina – ville‑frontière entre le Suriname et la Guyane.
M. Guillaume Vuilletet, président. Je vous remercie de vos réponses. Existe‑t‑il par ailleurs des dispositions particulières, en termes de prépositionnement des moyens et d’approvisionnement, dans les plans relatifs à ces sujets ? La connaissance s’affine en effet au fur et à mesure de la survenue d’aléas, dans le cas de fortes précipitations notamment.
M. Antoine Poussier. Une fois encore, il n’existe pas de réserve nationale prépositionnée, en Guyane, alors qu’une réserve nationale est installée aux Antilles, en raison des risques cyclonique et sismique. L’état-major interministériel de zone de défense et de sécurité travaille sur ces questions, pour ce qui concerne la Guyane. Trois zones sont à considérer sur ce plan : Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni et les communes de l’intérieur.
Depuis que j’ai pris mes fonctions, j’observe en Guyane un manque de production d’eau. Lorsque nous rencontrons des difficultés d’approvisionnement en eau pour des communes se situant au bord d’un des fleuves, nous ne disposons pas d’unités de potabilisation qui nous permettraient de répondre rapidement aux difficultés rencontrées.
S’agissant de la réserve nationale, je confirme que nous travaillons, avec la direction générale de la sécurité civile, au prépositionnement de matériel adapté à la nature des risques auxquels la Guyane est soumise.
M. Guillaume Vuilletet, président. De quelle manière vous employez-vous à contenir la progression de l’habitat spontané ?
M. Antoine Poussier. L’habitat spontané représente la conséquence d’un déséquilibre entre la demande et l’offre de logement. Nous travaillons donc sur les deux termes de ce problème. En matière de politique de logement, nous savons que pour répondre à la croissance démographique que connaît la Guyane, il faudrait que nous construisions près de 4 500 logements par an. Nous n’en construisons pour l’heure que la moitié, chaque année.
En outre, l’immigration constitue un des principaux moteurs de la dynamique démographique guyanaise. Le taux de fécondité des personnes étrangères est significativement supérieur à celui des Guyanais. En effet, près d’un quart des naissances enregistrées en Guyane sont données par des mères de nationalité haïtienne, alors que les ressortissants haïtiens ne représentent qu’entre 10 % et 12 % de la population du territoire.
Nous souhaitons ainsi mettre en œuvre une politique de logement dynamique, sachant que le foncier dit aménagé constitue le principal frein à la construction de logements en Guyane. Pour cette raison, l’État a créé en 2016 l’Établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane (EPFAG), en vue de démultiplier la capacité à mettre à disposition du foncier aménagé. Huit ans après sa création, nous espérons que l’EPFAG délivrera prochainement du foncier aménagé, à la hauteur des besoins en matière de logement.
Quant à la demande de logement, la réponse à apporter a trait à la mise en œuvre d’une politique migratoire. Celle-ci est pensée différemment en Guyane, par rapport à Mayotte. La Guyane est considérée comme un pays « mosaïque », son territoire est gigantesque et il a longtemps souffert d’une situation de sous-population. Dans les années 1960, la Guyane comptait dix fois moins d’habitants qu’aujourd’hui, de l’ordre de 30 000 habitants, contre 300 000 habitants à ce jour. Le phénomène migratoire n’est par conséquent pas pensé de la même façon en Guyane qu’à Mayotte. En revanche, son effet est similaire sur le plan de la croissance démographique, au regard de la capacité de l’ensemble des politiques publiques à étaler la montée en charge, en matière de logement, d’éducation et de santé notamment.
Ainsi, la résorption de l’habitat spontané ne dépend pas uniquement de la mise en place d’une politique volontariste ou de la destruction de ces habitations. La Guyane compte entre 30 % et 40 % d’habitats spontanés, ce qui traduit le déséquilibre structurel entre l’offre et la demande, en matière de logement. Nous devons donc agir sur ces deux leviers, en vue de retrouver un certain équilibre. Le phénomène de l’habitat spontané pourra par la suite être résorbé efficacement. Pour l’heure, l’habitat spontané n’est pas même contenu. Il continue de progresser. La production de logements demeure inférieure à la croissance de la demande.
M. Guillaume Vuilletet, président. De la même manière qu’à Mayotte et dans certains endroits de l’Hexagone, une partie de la population demandeuse de logement ne peut pas bénéficier de logements sociaux, car elle ne dispose pas de titre de séjour sur le territoire. Je suppose cependant que les bidonvilles guyanais comptent également des Français. Un traitement spécifique, en matière d’hébergement, est-il appliqué ?
M. Antoine Poussier. Nos capacités d’hébergement sont déjà saturées, en raison d’un autre phénomène, à savoir la demande d’asile des proches. L’immigration régionale provient essentiellement du Brésil, de Haïti et du Suriname. Les personnes ne bénéficient pas de dispositifs d’hébergement, mais sont logées dans des habitats spontanés, que je qualifierais de « communautaires ». Nos capacités d’hébergement répondant aux urgences classiques et aux demandeurs d’asile ne s’élèvent qu’entre 1 100 places et 1 300 places.
M. Guillaume Vuilletet, président. À propos de la difficulté de mettre en œuvre le fonds Barnier en Guyane en raison d’un problème de titrisation des biens, comment cette question progresse-t-elle ?
M. Antoine Poussier. Contrairement à d’autres territoires ultramarins, il n’existe pas en Guyane de groupement d’intérêt public (GIP) relatif au titrement. La situation foncière guyanaise est en outre différente de celle des Antilles. Par exemple, la zone des cinquante pas géométriques ne s’y applique pas. À ma connaissance, il n’est pas prévu de mettre en œuvre de politique de titrisation renforcée.
Le sujet foncier concerne plutôt ce que les Accords de Guyane qualifient de « rétrocession », c’est-à-dire le transfert d’une partie du domaine privé de l’État vers les collectivités territoriales, à hauteur de 250 000 hectares, vers le secteur agricole et vers les populations amérindienne et bushinenguée, à hauteur de 400 000 hectares. En la matière, la priorité de l’État consiste actuellement à respecter les engagements qui ont été pris en 2017, malgré le retard qui a été généré en raison de difficultés à la fois juridiques et organisationnelles. Depuis un an ou un an et demi, ces sujets se sont inscrits, notamment sous l’impulsion du ministre, Jean-François Carenco, dans une vraie dynamique et des commissions d’attribution foncière sont organisées.
Le sujet du transfert de 400 000 hectares vers les populations amérindienne et bushinenguée demeure néanmoins compliqué. Les acteurs cherchent encore la bonne façon de procéder, sachant que les demandes sont parfois divergentes, voire contradictoires.
Colonel Jean-Paul Levif. À propos du risque technologique majeur, la Guyane compte une douzaine d’établissements soumis au statut Seveso. Des plans de secours sont en place et actualisés. Les risques existent néanmoins et nous préoccupent, au regard des accidents à effet domino que ces sites pourraient entraîner. Nous souhaiterions voir nos moyens renforcés sur ce plan.
M. Guillaume Vuilletet, président. Si vous avez des éléments à nous transmettre en la matière, adressez-les-nous.
Merci à tous.
29. Table ronde, ouverte à la presse, des Forces armées (11 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous entendons aujourd’hui les responsables de nos forces armées en Guyane, aux Antilles et dans la zone Sud de l’océan Indien.
Nous sommes en visioconférence avec le général de division aérienne Marc Le Bouil, commandant supérieur des forces armées en Guyane (FAG) et commandant de la base de défense de Guyane, le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (FAA), commandant de la zone maritime Antilles et commandant de la base de défense des Antilles, et le général de brigade Jean-Marc Giraud, commandant supérieur des forces armées dans la zone Sud de l’océan Indien (FAZSOI) et commandant de la base de défense de La Réunion‑Mayotte. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. le général Marc Le Bouil, M. le contre-amiral Nicolas Lambropoulos et M. le général Jean-Marc Giraud prêtent successivement serment.)
M. le général Marc Le Bouil, commandant supérieur des forces armées et commandant de la base de défense de Guyane. Le sujet des risques naturels est très important pour les forces armées en outre-mer, en particulier en Guyane. Je présenterai tout d’abord les missions générales des FAG, puis la construction spécifique de notre outil de défense et la façon dont nous traitons la question des risques naturels. En conclusion, j’exposerai quelques réflexions sur les progrès possibles en la matière, en ce qui nous concerne comme au niveau interministériel.
Les missions des FAG sont celles des forces armées en général, avec un point d’application particulier, la Guyane et les Antilles. Notre mission est en effet toujours la même, y compris outre-mer : protéger la population ; protéger le territoire français ; défendre les intérêts français ; participer à l’édification d’un monde plus sûr, notamment au moyen d’une approche multilatérale et par la construction de partenariats régionaux ; développer, dans notre population, une force morale et une capacité à travailler ensemble pour faire face aux crises qui touchent la nation.
Notre outil de défense, qu’il s’agisse du personnel ou du matériel, est façonné, en particulier outre-mer, pour réaliser des opérations du haut du spectre, c’est-à-dire les missions d’engagement de haute intensité que seules les armées savent et peuvent mener, dans des conditions extrêmes et face à des adversaires qui font peser des menaces dans tous les champs de la conflictualité. C’est à cette fin que notre personnel est formé et que nous demandons et obtenons du matériel.
Pour vous donner une image, les forces armées sont des sportifs de haut niveau. Nous devons en permanence œuvrer à maintenir leur excellence afin de surclasser nos adversaires. Cela suppose de développer des savoir-faire collectifs et individuels et des matériels dotés de technologies d’avant-garde. Il en résulte à la fois des avantages et des contraintes quand il s’agit d’employer les forces armées pour répondre aux risques naturels.
Les armées sont faites pour s’exprimer dans le chaos. Là, nous devons être capables d’agir de façon coordonnée et performante ; c’est le cœur de notre métier. Par essence, les militaires constituent le dernier rempart quand le fonctionnement normal des pouvoirs publics n’est plus possible. C’est souvent le cas à la suite de phénomènes naturels de grande ampleur, tels que les cyclones, les inondations, les affaissements ou glissements de terrain, les feux violents… Menacées, les structures ordinaires de l’État sont incapables de remplir correctement leurs missions, et l’on fait alors appel aux moyens des armées. Ces moyens ne sont néanmoins pas conçus pour un tel emploi, mais pour les missions spécifiques que j’ai évoquées précédemment.
Ma première mission, et celle de mes camarades, est bien de protéger la France et les Français. Lorsque des risques naturels mettent en danger la population et les territoires, je mets évidemment mes capacités et mon savoir-faire au service des structures de gestion de crise.
Je tiens à souligner que la participation des armées fait alors l’objet d’un arbitrage au niveau interministériel. Il est en effet impératif de mesurer les conséquences que l’intervention des forces armées au titre du traitement des risques naturels aura sur leurs missions permanentes, à la fois en termes de personnel et de matériel.
C’est pourquoi, d’après nous, la question est davantage celle des résultats recherchés que celle des moyens. : Qu’attendent de nous, sur le terrain, le préfet et la cellule de crise ? Très concrètement, est-il plus rapide et efficace d’envoyer, à partir de Cayenne, une section de militaires, dans un Casa CN‑235, qui arrivera en douze heures ? Ou, depuis la métropole, une compagnie, dans un Airbus A400M Atlas, en trente-six heures ? Ou un régiment, dans un bâtiment de la marine nationale, en dix jours ? Ou encore en envoyer un mixte, ou cadencer les efforts ?
Pour répondre, nous devons savoir quels effets nous souhaitons obtenir sur le terrain, et à quelle échéance. C’est ainsi que nous pouvons, nous militaires, rendre le meilleur service tout en maintenant nos participations au titre de nos missions permanentes.
Les FAG comptent 2 200 militaires des trois armées et 200 civils de la défense, avec un commandement interarmées terre–air‑mer qui couvre aussi l’influence, le cyber et l’espace.
Notre première mission est la protection du centre spatial guyanais, le port spatial européen, qui constitue un enjeu majeur d’accès souverain à l’espace pour la France. J’exerce une protection à 360 degrés face à toutes sortes de menaces, tout au long de l’année – en renforçant la présence sur le terrain durant les périodes de tir – et sur une surface qui représente les deux tiers de la Martinique.
Vient ensuite la mission Harpie, qui constitue le volet répressif de la lutte contre l’orpaillage illégal, laquelle comprend également des volets diplomatique, social et économique. Dans ce cadre, je fournis des personnels et des moyens au préfet et au procureur de la République, afin d’appuyer les forces de sécurité intérieure dans la lutte contre l’orpaillage en forêt.
J’ai donc 400 militaires qui dorment en forêt chaque nuit. Parmi les 700 militaires présents sur quatre mois, certains passent, sur 120 jours de mission, 110 jours en forêt amazonienne. Autant vous dire que ce n’est pas un sport de masse : il faut une préparation mentale et physique exceptionnelle, ainsi que des règles de comportement et d’exercice de la force, en appui aux gendarmes, extrêmement exigeantes, avec énormément de rigueur et de savoir-faire. Nous faisons face à des orpailleurs illégaux, des réseaux de trafic et des organisations transnationales qui nous mettent au défi. Il y a là des enjeux environnementaux et sociaux.
Nous intervenons également dans la lutte contre la pêche illicite, en menant des opérations très techniques contre des bateaux venus du Brésil, du Suriname ou du Venezuela pour piller nos eaux. Les filets mis en place ont parfois une taille dix fois supérieure aux normes européennes. Nous les saisissons et nous capturons les bateaux qui tentent de se soustraire à nos contrôles et se montrent parfois très violents. Nous avons alors des commandos à la mer, prêts à agir, dans le cadre d’une police administrative, pour faire cesser les actions de pillage de nos ressources halieutiques.
Si je dois intervenir à l’occasion d’un phénomène naturel majeur, cela implique de retirer des forces des missions permanentes. Lors de l’ouragan Irma, il a ainsi été décidé au niveau interministériel d’arrêter la lutte contre l’orpaillage illégal et de réduire la protection des zones de pêche. Néanmoins, cette bascule des forces ne permet pas de retirer, au coup de sifflet, les 400 militaires déployés sur un territoire qui fait la taille du Portugal ou de l’Autriche – 84 000 mètres carrés ; il faut parfois trois jours de pirogue pour déployer le personnel. Ces bascules de force doivent donc être intégrées dans le dispositif, dans la mesure où elles contraignent ma capacité à mettre à disposition autant de personnels que je voudrais.
La Guyane est le seul outre-mer, à l’exception de la terre Adélie, qui possède des frontières terrestres. Les questions de coopération avec le Brésil et le Suriname constituent des enjeux très importants pour nous.
Le retour d’expérience (Retex) que je retire d’Irma s’articule en trois volets : anticipation, réactivité, efficacité.
La mission des forces armées des outre-mer est d’absorber e premier choc, de mener les premières études d’impact, de dresser un état de la situation et de l’environnement, et d’aider à concevoir un plan d’ensemble grâce aux moyens dont les militaires disposent – hélicoptères, approches satellitaires, drones, personnes sur le terrain à même d’agir dans des milieux peut-être devenus hostiles car tout a été détruit. Tout cela doit être fait avec réactivité, dès le départ, pour nous permettre de préciser les besoins à venir. Il nous arrive aussi régulièrement de prépositionner un ensemble de moyens.
La réactivité constitue le cœur des missions des militaires. Il y a toujours des personnes en alerte, capables de se déployer en fonction des besoins. De là résulte la belle efficacité de nos opérations, qu’il s’agisse de rétablir la situation dans un territoire ou une zone, d’aider à la reconstruction et à la reprise du fonctionnement normal du pays, ou d’appuyer les forces de sécurité dans la lutte contre le pillage et les incivilités.
J’ai également des exemples récents de phénomènes liés à la nature, même si la nature a été en l’occurrence un peu provoquée. Une mine illégale s’est ainsi effondrée au Suriname. En quelques heures, le préfet et moi avons pu, grâce à un avion militaire, réunir les forces de la sécurité civile et les déployer sur le site – il y avait des vies humaines en jeu. Nous avons pu dresser un bilan, voir s’il était possible de déblayer, et le faire rapidement du côté du Suriname, particulièrement exposé aux glissements de terrain, en lien avec l’activité minière. Nous devons être capables d’agir ainsi et nous le faisons très régulièrement.
En matière de risque naturel, la situation de la Guyane fait exception au sein de l’arc caribéen. Si l’on a établi le centre spatial à Kourou, c’est parce que la Guyane échappe à la plupart des risques naturels, cycloniques ou sismiques. Les seuls risques auxquels nous sommes confrontés sont les feux de forêt, qui demeurent relativement maîtrisés – nous en avons très peu par an –, et les inondations à venir, quoique la Guyane soit moins concernée que les pays alentour. On estime que dans vingt, trente ou quarante ans, le Guyana, en particulier, et le Suriname pourraient connaître des phénomènes d’inondation très importants et réguliers – Georgetown, la capitale du Guyana, est notamment installée au-dessous du niveau de la mer.
La géographie commande. La question, en Guyane, c’est la tyrannie des distances : nous devons mobiliser très rapidement nos moyens pour nous déployer, en cas d’éboulements ou de problèmes de terrain au fin fond de la Guyane, car le territoire est recouvert à 98 % par la forêt amazonienne. Nous sommes également en mesure d’agréger des moyens à destination des Antilles, grâce à notre système d’alerte.
Comment mieux intervenir ? Je considère qu’il y a deux niveaux : celui de la crise et de la préparation à court terme qu’elle implique, d’une part, et celui de l’anticipation, d’autre part.
La préparation de la crise à court terme relève de la logique interministérielle : c’est le préfet qui commande, avec l’appui d’une cellule de crise interministérielle si les événements sont d’une ampleur majeure. Nous nous entraînons à des exercices spécifiques et nous vérifions que nous sommes en mesure de faire face aux risques naturels les plus probables.
Vous connaissez sans doute la règle des quatre i, selon laquelle les forces armées sont employées lorsque les moyens civils sont soit insuffisants, soit inexistants, soit inadaptés, soit indisponibles. Nous nous enquérons des effets à obtenir et nous mettons en place le dispositif le plus adéquat pour y parvenir, avec des moyens et des capacités qui, n’étant pas destinés à un tel emploi, nécessitent des savoir-faire particuliers.
L’anticipation des crises recouvre tout d’abord des questions d’arbitrage budgétaire entre le ministère de la défense et celui du ministère de l’intérieur, dont relève la sécurité civile. C’est la représentation nationale qui en décide lors des lois de finances ; les forces armées n’ont pas de prise là-dessus.
En revanche, il nous appartient de développer les moyens duaux dont nous disposons. Notre principal sujet demeure néanmoins la réponse à la crise, quand elle se présente. En termes capacitaires, nos moyens sont naturellement conçus pour des missions hautes du spectre ; ils ne sont donc pas toujours les plus adaptés pour gérer les crises liées aux risques naturels.
Comme l’a montré le Retex d’Ukraine, les forces armées peuvent également agir avant la crise en aidant à construire la résilience. Nous avons là un rôle permanent : contribuer à forger la force morale de nos concitoyens, leur aptitude à faire corps ensemble et à s’insérer dans des dispositifs structurés et hiérarchisés, à même de permettre à la population d’agir collectivement pour s’entraider. Cela passe notamment par le développement de liens avec la jeunesse, grâce à plusieurs initiatives telles que les classes de défense ou la réserve. Il est très important d’avoir en tête que le premier enjeu, face aux risques naturels, est notre capacité à travailler ensemble, qui se construit au quotidien.
Plus généralement, nous aidons à développer l’organisation de crise de l’État – au-delà des structures préexistantes liées à la division en communes, départements et régions – ; nous mettons en œuvre la logique d’îlotage ; et nous développons des capacités reposant sur les énergies renouvelables, en installant très loin des structures à même de produire de l’eau potable, ou de l’énergie électrique, lorsque tout le réseau électrique tombe. Cela contribue à la résilience de nos dispositifs et nous aide à nous déployer pour soutenir la reconstruction.
De même, des initiatives – je pense notamment à Guyane connectée – visent à étendre les connexions jusqu’aux communes les plus éloignées grâce à des liaisons satellites. Cela nous permet de maintenir le lien en cas de coup dur, et ainsi de connaître la situation et pouvoir aider.
En conclusion, je tiens à souligner la nécessité d’établir un dialogue avec les structures interministérielles sur les effets que nous devons obtenir et les délais de réponse. Les forces armées ont, en outre-mer, un rôle central de surveillance, et donc de connaissance, d’anticipation et d’analyse de la zone.
Le lien avec les forces armées avoisinantes est également très important, puisqu’il nous permet de bénéficier des moyens spécifiques qu’elles possèdent. En tant que forces d’outre-mer, nous sommes à la pointe de l’éventail : grâce à nos capacités aéroportuaires, nous sommes en mesure de réunir des moyens avant la crise afin de les redistribuer, et de maîtriser une chaîne logistique – ce qui constitue l’enjeu majeur de telles crises.
Notre dispositif outre-mer est donc essentiel dans la lutte contre les risques naturels. La jeunesse, l’entraînement avec la réserve et le développement des forces morales le sont tout autant.
Le ministère des armées a mis en place en 2022, une stratégie climat et défense. Au sein de celle-ci, les forces armées travaillent à accroître leur résilience pour être en mesure d’agir quand tout s’est effondré, mais aussi à développer l’accompagnement qu’elles apportent face aux risques naturels majeurs.
M. le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles, commandant de la zone maritime Antilles et commandant de la base de défense des Antilles. La zone Caraïbe, et les Antilles en particulier, concentrent les principaux risques de catastrophes naturelles majeures – cyclones, séismes, éruptions volcaniques, tsunamis – dans un environnement archipélagique étendu et morcelé qui freine la mobilité à l’intérieur du théâtre.
La zone se caractérise par l'imbrication et la dispersion des espaces nationaux. Elle comprend une multitude d’États insulaires, totalement tributaires de leurs infrastructures portuaires et aéroportuaires ; ils disposent de modèles économiques limités, de capacités d’intervention réduites, de capacités de résilience très faibles, et sont, de surcroît, presque tous confrontés à une très forte insécurité.
Dans ce contexte, les forces armées aux Antilles sont une force de souveraineté interarmées à dominante maritime, stationnée en Martinique et en Guadeloupe. Elles exercent leurs activités dans l’ensemble de la zone de responsabilité permanente (ZRP) Amérique latine‑Caraïbes, en lien étroit avec les forces armées en Guyane, et offrent un point d’appui permettant d’intervenir dans cette zone qui ne présente pas aujourd’hui de menace militaire.
Mes missions comportent : la protection du territoire national et des populations ; le maintien de notre souveraineté ; la préservation de nos ressources dans les zones sous juridiction française ; la lutte contre le trafic illicite en mer – en particulier contre les narcotrafics ; le développement des partenariats militaires avec les États de la région en vue de contribuer à la stabilité de la zone, d’y asseoir notre présence et d’assurer le rayonnement de notre pays.
Enfin, en réponse à une catastrophe naturelle, je dois être en mesure de conduire une opération de secours d’urgence sur le territoire national, ou d’y participer, de l’appuyer, en soutien à l’État. Je dois pouvoir agir en autonomie, dans l’attente de l’acheminement des renforts nécessaires depuis la métropole. Je dois également être capable de conduire et appuyer une opération militaire limitée dans la zone, si un État voisin est confronté à une catastrophe naturelle ou s’il est nécessaire de venir en aide à la population et à nos ressortissants. La situation chaotique à Haïti, par exemple, nécessite un suivi particulier ; nous préparons une éventuelle évacuation de nos ressortissants.
Pour remplir ces missions, je dispose d’unités opérationnelles, d’organismes de soutien et de support, et d’un état-major interarmées. Les unités opérationnelles comptent cinq navires, quatre frégates de surveillance, deux patrouilleurs, un bâtiment de soutien – un couteau suisse, qui a de grandes capacités logistiques – et le trente-troisième régiment d’infanterie de marine, structuré autour de quatre compagnies, dont une de réserve.
S’agissant des organismes de soutien, les forces armées aux Antilles, comme les autres forces armées outre-mer, sont un modèle réduit du ministère des armées : elles comprennent toutes les composantes du ministère – service de communication, direction du commissariat, logistique, service des essences, service des munitions –, et disposent d’une unicité de commandement qui offre des leviers intéressants et une grande autonomie. Avec 1 350 personnes, dont 250 civils, c’est une petite force, calibrée aux justes besoins.
Il y a également, en Martinique et en Guadeloupe, deux régiments du service militaire adapté (RSMA), qui se trouvent dans le giron du ministère des outre-mer, mais peuvent être placés sous mon commandement en cas de besoin.
Les forces armées peuvent être mobilisées par l’État, en l’occurrence par le préfet de la Martinique – il y a plusieurs préfets dans la zone : un en Martinique, un en Guadeloupe et un à Saint-Martin. Cette mobilisation s’opère notamment par des réquisitions ou des demandes de concours. Pour la préparer et l’organiser, nous avons élaboré un plan Catnat – catastrophes naturelles –, qui prévoit différentes situations et différents modes d’action, en s’appuyant sur des Retex.
Pour que vous compreniez mieux en quoi consiste notre contribution lorsqu’une catastrophe survient, imaginons situation classique : l’arrivée d’un cyclone. Il y a d’abord une phase de détection, de suivi météorologique autonome ; quand un cyclone se forme au-dessus de l’Atlantique, à partir d’une perturbation qui vient d’Afrique, nous disposons d’un préavis de l’ordre de cinq à six jours. Très rapidement, nous sommes capables, à l’aide de modèles météorologiques, en lien avec Météo‑France, de juger de la trajectoire, de l’évolution et de l’intensité du phénomène cyclonique.
Après cette phase d’appréciation, s’il se confirme que le cyclone va toucher l’une de nos îles, nous prenons nos dispositions pour mobiliser nos moyens d’intervention, adapter notre organisation, mettre en alerte des renforts humains et matériels, déjà identifiés, en métropole ou en Guyane, et éventuellement en faire acheminer une partie avant le passage du cyclone, selon l’évaluation de la gravité du phénomène.
Nous mettons en sécurité tous nos moyens, notamment ceux de la base navale – nos pontons, nos petites embarcations. Il y a également une phase de mise en sécurité des familles des militaires, l’îlotage, que le général Le Bouil a évoqué. Cette organisation ad hoc consiste à prendre en charge et mettre en sécurité les familles des militaires pour permettre à ceux-ci de ne plus s’en préoccuper sur le terrain.
Dans les douze heures qui précèdent le passage du cyclone, nous déploierons des équipes de reconnaissance sur des sites déjà identifiés, répartis sur l’ensemble du territoire de la Martinique. Sur place, ces équipes se confineront pour absorber le passage du cyclone, comme toute la population. Une fois le pic du cyclone passé, elles reprendront contact avec nous et évolueront autour de leur position pour évaluer les dégâts. La préfecture et nous-mêmes bénéficierons ainsi, très rapidement, d’une vision exhaustive de la situation sur le terrain, même si les systèmes de communication habituels, notamment téléphoniques, deviennent inopérants. On évaluera l’état des axes de circulation, les dégâts, et l’on identifiera les éventuelles situations critiques.
Très rapidement, en fonction des résultats de cette évaluation et des instructions de la préfecture, nous serons capables de déployer des équipes d’intervention disposant de moyens plus lourds – déblaiement, aide majeure – pour dégager les axes et porter secours à la population.
Une fois l’urgence passée, selon la gravité de la situation, les armées continueront de contribuer à la gestion de la crise : elles identifieront les zones peu accessibles à la circulation ; elles rétabliront les points d’entrée terrestres et maritimes qui ont été détériorés ; elles participeront à la mise en place d’un flux logistique permettant d’acheminer du personnel, des moyens et du fret sur la zone de secours ; elles mettront à disposition du personnel doté de qualifications spécifiques pour renforcer les moyens d’intervention ; elles déploieront des moyens pour sécuriser ou circonscrire une zone, face aux éventuels problèmes de pillages, et pour apporter un appui logistique et de transport.
Voilà une opération type. Nous nous entraînons à ce genre de situations, en lien étroit avec les autorités civiles, comme avec nos partenaires et alliés dans la région. Nous mènerons par exemple au cours des prochains mois un exercice majeur, qui impliquera 2 500 personnes et plusieurs pays, sur le passage d’un cyclone sur tout l’arc caribéen. Nous nous entraînons aussi avec toutes les ONG, en particulier la Croix-Rouge, ainsi qu’avec les organisations régionales.
Afin d’être réactifs et efficaces dans le soutien à nos populations, les facteurs de succès résident notamment dans la coordination avec les autorités civiles, voire dans une imbrication civilo‑militaire. Celle-ci repose sur l’établissement de liens de confiance forts avec tous les services de l’État et sur une connaissance mutuelle fine. Outre-mer, nous avons la chance de travailler dans une très grande proximité avec les autorités civiles, que nous voyons quotidiennement pour traiter tous les sujets qui nous occupent.
Cela suppose également une très grande fluidité logistique, qui elle-même exige une grande préparation. Il faut parfaitement maîtriser les capacités dont l’État dispose en propre et connaître parfaitement nos points d’appui, depuis les points d’entrée tels que les aéroports et les ports jusqu’aux terrains de dégagement. Il faut identifier avec nos partenaires de la région les moyens de transport et de mobilité qu’ils pourraient nous apporter.
Cela repose aussi sur une parfaite connaissance du paysage local et régional, notamment des organisations régionales et des ONG œuvrant dans le domaine humanitaire. Nous avons avec la Croix-Rouge un partenariat fort.
Notre efficacité repose enfin sur des entraînements et sur des sensibilisations régulières. Compte tenu de l’environnement des Antilles françaises que j’ai décrit, la mission de réponse aux catastrophes naturelles est au cœur de notre présence, de nos missions d’appui et de soutien à notre population et aux populations qui nous environnent.
M. le général de brigade Jean-Marc Giraud, commandant supérieur des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (Fazsoi) et commandant de la base de défense de La Réunion‑Mayotte. Beaucoup de choses ayant été dites, j’insisterai sur les singularités des Fazsoi et de leur environnement régional, avant de vous livrer quelques réflexions sur le recours aux forces armées dans la gestion des risques naturels.
Les Fazsoi, contrairement aux FAA et aux FAG, sont la seule puissance militaire permanente de leur région. Nous sommes avant tout une force de souveraineté, chargée de protéger nos concitoyens, nos intérêts et nos territoires de La Réunion, de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf), ainsi que les zones maritimes associées.
J’ai pour interlocuteurs le préfet de Mayotte, le sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine et le préfet honoraire chargé de la gestion de la crise de l’eau, ainsi que le préfet de zone à La Réunion et la préfète administratrice supérieure des Taaf. Ces territoires comptent 1,2 million d’habitants et sont au centre d’une zone économique exclusive (ZEE) de 2,8 millions de kilomètres carrés.
Par bien des aspects, les Fazsoi sont une force de présence qui rayonne et contribue à la stabilité régionale ainsi qu’à la prévention des crises, dans la mesure où nous sommes confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes risques. Nous avons pour partenaires peu ou prou les pays de la SADC – Communauté de développement d’Afrique australe –, à l'exception de la république démocratique du Congo et de l'Angola. Ces pays représentent une superficie cumulée de 24 millions de kilomètres carrés et 45 000 de nos ressortissants y vivent.
Les Fazsoi sont une force interarmées placée sous le commandement du chef d’état-major des armées (Cema). Sa direction et ses services rassemblent environ 2 000 militaires et civils de la défense, dont des membres de la réserve opérationnelle. J’en suis le commandant supérieur. Je suis aussi commandant de la base de défense de La Réunion‑Mayotte.
Par ailleurs, je suis officier général de zone de défense et de sécurité, conformément à l’instruction ministérielle 101. Cela signifie que je suis l’autorité interarmées de coordination et que, en cas de crise, j’exerce le contrôle opérationnel des deux régiments du service militaire adapté (SMA) de La Réunion et de Mayotte, respectivement basés à Terre‑Sainte et à Combani.
En bref, les Fazsoi, comme les autres forces armées, sont un condensé d’armée sans être une administration déconcentrée. Les décisions que je prends, notamment celles relatives aux demandes de concours de l’autorité civile, sont approuvées par le Cema à Paris.
Nos missions sont structurées et les priorités établies selon notre contrat opérationnel : défense militaire ; partenariats opérationnels ; opérations d’évacuation de nos ressortissants dans la zone de responsabilité permanente ; appui aux autorités civiles. Cette dernière mission se déploie dans le domaine de la sécurité publique – par exemple la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte dans le cadre du plan interministériel Shikandra – et dans celui de la sécurité civile – par exemple la gestion des conséquences du cyclone Belal à La Réunion ou de la crise hydrique à Mayotte, dans le cadre de l’opération Maji. Nous pouvons également offrir un appui aux autorités civiles étrangères, à leur demande, comme nous l’avons fait à Madagascar après le passage du cyclone Batsirai en 2022.
Nos forces armées outre-mer ont pour principe d’être en mesure d’encaisser le premier choc en attendant l’envoi de renforts de l’Hexagone, tels que les unités des formations militaires de la sécurité civile (Formisc) envoyées après le passage du cyclone Belal, ou de renforts régionaux issus des forces françaises stationnées à Djibouti ou de celles stationnées aux Émirats arabes unis. Par ailleurs, nous nous inscrivons dans le cadre d’une solidarité entre La Réunion et Mayotte. Nos outre-mer fonctionnent comme un système de points d’appui à l’échelle du monde, permettant la projection d’unités à haute valeur ou à haute quantité depuis l’Hexagone.
J’en viens à notre singularité régionale, qui permet d’établir des priorités au sein des missions des Fazsoi. Nous sommes à la charnière entre l’Indo‑Pacifique et l’Afrique, avec une fenêtre sur l’Antarctique.
La zone Sud de l’Océan indien n’est plus à la périphérie des enjeux du monde, pour au moins quatre raisons : nos territoires font l’objet d’une contestation politique – les îles Éparses par Madagascar, Mayotte par les Comores, Tromelin par Maurice – instrumentalisée par nos compétiteurs, notamment les Russes ; une compétition militaire est à l’œuvre dans cette zone, au sein de laquelle la Chine, avec l’Inde et la Russie à sa suite, déploie une stratégie de points d’appui ; d’importants flux stratégiques transitent par la région – 11 000 navires circulent chaque année entre le cap de Bonne Espérance et le détroit de Malacca, 30 % de la production mondiale de pétrole transite par le canal du Mozambique – et ont augmenté de 40 % depuis le 15 décembre dernier en raison des tensions en mer Rouge ; les menaces – terrorisme et activités illicites – et les risques – cyclones, séismes, pandémies, stress hydrique – s’additionnent.
Dans cet environnement, les Fazsoi protègent les Français contre les dangers du monde et contre les dangers du quotidien, notamment les risques naturels, à la croisée de quatre enjeux : la souveraineté, la stabilité régionale, la prospérité et l’influence.
Le recours aux forces armées dans la gestion des risques naturels procède le plus souvent d’une demande de concours émise par l’autorité civile. Il est régi par la règle des quatre i et peut inclure, outre des moyens logistiques, une aide médicale. Le recours aux forces armées n’est pas systématique mais il est fréquent.
Il est essentiel que la demande de concours respecte le principe de l’effet à obtenir tel qu’exprimé par l’autorité civile. Il est regrettable que nous recevions des demandes de moyens ou d’effectifs, parfois assorties d’une définition des modes d’action, laquelle est une prérogative de l’autorité militaire.
Je souligne à mon tour la qualité de « l’équipe France » outre-mer. Je la constate sur le territoire national, dans mon travail quotidien avec les préfets, comme dans notre environnement proche avec les ambassadeurs et attachés de défense. Notre dialogue civilo‑militaire est permanent. Fondé sur la confiance, il facilite, le moment venu, les décisions de niveau stratégique des armées.
À la lumière de la gestion de la crise de l’eau à Mayotte et des conséquences du cyclone Belal à La Réunion, les conditions de notre réussite sont les suivants : l’entraînement, au sein de la force et dans la chaîne civilo‑militaire de gestion des crises par le biais du centre opérationnel départemental ; l’autonomie initiale sur l’essentiel – les vivres, l’eau, l’énergie –, d’autant plus efficace qu’elle est assurée localement, grâce au maillage du territoire ; le suivi météorologique, qui bénéficie des progrès de Météo-France, dont les prévisions d’une rare précision permettent d’enchaîner les postures et les stades d’alerte avec acuité, ce qui est rassurant pour nos concitoyens et nos familles ; la diffusion de l’information, qui repose sur la redondance des communications, ce qui permet d’informer les citoyens, les familles et la force déployée localement, et de recueillir les retours d’information et d’évaluation.
Nous contribuons ensuite au retour à la vie normale. Pour améliorer la résilience, nous accueillons les renforts. Nos missions vont du soutien logistique et sanitaire à l’évaluation et à la reconnaissance des dégâts en passant par l’appui à la mobilité, notamment sur les axes de circulation. Nous venons d’achever, avec le préfet de La Réunion, le retour d’expérience du cyclone Belal. C’est ce qui nous permet de progresser.
S’agissant des moyens, qu’il s’agisse du cyclone Belal ou de la crise hydrique à Mayotte, la gestion dynamique des renforts et des capacités a très bien fonctionné. Nous sommes capables d’encaisser les premiers chocs en attendant les renforts. Ces mécanismes sont travaillés et planifiés, donc fluides et rapides. À mes yeux, il n’est ni raisonnable ni souhaitable d’entretenir outre-mer des capacités permanentes destinées à n’être utilisées qu’une ou deux fois par an.
S’agissant de l’évolution de la fréquence et de l’intensité des risques naturels, par exemple sous l’effet du réchauffement climatique, la question est posée mais nous n’identifions pas ici de tendance à ce jour. Ce qui change la donne, c’est la simultanéité des risques et des menaces, qui se cumulent dans un environnement géopolitique en pleine mutation.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci de ces premières réponses. J’apprécie tout particulièrement l’indication selon laquelle les demandes de concours doivent respecter le principe d’effet à obtenir et ne pas être des demandes de moyens. Je vois bien à quoi vous faites référence ! Il importe de satisfaire l’exigence de sauver des populations et d’assurer la résilience du territoire, non de s’attacher à une représentation prouvant que l’on a fait ce qu’il fallait, si tant est que l’on puisse toujours définir ce qu’il fallait faire.
Comment intégrez-vous les évolutions à venir ? Il ne faut certes pas se contenter de vous demander des moyens, mais il faut quand même que vous les ayez. Comment le changement climatique et les modifications de notre environnement pèseront-ils sur les risques naturels ? Sans préjudice de la diversité de vos situations respectives, je prendrai l’exemple de la découverte d’un volcan sous-marin au large de Mayotte. Comment l’armée, qui répond au premier choc et demeure la seule force organisée lorsque tout est désorganisé, intègre-t-elle une évolution de cet ordre dans ses plans ?
Comment anticipez-vous la survenue d’un aléa climatique ? D’après les experts de Météo‑France que nous avons auditionnés, leur fréquence n’a pas changé de façon significative. En revanche, leur intensité a augmenté, et avec elle le cumul des désordres qu’ils provoquent. Par exemple, un aléa cyclonique peut provoquer une pollution, et un glissement de terrain la disparition de mangroves, qui à son tour augmente le risque de submersion.
Projeter des renforts est, dites-vous, préférable à l’entretien de forces permanentes. Comment assurez-vous votre propre résilience ? Les troupes prépositionnées ou sur place, avec leurs équipements, ont entre les mains la réponse du territoire. Il importe qu’elles soient en état de l’assurer.
Outre-mer, notamment en Guyane et à Mayotte, une part de la population relève d’une zone grise faute d’existence légale. On en connaît l’existence plus que la réalité. Comment intégrez-vous cet état de fait dans vos plans d’action ? Intervenir ou même savoir où intervenir n’est pas toujours simple dans des zones d’habitat illégal ou de campements provisoires.
Comment intégrez-vous les régiments du service militaire adapté dans la gestion des aléas climatiques ? Chacun connaît leur rôle en matière d’intégration, à tel point qu’ils attirent même des jeunes sans difficulté particulière, qui en voient la mention sur leur curriculum vitae comme un gage d’accès à l’emploi, ce qui prouve que ce dispositif fonctionne très bien.
S’agissant de la question sécuritaire, chaque territoire d’outre-mer représenté dans cette table ronde s’inscrit dans un environnement régional complexe, qu’illustre le voisinage du Suriname pour la Guyane, celui de Haïti pour les Antilles et celui du canal du Mozambique pour La Réunion et Mayotte. Ces désordres peuvent avoir d’importantes conséquences sécuritaires si un aléa se produit. Comment envisagez-vous ces questions ?
M. le général Marc Le Bouil. Si la Guyane présente une proportion élevée de population étrangère et d’habitat informel, elle subit peu de catastrophes naturelles par comparaison avec les Antilles et La Réunion. Nous intervenons pour des événements ponctuels, tels que des glissements ou des affaissements de terrain. Nous commençons par aider les gens sans leur demander leur carte d’identité, puis nous assurons une bonne coordination avec les services des mairies et de la préfecture pour aider les personnes dans la durée, et notamment leur permettre de retrouver un habitat.
Le RSMA a des savoir-faire particuliers. Nous formons les recrues à la conduite d’engins spécifiques. Le contrat opérationnel liant le commandement supérieur et le RSMA prévoit un engagement en cas de catastrophe naturelle. Même si le RSMA dépend du ministère des outre-mer, toute saisine du RSMA au titre d’une demande de concours est soumise à l’autorité militaire.
Les aléas climatiques étant modérés en Guyane, le RSMA peut être déployé à l’extérieur de nos frontières. Tel a été le cas lors du passage du cyclone Irma. Dans ce cas, la préparation personnelle, opérationnelle et administrative des membres du RSMA n’est pas simple. Certains n’ont pas de passeport, ce qui est indispensable pour se rendre à Haïti par exemple ; tous ne satisfont pas entièrement aux normes médicales d’aptitude Sigycop au niveau nécessaire pour être déployé pendant plusieurs semaines dans un environnement hostile ou non confortable. Si les cadres du RSMA sont naturellement corvéables à merci, tel n’est pas le cas des jeunes qui y sont recrutés. Par ailleurs, les déployer en mission pour trois semaines a un impact direct sur leur formation professionnelle et donc sur la réussite de leur insertion à l’issue. Il faut bien avoir en tête qu’une telle action n’est pas neutre du tout pour eux.
S’agissant des moyens dont nous disposons pour affronter le changement climatique, nous bénéficions du développement de satellites et de drones de surveillance. Dans le cadre de la stratégie climat et défense, les armées innovent pour améliorer leur autonomie en cas d’aléa climatique et continuer à porter secours.
M. le contre-amiral Nicolas Lambropoulos. Le changement climatique fait l’objet de réflexions, centrées sur la façon de nous y adapter. Les Antilles sont concernées par la submersion consécutive à un tsunami et par le risque sismique.
Concrètement, nous réfléchissons à l’adaptation des infrastructures que nous devons rénover ou construire dans les cinq, dix ou quinze prochaines années. S’agissant des infrastructures portuaires, nous prévoyons de relever les quais et de remplacer les quais flottants par des quais en dur. Tous les bâtiments que nous construisons sont aux normes parasismiques. Tout cela a un coût qui n’est pas négligeable.
S’agissant de l’engagement du RSMA, je l’ai expérimenté lorsqu’un ouragan a frappé la Guadeloupe et Saint-Martin en octobre dernier, touchant particulièrement l’île de La Désirade. Le RSMA offre des bras et des cadres – environ 150 par régiment. Ses recrues sont formées à la conduite d’engins de chantier. Leurs capacités présentent un réel intérêt.
Aux Antilles, ils sont structurés et organisés pour répondre aux crises sous contrôle opérationnel. Ils ont un petit centre de commandement et se forment aux missions de reconnaissance et d’évaluation. Ils représentent un solide point d’appui, notamment en Guadeloupe où les effectifs des FAA sont de l’ordre de la centaine. Le RSMA, qui compte 170 cadres, est un élément important en cas de catastrophe naturelle dans cette zone.
S’agissant de la question sécuritaire, peu de temps après le passage du cyclone Irma, des pillages ont eu lieu à Saint-Martin, où de nombreuses armes circulent et où sévissent des gangs et de véritables organisations criminelles. Nous nous sommes préoccupés d’emblée de la protection des militaires envoyés en intervention et de l’aide à la sécurisation en appui des forces de sécurité intérieure. C’est un aspect dont nous nous préoccupons systématiquement en cas de catastrophe naturelle. Nous y sommes préparés. Notre présence a un effet dissuasif.
M. le général Jean-Marc Giraud. Nous travaillons à l’amélioration des infrastructures, notamment aux îles Éparses, particulièrement exposées au réchauffement climatique et hébergeant de surcroît une réserve naturelle nationale.
Dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, la France de l’Océan indien a vocation à constituer un point d’appui de niveau stratégique en matière portuaire, aéroportuaire, de stationnement et de connectivité. Les évolutions permises par la LPM 2024‑2030 m’aideront à accueillir des capacités rares dans ces quatre domaines, envoyées en renforts selon la logique que j’ai indiquée préalablement.
En 2028, je bénéficierai d’un détachement de l’aviation légère de l’armée de terre composé de deux hélicoptères ; il sera probablement stationné la majorité du temps à La Réunion mais sera capable, le moment venu, de se projeter à Mayotte. Ce sont des aéronefs de mobilité tactique, qui permettent l’évaluation et la reconnaissance après un sinistre, l’accès à des zones isolées et l’évacuation sanitaire le cas échéant.
S’agissant de la manière d’organiser la résilience, lorsque nous entrons dans la phase d’alerte, dans les cinq jours qui précèdent l’arrivée du cyclone à proximité des terres habitées, nous sommes dans l’obligation de faire prendre la mer à nos bâtiments pour aller vers des horizons couverts. Pour Belal, les cinq bâtiments des Fazsoi sont allés s’abriter le long des côtes malgaches. Nous agissons de même pour les aéronefs : les deux avions de transport tactique, les Casa, sont partis sur l’aéroport de Dzaoudzi à Mayotte, laissant le temps au cyclone de passer. Cette première précaution est déclinée également pour les forces terrestres.
Distribuer la force nous permet en outre d’assurer la redondance. Nos détachements sont constitués avec une autonomie initiale sur tous les sites, par exemple concernant la capacité de tronçonnage. Cette redondance existe également sur les postes de commandement. En fonction de la trajectoire du cyclone, j’ai prépositionné un poste de commandement au nord de l’île de La Réunion avec une réplique au sud ; j’étais capable de reprendre également le commandement à partir de Mayotte. C’est ce que j’appelle du multisite ou du maillage. C’est ainsi que nous préservons un tant soit peu nos moyens, en attendant les renforts de l’Hexagone si cela s’avérait nécessaire.
Vous posez la question des populations en situation irrégulière. Quand nous intervenons sur le territoire national lors de situations de crise, nous avons deux lignes rouges : d’une part, nous ne faisons pas de maintien de l’ordre et, d’autre part, je n’ai pas la légitimité pour désigner les ayants droit, par exemple dans la distribution de l’eau potable. Cela relève non pas des forces armées mais de la préfecture et des forces de sécurité intérieure dans le premier cas, et des centres communaux d’action sociale dans le deuxième. C’est à eux de prendre leurs responsabilités ; pour ma part, j’apporte un appui logistique. Le principe d’humanité nous amènerait évidemment à sauver des vies en mer ou à porter assistance à une personne en danger, par exemple dans le cadre tragique du trafic humain qui s’opère au large de Mayotte.
S’agissant du RSMA, les deux régiments de Mayotte et de La Réunion passent sous mon contrôle opérationnel en cas de crise car je suis tout à la fois l’autorité interarmées de coordination et l’officier général de la zone de défense et de sécurité Sud. C’est intéressant car ils disposent de moyens spécialisés dans le déblaiement, le génie lourd, le génie travaux, ainsi que de savoir-faire professionnels en électricité, en tuyauterie, en canalisation, qui peuvent participer au retour à la normale.
Outre sa force de frappe, car ce sont des régiments importants, le deuxième grand intérêt du SMA réside dans la connaissance intime qu’ont nos volontaires des territoires et de leurs habitants. Ils sont nos meilleurs médiateurs pour évaluer les conséquences des crises, notamment lorsqu’elles sont de nature pandémique. Ainsi, lors de l’épidémie de chikungunya, ce sont eux qui allaient au contact des habitants dans les territoires les plus reculés. Dans ces missions de sensibilisation, d’évaluation mais également d’action, ils sont nos meilleurs ambassadeurs.
Enfin, la lutte contre les désordres, la déstabilisation des compétiteurs ou les menaces de type militaire ou paramilitaire est la spécificité et la priorité des armées. Dans le dialogue civilo‑militaire que je mène à Mayotte ou à La Réunion, la force de la défense militaire consiste à assurer la sécurisation au large plutôt que sur le territoire national. Nous luttons contre les trafics susceptibles de déstabiliser en profondeur nos territoires, comme le trafic humain ou encore le narcotrafic. Ce dernier n’est pas aussi important que dans les Antilles mais nous avons tout de même saisi 7 tonnes de drogues dures – héroïne, cocaïne, méthamphétamine – en 2023 dans la zone de responsabilité des Fazsoi. Je pense aussi à la défense contre des menaces au large, par exemple l’islam radical au Cabo Delgado, et à notre contribution à la mission européenne de formation de la QRF (Quick Reaction Force), la force de réaction rapide au Mozambique. Si l’on n’y prend pas garde, la collusion entre le financement de la drogue et la détresse humaine de l’immigration en provenance d’Afrique continentale, qui ne passe pas très loin des centres de l’État islamique au Mozambique, pourrait entraîner une déflagration qui déstabiliserait profondément nos sociétés. Nos missions de sécurisation au large ne pourraient être accomplies par nul autre service de l’État en primo-intervenant.
Notre contribution à la gestion des risques naturels sur le territoire national se fait sur demande de concours mais elle peut nous amener à renoncer ponctuellement à certaines de nos missions – pour le RSMA, il s’agit d’un renoncement à l’engagement de volontaires stagiaires. C’est le dialogue civilo‑militaire qui permet d’établir des priorités et d’éclairer les décisions de niveau stratégique pour l’emploi des armées.
M. le président Mansour Kamardine. Monsieur le général Le Bouil, comment s’organisent les opérations lorsqu’une menace est identifiée ? À quel moment le préfet vous laisse-t-il la main et quand êtes-vous prêt à intervenir pour apporter du secours ?
Par ailleurs, monsieur le contre-amiral, pourriez-vous dresser un bilan rapide d’Irma ? Existe-t-il des points de faiblesse qu’il conviendrait d’améliorer si d’aventure la situation devait se reproduire ?
Je pose la même question au général Giraud concernant le cyclone Belal.
M. le général Marc Le Bouil. Les forces armées interviennent nécessairement à l’issue d’une demande de concours ou de réquisition de l’autorité civile sur le territoire national. C’est l’instruction interministérielle n° 10 100, relative à l’engagement des armées sur le territoire national lorsqu’elles interviennent sur réquisition de l’autorité civile, qui s’applique. Je n’agis que sur demande et dans le cadre défini par le préfet pour répondre à la crise.
Concrètement, le préfet me fixe des effets et, pour les atteindre, j’ai une autonomie concernant le personnel. La chaîne de commandement militaire reste entièrement dédiée, jusqu’au dernier soldat, et dépend de moi sur le terrain. Il y a une coordination à chaque échelon avec les forces de sécurité intérieure, les gendarmes, la sécurité civile et les ONG. Cette chaîne militaire est communiquée dès que possible, de préférence avant la crise. Lorsqu’il s’agit de prépositionner des forces, de mener des missions de surveillance et d’alerte ou de déplacer des moyens avant que la crise arrive, afin de pouvoir répondre une fois qu’elle est passée, cela se fait en dialogue avec l’autorité préfectorale mais, le plus souvent, nous agissons de notre propre initiative, dans le cadre de la chaîne militaire, avec l’état-major des armées. En tant qu’autorité militaire, j’ai la main sur mes soldats et je m’assure qu’ils interviennent conformément à leur entraînement, dans un dispositif hiérarchique et avec des principes qui garantissent la bonne façon de travailler.
M. le contre-amiral Nicolas Lambropoulos. J’ajouterai que la relation civilo‑militaire est très fluide. Lors du dernier passage d’un cyclone, dès que l’on a senti qu’il pouvait toucher les îles, un dialogue très informel s’est établi entre le préfet et moi, par téléphone ou par la messagerie WhatsApp, pour évaluer la situation. J’ai déployé des moyens sans attendre de réquisition du préfet, parce que j’avais mes propres contraintes – disponibilité des avions, possibilité de se poser à Saint-Martin... Un cadre est décrit dans l’instruction mais, dans la réalité, les choses sont plus souples, plus fluides. Cela permet d’être très réactif. C’est d’ailleurs la force des armées.
Si Irma est la catastrophe de référence, il faut rappeler que les ouragans José et Maria, de catégorie 4 et 5, sont passés dans les jours qui ont suivi Irma. C’est le modèle de l’engagement : sept semaines, 1 700 militaires, un bâtiment amphibie venu de métropole, deux avions A400M, deux avions Casa, sept hélicoptères de manœuvre, des avions de patrouille maritime, des centaines, voire des milliers de tonnes de nourriture distribuées.
Cela nous a permis de mettre en évidence certaines faiblesses logistiques en Guadeloupe. Ce n’est pas une surprise : les décisions prises à partir de 2012 y ont pratiquement conduit à la fermeture de notre emprise aérienne. Quand nous avons voulu utiliser ces sites pour faire des manœuvres logistiques, ils n’étaient plus totalement disponibles. Ce problème ayant été identifié, nous préparons la recréation d’un pôle aéronautique en Guadeloupe.
Cela a également mis en évidence le besoin de préidentifier des renforts – plus d’une centaine de personnes ainsi que des moyens précis – lorsque débute la période cyclonique.
Autre point notable, les infrastructures portuaires à Saint-Martin étaient inaccessibles. Il a donc fallu utiliser des moyens amphibies pour intervenir, déployer les moyens de déblaiement ainsi que les troupes. Or nous n’avons pas de moyens amphibies : ils sont en métropole. À la suite du désarmement du dernier des bâtiments de transport léger (Batral), je suis dans l’incapacité de mener une petite opération amphibie de débarquement de troupes ou de matériel. En raison de cette lacune, nous dépendons de la métropole.
M. le général Jean-Marc Giraud. Même s’il faut toujours rester très humble face aux risques naturels et aux événements violents, force est de constater que la gestion à La Réunion de Belal peut être considérée comme un succès collectif, interministériel. Comme mon camarade des Antilles, je parlerai d’équipe France, celle présente dans nos outre-mer mais également dans les pays proches. Le rôle du préfet de zone, Jérôme Filippini, a également été souligné.
Je parle d’un succès car le retour à la normale à La Réunion a pris moins d’une semaine, rentrée des classes oblige. Le rétablissement de la totalité des services de l’État, des services d’eau et d’électricité ainsi que le retour à l’école ont pris moins d’une semaine, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en phase de préparation, l’entraînement interne des forces armées et l’entraînement intégré avec la préfecture – l’exercice Cyclonex, traditionnellement effectué avant la saison des cyclones, fin octobre ou début novembre – jouent un rôle fondamental. Ensuite, la précision des prévisions de Météo‑France a permis de cadencer les informations du préfet à la population et de prendre les mesures conservatoires à temps. Ainsi, pour la force, cela a permis de dérouter des bâtiments et des aéronefs vers l’étranger proche. De même, le respect strict du confinement pendant les phases les plus violentes – l’alerte violette – a permis de ne déplorer aucun suraccident.
La phase de la résilience est celle de l’accueil des renforts de l’Hexagone. Des renforts sont arrivés le lendemain matin en provenance de Mayotte – le Sdis (service départemental d’incendie et de secours) 976 et les Formisc de Mayotte – puis, dans la soirée, de l’Hexagone avec les flux de MRTT (Multi Role Tanker Transport, avion multirôle de transport et de ravitaillement), une compagnie entière d’unités de sécurité civile, plus de 20 tonnes de matériel acheminé par transport militaire A400M. Tous ces facteurs ont joué un rôle clé dans le retour à la normale.
Tout cela contribue à une forme d’expérience qui est transmise au sein de la population dès l’école, avec des réflexes et une grande discipline dans la gestion générale de ce risque. C’est donc plutôt un succès mais nous devons rester humbles parce que Belal n’est pas Irma, ni Batsirai. Force est de constater toutefois que cela a été extrêmement bien géré, comme l’ont souligné nos autorités civiles, dont M. Darmanin, venu le lendemain du cyclone.
M. le président Mansour Kamardine. Je tiens à saluer la modestie qui caractérise tous les militaires. Nous avons pu constater que cette coordination a bien fonctionné car le même phénomène a causé bien plus de dégâts à Maurice qu’à La Réunion. Cela souligne que les événements ont été gérés de manière très professionnelle.
M. le contre-amiral Nicolas Lambropoulos. La capacité des armées à répondre à une catastrophe naturelle est au cœur de nos missions et justifie en bonne partie la présence d’une force aux Antilles. Tout est mis en œuvre ici, les retours d’expérience sont tirés, pour pouvoir être le plus réactif possible en soutien à la population ; c’est tout à fait normal. Dans une situation insulaire éparpillée, on a besoin des forces armées en cas de coup dur.
C’est vrai aussi pour les autres États. La France a une capacité de rayonnement : à chaque fois qu’il se produit une catastrophe naturelle, notre pays est le premier à apporter une aide, grâce aux moyens des forces armées aux Antilles – ce fut le cas en Colombie, lors de l’éruption volcanique à Saint-Vincent ou encore en Haïti.
M. le président Mansour Kamardine. Nous avons la conviction, au sein de la commission que j’ai l’honneur de présider, que vous faites la fierté française dans ces régions. C’est la raison pour laquelle je me permets, au nom de cette même commission, de vous transmettre notre gratitude à vous, les premiers chefs, mais également à tous ceux qui sont sous vos autorités respectives, jusqu’aux derniers soldats du rang.
30. Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « La recherche en sciences humaines et les risques naturels » (11 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons les travaux de la commission d’enquête par une table ronde rassemblant trois universitaires.
Mme Maud Devès, maîtresse de conférences à l’université Paris Cité, aborde l’objet de ses recherches – les catastrophes et les risques de catastrophe – à l’aune d’une double formation en géophysique et en psychologie.
M. Samuel Étienne, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE), a beaucoup étudié les paysages volcaniques, notamment littoraux, et les interactions entre les roches et la flore. Il consacre désormais sa recherche à l’étude des fanzines, en particulier scientifiques, et aux formes éditoriales du dialogue entre sciences de la nature et art.
Enfin, M. Matthieu Péroche est maître de conférences en géographie à l’université Paul Valéry‑Montpellier 3, une université active sur les thématiques qui nous intéressent puisque nous avons déjà auditionné ses collègues, Mme Stéphanie Defossez et M. Tony Rey. Les travaux de M. Péroche reposent notamment sur une approche géographique intégrée de la gestion des crises, en particulier des tsunamis, à l’interface des connaissances entre les domaines scientifique et opérationnel.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale ; l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour une courte intervention liminaire, avant que nous ne poursuivions nos échanges sous la forme de questions‑réponses. Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Maud Devès, M. Samuel Étienne et M. Matthieu Péroche prêtent successivement serment.)
Mme Maud Devès, maîtresse de conférences à l’université Paris Cité. Les questions que vous m’avez adressées étant vastes et fort complexes, je m’efforcerai surtout d’ouvrir des pistes de réflexion. Je remercie tout d’abord pour leur aide mes collègues du Crisis‑Lab de Sciences Po, de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), du Centre de recherches psychanalyse, médecine et société (CRPMS), du Centre des politiques de la terre et du laboratoire PHEEAC – pouvoirs, histoire, esclavage, environnement Atlantique, Caraïbe – de l’université des Antilles.
En France, il existe en effet une communauté de recherche très active sur l’étude des catastrophes, des risques et des crises, dont une partie travaille sur les risques liés aux phénomènes naturels. Certains chercheurs, dont je suis, s’intéressent plus particulièrement aux territoires ultramarins : après un doctorat en géophysique et une formation en psychologie, j’ai rejoint l’université Paris Cité pour occuper un poste interdisciplinaire. J’ai principalement travaillé aux Antilles et à Mayotte.
Les questions soulevées par la gestion des risques suscitent de fortes résonances, que ces derniers soient ou non liés à des phénomènes naturels, qu’ils concernent la métropole ou les territoires ultramarins. Il semble difficile d’étudier les risques naturels sans considérer les autres risques pesant sur un territoire ou d’examiner les risques dans les outre-mer indépendamment de leur gestion dans l’Hexagone. De nombreuses études soulignent néanmoins les défis particuliers auxquels sont confrontés les outre-mer – la superposition de nombreux aléas, l’existence de vulnérabilités exacerbées, des controverses très présentes, des contraintes liées à l’éloignement et à l’insularité. Comme le souligne le Cadre d’action de Sendai, la réduction des risques de catastrophe réside pour une grande part dans l’emboîtement des échelles de gouvernance, qui implique une grande diversité d’acteurs aux priorités parfois contrastées. C’est particulièrement le cas des risques majeurs, susceptibles d’affecter toutes les composantes d’un territoire, et qui nécessitent de mobiliser les échelons territoriaux, zonaux et nationaux ainsi que les compétences de multiples ministères.
S’agissant des apports de la recherche en sciences humaines et sociales (SHS), s’il fallait ne retenir que deux choses, la première serait que les catastrophes naturelles à proprement parler n’existent pas – ce sont des facteurs humains, politiques, sociaux, organisationnels, structurels qui font la catastrophe – et la seconde qu’améliorer le suivi et la prévision des phénomènes dangereux est essentiel mais que cela ne suffit pas à réduire le risque. Il n’est pas suffisant que des scientifiques sachent, encore faut-il que la connaissance produite sorte des laboratoires et des instituts, et qu’elle soit partagée de manière utile et efficace avec tous les acteurs de la chaîne du risque – autorités administratives et politiques, élus, habitants, médias, etc.
L’information et la sensibilisation aux risques sont la plupart du temps assurées de manière descendante par des experts formés aux sciences naturelles, alors qu’il faudrait plutôt commencer par comprendre les défis que les communautés doivent relever. L’enjeu est donc de développer, outre l’expertise en sciences naturelles, une expertise en sciences humaines et sociales au service des politiques publiques de réduction des risques.
Les apports des SHS sont multiples : ils concernent aussi bien l’avant que le pendant et l’après-catastrophe, sur laquelle ma collègue Annabelle Moatty s’exprimera bientôt. Je m’attacherai pour ma part à la prévention, la préparation et la gestion de crise, qui sont autant de moments clés pour créer les conditions de résilience de l’après-crise.
Concernant la mémoire et l’expérience des événements passés, les études montrent que les personnes et les groupes ayant déjà vécu une catastrophe ont tendance à développer une culture du risque qui les prépare à mieux faire face à un événement futur. Ce résultat est pourtant à nuancer : la mémoire se construit souvent sur la base d’événements singuliers dont rien ne dit qu’ils soient de bons prototypes des événements à venir. En Martinique, par exemple, la perception du risque volcanique est biaisée par la mémoire de l’éruption de 1902. Rien ne dit que la prochaine éruption lui ressemblera : elle pourrait toucher des communes qui n’avaient pas été affectées à l’époque. D’ailleurs, en la nommant régulièrement la « catastrophe de Saint-Pierre », on oblitère le fait que d’autres communes avaient été gravement touchées.
Les risques majeurs correspondent à des événements peu fréquents : le dernier en date a davantage de chances de marquer les esprits mais le prendre pour référence peut conduire à mésestimer ou à sous-évaluer le risque.
Une autre limite de cette culture du risque est liée à la diversité des aléas présents en outre-mer. Aux Antilles, par exemple, du fait de la récurrence de ces événements, le risque de cyclone est bien connu de l’ensemble de la population, qui sait en général quel comportement adopter pour se protéger. Si le risque sismique est également très présent dans les esprits, les anciennes générations ont été moins bien formées que les nouvelles. Quant à Mayotte, elle vient de se redécouvrir une histoire volcanique. D’une manière générale, la culture du risque est très inégalement partagée selon les territoires, les aléas et les catégories de population considérés.
Les médias jouent un rôle différent avant, pendant ou après la catastrophe. On sait que les populations se mobilisent peu ou tardivement si l’événement est perçu comme ayant très peu de risque de se produire ou comme étant d’une intensité telle qu’il serait impossible s’y préparer. Or les recherches en sciences sociales montrent que, dans les pays occidentaux, la perception des catastrophes est très fortement influencée par les représentations qui circulent dans les médias. Pourtant, les journalistes ne sont pas formés à la question des risques : ils tendent à ne couvrir que les phases d’urgence et à reproduire des mythes que les sciences humaines et sociales ont déconstruits depuis longtemps.
Il en va ainsi du mythe selon lequel la population sinistrée serait paniquée, sidérée, en proie au chaos et incapable de se secourir par elle-même. Toutes les études montrent au contraire que, lors d’une catastrophe, les personnes tendent plutôt à adopter des comportements responsables et que des organisations ad hoc émergent, qui assurent secours, entraide et contrôle social. Évidemment, celles et ceux qui viennent de subir un séisme de magnitude 8 et ont vu périr leurs proches ne sont pas dans leur état normal, et une population qui se trouve brutalement sans ressources cherchera à se ravitailler dans les magasins avoisinants, mais la question qui se pose n’est pas celle de l’ordre public.
Ce mythe de la panique qui engendrerait le chaos conduit à adopter des discours rassuristes, qui alimentent la défiance. Ces propos peuvent même mener à une mauvaise appréciation des ressources à mobiliser, comme cela s’est produit aux États‑Unis lors de l’ouragan Katrina. Les populations réclament non d’être rassurées mais d’être informées avec transparence, précision, simplicité, compassion et cohérence. Elles ont aussi besoin d’être accompagnées dans les démarches qu’elles entreprennent spontanément.
On sait que la radio, la télévision et la presse quotidienne sont très suivies par les populations en période de crise. Ces médias constituent un espace essentiel de partage d’expérience et de débat, qui permet de restaurer le sentiment d’appartenance au collectif et de faire émerger des pistes de solutions communes. Aux Antilles, pendant la saison cyclonique, les radios jouent un rôle très important, en ouvrant leurs antennes à la population, qui peut s’y exprimer librement.
Pour ce qui est de la diffusion des messages d’information aux populations, le déploiement de FR‑Alert est un progrès indéniable. Il conviendrait cependant qu’il soit utilisé de manière ascendante ou horizontale, comme d’ailleurs les réseaux sociaux, afin d’échanger, de partager des informations et de faire remonter des données aux autorités. Souvent, la population sinistrée connaît mieux la situation sur place, notamment les zones les plus touchées ou les personnes bloquées dans les habitations. Des initiatives comme celles des volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (Visov) sont intéressantes.
Réussir à envoyer un message d’alerte de manière efficace n’est pas le seul défi : il faut aussi s’assurer que l’information a été comprise et qu’elle soit acceptée. Cela dépend beaucoup de ce qui a été mis en place en amont de la phase d’urgence. Les recherches montrent que l’information est d’autant mieux intégrée qu’elle correspond à ce qui est connu antérieurement, d’où l’importance du travail de sensibilisation et de prévention.
Pour que l’information circule efficacement en temps de crise, il est déterminant d’avoir su établir une relation de confiance avec la population. L’information est en effet jaugée à l’aune de la crédibilité et de la légitimité que l’on attribue à celui qui la transmet. Si l’énonciateur du message est perçu comme fiable, il devient possible de faire passer des messages, même complexes. De ce point de vue, il est intéressant d’associer des personnalités locales, capables de traduire et d’expliquer. La population a aussi besoin de sentir que les décisions sont prises sur le fondement de valeurs et de préoccupations partagées. La confiance a une fâcheuse tendance à migrer d’un domaine à l’autre : la crise de la Soufrière, en 1976, ou le scandale du chlordécone sont autant de coups qui lui sont portés.
Concernant les liens entre recherche académique, expertise et décision, faire de la recherche n’est pas la même chose qu’intervenir comme expert dans un processus d’aide à la décision : les contraintes et les attendus sont différents. On observe souvent des incompréhensions entre chercheurs et opérationnels car ils n’appartiennent pas au même monde et chacun méconnaît le métier de l’autre. Cette absence d’interconnaissance pose des problèmes lors d’une crise, notamment dans le cas d’événements peu fréquents, où la robustesse de l’interface entre expertise et décision n’a pas été éprouvée. Elle pose également des problèmes en amont de la crise, lorsque le transfert des connaissances académiques tarde à se faire, par exemple pour améliorer les plans de prévention des risques.
Afin d’améliorer la coopération, il faut s’appuyer sur des experts ayant un pied dans la recherche et menant une forme de recherche-action, à visée opérationnelle, comme sur des opérationnels engagés dans une démarche réflexive. Il importe aussi d’ouvrir les lieux de la gestion de crise aux chercheurs, qui ont l’avantage d’être des observateurs neutres, au long cours, des processus décisionnels, et qui peuvent aider à désiloter l’analyse et les retours d’expérience.
Il a aussi été montré qu’au-delà de l’expertise, la coordination entre les acteurs à différents échelons est primordiale. Elle doit se construire en amont de la catastrophe. Il est ainsi important d’associer les acteurs locaux – maires, associations – à la phase de prévention et de préparation. Seul un travail au long cours peut permettre de construire les conditions de la confiance et de l’agilité.
Les crises liées aux risques majeurs sont par essence complexes. Toutes les compétences sont à réunir autour de la table car les problèmes sont énormes – déplacements massifs de populations, approvisionnement en vivres et eau potable de régions géographiquement éloignées, gestion de déchets produits de manière soudaine et en quantité massive, impact sur les infrastructures critiques, risques technologiques engendrés par un événement naturel (Natech), pollution environnementale, impact sur la santé physique et mentale des habitants, qui se compte non en mois ou années mais en décennies. Dans certains pays, la réduction des risques de catastrophe est du ressort d’agences interministérielles. En France, où nous marchons sur plusieurs pattes, la capacité à se synchroniser est essentielle.
La mise à jour du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) Volcans en Martinique fournit un bon exemple d’une démarche concertée avec l’ensemble des parties, dans laquelle le préfet s’est assuré de la participation de tous. S’il demeure un plan d’intervention, il préfigure toutefois par sa production une gouvernance élargie de la crise le moment venu. Nous menons actuellement des travaux avec la sécurité civile sur la préparation et l’anticipation d’une crise volcanique majeure en outre-mer, et instaurons une démarche de coconstruction avec le niveau national, zonal et territorial. Ce travail de coordination est nécessaire mais il prend du temps, un temps que nos institutions ne nous accordent pas toujours et qui n’est pas valorisé dans le curriculum des chercheurs.
M. Samuel Étienne, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE). En tant que géographe géomorphologue, j’ai davantage étudié l’aléa naturel, c’est-à-dire le danger potentiel, que sa gestion par le pouvoir politique ou les autorités locales. Je partage toutefois les propos de Maud Devès. J’évoquerai essentiellement la Polynésie française, ayant été maître de conférences à l’université de Polynésie française entre 2008 et 2012 avant de poursuivre des travaux liés aux aléas naturels et aux risques littoraux. Depuis cinq ans, je travaille sur la médiation scientifique, qui peut avoir un lien avec la culture du risque.
Dans la dernière décennie, la recherche en sciences humaines et sociales a réalisé des progrès importants dans la caractérisation des aléas naturels, notamment d’origine marine – cyclones, houle cyclonique, tsunami – en Polynésie française. Un nouveau contrat de plan État‑région (CPER) entre l’État et le pays a été signé en 2012 ; des programmes de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ont été menés, notamment sous la coordination de Virginie Duvat de l’université de La Rochelle, ainsi que plusieurs thèses de doctorat. La caractérisation physique recouvre l’étude de la nature et de la fréquence des événements passés à la lumière des archives sédimentaires afin d’identifier des événements sur un temps plus long et souvent plus pertinent que les archives humaines, écrites ou orales. Cette analyse fournit une connaissance statistique des événements sur le long terme et permet de les confronter à la mémoire collective.
Dans les outre-mer insulaires, la recherche et les actions publiques se sont souvent focalisées sur la bande littorale, exposée à différents types de risques aigus – cyclones tropicaux, tsunamis – ou de risques chroniques comme l’érosion, responsable du recul du trait de côte, au détriment des terres intérieures. Les risques hydrologiques auxquels les vallées sont confrontées, notamment les crues éclairs, sont parfois mal appréhendés.
Pour ce qui est de la gestion des risques naturels dans les outre-mer, je vous renvoie aux travaux en droit de l’environnement de Lucile Stahl, en particulier ses articles sur les défis présents et à venir des plans de prévention des risques naturels (PPRN) polynésiens.
Concernant la mémoire et la culture du risque, on peut citer le travail post-doctoral sur l’atoll d’Anaa, situé dans l’archipel des Tuamotu, que Rémy Canavesio a mené entre 2013 et 2014 dans le cadre du laboratoire d’excellence « Corail ». Partant de legs géologiques présents sur la barrière corallienne de l’atoll, en l’occurrence, de gros blocs de corail arrachés aux récifs par un ou plusieurs événements extrêmes, il a recherché les traces de ces événements dans la mémoire collective où il restait un signalement, sans datation précise. Il a ainsi conduit un travail d’enquête auprès de la population Pa’umotu, notamment des plus anciens, dont il a recoupé les résultats avec les données de la marine – archives photographiques, relevés de positions de bateaux – et des datations isotopiques des blocs rocheux. La combinaison des approches physique, naturaliste et de sciences humaines et sociales a permis de dater scientifiquement l’événement à 1906, ce qui n’était que présumé.
J’insiste sur la nécessité de ne pas mener des recherches qui découplent les approches de SHS, naturaliste ou physique. On ne peut pas parvenir à comprendre, ni à gérer efficacement les risques naturels si l’on obère l’une de ces deux dimensions. Ce n’est pas un hasard si la géographie s’affirme comme la discipline la mieux à même de faire dialoguer les spécialistes des SHS et ceux des aléas naturels.
S’agissant des médias et de la diffusion des messages d’information, j’ai observé des pratiques assez proches dans différents États du Pacifique où j’ai mené des recherches – Hawaï, îles Samoa, îles Fidji, Polynésie française – et en métropole, lorsque j’ai étudié la submersion marine dans le marais de Dol, près du mont Saint‑Michel. En France, si je grossis le trait, le politique a une vision infantilisante de la population vivant dans les zones à risque : lors de mes travaux dans le pays de Saint-Malo et la baie du mont Saint‑Michel, j’ai plusieurs fois entendu dire qu’il ne fallait pas inquiéter la population. Or développer une culture du risque, c’est éviter la politique de l’autruche : il faut informer la population, lui faire prendre conscience qu’un danger existe. Celui-ci n’est pas présent au quotidien mais s’il survient, il faut connaître les bons comportements et les réflexes à adopter.
Certaines bonnes pratiques que j’ai pu observer à Hawaï pourraient être déployées dans les territoires d’outre-mer où il existe un risque de tsunami. Sur l’île hawaïenne de Big Island, qui a été frappée par un tsunami meurtrier en 1960, des panneaux de signalisation matérialisent la partie du territoire exposée au risque de submersion. Ces signaux ne sont pas anxiogènes mais ils permettent à la population de savoir ce qu’elle doit faire si les sirènes retentissent. Matérialiser les zones à risque dans l’espace par des signaux, des pointillés ou des indications sur les bâtiments serait une première étape de développement d’une culture du risque non anxiogène.
Depuis cinq ans, j’ai réorienté mes travaux scientifiques vers des formes de médiation scientifique alternatives, pour trouver de nouvelles façons de diffuser une culture du risque. Ces nouvelles voies consistent à dédramatiser l’aléa, par des actions impliquant les arts visuels – conférences performées, expositions d’art contemporain, production de supports écrits rudimentaires comme les fanzines par tous, des plus jeunes aux plus anciens.
Pour ce qui est du lien entre recherche académique, experts et décideurs, la Polynésie française connaît un problème structurel lié à l’étroitesse du spectre de recherche académique du fait du nombre limité de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs présents dans le territoire. Toutes les disciplines ne peuvent être représentées, et, lorsqu’elles le sont, un isolement géographique des chercheurs limite leur capacité d’action. L’écologie corallienne en constitue une exception car les laboratoires polynésiens, notamment le Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (Criobe), positionnent la Polynésie comme un centre d’excellence mondial dans le domaine.
Palliant une partie de ce problème structurel, les travaux menés par des chercheurs métropolitains sont parfois déconnectés des acteurs locaux. La diffusion des recherches auprès des experts et des décideurs est insuffisante, voire inexistante. Il existe aussi un décalage entre une recherche fondamentale dont la valorisation et la diffusion s’effectuent de plus en plus à l’échelle internationale, en anglais, et une demande locale de connaissances scientifiques immédiatement accessibles, en français ou dans les langues régionales – pa’umotu, marquisien, etc. S’y ajoute le turnover des experts et, parfois, des représentants de l’État, si bien qu’il est souvent difficile, pour ne pas dire décourageant, de s’impliquer.
Pour résoudre ce problème, la coopération interétatique à l’échelle du Pacifique Sud est prometteuse. Des expériences ont été menées lors des crises afin d’impliquer des équipes de chercheurs d’Australie, de Nouvelle-Zélande, des Samoa, des Fidji ou de Polynésie, mandatées par l’Unesco.
S’agissant de l’acceptabilité des politiques de prévention des risques, la Polynésie est compétente depuis 2001 pour adopter les PPRN, en application des règles locales du code de l’aménagement de la Polynésie française. En 2018, quarante-huit PPRN ont été prescrits, mais seulement deux plans ont été adoptés, pour les communes de Punaauia sur l’île de Tahiti et de Rurutu dans les îles Australes, quand la Polynésie française compte soixante-seize îles habitées. L’État reste néanmoins compétent pour la gestion de l’urgence et des situations de crise en matière de risques naturels.
L’adoption des PPRN se heurte toutefois à trois écueils spécifiques à la Polynésie. Se pose d’abord le problème du foncier et de l’indivision, ce que l’on l’appelle les « affaires de terre » c’est-à-dire les successions non liquidées sur plusieurs générations découlant des normes pré-européennes. Le PPRN peut ajouter une couche supplémentaire de frustrations à cette source de tensions. Dans les atolls, la ressource foncière est par ailleurs limitée.
Le deuxième écueil est l’absence de dispositifs financiers associés au PPRN : en l’état actuel du droit polynésien, seule la planification préventive des risques est envisagée. Si la volonté d’assurer ainsi la sécurité des biens et des personnes est louable, l’absence de tout dispositif financier pérenne fragilise l’édifice et crée un déséquilibre entre la recherche de la sécurité et les contraintes qui pèsent sur les individus.
Enfin, on constate une méfiance des acteurs locaux à l’égard des plans de prévention des risques naturels, qui repose en partie sur les décisions prises en 2017 par le tribunal administratif de Papeete à la suite de la contestation du PPRN de Punaauia. Les populations ont eu le sentiment que les PPRN figeaient l’occupation de l’espace et contraignaient tout projet de développement futur, indépendamment d’éventuelles solutions géotechniques. Dans les faits, les conseils municipaux n’adoptent pas les plans – leur avis n’est que consultatif – et le pays ne mobilise pas les outils juridiques du code de l’aménagement pour anticiper l’application des PPRN en cours, alors que l’urgence le justifierait. On trouve toutefois, à Fakarava et à Rangiroa, des plans généraux d’aménagement comportant des zones de recul : ces solutions locales traduisent la conscience que ces communes ont du danger.
Enfin, le fonds Barnier n’est pas applicable à la Polynésie française, du fait du statut d’autonomie qui la régit. L’extension de son champ d’application à ce pays d’outre-mer n’est pas non plus à l’ordre du jour.
M. Matthieu Péroche, maître de conférences en géographie à l’université Paul Valéry‑Montpellier 3. J’avais préparé une brève présentation de mon parcours mais je comptais répondre à des questions plutôt que faire un exposé comme mes collègues. Les leurs étaient de qualité et je suis d’accord avec leurs propos, très complémentaires.
Mon parcours m’a conduit à passer quatre années aux Antilles, et plus particulièrement à la Martinique – où j’ai réalisé une thèse sur la prévention et la gestion des risques de tsunami. J’ai également eu la possibilité de faire un post-doctorat en Guadeloupe, où j’ai mené des recherches dans le cadre du projet C3AF (changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises), auquel participe l’université des Antilles. J’ai ensuite été titularisé en 2017 à l’université de Montpellier 3, où j’ai pu poursuivre mes recherches sur les Antilles – et notamment Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces recherches s’inscrivent dans le projet Tirex, financé par l’ANR et destiné à analyser les effets des ouragans et de la saison cyclonique 2017.
J’ai également travaillé sur le risque de tsunami à Mayotte, tout d’abord dans le cadre d’un mémoire de master 2 puis à travers le projet Evactsu‑Mayotte, qui a été financé par la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer (Dirmom), le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et la préfecture de Mayotte.
Depuis le début de mes recherches, notamment dans le domaine de la recherche-action, j’ai toujours veillé à produire des résultats à visée opérationnelle, en collaboration avec les acteurs locaux – qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou des services déconcentrés de l’État. Ces contributions ont enrichi les plans Orsec et les plans communaux de sauvegarde (PCS) de nombreuses communes aux Antilles françaises, notamment en y intégrant des volets relatifs aux tsunamis. Cela a également permis de diffuser des informations auprès du grand public dans un but préventif, via des plateformes web qui intègrent notamment des outils de cartographie.
Ce travail conduit principalement sur les tsunamis est inédit et il a été réalisé selon des protocoles standardisés, validés par plusieurs services de l’État, avec soixante communes et collectivités littorales des Antilles françaises, en lien avec les acteurs locaux et grâce à une démarche participative associant différents publics.
Les résultats de ce travail mené dans le cadre du projet Exploit (exploitation et transfert vers les collectivités des Antilles françaises d’une méthode de planification des évacuations en cas d’alerte tsunami) contribuent au fait que certaines communes des Antilles françaises ont obtenu la certification « Tsunami ready » délivrée par l’Unesco. Cela a été par exemple le cas pour la commune de Deshaies en Guadeloupe en 2023. Il lui a fallu se conformer à douze indicateurs pour prétendre obtenir cette reconnaissance internationale.
La carte et l’analyse spatiale ont toujours été des outils centraux dans mes travaux. Ils sont utilisés comme supports graphiques pour l’aide à la décision mais aussi en tant qu’outils de prévention.
J’attache aussi une importance particulière à communiquer les résultats de ces travaux au grand public. Je tâche également de conserver une approche régionale, ce qui n’est pas forcément habituel dans certains territoires, notamment les Antilles.
Je suis actuellement chargé d’un projet de recherche dénommé « SAFE Saint‑Bart », destiné à renforcer la résilience de Saint-Barthélemy face aux risques majeurs. Ce projet ambitieux vise à utiliser les connaissances scientifiques issues des derniers retours d’expérience pour élaborer des outils et protocoles de prévention coconstruits avec et pour les autorités et la population. Pour le mener à bien, nous avons monté un partenariat public‑privé afin de s’assurer du caractère opérationnel des résultats scientifiques, mais aussi de garantir une meilleure appropriation de ces derniers.
Au cours de cette audition, je m’attacherai à compléter les contributions de mes collègues avec un regard portant plus spécifiquement sur les aléas sismiques et les tsunamis. J’ai préparé des réponses aux questions écrites qui nous ont été adressées.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Lors des auditions, il a été dit de manière récurrente qu’il était fondamental que les populations soient associées à la gestion des risques.
Je perçois une forme de paradoxe.
Vous dites d’un côté que l’on doit bâtir la confiance entre les autorités et la population pour que les décisions soient comprises. Vous souhaitez à cet égard que l’on s’appuie davantage sur une forme d’expertise locale. Sur ce point, comment entendez-vous mieux intégrer le savoir traditionnel dans vos recherches ? Je n’aime pas beaucoup cette expression, car elle relève d’une certaine manière d’une ethnologie au rabais. Mais, de fait, il fut un temps où les populations locales savaient s’organiser différemment face aux aléas naturels.
Quel a été selon vous l’ampleur des effets de la crise sanitaire sur le niveau de confiance ? On a vu dans la plupart des collectivités d’outre-mer qu’il y avait eu un problème de confiance. Est-ce un effet du scandale du chlordécone, avec le sentiment qu’on allait de nouveau être empoisonné par les autorités ? Ou bien s’agit-il d’une crise spécifique ? Quels seront ses effets à long terme ?
D’un autre côté, nous parlons de l’élaboration des PPRN. Vous avez évoqué le projet « Safe Saint‑Bart ». On aurait aussi pu aborder cette question à Saint-Martin, où la première mouture du nouveau PPRN – élaboré à la suite de l’ouragan Irma qui avait fait onze morts – a été accueillie par des émeutes. La deuxième version a été élaborée dans le cadre d’une concertation tout à fait remarquable. Mais je dois avouer ne pas avoir été totalement convaincu par la réponse qui m’a été donnée sur l’évolution du contenu du PPRN.
N’y a-t-il pas une forme de hiatus – pour ne pas dire de contradiction – entre la réalité de la prise en compte du risque et une forme de realpolitik qui consiste à trouver des aménagements ?
M. Étienne a indiqué qu’il n’y avait pas eu d’accompagnement financier des PPRN. Entendez-vous par là que l’on n’a pas prévu une forme d’indemnisation pour ceux dont les habitations ou les droits à construire seraient affectés ?
Cette commission d’enquête a une histoire. Elle a été voulue, dans des conditions parfois un peu baroques, par M. Nilor, collègue de la Martinique. Nous avons entendu le président de l’université populaire de la Martinique il y a peu. Il avait un avis très argumenté sur ce qu’il convenait de faire – on peut, comme moi, ne pas être entièrement d’accord avec lui. Le processus légitime de consultation des acteurs locaux ne se heurte-t-il pas à un moment donné à l’expertise scientifique ? Comment faire face à ce qui peut apparaître comme un hiatus ?
Mme Maud Devès. Vous avez abordé la crise de la covid. Pour ma part, je suis plutôt spécialiste des crises liées aux phénomènes naturels. Mais il me semble évident que cette crise sanitaire peut agir comme un révélateur de problèmes qui se poseront en cas de futures crises dans d’autres domaines, en particulier aux Antilles.
Comme je l’ai indiqué précédemment, la confiance migre et la gestion d’une crise n’intervient pas dans un territoire qui serait neutre, dépouillé de ses différents problèmes. Tel est précisément l’enjeu du travail à mener en amont, en faisant participer les élus locaux et les associations pour en quelque sorte déminer tous les sujets qui pourraient cristalliser des tensions et réactiver des conflits en situation de crise.
Pour autant, associer ces différents partenaires n’est pas toujours évident. Cela prend du temps et suppose d’avoir la curiosité d’aller travailler avec eux. Tout le monde ne le fait pas. Je pense que c’est une démarche vertueuse et qu’il faut veiller à le faire. Les chercheurs en sciences humaines et sociales ont souvent l’habitude de travailler avec des partenaires venant de différents horizons. Il reste beaucoup à faire pour créer des coopérations ou les renforcer, en associant ces chercheurs, les services de l’État et tous les partenaires locaux.
Selon moi, il n’y a pas de hiatus entre savoir académique et savoir local, mais une forme de complémentarité. Ce qui est important pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, c’est de comprendre les préoccupations des habitants, lesquels peuvent avoir un savoir qu’il ne faut pas dénigrer. Il complète mais ne remplace pas le savoir académique classique et l’expertise technique de pointe dont nous avons besoin. Il faut réussir à faire dialoguer ces deux savoirs.
M. Samuel Étienne. Le savoir vernaculaire est en effet complémentaire du savoir scientifique, même lorsque l’on travaille sur des aléas naturels.
J’ai par exemple travaillé avec un collègue sur les submersions marines en essayant d’identifier des évènements passés, notamment lorsqu’ils ont laissé un legs sédimentaire particulier – avec un amas de blocs rocheux coralliens que l’on trouve sur les platiers et qui sert parfois d’amer pour les navigateurs. Un certain nombre de champs de blocs de corail ont été identifiés sur l’île de Vanua Levu, au nord des Fidji, mais on ne savait pas s’ils résultaient d’un tsunami ou d’un cyclone. Nous avons mené une enquête sur la toponymie avec des étudiants locaux et le nom qui avait été donné par la mémoire collective à l’un de ces champs était « les pierres des grands vents », ce qui indique qu’un cyclone en était à l’origine. Les enquêtes de terrain auprès de la population et les savoirs vernaculaires sont bien intégrés à nos recherches et permettent parfois de confirmer des hypothèses scientifiques.
J’ai effectivement évoqué le problème de l’indemnisation dans le cadre des PPRN en Polynésie française. C’est une question particulière, liée au droit polynésien – la Polynésie est un pays d’outre-mer qui a ses propres lois et sa propre assemblée. Il y a certes des points communs avec les PPRN en métropole ou dans les autres collectivités d’outre-mer : si un PPRN impose une servitude, cela ne donne pas lieu à indemnisation. Mais la différence réside dans le fait qu’il n’y a pas d’indemnisation en cas d’expropriation du fait d’une exposition à des risques majeurs naturels. C’est un problème. Le fonds Barnier, qui pourrait servir à financer ces indemnisations, n’est pas mobilisé en Polynésie française.
À la suite d’une saison cyclonique 1982-1983 avec des dégâts humains et sur les infrastructures particulièrement catastrophiques, un fonds spécial territorial a été créé. Il repose sur une forme de solidarité territoriale mais ne comporte pas de mécanisme assurantiel. Sur les limites du PPRN en Polynésie française, je vous renvoie au rapport d’information n° 122 sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, publié par le Sénat le 14 novembre 2019.
M. Matthieu Péroche. Le rapporteur a posé plusieurs questions relatives à la crise sanitaire. J’ai peu travaillé sur ce volet, étant spécialiste des risques d’origine naturelle.
En ce qui concerne la complémentarité des savoirs académiques et des savoirs locaux, il est évident que la population a un certain nombre de connaissances qu’il est bon de valoriser – notamment pour favoriser la transmission des connaissances entre les différentes populations. Vous avez indiqué dans une question écrite que ceux qui sont installés de longue date ont une culture du risque plus importante que les personnes de passage ou les nouveaux arrivants. C’est une hypothèse. Mais il est également important de motiver les populations qui disposent d’une telle connaissance pour qu’elles la partagent avec le plus grand nombre. C’est précisément l’une des actions menées dans le cadre du projet « Safe Saint‑Bart ». Il s’agit de faire un état des lieux des connaissances des habitants de l’île pour essayer de construire sur la plateforme du projet un lieu de mémoire des catastrophes passées, où les personnes pourront apporter leur témoignage, notamment à travers des photographies commentées. Il est également envisagé d’organiser des expositions temporaires, afin d’utiliser les connaissances locales pour assurer une transmission des savoirs sur les risques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ma question portait sur la confiance et sur le moment où elle peut être rompue. C’est une mécanique complexe, que vous avez bien décrite.
Je suis bien conscient des problèmes liés au droit des successions en Polynésie, puisque j’ai été rapporteur du projet de loi relatif à la Polynésie française. L’expérimentation du dispositif dérogatoire de partage par souches et la mise en place du tribunal foncier devaient apporter des améliorations, même s’il n’y a pas de solution miracle en la matière.
S’agissant de l’appropriation de la culture du risque, pourriez-vous revenir sur la question du PPRN ? Encore une fois, il y a une forme de hiatus. Face à un risque incertain, les gens subissent une diminution de leur droit à construire et une perte patrimoniale. On a le sentiment qu’un arbitrage s’opère. Il sera d’autant plus raisonnable que la culture du risque imprégnera l’ensemble de la communauté, qu’il s’agisse des élus aussi bien que de la population et des acteurs économiques. Quel est l’état des lieux selon vous ?
J’ai été marqué par ce qui nous a été dit sur la remise en cause de l’actualisation du PPRN à Saint-Martin et la difficulté à faire adopter ces documents, M. Étienne ayant indiqué que seulement deux de ces plans ont été adoptés en Polynésie.
M. Matthieu Péroche. Vous allez auditionner prochainement des collègues qui ont travaillé spécifiquement sur les PPRN, notamment à Saint-Martin. Pour ma part, j’ai davantage étudié l’organisation de la gestion de crise et beaucoup moins ce type de documents. Il m’est donc difficile de répondre à une question aussi précise.
Mme Maud Devès. Un petit commentaire : j’ai observé dans beaucoup de cas que les populations ne savaient pas ce qu’était un PPRN et n’avaient pas connaissance des documents disponibles à l’échelle du département. Annabelle Moatty et Delphine Grancher seront plus à même de répondre à vos questions, mais mieux faire connaître les documents qui existent est aussi un enjeu.
M. Frantz Gumbs (Dem). J’ai beaucoup apprécié vos interventions très documentées et pertinentes.
Élu de Saint-Marin, j’ai vécu le cyclone Irma. Tant que l’on n’a pas assisté à un tel événement, on ne sait pas vraiment ce que c’est.
On a beaucoup insisté sur l’importance de la relation de confiance entre la population et ceux qui décident des mesures de prévention, d’alerte et d’urgence. Mme Devès a dit très clairement qu’il fallait associer des personnalités locales à la transmission de l’information, afin qu’elle soit mieux comprise. C’est d’autant plus nécessaire que, dans certains territoires, les langues parlées diffèrent de la langue officielle.
Le concept de culture du risque comporte quand même une faiblesse lorsqu’une proportion relativement importante des habitants se sont installés récemment. Ce sont souvent des fonctionnaires, des entrepreneurs ou des salariés, venus pour une mission précise pour un temps donné et qui n’ont pas vocation à rester de quinze à trente ans sur place. Ils n’ont jamais vécu une grosse crise et n’ont pas mesuré l’ampleur du danger.
J’ajoute que, dans les îles des Caraïbes, on compte beaucoup de marins qui exploitent des petits voiliers pour organiser des excursions, et qui vivent parfois dans ces bateaux. D’autres sont seulement de passage et certains d’entre eux ne sont même pas assurés. Comment peut-on faire face à ce phénomène, qui fait qu’un nombre important de personnes n’a pas intégré la culture du risque ?
Le rapporteur a relevé que la première actualisation du PPRN a été très mal vécue par la population de Saint-Martin et a débouché sur une révolte et des émeutes. La deuxième a fait l’objet d’une très large concertation et ce document a fini par être accepté. L’île étant petite, si vous demandez à 3 000 personnes de quitter la zone côtière, vous ne disposez pas des réserves foncières nécessaires pour les reloger – sans parler du fait qu’une telle décision entraîne un profond sentiment de dépossession pour des gens qui vivent là depuis plusieurs générations.
Par ailleurs, l’analyse a posteriori des dégâts liés au cyclone Irma montre que ces derniers ont été causés bien davantage par le vent – qui a soufflé les toits – que par le phénomène de submersion. Ce dernier est indéniable, mais une fois que la mer s’est retirée, les dégâts n’étaient pas aussi importants. Le vent est responsable des effets les plus catastrophiques. Lorsqu’il atteint 250 ou 300 kilomètres par heure, très peu de choses résistent.
Tout cela explique selon moi la modification de l’approche retenue pour actualiser le PPRN.
Mme Maud Devès. Vous avez eu parfaitement raison de mettre l’accent sur la situation particulière des touristes et des nouveaux arrivants ainsi que sur leur nécessaire information. Cette question avait déjà été identifiée à la suite de la tempête Xynthia, qui avait touché beaucoup de résidences secondaires. On peut aussi avoir à faire face à un tourisme de catastrophe, avec par exemple des gens qui vont observer le spectacle d’une éruption à La Réunion.
Il faut assurer la sécurité de ces populations et cela suppose de développer des campagnes de sensibilisation adaptées.
À Mayotte, un nouveau risque inconnu de la population est apparu avec la naissance du volcan Fani Maoré. Il faut commencer une éducation à partir de zéro. Avec ma doctorante, nous travaillons dans les écoles de Mayotte et un énorme travail reste à réaliser pour que les enfants prennent conscience de l’existence de ce volcan sous-marin, qui n’apparaît qu’à travers les discours des experts à la télévision.
Ces différents points constituent donc un enjeu d’éducation.
Vous avez aussi souligné la vulnérabilité propre au milieu insulaire. En cas d’évacuation, c’est en effet l’ensemble du territoire qui est affecté, car les zones qui doivent accueillir les populations ne disposent pas forcément des infrastructures adaptées. Ces aspects sont très spécifiques aux zones insulaires. C’est la raison pour laquelle on estime qu’en cas d’éruption majeure on devrait passer tout de suite à une gestion de crise assurée au niveau national.
M. Matthieu Péroche. Le turnover important au sein des administrations nécessite une appropriation des connaissances scientifiques par des personnes qui restent longtemps dans les territoires concernés, notamment au sein du tissu associatif. Il faut organiser une collaboration étroite et à long terme avec des scientifiques qui conservent la mémoire des travaux menés et transmettent les connaissances.
Outre les personnes qui habitent sur des bateaux, on compte de très nombreux saisonniers dans l’hôtellerie et la restauration à Saint-Barthélemy. Un travail d’information doit être réalisé pour eux, en s’appuyant sur des supports qui correspondent à leurs attentes. Nous allons le réaliser à Saint-Barthélemy, en lien notamment avec la chambre économique multiprofessionnelle ainsi qu’avec les associations d’hôteliers et de restaurateurs. Dans un premier temps, il s’agira d’évaluer leurs besoins. C’est un travail de longue haleine, qui exige que la communauté scientifique s’investisse fortement.
Comme l’a très justement dit Maud Devès, la recherche universitaire n’est absolument pas valorisée par les administrations. Cela peut constituer un frein pour de nombreux chercheurs, qui hésiteront à s’investir. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un point sur lequel il conviendrait d’agir.
Enfin, qu’il me soit permis d’évoquer le partage de l’expérience dans les territoires d’outre-mer.
Avec l’état-major interministériel de zone Antilles et les différents PC de Guadeloupe, un travail extraordinaire a été menée pour que la commune de Deshaies obtienne la certification « Tsunami ready », reconnaissance internationale qui suppose de remplir des critères nombreux et difficiles. La signalétique évoquée par M. Étienne en fait partie et un investissement local très important a été consenti. Avec le lieutenant‑colonel Nisslé, qui commandait alors cet état-major, nous avons écrit de nombreux courriers pour partager cette expérience avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et différents ministères. Nous n’avons jamais reçu de réponse ou de marque d’intérêt. Il est vraiment dommage de constater qu’il y a aussi peu de répondant.
M. le président Mansour Kamardine. Les messages sont bien reçus. Je vous remercie pour vos excellentes interventions, qui nous ont beaucoup éclairés sur ces aspects scientifiques de la recherche mais aussi sur la nécessité d’un meilleur dialogue entre la recherche et les institutions publiques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Il n’est pas interdit de nous faire des suggestions et nous serions heureux de recevoir vos contributions écrites.
31. Audition, ouverte à la presse, des syndicats de Météo‑France (11 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons nos travaux avec les syndicats de Météo‑France. Lors de précédentes tables rondes territoriales, nous avons en effet constaté le rôle crucial de cet organisme et des réseaux météorologiques environnants pour informer les responsables politiques et administratifs des risques de survenance d’un phénomène naturel majeur dans les outre-mer. Le rapport spécial de la commission des finances sur le programme 159 Expertise, information géographique et météorologie pour 2024 indique qu’entre 2014 et 2023, le plafond d’emplois de Météo‑France est passé de 3 243 à 2 614 équivalents temps plein travaillés (ETPT). L’actualité de l’organisme est par ailleurs marquée par plusieurs préavis de grève dirigés contre une réorganisation qui, selon les syndicats, serait susceptible d’avoir un impact négatif sur l’information donnée au grand public et la sécurité des personnes et des biens. Sans entrer dans les détails, nous nous interrogerons sur les éventuelles conséquences de cette réorganisation pour les directions interrégionales outre-mer de Météo‑France.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Serge Taboulot, Camille Cordeau, et Tarik Kriat prêtent successivement serment.)
M. Serge Taboulot, membre de la commission exécutive du Syndicat national des ingénieurs et techniciens de la météorologie (SNITM-FO). Merci, monsieur le président, d’inviter la représentation du personnel de Météo‑France. Les éclairages que nous souhaitons apporter s’écarteront sans doute un peu de la très belle présentation que notre collègue Mme Sophie Martinoni‑Lapierre, directrice de la climatologie et des services climatiques, vous a faite il y a quelques semaines. Notre perspective diffère un peu de la sienne.
La première question que vous nous avez transmise concernait l’évolution du budget et des effectifs de Météo-France dans les quatre directions interrégionales outre‑mer : Antilles‑Guyane, La Réunion‑océan Indien, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie. Météo‑France n’a pas de document qui présente directement le budget des services outre‑mer. Sophie Martinoni‑Lapierre a toutefois apporté une réponse claire à ce sujet. Je m’en tiendrai à une approche centrée sur les effectifs plutôt que sur le budget – mon expérience d’élu du personnel au conseil d’administration m’a d’ailleurs appris que les deux sujets se recoupaient, les effectifs représentant 75 % du budget de Météo‑France.
Dans les quatre directions outre-mer, auxquelles j’ajouterai Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres australes, les effectifs théoriques sont passés de 397 en 2009 à 299 en 2024. C’est ce que nous appelons le tableau de répartition optimale des effectifs disponibles, le mot « disponibles » étant lourd de sens. Cent personnes de moins outre-mer, soit une baisse de 25 % de l’effectif total en quinze ans : les chiffres parlent d’eux-mêmes.
On me répondra qu’à Météo-France, beaucoup de tâches s’automatisent. Mais, si on a amené outre-mer de nouveaux outils de production – comme Météofactory, Métronome, de nouvelles stations automatisées, des satellites de troisième génération, le modèle de prévision Arome, qui permet notamment d’affiner les prévisions de surcote marine – rien en revanche n’a été automatisé. Ces outils sont complémentaires de l’expertise humaine, mais la production elle-même n’a pas été automatisée.
Les 25 % de personnels en moins correspondent donc à des gains de productivité purs et durs, obtenus en particulier par la réorganisation des équipes opérationnelles chargées des prévisions. Avec moins de monde, les agents outre-mer ont pourtant réussi beaucoup de choses, comme l’a bien montré Sophie Martinoni‑Lapierre. Ils ont harmonisé la vigilance à quatre couleurs, du vert au rouge, entre les différentes directions outre-mer, pour que le code soit mieux compris par la population – la culture du risque est en effet une des préoccupations majeures des agents de Météo‑France. Nous avons aussi intégré la vigilance vagues‑submersion et prendrons bientôt en compte les risques émergents, comme les canicules et les feux de forêt. Et il nous faut absolument nous améliorer dans le risque torrentiel, majeur dans de nombreux territoires outre-mer.
Quelles missions ont été touchées par ces réductions d’effectifs ? Le support administratif s’est bien sûr réduit comme peau de chagrin, mais du point de vue qui vous intéresse, celui de la gestion des risques, ce sont les services opérationnels de prévision qui ont le plus trinqué. Il faut avoir en tête qu’un poste permanent à Météo-France correspond en réalité à sept personnes puisque nos services fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année. Créer un poste de chef prévisionniste, aux Antilles par exemple, revient ainsi à embaucher sept ingénieurs. C’est en nous adaptant, en supprimant des postes de nuit, en instaurant un système de permanences que nous avons tant bien que mal répondu à l’injonction de baisser les effectifs de 25 % dans l’ensemble des services outre-mer.
Autre domaine où le bât blesse : la maintenance des instruments de mesure. Des investissements considérables ont été faits ces dernières années dans des stations automatiques, des radars hydro‑météorologiques, des bouées. Mais les effectifs chargés de la maintenance, s’ils n’ont pas baissé, n’ont pas augmenté non plus. Il y a beaucoup plus d’instruments, mais pas plus techniciens supérieurs en instrumentation. Ces services aussi ont donc subi une forte pression de productivité.
Je ne suis pas du tout d’accord avec la vision de notre directrice sur l’efficience d’un secours opérationnel que s’apporteraient les services outre-mer entre eux. Elle prenait la Nouvelle‑Calédonie et Tahiti comme exemple. Or les services opérationnels s’occupent prioritairement de la vigilance, non seulement de la vigilance orange mais aussi des petites vigilances du quotidien, dont la gradation contribue beaucoup à la crédibilité des alertes de Météo‑France. Demander à un prévisionniste de Nouvelle‑Calédonie de s’occuper de la vigilance vagues‑submersion pour une île polynésienne située à plusieurs milliers de kilomètres où il n’a jamais mis les pieds est une énorme bêtise. Cette orientation n’a pas de sens. Beaucoup de nos services fonctionnent en archipels et le travail de vigilance n’est clairement pas le même selon qu’on est au Nord, à Saint‑Martin et Saint‑Barthélemy, ou plus au Sud, aux Saintes. Les phénomènes peuvent être simultanés, mais différents, et se produire hors saison, mais tant pis : les prévisionnistes doivent tout de même se débrouiller pour faire tourner les services avec parfois moitié moins de monde !
Quelles sont les voies d’amélioration ? Météo‑France a décidé de créer douze équivalents temps plein chargés d’étudier dans l’ensemble de l’outre-mer, mais à l’échelle régionale, selon une maille fine, les effets du changement climatique afin de savoir à quelles évolutions nous attendre, en particulier pour les risques naturels. On ne peut que s’en féliciter. Mais ces collègues, complémentaires plutôt que supplémentaires, seront pour la plupart des chercheurs basés en métropole. Ils resteront entre chercheurs, dans notre site toulousain. Seuls deux postes sont créés en outre-mer, sur le terrain : l’un à La Réunion et l’autre en Polynésie. En cas d’erreur de casting, nous craignons d’ailleurs que ces futurs collègues ne se trouvent un peu isolés et démunis.
En tant que représentant du SNITM‑FO, mais aussi que président de l’Institut des risques majeurs, je vois deux domaines de compétences à améliorer pour Météo-France.
Le premier recouvre toutes les questions liées à l’eau. Le risque torrentiel, pourtant loin d’être mineur, fait figure de parent pauvre outre-mer, en comparaison des risques cycloniques et de vagues‑submersion. Le syndicat FO y voit d’ailleurs une question d’égalité entre les territoires. Généralisé depuis trois ans en métropole, le système des avertissements de pluies intenses à l’échelle communale (Apic) est encore balbutiant outre-mer, voire parfois inexistant. Il faut donc améliorer la couverture des départements d’outre-mer en équipements de mesure, notamment en radars hydro‑météorologiques. Les investissements dans ces équipements progressent, comme à Tahiti, mais certains territoires ne sont pas encore bien pourvus. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’achat des matériels reste bien plus facile à financer que leur exploitation. Il faut à peu près un équivalent temps plein pour assurer le fonctionnement et la maintenance d’un radar. Les 2 millions que coûte un radar, on les trouve ; le collègue technicien, jamais !
Second domaine à investir : la culture du risque. Avec des équipes restreintes et des marges de manœuvre limitées, Météo‑France tend à fonctionner en vase clos : les moyens d’aller au‑devant du public nous manquent. Nous pourrions faire un peu plus pour les Journées nationales de la résilience par exemple, ou pour l’amélioration des plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile). Bien sûr, Météo-France fait son travail dans les situations d’urgence, mais elle pourrait contribuer davantage au développement d’une culture du risque.
Je profite de la question qui portait sur le turnover pour revenir sur le problème plus global des ressources humaines. La position de Météo‑France est assez délicate, pour trois raisons. La première tient à la pyramide des âges, qui est détestable. Je suis parmi les premiers d’une grande vague de départs à la retraite. La moyenne d’âge à Météo‑France est de 50 ans : faites le calcul, dans quinze ans, il n’y aura pratiquement plus aucun ancien. La deuxième raison tient à l’attractivité des postes, qui a considérablement diminué avec la dévalorisation du point d’indice de la fonction publique et un régime indemnitaire très défavorable par rapport aux corps comparables. La troisième tient à la politique de recrutement de la direction des ressources humaines : une personne sur deux est recrutée non comme fonctionnaire, mais comme contractuel. Ce n’est pas un problème pour les compétences, mais quelle visibilité peuvent avoir ces recrues sur leur parcours au sein de Météo-France puisque, en général, cela s’arrête au bout de six ans ? L’outre‑mer souffre de ces mêmes problèmes, mais l’image de Météo‑France Outre-mer reste très bonne interne.
Le vrai point noir, ce sont les équipes de maintenance. Le métier de TSI, technicien supérieur instruments et installations, est très peu valorisé au sein de l’établissement si bien que, six ans après leur recrutement, la moitié des TSI sont partis. Leurs salaires sont nuls – 1,1 Smic en début de carrière – et ils ne gagneront pas loin du double en passant un concours pour entrer dans l’aviation civile, qui est un de nos services cousins. Le service de maintenance est vraiment le parent pauvre des services de Météo-France.
Enfin, sur le retour d'expérience des grands événements qu’a connus l’outre-mer, je suis globalement en phase avec ce qu’a dit la directrice. L'état de l'art, en prévision, fait que, notamment grâce aux nouveaux modèles, le risque de loupés, en particulier sur les phénomènes cycloniques, devient très faible. Cela ne nous permet pas de prévoir la trajectoire d’un cyclone au kilomètre près, il faut le dire, mais cela nous évite d’être surpris. Les progrès à réaliser portent plutôt sur la vigilance du quotidien, sur les situations hors saison, un peu délicates, qui touchent par exemple les îles du Nord aux Antilles. Ces petites vigilances, c’est ce qui fait qu’en cas de grande catastrophe, Météo-France reste crédible.
Les grèves que vous avez évoquées ont été motivées par la mise en service à l’automne dernier en métropole du programme « 3P » : programme, prévision, production. Il aboutit à une espèce de Météo‑France à deux vitesses, avec d’un côté des prévisions totalement automatisées, que vous trouvez sur votre smartphone par exemple, sans capacité pour l’expertise de revenir en arrière, et de l’autre la vigilance, qui, elle, est de la vraie expertise. Entre ces deux prévisions, il peut y avoir des incohérences complètes : les prévisions automatisées peuvent annoncer des vents à 90 kilomètres heure en rafale quand les prévisions expertisées annoncent 130. C’est possible ! L’extension du programme 3P à l’outre-mer est prévue pour 2025 ou 2026 : à quand alors des prévisions de Météo-France sur smartphone qui ne font pas état d’une alerte cyclonique ? Je l'ignore, mais, en tant que spécialiste des risques, je vous conseille de poser la question à la direction de Météo‑France. Je conclus mes propos sur ce point, qui est le plus important.
M. le président Mansour Kamardine. Je suis particulièrement sensible à votre dernière remarque. Nous poserons la question à la direction.
Si nous avons choisi de vous inviter, alors que l’exposé de la directrice de la climatologie avait été assez complet, c’est bien car il nous semblait important d’entendre ceux qui font Météo‑France au quotidien.
M. Camille Cordeau, représentant de Solidaires‑Météo. Au nom de l'organisation syndicale Solidaires‑Météo, je vous remercie pour votre invitation qui nous permet de faire entendre notre voix auprès des représentantes et des représentants du peuple français à l’Assemblée nationale, plus particulièrement ceux de l’outre-mer. Nous sommes solidaires de l’importante mobilisation en cours, qui illustre la grande souffrance de nos collègues, bien que ce mouvement ne touche pas, pour l’instant, les directions de l’outre-mer.
En avril 2018, nous avons eu l'honneur de nous entretenir, à notre demande, avec une délégation sénatoriale en Guadeloupe – déjà avec nos camarades de Force ouvrière. Après la catastrophe du passage de l'ouragan Irma sur Saint-Martin, le Sénat avait décidé de créer une mission sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer. Météo‑France et d'autres organismes d'État avaient bien évidemment été auditionnés. Les recommandations de la délégation ont été sans équivoque : veiller au maintien des moyens et capacités d'exercice des missions outre-mer ; renforcer les moyens de surveillance des phénomènes météorologiques ; procéder à un rattrapage massif dans les territoires totalement démunis comme Mayotte et les îles Wallis‑et‑Futuna. En 2021, un rapport sur Météo‑France a aussi été remis par le sénateur Vincent Capo‑Canellas. Il y recommandait notamment d’améliorer la prévision des phénomènes extrêmes et d’engager des actions très volontaristes pour l'adaptation au changement climatique.
Vous nous avez invités au titre de notre fonction syndicale, mais nous espérons que notre rôle opérationnel dans la chaîne de prévision de Météo-France en outre-mer permettra d'ajouter une réelle plus-value à vos travaux. J'appartiens au secrétariat du syndicat Solidaires‑Météo, adhérent à l'Union syndicale Solidaires. J'ai été élu fin 2022 comme représentant du personnel au comité social d'administration de l’établissement public (CSA‑EP) de Météo‑France. Je siège également au CSA de la direction interrégionale Antilles‑Guyane. Originaire de la Guadeloupe par mon père, je suis prévisionniste au Raizet depuis plus d'une dizaine d'années. À titre anecdotique, j'ai vécu enfant le cyclone Hugo en 1989 – sans que cela ait créé une passion particulière à l'époque. En tant que prévisionniste posté en Guadeloupe, j'ai pu suivre en 2017 en temps réel la dévastation des ouragans Irma et Maria, respectivement sur Saint-Martin et La Dominique.
M. Tarik Kriat, représentant de Solidaires-Météo. Je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer sur ces sujets qui nous concernent particulièrement.
Depuis un peu plus de huit ans, je suis prévisionniste cyclone amont au sein du centre météorologique régional spécialisé cyclones de La Réunion, qui dépend de la direction interrégionale océan Indien. Mes fonctions m’ont amené à travailler sur les différents risques naturels météorologiques pour les territoires de La Réunion, de Mayotte et, plus globalement, de l’océan Indien. Je suis également représentant au comité social d’administration, au niveau de la direction interrégionale et au niveau national.
J’aimerais compléter les diagnostics qui ont été faits sur les baisses d'effectifs ces dernières années. Dans les services d'outre-mer, elles ont été comparables à celles observées au niveau national : entre 20 % et 30 % sur une dizaine d’années, soit plusieurs dizaines d’agents par direction interrégionale, ce qui est important. En plus des suppressions de postes administratifs, nous avons vu disparaître les postes dédiés aux activités commerciales et de communication des directions interrégionales des Antilles et de l’océan Indien, qui ont été supprimées. Les suppressions d’effectifs au niveau national ont également eu des conséquences outre-mer, car nous ne sommes pas totalement indépendants : les directions interrégionales ne disposent pas des moyens pour monter des projets de grande envergure et dépendent du soutien national. Nous avons donc souffert des suppressions d’effectifs au niveau central, et des difficultés de recrutement pour les grands projets informatiques de ces dernières années.
Autre conséquence de choix budgétaires, les sites internet déployés au cours des dernières années dans les directions outre-mer n’offrent pas des prestations à la hauteur de tous les enjeux. M. Taboulot évoquait le risque d'incohérence entre les prévisions affichées par ces sites et les alertes cycloniques : c’est malheureusement déjà une possibilité à La Réunion. Nous observons également des différences entre les services rendus pour les départements hexagonaux et ceux d’outre-mer. L’application Météo‑France, par exemple, n’offre pas les mêmes fonctionnalités de notification.
Enfin, même si tous les services n’ont pas connu de baisses d’effectifs drastiques, l’absence de recrutement sur de nouveaux axes importants se fait sentir et nous empêche d’être ambitieux. Ainsi, dans le domaine de la communication, Météo‑France a certes pris le tournant des réseaux sociaux, mais sans moyens spécifiques, ce qui ajoute de nouvelles tâches aux postes existants, qui avaient bien d’autres activités.
Plus globalement, les métiers d’expertise des prévisionnistes et climatologues sont devenus de plus en plus difficiles à mesure de l’arrivée des nouvelles données qu’a évoquées M. Taboulot. Ces données plus complexes, souvent plus pertinentes, exigent aussi une plus grande expertise, car une même source de données utilisée pour une prévision météorologique peut, par exemple, être excellente un jour et très mauvaise le lendemain. Cela demande de pouvoir prendre beaucoup plus de recul, ce qui devient très difficile en l’absence d’effectifs supplémentaires dans les services.
Quant à la couverture radar, elle est encore très insuffisante en outre-mer. C’est, notamment le cas dans le département de Mayotte, qui n’est toujours pas couvert, mais aussi en Polynésie française et ailleurs. Ce manque limite la capacité des services météorologiques à apporter l’information la plus pertinente et la plus rapide possible aux services de sécurité.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci pour ces témoignages. Nous souhaitions vous entendre car nous savions, lors de l’audition de la directrice de la climatologie et des services climatiques, que des mouvements sociaux étaient en cours.
J’ai trois questions. Tout d’abord, pouvez-vous revenir sur le risque de hiatus ou de contradiction qui peut se produire entre des informations incohérentes – ou, pour le dire plus pudiquement, « diversifiées » – relatives aux aléas climatiques, et en particulier aux cyclones ?
Ma deuxième question porte sur la réputation qu’a Météo‑France d’être un service d’excellence dont les prévisions, avec une maille d’une précision d’une dizaine de kilomètres, voire cinq, permettent d’adapter en permanence le déploiement des moyens humains et l’acheminement des secours, des provisions et des moyens techniques vers les secteurs sinistrés en cas d’ouragan ou autres phénomènes climatiques. Considérez-vous que vous êtes encore en mesure d’assurer cette qualité de service ? L’augmentation du maillage, souhaitée par tous, vous paraît-elle réalisable compte tenu des contraintes que vous décrivez ?
Enfin, l’automatisation des processus et du matériel exige parfois une plus grande technicité, ou en tout cas de nouvelles compétences. Par ailleurs, je suis surpris d’apprendre qu’au moment où l’on cherche à valoriser la culture du risque, il n’y ait plus de direction de la communication outre-mer. Pensez-vous que la situation actuelle permette d’appréhender les nouvelles compétences nécessaires au déploiement du nouveau matériel et des nouvelles pratiques dans le domaine des réseaux sociaux et de la communication ?
M. Serge Taboulot. Le risque de hiatus entre nos moyens de diffusion automatisés et l’expertise des cas de vigilance, déjà effectif en métropole avec le projet 3P, est, comme l’a dit M. Kriat, déjà possible outre-mer mais il n’y est pas prégnant car, compte tenu de la culture du risque dans ces régions, dès que se présentent de forts niveaux de vigilance et que l’enjeu est important, la communication se fait en direct, par l’intermédiaire des préfectures et des services de protection civile. Mais, à l’ère où tout passe par des smartphones, il finira par devenir visible, comme cela a été le cas en France métropolitaine pas plus tard qu’en décembre dernier à l’occasion d’un épisode de neige dans l’Ouest parisien. J’insiste donc lourdement pour que la question soit posée par écrit à la direction de Météo-France.
Cette situation est la conséquence d’une erreur majeure de stratégie, commise, en réponse au programme Action publique 2022, par la direction générale précédente. Celle-ci a décidé d’automatiser notre cœur de métier pour gagner sept à huit postes permanents, ce qui, après application du fameux facteur 7, correspond à cinquante ou soixante postes au total. C’est une énorme imbécillité. Nos collègues de Météo‑France sont sidérés, dégoûtés qu’on ait consciemment foncé dans le mur. Plus personne ne comprend où l’on va et il règne une démotivation générale dont j’espère qu’elle ne gagnera pas l’outre-mer.
M. Camille Cordeau. Monsieur le rapporteur, votre inquiétude quant à la gestion d’un épisode cyclonique par l’établissement n’est pas encore justifiée à ce jour. Les modèles à mailles fines, dont le modèle Arome, font l’objet de retours plutôt bons, voire très bons, pour les situations cycloniques. L’inquiétude porterait plutôt, comme l’a dit tout à l’heure Serge Taboulot, sur les autres situations sujettes à conséquences. Le hasard fait que, pas plus tard que ce week-end, sur l’archipel de la Guadeloupe, le modèle Arome n’a pas fourni les retours attendus. Dans cette saison plutôt sèche dans la Caraïbe, appelée carême, nous venons d’essuyer un épisode de pluies assez importantes. Les prévisions numériques du modèle, qui donne satisfaction pour les systèmes cycloniques faibles, n’ont en l’espèce clairement pas été bonnes.
La direction fait donc les louanges d’un modèle qui, en effet, est peut-être meilleur que le National Hurricane Center (NHC) de Miami pour les systèmes cycloniques faibles, mais dont les résultats sont moins bons pour des événements non cycloniques soulevant néanmoins des enjeux. Ainsi, même s’ils n’ont heureusement pas fait de victimes, les 150 millimètres de précipitations qui sont tombés en quelques heures sur une commune de la Guadeloupe ont eu des conséquences très importantes.
Sur le plan de la communication, nous sommes, à Météo‑France, dépassés par des comptes privés. Pour communiquer sur les réseaux sociaux, la direction interrégionale Antilles‑Guyane dispose d’un seul compte Facebook pour trois territoires qui vont de la Guyane à la Guadeloupe, cette dernière gérant aussi la communication pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Sur Twitter, nous n’avons qu’un simple renvoi automatique aux sites internet des différents territoires, de telle sorte que, lorsqu’un usager fait une remarque par ce canal, Météo‑France ne lui répond pas. Nous sommes donc progressivement dépassés par des passionnés qui, dans le meilleur des cas, sont bienveillants et ne font pas de mauvaise presse à l’établissement, mais dans d’autres cas peuvent être plus agressifs. Sur les réseaux sociaux comme WhatsApp, la vigilance est même annoncée par des acteurs extérieurs qui parfois ne font même pas mention de Météo-France.
M. Tarik Kriat. Le risque d’incohérence que j’évoquais à propos des cyclones existe spécifiquement pour les prévisions à plus de trois jours, qui reposent certes sur l’un des meilleurs modèles dont nous disposons, mais qui sont toutefois émises automatiquement, sans être contrôlées ou expertisées par des prévisionnistes. Si la donnée prise comme référence n’est pas la bonne, il y a incohérence. Nous avons déjà observé ce phénomène voilà longtemps pour une prévision à six jours. Il faut pouvoir gérer cette incohérence dans notre communication. Cela ne concerne certes que les prévisions à trois jours, mais compte tenu des différents projets lancés par Météo‑France, on peut craindre que ce genre de situation ne se produise à moyen terme pour des prévisions à plus courte échéance.
M. Serge Taboulot. Le coup de rabot budgétaire de 11,2 millions d’euros récemment annoncé pour le programme budgétaire 159, qui regroupe Météo‑France, l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière) et le Cerema (Centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), devrait représenter une coupe de 4 à 5 millions pour Météo-France, soit l’équivalent de deux radars, d’une dizaine de bouées d’observation, de quelques centaines des stations automatisées que nous nous efforçons de développer ou d’une dizaine, voire plusieurs dizaines de non‑embauches – à ce stade, personne n’en sait rien. Dans un contexte où le moral général est très mauvais, du fait des projets d’automatisation 3P, cette perspective représente un stress supplémentaire, et peut‑être même une faiblesse d’attractivité pour l’établissement.
M. le président Mansour Kamardine. Messieurs, je vous remercie de cet autre éclairage que vous nous avez donné sur la situation de Météo‑France, cet établissement national que nous chérissons tous et dont il est toujours intéressant pour nous, partout où nous sommes, de recevoir des informations. Vous pourrez envoyer tout complément qui vous semblerait utile au secrétariat de la commission d’enquête.
32. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Polynésie française – Volet État (11 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions territoriales avec une table ronde consacrée à la Polynésie française. Nous accueillons, en visioconférence, Mme Emilia Havez, directrice du cabinet du haut‑commissaire de la République en Polynésie française, M. Cédric Rigollet, directeur adjoint de la protection civile, M. Alain Soulan, directeur général adjoint de Météo-France, M. Philippe Frayssinet, directeur interrégional de Météo‑France pour la Polynésie française, et M. Jean‑Marc Mompelat, directeur des actions territoriales et délégué à l’outre-mer du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Cette table ronde, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Madame, messieurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Avant de vous donner la parole pour une courte intervention liminaire, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Emilia Havez, M. Alain Soulan et M. Cédric Rigollet prêtent successivement serment.)
Mme Emilia Havez, directrice du cabinet du haut-commissaire de la République en Polynésie française. La Polynésie française est assez fortement exposée aux risques et à certaines vulnérabilités. Je pense non seulement aux tsunamis, aux cyclones et aux dépressions tropicales, mais également aux houles cycloniques, pendant la saison chaude, et australes, lorsque les températures sont plus fraîches. De manière plus habituelle, nous sommes aussi régulièrement confrontés à des inondations dues à des épisodes de pluies intenses. Les risques volcaniques et sismiques sont plus faibles.
La Polynésie française est constituée d’archipels dont l’histoire et la géologie sont très différentes. L’exposition aux risques se caractérise donc par une certaine diversité. Les atolls, qui sont des îles basses, sont plutôt concernés par des risques de submersion marine, de houle et de montée des eaux, à l’instar de toutes les îles du Pacifique. Les îles plus hautes, où se concentrent les infrastructures, notamment portuaires et aéroportuaires, ainsi que la grande majorité de la population – 75 % des Polynésiens vivent à Tahiti et Moorea –, présentent aussi des fragilités majeures, puisqu’elles sont également exposées à des risques de submersion des installations et de tsunamis.
J’en viens aux fragilités liées aux structures, notamment à la production d’électricité. L’organisation des réseaux nous expose à des risques de blackout électrique, en particulier à Tahiti. Nous avons encore pu le constater récemment : le blackout survenu à la fin de l’année 2023 a eu des effets en série sur les télécommunications, l’eau potable et beaucoup d’autres réseaux.
Bien qu’on en parle peu, le risque industriel existe également en Polynésie française. Si la prise en compte et la prévention de ce risque sont encore balbutiantes, nous sommes bien conscients qu’un événement naturel majeur pourrait avoir un effet domino sur les installations industrielles, que ce soit dans les ports ou dans les vallées où elles se concentrent, comme à Tahiti. En l’espèce, le cadre juridique est différent de celui qui prévaut en métropole : ainsi, la directive Seveso n’est pas applicable en Polynésie française.
Le colonel Rigollet vous parlera des risques plus classiques d’incendie.
M. Cédric Rigollet, directeur adjoint de la protection civile en Polynésie française. Après les grands feux de 2022 et dans le cadre du plan Macron pour renforcer les moyens de prévention et de lutte contre les incendies, nous nous sommes efforcés de renforcer notre capacité de lutte contre les incendies. Ces derniers touchent la Polynésie de manière aiguë à certaines périodes, en particulier dans deux archipels – les Marquises, au nord, et les Australes, au sud – qui, compte tenu des conditions climatiques, ont connu ces dernières années une sécheresse particulièrement intense. Ces territoires sont, par ailleurs, isolés et faiblement dotés en moyens de lutte contre les incendies. La forêt polynésienne présente des fragilités la prédisposant à ce risque, y compris dans l’archipel de la Société. Compte tenu des moyens dont nous disposons, nous poursuivons une stratégie plutôt défensive, qui vise à protéger la population et les infrastructures plus que la forêt elle-même.
M. Alain Soulan, directeur général adjoint de Météo-France. Je n’ai pas participé aux précédentes auditions de votre commission d’enquête, mais je sais que vous avez déjà entendu – ou que vous prévoyez d’entendre – les autres directeurs interrégionaux de Météo‑France dans les outre-mer ainsi que la directrice de la climatologie et des services climatiques. Je veux vous faire part de l’attachement de Météo‑France à assurer sa mission relative aux risques naturels majeurs, notamment dans les outre-mer, d’autant que le changement climatique rendra ces risques encore plus prégnants. Nous souhaitons développer des services climatiques dans les collectivités d’outre-mer afin de permettre aux acteurs concernés de mieux s’adapter à ces évolutions. Nous avons préparé des réponses au questionnaire que vous nous avez transmis ; nous vous les enverrons après cette table ronde, éventuellement enrichies d’éléments développés au cours de nos échanges.
(M. Philippe Frayssinet prête serment.)
M. Philippe Frayssinet, directeur interrégional de Météo-France pour la Polynésie française. Le premier phénomène naturel météorologique susceptible de toucher la Polynésie est évidemment celui des cyclones. Ces derniers y sont peu fréquents par rapport à d’autres bassins cycloniques mais tout aussi dévastateurs. Comme ailleurs, les phénomènes associés à un cyclone sont d’abord le vent – c’est même l’élément qui permet de définir un cyclone –, puis la houle et la submersion marine qu’elle entraîne, ainsi que les pluies diluviennes provoquant des inondations.
Au cours des cinquante dernières années, quelque cinquante phénomènes cycloniques ont touché la Polynésie – je vous disais qu’ils étaient moins fréquents que dans d’autres bassins. Vingt-trois de ces phénomènes peuvent être qualifiés de cyclones, avec des vents moyens à plus de 118 kilomètres par heure mesurés pendant dix minutes au centre de la dépression. Les autres sont des dépressions tropicales, fortes ou modérées.
Ces phénomènes sont très liés aux épisodes El Niño dans le Pacifique : c’est ainsi que les années 1983, 1997 et 1998 ont été marquées par une activité cyclonique particulièrement élevée. Cette année encore, nous connaissons un phénomène El Niño et la dépression Nat est passée juste à côté de chez nous.
Nous avons encore en mémoire le cyclone Orama, en 1983 – une année El Niño, donc –, avec des vents qui ont dépassé les 200 kilomètres par heure. Le vent moyen était de 228 kilomètres par heure mais nous avons mesuré des rafales de plus de 280 kilomètres par heure. On comprend que les dégâts aient été importants ! Le dernier cyclone ayant touché la Polynésie a été Oli, en 2010 – encore une année El Niño –, avec des vents moyens approchant les 200 kilomètres par heure et des rafales de 260 kilomètres par heure.
Au-delà des cyclones, certains événements météorologiques peuvent affecter fortement le territoire. Au cours des deux dernières années, nous avons ainsi connu des épisodes de forte houle et de forte pluie. En juillet 2022, à Rapa, dans l’archipel des Australes, la houle a dépassé cinq ou six mètres, avec des déferlantes hautes de plus de huit mètres ; elle était très énergétique puisque sa période était supérieure à seize secondes. En mai 2023, à Teahupo’o, où se dérouleront les épreuves de surf lors des Jeux olympiques de 2024, plus de 200 millimètres de pluie – c’est-à-dire plus de 200 litres au mètre carré – sont tombés en trois heures, ce qui a causé des dégâts importants : de nombreuses maisons ont été inondées et des routes ont été coupées.
(M. Jean-Marc Mompelat prête serment.)
M. Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales et délégué à l’outre-mer du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). La direction des actions territoriales regroupe l’ensemble des implantations régionales du BRGM en France métropolitaine et outre-mer.
J’ai moi-même été, il y a une vingtaine d’années, en poste en Polynésie française, dans le cadre du programme « Aléas, risques naturels, aménagement et information » (Arai), qui s’est déroulé de 2002 à 2006, à la suite de glissements de terrain et de coulées de boue ayant causé une vingtaine de morts dans les îles de la Société en 1998, et qui était le premier du genre. En 2001, le pays avait voté la transposition en Polynésie du dispositif des plans de prévention des risques (PPR) et mandaté le BRGM pour procéder à des études amont sur la connaissance des phénomènes géologiques et des autres aléas tels que les tsunamis ou la houle. Nous avons alors commencé à réaliser les premières cartographies à visée réglementaire. Au terme de notre programme, nous avions établi quarante-deux projets de PPR ; or, une vingtaine d’années plus tard, seuls trois ou quatre de ces documents – je n’ai pas les chiffres précis en tête – ont été approuvés. On ne peut donc pas dire que cela soit une grande réussite ! En outre, si j’en crois les échanges que nous avons régulièrement avec les autorités du pays, il s’avère assez difficile de mettre en œuvre ces PPR et de prendre en compte ces phénomènes dans l’aménagement du territoire et la construction.
Parmi les risques auxquels la Polynésie est exposée, il faut insister sur les mouvements de terrain, qui concernent aussi d’autres régions d’outre-mer. Ce risque n’est pas forcément le plus élevé, mais c’est sans doute celui qui représente la plus forte contrainte en matière d’aménagement du territoire. La construction dans les zones très pentues des îles polynésiennes – en dehors des îles basses des Tuamotu – pose problème. Il y a finalement assez peu de possibilités de construction, entre le littoral déjà très occupé et les zones de relief qui arrivent très rapidement.
Le BRGM n’a d’implantation pérenne ni en Nouvelle-Calédonie, ni en Polynésie française. Nous intervenons dans ces collectivités lorsque ces dernières nous sollicitent, dans le cadre de conventions. Nous avons ainsi mené trois programmes Arai dans les années 2000, puis des expertises plus ponctuelles pour le compte du pays, ainsi que la révision du PPR de Punaauia en 2015.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci pour vos exposés, qui illustrent les aléas très nombreux et divers auxquels la Polynésie est sujette. J’ai eu le privilège de m’y rendre il y a quelques années : on m’avait alors présenté un projet de maison conçue pour résister aux ouragans et aux tsunamis. Il s’agit là d’une forme de résilience. Considérez-vous que la gestion des risques permet une résilience rapide des territoires ? Est-il possible de rétablir l’électricité facilement ? Dispose-t-on des moyens et des équipements nécessaires pour rétablir la production d’eau ? Existe-t-il des zones refuges suffisamment réparties dans les soixante-quinze îles habitées de l’archipel polynésien ? Au vu de l’immensité du territoire, il est certes peu probable que le même aléa touche l’ensemble de la Polynésie en même temps.
Vous avez évoqué les risques susceptibles d’entraîner un effet domino, auxquels je suis moi-même très sensible. Vous avez mentionné le risque industriel ; je pense également à la gestion des déchets, de manière générale, qui peut poser problème en cas de submersion, de pluies importantes ou de glissement de terrain.
J’aimerais aussi vous interroger sur les modalités de la coopération avec les États voisins. Qu’est-il prévu pour gérer les risques et mutualiser les moyens d’intervention en cas d’aléa ?
Enfin, pensez-vous que le réchauffement climatique entraîne une augmentation ou une accélération de ces aléas ?
Mme Emilia Havez. S’agissant de la coopération avec les États voisins, la Polynésie française travaille dans plusieurs directions. Nous échangeons beaucoup avec les autres territoires français du Pacifique que sont la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Par ailleurs, un dispositif de coopération dans la zone Pacifique est mis en œuvre sur le fondement de l’accord « Franz » signé en 1992 par la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ; en cas de catastrophe naturelle dans la région, il permet de déployer une aide humanitaire « HADR » (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) dans un cadre diplomatique. Ainsi, les moyens de la France ont été récemment mobilisés au Vanuatu. Nous avons donc en Polynésie du matériel permettant d’apporter une aide humanitaire aux pays de la zone en cas de déclenchement du mécanisme « Franz ». Ce dernier, très structurant, permet des échanges réguliers avec les États membres de l’accord, puisque nous nous réunissons tous les ans. L’État est responsable de la gestion des stocks de matériel et mène une réflexion sur l’accompagnement humain nécessaire ; cette mission est partagée entre les services du haut-commissariat, notamment la direction de la protection civile, et les forces armées présentes en Polynésie française, puisque l’aide humanitaire est acheminée et éventuellement déployée par des moyens militaires.
Je laisserai le colonel Rigollet répondre à vos questions sur la résilience et l’impact du changement climatique.
M. Cédric Rigollet. Vous avez demandé si nous considérions la gestion des risques naturels dans sa globalité. Nous avons évoqué une réflexion balbutiante sur le risque industriel à l’échelle de la Polynésie française. Par ailleurs, et bien que cette réflexion globale demeure malheureusement insuffisante, la question des tsunamis est désormais prise en compte par une ou deux communes, tandis qu’une convention entre l’État et le pays vise à développer la mise en place d’abris de survie contre le risque cyclonique, en particulier dans les Tuamotu, de sorte que près de 96 % de la population pourrait être mise en sécurité en cas d’aléa de cette nature dans les atolls, c’est-à-dire dans les îles les plus basses.
Il manque peut-être en Polynésie un continuum de gestion du risque naturel comme il en existe dans l’Hexagone. Cette lacune s’explique d’abord par un partage des compétences pas toujours très clair entre l’État, le pays et les collectivités. Elle est aussi liée à une approche un peu fataliste des conséquences des événements naturels sur les territoires. Différents facteurs empêchent donc la mise en place d’un continuum complet, y compris dans la réponse opérationnelle apportée en cas de catastrophe. Ainsi, les services d’incendie et de secours sont encore organisés à l’échelle communale, ce qui entraîne des difficultés majeures lorsqu’il convient de mutualiser une intervention au profit de plusieurs communes. L’État reste le gestionnaire en cas de crise ; le découplage entre le pays, responsable de la prévention, et l’État, organisateur de la réponse opérationnelle, ne facilite pas le pilotage des événements.
En dépit de l’ensemble des problèmes que nous avons évoqués, nous mesurons une capacité élevée de résilience dans le territoire, car les acteurs sont rompus à la gestion de ces situations. La résilience de la Polynésie est donc supérieure à celle du territoire hexagonal, même si la prévention en matière de risques naturels souffre de nombreux manques. Un événement naturel majeur menacerait néanmoins cette faculté de résilience, en raison des grandes fragilités de l’habitat et des infrastructures en Polynésie française ainsi que des limites du peuple polynésien à faire face à de longues difficultés en raison de l’isolement géographique.
Nous disposons d’un lot du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE), qui a vocation à être armé par la Croix-Rouge et à être projeté au bénéfice des pays du Pacifique, voire à être utilisé dans le territoire en cas de catastrophe majeure. Si le lot Franz est à la main du haut-commissaire, celui du MEAE dépend plutôt du centre de crise du ministère.
La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a conduit, en partenariat avec Météo‑France, une analyse des défis que représente le changement climatique, qui a abouti à la rédaction d’un rapport et d’une feuille de route. Dans ce cadre, nous avons commencé à dresser la liste des points sur lesquels nous avons avancé. Nous avons mené un travail prospectif destiné à évaluer l’évolution de la situation dans les cinquante prochaines années et l’impact du changement climatique sur les risques naturels en Polynésie.
M. Jean-Marc Mompelat. Il est peu probable que l’ensemble de l’archipel polynésien soit touché en même temps par un événement majeur, configuration qui facilite la gestion de crise.
Lors de la crise de 2018, les moyens locaux avaient été dépassés ; nous avons procédé à de nombreuses expertises, à la demande de l’État, pour définir les périmètres des zones à évacuer. Depuis cette date, les moyens propres de la Polynésie, qu’ils proviennent du pays, de l’État ou du secteur privé, pour effectuer ces expertises ont évolué ; néanmoins, les moyens locaux pourraient être dépassés si nous devions affronter une crise majeure comme celle que vient de connaître La Réunion, où le volume d’expertises annuel a dû être accompli en deux semaines. Nous n’avons pas de dispositifs permettant de faire face à ce type de situations, certes rares mais qui se sont déjà produites.
M. Philippe Frayssinet. Météo-France a noué de nombreuses coopérations internationales, par exemple avec le programme régional océanien de l’environnement (PROE), qui s’appuie sur un conseil météorologique du Pacifique (PMC), créé en 2010, auquel nous participons régulièrement – cette instance réunit tous les deux ans les services météorologiques du Pacifique Sud. En outre, nous siégeons évidemment à l’Organisation météorologique mondiale (OMM) : notre zone correspond à la cinquième région de l’Organisation, celle-ci gérant les centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) dans la prévision cyclonique. En ce qui nous concerne, nous sommes en lien avec le CMRS des Fidji, qui a notamment la responsabilité de nommer les dépressions tropicales. Nous tenons des réunions avec ces différentes instances, aussi bien pour traiter de questions opérationnelles comme la gestion cyclonique que pour réaliser des études et des formations sur le changement climatique.
Ce dernier affecte évidemment les aléas naturels. Les cyclones n’ont pas véritablement augmenté ces dernières années – même si l’étude des diverses intensités des événements nous conduirait à nuancer ce constat –, mais la montée des températures et du niveau de l’eau ainsi que la baisse des précipitations sont, elles, avérées. Depuis cinquante ans, les températures croissent de 0,3 degré Celsius par décennie ; le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) table sur une progression de 1,4 à 3,1 degrés Celsius d’ici à 2100 : une hausse aussi forte pourrait entraîner, au-delà de l’inconfort dû à la forte humidité de l’air en Polynésie, une augmentation des feux de végétation. Le Giec prévoit également une diminution des précipitations, qui pose le problème de la gestion des ressources en eau. Les risques de submersion marine seront, eux aussi, plus élevés : les atolls seront plus vulnérables, notamment à la salinisation et à la contamination des nappes phréatiques, donc à des problèmes de sécurité alimentaire et sanitaire. La submersion marine menace également les activités proches du littoral, par exemple celle de l’aéroport de Tahiti, limitrophe de l’Océan.
La table ronde est suspendue de dix-neuf heures quarante à dix-neuf heures cinquante.
Mme Emilia Havez. Les services de l’État sont témoins, aux côtés des maires, des conséquences déjà concrètes du changement climatique pour les populations, notamment dans les atolls. Nous accompagnons les habitants dont certaines terres cultivables cessent de l’être à cause de la montée des eaux ; celle-ci est contenue par la construction de digues, mais il arrive que des gens doivent déplacer un village entier d’un endroit à l’autre, le premier lieu n’étant plus habitable. La montée des eaux n’est pas le seul symptôme du changement climatique mais il en est le plus visible et le plus concret ; il pose d’immenses problèmes aux habitants et à leurs élus.
Dans ce contexte, l’État accompagne les projets d’équipements et a déployé un plan de constructions d’abris – une trentaine d’abris sont d’ores et déjà opérationnels dans les îles –, qui doit s’achever en 2026, date à laquelle une cinquantaine d’abris auront été érigés. L’objectif est que l’ensemble de la population d’une île puisse se réfugier dans l’un de ces abris. Ces derniers doivent par ailleurs être des lieux de vie en dehors des moments de crise ; ils sont, selon les îles, un centre de secours occupé par les pompiers, une infirmerie, une école ou une mairie. Ces services publics, qui apportent une aide quotidienne à la population, peuvent devenir un refuge pour cette dernière en cas d’événement majeur.
M. Jean-Marc Mompelat. Compte tenu des difficultés que posent les aléas dans l’aménagement des constructions – qui est une compétence du pays –, il me semble nécessaire d’actualiser le corpus de nos connaissances en la matière, car celui-ci date, malgré quelques toilettages, de plus d’une vingtaine d’années. Les acteurs locaux ont besoin des nouvelles techniques et méthodologies, dont bénéficient déjà d’autres territoires d’outre-mer, pour affiner leurs connaissances et mieux prendre en compte les évolutions liées au changement climatique. Il y a également lieu de revoir l’utilisation des cartes des aléas. Nous touchons sans doute aux limites d’une transposition littérale en Polynésie française du dispositif du PPR déployé en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) ; notre territoire n’étant sans doute pas adapté à ce type de documents, il convient d’ajuster l’approche réglementaire aux réalités socioculturelles et socio-économiques polynésiennes.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Vous avez, les uns et les autres, décrit des situations dans lesquelles le bon sens et l’aspect pratique prévalent, mais notre pays aime la planification et les documents qui la traduisent ; ces derniers déterminent les endroits constructibles et servent de base aux demandes d’indemnisation adressées à l’administration ou aux assurances. Vous avez mentionné à plusieurs reprises l’existence d’un problème de répartition des compétences, notamment dans la gestion des crises, leur prévention étant de la responsabilité du pays quand leur traitement échoit à l’État. Pourriez-vous revenir sur le sujet ?
Nous aimerions connaître la feuille de route que vous avez évoquée. Comment l’articulez-vous avec l’absence de plan relatif aux catastrophes naturelles dans le territoire et avec la gestion des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ? Ces derniers sont, comme l’ont montré de précédentes auditions, sensibles, car ils délimitent les zones constructibles de celles qui ne le sont pas et ils prévoient le déménagement de certains logements en dehors des zones à risque. Comment ces documents et ceux révisant les cartes sont-ils produits ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’une forte contrainte pèse sur le foncier ; j’avais d’ailleurs déposé il y a quelques années une proposition de loi visant à faciliter la gestion et la sortie de l’indivision successorale, devenue la loi du 26 juillet 2019 relative à la Polynésie française, dans le but d’atténuer la grande complexité de la titrisation et de la répartition du foncier dans ces territoires. Où en êtes-vous dans cette tâche de gestion administrative ?
M. Cédric Rigollet. La répartition des compétences entre les communes, le pays et l’État n’est pas précise en matière de gestion des risques ; cela conduit chaque acteur à revendiquer ou, au contraire, à se défausser de ses responsabilités. Cette situation pose problème pour la prévention des risques naturels. Nous pourrons vous transmettre par écrit des éléments supplémentaires, liés à l’ordonnance du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française.
Dans le domaine de la planification, la cartographie des risques n’existe pas, quelle que soit la nature de ces derniers. Le schéma d’analyse et de couverture des risques applicable en Polynésie, que le code général des collectivités territoriales détaille, n’a jamais été décliné, non par manque de volonté ou de capacité mais de gouvernance. En effet, l’absence de gouvernance partagée et reconnue emportant l’adhésion des acteurs empêche l’établissement d’une cartographie et la définition d’une méthode de couverture des risques ; au-delà de la gouvernance se pose également la question des moyens dédiés, notamment humains et financiers. Voilà pourquoi il est actuellement compliqué de produire des documents opposables.
En 2022, le gouvernement de la Polynésie a complètement refondé les PPRN, puisque seuls trois plans avaient été établis sur un total de quarante-huit communes. Le gouvernement a dressé le même constat que M. Mompelat, à savoir que la transposition littérale des plans de l’Hexagone en Polynésie n’était pas adaptée, notamment pour l’indivision et la gestion des sols. Le système a été remplacé par celui de la gestion des risques naturels, qui impose, comme les PPRN, certaines restrictions et qui repose sur une cartographie des risques : outre la présentation de la situation actuelle, celle-ci devra également intégrer une dimension prospective prenant en compte les effets du changement climatique. Les membres du gouvernement pourront vous répondre sur le sujet. Nous avons été saisis de ce changement de réglementation, auquel nous avons pu apporter quelques modifications.
Nous pourrons évidemment vous transmettre la feuille de route, qui concerne tous les territoires et qui est déjà mise en œuvre. Pilotée par le directeur de la DGSCGC du ministère de l’intérieur et des outre-mer, elle a fait l’objet de remarques de notre part visant à intégrer le caractère particulier et singulier de la Polynésie. La feuille de route insiste sur la nécessité de travailler sur la planification, mais nous avons souligné la difficulté que représentaient les lacunes de gouvernance : établir des plans est une chose, parvenir à une prise de conscience et à un engagement politique en est une autre. Notre fragilité réside dans notre incapacité à apporter une réponse opérationnelle à la hauteur des enjeux. Depuis la fin des années 1990, le modèle de sécurité civile du territoire hexagonal a été profondément réformé ; ce processus est permanent afin d’adapter les dispositifs à l’évolution des défis, mais cette démarche est absente du Pacifique Sud, ce qui provoque de grandes difficultés en matière de déploiement opérationnel lors d’événements importants. Nous avons encouragé le haut-commissaire à rassembler les différentes parties prenantes et nous avons installé un comité polynésien de la sécurité civile, instance pour le moment informelle qui regroupe les maires des communes de Tahiti et de Moorea, le gouvernement, le pays et les représentants de l’État pour tenter, sur ce sujet mais également sur d’autres comme celui de la centralisation des appels de secours, d’avancer sur ces questions importantes qui touchent notamment aux actions curatives à conduire après la crise. Il faut à la fois travailler sur la prévention des risques et sur la réponse opérationnelle aux événements majeurs : le modèle actuel n’investit pas suffisamment le volet préventif.
M. Philippe Frayssinet. La collaboration entre l’État, le pays et Météo‑France va se déployer dans le cadre du contrat de développement et de transformation pour les années 2024 à 2027 : ce document prévoit l’installation d’un radar météorologique à Tahiti, attendu depuis une trentaine d’années puisque ce territoire est l’un des derniers d’outre-mer à ne pas en posséder. Nous espérons bénéficier en 2027 de cet outil, incomparable pour la prévision des fortes pluies.
M. le président Mansour Kamardine. Nous remercions chacun d’entre vous pour votre disponibilité malgré le décalage horaire et pour la qualité de nos échanges sur ces questions majeures.
33. Audition, ouverte à la presse, de M. Julien Marion, directeur général de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), accompagné de Mme Catherine Haller, cheffe du bureau de la planification des exercices et des retours d'expérience, Mme Clémence Lecoeur, directrice de cabinet, Colonel Sébastien Jaudon, conseiller sécurité intérieure, Mme Marilie Tison Grosrichard, bureau de la planification des exercices et retours d'expérience (14 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons nos auditions avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui est l’une des directions du ministère de l’intérieur et des outre-mer. Nous accueillons son directeur général, monsieur Julien Marion, ainsi que madame Catherine Haller, cheffe du bureau de la planification, des exercices et du retour d’expérience, et madame Clémence Lecoeur, directrice de cabinet.
Votre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible sur demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Julien Marion, Mme Catherine Haller, Mme Clémence Lecoeur, M. Sébastien Jaudon et Mme Marilie Tison‑Grorichard prêtent serment.)
M. Julien Marion, directeur général de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer sur un sujet central pour l’activité de la DGSCGC, à savoir la gestion des risques naturels majeurs d’outre-mer.
Sur l’ensemble du territoire national, nous sommes confrontés aux conséquences du dérèglement climatique et à l’évolution très rapide de risques d’origine naturelle. En la matière, l’exception devient progressivement la norme. Ce sujet concerne également le territoire métropolitain, avec l’évolution du risque de feu de forêt. Le devoir et le rôle de la puissance publique sont de s’adapter à ces évolutions. Naturellement, la DGSCGC appréhende cet impératif d’adaptation avec sérieux.
Les territoires d’outre-mer sont particulièrement concernés par cette évolution et par ces phénomènes. Elles sont déjà confrontées à des risques naturels majeurs renforcés par un certain nombre de caractéristiques, dont l’insularité, l’éloignement de la métropole et la superposition d’un certain nombre de risques, qui engendrent des contraintes supplémentaires.
Les conséquences du changement climatique à l’horizon 2030 et 2050 sont variées. Dans les territoires ultramarins, il s’agit d’effets directement liés à une augmentation tendancielle des températures moyennes, à une récurrence accrue des périodes de forte chaleur, ainsi qu’à une hausse tendancielle des cumuls et une récurrence plus élevée des périodes de précipitations intenses.
Les phénomènes de houle cyclonique ou de cyclones connaissent également une croissance tendancielle parfaitement documentée et caractérisée. L’augmentation du niveau de la mer constitue un autre phénomène à prendre en compte. Moins visible, le phénomène d’acidification des océans ne doit pas être négligé non plus.
Ces différents aspects ont des conséquences indirectes sur un certain nombre de caractéristiques, avec les phénomènes d’érosion, d’inondation et de submersion marine, les feux de végétation qui découlent de la récurrence des périodes de sécheresse et l’évolution des ressources en eau. Les effets portent également sur la santé humaine, comme nous le constatons à Mayotte.
Dans ce cadre, la mobilisation de l’ensemble des acteurs, le développement de la résilience des populations, l’organisation d’une réponse nationale et locale constituent des impératifs et des éléments structurants de la réponse publique à ces évolutions.
À la différence du territoire métropolitain, les territoires ultramarins devront prendre en compte trois facteurs qui dimensionnent la réponse de sécurité civile afin de répondre de manière efficace à l’accélération des conséquences du changement climatique.
Le premier facteur est l’éloignement des moyens d’intervention de la métropole couplé à la fragilité des infrastructures de transport aérien et des infrastructures portuaires, soit une contrainte supplémentaire. Le deuxième facteur réside dans la plus grande vulnérabilité des territoires d’outre-mer en raison de leur caractère insulaire, avec une part très significative de la population directement exposée aux risques durant un même événement, voire sa totalité, dans un contexte de bilan démographique incertain. Troisièmement, les territoires ultramarins subissent des risques spécifiques, comme le risque cyclonique, le risque sismo‑volcanique et le cumul de ces risques.
Du point de vue de la DGSCGC, les territoires ultramarins composent un formidable laboratoire de ce que nous sommes capables de mettre en œuvre en matière de résilience, de prévention des risques et d’éducation de la population à ces risques. En pratique, ils ont d’ores et déjà développé une culture de résilience plus avancée que ce qui s’observe en métropole. Avec les populations, les collectivités, les acteurs de l’État présents dans les territoires ultramarins, nous avons déjà construit un socle utile en matière de prévention des risques technologiques, de prévention des risques naturels et d’éducation à la culture du risque.
Dès 2021, la DGSCGC a entamé une réflexion sur les effets du changement climatique et la nécessaire adaptation de la réponse de sécurité civile en se projetant à l’horizon 2050. Certes, cette démarche conduite en lien étroit avec Météo‑France couvre l’ensemble du territoire et doit déboucher sur une stratégie collective d’adaptation aux risques climatiques. Néanmoins, parmi les dix groupes de travail constitués à l’issue de cette démarche, un groupe de travail se focalise sur les risques naturels majeurs d’outre-mer, soit un axe prépondérant de la stratégie de réponse aux crises.
Dans un premier temps, nos travaux nous ont permis de rédiger la synthèse des évolutions du climat de chaque bassin océanique et à l’élaboration d’une feuille de route listant plusieurs recommandations d’adaptation de la réponse de sécurité civile face au défi climatique avec pour horizon l’année 2050.
Ces différentes productions ont nécessité environ deux ans de travail et ont été diffusées aux autorités locales en février 2023. Leurs recommandations ont vocation à être mises en œuvre par les collectivités et les services de l’État concernés.
Ces recommandations portent notamment sur un meilleur partage et une meilleure diffusion des connaissances, notamment à travers la création d’une base de données partagée par les acteurs de la gestion des crises. Elles visent également l’organisation de renforts de la coordination interministérielle grâce à des exercices. Les recommandations prévoient en outre la réalisation de travaux de sécurisation de l’accès aux infrastructures majeures, dont les infrastructures portuaires et aéroportuaires, de travaux sur la doctrine de planification ainsi qu’une réflexion sur les moyens rendus nécessaires par l’exposition aux risques climatiques majeurs.
La réponse de sécurité civile dans les territoires ultramarins aux risques d’origine naturelle repose principalement sur les services d’incendie et de secours. Je tiens à souligner la très grande qualité et le fort investissement des services d’incendie et de secours ultramarins. Ces derniers ont développé une véritable culture de la gestion du risque exceptionnel avec des moyens inférieurs à ceux des services d’incendie et de secours métropolitains, à population équivalente. Lors de plusieurs déplacements, j’ai pu constater l’investissement, l’engagement et la culture de résilience remarquable des sapeurs-pompiers ultramarins.
Dans les territoires ultramarins, la réponse à la crise est régie par les mêmes principes que sur l’ensemble du territoire de la République. La chaîne de commandement a fait la preuve de son efficacité dans la durée. Elle repose sur une répartition très claire des compétences et des responsabilités entre le maire, le préfet, l’État et l’échelon intermédiaire que constituent les zones de défense. Je souligne la capacité à mobiliser la solidarité nationale lorsque les capacités de réponse d’un territoire sont insuffisantes, ainsi que la souplesse et l’efficacité de notre organisation de sécurité civile face aux risques exceptionnels.
Notre réponse de sécurité civile face aux phénomènes climatiques exceptionnels d’outre-mer repose en grande partie sur notre réactivité à tous les stades de la gestion de la crise. Dès les premières alertes, nous devons nous efforcer de conserver le « coup d’avance », c’est-à-dire les 24 heures d’avance qui nous permettront, le cas échéant, de projeter les moyens en avance de phase pour pouvoir les mobiliser dès l’occurrence du phénomène.
Le préavis est donc déterminant, tout comme le temps nécessaire pour alerter les populations. À cet égard, nous avons le devoir de mobiliser pleinement les outils d’alerte des populations. En janvier dernier, à l’occasion du passage du cyclone Belal à La Réunion, nous avons pu vérifier que l’alerte des populations a été déterminante et a atteint ses objectifs.
La question du prépositionnement de moyens nationaux de sécurité civile dans les territoires ultramarins demeure parfaitement légitime. Il convient d’y répondre de la manière la plus argumentée possible. Ce besoin en moyens nationaux a été pris en compte dans le cadre de la Lopmi (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur), adoptée par le Parlement et promulguée au début de l’année 2023.
En matière de sécurité civile, la Lopmi prévoit la création, à l’horizon 2025 aux Antilles et à l’horizon 2027 dans l’océan Indien, de moyens en personnel et en matériel nommés « harpons ». Il s’agit d’une dizaine d’équivalents temps plein (ETP) provenant des formations militaires de la sécurité civile qui seront prépositionnés de manière permanente dans les territoires précités.
Ces ETP auront pour mission de contribuer à la gestion des réserves nationales existantes et à leur projection, ainsi qu’à la formation et à l’entraînement des acteurs locaux à la gestion des crises. En cas de crise ou de catastrophe majeure, ces ETP avancés seront chargés de préparer l’arrivée des renforts. Ce schéma vient compléter le dispositif existant de prépositionnement, dans certains territoires ultramarins, de moyens de la réserve nationale et de moyens nationaux, comme les hélicoptères de la sécurité civile présents aux Antilles et en Guyane et le détachement à La Réunion d’un avion de type Dash pendant la saison des feux de forêt.
Ce format me semble le plus adapté, dans la mesure où le prépositionnement de moyens nationaux plus importants poserait d’autres difficultés de formation, d’entraînement et de projection sur le territoire national.
Très récemment, nous avons encore pu constater l’intérêt de projeter rapidement, depuis le territoire national, des renforts au profit des territoires ultramarins. Près de cent personnes sont intervenues à La Réunion pendant quinze jours lors du passage du cyclone Belal. En Nouvelle-Calédonie, nous avons projeté une équipe d’une quarantaine de sapeurs‑pompiers à la demande des autorités locales afin de lutter contre des incendies de grande ampleur.
Depuis septembre 2023, nous avons projeté des moyens extrêmement conséquents de sécurité civile à Mayotte afin d’assurer la distribution d’eau potable en bouteilles auprès de la population de l’ensemble de l’île. Cette opération, qui parvient à son terme, se solde par l’équivalent de 35 000 jours‑hommes de renfort mis en œuvre depuis la métropole, soit la plus grande projection de renfort de l’histoire de la sécurité civile. Elle représente l’équivalent de deux saisons de feux de forêt.
En 2015, nous avons projeté en outre-mer 321 jours‑hommes de renfort de la sécurité civile, c’est-à-dire des formations militaires de la sécurité civile et des sapeurs‑pompiers civils, contre 180 jours‑hommes en 2016, 848 jours‑hommes en 2017, 1 128 jours‑hommes en 2018 et 2 568 jours‑hommes en 2019. En 2020, la projection des moyens s’est tassée à 1 728 jours‑hommes en raison de la crise sanitaire du covid. En 2021, elle a atteint 6 300 jours‑hommes. Un nouveau tassement s’est observé en 2022, avec 1 730 jours‑hommes.
En revanche, en 2023, 15 215 jours-hommes ont été projetés dans les territoires ultramarins. Au cours des trois premiers mois de l’année 2024, nous avons déjà atteint les 17 000 jours‑hommes, soit davantage que l’intégralité de la projection de l’année 2023, qui affichait pour autant un niveau exceptionnel en la matière.
Ces données chiffrées illustrent parfaitement l’implication de la sécurité civile et constituent une sorte de « thermomètre » de son activité ultramarine. Il convient toutefois de réfléchir en parallèle aux causes de la « poussée de fièvre » en question et d’analyser les phénomènes. Enfin, notre réflexion doit également porter sur les éléments permettant de mieux prévenir les risques et d’améliorer l’éducation dans ce domaine.
M. le président Mansour Kamardine. Monsieur le directeur, je vous exprime la gratitude de l’ensemble des Mahorais envers les forces qui interviennent actuellement à Mayotte. Nous tendons fréquemment à formuler des critiques lorsque les dispositifs ne fonctionnent pas correctement et à taire les succès. Je souhaite donc souligner que votre intervention à Mayotte est particulièrement appréciée.
Pouvez-vous dresser le bilan ou le retour d’expérience des cyclones Irma et Belal et préciser les budgets mobilisés dans ce cadre, ainsi que les évolutions à venir et les perspectives ?
M. Julien Marion. Vos questions portent sur des sujets distincts. Le cyclone Belal est un phénomène récent, puisqu’il date du mois de janvier. Cet épisode aurait pu avoir des conséquences nettement plus dramatiques que celles qui ont été constatées. Je ne minore pas les dégâts importants ayant frappé plusieurs communes de l’île de La Réunion. Néanmoins, le bilan humain, qui n’est certes pas nul, demeure limité. Il est essentiellement imputable à des comportements imprudents de certaines personnes.
Le retour d’expérience du phénomène Belal montre la qualité évidente du travail de planification réalisé par les autorités locales de La Réunion dans le cadre du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile). Je me suis rendu sur l’île avec le ministre de l’intérieur et j’ai pu constater que ce plan s’apparente à un modèle du genre. Je vous invite donc à le consulter.
Le plan Orsec mis en place dans le cadre du cyclone Belal précise de manière synthétique le rôle et les responsabilités de chacun dans la gestion d’une alerte cyclonique. Je le cite volontiers en tant que modèle. Je souhaiterais même que tous les plans Orsec couvrant tous les types de risques dans l’ensemble des territoires se fondent sur le schéma proposé à La Réunion. À cet égard, le principal risque en matière de planification est d’aboutir à des plans trop détaillés et rapidement obsolètes. Le plan Orsec cyclone mis en œuvre à La Réunion évite cet écueil.
De plus, je relève le professionnalisme des acteurs locaux dans la gestion de la crise. En premier lieu, je pense au préfet de La Réunion, qui a parfaitement activé le dispositif d’alerte des populations intitulé « FR‑alert » et a mis en place une communication adaptée et pertinente au moyen des médias traditionnels et des réseaux sociaux. Ainsi, les messages et les consignes comportementales ont été parfaitement diffusés auprès de la population. Lorsque le cyclone est passé au large de La Réunion, la population a donc pu se mettre à l’abri.
En outre, comme je l’avais constaté peu auparavant en métropole, lors d’autres épisodes, je souligne la grande fiabilité des prévisions d’évolution des phénomènes naturels réalisées par Météo‑France, qui a accompli d’importants progrès en la matière au cours des dernières années.
En pratique, le cyclone Belal s’est déroulé exactement de la manière annoncée par Météo-France. Sa trajectoire nous a été communiquée dans des délais suffisants. J’avais établi le même constat au début du mois de novembre 2023, lorsque la tempête Ciarán avait frappé l’ouest du territoire métropolitain, dont le Finistère, les Côtes-d’Armor et la Manche. L’amélioration des outils de modélisation, notamment à l’aide du recours à l’intelligence artificielle, fiabilise l’analyse et les prévisions de phénomènes météorologiques majeurs.
Par ailleurs, dans le cadre du phénomène Belal, nous avons été en mesure de projeter dans des délais extrêmement courts des moyens nationaux en renfort des moyens locaux, lesquels étaient dépassés par la gestion des conséquences immédiates du passage du cyclone.
Précisément, nous avons mobilisé des moyens de proximité, notamment en provenance de Mayotte. La solidarité zonale a donc été opérationnelle. Le SDIS (service départemental d’incendie et de secours) a ainsi mobilisé une équipe en renfort des sapeurs-pompiers de La Réunion.
En complément, des colonnes de renfort provenant de la métropole et des moyens des formations militaires de la sécurité civile ont été mobilisées, et ce, dans de très brefs délais. De cette façon, nous avons pu apporter une réponse adaptée aux besoins de la population dans les heures ayant suivi le passage du cyclone.
Enfin, le retour d’expérience à froid que nous allons réaliser sur l’épisode Belal, comme à chaque épisode majeur, nous permettra d’analyser le passage en phase violette souhaité à juste titre par le préfet, selon moi. Lors de cette phase, aucune personne ne pouvait sortir de son domicile, secours inclus. Le CODIS (centre opérationnel départemental d’incendie et de secours) recevait des appels, lesquels ont soulevé une question de doctrine : comment réagir à ces appels ?
Pour sa part, le cyclone Irma est plus ancien. Je vous livre néanmoins quelques éléments de bilan. À l’époque de ce phénomène, j’occupais la fonction d’adjoint du directeur général de la DGSCGC. J’étais donc directement impliqué dans la gestion de cet épisode majeur.
L’ouragan Irma nous a confrontés à un phénomène météorologique absolument hors norme. Il a été suivi de dépressions très importantes. En vingt-quatre heures, ce qui devait être une dépression tropicale relativement marquée s’est transformé en un cyclone de catégorie cinq. Ce phénomène totalement inédit a provoqué un effet de sidération.
En dépit de l’incertitude qui a subsisté concernant la trajectoire du cyclone, le directeur général de la DGSCGC d’alors est parvenu à projeter des moyens sur place en avance de phase au cours d’une courte fenêtre de temps. Sans cette réaction, nous aurons été contraints d’attendre le passage du cyclone et la remise en ordre des infrastructures aéroportuaires pour intervenir.
Par ailleurs, l’articulation avec les échelons locaux, dont l’échelon zonal basé à la Martinique, c’est-à-dire l’état-major de zone, s’est avérée particulièrement solide. En nous appuyant sur cet échelon zonal, nous avons pu déployer une main-d’œuvre logistique inédite dans l’histoire de la sécurité civile. À l’aide d’un pont aérien militaire, nous avons ainsi projeté les moyens humains et matériels nécessaires depuis la métropole vers le hub de la Martinique.
À l’occasion du phénomène Irma, la cellule interministérielle de crise a montré la plénitude de sa pertinence. Compte tenu de l’ampleur des dégâts causés par Irma, tous les ministères étaient concernés. La cellule interministérielle de crise s’est avérée un outil extraordinaire pour construire la réponse à un phénomène météorologique absolument inédit.
Comme dans toute gestion de crise, nous avons noté des aspects perfectibles en matière d’organisation. Cependant, nous pouvons être fiers de la réponse collective apportée au profit du territoire et de sa population après le passage d’Irma.
Monsieur le président, vous m’interrogez également sur le budget de la sécurité civile. En l’espèce, le programme 161 porte les crédits de la sécurité civile au sein de la mission de sécurité du ministère de l’intérieur et des outre-mer. Il regroupe environ 700 millions d’euros de crédits, avec une large majorité de crédits hors titre 2.
En matière d’emplois budgétaires, la sécurité civile représente près de 2 400 ETP. En comparaison, l’écrasante majorité des acteurs du secours, c’est-à-dire des sapeurs-pompiers de tous statuts et des bénévoles des associations de sécurité civile agréées, ne correspondent pas à des emplois de l’État. Il est à noter que la majeure partie des emplois du programme 161 sont composés des formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), pour 1 400 ETP. S’y ajoutent le personnel administratif, les démineurs, les pilotes et les mécaniciens qui se chargent des avions et des hélicoptères de la sécurité civile.
Les crédits nous permettent notamment d’alimenter les avions et hélicoptères en carburant et en produit retardant, de contribuer au financement de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, de financer certains projets structurants pour les acteurs du secours, comme le projet NexSIS et le pacte capacitaire.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ma commune accueille l’un des centres de réserve de la sécurité civile. J’ai eu l’occasion de le visiter. Le matériel qui y est entreposé et qui peut être ainsi projeté dans des délais extrêmement réduits est impressionnant.
Vous indiquez qu’une feuille de route est en cours d’établissement avec les territoires. En outre, vous établissez un bilan très positif du plan Orsec de La Réunion. En creux, nous pouvons penser que tous les plans Orsec n’affichent pas la même qualité.
Comment évolue votre doctrine en la matière ? Comment vos feuilles de route et vos retours d’expérience sont-ils intégrés dans l’évolution des plans Orsec ? Est-il nécessaire d’apporter rapidement une modification à certains aspects des plans pour en garantir le caractère opérationnel ?
Par ailleurs, vos préconisations et vos retours d’expérience sont-ils intégrés dans les plans de prévention des risques (PPR) ? En effet, ce sont vos forces opérationnelles qui sont les mieux à même de formuler ces préconisations.
Plus généralement, lors de chaque audition, nous tendons à établir des comparaisons entre la gestion du cyclone Belal et du phénomène Irma. Nous avons noté que ce dernier a été intégré profondément dans la culture de prévention du risque des services de l’État et des services locaux, ce qui est positif. Cette intégration culturelle a effectivement abouti à une gestion du cyclone Belal particulièrement efficace.
Cependant, les scientifiques indiquent également qu’au regard de la trajectoire de l’évolution climatique, le risque est que les événements soient non pas plus nombreux qu’actuellement, mais plus semblables à l’ouragan Irma qu’au cyclone Belal, c’est-à-dire des événements d’une intensité plus forte en moyenne que ceux d’aujourd’hui.
Comment cette trajectoire est-elle intégrée dans les documents ? Comment transmettez-vous les informations en la matière ? Comment faites-vous en sorte de pouvoir gérer le cumul des désordres ? J’évoque ici des désordres climatiques avec des effets sur les populations, mais également sur les industries, des risques de pollution ainsi que des aléas devenant extrêmement divers.
Vous vous montrez rassurant lorsque vous nous exposez votre expérience. En revanche, vous l’êtes moins lorsque vous indiquez que tous les moyens nécessaires pour gérer ce cumul de désordres ne sont pas à disposition. Peut-être ai-je une compréhension trop pessimiste de vos propos. Le cas échéant, vous pourrez apporter un éclairage.
En outre, de nombreux scientifiques, notamment à Météo‑France, tendent à regretter de ne pas pouvoir bénéficier d’interlocuteurs suffisamment stables pour pouvoir partager leur culture et améliorer la performance dans l’établissement des prévisions. Que vous inspire cette remarque ?
Vous indiquez par ailleurs que dix ETP seront mobilisés pour pouvoir préparer chacun des territoires. Ces moyens vous paraissent-ils à la mesure de l’évolution des aléas et des enjeux d’aujourd’hui et de demain ? À cet égard, le chiffre de 17 000 jours‑hommes que vous avez mentionné précédemment constitue certes un thermomètre, mais décrit également une trajectoire. En effet, rien ne laisse présager qu’il se réduira durablement dans les temps à l’avenir, notamment si les mécanismes du réchauffement climatique se traduisent comme nous l’anticipons.
Enfin, vous avez évoqué les cas de l’océan Indien et des Antilles. Nous souhaitons savoir comment se répartissent les compétences dans les différents territoires du Pacifique et leur articulation avec les territoires relevant de l’article soixante-quatorze ou du titre treize de la Constitution.
M. Julien Marion. J’entame ma réponse par une remarque générique : la gestion des crises, dont les crises d’origine naturelle, est une extraordinaire école d’humilité, car elle renvoie à des considérations de nature quasiment philosophique sur les rapports entre l’homme et la nature. Je pourrais disserter des heures durant sur ce qui se passe quand l’homme a l’illusion ou la prétention de vouloir dominer la nature. La gestion des crises demeure une école d’humilité permanente.
Nous tentons de « domestiquer » cette difficulté à travers une posture d’humilité, qui consiste à admettre que nous n’avons pas toujours raison et que l’apprentissage est continu, et à travers un certain nombre de principes qui structurent notre action.
Cet aspect renvoie à la manière dont nous intégrons les leçons tirées des différentes gestions de crises, c’est-à-dire les retours d’expérience. Je vous rassure, monsieur le rapporteur. Au sein de la DGSCGC, une sous-direction se consacre à la prise en considération des retours d’expérience. Il s’agit du bureau dirigé par madame Catherine Haller.
Les missions de ce bureau et de cette sous-direction sont d’analyser les risques en permanence et de rester en éveil sur l’évolution des risques. Il s’agit également d’animer et de garantir la qualité du travail de planification qui découle de l’analyse des risques, tant sur le plan national que sur le plan local. À ce titre, nous devons apporter une aide aux acteurs locaux dans leur travail de planification. S’ajoutent à ce schéma la politique de retour d’expérience et la politique d’exercice.
La bonne gestion d’une crise implique un travail de préparation, notamment à travers le travail de planification opérationnelle. Celle-ci doit déboucher sur un plan pouvant être valablement mis en œuvre le jour où la crise survient.
La préparation d’une crise repose également sur les leçons des crises précédentes, c’est-à-dire le retour d’expérience. Chaque crise, sans exception, nous permet d’identifier des nouveautés et d’affiner le dispositif. À titre d’exemple, lors du phénomène Belal, nous avons appris à gérer la phase violette d’alerte des populations.
La préparation d’une crise s’appuie en outre sur les exercices nationaux, qu’ils soient pilotés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), par le ministère de l’intérieur ou par les autres ministères, et les exercices locaux. Il est à noter qu’un bon exercice est un exercice raté. A contrario, un exercice au cours duquel tout se déroule comme prévu n’a sans doute pas été bien pensé.
Précisément, les exercices sont conçus pour révéler les dysfonctionnements afin que, lors de la crise, les dispositifs fonctionnent plus ou moins correctement. Nous réalisons un grand nombre d’exercices nationaux et locaux. Un exercice aura lieu au début du mois d’avril en préparation des jeux olympiques et paralympiques.
Cette politique d’exercice est également suivie au sein du bureau de Catherine Haller. Nous nous assurons qu’en complément des exercices nationaux, les exercices locaux conduits par les préfectures sont suffisamment nombreux et variés. Cette démarche vise à nous accoutumer aux risques et à l’incertitude liée aux épisodes climatiques majeurs.
De ce point de vue, le parallèle entre la gestion des crises Irma et Belal est intéressant. Les conséquences du cyclone Belal auraient pu être nettement plus dramatiques. Ce phénomène a modifié sa trajectoire au dernier moment pour passer à quelques dizaines de kilomètres au large des côtes réunionnaises. Initialement, sa trajectoire incluait l’île de La Réunion. Nous nous y étions préparés.
Par ailleurs, plusieurs scientifiques relèvent l’absence ou l’insuffisante stabilité des interlocuteurs en matière d’appréhension des risques majeurs, ce qui renvoie à des considérations qui dépassent le champ de la DGSCGC.
Les structures doivent continuer de fonctionner au-delà des personnes qui les incarnent temporairement. En matière de gestion des crises, comme dans d’autres domaines, toute organisation qui dépend trop des personnes qui la composent s’avère fragile. À travers la planification, nous nous efforçons de créer des schémas pérennes de prise de décision.
En outre, le Pacifique se caractérise par une situation juridique quelque peu différente des autres territoires ultramarins. Comme vous le savez, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, la compétence en matière de sécurité civile a été transférée au gouvernement local.
L’État n’est plus compétent en première intention en matière d’organisation des secours. Il le reste en matière de supervision zonale. Néanmoins, cet échelon n’est pas directement en prise avec l’activité opérationnelle. En conséquence, les gouvernements locaux sont chargés de faire fonctionner les services locaux de sécurité civile. Les modalités d’intervention sont donc différentes de celles des autres territoires ultramarins.
Toutefois, comme nous l’avons vérifié récemment en Nouvelle-Calédonie, lorsqu’un territoire est confronté à un épisode climatique majeur, comme des incendies, il peut recourir à la solidarité nationale. Nous apportons également un appui aux autorités locales de Polynésie française en matière de structuration des services d’incendie et de secours.
J’aborde votre dernière question, monsieur le rapporteur, concernant le caractère suffisant ou non des moyens supplémentaires que nous implanterons dans les territoires ultramarins en application de la Lopmi. Il s’agit d’un progrès par rapport à la situation actuelle. Je souligne toutefois qu’il ne s’agit pas de moyens d’intervention. Ces derniers proviendront principalement des acteurs présents localement et des renforts nationaux.
Précisément, les dix ETP qui constituent le « harpon » faciliteront l’arrivée des renforts nationaux. Ils conduiront des actions de formation et de professionnalisation des acteurs locaux.
Monsieur le rapporteur, vous demandez si ces moyens nous préparent suffisamment à la multiplication de phénomènes de type Irma. Il convient d’aborder ce sujet avec lucidité. Voici une dizaine de jours, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a annoncé l’ouverture d’un Beauvau de la sécurité civile.
Cette démarche particulièrement ambitieuse vise à revisiter l’organisation de notre modèle de sécurité civile à la lumière de l’évolution des conséquences du changement climatique, de l’évolution du système de soins, etc.
Dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, qui nous mobilisera jusqu’à la fin de l’année 2024, nous nous interrogerons sur notre capacité à traiter les phénomènes climatiques majeurs dans les territoires ultramarins à l’horizon 2050.
M. le président Mansour Kamardine. Comme le propose monsieur le rapporteur, nous vous soumettrons nos questions complémentaires en dehors de cette audition, si vous l’acceptez.
M. Julien Marion. Nous y répondrons volontiers.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie, monsieur le directeur, ainsi que les collaborateurs qui vous accompagnent.
M. Julien Marion. Pour ma part, je vous remercie pour les mots que vous avez eus à l’endroit du personnel de la sécurité civile déployé à Mayotte que je leur transmettrai naturellement.
34. Table ronde, ouverte à la presse, d’associations d’élus (14 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. La présente table ronde est consacrée aux associations d’élus locaux. Nous recevons l’association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCD’OM), représentée par son président, monsieur Jean‑Claude Maes, et sa déléguée générale adjointe, madame Laetitia Malet. Nous accueillons également une délégation de l’association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), conduite par monsieur Ferdy Louisy, maire de Goyave en Guadeloupe.
Nous recevons enfin les représentants des départements de France, avec madame Sophie Arzal, vice‑présidente du département de la Réunion et présidente du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), ainsi que monsieur Frédéric Guhur, directeur adjoint du pôle développement du département de la Réunion et monsieur Jean-Baptiste Estachy, conseiller en sécurité des départements de France.
Votre audition retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible sur demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Ferdy Lousy, M. Jean‑Claude Maes, Mme Laetitia Malet, Mme Pauline Delaere‑Papin, Mme Stéphanie Bidault, Mme Charlotte de Fontaines, Mme Valérie Séné, Mme Sophie Arzal, M. Jean‑Baptiste, Estachy et M. Frédéric Guhur prêtent serment.)
M. Ferdy Louisy, maire de Goyave. Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer, au nom de l’AMF, sur une problématique qui touche un grand nombre de secteurs et encore davantage les communes d’outre-mer.
Nous souhaitons vous apporter des informations concernant les difficultés que nous rencontrons en lien avec le changement climatique, mais également les solutions pouvant être envisagées, notamment en matière d’amélioration du cadre législatif. Nos suggestions visent non seulement à protéger la population, mais également à faciliter notre travail au regard de notre responsabilité d’élus. En effet, les maires sont particulièrement exposés aux changements globaux que nous connaissons, notamment sur le plan juridique. Les pistes que nous vous soumettrons doivent nous aider à mieux coordonner les actions sur le terrain.
Nous évoquerons par ailleurs des questions de nature, de finances et de responsabilités, mais également des sujets sociaux. Il s’agit de souligner les drames que vivent nos populations face à des phénomènes qui nous sont étrangers, dans la mesure où ce sont des changements affectant l’ensemble de la planète. Dans ce cadre, l’outre-mer comporte des particularités et des particularismes à prendre en compte. Nous vous ferons donc part de nos attentes.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous rassure : notre débat ne doit souffrir d’aucun tabou. Nous sommes en mesure d’entendre et de comprendre toutes vos remarques.
M. Jean-Claude Maes, président de l’association des communes et collectivités d’outre-mer. Pour ma part, je m’efforcerai de répondre au plus grand nombre de questions, que nous pourrons également approfondir avant de vous transmettre une production écrite dans les semaines à venir.
Les territoires d’outre-mer cumulent la quasi-totalité des risques naturels : séismes, glissements de terrain, risques volcaniques, cyclones, inondations, submersions, tsunamis, etc.
Il est à noter que nous ne parvenons pas à inscrire les sargasses comme un risque naturel. Les assurances ne peuvent pas être mobilisées dans le cadre de leur traitement. Les sargasses représentent un coût important à supporter pour les Antillais.
Nos territoires sont également marqués par le recul du trait de côte lié au réchauffement climatique, sans oublier les conditions climatiques extrêmes en hiver à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les impacts de ce changement climatique sont d’ores et déjà visibles. Les prévisions annoncent une intensification de la puissance des cyclones et d’autres événements naturels. Elles rendent nécessaires une meilleure gestion en outre-mer et une prévention renforcée par les collectivités.
En effet, l’ampleur des risques dépend aussi de la vulnérabilité des enjeux. Or, les territoires d’outre-mer sont à la croisée de plusieurs vulnérabilités d’importance, qu’elles soient économiques, environnementales, sociales ou infrastructurelles.
Mme Sophie Arzal, vice-présidente du département de La Réunion et présidente du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours. Je représente aujourd’hui le président du département de la Réunion, Cyrille Melchior, qui est également le président de la commission des outre-mer des départements de France. Je m’exprimerai aussi en ma qualité de présidente du SDIS de la Réunion.
Je souhaite rappeler l’événement qui a scellé notre prise de conscience collective de la nécessité de nous organiser face à des événements naturels de plus en plus impactants pour nos territoires et leur population. En octobre 2011, un an après un incendie criminel de grande ampleur dans les Hauts de l’Ouest, la Réunion était de nouveau la proie des flammes.
Une semaine après le premier départ de feu, les pompiers ont dû faire face à un front large de 20 kilomètres, violent et difficile à maîtriser. Le feu s’est propagé rapidement dans les zones agricoles et les zones habitées situées à proximité. Afin de maîtriser les flammes, des moyens sans précédent ont été déployés, dont plus de 800 personnes, dont des pompiers, des militaires, des agents de l’office national des forêts et du parc national.
Malgré tous les efforts des intervenants, l’incendie n’a pu être maîtrisé que le jeudi 3 novembre, alors que 2 677 hectares de forêt, dont une grande partie se trouvait dans le périmètre du parc national, étaient partis en fumée. Certains secteurs qui abritent des espèces strictement endémiques ont été touchés.
Cette catastrophe majeure a touché directement et profondément les Réunionnais. Tous les acteurs institutionnels sont conscients de l’ampleur de ce drame et réclament la mobilisation de tous pour que le feu ne fasse plus jamais autant de dégâts.
De l’avis général, il convient de transformer cette catastrophe en une opportunité afin de mieux prendre en compte ces espaces à la fois riches et fragiles. L’éruption volcanique survenue en 1977 fut l’événement naturel ayant engendré la construction de l’observatoire volcanique du piton de la Fournaise. De la même façon, les incendies du Maïdo des années 2010 et 2011 ont été l’événement déclencheur de la mise en place d’un réel partenariat institutionnel autour des risques naturels.
La Réunion est concernée par sept des treize risques naturels principaux répertoriés en France, auxquels viennent désormais s’ajouter la canicule et la sécheresse dans des zones auparavant préservées. L’ensemble des territoires ultramarins est également confronté à cette nouvelle situation.
Dès lors que l’île de la Réunion est menacée par le passage d’un système de nature cyclonique, le dispositif spécifique Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) cyclone est activé. Bien entendu, la population est régulièrement informée de l’évolution du phénomène et de ses dangers.
Par ailleurs, un schéma de diffusion de l’alerte spécifique existe déjà à la Réunion dans le cadre du plan Orsec volcan. L’observatoire volcanologique du piton de la Fournaise constitue d’ailleurs le premier maillon de la chaîne d’alerte. La veille opérationnelle est assurée par le cadre d’astreinte de l’état-major de la zone de protection civile de l’océan Indien, en lien avec l’observatoire volcanique.
La Réunion est également concernée par le risque de feu du 15 septembre au 15 décembre. Une réunion téléphonique regroupant Météo‑France, le SDIS et l’état-major de zone préfecture se tient quotidiennement, hormis le jeudi, où l’ensemble des partenaires est amené à produire la carte des risques de feu de forêt de manière partagée. Cette carte fait ensuite l’objet d’une large diffusion auprès des différents acteurs du département et de la population.
Comme vous l’avez compris, la situation géographique et la nature géologique de l’île de la Réunion en font l’une des régions françaises les plus exposées au risque naturel. Les événements majeurs liés aux risques naturels des deux dernières décennies ont mis en exergue la fragilité des territoires ultramarins et la nécessité de renforcer la couverture opérationnelle et la résilience des réseaux.
Depuis maintenant plus de dix ans, l’axe majeur de la construction de la réponse de tous les acteurs impliqués face aux risques est l’information et la sensibilisation du public. Il est fondamental de forger une culture collective permettant à chacun de développer un comportement responsable au regard des dangers et d’agir pour s’en prémunir.
Il est tout aussi fondamental d’aménager nos territoires pour les rendre plus résilients aux risques naturels. Ainsi, à la Réunion, le département est engagé dans une programmation d’investissements ambitieux visant à renforcer les infrastructures hydrauliques, la mobilisation et la distribution en eau brute à destination des agriculteurs et des communes.
Il s’agit également de renforcer les infrastructures routières, avec le plan de résorption des radiers submersibles, afin de rendre le territoire plus résilient face aux catastrophes climatiques, que ce soit la sécheresse, les fortes pluies ou les cyclones.
Avec un investissement annuel d’environ 25 millions d’euros, le département de la Réunion a sécurisé la distribution d’eau pour treize des vingt-quatre communes de l’île et l’irrigation de plus de 16 000 hectares de terres agricoles, soit près de 40 % de la surface agricole utile.
Cet engagement se poursuivra dans les années à venir avec le projet de mobilisation des ressources en eau des micro‑régions nord et est (projet Meren). De même, le plan de résorption des 163 radiers submersibles conduit sur le réseau des routes départementales vise à supprimer les écoulements dangereux qui surviennent lors des crues des ravines et dans les hauts de l’île.
En outre, le récent passage du cyclone Belal à proximité de la Réunion a permis de mesurer les effets positifs de ces aménagements, avec la réduction de la vulnérabilité de nos infrastructures.
Les réseaux hydrauliques structurants ont permis de maintenir l’accès à l’eau et de limiter les interruptions de service dans de nombreuses communes, alors même que le territoire était fortement impacté par le phénomène. Grâce aux quarante-neuf anciens radiers submersibles remplacés par des ouvrages d’art, aucune fermeture de la circulation et aucun isolement des quartiers n’ont été déplorés.
Toutefois, ces investissements sont coûteux. Le département, comme les autres collectivités qui aménagent le territoire, doit pouvoir être accompagné à la hauteur des enjeux.
Par ailleurs, le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques a été adopté en 2023 pour les cinq années à venir. Ce document de référence pour l’action du SDIS 974 a été entièrement repensé pour prendre en considération l’intensité et la fréquence croissante des phénomènes naturels d’une part, et l’éloignement de notre territoire exigeant de dimensionner nos moyens d’action en complète autonomie durant soixante-douze heures en attendant des renforts d’autre part.
La situation exceptionnelle des outre-mer, son éloignement et son exposition avérée à des événements naturels de plus en plus intenses est l’élément essentiel que je souhaite porter à votre connaissance. Elle requiert une prise en considération spécifique au titre de la mise en œuvre des politiques nationales d’une part, et des moyens financiers adaptés à la hauteur des enjeux d’autre part.
Les territoires ultramarins ont su déployer une culture du risque chez leurs décideurs comme au sein de leur population. Cette culture est couplée à une organisation pré-opérationnelle rodée. À ce titre, les outre-mer font preuve de maturité et d’innovation à l’heure du changement climatique mondial. Au regard des catastrophes qui touchent désormais l’Hexagone, il est essentiel que les bonnes pratiques des territoires ultramarins bénéficient d’un accompagnement et inspirent les territoires métropolitains.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Il était important pour nous de vous rencontrer, car les collectivités locales se situent à la base de la résilience des territoires lorsque les aléas surviennent. La résilience des territoires renvoie à l’anticipation de ces aléas. Un travail considérable a été fait auprès des populations en matière de prise de conscience des risques. Des mesures très concrètes et très pratiques ont également été prises en matière d’équipement, de prépositionnement et de normes de constructibilité, par exemple.
Une coconstruction qui s’opère entre les services de l’État et entre les différentes collectivités locales. Considérez-vous que cette coordination se déroule de manière satisfaisante sur nos territoires ultramarins et que la rétrocession des retours d’expériences de l’ensemble des interlocuteurs est correctement intégrée aux différents documents d’urbanisme, c’est-à-dire au plan de prévention des risques et au plan Orsec, par exemple ?
M. Ferdy Louisy. Dans le cadre des crises survenues avec le passage des cyclones Irma, Maria et Fiona, sur la coordination, la Guadeloupe et la commune de Goyave ont pu tirer un certain nombre d’enseignements et constater la fluidité de la gestion de crise entre l’État et les communes.
Pour notre part, nous mettons en place des moyens, dont le plan communal de sauvegarde. Ce dernier porte ses fruits en matière d’anticipation des crises. Après la crise, lorsque nous devons reconstruire et mettre en sécurité la population, nous pouvons nous appuyer sur des financements, dont les crédits spécifiques de l’outre-mer et d’autres crédits mis à disposition par l’État.
Après le passage du cyclone Fiona en septembre 2022, nous avons obtenu une aide de l’État de 1 million d’euros afin de réhabiliter une zone avec la construction de routes, la gestion et le traitement des eaux de ruissellement et des eaux pluviales. Nous ne disposons pas de foncier. Pour pouvoir mener à bien les travaux, une étude au titre de la loi sur l’eau, qui induit un certain nombre de contraintes, nous a été demandée.
In fine, nous avons perdu les subventions, car les délais administratifs sont incompressibles. Le système normatif est si contraignant que nous n’avons pas le temps matériel de tout réaliser pour bénéficier des subventions. Cet exemple très simple témoigne de l’ampleur de la problématique. Les mesures existent et les financements sont disponibles. En revanche, les contraintes administratives ne nous permettent pas d’en bénéficier, notamment lorsque nous ne possédons pas de foncier.
Cet aspect a un impact sur la résilience du territoire. Les financements sont perdus aussi bien au niveau de l’État qu’au niveau de l’Union européenne. Lorsque nous avons dû reconstruire après une crise, nous avons subi les effets de l’augmentation de prix liée à la crise du covid et à la guerre. Les délais étaient alors portés à deux ou trois ans pour réaliser un projet. Nous avons dû solliciter des dérogations exceptionnelles pour bénéficier du fonds Barnier.
Nous sommes ainsi confrontés à un certain carcan administratif qu’il convient de simplifier, soit à travers le code général des collectivités territoriales, soit à travers aussi le code de la commande publique. En effet, ces codes ne semblent pas adaptés à des situations de crise aussi intenses que celles que nous vivons depuis cinq ou six ans.
En 2018, la députée Maina Sage nous avait déjà interrogés. À cette période, nous avions également rapporté nos observations à la sénatrice Victoire Jasmin. De nombreux rapports sur les risques au naturel ont d’ores et déjà été publiés.
Malgré ces éléments, la simplification administrative dont nous avons besoin pour conduire nos dossiers et bénéficier d’une protection juridique n’est toujours pas à l’œuvre. Or dans certains cas, la gestion de l’urgence visant à sauver des vies et des populations peut conduire à ne pas respecter le code, ce qui peut être reproché à l’élu quelques années après.
Nous souhaitons donc vous soumettre des propositions d’amélioration et évoquer les questions de coordination non seulement avec les services de l’État, mais également avec d’autres collectivités, comme les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Un travail législatif reste à réaliser pour nous permettre de mieux coordonner les actions, mutualiser les moyens et faciliter la coopération entre les communes.
M. Jean-Claude Maes. La méthode mise en place par le gouvernement, avec le document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) et le plan local d’urbanisme (PLU), porte ses fruits. En revanche, nous continuons à rencontrer des différentes avec les assurances. À cet égard, les nombreux habitats informels présents aux Antilles ne sont pas assurables. Or nous ne possédons pas le foncier nécessaire pour reloger les personnes concernées.
En cas de cyclone, l’île de Marie‑Galante peut se retrouver coupée des autres territoires pendant soixante-douze heures. Elle doit donc être autonome pour pouvoir soutenir sa population.
Par ailleurs, une note du gouvernement demande que les sargasses soient ramassées dans un délai de vingt-quatre à soixante-douze heures. J’ai été auditionné par la chambre régionale des comptes, qui m’a reproché de recourir trop fréquemment à une entreprise locale. Or celle-ci est la seule qui est en mesure de répondre aux situations d’urgence. De ce point de vue, le code des marchés publics n’est pas adapté aux actions à entreprendre en cas de catastrophes. Il convient de lui adjoindre des mesures d’assouplissement.
En outre, de nombreuses communes ne possèdent pas l’ingénierie nécessaire pour mobiliser le fonds Barnier. Pour leur part, les particuliers ne sont pas informés ou ne sont pas assurés et ne peuvent pas non plus mobiliser ce fonds, le cas échéant.
Dans cette situation, nous apprenons parfois à la télévision que les fonds repartent vers l’Europe, alors que notre population reste en souffrance dans tous les outre-mer. Monsieur le président, comment pourrions-nous assouplir les règles ?
Mme Sophie Arzal. Je ne peux que partager les remarques précédentes concernant la faiblesse des aides de l’État postérieures au passage de cyclones. Certes, les derniers phénomènes nous ont permis de vérifier le bon niveau de la coordination des équipes et de leurs commandements, quels que soient les échelons concernés.
Néanmoins, le retour d’expérience du plan Orsec cyclone et de la gestion de crise du cyclone Belal a montré que la principale difficulté a porté sur la remise en état du réseau EDF, faute d’investissement suffisant. L’absence d’électricité pendant un certain temps a également mis à mal la distribution d’eau potable.
Sans l’électricité, les habitants peuvent être privés de réseau internet et d’eau potable et donc se retrouver coupés du monde. Je tiens également à témoigner du manque de résilience des réseaux téléphoniques, qui sert aux demandes de secours de la population. Cet aspect constitue également l’une des conséquences des risques naturels majeurs sur nos territoires.
En résumé, en cas de crise dans les différents territoires ultramarins, les aspects financiers demeurent le « nerf de la guerre ». De lourds investissements restent donc nécessaires.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Notre commission d’enquête est particulièrement intéressée par vos contributions et vos critiques, notamment lorsque celles-ci s’appuient sur des exemples précis. Ces exemples doivent nous aider à trouver les méthodes adaptées.
Vous semblez vous réjouir unanimement de la bonne coopération et de la bonne volonté des différents acteurs. Cependant, vous regrettez l’absence d’une procédure dérogatoire vous permettant de réagir en temps utile et mentionnez des problèmes réglementaires qui diminuent le caractère opérationnel de vos interventions et vous exposent à un risque juridique.
Se pose également la question du financement de la résilience postérieure à la crise. Par ailleurs, certaines de vos remarques portent sur la coordination avec le secteur privé, que ce soit dans le domaine des infrastructures de communication ou dans le domaine assurantiel.
De manière plus générale, vous indiquez que vous êtes amenés à agir avec « les moyens du bord ». Dans ce cadre, comment la coopération se déroule-t-elle lorsqu’il convient de modifier les documents comme le plan Orsec ou le règlement d’urbanisme ? Rencontrez-vous les mêmes difficultés ?
J’effectue le suivi des budgets ultramarins pour le compte de mon groupe parlementaire. Je constate que l’ingénierie fait partie des « serpents de mer » qui réapparaissent régulièrement. Les experts de Météo‑France et du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) que nous avons auditionnés indiquent qu’ils ont besoin d’interlocuteurs permanents dans les collectivités locales et capables de traduire leurs préconisations en mesures.
Partagez-vous ce constat ? Recueillez-vous des demandes sur ce sujet ? En tout état de cause, je vous invite à exprimer vos demandes.
M. Ferdy Louisy. Nous avons besoin avant tout de recruter du personnel interne ou de mutualiser les ressources. Je souligne qu’une association départementale des maires n’est pas un syndicat et ne reçoit pas de transfert de compétences. Nous sommes donc limités en matière de conventionnement.
Le sujet des risques naturels renvoie à la mission régalienne de l’État. Peut-être les ressources pourraient-elles être mises en place à cet échelon. Une autre piste serait de confier des moyens aux communes. Ces moyens ne doivent pas prendre la forme d’emplois précaires, comme le volontariat au service civique. Il s’agit plutôt de confier ces moyens aux EPCI. Ce cadre de ressources internes nous faciliterait la tâche, notamment pour recueillir les documents, alimenter un observatoire et partager les expériences.
Par ailleurs, certaines lois tardent à s’appliquer, comme la loi Matras. Or le changement climatique et les événements de plus en plus intenses ne nous permettent pas d’attendre. Un certain nombre de lois incluant une échéance de mise en application et portant sur les intercommunalités pourraient être rendues applicables dès 2026 ou 2027, compte tenu de l’évolution des événements.
Nos budgets de fonctionnement, qui sont contraints, nous servent uniquement à travailler sur les situations d’urgence. Or la solidarité nationale ne se traduit qu’à travers des mesures déléguées à des préfets. En cas de catastrophe lourde et grave, la représentation nationale doit pouvoir se saisir du dossier et être plus réactive dans la gestion de ses budgets.
En pratique, nous ne savons jamais si nous pourrons exécuter le budget de l’année, dans la mesure où les événements liés aux risques naturels majeurs surviennent régulièrement. Par exemple, nous avons dû traiter le risque sanitaire issu des sargasses et l’intégrer à notre plan communal de sauvegarde.
Face aux nouveaux risques, nous gérons les crises au mieux sans pouvoir prendre de la hauteur de vue, le cadre législatif nécessaire pour cela faisant défaut.
M. le président Mansour Kamardine. Lorsque le budget de la nation est voté, une ligne du budget du ministère de l’intérieur et des outre-mer prévoit les interventions à réaliser, notamment en cas de catastrophe naturelle. Cette ligne permet à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) d’intervenir.
M. Jean-Claude Maes. Pour ma part, j’ai dû recourir à un consultant pour établir le plan local d’urbanisme (PLU), qui représente un travail intense. Nous ne disposons pas des compétences en interne pour le réaliser. Le coût du recours aux consultants est croissant pour les collectivités.
Nous souhaiterions détenir l’ingénierie et les compétences requises. Cependant, les petites collectivités ne peuvent pas embaucher du personnel de catégories A et B, sachant que la chambre régionale des comptes nous contrôle régulièrement sur les questions de dépenses de personnel. En pratique, les compétences nécessaires pour faire fonctionner nos collectivités d’outre-mer ne sont pas toujours disponibles.
En outre, les lois sont de plus en plus spécifiques, ce qui pose un problème aux petites communes. Lors de la tempête Hugo, le président Mitterrand avait déclaré que nous devions commencer à « bousculer les normes » et assouplir la loi en cas de catastrophe naturelle. Dans ma commune, si je ne ramasse pas les sargasses dans un délai de 72 heures, je peux être tenu pénalement responsable en cas d’intoxication. D’ailleurs, toutes les communes touchées par les sargasses doivent désormais constituer une ligne budgétaire distincte. Or les fonds nécessaires pour abonder cette ligne ne sont pas toujours disponibles.
Nous avons également un problème important d’organisation des territoires. Il est à noter que la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) donne un avis conforme en Guadeloupe, tandis qu’elle donne simplement un avis en métropole. Dans notre territoire, ces décisions peuvent donc se relever bloquantes.
Je regrette que la CDPENAF ne se rende pas plus fréquemment sur le terrain pour discuter de manière approfondie avec les maires et les techniciens des zones constructibles. Une relation beaucoup plus fluide est nécessaire entre les différents organismes. De plus, nous pensons que si la CDPENAF ne donnait qu’un simple avis dans les départements d’outre-mer, il s’agirait d’un grand progrès en matière d’urbanisme.
Mme Sophie Arzal. Pour faire avancer nos dossiers, les collectivités doivent effectivement disposer d’une ingénierie de haut niveau pour négocier avec les services instructeurs. Il est également nécessaire que les postures des services de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) évoluent vers une logique plus orientée vers l’accompagnement que vers le contrôle et la sanction systématiques.
Par ailleurs, afin d’assurer la couverture des risques naturels majeurs, le contexte insulaire et ultramarin implique la nécessité d’une dotation en personnel et en matériel beaucoup plus importante que celle des départements hexagonaux à population équivalente, notamment pour les services départementaux d’incendie et de secours. Cet aspect induit des coûts supplémentaires, tant en matière d’investissement qu’en matière de fonctionnement.
Un événement tel que le cyclone Belal conduit à une demande de budget supplémentaire des SDIS, lesquels sont financés à plus de 80 % par le conseil départemental. Sur le plan budgétaire, nous ne pouvons pas anticiper ces coûts supplémentaires qui touchent aussi bien la gouvernance du SDIS et le conseil départemental.
Selon moi, il importe de maintenir l’aide des services de l’État et la dotation en financement. Il est également important que nous puissions accéder à ces aides de manière agile pour financer les coûts engendrés par nos services d’incendie, nos services de secours et donc de notre conseil départemental.
Bien entendu, la réponse à nos besoins demeure financière. La gestion des risques majeurs elle-même ne peut être qu’un pilier de révision des budgets alloués au regard de nombreux risques auxquels nous sommes confrontés.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Une ligne budgétaire du ministère de l’intérieur et des outre-mer prévoit un fonds d’urgence. Il s’agit d’une enveloppe théorique.
Je note dans vos témoignages qu’il convient de distinguer le traitement de l’urgence et le traitement curatif nécessaire à la résilience de terrains vulnérables.
Vous évoquez la difficulté à adapter un outil de sécurité civile à des événements qui ne se produisent pas continuellement. À cet égard, il semblerait compliqué de maintenir en état de veille une force pouvant réagir à un aléa.
Je précise que le représentant de la sécurité civile a témoigné des efforts accomplis par sa direction afin de favoriser la formation du personnel sur place. Comment évaluez-vous la culture du risque du personnel des collectivités et de la population ?
Par ailleurs, j’ai joué le rôle de responsable du texte pour mon groupe politique dans le cadre de la proposition de loi du président Serge Letchimy sur les indivisions successorales. Ce matin, une commission mixte paritaire s’est réunie sur le projet de loi sur les propriétés dégradées, qui prévoit un certain nombre de dispositions d’exemption des formalités d’urbanisme en cas de nécessité de rénovation d’urgence d’habitats insalubres.
Selon vous, ce type de règle doit-il être également adapté aux risques naturels et à la résilience ? Comment prendre en compte cette question de l’indisponibilité foncière sur vos territoires dans la gestion des aléas ?
En outre, le fonds Barnier peut être mobilisé uniquement au niveau des bâtiments publics. Dans le cadre de la modification des règlements d’urbanisme et de normes de construction, il est parfois demandé à des particuliers ou à des entreprises d’adapter leurs bâtiments ou de les reconstruire pour améliorer la résilience du territoire et supporter les aléas.
De fait, les collectivités locales sont sollicitées par les particuliers et les entreprises. Les outils dont vous bénéficiez, et à l’aide desquels vous pouvez orienter les particuliers, sont-ils adaptés à la gestion des risques naturels ?
M. Ferdy Louisy. Monsieur le rapporteur, vous évoquez ici un sujet sensible, à savoir le droit de propriété, dont un certain nombre de dispositions semblent devoir être révisées au regard des situations de crise. Actuellement, nous ne dégageons pas suffisamment de fonciers pour rendre notre territoire résilient, sur le principe de l’abandon de bien et sur le principe de la loi Letchimy en matière d’indivisions.
Pour ma part, j’ai pris une délibération-cadre afin que nous puissions intervenir rapidement sur les fonciers abandonnés. En effet, le droit de préemption, le transfert d’office avec le préfet et la procédure d’expropriation visant à bénéficier de disponibilité foncière sont des démarches particulièrement longues. Or nous devons adopter un principe d’anticipation. Il convient dès lors d’assouplir un certain nombre de dispositions dans le droit de propriété.
En outre, à travers les fonds verts, nous devrions pouvoir entamer une démarche anticipative en menant à bien les études et les diagnostics. Nous travaillons déjà avec les établissements publics fonciers de nos territoires, qui nous aident dans le traitement des « dents creuses », c’est-à-dire les territoires abandonnés des centres‑bourgs et des zones rurales.
Nous travaillons déjà sur la rénovation et la mise aux normes de l’habitat avec le conseil départemental, la région et l’État. Les principales difficultés concernent l’habitat collectif. Certains programmes de bailleurs sociaux sont réalisés dans des zones devenues très vulnérables ou classées en zones rouges de la prévention des risques naturels, soit des zones inconstructibles. Des mesures de délocalisation sont alors envisagées.
Par ailleurs, un quartier de ma commune a subi les assauts du cyclone Fiona. Environ 2 000 personnes y sont logées dans des bâtiments collectifs. Nous devons les évacuer. Les prêts sont en cours de constitution et la ligne budgétaire unique a été mobilisée. Il s’agit de vies humaines. Le relogement des personnes soulève un grand nombre de questions et se heurte à une multitude de contraintes.
De nombreuses réformes semblent devoir être conduites au regard de textes de loi établis dans un contexte particulier de tranquillité citoyenne et de tranquillité écologique. Selon moi, nous devrions adapter non seulement le code général des collectivités, mais aussi toutes les lois ayant des conséquences sur nos interventions afin de nous permettre de traiter l’urgence le plus rapidement possible.
M. Jean-Claude Maes. Lorsque les communes constituent une réserve foncière, elles rencontrent fréquemment l’opposition de la DEAL et de la CDPENAF. La grande majorité des villes des départements et régions d’outre-mer se situent au bord de la mer. Si le niveau de la mer se rehausse de 1 ou 2 centimètres, certains quartiers et même certaines villes disparaîtront. Les réserves foncières doivent donc être anticipées dès à présent.
À titre d’exemple, dans ma commune, des habitats collectifs ont été construits au bord de la mer. J’ai dû prendre des dispositions pour deux bâtiments afin de les classer en zone rouge, car les vagues pénètrent parfois dans les appartements. Ce problème d’anticipation de la montée des eaux se pose également en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les maires ont donc besoin d’un assouplissement de la loi pour pouvoir constituer des réserves foncières. Depuis 30 ans, nous savons que nous serons contraints de déplacer des villes entières. Or les communes concernées ne possèdent pas les moyens financiers nécessaires.
Par ailleurs, le désert médical constitue une autre problématique à souligner. Après des catastrophes importantes, nous devons mettre en place des chapiteaux pour accueillir les personnes malades. Le désert médical n’est pas particulièrement visible en temps normal. En revanche, si un tremblement de terre survient à Marie‑Galante, les habitants ne peuvent solliciter que quatre ou cinq médecins. Comment évacuer les personnes si la météorologie est mauvaise et si les bateaux et les avions ne peuvent circuler ?
Plus généralement, la gestion des risques naturels majeurs nécessite de l’anticipation.
M. le président Mansour Kamardine. Effectivement, nous devons nous projeter. Tel est le sens de la réflexion menée par notre commission d’enquête.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous constatons à travers ce débat qu’il existe une différence entre la théorie et la pratique. L’objectif est bien de faire évoluer la théorie pour qu’elle se conforme à la pratique.
Par ailleurs, les populations qui résident dans ce que l’on nomme « habitat informel » intègrent parfois des personnes sans titre de séjour. Comment gérez-vous « l’aller vers » concernant ces populations, en cas d’aléas ou de prévention d’aléas, ainsi que leur mise à l’abri ? Comment traitez-vous la question de la résilience à l’égard de l’habitat illégal ?
M. Jean-Claude Maes. Nous pouvons recourir aux écoles, aux abris sûrs et aux stades.
À Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, nous demandons comment le maire peut réagir en cas de catastrophe importante, étant donné le grand nombre de maisons informelles dans cette commune. À Mayotte aussi, un cyclone peut également prendre des proportions catastrophiques pour la population.
Chaque année ou presque, le maire de Saint-Laurent‑du‑Maroni doit construire des écoles. Un terrain vague peut être occupé par une quinzaine de maisons informelles du jour au lendemain matin. Or ces habitats ne respectent pas les normes de sécurité. Cette problématique s’apparente même à une « bombe à retardement » pour nos départements et pour la France. Celle-ci risque même des condamnations de l’Union européenne.
Les habitats informels sont des maisons fabriquées en tôle. Ils se transforment en « coupe-gorge » en cas de tempête ou glissement de terrain. Parfois, je me dis que les maires ne sont pas conscients de risques qu’ils courent en occupant cette fonction. La responsabilité pénale des maires peut être engagée, alors que ces derniers ne disposent pas des moyens nécessaires pour réagir. De plus, la législation est si complexe que toute intervention prend beaucoup de temps.
M. le président Mansour Kamardine. La loi Elan confère des outils aux responsables exécutifs locaux, notamment afin de procéder à la destruction des constructions illicites dans un délai de vingt-quatre ou quarante-huit heures. Or ces outils ne sont pas utilisés à Mayotte. Mayotte constitue le plus grand bidonville. Les constructions illicites sont connues, mais chacun refuse de s’en occuper, pour diverses raisons, jusqu’au jour où certains verront effectivement leur responsabilité pénale mise en jeu.
Les collectivités peuvent certes demander l’aide de l’État. Néanmoins, elles doivent également assumer leurs responsabilités. Devant une construction réalisée sans permis, parfois sur le terrain d’autrui, il convient de procéder à sa démolition avec le concours des services de l’État et ainsi prévenir toute prolifération.
Mme Sophie Arzal. Cette problématique est effectivement considérable à Mayotte. À La Réunion, un chantier important a été mené sur la résorption de l’habitat insalubre. À cet égard, dans le cadre du plan Orsec, l’ensemble des services des collectivités locales et territoriales, dont les services de secours et les associations de proximité, peuvent travailler sur cette question.
Par ailleurs, la sensibilisation du grand public joue un rôle majeur dans la transmission de la culture de la résilience. Elle passe par les réseaux sociaux, les associations et les éducateurs. Ces derniers savent où les populations les plus fragiles se trouvent sur leur territoire. En période de crise rattachée à un risque majeur, la coordination de l’ensemble des services permet, à l’échelle de l’île de La Réunion, d’accompagner et de prendre en charge toutes les populations, quelles qu’elles soient.
Les plans Orsec, pour leur part, prévoient l’ouverture des établissements en centres d’hébergement. Lorsqu’un risque majeur est annoncé, tout le système local est mis en œuvre, coordonné et piloté par le préfet de l’île, ce qui garantit le déclenchement de secours à la mesure de ce que chacun peut attendre en matière de prévention des risques.
M. Ferdy Louisy. Les données relatives au nombre de personnes d’origine étrangère et sans papiers qui se trouvent sur nos territoires sont détenues par l’État. Nous ne sommes pas tenus de les vérifier dans le cadre des inscriptions scolaires, par exemple.
Après le passage du cyclone Irma, j’ai retrouvé en Guadeloupe des personnes sans papiers qui avaient été évacuées de Saint-Martin et qui étaient entassées dans des logements de fortune. Elles couraient un risque grave, comme nous l’avons découvert au moment du passage de l’ouragan Maria à la Guadeloupe. Je leur ai demandé comment elles étaient parvenues en Guadeloupe. La réponse m’a quelque peu surpris : ces personnes avaient bénéficié de l’aide militaire.
Comment l’État gère-t-il les personnes qui se trouvent en situation irrégulière en cas de sinistre ? Comment est-il possible que l’on puisse les déplacer d’un territoire à l’autre ? Nous nous efforçons de connaître nos populations et de repérer les situations de vulnérabilité. Cependant, les migrations qui s’organisent d’île en île, comme celle que je viens de citer, soulèvent de nombreuses questions.
En pratique, nous avons orienté les personnes en question vers les services de l’État pour le traitement des questions de logement, car la loi nous interdit de faciliter l’hébergement durable de personnes sans papiers. À ce titre, les préfets tiennent un discours clair en la matière. Les collectivités ne sont pas tenues de s’occuper des questions de situation migratoire.
Nous devons assumer un certain nombre de responsabilités, dans la mesure où les personnes en question sont des êtres humains, quelles que soient leur nationalité et leur situation civile. Une meilleure coordination est certainement nécessaire concernant l’information à porter à la connaissance des élus locaux et des maires, notamment pour ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français (OQTF).
Notre proximité avec la gendarmerie nous permet d’obtenir certaines informations. Il existe néanmoins une forme d’opacité en la matière. Il serait donc utile que l’État collabore mieux avec les maires pour traiter la situation des populations présentes sur leur territoire.
M. le président Mansour Kamardine. Vous évoquez un sujet complexe qui n’est pas spécifique à l’outre-mer. Il s’agit d’une question régalienne postant sur la liberté de circulation des personnes. Elle relève exclusivement de la compétence de l’État. Toutefois, au regard de la conjugaison des événements et de la réaction de l’opinion, il semble que cette position commence à évoluer.
À titre personnel, je lutte ardemment contre l’immigration clandestine, car je peux en observer les dégâts sur mon propre territoire. Cependant, je reste humain et ne peux pas imaginer qu’en cas de catastrophe naturelle, nous ne venions pas en aide des personnes clandestines.
L’île de Mayotte a récemment connu une crise hydrique sans précédent. Dans le cadre, l’eau a été distribuée à tout le monde, y compris aux personnes sans papiers, car il était impensable, bien entendu, de les laisser mourir de soif sur place. Nous avons tous une part d’humanité.
De même, des personnes se sont retrouvées en situation irrégulière à Saint-Martin. L’État ne dispose pas de locaux dans ce territoire pour les loger. Dès lors, il a dû les acheminer ailleurs pour les loger et les mettre en sécurité.
Par ailleurs, l’État a récemment affrété un avion de 300 places pour conduire des Congolais réfugiés à Mayotte vers la métropole. Certains se sont offusqués du relogement de ces personnes dans de très beaux palais. En tout état de cause, le sujet que vous soulevez mérite un certain nombre de discussions.
Pour rappel, voici quelques années, les élus locaux n’étaient pas informés de la présence de personnes dangereuses sur leurs territoires. La situation a légèrement évolué depuis lors.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je ne partage pas nécessairement la précision de monsieur le président concernant les palais de la République. Quoi qu’il en soit, le sujet de la sauvegarde de la vie des personnes doit être pris en compte. L’information des élus locaux demeure nécessaire, notamment lorsqu’un suraccident climatique survient et qu’ils découvrent la présence de certaines populations.
Pour ce qui concerne la culture du risque, comment favorisez-vous la connaissance des aléas et des bons gestes à adopter ?
M. Ferdy Louisy. Nous avons réalisé un important travail concernant la culture du risque. Lorsque nous sommes informés de la survenance d’un phénomène cyclonique ou d’un incendie, la population peut être mieux préparée grâce aux documents écrits, aux exercices que la préfecture organise dans la zone caribéenne et au travail que nous effectuons sur les réseaux sociaux et en collaboration avec l’éducation nationale.
Nous travaillons également avec des associations afin de diffuser des messages de prévention auprès de la population. Nous nous appuyons sur les grandes radios, les grands médias commerciaux et les médias associatifs.
En revanche, sur l’ensemble du territoire de la Guadeloupe, nous accusons du retard en matière de préparation au risque sismique. Un important travail a été réalisé dans le cadre des différents plans séisme Antilles sur les reconstructions, les bâtiments publics et les exigences architecturales relatives aux bâtiments privés. Ce travail doit se poursuivre. Nous notons d’ailleurs l’accélération de la mise à disposition de moyens par l’État dans ce domaine.
Il nous reste donc à préparer la population, ce qui requiert des moyens supplémentaires. Nous souhaitons confier aux associations et aux réserves de sécurité civile un rôle dans l’anticipation des événements. Peut-être s’agit-il de leur donner un agrément ou un statut particulier leur permettant d’accompagner les collectivités sur le terrain.
Précisément, il convient sans doute de mettre en place une forme de guichet unique pour traiter les questions de prévention et de formation de la population, afin que tous les acteurs disposent d’outils et d’un langage commun.
À cet égard, nous avons besoin de pouvoir communiquer en créole. L’agence régionale de santé a pris en compte ce besoin lors de la crise sanitaire du covid. Cette approche devrait donc être systématisée.
M. Jean-Claude Maes. À Marie-Galante, nous avons travaillé sur les risques naturels majeurs auprès des collèges en utilisant le français et le créole. Nous organisons régulièrement des exercices. Pour ce qui concerne le risque sismique, un bus circule en Guadeloupe pour informer la population des bons gestes à adopter.
Il manque néanmoins d’autres moyens pour développer la culture du risque. Nous devons également travailler avec les agents des collectivités. Dans un territoire particulièrement exposé aux risques naturels, la culture doit s’apparenter à celle de l’hygiène élémentaire.
Nous avons effectivement un travail crucial à conduire au niveau des bâtiments scolaires et communaux. En tout état de cause, il est impératif de créer une culture du risque qui soit permanente. En entrant dans un bâtiment, le premier réflexe doit être de repérer une issue de secours, par exemple.
Mme Sophie Arzal. Je partage l’ensemble des propos de mes collègues en matière de prévention. Les acteurs sont multiples et doivent également être sensibilisés sur cet acte citoyen de la prévention des risques et de la sécurité. L’information passe par tous les acteurs du territoire, qu’il s’agisse des associations, des collectivités, des secours ou du centre communal d’action sociale.
À La Réunion, nous disposons également d’un site internet concernant le dossier départemental des risques majeurs. Vous pouvez le consulter à l’adresse suivante : https://ddrm-reunion.re. Ce site a pour objectif d’informer et de sensibiliser la population sur les risques naturels et les mesures de sauvegarde existantes.
En d’autres termes, nous possédons déjà la culture du risque. En cas de catastrophe, nous devons réagir seuls au regard de notre isolement. Ainsi, il existe déjà une forme de résilience naturelle à travers les mesures de soutien, d’entraide et de partage d’informations et des bonnes pratiques. La sensibilisation s’effectue à tous les échelons et sur l’ensemble du territoire, tant auprès des partenaires privés et associatifs qu’auprès des collectivités.
M. Jean-Claude Maes. En conclusion, je souhaite souligner que l’accord signé par Mayotte en matière de coopération régionale lui permettra, avec l’État, de contribuer aux discussions avec les pays de sa zone régionale. Cet accord est donc positif.
En tant que président de l’ACCD’OM, je ne peux que saluer cette action. Celle-ci pourrait d’ailleurs être dupliquée dans le bassin caribéen.
M. le président Mansour Kamardine. Je partage votre propos. Naturellement, nous sommes intéressés par ce document.
M. Ferdy Louisy. Pour ma part, je souligne le retard important de nos territoires en matière de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Une seule intercommunalité a progressé dans ce domaine du génie végétal. Nous avons besoin de moyens supplémentaires.
En pratique, nous avons eu tendance à artificialiser nos sols, notamment les sols situés sur les berges de nos rivières. Il s’agit de déterminer dans quelle mesure le génie végétal pourrait être également inscrit dans le programme scolaire. Nous avons même besoin d’un véritable programme de formation au métier du génie végétal.
De plus, ce sujet doit être introduit dans les écoconditions à remplir dans le cadre du financement vert de l’État et de l’Union européenne en matière de programmes d’aménagement. Il convient de renforcer les exigences de gestion des rivières et de donner une part plus importante au génie végétal, en complémentarité du génie civil.
Nous recourrons de plus en plus fréquemment à des solutions basées sur la nature, et non pas nécessairement aux méthodes traditionnelles, dont nous payons les conséquences aujourd’hui, c’est-à-dire la bétonnisation et l’artificialisation des sols.
M. le président Mansour Kamardine. Votre sollicitation est bien notée.
Mme Sophie Arzal. Nous vous accueillons très prochainement à l’île de La Réunion. En présence du président Cyrille Melchior, nous pourrons compléter notre débat et aborder les points particuliers de l’île, sachant que Cyrille Melchior est également le représentant de l’assemblée des départements de France d’outre-mer.
Le caractère ultramarin de nos territoires nous relie. Un autre lien réside dans les risques naturels majeurs et les moyens d’y faire face. À cet égard, chaque territoire dispose de son organisation. Outre l’échange des bonnes pratiques, la gestion des risques passe avant tout par la prise en compte locale des enjeux.
M. le président Mansour Kamardine. Nous parvenons au terme de cet échange très constructif. Vos interventions nous ont éclairés et nous permettront de mieux comprendre la prise en charge des risques naturels en outre-mer. Nous vous remercions également de vos suggestions et propositions.
35. Audition, ouverte à la presse, de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques et délégué aux risques majeurs de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), Mission de pilotage des politiques publiques de prévention et de gestion des risques naturels en outre-mer (MAPPPROM) (14 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous concluons notre journée par l’audition de monsieur Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques et délégué aux risques majeurs au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Monsieur le directeur général, votre audition ouverte à la presse est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Cédric Bourillet prête serment.)
M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques et délégué aux risques majeurs au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Je vous remercie de votre invitation. Je suis auditionné à deux titres, le premier ayant trait à mes fonctions pour le compte du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ma qualité de directeur général de la prévention des risques.
Par ailleurs, je suis délégué aux risques majeurs pour le compte de l’ensemble des administrations. J’ai donc l’honneur de diriger une équipe interministérielle nommée « mission d’appui aux politiques de prévention des risques naturels majeurs outre-mer » (Mappprom), laquelle intervient également pour le compte du ministère de l’intérieur et des outre-mer, du ministère du logement et de la construction.
Le premier de grands piliers de la prévention des risques naturels en métropole et en outre-mer est celui de la connaissance des risques, c’est-à-dire l’évaluation des aléas ou des phénomènes naturels qui peuvent survenir et l’évaluation de la vulnérabilité des cibles potentiellement exposées à cet aléa.
Le deuxième pilier concerne la culture du risque. L’ensemble des acteurs et des autorités publiques, mais également chaque entreprise et chaque citoyen, doivent avoir la connaissance des risques et des bons réflexes à adopter pour éviter d’être à l’origine d’un risque. À titre d’exemple, chacun doit savoir qu’un barbecue, des travaux ou un mégot peuvent être à l’origine d’un incendie de forêt et de végétation et qu’il convient dès lors de s’abstenir de certains comportements.
Chacun doit également savoir rechercher l’information et rester connecté pour recevoir les alertes en cas de danger de toute nature. Il s’agit en outre d’adopter les bons réflexes et les bons comportements si le risque se manifeste. Dans le cas de l’outre-mer, les Antilles se caractérisent par un risque sismique très important. Chaque citoyen doit connaître les réflexes à mettre en œuvre, si un bâtiment commence à trembler, afin de réduire son exposition ou de réduire le début du risque.
Le troisième pilier regroupe les actions matérielles de prévention, qu’il s’agisse des plans de prévention des risques, des mesures d’urbanisation, des réflexions en matière d’aménagement. Ces actions peuvent déboucher aussi bien sur des stratégies d’aménagement collectif, des solutions fondées sur la nature ou des mesures de protection collective. Par exemple, il s’agit de proposer aux personnes qui se situent dans des zones très exposées d’évacuer les lieux moyennant une indemnisation, lorsque cette solution s’avère moins coûteuse.
Ce pilier porte également sur la préparation aux situations d’urgence. Les équipes du ministère de l’intérieur y contribuent par la connaissance des aléas et par l’élaboration de stratégies.
L’un des objectifs du traitement d’un risque naturel, outre le fait de survivre à l’événement instantané, est aussi d’être capable d’assurer le retour à la normale le plus rapidement possible. De ce point de vue, le retour d’expérience permet de prendre des dispositions structurelles en matière de résilience et d’infrastructures critiques essentielles au fonctionnement de la société.
À l’aune de ces piliers, nous mettons en place des stratégies ainsi que des outils de communication, des outils réglementaires et des outils d’intervention financière, le fonds Barnier étant le principal outil financier à la disposition de notre ministère.
M. le président Mansour Kamardine. Vous évoquez la connaissance, la culture et la prévention du risque. Concrètement, quelles sont les initiatives prises jusqu’à présent pour sensibiliser les opinions ? A priori, les risques majeurs auxquels les territoires ultramarins sont exposés sont acquis pour tout le monde. Néanmoins, quel est le niveau de connaissance du citoyen sur ces risques ?
Quels sont les acquis en matière de culture du risque et quelles sont les politiques publiques envisagées pour créer cette culture lorsqu’elle est absente ? Quels axes d’amélioration les retours d’expérience laissent-ils entrevoir ?
M. Cédric Bourillet. Nos territoires et les populations d’outre-mer sont exposés notablement aux risques naturels. Cette exposition comporte également certaines spécificités en matière de risque sismique. Précisément, la zone des Antilles affiche un niveau de séisme potentiel plus élevé que le reste du territoire national. Le risque volcanique est présent à la fois dans l’océan Indien et aux Antilles, alors qu’il n’est absolument pas de même nature en métropole.
En outre, les territoires ultramarins sont également exposés aux cyclones et aux tempêtes tropicales. Ces événements météorologiques se présentent de façon nettement plus vive qu’en métropole, soit une autre spécificité.
Les populations ultramarines ont une connaissance plus importante des risques naturels que les métropolitains. Certaines expériences, parfois très anciennes, sont restées dans les mémoires. À titre d’exemple, de nombreux Martiniquais nous parlent des séismes majeurs du début du XXe siècle et d’événements plus récents.
Je cite également les alertes cycloniques que nous avons pu connaître ces dernières semaines à La Réunion. Fort heureusement, le cyclone a considérablement ralenti sa course et s’est avéré d’une intensité nettement plus faible que ce qui était craint. Toutefois, ce cyclone a donné lieu à une sensibilisation grandeur nature des populations.
À cet égard, plusieurs études conduites par nos soins ont fait état d’une forte attente des populations en matière d’information et de formation. Nous nous sommes donc efforcés de nous améliorer dans ces domaines. En 2023, pour la première fois, notre ministère a mené des campagnes d’information, portant notamment sur le risque d’inondation spécifique aux outre-mer. Nous avons même décliné les campagnes dans les langues des différents territoires concernés.
En Guyane, nous avons testé des dispositifs de distribution de fournitures scolaires auprès des enfants et la communication de messages spécifique est en cours.
Ainsi, nous avons testé de nouveaux outils depuis l’année 2023. Cette démarche, qui concerne des outils de toute nature, se poursuit en 2024. Les premiers retours demeurent globalement positifs.
Nous avons également réalisé des tests ex post de nos campagnes de communication. Bien entendu, nous avons interrogé les acteurs locaux. Ceux-ci nous encouragent à poursuivre et renouveler nos campagnes. Sur cette base, nous songeons notamment à couvrir la question des risques liés aux fortes pluies, aux crues, au ruissellement et à la montée rapide des eaux.
Certains interlocuteurs nous conseillent également de traiter la question du risque de glissement de terrain propre à certains territoires. Nous étudions la façon de développer des outils de communication sur ce sujet.
Plus généralement, le travail à effectuer sur la montée en puissance de la communication constitue une source de motivation pour nos services, qui l’appréhendent avec humilité.
M. le président Mansour Kamardine. Précédemment, vous avez indiqué qu’une réflexion porte également sur la construction de logements et la prévention des aléas de tremblement de terre, lesquels demeurent omniprésents en outre-mer. Par exemple, à Mayotte, avec la naissance du volcan, ce risque est particulièrement élevé.
Existe-t-il un risque de surcoût susceptible de décourager les personnes à construire leur logement ? Des outils permettent-ils de traiter ce sujet ?
M. Cédric Bourillet. Il convient de distinguer les futures constructions du parc existant de logements. Dans l’exemple que vous mentionnez, une construction neuve est conçue dès le démarrage selon les normes parasismiques. Le surcoût qui en découle reste donc modeste.
Nos collègues du ministère chargé du logement disposent de toutes les données chiffrées en la matière. Le surcoût représente un faible pourcentage du coût global, selon nos informations. En revanche, la reprise des bâtiments existants entraîne une dépense nouvelle qui vient s’ajouter aux autres coûts et qui, par définition, ne peut pas être intégrée dans le coût initial.
Pour cette raison, le plan séisme Antilles prévoit un important soutien du fonds Barnier, lequel peut s’ajouter à d’autres fonds disponibles, et ce, à la fois pour la reprise des bâtiments critiques, comme les écoles, les bâtiments de services de secours et de gestion de crise, ainsi que les logements sociaux collectifs, et pour la reprise de bâtis privés, lorsque les personnes souhaitent mener des travaux dans leurs habitations. Un référentiel technique et une réglementation spécifique sont nécessaires pour relever ce défi.
Pour ce qui concerne le risque cyclonique, la loi ouvrait la possibilité de définir le référentiel normatif réglementaire. Le travail de référentiel est en cours. Il convient de l’achever afin que les personnes qui conçoivent des logements soient informées des normes à respecter, ce qui implique une capacité de pilotage des chantiers. Dans le cadre des chantiers publics, une capacité d’ingénierie est également nécessaire.
J’évoque ici des domaines dans lesquels nous devons progresser et des freins à lever pour certaines opérations. Les professionnels du bâtiment doivent aussi être formés et disponibles. En outre, ils doivent pouvoir accéder aux ressources utiles pour conduire leurs chantiers correctement au regard des standards et des référentiels normatifs.
Dans le cadre du plan séisme Antilles, nous observons encore des freins et des goulets d’étranglement. Nous devons améliorer l’ensemble des outils mis à la disposition des professionnels du bâtiment pour que l’offre soit à la hauteur de leurs besoins.
M. le président Mansour Kamardine. Le risque sismique ne concerne-t-il que les Antilles et menace-t-il d’autres collectivités ? Évoquez-vous le plan séisme Antilles au regard des tests réalisés dans cette partie du territoire ?
M. Cédric Bourillet. Depuis 2007, le plan séisme Antilles se donne l’objectif d’une véritable résilience à l’horizon de 30 ans. La zone des Antilles a été retenue, car il s’agit de la principale zone sismique du territoire national. Dans la même zone, un séisme majeur s’est soldé par de très nombreux morts à Haïti. Cette partie du territoire doit attirer notre plus grande vigilance autour des questions sismiques.
Cependant, la zone antillaise n’a malheureusement pas le monopole du risque sismique. D’autres zones sont également concernées par ce risque, y compris en métropole. Pour rappel, une carte sismique est disponible sur le site Géorisques. Chacun peut y trouver toutes les informations utiles.
En tout état de cause, la zone Antilles constitue un grand laboratoire pour nos outils, nos appuis financiers et nos méthodes techniques, car nous y répondons à des enjeux considérables. Néanmoins, notre attention en matière de risque sismique ne se limite pas aux Antilles.
M. le président Mansour Kamardine. En outre-mer, une part non négligeable de nos compatriotes ne maîtrise pas le français. Il est donc nécessaire d’adapter la communication à cette partie de la population. Avez-vous pris en compte cet aspect ? À titre d’exemple, comment communiquer sur un danger et sur les réflexes à acquérir auprès de ma mère, qui a 87 ans et qui n’est jamais allé à l’école ?
De même, un travail de communication doit sans doute être effectué auprès des jeunes scolaires. À Mayotte, j’ai l’impression que ces derniers n’ont pas été mobilisés lors des récents événements météorologiques.
Dans le cadre d’une mission portant sur le même sujet, nous avons relevé que le Japon a mis en place la « journée japonaise » afin de mieux communiquer auprès de la population. J’ai cru comprendre qu’aux Antilles, un début de développement de culture a été entamé en la matière. En revanche, j’ignore si d’autres collectivités prennent en compte ce besoin.
M. Cédric Bourillet. La culture du risque constitue un sujet majeur pour nous. Nous restons très humbles dans notre approche, car nos campagnes consacrées à l’outre-mer n’ont débuté que l’an dernier.
Concernant la question linguistique que vous avez soulevée, nous avons choisi de décliner nos campagnes en plusieurs langues et d’adapter les langues aux territoires afin de couvrir le besoin afférant au « dernier kilomètre ». L’objectif est de faire circuler l’information de la meilleure manière possible et de toucher tous les publics.
Pour cela, nous testons différents canaux de communication, que ce soient les médias écoutés ou les médias écrits, ainsi que les réseaux sociaux, ces derniers étant très utilisés dans nos territoires d’outre-mer.
Pour ce qui concerne l’école et la communication à l’aide des fournitures scolaires, nous avons entamé nos expérimentations par la Guyane. Cette approche soulève d’ailleurs des questions logistiques.
En outre, la journée japonaise nous a largement inspirés. Lorsque Barbara Pompili se trouvait à la tête de notre ministère, elle avait demandé la conduite d’une mission sur la culture du risque. Cette mission présidée par le journaliste Frédéric Courant, de l’émission C’est pas Sorcier, a mis en exergue l’initiative de la journée dite « japonaise », ainsi que les initiatives intitulées « journée Réplik » et « semaine Sismik », qui contribuent depuis plusieurs années à une certaine forme de sensibilisation et de culture du risque.
De plus, voici deux ans, nous avons mis en place la journée nationale de la résilience dans l’ensemble du territoire français. Cette démarche s’inspire de la journée japonaise. Nous avons retenu la date du 13 octobre, c’est-à-dire la date choisie par l’ONU pour la journée mondiale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles et technologiques.
Notre journée nationale de la résilience monte en puissance. Pour sa deuxième année en 2023, plus de 3 000 actions ou opérations ont été labellisées par les services de l’État sur l’ensemble du territoire. De nombreuses actions ont été programmées dans les territoires d’outre-mer soit par des collectivités, des citoyens, des groupes de personnel de l’éducation nationale et des associations. Nous observons une forte augmentation du nombre d’actions par rapport à 2022 et espérons franchir encore de nouveaux caps en 2024.
M. le président Mansour Kamardine. Quel est le taux de mobilisation du fonds Barnier dans les territoires d’outre-mer qui en bénéficient ?
M. Cédric Bourillet. Le fonds Barnier est mobilisé dans l’ensemble des territoires ultramarins qui relèvent du code de l’environnement, ainsi qu’en métropole. En pratique, il est davantage utilisé dans les territoires ultramarins outre-mer qu’en métropole. En moyenne, cette mobilisation représente 3 euros par habitant sur le territoire national, contre 22 euros par habitant en outre-mer.
Cette plus forte utilisation en outre-mer demeure parfaitement légitime, car elle répond à de grands enjeux en matière de connaissance des risques. Vous évoquez le phénomène sismovolcanique et l’émergence du volcan au large de Mayotte. À ce titre, le fonds Barnier finance une très grande partie des campagnes à mener au regard de ce phénomène.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, des sommes importantes ont également été dépensées pour réaliser le relevé bathymétrique du fond marin situé à proximité de ce territoire. En effet, en cas de tempête, la forme du sol joue un rôle crucial dans le risque de submersion marine. Or la partie habitée de la commune de Miquelon se situe à une très faible altitude.
Plus généralement, certains phénomènes spécifiques nécessitent de consolider nos connaissances scientifiques. Nous pouvons mobiliser le fonds Barnier pour réaliser des opérations en la matière. Ce fonds peut également être mobilisé pour d’autres opérations spécifiques, comme le plan séisme Antilles.
La part du fonds Barnier qui est consacrée aux territoires d’outre-mer est la plus importante, car notre approche est très guidée par le niveau de risque auquel les populations sont exposées.
M. le président Mansour Kamardine. Le fonds Barnier a-t-il déjà été mobilisé en Polynésie française, où il y a plusieurs îles qui sont immédiatement menacées ?
M. Cédric Bourillet. Sur le plan juridique, ce fonds ne peut pas intervenir en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, etc. Il ne couvre que les départements et les régions où s’applique le code de l’environnement.
M. le président Mansour Kamardine. Toutes les collectivités d’outre-mer où l’État conserve ses compétences sont-elles dotées de plans Orsec ?
M. Cédric Bourillet. Je ne peux répondre à cette question. Ce sujet concerne d’autres services du ministère de l’intérieur et des outre-mer. A priori, le plan Orsec est organisé par l’État. Pour leur part, les collectivités disposent de deux outils, c’est-à-dire les plans contribuant à la culture du risque et à l’information des populations et les plans communaux de sauvegarde. Ces derniers servent à préparer et gérer les crises et sont pilotés par le ministère de l’intérieur et des outre-mer.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Quelle est la forme d’anticipation des évolutions et donc de leurs effets sur le risque ? Nous avons souvent à l’esprit les risques d’ouragans, car ils s’avèrent directement visibles. Il convient néanmoins de tenir compte également du risque sur les évolutions des sols, c’est-à-dire les risques de glissement de terrain. Ces risques ont une incidence non seulement sur les normes de construction, mais également sur la constructibilité des territoires, et donc sur les règles d’urbanisme.
En outre-mer, le foncier est extraordinairement contraint et marqué par de fortes difficultés. À cet égard, nous avons observé la réaction des populations locales à la première mouture du plan de prévention des risques naturels (PPRN) de Saint-Martin après le passage de la tempête Irma. Le risque de submersion, qui était pris en compte, était sans doute moins important que le risque du vent.
Il s’agit de sujets particulièrement sensibles pour les populations, sans évoquer les problèmes liés aux indivisions successorales. Comment intégrez-vous cette évolution à terme ? La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises envisage l’horizon de 2050 pour intégrer sa propre trajectoire. Quelle est votre position en la matière ?
M. Cédric Bourillet. De manière générale, nous nous efforçons d’établir des projections à l’horizon de 100 ans pour faire évoluer nos outils, dont les plans de prévention des risques. Les décisions que nous prenons aujourd’hui auront sans doute un impact dans 100 ans, ce que nous devons anticiper.
En parallèle, une démarche scientifique s’appuie sur les opérateurs techniques du ministère. Certains sujets sont plus faciles à aborder, dans la mesure où ils ne sont pas liés à l’évolution climatique. Il s’agit notamment des sujets sismiques et volcaniques. Dans certains domaines, comme celui de l’élévation du niveau de la mer, nous commençons à nous doter de modèles satisfaisants. Ces modèles nous permettent de mieux modéliser l’augmentation des risques de submersion.
D’autres sujets s’avèrent plus difficiles à anticiper. Les experts nous soumettent néanmoins des informations, des pistes ou des indices, notamment pour ce qui concerne l’intensification des cyclones, l’évolution des fortes pluies, l’évolution du risque d’incendie de forêt, etc. Notre politique consiste dans ce cas à financer le recueil des connaissances et l’anticipation des impacts du changement climatique, puis à intégrer ces données dans les outils de projection conçus avec un horizon de 100 ans.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Les politiques publiques de prévention des risques impliquent un financement. À cet égard, la question de l’assurabilité, ou plutôt celle de la non-assurabilité des biens privés et publics et sur les infrastructures publiques se pose fréquemment.
Contrairement à l’État, les collectivités ne peuvent pas facilement revendiquer d’être leurs propres assureurs. Comment traitez-vous ce problème d’assurabilité auprès des compagnies d’assurance, notamment pour leur démontrer un certain niveau de sinistralité et la façon de le contenir et ainsi permettre au bien de bénéficier d’une couverture assurantielle ?
M. Cédric Bourillet. Vous évoquez ici un sujet d’actualité et une question particulièrement sensible, sachant qu’elle relève de la direction du trésor de Bercy. Néanmoins, nous nous efforçons de lui apporter notre connaissance des enjeux et des aléas, notamment en matière d’assurabilité, de réassurance et de pérennité du dispositif CATNAT.
Nous devons répondre à un enjeu financier global, dans la mesure où le changement climatique induit potentiellement l’augmentation du coût des dégâts indemnisés. Ce coût peut être lié soit à l’augmentation de la fréquence ou de l’intensité des phénomènes naturels, soit à la hausse du coût des biens assurés elle-même, c’est-à-dire de la base devant faire l’objet d’une indemnisation.
L’enjeu est également d’éviter une forme de retrait de l’assurance dans certains territoires. Le ministre Bruno Le Maire et le ministre Christophe Béchu ont annoncé le lancement d’un certain nombre de missions et de réflexions sur ces sujets techniques particulièrement complexes d’assurance, de mutualisation, d’incitation financière, d’obligation réglementaire, etc.
Pour notre part, nous apportons nos connaissances concernant les territoires les plus exposés, sur la base des cartographies disponibles, l’évolution du changement climatique et toute la matière technique nécessaire pour construire les outils adaptés.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Bien entendu, la politique publique de prévention des risques majeurs renvoie aux notions de constructibilité et de cartographie associée. Cependant, la résilience des territoires et la prévention qui en découle impliquent une plus large gamme de politiques publiques.
Cet aspect fait-il partie de vos missions ? Les scénarios que vous établissez pour imaginer la résilience à l’aléa de demain et les stratégies de diminution de la vulnérabilité des territoires intègrent-ils la politique sanitaire, l’accès aux soins, l’accès à l’eau et l’approvisionnement ?
Appréhendez-vous les conséquences des risques naturels sur l’ensemble de la gamme des politiques publiques, notamment en matière d’éducation ?
M. Cédric Bourillet. Il s’agit effectivement d’un sujet de préoccupation et de vigilance lorsque nous mettons en place une stratégie locale. Pour cela, nous nous appuyons sur les services déconcentrés d’État.
L’objectif est que le citoyen soit protégé au moment du phénomène naturel, par exemple au sens de son habitation. En outre, le territoire doit ensuite être capable de revenir à la normale le plus rapidement possible et les installations ainsi que les infrastructures les plus critiques doivent avoir résisté et pouvoir offrir un service opérationnel en vingt-quatre ou quarante-huit heures.
Pour cela, nous utilisons des outils visant les infrastructures et les bâtiments les plus stratégiques. À ce titre, le plan séisme Antilles couvre les risques afférant aux écoles, aux services de sécurité civile, aux établissements de gestion de crise, etc.
Dans le cadre du plan de relance, les établissements de santé ont fait l’objet d’un renforcement, incluant des travaux sur les réseaux. De plus, la loi climat et résilience nous a dotés d’un nouvel outil permettant d’interroger les gestionnaires de réseaux sur leur résilience phase aux phénomènes naturels majeurs et sur les programmes d’investissement qu’ils ont mis en œuvre ou qu’ils ont planifié en réponse.
Je souligne que cet aspect concerne tous les réseaux, c’est-à-dire le réseau électrique, le réseau de gaz et le réseau de télécommunications. Ces derniers peuvent être essentiels pour le fonctionnement d’autres services publics.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Cette démarche s’étend-elle aux risques industriels, aux risques de pollution et à la gestion des déchets ?
M. Cédric Bourillet. Oui. Notre politique inclut également tous les aspects industriels, qui font l’objet d’outils plus spécifiques. Elle couvre notamment les installations classées au titre de la protection de l’environnement (ICPE).
Depuis de nombreuses années, la réglementation relative aux ICPE prévoit que les industriels concernés étudient leur résistance aux phénomènes naturels et au risque d’accident technologique engendré par un événement naturel, soit le risque dit « NaTech ». Notre ministère a annoncé une mission d’inspection générale afin de dresser le bilan de l’approche NaTech et d’envisager la généralisation des bonnes pratiques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Outre le questionnaire en cours de préparation, je souhaiterais connaître la méthode d’établissement des scénarios. Vous devez prendre en compte une immense diversité de problématiques et de situations.
Nous supposons que votre matrice repose sur une grande quantité de données. Comment les retours d’expérience tirés des précédents aléas déjà sont-ils intégrés dans votre approche ? Comment travaillez-vous avec les autorités politiques locales pour établir vos scénarios ?
M. Cédric Bourillet. La première étape consiste à connaître les risques et les aléas. Il s’agit d’un travail extrêmement complexe lorsque plusieurs aléas se recoupent. Pour certains aspects, la science est relativement claire. Dans d’autres domaines, nous devons encore lever certaines incertitudes. Par exemple, nous n’avons pas encore recueilli toutes les réponses nécessaires pour appréhender le phénomène sismovolcanique de Mayotte.
Cette première étape constitue un préalable aux politiques publiques. Pour préserver l’avenir, nous devons ensuite réfléchir à la maîtrise de l’urbanisation. Les collectivités et les acteurs locaux sont associés à cette réflexion.
Vous avez évoqué l’émotion suscitée par le projet de plan de prévention des risques naturels de Saint-Martin. Ce plan illustre le fait que la démarche est réalisée en interaction avec les acteurs locaux, qui implique parfois des normes de construction sur les nouveaux bâtiments.
Concernant le surcoût éventuellement induit par ces normes dans la construction de nouveaux bâtiments, les règles varient selon que les constructions sont plus ou moins sensibles et nous permettent d’adopter une approche proportionnée. Pour ce qui concerne l’amélioration des constructions existantes, les outils à disposition sont partagés avec les acteurs locaux. Il s’agit aussi bien de solutions fondées sur la nature que des dispositions de protection collective, voire des mesures d’évacuation des personnes et de prescription d’investissements.
Lorsque la question a trait à un bâti public, des outils financiers peuvent également être mobilisés. De manière générale, la matrice s’avère effectivement très complexe, car nous devons tenir compte de l’aléa, de ses conséquences, du coût et de la faisabilité des projets, des délais nécessaires, etc. Notre approche se veut la plus systémique et la plus organisée possible.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Les personnes auditionnées aujourd’hui par notre commission d’enquête ont signalé les difficultés posées par le domaine législatif et réglementaire. Certains ont témoigné des difficultés à mettre en œuvre le fonds Barnier en raison de délais trop courts et ont évoqué une forme d’insécurité juridique dès lors qu’ils doivent agir dans l’urgence.
Dans le cadre de vos missions, jouez-vous un rôle de prescripteur par rapport à la puissance publique afin que ses propres règles s’adaptent au mieux aux nécessités du moment ?
M. Cédric Bourillet. La gestion des crises et des situations d’urgence relève du ministère de l’intérieur. Mon influence en la matière est donc limitée.
S’agissant du fonds Barnier, en revanche, les règles sont établies par ma direction générale. Nous les faisons évoluer régulièrement, notamment au regard des difficultés exposées par les acteurs locaux. Par exemple, ces derniers peinent parfois à créer le circuit financier le plus confortable pour réaliser un certain nombre d’actions.
Concernant la zone dite des « cinquante pas géométriques », une série de travaux et d’opérations est prévue dans certains de nos territoires. Selon les règles du fonds Barnier, l’agence des cinquante pas géométriques ne peut pas être le gestionnaire des sommes concernées et mener l’ensemble des opérations. Un circuit financier complexe doit alors être mis en place, nécessitant l’intervention du préfet.
Nous avons pu faire évoluer les textes pour permettre que l’agence soit directement mandatée pour utiliser le fonds Barnier et mener les opérations. Il s’agit donc d’un assouplissement mis en œuvre sur la base des informations du terrain et rendu possible par le droit.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Pour notre part, nous sommes chargés de définir le droit. Or je doute que nous sollicitions votre avis systématiquement.
S’agissant du logement privé, jouez-vous le même rôle auprès de l’agence nationale de l’habitat (Anah) afin de mobiliser d’autres fonds d’intervention ?
M. Cédric Bourillet. Quelques lignes du fonds Barnier sont ouvertes aux logements privés et individuels. Nous travaillons notamment avec l’Anah, qui ne se trouve pas sous ma tutelle, afin de profiter de son implantation territoriale et de son savoir-faire et d’accompagner les propriétaires ou les occupants de logements privés dans le traitement de sujets techniquement complexes.
À travers différents partenariats, nous nous efforçons ainsi de mutualiser les moyens financiers, les connaissances, les réseaux et les équipes. À ce titre, nous ne pourrons relever les défis liés aux risques naturels que de manière collective.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suppose qu’il est facile pour vous d’intervenir auprès des collectivités relevant de l’article 73, voire de l’article 74. Cependant, agissez-vous également auprès des territoires du Pacifique ?
M. Cédric Bourillet. Non. Lorsque le code de l’environnement ne s’applique pas, nous perdons le bénéfice de la quasi-totalité de nos outils. Or le fonds Barnier ne s’applique pas à ces territoires.
M. le président Mansour Kamardine. Nous vous remercions de votre exposé et de vos réponses. Je vous souhaite une agréable soirée.
36. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Nouvelle‑Calédonie – Volet gouvernement et élus locaux (18 mars 2024)
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Bonjour à tous. Je suis députée de Gironde. Je remplace aujourd’hui notre président, Mansour Kamardine.
Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête pour une première table ronde consacrée à la Nouvelle-Calédonie avec le volet gouvernement et élus locaux. Pour aborder le sujet de la gestion des risques naturels majeurs sur ces territoires, nous sommes connectés avec la Direction de la Sécurité Civile de Gestion des Risques (DSCGR), le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et les associations de maires.
Votre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. le général Frédéric Marchi‑Leccia, Mme la commandante Géraldine Bourgoin, M. Tristan Derycke, M. Pascal Vittori et M. Wilfried Weiss prêtent serment.)
Je vous remercie. Vous avez la parole.
M. le général Frédéric Marchi-Leccia, directeur de la Direction de la Sécurité Civile et de la Gestion des Risques. Pour contextualiser très brièvement la Nouvelle‑Calédonie, la sécurité civile a été transférée le 1er janvier 2014, sachant qu’en Nouvelle-Calédonie, les sapeurs-pompiers sont encore organisés au niveau communal, voire intercommunal. Les communes et intercommunalités s’occupent de la gestion des risques courants, d’occurrence importante, de gravité faible à modérée. Le contrat opérationnel de la sécurité civile consiste à venir en soutien de ces communes, notamment lorsqu’elles ne possèdent pas de centre de secours, et à assurer la distribution des secours spécialisés face aux risques chimiques, biologiques, faisant de nombreuses victimes, qui coûtent cher, à occurrence faible, mais qui nécessitent des moyens qu’une commune seule ne pourrait pas entretenir. Les secours sont souvent directement proportionnels à la richesse de la commune et nous sommes très loin de la version métropolitaine où la charge est répartie sur l’ensemble des collectivités du département, ce qui permet un lissage de la réponse opérationnelle.
La Nouvelle-Calédonie est l’équivalent de l’arc méditerranéen avec la population de l’Aveyron, qui serait pour 90 % à Nice. Il est donc très difficile d’apporter une réponse homogène sur l’ensemble des territoires.
M. Wilfried Weiss, deuxième vice-président de l’association des maires de Nouvelle-Calédonie (AMNC). L’association des maires de Nouvelle-Calédonie représente 23 communes sur les 33 de Nouvelle-Calédonie. Les difficultés en Nouvelle-Calédonie ne sont effectivement pas les mêmes qu’en métropole, en raison de la grande taille des communes et de moyens, qui ont parfois besoin d’être complétés par la DSCGR. Pour vous donner une idée, la commune de Koumac compte 5 000 habitants sur 550 kilomètres carrés. Nous tentons donc de nous regrouper. Le Syndicat Intercommunal à Vocations Multiples (SIVM) Nord regroupe trois communes (Kaala-Gomen, Koumac et Poum), représentant près de 14 000 kilomètres carrés. En termes de moyens humains, nous nous situons au-dessous des seuils de la métropole, puisque nous n’avons que trois pompiers professionnels, car nous peinons à recruter des sapeurs-pompiers volontaires.
Sur notre secteur, nous avons aussi le régiment du service militaire adapté (RSMA), qui a maintenant une section Sécurité civile qui forme des jeunes et qui intervient sur les feux de forêt, ce qui aide beaucoup nos communes.
Les risques naturels en Nouvelle-Calédonie sont la montée des eaux, les inondations, les glissements de terrain et l’érosion côtière. Deux ou trois risques sont parfois présents sur une même commune.
M. Pascal Vittori. Je représente l’association française des maires de Nouvelle-Calédonie et je suis maire de la commune de Boulouparis. Cette commune est également très étendue, puisqu’elle compte 3 700 habitants sur à peu près 90 000 hectares.
Notre service de lutte contre le feu est assuré par le syndicat intercommunal à vocation multiple, qui regroupe neuf communes. Les risques sont le feu, les tsunamis, l’érosion côtière, la montée des eaux. Nous avons été très impactés ces dernières années par les phénomènes El Niño ou La Niña dans le Pacifique. Nous avons connu deux années de pluies très intenses, qui ont causé beaucoup de dégâts sur les routes et les infrastructures, notamment les ponts. Ces phénomènes sont constatés sur la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie. Ma commune a un grand littoral avec 38 îlots, mais la barrière de corail nous protège des tsunamis. Nous constatons la montée des eaux, puisque le trait de côte a dû être repositionné, mais elle n’impacte pas encore les habitations et les populations. Néanmoins, avec le changement climatique, l’augmentation des vents empêche les petits pêcheurs côtiers de sortir en mer, ce qui représente un manque à gagner pour eux.
Je vous confirme que nous peinons à recruter des sapeurs-pompiers volontaires. Nous comptons effectivement sur l’appui de la DSCGR, qui nous fournit des hélicoptères bombardiers d’eau en cas de gros incendies. Nous construisons actuellement une caserne neuve dans ma commune et nous agrandissons la deuxième caserne située dans l’aire des neuf communes du syndicat intercommunal Sud.
Mme la commandante Géraldine Bourgoin, directrice du Service départemental d’incendie et de secours. Ma responsabilité s’exerce uniquement sur la ville de Nouméa, qui a le corps le plus important du territoire. Il réalise 5 000 interventions et son CTA reçoit 35 000 appels à l’année. Il compte 79 sapeurs‑pompiers professionnels et environ 150 volontaires.
Notre activité quotidienne s’exerce sur la ville, la côte et les îlots. Nous traitons particulièrement le risque courant, pour lequel nous sommes autonomes de par nos effectifs et nos moyens opérationnels que la ville maintient malgré un coût important. Nous sommes les seuls à disposer d’une échelle de grande hauteur pour pouvoir intervenir sur les immeubles de la ville de Nouméa.
Nous intervenons avec la DSCGR sur les risques particuliers, notamment du bassin industriel de la commune, qui compte plusieurs entreprises à risque, comme les installations à haut risque industriel (HRI) ou des entreprises soumises à autorisation. Nous travaillons avec la Sécurité civile pour planifier les risques sur ces secteurs.
La ville de Nouméa est également touchée par tous les risques industriels ainsi que par les risques naturels (la submersion, les cyclones, l’érosion et même les tsunamis, d’après les dernières études) et les risques sanitaires. Je laisse la parole à M. Tristan Derycke, qui a géré les épidémies de dengue que nous avons connues.
M. Tristan Derycke, adjoint au maire en charge de la sécurité. Je pense que les risques sanitaires font partie des risques naturels. Je suis cinquième adjoint au maire en charge des pompiers de la veille de Nouméa, des risques sanitaires de l’eau de la ville et de l’intercommunalité. Je suis aussi médecin hospitalier, ce qui me permet d’adopter une approche un peu différente.
Nous avions une importante problématique sanitaire, l’épidémie de dengue et autres arboviroses, c’est-à-dire le Zika et le chikungunya, qui touchent également d’autres territoires ultramarins, en particulier La Réunion. Grâce à une méthode de la Monash University de Melbourne, nous avons mis en place avec l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie et la Direction des affaires sanitaires et sociales de la Nouvelle-Calédonie (DASS‑NC), la procédure Wolbachia en 2019. Celle-ci a permis d’éradiquer ces épidémies en Nouvelle-Calédonie, ce qui est un progrès considérable, car chaque épidémie engendrait des morts ou des séquelles sur des centaines de patients, avec un coût sociétal et social de plusieurs milliards de francs CFP.
Il existe d’autres situations épidémiques. La leptospirose est un peu moins problématique, mais toujours présente.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Bonjour à tous. Merci pour les éléments que vous nous avez déjà fournis sur les effets induits par les aléas des risques naturels.
Le débat statutaire nous occupe, puisque les textes passeront successivement au Sénat, puis à l’Assemblée nationale.
Vous avez commencé à répondre à la première question en décrivant la complexité de la situation sur votre territoire et en saluant le renfort apporté par la sécurité civile aux communes. Considérez-vous que ce dispositif est statutairement satisfaisant dans son organisation ? Est-ce aussi le cas dans la coordination avec les multiples codes qui coexistent dans les faits sur un territoire régi par un article particulier de la Constitution ? Le travail de coordination a-t-il été bien fait ou reste-t-il des marges de progrès ?
Avez-vous une grille de lecture, qui n’est pas forcément unique, de cette réalité ? Avez-vous l’équivalent des plans Orsec ou des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ? Comment êtes-vous organisés pour anticiper les aléas et les effets du réchauffement climatique sur la fréquence et l’intensité des aléas ?
M. le général Frédéric Marchi-Leccia. Il existe des plans Orsec de mesures générales ou spécifiques, mais pas de PPRN, car les zones et les aléas ne sont pas encore précisément définis en Nouvelle-Calédonie, car la taille du territoire complique énormément la situation. Malgré tout, beaucoup de travaux sont engagés via des financements nationaux ou européens, voire internationaux, mais tout ceci peine à se connecter. Nous y travaillons dans le cadre du plan stratégique 2023-2026, afin d’en tirer quelque chose d’exploitable.
Il n’en demeure pas moins que la ressource reste faible et que dans cette population d’environ 270 000 habitants, il est difficile de trouver de la ressource. Ce n’est pas uniquement une question de finance, même si recruter coûte cher et que les communes ne peuvent pas toujours se le permettre. La solution pourrait consister en une mutualisation des moyens, afin d’élargir l’assiette de financement. Pour autant, l’étendue des communes et la dispersion des populations ne facilitent pas la distribution des secours, sauf à avoir des effectifs pléthoriques et des casernes tous les dix kilomètres. Il est de notre devoir d’imaginer une autre forme de distribution des secours, plus conforme à l’extrême balkanisation de la population. En dehors du Grand Nouméa, il y a, comme au Far‑West, très peu d’habitants au kilomètre carré. Il n’est pas imaginable d’assurer le même niveau de réponse de sécurité civile à l’ensemble de la population. L’égalité des citoyens devant la distribution des secours n’est pas possible aujourd’hui, car nous n’avons pas assez de ressources. Nous devons toutefois nous efforcer de lisser ces disparités. Les élus s’y emploient.
M. Wilfried Weiss. Je m’associe à la réflexion du général Marchi-Leccia. Nous avons aussi d’autres soucis par rapport à l’insularité et au matériel, car les délais de commande du matériel en métropole sont énormes. Il faut 18 mois pour recevoir un 4X4 de type véhicule sanitaire d’assistance aux victimes (VSAV) ou un camion. Même avec les moyens financiers, il n’est pas toujours facile de s’équiper.
L’Armée intervient avec ses moyens de prévention antipollution en mer, par exemple, par la dépose de filets. Nous avons été quand même très satisfaits des moyens de l’État en fin d’année dernière. Quand nos pompiers étaient fatigués par la multiplication des feux, la réserve nationale est venue nous aider.
Dans la mesure où nous n’avons pas de schéma des risques en Nouvelle-Calédonie, il ne faudrait pas que plusieurs catastrophes surviennent simultanément. Nous avons la chance que la population soit résiliente face aux cyclones. Les tribus sont organisées. Nous constatons donc peu de décès après de graves cyclones ou inondations, mais nous devons rester vigilants et continuer à résoudre les difficultés les unes après les autres.
Les grandes communes comme Nouméa, Dumbéa ou Païta sont équipées, mais certaines communes n’ont même ni service incendie, ni matériel, ni pompiers.
M. Pascal Vittori. Par rapport aux difficultés de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires, les personnes recherchent un véritable emploi. Nous tentons donc de les recruter à mi-temps à la mairie pour constituer un quasi plein-temps. J’ai ainsi recruté deux personnes sur un emploi de garde champêtre à mi-temps, afin de leur assurer un revenu avec la mairie et quelques indemnités en tant que pompiers volontaires.
Par rapport aux difficultés des communes à recruter et à former leur personnel, nous mettons en place des collaborations, des formations et des exercices communs avec le syndicat intercommunal, le service incendie et les communes ayant leur propre service incendie.
En cas de cyclone, certaines tribus sont coupées du reste de la commune par les inondations et il est alors difficile d’évacuer les blessés, d’autant que les hélicoptères du SAMU ne volent pas de nuit en Nouvelle-Calédonie. Nous avons donc souvent des problèmes la nuit et le week-end. En outre, nous ne parvenons pas toujours à obtenir une ambulance. Soit les ambulances de garde ne répondent pas, soit elles sont mobilisées ailleurs. Au syndicat intercommunal, particulièrement sur ma commune, nous envisageons donc l’acquisition d’une ambulance de pompiers tout terrain pour évacuer directement les personnes sur le Médipôle.
Par ailleurs, nous n’avons pas de centre médico-social dans ma commune de 3 700 habitants. Nous devons donc évacuer les personnes soit vers La Foa à environ trente minutes ou vers le Grand Nouméa à quarante-cinq minutes, ce qui pose problème pour des urgences cardiaques ou cardiovasculaires.
Mme la commandante Géraldine Bourgoin. Depuis la crise Covid, nous rencontrons également des difficultés pour recruter des sapeurs-pompiers volontaires, mais aussi professionnels. L’année dernière, nous avons organisé un concours de sapeurs-pompiers professionnels et nous n’avions jamais reçu aussi peu de candidatures au cours des dix dernières années. Avant, un afflux assez régulier de personnes arrivait de métropole pour chercher du travail, ce qui constituait un vivier assez important. Depuis 2020, ce vivier est de plus en plus restreint, ce qui pose des soucis au quotidien.
Je rejoins le directeur de la sécurité civile sur les difficultés d’organisation au quotidien sur l’ensemble du territoire. Comme Madame le Maire le dit souvent en réunion, nous arrivons au bout du système communal, même pour une ville comme Nouméa, pour des raisons organisationnelles, statutaires, de formation, budgétaires et matérielles. Nous sommes très en retard sur nos statuts par rapport à la métropole. Face à la crise du volontariat, la métropole a mis en œuvre, depuis vingt ans, plusieurs démarches de valorisation et la fidélisation des volontaires. Ces mesures, comme la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR), c’est-à-dire la fidélisation du volontariat par une retraite versée pour toutes les années d’engagement, ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie, qui a un statut propre de pompier professionnel ou volontaire.
Je précise qu’une convention intercommunale nous permet d’intervenir, souvent en complément de la sécurité civile, en prompt secours sur les risques courants pour renforcer les quatre grandes communes de Nouméa, sauf pour les feux de forêt, par des ambulances en milieux d’intervention périlleux et en sauvetage aquatique.
Je rejoins la remarque sur la résilience de la population par rapport au risque cyclonique. Le nombre d’appels est très faible, grâce au système de préalerte et d’alerte, qui est connu par l’ensemble de la population et qui permet à chacun de se préparer. Les personnes peuvent ainsi mettre leur habitation en sécurité. Tout le monde rentre chez soi, les écoles sont fermées et en cas d’alerte 2, la vie s’arrête, puisque les entreprises ferment également. Nous ne déplorons ainsi aucun mort et très peu de victimes et de dégâts. Seuls les habitats précaires, souvent situés en bord de mer, restent très exposés, malgré des dispositifs d’ouverture de gymnases et de bus pour mettre les personnes en sécurité.
La ville de Nouméa a un plan communal de sauvegarde, comme d’autres communes en Nouvelle-Calédonie. Nous le mettons actuellement à jour. Nous abordons les tsunamis en collaboration avec la sécurité civile. Nous avons une cellule de crise, que nous activons régulièrement. Le décret ne date que de 2019, mais nous avons encore besoin d’informer et d’éduquer la population sur le risque de tsunami, que nous pensions totalement écarté à Nouméa, et les risques industriels. Au-delà du risque courant, nous ne sommes pas capables d’organiser les secours sur la commune.
M. Tristan Derycke. Nous avons une compétence de sécurité civile transférée dans le cadre de l’accord de Nouméa du 1er janvier 2014 et paradoxalement, nos services de secours à l’échelle communale datent du siècle dernier. Nous avons un centre de traitement des appels à l’échelle de la ville de Nouméa et de Païta, mais pas pour la totalité du territoire de la Nouvelle-Calédonie.
Lors des épidémies que nous avons vécues pendant la période Covid, l’insularité a entraîné des difficultés, comme l’a précisé monsieur le maire de Koumac.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci pour vos réponses précises et efficaces.
Messieurs les représentants des associations des maires, avez-vous le sentiment d’un système communal à bout de course ? Je retiens que le statut des sapeurs-pompiers volontaires, qui ne bénéficient pas du même droit à la retraite que dans l’hexagone, n’est pas très attractif.
Je crois que vous êtes les premiers à aborder la question du cumul des risques, dans la mesure où les aléas peuvent avoir des effets directs sur la population et les bâtiments, mais aussi provoquer d’autres risques, industriels, économiques ou sanitaires. Pouvez-vous détailler la méthode, qui a permis d’éradiquer ce risque à Nouméa et sur l’ensemble du territoire ?
Comment assurez-vous la résilience sur le plan économique et social ?
La culture du risque est revenue très régulièrement dans l’ensemble de nos auditions. Il est nécessaire de la promouvoir, à la fois pour préserver la résilience des territoires, mais aussi parfois de s’inspirer des méthodes dites traditionnelles, qui sont inscrites dans la réalité historique des territoires, pour mieux gérer les aléas.
Enfin, Ouvéa est une île qui semble devoir être traitée spécifiquement au regard de la montée des eaux. Madame Sophie Panonacle pourra revenir sur ce sujet, qu’elle connaît bien mieux que moi.
M. Wilfried Weiss. Suite à une demande du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, il a été demandé à toutes les communes de mettre en place des plans de sauvegarde, mais toutes ne l’ont pas fait. Nous pourrions mutualiser l’organisation et certains moyens, par exemple, dans les trois communes qui sont sous le SIVM Nord. Les cellules de crise, mises en place par certaines communes, ont très bien fonctionné avec les tribus pendant la Covid pour éviter les épidémies.
La DSCGR attendait que toutes les communes aient établi leur plan de sauvegarde de façon à faire un package. Nous devons le promouvoir pour aboutir à un système plus harmonieux au niveau de la Nouvelle-Calédonie.
L’association des maires de Nouvelle-Calédonie a interpellé le haut-commissaire et le ministre en juin 2022 par rapport au problème d’érosion côtière très importante d’Ouvéa, qui nous obligera certainement à déplacer des populations de bord de mer vers l’intérieur des terres. Nous connaissons ce même phénomène sur la côte est. Cela posera des problèmes pour reconstruire des habitations, recréer des tribus, etc., ce qui ne sera pas facile au regard de nos problèmes fonciers. Je suis même intervenu auprès du ministre de la mer de l’époque. J’ai contacté le Cerema en métropole pour voir quelles études étaient possibles, comme sur la côte atlantique et la côte méditerranéenne, car il nous manque des données bathymétriques, avec le système Lidar, pour les transmettre au Cerema.
M. Pascal Vittori. Pour revenir sur les solutions que nous tentons d’apporter à nos problèmes de recrutement, nous avons récemment lancé, dans nos communes du syndicat intercommunal Sud, une organisation pour former de jeunes sapeurs-pompiers. Nous espérons qu’ils deviendront sapeurs-pompiers volontaires dans nos casernes.
Pour lutter contre les phénomènes climatiques, nous tentons de monter une réserve communale de sécurité civile. Nous pourrions ainsi compter sur les pompiers, mais aussi sur les gardes champêtres et les gendarmes. Nous avons aussi une station de secours en mer.
Nous avons connu deux années de très fortes inondations. Or des constructions ont été bâties, par le passé, en bord de rivière. Dans notre nouveau plan d’urbanisme directeur, nous avons classé toutes ces zones présentant des risques importants d’inondation, et pour les personnes, en zones inconstructibles.
Nous avons aussi un souci avec l’entretien de nos cours d’eau, à cause des mines de nickel anciennes, dont les gravats sont tombés dans les rivières et ne sont pas encore évacués. Nous aurions besoin de moyens pour curer ces cours d’eau. Il s’agit d’une compétence de la Nouvelle-Calédonie, mais celle-ci n’a pas toujours les moyens de venir en aide aux communes. Nous nous organisons donc comme nous le pouvons, parfois même sans l’autorisation de la Nouvelle-Calédonie. En cas de risques pour la population, les communes prennent en charge le désengravement des rivières ou d’enlèvement des bois morts, accumulés suite à de fortes pluies ou des cyclones, qui font déborder les rivières.
S’agissant des secours communaux, il serait impossible, pour une petite commune, de construire seule une caserne et un centre de secours. Dans ma commune, la caserne des pompiers a été financée à près de 90 % par l’État.
C’est donc bien le système intercommunal qui est le plus efficace et supportable financièrement.
M. Tristan Derycke. Pour répondre à la question de monsieur le rapporteur sur la méthode Wolbachia, celle-ci consiste à implanter dans le moustique vecteur de la dengue, une bactérie, la Wolbachia, qui est inoffensive pour l’homme. Cette bactérie, qui est présente chez 65 % des insectes, empêche la transmission du virus de la dengue. Cette méthode écologique évite l’emploi des insecticides, auxquels les moustiques sont de toute façon devenus résistants. Cette bactérie se transmet au fur et à mesure des générations de moustiques. L’idée a donc été de cultiver des moustiques en laboratoire avec la bactérie Wolbachia et de les répandre initialement dans les rues de Nouméa sous forme d’œufs ou d’insectes adultes. Ils ont progressivement pris la place des moustiques sauvages. Actuellement, 90 % des moustiques de Nouméa sont porteurs de cette bactérie et ils ne peuvent donc plus transmettre la dengue. Il reste quelques cas sporadiques, mais nous n’avons plus d’épidémie de dengue depuis 2021. Nouméa a été la première à appliquer cette méthode entre 2019 et 2021. D’autres communes de l’agglomération, que sont Dumbéa, Mont‑Dore et depuis cette année Païta, ont déployé cette méthode, qui fonctionne très bien.
Je n’ai peut-être pas assez de temps pour parler des effets du Covid sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Une contribution écrite sera la bienvenue.
M. Tristan Derycke. C’est noté.
M. le général Frédéric Marchi-Leccia. Les plans communaux de sauvegarde finalisés sont au nombre de onze et neuf sont en cours de réalisation, ce qui nous fait presque deux tiers des 33 communes de la Nouvelle-Calédonie. Le problème est qu’ils sont souvent très disparates, les uns étant essentiellement consacrés au risque cyclonique et les autres, notamment celui de Nouméa, couvrent l’ensemble des sept risques naturels identifiés en Nouvelle-Calédonie (nous échappons au risque d’avalanche).
Les plans communaux de sauvegarde devraient effectivement constituer le maillage qui permettrait de sortir un schéma territorial d’analyse et de couverture des risques. Néanmoins, sur la base de la politique publique de gestion des risques qui a été initiée par le Président en 2021 et qui commence à se mettre en œuvre sur le territoire, les informations du terrain alimenteront une analyse plus territoriale.
Au sujet de l’érosion côtière, les 6 000 kilomètres de côte de Nouvelle-Calédonie sont soumis à un forçage intense, soit de phénomènes cycloniques ou de houle. Les communes de l’est, comme Touho ou Nouméa, sont touchées. Nouméa s’est lancée dans des travaux pharaoniques pour protéger son trait de côte au niveau de l’anse Vata. Des travaux similaires sont envisagés du côté de Mouli sur l’île d’Ouvéa, qui est soumise à un risque d’érosion considérable.
Je ne saurais pas répondre à la question de la résilience économique, car ce qui est perçu comme un risque d’un côté ne l’est pas forcément de l’autre. Nous avons mis à contribution des tribus pour identifier leurs propres enjeux au regard des aléas des risques cycloniques et d’incendie. Les microactivités en brousse constituent souvent la source de revenus, d’où une inquiétude prépondérante pour les populations. La résilience économique fait appel à énormément de situations. Il est donc difficile d’en tirer des généralités sur l’ensemble du territoire.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. En tant que présidente du comité national du trait de côte, j’ai récemment participé à une réunion plénière avec le ministre et une mission de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA). Cette mission est, à ce jour, limitée à l’hexagone et j’ai souhaité l’étendre aux territoires ultramarins. La Direction générale des outre-mer (DGOM), qui était présente à cette réunion, a validé l’extension de cette mission aux territoires ultramarins. Elle est limitée aux départements et régions d’outre-mer, mais nous essaierons de l’étendre à l’ensemble des territoires ultramarins. Même si la Nouvelle-Calédonie a un statut particulier, je pense qu’il serait intéressant d’aller jusque-là.
L’idée est d’adapter les recommandations de ces inspecteurs par rapport à la rareté du foncier et à l’habitat informel et illégal, auquel nous faisons face sur de nombreux territoires. Nous peinons aujourd’hui à dissocier la submersion marine et l’élévation du niveau de la mer, qui sont liées. Il sera intéressant de pouvoir recueillir des données et d’évaluer les enjeux sur les territoires ultramarins face à ces risques.
Le Cerema nous accompagne également en ingénierie et en moyens financiers utiles.
Je vous tiendrai informés du fait que ces inspecteurs pourront également travailler sur la Nouvelle-Calédonie, en tout cas, je l’espère.
Merci pour toutes ces informations extrêmement intéressantes et utiles. N’hésitez pas à nous envoyer vos contributions écrites pour compléter l’ensemble de vos propos. À très bientôt.
37. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Nouvelle‑Calédonie – Volet État (18 mars 2024)
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Mes chers collègues, pour cette seconde table ronde consacrée à la Nouvelle-Calédonie, nous sommes connectés avec monsieur Louis Lefranc, haut-commissaire de la République, le lieutenant-colonel Alexandre Carrat, chef de bureau de l’État-major interministériel de zone de défense et de sécurité (EMIZ), monsieur Pragash Eganadane, directeur du service de l’État de l’agriculture, de la forêt et de l’environnement, et monsieur Frédéric Atger, directeur interrégional de Météo‑France.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Louis Le Franc, M. le lieutenant-colonel Alexandre Carrat, M. Pragash Eganadane et M. Frédéric Atger prêtent serment.)
Merci beaucoup. Je vous laisse la parole.
M. Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. Je suis accompagné du lieutenant-colonel Alexandre Carrat, chef de bureau de l’État-major interministériel de zone de défense et de sécurité (EMIZ), de M. Pragash Eganadane, directeur de la Direction du service de l’État de l’agriculture, de la forêt et de l’environnement (DAFE) et de M. Frédéric Atger, directeur de la Direction interrégionale, Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna de Météo‑France. À quatre, nous pensons être en mesure de traiter l’ensemble des questions qui nous ont été communiquées sur le thème des événements naturels majeurs.
Premièrement, vous devez avoir conscience que les événements naturels majeurs sont traités prioritairement, non par l’État, mais par la Nouvelle-Calédonie, puisqu’ils relèvent de sa compétence.
Deuxièmement, au-delà de l’archipel calédonien, pour la zone maritime qui l’entoure, il n’y a pas de préfet maritime en Nouvelle-Calédonie. Le haut-commissaire assure cette fonction. Là aussi, le partage des compétences avec le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est très important. Ce territoire se situe aux confins de l’autonomie et beaucoup de compétences ont été transférées. J’y reviendrai si vous le souhaitez.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je salue les personnes présentes, d’autant que la période est dense. Nous en voyons les effets législatifs dans notre assemblée.
Les représentants des autorités locales viennent de nous décrire des compétences entre les mains des collectivités locales et des communes, mais aussi un système qui s’essouffle et qui peine à assurer une couverture satisfaisante sur l’ensemble du territoire, tant en moyens humains et matériels que pour la planification et la gestion des risques.
Chacun se réjouissait de la présence et de l’efficacité de l’action de la sécurité civile dans ce contexte, mais puisque la Nouvelle-Calédonie doit voir son statut évoluer, ressentez-vous que cet équilibre est difficile à trouver entre un niveau hyperlocal et une gestion efficace des risques ?
Il nous a également été remonté avec beaucoup d’insistance les difficultés de recueillir de la donnée sur les aléas et sur les zones qui en seraient impactées, ce qui pèse fortement sur la rédaction des documents de prévention, d’organisation des secours ou de planification à long terme. Comment ces données seront-elles complétées ? Comment améliorer le système de recueil de ces données ou est-ce un concept que vous ne partagez pas ?
M. Louis Le Franc. Un canevas de questions nous a été communiqué, auquel nous répondrons par écrit, comme vous nous l’avez demandé.
En Nouvelle-Calédonie, la compétence de la sécurité civile a été transférée par l’État à la collectivité. Le président de Nouvelle-Calédonie assure donc cette compétence. Nos prédécesseurs ont dû trouver la bonne adéquation pour faire face à toutes les situations auxquelles nous confrontent les événements naturels majeurs, qui génèrent des risques majeurs. En Nouvelle-Calédonie, nous connaissons des cyclones, des épisodes de vents violents et de pluies, des orages, des inondations, de petits tsunamis, de fortes houles, des séismes, des glissements de terrain et des feux de brousse, qui sont l’équivalent des feux de forêt en région Provence‑Alpes‑Côte d’Azur. Comme nous nous situons à 20 000 kilomètres de la métropole, nous faisons en sorte, avec nos partenaires, les exécutifs des collectivités calédoniennes, le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et les présidents des provinces, de trouver les bonnes formules pour faire face à tous ces événements.
Les facteurs de vulnérabilité, que sont l’insularité et l’éloignement, impliquent à moyens constants, d’articuler intelligemment ces moyens et de les renforcer si nécessaire. Il faut donc anticiper intelligemment les problèmes auxquels nous pouvons être confrontés.
Entre 2020 et 2023, la Nouvelle-Calédonie a subi neuf cyclones et dépressions tropicales majeures, deux événements pluvieux de très forte intensité pendant 48 heures au mois de janvier et février 2022. Même si la gestion des risques majeurs est une compétence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, l’État demeure un point d’appui très important, car la Nouvelle-Calédonie ne peut absolument pas faire face seule.
Je peux vous parler de nos structures, des effets du changement climatique en matière de risques éventuels, du cadre légal et réglementaire, des mesures d’adaptation pour éviter l’érosion du trait de côte, des risques de submersion, mais aussi des points d’amélioration depuis que cette compétence a été transférée. Je ne pense pas que nous puissions parler d’un essoufflement. Nous sommes dans la recherche constante de solutions d’amélioration.
Les forces armées du gouvernement de Nouvelle-Calédonie sont essentielles, tout comme l’État-major interministériel de zone, la police nationale sur la zone de compétence de la police d’État pour la ville de Nouméa et la gendarmerie nationale pour le reste du territoire.
Dans le domaine sanitaire et social, la santé n’est pas une compétence de l’État. Elle a été transférée. Les hôpitaux, spécialisés ou non, relèvent de la compétence du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
La politique de prévention des risques climatiques majeurs est encore en phase embryonnaire en Nouvelle-Calédonie. Comme sur le plan opérationnel, nous sommes dans une posture d’appui, notamment financier, pour aider ceux qui ont la charge de développer cette politique de prévention. Les plans de sauvegarde des communes et les documents d’information communaux sur les risques majeurs (DICRIM) n’existent pas. La chambre territoriale des comptes a rédigé un rapport très précis, qui indique ce qu’il convient de faire.
L’urbanisme ne relève pas de la compétence communale. Les plans d’occupation des sols ou plans d’urbanisme directeurs (PUD) relèvent de la compétence provinciale. Ils définissent les conditions de construction auxquelles les maires doivent se conformer.
La Nouvelle-Calédonie est un territoire immense, avec la Grande Terre, de 450 kilomètres sur 50 ou 75 kilomètres de large et au milieu, l’épine dorsale d’une chaîne de montagnes très hautes. Sur ce territoire, il n’y a que 33 communes, de 30 à 60 kilomètres, depuis le bord de mer jusqu’au pied des montagnes, à l’ouest comme à l’est.
L’autre spécificité de la Nouvelle-Calédonie est qu’au-delà des terres de droit commun, il y a aussi des terres coutumières, sur lesquelles l’État, la province ou la commune n’ont pas la compétence, puisqu’elles sont régies par les autorités coutumières. Elles sont concernées par la règle dite « des 4 i », car elles sont inaliénables, incommutables, incessibles et insaisissables.
Lorsque le président de la République est venu le 10 juillet 2023, nous nous sommes rendus sur une commune de la côte est de la Grande Terre, où les événements des années 1984‑1988 ont été les plus durs et où il y a eu une centaine de morts. Ces communes comptent de nombreuses tribus, à la tête desquelles tous les maires sont indépendantistes. Les terres coutumières y sont très nombreuses. Nous avons amené le président de la République sur une commune souffrant des problèmes d’érosion des côtes et de relogement des populations. Le maire, le président de la province Nord et l’État n’étant pas compétents, ces problèmes relevaient de l’autorité du chef de clan. Il a fallu reloger les populations dans des constructions nouvelles à l’écart du littoral en collaboration entre le maire et les autorités coutumières, mais l’État et le président de la province ne pouvaient pas s’en mêler. Or le plan d’urbanisme relève de la compétence de la province.
En tant que représentants de l’État, nous ne pouvons pas empiéter sur les compétences locales. Nous accompagnons les maires, les présidents de province et le président du gouvernement par des moyens financiers, humains ou techniques qui nous sont propres. Nous n’avons pas de centre régional, mais un commandement des opérations de secours (COS), une structure territoriale armée par des militaires, qui constitue un moyen de gestion opérationnelle, en appui des compétences locales pour ce qui relève des eaux intérieures du lagon, sur lesquelles le directeur des opérations de secours est le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Les eaux extérieures du lagon relèvent des compétences de l’État, que le haut-commissaire doit assumer. Le lagon s’étend, à partir du bord de mer, sur une vingtaine de kilomètres, jusqu’à la barrière récifale qui encercle la Grande Terre.
Vous voyez que, même sur le plan opérationnel, nous sommes dans une logique de compétences partagées dans le domaine maritime. Nous formons les personnels calédoniens de la fonction publique territoriale de Nouvelle-Calédonie à faire le même travail que les militaires qui travaillent au COS, comme dans les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) de Méditerranée ou du cap Gris‑Nez au nord de la métropole. Nous sommes obligés de nous coordonner avec le gouvernement de Nouvelle‑Calédonie pour ne pas mettre les populations à risque dans le domaine maritime et en matière d’évacuation des personnes.
La gestion opérationnelle des événements n’est pas possible sans cette structure de l’État qui est armée par les militaires. Pour les évacuations, nous avons besoin de la gendarmerie nationale. Pour les observations aériennes et les moyens de surveillance, nous n’avons ni hélicoptère ni avion et tout repose sur les moyens aériens des forces armées en Nouvelle-Calédonie. Pour les prévisions, les moyens sont placés sous la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie, mais ils sont financés par l’État. Le directeur Pragash Eganadane est de Météo‑France, même s’il est ici sous le contrôle opérationnel du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Dans le domaine de l’environnement, un service de l’État assume une compétence partagée concernant l’agriculture, la forêt et l’environnement. L’environnement est une compétence provinciale, tandis que l’agriculture et la forêt sont des compétences territoriales, selon la loi. Pour les mesures de protection de l’environnement en cas d’événements majeurs, Pragash Eganadane est sollicité sous l’autorité du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ou du maire, selon l’importance de l’événement, mais il agit en liaison avec l’État.
En bref, l’État n’a pas la compétence, sauf pour le domaine maritime à l’extérieur du lagon. Le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie assume la responsabilité directe, sachant que la quasi-totalité des atteintes à l’environnement résultant des bâtiments de commerce qui viennent mouiller au port de Nouméa se situe dans les eaux intérieures du lagon.
La posture de l’État est d’apporter un accompagnement financier lorsque des événements naturels abîment l’environnement, mais la gestion directe revient aux collectivités calédoniennes. Sur le plan strictement opérationnel en mer, l’État vient en appui. Le centre opérationnel de secours et de sauvegarde est un organe pivot, dans lequel des militaires de l’armée de terre ou de la marine agissent en liaison étroite avec les structures chargées de faire de la prévention ou comme Météo‑France, des prévisions et des annonces précises, par exemple, sur la puissance des cyclones.
Cet ensemble doit parfaitement fonctionner, parce que nous sommes seuls, sur une île à 20 000 kilomètres de la métropole. Il nous est arrivé de venir en appui de cyclones successifs et d’un séisme en mars dernier au Vanuatu, au moment où Gérald Darmanin venait en Nouvelle-Calédonie. En liaison avec Sébastien Lecornu, le ministre des armées, nous avons fourni des moyens pour réduire les effets de ces événements sur l’une des îles les plus importantes du Vanuatu. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a également apporté des moyens.
Les sapeurs-pompiers sont fondus dans une organisation communale, selon la loi de départementalisation des SDIS de 1987. Il n’y a pas d’organisation ni de gestion coordonnée et optimisée des sapeurs-pompiers. Il y a un peu de pompiers professionnels et un peu plus de volontaires, mais tous ces moyens sont à la main des maires. Même si le président du gouvernement a la responsabilité de la sécurité civile, il doit engager les sapeurs-pompiers en liaison étroite avec les maires.
J’ai à mes côtés un lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers professionnels, qui a beaucoup de connaissances. Il sait comment fonctionnent les centres des structures opérationnelles, car il les a pratiqués. Il est en appui des structures locales, en donnant des conseils, il lui arrive de prendre la main pour éviter les catastrophes, mais la protection des biens et des personnes ne relève pas de l’État.
Il y a quelques mois, j’ai découvert, dans un rapport de la Cour des comptes, que si le président du gouvernement était défaillant, il fallait que je me substitue à lui, dans un temps relativement réduit, pour les événements de portée cyclonique ou autre, à l’origine de drames humains et de destructions d’habitations ou de structures portuaires importantes. Aussi, même si les compétences ont été transférées, le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie peut voir sa responsabilité pénale engagée si les exécutifs, les maires, les présidents de province ou le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sont défaillants, ce qui m’impose d’être bien informé de l’importance des sinistres et de leurs effets sur les populations et les infrastructures locales. C’est pourquoi j’ai à mes côtés ceux qui ont ce savoir et cette capacité de conseil auprès des élus locaux.
Comme vous pouvez le voir, nous fonctionnons de manière très imbriquée. Je n’ai pas noté, depuis que je suis en poste, de problèmes majeurs, mais il y en a certainement. Il est toujours possible de s’améliorer.
Le point faible est l’absence d’organisation intégrée de sécurité civile, de centre de traitement des appels, de centre coordonné de gestion et d’emploi des moyens de sapeurs-pompiers, qui relèvent essentiellement de l’autorité des maires. Il faut donc mettre toutes ces personnes en contact pour obtenir l’effet recherché. Voilà pour le contexte dans lequel nous sommes.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Merci. La commandante Bourgoin et des élus nous ont effectivement expliqué cette organisation.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci pour ces éléments, qui montrent que le recours aux moyens de l’État est une donnée importante.
L’un des éléments fondamentaux, y compris dans votre mise en cause éventuelle, est la connaissance des aléas et de leurs répercussions sur le terrain. J’ai cru comprendre que toutes les communes ne sont pas couvertes par un plan de sauvegarde.
À la base de la résilience des territoires, il y a l’idée qu’une part importante de la prévention passe par la sectorisation, qui constitue une difficulté institutionnelle compte tenu de la répartition des compétences. Derrière cette cartographie, il y a la collecte et la répartition des données. Or, il n’y a pas de données locales ou elles sont parcellaires.
Comment l’État accompagne-t-il les collectivités locales compétentes en la matière, via MétéoFrance ou d’autres services comme le BRGM, qui sont pris en charge par l’État, mais affectés aux autorités locales, pour collecter les données en vue de bâtir des cartes ? Quelle est la perspective en la matière ?
M. Louis Le Franc. En Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas de schéma départemental d’analyse et de couverture des risques. Un tel schéma permettrait de connaître ces risques, de savoir comment les couvrir et de mesurer les délais d’intervention. Nous ne pouvons donc que dire au gouvernement qu’il serait souhaitable d’élaborer cet outil.
Je laisse la parole au directeur de Météo-France de Nouvelle-Calédonie.
M. Frédéric Atger. Le service de la météorologie de Nouvelle-Calédonie, qui est aussi la Direction Interrégionale en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna, est un service météorologique comme partout en métropole. La collecte de données est réalisée selon les mêmes conditions, selon le même protocole, avec le même niveau d’exigence, de formalisme et de conservation.
Pour les données climatiques, le territoire de la Nouvelle-Calédonie est couvert comme n’importe quel territoire, au bémol près que des équipements météorologiques d’observation ne sont pas installés partout où nous le souhaiterions, car les accès sont compliqués, tout comme la mise en œuvre des moyens de maintenance. Pour autant, nous avons des radars météorologiques, des fonds climatologiques remarquables. S’agissant de l’évolution du climat, nous avons des séries qui n’ont rien à envier à celles que nous avons en métropole ou dans d’autres territoires d’outre-mer. La connaissance de l’évolution du climat et de la sensibilité particulière de tel ou tel territoire nous permet de savoir que la fréquence et la force des oscillations sont plus importantes à l’est de la Nouvelle-Calédonie et que le nord est plus exposé aux vents forts et à l’activité cyclonique, etc.
Pour les prévisions, le service de météorologie utilise les mêmes critères opérationnels et de technicité. Tous les agents techniques sont formés par Météo‑France à l’École nationale de la Météorologie. Leur formation continue est assurée par Météo‑France. Ils opèrent au sein de structures similaires à celles de la métropole. La Nouvelle‑Calédonie est une région particulière, mais la région Provence‑Alpes‑Côte d’Azur est aussi une région particulière.
En tout cas, nous nous donnons les moyens de disposer de données de prévision et d’observation, dans le contexte d’une zone soumise au risque cyclonique, pour connaître l’évolution des phénomènes en temps réel, qu’il s’agisse de cyclones ou de fortes pluies, qui peuvent être plus dévastatrices que certains cyclones. Sur tous ces sujets, nous sommes à un niveau très évolué. En comparaison avec d’autres territoires du Pacifique à proximité, Météo‑France a un système de prévision au point, de très haut niveau. Ces données sont à la disposition de la DSCGR et du COS en temps réel. Elles leur permettent d’exercer leurs compétences de prévention des conséquences des risques naturels.
Météo-France, par convention, exerce la compétence de production de ces données pour le COS. Météo‑France, en tant que service de l’État, vient en appui à la Nouvelle-Calédonie, mais il est aussi, par convention avec la Nouvelle-Calédonie, fournisseur de ces données, puisque les observations sont financées par la Nouvelle-Calédonie sur la base de contrats de développement.
Je n’irai pas plus loin. J’ai tenté de vous dresser le panorama le plus sincère possible. Je suis ici depuis quelques mois, mais j’ai le sentiment d’assurer la continuité d’un service qui fournit un niveau de compétences tel que je viens de le décrire.
M. Louis Le Franc. Nous voyons venir les cyclones, mais les messages d’alerte et les mesures de précaution relèvent de la compétence locale. La sécurité civile s’est dotée d’une direction de la sécurité civile et de la gestion des risques, avec à sa tête un sapeur-pompier professionnel de métropole, mais le risque courant reste géré par les sapeurs-pompiers communaux.
Nous faisons en sorte que des professionnels qui viennent de métropole soient à la tête de structure, dont la compétence est transférée ou relève de l’État. Entre professionnels du même métier, ils se comprennent. En l’absence de leur appui, les professionnels locaux ne pourraient, selon moi, pas s’en sortir. Ces professionnels ne relèvent pas de la compétence de l’État, mais de compétences locales, mais ils sont dans des services dont la compétence est assurée par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Cet ensemble de fonctionnaires métropolitains, spécialisés dans leur domaine, permet à la Nouvelle-Calédonie de fonctionner. Il convient d’avoir conscience de cette donnée importante.
Le concept d’autonomie est très poussé, mais sans ces fonctionnaires, la ressource locale ne suffirait pas à gérer les trois radars, qui seront d’ailleurs remplacés dans le cadre des contrats de développement (qui correspondent aux contrats de plans interrégionaux). La Nouvelle‑Calédonie intègre, parmi les besoins qu’elle exprime auprès de l’État, le remplacement de ces radars dans le cadre de la politique d’accompagnement des collectivités calédoniennes par l’État dans le domaine courant.
Je laisse la parole au représentant de la DAFE, qui est à la tête d’un service à compétences partagées complexe.
M. Pragash Eganadane, directeur. Je précise que le niveau de finesse est encore plus compliqué, puisque la DAFE recouvre l’agriculture, qui est complètement transférée à la Nouvelle-Calédonie. En revanche, pour l’enseignement agricole, je représente un directeur calédonien. Autrement dit, sur l’enseignement agricole, nous avons des données, mais pas forcément sur l’agriculture. Les données agricoles datent de 2012. Il y a donc certainement une grosse lacune, du côté de la Nouvelle-Calédonie, pour assembler ces données. Nous faisons face à cette dure réalité dans mon domaine qu’est l’agriculture.
En matière d’environnement, le sujet est encore plus vaste. Cependant, la Nouvelle-Calédonie est dotée d’une agence locale. Nous venons plutôt en appui via le Haut‑commissariat ou en coordination avec différents comités, avec qui nous partageons une position commune.
Depuis un an et quelques mois que j’ai pris mon poste, il n’y a eu aucune initiative territoriale au niveau des services de la DAFE. Par rapport au risque d’érosion côtière, il est très important de développer la mangrove, mais ce n’est clairement pas fait. Notre idée, en tant que service de l’État, est d’apporter des initiatives nationales.
Par exemple, la DAFE délivre des diplômes, des certiphyto‑NC, à l’issue d’examens que nous faisons passer à des professionnels pour savoir s’ils peuvent utiliser les produits phytosanitaires dans leurs champs. Concrètement, nous le faisons avec le ministère de l’agriculture, alors que cette compétence est totalement transférée à la DAFE, la direction de l’agriculture pour la Nouvelle-Calédonie.
En fait, nous complétons ce qui n’est pas fait. Je rejoins donc les propos du haut-commissaire : si nous n’étions pas là, il serait très compliqué, voire impossible, pour la Nouvelle-Calédonie de fonctionner toute seule.
M. Louis Le Franc. L’État vient effectivement en appui. Des schémas directeurs intercommunaux de défense extérieure contre l’incendie existent. Pour les appuyer, nous faisons appel aux fonds verts.
Le renouvellement du réseau des radars d’observation de Météo‑France relève de contrats de développement. Là aussi, nous venons en appui, par des sommes de 5 à 10 millions d’euros, pour conforter des baies touchées par l’érosion du trait de côte et la puissance des dépressions tropicales et leur fréquence plus élevée, qui font que les habitations à proximité du littoral sont fragilisées et que les populations doivent être relogées.
Nous avons créé un service technique d’assistance aux communes, composées de cinq ou six jeunes contractuels, essentiellement des ingénieurs, qui viennent en appui des maires et des chefs de clan, car les autorités coutumières ne sont pas en mesure de traiter ces problèmes. Nous sommes vraiment dans une posture d’accompagnement, tout en respectant leurs compétences, puisque le niveau de décision leur appartient.
Les plans de prévention des risques naturels et les plans de prévention des risques littoraux n’existent pas en Nouvelle-Calédonie. Ils sont normalement associés à des recommandations, voire de contraintes, qui ne sont pas toujours bien vécues en métropole. Comme ils n’existent pas, les populations locales ne s’inquiètent pas, alors que les dégâts peuvent être lourds de conséquences.
À Ouvéa, par exemple, la construction d’un pont présentant une circulation alternée et une circulation pour les cyclistes et les piétons pour un coût total de 10 millions d’euros a semblé nécessaire pour éviter qu’une partie d’Ouvéa soit totalement isolée du centre et du sud. L’érosion du trait de côte fait, qu’en quelques mois, la route en sortie de pont est menacée. Le maire d’Ouvéa est complètement démuni face à cette problématique. Nous le conseillons, nous faisons appel à des techniques particulières de pieux enfoncés dans le littoral pour réduire la puissance des vagues. Des chercheurs de l’université de Montpellier sont en contact étroit avec nous et les maires pour mener à bien cette expérimentation.
Nous avons également constaté qu’une rangée de tombes à proximité immédiate de la mer, dans un cimetière d’une île de Nouvelle-Calédonie, devrait être relocalisée, ce qui est totalement impossible pour l’inconscient collectif kanak.
Là encore, nous développons un partenariat étroit pour trouver les solutions les plus appropriées pour protéger les cimetières, les ouvrages d’art et les habitations. Les maires, même si ces sujets relèvent de leurs compétences ou de celles du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, sont très friands de nos conseils et évidemment, des finances que nous pouvons leur apporter.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous avons eu l’occasion d’interroger les chercheurs de l’université de Montpellier qui travaillent sur le pont que vous avez évoqué. Je comprends que vous intervenez pour réparer un dégât qui était prévisible. Les autorités locales doivent être respectées, mais un accompagnement en amont de la construction du pont n’est-il pas possible, sachant que l’érosion du trait de côte n’est pas un phénomène nouveau que nous découvrons ? Cet exemple me paraît emblématique des difficultés existantes.
M. Louis Le Franc. Ce n’est pas si prévisible. Je ne suis pas un spécialiste de l’érosion du trait de côte, mais deux exemples nous ont marqués. Au moment de la construction du pont, la conception était gérée par un bureau d’études spécialisé, très pointu, en métropole. Même pour ce cabinet, il est très difficile de prévoir la récurrence et la puissance des dépressions tropicales. Il nous appartient d’aider les élus à prendre des mesures de consolidation pour limiter l’érosion du trait de côte. Pour ce qui est des prévisions, nous avons ici un spécialiste.
M. Pragash Eganadane, directeur. Je vous précise que la loi de Finances prévoit, par un amendement, la cartographie de l’érosion côtière. Nous connaissons deux phénomènes en Nouvelle-Calédonie : la submersion et l’érosion du trait de côte, qui sont aggravées par les phénomènes naturels, ce qui complique encore plus la prévision. Nous avons toutefois l’opportunité du soutien financier de l’État en 2024.
M. Louis Le Franc. Sur les terres coutumières, les populations sont exposées aux phénomènes d’érosion du trait de côte, des dépressions tropicales, des effets dévastateurs des épisodes cycloniques. Je ne sais même pas si un plan de prévention est envisageable avec des autorités coutumières, car les terres coutumières ne sont pas cadastrées. J’ai passé quatre ans de ma vie en Nouvelle-Calédonie il y a vingt ans et c’était déjà une idée, qui était irréalisable, car elle ne correspond absolument pas à la culture locale. Avec l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF), que connaît bien le directeur de la DAFE, j’ai récemment imaginé un cadastre du domaine coutumier et les locaux m’ont ri au nez.
L’ADRAF a concédé 168 000 hectares de terres, qui étaient exploitées par des descendants de colons. Ces terres sont concernées par la règle des « 4 i ». Nous ne pouvons donc pas anticiper sur ces espaces fonciers de la côte est de la Grande Terre et tous les îlots qui sont des terres coutumières. Aussi, des plans de prévention tels qu’ils existent en métropole relèvent de la mission impossible sur ces espaces coutumiers.
Sur les espaces publics, communaux, territoriaux, provinciaux, un cadastre est possible, mais cela nécessitera beaucoup de pédagogie, pour ne pas donner le sentiment aux autorités locales que nous sommes les sachants parce que nous sommes confrontés à ces problématiques en métropole. Nous pouvons leur apporter notre appui, un accompagnement financier pour remplacer un radar ou conforter une baie, dans le cadre de contrats de développement, mais le contexte est délicat, car ils veillent attentivement à ce que nous n’empiétions pas sur leurs compétences en matière de problématiques locales spécifiques.
Quand le président de la République s’est rendu sur la côte est, il a été confronté aux populations qui n’étaient pas satisfaites de leur sort, non pris en compte par les autorités coutumières locales. Il s’est rendu compte que le maire et le président de la province n’étaient pas compétents et l’État encore moins, et que, par conséquent, d’autres approches étaient nécessaires. C’est pourquoi nous avons demandé à l’ADRAF, qui porte la politique d’aménagement foncier de l’État, de trouver le bon chemin pour mettre à l’abri les populations exposées sur ces espaces côtiers.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Je préside le comité national du trait de côte et lors de notre dernière plénière, nous avons acté que les inspecteurs généraux qui nous accompagnent et le Cerema étendraient leur mission d’évaluation des enjeux à la Nouvelle-Calédonie. J’y tiens, même si celle-ci est une collectivité à statut particulier.
L’érosion côtière n’est pas un risque naturel, mais bien un phénomène prévisible et inéluctable, que nous pouvons anticiper. Nous pouvons consolider des ouvrages de protection.
J’ai bien noté qu’en Nouvelle-Calédonie, nous sommes face à un problème de droit de la propriété et de foncier difficile à identifier. Commençons par évaluer le littoral, puis nous pourrons peut-être apporter des solutions et émettre des recommandations aux élus, et vous apporter davantage de connaissances sur ce phénomène totalement lié à la submersion et à l’élévation du niveau de la mer.
M. Louis Le Franc. Je compte demander au ministre compétent de nous envoyer une personne du Cerema pour nous aider. Sur le territoire calédonien, nous avons un ingénieur du BRGM. Pour la construction d’une nouvelle prison, l’objectif est de trouver un espace foncier adéquat pour éviter que cette infrastructure sensible et majeure soit exposée aux risques naturels. Le BRGM a modélisé l’élévation du niveau de la mer et les effets provoqués par les cyclones les plus puissants des trois dernières années sur l’agglomération de Nouméa. Il faudrait modéliser tous ces risques et leurs effets sur l’ensemble du littoral calédonien. Je souhaite que quelqu’un y travaille. J’adresse cette demande au ministre.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. C’est la demande que j’ai formulée en plénière au ministre Béchu, qui était présent en plénière. Le Cerema a déjà démarré ce travail d’identification sur les territoires ultramarins.
Nous vous remercions pour votre présence et pour l’ensemble de ces informations. N’hésitez pas à nous en transmettre davantage par écrit.
38. Audition, ouverte à la presse, de M. le Préfet Olivier Jacob, directeur général des outre‑mer (DGOM), Ministère de l’Intérieur et des outre‑mer (18 mars 2024)
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Nous poursuivons les travaux de la commission d’enquête par l’audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer (DGOM) du ministère de l’intérieur et des outre-mer.
Merci, monsieur le directeur, de vous être rendu disponible pour cette audition retransmise en direct, puis disponible à la demande, sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour une brève intervention liminaire, avant que nous ne poursuivions nos échanges sous la forme de questions-réponses. Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Olivier Jacob prête serment.)
M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer (DGOM) au ministère de l’intérieur et des outre-mer. Au fur et à mesure de vos auditions, vous avez dû vous rendre compte que les territoires ultramarins sont plus exposés que les territoires hexagonaux aux risques naturels majeurs : on y retrouve tous les risques naturels – sismiques, volcaniques et cycloniques –, plusieurs aléas naturels extrêmes pouvant s’additionner sur une même aire géographique. Exposés à cette surabondance de risques, les territoires ultramarins français pâtissent aussi de leur éloignement de l’Hexagone et parfois d’un certain isolement par rapport à leur environnement régional proche. Certains d’entre eux – tels que les archipels guadeloupéen, calédonien et polynésien –, sont en outre confrontés à une double insularité.
Pour répondre à ces défis, les services de l'État se sont organisés à la fois au niveau territorial et au niveau central. Pour ne pas être redondant par rapport à mes collègues chargés de la sécurité civile et de la prévention des risques, que vous avez déjà auditionnés, je ne vais pas réexpliquer ce qu’est la mission d’appui à la prévention et à la gestion des risques naturels majeurs en outre-mer (Maprom), placée auprès du directeur général de la prévention des risques (DGPR) et qui sert aussi en tant qu’outil interministériel à la DGOM et à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
Les administrations centrales chargées de la prévention des risques naturels outre-mer se retrouvent dans un comité de pilotage qui se réunit une à deux fois par an. Ce comité regroupe la DGOM, la DGPR, la DGSCGC, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), ainsi que toutes les préfectures des outre-mer. À côté de ce comité de pilotage, que je qualifierais de généraliste, il existe des instances de pilotage plus spécifiques pour des risques particuliers : l’un est ainsi dédié au plan séisme Antilles (PSA), tandis qu’un autre est consacré aux risques sismiques et volcaniques à Mayotte. C'est dans le cadre de ces instances que les directions d'administration centrale définissent leurs priorités pluriannuelles et les adaptations annuelles requises.
La DGOM est plutôt concourante que menante en matière de gestion de la prévention des risques naturels majeurs, sauf dans deux cas spécifiques : l’action du fonds de secours pour les outre-mer (FSOM) ; la politique du logement, que nous déployons directement, en lien avec d'autres administrations centrales et territoriales – les crédits dédiés sont affectés aux budgets rattachés au ministère de l'intérieur et des outre-mer. En tant qu'administration concourante, nous participons au PSA et à nombre d'autres actions. Nous nous investissons tout particulièrement dans l'organisation de la Journée nationale de la résilience, qui a lieu chaque année. Nous nous attachons à sa déclinaison dans les outre-mer aussi bien sur le plan quantitatif par le nombre d'actions déployées que sur le plan qualitatif par le ciblage des publics prioritaires.
Si nous avons des liens avec les directions d'administration centrale, nous entretenons aussi des rapports étroits avec certains opérateurs de l'État, tels que Météo‑France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou l'Institut national de géophysique (ING). Nous avons aussi conclu récemment une convention avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour recenser la littérature scientifique traitant des effets du changement climatique sur les territoires d'outre-mer, afin d'identifier les solutions innovantes et adaptées à ces territoires. La DGOM a aussi accompagné les COP (conférences des parties) territoriales – exercice qui se déroule dans l'ensemble des régions françaises – dans les territoires d’outre-mer mais aussi les collectivités éloignées du Pacifique telles que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
La DGOM a à cœur de prendre sa part dans l'animation de l'écosystème de la prévention et de la gestion des risques majeurs outre-mer. Notre posture est résolument partenariale et facilitatrice. Nous sommes engagés aux côtés des services territoriaux de l'État qui portent cette politique essentielle au plus près de nos concitoyens.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suis bien convaincu que la DGOM est aux côtés des collectivités, pour avoir pu souvent mesurer à quel point les services que vous leur rendez étaient absolument indispensables à la coordination des politiques publiques et à leur application locale, même si quelques difficultés demeurent.
Une série d'auditions nous a permis de mesurer la complexité de l’élaboration des documents de planification. Celle-ci nécessite la collecte de données qui permettent d’identifier les risques, de déterminer la probabilité de leur réalisation et d’évaluer les effets à en attendre. Il s’agit de pouvoir gérer les risques en amont, ce qui a très bien fonctionné dans le cas du cyclone Belal, contrairement à ce qui s’était passé en 2017 lors du passage de l’ouragan Irma – d’une certaine manière, cette catastrophe avait été au moins riche d’enseignements pour les services.
Il ressort des auditions que les documents actualisés ne sont pas toujours d’une rigueur absolue, qu’il s’agisse du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile), des dossiers départementaux sur les risques majeurs (DDRM) ou des plans communaux de sauvegarde (PCS). Comment pouvez-vous accompagner les collectivités locales dans la rédaction de ces documents ?
M. Olivier Jacob. L'actualisation du plan Orsec et des documents de planification relève de l’État ; celle des PCS et de documents d'urbanisme tels que les plans de prévention des risques naturels (PPRN) incombe aux communes.
La DGSCGC est l’administration menante en la matière, notre valeur ajoutée étant liée à notre connaissance du réseau des préfets d’outre-mer. En matière de prévention des risques naturels majeurs comme pour d’autres politiques publiques, notre atout majeur est notre proximité avec les réseaux territoriaux de l'État, la connaissance que nous avons de nos partenaires au sein de l’État et des collectivités locales. Nous nous positionnons donc plutôt en tant que relais des instructions données par la DGSCGC ou la DGPR dans l'animation du réseau des préfets, et plus encore de celui de leurs directeurs de cabinet. L'autorité préfectorale, chargée de la déclinaison de cette politique, s’exerce surtout-par l’action du directeur de cabinet du préfet. Le cabinet du directeur général de la DGOM est en relation quotidienne avec le réseau des directeurs de cabinet. Notre connaissance et notre proximité avec ce réseau nous permettent d’être réactifs.
Les PPRN donnent des résultats, mais certains territoires tels que la Guyane et Mayotte sont un peu en retard dans l'élaboration de leur plan. En revanche, La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe sont plutôt bien couvertes par les PPRN. Nous avons l’avantage de nous investir dans les territoires où la politique de prévention des risques n'est pas forcément du ressort de l'État. Certains territoires comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, les deux principales collectivités d'outre-mer, sont parfois des angles morts pour les directions d'administration centrale parisiennes. Ces dernières ont plus souvent affaire aux départements et régions d'outre-mer ou aux territoires tels que Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon, où s'applique l'identité législative. Au sein de la DGOM, nous suivons aussi les collectivités d'outre-mer qui sont soumises à la spécialité législative : nous ne les oublions pas dans la déclinaison des politiques de prévention des risques naturels majeurs. Toutefois, nous ne pouvons pas être à l’initiative, compte tenu de la répartition des compétences entre l'État et lesdites collectivités : nous intervenons donc en appui.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Comme en témoignent le Livre bleu, les différents budgets et même, d’une certaine façon, les contrats de redressement en outre-mer (Corom), l’État a mis l’accent sur la réduction du déficit en ingénierie des collectivités d'outre-mer. Les auditions nous ont appris que ce déficit était particulièrement patent en matière de prévention des risques naturels majeurs et dans le cadre de la modification des PPRN. Saint-Martin en a donné un bon exemple : le PPRN avait un peu raté sa cible en insistant sur les risques de submersion et en interdisant la construction sur les littoraux alors qu'il gommait un peu le risque – plus élevé – d’ouragan. Quoi qu’il en soit, la modification de ces documents n'est pas si simple, notamment parce qu’elle se heurte à de forts enjeux locaux et à un déficit d’ingénierie qui se fait d’ailleurs aussi sentir dans la collecte de données, nécessaire à l’élaboration des cartes. Parce qu’elle coûte cher, cette ingénierie n’est pas à la disposition permanente des petites collectivités. Pensez-vous que ce constat, qui ressort de nos auditions, est juste ? Si tel est le cas, comment pouvez-vous accompagner les collectivités dans ce domaine ?
M. Olivier Jacob. Le défaut d'ingénierie publique dans les outre-mer touche la politique de prévention des risques naturels majeurs mais aussi nombre d'autres politiques, ainsi que vous l’avez souligné : la construction de logements, l’adduction d'eau potable, le traitement des déchets ménagers, etc.
En ce qui concerne les risques naturels majeurs, ce constat partagé nous a conduits à assouplir les conditions d'intervention du fonds outre-mer (FOM), que nous utilisons avec l’Agence française de développement (AFD). Expertise France, opérateur de l’AFD, nous a incités à utiliser le FOM pour mobiliser de l'ingénierie publique lors des opérations soutenues par PSA.
Le Gouvernement a aussi proposé le transfert de certaines agences des cinquante pas géométriques du giron de l'État vers celui des collectivités territoriales. Dans la loi de finances pour 2024, il a été proposé que ces agences puissent devenir des opérateurs du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier, ce qui permettrait l’arrivée d’un nouvel acteur puissant en termes d'ingénierie pour soutenir les collectivités.
À cet égard, je peux vous citer en exemple une opération remarquable qui est en cours à la Martinique où j’étais en déplacement la semaine dernière. Elle se déroule dans une commune du Nord de l’île, Le Prêcheur, située au pied de la Montagne Pelée et exposée à un risque de lave torrentielle. Il s’agit de déplacer des logements depuis la zone littorale vers l'arrière-pays, opération à laquelle participe notamment l'agence des cinquante pas géométriques.
L'État doit accompagner sous forme d’apport d’ingénierie, mais les collectivités locales ont aussi une responsabilité en la matière. Au niveau communal, plus encore qu’à l’échelon des intercommunalités ou des collectivités territoriales, un repyramidage des différentes catégories de fonctionnaires est nécessaire, ce qui prend du temps. On constate en effet une surreprésentation des fonctionnaires de la catégorie C et un manque de fonctionnaires d'encadrement des catégories A et B, qui sont le fruit de l’histoire. L'État doit faire des efforts – ils se traduisent par l’augmentation des moyens prévus dans la loi de finances pour 2024 et par les Corom. Même si leurs marges budgétaires sont réduites, les collectivités locales doivent quant à elles revoir progressivement leurs effectifs afin de dégager un peu de matière grise.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Une réflexion est en cours sur la question statutaire, tant en Nouvelle-Calédonie que dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans celles qui relèvent de l’article 74, lequel consacre le principe de spécialité législative. Considérez-vous que le statut de ces collectivités permet une coopération efficace entre les services de l’État, les services transférés et ceux qui sont à la main des collectivités locales pour protéger les populations face aux risques naturels ?
M. Olivier Jacob. Cette question revêt un intérêt particulier s’agissant de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, qui sont les deux grandes collectivités d’outre-mer dotées de l’autonomie administrative la plus étendue. La Polynésie, qui est compétente en matière de prévention des risques, a adopté récemment un corpus réglementaire pour faire face aux risques naturels majeurs. Si la prévention y est bien appréhendée, on observe un retard dans la structuration d’un service territorial d’incendie et de secours (Stis), qui relève d’une compétence partagée entre l’État et les communes. La Polynésie, qui dispose de corps communaux, se trouve dans une situation comparable à celle que connaissaient les communes françaises avant la grande loi de départementalisation de 1996. On entame à peine la création d’un centre de traitement de l’alerte dans quelques communes de l’agglomération de Papeete. Le retard concerne tant la partie opérationnelle que curative.
En Nouvelle-Calédonie, les provinces sont compétentes en matière de prévention des risques naturels et de sécurité civile. Les sapeurs-pompiers n’y relèvent donc pas de l’autorité de l’État. Le territoire connaît du retard dans ces deux domaines, alors qu’il est de plus en plus exposé, à la faveur du changement climatique, à un certain nombre de risques auxquels, me semble-t-il, il n’était pas habitué – je pense, par exemple, aux feux de forêt.
Des collectivités plus petites, comme Saint-Martin, Saint-Barthélemy ou Saint-Pierre-et-Miquelon, ont besoin, malgré leur régime d’autonomie avancée, de l’ingénierie de l’État et des grands opérateurs de l’État lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes majeurs. À Saint-Martin, dans le cadre de la reconstruction, elles demandent des interventions de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), et d’Action logement. Or, la compétence en matière de logement ayant été transférée à la collectivité, ces agences ne peuvent pas, légalement, y intervenir. Pour permettre leur action à Saint-Martin – ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a un peu d’avance sur cette dernière –, nous devons emprunter des détours juridiques, ce qui implique notamment de conclure des conventions assez complexes à bâtir. Parfois, la collectivité ne comprend pas pourquoi l’Anru ou l’Anah n’interviennent pas aussi spontanément qu’elles pourraient le faire dans un département de droit commun. Ce handicap tire souvent son origine des lois organiques statutaires.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’aurai quatre questions supplémentaires à vous poser.
Premièrement, serait-il opportun, selon vous, d’établir une liste des risques naturels majeurs spécifiques à l’outre-mer ? Je pense en particulier à l’échouage des sargasses, qui est devenu un phénomène récurrent, et à l’évolution du trait de côte, qui peut être différente dans ces territoires au foncier plus contraint qu’ailleurs.
Deuxièmement, il semblerait que de nombreux biens ne puissent être assurés. Vous paraîtrait-il utile que l’on travaille sur un système de couverture plus universel ? En effet, les biens non assurés ne sont souvent pas conformes aux normes et ont une résilience beaucoup plus faible aux aléas.
Troisièmement, de nombreux acteurs de terrain considèrent que la culture du risque est très présente dans les territoires, quoiqu’à des degrés divers. Comment l’État peut-il accompagner le maintien de cette culture, qui favorise une plus grande résilience ?
Quatrièmement, conviendrait-il que les normes en matière de logement puissent être plus facilement adaptées aux outre-mer ? C’est une question particulièrement prégnante face aux risques naturels majeurs.
M. Olivier Jacob. La question de savoir s’il faut appliquer des dispositifs généraux définis par tel ou tel ministère ou mener une politique spécifique aux outre-mer se pose pour nombre de politiques publiques déclinées outre-mer. Du point de vue de l’organisation, des procédures, de la planification à prévoir face aux risques naturels majeurs, on a, à mon sens, intérêt à maintenir les liens actuels dans les départements d’outre-mer (DOM), qui sont régis par le principe de l’identité législative. Ces liens enserrent les outre-mer dans un concert interministériel dense. La seule question qui peut se poser, pour les outre-mer comme pour d’autres parties du territoire national, est celle de savoir s’il faut prévoir une enveloppe spécifique au sein du fonds Barnier, ce qui emporte des conséquences sur le fléchage des crédits et les efforts budgétaires menés par les uns et par les autres. Le fonds Barnier, qui est géré par la DGPR et non par la DGOM, a vu ses crédits augmenter. Il me semble que les outre-mer ont été bien servis, si l’on prend en considération l’enveloppe actuelle du fonds Barnier – je ne sais pas s’il sera envisagé de l’augmenter face à l’accroissement des risques. Je plaide pour un maintien de l’organisation actuelle, qui place la DGOM au sein du concert interministériel des services de l’État, et permet un enrichissement à partir de l’expertise des autres services. La DGOM est une petite direction d’administration centrale. Si l’on menait une politique plus spécifique, nous perdrions l’expertise nécessaire à la conduite de tels projets.
S’agissant de l’assurance, je voulais vous indiquer que la mission sur l’assurabilité des risques climatiques – dont j’ai reçu les membres pour évoquer la faiblesse du taux de couverture assurantiel – doit rendre son rapport incessamment. Lorsque vous avez parlé des biens non assurés, je pense que vous aviez à l’esprit les biens des particuliers. Pour ce qui est de ceux qui appartiennent aux collectivités locales ou aux agriculteurs, le FSOM intervient lorsque les biens ne sont pas assurés. À titre d’exemple, à la suite du cyclone Belal, ce fonds est venu au secours des agriculteurs dépourvus de couverture. Nous essayons d’inciter les exploitants agricoles à s’assurer. Une ordonnance a été adoptée à cette fin en conseil des ministres il y a quelques semaines. Le projet de loi de ratification devrait arriver au Parlement en mai. Alors que ces projets de loi sont souvent des textes balais, il est possible, en l’occurrence, qu’un débat porte sur le contenu même du projet.
Concernant la culture du risque, la DGOM croit beaucoup à la Journée nationale de la résilience. On a constaté une augmentation assez significative du nombre et de la qualité des projets élaborés dans ce cadre. L’ensemble des territoires ont participé à l’événement en 2023, alors que certains, comme la Polynésie française ou Saint-Martin, ne l’avaient pas fait en 2022. Notre objectif, en 2024, est de mobiliser encore davantage les associations et les collectivités locales et de viser les publics les plus éloignés de la culture du risque. Nous avons été très marqués par le décès de personnes sans domicile fixe lors du passage de Belal. Certaines populations défavorisées échappent à nos messages de prévention. Aussi souhaitons-nous, lors de la prochaine Journée nationale, privilégier une politique de l’aller vers concernant ces publics.
Quant à la question de l’adaptation des normes en matière de logement, elle se pose dans tous les départements d’outre-mer. Les territoires font face à des situations conjoncturelles différentes : on ne va pas traiter le logement de la même manière en Guyane ou à Mayotte et dans des territoires plus mûrs, comme la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion. Cela étant, on constate, dans l’ensemble des territoires, un besoin d’adaptation des normes qui, sans impliquer forcément l’autonomie administrative, doit conduire l’État à être beaucoup plus attentif aux normes qu’il établit dans les DOM et les régions d’outre-mer (ROM).
Lorsque l’on doit construire un certain nombre de logements en Guyane et à Mayotte, la question se pose de savoir s’il faut étendre à ces territoires les normes de constructibilité que l’on applique à La Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe. La question se pose, même si elle semble aller à l’encontre du principe sacré d’égalité. En Guyane et à Mayotte, les enjeux sont essentiellement quantitatifs, tandis que, dans les autres départements, ils sont peut-être plus qualitatifs.
Nous allons inclure pour la première fois dans le plan Logement outre-mer (Plom), dont la troisième édition couvrira la période 2024-2027, la question des risques naturels majeurs, qui sera l’une de nos priorités. Il s’agira notamment de déterminer de quelle manière cette thématique sera prise en compte dans les objectifs fixés à chaque territoire.
Mme Sophie Panonacle, vice‑présidente. Vous avez évoqué le transfert des agences des cinquante pas géométriques vers l’opérateur du fonds Barnier, ce qui serait lourd de conséquences, puisque cela signifierait, compte tenu de la position prise par Comité national du trait de côte (CNTC), que l’on exclut l’érosion côtière, celle-ci ne constituant pas un risque naturel majeur. Le ministre devra toutefois trancher. On compte sur vous pour que la mission interinspections soit étendue à l’ensemble des territoires ultramarins. On a besoin de cette mission et de l’évaluation du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) sur les questions de l’érosion, de la submersion et de l’élévation du niveau de la mer, même pour des collectivités à statut particulier comme la Nouvelle-Calédonie.
M. Olivier Jacob. Mes propos relatifs aux agences des cinquante pas géométriques concernaient uniquement l’ingénierie.
Mme Sophie Panonacle, vice‑présidente. Je vous remercie, monsieur le préfet.
39. Audition, ouverte à la presse, de Mmes Delphine Grancher, ingénieure de recherche au CNRS et Annabelle Moatty, géographe et chercheuse au CNRS (18 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête en accueillant deux chercheuses au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Mmes Delphine Grancher et Annabelle Moatty, que je remercie pour leur disponibilité.
Vous avez participé, mesdames, au projet Tirex (Transfert des apprentissages de retours d’expériences scientifiques), dont on nous a parlé au cours de précédentes auditions. Ce projet s’inscrivait dans la continuité des premières missions collectives réalisées aux Antilles suite aux trois ouragans Irma, José et Maria. Il avait pour objectif de compléter l’analyse des impacts et de renforcer le suivi de la reconstruction territoriale en favorisant l’analyse comparative entre territoires du nord des Antilles et en formalisant des méthodes de retex scientifique continu. Vous avez donc une expertise qui intéresse notre commission d’enquête.
Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que son enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes, puis nous poursuivrons nos échanges sous la forme de questions-réponses.
Je vous rappelle au préalable que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Delphine Grancher et Annabelle Moatty prêtent successivement serment.)
Mme Annabelle Moatty, géographe et chercheuse au CNRS. Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de votre invitation à présenter une partie de nos travaux sur la reconstruction post-catastrophe et sur la reconstruction post‑Irma en particulier. Nous avons, avec ma collègue, préparé cette audition ensemble et nous nous sommes réparti les questions que vous nous avez adressées.
Je me concentrerai pour ma part sur la période de post-catastrophe, qui constitue le cœur de mon domaine de compétences. J’ai structuré ce propos autour de trois points centraux. D’abord, les catastrophes ne sont pas naturelles et la reconstruction ne démarre pas sur une page blanche. Ensuite, la reconstruction est le parent pauvre de la gestion des risques. Enfin, il est important et pertinent d’inscrire l’analyse et le suivi des territoires dans des temporalités longues.
Ma collègue Maud Devès l’a très bien formulé la semaine passée : les catastrophes ne sont pas naturelles. Si l’événement – cyclone, séisme – est d’origine naturelle, ce sont les vulnérabilités associées à nos modes d'organisation et à nos choix de développement qui en font une catastrophe. Pour Haroun Tazieff, « [le] risque majeur, c’est la menace sur l’homme et son environnement direct, sur ses installations, la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l’immensité du désastre ». Ce sont donc bien la capacité à faire face et les capacités de résistance, de reconstruction et d’adaptation qui sont en jeu dans la réponse des sociétés face à ces risques majeurs. En filigrane, ceci implique que la réponse est fortement influencée par la préparation en amont de la situation de crise. Autrement dit, la gestion de crise est ancrée dans nos modes de gouvernance et d’organisation.
Il en va de même pour la reconstruction post-catastrophe, qui ne démarre ni sur une page blanche ni dans un territoire vierge. Les modalités possibles de reconstruction sont ancrées dans l’épaisseur historique des territoires, c’est-à-dire dans leur structure sociale, politique, économique et culturelle. Elles sont aussi conditionnées par la conjoncture locale : la reconstruction peut être ralentie ou entravée par la concomitance ou la succession de crises multiples de différentes natures. À Saint-Martin par exemple, la reconstruction post‑Irma s’est trouvée confrontée à la crise covid et à celle des sargasses, notamment. La reconstruction ne démarre donc pas d’un état zéro à partir duquel tout serait possible. Rien n’émerge en post-catastrophe mais potentiellement, tout se transforme : les modalités d’aménagement des territoires, les structures de gouvernance, les relations sociales.
Permettez-moi, après avoir explicité ce que la reconstruction n’est pas, de vous donner quelques éléments de cadrage pour vous dire ce qu’elle est. La reconstruction, qui démarre lorsque l’urgence absolue est considérée comme terminée, c’est-à-dire quand l’intégrité physique des personnes n’est plus en danger, est un processus de temps long. Une fois l’urgence absolue passée, les phases de nettoyage, de restauration et de réhabilitation des bâtiments, infrastructures et réseaux se déroulent sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. La sortie de l’urgence est marquée par une compression temporelle, c’est-à-dire qu’un grand nombre d’actions sont à mettre en œuvre dans un temps très contraint. M. Philippe Gustin, Mme Anne Laubies et M. Daniel Gibbs, qui ont eux-mêmes géré cette phase à Saint‑Martin, l’ont expliqué lors de leurs auditions.
La majeure partie des opérations de reconstruction s’étend en moyenne sur deux à cinq ans mais les décisions prises dans ce temps post-catastrophe peuvent avoir des conséquences sur les territoires et sociétés pendant plusieurs décennies. Ces grandes phases du processus se retrouvent dans l’ensemble de situations que j’ai pu étudier depuis 2011, de la France hexagonale aux outre-mer en passant par le Japon et l’Indonésie. L’autre constante, c’est la variation locale des temporalités de reconstruction et de relèvement selon les quartiers, les groupes sociaux et les individus.
La reconstruction, c’est aussi un temps charnière de la trajectoire de vie des sociétés et individus qui emporte de nombreux espoirs et attentes, au premier rang desquels celui de se relever moins vulnérable et plus résilient. On touche ici à la fenêtre d’opportunité et au concept de build back better, reconstruire en mieux, popularisé et élevé au rang d’injonction internationale dans le cadre d’action de Sendai de 2015. Mes travaux m’ont permis d’identifier trois piliers qui interagissent : la réduction de l’exposition et de la vulnérabilité de l’environnement bâti, l’aide au relèvement des communautés et la restructuration des modes de gouvernance.
La réduction de l’exposition et de la vulnérabilité de l’environnement bâti passe notamment par des actions sur les bâtiments et infrastructures, qui peuvent inclure l’augmentation de la résistance de ces constructions aux forces et pressions liées à l’événement – on pense bien sûr aux constructions parasismiques et paracycloniques – ou des mesures de réduction de l’exposition par des opérations de délocalisation et de relocalisation. Nous disposons en France d’un outil pour racheter les biens jugés trop dangereux et permettre aux propriétaires qui le souhaitent de se reloger ou de recommencer leur activité ailleurs, le fonds dit Barnier. Il est cependant difficile de généraliser une délocalisation à l’échelle d’un quartier tout entier ou d’un territoire. Au-delà du fait que s’exprimeraient des réticences et un attachement au territoire, cela impliquerait en effet de vider tout ou partie de certaines communes et villes de leurs occupants et activités, et de trouver de nouveaux lieux sur lesquels réimplanter ces populations en dehors des zones à risques et des zones protégées mais à proximité de leurs moyens de subsistance et des services publics.
Le deuxième pilier est l’aide au relèvement des communautés sinistrées. Celle-ci repose sur un panel d’actions de solidarité, depuis les initiatives individuelles, communautaires et associatives jusqu’aux aides étatiques, dont le but est de permettre à tous, en particulier aux plus précaires, de vivre malgré la catastrophe. Pour aider les collectivités territoriales sinistrées, l’État français s’engage financièrement en subventionnant les travaux les plus coûteux. En matière d’aide à la décision, il autorise par dérogation une souplesse vis-à-vis de certaines lois et règlements et déploie, comme ce fut le cas à Saint-Martin, des moyens humains d’assistance à maîtrise d’ouvrage.
Le troisième pilier, le décloisonnement de la gouvernance, se traduit en France par la mise en place de cellules et de missions interministérielles. On trouve dans d’autres pays, par exemple en Nouvelle-Zélande, des ministères de la reconstruction. Les cellules et missions interministérielles permettent de sortir d’une gestion en silos. Leur objectif est d’administrer la reconstruction et de rendre plus rapides et plus fluides les prises de décisions impliquant une dépense d’argent public. En France, une très large majorité des financements de la reconstruction émane en effet de l’État. Or pour dépenser ces fonds, il faut respecter des règles garantes de leur bonne utilisation mais peu compatibles avec le besoin d’agir vite qui caractérise le début de la reconstruction.
L’idée qui sous-tend le build back better est donc de tirer parti de la reconstruction pour nous adapter. Or repenser nos modes de gouvernance et d’aménagement prend du temps. De fait, en post-catastrophe, s’adapter c’est donc aussi résister au besoin de reconstruire vite et à l’inertie de nos sociétés hyperconnectées. C’est résister, aussi, aux incertitudes sur les gains préventifs et sur la pertinence de l’aléa de référence considéré, en particulier dans un contexte de changements globaux. Dès lors, les projets mis en œuvre pendant la reconstruction post-catastrophe sont essentiellement conçus bien avant, la reconstruction pouvant alors jouer le rôle de catalyseur.
Au cours de mes recherches, j’ai pu identifier plusieurs facteurs permettant de penser la reconstruction comme une fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre dans les territoires une bifurcation de trajectoire et aller vers davantage de soutenabilité. En effet, les dommages et les destructions donnent à voir les vulnérabilités de nos environnements bâtis, de nos territoires et de nos sociétés, ce qui renforce l’adhésion de l’opinion publique, au moins localement, aux investissements préventifs. En complément, les solidarités internationales, nationales et locales offrent un afflux financier dans les territoires sinistrés. Enfin, le décloisonnement interministériel permet de sortir de la gestion en silos et d’assurer davantage de cohérence dans les prises de décision.
La fenêtre d’opportunité concerne la mise en œuvre de ce que j'ai appelé la reconstruction éthique et préventive – j’entends par là une reconstruction qui permette un accès aux ressources selon les principes de la justice sociale et territoriale et qui mette en œuvre en même temps des mesures de prévention et de réduction des risques. Mais j’insiste sur un point : la catastrophe ne fait pas table rase du passé. La reconstruction s’enracine dans les héritages sociaux, politiques, culturels, territoriaux, patrimoniaux et économiques, qui conditionnent l’accès aux ressources et structurent la gouvernance des territoires. La reconstruction comporte aussi un risque de propagation des dysfonctionnements à l’ensemble des éléments du système par effet domino. J’appelle paradoxe de la reconstruction post-catastrophe cette tension entre la fenêtre d’opportunité, d’une part, et le risque de déstabilisation du système, d’autre part.
Mes recherches m’ont aussi permis d’identifier des facteurs qui contraignent nos capacités d’adaptation. D’abord, les ressources sont limitées, potentiellement endommagées, détruites et/ou inaccessibles. Ensuite, le processus de reconstruction est le parent pauvre de la gestion des risques. Les premiers jours après un événement, les procédures de gestion de crise s’appliquent. Mais la suite est plus floue, reposant davantage sur les capacités des hommes et femmes qui sont en responsabilités à se coordonner, à rassembler, à trouver des informations et à mobiliser les sources de financement.
En matière de financement justement, en dehors des lignes budgétaires consacrées aux calamités agricoles et de l’indemnisation par les assurances, il n’existe pas à proprement parler de fonds dédié à la reconstruction. Cela impose de puiser, pour reconstruire les territoires, dans les fonds dédiés au développement. Le fonds Barnier, dont le nom complet est fonds de prévention des risques naturels majeurs, est comme son nom l’indique destiné à financer les mesures préventives, mais il est fréquemment sollicité en post-catastrophe, notamment pour financer les opérations de rachat. Le régime « Cat nat », fondé sur la solidarité nationale face aux catastrophes, nous est envié à l’international. Reposant sur le système assurantiel et sur la surprime systématiquement collectée, il permet de mutualiser les risques et de contrebalancer en partie les inégalités liées aux expositions différentielles des foyers. Dans de nombreux territoires en effet, les zones les plus exposées sont occupées par les populations les plus vulnérables.
Le dernier facteur contraignant nos capacités d’adaptation, enfin, est lié au climat social et politique. Les retours d’expériences qui sont menés à chaud portent sur la gestion de crise et la sortie de crise : ils visent souvent à rechercher des responsabilités. Dans le cas d’une catastrophe technologique, le débat se concentre souvent sur la responsabilité unique de l’exploitant, alors que face à une urbanisation anarchique, exposée ou vulnérable, les responsabilités sont plus diffuses dans le temps et entre les échelons de gouvernance.
Dès lors, l’approche interministérielle est aussi nécessaire en matière de gestion des événements et de développement des territoires que l’approche interdisciplinaire l’est en sciences pour produire des connaissances utiles et utilisables. Pour produire ce type de connaissance, la recherche scientifique doit être consciente des contextes locaux : comme je le mentionnais, il n’y a pas de bonne solution applicable partout et transposable efficacement d’un territoire à un autre. Elle doit aussi s’engager dans le temps long, sur quelques décennies, pour être en mesure d’analyser les conséquences des décisions prises en période de post-catastrophe sur le développement des territoires et des sociétés. À cet égard, le financement de la recherche pourrait être repensé dans le temps et dans l’espace. Des financements sur des durées plus longues permettraient de suivre les territoires et de documenter finement les leviers et écueils à la mise en œuvre de stratégies et de politiques éthiques et préventives. S’agissant des espaces, la concentration sur de petits territoires de plusieurs consortiums de chercheurs travaillant sur les mêmes sujets pose des questions éthiques et déontologiques.
La reconstruction s’appuie sur les modes de fonctionnement connus qui sont tout à la fois une partie du problème, puisqu’ils ont fait notre vulnérabilité, et une partie de la solution, puisqu’ils fondent nos capacités d’adaptation. L’adaptation, bien sûr, ne se joue pas qu’après des événements catastrophiques. Compte tenu des difficultés à la mettre en œuvre hors temps de catastrophe, néanmoins, il est vrai que la reconstruction peut constituer une fenêtre d’opportunité. En revanche, le manque d’anticipation et de cadrage réglementaire et administratif contraint les capacités d’adaptation, en particulier préventive. En effet, à rebours du discours le plus commun, les lois et règlements permettent de garder le cap de la soutenabilité face à l’urgence d’une crise. Plusieurs conditions doivent cependant être réunies. Il faut notamment que ces lois et règlements soient ajustables à la diversité des situations. Mes collègues auditionnés précédemment ont souligné la nécessité de laisser une marge de manœuvre aux décideurs et gestionnaires locaux qui, le plus souvent, ont une connaissance fine de leur territoire et de la population.
Mme Delphine Grancher, ingénieure de recherche au CNRS. Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de me donner l’opportunité de présenter devant vous quelques résultats des travaux menés ces dernières années dans les outre-mer français.
Concernant la coordination entre les services de l’État, les collectivités territoriales et la population, je souhaite aborder le rôle du tissu associatif. Qu’il soit humanitaire, sportif ou culturel, il est particulièrement dense et dynamique en outre-mer. Après le passage du cyclone Irma à Saint-Martin, nous avons pu observer des élans de générosité entre les îles et depuis la France hexagonale, en particulier grâce au relais de personnes ayant des attaches dans les territoires touchés. Cette mobilisation est révélatrice de la ressource essentielle dont bénéficie la population. Le capital social de chacun lui permet, grâce à son réseau familial, professionnel, associatif ou communautaire, d’accéder à des soutiens matériels et psychologiques que ne peuvent pas toujours ou pas entièrement prendre en charge les autorités publiques. Les ONG, associations de l’urgence et du soutien à la reconstruction, venues de l’extérieur des territoires, ont été beaucoup plus efficaces sur le terrain lorsqu’elles avaient fait la démarche de mettre en place une coopération locale et pérenne.
Au cours des auditions précédentes ont été évoquées la désorganisation et la perte de temps induites par la multitude d’acteurs s’investissant dans la solidarité post-cyclone. Je me permets une recommandation : la formation des associations locales à la gestion des risques, quel que soit leur domaine d’intérêt, est essentielle : d’abord pour leurs propres structures, pour la sauvegarde de leur patrimoine et de leurs documents administratifs, car la reprise des activités de loisirs est un vecteur de résilience et se révèle importante pour la vie économique des territoires ; ensuite, pour qu’elles puissent être intégrées de façon pertinente à la gestion de crise, le cas échéant, et continuer ainsi de soutenir les populations sinistrées, en particulier à moyen et à long terme.
Vous nous avez interrogées sur la prise en compte du changement climatique dans les politiques de prévention. J’ai participé à deux études à ce sujet, l’une en Polynésie française, l’autre à Saint-Pierre-et-Miquelon. En Polynésie française, les habitants des atolls ont une perception très claire des changements ayant affecté localement, au cours des soixante-dix dernières années, la température de la mer et de l’air, les coraux, la faune et la flore. Mais il existe des différences suivant les générations et nous avons recommandé, dans notre étude, de renforcer la diffusion d’informations sur les situations locales. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les habitants ont aussi une bonne connaissance des effets du changement climatique sur leur territoire et se montrent favorables à la poursuite d’une politique d’adaptation. Ces deux exemples ne sont peut-être pas généralisables ; leur validité dans les autres territoires doit encore être vérifiée.
Les modifications éventuelles des dates de la saison cyclonique et la récurrence d’événements plus puissants, du fait du changement climatique, nécessiteront une adaptation des plans de gestion. À cet égard, une approche multirisque permettrait de mieux anticiper. À l’issue d’une étude exploratoire sur la gestion multirisque, nous avons mis en évidence la non-prise en compte des scénarios multi-aléas dans la politique de réduction des risques de catastrophes – qu’il s’agisse d’une succession d’événements du même type, comme les cyclones Irma, José et Maria en 2017, ou du passage d’un cyclone pendant une crise volcanique comme en Guadeloupe en 1976. Cette situation n’est pas envisagée dans les exercices de crise, qui sont toujours mono-aléa.
Aussi puissant qu’il ait été, le cyclone Irma ne doit pas être l’événement cyclonique de référence dans la mémoire et la culture du risque sur les îles de Saint‑Martin et de Saint‑Barthélemy, ni dans les autres territoires. Les témoignages que nous avons recueillis lors de nos missions de terrain décrivent des situations dramatiques de parents maintenant leurs enfants hors de l’eau à bout de bras, ou de familles qui s’étaient relogées avant le passage de l’œil du cyclone pour éviter d’être emportées par les vagues qui ont ensuite ravagé leur rez‑de‑chaussée. Certaines des personnes décédées lors du passage du cyclone étaient sur des bateaux, tandis que d’autres se sont noyées alors qu’elles étaient sur la terre ferme. Ce fut aussi le cas lors du passage de Belal à La Réunion et lors des épisodes de pluies intenses en Polynésie ces dernières semaines. Si Irma était resté quelques minutes de plus à Saint-Martin, si l’œil du cyclone était passé à quelques kilomètres de l’île, si les gens n’avaient pas pu se loger ailleurs, le bilan humain aurait été tout autre. Ne garder en mémoire que la dangerosité des vents dans un cyclone est un piège, même s’ils sont à l’origine de la majorité des destructions et du coût considérable de la catastrophe. La prévention des risques doit insister sur le danger que représentent la submersion marine et les inondations autour des cours d’eau.
Ma collègue Annabelle Moatti l’a évoqué : la période post-catastrophe est presque ignorée dans les messages de prévention. Elle n’est évoquée que dans les consignes relatives aux quelques heures suivant le passage d’un cyclone ou le déclenchement d’un séisme, mais rien n’est dit sur les jours, les semaines et les mois qui suivent. Une meilleure information des populations, en particulier de celles qui ne sont pas originaires des territoires, est un enjeu essentiel. Il faut porter une attention particulière à ceux qui y restent peu de temps : aux fonctionnaires, du fait de leurs rotations, mais aussi aux travailleurs, parfois saisonniers. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (loi 3DS) prévoit désormais, pour l’ensemble des salariés d’outre-mer, un volet sur les risques majeurs dans la formation obligatoire aux risques professionnels. Cette formation doit être garantie à l’ensemble des personnels, en particulier aux enseignants et aux personnels de santé. Elle insiste sur le fonctionnement de l’alerte, lorsqu’elle est possible, sur la préparation et sur les comportements à adopter, mais aussi sur les interventions successives des différents acteurs après un événement majeur : services d’identification des victimes, ONG, forces de l’ordre ou experts. Cette formation ne peut que réduire la diffusion de rumeurs et améliorer l’anticipation par les individus, les entreprises et les institutions. Elle favorise une reprise plus rapide des activités éducatives, administratives, économiques et culturelles.
Parmi les personnes qui échappent à la politique actuelle de prévention des risques, on trouve aussi les voyageurs et les touristes. Dans la salle des arrivées de chaque aéroport en outre-mer sont affichés des messages de prévention relatifs à la dengue, au virus Zika et au chikungunya, mais aucune information ne prévient le voyageur qu’il arrive dans une zone sismique ou à risque de tsunami.
Vous nous avez interrogées, enfin, sur les dispositifs d’alerte et d’évacuation de la population. Ce sujet a déjà été abordé par Matthieu Péroche, avec lequel nous collaborons. Tous les aléas ne peuvent pas donner lieu à une alerte, en particulier les séismes. Il n’empêche que, dans le cas où survient un événement majeur, il est indispensable de prévoir la diffusion d’informations et de points de situation réguliers. Le système FR‑Alert est en cours de déploiement dans tous les outre-mer ; il a déjà été utilisé en situation réelle à La Réunion plusieurs fois. Il constitue une réelle avancée mais il doit compléter les autres médias de diffusion, et non s’y substituer.
La prise en compte des spécificités linguistiques des différents territoires est essentielle, et les messages doivent être préparés et validés par des locuteurs. Pour qu’une évacuation soit facilitée, il faut qu’elle ait été pensée et testée avec les populations concernées. Les travaux que nous avons menés en Guadeloupe ont démontré qu’il est nécessaire d’inciter les habitants, le cas échéant – à l’occasion d’une crise volcanique, par exemple – à anticiper une évacuation de plusieurs semaines, et qu’il est difficile de leur imposer des zones d’accueil sans prendre en compte leurs préférences. Ceci a été confirmé par Olivier Gillet dans un article publié en 2023. Une telle anticipation permet de favoriser le maintien dans les territoires de personnels qui seront essentiels à la reprise d’activité.
Il me paraît important d’indiquer, en amont des crises, quelles catégories de population seront évacuées ou déplacées en priorité, et pourquoi. Tout le monde pense aux personnes malades ou en situation de handicap, aux pensionnaires des Ehpad et aux femmes enceintes. Je ne crois pas en revanche que le grand public soit informé de l’évacuation des prisonniers et des familles des forces de l’ordre.
Par ailleurs, les solutions d’hébergement pour quelques heures, pendant le passage d’un cyclone par exemple, doivent être acceptées par les personnes concernées. Cela implique que celles-ci aient confiance en l’organisation mise en place par les autorités et en la solidité des bâtiments. Un recensement des personnes vulnérables et des visites des abris sont essentiels en amont. Pour les évacuations qui doivent être rapides et reposer le plus possible sur l’auto-organisation – face à un tsunami, par exemple –, le fléchage vers des zones refuges est indispensable, tout comme le sont les exercices réguliers associant les populations locales. À ce jour, une seule commune d’outre-mer s’est vue décerner le label Tsunami ready.
Je pourrais évoquer aussi l’éducation aux risques dans le contexte scolaire, mais je pense que ce sujet sera abordé lors des questions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Il me semble, mesdames, que vous avez adopté des angles d’approche différents.
Je sais qu’il est de bon ton de dire que la faute revient toujours à l’État et que le niveau local est irréprochable, mais je voudrais à ce sujet revenir sur l’exemple du cyclone Irma. Vous estimez, madame Grancher, qu’il serait regrettable de négliger le risque submersion par rapport au risque associé aux vents. Pourtant, après que la définition du nouveau plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) a donné lieu à des émeutes et à des désordres importants, c’est une meilleure écoute qui a permis d’isoler le primat du risque vent sur le risque submersion ; les personnes que nous avons auditionnées ont très largement vanté cette approche. L’équilibre n’est pas facile à trouver entre prise en compte des réalités locales – notamment du refus des habitants de quitter leur logement –, et prise en compte de l’évolution des aléas climatiques. Ne faudrait-il pas arbitrer en faveur d’une plus grande autorité – celle de l’État ou de la chose publique d’une façon générale – plutôt que de baisser la garde face aux risques signalés ? L’exemple du risque submersion par rapport au risque vent, que vous avez évoqué madame Grancher, est à cet égard révélateur.
Je vous rejoins toutes les deux s’agissant de la culture du risque. Nombre de nos interlocuteurs, qu’ils soient locaux ou étatiques, nous ont dit vouloir la favoriser, mais j’ai compris que les journées d’exercices ou de sensibilisation ne couvraient pas l’ensemble des risques. Faites-vous le même constat ? Faudrait-il changer notre façon de faire dans ce domaine ?
Dans la mesure où la résilience se prépare bien avant l’aléa, comment peut-on parvenir à concilier les règles d’urbanisme, qui seront nécessaires à l’avenir, avec la situation actuelle ? Dans de nombreux territoires, la rareté du foncier ne va pas faciliter les choses.
S’agissant enfin de la nécessité d’être à l’écoute des populations locales, je vous rejoins totalement. On nous a néanmoins indiqué qu’il était plus difficile d’associer les personnes hébergées dans des habitats informels, qui sont souvent en situation de grande fragilité et parfois dépourvues de statut dans le territoire concerné. On en viendrait presque à devoir hiérarchiser les différentes fragilités, pour prévenir les risques de façon efficace. D’après vos recherches, comment les réseaux locaux réagissent-ils face à cette diversité de situations ?
Mme Delphine Grancher. Le milieu scolaire apparaît clairement comme un vecteur privilégié d’éducation aux risques et de diffusion généralisée de la culture du risque. Nous avons recensé une quinzaine de chapitres, dans les programmes scolaires, abordant la notion de risque majeur. Aucun de ces chapitres n’est spécifique aux risques majeurs en outre-mer et il n’y a pas d’obligation d’y intégrer des cas d’étude locaux. Certains chapitres du programme d’histoire font pourtant l’objet d’une telle adaptation, qui permet aux élèves de mieux connaître le territoire dans lequel ils vivent.
Le fait qu’ils n’y soient pas obligés ne veut pas dire que les enseignants n’abordent pas les risques locaux. Mais l’organisation de ces séances repose sur leur volonté et, surtout, sur la disponibilité de la documentation. On trouve un certain nombre de documents sur des sites académiques, mais leur mise en ligne n’est pas systématique et ils ne sont pas exhaustifs. L’éducation aux risques majeurs dans le cadre scolaire n’inclut pas non plus de façon systématique une préparation à l’adoption de comportements sûrs. Dans le cadre de nos recherches, nous avons créé un jeu de société destiné aux adolescents, qui s’intègre au programme du collège. Il présente aux élèves la situation d’un territoire après le passage d’un cyclone majeur, la reconstruction et la vie quotidienne des habitants. Il est cette année en cours de déploiement, grâce à l’implication des académies de la Guadeloupe et de La Réunion.
Il existe d’autres opportunités pour proposer, souvent de manière ludique, une sensibilisation aux risques majeurs en milieu scolaire : il y a les journées dédiées à la prévention des risques sismiques, les exercices CaribWave, ou encore la journée française « Tous résilients face aux risques » dont la première édition fut organisée en 2022 et qui aura lieu chaque 13 octobre désormais.
Ces animations sont relativement coûteuses et nécessitent la mobilisation d’associations spécialisées. Elles ne peuvent être accueillies dans tous les établissements chaque année. Elles participent malgré tout à la réactivation de la mémoire et à la formation au risque pour toutes les générations.
Les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) sont désormais largement mis en place dans les établissements scolaires, en particulier grâce au coordonnateur académique des risques majeurs (Carm). Mais des exercices d’évacuation pour faire face aux aléas sismiques et aux tsunamis ne sont pas toujours organisés chaque année.
Nous avons estimé à plus de 250 000 le nombre de jours manqués pour l’ensemble des élèves de la maternelle à la terminale scolarisés dans des établissements publics du seul fait de la fermeture des établissements à Saint-Martin après Irma. La reprise de la scolarité est un élément déterminant pour l’éducation des jeunes, mais aussi pour permettre aux adultes de reprendre leur activité professionnelle et pour limiter la petite délinquance.
Cette reprise doit être anticipée et planifiée en associant les autorités publiques, car elle concerne des domaines qui ne relèvent pas seulement des services de l’éducation nationale. Il s’agit de veiller à l’accès à des locaux sécurisés qui ne sont plus nécessaires à la gestion de crise, en procédant éventuellement à une nouvelle répartition des élèves. Il s’agit aussi de financer des aménagements modulaires, de transporter les élèves et les personnels et de s’assurer de la présence du mobilier et du matériel pédagogique, pour offrir des conditions d’enseignement les plus proches de la normale.
Associé au PPMS, le protocole de reprise de la scolarité après un événement majeur devrait aussi inclure un diagnostic de situation et, le cas échéant, prévoir les mesures de soutien nécessaires pour les personnels qui seraient en difficulté. On peut aussi prévoir des activités pédagogiques liées au retour d’expérience, adaptées au niveau des élèves.
La formation de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale aux risques majeurs – et en particulier à leur gestion – est primordiale.
Enfin, l’état dégradé des bâtiments scolaires outre-mer a été plusieurs fois pointé du doigt par différents rapports. L’occurrence d’un événement majeur, qu’il soit climatique ou tectonique, dégradera inévitablement une situation déjà compliquée. Je rappellerai qu’à Saint-Martin trois établissements ont été définitivement fermés. Depuis six ans, une partie des cours a lieu dans des bâtiments modulaires. L’ouverture d’un nouvel établissement est désormais prévue pour 2025, c’est-à-dire huit ans après le passage du cyclone. Ce délai est éprouvant pour les élèves, les personnels et les familles, qui subissent encore les conséquences d’Irma.
Mme Annabelle Moatty. Le PPRN constitue un sujet épineux, comme l’ont montré les auditions qui ont eu lieu les semaines précédentes.
La révision de ce plan à la suite d’une catastrophe est systématique, et elle est d’autant plus nécessaire que l’intensité de l’événement a dépassé l’aléa de référence qui figurait dans l’ancien PPRN.
Tout d’abord, je connais peu de cas où cette révision s’est très bien passée et n’a pas suscité des heurts ou des contestations – y compris lorsque cette démarche a été réalisée sans qu’une catastrophe soit intervenue au préalable.
Le PPRN est un document d’aménagement et d’urbanisme qui vise principalement, dans les zones où les aléas sont les plus élevés, à ne pas exposer les habitants à un risque de décès. Dans les zones littorales par exemple, le PPRN repose sur la définition de zones dont un adulte en bonne santé aurait beaucoup de mal à partir avant que n’arrive une vague d’une hauteur et d’une vitesse données. Il s’agit d’une gestion de la mise en danger de la vie des administrés.
Le statut administratif de Saint-Martin – que vous connaissez bien – n’est pas sans poser des questions en matière de répartition des compétences s’agissant de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme. En outre, le foncier est fort complexe et peu disponible, avec beaucoup de parcelles en indivision. De nombreux biens ont été acquis dans le cadre de schémas de défiscalisation, avec pour effet qu’un certain nombre de propriétaires ignoraient qu’ils possédaient des biens à Saint-Martin. Cela a rendu plus complexe la gestion de la reconstruction – les assureurs vous en diront peut-être un mot.
La topographie de l’île est complexe : le pic Paradis, situé en son cœur, contraint fortement l’aménagement. Le territoire vit d’une économie centrée exclusivement sur le tourisme. L’une de vos questions portait sur la conciliation entre les règles d’urbanisme et le développement du territoire destiné à assurer la subsistance des habitants. Il est évident qu’il est difficile pour une île vivant essentiellement du tourisme – et singulièrement de la beauté de ses paysages et de sa qualité de vie – d’envisager de reculer toutes les activités sur le pic Paradis et d’interdire de construire sur le littoral.
L’étude que nous avons menée a mis en évidence qu’il y avait aussi une question de personnes. Le manque de cadrage de la reconstruction a laissé davantage de latitude aux différents acteurs. Les relations entre l’État et la collectivité ont été fort tendues pendant la période de révision du PPRN, ce qui a conduit à des communications parfois contradictoires, ayant pu, selon nous, semer le trouble dans la population.
Les zones à risque avaient été définies initialement dans le PPRN en extrapolant à partir des relevés des laisses de submersion. Cette méthode de dessin a posé des problèmes car elle entraînait des incohérences en raison de particularités topographiques locales. Ce premier zonage a été revu.
Il y a aussi eu des problèmes de communication en direction de la population, avec des réunions qui ont attiré très peu de monde et qui ne faisaient pas l’objet d’une traduction dans les différentes langues en usage. Cela n’a pas permis à la population de Saint-Martin de véritablement prendre part au débat et d’avoir accès à l’information.
À nos yeux, tous ces éléments de contexte ont contraint à réviser le PPRN.
Un effort important de concertation avec les populations a ensuite été réalisé, en mettant en avant les dommages liés au vent et le caractère prédominant de l’activité touristique sur le littoral. Il s’agissait de satisfaire les exigences de prévention et de mise en sécurité de la population, sans pour autant mettre ce territoire sous cloche et en lui permettant de se développer de nouveau et de vivre du tourisme. Comme l’a souligné M. Gibbs, le tourisme y est essentiel. Les caractéristiques du territoire rendent beaucoup plus difficile de développer des activités industrielles et agricoles.
Enfin, notre étude conclut que les dispositifs de défiscalisation en vigueur pendant les décennies qui ont précédé l’ouragan Irma ont pu engendrer à Saint-Martin une forme d’urbanisme peu adapté aux contraintes spécifiques locales. Ces dispositifs ont été créés pour de bonnes raisons et ont eu des conséquences positives, mais ils ont aussi eu des effets relativement pervers – nous pourrons vous communiquer les travaux de collègues à ce sujet, mais je ne développe pas davantage afin de conserver du temps pour répondre à d’autres questions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Vos réponses sont déjà très riches.
Ne vous méprenez pas : il n’y a aucune critique de vos travaux dans mes propos – bien au contraire.
Nous apprenons face à des événements qui s’étalent durant une période assez considérable. Évidemment, la société est traversée par des contradictions et il n’est pas simple de prendre en compte des intérêts complexes et qui ne convergent pas forcément. Mais la question est de savoir quel est le risque acceptable et comment on arrive à l’assumer de manière partagée. La situation est difficile, mais je suis complètement d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il faut s’appuyer avant tout sur les associations locales pour diffuser la culture du risque – l’éducation en étant l’un des principaux vecteurs.
Je voudrais que l’on revienne sur la situation des populations les plus précaires.
Il me semble que les quatre personnes décédées à l’occasion du cyclone Belal étaient des SDF qui avaient refusé d’être mis à l’abri. En tout cas c’est ainsi qu’on nous a présenté les choses – peut-être sont-elles plus complexes. Comment adapter le dispositif pour ces populations ?
Dans d’autres territoires, comme la Guyane et Mayotte, des milliers de personnes sont installées dans des habitations informelles, en dehors de toutes les règles d’urbanisme et de prévention des risques. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas certain que les habitants de ces territoires souhaitent consacrer davantage de ressources à la prévention des risques.
Selon vous, comment la puissance publique doit-elle réagir ?
On nous a présenté comme une sorte d’habitude locale le fait de ne pas contracter d’assurance, parce que l’on fait les choses soi-même. Je ne voyais pas les choses comme cela. J’ai le sentiment que l’on ne s’assure pas parce qu’on n’a pas les moyens de s’assurer et, dans ce cas, on est évidemment moins rigoureux sur le respect des normes.
M. le président Mansour Kamardine. À Mayotte, les populations ne sont certes pas suffisamment conscientes des dangers encourus – notamment lorsque certains construisent quasiment dans le lit d’une rivière ou sur le flanc d’un coteau qui risque à l’évidence de s’ébouler. Mais la plus grande difficulté réside dans le fait que des associations s’opposent à l’État lorsqu’il cherche à déplacer les personnes qu’il est nécessaire de mettre en sécurité.
De manière générale, plus de 90 % des personnes installées dans les zones hautement à risque vivent dans le dénuement total et n’ont pas les moyens de se loger ailleurs. Elles arrivent à Mayotte à la recherche de l’eldorado mais survivent dans la misère et grâce au système D.
Comment faire prendre conscience à ces associations qu’elles ne doivent pas encourager l’impossible en voulant maintenir ces gens dans des endroits dangereux ?
Mme Delphine Grancher. Je n’ai malheureusement pas la solution pour sauver Mayotte.
M. le président Mansour Kamardine. Moi non plus…
Mme Delphine Grancher. En ce qui concerne les personnes très vulnérables – comme par exemple les sans-abri –, plus les associations travailleront en amont pour mieux les connaître, plus il sera possible de les convaincre de se déplacer et de se mettre en sécurité lors d’une crise. Comme nous l’avons déjà indiqué, la gestion de crise doit s’appuyer sur des ressources déjà bien implantées sur le territoire et connues de la population. Cette dernière ne doit pas découvrir la veille du cyclone qui va la prendre en charge et l’aider à évacuer.
On trouve aussi des quartiers d’habitat informel à Saint-Martin. Mais les entretiens que nous avons menés ont montré que ceux qui y vivent ne sont pas isolés. Ils communiquent entre eux et l’information se diffuse au sein de la communauté – même si l’on peut aussi y trouver des personnes qui sont malheureusement dans une situation d’isolement extrême. Il faut donc utiliser comme intermédiaires en temps de crise les personnes qui travaillent de manière régulière avec ces populations.
Mme Annabelle Moatty. Des personnes sont en effet décédées à Saint-Martin lors du passage du cyclone Irma parce qu’elles avaient refusé d’aller dans les zones refuges. Mais ces zones n’étaient pas jugées sûres par la population – et deux ou trois de ces centres d’hébergement ont d’ailleurs été détruits ou ont subi de graves dégâts lors du cyclone.
S’agissant des populations les plus vulnérables, la situation de Saint-Martin est différente de celle de Mayotte. Mais leur point commun est que l’on manque de données récentes et fiables pour effectuer des recherches précises. Cela nous a conduits à réaliser des études de terrains très fines, mais qui ne concernent que quelques communes et ne couvrent pas l’ensemble de ces territoires.
En ce qui concerne la volonté des populations de s’impliquer, notamment financièrement, dans la reconstruction des habitations des plus précaires et dans la mise en sécurité de ces dernières, il faut noter que Saint-Martin est une île très cosmopolite mais dont les communautés sont très hermétiques – pour des raisons aussi bien religieuses que culturelles ou économiques. Or, les communautés sont ancrées dans des quartiers et les différents quartiers se connaissent peu. Cela a été révélé par notre travail sur les rumeurs après Irma, et notamment celles sur le nombre de morts. Selon elles, ces morts ne se trouvaient que dans les quartiers pauvres – où l’on ne saurait pas nager – ou bien dans les quartiers riches – car leurs habitants vivraient dans l’isolement social du fait de leur individualisme économique. Ces rumeurs témoignent d’une méconnaissance mutuelle des communautés, alors même que le territoire est très petit.
L’État est venu en aide aux personnes les plus précaires à la suite du cyclone – notamment grâce à la bonne idée consistant à leur fournir des cartes prépayées. Il faudra analyser les conséquences concrètes de cette aide pour les foyers et les individus concernés, mais aussi sur les communautés et l’économie locale. Peut-être aurons-nous l’occasion de le faire dans nos futurs travaux. Quoi qu’il en soit, cette aide a atteint son but, tout en limitant les effets d’aubaine – je reviendrai sur ce point si vous le souhaitez.
Le taux de pénétration de l’assurance est faible outre-mer. Là encore, la situation est différente à Saint‑Martin et à Mayotte, où moins de 10 % de la population sont assurés. Il faut aussi noter que beaucoup de gens sont mal assurés, leur contrat visant par exemple une toute petite maisonnette, alors qu’il s’agit en fait désormais d’une maison de plusieurs étages. Il en est de même pour les bateaux. C’est la raison pour laquelle il a été très compliqué de faire enlever les épaves, notamment à Simpson Bay, car leurs propriétaires n’avaient pas intérêt à s’en charger. Il faut certes être assuré, mais aussi être bien assuré face aux risques particuliers du territoire.
J’en viens au financement de la reconstruction après la catastrophe. Le fonds Barnier est alimenté principalement par une surprime sur les contrats d’assurance. Il est difficile de faire accepter aux contributeurs qu’il va être utilisé en grande majorité dans des territoires qui n’ont en quelque sorte pas cotisé.
Des associations interviennent aussi. C’est le cas de la Fondation de France, qui a financé le travail des compagnons bâtisseurs pour aider les habitants à construire eux-mêmes des charpentes paracycloniques. C’est une bonne action, puisqu’elle contribue à la prévention. On n’attendra pas le prochain cyclone pour évaluer le gain apporté par ces charpentes – lesquelles permettent également une meilleure isolation thermique des bâtiments et vont améliorer la qualité de vie des habitants.
Comment venir en aide aux plus précaires tout en respectant la loi et les compétences respectives de l’État et des collectivités locales ? La question est vaste et délicate.
Comme ma collègue avant moi, j’insiste sur le fait que les personnes en situation précaire, voire illégale, que nous avons rencontrées travaillaient – certes de manière informelle – et que leurs enfants étaient scolarisés. Cette population ne passe donc pas complètement sous les radars. Une vie communautaire et associative assure un lien social avec ces personnes les plus marginalisées.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Considérez-vous que, de manière générale, les solutions mises en œuvre par les populations locales sont suffisamment prises en compte ? Ces dernières vivent depuis longtemps sur des territoires soumis à des aléas qu’elles connaissent – même s’ils n’ont pas toujours l’intensité exceptionnelle d’Irma – et l’on voit bien qu’avec notre urbanisme on s’est éloigné des solutions traditionnelles.
Vous avez évoqué la nécessité d’organiser un lien dans la durée entre les administrations et les chercheurs. Comment cela pourrait-il être organisé en pratique ?
Enfin, le fait que bon nombre de parcelles soient en indivision à la suite de successions n’est pas sans conséquences sur la capacité d’intervention en matière foncière. Pourriez-vous nous fournir une contribution écrite sur ce sujet complexe ainsi que pour répondre à la question précédente ?
Mme Delphine Grancher. Si j’ai bien compris votre question, vous voulez savoir si se vérifie l’hypothèse selon laquelle les gens qui vivent depuis longtemps sur un territoire sont mieux préparés aux cyclones.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ils sont non seulement mieux préparés, mais ils ont eux-mêmes construit leur propre résilience. Peut-être gèrent-ils aussi de manière différente leur environnement – je pense par exemple au rôle joué par les mangroves dans certains territoires. Écoute-t-on suffisamment la mémoire de la gestion des risques par ces populations ?
Mme Delphine Grancher. À Saint-Martin, on trouve en effet encore des personnes qui ont vécu l’ouragan Luis et qui vont mettre à profit cette expérience pour se préparer.
Vous avez entendu Mme Stéphanie Defossez il y a quelques semaines. Je ne sais pas si elle a eu l’occasion de présenter ses travaux, mais nous pourrons vous les transmettre. Elle a montré que l’expérience des événements passés permettait à ceux qui les ont vécus de mieux préparer leur maison et de donner des conseils à d’autres personnes. Mais, en même temps, ces expériences ne sont pas parfaitement transposables. Luis n’est pas Irma : les vents n’ont pas atteint la même vitesse et l’un avait donné lieu à davantage de pluie que l’autre.
Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, penser qu’un événement passé peut servir de situation de référence constitue une mauvaise stratégie. Il y aura toujours des différences. Bien des gens s’étaient préparés face à Irma en fonction d’un cyclone énorme comme Luis, mais les choses ne se sont pas passées de cette manière. Leur préparation a donc comporté des lacunes. En revanche, savoir quelles zones ont déjà été inondées et comment faire pour consolider les fenêtres afin d’éviter que sa maison soit emportée est une richesse indéniable.
Mme Annabelle Moatty. Lors des entretiens, les gens ont témoigné qu’ils avaient souhaité se préparer au cyclone ensemble, au sein d’une communauté familiale ou amicale. Ils se sont réunis au préalable pour évaluer quelle maison était la plus solide et s’y sont réunis. Très peu de personnes ont fait face au cyclone toutes seules. On a assisté à une solidarité spontanée de voisinage. Ce fut aussi le cas dans les immeubles, où les habitants se sont réunis dans des appartements des étages intermédiaires, moins vulnérables aux vents et à la submersion.
Il faut donc probablement travailler en s’appuyant davantage sur la manière dont la population s’organise spontanément – du moins tant que cela améliore la sûreté. Ces éléments de culture locale contribuent à sauver des vies.
Notre travail sur la reconstruction de Saint-Martin se poursuit dans le cadre d’un projet pluriannuel, le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) IRiMa (gestion intégrée des risques pour des sociétés plus résilientes à l’ère des changements globaux).
Le travail de recherche passe aussi par la collecte d’informations sur la culture du risque et sur la manière dont les gens se sont préparés et ont fait face à la crise. De ce point de vue, il manque peut-être un échelon entre, d’une part, les élus et les personnels administratifs – qui par nature ne restent pas en poste pendant des décennies – et, d’autre part, les chercheurs qui collectent, traitent et analysent des informations. Je vous soumettrai par écrit une proposition à ce sujet, car une cellule interministérielle et interdisciplinaire pourrait jouer un rôle d’interlocuteur privilégié, permettant de faire remonter les informations depuis le terrain mais aussi de les diffuser.
Mme Delphine Grancher. Vous avez posé une question sur les opportunités de recherche. Il serait nécessaire d’en mener sur l’ensemble du territoire français au sujet de l’efficacité des politiques de prévention et des multiples outils employés – qu’il s’agisse du document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim), de l’information transmise par l’intermédiaire de la presse ou des journées de sensibilisation. Nos travaux montrent que plus les actions menées sont nombreuses, mieux cela marche. Mais il faut bien choisir tel ou tel instrument en fonction de la population ciblée. Un véritable retour d’expérience doit être organisé, tant outre-mer que dans l’Hexagone.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je lirai avec attention les documents que vous voudrez bien nous transmettre.
Il est nécessaire de mieux organiser l’information réciproque au sein des services publics, car la délégation interministérielle que vous appelez de vos vœux existe déjà. Il va falloir faire connaître davantage sa mission.
M. le président Mansour Kamardine. Au nom de l’ensemble de cette commission, je salue la qualité de vos interventions et de vos propositions, qui permettront sans doute d’alimenter la réflexion que l’Assemblée nous a chargés de mener.
40. Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Lustman, présidente de France Assureurs (18 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Née en 2016 de la réunion de la Fédération française des sociétés d’assurance et du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance, France Assureurs rassemble les entreprises d’assurance et de réassurance opérant en France, soit 252 sociétés représentant plus de 99 % du marché global de l’assurance. La question de savoir si les différents risques peuvent être assurés, la couverture par les différentes assurances des territoires d’outre-mer et les sujets connexes de l’indivision et de l’habitat spontané ont été régulièrement abordés lors des travaux de la commission d’enquête. Nous nous sommes aussi penchés sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat nat), qui concerne les départements et régions d’outre-mer ainsi que certaines collectivités d’outre-mer – celles du Pacifique, en particulier la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, n’en bénéficient pas.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Florence Lustman, Mme Marie‑Anne Ballotaud et M. Arnaud Giros prêtent successivement serment.)
Mme Florence Lustman, présidente de France Assureurs. En 2022 – ce sont les derniers chiffres dont je dispose –, les cotisations d’assurance pour l’outre-mer s’élevaient à 2,9 milliards d’euros, dont 1,7 milliard en assurance non-vie et 1,2 milliard en assurance vie. À titre de comparaison, les cotisations s’élevaient pour la France entière à 239 milliards, dont 94 milliards en assurance non-vie et 145 milliards en assurance vie.
Grâce à une présence marquée des assureurs, l’offre de produits d’assurance outre-mer est large : assurances automobile, multirisques habitation (MRH), santé, assurances destinées aux professionnels. Une enquête récente de France Assureurs indique que 1 300 points de vente sont répartis de manière cohérente selon les zones d’activité économique, les contraintes géographiques et les dynamiques démographiques. Cela représente 4,8 points de vente pour 10 000 habitants et 5,6 points de vente pour 1 000 entreprises. Il y a donc bien outre-mer un marché de l’assurance, avec une vraie concurrence.
Néanmoins, le taux de pénétration de l’assurance est moindre dans les outre-mer que dans la France entière : pour l’assurance multirisques habitation, il varie ainsi selon les territoires de 50 % à 80 %, quand il est de 98 % pour la France entière. C’est un défi collectif qui est devant nous.
Une autre façon d’illustrer la présence des assureurs outre-mer est de revenir sur les événements de grande ampleur qui ont touché ces territoires. Depuis 2002, on en a dénombré pas moins de douze – neuf cyclones, deux séismes et une tempête –, pour un coût cumulé de 3,3 milliards d’euros en euros constants de 2023. Ce montant est dû à 70 % aux conséquences de l’ouragan Irma, en 2017 : c’est l’événement le plus coûteux de l’histoire de l’assurance française outre-mer.
La forte présence sur place des assureurs leur permet de mobiliser rapidement les ressources en cas d’événement de grande ampleur. Cela a été en particulier le cas au moment du passage d’Irma : 25 600 sinistres ont été enregistrés, pour un coût total estimé à 1,9 milliard d’euros. La mobilisation du secteur de l’assurance a été exceptionnelle – certains se souviennent sans doute de l’envoi d’experts sur des catamarans trois jours après le passage de l’ouragan. Le préfet Philippe Gustin a souligné à l’époque l’efficacité des assureurs et le soutien que nous avons apporté à la reconstruction de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Il est vrai qu’il y a eu au départ quelques retards d’indemnisation, liés aux conditions très complexes dans lesquelles les experts ont travaillé : les deux îles étaient difficiles d’accès pendant la première semaine qui a suivi le passage de l’ouragan. Mais les autorités locales ont toujours reconnu l’engagement des assureurs à leurs côtés et surtout aux côtés des populations touchées par ces événements tragiques. Nous nous efforçons donc de répondre au mieux aux besoins de nos assurés.
Je voudrais souligner l’importance du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Spécificité française, c’est un partenariat public-privé qui a été établi en 1982 et étendu en 1990 puis en 2000. Il instaure une solidarité nationale face aux événements climatiques extrêmes que sont les vents cycloniques, les séismes, les inondations, les sécheresses… C’est une garantie adossée systématiquement aux contrats d’assurance dommages. Le taux de surprime, homogène sur tout le territoire, est de 12 % pour les contrats d’assurance contre des dommages aux biens, c’est-à-dire les assurances multirisques habitation ; il passera à 20 % au 1er janvier 2025 en raison de l’augmentation significative du nombre des risques naturels. Ce régime est pour nous un véritable trésor national puisqu’il permet une mutualisation des risques naturels sur l’ensemble du territoire.
Les territoires ultramarins sont exposés à six risques naturels majeurs : les cyclones, les éruptions volcaniques, les inondations, les mouvements de terrain, les séismes et les tsunamis. Localement, l’intérêt du régime Cat nat a été illustré par les importantes différences de prise en charge entre la partie française de l’île de Saint‑Martin et sa partie néerlandaise.
Je voudrais aussi souligner l’importance d’un combat qu’il nous revient à tous de mener : celui de l’acculturation au risque.
En 2022, pour toute la France, le coût de la sinistralité climatique a dépassé les 10 milliards. Notre métier, en tant qu’assureurs, est d’étudier les risques pour les gérer toujours mieux. Nous avons donc mené une étude avec des scientifiques, des météorologues, des économistes, pour établir une projection de ce que pourraient coûter les événements naturels au cours des trente prochaines années. Il en ressort que ce coût pourrait doubler par rapport à celui des trente dernières années, passant de 74 milliards à 143 milliards d’euros. S’agissant des outre-mer, une étude menée par la Caisse centrale de réassurance (CCR), Météo‑France et Risk Weather Tech et consacrée au risque cyclonique, indique qu’à l’horizon 2050 la sinistralité augmenterait de 20 %, en particulier du fait de l’augmentation du niveau des mers.
Dans ce contexte d’aggravation globale des risques, les assureurs mènent des actions de prévention et d’acculturation au risque. Une association est dédiée à ce thème : Assurance Prévention, intégralement financée par les assureurs. Elle sensibilise les populations et les aide à mieux réagir si survient un cyclone, une tempête, une inondation ou une vague de submersion. S’agissant des territoires ultramarins, Assurance Prévention a consacré un guide de prévention aux cyclones et engagé des actions de prévention et de sensibilisation face aux risques d’inondation cyclonique et de tsunami. Son budget était de 240 000 euros en 2022. Cette association est, comme les assureurs, présente en cas d’événement de grande ampleur.
Nous disposons maintenant, au niveau de la fédération, d’une procédure spéciale pour gérer de tels événements. Elle prévoit que la fédération constitue un relais pour les pouvoirs publics dans la gestion des suites. Elle a été utilisée dans le contexte de la tempête tropicale de la vallée de la Roya, lors des tempêtes en Bretagne et en Normandie, ou encore lors des inondations qui ont ravagé le Nord et le Pas-de-Calais. La relation directe entre l’assuré et son assureur est essentielle ; elle doit perdurer. Les assureurs s’efforcent de faire au mieux : lors de la tempête de la vallée de la Roya, il y a eu 13 000 sinistres, mais seulement trois contentieux : tous les autres ont été réglés de façon amiable, grâce à l’engagement des assureurs et des pouvoirs publics. Il peut toujours y avoir des incompréhensions, et la fédération fait office de relais vis-à-vis de la préfecture pour des dossiers qui semblent, localement, poser problème : on met de l’huile dans les rouages. Cette procédure est maintenant systématiquement appliquée lors des événements de grande ampleur.
Les territoires d’outre-mer sont particulièrement sensibles aux événements climatiques, notamment parce qu’ils sont souvent insulaires. Il est à notre sens d’autant plus important d’amplifier la prévention et l’acculturation au risque de tous les habitants.
Il faut aussi aller plus loin dans la mise en place des plans locaux d’urbanisme (PLU). Un meilleur aménagement du territoire est également souhaitable, avec plus de prévention, plus de mitigation du risque, afin d’installer un cercle vertueux. Il faut enfin démultiplier les actions. Il existe maintenant une Journée nationale de la résilience, fixée au 13 octobre. Reste à l’adapter localement, car c’est bien là l’échelle pertinente pour identifier les périls les plus probables, qui diffèrent d’un point du territoire à l’autre.
Au total, il nous semble crucial de pérenniser le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et de développer des actions de prévention, de façon à améliorer la résilience de nos territoires vis-à-vis de risques qui ne feront que s’aggraver.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Vous nous dites, d’une part, que les cotisations d’assurance se sont élevées à 2,9 milliards d’euros en une année, et d’autre part que la sinistralité a coûté 3,3 milliards, principalement à cause d’Irma.
Mme Florence Lustman. J’ai en effet cité les chiffres des cotisations pour 2022. J’ai aussi donné le coût cumulé des douze événements climatiques d’ampleur dans les outre-mer depuis 2022 – le montant est de 2,6 milliards, ce qui donne 3,3 milliards en euros constants. Enfin, j’ai dit que 70 % de ce coût correspondait aux dégâts occasionnés par Irma.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Autrement dit, le modèle économique des assurances fonctionne outre-mer : elles n’assurent pas à perte.
Mme Florence Lustman. Globalement, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est en perte, mais l’assurance fonctionne en effet outre-mer : les chiffres que j’ai donnés montrent que les assureurs y sont présents et qu’il y existe une concurrence.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous ne doutons pas que la couverture des biens que vous assurez soit à la hauteur ni que vos membres fassent preuve d’efficacité vis-à-vis de leurs clients. Le problème, c’est qu’aussi peu de biens soient assurés outre-mer. Vous n’en êtes pas responsable et ce n’est pas parce que les assureurs sont méchants qu’ils n’assurent pas les biens en question. Mais nous avons besoin de comprendre les raisons de cette situation. On nous a même dit qu’à Saint-Martin, plus aucun bien situé à moins de 150 mètres du rivage n’était assuré, quel que soit son état. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Vous nous dites que la sinistralité liée aux aléas climatiques va doubler dans l’Hexagone et augmenter de 20 % outre-mer : cela donne paradoxalement l’impression que la situation y est moins grave. Mais comment étendre la couverture du risque dans ces territoires ? Évidemment, pour qu’un risque puisse être couvert, il ne faut pas que sa réalisation soit certaine, sinon il ne s’agira plus d’une assurance mais d’une subvention. En tout cas, si un bien n’est pas assuré, il est difficile de demander à ses occupants et à ses propriétaires d’y respecter les normes : c’est un cercle vicieux.
Quelle est donc l’attitude de vos adhérents en ce qui concerne ces biens non assurés ? Travaillent-ils avec les pouvoirs publics pour en résorber le nombre ?
Avez-vous des chiffres concernant le taux de couverture assurantielle des bâtiments industriels et publics ?
Mme Florence Lustman. Le doublement du coût cumulé des événements climatiques au cours des trente prochaines années concerne – comme l’ensemble de nos études – la France entière, non l’Hexagone, et les événements en question sont de toute nature. J’ai par ailleurs cité une étude de la CCR portant spécifiquement sur les cyclones en outre-mer. Ces travaux n’ont donc pas du tout le même objet.
En ce qui concerne les raisons du faible taux de couverture, je ne dispose pas d’étude réalisée par France Assureurs, car les politiques de souscription et de tarification relèvent du droit de la concurrence et, en tant que fédération, nous ne nous en mêlons pas. Cela dit, le métier des assureurs étant d’assurer, ils font évidemment tout ce qu’ils peuvent pour proposer des couvertures assurantielles. Mais, comme vous l’avez dit vous-même, il faut que l’occurrence du risque demeure suffisamment aléatoire pour qu’ils puissent mutualiser les risques à l’échelle de leur portefeuille. C’est le principe de leur métier : les victimes de sinistres sont indemnisées grâce aux cotisations versées par l’ensemble des assurés. Dans certaines situations, qui ne sont pas réservées à l’outre-mer, il est difficile d’assurer, par exemple quand le bâtiment a été construit d’une certaine façon ou sans permis de construire.
Je crois beaucoup à l’acculturation au risque. Des biens peuvent être difficilement assurables, mais il faut aussi que les populations et les entreprises éprouvent le besoin de s’assurer. C’est pourquoi j’ai insisté sur toutes les actions qui peuvent être menées en ce sens.
Il est nécessaire de disposer d’une assurance pour être couvert par le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles en cas de sinistre. Ce régime très protecteur est systématiquement inclus dans les contrats comportant une garantie dommages, mais encore faut-il avoir souscrit ce type d’assurance. Il est essentiel d’en faire prendre conscience aux gens. Nous nous employons à l’expliquer au-delà des conseils de prévention très concrets dispensés dans nos fascicules ou sur le site internet d’Assurance Prévention.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. C’est très pédagogique de présenter l’enjeu en ces termes, mais si vous ne promouvez cette démarche que sur votre site internet, je crains que vous ne manquiez une partie de la cible.
Mme Florence Lustman. Ce n’est pas tout. Le comité des assureurs de La Réunion et Mayotte a aussi organisé une campagne de sensibilisation à l’assurance MRH dans les médias en 2022 et entrepris des actions avec l’Adil (agence départementale d’information sur le logement) de La Réunion, par exemple dans le cadre de la Journée de l’accession à la propriété ou du Salon de la maison. Nos adhérents vont sur place et contribuent à des campagnes d’information et de prévention. En outre, les points de vente, nombreux dans ces territoires, contribuent à l’éducation à l’assurance en exerçant leur mission commerciale.
M. le président Mansour Kamardine. Je suis élu à Mayotte. Le taux d’assurance n’y dépasse pas 5 % alors que la collectivité est l’une des plus exposées aux risques. Au début de nos auditions, on nous a même dit que le temps de réaction quand il s’agit de protéger les habitants y était le plus faible du territoire national, notamment en raison de la présence du volcan dans l’environnement immédiat. Or l’assurance, vous l’avez dit, est la condition sine qua non pour bénéficier des autres couvertures existantes. Pensez-vous vraiment qu’une seule journée de sensibilisation consacrée aussi à La Réunion, où le taux d’assurance est d’environ 70 %, suffit à répondre aux attentes de la population mahoraise, l’une des plus pauvres du territoire français ? Ne faudrait-il pas que les assureurs, notamment votre fédération, créent un dispositif spécifique ?
Mme Florence Lustman. Il faut évidemment y réfléchir au plan local. Je donnais simplement un exemple des actions d’Assurance Prévention, mais vous avez raison : seules les personnes qui sont sur place peuvent concevoir les campagnes de prévention les plus efficaces auprès des populations. Il convient donc d’y travailler avec les représentants locaux des assureurs – il y en a.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Au-delà du fait que le cadre d’une commission d’enquête impose certaines règles, ne nous dites pas, alors que vous représentez les assureurs, que vous ne savez pas ce que pensent vos adhérents sur place ! Existe-t-il, oui ou non, un refus d’assurance dès lors qu’un bien est situé à moins de 150 mètres du rivage ?
Vous soutenez que le réseau local permet de promouvoir l’assurance auprès des habitants ; mais ils ne le fréquentent pas, puisqu’ils ne s’assurent pas. Vous pouvez considérer que les assureurs ne sont pas là pour subventionner des gens qui ne peuvent pas payer, dont les biens ne sont pas aux normes et sont situés sur des terrains en indivision successorale ; nous pouvons l’entendre. Vous pouvez nous dire qu’il n’y a pas de raison que les assureurs garantissent des biens trop menacés ; soit, mais alors il faut nous donner des critères un tant soit peu objectifs. En tout cas, ne nous dites pas simplement que tout va bien et que vous ne savez pas ce que font vos adhérents sur place.
Mme Florence Lustman. Je n’ai pas connaissance de la politique de souscription de nos membres et je n’ai pas à la connaître puisqu’elle est un élément de la concurrence entre les acteurs du marché. Dans un territoire, un acteur peut refuser d’assurer un bien quand un autre fera une proposition d’assurance pour le même bien. De telles situations se rencontrent aussi dans l’Hexagone. La politique de souscription est le fruit du libre choix de l’assureur, non de l’application d’une règle générale, et elle n’est pas uniforme dans un territoire donné. Les chiffres que j’ai cités attestent de la présence des assureurs sur place ; ils y sont en concurrence et chacun a sa propre politique de souscription et de tarification. Je ne peux pas aller plus loin.
M. le président Mansour Kamardine. De vous à moi, pensez-vous vraiment que le taux assurantiel à Mayotte témoigne d’un effort de sensibilisation à la nécessité de s’assurer quand on habite ce territoire sujet à tant de risques ? On a la sensation que vous refusez de dire des choses que vous savez.
Mme Florence Lustman. Non. Je le répète, je n’ai pas connaissance de la politique de souscription de chaque assureur présent dans les différents territoires d’outre-mer.
M. le président Mansour Kamardine. Que vous n’ayez pas connaissance de la politique individuelle des assureurs, je peux l’entendre. Que vous ne connaissiez pas la politique globale d’organisation de l’assurance dans le territoire me laisse sceptique.
Mme Florence Lustman. Il n’y a pas de politique globale. L’assurance fonctionne par la mutualisation. Suivant les types de risques que vous couvrez, vous arriverez ou non à équilibrer votre portefeuille. Les assureurs vont réaliser ou non cette mutualisation, en outre-mer comme dans l’Hexagone. Je ne peux pas vous expliquer les raisons, à tel endroit ou à tel autre, des réponses positives ou négatives d’assureurs différents.
Je répète que les assureurs ont envie d’assurer et mettent tout en œuvre pour le faire. C’est pourquoi ils promeuvent en permanence le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, qui permet à un grand nombre de nos concitoyens d’être couverts en cas d’événement dramatique.
Il faut réfléchir à la manière d’organiser au niveau local la Journée nationale de la résilience, qui est nouvelle, y compris avec les assureurs, lesquels peuvent apporter leur aide.
M. le président Mansour Kamardine. Les assureurs qui interviennent outre-mer siègent-ils dans votre conseil d’administration ou d’établissement ?
Mme Florence Lustman. Bien sûr, ils sont au conseil exécutif. Mais ils ne parlent jamais de souscription ou de tarifs. Nous ne traitons pas de ces sujets au sein de la fédération. C’est interdit par le droit de la concurrence.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Prenons les choses sous un autre angle. La part des cotisations versées outre-mer dans le montant total des cotisations d’assurance en France n’a pas de raison d’être très différente du poids du PIB ultramarin dans le PIB national. Or elle est très inférieure à 1 %, alors que le PIB ultramarin représente 2,5 % à 3 % du PIB national et la population ultramarine environ 3 % du nombre total d’habitants. Comment expliquez-vous cet écart ?
Mme Florence Lustman. Je n’ai pas d’étude spécifique qui me permette de répondre à votre question. Je crois que l’Inspection générale des finances s’est penchée sur ces sujets et a évoqué des pistes, mais ce n’est pas à moi d’en faire état. Elle a des pouvoirs d’investigation dont je ne dispose absolument pas. J’imagine que vous avez connaissance de son rapport.
Je peux vous exposer ce que nous faisons dans ce cadre au niveau de la fédération, mais vous avez bien d’autres sources d’information.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous tournons en rond ; passons à autre chose. Seriez-vous favorable à ce que les sargasses soient incluses dans le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ?
Mme Florence Lustman. Le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est là pour couvrir les conséquences exceptionnelles d’un événement que l’on n’a pas pu empêcher, « l’intensité anormale d’un agent naturel lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises ». Or, si l’on nettoie les plages dans les quarante-huit heures, on évite l’émission de gaz corrosifs dus aux sargasses. Pour moi, compte tenu de la définition des événements couverts par le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, les sargasses n’en relèvent pas : il existe une mesure de prévention qui permet d’éviter les conséquences néfastes liés à ces dépôts.
Cela dit, l’assurance complémentaire santé apportera une couverture et si la concentration des gaz provoque des incendies, des explosions ou des dégâts des eaux, ils seront couverts dans le cadre du contrat multirisques habitation.
M. le président Mansour Kamardine. Nous n’obtiendrons pas davantage de précisions, monsieur le rapporteur, puisque le champ d’intervention de notre invitée est manifestement limité.
Madame la présidente, y a-t-il des éléments que nous n’aurions pas évoqués et que vous souhaiteriez porter à la connaissance de la commission d’enquête ?
Mme Florence Lustman. Non, je vous ai fait part de l’essentiel des éléments.
M. le président Mansour Kamardine. Merci, madame.
41. Table ronde, ouverte à la presse, sur Saint‑Pierre‑et‑Miquelon (21 mars 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête par une table ronde consacrée à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Cette table ronde, initialement prévue il y a deux semaines, avait dû être annulée pour une raison en lien avec son objet. Météo‑France avait en effet émis, pour la toute première fois concernant ce territoire, une alerte de vigilance rouge pour verglas ainsi qu’une alerte orange pour neige.
Je vous remercie de votre disponibilité pour cette table ronde. Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour de courtes interventions liminaires, avant que nous ne poursuivions les échanges sous la forme de questions et de réponses.
Je vous rappelle auparavant que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Yannick Abraham, Mme Hélène Hargitai, Mme Sandrine Montané, M. Guillaume Geay, Mme Patricia Bourgeois et M. Philippe Testard prêtent serment.)
Mme Hélène Hargitai, sous-préfète, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon est soumis à différents risques naturels, ainsi que vous avez pu le constater lors de la programmation de notre premier rendez-vous. Bien que la neige et le verglas soient des phénomènes classiques en période hivernale, leur ampleur est inédite. Les conséquences du changement climatique, parfois imprévisibles, nous impactent et nous amènent à travailler collectivement pour faire face aux risques. Ce dérèglement du climat, qui entraîne notamment la remontée de phénomènes cycloniques qui touchaient auparavant uniquement les Antilles, s’accompagne ainsi d’une augmentation du nombre d’aléas, auxquels la population doit être sensibilisée et le territoire adapté.
M. Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les phénomènes que nous avons connus récemment, à l’image des fortes averses de pluie, des épisodes de pluies verglaçantes ou des tempêtes de neige, ont effectivement été responsables d’importants dégâts. Nous sommes également touchés par des événements jusqu’alors inconnus dans nos territoires, tels que les feux de forêt. Au premier rang de nos préoccupations actuelles se trouvent les phénomènes d’érosion, qui touchent de nombreuses zones côtières, et notamment le village de Miquelon et l’isthme de Miquelon‑Langlade qui font actuellement l’objet d’un travail de protection.
Mme Sandrine Montané, directrice des services du cabinet du préfet, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le cadre de nos interventions est celui de la survenue effective du risque naturel, dans les domaines de la gestion de crise, de la planification Orsec ou encore de la lutte contre les sinistres avec les opérations de mise à l'abri de la population.
Mme Patricia Bourgeois, directrice de la Direction des territoires, de l’alimentation et de la mer (DTAM 975). Notre organisme est positionné sur le volet prévention des risques, la sensibilisation des populations et les liens avec les plans de prévention des risques (PPR).
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Pour ma première question, en lien avec les contraintes logistiques qui découlent de l’éloignement géographique de votre territoire, je souhaiterais avoir des précisions sur le côté opérationnel des opérations menées. Je fais référence non seulement à l’éventuel déménagement du village de Miquelon, mais également à la gestion courante de vos services. Comment ces derniers sont-ils organisés ? Quel est le temps de réaction escompté pour une intervention de renforts ? Et enfin, comment les prévisions et les retours d’expérience des organismes tels que Météo‑France sont‑ils intégrés au sein des plans Orsec ou des PPR ?
Mme Patricia Bourgeois. Je débuterai par le sujet de la relocalisation du village de Miquelon. Si nous avons déjà évoqué certains des risques naturels et des phénomènes atmosphériques auxquels est soumis le territoire, tels que les cyclones et les tempêtes de neige hivernales, il convient également de citer les risques d’inondation par submersion. À ceux-ci sont liés des phénomènes de vulnérabilité du territoire, puisque toute la population est située sur la côte, en particulier le village de Miquelon, où les habitations font face à une concentration des risques naturels. Les études menées entre 2010 et 2014, visant à caractériser les risques auxquels est soumis l’ensemble de l’archipel, ont abouti à la prescription d’un plan de prévention des risques littoraux (PPRL) approuvé en 2018. Concernant le village de Miquelon, ce plan a démontré que toutes les habitations étaient soumises aux risques submersion et inondation, auxquels s’ajoute aujourd’hui le phénomène des remontées de nappes sous le village. L’endroit est donc particulièrement contraint, notamment du fait des impacts du règlement sur l’urbanisation du site. Afin de tenir compte de la qualification de ces risques, il a tout d’abord été décidé de réaliser un programme d’action pour la prévention des inondations (Papi), contenant des actions concrètes de réduction du risque et de mise à l'abri des populations, ainsi qu’un important volet sur la sensibilisation.
À la suite de ce Papi, finalisé en 2021 et dont la convention a été signée en 2022, a également été lancée la démarche « Atelier des Territoires » portée par le ministère de l’écologie. À travers cette démarche participative de concertation citoyenne, menée en 2022 et 2023, les habitants de la commune ont été invités, au cours de réunions publiques et d’ateliers, à réfléchir aux moyens d’anticiper ce risque et d’envisager des stratégies différentes de celles de la protection du village. C’est au fil de ces échanges, dans lesquels ont notamment été impliqués les établissements scolaires, qu’a émergé l’objectif de relocaliser le village dans une zone mieux préservée des risques. Ce projet permet tout d’abord de lever la contrainte de l'urbanisation, car, du fait du PPRL, le village de Miquelon ne peut plus s'étendre et les constructions neuves dans les dents creuses sont limitées. Il permet également aux habitants de se projeter ailleurs et d’espérer que leur village perdure.
Cette stratégie, bâtie sur deux ans, est désormais entrée dans sa phase opérationnelle avec l’embauche d’une maîtrise d'œuvre urbaine qui commence dès cette semaine son travail sur le terrain. Plusieurs études (environnementales, foncières, révision du document d’urbanisme du territoire) ont été lancées par la commune afin d’aboutir, d’ici à la fin de l’année, aux autorisations réglementaires qui permettront d'ouvrir le nouveau secteur à l'urbanisation avec la délivrance des premiers permis de construire et le lancement des travaux pour la viabilisation des parcelles. La stratégie de déplacement se base à la fois sur le volontariat et sur du long terme, puisque le déplacement complet du village nécessitera cinquante à soixante-quinze ans. Une première phase, qualifiée d’urgente, doit néanmoins être réalisée dans les prochains mois afin de répondre aux premières demandes des habitants qui souhaitent se déplacer et des primo-accédants qui souhaitent d’emblée construire à l’abri. Ce dossier, à la fois complexe et éminemment symbolique au regard de l’impact du changement climatique sur le territoire, bénéficie d’un réel portage politique de la part des acteurs locaux.
M. Yannick Abraham. Je précise que la commune a, dès son officialisation, intégré le PPRL au sein de son Scot (schéma de cohérence territoriale). La collectivité a également acté une augmentation de 50 % de son enveloppe, destinée aussi bien à la réalisation des travaux qu’à la protection du village actuel.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je souhaite poursuivre sur ce point avec des questions complémentaires concernant ce projet exceptionnel. Au regard de son caractère potentiellement traumatisant, la gestion a-t-elle différé selon les générations ? Le déplacement doit-il être réalisé en une seule fois ou différer selon l’âge des habitants et, dans le second cas, en quoi consistera la procédure ?
Afin de limiter le traumatisme, une continuité esthétique et architecturale semble également être nécessaire entre l’ancien village et le nouveau. Or, les habitations de Miquelon ayant pour particularité d’avoir été autoconstruites par les habitants, comment prévoyez-vous de gérer leur déplacement ?
Pensez-vous enfin que l’incident qui a touché l’isthme il y a plusieurs années soit susceptible de se reproduire en raison des dérèglements climatiques ?
Mme Patricia Bourgeois. Nous accordons une place centrale, dans les concertations, à ce sujet hautement sensible qui touche en effet aux racines des habitants, à leur patrimoine et à leur identité. Le bureau d’étude chargé de nous accompagner sur la concertation et les ateliers étant situé en métropole, nous avons fonctionné sous forme de résidences, avec une présence d’une semaine sur le territoire à quatre reprises pour chacune des deux années. Chacune des résidences donnait lieu à l’organisation de réunions publiques, au sein desquelles la concertation était centrale. En 2022 et 2023, nous avons également organisé des enquêtes en ligne auprès des habitants, des ateliers de co‑construction ainsi que des ateliers scolaires. C'est donc une concertation sur le temps long qui a permis d’aboutir à ce projet. Nous avons en outre fait appel à un réalisateur afin d’accompagner les ateliers de concertation d'interviews et de réaliser ensuite des reportages permettant de suivre les évolutions du projet. L’accompagnement de la population est donc un point essentiel auquel la collectivité territoriale est très attachée.
Concernant la temporalité du déménagement, dont je rappelle qu’il est organisé sur la base du volontariat, nos projections s’étendent sur cinquante à soixante-quinze ans afin que la génération actuelle puisse se projeter jusqu'à la fin de sa vie dans le village. Je rappelle que l’organisation du déplacement coexiste avec le Papi dont la vocation est de protéger ce village, afin que les habitants qui le souhaitent puissent y demeurer. Plutôt que de tranches d'âge, nous parlons donc de volontaires qui désirent se déplacer, et vingt à trente foyers ont d’ores et déjà exprimé leur souhait de faire partie de ceux que l’on nomme les « pionniers ». Ces habitants, que le bureau d’études accompagne, peuvent être de tous âges et sont soit des primo-accédants soit des habitants qui souhaitent déménager.
Certaines des habitations, dont l’architecture est effectivement particulière, pourront être déplacées, tandis que d'autres seront déconstruites au profit de nouvelles constructions. Parmi les nombreux sujets qui doivent encore être traités avec la maîtrise d’œuvre urbaine se trouvent l’organisation des déplacements, la gestion des déconstructions, l’organisation du recyclage des matériaux ou encore celui des filières d'approvisionnement et de la main‑d’œuvre des entreprises.
Parallèlement au travail que nous menons sur l'aménagement du nouveau site et la déconstruction du village actuel, nous accordons une place centrale à la question de la mémoire. Un volet concernant cette question est ainsi prévu dans la maîtrise d'œuvre urbaine, avec notamment des événements culturels, un recensement des maisons et plusieurs productions qui seront réalisées autour de cette thématique, qu’il s’agisse du bâti, de la mémoire des habitants, ou du patrimoine remarquable. Ces sujets, avec également la question de l’identité liée à la pêche, sont donc pleinement intégrés dans les travaux qui seront menés durant les trois prochaines années. La sociologue qui accompagne la maîtrise d’œuvre emploie d’ailleurs les termes de « territorialisation » et de « déterritorialisation » pour traiter de cette nécessité d’accompagner la transformation de l'identité du village et de faire en sorte que les habitants s’approprient le nouveau secteur.
M. Yannick Abraham. Je confirme tout d’abord la qualité et la richesse de la concertation menée avec les habitants, qui permettent de limiter les effets traumatisants de l’opération de déplacement et j’ajoute que la collectivité est attentive à la fois à ce projet et à la protection du village actuel.
L’architecture des maisons construites antérieurement à 1960 est effectivement particulière, puisqu’il s’agit d’ouvrages autoconstruits majoritairement avec des matériaux de récupération.
Si le déplacement du village est par ailleurs une opération qui doit être envisagée sur le temps long, et s’il est probable que les aînés resteront réticents, nous estimons que les premiers déménagements auront un effet incitateur sur les primo-accédants et encourageront certains habitants à se déplacer.
La collectivité porte par ailleurs, avec l’aide de l’État, une attention particulière à l’entretien de l’isthme. Les conséquences de la disparition de cette portion du territoire seraient en effet importantes, puisque la commune de Langlade, que de nombreux estivants habitent plusieurs mois au cours de l’été, se retrouverait coupée de celle de Miquelon. Nous estimons qu’il est indispensable de maintenir cet axe, que nous nommons le « cordon ombilical » et qui permet à la population de Langlade de s’approvisionner à Miquelon, et aux habitants Miquelonais de bénéficier d’une meilleure qualité de vie durant la période estivale. Malgré les importants travaux entrepris il y a trois ans pour faire face aux menaces grandissantes, l’isthme a encore été fortement impacté par l’érosion au cours de l’hiver dernier et nous ignorons pendant combien de temps nous pourrons encore lutter contre la nature.
Mme Sandrine Montané. Nous sommes effectivement en lien avec Météo‑France, et échangeons régulièrement avec les prévisionnistes, notamment en amont d'un événement météorologique impactant l’un des territoires. Bien que les prévisions s'affinent au fil du temps, nous rencontrons des difficultés avec les modèles de prévisions de Météo‑France qui sont dits « à grande maille » et peuvent parfois manquer de précision. Nous l’incitons ainsi fortement à s'équiper d’autres outils qui permettraient d’affiner ces prévisions.
En amont de la survenance d’un événement, le préfet, en tant que directeur des opérations, convoque les services en réunion ou en centre opérationnel départemental (COD) afin d’anticiper et d’avoir une vision transversale des actions à mener dans la déclinaison du plan Orsec. Puis, dès l'arrivée de l'événement, se met en place une gestion précise, avec des points réguliers et une réaction opérationnelle sur le terrain dans la mesure des modestes moyens de Saint‑Pierre-et-Miquelon.
Nous estimons aujourd’hui que la planification vieillissante doit être réformée en profondeur et actualisée pour laisser davantage de place au travail opérationnel.
M. le capitaine Guillaume Geay, directeur du Service territorial d'incendie et de secours (DIS 975), chef du service interministériel de sécurité civile. Les services, qu’il s’agisse du service interministériel de sécurité civile, de la préfecture ou des unités opérationnelles de terrain, sont assez peu fournis. Je suis, par exemple, le seul sapeur-pompier professionnel de l’archipel, soit un ratio d’un professionnel pour 6 000 habitants, à la tête d’une équipe composée de seulement soixante pompiers volontaires, qui sont chargés des mêmes missions que ceux de métropole et des autres territoires ultramarins : secours d'urgence aux personnes, lutte contre les incendies, mais également réponse aux risques naturels majeurs. Ces sapeurs-pompiers sont appuyés par des associations agréées de sécurité civiles, telles que la Croix-Rouge et la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), qui concourent grandement au Search and Rescue, chacune composée d’une quinzaine de bénévoles. S’il s’agit là de l’état des lieux complet des moyens dont nous disposons pour organiser la réponse opérationnelle sur le terrain, la préfecture dispose heureusement d’importants moyens pour mettre en œuvre la planification. Cette dernière va d’ailleurs être renforcée dans les années 2024 et 2025 avec l’appui de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et notamment du Bureau de la planification, des exercices et des retours d'expérience. Nous effectuons également entre quatre et six exercices de sécurité civile annuels, à la fois sur table et sur le terrain. Au-delà de ces actions prévisionnelles, nous sommes également présents sur le terrain pour faire face aux situations d’urgence climatique. Lors des opérations de gestion de crise, le centre opérationnel de crise est ouvert avec le préfet dans le rôle du directeur des opérations, assisté d’un commandant des opérations de secours.
Sur la question des renforts, nous mettons en œuvre des actions visant à en améliorer aussi bien la quantité que la qualité. Nous formons ainsi, depuis deux ans, nos sapeurs-pompiers et nos unités de terrain à la réponse à tous les risques, tels que les feux de forêt, les feux de navire ou le secours en montagne. Le problème de la quantité demeure néanmoins, et nous avons déjà exploré différentes pistes, à l’image du renfort régional, avec par exemple nos partenaires canadiens de Terre-Neuve qui pourraient venir nous épauler en quelques heures en cas d’aléa naturel ou climatique extrême.
Saint-Pierre-et-Miquelon étant le territoire ultramarin à la fois le plus proche et le plus défavorisé en matière de desserte aérienne, il faudrait compter 48 à 72 heures avant de voir arriver des avions de la sécurité civile sur notre sol, à condition que le seul aéroport de l'archipel soit dégagé et puisse faire atterrir un gros-porteur avec du matériel. Nous travaillons ainsi sur la sensibilisation et la préparation des populations afin de rendre tous les citoyens acteurs de leur propre sécurité civile, en leur apprenant comment répondre à leurs propres besoins pendant les 48 premières heures.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Bien que l’état des lieux des moyens existants soit susceptible de générer de l’inquiétude, votre maîtrise de la situation est rassurante.
Face à l’ensemble des contraintes du territoire et au-delà des actions de sensibilisation évoquées, comment favorisez-vous l’émergence d’une culture du risque, basée sur la conscience de ce risque et sur des bonnes pratiques ?
M. le capitaine Guillaume Geay. Saint-Pierre-et-Miquelon a participé, cette année et l’année dernière, aux Journées nationales de la résilience, au cours desquelles le territoire a été primé par deux fois. Nous avions, pour la première année, axé cette journée sur un public scolaire avec une sensibilisation au kit d'urgence 48 heures précédemment évoqué et, pour la deuxième année, c’est un public adulte qui a pu bénéficier d’une ouverture du site Météo‑France. À la sensibilisation au risque s’ajoutent donc des actions concrètes visant à expliquer à la population comment sont organisés les services de l'État. Des tables rondes ont également été organisées au musée de Saint-Pierre. Pour 2024, les JNR seront délocalisées à Miquelon, et organisées autour de la thématique du déplacement du village.
J'ai également mis en place, l'année dernière, la première classe de cadets de la sécurité civile sur le territoire de Saint-Pierre. Il s’agit d’une classe d'élèves de cinquième qui suit, quatorze mercredis après-midi par an, des séances de sensibilisation et d’acculturation aux risques, qu’ils soient naturels, technologiques ou courants. Ces élèves, qui ont par exemple appris à utiliser un extincteur, sont ainsi diplômés du premier niveau de Prévention et secours civiques (PSC1), mais également sensibilisés à l'alerte et l'évacuation de leur établissement scolaire. Ils découvrent également l’ensemble des services de l'État qui concourent à la sécurité sur le territoire, de la Marine nationale à la gendarmerie en passant par la sécurité civile, les sapeurs-pompiers et Météo-France.
Je souhaite, pour conclure, évoquer les plans communaux de sauvegarde, qui comportent un volet sensibilisation des populations. Concernant Saint-Pierre, le PCS est rédigé, mais n’a pas encore été présenté au conseil municipal, tandis que celui de Miquelon est en cours de rédaction par la chargée de mission Papi, avec l’appui des services de la préfecture.
Mme Hélène Hargitai. J’ajoute que nous mettons en place, à chaque événement climatique, des actions de communication visant à améliorer la culture du risque en rappelant à la population les bons comportements à adopter et les mesures de protection à mettre en place. La page Facebook de la préfecture bénéficie d’une excellente couverture, avec un nombre d'abonnés équivalent à plus de la moitié de la population.
M. Yannick Abraham. Pour les populations natives de l’archipel ou installées depuis plusieurs années, la culture du risque et l’attention portée aux phénomènes météorologiques sont naturelles.
Nous portons en outre une attention particulière au maintien des compétences de la station météo locale, dont l’importance est capitale compte tenu de notre situation géographique et de notre environnement qui nous soumet naturellement à un risque accru d’aléas.
Sur le sujet de la coopération, je tiens à souligner l’efficacité du travail mené avec la préfecture. Nous avons par exemple été invités, lors de la dernière tempête de neige, à partager régulièrement les positions à adopter concernant la protection des populations.
La collectivité a également mis en place un Copil érosion, destiné à évaluer l’évolution des événements sur l’ensemble du territoire.
M. le président Mansour Kamardine. Pouvez-vous nous partager un bilan, même provisoire, des conséquences qu’ont eu, sur les biens et les personnes, les événements qui avaient empêché la tenue de notre table ronde il y a deux semaines ? Comment les habitants ont-ils réagi et comment se sont-ils comportés face aux alertes ?
Mme Hélène Hargitai. Aucune victime n’étant à déplorer, le bilan peut être jugé positif. Les conséquences matérielles restent quant à elles anecdotiques. Le territoire démontre ainsi sa grande résilience, puisque l’enfouissement des réseaux électriques et téléphoniques limite le risque de priver des pans entiers de la population de leur accès aux réseaux. Si la réalisation du retour d’expérience est en cours, la grande proximité et la relation de confiance entre les acteurs du territoire nous permettent de mettre en place des suivis réguliers.
Mme Sandrine Montané. Le fait qu’aucun dossier n’ait été déposé, depuis plusieurs années, au titre de la reconnaissance de catastrophe naturelle, confirme également la grande résilience du territoire par rapport aux événements climatiques courants.
En revanche, si un phénomène similaire à la tempête Fiona venait à frapper directement le territoire, nous ignorons encore, en l’absence de précédents, quelles seraient les capacités de résistance et de résilience des habitations.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Sur le sujet de l'approvisionnement, vous avez indiqué que les contacts avec l’extérieur ne seraient pas assurés dans les 72 heures qui suivraient un aléa majeur. Disposez-vous d’une politique de stockage, notamment de l’eau, dont nous savons que l’approvisionnement peut s’avérer complexe ?
Nous permettez-vous ensuite, à la lumière de vos propos, de recommander à Météo‑France le resserrage du maillage sur votre territoire ?
Mme Hélène Hargitai. Afin d’éviter d’éventuelles ruptures d'approvisionnement, nous avons mis en place le suivi de différents stocks stratégiques, à la fois de denrées et d'hydrocarbures. La principale grande surface de l'archipel prévoit par exemple, à l’approche de la période hivernale, des stocks importants d'eau et de lait. Compte tenu des difficultés à transporter ces denrées par bateau durant l’hiver, nous disposons intrinsèquement de stocks importants. La proximité du Canada nous permettrait par ailleurs, en cas de nécessité, de récupérer du ravitaillement en sept à dix jours, en tenant sur nos stocks locaux dans l’intervalle.
Il serait effectivement intéressant, concernant Météo‑France, de disposer d’un maillage plus fin. La taille infime de l’archipel ainsi que sa position, à la jonction de deux mailles radars, complexifie grandement les prévisions.
M. Yannick Abraham. Si notre esprit insulaire nous rend aptes à réagir face aux événements et si notre organisation est satisfaisante, notre capacité à faire face à des tempêtes ou des cyclones continue néanmoins à poser question.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Bien que la taille du territoire de Saint‑Pierre-et‑Miquelon soit modeste, les risques auxquels il est soumis sont nombreux. Grâce aux traditions et à votre culture de marins, vous êtes habitués à faire face aux contingences, et vos retours d’expériences sont à cet égard précieux.
Mme Hélène Hargitai. C’est parce que nous ne devons pas prendre le risque que la nouvelle génération, qui ne possède pas ces réflexes de marins, devienne plus vulnérable, que nous devons poursuivre notre travail sur la résilience et l’acculturation aux risques.
M. Yannick Abraham. Nous avons connu, au cours des dernières années, d’importantes évolutions dans la prévision et la prise en charge des risques et dans la gestion des crises. Grâce au travail mené par chacun et à une coopération interne et externe efficace, l’archipel est prêt à faire face aux risques naturels, et nous devons donc poursuivre dans cette voie.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie, ainsi que l’ensemble des collaborateurs qui vous accompagnent, pour la qualité de nos échanges.
42. Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre‑mer (21 mars 2024)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous poursuivons les travaux de la commission d’enquête par l’audition de M. Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom).
Monsieur Mortier, vous avez été nommé Dirmom auprès du ministre chargé de l’environnement au mois de mai 2019. Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, vous avez été le délégué local du préfet à la reconstruction des îles de Saint-Martin et Saint‑Barthélemy après le passage de l’ouragan Irma.
Limitée à deux ans, votre très large mission consistait à coordonner et à veiller à l’avancement de divers travaux : les actions des opérateurs de l’État en vue d’acquérir des connaissances sur les aléas ; le renforcement des capacités d’alerte et d’information des populations ; la mise en place d’outils permettant d’accroître le taux de pénétration des assurances outre-mer, notamment au travers du respect des normes de construction ; l’élaboration d’un diagnostic des outils à développer pour permettre un retour rapide à la normale après une crise.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale ; l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour une courte intervention liminaire, avant que nous ne poursuivions nos échanges sous la forme de questions-réponses. Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Frédéric Mortier prête serment.)
M. Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre‑mer (Dirmom). La délégation a été créée par la volonté du Président de la République, désireux de dynamiser la prévention et la gestion des risques outre-mer, en particulier mais non exclusivement à la suite du déferlement de l’ouragan Irma aux Antilles.
L’une des forces de cette mission était d’être adossée à une lettre de mission du Premier ministre, très claire et très largement diffusée par Matignon. Nous avons travaillé avec huit ministères, les services centraux et déconcentrés de l’État, les collectivités territoriales, des scientifiques, des experts ainsi que des représentants des secteurs du bâtiment et travaux publics (BTP) et des assurances. Outre sa clarté et son ambition, la lettre de mission nous fixait un délai contraint. Si nous avons pu atteindre les objectifs, c’est grâce à ce que j’appellerais le code génétique de cette mission : sa forme de délégation interministérielle ; la lettre de mission ; la possibilité de travailler en circuit court et sur un mode transversal et intégrateur.
Nous avons ainsi pu faire avancer les dossiers, notamment le troisième volet du plan séisme Antilles (PSA3) dont le Gouvernement nous avait confié la coordination, la conception et la rédaction. Ce PSA3 a donné lieu à de nombreuses innovations. Pour la première fois, dans le cadre d’une gouvernance élargie et rénovée, il a ainsi été proposé un programme prévisionnel révisable à deux ans avec des objectifs de confortement d’actions immatérielles identifiés et chiffrés. En amont, nous avions travaillé sur les programmes européens, notamment sur la programmation du Fonds européen de développement régional (Feder) pour la période 2021-2027. Nous avons pu incarner une démarche à travers un plan d’action largement discuté, qui a fait l’objet de conférences territoriales. Pour la première fois en trente ans, un volet du PSA a été signé par cinq ministres, sept présidents de collectivités territoriales et des maires. Le fait de pouvoir travailler simultanément avec toutes les parties prenantes en circuit court a joué un rôle déterminant.
On nous a demandé de concevoir le dispositif de suivi du phénomène sismo‑volcanique de Mayotte, qui venait d’émerger, et une campagne d’acculturation aux risques dans les outre-mer. Matignon a beaucoup insisté sur cette dernière demande, qui nous a conduits à faire un travail méthodologique et à rendre un projet soumis à consultation. Dans le cadre d’une concertation locale, les préfets ont fait des propositions d’actions. Nous avons proposé une méthodologie concernant des journées de prévention et le développement de la culture du risque – un aspect fondamental.
Nous avons été sollicités en appui au programme des abris en Polynésie française. Nous avons aussi fait tout un travail de synthèse à partir de travaux parlementaires, d’études d’experts et de retours d’expériences d’aléas, destiné à préparer des mesures législatives concernant la prévention et la gestion des risques. Nous avons ainsi proposé huit mesures, discutées avec toutes les parties prenantes. Nous avons préparé une circulaire du Premier ministre pour que ces huit mesures fassent l’objet d’une concertation et d’une diffusion très larges, ce qui s’est traduit concrètement par l’organisation de conférences territoriales où les préfets ont réuni toutes les parties prenantes. Tout cela a été transmis à Matignon et aux ministères concernés. Le ministère des outre-mer s’en est saisi pour élaborer un texte législatif.
Autre force de cette mission : nous avons pu nouer des relations très étroites avec les territoires. Dans un dialogue quotidien, nous avons pu créer un réseau de prévention et de gestion des risques. Notre lettre d’information, largement diffusée, permettait d’échanger des témoignages, de parler de l’actualité et des projets. En fait, nous avons constaté qu’il n’y avait guère d’échanges sur ces thèmes entre les territoires.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Cette mission, où en est-elle ?
M. Frédéric Mortier. La mission de la Dirmom s’est achevée en juillet 2021, date à laquelle je suis parti vers d’autres horizons thématiques et géographiques. Actuellement, je suis inspecteur général à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd).
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Pensez-vous qu’il aurait fallu maintenir cette délégation ? Même si vous avez un devoir de réserve, étant dans le cadre d’une commission d’enquête, je me permets de vous poser la question.
M. Frédéric Mortier. Un rapport d’information sénatorial, déposé en novembre 2019, préconisait de pérenniser la Dirmom – c’était l’objet de sa recommandation n° 40. Il est vrai que nous avons pu, de façon collégiale et avec le concours de tous, atteindre nos objectifs et même les dépasser. Cela étant, on peut prendre le projet de différentes façons. Pour ma part, je pense qu’il est important d’avoir ce code génétique qui permet de travailler en mode intégrateur avec tout le monde, en circuit direct.
L’action se prolonge dans une autre structure dont je ne connais pas l’organisation ni le fonctionnement. Cette thématique si prégnante au niveau national avait conduit à prôner la création d’un secrétariat général à la prévention des risques auprès de Matignon. On peut imaginer différentes formules. La Dirmom était une structure très agile, constituée autour de cinq personnes travaillant avec l’ensemble des acteurs et pouvant compter sur les services centraux et déconcentrés de l’État ainsi que sur les opérateurs de l’État. Cela nous a permis de démultiplier les effets et de donner du rythme, ce qui est très important.
Le sujet est fondamental pour les outre-mer. C’est vraiment la base de travailler à la réduction de la vulnérabilité de ces territoires, de renforcer leur résistance et leur résilience aux aléas. Dans ces territoires éloignés ou enclavés, la majeure partie de la population vit sur les littoraux qui sont très exposés. Les outre‑mer sont aussi riches d’enseignements : les travaux du professeur Frédéric Leone, portant sur les évacuations en cas de tsunami aux Antilles, trouvent une application dans le Sud de la France.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nombre des personnes que nous avons auditionnées nous ont aussi parlé de transversalité et de circuits courts, comme vous venez de le faire. On ressent la nécessité de créer des ponts entre les connaissances scientifiques, les retours d’expérience, les décisions administratives et les territoires. Je ne vous demanderai pas de commenter mon propos, mais je tiens à dire qu’il me semblerait utile que la Dirmom soit rétablie. Si la Délégation à la sécurité routière a pu faire évoluer les choses, par exemple, c’est parce qu’elle s’est inscrite dans le temps long.
Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué la préparation d’un projet de loi. Je n’en ai pas le souvenir alors que j’ai plutôt tendance à m’intéresser aux projets et propositions de loi traitant de l’outre-mer. Pourriez-vous nous en dire plus ?
M. Frédéric Mortier. Tout d’abord, en réponse à la première partie de votre question, je vous dirais que nous avons eu des retours très positifs de la part des territoires. À la fin de la mission, on nous a souvent dit qu’il fallait un guichet unifié pour la prévention et la gestion des risques, qui travaille avec tous les territoires et soit vraiment à leur écoute.
S’agissant du projet de loi sur les risques majeurs en outre-mer, qui avait été annoncé, notre mission était de proposer des mesures. Annick Girardin, alors ministre des outre-mer, s’était saisie du sujet car elle était très sensible à cette cause. Le projet de loi a été élaboré par le ministère des outre-mer, en lien avec la Dirmom et d’autres. Il a ensuite été validé par le cabinet de Matignon et le secrétariat général du Gouvernement. Mais l’agenda parlementaire a été bouleversé par la crise sanitaire, la priorité étant donnée au confinement et au plan de relance. Le projet de loi n’a plus émergé.
Dans notre rapport d’activité 2019-2020, nous donnons la synthèse des consultations territoriales. À l’époque, j’étais convaincu d’une chose : si nous devions travailler sur un projet de loi de cette nature, il fallait absolument consulter les territoires les plus concernés par ces aléas. J’avais soumis l’idée à l’Élysée et à Matignon, qui l’avaient retenue. Une circulaire du Premier ministre avait lancé les consultations territoriales, qui ont été vraiment très inspirantes et stimulantes. La Réunion, Mayotte, la Martinique et la Polynésie française, en particulier, ont apporté de fortes contributions. Il était très important que les plus concernés puissent s’exprimer, sachant que l’idée était de faire de ce projet de loi une locomotive, entraînant derrière lui des textes infra‑réglementaires, des éléments de doctrine et des guides. Le projet de loi devait faciliter un portage politique et stratégique de la thématique.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’en déduis qu’il est resté dans un carton, et j’en profite pour lancer un message au Gouvernement par-delà cet écran : puisqu’il semblerait que nous ayons du mal à remplir l’agenda parlementaire, cela pourrait être une bonne idée de le ressortir et d’en faire quelque chose car il a dû demander un travail considérable. J’imagine qu’il n’a pas été publié, mais s’il existe des comptes rendus des contacts que vous avez eus avec les collectivités locales pendant cette période de préparation, ceux-ci pourraient nous être très précieux.
M. Frédéric Mortier. La synthèse est à la fin de notre rapport d’activité 2019-2020. Je vous ai communiqué les documents de synthèse de travaux et le rapport d’activité, en plus de votre questionnaire renseigné.
Dans le premier rapport d’activité, vous trouverez la synthèse de ces riches consultations qui ont vraiment orienté les mesures proposées : mieux se préparer à l’aléa avant qu’il ne survienne, en particulier par l’acculturation au risque ; aller vers une meilleure intégration du confortement parasismique et paracyclonique ; améliorer l’efficacité des pouvoirs publics pour agir en temps de crise et actionner des procédures dérogatoires. Nous proposions un dispositif technique original à titre expérimental : l’état de calamité naturelle exceptionnelle (Ecne). Les procédures ainsi déclenchées par les autorités permettaient aux opérateurs de réseaux secs et humides de rétablir un service minimum, et de simplifier la remise en état des copropriétés. Nous proposions aussi de rendre obligatoire les journées de prévention avec exercices.
Ces mesures peuvent trouver d’autres véhicules que le projet de loi, et il reste tout un travail infra‑réglementaire à faire sur des guides et des plans d’action. Les réactions des territoires nous ont conduits à proposer l’élaboration de feuilles de route territoriales sur la prévention et la gestion des risques avec l’ensemble des parties prenantes. Il s’agit de se mettre d’accord sur un plan d’action, d’établir des priorités, de répartir les responsabilités et les moyens pour donner du rythme et avancer, sachant que les démarches doivent être adaptées à chaque territoire – nos outre-mer ont des points communs mais aussi des spécificités.
Nous avons donc fait des propositions relevant du domaine législatif ou réglementaire, et établi des feuilles de route territoriales. Mais, à l’issue de nos travaux, nous avons aussi identifié un besoin : celui de disposer d’un centre de ressources sur les risques naturels outre-mer, capable de mutualiser l’information, chaque territoire étant très intéressé par ce qui se fait dans les autres. Notre lettre d’information a été plébiscitée, à notre étonnement, car c’était le premier outil de ce type.
Le besoin de mesures et de boîte à outils se fait aussi sentir face à un autre risque : l’élévation du niveau de la mer et le recul du trait de côte, dans des territoires où les populations vivent en majorité sur les littoraux. Il faut faciliter l’accès à l’information par les applications numériques sur les téléphones mobiles car certains de ces territoires sont très connectés, voire ultra-connectés comme c’est le cas de Mayotte.
Sans revenir sur le programme de campagne déjà mentionné, je pense qu’il faut développer davantage la culture du risque. Il est aussi nécessaire de travailler sur le post-aléa. Il se trouve que je suis arrivé quelques jours après l’ouragan Irma, en ayant eu l’occasion de travailler sur d’autres crises auparavant. Cette intervention, remarquable à de nombreux points de vue par la mobilisation des acteurs, nous a permis d’acquérir un très grand savoir-faire en matière de gestion de crise, d’urgence. En revanche, nous avons encore beaucoup à apprendre en matière de reconstruction post-aléa. Or les décisions prises au cours des premières heures et des premiers jours ont de grandes conséquences sur la trajectoire de reconstruction. Il est nécessaire d’acquérir une expérience aussi robuste dans ce domaine que dans celui de la gestion de crise.
Notre démarche consistait aussi à entrer dans une logique d’appréhension globale des aléas et à sortir de l’approche en silos. À cet égard, j’avais proposé de parler de plan risques Antilles plutôt que de PSA. Par le biais du plan de relance, nous avons d’ailleurs pu introduire une innovation dans le PSA3 : prévoir des actions de confortement à la fois parasismiques et paracycloniques. C’est très important de faire du confortement parasismique, mais, à quoi bon le faire si les toits s’envolent au premier ouragan alors que les enfants sont dans les écoles ? Il faut donc veiller à avoir une approche globale de la réduction des vulnérabilités.
Il faut aussi développer la pédagogie de l’assurance. L’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) ont publié un très bon rapport sur la non-assurance outre-mer. Pour des raisons culturelles ou autres, de nombreux territoires sont très loin de l’assurance. Or celle-ci est essentielle, sur le plan financier mais aussi sur celui de l’accompagnement, pour relancer le territoire une fois l’aléa survenu. Une offre adaptée, d’entrée, pourrait faire entrer certaines personnes dans la démarche assurantielle et ouvrir l’accès au régime des catastrophes naturelles.
Nous avions suggéré ces quelques pistes pour compléter nos travaux sur ce sujet qui est fondamental pour les outre-mer, même s’ils en ont de nombreux autres à traiter. S’intéresser aux risques majeurs, c’est travailler sur le socle : quand un territoire est trop vulnérable, toutes les infrastructures et l’activité économique sont touchées, sans parler des conséquences sur les vies humaines. Dans ces conditions, à quoi bon faire des investissements massifs, qu’ils soient publics ou privés ?
Je me souviens d’un échange avec le président de la collectivité de Saint-Barthélemy, visant à l’inciter à s’engager dans un plan de prévention des risques (PPR). Nous nous nous étions rencontrés à de nombreuses reprises et nous avions développé beaucoup d’arguments. L’idée était peut-être en train de faire son chemin, mais l’élément déclencheur a été une question qui lui a été posée par des investisseurs américains : que faites-vous concrètement en matière de prévention des risques à Saint-Barthélemy ? Les choses ont alors changé assez vite et la collectivité a adopté un PPR. C’est fondamental pour l’image de nos outre-mer, les investisseurs, les entrepreneurs, l’activité touristique.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suis bien d’accord avec vous : c’est en effet fondamental. Nous lirons avec attention l’ensemble des documents que vous nous avez transmis.
J’ai relevé que les préfectures avaient été très actives pour associer la population à la réflexion. Je suis très heureux d’apprendre que cela a été une réussite, mais déçu de constater que ce travail n’a pas pu prospérer en débouchant sur un projet de loi ou sur des évolutions réglementaires.
Vous avez évoqué l’assurance. Nous avons eu une audition un peu un peu étonnante des représentants de France Assureurs et nous avions précédemment auditionné des réassureurs. J’entends ce que vous dites sur la culture locale, mais il semblerait surtout qu’il y a un problème d’accès à l’assurance. On nous a indiqué que les assureurs refusaient de prendre en charge des biens qui se trouvent à moins de 130 mètres de distance du rivage, afin de ne pas prendre un trop grand risque compte tenu des possibilités de submersion.
Par-delà l’hypothèse selon laquelle les populations locales préfèreraient réparer elles-mêmes plutôt que de s’assurer – ce qui demande à être vérifié –, avez-vous constaté lors de votre mission des difficultés d’accès à l’assurance, par exemple en raison d’une forme de refus de vente par les assureurs ?
M. Frédéric Mortier. C’est un sujet assez vaste.
Dans ces territoires, beaucoup de gens n’ont pas la culture de l’assurance. Après Irma, on a constaté que seulement 20 % des bateaux étaient assurés – et pourtant beaucoup de leurs propriétaires étaient originaires de l’Hexagone. Quand on parle à des natifs, on se rend compte que le réflexe de s’assurer n’est pas évident. Nous avions identifié le problème et nous avons beaucoup travaillé avec les assureurs à ce sujet. Nous pensions qu’il était possible que les foyers modestes s’assurent davantage, à condition de proposer un produit d’appel qui ne coûte pas plus de 50 euros par an. Des solutions étaient envisageables et cela leur aurait permis de bénéficier de l’extension de garantie Cat nat.
Cela étant dit, les acteurs de l’assurance sont de grandes sociétés et le marché est mondial. Prévoir des produits aussi spécifiques pour une clientèle assez réduite n’est certes pas facile, mais cela serait très vertueux.
Je vous ai parlé de notre projet de campagne d’acculturation aux risques. Le préfet de la Martinique avait proposé de mener une action pédagogique précisément sur l’assurance, et les assureurs étaient d’accord pour activer leur réseau.
Nous avons mené une campagne à Mayotte à propos des phénomènes sismo‑volcaniques afin de développer la culture du risque. Pour cela, nous avons souhaité utiliser un support créatif et original, susceptible de toucher les gens. Nous avons réalisé trois vidéos financées par l’assureur Allianz, avec des personnalités et influenceuses locales.
Les assureurs étaient volontaires pour participer à la politique de prévention, car ils en ont compris tout l’intérêt du point de vue financier. Ils ont estimé que 1 euro investi dans la prévention permettait en fin de compte d’en gagner au moins 7.
En plus des campagnes d’information, un produit d’appel est nécessaire, ce qui suppose d’élargir un peu l’offre pour que davantage de personnes s’assurent. France Assureurs a réalisé un retour d’expérience intéressant après l’ouragan Irma. Peu de temps après ce dernier, nous avons consacré beaucoup de temps à faciliter les versements par les assurances et on en a vu les effets très bénéfiques. Les retours d’expérience sous-estiment souvent les traumatismes psychologiques liés à l’occurrence de ce type d’aléas, mais il faut vraiment les prendre en compte car tout ne se réduit pas aux chiffres. Dès que cela a été possible, les PDG des grands groupes d’assurance sont venus à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin et ont formalisé leurs interventions. Le seul fait que les assureurs et les experts interviennent constituait une graine d’espoir pour les entrepreneurs et les particuliers. Le rôle de l’assurance était de ce point de vue très important, outre le fait qu’il permettait de relancer l’activité.
L’une de nos préoccupations était de maintenir les capitaux sur place, car certains investisseurs et entrepreneurs ont quitté Saint-Martin. Nous voulions absolument les retenir, car le territoire avait besoin de cette énergie pour se relancer.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous aurions apprécié que la présidente de France Assureurs nous parle de ce retour d’expérience.
Quelle place ont occupé dans vos travaux l’existence d’un habitat informel parfois très développé et la présence de personnes dépourvues de statut légal ?
M. Frédéric Mortier. Comme partout dans le monde, les populations en situation précaire outre-mer se trouvent dans les zones dangereuses.
Je me souviens d’une vieille dame à Saint-Martin qui vivait dans une habitation illégale située dans une zone ultra-dangereuse. Mais elle ne pouvait pas imaginer partir, car ses enfants étaient à proximité et qu’elle ne se voyait pas aller dans un Ehpad. La dimension culturelle et psychologique est donc très importante.
Il est aussi question d’anticipation. Dans certains territoires, les collectivités disposent de foncier – je pense notamment à Quartier‑d’Orléans à Saint‑Martin, qui avait été complètement inondé – et où un opérateur est présent. Il est donc possible de trouver des solutions de logement social.
Un autre exemple m’a vraiment marqué et nous l’avions d’ailleurs fait figurer dans notre lettre d’information, ce qui a permis à ce dernier de beaucoup circuler – j’avais en quelque sorte une activité de plombier si l’on considère l’énorme quantité de mises en relation réalisée. Le gouvernement de la Polynésie française avait lancé le concept de logement individuel en bois (fare OPH), destiné précisément à des populations précaires vivant dans des zones à risque. Il s’agit d’un habitat modulaire, construit sur pilotis en utilisant le plus possible des matériaux locaux. La cinquième génération résiste à des vents de 200 kilomètres par heure et la sixième jusqu’à 350 kilomètres par heure. Ce dispositif mis en place par l’Office polynésien de l’habitat a permis à des populations d’accéder à la propriété. Lorsque nous avons visité ces logements, nous avons vu que les gens avaient réalisé un rêve tout en étant installés dans un endroit sûr. C’est une opération très intéressante et tout le monde s’y retrouve.
Nous avons bien diffusé cet exemple dans les outre-mer car il est inspirant.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Le foncier est très contraint outre-mer et, surtout, il est très largement indisponible, soit pour des raisons coutumières, soit du fait du nombre des successions en indivision – cette dernière cause étant de loin prédominante.
Comment avez-vous abordé ce problème lors de votre mission ?
M. Frédéric Mortier. Ce sujet très important présente plusieurs facettes.
Il y a tout d’abord des problèmes d’exactitude du cadastre. J’ai été surpris de voir que les services de l’État adressaient parfois des courriers à des personnes nées en 1843 et à des adresses improbables…
Nous nous sommes mis d’accord avec les îles du Nord, qui étaient très volontaires, pour lancer une opération pilote d’actualisation du cadastre et en tirer des enseignements pour le faire à Saint-Martin, où le contexte est très particulier et très compliqué.
C’est un point absolument essentiel. Dans le cadre du plan sargasses, un industriel allemand était prêt à expérimenter une unité de traitement. Nous l’avions mis en contact avec les collectivités mais il n’a pas été possible de trouver le foncier nécessaire.
Il faut mettre à jour les cadastres et utiliser les terrains possédés par un certain nombre d’acteurs publics pour réaliser des projets d’intérêt commun – et je ne m’étends pas sur les actions déjà engagées par l’agence des cinquante pas géométriques.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Votre témoignage est parfois un peu triste parce que vous parlez systématiquement au passé. On a le sentiment que ce travail n’a pas été vraiment pris en compte, ce qui est un peu dommage.
M. Frédéric Mortier. J’en parle au passé pour des raisons chronologiques. J’ai été nommé en Conseil des ministres le 15 mai 2019 et la mission de la Dirmom s’est achevée en juillet 2021. Je témoigne à propos de cette période. Comme j’ai ensuite changé d’affectation, je n’ai pas continué à suivre ces questions. Je ne doute pas qu’un certain nombre de travaux engagés se poursuivent, mais je ne suis pas en mesure de porter une appréciation sur leurs résultats.
Vous m’avez également interrogé par écrit sur mon avis sur le plan sargasses 2. La Dirmom en avait fourni une première mouture en juin 2021, en formulant un certain nombre de propositions. Je les retrouve bien dans le plan finalement adopté, mais je ne peux rien vous dire au sujet de la mise en œuvre de ce dernier.
Ne suivant plus ces questions depuis juillet 2021, je ne dispose ni de la compétence ni de la légitimité pour évaluer les actions menées depuis lors.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Si les sargasses faisaient partie de vos compétences, c’est bien qu’elles étaient considérées comme une catastrophe naturelle.
M. Frédéric Mortier. C’est une très bonne question.
La lutte contre les sargasses a été ajoutée dans l’escarcelle de la Dirmom à la fin de sa mission. Les sargasses ne sont pas une catastrophe naturelle au sens réglementaire et elles n’entrent pas dans le champ du fonds Barnier, mais leurs conséquences peuvent être assez terribles.
Lorsque nous avons pris ce dossier en main, nous avons eu la chance de pouvoir nous appuyer sur le premier plan sargasses, mis en place dans l’urgence dès 2018. Nous avons jugé que cette première expérience était positive et l’avons utilisée comme socle pour le plan sargasses 2, qui prévoyait des évolutions en matière de gouvernance. Il est vraiment important que ce type de plan soit décliné territorialement.
Nous avions pu constater que, malgré les financements mis à disposition par l’État, le plan d’équipement des collectivités n’était pas achevé. Nous avons donc proposé de mener une action dans le cadre du programme des interventions territoriales de l’État (Pite) – ce qui a été accepté – car cet outil financier a fait ses preuves.
Les travaux de recherche, développement et innovation (RDI) avaient démarré lors du plan sargasses 1. On nous a demandé de réactiver la dizaine de projets sélectionnés dans le cadre de l’appel à projet sargassum. L’effort a été amplifié par le plan sargasses 2 car beaucoup de solutions viendront de la recherche.
L’accent a aussi été mis sur la coopération. Des événements internationaux ont par ailleurs permis d’annoncer le lancement de coopérations dans les Caraïbes, ce qui n’est pas chose facile. Tout cela va dans la bonne direction.
En revanche, je ne peux pas vous donner d’informations sur la mise en œuvre du plan sargasses 2, car je n’ai plus joué un rôle actif à partir de juillet 2021.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. On a le sentiment bizarre que beaucoup de choses ont été interrompues alors qu’on était au milieu du gué.
Mme Sophie Panonacle, présidente. J’ai le même sentiment. Un gros travail a été fait et on a l’impression que tout a été interrompu brutalement.
Nous le regrettons d’autant plus qu’une mission inter‑inspections va prochainement être lancée en ce qui concerne l’érosion côtière outre-mer. Elle complètera le travail déjà effectué lors de la première mission inter‑inspections réalisée dans le cadre du Comité national du trait de côte. Les inspecteurs pourront se rapprocher de vous : vous pourrez leur en dire beaucoup et cela permettra de ne pas refaire ce qui a déjà été fait.
L’érosion côtière n’est pour l’instant pas couverte par les assurances et elle n’est pas considérée comme un risque naturel majeur. J’espère que nous parviendrons lors du prochain projet de loi de finances à apporter une solution heureuse à ce problème, qui concerne notamment les territoires ultramarins.
M. Frédéric Mortier. Une mission inter‑inspections va également commencer à travailler sur la question des incendies de végétation liés au changement climatique outre-mer. La lettre de commande est en cours de signature par les quatre ministres commanditaires.
Il y a un lien avec la question de l’assurance – également valable dans l’Hexagone – car les assureurs pourraient jouer un rôle important en matière de prévention et d’information auprès de leurs clients. On pourrait par exemple imaginer un système de franchises et de bonus-malus pour faire mieux respecter les obligations légales de débroussaillement.
Les assureurs sont des acteurs économiques très importants et leur rôle est essentiel lorsqu’il s’agit de relancer un territoire et les entreprises qui y sont implantées.
Un certain nombre de risques, dont le risque incendie, ne sont pas pris en compte dans les territoires ultramarins. Mais la dynamique du changement climatique y fait apparaître des signes très préoccupants.
En outre, ces territoires doivent faire face aux risques sismiques. Nous nous étions penchés sur la question avec des scientifiques et, en plus du phénomène sismo‑volcanique à Mayotte, on sait que des essaims de séismes se produisent autour de la Martinique. Les travaux de confortement sont donc essentiels. Une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a montré qu’un séisme d’ampleur à la Martinique se traduirait par 30 000 victimes.
Dans le même temps, il faut arriver à intéresser les assureurs. Du fait de l’occurrence successive d’aléas, le groupe AXA est parti de nombreux territoires d’outre-mer, même s’il reste parfois présent par le biais de contrats flotte internationaux liés aux aérodromes. Il est important que les territoires ultramarins restent attractifs pour les assureurs, car l’on voit bien qu’une forme d’érosion de celle-ci est à l’œuvre.
En Europe et en France, nous avons la chance d’avoir un système assurantiel solide, adossé à la réassurance. J’ai été témoin des situations dramatiques vécues par des familles d’entrepreneurs de Saint-Martin qui s’étaient assurés aux États-Unis ou du côté hollandais de l’île auprès de compagnies qui ne tenaient absolument pas la route.
Pour conserver l’attractivité de l’outre-mer, il ne faut pas rajouter de trop fortes contraintes. Tout cela doit passer par un dialogue avec les assureurs. Nous en avions eu un très constructif avec France Assureurs et des grands groupes comme Generali et Allianz, mais aussi avec Bercy.
L’assurance est un élément essentiel pour l’avenir et le développement des territoires ultramarins.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Vous avez parlé des échanges d’expériences que vous aviez organisés entre les territoires. C’est intéressant car ce n’est pas parce que la spécificité de ces derniers est réelle qu’il ne faut pas multiplier les échanges – notion que l’on a parfois tendance à oublier.
M. Frédéric Mortier. Nous sommes tous des individus différents, mais nous aspirons tous pour l’essentiel aux mêmes choses. Il en va de même pour les territoires, d’où la nécessité de partager les expériences. Cela ne constitue cependant pas une habitude. Des instances existent pour conduire de tels échanges au plus haut niveau de la gouvernance des collectivités, mais nous avons ressenti un vrai besoin pour que cela soit fait en ce qui concerne les projets et les savoir-faire. Comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises, certaines pratiques peuvent être transposées dans des contextes complètement différents si elles sont adaptées intelligemment.
Les territoires ultramarins présentent en effet de nombreuses caractéristiques communes, comme l’isolement, l’éloignement, l’enclavement, la densité de population dans les zones littorales ainsi que les questions relatives aux télécommunications et à l’arrivée des secours en cas de catastrophe. Il faut donc considérer globalement les outre-mer tout en prenant en compte la spécificité de chaque territoire. Les deux approches sont très complémentaires.
La mission qui m’avait été confiée a été passionnante et stimulante. Il y avait une véritable envie partagée d’avancer. Dans les territoires ultramarins, on n’a pas forcément l’habitude de travailler ensemble. Mais le fait de définir une feuille de route territoriale et de mettre en place une gouvernance qui rassemble toutes les parties prenantes – les collectivités, les assureurs, les ONG, les experts, les scientifiques et les services de l’État – a tout changé. Lors des consultations territoriales, on a constaté que cela avait permis d’engager une véritable dynamique. Des territoires ont continué à avancer sur certains sujets. En tout cas, il y avait un terreau propice et une véritable attente.
La prévention et la gestion des risques concernent bien des domaines – le social, le développement, la santé et la sécurité – et c’est bien pour cela qu’il s’agissait pour la Dirmom de travailler avec huit ministères. Étudier un territoire à travers le prisme de ses vulnérabilités aux aléas et de la résilience est éminemment révélateur.
Quelle est la leçon que je tire de cette expérience ?
Tout d’abord, les aléas s’imposent à nous. Autant en tirer des éléments positifs pour avancer.
Ensuite, il y a bien entendu un lien entre l’état de vulnérabilité d’un territoire et ses aléas. Mais ces derniers permettent aussi de mettre en lumière des dysfonctionnements. J’avais coutume de dire que, dans un certain nombre de cas, respecter le droit constituerait déjà un grand pas en avant et un facteur de résilience.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Merci pour votre contribution à nos travaux.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous avons procédé à un large cycle d’auditions. Pour autant je n’exclus pas, le cas échéant, de demander au président de vous entendre de nouveau afin de vous poser d’autres questions à la lumière des prochaines auditions.
M. Frédéric Mortier. Je reste à votre entière disposition.
43. Table ronde, ouverte à la presse, sur la Polynésie française – Volet Collectivité et Élus locaux (21 mars 2024)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Pour cette table ronde consacrée à la collectivité de Polynésie française et aux élus municipaux, nous accueillons, en visioconférence, M. Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l’environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française. Nous serons rejoints dans quelques instants par des élus municipaux de la commune de Punaauia.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur Tuterai, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Virau Tuterai prête serment.)
M. Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l’environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de participer aux travaux de votre commission. Je suis chargé de projet au sein de la cellule Eau, où je me concentre particulièrement sur les rivières et les milieux aquatiques. Parallèlement, je suis fortement impliqué dans les dossiers liés aux bouleversements climatiques, en particulier dans la concrétisation d’un partenariat entre Météo‑France et le pays portant sur la modélisation du climat, car nous manquons beaucoup de données. Je travaille également avec l’Office français de la biodiversité (OFB) dans le cadre de plusieurs protocoles d’évaluation relatifs aux têtes de bassins‑versants, afin de comprendre le comportement de nos cours d’eau et les inondations qui surviennent.
La Diren est placée sous l’autorité de la vice-présidente de la Polynésie française. Nous sommes engagés, y compris dans le cadre de conventions de partenariat en matière de sécurité et de résilience, pour affronter les risques naturels et les défis du changement climatique. Nous devons mettre en place des stratégies d’adaptation rapide pour faire face aux impacts déjà perceptibles sur les phénomènes météorologiques d’envergure tels que les pluies diluviennes ou les sécheresses extrêmes.
La Polynésie française est un territoire archipélagique, qui se déploie sur une surface aussi grande que celle de l’Union européenne – 4 167 kilomètres carrés – et présente des spécificités climatiques. Les cinq archipels sont tous confrontés à une série de risques naturels principaux – cyclones tropicaux, tempêtes, pluies diluviennes et inondations, tsunamis… –, variables selon les territoires. Les conséquences de ces phénomènes peuvent être dévastatrices pour les populations, les infrastructures et l’économie. Il existe différents facteurs de vulnérabilité, en fonction de la géographie – les îles basses des atolls ne rencontreront pas les mêmes problèmes que les îles hautes, les infrastructures sont différentes, etc.
S’agissant de la réglementation et des plans d’urgence, c’est la direction de la construction et de l’aménagement (DCA) qui s’occupe de la gestion des risques, mais nous collaborons avec eux sur les problèmes d’aménagement du territoire. Des plans d’urgence et des stratégies de prévention sont déployés.
Les mesures d’adaptation et de résilience sont essentielles. Le service chargé de l’énergie a élaboré le premier plan climat, en collaboration avec d’autres services du pays et en partenariat avec les communes, qui sont des acteurs déterminants. La sensibilisation du public est un défi en soi.
Nous constatons déjà, en Polynésie, les effets du changement climatique. Il est nécessaire d’anticiper et d’identifier les efforts supplémentaires pour mieux nous préparer.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Nous avons été rejoints par nos invités de la commune de Punaauia : M. Simplicio Lissant, maire ; M. Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire ; M. Taimana Ellacott, directeur de cabinet du maire ; M. Raimoana Anding, directeur du développement urbain ; et Mme Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements.
Je vais vous demander de prêter à votre tour le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, comme l’impose l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
(M. Simplicio Lissant, M. Nicolas Bertholon, M. Taimana Ellacott, M. Raimoana Anding et Mme Nanihi Bertrand prêtent successivement serment.)
M. Simplicio Lissant, maire de Punaauia. Nous sommes heureux de participer à ces échanges. Notre commune a été pionnière dans la mise en place d’un plan de prévention des risques naturels (PPRN). Depuis plus de cinq ans, nous menons – assez difficilement, il faut bien le dire – un processus de révision de ce document. Nous espérons en terminer cette année.
Mme Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia. Dans le questionnaire qui nous a été transmis, vous nous demandez de rappeler les phénomènes climatiques majeurs qui ont touché notre commune et de présenter les facteurs de vulnérabilité de notre territoire.
Dans notre PPRN, trois aléas sont cartographiés : les inondations, les submersions marines et les mouvements de terrain. Le plan actuel ne répertorie aucun risque comme étant de niveau majeur, mais le processus de révision pourrait conduire à désigner comme tel le risque de submersion marine. Notre commune compte en effet 11 kilomètres de littoral.
Tous les archipels de Polynésie française sont exposés aux vents forts et aux cyclones. C’est un risque dont on peut dire qu’il est majeur, mais qui n’est pas répertorié dans le PPRN. Nous n’avons pas non plus les règles de construction adéquates.
Je reprends l’historique. S’agissant des inondations, nous avons fait face, en 1998, à une inondation majeure de la Punaruu, avec des effets catastrophiques. En 2017, deux cours d’eau ont débordé : les rivières Punaruu et Matatia. Plus récemment, en 2022, nous avons connu des érosions de berge. Au début de cette année, nous avons à nouveau frôlé la catastrophe avec la rivière Punaruu.
Nous avons aussi connu des éboulements et des glissements de terrain, qui ne sont pas médiatisés parce qu’ils restent de faible ampleur et qu’ils n’ont heureusement pas fait de victimes. Mais il y en a tous les ans.
Avec le changement climatique, les houles étant de plus en plus fortes, nous constatons des dégâts sur la frange littorale.
M. Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia. Les plus jeunes ne s’en souviennent pas, mais nous avons aussi connu, dans les années 1980, des cyclones absolument dévastateurs. À certains endroits de Tahiti et des Tuamotu, 80 % à 90 % des habitations ont été détruites.
J’ajoute à ce qu’a dit Mme Bertrand que la rivière Maruapo a aussi débordé récemment. À la suite de ces événements, la collectivité a dû engager des travaux et reconstruire les ouvrages d’art qui avaient été touchés. Les conséquences de ces phénomènes sont donc importantes, sur les infrastructures comme sur les habitations.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Votre réflexion soulève la question de la mémoire et de la culture du risque. La résilience dépend d’abord des bons réflexes des habitants face à l’aléa, si brutal et traumatisant soit-il. Comment vous coordonnez-vous avec le gouvernement de la Polynésie française pour promouvoir cette culture ?
M. Nicolas Bertholon. En Polynésie française, la culture est souvent transmise à l’oral. Nous écoutons beaucoup les anciens, les matahiapo. Les interactions entre générations sont nombreuses. Lors de la révision de notre plan général d’aménagement (PGA) – l’équivalent du plan local d’urbanisme (PLU) en métropole –, nous avons intégré une réflexion sur la culture et la mémoire de tous les événements passés. Cela relève d’une volonté communale, subjective. La coordination des communes entre elles, mais aussi avec d’autres entités comme avec le tissu associatif, est essentielle pour laisser des traces et les transmettre à l’échelle du pays. Nous aimerions, grâce à votre commission d’enquête, disposer de davantage de leviers pour conserver l’information, pour prévenir et pour agir quand une catastrophe survient.
M. Simplicio Lissant. Nos anciens avaient une culture du risque. Ils évitaient par exemple d’installer leur habitat en bordure de rivière ou sur le rivage, et leurs maisons étaient souvent construites sur pilotis pour éviter la submersion.
À la suite des gros cyclones de 1983 et des années 1990, qui s’étaient accompagnés de mouvements de terrain sur le territoire communal, l’ancien conseil municipal a entrepris, dans les années 2010, de mettre en place un PPRN en essayant d’associer au mieux la population. La communication a parfois été difficile. Le processus de révision en cours provoque aussi des réactions assez vives chez nos concitoyens, notamment chez ceux dont les terrains sont classés en zone rouge. C’est le problème que nous devons gérer en ce moment : comment rendre ce PPRN acceptable pour tous ? Car les risques sont bien réels.
M. Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia. La première prévention consiste à élaborer un document d’aménagement. Mme Bertrand vous l’a dit, notre PPRN intègre trois aléas, même s’il en existe d’autres qui ne sont pas cartographiés. Il ne faut pas oublier un aléa naturel souvent mis de côté : le feu de forêt. Nous en avons eu deux au cours des trois dernières années ; ils n’étaient pas majeurs mais tout de même difficiles à maîtriser. Quand on parle du changement climatique, on pense aux pluies intenses, mais nous connaissons aussi des périodes très sèches de plus en plus longues. La végétation de la côte ouest est dangereuse en cas de sécheresse : les falcatas, arbres à petites feuilles, sont de véritables poudrières.
M. Virau Tuterai. Les cyclones tropicaux de 1982 et 1983 – Orama, Veena, William, etc. – furent très concentrés et intenses : six perturbations cycloniques ont successivement frappé les îles polynésiennes en cinq mois. Cet enchaînement d’événements a causé la mort de seize personnes, fait 200 blessés et entraîné de nombreux dégâts qui ont affecté 25 000 sinistrés et coûté plusieurs milliards de francs Pacifique – environ 84 millions d’euros.
Ces cyclones ont profondément marqué la population et ancré une culture du risque en Polynésie. Dès qu’une alerte cyclonique est lancée, les gens se ruent dans les magasins pour acheter de la nourriture et des cordes destinées à attacher leur toit : des réflexes se sont créés, qui font désormais partie de la culture locale. Il convient néanmoins d’approfondir la culture du risque, ne serait-ce que pour que la mémoire de ces événements traumatiques ne se perde pas. Dans cette optique, il y a lieu de définir des consignes adaptées aux territoires et aux communes.
M. Nicolas Bertholon. Lorsque j’étais enfant, dans les années 1970 et au début des années 1980, on ne nous parlait jamais d’événements climatiques violents. Ma famille est originaire de Takaroa et de Takapoto, des atolls du nord ; quand j’allais en vacances chez mes grands-parents, la première chose que je voyais, le point le plus haut de cette région qui est un peu comme le plat pays de Jacques Brel, c’étaient les mâts d’un clipper hollandais qui s’était échoué lors du cyclone de 1906, lequel avait fait de nombreuses victimes et causé beaucoup de dégâts. Entre cet événement, qui avait marqué les esprits, et les cyclones des années 1980, on avait l’impression que tout allait bien, que le mauvais temps était limité à la saison des pluies, et on avait un peu oublié que, parfois, la nature peut se fâcher.
Or, comme il vient d’être dit, nous avons connu une succession très rapprochée de dépressions tropicales, dont certaines sont devenues des cyclones, dans les années 1980. La Polynésie française est aussi étendue que l’Europe, de sorte que certains cyclones peuvent concerner une partie du territoire mais pas le reste, et leur parcours peut être erratique : l’un d’eux a même fait une boucle pour passer deux fois au même endroit. Un autre, Orama ou Veena, a frappé durement Tahiti où il a causé d’importants dégâts. La culture du risque et la mémoire de ces événements sont très ancrées chez nous.
Des automatismes, facilités par les moyens de communication modernes, se sont créés. Jusque dans les années 1980 et 1990, il n’existait que douze stations synoptiques de Météo‑France pour toute la Polynésie française, alors qu’il y en a une tous les 50 kilomètres en métropole, ce qui permet de prévoir à la minute près l’arrivée du moindre cumulonimbus qui va entraîner des précipitations. Même si nous étions en mesure d’installer un dispositif équivalent, on ne mettrait pas des stations au milieu de l’océan ! Nous n’en disposons pas moins de moyens satellitaires impressionnants. Au début de l’année, nous avons ainsi pu suivre, minute par minute, de nuit comme de jour, deux dépressions. Ces outils ont affiné notre perception des aléas climatiques.
Les moyens de communication se sont aussi beaucoup améliorés. Depuis quelques années, des sirènes s’enclenchent le premier mercredi de chaque mois, cet exercice étant destiné à préparer la population à d’éventuelles alertes au tsunami.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La prévention passe par une connaissance précoce des événements. J’imagine que vous travaillez avec Météo‑France : comment vous coordonnez-vous ? Avez-vous des besoins, notamment dans la mise à disposition des données météorologiques et satellitaires ? Y a‑t‑il des corrections à apporter dans ce domaine ? Une commission d’enquête vise aussi à aider les acteurs auditionnés.
La répartition des compétences en matière d’aléas et de risques naturels majeurs est-elle suffisamment claire ?
M. Virau Tuterai. En 2021, le pays a signé un partenariat avec Météo‑France, ce qui lui a donné accès à certaines données météorologiques essentielles pour la connaissance de l’environnement et l’aménagement du territoire, dont sont chargées la Diren, qui gère le domaine public fluvial, et la DCA, responsable des PPRN. Ce partenariat est ce qu’il est ; nous essayons d’avoir de plus amples informations. Nous avons encore des dispositifs vétustes et mal adaptés : pour récupérer certaines données, il faut pouvoir crapahuter plusieurs kilomètres en montagne. Des discussions sont en cours avec Météo‑France au sujet de l’installation d’un radar qui nous permettrait de connaître plus précisément les phénomènes météorologiques.
Peut-être conviendrait-il de faire évoluer quelque peu la répartition des compétences. La protection des biens et des personnes relève des compétences du pays, mais la partie régalienne qui correspond à la protection civile incombe à l’État. Les communes, le territoire et l’État doivent se coordonner, par exemple en cas d’inondations – des plans sont élaborés à cet effet.
M. Taimana Ellacott, directeur de cabinet du maire de Punaauia. Aux yeux des élus et les fonctionnaires, les compétences sont bien réparties, mais les citoyens sont beaucoup moins familiarisés avec les différentes couches de compétences, la décentralisation et la déconcentration. La population voit avant tout le maire, qui joue un rôle beaucoup plus important qu’en métropole : il est la porte d’entrée administrative et politique et il règle tous les problèmes, y compris ceux qui ne relèvent pas de son domaine de compétences. Cette situation arrange bien les élus du pays, qui se défaussent sur nous alors qu’ils détiennent la compétence générale, les communes ayant des compétences attribuées. La plupart des communes polynésiennes demandent à bénéficier de la clause générale de compétence, comme en métropole.
M. Simplicio Lissant. Comme le disait M. Tuterai, nous avons besoin de moyens supplémentaires, comme des radars, afin d’appréhender plus précisément les phénomènes météorologiques. En Polynésie, même à Tahiti, les microclimats sont nombreux, d’où l’importance d’améliorer les prévisions.
Des procédures ont été mises en place pour perfectionner la transmission des informations, notamment météorologiques. Les techniciens de Météo‑France disposent de nombreuses données, et l’État joue le rôle d’interface entre l’opérateur, d’une part, et les communes et le pays, de l’autre. Lors des derniers épisodes climatiques dangereux, nous avons bénéficié de la réactivité de l’État – nous avons reçu des alertes par SMS et des messages nous demandant d’activer le plan communal de sauvegarde (PCS). La culture du PCS est désormais bien ancrée dans toutes les communes, qui font montre de réactivité pour répondre aux besoins et préparer la population avant que le phénomène météorologique ne se produise.
M. Nicolas Bertholon. L’anticipation des phénomènes météorologiques est un enjeu majeur. Il a été question d’installer à Moorea, l’île située en face de Tahiti – il y a 20 kilomètres de chenal entre nous –, un radar météo qui couvrirait tout Tahiti.
M. Virau Tuterai. Absolument. Ce projet d’installation d’un radar météorologique à Moorea, dont le rayon couvrirait toute l’île de Tahiti, visait à accroître les données disponibles, notamment dans des vallées où il n’y a même pas de pluviomètres.
M. Nicolas Bertholon. Météo-France peut nous prévenir que le ciel est couvert, qu’il va y avoir du mauvais temps, que le vent sera tel ou tel, mais ne dispose pas d’outils permettant de savoir à quel moment et à quel endroit précis un cumulonimbus va se former et créer un événement météorologique localisé.
Il y a quinze jours, nous avons tenu, dans l’un des quartiers de la commune, une réunion publique portant sur la question de l’eau potable. En l’espace d’une demi-heure, le temps s’est dégradé et des précipitations diluviennes, accompagnées d’éclairs, se sont abattues sur nous : des débordements d’eau ont eu lieu, rendant la circulation difficile. Le week-end suivant, le même phénomène s’est produit dans la commune de Papara, sans que Météo‑France ait pu le prévoir : les pluies ont eu des conséquences cataclysmiques et un homme a été emporté par la rivière dans la nuit du samedi au dimanche – son corps a été retrouvé le lendemain matin au large de la commune. Nous savions que le temps allait se dégrader, mais nous ignorions que des précipitations très importantes allaient s’abattre localement, dans cette commune. Il est très difficile d’imaginer certains cours d’eau se transformer en torrents dévastateurs ; cela arrive pourtant dans les rivières de la côte nord de Tahiti. En France métropolitaine, des événements comparables ont déjà eu lieu dans le Sud, vers Nîmes, Béziers ou Narbonne.
J’ai cru comprendre que le futur radar météo allait nous permettre de recevoir des alertes dans les deux heures précédant ce type de phénomènes, qui n’existaient pas en Polynésie il y a dix ou vingt ans.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. L’une des difficultés semble aussi être la disponibilité de personnel qualifié, spécialisé dans la gestion du risque. En Polynésie française, la dispersion des îles habitées sur une superficie équivalente à celle de l’Europe ne facilite pas les choses. Comment traitez-vous ce problème ? La culture traditionnelle du risque permet-elle aux populations d’avoir leur propre résilience ?
Mme Nanihi Bertrand. À l’échelle communale, le PCS est déclenché lors d’un événement majeur. Selon l’ampleur de cet événement, il est piloté soit par le maire, soit par le haut-commissaire. Nous travaillons de plus en plus sur nos moyens humains et nos équipements, et nous montons en puissance. Il existe désormais des groupes de travail conjoints avec la direction de la protection civile (DPC), un service du haut-commissariat. Mais nous regrettons l’absence d’un plan d’organisation général à l’échelle de l’île, un plan de référence au niveau de l’État, et d’exercices suffisamment fréquents, annuels par exemple. L’organisation repose sur l’expérience de tous, tirée du passé.
M. Nicolas Bertholon. Lors de la révision de notre PGA, nous avons mis en avant la notion de coconstruction avec les habitants. C’est dans ce cadre que nous pouvons retenir les informations, les coucher sur le papier et les transmettre : nous entretenons le contact avec les anciens, qui permet la transmission orale à partir de laquelle nous établissons un écrit. Ainsi, nous gravons leur mémoire dans le marbre pour qu’elle ne se perde pas et profite aux générations futures.
M. Raimoana Anding. Anticiper les événements météorologiques permet de mettre les populations en sécurité. Mais il faudrait aussi corréler les données aux résultats de l’observation de terrain. Récemment, nous avons connu plusieurs dépressions, qui n’étaient pas « méchantes » prises une par une, mais dont la succession a gorgé le sol d’une eau qui n’avait pas le temps de s’évacuer. Il faut donc observer le niveau des cours d’eau pour articuler cette information à celles concernant l’événement météorologique imminent et comprendre qu’une pluie a priori normale va entraîner une catastrophe parce que le milieu est dégradé.
M. Simplicio Lissant. Une équipe de policiers municipaux effectuait des tournées régulières pour observer ce qui risquait de poser le plus de problèmes, dont les cours d’eau qui ont tendance à déborder. C’est un exemple de ce que nous avons mis en place lors de tels événements.
M. Virau Tuterai. Au niveau du pays, il est vrai que des exercices plus fréquents seraient nécessaires pour anticiper au mieux les catastrophes.
On parle d’inondations mais, comme l’a dit Raimoana Anding, il y a aussi des périodes de sécheresse. Notre partenariat avec Météo‑France nous rend attentifs aux vagues de chaleur extrême et au réchauffement des eaux des lagons. À plusieurs reprises, les côtes polynésiennes ont été affectées, notamment aux Marquises, où des milliers de poissons sont morts. À Punaauia, au niveau de l’embouchure de la Punaruu, dès qu’il n’y a plus assez d’eau, cela provoque une anoxie qui tue les poissons. Il ne faut pas négliger ces épisodes, qui doivent eux aussi être anticipés.
Mme Nanihi Bertrand. En Polynésie, seule l’alerte tsunami existe. C’est elle qui est testée le premier mercredi du mois lors de l’exercice que la population connaît et qui fait partie de la culture du risque. En revanche, nous n’avons pas d’alerte pour les crues comme en métropole.
Pour les événements cycloniques récents, il y a eu des alertes, par l’intermédiaire des médias. Elles ont bien fonctionné. En revanche, lors des inondations catastrophiques dans le Sud de l’île l’année dernière, peut-être faute d’anticipation, aucun système d’alarme n’a été créé.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Si j’ai bien compris, les vagues de submersion entraînent chez vous une érosion côtière assez forte et inquiétante.
Comment assurez-vous la surveillance des feux de forêt de plus en plus fréquents, et de quels moyens disposez-vous pour les combattre ?
M. Raimoana Anding. La commune dispose de moyens classiques, comme les camions à bras élévateur, mais nous n’avons pas d’hélicoptères ni d’hydravions en Polynésie. Le Dauphin, qui appartient à l’État, vient prêter main-forte. C’est nécessaire, car certaines zones sont peu accessibles et il n’y a pas toujours de pistes agricoles ou forestières pour faire barrage à la progression du feu ou, tout simplement, y accéder. La commune va acquérir prochainement des drones pour assurer la surveillance et planifier les interventions des pompiers. Mais le principal problème est l’accessibilité des sites, ainsi que le peu de réserves d’eau disponibles sur place – une vraie difficulté, surtout en période de forte sécheresse.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Il n’y a donc pas de plan de prévention et de lutte contre les feux de forêt ?
M. Raimoana Anding. Non.
Mme Nanihi Bertrand. Contrairement à ce qui se passe en France métropolitaine, en Polynésie française, le foncier est majoritairement privé : le domaine naturel n’appartient ni aux communes, ni au pays, ni à l’État. Cela réduit beaucoup nos marges d’action sur les hauteurs, là où se trouvent principalement les forêts.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Dans l’Hexagone, 75 % des forêts sont privées. Pourtant, l’État intervient pour lutter contre les feux de forêt.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Dans un territoire d’une telle étendue et d’une telle diversité, le prépositionnement des outils de lutte contre les aléas et des provisions en eau, en nourriture ou en médicaments suppose une logistique incroyable. Comment faites-vous ? Que pensez-vous de l’action de l’État lorsqu’il s’en occupe ?
Vous avez parlé des méthodes traditionnelles de prévention. Les populations ont toujours su gérer ces aléas, même s’ils sont plus violents qu’auparavant. Comment institutionnaliser cette mémoire, la faire entrer dans les règlements à titre d’outil de prévention ?
Cette question a aussi un aspect plus technique. Dans les Tuamotu, j’ai vu un bâtiment conçu pour résister à la submersion et aux ouragans. Développez-vous ce type de construction, ou des innovations permettant de mieux faire face aux aléas ?
M. Raimoana Anding. En ce qui concerne l’approvisionnement, en Polynésie, la religion est très ancrée dans la culture et les communautés religieuses s’organisent ; la commune entretient des liens naturels avec elles pour désigner des zones de repli ou assurer l’approvisionnement. Nous recevons aussi des dons, comme lors des derniers épisodes. Dans le cadre du PCS, nous travaillons aussi avec les commerces : nous leur demandons de nous ouvrir les portes pour le ravitaillement, et nous faisons les comptes ensuite. Il y a beaucoup de solidarité spontanée. Tout cela se fait très facilement.
Mme Nanihi Bertrand. Ce contexte est celui de Punaauia, située sur Tahiti, l’île principale. En ce qui concerne les Tuamotu et les îles plus éloignées, je suppose que vous parliez de l’abri de survie, mais nous ne pourrons pas vous répondre au sujet de cette organisation.
M. Virau Tuterai. Aux Tuamotu, plusieurs abris de survie ont été installés. Dans la plupart des cas, ce sont les mairies qui sont surélevées à l’aide de pilotis de trois mètres de haut et des réserves d’eau sont constituées en quantité suffisante pour faire face à une pénurie ou à une catastrophe. Ces abris font l’objet d’un programme du gouvernement.
Mme Nanihi Bertrand. En ce qui concerne la submersion marine et les inondations, la leçon du retour d’expérience est la surélévation des constructions. Elle est prise en compte dans la révision du PPRN et a été étudiée avec le pays.
S’agissant de la résistance au vent, notre réglementation n’a pas évolué depuis 1983. Elle s’applique uniquement aux bâtiments publics et aux établissements recevant du public (ERP).
La puissance publique, au niveau de l’Office polynésien de l’habitat, a créé ce qu’on appelle les fare MTR (mission territoriale de la reconstruction), des logements individuels conçus pour résister aux vents violents. Mais cela ne concerne pas l’habitat individuel classique.
M. Nicolas Bertholon. Au niveau de la mairie, avant d’émettre notre avis sur les demandes de permis de construire qui nous sont soumises, nous vérifions qu’elles respectent les différentes réglementations et le PGA. Nous envoyons ensuite le dossier à l’administration du pays – en l’occurrence la DCA –, qui finalise la procédure.
La réglementation s’arrête aux limites indiquées par Mme Nanihi Bertrand s’agissant des vents violents, mais il est de tradition que l’administration vérifie que les constructions respectent des normes anticycloniques. De toute façon, cela relève du bon sens : qui irait emprunter des millions de francs Pacifique pour construire sa maison sans tout mettre en œuvre pour qu’elle résiste à un vent cyclonique, au risque de la perdre l’année suivante ? Il s’agit donc d’une démarche volontaire, conforme aux préconisations des services, communaux ou du pays, qui délivrent les mêmes consignes.
M. Raimoana Anding. Il en résulte des conséquences financières pour les personnes qui construisent, et tout le monde n’adopte pas cette démarche – personnellement, j’y ai fait attention, mais parce que je suis sachant. Il n’existe pas de mécanisme permettant d’aider les gens à se conformer à la réglementation.
M. Nicolas Bertholon. Il y a bien une aide instituée par le pays, d’un certain montant en fonction de la surface construite, mais elle est réservée aux primo-constructeurs, aux jeunes ménages, et tout le monde n’en a pas forcément connaissance. Les petits ménages se concentrent sur l’obtention du permis de construire et sur la nécessité de se loger ; ils ne voient pas ces aspects-là.
M. Raimoana Anding. L’étude coûte à elle seule 5 000 euros.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La couverture assurantielle vous semble-t-elle suffisante ? Est-ce un problème chez vous ?
Mme Nanihi Bertrand. Vaste sujet ! La compétence du pays en matière de droit des assurances est inscrite dans le statut de la Polynésie française : nous ne pouvons donc pas accéder aux fonds « Cat nat » ni Barnier. C’est la principale difficulté. Nous avons un PPRN approuvé et appliqué, mais pas de mécanisme de compensation qui nous permettrait de déloger les populations des zones à risques majeurs. En cas de sinistre dû à un événement majeur, l’assurance habitation ne permet pas d’accéder au fonds Cat nat. Le code de l’aménagement polynésien ne prévoit pas non plus l’échelle du programme d’action pour la prévention des inondations (Papi), alors que celui-ci permet de bénéficier des fonds de dédommagement.
En Polynésie, il n’est pas obligatoire de souscrire une assurance habitation. On le fait généralement lorsqu’on sollicite un prêt immobilier, et les particuliers résilient leur contrat dès qu’ils ont obtenu celui-ci. Selon une estimation du Comité des sociétés d’assurance (Cosoda), le taux de souscription de l’assurance habitation est de moins d’un tiers en Polynésie française. Outre qu’il n’est pas possible d’accéder au fonds Cat nat, les assureurs ne proposent pas tous une couverture des risques naturels. La garantie « tempête, ouragan, cyclone » (TOC) n’est qu’une option, à laquelle certains assureurs, très peu nombreux, associent la garantie « inondation » et « glissement de terrain ».
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Est-ce un problème ou la situation reste-t-elle gérable ?
Mme Nanihi Bertrand. C’est un problème majeur. Nous avons déjà un gros travail d’information et de pédagogie à effectuer, en lien avec le pays, au sujet du PPRN : nous devons expliquer à la population qu’il est dans son intérêt de protéger les biens et les personnes. Or, quand les habitants nous demandent comment ils seront dédommagés ou comment ils peuvent se mettre aux normes, nous n’avons pas de réponse à leur apporter.
M. Nicolas Bertholon. Quand nous avons instauré le PPRN, beaucoup de terrains ont été déclarés inconstructibles du fait de la délimitation des zones rouges. Les propriétaires ont eu du mal à le comprendre. Il s’agissait de prévention, pour leur éviter d’être confrontés à un événement grave comme un glissement de terrain, mais on ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux. Les réunions publiques que nous organisons dans le cadre de la révision du PPRN sont très sportives ! Les gens montent tout de suite au créneau. Ils se demandent pourquoi on leur a imposé cette réglementation qui dévalorise leur terrain et pourquoi il faudrait, pour construire, faire procéder à des études qu’ils n’ont pas les moyens de financer. Ils nous interrogent sur l’existence d’aides publiques. C’est cornélien.
Que faire ? Par le passé, le pays avait un fonds pour les catastrophes, mais pour l’ensemble de la Polynésie française. Aujourd’hui, nous nous sentons démunis. On nous a demandé d’instaurer une réglementation protectrice pour nos populations, mais nous avons l’impression d’être pris dans un piège réglementaire. Pour nous, élus de proximité, en relation directe avec nos administrés, ce n’est pas facile.
Nous manquons vraiment de moyens. Nous sommes à 20 000 kilomètres de la France hexagonale, mais nous connaissons les fonds Cat nat et Barnier. On nous dit que c’est pour des raisons statutaires que nous n’y avons pas accès. Mais, en tant que citoyens français de la Polynésie, nous nous demandons comment nous pourrions en bénéficier. Nous avons fait le job ; maintenant, on nous laisse tout seuls en nous disant « bon courage ». Cela nous gêne un peu.
M. Simplicio Lissant. J’ajoute qu’il y a de gros problèmes fonciers en Polynésie. Le manque de foncier dans la partie en plaine, où il est facile de construire, pousse les familles dans les zones montagneuses, exposées à des risques majeurs, donc classées en zone rouge. Nous ne pouvons leur proposer des aides, ne serait-ce qu’en vue de financer des études ouvrant la voie à des travaux d’aménagement ou de consolidation pour pouvoir tout de même construire sur une partie de leur terrain. Cela exacerbe les réactions négatives et l’incompréhension.
Il y a deux ans, le pays a tenté de constituer un fonds d’intervention d’urgence au bénéfice des collectivités en cas de phénomène climatique. Il s’agissait qu’elles cotisent elles-mêmes et ponctionnent les fonds intercommunaux de péréquation (FIP) de manière à constituer une enveloppe pour financer les réparations nécessaires des édifices leur appartenant. Cela n’a pas abouti, car les communes étaient contre : on venait puiser dans des fonds destinés à d’autres équipements, sans jamais envisager de revoir le code polynésien des assurances.
Il y a une réflexion à mener en ce sens pour que les collectivités et, surtout, les particuliers soient correctement assurés. Actuellement, les assureurs n’ont aucune obligation de proposer la couverture de ces risques. Les citoyens n’ont plus qu’à subir les conséquences des événements.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Je crois que nous arrivons au terme de cette table ronde.
Mme Nanihi Bertrand. J’aimerais préciser, à propos de l’incompréhension de la population dont il était question tout à l’heure, que les communes polynésiennes qui n’ont pas de PPRN sont soumises à un « atlas des risques », qui est connu de la DCA mais pas de la population. La commune de Punaauia ne sait pas ce qu’il en est des communes limitrophes, par exemple. Il y a donc un flou dans la gestion des risques naturels. Nous avons nous-mêmes du mal à faire la différence entre cet atlas des risques, notre PPRN et le projet de schéma de gestion des risques naturels (SGRN) qui doit être mis en place à l’échelle de la Polynésie française.
M. Nicolas Bertholon. C’est en effet un élément important. En tant qu’élus, nous avons pris nos responsabilités, je le disais, mais la communication est difficile. L’atlas des risques n’est pas connu du grand public : lorsque la DCA, en analysant un dossier, pointe tel ou tel risque, les gens tombent souvent des nues. Avec le PPRN, nous avons joué la carte de la transparence : lorsqu’on veut déposer un dossier, on sait d’emblée à quoi s’en tenir. C’est l’avantage que nous avons : les gens nous critiquent très en amont ! (Sourires.)
Mme Sophie Panonacle, présidente. Merci à tous. Belle journée en Polynésie française !
44. Audition, ouverte à la presse, de Mmes Sylvie Gustave Dit Duflo, vice‑présidente du Conseil régional de la Guadeloupe, Monique Apat, directrice générale adjointe des infrastructures et du cadre de vie, Maeva Govindin, cheffe du service biodiversité et risques majeurs (4 avril 2024)
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une audition des représentants du conseil régional de la Guadeloupe. Nous avons précédemment auditionné les représentants de l’État de ce territoire, à savoir le préfet, la Deal et le Sdis.
Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir Mmes Sylvie Gustave Dit Duflo, vice‑présidente du conseil régional de la Guadeloupe, en présentiel ; Monique Apat, directrice générale adjointe des infrastructures et du cadre de vie ; Maeva Govindin, cheffe de service biodiversité et risques majeurs.
Je vous remercie sincèrement toutes d'avoir pu vous rendre disponibles pour cette table ronde.
Cette audition, je le précise, est transmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et l'enregistrement sera ensuite disponible à la demande.
Je vous laisserai la parole pour une courte intervention liminaire afin que nous puissions ensuite poursuivre nos échanges sous la forme de questions et réponses avec notre rapporteur, Guillaume Vuilletet, que je salue et qui va nous rejoindre dans quelques minutes, mais, qui nous entend.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Mesdames, si vous le voulez bien, à tour de rôle, je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».
Mmes Sylvie Gustave Dit Duflo et Maeva Govindin prêtent serment.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Vous n’êtes que deux à ce stade.
Mme Maeva Govindin, cheffe de service biodiversité et risques majeurs. Mme Apat se connecte. Mme Francine Arbau-Garnier est quant à elle en congé et sera absente aujourd’hui.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Très bien. Nous pouvons attendre quelques instants Mme Apat afin qu’elle puisse prêter serment. Je donnerai ensuite la parole à Mme la vice-présidente du conseil régional.
Mme Monique Apat se connecte à la visioconférence.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Si vous le voulez bien, je reprends juste la phrase du protocole qui dit que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».
Mme Monique Apat prête serment.
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo, vice-présidente du conseil régional de la Guadeloupe. De quelle manière devons-nous procéder ? Nous avons été destinataires d’un questionnaire. Répondons-nous aux questions ?
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Vous pouvez assurer une présentation plus synthétique. M. le rapporteur vous posera ensuite un certain nombre de questions afin que l’exercice soit moins fastidieux pour vous.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Si vous m’y autorisez, Madame la présidente, le questionnaire constitue une base écrite qui nous permet de prendre connaissance d’informations plus fouillées et détaillées. Il s’agit aujourd’hui de discuter de la thématique qui nous anime, après une présentation sommaire et globale de votre part pendant une dizaine de minutes. Nous poursuivrons avec une séance de questions et de réponses pour réagir et aborder des détails qui, parfois, se trouvent un peu cachés dans les questionnaires.
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Très bien. L’archipel de la Guadeloupe, comme vous le savez, se trouve en milieu tropical et, de ce fait, les risques majeurs qui peuvent l’impacter sont multiples. Il y a bien évidemment les aléas climatiques qu’illustrent les cyclones et les phénomènes d’inondation. Le réchauffement climatique s’accompagne de périodes de sécheresse, sur plusieurs années.
L’archipel de la Guadeloupe se situe sur la plaque caraïbe, qui glisse et peut donner lieu à des risques sismiques d’origine tectonique.
Parmi les aléas majeurs, je cite aussi la Soufrière, un volcan toujours en activité, qui culmine à plus de 1 700 mètres de hauteur. Nous parlons d’un volcan de type péléen, c’est‑à‑dire composé d’un magma visqueux et explosif. Il est appelé ainsi en rapport avec la montagne Pelée et les dégâts occasionnés en 1902.
Heureusement, nous ne souffrons pas de phénomènes d’incendie, mais nous cumulons quand même un certain nombre de risques majeurs, qu’il convient de prendre en considération.
Je propose de structurer ma présentation entre une partie consacrée aux actions bénéfiques et une autre relative aux domaines pour lesquels il nous faut encore progresser.
Aujourd’hui, la population appréhende bien le risque d’inondation et les risques cycloniques, même si les petits cyclones ou tempêtes tropicales, de catégorie 1 ou 2, avec des forces de vent inférieures ou égales à 120 km/h, sont quand même susceptibles de générer des inondations, à l’instar de la tempête Fiona en 2022.
Il nous faut prendre en compte l’ensemble de ces éléments lorsque nous habitons un territoire comme celui de la Guadeloupe. La résilience doit être construite sur la base de moyens structuraux, comme les fonds Barnier et Feder. La région Guadeloupe, en maîtrise d’ouvrage, accompagne les collectivités, notamment les petites communes qui ne sont pas dotées d’une ingénierie nécessaire pour réhabiliter les écoles et les mettre aux normes sismiques et parasismiques. La région intervient également sur les axes routiers et les infrastructures.
Notre travail, qui vise à résister aux phénomènes climatiques, passe par un souci d’anticipation. À ce titre, nous finançons des études visant à mieux comprendre les phénomènes qui nous impactent. Par exemple, le projet C3AF a permis d’utiliser la modélisation de la houle née du passage du cyclone Maria pour anticiper l’évacuation de la population.
Nous finançons les études du BRGM et celles menées au sein de l’université des Antilles. Plus récemment, nous avons financé le groupe régional des experts du climat, notre petit Giec local, le Grec-Guadeloupe. Il nous apporte une visibilité sur les aléas susceptibles d’impacter notre territoire entre 2030 et 2050. Nous étudions la météorologie, la gestion de l’eau, les sécheresses, la pluviométrie, la survenue de phénomènes cycloniques plus intenses. Le souhait est aussi que ce groupe d’experts nous apporte une prospective sur l’agriculture, la santé ou encore la gestion de l’eau, c’est-à-dire tous ces enjeux à prendre en considération lors d’une gestion de crise.
Ces dernières années, nous nous sommes beaucoup attachés à la prévention. J’ai vécu deux ans à San Francisco, ville située sur la faille de San Andreas. Les habitants attendent tous le big one et ont su entretenir une vraie culture du risque. C’est fort de ces observations pendant mon séjour américain que nous avons voulu impulser, avec le président de la région, Ary Chalus, une politique de prévention qui ne soit pas que conceptuelle. Ainsi, nous participons à la formation des constructeurs de bâtiments et assistons à un certain nombre d’évènements. Surtout, nous avons voulu amplifier la sensibilisation opérationnelle. Voir une vidéoprojection d’un séisme ou le vivre en situation ne représente pas la même expérience. Sous la houlette de Monique Apart et de Maeva Govindin, nous faisons vivre des expériences immersives aux agents et élus régionaux, consistant à choisir un bâtiment public et à le transformer en immeuble sur le point de se dégrader à cause du risque sismique. Pendant la matinée, à l’aide d’acteurs, les élus et agents découvrent la réalité du risque, constatent la difficulté d’emprunter un escalier branlant sur le point de s’effondrer, apprennent à utiliser une trousse de secours et procèdent aux meilleurs choix dès lors qu’ils occupent des fonctions de responsabilité.
La collectivité régionale s’est résolument engagée sur la structuration en apportant son expertise aux petites communes, parfois privées des moyens nécessaires pour mettre aux normes leur parc scolaire. La région participe à la formation des professionnels. Nous avons à ce titre assisté à un congrès véritablement dédié aux normes sismiques et parasismiques. Notre rôle consiste aussi à assurer la prévention de la population. Nous avons lancé cette expérience immersive auprès des agents régionaux, que nous élargirons aux lycéens et, pourquoi pas, au grand public.
Nous avons complété le questionnaire que vous nous avez adressé. Il sera à votre disposition à l’issue de cette audition.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Mesdames Apat et Govindin, souhaitez‑vous intervenir à votre tour avant les questions du rapporteur ?
Mme Monique Apat, directrice générale adjointe. Le cadre a bien été posé par notre vice-présidente et n’appelle pas de commentaire particulier.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J'ai été assez impressionné par la diversité et l'aspect assez complet des dispositifs qui ont été apportés par la région Guadeloupe dans la prévention des risques. La prévention des risques repose aussi sur un certain nombre de documents et de mesures que sont les plans Orsec, les PPRN, les plans communaux de sauvegarde.
Pensez-vous être à jour sur ces aspects ? Si tel n’est pas le cas, puisque tous les plans n’affichent pas le même niveau d’actualisation, de quelle manière accompagnez-vous les collectivités qui en ont la charge ou les services que vous déclenchez pour actualiser ces documents ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Ce sont des documents stratégiques, élaborés sous la houlette de l’État. Nous ne sommes pas dans un contexte géologique figé du fait des mouvements de terrain. Le PPRN évolue en fonction de l’érosion du littoral, des mouvements de terrain et de la géologie même de notre archipel.
Il revient aux maires de mettre en place les plans communaux de sauvegarde. À l’exception de deux ou trois communes, l’ensemble des municipalités est pourvu de tels plans, notamment celles impactées par les sargasses. Selon les plans nationaux Sargasse 1 et 2, les maires ou les EPCI ont l’obligation de collecter les algues en 48 heures, durée au-delà de laquelle elles se décomposent et libèrent plus d’une trentaine de gaz, dont deux éminemment toxiques et corrosifs, l’hydrogène sulfuré et l’ammoniac.
Nous surveillons la qualité de l’air à travers les réseaux de l’association agréée de surveillance de la qualité de l'air en Guadeloupe, Gwad'air, qui a disposé des capteurs dans toutes les communes touchées par les sargasses. Lorsque les alizés sont faibles, nous constatons des pics de H2S ou de NH3 qui dépassent les seuils préconisés par l’Anses. Dans une telle situation, l’Aasqa alerte l’ARS, qui se rapproche alors du maire. Ce dernier a l’obligation d’activer son plan communal de sauvegarde et de trouver un hébergement temporaire aux riverains susceptibles d’être touchés par ces pics de pollution.
L’État élabore ces documents, en concertation avec les partenaires, dont les maires, qui jouent un rôle majeur à ce titre. La région Guadeloupe est également concertée et peut apporter des amendements.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Ces documents évoluent en fonction des ressources mises à la disposition des collectivités ou de l’État en vue de traiter les aléas. Nous sommes aussi dans une période de changement climatique qui contribue à la modification des aléas.
Vous dites que les plans de sauvegarde sont à peu près à jour, ce qu’il convient de saluer. Les PPRN sont des cartes qui permettent de prévoir, ou pas, des aménagements ou des constructions. En Guadeloupe, comme dans la plupart des territoires ultramarins, le foncier apparaît très contraint, par ailleurs occupé de longue date par des personnes qui n'ont pas toujours les moyens de trouver une solution alternative par rapport à un secteur qui se révélerait inconstructible.
Vos collègues n’ont pas pu venir et vous êtes un peu la dépositaire de la parole publique locale de l’ensemble des institutions de Guadeloupe. La pratique des collectivités locales conduit-elle à une forme de coordination et de coopération afin de gérer les effets de ces PPRN auprès des populations ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. L’application des PPRN revient aux maires. Bien souvent, le maire fait face à un électeur potentiel. Même s’il sait qu’une personne a construit sa maison dans une zone qui ne s’y prêtait pas, il est peu probable qu’il demande la destruction du bâtiment. Néanmoins, si les maires ne sont pas responsables de ce qui a été fait avant leur élection, ils sont responsables de l’application du PPRN.
La région Guadeloupe n’est pas dépositaire de ces documents d’urbanisme. Simplement, au travers du schéma d’aménagement régional, un document opposable, nous pouvons donner des indications d’aménagement du territoire, mais sans être à l’échelon communal. Au final, il revient au maire de prendre ses décisions face à son administré et à son électeur. Je vous garantis que l’exercice n’est pas toujours évident. Je peux citer l’exemple de la petite commune de Basse-Terre, dans sa partie sud. Un administré a quand même construit sa maison, malgré le veto du maire, sur des berges inondables. Lors des épisodes pluvieux ou des cyclones, la petite ravine se transforme en torrent. La personne a déclaré qu’elle n’avait pas pu dormir de la nuit, dans la crainte de voir son habitation entraînée par le torrent.
Les habitants n’ont pas conscience du PPRN aussi longtemps qu’ils n’ont pas de projet de construction. Quand ce projet se concrétise, la situation leur devient difficile. Nous dépendons d’un espace contraint, qui oblige parfois à réviser son projet de construction et à trouver un autre endroit.
Dans les territoires ultramarins, les terrains sont souvent donnés par filiation. Il apparaît très difficile de chercher un terrain ailleurs. Un vrai travail de pédagogie mérite d’être mené, avec l’association des maires, pour sensibiliser la population sur les zones à risque et les enjeux. Lorsque le maire émet un avis négatif, il doit l’accompagner d’une explication, visant à dire par exemple qu’on ne construit pas sur le versant d’une colline susceptible d’être touché par des phénomènes de lave ou de boue. L’explication ne doit pas être apportée de manière trop administrative, mais selon la culture locale. En Polynésie française, les chefs coutumiers interdisent certaines zones au nom de la biodiversité et leur parole est respectée. Leur interdiction répond à des enjeux de préservation de la ressource abiotique par exemple. En Guadeloupe, il serait opportun de mener une initiative avec les maires afin de mieux informer les citoyens.
C’est peut-être dans ce sens que la région pourrait intervenir, en apportant son aide à la formation d’abord des élus, pour leur éviter toute promesse électorale, ensuite de la population.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Disposez-vous d’un office foncier ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Nous avons un établissement public foncier, créer par la région Guadeloupe. Il nous permet de mieux aménager notre territoire. Vous l’avez dit, nous sommes dans un espace contraint, soumis à la pression immobilière. Une petite maison de trois pièces aux Saintes coûte 1,2 million d’euros, un niveau jamais vu. L’établissement public foncier appuie les collectivités, la région, le département, les communes, les EPCI pour encourager une meilleure répartition des constructions et tendre vers l’objectif de zéro artificialisation nette. Il peut s’agir de la réduction des dents creuses dans les communes ou de l’utilisation prioritaire de friches ou de zones dont la biodiversité est déjà dégradée. Ces démarches permettent de préserver les terrains vierges.
Mme Monique Apat. Il devient de plus en plus complexe d’aménager les territoires. Le contexte des aléas évolue. Même en tenant compte des PPRN, un Plu à un instant T exprime une réalité qui sera peut-être différente dans quelques années. C’est toute la difficulté. Lorsque nous prenons des décisions d’aménagement, elles s’entendent le plus souvent à long terme. Or, les aléas agissent selon des pas de temps différents. Il n’est pas toujours évident de prédire ce qui sera possible ou autorisé demain.
Je peux citer l’exemple de la gestion du trait de côte. Les premières cartographies en Guadeloupe ont été proposées en 2022. Avant cette date, le recul du trait de côte n’était pas intégré dans la réflexion des maires. Lorsqu’ils nourrissaient des projets de développement territorial, dès lors que la commune se situait sur le littoral, les zones aujourd’hui identifiées comme dangereuses, et donc non aménageables, pouvaient accueillir ce type de projet.
Les aléas évoluent dans le temps, parfois sur des périodes assez courtes. Cette réalité peut amener à remettre en question des projets d’aménagement, quand bien même, à un instant T, ils auraient été possibles.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Anticiper se révèle parfois difficile. C’est aussi découvrir les effets des aléas plutôt que les aléas eux-mêmes.
Les adaptations des bâtiments et équipements régionaux aux aléas climatiques représentent un vrai coût. Que pensez-vous de vos équipements ? Vous montrez-vous assez sereins ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Je prends l’exemple de Basse-Terre, le chef-lieu qui accueille la préfecture, l’hôtel de région et l’hôtel du département. Nous parlons d’un centre administratif important. Si vous quittez Basse-Terre en cas de séisme, seuls deux ponts respectent les normes, à la différence de tous les autres. Il s’agit du pont de la Rivière noire, du côté de Saint-Claude, et du pont des Marsouins, rénové récemment. Les autres ponts risquent de s’effondrer en cas de séisme. Les enjeux concernent donc la construction d’ouvrages d’art ou la mise aux normes sismiques de ceux qui existent déjà. Si le centre névralgique est coupé du reste du monde, un vrai problème se posera.
Le plan séisme Antilles donne la priorité à la mise aux normes sismiques et parasismiques des bâtiments publics et de sécurité. Typiquement, la préfecture n’était pas aux normes. Des travaux ont été lancés en ce sens. Les centres de sécurité, le Sdis, n’étaient pas non plus aux normes. Le PSA vise à corriger ces situations.
La région accompagne un certain nombre de communes pour les aider à mettre les écoles primaires aux normes. Nous terminons un important chantier, ayant consisté à la mise aux normes du complexe Baimbridge Chevalier de Saint-Georges.
Mme Monique Apat. La partie Lycée Baimbridge a représenté un coût de 103 millions d’euros. Le chantier relatif à Chevalier de Saint-Georges, qui doit bientôt commencer, coûtera environ 80 millions d’euros. Ce sont des chantiers très importants.
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. La région Guadeloupe prend sa part, par le fléchage des fonds Barnier et Feder. Le complément est apporté par l’institution régionale.
Nous avons contribué à la rénovation des mairies qui n’étaient pas aux normes et qui constituent aussi un centre névralgique.
La région agit selon sa compétence. Notre président étend cette compétence dès lors qu’une commune est en difficulté, même si la chambre régionale des comptes nous rappelle à l’ordre. Il nous semble quand même préférable qu’une commune soit opérationnelle.
Dans les îles du sud, nous avons déployé des téléphones satellitaires, qui peuvent se révéler très utiles en période de cyclone, lorsque les réseaux souffrent de ruptures. Ces téléphones permettent de maintenir le contact avec les maires et de prendre connaissance de leurs difficultés.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous avons reçu de nombreux opérateurs de réseaux, qui nous ont expliqué de quelle manière ils pouvaient intervenir rapidement en cas d’aléa et garantir la résilience des territoires.
Pour avoir été membre de la commission d’enquête sur l’eau en Guadeloupe il y a quelques années, je sais que le sujet est majeur. Le SMGEAG a été reconstitué. Le réseau d’eau n’est pas en très bon état et nous pouvons douter de son opérationnalité en cas de risque sismique majeur.
Quel est votre regard sur cette situation ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Nous vivons aujourd’hui une crise de l’eau et de l’assainissement sans précédent. Avant la création du SMGEAG, nous avons investi 73 millions d’euros et le plan d’action d’urgence a permis de renouveler des canalisations âgées de 70 ans près du lycée agricole, à Baie-Mahault.
Le SMGEAG a été créé à la date du 1er septembre 2021. Depuis, un plan pluriannuel d’investissement, à hauteur de 300 millions d’euros, a été porté conjointement par le SMGEAG, l’État, la région et le département. Je rappelle que la région et le département ne sont pas compétents en matière d’eau et d’assainissement. En moyenne, nos enfants perdent un mois et demi d’école en raison du manque d’eau, qui ne permet pas le respect des conditions sanitaires.
Là encore, la région Guadeloupe s’est montrée très volontaire en portant le plan d’action prioritaire de 2018 à 2021, aux côtés du SMGEAG, en tant qu’administrateur, mais aussi en tant que soutien financier. Le SMGEAG a dû souscrire un emprunt de 50 millions d’euros, emprunt pour lequel la région et le département se sont portés caution à parts égales.
En cas de risque sismique, et j’espère que nous n’en rencontrerons pas ces cinq prochaines années, nos réseaux vieillissants sont susceptibles de subir de sévères dégâts. En 2022, la tempête Fiona a endommagé le feeder, cette conduite qui part du château d’eau de Capesterre, qui dessert Capesterre, les Saintes, qui remonte vers Goyave, Petit Bourg, qui alimente Baie-Mahault, Point-à-Pitre et qui continue vers le Gosier, Sainte‑Anne, Saint‑François et la Désirade. Nous avons bien caractérisé les enjeux liés au feeder, nous avons modélisé son fonctionnement en situation dégradée. Il nous reste à lancer des travaux corolaires pour donner naissance à des solutions alternatives, comme une usine de production d’eau ou des zones de stockage tampon.
Désormais, la mission consiste à réparer les fuites du réseau d’eau, qui amoindrissent la pression dans les tuyaux.
Hier, j’ai suivi l’actualité autour du séisme qui s’abat sur Taïwan et, même avec la meilleure canalisation du monde, nous ne pourrions pas y résister. Il faut quand même faire face.
Lors de la tempête Fiona, nous avons pu déployer des solutions alternatives. La région a développé un programme de financement des citernes d’eau de pluie, sous conditions de ressources. Un nombre croissant de foyers est équipé de telles citernes.
Dans les écoles et les établissements publics, à l’instar du CHBT, l’hôpital de Basse-Terre, nous avons mis en place avec nos partenaires des citernes d’eau potable, ce qui permet de profiter d’une réserve avant que la réalimentation soit effective. Dans les écoles, nous avons lancé une série de constructions de citernes d’eau potable, sous contrôle de l’ARS, pour pallier tous les manques d’eau.
Je ne dirais pas que nous pourrions survivre à une crise, mais une prise de conscience est en train de naître au regard de la crise de l’eau en Guadeloupe.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je mesure bien l’effort consenti par rapport à la situation qui prévalait il y a quelques années. Une prise de confiance et un effort considérable ont été opérés à travers la création du SMGEAG.
Vous dites espérer qu’aucun aléa de cette nature n’impactera la Guadeloupe. C’est un peu le principe de l’assurance. Nous souscrivons des assurances parce que nous ne savons jamais si les aléas surviendront ou pas.
Les territoires ultramarins laissent voir un déficit assurantiel, notamment chez les particuliers. Je pense aussi aux unités économiques et aux bâtiments publics.
En tant qu’acteur public, quelle est votre réflexion ? Le défaut d’assurance ne permet pas de financement Catnat et ne facilite pas l’accès au fonds Barnier. Les fonds de solidarité outre-mer ne sont pas très simples à manier. Quel regard portez-vous ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Le réchauffement climatique promet des temps très durs. Il nous faut faire preuve d’anticipation et de prospective.
S’agissant de l’aspect assurantiel, un travail important est mené. Nous comptons de très nombreux habitats informels, placés sur les zones littorales. Les assurances refusent de couvrir ces maisons si vous n’êtes pas titulaire d’un permis de construire ou lorsque vous résidez dans des zones à risque. Nous cherchons à régulariser ce qui peut l’être et à proposer, avec les maires, des solutions aux familles qui se retrouvent en difficulté. Je cite le cas de la ville de Petit-Bourg. La situation n’y est pas simple. En raison de l’érosion du littoral et du retrait du trait de côte, des maisons qui étaient bien en arrière des falaises sont aujourd’hui à leur bord. Une habitation est même à demi inclinée sur la falaise. Malgré cette réalité, il a fallu la patience du maire de Petit-Bourg et plus d’une dizaine d’années pour encourager les habitants à quitter cette maison.
Une action commune mérite probablement d’être menée avec les compagnies d’assurance envers les populations confrontées à ces situations. Il convient aussi de sensibiliser les habitants à l’importance de souscrire une assurance. La tâche n’est pas évidente, dès lors que leur niveau de vie est inférieur à celui constaté en métropole. Lorsqu’ils réussissent à construire une maison, l’assurance est un peu considérée comme la cerise sur le gâteau qu’ils ne peuvent pas se permettre.
Parfois, les compagnies d’assurance ne jouent pas le jeu. Je prends l’exemple des algues sargasses. Le Président de la République est venu en 2017 et a déclaré que le monde assurantiel devait prendre en charge les dégradations liées aux émanations des sargasses. Comme je l’ai indiqué, l’hydrogène sulfuré et l’ammoniac sont très corrosifs. Il faut vivre dans ces maisons pour comprendre la difficulté. La robinetterie est noircie et les fils électriques se retrouvent corrodés, ce qui oblige à changer de réfrigérateur tous les deux ans, de télévision tous les ans. Il faut même remplacer les tôles de votre maison tous les deux ou trois ans. Ces maisons sont assurées, mais les assureurs refusent de prendre en compte ces dégâts liés aux algues, au réchauffement climatique et à l’anthropisation des milieux.
L’un des rôles de la commission peut être d’installer un dialogue avec ces compagnies d’assurance pour leur expliquer que ces zones subissent le même phénomène depuis treize ans, qui ne diminuera pas. Il est vrai que les sargasses ne sont pas considérées comme une catastrophe naturelle puisque leur apparition est récurrente. Nous pouvons même prédire leurs périodes d’échouage.
Finalement, le réchauffement climatique ne nous interroge-t-il pas sur les innovations administratives à lancer pour faire face à ces situations inédites et répondre aux citoyens ? C’est toute la question.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suis bien d’accord. Je dirais même que la pluie n’est pas une catastrophe naturelle puisqu’il pleut tout le temps. Les effets de la pluie le sont. La même réflexion vaut pour les sargasses. Nous devrions nous poser ce genre de question pour mieux sensibiliser les assurances ou provoquer le versement de fonds d’État.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Je préside le comité national du trait de côte et nous assistions à notre réunion plénière ce matin, à laquelle participaient les sept porteurs de projet partenarial d’aménagement. Vous évoquiez la difficulté d’aménager le territoire face à l’érosion côtière, en rappelant que nous ne parlons pas d’un risque naturel majeur. Le financement est en cours de réflexion et nous espérons y apporter une réponse d’ici la fin de l’année.
Je vous invite, si vous n’en avez pas encore eu connaissance, à lire le rapport final des assureurs qui a pour titre : « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques ». Il évoque notamment les territoires ultramarins face aux risques cycloniques.
Ce soir, le ministre Béchu, avec qui je travaille dans le cadre du Comité national du trait de côte et l’érosion côtière, annoncera la publication dès demain du rapport du Cerema sur le phénomène d’érosion côtière, à la fois dans l'hexagone et dans les territoires ultramarins, dont la Guadeloupe. Vous parliez tout à l'heure de cartes datant de 2022. Vous profiterez dès demain matin des cartes mises à jour qui vous seront d’un grand secours par rapport à la mise en place de stratégies d’adaptation de votre territoire.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous recevons le ministre Béchu à 17 heures et nous pourrons lui poser directement nos questions.
Peut-être souhaitez-vous conclure sur un point particulier ?
Mme Sylvie Gustave Dit Duflo. Lors d’un groupe de travail consacré à l’outre-mer au comité national de l’eau, il a été souhaité que le fonds Barnier soit élargi à la compétence Gemapi, confiée aux EPCI en 2018. Dans notre territoire, à l’exception de l’EPCI Cap Excellence, qui a produit un Papi, les EPCI peinent à se saisir de cette compétence. Elle impose en effet de réaliser un diagnostic, qui permet ensuite d’élaborer un plan d’action et de prévention des inondations et donc de lever les fonds afin de lancer les travaux. Nous aimerions que le fonds Barnier puisse être élargi et intègre un volet Gemapi pour se consacrer aux ouvrages à mettre en œuvre.
Je reviens au volet assurantiel, qui apparaît très important pour les zones impactées par les sargasses. Les zones en question accusent une chute immobilière importante, puisque plus personne ne souhaite habiter dans ces maisons. Certains habitants se retrouvent en difficulté financière, du fait de devoir changer de réfrigérateur tous les deux ans. Au regard de cette situation, le volet assurantiel mérite d’être revu et travaillé puisque nous ne voyons pas la fin de ce phénomène.
Enfin, je suis convaincue que rien ne remplace une expérience immersive, s’agissant par exemple du risque sismique ou tsunamique. Les gens se voient confier un scénario, ils jouent et ils apprennent. Vous seriez étonnés de constater les retours d’expérience que nous enregistrons grâce à ces exercices. Ils permettent par exemple de constituer une trousse de secours en cas de panique. Un agent m’a dit qu’en cas de séisme ou de tsunami, il ajouterait une bouée à ses équipements. Nous devons donc multiplier ces expériences immersives.
En plus de ses efforts en termes de prévention et de construction, la région Guadeloupe amplifiera ce volet immersif à destination des scolaires et du grand public.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Je vous remercie beaucoup pour cette audition riche et éclairante.
45. Audition, ouverte à la presse, de M. Joseph Hajjar, directeur de programme climat, Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) (4 avril 2024)
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en auditionnant M. Joseph Hajjar, directeur du programme climat au sein du Secrétariat général à la planification écologique.
La singularité du SGPE par rapport aux différentes directions d'administration centrale que nous avons déjà auditionnées réside dans son positionnement interministériel et surtout auprès du Premier ministre.
Je vous remercie de nous présenter rapidement le SGPE, Monsieur Hajjar, ainsi que les ressources consacrées à l'impact du réchauffement climatique sur les risques naturels majeurs, et plus spécifiquement à ceux très nombreux affectant nos territoires ultramarins.
Cette audition, je le précise, est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et l'enregistrement sera ensuite disponible à la demande.
Je vous laisserai prendre la parole dans quelques instants pour une courte intervention liminaire afin que nous poursuivions nos échanges sous forme de questions-réponses.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Monsieur Ajar, je vous invite à lever la main droite et à nous dire : « Je le jure ». Je vous remercie et nous vous laissons la parole.
M. Joseph Hajjar prête serment.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Je vous remercie et vous laisse donc la parole.
M. Joseph Hajjar, directeur du programme climat au sein du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Mesdames et Messieurs les députés, bonjour à tous. Je suis le directeur du programme énergie et climat au SGPE, qui a été créé il y a un an et demi pour servir de cheville ouvrière à la planification écologique, désormais confiée au Premier ministre, avec l'idée de mettre en cohérence les politiques publiques environnementales sur nos cinq grands enjeux que sont l'atténuation, l'adaptation, dont il sera particulièrement question aujourd'hui, la protection de la biodiversité, la protection des ressources naturelles et les enjeux liés à la santé et à l'environnement.
Le SGPE se place en chapeau et en coordination des travaux interministériels pour créer un cadre collectif. Les enjeux d'interface sont bien sûr importants entre les différents ministères. Les différentes stratégies sectorielles qui préexistaient avant la création du SGPE, je cite par exemple le PNACC sur les enjeux d'adaptation, doivent être désormais endossées par l'ensemble du collectif ministériel et pas seulement par le ministère qui porte cette politique. C'est à cela que nous nous attelons.
Au SGPE, nous avons mené un travail essentiellement concentré sur les enjeux d'atténuation, d'eau et de biodiversité lors de la première année. Ils ont donné lieu à un certain nombre de publications, notamment l'été dernier, et ouvrent la voie aux publications des stratégies sectorielles sur la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) s’agissant des enjeux d'atténuation ou sur la Stratégie nationale biodiversité (SNB) pour ce qui concerne les enjeux de biodiversité.
Les sujets d'adaptation ont été entamés au SGPE en septembre dernier. Nous avons pris en route les travaux ministériels initiés de longue date en vue du PNACC‑3. Des groupes de travail avaient déjà été organisés avec les parties prenantes.
Nous arrivons à ce moment où il faut cristalliser ces travaux et les confronter en interministériel afin qu'ils soient bien endossés. Nous restons attentifs à ce que nous appelons les conditions de bouclage afin de s’assurer de la disponibilité des financements face à nos objectifs et trajectoires. Il doit y avoir une attention portée à la territorialisation des stratégies et des objectifs ainsi qu’aux enjeux d’emplois et de compétences associés.
Dans le cadre de ces travaux, nous serons plutôt concernées par l’aspect climatique des risques naturels par rapport aux autres enjeux, plus éloignés de nos bases.
Historiquement, les enjeux d’adaptation et de gestion des risques naturels étaient un peu dissociés. On avait tendance à considérer que la gestion des risques répondait à une politique très régalienne et immédiate. Aujourd’hui, nous nous projetons à plus long terme, selon des attendus plus scientifiques.
Nous sommes rattrapés par l’actualité et par la connexité entre ces différents enjeux. Je pense que le PNACC‑3 établira un lien plus fort entre ce que nous devons faire aujourd’hui pour répondre à des impacts qui se matérialisent déjà et au sujet desquels nous avons parfois accumulé un certain retard, et la préparation de l’avenir. Le souhait est de nous assurer que ce qui est attendu ces prochaines années soit conforme à la trajectoire de réchauffement que nous anticipons. Il s’agit de capter les flux en veillant qu’ils soient bien adaptés, mais aussi de se projeter à plus long terme dans un monde très incertain. C’est ici un sujet d’étude, qui revêt également une dimension majeure.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer. Quelles méthodes employez‑vous pour assurer une actualisation permanente ? Comment intégrez-vous le travail des collectivités locales, qui sont souvent à la manœuvre dans les territoires ?
M. Joseph Hajjar. S’agissant de l’atténuation, nous suivons des objectifs chiffrés de réduction des émissions. Il est facile d’installer une cible, de la découper en briques pour chacun des secteurs, puis en sous-briques pour chacun des leviers et des secteurs. Nous proposons ensuite les mesures de politique publique.
Les enjeux d’adaptation comme de biodiversité forment une matière plus diffuse et les enjeux territoriaux apparaissent beaucoup plus forts. Nous assistons donc à une forme de différenciation des enjeux à l’échelle territoriale. Le sujet ne peut pas être attrapé par un seul bout et nous sommes obligés de combiner plusieurs approches.
Je cite d’abord l’approche des risques. Nous pouvons prendre les risques les uns après les autres et vérifier où nous en sommes. Des travaux ont déjà été lancés, notamment sur le trait de côte, qui a fait l’objet d’un comité national et un décret qui liste un certain nombre de communes. Le travail de la mission menée sur les assurances vient de rendre ses conclusions. Nous trouvons divers sujets sectoriels.
J’ai commencé à évoquer l’approche selon les temporalités. La gestion des crises se matérialise aujourd’hui, nécessitant d’adapter les investissements en flux, en nous assurant de ne pas nous tromper ces prochaines années. Nous devons également préparer l’avenir en l’étudiant et embarquer les acteurs concernés.
L’État mettra en place un certain nombre d’actions, de normes et de financements, mais il nous faut savoir de quelle manière les acteurs s’approprient ces enjeux et dessinent leur propre stratégie d’adaptation à leur échelle. Cela vaut pour les collectivités et les entreprises.
Nous sommes obligés de jouer sur ces différents niveaux afin de mieux capter les sujets d’adaptation. La démarche de territorialisation a été engagée l’année dernière au travers des Cop territoriales. Trois ont été initiées pour les outre-mer. L’objectif est de confronter les trajectoires nationales aux trajectoires régionales et, surtout, d’engager une réflexion sur les actions à mettre en place, sans rester sur la seule logique d’objectifs et de trajectoires. Il est vrai que les sujets d’adaptation ne figuraient pas au menu, à titre principal, des Cop lancées l’année dernière, dans le sens où la stratégie nationale n’était pas prête. Il était plus facile de travailler sur la base d’une stratégie d’atténuation, conçue pour l’horizon 2030.
Le même constat vaut pour la biodiversité et le plan eau. Nous étions en attente d’avoir finalisé les travaux nationaux avant d’engager ces travaux dans le périmètre des Cop, à l’exception des outre-mer. Conformément à la demande du Ciom et des collectivités elles‑mêmes, les enjeux d’adaptation ont été placés un peu plus haut à l’agenda des premières Cop. La difficulté est que nous sommes moins en capacité de fournir un cadrage national précis, comme nous avons pu le faire pour les autres enjeux. Il y a donc cette dimension un peu exploratoire.
Il faut aussi considérer que les copies qui seront rendues à l’issue des Cop intégreront des notions de trajectoires et d’objectifs et dévoileront quelques premières actions, mais ce ne sera pas la fin de l’histoire. Il existe cet aspect itératif entre la vision territoriale et la vision nationale, selon un enjeu de pilotage très fort, encore plus fort sur les enjeux d’adaptation compte tenu des incertitudes que j’évoquais. Nous devons nous adapter de façon souple en fonction des actions menées, du retour d’expérience, des études qui apporteront progressivement une source de connaissances et des orientations sur les choix opérés. Ce sont des enjeux de pilotage très forts et une articulation entre l’État et les collectivités territoriales, peut-être encore plus forte que pour les autres dimensions de la planification écologique.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Combien de personnes sont impliquées dans ces travaux ?
M. Joseph Hajjar. J’évoquais ici la démarche d’adaptation en général et pas le travail du SGPE. Au SGPE, nous étions quinze personnes à temps plein lors de la première année. Aujourd’hui, nous sommes une petite trentaine de permanents. L’équipe apparaît assez resserrée, avec cette idée de coordination et cette volonté d’éviter les doublons par rapport aux travaux menés dans les ministères et par les directions d’administration centrale.
Je suis personnellement les sujets d’adaptation de façon transversale. Le but du PNACC est d’éviter une politique en silo. Elle doit surtout imprégner les politiques publiques et même l’action des collectivités et des entreprises privées, avec des filières économiques au sens large.
Mes collègues en charge de la biodiversité, de l’agriculture ou des bâtiments intègrent progressivement cette dimension dans leurs travaux quotidiens. L’administration et les acteurs nationaux doivent adopter la même démarche. C’est de cette manière que nous envisageons le PNACC‑3.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Vous avez parlé des acteurs économiques. Dans les outre-mer, nous constatons une granularité très fine. Comment assumez-vous ce besoin de granularité ?
M. Joseph Hajjar. Ce besoin apparaît pour les enjeux d’adaptation. Nous avons parlé des collectivités, mais c’est également vrai pour les acteurs économiques. L’État ne pourra pas dire à chaque acteur ce qu’il est supposé faire. Le rôle de l’État est de mettre des données à disposition afin d’être en mesure d’anticiper les impacts et les comprendre. Depuis le PNACC‑2, tout un travail a été accompli sur les services climatiques. Un simple code postal permet de prendre connaissance des impacts climatiques à attendre en 2030, 2050 et même encore plus tard. La trajectoire de référence de réchauffement a été annoncée par le ministre Béchu et forme aujourd’hui un cadre pour le travail d’adaptation.
Dans les outre-mer, les données n’existent pas à un niveau aussi fin que pour l’Hexagone. Un travail est en cours avec Météo‑France pour constituer ces données. Nous nous appuyons sur les données du GIEC, mais selon des mailles territoriales qui ne permettent de capter que les territoires et un grand bout d’océan autour, ce qui ne s’avère pas très satisfaisant. Le sujet est connu et évoluera.
Il convient donc de mettre à disposition des données, des ressources méthodologiques, des instruments financiers comme le fonds vert ou le fonds Barnier. Il faut aussi proposer un cadre pour que les acteurs puissent s’approprier ces sujets et anticiper les éventuelles futures normes.
S’agissant des collectivités, je cite la stratégie de planification locale. En ce qui concerne les acteurs économiques, il existe un certain nombre de précédents, notamment relatifs à l’atténuation. Certaines entreprises doivent réaliser des bilans d’émission de gaz à effet de serre. Un travail a porté sur les filières économiques, toujours dans le cadre de l’atténuation. Il ressort que l’essentiel des filières économiques a produit des plans d’action visant à traduire les objectifs de l’État en matière de réduction d’émission. La démarche leur permet de connaître leurs propres trajectoires et actions et ce qu’elles attendent en contrepartie de l’État.
La mission se construit sur deux niveaux. Le premier s’entend avec les filières économiques afin qu’elles puissent identifier les impacts physiques immédiats et indirects liés aux chaînes de valeur mondiales, appelées à être désorganisées. Le second s’attache aux entreprises considérées individuellement. Il s’agit avant tout d’un sujet d’accompagnement, peut-être réglementaire, mais les discussions se poursuivent pour savoir à quel point on demande à certaines entreprises d’établir des plans d’adaptation. C’est le cas pour le volet de la réduction des émissions. Ces deux niveaux permettront d’embarquer les filières économiques dans ces démarches.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous constatons, dans les territoires ultramarins, un déficit assurantiel conséquent. La mobilisation du régime Cat nat et des fonds de secours pour l’outre-mer apparaît en conséquence compliquée. Nous ne sommes pas sur la même échelle de prise en compte des aléas.
Comment favoriser le recours à l’assurance de façon plus systématique ?
M. Joseph Hajjar. Je n'aurais peut-être pas de réponse très détaillée dans le cas des outre-mer, mais le sujet assurantiel a été pris en compte il y a un certain temps, notamment au moment du lancement de cette mission. Je crois même qu'elle a été lancée par le ministre Le Maire lors de son déplacement dans les outre-mer.
L'enjeu de cette mission était de constater que le régime Cat nat, dans une situation tendancielle, se retrouvait en déséquilibre, nécessitant de sécuriser des ressources supplémentaires et de travailler davantage sur la prévention pour éviter d'être toujours à courir derrière la prise en charge. Il s’agit aussi de constater qu’il existe un risque à terme de moins bonne couverture de certains territoires face aux risques de crise qui se multiplient.
Le rapport a été publié récemment, et l'État doit se positionner sur les différentes recommandations. Les objectifs poursuivis sont bien ceux-là. Comment garantir l'équilibre dans la durée de ce régime Cat nat ? Il y a un enjeu de surprime, mais qui ne fera pas tout. Comment maximiser les actions de prévention qui sont généralement rentables ? Nous le voyons à travers le fonds Barnier, même si cela concerne moins l’outre-mer. Le retrait gonflement des argiles peut faire l’objet d’actions de prévention rentables si elles sont bien ciblées.
Comment inciter davantage à la prévention et comment s’assurer de l’absence de zones blanches, de zones non assurées face aux aléas climatiques qui vont augmenter ?
Le non-recours à l’assurance constitue un sujet important. Nous passons à côté du régime Cat nat et du filet de sécurité. Je n’ai pas de réponse précise à vous donner.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. En réalité, les zones blanches existent. Dans les faits, certaines personnes ne s’assurent pas et les assureurs refusent de couvrir certaines zones. La réponse s’entend à ces deux niveaux.
Ces territoires ne sont pas peuplés d’hier, même si leur population a notablement évolué. Ils ne subissent pas les ouragans et les séismes pour la première fois. Dans les trajectoires que vous définissez, dans l’adaptation des politiques publiques au réchauffement climatique, s’agissant en particulier des normes de construction, intégrez-vous les techniques qui ont fait leurs preuves, pour ne pas les appeler traditionnelles ?
M. Joseph Hajjar. À nouveau se pose le sujet des discussions par secteur. S’agissant des bâtiments, nous trouvons le parc neuf, soumis à un cadre réglementaire assez favorable, sur lequel il est possible de capitaliser pour renforcer l’ambition. Les questions de confort d’été ont été intégrées à la RE2020, après la canicule de 2003, susceptible de devenir standard au regard du climat qui change. Peut-être faudra-t-il mettre à jour les référentiels, mais nous disposons d’un socle réglementaire sur lequel capitaliser. Le retrait gonflement des argiles a aussi fait l’objet de dispositions à la suite de la loi Elan.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. La RE2020 ne s’applique pas à l’outre-mer.
M. Joseph Hajjar. Non, l’outre-mer dépend d’une déclinaison spécifique, mais selon un cadre similaire sur lequel il s’avère possible de capitaliser pour, progressivement, diffuser ce qui doit relever de la norme. Il nous faut ensuite savoir à quel niveau nous calons les différents paramètres. Ces sujets n’ont pas encore reçu toutes les réponses. Le retour d’expérience et les études permettront d’alimenter les travaux.
Je vous parlais du parc neuf. En ce qui concerne le parc existant, il faut soulever la question de la rénovation. Des politiques sont en place et des aides peuvent être débloquées pour faciliter les travaux d’efficacité énergétique ou de lutte contre l’habitat indigne. Capter les flux doit permettre d’intervenir pour lancer des rénovations énergétiques, en s’assurant que la thématique d’adaptation a été correctement prise en compte. Le confort d’été constituera la première brique, parce que nous la maîtrisons bien aujourd’hui. Demain, ce sont les autres briques, comme celles que vous citiez sur un certain nombre de normes.
La construction se fera pas à pas.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Quelle sera la procédure ? Je reviens à mon histoire de techniques traditionnelles, y compris celles qui ne sont pas propres au bâtiment. Je pense par exemple à la reconstitution des mangroves.
M. Joseph Hajjar. Il existe une dimension de normes, qui forment les standards minimaux. Vient ensuite la dimension de l’état de l’art, du guide, de partage entre les parties prenantes dans chaque territoire. Je pense que ces deux dimensions coexisteront. Le PNACC prévoit d’ailleurs une série d’études scientifiques et d’actions locales, dont une partie dédiée à l’outre-mer, pour capitaliser sur ces techniques et les reprendre dans les guides.
Les enjeux d’aménagement au sens plus large apparaissent essentiels. La question ne s’envisage pas sous le seul prisme du bâtiment. Les questions d’adaptation sont, en grande partie, liées à l’aménagement. Comment prendre en compte les solutions fondées sur la nature pour trouver des cobénéfices entre biodiversité et adaptation ? Il ne s’agit pas de reconstruire des choses à l’identique à la suite de sinistres, puisque nous savons que ces sinistres vont se multiplier. Il peut y avoir des recommandations, des bonnes pratiques, un cadre, mais les réflexions se mènent surtout à l’échelle locale.
L’État peut mettre à disposition les sources de connaissances et l’ingénierie. Le PNACC laisse d’ailleurs voir une offre d’ingénierie et d’accompagnement financier auprès des établissements publics et des opérateurs de l’État. Cette offre n’est pas complètement lisible, du fait de sa diversité. Nous devons rationaliser tous ces éléments et envisager une forme de guichet unique pour les collectivités, qui pourraient ainsi accéder au menu des outils disponibles en termes de ressources techniques, d’ingénierie et de financements.
Chaque situation locale apparaît un peu particulière, justifiant d’y apporter une réponse sur mesure, ce qui n’est pas envisageable dans un plan issu directement de l’État.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Nous prenons évidemment en compte la trajectoire climatique, mais il faut aussi mentionner la trajectoire démographique pour mieux comprendre quelle pourrait être la résilience des territoires au regard des aléas qu’ils subissent. Une partie de cette démographie est connue et bien connue et semble facilement gérable. Une autre apparaît plus complexe, celle des personnes en situation d’extrême fragilité et des personnes en situation irrégulière, avec, comme corollaire, l’existence d’un habitat informel, pour ne pas parler de bidonvilles.
Comment accompagnez-vous les politiques publiques en la matière ?
M. Joseph Hajjar. Une nouvelle fois, je ne vais peut-être apporter une réponse très concrète. En tout cas, l’adaptation et les politiques environnementales font l’objet d’un enjeu fort de transition juste. Ces transitions ne doivent pas se faire au détriment des personnes, voire des entreprises, les plus vulnérables. C’est vrai pour l’atténuation à travers des dispositifs d’accompagnement ciblé, notamment en faveur des ménages les plus modestes. Cela doit être aussi le cas pour l’adaptation, qui doit d’abord se préoccuper des publics les plus fragiles. Le PNACC traduira ces réalités par des actions ciblées vers ces personnes, les hébergements d’urgence, les prisons, les personnes vulnérables touchées par la canicule, etc.
Les Cop n’ont pas retenu cette dimension, du fait de ne pas avoir de socle national. Pour l’atténuation, sur la base des grandes trajectoires et des grands leviers, nous avons pu définir une série d’actions au niveau des collectivités locales pour les inciter à réagir à ces démarches et nous dire où elles se placent. Les trouvent-elles pertinentes ? Quels sont les freins constatés ? Demain, nous devrons agir de la même manière au sujet de l’adaptation.
Procéder à une forme de recensement des personnes vulnérables, des situations particulières à traiter en priorité, des besoins exprimés pourra nourrir l’une de nos discussions dans le cadre des Cop, qui déclineraient le PNACC de façon plus régionale. Une telle démarche est encore devant nous.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. De la même façon, nous pouvons suivre une trajectoire sur la gestion des déchets, y compris en prenant en compte l’aléa climatique, mais il y a une différence entre les déchets courants et les déchets industriels, polluants à moyen ou long terme.
La planification est une trajectoire. L’aléa, comme son nom l’indique, vient perturber cette trajectoire. À ce titre, déclinez-vous des scénarios ? Avez-vous réfléchi à des dispositifs précis ? Envisagez-vous la mise en place de routines autour de ces aléas susceptibles de casser les trajectoires ?
M. Joseph Hajjar. Nous restons à une maille macro si nous voulons proposer des orientations cohérentes avec nos objectifs. L’enjeu de territorialisation et d’appropriation par les filières économiques se veut essentiel pour permettre ce niveau de détail. Ces différentes stratégies environnementales et le PNACC ne doivent pas vivre en silo dans la poursuite de leurs objectifs propres. Il faut les intégrer à l’ensemble des politiques publiques.
Pour les territoires, la démarche se traduit par la prise en compte de ces enjeux dans les documents locaux de planification. Les collectivités sont-elles suffisamment outillées ? Le sujet est-il suffisamment connu ? Les bureaux d’études sont-ils suffisamment compétents ? Il nous faut progresser sur ces questions. Ces efforts permettront d’atteindre la déclinaison fine que vous évoquez, adaptée à chaque territoire et aux chocs qui peuvent compliquer l’atteinte des objectifs. Nous ne sommes pas capables d’anticiper ces situations à l’échelle nationale.
La solution repose sur le travail des Cop et le suivi des actions, dont certaines ont une résonance locale, à l’instar du fonds vert dédié aux projets de recherche fondés sur la nature. Il sera ainsi possible d’affiner la vision entre les grands objectifs nationaux et la réalité du terrain.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Je me réjouis de la prise en compte des stratégies d'adaptation. Nous avions reçu en commission de développement durable Antoine Pellion à deux reprises et mon intervention à chaque fois portait sur cette adaptation manquante. Nous étions toujours sur les stratégies d'atténuation, nous y avons beaucoup travaillé et c'est enfin pris en compte. Nous accusons beaucoup de retard, mais nous le rattraperons, je n'en doute pas un instant.
Vous citiez tout à l'heure le comité national du trait de côte. Nous étions en plénière ce matin avec les sept porteurs de plans partenariaux d'aménagement. Les échanges ont été intéressants. Quand vous parlez des territoires, je peux vous assurer que ce qui remonte des territoires est extrêmement inspirant et que ces travaux seront utilisés dans le cadre du PNACC‑3, que nous sommes impatients de découvrir.
Sincèrement, tous ces travaux sont majeurs. Ayons à l’esprit l'importance, et je le dis même par rapport aux outre-mer, puisque c'est notre sujet principal, de la relation de proximité avec les territoires par rapport à l'adaptation. Nous avons écouté la vice-présidente du conseil régional précédemment, dont l’intervention était très forte et très importante par rapport à ces sujets, avec cet « effet cocktail » de différents risques, avec ces petits territoires où l'adaptation est extrêmement difficile. Nous devons agir rapidement. L'urgence d’adaptation est là, simplement pour protéger les populations.
Nous interrogerons plus tard le ministre Béchu peut-être sur le PNACC‑3.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je n’ai plus de question. Transmettez-nous vos documents, ainsi que vos comptes rendus de travail, qui peuvent illustrer votre méthode et votre fonctionnement pour associer les différents acteurs.
Nos préconisations intégreront des éléments sans doute très précis sur telle ou telle mesure. C’est aussi le fait de mettre en valeur, de compléter ou de corriger une façon de faire. Nous avons reçu la vice-présidente du conseil de Guadeloupe, dont le territoire dispose de nombreux documents à jour, qu’il s’agisse des plans Orsec, des PPRN ou des plans communaux de sauvegarde. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas partout. La question vise à connaître votre rôle dans l’accompagnement de cet effort d’actualisation. En la matière, encore une fois, tout ce qui peut illustrer ces situations nous serait très utile.
M. Joseph Hajjar. Je l’ai bien noté. Nous n’avons pas encore produit de documents publics relatifs à l’adaptation, puisque tout est lié au PNACC. Les travaux interministériels se poursuivent. Sur le sujet de l’atténuation, dès lors que nous avons pu cranter les grandes trajectoires et entrer dans le détail des focus de certains secteurs, nous disposons d’une matière plus riche, partagée avec les différentes parties prenantes. Nous agirons de la même sorte pour l’adaptation. Nous ne sommes qu’au début de l’histoire.
Ces documents, tout comme les planifications locales, servent de socle à un futur pilotage de la trajectoire, qui va se heurter aux réalités du terrain. Les Cop laissent voir un cadrage un peu national, mais à la main du préfet de région et des collectivités. C’est aussi une dimension politique qui engage l’action, en dehors des trajectoires et des objectifs.
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Nous vous remercions et nous pouvons conclure cette audition, en exprimant notre impatience de découvrir le PNACC-3.
46. Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires (4 avril 2024)
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Nous avons le plaisir de recevoir M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. La gestion des risques naturels majeurs outre-mer concerne plusieurs ministères dont le vôtre, monsieur le ministre, et c’est de leur synergie que découlent les politiques publiques d’anticipation, de gestion de crise et de réparation dont vous nous parlerez. Á l’évidence, le réchauffement climatique peut aggraver l’intensité, voire la conjonction des phénomènes naturels et entraîner des dégâts considérables.
Cette audition est transmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Avant de vous céder la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christophe Béchu prête serment.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Je me félicite de l’occasion qui m’est donnée de répondre, en toute transparence, aux questions de votre commission d’enquête. Outre cela, je tirerai de vos travaux les enseignements utiles pour continuer d’améliorer l’efficacité des politiques publiques menées dans les outre-mer par mon ministère, souvent dans un contexte interministériel, y compris sur ces sujets.
Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires est chargé de la prévention des risques que nous avons mission de cerner et de quantifier pour mener des politiques de prévention adaptées, alors que le réchauffement climatique aggrave la fréquence et l’intensité de certains phénomènes naturels dangereux. Nous agissons à la fois quotidiennement et sur le long terme pour assurer à la France une résilience face aux risques, limiter l’impact de la dégradation de notre environnement sur notre santé et éviter le gaspillage.
J’ai précisé en octobre dernier que nous devions nous adapter à la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique reposant sur le scénario tendanciel du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui anticipe une augmentation de 4 degrés Celsius en France métropolitaine en 2100. Sur cette base, nous sommes en train de bâtir le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC‑3) ; il sera soumis à la consultation du public dans les prochaines semaines. Ce plan comprendra bien sûr un important volet relatif à la prévention des risques naturels majeurs sur l’ensemble du territoire. Une attention particulière sera portée à la bonne prise en compte des territoires ultramarins, soumis non seulement aux risques qui menacent la métropole mais aussi à des risques spécifiques.
Haroun Tazieff, le premier commissaire chargé de la prévention des risques naturels majeurs, au début des années 1980, a donné des risques naturels majeurs la définition suivante : « La menace sur l’homme et son environnement direct, sur ses installations, la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l’immensité du désastre ».
Tous nos territoires sont susceptibles d’être affectés par des risques naturels majeurs, mais les outre-mer doivent faire face à des aléas particuliers – éruptions volcaniques, cyclones, ouragans, tsunamis – ou à des risques rendus spécifiques par l’insularité et l’étroitesse de ces territoires. Faire face à une inondation majeure compromettant l’alimentation en eau et en électricité peut demander des moyens logistiques qui, parce qu’ils sont inexistants dans certains de ces territoires, doivent donc être acheminés depuis la France métropolitaine. Ces territoires ont pour autre particularité la résilience de leur population qui, ayant largement intégré la culture du risque, a des réflexes de protection collective.
Comment faire face à ces phénomènes dans les territoires ultramarins dans une perspective de réchauffement climatique ? Comment mieux prévenir les conséquences des risques et adapter la politique de prévention pour préserver les vies humaines ?
Notre action est fondée sur trois piliers : connaître, prévenir, faire face. La connaissance des risques et de leur évolution compte tenu du changement climatique suppose de cerner les vulnérabilités et d’anticiper comment un phénomène naturel dangereux peut se transformer en catastrophe. La prévention consiste à réduire les vulnérabilités des territoires les plus exposés ; il faut en particulier veiller à maîtriser l’urbanisation pour que nos concitoyens résident dans les zones les plus sûres, et pour cela adapter le bâti, par exemple en rehaussant les exigences réglementaires en matière de construction en fonction des risques naturels – je pense évidemment à la résistance aux vents cycloniques. Pour faire face, enfin, le ministère contribue à la gestion de crise, qui relève de la responsabilité du ministère de l’intérieur, par la production d’informations en amont et la surveillance à toutes les étapes ; ainsi, nous animons le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte.
Face au changement climatique déjà à l’œuvre et aux incertitudes qu’il fait peser sur la solidarité nationale en cas de catastrophes naturelles, nous disposons encore de marges de manœuvre pour améliorer notre connaissance et la gestion des nouveaux phénomènes liées à ce changement. Nous menons pour cela une action constante avec les experts de Météo‑France, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; cette liste n’est pas exhaustive.
Nous devons aussi améliorer la prise en compte des risques dans toutes les politiques publiques, particulièrement en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Le dialogue avec les collectivités territoriales est donc un élément clé ; le fonds vert, dispositif dont j’ai porté la création, témoigne de la volonté de disposer des moyens permettant ces partenariats.
Enfin, je suis convaincu qu’un citoyen bien informé peut agir rationnellement pour sa propre sécurité en adoptant les gestes qui sauvent et que notre sécurité collective dépend de l’appropriation par les individus de l’ensemble de ces réflexes ou de ces bonnes pratiques. Il en va de notre résilience collective ; de ce point de vue, les outre-mer sont aux avant-postes. Je salue l’inscription dans la loi, en juillet 2023, de la Journée nationale de la résilience en vue d’assurer la préparation de la population aux risques naturels ou technologiques.
Nous avons pour impératif de concevoir et d’appliquer les politiques publiques en tenant compte de la diversité des territoires et donc des spécificités de chaque territoire ultramarin, que ne menacent pas les mêmes risques. C’est ce qui fait l’intérêt de votre mission et c’est ce qui fera, je n’en doute pas, l’intérêt de ses conclusions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je vous remercie de vous être rendu avec autant de célérité à notre invitation. Je vous prie d’excuser l’absence du président de notre commission, M. Mansour Kamardine, retenu à Mayotte où il accueille Mme la ministre Marie Guevenoux dans le cadre de la préparation de la loi concernant l’île.
Notre commission d’enquête, créée après l’adoption par le Parlement d’une proposition de résolution en ce sens, est la preuve d’une prise en conscience globale. Il ne s’agit pas de chercher à tout prix ce qui ne fonctionne pas mais de déterminer si les politiques menées sont cohérentes et propres à nous prémunir des risques envisagés et si les moyens sont à la hauteur de la prévention nécessaire.
Vous avez dit avec raison que certains territoires d’outre-mer peuvent être confrontés à l’ensemble des risques naturels majeurs. Á cela s’ajoute que les risques encourus sont parfois très imbriqués : il nous a été indiqué au cours de plusieurs auditions que risque volcanique signifie souvent risque sismique, risque de tsunami, glissements de terrain… La prévention se traduit souvent par des plans : plans de prévention des risques naturels (PPRN), plans de sauvegarde communaux (PSC), plan Orsec. Or, au fil des auditions, nous avons constaté les lacunes de l’actualisation de ces plans. Non seulement certains demanderaient à être révisés parce qu’ils ne tiennent pas compte de l’aggravation des risques liée à l’évolution du climat mais d’autres n’existent tout simplement pas. Comment accompagnez-vous les collectivités de territoires dont – rien ne sert de faire semblant – on connaît le déficit en matière de moyens d’ingénierie, dans la rédaction ou l’actualisation de ces documents, par exemple les PPRN qui permettent de dessiner une cartographie prévoyant un urbanisme maîtrisé compatible avec la gestion des risques, comme vous l’appelez de vos vœux ?
M. Christophe Béchu, ministre. Nous sommes nous-mêmes en train de réactualiser la nature des risques auxquels nous sommes confrontés, pas seulement pour les outre-mer mais partout en France. Ainsi, dans la trajectoire d’adaptation au changement climatique, la lutte contre le recul du trait de côte diffère selon l’augmentation envisagée de la température : selon qu’elle est de 2 ou de 4 degrés Celsius, la montée des océans n’est pas la même, ni donc les cartographies, les conséquences, le coût des factures.
Un nombre considérable de ces risques étant liés au dérèglement climatique, il est logique d’articuler la trajectoire d’adaptation au changement climatique avec un plan national d’adaptation et, dans le sillage de ce plan, d’actualiser les risques et les moyens. Le PNACC‑3 et son volet spécifique « Outremer » vous apporteront la satisfaction de mesurer des mises à jour reflétant la somme de nos connaissances à cet instant.
Pour l’ingénierie des cartes et du suivi, le PNACC‑3 devra d’évidence définir comment l’État et les collectivités devront mettre à niveau, contextualiser et parfois géolocaliser les éléments nécessaires. Pour le trait de côte, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) a été chargé de prévoir des cartes pour la France métropolitaine. Il n’y a aucune raison que ce qui est fait pour l’Hexagone ne le soit pas pour les territoires et les départements ultramarins, et le niveau d’ingénierie indispensable est tel que ce travail ne peut être confié aux collectivités ni dans l’Hexagone ni Outre‑mer. Les connaissances actualisées par les opérateurs du ministère forment un socle qui rend le travail nettement plus simple, mais ce sont bien les services des préfectures qui doivent faire le lien avec les agences dépendant de l’État ; je pense en particulier au Cerema, en passe de s’imposer comme l’agence de l’adaptation, cependant que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) est l’agence de la transition et de l’atténuation.
Reste sous-jacente la question des moyens budgétaires nécessaires pour pouvoir réaliser cette adaptation. Ma réflexion n’est pas arrêtée sur le niveau de ce qui doit être porté par l’État pour mutualiser une partie des coûts et de ce qui sera laissé à la main des collectivités, qui feront ensuite appel à des cabinets pour les accompagner dans la rédaction de ces plans, lesquels ne seront pas figés dans le temps. Les règles d’actualisation des différents dispositifs seront précisées compte tenu de l’évolution des risques. Dans le projet de loi de finances pour 2024, le Parlement a ouvert la voie en autorisant qu’une partie du fonds vert serve à accompagner la réalisation des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Est‑ce le chemin à suivre pour permettre de soutenir cette ingénierie ? Devons-nous orienter le fonds vert vers la prévention des risques naturels ou l’élargir aux politiques de préservation de la biodiversité ou d’atténuation ? Notre réflexion est toujours en cours et je prendrai connaissance avec intérêt des conclusions de votre commission à ce sujet.
Ces plans, outils de prévention, sont d’autant plus nécessaires que dans certains cas ils rendent la commune considérée éligible à un financement en cas de catastrophe naturelle, notamment au fonds Barnier. Les communes ont donc tout intérêt à rédiger des documents de ce type. J’ajoute qu’en cas de survenance de tels sinistres, l’existence de ces plans préventifs ou de ces cartes permet d’obtenir les niveaux d’indemnisation les plus élevés.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je me souviens avoir entendu exposer, au cours d’un déplacement à La Réunion avec Mme Elisabeth Borne, alors Première ministre, des projets envisagés avec l’aide du fonds vert du Fonds Vert dont certains allaient plus loin que la seule préservation de la biodiversité.
Avec le ministre de l’économie et des finances, vous avez, monsieur le ministre, demandé un rapport sur l’assurabilité des risques climatiques, chargeant ses auteurs de faire des propositions visant à garantir la soutenabilité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et à renforcer le rôle du système assurantiel dans la prévention, l’atténuation et l’adaptation face au dérèglement climatique. De fait, le taux d’assurance de ces risques est extrêmement faible outre-mer : à Mayotte, seuls 6 % des biens sont assurés, et le taux maximum est de 68 % pour ce qui concerne La Réunion, avec un très fort déficit d’assurance pour l’habitat, un déficit très marqué pour l’immobilier économique – et je crains fort qu’une partie de l’immobilier public ne soit pas tellement mieux assurée. Bien entendu, les victimes non assurées de tels sinistres n’ont pas droit à des indemnisations par les compagnies d’assurance mais elles n’ont pas non plus accès aux versements du fonds Barnier, ni au fonds de secours pour l’outre-mer sinon dans de très mauvaises conditions et jamais à la hauteur des dégâts subis. Quelles conclusions seront tirées de ce rapport ?
M. Christophe Béchu, ministre. Je n’ai nullement l’intention d’esquiver votre question mais le rapport nous a été remis avant-hier et un travail interministériel reste à conclure puisque, avant que l’on parle du régime des catastrophes naturelles, tout ce qui est assurance classique relève d’abord du ministère de l’économie et des finances. Selon les chiffres dont je dispose, c’est effectivement une caractéristique commune aux outre-mer que le faible taux de souscription d’assurances : il est de 50 % en moyenne dans ces territoires pour 96 % en moyenne dans l’Hexagone. Dans ces territoires, la moitié des biens ne sont pas assurés en assurance ouvrage et le nombre de particuliers ayant souscrit à des assurances de responsabilité civile est considéré comme « négligeable » par le ministère de l’économie et des finances. Le différentiel avec la métropole est substantiel : on y compte 2 % de non-assurés contre 20 % à La Réunion et 50 % à Saint-Martin.
La commande d’un rapport sur l’assurabilité des risques climatiques s’explique par l’explosion du coût des indemnisations liées aux catastrophes naturelles répertoriées dans l’Hexagone et outre-mer. Le rapport vise à définir comment rehausser le niveau de notre régime d’indemnisation de ces sinistres en fonction d’un risque climatique qui s’accroît tous les ans. Au-delà de l’augmentation, déjà officialisée par le Gouvernement, du taux de la cotisation « catastrophe naturelle » sur les contrats d’assurance de dommages aux biens d’habitation et professionnels, qui passera de 12 % à 20 % à partir du 1er janvier 2025, les auteurs du rapport recommandent de prévoir un coefficient d’actualisation de ce taux tenant compte du risque de dégradation. Je précise que le taux de 12 % n’avait pas varié depuis plus de vingt ans. Doit‑on prévoir un mécanisme automatique ? Y a-t-il matière à renforcer le « porter à connaissance » des habitants du degré de risque auxquels ils s’exposent en fonction des secteurs dans lesquels ils décident de s’implanter ? Pour éviter que des assureurs ne se détournent de certains territoires, ne faut-il pas mettre un point un système de « bonus-malus » tel que les compagnies d’assurance qui s’écarteraient systématiquement de territoires cumulant les risques, singulièrement outre-mer, soient tenues de cotiser à un dispositif de péréquation en faveur des assureurs qui jouent le jeu ? Le rapport qui vient de nous être remis comprend trente‑sept propositions et je n’entrerai pas davantage dans le détail aujourd’hui, car nous avons convenu d’un temps de travail supplémentaire. Mais l’on voit bien que toute réflexion sur les assurances doit être renforcée pour ce qui concerne l’outre-mer.
D’autre part, nous attendons le rapport de la mission confiée à M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, sur l’assurabilité des collectivités territoriales. Avec l’accentuation du dérèglement climatique, elles éprouvent de plus en plus de difficultés à s’assurer face au désengagement croissant des assureurs. Je n’ai pas de statistiques comparatives à ce sujet sur la situation dans l’Hexagone et outre-mer, mais certains niveaux de primes demandés ou de franchises exigées disent le casse-tête auquel certains maires se trouvent confrontés. Or les dégâts causés par les sinistres considérés ne touchent pas seulement des biens privés mais aussi des routes et des bâtiments publics, a fortiori outre-mer étant donné la typologie des aléas climatiques, tsunami ou cyclone par exemple.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’admets que, 48 heures après la remise d’un rapport, un temps de débroussaillage est encore nécessaire et je ne pousserai donc pas ce questionnement plus avant. Mais je puis témoigner que ce matin même, lors d’une audition conduite par la mission d’information sur la situation du département de Mayotte, tous les artisans réunis témoignaient de leurs difficultés à trouver des assurances dommages ouvrage, ce qui change évidemment tout pour l’économie du bâtiment. Les collectivités elles-mêmes n’ont pas toujours les moyens d’être aux normes les plus exigeantes en matière de prévention. Nous verrons avec intérêt quelles conclusions de ce rapport vous retiendrez.
Alors que vous peaufinez le PNACC‑3, quel bilan dressez-vous du PNACC‑2 ? Quelles en ont été les limites et comment songez-vous à faire évoluer cette démarche ?
M. Christophe Béchu, ministre. Le changement principal est que le PNACC‑3 sera fondé sur une trajectoire qui n’a rien de commun avec celle du PNACC‑2, quel que soit le bilan que l’on en tire. Une sorte de mise à jour du logiciel bouleverse tout, une augmentation de 4 degrés Celsius de la température étant évidemment tout autre chose qu’une augmentation de 1,5 degré. J’ajoute que le PNACC‑2 n’avait pour ainsi dire pas pris en compte la spécificité des territoires ultramarins ; la question relevait plus de la figure imposée que d’un travail fouillé. D’autre part, le document montrait des lacunes dans la poursuite des objectifs stratégiques et dans le suivi visant à assurer que les objectifs définis étaient tenus. Il en ira différemment dans le PNACC‑3 : si l’on se fixe des objectifs relatifs à la nécessaire adaptation, il faut faire plus que sonner le tocsin.
Autre chose : le PNACC‑2 pointait une inquiétude sur la viabilité du système d’indemnisation des catastrophes naturelles mais s’en tenait là. Nous avons commencé à nous saisir du sujet avant même d’avoir dévoilé la teneur du PNACC‑3 en officialisant déjà le quasi doublement du taux de la cotisation « catastrophe naturelle » et la réflexion sur le niveau d’indexation souhaitable pour la suite.
Enfin, quand le PNACC-2 a été lancé, les données climatiques accompagnant le travail étaient peu nombreuses, si bien que des mises à jour ont dû être faites par Météo‑France ex post. Cette fois, nous souhaitons dire la vérité climatique avant de conclure le PNACC‑3. Cela s’est traduit par des discussions préalables conduites dans le cadre de la matinée « La France s’adapte ».
Telles sont les différences saillantes entre le PNACC-2 et le PNACC‑3.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Vous parliez tout à l’heure de l’évolution des risques. À mon sens, l’érosion côtière entre dans ce cadre. Certes, lors de sa dernière assemblée plénière, le Comité national du trait de côte (CNTC) s’est entendu pour dire que l’érosion des régions côtières n’était toujours pas un risque naturel majeur mais un phénomène prévisible. Je me plie à l’opinion de la majorité mais elle me laisse dubitative puisque des scientifiques nous disent que l’érosion est combinée à la submersion marine qui est elle-même un risque, et qu’étant donné l’évolution du climat, plus le temps passera et moins on pourra différencier submersion et érosion. C’est pourquoi, à mon avis, nous devrons décider de considérer ce phénomène comme un risque.
J’aime entendre dire que le Cerema est l’agence de l’adaptation. Nous étions impatients de découvrir le magnifique travail du Centre, qui nous accompagne depuis de nombreux mois et qui mérite dès à présent nos félicitations.
La spécificité des territoires est un autre point extrêmement important. Nous l’avons constaté ce matin en accueillant sept porteurs de projets partenariaux d’aménagement (PPA). Alors qu’ils sont confrontés au même enjeu, la recomposition stratégique de leur territoire, il leur faudra trouver des solutions différentes et, qu’il s’agisse de protection, de renaturation ou de recomposition, un travail de dentellière les attend face à l’ensemble des risques naturels majeurs. La prise en considération des spécificités territoriales, notamment Outre-mer, s’impose absolument.
Nous attendons avec impatience de découvrir la teneur du PNACC‑3 ; jusqu’à présent, un volet « adaptation » fort manquait. Alors que l’on parle d’atténuation depuis des dizaines d’années, l’adaptation est enfin au cœur de la politique publique. Je vous en remercie.
M. Christophe Béchu, ministre. Je confirme que l’ensemble des cartes du Cerema seront publiées demain. Elles reprendront les trois scénarios que le CNTC, que vous présidez, avait souhaité : l’horizon à cinq ans, l’horizon 2050 et l’horizon 2100. On se rend compte qu’à court terme, les deux territoires ultramarins les plus menacés sont la Martinique et la Guadeloupe, dont les degrés d’exposition au recul du trait de côte sont les plus marqués. Comme vous, je considère qu’un moment viendra où les risques finiront par se cumuler. Cela suppose un travail plus précis, que j’ai annoncé lors du dernier CNTC auquel j’ai participé le 29 juin 2023. La question sera à nouveau au cœur de nos échanges pour le prochain CNTC, prévu pour se tenir en juin prochain. Je m’y rendrai à vos côtés pour que nous fassions le point de façon à tenir l’engagement qu’un dispositif soit intégré dans le budget 2025 au titre de la lutte contre l’érosion côtière.
Mme Sophie Panonacle, présidente. J’aime à vous l’entendre dire et je serai ravie de vous accueillir en juin pour définir les modalités de financement des stratégies de recomposition.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J’ai constaté le recul du trait de côte à Mayotte et la difficulté que cela provoque pour la collectivité unique. On nous a montré des reconstitutions de digues ; le coût était de 1,2 million d’euros par 100 mètres. De très nombreuses communes des territoires ultramarins étant bâties sur les côtes pour des raisons historiques évidentes, les enjeux sont considérables.
Les aléas climatiques ont la mauvaise idée de ne pas limiter leurs effets aux circonscriptions administratives ; c’est contrariant, mais nous devons en tenir compte. Á La Réunion, le cyclone Belal avait été remarquablement anticipé par les collectivités locales et les services de l’État et la résilience de la population a été très forte ; les victimes dénombrées n’avaient malheureusement pas suivi les solutions qui leur avaient été proposées. Puis le cyclone a dévié de sa trajectoire initiale pour frapper l’Île Maurice beaucoup plus durement qu’on ne l’avait envisagé. Considérez-vous nécessaire une coopération régionale pour se protéger de ces aléas ? Si oui, comment l’assumer ? Nos territoires d’outre-mer sont très rarement isolés ; des États voisins peuvent subir des aléas climatiques graves et nous pouvons nous-mêmes avoir besoin d’eux. Qu’en pensez-vous ?
M. Christophe Béchu, ministre. Notre faculté d’anticipation dépend du fait que nous disposons de services météorologiques capables de faire les prévisions. De ce point de vue, tous les États ne sont pas également dotés, et dans la plupart de nos outre-mer nos voisins ne disposent pas de capacités d’analyse météorologique comparables aux nôtres. Météo‑France est l’un des rares services météorologiques opérant sur la totalité des zones géographiques. Dans certains cas, cet opérateur rend déjà des services à nos voisins : par exemple, en étant un centre de référence à La Réunion pour l’analyse des cyclones qui pourraient frapper le continent ou des territoires proches. Parallèlement, Météo‑France International vend ses services à des États, avec un socle d’ingénierie, d’analyse, de compétences et de supercalculateurs opéré depuis le territoire métropolitain.
L’ONU se penche sur la prévention des risques, et deux modèles s’affrontent. Les Gafam expliquent qu’ils pourraient proposer des services d’analyse en s’appuyant sur leur puissance de calcul et sur l’intelligence artificielle ; des opérateurs publics tels que Météo‑France suggèrent que l’on s’appuie d’abord sur des modèles qui ne soient pas directement liés aux Gafam ou à des entreprises privées. J’ai eu l’occasion de faire valoir notre point de vue, qui est de conforter des modèles publics, car si dans un premier temps ces services sont gratuits, j’ai assez peu de doutes sur le fait qu’étant proposés par des entreprises marchandes, ils finiront par être facturés – alors même que dans de nombreux cas les logiciels des Gafam utilisent des données publiques fournies par les services météorologiques nationaux. Nous n’allons pas relancer des débats sur la propriété intellectuelle mais je vous donne absolument raison sur le fait qu’il y a là un sujet de coopération internationale. C’est donc à l’honneur de l’ONU de se préoccuper de cette question, puisqu’en certains lieux il n’existe pas de services météorologiques performants. La France peut jouer un rôle dans un dispositif international grâce à ses outre-mer et grâce aux délégations de Météo‑France présentes en diverses régions du monde.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suis l’auteur d’une proposition de loi visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, et la préoccupation qui s’exprime ici est similaire. J’ajoute que si nous entrons dans cette logique, que je soutiens entièrement, nous devrons assumer les investissements correspondants.
À la suite des dégâts catastrophiques dus à l’ouragan Irma et aux difficultés de la reconstruction, un délégué interministériel aux risques majeurs en outre-mer a été nommé en 2019 mais sa mission a pris fin en 2021. Il nous a indiqué que l’élaboration d’un projet de loi sur les risques majeurs outre-mer avait été envisagée juste avant la crise sanitaire. On peut comprendre que les esprits aient alors été occupés à d’autres choses, mais les risques sont toujours là. Comptez-vous remettre l’ouvrage sur le métier ?
M. Christophe Béchu, ministre. L’engagement avait été pris que les recommandations de la délégation interministérielle seraient reprises dans la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale ; il est vrai que toutes n’ont pas été transférées en droit positif. Néanmoins, une bonne partie de ces préconisations ont été mises en œuvre, parfois au niveau réglementaire, parfois sur le plan budgétaire, parfois par quelques évolutions législatives. Je serais surpris que votre commission ne s’interroge pas sur l’opportunité de reprendre et de perpétuer cette délégation dont je comprends l’intérêt puisque vous exposerez des pistes dont la mise en œuvre exigera un suivi. Cela peut paraître une réponse de Normand, mais nous ne sommes plus dans la situation de 2021, une partie de ce qu’il fallait faire ayant été fait. Il est probable qu’à l’issue de vos travaux l’accent soit mis sur les sujets pour lesquels l’action doit être intensifiée. Cela pourrait rendre pertinente l’interrogation sur cette recréation.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je prends acte de votre réponse en forme d’encouragement. Si vous voulez ajouter quelque chose, je vous en prie.
M. Christophe Béchu, ministre. Je considère que la fin de cette audition n’épuise pas le devoir d’information que j’ai à l’égard du Parlement. Si vous souhaitez me faire parvenir des questions écrites liées à l’objet de cette commission d’enquête, nous vous ferons bien entendu parvenir les éléments qui pourraient vous être utiles.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie.
47. Audition, ouverte à la presse, de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre‑mer (11 avril 2024)
M. le président Mansour Kamardine. Mes chers collègues, nous terminons les auditions de cette commission d’enquête en recevant M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, que je remercie tout particulièrement, compte tenu des contraintes de son agenda, de s’être rendu disponible.
Nos deux mois et demi de travail nous auront permis d’entendre, à l’occasion de quarante-quatre auditions, aussi bien des experts scientifiques et techniques que des élus des différents territoires, des responsables des services déconcentrés de l’État, des universitaires, des assureurs, des opérateurs de réseaux, des organismes régionaux, des directions centrales des ministères concernés, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Christophe Béchu, et donc le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
La gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer mobilise plusieurs ministères, dont, au premier chef, celui dont vous avez la responsabilité, monsieur le ministre. C’est de leur synergie que découlent les différentes politiques publiques qui sont menées en matière d’anticipation, de gestion de crise puis de réparation.
De nos travaux je retiens l’engagement de l’État et des collectivités en faveur d’une amélioration continue de la prévision, de la prévention, de la protection, puis de la remise en état des territoires. La façon dont le cyclone Belal a été géré en est une parfaite illustration. Je retiens aussi la grande résilience de nos compatriotes d’outre-mer face à des risques qui font souvent partie de la mémoire collective des territoires, pour la plupart insulaires et souvent archipélagiques.
Il reste que le réchauffement climatique et ses effets amplificateurs sur les phénomènes cycloniques, la découverte de nouveaux risques, toujours possible comme l’a montré l’éruption du volcan sous-marin Fani Maoré à Mayotte en 2018, l’extension des feux de forêt, les glissements de terrain et l’érosion côtière démontrent l’impérieuse nécessité de renforcer les actions engagées. Je vous fais part de cette attente, monsieur le ministre, au nom de tous les élus ultramarins et des populations locales.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et un enregistrement vidéo sera ensuite accessible. Avant de vous donner la parole pour une présentation des différentes actions d’ores et déjà conduites par votre ministère et à venir, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Gérald Darmanin prête serment.)
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Vous m’interrogez dans le cadre d’une commission d’enquête et j’essaierai évidemment, sur la base des informations dont je dispose et dans une logique de transparence, de tirer tous les enseignements utiles de l’expérience que j’ai eue depuis que les outre-mer ont été rattachés à mon portefeuille, voici deux ans, et des études que nous avons pu commander pour vos travaux.
Si la principale mission du ministère de l’intérieur et des outre-mer en matière de risques naturels est surtout, vous le savez, de gérer la crise, une fois celle-ci déclarée, afin de secourir les personnes – je salue tous ceux qui y concourent, les sapeurs-pompiers, les associations de protection civile, les agents des préfectures, les policiers et les gendarmes –, nous faisons aussi de la prévention. Celle-ci relève souvent du ministère de la transition écologique, des collectivités ou des gouvernements autonomes, quand ils existent, mais le ministère de l’intérieur ne peut pas ne pas voir qu’il a un rôle à jouer sur le plan de la prévention des risques, s’agissant des personnes comme des biens. Vos travaux m’intéressent donc dans leur globalité et à toutes les échelles.
Je me suis souvent rendu dans des territoires connaissant des risques naturels avérés au point que des drames s’y déroulent. Avant même de prendre mes fonctions au ministère de l’intérieur et des outre-mer, j’avais accompagné le Président de la République à Saint-Martin, car les douaniers et un certain nombre de reconstructions relevaient du ministère des comptes publics. Je me suis déplacé à La Réunion plus récemment, fin janvier, après le passage de l’ouragan Belal, pour montrer aux agriculteurs, aux citoyens et aux collectivités locales que nous étions auprès d’eux en cas de drame – quatre personnes avaient perdu la vie – et en matière de reconstruction économique et sociale.
Le ministère de l’intérieur et des outre-mer est celui des crises – c’est même le ministère de la gestion des crises. Qu’il s’agisse de l’Hexagone ou des territoires ultramarins, chaque crise et chaque événement doivent faire l’objet d’une prise en charge efficace des personnes et des biens – j’insiste sur ces deux points. L’ensemble des centres opérationnels des préfectures sont, notamment, en alerte permanente et nous font remonter, quand il y a une crise ou juste avant, en temps réel et en lien avec les préfectures, tous les éléments permettant d’assurer la coordination des services de secours. Nous laissons souvent au préfet le soin de prendre des décisions, mais nous avons des informations en temps réel.
S’il existe une dualité constituée de l’échelon local, dirigé par le préfet ou le haut-commissaire, et de l’échelon national, dirigé par le ministère de l’intérieur, au travers du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, tous les acteurs locaux sont impliqués, notamment les collectivités locales, dans le cadre du binôme sacré maire-préfet, bien connu depuis le covid. En cas de crise, le maire est sans doute le premier agent de la sécurité civile, avant même l’arrivée des professionnels. Le modèle associant le maire, le préfet et les autorités nationales prouve sa pertinence à chaque crise. Si on se compare à d’autres pays, notre modèle, qui est confronté à de nombreuses crises, en matière sanitaire, sociale, climatique mais aussi sécuritaire, dans tous nos territoires ultramarins, est le plus résilient et celui qui empêche le maximum de morts et de destructions.
Comme les travaux de votre commission d’enquête me concernent plus ou moins directement selon les sujets, vous ne m’en voudrez pas de limiter le champ de mes propos aux questions qui me sont propres. Je rappelle aussi que mon collègue Christophe Béchu a déjà été entendu par votre commission.
Le territoire français est très largement soumis à des risques naturels. J’ai déjà parlé du cyclone Belal, mais je pourrais aussi évoquer la tempête Ciarán, qui a touché le Finistère et le Pas-de-Calais, la tempête Alex, qui a frappé les Alpes-Maritimes, ou encore les mégafeux de forêt en Gironde. Nous nous nourrissons de ces crises, dans l’Hexagone et dans les outre-mer, pour renforcer les scénarios élaborés partout sur le territoire national et pour prédisposer des moyens, auxquels nous consacrons des investissements.
Je souligne, par ailleurs, que les évolutions climatiques vont rendre ces phénomènes naturels de plus en plus nombreux et de plus en plus violents et que nos outre-mer seront les premiers concernés. Je pense au recul du trait de côte – en Nouvelle-Calédonie, par exemple, 75 % des personnes habitent sur une côte qui pourrait subir demain une érosion –, à la disparition d’îles ou d’atolls – en Polynésie française –, à la sécheresse, qui a sévi à Mayotte d’une manière absolument terrible, aux cyclones, aux ouragans et aux tremblements de terre. Ces calamités, qui seront sans doute de plus en plus fréquentes en raison du réchauffement climatique, touchent nos territoires ultramarins, en premier lieu ceux du Pacifique, puis ceux de l’océan Indien et des Antilles, comme elles touchent tous les territoires, mais les autres ont une difficulté supplémentaire qui est de ne pas avoir le modèle de sécurité civile et d’investissement de la France.
Ces événements font désormais partie du quotidien des élus et des représentants publics des territoires ultramarins. Plus personne, quels que soient son lieu de résidence et son niveau social, ne peut s’estimer totalement à l’abri. À la différence de l’Hexagone, les départements d’outre-mer sont soumis à un cocktail de risques : sauf celui d’avalanche, ils existent tous outre-mer – inondations, séismes, éruptions volcaniques, cyclones, tempêtes, mouvements de terrain et feux de forêt peuvent se produire, ainsi que peut-être des tsunamis en cas de cumul d’événements, comme on l’a vu dans des territoires proches. Ce cocktail de crises impose d’avoir à disposition un cocktail de réponses, si j’ose dire, dans chacun des territoires, ce qui est d’autant plus difficile qu’ils sont parfois très éloignés du centre de décision qu’est l’Hexagone. Cette spécificité implique une préparation et une anticipation extraordinaires. Tel est, en particulier, l’objet des plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) que vous connaissez bien et qui démontrent à chaque fois leur efficacité.
Les phénomènes les plus forts sont de plus en plus récurrents : quasiment toutes les collectivités dont nous parlons sont soumises à plusieurs d’entre eux chaque année. S’ils ne sont pas tous d’une intensité extrême, s’ils ne causent pas tous des morts ou des blessés, ils nécessitent toujours l’existence d’une capacité de prévention et d’intervention le plus en amont possible. En cela nous sommes notamment aidés par les grands progrès réalisés par Météo‑France, que je tiens à saluer. La récurrence de ces phénomènes naturels permet, par ailleurs, de mieux appréhender leurs impacts et donc de mieux nous préparer. Prévoir est le principal travail à faire en matière de sécurité civile : comme le dit le dicton, il vaut mieux prévenir que guérir.
La distance et l’insularité, autres spécificités des territoires ultramarins, à l’exception de la Guyane, même si on peut la considérer comme une sorte d’île, puisqu’elle est encadrée par des fleuves, doivent être intégrées dans les dispositifs de gestion de crise. De fait, les renforts mettent parfois un certain temps à venir du territoire national ou de grands pays voisins. Une coopération efficace avec les acteurs locaux est donc essentielle, de même que la prédisposition de moyens et la culture du risque au sein de la population. Lors du dernier cyclone à la Réunion, les équipes locales ont œuvré dès la fin de l’alerte violette, c’est-à-dire avant l’arrivée des premiers renforts en provenance de Mayotte.
Pour organiser la réponse, il faut installer très amont des équipements, renforcer la formation des équipes sur place et permettre le transport du matériel et des personnes. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), que vous avez votée à une large majorité, prévoit pour la première fois un volet spécifique aux outre-mer, notamment la mise en place de détachements militaires de la sécurité civile, les fameuses Formisc, dans l’océan Indien et aux Antilles, avec du matériel et de l’équipement pour permettre, en cas de catastrophe, d’organiser la réponse sans attendre l’arrivée de renforts nationaux. L’accroissement du nombre des événements et de leur intensité impose, par ailleurs, de développer des actions de communication et de sensibilisation des populations aux risques, en fonction des territoires. On sauve des vies, sans attendre qu’un drame ait lieu, en répétant certains gestes.
Si les territoires ultramarins ont d’ores et déjà fait montre de leur très grande capacité de résilience, de reconstruction, notamment pendant la période du covid, il faut se préparer aux cocktails de risques que j’ai évoqués – nous devons en particulier préparer la jeunesse, qui sera sans doute encore plus concernée. Face aux phénomènes cycloniques, on range tout ce qui peut s’envoler, on protège les parois vitrées dans certains cas, on se met en sécurité et on construit, si possible en commun. La République est grande dans ses territoires ultramarins. J’ai inauguré, par exemple, dans une île des Tuamotu comptant 450 habitants une école anticyclone sur laquelle nous travaillions depuis longtemps. D’ici à la fin du quinquennat du Président de la République, 75 % des îles de la Polynésie française auront un abri cyclonique qui servira par ailleurs à un autre usage – il s’agira d’écoles, de mairies ou encore de lieux de santé. Quand une population est prévenue du lieu où il faut se rassembler, des premiers gestes à appliquer et de la façon dont elle doit communiquer, des vies sont sauvées, ce qui est le premier but de la prévention des risques outre-mer.
C’est grâce à la vigilance et à l’action de la population que le bilan est très souvent limité, notamment lorsque les services de secours ne sont pas saturés par des appels généralisés. La prévention a besoin de visibilité pour être bien intégrée et pleinement assimilée, au quotidien. Les semaines Sismik et Réplik, organisées respectivement en Guadeloupe et en Martinique, sont des exemples de campagnes de prévention réussies. La journée de résilience, que nous avons lancée en 2022, doit mobiliser encore plus largement, chaque 13 octobre, les populations ultramarines et hexagonales. Nous devons travailler à la japonaise, si j’ose dire, en mettant le citoyen au cœur de la sécurité civile au lieu de le traiter comme un simple partenaire. C’est l’objet des journées de la résilience que nous devons généraliser. Je crois, par ailleurs, que les gestes et le comportement de sécurité civile devraient avoir une présence plus marquée dans le cadre de la généralisation du SNU (service national universel) et dans ce que fait déjà le RSMA (régiment du service militaire adapté).
Pour nous adapter, il faut aussi que le risque soit mieux connu. Des travaux ont été effectués par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, qui dépend de mon ministère et des inspections, pour mieux appréhender les impacts des différents phénomènes que nous évoquons.
Les nouveaux risques doivent aussi être considérés. Je pense notamment à la découverte d'un nouveau volcan à proximité de Mayotte en 2019, qui a largement changé les priorités d'action locale pour prendre en compte les risques émergents.
Le ministère lancera le 23 avril prochain le Beauvau de la sécurité civile. Il sera l’occasion d’une grande réflexion sur la sécurité civile, sur les nouveaux enjeux que doivent relever les sapeurs-pompiers et les collectivités, surtout ceux liés aux nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, qui permet la prédictibilité, et au réchauffement climatique, qui change les modalités de fonctionnement. Les territoires ultramarins y seront pleinement associés et j’organiserai moi-même un Beauvau de la sécurité civile dans au moins un territoire ultramarin avec la ministre déléguée chargée des outre-mer.
Le renforcement de la coopération régionale répond à un enjeu d'efficacité et permet de mener une diplomatie régionale. La France apporte des moyens – comme elle l’a fait par exemple pour le Vanuatu au lendemain du cyclone qui a touché le nord de la Nouvelle-Calédonie – et en récupère. La coopération régionale permet en outre de mettre en avant nos territoires. La réponse de l'État en outre-mer, sur le volet sécurité civile et assistance en cas de catastrophe naturelle, demande une organisation que tous les États voisins ne sont pas en mesure d'assurer et j’ose dire que seule la France est capable d'apporter un soutien identique à celui de l’Hexagone sur toutes les mers du monde. Elle le fait par solidarité et parce que tous les territoires ultramarins sont parties intégrantes du territoire national, y compris les plus retirés, comme Wallis-et-Futuna et, d'un certain point de vue, Saint-Pierre-et-Miquelon où nous travaillons à la prévention – je rappelle que, grâce au fonds de prévention des risques naturels majeurs dit fonds Barnier, nous sommes en train de réaliser le déménagement du village de Miquelon en coordination avec le ministère de la transition écologique.
À titre d'illustration, l'accord Franz (France, Australie, Nouvelle-Zélande) de 1992 régit la coopération des trois pays au profit des États insulaires du Pacifique, victimes de catastrophes naturelles majeures. Nous pouvons espérer que cet accord incite ces États à faire appel à des puissances occidentales plutôt qu’à de grandes puissances asiatiques, sans arrière-pensée. Depuis 2019, la Croix-Rouge française, que je remercie, pilote le programme Ready Together, grâce à sa plateforme d'intervention régionale Amériques-Caraïbes (Pirac), destiné à renforcer la préparation aux catastrophes des pays caribéens et à mieux coordonner l'aide. La France a tout intérêt à étendre son œuvre de coopération. La diplomatie de la sécurité civile permet en effet souvent de jeter des ponts avec des populations qui ne parlent pas forcément spontanément avec nous.
Enfin, les systèmes qui marchent dans l'Hexagone, comme FR-Alert, seront étendus dans les prochains mois et dans les prochaines années à tous les territoires ultramarins. FR-Alert a été mis en place après l’incendie de l’usine Lubrizol – la France a été le premier pays au monde à utiliser un tel système – et a déjà permis de sauver des vies au cours des dernières tempêtes qui ont touché le nord de la France et la Bretagne. Ce système utilise la technologie Cell Broadcast grâce à laquelle tout téléphone, même si la personne n’a pas fourni son numéro, peut recevoir des informations. Il permettra de toucher tous les citoyens pour les prévenir en cas d’alerte météo ou volcanique.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Merci, monsieur le ministre, de nous faire l'honneur de votre visite. Votre exposé très complet a asséché une partie des questions que je souhaitais vous poser. Vous étiez sans doute renseigné sur les préoccupations qui sont les miennes depuis longtemps, comme la coopération régionale qui est, pour moi, un des vecteurs de développement des outre-mer. Vous avez précisé les actions en cours en la matière et peut-être peut-on penser à d’autres perspectives pour promouvoir la coopération régionale avec d’autres territoires.
Les administrations décentralisées de Mayotte et de La Réunion nous ont remarquablement accueillis – vous les remercierez en notre nom. Nous nous y sommes rendus, non parce qu’il s’agit du territoire de notre président, mais pour mieux comprendre les conséquences du passage du cyclone Belal et celles de la découverte d’un volcan au large de Mayotte. Cette commission d’enquête a aussi pour objet de travailler sur les adaptations de notre dispositif aux effets du changement climatique. J’aimerais donc savoir comment vos services suivent l’actualisation des plans comme le plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile). Au cours de nos auditions, nous avons cru comprendre que les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) ou les plans communaux de sauvegarde (PCS) – qui ne dépendent pas de vos services – connaissaient des délais d’actualisation un peu long.
Pouvez-vous revenir sur la couverture du territoire par le prépositionnement des unités de sécurité civile et par les formations militaires de la sécurité civile (Formisc) et sur son évolution ? C’est une question fondamentale, dont dépend l’immédiateté de la réponse à la crise. Elle touche aussi aux compétences des personnels déployés, car personne ne peut être compétent sur l’ensemble des risques.
J’aimerais vous interroger également sur l’ordre public. Les conséquences du passage de l’ouragan Irma à Saint-Martin et de l'ouragan Belal à La Réunion ne sont pas comparables : à Saint-Martin, on a vu des pillages, certains par opportunité, et d’autre part manque de ressources. La distance dans le temps entre ces deux événements a sans doute favorisé un retour d’expérience. Comment les forces de l’ordre ont-elles intégré cette dimension dans des sociétés connaissant l'informalité – avec par exemple des logements en tôle ondulée – et des personnes en situation d’extrême fragilité ?
Lors de son audition par notre commission, M. Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer entre 2019 et 2021, nous a dit avoir préparé un projet de loi global sur la gestion des risques outre-mer afin de compléter les dispositifs existants, notamment ceux relatifs au fonds Barnier ou à d’autres fonds de secours. Il semble que la crise sanitaire ait relégué ce projet au second plan. Où en est-il aujourd’hui ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Les plans de préparation relèvent souvent de l'obligation des collectivités locales, mais c'est le rôle du préfet que de les challenger – ce n’est sans doute pas le bon mot devant une commission d’enquête française – afin de bien s'assurer qu'elles les élaborent. Quand elles ne peuvent pas le faire, par manque de moyens, notamment d’ingénierie, il arrive en outre-mer que l’État mette la main à la pâte. Cela relève certes de la compétence du ministère de la transition écologique et de celle des collectivités locales, mais le préfet agit au nom de tout le Gouvernement et, outre-mer, la communauté de l’État travaille moins en silo que dans l’Hexagone. Le préfet a bien pour rôle d’aider les collectivités à élaborer ces plans, qui ne peuvent être purs et parfaits. L’habitat informel doit effectivement être pris en compte. Nous menons un gros travail pour le résorber, pour des raisons de salubrité, de lutte contre l’immigration irrégulière, contre la privation de propriété privée et contre l’insécurité, et pour prévenir les drames à la suite de catastrophes naturelles qui peuvent rapidement survenir quand un cyclone passe sur un logement en tôle ondulé abritant des enfants. La lutte contre les bangas à Mayotte répond à ces préoccupations. Il est donc important de pouvoir intervenir et, si j’ose dire, de « forcer » les élus à rendre à temps les bons documents, qui doivent notamment prendre l’informel en compte.
Je me suis rendu à La Réunion après le passage de Belal. Nous avons tiré des leçons de l’expérience de l’ouragan Irma à Saint-Martin, mais j’ai surtout été frappé de voir que les habitants qui avaient respecté les plans locaux d’urbanisme (PLU), les plans de sauvegarde et les permis de construire, qui imposaient une surélévation des habitations, avaient pu éviter les effets de l’inondation provoquée par le débordement du canal voisin alors que ceux qui, dans le même pâté de maison, ne l’avaient pas fait ont vu leur maison inondée avec des enfants qui avaient failli se faire surprendre par la brusque montée des eaux. Ces plans permettent donc de sauver des biens et, surtout, des vies.
Pour ce qui concerne l'État, les plans Orsec, élaborés sous l’autorité des préfets, doivent être mis à jour tous les cinq ans. Il a été demandé à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et aux inspections de contribuer à la mise à jour de l’état des lieux des risques majeurs. Avec le réchauffement climatique, les choses changent en effet très vite.
Les plans de sauvegarde, les plans Orsec et tout le travail réalisé par les responsables en cas de crise ne sont connus que des seuls sachant. La question de notre capacité à informer les populations est donc très importante, tout comme l’est celle de la prévention.
À cet égard, Météo-France est en mesure, depuis l’achat de supercalculateurs de plusieurs dizaines de millions d’euros au début du quinquennat – je m’en souviens très bien, j’étais alors ministre des comptes publics –, de beaucoup mieux anticiper les phénomènes météorologiques. Je suis bien placé pour vous dire toute l’importance de la précision des prévisions afin d’éviter le risque de se laisser surprendre par le déchaînement des éléments, qui peut empêcher un avion de décoller ou un navire de se rendre sur place. Nous travaillons en coopération avec Météo‑France et leur travail très précis nous est précieux.
Il nous reste sans doute à continuer à améliorer la précision des calculs sur les risques volcaniques et à travailler sur les réseaux de communication.
Par exemple, lors de la tempête Alex qui a frappé les Alpes-Maritimes, une très grande partie des réseaux de communication des policiers, des gendarmes et des pompiers sont tombés en panne. Je me rappelle avoir accompagné le Premier ministre Castex, dans un hélicoptère à bord duquel se trouvait un seul officier de sécurité : nous ne savions pas ce que nous allions trouver en atterrissant dans la Vésubie, où les habitants étaient isolés depuis des heures.
Dans les cirques de La Réunion, dans des endroits très escarpés de Guyane, de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, ou encore sur certaines îles, il convient de prédisposer des moyens de communication satellitaire permettant de téléphoner et d’informer les autorités des événements survenus. À défaut, il sera très difficile d’envoyer des vivres, de la nourriture ou des médicaments dans les territoires sinistrés, ou de savoir s’il faut intervenir très vite ou si l’on peut attendre un peu.
Il faut aussi équiper nos gendarmes, nos policiers et nos pompiers d’un système de radio efficace et résilient. C’est ce que nous faisons en développant le réseau radio du futur, dont le principe a été voté dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur et qui aidera toute la communauté du secours, grâce notamment à la possibilité de géolocaliser les utilisateurs.
Il faut enfin que le système FR-Alert, dont chaque utilisation se solde par un succès, couvre rapidement l’ensemble des territoires ultramarins, qui n’en sont pas encore tous dotés alors qu’ils sont sans doute les endroits où les alertes sont les plus fréquentes.
Le Beauvau de la sécurité civile nous permettra de réfléchir à la nécessaire modernisation de cette politique publique et à l’actualisation des risques. Je pense notamment au réchauffement climatique, qui favorise les feux de forêt, jusqu’alors assez rares dans les outre-mer mais désormais de plus en plus fréquents. La question de la prédisposition des moyens se pose en effet.
Je pense vous avoir dit qu’il y avait cinq formations militaires de la sécurité civile (Formisc) aux Antilles et cinq autres à La Réunion, qui est la préfecture de zone dont dépend Mayotte. La loi de finances pour 2024 prévoit la création d’une nouvelle unité, basée à Libourne. La multiplication de ces formations permet une projection assez rapide sur les théâtres d’opérations, même depuis l’Hexagone, qui est le meilleur point de départ pour aller n’importe où dans les outre-mer, car on ne sait jamais où auront lieu les événements majeurs. Il vaut mieux partir de Paris pour aller dans le Pacifique ou à Saint-Pierre-et-Miquelon que de Saint-Pierre-et-Miquelon pour aller à La Réunion ou à Mayotte. Les Formisc ont été très présentes dans la résolution de la crise de l’eau, à Mayotte, et après le passage du cyclone Belal, à La Réunion ; aidées par les moyens de l’armée, elles se sont déployées très rapidement. Je précise d’ailleurs que les membres de ces formations sont des militaires, même s’ils dépendent du ministère de l’intérieur.
La question des moyens aériens mis à la disposition de forces de sécurité civile se posera avec de plus en plus d’acuité. Je pense aux hélicoptères, aux avions, mais également aux Canadair, qui deviendront nécessaires lorsque les effets du réchauffement climatique se feront davantage sentir.
Une difficulté spécifique à la Nouvelle-Calédonie est que, dans cette collectivité, la sécurité civile est une compétence du gouvernement local. Pour avoir désormais des échanges assez nourris avec l’ensemble des élus de Nouvelle-Calédonie, je peux dire qu’il n’est pas certain que le pays ait les moyens de constituer une sécurité civile modernisée, prête à faire face aux effets du réchauffement climatique et au recul du trait de côte, qui pourrait entraîner la disparition d’une partie d’Ouvéa.
J’en arrive à votre question relative aux pillages. Je vois trois raisons pour lesquelles les choses se sont passées différemment à La Réunion et à Saint-Martin.
Premièrement, nous avons considérablement augmenté, partout dans les outre-mer, le nombre de policiers et de gendarmes à la disposition des préfets, ce qui donne à ces derniers davantage de moyens pour intervenir. En 2017, à Saint-Martin, les forces de l’ordre étaient beaucoup moins nombreuses.
Deuxièmement, à La Réunion, l’alerte à la population a bien fonctionné : quarante-huit heures avant le passage du cyclone Belal, tout le monde était informé et a donc pu faire ses courses et s’organiser. À Saint-Martin, en revanche, les gens ont été prévenus très tardivement, car Météo‑France n’était pas aussi efficace : ils n’ont donc pas pu anticiper l’achat d’eau et de vivres. À La Réunion, on était capable de prévoir l’évolution de la situation à l’heure près. À un moment, on a même interdit aux pompiers de sortir – ils l’ont fait quand même, pour sauver un individu bloqué dans un ascenseur, qui était en train de se noyer. Les habitants ont pu s’organiser, retrouver les personnes isolées et distribuer des vivres pour éviter les pillages d’opportunité, de survie, perpétrés pour se nourrir. Les pillages crapuleux ont ainsi pu être davantage sanctionnés, d’autant que les forces de l’ordre étaient plus nombreuses.
Troisièmement, la Lopmi a donné au préfet, en cas de crise, une compétence générale sur tous les services de l’État assortie d’un pouvoir de réquisition. Cette disposition, que vous avez votée, permet au représentant de l’État d’être véritablement le chef de son département, de sa région ou de son territoire. Le pouvoir de réquisition dont il dispose désormais lui permet à la fois de rétablir l’ordre public et de remédier aux problèmes. Alors que les élus sont parfois un tantinet contestataires vis-à-vis des préfets, notamment dans les outre-mer, tous les élus de La Réunion, de la présidente du conseil régional aux parlementaires de la NUPES, ont salué le travail du préfet Filippini et de ses équipes. Certes, nous devons rester modestes, car La Réunion n’est pas Saint-Martin. La gestion de ce type d’événements est sans doute plus difficile en Guyane et aux Antilles que dans nos territoires de l’océan Indien et du Pacifique, où la violence est moins forte – sauf à Mayotte, mais pour d’autres raisons, que vous connaissez bien. Quoi qu’il en soit, nous avons beaucoup progressé.
S’agissant enfin d’un éventuel projet de loi, je ne peux pas vous annoncer d’emblée un calendrier parlementaire. Nous étudierons avec beaucoup d’intérêt les propositions de la commission d’enquête. Si elles concernent de nombreuses dispositions de nature législative, peut-être pourront-elles faire l’objet d’un ou plusieurs textes, d’initiative parlementaire ou gouvernementale. Je pense que nous saurons trouver une majorité, pas très marquée politiquement, pour sauver nos outre-mer en cas de difficulté. Cependant, je n’ai pas d’information particulière concernant le projet de loi que vous évoquez.
Mme Cécile Rilhac (RE). Monsieur le ministre, vous avez été très précis dans votre propos liminaire et vous venez de répondre aux questions tout aussi précises du rapporteur. Il ne me reste donc plus beaucoup de sujets à aborder. Je vous poserai cependant des questions d’ordre budgétaire, qui sont peut-être les plus difficiles.
En matière de prévention, vous avez évoqué une journée de la résilience. Vous avez également parlé des régiments du service militaire adapté (RSMA), qui sont très importants dans nos outre-mer, et donc de notre jeunesse. Alors que la situation budgétaire est tendue et qu’elle risque de le devenir encore davantage, avez-vous des pistes un peu plus précises pour permettre à la jeunesse ultramarine de s’approprier complètement les outils de prévention et de communication ?
De même, vous avez souligné l’importance de nos services météorologiques et de la fiabilité de leurs prédictions à très court terme. Il y a, derrière ces services, tout un réseau satellitaire – vous connaissez mon implication dans ce domaine – qui nécessite également de très gros investissements budgétaires.
Comment travaillez-vous, sur ces sujets très spécifiques, avec vos collègues du Gouvernement ? Vous êtes, avec vos agents et ceux des préfectures, en première ligne pour prévenir les risques et gérer les crises. Cela dit, l’ensemble du gouvernement français ainsi que les gouvernements locaux des collectivités d’outre-mer doivent participer au travail de prévention afin que tous les moyens soient mis à la disposition des populations concernées. Comment y sont-ils associés ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je laisse à la ministre déléguée chargée des outre-mer le soin de coordonner l’action de l’État dans les outre-mer, en lien direct avec les préfets. Je pense qu’elle tient avec ces derniers une réunion en visioconférence par semaine, comme le faisaient d’ailleurs ses prédécesseurs. Je demande moi-même à chaque préfet affecté dans les outre-mer de me transmettre, toutes les semaines, une synthèse des informations relatives à son territoire, que je lis personnellement après que mon cabinet l’a annotée ; le sujet des risques y est naturellement abordé, ce qui nous permet de nous assurer de la bonne préparation des équipes et d’examiner les demandes dans une perspective interministérielle.
L’action de la ministre déléguée chargée des outre-mer est, par nature, interministérielle. C’est à elle de s’assurer du bon fonctionnement de cette interministérialité, en lien avec la ministre de la santé et le ministre de la transition écologique.
L’action du ministère de la santé est très importante, même si nous n’avons pas beaucoup évoqué les nombreux risques sanitaires auxquels sont confrontés les outre-mer. Ainsi, quelques cas de choléra ont été signalés à Mayotte. On pourrait multiplier les exemples de situations, parfois extraordinaires, qui nécessitent des réponses très rapides de la part de l’État, y compris en matière de prévention. Les aléas naturels sont d’ailleurs souvent à l’origine de risques sanitaires, du fait du manque d’eau, de la pollution de cette dernière, du manque de nourriture ou de l’arrivée de nuisibles. Si vous interrogez la ministre par écrit, elle pourra vous expliquer comment elle réalise ce travail, notamment dans le domaine de la communication. À ce titre, nous pouvons heureusement compter, en cas de coup dur, sur l’armée française, bien équipée technologiquement et bien implantée dans la quasi-totalité des territoires ultramarins. Ce sont d’ailleurs souvent les forces armées qui sont chargées des moyens de communication, qu’il s’agisse des radars, comme à Mayotte, dans les Antilles et en Guyane, ou surtout des moyens satellitaires que vous avez évoqués. Le ministère de l’intérieur est le parent pauvre dans ce domaine au regard des capacités dont dispose le ministère des armées.
S’agissant des questions budgétaires, nous ne savons pas à quelle sauce nous serons tous mangés, mais nous avons pris soin d’éviter que les restrictions budgétaires souhaitées par le Gouvernement, dans les conditions que vous connaissez, concernent la sécurité civile. Le décalage de quelques lignes que vous pourrez constater ne s’explique que par des raisons d’opportunité industrielle. Ni la création d’une Formisc supplémentaire, ni la fourniture des moyens aéroportés que vous nous avez octroyés, ni l’organisation des journées de résilience ne sont remises en cause.
Au sein de l’éducation nationale, qui a un rôle particulier à jouer dans ce domaine, ainsi que dans les RSMA, la généralisation des formations aux gestes de premier secours est importante. Un travail de sensibilisation aux risques devrait aussi être réalisé dans le monde de l’entreprise. Il est indispensable de former les jeunes, mais ces derniers ne deviendront pas tout de suite adultes ; or des aléas peuvent se produire dès demain. Il ne me semble pas que toutes les entreprises présentes dans les outre-mer aient conscience de cette nécessité : nous découvrirons sans doute que beaucoup d’entre elles ne font rien dans ce domaine. C’est aussi le cas des collectivités locales, qui sont, dans les outre-mer comme partout ailleurs, de gros employeurs, et qui devraient mieux sensibiliser leurs agents.
Vous le savez, l’expérimentation du service national universel (SNU) concerne aussi les territoires ultramarins. Si le projet de généralisation de ce programme va jusqu’au bout, il conviendra d’organiser dans ce cadre une demi-journée ou une journée japonaise ou de prévention des risques. C’est en tout cas la demande que j’ai faite au Président de la République. Du point de vue budgétaire, cela ne coûterait pas grand-chose, puisque les jeunes de 16 à 18 ans – je ne sais pas quel sera l’arbitrage final – seront déjà, si j’ose dire, à la disposition de l’État : autant leur inculquer la culture de la résilience de la nation ! Les pompiers, policiers et gendarmes pourraient tout à fait intervenir. Quoi qu’il en soit, ils seront disponibles pour organiser une telle journée.
Sur l’information, enfin, le travail interministériel est plutôt bon. Ce n’est pas sur la question des risques que nous avons le plus de difficultés avec nos collègues des autres ministères. Nous avons tous conscience en effet que les risques en outre-mer nous apprennent aussi des choses sur ceux que peut connaître l’Hexagone. Il peut y avoir des discussions au sujet de l’investissement ou de l’attractivité de la fonction publique, par exemple, mais sur la question des risques, je trouve que mes collègues du Gouvernement sont très attentifs aux demandes des préfets.
M. le président Mansour Kamardine. J’aimerais vous interroger au sujet des observatoires des sites volcaniques, notamment aux Antilles et à La Réunion. Leurs responsables, que nous avons auditionnés, nous ont fait part d’un certain nombre de difficultés. Ils nous ont notamment expliqué que leurs permanences étaient assurées par des bénévoles, pour des raisons budgétaires. Même si l’on ne peut que saluer cet engagement bénévole, peut-être y a-t-il lieu d’améliorer les choses pour rendre ces observatoires plus réactifs en cas de crise.
Vous avez dit que les différents plans, Orsec et autres, sont d’abord de la compétence du ministère de la transition écologique et des collectivités, même si les préfets doivent aussi donner une impulsion. Nous avons beaucoup souffert à Mayotte de la crise de l’eau et je tiens à saluer la mobilisation du Gouvernement, votre engagement personnel, ainsi que celui du ministre Philippe Vigier. L’intervention de l’État a été considérable, mais j’ai trouvé que nous étions limités par le fait qu’il n’y a pas de plan « eau potable » à Mayotte.
L’État ne peut pas le dire, car cela reviendrait à reconnaître un manque, ou une faute, mais moi je le dis : nous avons demandé pendant six mois que l’on nous communique le plan ; je crois que notre commission aussi l’a réclamé et elle ne l’a toujours pas. J’en déduis, et cela n’engage que moi, que ce plan n’existe pas, pas plus que les plans relatifs par exemple au risque volcanique ou cyclonique. Certes, je reconnais que Mayotte ne relève pas depuis très longtemps de l’article 73 mais, même lorsqu’elle relevait de l’article 72, cette compétence était celle de l’État.
J’aimerais, enfin, vous interroger sur l’accès au fonds Barnier. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, des dégâts causés par le cyclone Irma n’ont toujours pas été pris en charge, parce que les populations n’étaient pas assurées et qu’il faut être assuré pour accéder au fond Barnier. Or les populations ne sont pas toutes assurées au même niveau : si ce taux atteint 68 % à La Réunion, il est de 6 % seulement à Mayotte, où les risques sont pourtant très importants. Que faire pour sensibiliser la population à ces questions ? Je peux comprendre que la première préoccupation d’une personne qui n’a pas une maison solide et qui vit sous le seuil de pauvreté ne soit pas de s’assurer, mais de donner à manger à ses enfants. Que faire pour améliorer la situation assurantielle des populations ultramarines et, en conséquence, le recours au fonds Barnier ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je souscris à vos propos, mais je ne peux que vous répondre que les critères du fonds Barnier relèvent du ministère de la transition écologique. Ce fonds, qui est bien doté, aide beaucoup lorsqu’il est bien utilisé. Sans doute faudrait-il modifier certains de ses critères pour améliorer la prévention des risques et permettre certains investissements.
Je ne peux pas vous répondre au sujet des plans de la préfecture de Mayotte, mais nous allons relancer le nouveau préfet pour qu’il réponde aux demandes de votre commission d’enquête. Et, s’il s’avère qu’il n’y a pas de plan, il faudra qu’il vous le dise. Du reste, je ne sais pas si un plan, même très bien conçu, aurait permis d’anticiper ce qui s’est passé à Mayotte : une sécheresse amplifiée par les phénomènes climatiques El Niño et La Niña, particulièrement longue, marquée par un assèchement des nappes phréatiques, avec des réserves en eau qui étaient déjà très basses et un syndicat d’acheminement de l’eau dysfonctionnel… Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de plan et nous allons relancer la préfecture de Mayotte.
Les observatoires relèvent du ministère de la transition écologique, mais je sais qu’un travail est en cours pour fiabiliser les remontées d’information en professionnalisant leurs analystes.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Quand on parle de risques naturels, on est toujours à la lisière entre les compétences de votre ministère et celles du ministère de la transition écologique. Le personnel de l’observatoire assure des permanences, c’est-à-dire une continuité mais, pour l’instant, il n’y a pas de cadre. Il importerait de clarifier cela, à la fois parce qu’il faut rémunérer les gens, et pour des raisons juridiques.
Dans le questionnaire que nous vous avons envoyé, nous avons abordé la question des sargasses. L’eau et le vent ne sont pas des risques naturels, mais les pluies torrentielles qui causent des inondations et les cyclones en sont. C’est la même chose pour les sargasses : je ne sais pas si elles représentent un risque naturel en tant que tel, mais leur prolifération peut causer des dégâts qui en font peut-être un risque naturel. L’enjeu est important, car cela implique des régimes d’indemnisation et de prise en charge particuliers. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le régime « Cat nat », d’indemnisation des catastrophes naturelles, est une question en soi : il ne semble plus très adapté à la situation actuelle. D’une manière générale, nous réfléchissons beaucoup, avec le ministère de l’économie et des finances et celui de la transition écologique, à la manière de rendre ce régime plus lisible, à la fois pour les élus et pour les citoyens.
Le problème, ce ne sont pas les sargasses en elles-mêmes, mais leur décomposition et le fait qu’on ne les enlève pas. Des dispositifs existent : un plan de 36 millions d’euros sur quatre ans, qui a été lancé en 2022 et réabondé en 2023 et 2024 ; un plan de collecte en mer, doté d’un budget de 2 millions, pour éviter que les sargasses n’arrivent sur le territoire antillais ; la mise aux normes des capteurs de gaz, qui coûte plus de 1 million par an ; un soutien complémentaire à la pose de barrages et de zones de stockage. Pour l’instant, nous ne traitons pas le problème des sargasses par le régime Cat nat, mais par des mesures budgétaires classiques, en lien avec les collectivités. J’ajoute que les entreprises qui sont concernées par l’échouement des sargasses ont pu bénéficier d’aides fiscales et sociales de la part de l’Urssaf et de la direction générale des finances publiques.
Peut-être faudra-t-il faire entrer dans le nouveau régime des Cat nat un risque comme celui-ci ? Peut-être faudra-t-il nous montrer plus prospectifs, ne plus nous en tenir au lien direct entre un incident – par exemple une intempérie – et un drame, mais voir ce qui a causé l’incident – en l’occurrence, la décomposition des sargasses. Dans la mesure où la question est essentiellement budgétaire, elle relève plutôt du ministère de l’économie et des finances, et de celui de la transition écologique. En tout cas, il importe effectivement de redéfinir plus clairement les phénomènes qui relèvent de la catégorie de catastrophe naturelle. Il faut que les Français puissent comprendre pourquoi il arrive que l’on ne déclenche pas le dispositif Cat nat et pourquoi, même quand on le déclenche, on peut ne pas y être éligible. C’est le fait de ne pas comprendre qui suscite des frustrations.
J’ajoute que la réflexion sur les sargasses peut aussi nous aider à penser la question des algues vertes en Bretagne, qui est du même ordre. L’outre-mer permet souvent de réfléchir à des problèmes qui se posent aussi dans l’Hexagone. Nous sommes prêts à revoir le régime Cat nat, à la fois outre-mer et dans l’Hexagone.
M. le président Mansour Kamardine. S’agissant des cyclones, il faut – de mémoire – des vents à 120 kilomètres par heure pour que l’on puisse parler de catastrophe naturelle, mais il faut que les vents atteignent 180 kilomètres par heure pour être indemnisé.
M. Gérald Darmanin, ministre. Il y a aussi un critère de durée : il y a à la fois la pointe et la durée. La difficulté que l’on rencontre, par exemple à La Réunion, c’est que les services de l’État ne se fient qu’aux mesures faites par Météo‑France, mais que les pointes ne sont pas les mêmes partout dans l’île. Or certains agriculteurs, ou certaines entreprises, qui ont leur propre station météorologique, mesurent parfois des pointes plus élevées, ce qui crée une forme de frustration. Non seulement il faut que le vent atteigne une certaine force pendant un certain temps, mais il faut aussi que nous ayons de bons instruments de mesure pour le constater. Les services de l’État estiment que des vents atteignent sans doute 200 kilomètres à l’heure sur les cimes de La Réunion, mais encore faut-il pouvoir les mesurer. Sans doute y a‑t‑il là des choses à simplifier de ce côté-là aussi.
M. le président Mansour Kamardine. J’insiste sur le fait que le delta est très important entre le niveau qui déclenche le régime de catastrophe naturelle et celui où l’on peut avoir accès à une indemnisation.
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous travaillons en tout cas à la refonte du régime Cat nat.
M. le président Mansour Kamardine. Je vous remercie, monsieur le ministre.
*
* *